Voleurs
NOTICE EXPLICATIVE
Entre voleur et violeur, qu’une lettre de différence…
C’est très curieux, cette propension des personnages fictionnels homosexuels à se définir comme des « voleurs » juste après avoir découvert en eux une homosexualité, ou bien suite à leur tout premier « passage à l’acte homosexuel ». En apparence, ils n’ont rien volé de matériel. Du moins, avec leur amant, ils essaient d’être un minimum honnêtes et gratuits… même si le vol – très proche phonétiquement du viol… et pour cause ! – arrive aussi au sein de « l’amour » homosexuel dit « classique » (amants se laissant entretenir/corrompre l’un l’autre, vol dans le contexte trouble mais très répandu de la prostitution, consommation mutuelle légitimée par le cadre de la conjugale…). En fait, ils lui ont volé plus que cela : sa beauté, son corps, son âme, sa joie de vivre, sa liberté.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Coït homosexuel = viol », « Violeur homosexuel », « Viol », « Méchant pauvre », « Amour ambigu de l’étranger », « Prostitution », « Liaisons dangereuses », « Témoin silencieux d’un crime », « Substitut d’identité », « Espion », « Couple criminel », « Voyeur vu », « Homosexualité noire et glorieuse », et à la partie sur les gigolos tueurs du code « Homosexuel homophobe », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
On retrouve le vol dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques : cf. le film « Au voleur » (2009) de Sarah Leonor (avec Jacques Nolot notamment), le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, la pièce Betty Speaks (2009) de Louis de Ville, le film « Unveiled » (2007) d’Angelina Maccarone (avec Fariba, l’amante-voleuse iranienne), la nouvelle « Kleptophile » (2010) d’Essobal Lenoir, la B.D. En Italie, il n’y a que des vrais hommes (2008) de Luca de Santis et Sara Colaone, la chanson « Je t’aime comme je t’ai fait » de Frédéric François, la nouvelle « Le Cahier volé » (1978) de Régine Desforges, le film « Chop-Shop » (2009) de Ramin Bahrani, le roman Alí Babá Y Los Cuarenta Maricones (1993) de Nazario Luque (le terme « maricón » signifie « homo » en espagnol), le film « Dirty Love » (2009) de Michael Tringe, le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné (avec les vols de voitures organisés), le film « Ostia » (1970) de Sergio Citti, le film « Hold-up à Londres » (1960) de Basil Dearden, le film « Love Is The Devil » de John Maybury, le roman Voleurs (1948) de Yukio Mishima, le film « Deathwatch » (1966) de Vic Morrow, le film « Pouvoir intime » (1987) d’Yves Simoneau, la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy (avec Sébastien l’homosexuel menteur et voleur), le film « Rien ne va plus » (1979) de Jean-Michel Ribes, le film « Un petit cas de conscience » (2001) de Marie-Claude Treilhou, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Touki-Bouki » (1972) de Djibril Diop Mambéty, le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec le mystérieux vol de petite cuillère en or qui est un leitmotiv de l’intrigue), le film « La Victime » (1961) de Basil Dearden, le film « Imposters » (1979) de Mark Rappaport, le film « L’Enfer d’Ethan » (2004) de Quentin Lee, le film « Gonin » (1995) de Takashi Ishii, le film « Le Chat croque les diamants » (1968) de Bryan Forbes, le roman Les Tricheurs (1959) de Françoise d’Eaubonne, le film « Cop Image » (1994) d’Herman Yau, le film « La Malédiction de la Panthère rose » (1978) de Blake Edwards, la pièce 1h que de nous (2014) de Maxime Daniel et Muriel Renaud (avec Maxime, le héros homo, voleur de tableau), le film « Jeff » (1968) de Jean Herman, le roman Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide (avec le vol de livre dans la librairie), le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz (avec le prostitué qui détrousse son client), la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette (avec Diane la voleuse de colliers), le film « Les Tricheurs » (1958) de Marcel Carné, le film « La Vengeance d’un acteur » (1963) de Kon Ichikawa, le film « Le Magot » (1972) de Silvio Narizzano, le film « Le Canardeur » (1974) de Michael Cimino, le film « Yolanda et le Voleur » (1945) de Vicente Minnelli, le roman Les Gangsters (1988) d’Hervé Guibert, la pièce Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig (avec le vol de livre), le film « They Made Me A Fugitive » (1947) d’Alberto Cavalcanti, le film « Le Voleur de Bagdad » (1940) de Powell et Pressburger, le film « Premières Neiges » (1999) de Gaël Morel (avec le vol à l’étalage dans le supermarché), le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche, le film « Les Anges du péché » (1943) de Robert Bresson, le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le film « Taxiboy » (2001) de Veronica Chen, le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce, le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, le film « Les Voleurs de chevaux » (2007) de Micha Wald, le film « Shoot Me Angel » (1995) d’Amal Bedjaoui (avec la lesbienne qui fait du vol à la tire), le film « La Croix du Sud » (2003) de Pablo Reyero, le film « Contradictions » (2002) de Cyril Rota, le film « Best Men » (1997) de Tamra Davis, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec le vol de portefeuille au tout début du film), le film « Intrusion » (2003) d’Artémio Benki, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Le Garçon d’orage » (1997) de Jérôme Foulon, le film « Figli De Annibale » (1998) de Davide Ferrario, la chanson « L’Enfant de chœur et le Voleur » de Joan Baez, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec le vol de lettre), le film « Les Garçons » (1959) de Mauro Bolognini, le film « Tenue de soirée » (1986) de Bertrand Blier, le film « Long Island Expressway » (2001) de Michael Cuesta, le vidéo-clip de la chanson « Timebomb » de Kylie Minogue (qui vole le portable des passants) ; le film « Michael » (1924) de Carl Theodor Dreyer, le film « Chill Out » (1999) d’Andreas Struck, le film « Le Poison » (1945) de Billy Wilder, le film « Alles Moet Weg » (1996) de Jan Verheyen, le film « Alem Da Paixao » (1985) de Bruno Barreto, le film « Pasajes » (1995) de Daniel Calparsoro, le film « Le Troisième Homme » (1949) de Carol Reed, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Marnie » (« Pas de printemps pour Marnie », 1964) d’Alfred Hitchcock (avec Marnie – Tippi Hedren – la femme cleptomane… et violée), le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, le film « Gespenster » (2005) de Christian Petzold (avec la jolie voleuse), la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, le film « Une Après-midi de chien » (1975) de Sidney Lumet, le film « Mikael » (1923) de Carl Theodor Dreyer, le début du Journal (1) (1997) de Fabrice Neaud (commençant par un vol), le film « Parisian Love » (1925) de Louis Gasnier, le film « Avant le déluge » (1953) d’André Cayatte, le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland (avec le vol de voiture), le film « Le Prix à payer » (1997) de F. Gary Gray, le film « Trio » (1997) d’Hermine Huntgeburth, le film « Il était une fois dans l’Est » (1974) d’André Brassard (avec le vol de timbres), le film « Bowser Makes A Movie » (2005) de Toby Ross, etc.
Il est étonnant de voir que dans certaines fictions homo-érotiques, le personnage homosexuel se définit comme un « voleur » pour ne pas employer le mot fatidique « homosexuel » : « Faire comprendre à Édouard que je ne suis pas un voleur, se disait-il, voilà le hic. » (Bernard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide, p. 98) ; « Non, mais, des fois… que vous me prendriez pour un voleur ?… » (idem, p. 102) ; « Il est peut-être venu nous cambrioler. » (Giles Ralston s’adressant à sa femme Mollie à propos de Christopher Wren, le héros homo, dans la pièce The Mousetrap, La Souricière (1952) d’Agatha Christie, mise en scène en 2015 par Stan Risoch) ; « Je peux pas toujours prendre sans donner. » (Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « Je viens de Harlem. J’pourrais vous voler… » (Arthur, le personnage homosexuel, s’adressant à Dorothy qui le drague, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « Je suis un VOLEUR ! Chuis pas un assassin ! » (Hugo, le cambrioleur gay de la série Demain Nous Appartient, dans l’épisode 274 diffusé le 22 août 2018 sur TF1) ; « Chaque jour vers l’enfer nous descendons d’un pas, sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange le sein martyrisé d’une antique catin, nous volons au passage un plaisir clandestin. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; etc. Dans le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, François s’imagine « être un voleur » après avoir vécu sa première expérience homosexuelle. Dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, Tanguy est traité par son père et sa belle-mère de « voleur » (p. 255). Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta accueille dans son appartement le temps d’une journée Gabriele, son voisin de pallier homosexuel. Ce dernier lui pique un bonbon quand elle a le dos tourné. Un peu plus tard, la concierge de l’immeuble, qui a vu Gabriele pénétrer dans la maison d’Antonietta, la met garde : « J’ai connu un voleur qui venait dans l’immeuble… » Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, après leur vol à l’étalage et de retour chez eux, Élisabeth et Paul, le frère et la sœur incestueux, s’entendent dire par leur gouvernante Mariette : « Quelle belle mine ! Vous êtes tout noirs ! » Dans le film « Let My People Go ! » (2011) de Mikael Buch, Ruben est qualifié de « voleur malgré lui » (cf. la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, du 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris). À la fin de son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon aborde la thématique des vols dans les hôtels : « Le cleptomane me fascine. » L’homosexualité et le vol sont fréquemment synonymes et mis sur le même plan (grammatical, sémantique, symbolique). Le personnage homosexuel semble craindre autant d’être pris la main dans le sac que d’être suspecté d’homosexualité. Dans la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1, Hugo, le héros homo de 25 ans, dit qu’il ne peut pas se passer de voler : « Le cambriolage, j’y suis accro ! » (c.f. l’épisode 260, diffusé le 2 août 2018). Il cambriole les luxueuses villas de Sète, en laissant à chaque forfait, un bouquet de fleurs en souvenir. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Rupert, le jeune héros homo de 10 ans, est arrêté pour vol de (ses propres !) lettres, lesquelles révèlent l’homosexualité de l’acteur John J. Donovan.
Par exemple, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, en même temps qu’ils entament une relation amicale renforcée qui les fait passer pour homos, les deux adolescents Vlad et Joey se font comme par hasard suspecter de vol de livres en français dans leur bahut. On découvrira qu’en réalité, c’est Ben le grand-oncle homo de Joey, qui est l’auteur du larcin. Il se dénonce bien tard, après que le pauvre Joey se soit fait engueuler sévèrement par son père et presque suspecter d’homosexualité, le temps d’un dîner tendu.
Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), le Comte Smokrev, bourgeois homosexuel d’une grande perversité, vénère une sculpture, L’Hermès de Praxitèle, représentant un homme caressant un jeune homme. Il identifie d’ailleurs Pawel Tarnowski à celle-ci : « Savez-vous ce que vous êtes ? Vous êtes comme une belle et grande sculpture grecque. Un Hermès. Magnifique… mais froid comme la pierre. » (p. 302) Pawel finit par le voir comme un voleur : « Pawel lutta continuellement avec des sentiments de haine contre Smokrev, convaincu qu’il avait été volé et violé. » (Pawel Tarnowski, idem, p. 308)
Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, vole des fourchettes dans l’hôtel mexicain où il séjourne. Il demande malicieusement à son amant et guide Palomino : « Le vol est pire que le voyeurisme ? » Il finit par les rendre : les fourchettes lui fournissent « une excuse pour être arrêté ».
Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, dès que Rana, chauffeuse de taxi, découvre la transsexualité de sa passagère intersexe F to M Adineh, ainsi que l’argent dérobé qu’elle porte sur elle, elle l’accuse comme par hasard de vol : « T’es une voleuse ! » Plus tard, quand Rana héberge Adineh chez elle, Akram, la belle-mère de Rana prend Adineh pour un voleur : « Appelle le 110 ! Un voleur !! »
Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, dans la maison familiale bourgeoise des deux frères homosexuels Tommaso et Antonio, c’est l’obsession du cambriolage : les servantes, leurs parents et tous les habitants crient constamment « Au voleur ! » et vivent dans la hantise de son retour :« Le voleur est revenu ! »… sans s’imaginer que le voleur qui viendra frapper à la porte de leur famille s’appelle « double coming out ».
Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, chippe dans les magazins, s’en va des supermarchés avec des caddies. Il vole des cadeaux, et notamment un collier en bijou avec l’inscription « Mommy » dessus. Sa mère n’accepte pas ce présent (« Mon fils est un voleur. »), et son fils ne supporte ni de se voir inculpé ni de s’entendre défini ainsi (il nie, avec une mauvaise foi très violente : « Je l’ai pas volé !! »). On constate également que Steve ne se contente pas de dérober des objets : il s’attaque aussi aux personnes, et notamment à sa génitrice. « T’aimes bien quand je te chope comme ça, hein ? »
Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, un homme du village est flagellé pour avoir volé les vaches de Hermelinda… et ce vol est mis en parallèle avec le futur lynchage de Noé, le héros homo. Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Marie décrit le « milieu homo » comme « la secte des tricheurs ».
Cette réputation peut correspondre à une réalité cinématographique/littéraire. Dans les fictions traitant d’homosexualité, le personnage (homosexuel ou pas) pratique régulièrement des vols et a la main leste. « La servante a installé une crèche sur la table de la salle à manger, avec des petits personnages en plomb dont elle avait volé près d’un millier au supermarché. » (cf. la nouvelle « La Servante » (1978) de Copi, p. 68) ; « Les curieux commencent à s’agglomérer dans la boulangerie, je profite pour voler un pain au chocolat et m’éclipser. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 91) ; « Un jour je me suis décidé à voler le tricycle de ma petite voisine Lili. » (le Professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « À l’occasion, je pique aussi… à la machine. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « Tu t’es déjà fait voler ? » (Steeve s’adressant à Vincent juste avant de l’assassiner, dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin) ; etc.
Dans le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, Aílin, le personnage bisexuel, est une voleuse. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, dit qu’il s’amuse à « piquer des fruits » avec sa meilleure amie Katja. Quant à l’amant de Phil, il lui vole sa boule à neige en verre quand ils étaient adolescents. Dans le film « La Maison vide » (2012) de Matthieu Hippeau, Vincent, homosexuel, pénètre dans une maison vide pour la cambrioler. Dans le film « Pigalle » (1993) de Karim Dridi, Fifi, pickpocket aux désirs troubles, vit une passion amoureuse avec Divine, transsexuel. Dans la pièce Le Gang des potiches (2010) de Karine Dubernet, Nina la lesbienne, avant de faire partie du gang des potiches qui organise des hold-up, a exercé du piratage internet. Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Phillip est voleur de voitures. Dans le roman Le Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, Cyril est un dangereux pirate informatique. Dans le film « Circumstance » (2011) de Maryam Keshavarz, le couple lesbien Shirin/Atefeh vole un objet dans une voiture, puis après s’échange un baiser. Dans le film « Néa » (1976) de Nelly Kaplan, Sibylle Ashby vole dans la librairie genevoise d’Axel Thorpe. Dans le film « Masala Mama » (2010) de Michael Kam, le jeune fils d’un pauvre chiffonnier vole une B.D. de super-héros dans une épicerie indienne. Dans la pièce Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, Valjean vole un chandelier, un pain, des couverts de vaisselle. Dans le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler, Mary vole un bouquet de fleurs. Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971), Irina a volé une vache au Maroc. Dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, presque tous les personnages sont des voleurs : Arlette vole des bouteilles d’éther, la bonne de Silvano dérobe de l’argent dans la poche de la veste de son chef, les gamins du quartier de Paranà volent les fruits du jardin de Silvano (et même son épouvantail). Dans la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi, Mme Ada est la voleuse de diamants et des bijoux de la Couronne d’Angleterre. Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, le héros vole une saucisse à l’âne au café-épicerie, une cousette de luxe chez le teinturier, une pastèque au marché, une batterie et la roue d’une bicyclette dans la rue, un bidon de sardines, de la confiture de lait, et son détergent-mains-douces à doña Celestina. Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, la bonne vole les bas de soie de China. Dans La Pyramide ! (1975) de Copi, la Princesse vole l’arbre des Jésuites, la voiture du Rat, et tous les personnages de la pièce tentent en vain de voler la Vache sacrée. Dans le roman La Cité des Rats (1979), Emilio Draconi aurait, selon les journaux, « étranglé sa mère pour lui voler sa pension de divorcée » (p. 71). Dans le one-woman-show de Mado fait son show (2010) de Noëlle Perna, le personnage du gay dépressif vole du sparadrap à Mado la Niçoise. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Fabio vole son blouson à Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, qu’il cherche à draguer en pensant que c’est un homme. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire décrit « l’aplomb qu’il a depuis qu’il a commencé à voler » : « le fait d’être voleur, poète, assassin » semble lui donner des ailes ! Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Anne, la fille à pédés, avale un bracelet pour passer le contrôle de la bijouterie sans se faire repérer. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, chipe dans les supermarchés. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Jean et Henri, le couple homo criminel, détrousse un client-amant de Jean dans les toilettes de la gare. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, tous les personnages homosexuels volent dans les magasins : même Davide, le jeune héros gay, apprend vite, en piquant des disques. Meri, voyant un Davide réticent dans le supermarché, lui demande : « Pourquoi tu fais cette tête ? Tu n’as jamais volé ?? » Et pour le chef du gang gay des prostitués voleurs, Wonder, ça tombe sous le sens : « Pourquoi tu ne vas pas voler, comme tout le monde ? » Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François propose à son amant Thomas de «
Le vol est un acte qui rapproche l’Homme de la bestialité. Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, par exemple, le rat vole un timbre vert à la dame du tabac, une boucle d’oreille volée au super-market ; les abeilles volent des gouttes de nectar du saule. Dans le roman La Cité des Rats (1979), le perroquet vole les alliances des amiraux Smutchenko et Smith (p. 113), et les boutons de manchette de l’archevêque. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Nono et Stef ont braqué un supermarché… Vivi veut y retourner avec eux. Norbert aussi. Par ailleurs, le rapport sexuelle sado-maso entre Vivi et Norbert se transforme en simulation de hold-up.
Il est d’usage que le personnage homosexuel se qualifie fièrement de voleur. Il agit sans faire de distinction sociale ni de personne : qu’il soit riche ou pauvre, il déleste n’importe qui de plus fortuné ou de plus pauvre que lui. « Moi, le voleur, moi le traître. » (la voix narrative du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 111) ; « Petit voleur par nécessité, assassin par vocation, ma route est toute tracée. » (Lacenaire à Garance, dans le film « Les Enfants du Paradis » (1945) de Marcel Carné) ; « Je suis cleptomane. » (Marcel, un des héros homos de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Je suis un chasseur ! Pas un gratte-papier. J’aimerais être de ceux qui visitent les appartements des opposants politiques et s’emparent de leur contenu, des livres au courrier et aux meubles, et les envoient vers Berlin. » (Heinrich dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 103) ; « Ce saucisson, je l’ai volé aux domestiques. » (Micheline dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Va falloir que je vole une poule ! » (Largui dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Essaie de voler quelques légumes ! » (la Reine à la Princesse dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Mais un jour viendra, je n’escroquerai plus. » (Kévin dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte) Bob, le gourou de la cour des miracles du film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, déclare que « le vol est sa vocation ».
Il est curieux de voir que très souvent, le personnage homosexuel s’identifie au dieu des commerçants, des voyageurs, et des voleurs : le dieu Mercure (ou Hermès). « Un jet de semence issu de la verge du mari fusa en une parabole lactée au pied de la pauvre épouse, tel un Mercure ailé dont le message était transparent. » (cf. la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 61) ; « Hermès aux tendres pieds ! » (cf. le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet) ; « Il fixa des yeux une tache sur son buvard. […] C’était une tache d’une forme bizarre qui fait songer à l’ombre d’une main sans pouce. […] Cela ressemblait à une main de voleur, mais de voleur qui eût volé autre chose que de l’or. ‘Un voleur de vent’, murmura Fabien. Et plus haut il répéta : ‘Voleur de vent, voleur de vent.’ » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 29) ; etc. Dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Jules, un des héros homos, avoue sa passion pour Mercure (Hermès) : « Je l’aime, ce dieu-là. Tu sais, c’est aussi le patron des marchands et des voleurs. » Dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, Érik Satie affirme qu’il a le projet d’écrire un nouveau ballet appelé Mercure. Le roman Heraclés (1955) de Juan Gil-Albert traite également d’homosexualité. À ce propos, pour la petite histoire mythique, il n’est pas anodin, concernant le lien entre homosexualité et viol, que le fils d’Hermès et d’Aphrodite se prénomme « Hermaphrodite » !
Hermès, le dieu d’amour aérien, « volant » dans tous les sens du verbe, apparaît dans le film « Victor Victoria » (1982) de Blake Edwards. Après la nuit d’amour avec Toddy le héros homosexuel, le jeune et beau Richard se lève discrètement du lit « conjugal » pour s’habiller et dérober quelques billets dans le portefeuille de son amant. Toddy se réveille juste à ce moment-là, et le voit faire sans résister :
Toddy – « C’est pour le taxi ?
Richard – Non, c’est pour régler des factures.
Toddy – Laisse-m’en pour le petit-déjeuner.
Richard – Toddy, tu me crois vénal ?
Toddy – Non. Sans scrupules.
Richard – Tu en as eu pour ton argent.
Toddy – On en a eu tous les deux pour mon argent.
Richard – Écoute, Toddy, si t’es pas content…
Toddy – Je ne le suis pas… Mais je citerai Shakespeare : ‘L’amour ne voit pas avec les yeux mais avec l’imagination… Aussi le dieu ailé est-il aveugle’. »
Le verbe « voler » prend un double sens : planer dans les airs et dérober un objet. Comme si on essayait inconsciemment de nous parler de la violence de l’irréel, de la violence potentielle des fantasmes. « Que les voleurs volent » (l’un des deux héros de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « Ce serait bien que mon nouveau voisin me fasse voler comme dans Titanic… » (Bernard, l’un des héros homos de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, quand le Vrai Facteur dit à Jeanne qu’il « va voler un peu », celle-ci lui répond « Chacun ses tendances ». On retrouve la polysémie du verbe « voler » dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi. Dans le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, on fait comprendre implicitement au spectateur qu’aller voler ensemble, c’est s’unir en amour homosexuel : « Ça te dirait de voler ? » (Medim à Manu) Dans le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine, l’amour homosexuel est toujours placé sous le signe du vol : la première fois que Bruno rencontre Fabrice, c’est dans une église, quand il l’aperçoit en train de voler des cierges ; plus tard, il le pourchasse avec insistance car Fabrice lui a volé son portefeuille. Et on finit par les voir tous les deux suspendus en l’air par une grue (cf. le titre du film).
Il arrive aussi que le personnage homosexuel soit qualifié de voleur. « Tu m’as appris à voler, à tuer. » (Scarlett au très homosexuel Baron Lovejoy de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Ça va pas, l’or est à moi ! Ah, la voleuse ! » (Loretta Strong à Linda dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Vous, les gouines, et les femmes toutes, qui venez mettre le nez dans les affaires du quartier, vous êtes des vrais gangsters ! […]Vous nous chantez des chansons pour met’ les pauvres à l’Hospice, les voleurs dans les prisons, les Arabes en Arabie et garder tout le pognon ! » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Vous êtes tous des voleurs ! » (Don Cristóbal dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, doña Celestina surnomme Raulito « la voleuse », en le féminisant ; et le couple homo Raulito et Cachafaz sont sans cesse traités de « pillos » (= coquins, voleurs) par leur entourage. Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Steven, le héros homo, fait de l’arnaque sa spécialité, au point que son ex-femme Deborah ironise : « Être homo et arnaquer les gens, ça va ensemble, ou… » Dans le film « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima, Kimpira traite Kai de « voleur ». Dans le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier, François est accusé de « vol » (autrement dit de plagiat) des articles de la revue Travelling. Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy efféminé avec son monocle, vole des cadres chez Marguerite.
Souvent, c’est plutôt le personnage travesti ou transsexuel, qui vole. « Gigi lui [Le prince Koulotô] prit le portefeuille dans sa poche intérieure; une liasse de billets de 500 francs roula sur le trottoir. Les deux vieux travelos se précipitèrent pour la ramasser, la mirent dans un de leurs sacs et coururent jusqu’à l’angle de la rue des Martyrs. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, pp. 88-89) ; « On les [les folles] invite chez Régine où elles voleront un manteau de vison et rosseront le videur. Et Marilyn règne sur tout ce monde. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 36) ; etc. Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, ce sont les deux travestis clochards Mimi et Fifi qui effectuent la plupart des larcins. Dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud, le vol semble être la spécialité de Marina, le personnage travesti : il vole le portable du gardien, puis son ordi, et chipe le briquet de François. Dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, Strella le trans, avec la complicité de son camarade gay Alex, vole des fringues chez Zara et des objets dans les grands magasins. Dans la comédie musicale Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stephan Druet, Zulma, la grand-mère travesti, vole à l’étalage pour sustenter son petit-fils transsexuel Roberto et sa fille Alba : « Je volais tout. » Dans le film Gun Hill Road (2011) de Rashaad Ernesto Green, les vols et les crimes du père, Enrique, font miroir à la transsexualité de son fils M to F Michael.
Il arrive par ailleurs que le personnage homosexuel se fasse voler un objet et soit victime d’un vol : « Mon mouchoir, on me l’a volé. » (Cherry dans la pièce La Star des Oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « J’ai jamais eu de chance avec les p’tits copains. J’ai toujours été spolié. […] Fabrice s’est tiré avec la caisse. Plus rien. Une princesse déchue. » (Jeanfi, le steward homo, racontant comment il est sorti avec un certain Fabrice, un « escroc qui l’a ruiné après lui avoir fait vivre une vie de « princesse » dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; etc. Dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silvano se fait piquer son revolver ; la tireuse de sorts se fait prendre ses poules ; Arlette se fait voler son sac au théâtre (… ce qui ne l’empêchera pas de voler à son tour). Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi, le dossier d’Irina Simpson est volé. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, se fait voler sa bicyclette. Dans la pièce Le Frigo (1983), « L. » se fait voler son chéquier par sa mère. Dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie, Armand, homo, s’est fait piquer 200 euros par 4 jeunes. Dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann, Anthony, le garçon d’hôtel, se venge du client qui a voulu le torturer sexuellement : il le vole, lui prend son code de carte : « J’pense que pour le prix, tu mérites au moins de te faire enculer. » Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Greg, le héros homo, s’est fait vider son compte en banque par Igor, son amant qui lui a piqué sa carte de crédit : « Qu’est-ce que tu veux… J’crois en la sincérité et la fidélité. »
Le vol est même parfois désigné comme le révélateur de l’homosexualité : par exemple, dans le film « Glee » (2009) de Ian Brennan, un jeune gay prénommé Trenton s’est vu obligé de faire son coming out au collège après que ses camarades lui aient volé son journal intime, sur lequel était inscrit le nom du garçon de qui il était amoureux.
Il s’agit parfois d’un vol qui n’a pas eu lieu mais qui est fantasmé par le personnage homosexuel, soit parce qu’il est craint, soit parce qu’il finit par être désiré et attendu. « Ferme la porte à clé, il y a tellement de voleurs à Buenos Aires… » (China à Rogelio dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Y’a des baisers volés dans les trains de tsarine. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Cody dit ‘Je m’a suis fait voler. Nourdine il a tout volé, l’argent et la caméra de New York University que j’avais empruntée. Oh my god, on habitait ensemble, et cette matin, je m’est levé et tout avait disparu dans l’appartement.’ Je l’accompagne pour porter plainte. Je lui dis ‘Ça te plaît, hein, que ce mec t’ait volé ? C’est la preuve que tu avais raison d’avoir peur. Maintenant ça te fait jouir d’avoir été une femme violée et volée, c’est comme si ton rêve magique d’être une femme avait été poussé au maximum.’ Cody, pris en faute, me regarde de travers. […] ‘Il a venu pour s’excuser’ […] ‘Il a été obligé de ma voler, mais il a dit désolé, quoi et on a fait l’amour ensemble.’ » (Mike le héros homosexuel racontant comment son pote gay nord-américain Cody a accepté de se faire détrousser par son amant de passage, Nourdine, et qu’il ose encore croire à la belle idylle malgré cela, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 111-112) ; « Méfie-toi, il est dans ta cuisine. Il te cambriole. » (Jérémy Lorca parlant d’un amant GrindR dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc. Par exemple, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, Marcel fait croire à ses amants successifs qu’il s’est fait violer et voler à Toronto par un couple de garçons. Dans le film « Once More (« Encore », 1987) de Paul Vecchiali, Louis, en enfilant une capote, a « l’impression de faire un hold-up ». Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, fait croire qu’il s’est fait voler 9000 livres alors qu’en réalité, c’est une manigance qu’il a échafaudée avec son complice Carter pour détourner l’argent de la police du Canton.
Le vol peut également être un acte fictionnel réel du fait d’avoir été d’abord fantasmé. Il agit comme une technique de drague, ou un moyen de s’embellir en poussant le cri esthétique du viol : « Au voleur ! Au voleur ! » (le Marquis dans la pièce Les Précieux Ridicules (2008) de Damien Poinsard et Guido Reyna) ; « Allez, hop, j’te kidnappe ! » (Sonia s’adressant à son amante Clara, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Il consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… » (Mike, le héros homo racontant son « plan cul » via un chat internet avec un certain Vianney, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Oui, je suis obligée de voler. » (David Forgit, le travesti M to F du one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; etc. Par exemple, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, Bruno a fait exprès de dérober son portefeuille à Pablo pour qu’il vienne le rechercher. Dans le film « New York, I Love You » (2009) de Mira Nair, Ben (Hayden Christensen) vole l’alliance de Gary (Andy Garcia), un homme marié. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe, le héros homosexuel, croit qu’il s’est fait cambrioler. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo, le héros homosexuel noir, fait d’abord croire (en boutade ?) qu’il va braquer son futur amant blanc Johnny, pour le tester et aussi illustrer que leur amour va transcender le racisme ambiant et les clichés de l’île des Bahamas : « Donne-moi ton porte-feuille ! » Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, l’amour est considéré par les deux amants Léo et Gabriel comme une marchandise, un objet qu’il serait possible de se dérober réciproquement : « Léo, si tu avais volé un baiser à quelqu’un, tu le lui rendrais ? » (Gabriel juste avant de recevoir le baiser qu’il avait donné sans crier gare à Léo auparavant)
Le vol (supposé ou réel) a lieu le plus souvent entre amants d’un même couple. « Il m’a tout volé. » (Tonia à propos de son amant Rosário dans le film « Morrer Como Um Hommen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues) ; « J’ai pris ce que tu m’as donné, de mon plein gré. Ce n’est pas de ta faute, Thérèse. » (Carol, l’héroïne lesbienne consolant son amante Thérèse en pleurs, culpabilisant d’avoir couché avec elle, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; etc. Dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, Louise avoue qu’elle volait ses porte-plume à Jeanne quand elles étaient petites. Dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi, Linda a volé l’anorak de Loretta Strong. Dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamedn, l’homo cultivé se fait assassiner puis cambrioler par un de ses amants. Dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville, le « Monsieur distingué » homo se fait voler une statuette par un jeune tapin qu’il a amené chez lui. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel vole de l’argent à son petit copain Omar. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin est arrêté par la police parce qu’il est pris pour un cambrioleur alors qu’il tentait de pénétrer discrètement dans la maison de son amant Bryan. L’amour homosexuel est en général annoncé par un vol d’objet. Autre exemple : le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch commence par le vol à l’étalage d’une carotte par Laura, l’héroïne lesbienne. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing a appelé la police pour cambriolage : en réalité, il s’est fait voler par un jeune amant, Murray, dans son domicile. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, vole dans la salle de bain de son amant de passage Walt une assiette en porcelaine accrochée au mur, assiette qui le fascine car elle représente un homme triste. Il finit par dénoncer son larcin : « Merci pour l’assiette avec le garçon triste. »
Le « milieu homosexuel » fictionnel est très souvent désigné comme un repaire de banditisme et de pickpockets : « On peut toujours se promener aux Tuileries, mais j’ai peur de me faire voler mon portefeuille. » (Hubert dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Dire qu’il y a des folles qui ont peur de draguer dans la rue et se font voler ou massacrer par des gigolos qu’ils ont dragué dans les boîtes de nuit ! » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) Dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Frédérick s’est fait voler sa montre dans un jardin public de drague homosexuelle qu’il fréquentait. Le vol homosexuel ne se fait pas que dans un sens. Cela peut être le client fortuné qui prend le rôle du voleur de son gigolo : « Redevenir gendarme, chasser le voleur, consoler la victime. Subitement, je voudrais pratiquer l’abus de pouvoir par personne ayant autorité. » (la voix narrative du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 44) Dans le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot, par exemple, un travelo reconnaît au guichet du cinéma porno un de ses anciens clients : « Jean ? C’est ça, hein, Jean ? Je te reconnais. Il m’a fauché mon fric. Au sex shop. Tu m’as fauché 1000 balles ! Que tu te fasses sauter, ça ne me dérange pas, mais que tu me fauches mon fric, ça, ça me dérange ! Non mais c’est vrai ! Ça se fait sauter et ça te fauche ton fric ! Ces mecs-là, ils viennent chez toi, ils te sucent, ils se font baiser comme des reines, et ça te fauche ton fric ?!? »
Au sein du couple homo fictionnel, ce n’est pas nécessairement un objet qui est volé. Cela peut être une identité ou une personne, autrement dit quelque chose d’unique et qui ne se possède pas. « Je suis amoureux de celui qui détient ma pièce perdue, et que je veux te voler. » (Denis s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Qu’est-ce que je vous ai fait ? […] Je vous ai peut-être volé un rôle sans le savoir. Ou un amant. » (la Comédienne à Vicky, avant de comprendre qu’elle est sa sœur jumelle, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « On va la prendre comme otage ! » (Fougère à propos de Leïla dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Il est à moi, cet Arabe. Voleuse ! » (Daphnée à Micheline dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Elle [Micheline] ne vient que pour nous piquer nos mecs ! » (Daphnée, idem) ; « Tu sais que tu as tué la femme de l’attaché culturel du Sénégal pour lui voler sa mouflette ! » (le chef des CRS à Mimile dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 70) ; « J’aimerais que Léonard m’autorise à vous enlever. » (Vita Sackville-West, lesbienne, s’adressant à son amante Virginia Woolf, à propos du mari de cette dernière, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc. Je pense aussi à l’enlèvement de Graciela dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi. Dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, les reines incas ont été volées par les Espagnols. Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, Daphnée a « volé » sa/leur fille à son mari John. Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, les lesbiennes essaient de rapter un enfant nommé Ali ; le Vicomte est également enlevé. Dans le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, on assiste également au vol de mari entre Libertine et sa rivale (Sophie Tellier). Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, une secte secrète opère une série d’enlèvements de personnes.
Il est intrigant de voir parfois que le voleur homosexuel, en enlevant l’identité ou l’objet des autres, en perd sa propre identité de voleur, la conscience de son acte/de l’acte qui lui est fait, et le but de son geste : l’objet volé n’a plus, à ses yeux, tellement d’importance, ou bien le vol devient un geste artistique banal (« l’art pour l’art ») : « Y yo/pillaba yo » (cf. le poème « Anales » de Néstor Perlongher ; traduction : « Et moi/C’était moi qui pillais ! ») ; « On avait volé le vélomoteur de Solange, mais elle s’en fichait. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 144) ; « Je lui ai volé ses journaux pendant qu’il faisait une sieste » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 43) ; « Le vendeur de journaux croit toujours que je lui ai volé ses journaux. » (idem, p. 44) ; « Pour lui je suis pour l’éternité (si j’ose dire) le mot ‘journaux’ ou bien celui qui lui a volé ses journaux (ce qui pour lui revient au même). » (idem, p. 44) « Ces vols n’avaient que le vol pour mobile. Il ne s’y mêlait ni lucre ni goût du fruit défendu. Il suffisait de mourir de peur. La règle interdisait la prise d’objets utiles. » (la voix-off de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) Dans le film « Un Fils » (2004) d’Amal Bedjaoui, Selim, le jeune prostitué, vole un sachet de poudre chez Max, un client plus âgé, sans même savoir ce qu’il va en faire. Le vol homosexuel des fictions ne semble pas motivé par une volonté de mal agir : il est la métaphore d’un désir inconscient, d’un mal déguisé en ami innocent, en amant ensorcelé et « ravi » (dans tous les sens du terme). Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, quand Stéphane, le quinquagénaire homosexuel, demande à Vincent son jeune amant trentenaire s’il lui est déjà arrivé de voler des objets, ce dernier lui répond, amusé : « Ben oui. Évidemment. Comme ça. Pour le frisson. »
L’objet volé entre les personnages homosexuels est lié très souvent à un contexte amoureux et conjugal. Le vol se rapporte « juste » à un baiser, une beauté, une parole, un désir, une liberté. C’est pour cette simple raison qu’on peut dire que le vol n’apparaît pas toujours comme un acte mauvais ou un délit à dénoncer absolument. « Vous êtes un voleur trop étrange. » (l’un des deux héros de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) Le vol peut prendre la force de l’amour passionnel, de la bonne intention diabolique qui subtilise l’âme : « Cette nuit, je te l’ai pris, ce baiser que tu n’as pas voulu me donner. […] Je suis encore troublé par ce baiser volé. » (Kévin à Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 207) ; « Mon cœur, tu l’as volé, et sans détour. » (Benji s’adressant à son amant Maxence qui lui a fait perdre sa virginité, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Les papous ne s’embrassent jamais, ils ont peur qu’on leur vole leur âme… Moi je me sens papou bizarrement certains matins… » (le comédien de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 92) ; « Le jeudi, j’ai fait quelque chose de mal. […] J’ai senti la culpabilité me brûler le visage tandis que je demandais la chose en question, et dans ma tête une petite voix disait : ‘Celle-là, elle n’est pas pour toi. […] Tu essaies de voler ce que tu ne désires même pas.’ Parce que tu t’y connais, en désir ? Ça, au moins, c’est notre domaine, pas le tien. Et pourquoi tu parles de voler ? Je l’ai trouvée la première. » (Ronit la lesbienne entend une voix maléfique avec qui elle dialogue, au moment où elle prétend voler le cœur d’Esti, une femme mariée, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 223-224) ; « Un désir se vole, mais il ne s’invente pas. » (l’un des deux héros de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « On lui a volé son âme ! » (Fifi et Mimi en parlant de Pédé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Cette fleur, il me l’a volée. » (l’ange chantant la perte de l’innocence quand il se fait sodomiser, dans le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto)
Parfois, dans les termes (mais aussi symboliquement !), le vol est frère du viol. Ces deux mots se ressemblent déjà au niveau de l’orthographe, et sont souvent juxtaposés par le héros homo : « Marcel envoie un message dans lequel il reprend son histoire de fugue à Toronto, son viol et son vol, la même qu’il avait inventée pour Frédéric. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 39) ; « Toutes ces lopettes allaient l’attaquer, lui voler son bébé ou le violer pendant qu’il dormait. » (cf. « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 30-31) ; « Vous êtes des voleurs ? Des violeurs ?!? » (le personnage de la mémé s’adressant au public, dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011) de Karine Dubernet) ; « Y’a qu’des violeurs, y’a qu’des voleurs ! » (François dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « La dernière fois, paraît que j’avais tué un vioque pour lui voler ses sous, la fois d’avant c’était un bambin pour le violer. » (Mimile parlant de ses passages en taule, dans le roman La Cité des Rats (1979), pp. 62-63)
Ce qui empêche le personnage homosexuel de comprendre qu’il y a eu objectivement vol, c’est que ce dernier prend la forme de l’échange, du consentement mutuel vécu en couple. Les deux parties semblent apparemment gagner quelque chose en même temps qu’elles en perdent chacune une autre, un cadeau qu’en plus elles n’ont ni donné ni reçu totalement librement. Par conséquent, l’échange est trop équitable, trop millimétré, les objets échangés trop quantitativement et financièrement gémellaires, pour être véritablement aimants : on est loin du don gratuit, abondant, surprenant, personnalisé, libre, naturel, reçu/donné dans le cadre de l’Amour vrai. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, les deux amants troquent comme ils aiment : « On échange ? Tu me prends un truc et je te prends un truc » (p. 11) suggère Kévin à Bryan. Ce dernier semble intérieurement ravi de la proposition : « L’idée était géniale ! J’allais posséder quelque chose de lui ! » (idem). Un peu plus tard dans le roman, les deux garçons ne se demandent toujours pas l’autorisation pour se voler réciproquement : Bryan pour blaguer, prétend avoir volé la moto de Kévin ; Kévin en retour lui dit qu’il lui a volé également sa sculpture d’ours fétiche (p. 72). Tout semble synchro, mais l’amour n’y est pas. Ce n’est pas parce qu’il y a commerce, ou deal consenti à deux, qu’il y a forcément liberté. Pareil pour la dissimulation de la violence du vol dans le mimétisme entre amants. Par exemple, dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, le jeune Juliette dérobe le roman La Dentellière (1974) de Pascal Lainé au supermarché, par « amour » pour sa prof de français qui aime aussi ce livre. Mais son geste n’est beau et risqué que dans le monde des intentions. Une fois confronté au réel, il s’agit d’un simple copiage égoïste et fanatique, un « film » intérieur que se fait l’adolescente avec son égérie.
Comme le personnage homo habille parfois ses pulsions sexuelles en sentiments, et qu’il pense qu’aimer c’est se soumettre et tout donner sans compter/s’engager, il lui arrive de qualifier de « voleur » son amant, qui en vient effectivement à le voler parfois, sans reconnaître que, par son manque d’exigence et son amour intéressé, il l’a aidé voire appelé au vol (parce qu’il a lui-même tenté de posséder son compagnon comme un objet !). Le vol fictionnel homosexuel est donc envisagé par certains héros gay comme une preuve d’amour… même s’ils concluront que « l’Amour est cruel ». Ces imbéciles ne lui retireront pas pour autant son statut d’« Amour ». Ils n’en démordront pas ! La victimisation est plus confortable…
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Les coïncidences entre vol et homosexualité sont très nombreuses dans la réalité. Comme dans les fictions, l’adjectif substantivé de « voleur » peut parfois remplacer verbalement celui d’« homosexuel ». C’est en tout cas comme cela que le ressent un écrivain comme Jean Genet. Ce mot « voleur » résonne en lui telle une condamnation lumineuse, un outing odieux et essentiel à la fois : « Je crois que le mot de voleur me blessa profondément. » (Jean Genet dans un extrait non publié du Journal du Voleur, Magazine littéraire, n°313, Paris, septembre 1993, p. 16) Jean-Paul Sartre, tout au long de son Saint Genet (1952), revient précisément sur l’étiologie du lien entre vol et homosexualité : « La honte du petit Genet lui découvre l’éternité : il est voleur de naissance, il le demeurera jusqu’à sa mort. » (p. 28) Jean Genet ne nie pas que le voleur et l’homosexuel sont deux créatures qui fusionnent parfaitement d’un point de vue fantasmatique, et partiellement dans la réalité : « La trahison, le vol et l’homosexualité sont les sujets essentiels de ce livre. Un rapport existe entre eux, sinon apparent toujours, du moins me semble-t-il reconnaître une sorte d’échange vasculaire entre mon goût pour la trahison, le vol et mes amours. » (Jean Genet, Journal du Voleur (1949), cité dans l’étude La Longue Marche des Gays (2002) de Frédéric Martel, p. 100) Jean-Pierre Lauzel va dans ce sens quand il décrit, dans son essai L’Enfant voleur (1966), « la structure fondamentalement homosexuelle du vol d’enfant » (p. 118).
Il arrive aussi que certaines personnes homosexuelles se qualifient elles-mêmes de voleurs (je l’ai beaucoup entendu chez mes amis et interlocuteurs homos !) : « J’aime tricher, jouer, tout avoir sans faire de choix. Et alors ? » (Catherine, lesbienne, dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 175) ; « On cherche deux voleurs pour mettre à côté du bébé. » (Brüno à propos du couple gay, dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles) ; « Je suis dans une salle de cinéma. Je vais voir pour la première fois Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 109) ; « La présidente a la main leste. » (la Mère supérieure des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « C’est l’occasion qui fait le larron. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, parlant du caractère occasionnel, aléatoire et possible de l’expérience homosexuelle pour « les » hétéros, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « J’ai toujours l’impression qu’on va croire que j’ai volé l’identité de quelqu’un. » (Laura, homme M to F, passant le contrôle de l’aéroport, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc.
Par exemple, dans le docu-fiction « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, On lit une inscription « PICK-POCKET » sur les murs des docks où les hommes new-yorkais vivent clandestinement leurs ébats sexuels. Dans la pièce-biopic Pour l’amour de Simone (2017) d’Anne-Marie Philipe, il est raconté par Simone de Beauvoir elle-même qu’elle est sortie avec Nathalie, une voleuse d’étoffe à l’Uniprix du magasin parisien Le Printemps, et qui revendait plus cher après sa marchandise.
La mention du vol n’est pas toujours un jeu. C’est exactement ce que décrit Jean-Paul Sartre quand il parle des Bonnes (1947) de Jean Genet : « À leurs propres yeux, ce n’est qu’un jeu. Mais qu’une tache souille la robe, qu’une cendre la brûle, l’usage imaginaire s’achève en consommation réelle : elles emporteront la robe roulée en boule, elles la détruiront : les voilà voleuses. Genet passe avec la même fatalité du jeu au vol. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr (1952), p. 21) Giovanni Gandini raconte dans les années 1970 à Milan le vol de manteau (une fourrure de breitschwanz) effectué par Copi, le dramaturge argentin. Lacenaire, homme homosexuel immortalisé par Marcel Carné dans « Les Enfants du Paradis » (1945), fut un voleur qui vécut au XIXe siècle : il tuait et volait en province, en Italie, en Suisse. Félix Sierra exécute un vol avec un complice à San Juan de Vilasar (Barcelone) en août 1967 ; en parlant de ses rencontres dans le « milieu homosexuel », il dit ceci : « Ce sont eux qui m’ont incité à voler et à me prostituer ; je suis passé par toutes les pratiques propres à l’homosexualité. » (Félix Sierra, cité dans l’ouvrage collectif El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 186) D’autres personnes homosexuelles sont connues pour avoir été d’authentiques voleurs : Juan Soto, saint Augustin, Jean Genet, Jean Cocteau, etc. Jean Genet sera arrêté 8 fois entre 1938 et 1941 pour vol de livres, quand même ! Entre amants homosexuels, les vols sont extrêmement fréquents : « Dimanche 30 mars 1919. Ai oublié hier par fatigue de noter que ce jeune élégant qui ressemble à Hermès et qui m’avait fait une si forte impression il y a quelques semaines assistait à la conférence [au club] . Son visage, allié à sa légère silhouette de jeune homme, à par sa joliesse et sa folie quelque chose d’antique, de « divin ». Je ne sais comment il s’appelle, et ça n’a pas d’importance. » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 122)
Autre exemple : dans ce fait divers daté du 22 décembre 2016, on voit bien que l’agression homophobe s’origine sur le petit délit de larcin homosexuel (vol du fromage de chèvre sur les étalages d’un supermarché).
Par ailleurs, de nombreux sujets homosexuels ne se gênent pas pour décrire le « milieu homosexuel » comme un repaire de bandits, ou bien un système prostitutif parfaitement bien organisé. « Parfois, il m’arrive de penser qu’ils [les homosexuels] sont tous une bande de gangsters… Parfois. » (José Mantero, « Doce Días De Febrero », dans l’ouvrage collectif Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 193) ; « Le lendemain, bien sûr, la disparition de quelques menus objets : portefeuilles, petits bronzes, etc., aurait dû nous donner l’éveil. Mais ce ne fut que huit jours plus tard, derrière les barreaux du commissariat central de Clermont, que nous eûmes le fin mot de l’aventure : nos éphèbes étaient de vulgaires voleurs. Arrêtés pour un cambriolage, ils avaient tout raconté, pensant ainsi améliorer leur cas (ils étaient tous mineurs). » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, racontant des « parties » libertines de ses cercles amicaux homosexuels avec des gigolos, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 100) ; etc.
Par exemple, dans le docu-fiction « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, Allen Ginsberg déclare être entouré dans sa vie de drogués et de voleurs. Le journal Le Parisien relate le 5 juillet 2016 l’arrestation d’un agresseur de 18 ans et voleur en série à Lyon, spécialisé dans l’agression au couteau de ses amants qu’il détroussait après avoir couché avec eux.
Le vol est un acte qui a lieu très souvent entre amants, au sein d’un couple homo. Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » (diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013), Jacques Vialatte, le romancier de 61 ans, raconte comment « il a fait l’assaut » de son premier amour homosexuel « tous les jours pendant un mois ».
Mais une fois noyé dans le quotidien, la proximité, et le sentiment, le vol entre amants homos semble invisible, tout comme dans certains couples femme-homme le mariage servira de prétexte discret au viol. « Arrivé chez ta mère, sentiras-tu encore sur tes lèvres le baiser que je t’ai donné comme un voleur ? Ah… voleurs tous les deux ! » (Pier Paolo Pasolini dans le documentaire « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada) ; « Slimane ne m’avait donc rendu que quelques pages de notre journal. Il avait gardé le reste pour lui, l’avait peut-être détruit. Brûlé. Tout ce que nous avions écrit ensemble, corps contre corps, mains jointes presque, il l’avait pris pour lui, volé pour lui. La mémoire écrite de notre histoire lui appartenait désormais. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 110) ; « Je ne sais pas d’où il a sorti les capotes, mais il nous les enfile en un clin d’œil et avec une dextérité de voleur à la tire. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 320) ; « Je fis la connaissance d’une sorte de gitan (c’est d’ailleurs moi qui l’abordai et l’enlevai, littéralement). Il était grand et je le trouvais beau, mais dans un triste état vestimentaire que venait encore renforcer une réticence marquée à l’égard de tous les principes d’hygiène élémentaire. Tandis que, comme l’aurait fait une ‘fille’, je l’invitais à monter dans ma voiture et à s’y installer avec son baluchon, je ne cessais de me répéter : ‘Tu es fou… Tout cela finira mal…’. […] Le lendemain, après m’avoir tapé de quatre mille francs et ‘emprunté’ ma montre, il disparut de lui-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108) ; etc.
Par exemple, dans le meurtre de Matthew Shepard, un étudiant américain, torturé et assassiné par deux jeunes gens, à l’âge de 21 ans, en raison de son homosexualité, le 12 octobre 1998 à Fort Collins (États-Unis), nous en avons une illustration. Il est étonnant, dans cette affaire, de voir d’une part l’ambiguïté sexuelle des deux agresseurs Aaron McKinney et Russell Henderson (qui se sont fait passer pour au couple homo auprès de Matthew, pour l’embarquer dans leur camionnette) et d’autre part le lien entre homosexualité et vol : en effet, les assassins s’étaient déjà attaqués avant à d’autres personnes non-homosexuelles mais riches pour leur dérober des objets ; et concernant la victime, elle attisait la jalousie et le désir d’Aaron (qui disait que « Matthew, c’était une pute pétée de tune ! », qu’il était toujours bien habillé). D’ailleurs, le soir du meurtre, ils lui ont piqué sa carte bancaire, ses fringues, ses chaussures, et avaient l’intention de le cambrioler.
Dans mon entourage amical, j’ai des amis, généralement âgés, ou bien des jeunes fortunés, qui prennent visiblement un plaisir inavouable à se faire voler : par exemple, ils se font vider leur compte en banque par leur petit copain du moment qui joue les assistés, ou bien ils sont prêts à satisfaire tous les caprices matériels et les folles dépenses de leur amant. Et que je te paye un voyage ! et un resto ! et des vêtements ! et que je te regarde avec un air énamouré ! Les amants ont parfois la malchance d’être riches tous les deux. Dans ce cas-là, ils se sortent mutuellement le grand jeu des cadeaux et des voyages tous les jours. Évidemment, comme c’est un donné pour un rendu, les vols-corruption sont très nombreux et portent le doux nom d’« équilibre ». C’est une « affaire qui tourne », comme on dit. Mais quelle lassitude lourde à porter sur la durée !
Un jour, un ami quinquagénaire à moi, qui se faisait mener en bourrique par un jeune amant qui l’exploitait, mais avec qui il n’arrivait pas à rompre le lien, m’écrivait en 2003 : « Y’a deux clandestins, y’a deux tricheurs dans cette relation…mais on n’est pas les seuls… »). C’est ce même ami qui, pour se venger de sa propre lâcheté et de sa complaisance dans la soumission, me soutenait qu’il n’y avait dans le « milieu homosexuel » que des « tricheurs, des voleurs, et des menteurs ». Seul le vrai voleur peut croire une chose pareille… On peut très bien être voleur en étant donateur !
Le vol est une action qui symbolise parfaitement le désir homosexuel dans la mesure où, à l’image du désir homosexuel qui est un fantasme de viol consenti, le vol est à la fois ce qui fait objectivement violence et qui ne peut pas être dénoncé parce qu’il est vécu dans une situation amoureuse qui laisse croire à sa victime qu’elle l’a un peu cherché, désiré, voire aimé. « C’est avenue Gabriel que pullulent les truqueurs avides d’innocents étrangers. Ces opportunistes profitent du ‘moment’ d’égarement sentimental du partenaire pour subtiliser portefeuille ou argent. Travail facile, car le volé se trouve généralement, ou croit se trouver dans une situation qui l’empêche de porter plainte. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 26) Étant donné la gravité de la pratique homosexuelle, les agresseurs ou voleurs des personnes homos actives avouent qu’il est « plus facile » (cf. le voleur de Bobigny, le 2 décembre 2016) de s’attaquer à elles qu’aux personnes non-homos.
En amour homosexuel, souvent, « rapt et ravissement se confondent » (Dominique Fernandez, L’Amour qui ose dire son nom (2000), p. 51). La lecture enchanteresse que beaucoup de personnes homosexuelles font de l’assemblage des corps entre semblables sexués n’efface pas la violence des fantasmes et des réalités qu’ils peuvent impliquer. En désir, bon nombre d’individus homosexuels veulent voler leur partenaire amoureux. « Lorsque je fais l’amour avec lui, je ne fais que reproduire un rite cannibale qui consiste à m’emparer de sa jeunesse, à me l’approprier et je me donne ainsi l’illusion de rattraper le temps perdu. Je lui vole cette fraîcheur que je n’ai pas eu le temps de savourer lorsque j’avais son âge. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 137) J’ai déjà entendu de mes propres oreilles certains amis homosexuels m’affirmer très sérieusement qu’ils couchaient avec de beaux garçons rien que pour leur « voler leur beauté » et se l’appliquer à eux-mêmes. Cette expression en dit long sur ce qu’est l’acte homosexuel dans son essence : un fantasme de vol motivé par un désir non pas seulement d’aimer l’autre pour ce qu’il est, mais aussi d’être lui et de se dérober à soi. C’est sûrement ce qui explique que dans beaucoup d’œuvres de fiction, les protagonistes gays se définissent comme des « voleurs » après avoir vécu leur première expérience homosexuelle, même s’ils n’ont objectivement dérober aucun objet.
Le choc du vol au sein du couple homo est amorti en partie parce que je crois que le vol est très souvent esthétisé en secret par les personnes homosexuelles, intérieurement appréhendé comme une œuvre d’art, un acte d’amour « stylé ». Dans les romans comme dans les films, le vol d’objet est desservi par tout un univers fantasmagorique qui le magnifie. Il faut bien comprendre que c’est le vol cinématographique (sublimé par une agile Cat’s Eyes, une Madonna dans son vidéo-clip « Die Another Day », un gentleman cambrioleur aux gants de velours comme Arsène Lupin, une Mélanie Doutey dans le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe, une James Bond Girls aérienne qui esquive les rayons X rouges, une Charlie’s Angel qui va voler des microfilms dans le bureau du Dr No, etc.) qui va ensuite donner le goût du vrai vol à des personnes homosensibles en panne d’identité et de désir. « La jeune voleuse sait exactement où elle doit se placer pour trouver la bonne bouche d’égout. […] Experte, elle arrive à entrer sans trop de difficultés au royaume des rats. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 164)
Par ailleurs, ce qualificatif de voleur renvoie en général chez les personnes homosexuelles à une peur (plus ou moins légitime) de la sexualité : « Alors que j’avais déjà 25 ans et que j’étais toujours vierge, plus par désespoir que par désir j’ai répondu aux avances d’une collègue éducatrice. Elle me draguait depuis un moment et je la fuyais. Un soir de réveillon du jour de l’An, nous nous sommes retrouvés dans une chambre du foyer et je me suis lancé. C’était horrible, je me suis forcé à la pénétrer, sans préliminaires. J’ai eu l’impression de la violer. Tout de suite après, je l’ai fuie comme un voleur. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 40-41)
Le vol est à la différence des espaces ce que le viol est à la différence des générations ou des sexes. C’est pour cela qu’ils sont pour moi si proches l’un de l’autre, aussi bien phonétiquement que symboliquement. « Partir comme des voleurs. C’était la seule solution. […] Il fallait arriver à voler. » (Christine Angot, Quitter la ville (2000), p. 99) ; « Celle-là fonctionne très bien. Des mecs à perdre la tête. Maintenant, une fois sur deux, on te vole ou on te tue. » (Coco indiquant une pissotière, dans l’autobiographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 94) En général, les personnes homosexuelles qui ont été violées ont aussi été volées. Il existe une forte corrélation entre vol et viol. Dans les deux cas, cela relève d’un refus (plus souvent que d’une incapacité) à voir l’autre comme une personne c’est à dire comme un possible autre soi-même.
C’est pourquoi, dans mon travail sur l’homosexualité, je continue de développer la thèse selon laquelle l’omniprésence du motif du voleur dans les œuvres de fiction parlant d’homosexualité nous révèle que le désir homosexuel est par nature un fantasme de viol, et parfois le signe d’un viol réel.
Enfin, pour conclure sur un sujet indirectement lié au vol, et très actuel dans le monde, j’aimerais qu’on aborde aussi les nouvelles lois qui mettent les personnes homosexuelles dans la position inconfortable et honteuse du voleur. On aura beau dire ce qu’on veut (cf. je vous renvoie au code « Petits morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), la permission légale donnée aux couples homosexuels d’exercer des PMA et GPA cautionne, en pratique, le vol d’enfants. D’ailleurs, lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris le 7 décembre 2011, Darren Rosenblum, qui avec son compagnon, a acheté sa petite fille pour qu’elle soit portée par une femme payée 5000 dollars pour l’enfantement, a tout à fait conscience d’avoir posé un acte honteux, même si par ailleurs il s’en justifie et banalise l’affaire. Après avoir habité à New York, il vit maintenant dans le quartier du Marais à Paris. Mais à l’écouter, on voit bien qu’il n’est pas fier de ce qu’il a fait. Il a avoué à l’auditoire qui l’écoutait qu’il rasait les murs : « J’ai un peu peur d’être maltraité par les gens au moment où je suis avec ma fille. »
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