« Nous voulons être reconnus en droit pour ce que nous sommes, des hommes et des femmes, et non en fonction de notre orientation sexuelle, qui relève de notre vie privée. » (Jean-Pier Delaume-Myard, à la Manif Pour Tous du 2 février 2014 à Paris) Depuis quand notre orientation sexuelle relève-t-elle de la vie privée ?? (C’est bien à lui de dire cela, alors qu’en plus, il l’affiche publiquement au moment même où il parle !) L’orientation sexuelle est ressentie individuellement, certes. Et l’individu qui la ressent ne se réduit pas à celle-ci et ne se définit que par sa sexuation femme-homme et son identité d’Enfant de Dieu, certes. Mais est-ce pour autant un phénomène à isoler, à ne pas questionner, et à ne pas socialiser ? Non. Au contraire. L’orientation sexuelle est le reflet de tout un fonctionnement familial, amical, sociétal, politique, qui relève du public et qu’on ne peut pas taire car ce fonctionnement est en général douloureux et violent. Il mérite notre réflexion et notre parole. Pas notre indifférence. Et de plus, dès qu’elle est pratiquée (même clandestinement, même loin du « milieu homosexuel », même dans la discrétion bobo et spirituelle d’une maison de province), l’orientation sexuelle est encore moins privée : elle implique au minimum les deux personnes qui l’actualisent en union, et en général elle implique tout leur entourage social. C’est schizophrène et égoïste de séparer radicalement vie privée et vie publique, de séparer totalement sexualité privée et sexualité publique (même si, bien sûr, elles doivent être un minimum dissociées pour préserver la nécessaire intimité de l’amour vrai). Si on dit que l’orientation sexuelle relève exclusivement du privé – sous le prétexte juste qu’elle ne doit pas faire l’objet d’une loi nationale ou d’une identité anthropologique spécifique -, ça veut dire qu’on ne remet pas en cause son actualisation à partir du moment où celle-ci resterait discrète et apolitique, qu’on ne veut surtout pas regarder son orientation sexuelle en face, ne surtout pas la questionner, ni remettre en cause la pratique qu’elle nous fait poser si on s’y adonne. Ça veut dire qu’on ne vit pas exactement ce qu’on défend. Et en effet, dans le cas actuel de Jean-Pier, il s’oppose sur le papier à l’Union civile et au « mariage pour tous » (en réalité, uniquement à ses conséquences sur la filiation) mais tout en s’autorisant dans le privé tout ce qu’en pratiques l’Union civile et le « mariage pour tous » valident, à savoir la pratique homosexuelle. Bonjour la cohérence… Bonjour aussi la disjonction entre vie privée et vie publique, entre discours devant et pratique derrière… Où est le don entier et utile de son homosexualité aux autres ?! Jean-Pier ne donne au fond qu’une étiquette : « Je suis homo… (et vous n’avez rien à me dire sur ce que j’en fais) ». Son discours me fait penser à celui (homophobe) des individus aux pratiques bisexuelles et homosexuelles occasionnelles, qui fuient l’étiquetage de leurs actes en termes d’ « actes homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels, sociaux », pour au final ne pas assumer leurs actes sexuels tout court. « C’est pas parce que je vis avec ce mec ou que je couche avec des mecs que je suis homosexuel. Je suis un homme qui aime, c’est tout ! ». Son raisonnement me fait aussi penser au discours de ceux qui crachent sur l’homosexualité en tant qu’appareil politique, médiatique, visible, organisé en communauté marchande, pour justifier en arrière-fond leur idée d’une pratique homosexuelle « chaste », « discrète », « aseptisée », « écolo », « désintéressée », entre deux inconnus vivant sur une île déserte. Comme si le problème de l’homosexualité ne résidait pas dans les actes homos en eux-mêmes, mais uniquement dans la visibilité et l’universalisation de ces actes. Alors qu’on sait qu’elle pose déjà problème dans la sphère uniquement du duo et de la pratique à deux. C’est bien une logique superficielle du paraître et du mensonge que de ne voir le problème de la pratique homosexuelle et de l’identité homosexuelle que dans leur exposition, et non déjà simplement dans leur actualisation. Qu’elle soit publique ou privée, la pratique homosexuelle fait violence et a des implications sur l’ensemble de la société. Et l’orientation sexuelle des personnes, même si elle ne doit pas faire l’objet d’un étalage, et encore moins d’un critère de définition d’un individu ou d’une espèce d’êtres humains à part de l’Humanité, relève de la sphère publique. Parce que toute personne habitée par un désir homosexuel (durable ou non) ne vit pas sur une île déserte, et est connectée au monde pour s’y donner pleinement. Et clairement, son entourage ne se fout pas d’elle ni de ce qu’elle vit en amour. Toute personne homosexuelle a du prix à nos yeux. Et ce qu’elle fait dans le secret de sa chambre, même si on ne demande pas à le voir, on ne s’en fout pas ! Nous sommes tous, homos ou pas, des êtres relationnels, responsables de nos actes, publics mais aussi privés. Ce que nous faisons dans le privé est à l’image de ce que nous faisons dans le public. Donc on ne s’en fout pas de l’orientation sexuelle des personnes. Au moins parce que celle-ci a toujours des implications concrètes dans la vie de l’individu qui la ressent, et, dans une moindre mesure, dans notre propre vie avec lui.
(Ceci était un billet d’humeur, pour que la réflexion sur (l’universalité de) l’homosexualité ne soit pas condamnée, censurée, relativisée et individualisée, sous prétexte de respect de la vie privée)