La nuit du 31 décembre 2022 au 1er janvier 2023, j’ai eu la chance d’assister à une messe à 23h dans une église parisienne (saint Philippe du Roule) pour fêter le Nouvel An (pendant qu’autour de nous, c’était un peu/carrément la guerre civile…). Et à l’issue de la messe, il y a eu un petit pot organisé par la paroisse. Le curé de la paroisse – hyper gentil et paternel au demeurant – s’est fendu d’une prédiction qui, à ses yeux, sonnait « prophétique », face à l’imminence de la mort de notre pape émérite Benoît XVI (le dernier doudou qui rattachait les tradis pas encore sédévacantistes à l’Église Catholique romaine post-conciliaire…) : « Mon petit doigt me dit que le pape Benoît XVI va être déclaré ‘Santo subito’ et qu’il ira directement au Ciel… ».
J’ai souri poliment, sans rien dire. Car je suis de ceux qui le souhaitent évidemment pour son âme, et qui comprends qu’on puisse le souhaiter pour une personne, et a fortiori pour un souverain pontife. Mais ce gnosticisme « sanctificateur/bétaificateur » assuré – celui qui dit « Je sens » ou « Je sais » ou « J’ai l’intuition » voire « C’est une évidence », que « Untel est saint ou va aller au Paradis avec une fusée »… alors que concrètement, on n’en sait rien – me dérange.
Je le trouve déplacé quand il surpasse l’émerveillement et la joie simples. Car il sent le frétillement orgueilleux et l’auto-contentement de ceux qui jouent les prophètes (pour s’autoglorifier discrètement au passage à travers le poulain qu’ils défendent, à travers leur idée de la « communion des saints » aussi), qui jouent les juges à la place de Dieu. Comme si la sainteté fonctionnait comme un match de foot, avec le club de supporters scandant « Santo Subito ! » ou un numéro (une note, un avis : le 16, tiens !), comme le Golden Buzzer ou le « Million ! » des jeux télévisés (« Si vous voulez que Benoît soit déclaré saint, tapez 1 ; si vous voulez sauver François, tapez 2. »), comme les pom-pom girls (« Je vous donne un S, je vous donne un A, je vous donne un N, je vous donne un T…), ou comme la cérémonie des Oscars hollywoodiens mais à la sauce vaticane (l’Humanité pieuse décerne des prix et des couronnes, des victoires et des éternités, à titre posthume : les saints vivants, en revanche, rien à foutre…), ou comme un diagnostic de tribunal (pensons à tous les procès en canonisation/béatification et à toutes les enquêtes et dossiers en cours, où on défend par exemple Robert Schuman, ou son petit prophète local incompris, ou bien encore son fiston : c.f. la sainteté-caprice de la maman de Carlo Acutis, le soi-disant « saint geek ») ou comme une campagne électorale (avec manif, banderoles, et tout le bordel).
La sainteté devient un folklore, un concours, l’objet de toutes les convoitises humaines, parfois un chauvinisme/patriotisme. Je connais même des catholiques qui, en toute sincérité, se sont lancés dans la course d’endurance de la sainteté tête baissée, en affichant leur prétention à l’obéissance, en se filmant ou en faisant des vœux/promesses publics de sainteté. La FRANC-maçonnerie catho, quoi. La tentation gnostique et carriériste « Je le savais. » ou « Dieu fera de moi un grand/petit saint. ». Mais qui décide ? La sainteté, est-ce un avis ou une ferveur ou un souhait populaire? Un vote du public ou un vœu personnel ? Rien de tout ça. C’est Dieu qui décide/élit, et l’Homme qui dispose.
Cette saintetémania est en réalité un détournement pervers de la ferveur piétiste largement répandu chez les catholiques aujourd’hui, qui prend la forme du pronostic ou de l’hommage hystérique (genre l’entrée « triomphale » de Jésus à Jérusalem juste avant sa crucifixion) ou de la promesse aux atours d’humilité, d’imitation fidèle et obéissante au Christ, de Ciel… alors qu’elle est une forme subtile de mondanité. Plusieurs grands saints de l’Église Catholique en ont fait les frais un peu avant leur mort : Jésus en première ligne ; mais aussi saint Antoine de Padoue, que le peuple italien appelait « le saint » alors qu’il n’était pas encore décédé.
Le commerce de la sainteté a été dénoncé et étrillé avec véhémence par Jésus lui-même… alors même que lui méritait objectivement le titre de « Saint des saints », en plus ! À trois reprises en particulier dans les Évangiles, Jésus-Christ a dit « merde » à ceux qui, verbalement ou même fiduciairement, ont cassé leur tirelire pour l’élever au rang de saint. Il les a remis à leur place, tout en renonçant à la place qui lui était due :
– c.f. l’épisode de la groupie hystérique (Lc 11, 27-28) : « Tandis que Jésus parlait ainsi, une femme, élevant la voix du milieu de la foule, lui dit : ‘Heureux le sein qui t’a porté ! Heureuses les mamelles qui t’ont allaité !!’ Et il répondit : ‘Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent !’ ».
– c.f. l’épisode du notable (Lc 18, 19) : « Un chef interrogea Jésus, et dit: Bon maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? Jésus lui répondit : ‘Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul.’ ».
– c.f. l’épisode de Judas livrant Jésus pour 30 pièces d’argent (Mt 26, 15), et surtout (et ça, personne ne le rappelle) parce qu’il a voulu sanctifier par lui-même et humainement/ecclésialement son Maître. Jésus lui a très probablement rétorqué : « J’en veux pas, de ta couronne en or 30 carats que tu essaies de m’attribuer, de ta sainteté ‘jet set’, de ta gloriole messianiste et millénariste mondaine ! Ton ‘SANTO SUBITO’, tu peux te le garder. ».
La sainteté n’est pas un concours, ni une performance, ni même un titre validé et décerné par l’Église (commission d’experts ecclésiastiques et de juges canoniques appelée pompeusement « Esprit Saint ») ou le Pape. Elle n’est pas une reconnaissance, fût-elle ecclésiale : elle est tout simplement et uniquement Jésus (qui lui-même se cache encore et cache sa sainteté). Alors, à son sujet, comme disait ma maman, « poupoune » !