Hier soir, au cinéma Saint André des Arts (dans le 6e arrondissement de Paris), je me suis rendu – sur l’invitation d’amis – à la projection du documentaire « La Déposition » (2024) de Claudia Marschal, suivie d’un « débat » avec la réalisatrice justement, ainsi que Lorraine Angeneau (docteur en psychologie), Natalia Trouiller (journaliste catho présentée comme une « accompagnante de victimes ») et Alexia Thoreux (avocate au barreau de Paris).
Ce film-documentaire retrace l’histoire « vraie » d’Emmanuel Siess, homme de 44 ans aujourd’hui, portant plainte au commissariat pour des faits d’abus sexuels et pour un viol dont il a fait l’objet de la part d’un prêtre (le père Hubert) en Alsace lorsqu’il avait 13 ans, donc quasiment 30 ans après, sachant que l’affaire est encore classée sans suite, et que le curé en question exerce toujours son ministère.
À l’issue du film, les intervenantes n’ont pas tari d’éloges à son propos : Natalia Trouiller, par exemple, a dit qu’il était « absolument magnifique », certains membres du public l’ont trouvé « hyper fort », « extraordinaire » et « nécessaire ». Il n’y a eu absolument aucune critique négative. La seule objection émise fut celle faite à la responsable de la ligne d’écoute du diocèse alsacien, qui, en même temps qu’elle a été encensée (on lui a même attribué l’existence du film : « Sans elle, le film n’aurait jamais vu le jour. »), a été descendue parce qu’elle n’écoutait pas vraiment Emmanuel (mais bon, comme l’intéressé ne s’en est pas rendu compte, elle conserve in extremis sa couronne).
Ce qui m’a frappé, en plus de la mauvaise qualité du film (tant au niveau de la forme que du fond) et de l’aveuglement général du public, c’est la malhonnêteté de ses concepteurs et défenseurs, les raccourcis, les non-dits voire les nombreux mensonges que ce documentaire véhicule sur les abus sexuels à l’intérieur de l’Église catholique. Loin de régler le problème, je crois même qu’il les accroît et les nourrit. Même si cette chasse à l’homme ecclésiastique, cette plainte/écoute des abusés, et cette quête de la justice, sont très sincères. Mais alors… qu’est-ce qu’elles ne sont pas vraies !
J’ai relevé pour vous trois tabous/vérités énormes que, semble-t-il, personne n’a vus, et qui pourtant sont flagrants et choquants.
PREMIER TABOU : L’HOMOSEXUALITÉ (et son lien avec le viol, avec le sacerdoce, avec la pédophilie – on devrait dire idéalement « pédérastie » – , et avec le dossier des « abus sexuels sacerdotaux »)
Déjà, pour commencer, je voudrais dire que l’omission volontaire de l’homosexualité dans le traitement des abus sexuels sacerdotaux (et des viols tout court) ne date pas d’hier. Dans le film « Spotlight » de Tom MacCarthy (oscarisé en tant que « meilleur film » à Hollywood en 2015… alors que c’était une grosse daube), l’homosexualité des victimes d’abus sexuels sacerdotaux est complètement passée sous silence : c’est le secret de Polichinelle ! Alors que pourtant, elle est criante. Chez les plaignants adultes, il y a plusieurs homos. Et dans « La Déposition », on observe la même omerta homophobe : la réalisatrice dit qu’elle a fait ce film pour comprendre comment Emmanuel a fait pour « concilier sa foi avec ce qui lui est arrivé. », mais pas du tout pour comprendre le lien entre Foi et homosexualité, alors que c’était son réel point d’interrogation.
Le non-dit le plus flagrant du documentaire, c’est sur l’homosexualité du témoin principal. Pourtant, dès les premières secondes, elle se voit comme le nez au milieu de la figure. Et la pose lascive d’Emmanuel (le mec en petit short, pilosité apparente, chemise bien ouverte sur la poitrine velue) vient aguicher le spectateur, le draguer. Opération séduction d’entrée de jeu ! On a envie de lui dire : « Mais à quoi tu joues ? Qu’est-ce que c’est que ce délire narcissico-plaintif ? ». D’emblée, un narcissisme donjuanesque vengeur victimisant est entretenu. Et c’est le malaise. La « victime » est-elle si « non-consentante » qu’elle ne veut bien le faire voir/croire ?
L’homophobie (« gay friendly ») de ce film m’a sauté aux yeux. Ses réalisateurs prétendent lutter contre les abus sexuels sacerdotaux, faire œuvre de vérité, de justice et de transparence, lever les tabous, blabla, et pourtant, ils sont infoutus de simplement nommer l’info la plus importante du documentaire pour comprendre les mécanismes (inconscients) des abus sexuels sacerdotaux, à savoir l’homosexualité latente puis avérée des protagonistes (côté victime comme côté bourreau) ! Le mot « homo » ne tombe accidentellement qu’au bout d’1h08 de diffusion. Donc bien tard ! Et encore… cette mention de l’homosexualité est totalement allusive et anecdotique. Déproblématisée. Ça n’aurait rien à voir avec les faits incriminés ! Aucun lien n’est fait entre viol et homosexualité (décidément le grand tabou de ce Monde, en plus de celui de l’inceste !).
Même Emmanuel est homophobe envers lui-même (pléonasme…). Quand il décrit sa folle vie londonienne, son coming out et l’époque de pratique homo, il s’auto-censure : « La période Angleterre, il faut pas que je vous la raconte. » déclare-t-il au commissaire (alors que nous, spectateurs, avons tous compris en voyant les images de Soho, des soirées pétasses, et les fameuses « conneries » que le témoin déplore).
Ce qui me met hors de moi, c’est le déni collectif de la corrélation/articulation entre homosexualité sacerdotale et pédophilie sacerdotale… alors que les deux sont souvent intimement liées : il y a bien plus de prêtres homosexuels pratiquants que de prêtres pédophiles pratiquants, il faut le savoir !
Vous voulez que je vous dise mon sentiment profond par rapport à cette affaire ? Je crois qu’« inconsciemment », Emmanuel a entraîné le prêtre dans sa propre homosexualité naissante, même s’il était mineur : il a donné des signes d’attraction et d’attachement au curé, de rapprochement, qui ont titillé et incité ce dernier à se dire « Je suis face à un semi-adulte consentant, qui veut de moi, donc j’y vais aussi ! » Emmanuel, rétrospectivement, avoue qu’à l’époque, il cherchait souvent la présence de l’ecclésiastique, passait le plus clair de son temps avec lui (au grand dam de ses parents!), lui consacrait une place anormale dans son cœur et sa vie. Il a même fait le pied de grue sous la pluie en venant exprès le voir en vélo au presbytère. Il cherchait une proximité et une intimité avec lui. Rien d’étonnant que le père Hubert l’ait vu comme quelqu’un de plus qu’un servant de messe ! un amant entreprenant ! Les signaux envoyés inconsciemment par le jeune homme de 13 ans étaient au vert, aux yeux du curé. On comprend que dans cette sombre histoire, Emmanuel a pris le prêtre pour un substitut paternel et un objet d’affection ; et le prêtre a vraisemblablement vu en lui un substitut filial et aussi un objet d’affection amoureuse.
La seule intervention pertinente de la soirée, pendant le débat post-projection, est venue, à mon avis, de Jérôme Guillement, essayiste de Vendée, ancienne victime d’un curé abuseur, qui a mis le doigt sur le réel problème et aussi la possible solution qui permettrait de libérer (ça, c’est moi qui le dis et l’interprète ainsi) vraiment les victimes d’abus sexuels sacerdotaux : la reconnaissance de la responsabilité (partielle) des victimes dans ce qu’il leur est arrivé. En effet, il a verbalisé sur quoi reposait le principal sentiment de culpabilité qui ne quittait jamais les victimes d’abus sexuels sacerdotaux, à savoir que celles-ci « sont allées chercher de l’affection » auprès du prêtre qui les a abusées. Il a souligné l’« impossibilité de faire justice » dans la plupart des cas d’abus, précisément à cause de cette ambiguïté et participation/implication affective de la victime avec son « papa sacerdotal », de leur connivence homosexualo-pédérastique commune, de leur « bromance » !
Moi, personnellement, ce qui me navre dans un film comme « La Déposition », mais aussi dans toutes les soirées sponsorisées par la CIASE, c’est que la dimension appelante/incitative/vocationnelle de l’homosexualité est complètement niée. Du fait que l’homosexualité latente de certains adolescents soit niée, au fond. Je sais bien qu’avec l’adolescence, on nage en eaux troubles, entre liberté et non-liberté, entre conscience et inconscience, entre responsabilité et irresponsabilité. Avec l’adolescence (monde assurant la jonction entre l’enfance et l’âge adulte), on est dans une zone de floue, indécidable, qui nécessairement fait conjuguer (au moins fantasmatiquement, symboliquement, et au niveau du désir et des intentions) la pédophilie sacerdotale avec l’homosexualité sacerdotale, ou bien encore fait dialoguer la part adulte en germe avec la part enfantine. Mais qu’importe. L’adolescent reste libre, bon sang ! Et le statut bâtard et hybride de l’éphébophilie n’en est pas moins partiellement élucidable.
Ce qui me paraît malhonnête dans « La Déposition », c’est que l’abus sexuel dénoncé n’est absolument pas compris comme une homosexualité (or, il est plus proche de l’homosexualité que de la pédophilie, en réalité). Et par conséquent, ce film agit comme une sorte d’entreprise d’expiation malsaine : « J’ai fait toutes mes conneries… (sous-entendu « …homosexuelles, dans la pratique homo et le milieu homo »), et c’est le prêtre qui va payer pour toute la vie homosexuelle libertine dans laquelle il m’a lancé ! » « La Déposition » sent le caprice (eh oui, je sors le mot !), la crise narcissique du Don Juan gay, couplée à une crise de la quarantaine mal portée, désespérée, du « vieux beau » qui veut régler des comptes. Et c’est l’Église qui va trinquer !
DEUXIÈME TABOU : EMMANUEL N’EST PAS TANT VICTIME QUE ÇA (Il a même plutôt tendance à se transformer en bourreau par la victimisation)
Ça crève l’écran, même si personne n’ose le dire (« puisque c’est une victime ») : Emmanuel ne va pas bien. Et pas seulement à cause du viol qu’il a vécu. Mais à cause de la tournure judiciaire, procédurière, accusatrice, disproportionnée et fallacieuse, que prend l’affaire 30 ans après les faits. Plusieurs signes montrent qu’il n’est pas en paix. Par exemple, il vit une crise de Foi que personne ne dénonce (seul son père s’en est attristé) : il vire protestant évangélique (le protestantisme, au sens propre, est une révolte intérieure contre Dieu et l’Église, une protestation, une rébellion), avant de finalement découvrir que les évangéliques sont autant homophobes (voire pires!) que les catholiques (« On va t’enlever l’esprit diabolique d’homosexualité ! »). Il vit également une crise de culpabilité que personne ne prend au sérieux, au motif que « le sentiment de culpabilité c’est forcément le diaaaable ! » : Non, le sentiment de culpabilité, c’est parfois la voix intérieure de notre conscience d’avoir mal agi ou d’avoir consenti à notre propre défaillance. Et cette culpabilité, loin de s’effacer par le dépôt de plainte, s’accroît, puisque la victime rajoute à sa culpabilité première d’avoir contribué au viol qu’elle a subi étant ado la culpabilité seconde d’accuser à tort et de manière exagérée son ancien bourreau à l’âge adulte. Le commissaire, en voyant pleurer son plaignant, ne comprend pas non plus : « Pourquoi vous réagissez comme ça ? » En fait, tant la justice que les plaignants nient la réalité ambivalente du viol consenti. La réalisatrice – et plus largement nos contemporains – sont dans l’incapacité intellectuelle d’envisager cette réalité. Pourtant, moi, en entendant les larmes et les propos d’Emmanuel, j’ai compris qu’il essayait de dire qu’il est un peu fautif dans l’histoire, sans pour autant le reconnaître : « Je me demande pourquoi je ne suis pas parti à ce moment-là… » avoue-t-il dans les larmes, en décrivant son inertie et sa complaisance dans le viol, entre le moment où il s’est déshabillé face au prêtre et le moment où ce dernier a abusé de lui.
Le troisième indice qui prouve que la démarche du témoin n’est pas pure/juste, et que lui ne va pas bien du tout, c’est qu’il se comporte en grand gamin stressé, excédé, agressif et désagréable. En particulier à l’égard de son propre père, Robert. Il se montre odieux avec lui. Par exemple, il le somme (alors que ce dernier semble avoir des problèmes d’audition) d’entendre son témoignage jusqu’au bout (séance de torture) : il met un moment à soi-disant « le faire taire », en l’infantilisant et en le forçant à écouter un enregistrement qui le fera pleurer. Il lui coupe la parole sans arrêt : « Tu permets ? Moi je parle ! ». Il lui corrige ses fautes de français, pour bien l’humilier et lui montrer son faible niveau intellectuel. On sent qu’Emmanuel règle ses comptes avec son père, ses parents en général, parce qu’il n’a pas digéré le sentiment d’abandon qu’il a expérimenté à leur égard quand il était petit. Ses reproches sortent mal, puisqu’il aurait envie de leur dire : « Vous m’avez abandonné et poussé à chercher l’affection ailleurs, une paternité que je ne retrouvais pas à la maison ! ». Mais au lieu de ça, il perd patience et accable son père d’une culpabilité qui ne nomme pas le vrai mal et qui ne partage pas les torts (alors que les torts sont toujours partagés).
L’« emprise » en question, la « manipulation » dont les traqueurs des violeurs parlent sans arrêt, on ne la voit ici pas tant du côté du curé incriminé que du côté d’Emmanuel, au final, à travers son attitude méprisante et violente de fils exécrable à l’égard de son « aveugle et crétin de père biologique ». Humilié devant les caméras, le papa, pour se racheter une conscience, et parce qu’il a été piqué dans sa « culpabilité » (de ne pas avoir dénoncé les faits à l’époque, de ne pas avoir assez écouté son fils), se force à se comporter en roquet qui va désormais défendre bec et ongles son fiston (il écrira même au pape François, dam !). Mais l’effet renvoyé, c’est que la victime « persécutée » s’est transformée en juge/justicier persécuteur. C’est d’ailleurs terrible à voir à l’écran. Et bien entendu, personne ne dénoncera ce nouvel abus, cette métamorphose gênante et insoupçonnable. Mais en tout état de cause, ce film ne suscite pas l’empathie pour la victime. Au contraire. Cette antipathie que dégage le témoin principal, loin d’émouvoir tout le monde et de permettre à chacun de s’identifier avec joie et paix, va certainement et inconsciemment produire l’effet inverse chez certains spectateurs blessés ou agressés par cette violence visible à l’écran, qui peuvent se dire : « Ça suffit la comédie ! On l’a vue, l’entourloupe de ta victimisation, et que tu veux nous la faire à l’envers ! ». Un film comme ça, loin de convertir le cœur des gens, peut les durcir, et accentuer l’homophobie en même temps que les abus sexuels pédophiles.
Emmanuel n’est tellement pas sympathique à l’écran (on ne voit chez lui que l’exploitation des faibles : son père, limité intellectuellement ; sa grande sœur new-ageuse, cassée par la vie ; ou bien encore la réceptionniste diocésaine des appels pour abus sexuels sacerdotaux de la ligne d’écoute). Et sa plainte semble tellement faiblarde (ce sont les mêmes images qui tournent en boucle, le même discours qui se répète : ça ne fait pas beaucoup de pièces à conviction) qu’Emmanuel n’a même pas fait le déplacement pour venir témoigner lors de cette projection parisienne. Je ne connais pas les vraies raisons de son absence, mais en tout cas, s’il n’avait pas voulu venir, je comprendrais tout à fait pourquoi ! Pour venir chouiner à nouveau (dans les premières images, il joue l’offusqué – en mode « drama outrée » – face aux propos enregistrés du prêtre) et déverser son aigreur coupable de « victime pas si blanche colombe que ça », c’est sûr que ça ne valait pas le coup… Sa « déposition » est un maigre dossier, en plus d’ambivalent et d’ambigu. Je comprends qu’il n’ait pas osé faire le déplacement. Il a déjà en apparence « tout dit », et n’a rien d’autre à dire… à part, idéalement, son propre mea culpa (qu’il n’est visiblement pas prêt de faire tout de suite, parce que Monsieur se prend pour un grand saint : « Je pense qu’on a été conduits par l’Esprit Saint. » dit-il sérieusement à son père, en regardant du côté de l’église où son curé est en train d’officier).
Le grand tabou et non-dit du documentaire (et finalement du viol pédophile en général), c’est qu’Emmanuel n’est pas victime à 100% dans cette affaire. Et rien ne sert de pousser des hauts cris en me lisant écrire cela. C’est la réalité. Et une réalité qui, si elle est accueillie dans la paix, peut être bien plus libérante que ce mauvais film. Car c’est en ne niant pas la petite part de responsabilité, de complicité et de participation des ados dans le cadre des abus sexuels, qu’on les aidera à être plus libres et à mieux résister aux viols. C’est un spécialiste du lien non-causal entre viol et homosexualité depuis plus de 25 ans qui vous le dis.
Je le répète. Emmanuel n’est pas si innocent que ça dans ce qui lui est arrivé. Je ne dis pas qu’il est le coupable principal (Bien évidemment qu’un adulte, et a fortiori un ecclésiastique, l’est davantage que lui, et est beaucoup plus fautif que lui). Je dis juste qu’il a sa part de responsabilité. Et que si on la lui enlève, on ne l’aidera non seulement pas à se réparer du viol, mais on l’encouragera inconsciemment à reproduire le sévisse (je rappelle que, autant on ne peut pas dire qu’une victime deviendra nécessairement agresseur, autant on peut affirmer que tout agresseur est une ancienne victime). Ce film n’enraye absolument pas le problème : pire que ça, il est fort probable qu’il l’alimente. Il fait ce qu’il dénonce/déplore (c.f. Je vais traiter, en 3e partie, de la complicité des réalisateurs, magistrats et public, de ce documentaire). Tant qu’on innocentera l’ado, qu’on sacralisera la minorité (le fait d’être mineur) pour mieux diaboliser la majorité (et en particulier le patriarcat clérical), on ne sortira pas du cercle vicieux des abus.
Au sujet des viols et des abus sexuels, il nous faut absolument sortir du binarisme très manichéen « méchants violeurs/gentilles victimes ». Donc, en gros, faire le contraire de ce qu’a dit hier soir Natalia Trouiller, qui a brillé par son intransigeance et son manque de finesse : « J’insiste : L’unique responsable (des abus sexuels) c’est l’agresseur. » O.K. Merveilleux. Et ensuite, elle a sorti une autre grosse connerie : « Je n’ai jamais connu un agresseur qui n’ait fait qu’une seule victime… » (connerie qui nie complètement qu’il puisse y avoir des menteurs ou des affabulateurs parmi les plaignants adolescents, qui passe sous silence le nombre non-négligeable de cas où des prêtres ou des adultes ont été mis en prison à tort à cause de faux témoignages portés par des adolescents sous influence d’adultes ou de parents pervers : pensons au film « Les Risques du métiers » (1967) d’André Cayatte, avec Jacques Brel qui campe le personnage d’un prof accusé à tort de viol par une élève, celle-ci ayant finalement été forcée à mentir parce qu’elle a été embrigadée dans des affaires incestueuses entre adultes ; je pense aussi au film « La Rumeur » (1961) de William Wyler, où une adolescente perverse accuse une prof de lesbianisme et de séduction à tort, et la pousse au suicide. Quelle ânerie de dire que parce qu’il n’y a qu’un seul plaignant, il y aurait forcément plusieurs victimes !! Une seul victime peut suffire à prouver non pas l’inexistence du viol mais l’excès ou l’inconsistance d’une accusation.
Moi, j’ai rencontré des adultes qui se sont fait concrètement avoir par des adolescents pervers, voire criminels (le cas du père Yannick Poligné, qui s’est fait draguer sur Grindr par un ado de 15 ans qui s’est fait passer pour un adulte de 18 ans, en fournit un parfait exemple. Et tous les récits que j’ai entendus de prêtres qui se sont fait piéger – dans le cadre de la confession ou d’un accompagnement spirituel ou amical un peu trop rapproché – que je ne peux pas dévoiler, vont dans ce sens). Non, les ados ne sont pas des anges, ni des enfants de choeur. Et oui, ils peuvent, tout autant que leurs « prédateurs », être les prédateurs de leur(s) prédateur(s). Même s’ils ont leur jeunesse pour eux. Et que, bien légitimement, leur responsabilité et leur liberté sont atténuées par celle-ci.
Autre grosse connerie que Natalia Trouiller a dite hier, d’un ton pourtant très professoral et bobo-désinvolte : elle a présenté la démarche de plainte accusatrice d’Emmanuel comme un « sacré chemin », et un « chemin de libération ». Comment peut-on dire une chose pareille, quand on sait d’une part que la marque de fabrique du diable est précisément l’accusation (il est appelé « l’Accusateur » dans la Bible) et la victimisation, et d’autre part que porter plainte ne « libère » pas nécessairement. Peut-être même le contraire. « Qui se plaint pèche » disait saint François de Sales. A fortiori quand l’accusation est ambiguë et excessive. Tout comme la vengeance soulage mais ne règle rien. Seul le pardon libère. Seul le péché partagé (en même temps que dénoncé et non-acté) libère.
TROISIÈME TABOU : LE BUSINESS SUR LE DOS DES « VICTIMES » D’ABUS SEXUELS DANS L’ÉGLISE
L’autre grand tabou reflété par « La Déposition », c’est qu’il y a une affaire de business derrière cette victimisation. Ça coûte de l’argent, et surtout, ça en donne. À la fin, dans la salle, l’équipe du film nous a demandé de donner notre argent pour « payer les frais d’avocat très lourds des victimes ». Et un spectateur, lors du temps de débat post-projection (le premier à avoir posé une question, d’ailleurs), et qui était assis deux rangées derrière moi, a fait un lapsus involontaire entre le mot « faits » et le mot « frais » (quand il a voulu dire que « les faits étaient prescrits » : il a dit « les frais sont prescrits »… avant de se reprendre). J’adore les lapsus révélateurs (haha) ! Et la « Fraternité Victimes » (association qui a organisé l’événement), ça fait nom de loge maçonnique, vous ne trouvez pas ?
J’en suis même à me demander si, dans cette histoire, on n’a pas forcé Emmanuel Siess à porter témoignage, en flattant son narcissisme ? (Car la réalisatrice a rappelé qu’à la base, ce film se voulait juste un reportage sur la force de la Foi de son cousin malgré ce qui lui est arrivé : ce n’était pas de faire une « déposition », donc de se lancer dans une procédure judiciaire). Il ne faut pas se leurrer : le business de l’accusation des prêtres et des abus sexuels sacerdotaux (pile au moment où l’Église est à genou) est juteux et réel. Il y a des emplois derrière : Alexia Thoreux en a fait son beurre et son boulot spécifique (elle a même un poste dédié aux « abus sexuels dans l’Église » au barreau) ; Natalia Trouiller en a fait « sa Mission » ; les avocats en ont fait leurs « travaux » ; les proches des « victimes », leur « combat ».
Pour moi, ce genre de réalisations (bien que je puisse en reconnaître la petite utilité et les bonnes intentions : il y a un vrai travail de dénonciation des abus à faire pour que ces derniers ne se répètent pas) sont perverses dans la mesure où elles créent ou reproduisent, comme je le disais précédemment, ce qu’elles prétendent dénoncer. Par exemple, lors du temps des questions, la réalisatrice Claudia Marschal en personne a déploré sa propre perversion de pensée : « C’est tordu. Mais on est presque à espérer qu’il y ait une autre victime… [sous-entendu : pour qu’Emmanuel soit cru dans ses accusations, et pour muscler le dossier à charge contre le père Hubert] » : Qui sont les pervers dans l’histoire ? Ceux qui violent, ou bien les chercheurs de « victimes » ? Je pose la question.
Idem côté public : La compassion victimisante, le voyeurisme et l’indignation disproportionnée des spectateurs de ce genre de films, sont-ils de l’amour ? et ne participent-il pas de ce qu’ils déplorent ? Dans la salle (ainsi que dans le film), j’étais atterré de voir le remplacement des arguments et de la raison par l’indignation émotionnelle ou les compliments (alors que la démarche d’Emmanuel n’a rien de « courageux » ni d’« héroïque », je regrette : peut-être même le contraire. Le véritable courage eût consisté à se reconnaître pécheur avec les autres pécheurs, et de leur pardonner). Quand le documentaire révèle, vers la fin, que « l’affaire est toujours classée sans suite », j’ai remarqué la naïveté et la stupidité du public qui a crié à l’injustice. Ce tribunal populaire cinématographique ignore-t-il qu’il existe plein d’affaires juridiques classées sans suite par manque de preuves, ou pire, parce que parfois elles se fondent carrément sur des extrapolations, des faux témoignages, des accusations calomnieuses ou excessives ?
Lors de la soirée, les réactions les plus navrantes et exaspérantes venaient néanmoins de l’équipe du film, et de ceux qu’on pourrait appeler des « crétins éduqués », c’est-à-dire des pseudos « experts », apparemment lettrés ou diplômés, qui ont un langage châtié et bien ficelé, mais qui sont téléguidés idéologiquement et qui recrachent scolairement le jargon de la doxa science-po qui leur a permis d’arriver là où ils en sont au niveau de leur carrière. Les intervenantes alignaient devant nous les mots qui font savants (« coercitive », « diligenté », « abus spirituels », etc.), et tout ça pour proposer de surcroît des solutions de merde pour enrayer les abus sexuels : « Il faut déconstruire l’image du curé », « libérer la parole », « oser en parler », « donner la parole aux victimes », « accompagner », « s’informer », « faire de la prévention, du bouche-à-oreille », etc. (tout ça est à prononcer avec une voix nasillarde à la Najat Vallaud-Belkacem ou Marlène Schiappa, bien sûr). Le comité des justicières nous sortait aussi des poncifs carrément mythiques, du genre « Les prêtres avaient une aura incroyable à cette époque. » Euh… non. Moi, je suis né exactement la même année qu’Emmanuel, c’est-à-dire en 1980 pile, et dans une ville de province (Cholet) proche des milieux ruraux. Et déjà à l’époque, les prêtres avaient réellement perdu leur aura. Autre moment d’anthologie de la soirée : Natalia Trouiller a été prise d’un soudain élan d’éloge poétique : elle s’est extasiée sur un plan (pourri) de nuage (dans le film), qu’elle a transformé en brillante métaphore de la « mémoire traumatique ». Elle a fumé quoi avant de venir ? Mais elle est bien vite redescendue de son… nuage, pour endosser son rôle médiatique favori du moment, à savoir la Vengeuse masquée et persécutrice/harceleuse officielle des évêques de France ! « J’ai engueulé un évêque. » s’est-elle gargarisée, en faisant ricaner sa petite cour d’adeptes dans la salle. Emmerdeuse de l’Église et fière de l’être ! Le shérif Trouiller a dégainé (en mot de conclusion de ce « ciné-débat ») : « Je ne pars pas de l’Église Catholique uniquement pour cette raison : rappeler que c’est aux loups de partir, pas aux agneaux/ » Je retraduis : elle reste catholique uniquement pour assouvir une vengeance. Euh… moi, personnellement, je reste dans l’Église uniquement pour rappeler avec force et cœur que les rois de Jésus, ceux qu’il aime autant que les victimes – voire plus que les victimes puisqu’ils sont ses brebis perdues –, ce sont les loups. Mais bon… on a visiblement pas la même vision de la miséricorde. La victimisation, c’est vraiment l’entreprise du diable.