Étant donné que le mal dont ils découvrent que l’Homme est porteur ne peut être détruit par leurs propres efforts, beaucoup d’individus homosexuels vont faire semblant de renoncer à son éradication en proposant une version résignée, mais non moins orgueilleuse, de celle-ci : l’inversion. Ce mot, qui définissait déjà les personnes homosexuelles du début du XXe siècle (on les appelait bien les « invertis »), remplace actuellement dans les discours celui de révolution : « les homosexuels » seraient, selon eux et leurs amis gays friendly, cette race d’Hommes dont le désir soi-disant révolutionnaire inverserait toute chose. Avec lui, « les choses se prennent à l’envers, par le revers » (cf. l’article « La Fuerza Del Carnavalismo » (1988) de Néstor Perlongher, dans Prosa Plebeya (1997), pp. 59-61). L’inversion défendue par les membres de la communauté LGBT s’exerce prioritairement sur la sexuation : le révolutionnaire par excellence serait l’homme efféminé, le garçon manqué (cf. le dessin animé Lady Oscar), ou bien le transgenre. L’inversion carnavalesque homosexuelle consiste en une juxtaposition fusionnelle et imprévisible du féminin et du masculin, du bas et du haut, de ce qui est méprisé et de ce qui est consacré, ou bien en un retournement de carte donnant l’illusion du changement de carte ou de la suppression de celle-ci. Beaucoup d’individus homosexuels s’imaginent qu’ils peuvent avoir leur supposé ennemi avec ses armes, en rentrant dans son jeu et en se jouant de lui par la technique de la contrefaçon inversante. Mais dans les faits, leur inversion n’est qu’un spectacle de révolution, qu’un échange de déguisements entre victime et bourreau fictionnels (Pensez par exemple au retournement du fouet de la sentence dans le vidéo-clip de la chanson « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer, fortement chargé esthétiquement), et non un changement concret d’identités et de réalités. Leur « retournement stratégique » (cf. l’article « Non au sexe roi » de Michel Foucault, dans Dits et écrits II (2001), p. 261) n’est pas si « stratégique » qu’ils le disent, puisqu’il est davantage esthétique que réel : ce n’est pas parce qu’on retourne une carte qu’on supprime son existence !
En croyant échapper au totalitarisme par l’inversion, beaucoup de personnes homosexuelles ne font qu’imiter ce qu’elles prétendent évincer puisqu’elles auront amorcé leur réaction d’opposition en négatif de la réaction première ou supposée des autres. Dans leur cas, au lieu de « révolution », je parlerais plutôt de copiage inconscient, car excessivement motivé par l’intention de fuir l’objet d’aliénation, ce dernier étant la plupart du temps le fruit de leurs propres fantasmes. Par exemple, puisque pour certaines, l’interdiction est en soi mauvaise, inversement, elles vont soutenir que tout ce qui est interdit est juste, ou bien qu’il est interdit d’interdire. « Il est bon d’être sale et barbu, de porter des cheveux longs, de ressembler à une fille lorsqu’on est un garçon (et vice versa). Il faut mettre ‘en jeu’, exhiber, transformer et renverser les systèmes qui nous ordonnent paisiblement. » (Michel Foucault, Dits et écrits I (2001),p. 1061) Mais elles restent ainsi à leur proie tout entières attachées. L’anti-conformisme est souvent un conformisme qui s’ignore, étant donné qu’il se focalise davantage sur sa volonté sincère de détruire le mal que sur l’acte de destruction.
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FICTION
a) L’inversion comme homosexualité :
La fantasmagorie homosexuelle regorge de références à l’inversion : cf. la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier (avec l’Acte 1 intitulé « Elle fait tout à l’envers »), le film « L’Inversion » (2012) de François Chang, la chanson « Walk On The Wild Side » de Lou Reed, le film « La Fille à l’envers » (1973) de Serge Roullet, la chanson « Pull-over » de Mélissa Mars, la chanson « Je marche à l’envers » d’Ophélie Winter, le one-man-show À l’envers à l’endroit (2013) de Sébastien Savin, le film « Recto verso » (1999) de Jean Marc Longval, le roman Le Monde inversé (1949) d’André Du Dognon, le film « Feux croisés » (1947) d’Edward Dmytryck, le film « Le Monde à l’envers » (1999) de Rolando Colla, les films « El Otro Lado De La Cama » (2002) et « Los Dos Lados De La Cama » (2005) d’Emilio Martínez Lázaro, le film « Pon Un Hombre En Tu Vida » (1999) d’Eva Lesmes, le film « Le Nom de la rose » (1986) de Jean-Jacques Annaud (avec les pages du livre à ne pas retourner), le dessin L’Ange à l’envers (1976) d’Endre Rozsda, le tableau Le Baiser (2003) de Bruno Perroud, le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli, la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois (avec la chanson « Pile/Face »), la chanson « Alexander : The Other Side Of Dawn » (1977) de John Erman, la chanson « Pile ou face » de Corynne Charby, la chanson « Tourne-toi » de Benoît, la chanson « Toi mon toit » d’Élie Medeiros (« Qui fait le premier pas pour s’aimer à l’envers ? »), le film « Ne te retourne pas » (2013) de Sophia Liu et Benjamin Blot, la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), la chanson « L’amour à l’envers » de Shy’m, etc.
Par exemple, dans la pièce Les Monologues du pénis (2007) de Carlos Goncalves, Sylvain, le personnage homosexuel, travaille dans un bar gay appelé le Recto-Verso. Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca, le héros homosexuel, met son imperméable à l’envers. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, au moment où Levi tombe inconsciemment amoureux de son ami Chance, il se rend compte qu’il a mis son tee-shirt à l’envers. Dans le film « Alice au pays des merveilles » (2010) de Tim Burton, Alice, pendant la danse du quadrille, rêve d’un monde inversé, où les hommes seraient en robe, et les femmes porteraient des pantalons. Dans le film « Jeu de miroir » (2002) de Harry Richard, les deux frères jumeaux (dont l’un est homo) portent des prénoms-anagrammes : Leon et Noel. Dans le film « La Comunidad » (2000) d’Alex de la Iglesia, Julia traite deux clientes de « momies lesbiennes » en leur imaginant des positions sexuelles en forme de ciseaux. Dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, José-Maria devient Maria-José après son opération de changement de sexe : l’inversion de son prénom composé indique une fusion des sexes femme-homme en une seule personne. Dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard, le coiffeur gay de Laurent (le héros homosexuel) a proposé à ce dernier d’inverser son nom et son prénom pour se démarquer de Laurent Gerra. Dans la pièce La Tour de la Défense (1981) de Copi, la règle du couple homosexuel atypique Ahmed (femme masculinisée) et Micheline (homme féminisé) est l’inversion. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin dit à son amant Bryan qu’il est un « croûton à l’envers » (p. 234). Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, à plusieurs reprises, on voit Frankie, le héros homosexuel, la tête à l’envers, jouant à chat perché dans la salle de danse. Dans le film « Jongens » (« Boys », 2013) de Mischa Kamp, Marc marche sur ses mains et conseille à son amant Sieger de l’imiter, pour voir le monde à l’envers et autrement : « Il faut juste oser. »
Le renversement (notamment sexué) semble être une habitude du personnage homosexuel : « Je suis complètement indépendante et je fais l’inverse de ce qu’on me dit de faire. Vivo al revés [traduction française : Je vis à l’envers]. » (Alba, l’héroïne lesbienne caractérielle de la comédie musicale Se Dice De MíEn Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet) ; « J’pensais que tous les chorégraphes étaient gay. Or ils étaient auto-reverse. » (cf. une réplique de la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau) ; « Et on se prend la main, et on se prend la main : une fille au masculin, un garçon au féminin. » (cf. la chanson « Troisième Sexe » du groupe Indochine) ; « Moi quand j’étais adolescent, j’ai essayé les vêtements de ma mère. Et j’étais pourtant sûr que ça allait vous plaire et que tous les gens s’y habitueraient. Pourtant on m’a regardé de travers. Alors j’ai mis mes habits à l’envers. » (cf. la chanson « Playboy » du groupe Indochine) ; « Boys and girls dancing all the night. Boys like girls, the girl who kiss and tell. Boys and Girls, don’t you be too shy. Boys and girls, Love games together ! » (cf. la chanson « Boys And Girls » du groupe Charlie Makes The Cook) ; « Toutes les hommes sont belles, tous les femmes sont beaux. » (cf. la chanson « Toutes les hommes sont belles » de Lionel Langlais) ; « Ooh, boys cheeky girls. Ooh, girls cheeky boys, Ooh, boys cheeky girls. Ooh, girls cheeky boys… » (cf. la chanson « Cheeky » du groupe Cheeky Girls) ; « Nom de Zeus ! Les invertis ont créé une inversion ! » (Arnaud, le héros homo parlant du mariage homosexuel et du PaCS, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.
L’inversion est souvent synonyme de conversion à l’homosexualité :« L’Abram, il est retourné dans l’autre sens. » (la bouchère parlant de l’homosexualité du héros du film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; « Elle [la petite Nadia] portait une gourmette au poignet où était écrit le nom ‘AIDAN’. […] C’est à ce moment-là que nous nous aperçûmes qu’il ne s’agissait pas d’un mâle comme nous l’avions pensé à présent mais d’une femelle. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 57) ; « Ils sont interchangeables, ces deux-là. » (le commentateur sportif parlant de Jenko et Zook, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « T’as basculé, en fait. » (Stan s’adressant à Ninon, l’hétérosexuelle qui est en train de virer sa cutie, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc.
Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, l’homosexualité est définie comme un « retournement ». Dans la pièce Le Clan des joyeux désespérés (2011) de Karine de Mo, quand Lili rentre dans l’appartement de Mona où celle-ci tente de se suicider au gaz et qu’elle repose inanimée, elle lit le pendentif de Mona à l’envers (« Anom » = à n’homme)… et est tentée de lui faire le bouche-à-bouche, avant de se rétracter par acquis de conscience. Dans la pièce Hors-piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt, Francis a fait une telle dépression quand sa femme Blandine l’a quitté (« Ça l’a retourné. ») qu’il en est devenu homo. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, c’est en voyant son copain Léo de dos sous la douche que Gabriel découvre son trouble homosexuel. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Emily, la mariée désespérée d’affronter le coming out de son presque-mari Howard le jour de leur mariage, se croit téléportée dans un monde inversé, où les homos seraient majoritaires : « Est-ce que tout le monde est gay ? Est-ce que je suis dans la Quatrième Dimension ??? Il me fait un hétérosexuel de toute urgence !! »
L’inversion apparaît comme un glissement progressif vers la pente de l’homosexualité (le héros passerait de l’autre côté du miroir, sur le trottoir d’en face) : cf. la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas (avec le changement de trottoir de la mère), la chanson « Une Femme pressée » des L5, etc. « À ses façons, je compris que c’était mon derrière qui l’intéressait le plus. » (Alexandra, la narratrice lesbienne évoquant l’homosexualité d’une de ses domestiques, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 64) ; « Elle [Esti, l’une des héroïnes lesbiennes, par ailleurs mariée] s’était rendue au mikvé afin de se purifier de son mari, mais Ronit [son amante] allait revenir. En marchant vers sa maison, sous la lune décroissante, Esti sentit vaguement la marée s’inverser. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), pp. 36-37) ; « Pourquoi tu vas pas en face ? Ou de l’autre côté ? » (Franck, le héros homo s’adressant à son pote homo refoulé Henri, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; « Remarque, toi, tu t’en fous. T’es passée de l’autre côté. » (une camarade de Floriane sous-entendant le lesbianisme de celle-ci, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma) ; « Vous savez pourquoi vous comprenez rien ? Parce que vous êtes passés de l’autre côté. De l’autre côté de la ligne. » (Charles, l’hétéro, s’adressant au couple Seb et Loïc, dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion) ; etc. Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les personnages homos souhaitent que tout le monde soit homo et marié, qu’ils passent « du bon côté de la barrière ». Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta trouve, le temps d’une journée, le réconfort dans la compagnie de Gabriel, son voisin de pallier homosexuel, « le voisin d’en face ». Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, Irène la sœur de Bryan, le héros homo croyant, qui est une femme libérée et adultère, défend son frère autant que sa propre luxure : « Bryan, marche donc sur ce trottoir, et moi je vais sur celui d’en face. » Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, le rat de Dagobert est renvoyé par Damien sur le trottoir d’en face.
Une fois que le désir homosexuel est pratiqué sous forme de couple, l’inversion revêt l’habit de l’amour narcissique impossible entre les amants (cf. je vous renvoie au code « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Me parlez-vous de loin, de votre île de la lune à l’envers qui invite à l’union ? » (Émilie écrivant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 19) ; « J’ai l’impression que vous m’habitez, que vous me parlez sans cesse, de là-bas, de votre domaine sur l’île de la lune à l’envers. » (idem, p. 138) ; « Souvent, dans les bras de ces amants d’un soir, Adrien pensait à lui. Malcolm avait pénétré la mémoire de son corps et il ne s’étonnait plus que son désir le portât vers des hommes à la peau noire. Ils lui ressemblaient. Les mêmes cheveux où agripper ses doigts pour incliner amoureusement la tête, la même peau à la fois douce et tendue, aux reflets mordorés, la même odeur âcre et puissante, les mêmes yeux dont la lumière vient d’autres latitudes, les mêmes muscles saillants et fins, la même allure féline et noble. Tout cela rappelait Malcolm et portait Adrien à chercher l’amour des Noirs. Il s’interrogeait souvent sur les raisons secrètes du désir de cette beauté-là. Un désir de puissance, de virilité ? D’inverser l’ordre de l’Histoire ? D’aimer l’absolument autre ? Peut-être tout cela à la fois. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), pp. 34-35) ; « Mais qui étions-nous quand nous nous sommes rencontrés ? Deux histoires, deux sabliers peut-être, impénétrables. Deux sabliers qui allaient s’inverser comme un miroir. […] Une histoire rêvée, fantasmée […] On descend vers soi, comme le sable, comme le fleuve. » (Adrien s’adressant de son amant Malcolm, op. cit., p. 138) ; « Dans la nuit, j’ai rencontré des fantômes bizarres, des amoureux passés. Au début, j’y croyais à ce monde inversé. […] Mais j’ai cessé d’y croire, à ces histoires compliquées. » (cf. la chanson « Je veux tout changer » d’Hervé Nahel) ; etc.
b) On me retourne comme une carte à jouer :
Vidéo-clip « Libertine » de Mylène Farmer
C’est souvent le jeu de cartes qui représente le mieux fictionnellement la relation homosexuelle ou le personnage homosexuel (cf. je vous renvoie au code « Jeu » et à la partie « Cartomancienne » du code « Voyante extra-lucide » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Une Histoire sans importance » (1980) de Jacques Duron, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le film « Días De Boda » (2002) de Juan Pinzás, le film « A Streetcar Named Desire » (« Un Tramway nommé Désir », 1950) d’Élia Kazan, le film « La Carte du cœur » (1998) de Willard Carroll, la chanson « Autonome » de Catherine Lara, le tableau Les Complices (2002) de Narcisse Davim, la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, le film lesbien « Poker Face » (2011) de Becky Lane, le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec la mention du jeu de cartes), le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent (avec les deux amis homos de Ricky jouant au Jeu des 7 familles), la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet (avec Mme Mime et la Reine de Cœur jouant ensemble aux cartes), la chanson « Poker Face » de Lady Gaga, le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar, la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès (avec les 12 personnages du jeu de cartes à jouer : quatre Rois, quatre Dames, quatre Valets), le film « Accatone » (1961) de Pier Paolo Pasolini, le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitmann (avec le tour de magie annonçant un Roi de Cœur), le livre Le Cœur de Pic (1937) de Lise Deharme (illustré par Claude Cahun), le film « Je préfère qu’on reste amis » (2005) d’Éric Toledano, le film « Le Marginal » (1983) de Jacques Deray (avec le bar cuir gay Le Carré d’As), la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné, le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson (avec le jeu de cartes traînant dans les loges des danseurs homosexuels), etc.
« Dans la famille Mer [on entend « Mère »], je voudrais la grand-mère. » (Laure, l’héroïne lesbienne, parlant à son père pendant le Jeu des 7 familles, dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma) ; « Ginette [l’une des héroïnes lesbiennes] est certainement trop occupée à jouer aux cartes avec les copains. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 31) ; « Tu veux jouer aux cartes ? » (Allan quand il veut détourner la conversation parce qu’il est suspecté par Max d’être homo, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; « Je t’amène là où je veux. J’ai toutes les cartes du jeu. » (cf. la chanson « Chatte » du groupe travesti M to F Mauvais Genre)
Par exemple, dans le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria, Adrián se prend pour le valet du jeu de carte espagnol El Guiñote. Le conte Lisa-Loup et le Conteur (2003) de Mylène Farmer relate les divagations de Lisa qui rencontre le Loup, un petit garçon tout plat. Dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, les deux héroïnes lesbiennes, Idgie et Ruth, jouent au Poker. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la relation amoureuse fusionnelle entre Kévin et Bryan s’annonce comme un jeu de cartes, celui de la bataille. Au moment où ils vont faire l’amour ensemble, Kévin « dit sur un ton catégorique [à Bryan] : ‘On va jouer à un jeu : la bataille. T’as un jeu de cartes ?’ » (p. 120) ; « ‘J’aime bien jouer avec toi’, dit-il, avec ce sourire qui en disait long sur ce qu’il pensait. » (p. 123) Et lorsque Bryan le remercie de lui avoir changer sa vision du monde et de lui avoir appris l’amour, celui-ci ironise en lui répondant : « Je t’ai appris à jouer aux cartes ! » (p. 390) Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, sur fond de Sida et d’argent, « Rayon », le héros transsexuel M to F propose à Ron de jouer aux cartes à l’hôpital… pour lui proposer un business sur les trithérapies. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, le machiavélique Lacenaire trie les cartes. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle, la sœur du héros homosexuel, lit dans les tarots et fait appel à la voyance. « On va voir ce que disent les cartes… » Quand elle tire les cartes à Georges, l’amant de William, elle lui révèle la violence de sa personnalité et de leur amour à lui et William : « C’est drôle… Je ne tombe avec vous que sur du pique et du carreau. » Dans le générique du film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, ça démarre tout de suite avec une succession de photos de statues grecques, mêlé à deux cartes à jouer avec un as de pique et une figure à cœur. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Kena, l’héroïne lesbienne masculine, joue aux cartes avec ses potes garçons. Et on voit la carte à jouer dans le générique du début.
c) La confusion homosexuelle entre Révolution et Inversion :
Dans les fictions crypto-gays, le personnage gay ou lesbien croit souvent que la révolution, c’est l’inversion ; qu’il suffit de retourner la carte du mal pour le faire disparaître ; qu’il suffit de se retourner pour conquérir : cf. le one-woman-show Femmes de pouvoirs, pouvoirs de femmes (2013) d’Océane Rose-Marie, le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, la chanson « Et vice et versa » des Inconnus, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec la préceptrice lesbienne stricte qui se retourne dans son couloir), etc. Dans son esprit, l’esthétique de l’inversion se veut triomphante. On peut observer cela par exemple à travers l’échange des masques entre les personnages de Claire et de Solange dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet, entre Gaby et Louise dans le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon, entre la call-girl de luxe et la prostituée-Cosette dans le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer, dans le retournement du fouet de la sentence dans le vidéo-clip de la chanson « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer, entre la lépidoptériste (spécialiste des papillons) et sa bonne dans le film « The Duke Of Burgundy » (2015) de Peter Strickland, etc.
Vidéo-clip de la chanson « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer
L’inversion agit comme une prestidigitation épatante, un tour de passe-passe séduisant : « Et n’oublie pas, Chance. C’est une illusion dont tu dois convaincre tout le monde. À commencer par toi-même. » (le drag-queen « Claire Voyante » parlant au héros homosexuel Chance à propos de l’homosexualité et de l’inversion de sexes, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau) ; « J’avais le cœur à l’envers. » (cf. la chanson « Nuit magique » de Catherine Lara) ; « Ceci dit, il y a une femme dans plus d’un homme. » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « Marie m’avait révélé le désir secret qu’elle avait de me commander. Et la position particulièrement dans laquelle je m’étais mise à genoux, comme lui faisant allégeance, avait encore augmenté mon plaisir. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne soudain dominée par sa bonne, Marie, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 154) ; etc.
Film « Le Cercle » (2014) de Stefan Haupt
La révolution est réduite puis confondue avec l’inversion : « Ce soir ce que je vous propose, c’est de tout faire à l’envers : on va commencer par la fin d’ailleurs, on va tout bousculer, on va se mettre cul par-dessus tête, la tête à l’envers, on va dire ce qu’il y a derrière les mots, ce qu’on n’a pas le droit de dire, voire un peu ce qui n’est pas la réalité… Ce qui n’existe que dans les théâtres… […] Tout ce qui est interdit serait obligatoire, et inversement ! » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « La première chose qui frappa Stephen [l’héroïne lesbienne] dans l’appartement de Valérie fut son splendide et vaste désordre. […] Rien ne se trouvait là où il aurait dû être, et la plupart des choses se trouvaient là où elles n’auraient pas dû se trouver. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 321) ; « Lady, Lady Oscar, elle est habillée comme un garçon, au lieu de jouer à la poupée toujours elle galopait, Lady, Lady Oscar, tu vivais sous la Révolution, Lady, Lady Oscar, personne n’oubliera jamais ton nom. » (cf. le générique français du manga japonais « Lady Oscar ») ; « La secrétaire modèle qui se transforme en furie syndicaliste… » (Joëlle décrivant Nadège dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon) ; « Le sexuel régissant 90% du monde, lorsque tu as appris à inverser les codes, tu pars avec un coup d’avance. » (Chris s’adressant à son amant Ernest, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 134) ; « Tu n’imagines pas, c’est le monde à l’envers. La vraie révolution, c’est ici qu’elle a lieu. » (Amande dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 420) ; etc.
Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny, l’un des héros homosexuels, prétend, avec le film qu’il a tourné, créer « un univers où tout est inversé, un monde gay où les hétéros sont une minorité ».
L’inversion mise en œuvre par le héros homosexuel est en réalité une opposition faussement révolutionnaire, complètement conformiste dans le copiage de l’extrême inverse de « l’ennemi » choisi : « Je veux faire comme tout le monde, mais à l’envers. » (cf. la chanson « Chemin de croix » du groupe Niagara) ; « Depuis tu cueille les fleurs du mâle, heureux de vivre en diagonale comme un fou sur son jeu d’échecs. Allez savoir à quoi ça tient de naître noir, ou blond, ou brun, ou d’être gay. » (c.f. la chanson « À quoi ça tient » de Romain Didier).
Par exemple, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot, Gabrielle de Polignac (amante de Marie-Antoinette) échange ses vêtements de noble contre les vêtements de servante de Sidonie (amante secrète de la Reine) pour ne pas être arrêtée par les gardes républicains « révolutionnaires » et sauver sa peau… mais c’est finalement Sidonie qui en paiera les fatales conséquences.
d) L’inversion comme technique du viol :
En général, le héros ne contrôle pas le basculement tragique de l’inversion, parce qu’il a quitté le Réel. Exactement comme un magicien qui se laisserait prendre par son propre tour (cf. le film « Ridicule » (1996) de Patrick Leconte) : « Comment on voit le monde quand sur son planisphère tout est à l’envers ? » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’voudrais voir le monde à l’envers. » (cf. la chanson « S.O.S. d’un terrien en détresse » de Zéro Janvier dans l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Je le crois bien qu’il [le monde] est à l’envers. » (cf. une réplique de la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Très souvent dans ma vie, ce que je prévois n’arrive jamais. C’est toujours au moment où je m’y attends le moins que tout bascule dans l’horreur. Quand je crois au bonheur, le temps et les événements, qui nous ignorent, en décident autrement et rien ne se passe comme prévu. Mais inversement, de sinistres soirées selon mes prévisions, finirent en feux d’artifices. » (Bryan, l’un des héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 27) ; « Yo ne sé por qué es que yo vivo al revés ! … al revés… al revés… al revés… [traduction française : Je ne sais pas pourquoi je vis à l’envers… à l’envers… à l’envers… à l’envers…] » (cf. les paroles d’une chanson de Tita Merello, citée dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « C’est l’envers qu’on retient, pas l’endroit d’où l’on vient. » (cf. la chanson « Aimez-moi » de Bruno Bisaro) ; « Ici tout se fait à l’envers. Et j’ vous assure que l’exercice, pour ceux qui sont pas très ouverts, c’est un véritable supplice… » (c.f. la chanson « Les petits soldats de Guillaume » d’Émile Soubeiran) ; etc.
Le personnage homosexuel dit qu’il vit dans un monde inversé, où la Nature lui apparaît disproportionnée : « L’auteur oubliait que malgré la légende, le sexe des gorilles est inversement proportionnelle à leur taille. » (Essobal Lenoir, parlant de lui-même à la troisième personne, dans sa nouvelle « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010), p. 99) Par exemple, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, il y a dans la forêt tropicale de la Cité des Rats « des cerises grosses comme des pastèques » (p. 132).
Pour sauver (c’est le cas de le dire !) la face, il fait passer l’accident d’inversion pour un renversement « comique » : « Oups, pardon, je suis désolé, c’est une maladie, je fais tout à l’envers. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) Mais rien n’y fait. L’inversion que le personnage homosexuel met en place le rend objet : « Tu as l’impression d’être en face à un homme dont les traits se sont inversés – le dehors semble rentré au-dedans, comme le moulage en creux d’un buste de Rodin. » (Félix se regardant dans une glace après sa sortie de camps de concentration, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 136-137)
Et cet objet n’est pas pacifique. C’est un objet mort qui, par l’inversion, entraîne vers la mort : le couteau. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le héros homosexuel s’identifie souvent à un couteau à double face : cf. la pièce Lacenaire (2014) d’Yvan Bregeon et Franck Desmedt, le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, la pièce Asseyez-vous sur le canapé, j’aiguise mon couteau (2012) d’Alexandre de Limoges, la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec le poignard dissimulé dans le rat), la pièce Cachafaz (1993) de Copi, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, la pièce Une Visite inopportune (1992) de Copi (dont le titre initial devait être Le Couteau du rosbif), le film « Knives Out » (2019) de Rian Johnson, le téléfilm « Le Deuxième Couteau » (1985) de Josée Dayan, etc.
« J’suis déguisée comme un couteau de boucher. » (Dadou, l’héroïne lesbienne de la pièce Qui aime bien trahit bien! (2008) de Vincent Delboy) ; « Mimile sortit de la poussette un grand couteau et il l’enfonça dans le cou de la Reine des Hommes. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 61) ; « Si tu ne veux pas de moi vivant, je vais te tuer pour te posséder mort. Notre amour ne sera que plus exaltant. Où est le couteau du rosbif ? » (Regina Mort s’adressant à Cyrille le héros homo, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je vous échange la vie du rat contre le couteau et le canif. » (la Reine s’adressant au Jésuite, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « J’ai l’impression d’exister si peu, si mal, comme un second couteau… » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « Seulement à cette époque-là, et seulement parce que j’étais fatiguée. Je savais exactement comment je m’y prendrais. J’attendrais qu’ils dorment tous les deux, après quoi j’irais dans la cuisine pour aller chercher un couteau – les Sabatier que Petra et toi nous avez offerts seraient assez tranchants. Et ensuite je leur trancherais la gorge, d’abord celle de Tielo, puis celle de Peter. Après, je m’allongerais sur le lit et je dormirais. » (Ute, la femme hétérosexuelle parlant de son mari Tielo et de ses deux enfants Peter et Carsten, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 33) ; « Jane [l’héroïne lesbienne] pensait avoir rêvé de Greta, la mère d’Anna, qui reposait sous le plancher du deuxième étage, mais dans son rêve Greta se mélangeait avec des putes d’Alban et la fille assassinée du film ; la façon dont ses yeux s’étaient écarquillés quand le couteau s’était enfoncé. » (p. 79) ; « C’est le couteau de chasse qui avait jadis appartenu au grand-père de Petra et Tielo. Les jumeaux s’étaient battus pour l’avoir à la mort de leur propre père. » (Petra s’adressant à son amante Jane, p. 140) ; « Jane sortit le couteau de sa poche pour le lui planter dans la cuisse jusqu’à la garde. Alba Mann hurla. » (p. 232) ; « La fourchette, c’est la maman. Le couteau, c’est le papa. La fourchette, c’est celle que je préfère. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Dianne et moi, on était comme McGyver et son couteau. » (Phil, le héros homo à propos de sa sœur jumelle, dans le film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa) ; « Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, n’ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins, le canevas banal de nos piteux destins, c’est que notre âme, hélas !, n’est pas assez hardie. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; « Maintenant, j’ai le couteau dans le dos. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc.
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B.D. « Femme assise » de Copi
Par exemple, dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, le personnage à qui il est donné le couteau pour couper le gâteau n’est autre que Subtil Dutrouz, celui qui a découpé auparavant Lola Lola, la prostituée, pour la mettre dans une malle. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Alejandra finit par tuer au couteau de cuisine Raúl, le héros homo qui la menaçait brutalement. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, quand Emory dit que ses lèvres lui font mal, Michael lui répond : « Si on met un couteau sous le lit, on n’a plus mal, me paraît-il. » ; et il rajoute « Et si on en met un sous la gorge, ça coupe. » Dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, le narrateur homosexuel évoque chez les folles homosexuelles « cette hystérie propre aux groupes de travestis, on se gifle pour un mouchoir, on se casse la gueule pour un client (ne vont-ils pas jusqu’à tuer ?). Elles ont toutes des couteaux au cran d’arrêt dans leurs sacs. » (p. 34) ; « Le dernier tango-couteau ! Tu es la fleur empoisonnée de mon ultime sérénade, ma séductrice envenimée. » (Cachafaz s’adressant à son amant Raulito, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Il se trouvait un couteau à pain sur le bar. María-José [travesti M to F] se concentra dans le désir de le voir s’enfoncer dans le cœur de Louis du Corbeau. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 38) ; « Je ne savais pas qu’Arthur était une épée à double tranchants. » (Hall parlant d’Arthur son frère homosexuel, dans le roman Harlem Quartet (1978), mis en scène par Élise Vigier en 2018, de James Baldwin) ; « Je me sens comme un rasoir qui n’a pas l’âme à raser. » (c.f. la chanson « Tu me divises en 2 » de Marc Lavoine) ; etc. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, pénètre dans un hôtel de luxe, L’Arthémis, et le standardiste, Léonard, le prend pour un faux doux, un criminel armé, et préfère lui fouiller son sac : « Je sais pas. Je vérifie que t’aies pas d’arme, de couteau. J’en sais rien. »
Bien souvent, l’inversion dans les fictions homosexuelles symbolise une schizophrénie monstrueuse, une séduction diabolique entraînant vers un précipice mortel, une misanthropie : « Je viens d’une planète où on me qualifie comme renversant. » (Frank, le jeune héros homosexuel, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Quand je leur jetais de nouveau un regard, elles [Varia et sa copine] s’étaient transformées en monstre à deux têtes et ricanaient de plus belle, en renversant à tour de rôle leurs chevelures blonde et brune. » (Jason, le héros homosexuel décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 59-60) ; « J’ai peur qu’il naisse anormal, avec la tête de ma mère et le corps d’un animal ! » (Lou en accouchant de son bébé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je sortirai de ce trou de ta mémoire où tu m’as jeté on ne sait quel jour, trou noir à l’envers de quoi j’ai plongé dans ma nuit la tête en bas. » (Vincent Garbo s’adressant à Carole dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 79) ; « Faites l’amour, nous la guerre, nos vies à l’envers. » (cf. la chanson « Fuck Them All » de Mylène Farmer) ; « Inverti lui-même, Jonathan Brockett haïssait le monde qui, il le savait, le haïssait en secret. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 316)
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L’inversion exercée par le protagoniste homosexuel figure un élan fusionnel (avec l’être aimé) violent, un échange fatal de personnalités, un rite de possession qui a tendance à virer au viol et à l’inceste : cf. le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec la théorie du « criss-cross » – transfert de personnalités – de Bruno, le psychopathe homosexuel), la chanson « Épaule tatoo » d’Étienne Daho (« Vice et vice et versa, Suzy dans le vice, versa, da da dap dap. »), le roman Vice et versa (2008) de Fanny Mertz, la chanson « Et vice et versa » des Inconnus, etc. « Je le renverse dans le lit : il m’est livré. Il est à moi. » (le narrateur homosexuel du roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc, p. 97) ; « T’imagines ce que c’est, un viol ?? T’imagines pas ?? C’est l’inverse de donner la vie. On vous prend la vie. Un sentiment de mort. » (Léa, la femme violée, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « N’ayez crainte, je n’ai pas l’intention de vous violer, mais seulement de vous interroger. Pour une fois, c’est vous qui fournirez les réponses, je suis le journaliste. » (Cyrille, le héros homosexuel inversant les rôles et les fonctions avec le journaliste, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je lui ai emboîté le pas. Antoine m’a entraîné jusqu’aux toilettes où il m’a brusquement poussé. J’ai demandé : ‘Pourquoi ?’. ‘Tu verras. C’est un secret.’ Alors je me suis avancé sans broncher et Antoine a refermé la porte derrière lui. Et puis là… oh, la, la, la, la, j’en tremble rien qu’à l’écrire mais Antoine qui s’est immobilisé devant moi, m’a plaqué violemment contre le mur, s’est collé à ma poitrine jusqu’à presque m’étouffer, et d’un geste langoureux, il a posé sa bouche contre ma bouche, et tout en se penchant délicatement près de mon oreille, il m’a soufflé : ‘Je t’aime.’ J’ai failli m’évanouir à cet instant. J’étais transporté aux anges, renversé, ébranlé. » (Julien dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet) ; « Je n’avais jamais été jaloux, avec toi, je suis devenu exclusif ! Cet amour-là est trop violent, il fait trop mal. Je croyais que l’amour était quelque chose d’agréable, qui nous grandissait. Mais celui que je ressens pour toi, me fait parfois l’effet inverse, il me détruit ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 417) ; « J’attendais. Dans un autre monde. Le début d’un nouveau monde. Khalid : Omar. Omar : Khalid. » (Omar s’adressant à son amant Khalid, qu’il finira par assassiner, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 151) ; « Auto-reverse ! Comme mamie ! » (la grand-mère gay friendly de Rodolphe, le héros homo, dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Trudy Hobson, la blonde, se venge de sa rivale lesbienne Doris en se faisant passer d’abord pour sa secrétaire afin ensuite de mettre à exécution un plan machiavélique de vengeance, un putsch.
Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, dit que sur la fraterie de quatre enfants dont il fait partie, ils sont deux, sa sœur et lui, à avoir fait un coming out : « Ça fait un beau ratio ! ». Il fait la remarque qu’avec sa frangine, qui a choisi d’être chauffeur routier, de se comporter en mec, de changer les plaquettes de freins de leur père, et lui qui a décidé d’assumer sa féminité, d’être hôtesse de l’air, il a dû y avoir « inversion.
Concernant les nombreux liens fictionnels entre le trio homosexualité-inversion-inceste, ils s’expliquent par le fait que le désir homosexuel nie non seulement l’existence de la différence des sexes, mais aussi celle de la différence des générations : les rapports père-fils ou adultes-enfants sont régulièrement inversés et neutralisés dans l’esprit du héros homosexuel : « Cahoté par la vieille voiture à deux roues, la tête renversée, l’enfant voyait couler un trouble ciel d’octobre entre les noires cimes pressées et il criait quand, d’une rive mouvante à l’autre, passait un triangle d’oiseaux. Si quelque courant d’eau vive faisait s’infléchir la route et se décelait par une fraîcheur brusque, sa mère le couvrait de son manteau comme d’une aile noire. » (François Mauriac, Génitrix (1928), pp. 105-106) ; « Tu lis en lui comme dans un livre ouvert à l’envers. » (Félix s’adressant à son frère Victor, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 177) ; « Ce fut un innocent coup d’œil en arrière qui perdit le fils. L’homme, que le père semblait fuir, lança au fils un baiser aérien, et ce baiser percuta avec une telle violence l’innocence de ses pensées qu’il faillit tomber à la renverse ; mais le fourmillement délicieux que cette collision déclencha le laissa sur sa faim. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 30) ; « Ce matin-là, j’étais avec mon père. Je l’accompagnais. Il ne pouvait venir seul. Il était l’enfant. J’étais l’adulte. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 39) ; « Que signifiait le baiser qui l’avait tant troublé : défi, ou mépris ? L’homme les avait-il pris, son père et lui, pour des invertis ? » (le narrateur de la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 31) ; « Si t’es un bon papa, alors tu fais qu’est-ce que je veux… » (le jeune enfant s’adressant à son père, dans la nouvelle « L’Histoire qui finit mal » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 5) Par exemple, dans la chanson « Lisa tu étais si petite » de Faby, il est question d’homosexualité et « des enfants qui grandissent plus vite que les parents ». Cette inversion générationnelle, s’ajoutant à l’inversion des sexes par l’homosexualité, fait des dégâts. Par exemple, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria, actrice qui interprétait le rôle de Sigrid, une gamine qui menait son amante plus âgée Helena au suicide, doit rentrer vingt ans après dans la peau d’Helena pour rejouer la même pièce. Elle ne vit pas bien cette inversion des rôles, qui la met face à face avec la cruelle réalité de sa vieillesse. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud nous est dépeint un monde sans différence des sexes, où la différence des générations s’est substituée à la différence des sexes à travers le clonage. L’être humain y est mesuré comme un cheval : il doit correspondre exactement à l’idéal physique des eugénistes homosexuels, obnubilés par la « pureté » et le « pedigree » des couples homos qu’ils veulent former à tous prix pour assurer leur descendance. Les rapports à la fois homosexuels et incestueux entre les personnages conduisent ces derniers à la mort.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) L’inversion comme homosexualité :
Photo Trois Scenarii de Man Ray
Le monde homosexuel réel regorge de références à l’inversion : je vous renvoie par exemple à l’essai Recto/Verso (2007) de Gaël-Laurent Tilium (où l’auteur parle de sa vie homosexuelle), à l’autobiographie Je me retrournerai souvent (1990) de Dominique Arbanau, au smoking masculin pour femmes qu’a lancé le couturier homosexuel Yves Saint-Laurent, ou encore aux clichés de Benjamin Fondane Trois Scénarii (1928) par Man Ray. Par ailleurs, la revue homosexuelle Inversions fondée en novembre 1924 est devenue ensuite L’Amitié. Le cinéaste français homosexuel Paul Vecchiali crée sa propre société : Diagonales. Rien que le nom du groupe fétiche de la communauté gay, ABBA, suggère l’inversion et la symétrie axiale.
Photo de Claude Cahun
Il ne faut pas perdre de vue qu’avant de se faire appeler « les homosexuels », les personnes homosexuelles portaient le nom d’« invertis » (le terme « inversion » fut créé par Charcot en 1889). Par ailleurs, il n’est pas anodin que, dans la sphère publique, croiser les jambes, pour un homme, puisse parfois être perçu comme un signe d’efféminement voire d’homosexualité (suspicion qui, il y a encore cinquante ans, n’existait pas).
Jean-Paul Gaultier
Socialement, l’inversion est souvent synonyme de conversion à l’homosexualité, de penchants inversement naturels. On retrouve l’idée d’inversion dans les expressions populaires telles que « virer sa cuti » ou « changer de bord/trottoir » concernant l’homosexualité. « Henri III disait ‘Il faut savoir tourner le badge’. » (le chanteur Nicolas Bacchus) ; « Le romantisme français a été fasciné par le travestissement et l’inversion – Mademoiselle de Maupin, de Gautier, Sarrazine et La Fille aux yeux d’or de Balzac. Avec Seraphitus-Seraphita celui-ci reprend le thème swedenborgien de l’androgyne comme image de l’être parfait, de l’être angélique. » (cf. l’article « Monsieur Vénus et l’ange de Sodome : L’androgyne au temps de Gustave Moreau » de Françoise Cachin, dans l’essai Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 87) ; « Depuis petite, j’ai la passion d’inverser, juste pour voir. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), p. 136) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti, il est question, quand on fait son coming out, de « se trouver de l’autre côté ». Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se propose de « passer d’un camp à l’autre ». Dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta, un témoin anonyme homo français déclare qu’il s’est téléporté « dans le monde d’en face ».
Film « Poker Face » de Becky Lane
c) La confusion homosexuelle entre Révolution et Inversion :
J’ai souvent remarqué parmi mes amis et dans ma propre vie, que les personnes homosexuelles s’imaginent souvent que la révolution, c’est l’inversion ; qu’il suffit de retourner la carte du mal pour le faire disparaître ; qu’il suffit de se retourner pour conquérir. Par exemple, quand j’étais en collège, je me souviens que je trouvais très esthétique de me virevolter théâtralement pour styliser mon mouvement de tête (comme si mes cheveux allaient suivre le mouvement ralenti et impeccable des brushing de mes actrices préférées : Jaclyn Smith en Kelly Garreth dans la série Drôles de Dames, par exemple)… Cette comédie m’a d’ailleurs valu les railleries et les imitations de mes camarades de classe, qui m’appelaient par mon prénom en plein cours, exprès pour que je me tourne vers eux et qu’ils puissent se moquer de moi. Dans mon esprit, l’esthétique du basculement se voulait pourtant triomphante.
Si l’on regarde bien, on peut constater que l’inversion est une technique iconographique très employée par les artistes homosexuels. Par exemple, Marcel Duchamp, en 1950, se définit comme une « Prima Donna à l’envers ». Yves Saint Laurent est le premier couturier à faire porter des smokings aux femmes. Je pense aussi aux Reversals (1979) d’Andy Warhol, ces compositions existantes reprises en négatif.
Dans l’esprit de beaucoup de sujets homosexuels, la révolution est réduite puis confondue avec l’inversion. Ils font du paradoxe ou de l’inversion le sommet de la destruction du mal, la Voie Royale de la rédemption. L’alliance des contraires, technique rhétorique très appréciée des écrivains bobos homosexuels et des théâtreux post-modernes queer, repose en effet sur l’inversion (cf. je vous renvoie à la partie « Paradoxes » du code « Déni » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. l’essai L’inversion de la question homosexuelle (2005) d’Éric Fassin, etc. Ils nous sortent des phrases zaziesques qui ne veulent rien dire, mais qui « sonnent bien » : « Des idées plein la tête, même dans le sexe, des idées plein le sexe. » (cf. la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier, pp. 18-19) Par exemple, l’essayiste Lionel Souquet défend « un mentir vrai », soi-disant « ravageur et révolutionnaire ».
À leurs yeux, l’inversion agit comme une prestidigitation épatante, un tour de passe-passe extraordinaire, une hilarité corrosive et éclatante. « L’inversion est une déviation du cours naturel des choses. Mais souvent cette déviation oblige l’individu à agir d’une manière plus noble que ceux qui sont nés pour tout bêtement consommer les fruits de la terre. » (Havelock Ellis, L’Inversion sexuelle (1909), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 374) Chez le dramaturge homosexuel argentin Copi, notamment, elle représente une nouvelle cosmogonie (ex : dans le roman La Cité des Rats (1979), ce sont les dauphins les méchants, et les requins les gentils), elle figure la puissance révolutionnaire de l’« Art » en prenant l’aspect décalé et surréaliste de l’animal du Rat. Par exemple, dans son roman La Cité des Rats, l’entrée de la Cité est signalée par un écriteau où sont marquées en caractères traglodites les lettres « ARTS » (p. 140). Dans la pièce Le Frigo (1983), le Rat est l’allégorie de l’art d’inversion, de la schizophrénie en d’autres termes, puisque ce personnage est la voix-marionnette qui double le héros travesti « L. » : « Est-ce que tu sais qu’est-ce que c’est l’art, au moins ?Hé bien, c’est ça l’art, mais on ne prononce pas ‘rat’, on prononce ‘art’. » (« L. » à son Rat)
L’inversion mise en place par les personnes homosexuelles se veut d’abord un jeu humoristique, corsé par un vernis de militance, d’originalité et de créativité : en effet, les artistes homosexuels prétendent « bousculer les idées reçues en inversant les clichés ». Mais bon… leur victoire se joue davantage sur le terrain des images que sur celui du Réel. Par exemple, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Lennon, le gros « hétéro », fait peu à peu son « coming out », tandis que Martin, sur qui pèse pourtant une forte présomption d’homosexualité, s’annonce « hétéro ». Waou… quels superbes « surprise » et pied de nez aux « conventions » du genre…
d) L’inversion comme technique du viol :
Si au départ l’inversion fait rire (d’un rire bien mécanique), elle traduit sur la durée un glaçant désir d’être objet, une misanthropie, un esthétisme du désenchantement « banal et optimiste » (du genre « La vie ne vaut rien, et rien ne vaut la vie… ») : « Les rats renvoient à l’envers des humains. » (Copi dans la préface de son roman La Cité des Rats (1979), p. 11) ; « Je m’échine à expliquer aux autres, à ceux qui n’en ont rien à foutre, qui me tapent sur l’épaule et qui se marrent, à quel point ce monde est à l’envers. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), pp. 206-207)
L’inversion mise en œuvre par les personnes homosexuelles (en art mais aussi en identité et en amour) est en réalité une opposition faussement révolutionnaire, souvent complètement conformiste et violente dans le copiage de l’extrême inverse de « l’ennemi » choisi : « Si elle avait pu, je pense qu’elle n’aurait pas eu d’enfant non plus, donc j’avais quand même un modèle féminin, enfin de mère, qui était un peu atypique ; tout en étant, alors sur le plan esthétique, visuel et autres une femme des plus féminines par ailleurs : très attachée à son apparence, changeant de coupe de cheveux et de teinture et de je ne sais quoi d’autre, quasiment tous les mois, un jour blonde, un jour brune, un jour rousse. Je n’ai jamais compris quelle était sa vraie couleur de cheveux (rires), toujours en tailleur, ou avec de belles chaussures à talons, intéressée par sa silhouette, avec un tas de produits et de choses et très maquillées, etc. Tout l’inverse de moi, on va dire. » (Lidwine, femme lesbienne de 50 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi(2010) de Natacha Chetcuti, p. 65)
Il y a dans l’« anti » et dans l’inversion de principe un mimétisme et un attachement inconscient à ce que l’on dit combattre ou imiter dans l’extrême. Dès qu’on s’oppose par principe et non librement, on tombe alors sur la bêtise de nos injonctions paradoxales du type : « Il est interdit d’interdire ! ». « Ce que le public te reproche, cultive-le, c’est toi. » (Jean Cocteau, Le Rappel à l’ordre (1926), cité dans le Magazine littéraire, n°423, septembre 2003, p. 55)
C’est alors que certains sujets homosexuels, à force de sacraliser l’inversion, basculent dans la violence et la schizophrénie. Par exemple, dans sa biographie sur Jean Genet Saint Genet (1952), Jean-Paul Sartre évoque à juste titre « cette inversion généralisée qui caractérise le mal » (p. 131). Le propre de l’individu psychotique, c’est d’inverser les choses, de cacher et de mentir sincèrement, de « faire éponge » avec tout ce qui l’entoure et de le diviser, car il ne se distingue pas mentalement du monde alentour : « Dans une psychose, les transformations ‘en contraire’ sont très fréquentes, le désir de battre devient envie d’être battu, le désir de dévorer devient la peur d’être dévoré, le plaisir de regarder du schizophrène se transforme en peur d’être épié (c’est la direction de la pulsion qui est transformée et aucunement la représentation de l’objet). L’exhibitionnisme lui-même peut nous proposer une solution acceptable, car il y a sans doute dans le travesti l’identification avec l’objet qu’on aimerait regarder, satisfaisant ainsi d’une façon narcissique un voyeurisme ‘retourné’. » (Docteur Hans Werner cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 306)
En suivant la logique de l’inversion identitaire et amoureuse, il arrive que les personnes homosexuelles s’identifient vraiment à un couteau à double face : « Le côté ‘face’ de ma vie me prend la tête. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 11) ; « Barbara que vous voyez là assise, c’est un peu comme un couteau à double face. Ici aiguisé, ici aiguisé. Barbara telle que vous la voyez là, a un côté femme et un côté… Barbara est une femme sophistiquée. » (un témoin décrivant l’homme transsexuel M to F Barbara dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut) ; « Quand on écrit, on imagine le temps de telle action, comme on prend le couteau. » (le dramaturge argentin Copi lors de son entretien avec Michel Cressole, « Copi : Le Théâtre exaltant », en 1983) ; etc. Miss Knife, par exemple, est un personnage travesti créé par Olivier Py. Lacenaire, dans son journal, se définit comme un couteau.
L’inversion, qui, si elle avait été connectée au Réel, aurait pu être idéalement subversion, conversion et guérison, se mute en perversion (dans le sens psychanalytique du terme, à savoir « non-contrôle des pulsions »), en diversion, en passerelle honteuse entre homosexualité et hétérosexualité ou entre homosexualité et homophobie, en « Pont (menaçant) de la Bisexualité », en passage brutal de la vie à la mort, de l’amour au viol : « Comment passe-t-on d’une rive à l’autre ? Comment se fait-il que le désir puisse défier et même provoquer la mort ? » (cf. l’article « Matan A Una Marica » (1985) de Néstor Perlongher, dans Prosa Plebeya (1997), p. 35)
D’ailleurs, l’Histoire humaine montre bien que la défense de l’inversion a toujours eu une double facette tragi-comique pour la communauté homosexuelle : ceux qui ont défendu l’inversion homosexuelle sont aussi ceux qui, peu de temps après, l’ont condamnée et ont persécuté la soi-disant « espèce homosexuelle invertie ». Rappelons qu’au début du XXe siècle, l’inversion a été un argument scientifique homosexuel ET homophobe (logique puisque le désir homosexuel est intrinsèquement homophobe : il est pour et contre lui-même). Elle renvoie à la théorie uraniste et fin-dix-neuvièmiste du « Troisième Sexe » (= l’âme d’une femme dans un corps d’homme, ou bien l’âme d’un homme dans un corps de femme), à la croyance à la fois pro-gay et anti-homo du « corps homosexuel ». Par exemple, dans son essai (retiré de la vente) 700 millions de GEIS (2010) – en apparence scientifique (mais en réalité très homophobe ! –, Chekib Tijani défend l’existence d’une espèce homosexuelle clairement identifiable et détachée du reste de l’Humanité : le « Genre Endogène Inversé » (= GEI). « Quand il y a non-concordance entre sexe anatomique et sexe psychologique au sein d’un même individu, il y a inversion identitaire. Inversion parce que sexe psychologique et sexe anatomique sont l’inverse l’un de l’autre. » (p. 13) Il donne des conseils « pédagogiques » et « psychiatriques » pour que l’épidémie du GEI ne se développe pas et ne conduise pas le monde à sa perte : « Imaginons quelques instants le chaos dans lequel plongerait l’humanité si la moitié féminine de la population du monde se refusait à la moitié masculine. Ne serait-ce pas là un désordre fondamental pour la population masculine du monde entier ? C’est un tel désordre que vit la population GEI face à la population hétérosexuelle qui se refuse à elle. » (idem, p. 68) ; « Il importe de mobiliser tous les parents d’enfants en bas âge dans le monde sur la nécessité et les moyens de prévenir l’inversion de genre. » (idem, p. 78)
À la base, l’inversion homosexuelle semblait se réduire à une banale et poétique affaire de subjectivité culturelle, à la non-correspondance à l’image sexuée de son genre social. Elle devait être (à en croire les militants du Gender et de la Queer Theory) uniquement une question de paraître, donc relative et peu condamnable. En réalité, comme il s’agit d’un jeu de rôles interchangeables, on voit que c’est plus qu’une affaire de paraître ou de « genres culturels » contextuels : l’inversion concerne au fond la relation homosexuelle en elle-même, les actes homosexuels et les rapports de force (de soumission et de domination) qui se jouent au sein du couple homosexuel réel. Par exemple, dans son Journal (1889-1939), André Gide définit l’homme inverti comme celui qui « dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé » (p. 671). La pratique sensuelle homosexuelle encourage au bout d’un moment les personnes homos à être auto-reverse (passive et active), à fusionner identitairement avec leur(s) amant(s), à violer et à être violées : « Je me dis – romanesque ! – que je suis un peu métis. Mes ancêtres auraient-ils jeté quelque semence de blanc dans le ventre d’une femme noire, ou l’inverse peut-être. » (Hugues Pouyé dans le site Les Toiles roses en 2009) ; « Dans le monde des homosexuels, les sodomistes, eux, sont légions, et pas forcément invertis. Mais cette séparation n’est en réalité qu’un alibi issu d’un cerveau intellectuel, puisque, pratiquement, les pédérastes soi-disant moraux ne manquent pas, la plupart du temps, de passer à la sodomie. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essaiHistoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 93) ; etc.
Le plus paradoxal dans l’inversion homosexuelle, c’est qu’elle est à la fois l’instrument du viol et le masque de ce dernier. Elle illustre le viol ET l’indifférence au viol :« Il suffisait, je le savais, d’un rien, d’un geste, d’une sensation, pour que le miroir bascule et que l’envers du décor rempli d’abîmes et de dangers disparaisse. » (Berthrand Nguyen Matoko face à la proposition d’un poste de prostitué, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 117)
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Le désir homosexuel ayant fui la différence des sexes et donc le roc du Réel humain, entraîne ceux qui s’y adonnent ou y identifient dans une forêt (= métaphore de la sexualité) qui a tout, en apparence du jardin classique rêvé. Au départ, il ressemble même à un joli cocon incestuel/incestueux, à un décor scintillant de fleurs et de feuilles cousues main par les photographes Pierre et Gilles. Mais peu à peu, cet espace vert montre son vrai visage de Jardin d’Éden inversé, de parc en papier mâché, de scène du péché originel (= le viol entre l’homme et la femme, ou le viol homosexuel homophobe.
Film « The Wizard Of Oz » (1939) de Victor Flemming
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FICTION
a) Le joli jardin d’enfant :
Vidéo-clip de la chanson « Barbie Girl » d’Aqua
Fréquemment, dans les fictions homo-érotiques, il est question d’un jardin ou d’une forêt où le héros homosexuel se trouve. Un jardin enchanté : cf. le film « The Garden » (1990) de Derek Jarman, le roman Archaos ou le Jardin étincelant (1975) de Christiane Rochefort, le film « Pink Narcissus » (1971) de James Bidgood, le film « The Hanging Garden » (« Le Jardin suspendu », 1997) de Thom Fitzgerald, le roman Le Jardin des chimères (1921) de Marguerite Yourcenar, le roman La Busca Del Jardín (1977) d’Héctor Bianciotti, le film « Les Enfants du Paradis » (1945) de Marcel Carné, le film « The Garden Of Eden » (1928) de Lewis Milestone, la chanson « L’Alizé » d’Alizée, la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer, le roman The Rubyfruit Jungle (1973) de Rita Mae Brown, le film « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure (avec la jardinerie de Cédric), le film « Les Lèvres rouges » (1971) d’Harry Kümel (avec la serre), le film « The Pleasure Garden » (1953) et le film « The Gardener Of Eden » (1981) de James Broughton, le film « Jubilé » (1978) de Derek Jarman (avec le jardinier homosexuel), le film « Le Jardin des délices » (1967) de Silvano Agosti, la chanson « Le Jardinier qui boite » de Charles Trénet, le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat (avec Juan le jardinier homo), le film « Sotvoreniye Adama » (« La Côte d’Adam », 1993) de Yuri Pavlov, le film « El Jardín Secreto » (1984) de Carlos Suárez, le film « Más Allá Del Jardín » (1997) de Pedro Olea, le film « Proteus » (2003) de Jack Lewis et John Greyson (avec le botaniste), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le roman Aux jardins des acacias (2014) de Marie-Claire Blais, le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma (avec la forêt comme lieu d’asexuation), le film « Alice au pays des merveilles » (2010) de Tim Burton, le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan (avec le jardin d’Allan), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec les petits oiseaux en pleine ville de New York), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec le fantasme de Bilal, le bel ouvrier-jardinier en train de travailler dans le jardin, et regardé avec envie par le colon Malik), le film « Autoportrait aux trois filles » (2009) de Nicolas Pleskof (avec les fondus enchaînés d’objet ou de lampe électrique à des images de plantes, du soleil), le film « Big Eden » (2001) de Thomas Bezucha, le vidéo-clip « Only Gay In The World » de Ryan James Yezak (avec un jardin des origines version gay), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec les fruits en plastique dans l’appartement de Vivi, l’un des héros homosexuels), le film « Friendly Persuasion » (« La Loi du Seigneur », 1956) de William Wyler (Jean Birdwell est pépiniériste), La pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, etc.
Film « Make A Wish » de Cherien Dabis
Ce jardin apparaît comme une image d’Épinal figée, une vision extatique irréelle paradisiaque, une réminiscence d’une enfance idéalisée, d’un état intra-utérin fusionnel avec la mère (cinématographique), une rêverie édénique d’un « amour » homosexuel merveilleux, un décor de théâtre ou de cinéma. « Laisse-moi m’envoler vers un autre Jardin d’Éden. » (Benji s’adressant à son amant Maxence, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Nous étions seuls au monde. La forêt nous avait éloignés de tout et, plus ou moins, libérés de tout. Nous étions nus. Nous avions enlevé nos vêtements rapidement. » (Khalid et Omar, les deux amants du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 137) ; « Melocotón et boules d’or, deux gosses dans un jardin. » (cf. la chanson « Melocotón » de Colette Maniot) ; etc.
Film « Amnésie- L’Énigme James Brighton » de Denis Langlois
Par exemple, dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, le héros est jardinier et patron d’une pépinière. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Louis, l’amant-jardinier sexy, est comparé à un « buisson qui court » par Tom, son futur amant. Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, Audric a le pouvoir de créer des fleurs et s’intéresse à la botanique. Dans le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, la forêt d’Aurore est réduite à un décor de jeux vidéo. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, la Nature est réenchantée par les mythes grecs (peu réputés pour leur douceur…). Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, Chloé, l’héroïne lesbienne, adore les jardins artificiels. Les premières images du film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye sont des nénuphars dans des bocaux. Dans son roman La Cité des rats (1979), Copi a construit une forêt tropicale aux dimensions disproportionnées puisqu’elle est regardée par des rats bisexuels voyant « des cerises grosses comme des pastèques » (p. 132). Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Irène et Tonia, les deux hommes transsexuels M to F, se retrouvent dans une serre, un jardin synthétique. Dans le film « Temps de chien » (2011) de Viva Delorme, une jeune paysagiste lesbienne s’occupant des espaces verts d’une ville trouve un chien abandonné dans la forêt où elle travaille. Dans le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, Georges et Alexandre s’enferment dans une serre pour y vivre leur amour pédophile interdit. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, à plusieurs reprises, les amantes Virginia Woolf et Vita Sackville-West se retrouvent dans une serre.
Le plus souvent, le jardin des fictions traitant d’homosexualité est une composition, une reconstitution humaine. Il s’agit d’un jardin synthétique, artificiel : « Je déteste la campagne. Je n’apprécie la nature que dans les jardins des villes. » (Dominique, le héros homosexuel du roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 67) ; « Je viens de l’autre côté du miroir, […] du côté du faux jardin. » (la voix narrative de la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; etc.
Il dit la vanité de l’orgueil humain. D’ailleurs, il arrive que le héros homosexuel se prenne pour un arbre ou une forêt, cherche à devenir l’androgyne ou Dieu : « Élève-toi avant que les chênes ne t’étouffent. […] Toi, tu n’es qu’un arbre banal. » (Négoce, le héros homosexuel de la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Le vieil ami Tarzan a tout juste fini de se construire un enfant avec un bon tronc d’arbre, des lianes, un singe et des feuilles en matière plastique collées ensemble une à une. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 102) ; etc. Mais cela le fait en réalité devenir objet. Par exemple, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Cameron Drake, l’acteur hétéro jouant au cinéma le rôle d’un gay, est décrit comme un « nain de jardin ».
B.D. Le Livre blanc de Copi
Le jardin homosexuel fictionnel est souvent figuré par la métaphore asexuée et hyperféminisée de la jeune fille en fleur, de la Mère-Nature narcissique, allongée et suspendue entre Ciel et marécage, adoptant une posture alanguie et mortuaire qui la rend immortelle : cf. le tableau Ophélie (1852) de John Everett Millais, le poème « Ophélie » (1891) d’Arthur Rimbaud, le film « Hamlet » (1990) de Franco Zeffirelli, la chanson « Ophélie » de Dave, les toiles d’Ophélie de Gustave Moreau, les toiles Reproches d’Hamlet à Ophélie, Le Chant et la folie d’Ophélie et Le Suicide d’Ophélie (entre 1824 et 1859) d’Eugène Delacroix, etc.
Olympia Dukakis dans la série Les Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin
La (vieille) jardinière apparaît très fréquemment dans les créations homosexuelles : cf. le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « 200 American » (2003) de Richard Lemay, la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (avec la mère de JP, le héros gay, dans son jardin), le téléfilm « Sa Raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand (avec le personnage d’Hélène), le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec Rose, la « belle-mère » de Jean-Marc), le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte (avec la tatie du héros homosexuel), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally (avec la grand-mère d’une des héroïnes lesbiennes, devinant, dans son jardin, l’homosexualité de sa petite-fille), le film « And Then Came Summer » (« Et quand vient l’été », 2000) de Jeff London (avec la tante qui jardine), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, etc.
« Ma mère prenait du temps pour jardiner, alors que notre jardin n’était qu’un petit carré d’herbe à peine plus grand qu’un tapis. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 32) ; « Nos maris ont beaucoup de travail… et nous avons beaucoup de jardins. » (Marianne s’adressant à Irène dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset) ; « Derrière lui [Antoine] , Eva souriait, magnifique dans une robe Fendi en mousseline imprimée de motifs floraux. » (Antoine dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, p. 195) ; « Les fleurs aussi c’est essentiel. » (Catherine dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Ma mère est allée s’enterrer encore vivante, un bouquet de fleurs entre les dents. » (Jeanne dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « J’vais au jardin préparer les plantes pour le cimetière. » (Marcelle, la mère de la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti) ; « La rose du matin est éclose à midi. » (Suzanne, la mère, dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon) ; « Démerde-toi pour te réincarner en fleur, dans un champ vert et bleu. » (Vincent Garbo s’adressant à Carole, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 89) ; « Dans toute femme, il y a une Ève malveillante qui sommeille. » (Rodin, le héros homosexuel de la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « C’est mal fichu, une fille. Il manque l’essentiel ! […]C’est pas drôle d’être homo. Y’en a marre, je deviens hétéro. Comment ça marche, une fille ? Ça mange quoi ? Ça boit quoi ? Faut arroser combien de fois par jour ? » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc.
Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Catherine S. Burroughs est la femme végétale, adepte des fleurs. D’ailleurs, sa copine Muriel est fleuriste de métier. Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, « Chantal » est le nom de la fleur à qui Sébastien, le héros homo, parle, comme si elle était une personne à part entière. Dans son roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, Michael, le héros homosexuel, voit en sa mère une fleuriste, une forêt moderniste à elle seule : « J’avais repensé à l’amour de maman pour les hortensias. […] Maman était une authentique magicienne de l’hortensia. » (p. 109) Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, la Tante Ève est obsédée par son idée d’organiser une garden party. On peut véritablement parler de pouvoir hypnotique de cette mère végétale, car au moment où Ben, son copain, lui reproche « d’attribuer beaucoup de pouvoirs à sa mère », ce dernier lui répond avec désinvolture « ‘Vraiment ? ’, les yeux rivés sur le plafond fleuri » (idem, p. 153).
Bien plus souvent qu’on ne le croit, les créateurs homosexuels livrent la femme au végétal, à l’inconscient, à l’inhumain, au minéral, à l’insensible : cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer, le film « La Fille aux jacinthes » (1955) d’Hasse Ekman, le roman À l’ombre des jeunes filles en fleur (1919) de Marcel Proust, le roman Notre-Dame des fleurs (1944) de Jean Genet, la chanson « The Rose » de Bette Midler, la chanson « La Flor De Mi Secreto » (« La Fleur de mon secret », 1995) de Pedro Almodóvar, la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan (avec la figure de la mère et ses fleurs coupées), le vidéo-clip de la chanson « Gourmandises » d’Alizée, le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre (avec Cléopâtre, la fleuriste, ainsi que Marianne), le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Marie, la femme végétale), le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs (avec Eugenia arrangeant les fleurs du jour du mariage de Ben et George), etc.
Il existe une confluence entre la femme végétale et la femme-objet. Les deux sont déshumanisées et désincarnées. Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Benjamin s’adressant à son amant Pierre à propos de leur projet de mère-porteuse avec Isabelle (« Faire un enfant, ça fait plus hétéro avec l’actrice. »), se compare comme par hasard à une fleur (le cactus) et Pierre lui répond qu’il a cueilli Isabelle comme une fleur : « Les actrices aussi ont le droit de faire des enfants. » Dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel observant le public de l’Opéra de Montréal, décrit les femmes-objet soumises comme « des jeunes filles à la remorque de leurs parents, poncées, étrillées, enrégimentées dans l’opéra par des mères qui avaient elles aussi été des fleurs de tapis, jadis, mais qui avaient appris à les fouler avec le temps » (p. 43). Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, George, le héros homosexuel, voit toujours dans le nez des filles et des femmes, une tulipe. Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, la belle-mère cachée de Nicolas, le héros homosexuel, se prénomme Rose.
b) Le jardin des supplices :
En réalité, le jardin homosexuel est le paradis de l’artifice anti-écologique, le théâtre du péché, du viol, de l’inceste, du meurtre homophobe, du cauchemar qu’est l’éloignement du Réel : cf. le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio (avec Alicia, l’héroïne lesbienne abandonnée, trouvée dans une serre), le film « Les Filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie (avec le meurtre parricide par le couple lesbien), le roman Le Jardin d’acclimatation (1980) d’Yves Navarre (avec Bertrand qui a subi une lobotomie orchestrée par sa famille qui veut le transformer en hétéro), la chanson « Miss Paramount » du groupe Indochine (avec la mention du film « Le Jardin des tortures »), le film « Notre Paradis » (2011) de Gaël Morel (se rapportant au lieu de prostitution masculine), le one-man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set (avec le chasseur pourchassant Blanche-Neige), le film « The Apple » (2008) d’Émilie Jouvet, la chanson « Jardin de Vienne » de Mylène Farmer (parlant du suicide), le film « Secret Garden » (« Jardin secret », 1987) d’Hisayasu Sato, le film « Khochkach » (« Fleur d’oubli », 2006) de Salma Baccar, le film « Gan » (« Un Jardin », 2003) de Ruthie Shatz Adi Barash (racontant l’histoire de deux jeunes prostitués de Tel Aviv), le film « Le Jardin des arbres morts » (2014) de Yarriv Mozer, la chanson « L’Amour interdit » d’Hervé Vilar (avec le « jardin maudit »), etc.
Le jardin ou la forêt homosexuels n’annoncent rien de bon : « Le plus bel atout de la chambre était une cheminée en chêne sculptée de fruits et de fleurs.[…] Elle remarqua un visage parmi la flore sculptée et sursauta. Ses yeux firent la mise au point et elle en vit d’autres, joyeux et androgynes sous des cheveux emmêlés de lierre. Les sourires paraissaient bienveillants mais Jane les imaginait s’altérer avec les ombres, et elle espérait qu’ils ne perturberaient pas les rêves de l’enfant. » (Jane, l’héroïne lesbienne dans la chambre de son futur enfant, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 39) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] avait erré jusqu’à un vieux hangar où l’on rangeait les outils de jardinage et y vit Collins [la gouvernante de Stephen] et le valet de pied qui semblaient se parler avec véhémence, avec tant de véhémence qu’ils ne l’entendirent point. Puis une véritable catastrophe survint, car Henry prit rudement Collins par les poignets, l’attira à lui, puis, la maintenant toujours rudement, l’embrassa à pleines lèvres. Stephen se sentit soudain la tête chaude et comme si elle était prise de vertige, puis une aveugle et incompréhensible rage l’envahit, elle voulut crier, mais la voix lui manqua complètement et elle ne put que bredouiller. Une seconde après, elle saisissait un pot de fleurs cassé et le lançait avec force dans la direction d’Henry. Il l’atteignit en plein figure, lui ouvrant la joue d’où le sang se mit à dégoutter lentement. Il était étourdi, essayant doucement la blessure, tandis que Collins regardait fixement Stephen sans parler. Aucun d’eux ne prononça une parole ; ils se sentaient trop coupables. Ils étaient aussi très étonnés. […] Stephen s’enfuit sauvagement, plus loin, toujours plus loin, n’importe comment, n’importe où, pourvu qu’elle cessât de les voir. Elle sanglota et courut en se couvrant les yeux, déchirant ses vêtements aux arbustes, déchirant ses bas et ses jambes quand elle s’accrochait aux branches qui l’arrêtaient. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), pp. 38-39) ; « Le jardin, au lever du soleil, lui sembla tout à fait étranger, comme un visage bien connu qui se serait soudain transfiguré. […] Elle prit soin d’avancer doucement, car elle se sentait un peu fautive. » (idem, p. 135) ; « Nous [les Rats] lui [le serpent] exprimâmes notre admiration sincère et la Reine des Rats l’invita à passer les vacances de Pâques enroulé dans notre arbre si jamais à Pâques, lui, l’arbre et nous-mêmes nous nous trouvions encore en vie et en liberté. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 76) ; « Le serpent répondit qu’il était hermaphrodite et qu’il se fécondait tout seul. » (idem, p. 77) ; « Mon parc est semé de gens morts ! » (Copi, La Journée d’une rêveuse, 1968) ; « Nunca me ha llamado la atención lo de Eva y la manzana, porque de Eva soy hermana y tentarse es cosa humana. » (cf. les paroles d’une chanson de Tita Merello, dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « L’hortensia avait poussé à la diable, le sol était trop humide pour y ramper. Je n’aurais pu m’asseoir en dessous, même si je l’avais voulu. D’ailleurs, j’étais beaucoup plus grosse qu’à l’époque. Je suis pourtant restée longtemps accroupie, les paumes appuyées contre le sol humide, les ongles enfoncés dans la terre. Je me suis finalement relevée et, tandis que je retournais chez Esti et Dovid, je tentais de gratter la ligne de terre emprisonnée sous mes ongles. Et plus je grattais, plus elle s’enfonçait, le noir s’incrustait dans le rouge. […] Cela faisait des années que nous nous étions approprié l’hortensia. Dedans, nous étions invisibles, hors de portée de la maison, des regards du dessus et alentour. Il y avait l’odeur, je m’en souviens. Un arôme puissant d’hortensia pourri et d’humus. Encore maintenant, l’odeur végétale des hortensias conserve son pouvoir. » (Ronit, l’héroïne lesbienne parlant de l’hortensia, qui devient pour elle et sa compagne Esti le symbole de l’amour lesbien, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 212-213) ; « On est paumés en pleine forêt tropicale. » (Thomas s’adressant à son amant François, en Thaïmande, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « J’ai un vrai verger dans le cul. » (le narrateur homosexuel à propos de la sodomie, dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair) ; etc.
Film « Suddenly Last Summer » de Joseph Mankiewicz
Par exemple, sans sa chanson « J’veux pas être jeune », Nicolas Bacchus se voit entraîné avec son amant « jusqu’au jardin désert qu’ils n’avaient pas cherché ». Dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz, Mrs Venable, la mère possessive de Sébastien (le héros homosexuel qu’elle a poussé vers la mort), possède un drôle de jardin en carton pâte, avec des statues de squelettes, des arbres exotiques improbables, des plantes carnivores… une sorte de Musée des Horreurs où va éclater le secret du viol de Sébastien. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio enlève le noyau d’une pêche pour s’y branler. Oliver, son amant, découvre cela, et ironise : « T’es déjà passé au règne végétal. À quand le règne minéral ? Tu as déjà renoncé au règne animal c’est-à-dire moi… » Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, est rejoué le péché originel : un prêtre catholique, Adam, court dans une forêt ; puis se fait tenter en vain par une femme, Eva, dont il rejette les avances ; ensuite, il tombe amoureux du jeune Lukacz, qui a tout physiquement du Christ ; et cet amour s’avère réciproque. Par ce film, on comprend que le péché d’Adam, c’est de vouloir séduire et posséder son père (ou son fils) : c’est un péché d’inceste. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Ody porte son petit frère (homosexuel) Dany sur son dos dans la forêt, après une course-poursuite pendant laquelle Dany a tiré sur quelqu’un à l’arme à feu. Cette fuite violente du Réel est contrebalancée par des images d’une Nature digne des plus grands films d’animation Disney : tous les animaux de la forêt (biche, canards, chouette et même le lapin en peluche) s’animent sur la rive entourant la barque des deux héros. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Lors d’une fête, Louis et Nathan se donnent rendez-vous au vert (« Pars pas : on se retrouve dans le jardin. » dit Louis par texto) et s’embrassent pour la première fois dans une verrière : cette scène déclenchera sur eux une violente vague d’homophobie.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
Tableau Girl In Garden de Pierre et Gilles
Une sexualité végétale et végétative, figée et organisée comme un jardin d’enfant féminisé
B.D. Le Livre blanc de Copi
La communauté homosexuelle a un goût prononcé pour les « jardins carte postale », la Nature artificielle/aseptisée, au détriment de la Nature réelle. Il faut que ça scintille, que la mort ou la violence ou le rappel des limites humaines soient totalement évacués. Grâce à la littérature, à la peinture, aux films, mais aussi à leur folie des grandeurs et leur fièvre acheteuse, certaines personnes homosexuelles ont construit concrètement dans leur petit « chez-soi » des jardins merveilleux, parfois avec du goût et du raffinement : Michael Jackson, Louis II de Bavière, Pierre et Gilles, Yves Saint-Laurent, Pierre Bergé, Jean Lorrain, Marcel Proust, Jean Cocteau, etc. « Nul mieux que Jean Lorrain n’a pu rendre la touffeur équatoriale de certains jardins déjà plus ou moins abandonnés, les palmiers géants, les cocotiers hauts de vingt mètres, dressés en colonnade de mosquée, le jaillissement fou d’ombelles et de palmes des bananiers, les fougères qui étaient leur dentelure sur les velours d’invraisemblables mousses. La décomposition lente des végétaux attirait cet esthète, comme un charme ajouté à cette frénétique torpeur. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 188)
Le Jardin Majorelle arabisant de Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent au Maroc
Par exemple, pendant la période artistique baroque appelée « Art Nouveau » (1880-1910), les artistes homosexuels obéissent au principe de l’imitation de la Nature, ce qui entraîne le goût des lignes sinueuses, des jardins synthétiques, des espaces lointains exotiques, et des modèles gothiques.
Le fantasme de créer une forêt et une Nature tout seul est très marqué chez certaines personnes homosexuelles. Par exemple, dans le documentaire « La Villa Santo Sospir » (1949), grâce à un jeu de caméra filmant au ralenti et en marche arrière, Jean Cocteau se présente comme un créateur de fleurs.
Photo de Sheila Legge par Claude Cahun
La cristallisation de la forêt en jardin artificiel se présente souvent sous la forme d’une féminisation, d’une préciosité de femme-enfant mythique. Bien plus souvent qu’on ne le croit, les créateurs homosexuels livrent la femme au végétal, à l’inconscient, à l’inhumain, au minéral, à l’insensible : cf. les tableaux photographiques de Pierre et Gilles, la photo L’Apparition du fantôme du sex-appeal (Sheila Legge In Trafalgar Square, 1936) de Claude Cahun, etc. Dans le générique de son film « Huit Femmes » (2002), François Ozon attribue à chacune de ses héroïnes une fleur.
« Ce qui me plaisait plutôt, c’était de lui [Philomène] ressembler dans sa féminité. En effet, sa façon de marcher, de s’habiller ou de se tenir, dégageait un moment de magie qui me séduisait. Je la comparais de surcroît à une fleur sauvage, poussée au milieu d’une plate-forme cultivée. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 48)
Dans mon mémoire de DEA (Master 2) Le Sablier de Néstor Perlongher (2003), j’avais vu que le subconscient des personnes homosexuelles (la partie supérieure de leur sablier psychique) était souvent habité par une femme végétale, une Ève primitive, une prostituée-vierge damnée de toute éternité, qu’elles cherchent à rejoindre en empruntant le chemin incestueux et impossible de l’état intra-intérin désincarné.
b) Le Jardin des supplices :
Film « The Ballad Of Genesis And Lady Jaye » de Marie Losier
Le Jardin d’Éden que semblent rechercher le désir homosexuel est en réalité l’enfer, un lieu où le fantasme de viol (ou bien le viol réel) s’exprime, où la sexualité est évacuée au profit de la génitalité et du sentiment désincarné. Charles Trénet a été trouvé nu quand il avait 15 ans, en train de s’amuser avec son camarade Max Barnes dans un jardin de l’Hôtel Mustafa Ier. J’étudie plus longuement la figure de l’actrice morte dans les codes « Mort-Épouse » et « Femme allongée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Mais le motif d’Ophélie, le fameux personnage d’Hamlet (1598) de William Shakespeare (auteur lui-même homosexuel), a inspiré quelques artistes homosexuels, tels que le peintre français Eugène Delacroix, qui s’est intéressé à trois reprises (entre 1838 et 1844) à Ophélie, cette naïade noyée qu’il décrit comme « une branche fleurie à demi tombée dans les flots », à travers trois toiles : Reproches d’Hamlet à Ophélie, Le Chant et la folie d’Ophélie et Le Suicide d’Ophélie.
Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte qu’il a installé trois statues de ses tantes adorées, « ces trois femmes qui désormais régnaient entre les fleurs du jardin » (p. 148), en éloge funèbre.
Film « La Mala Educación » de Pedro Almodóvar
Le jardin (réel ou symbolique), c’est là où les personnes homosexuelles pratiquantes ont enterré la différence des sexes et leur Désir pour leur préférer la peur et la violence, ont cherché fiévreusement leur origine pour ne pas affronter leur véritable Jardin secret (= Dieu). « Les personnes préoccupées de façon trop exclusive par la question de leur origine, ou des origines en général, ont tendance à se sentir exclues et persécutées. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 94) Il est le lieu de l’asexuation et du mépris du corps humain sexué : c.f. le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018.
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Frénésie homosexuelle (et finalement hétérosexuelle et homophobe !) pour l’originalité
À trop vouloir ne pas faire comme les autres, on finit par faire comme eux sans s’en rendre compte… car on vit trop par rapport à eux que détachés d’eux et des images qu’on s’en fait.
L’obsession de l’originalité, très marquée chez les personnes homosexuelles, est la marque criante d’un doute béant de son unicité et de sa capacité à aimer/être aimé, le revers d’un conformisme social paradoxal (car il se fait passer pour « révolutionnaire » et « indépendant »), l’indicateur d’un vide identitaire trop vite comblé par une étiquette sexuelle caricaturale (= l’homosexuel) ou un coming out précipité. Quand on écoute les témoignages de vie des personnes homosexuelles relatant les premiers temps de découverte de leur désir homosexuel, on perçoit que ce sentiment de différence, qu’elles répètent comme une marotte (« Je suis différent, et je l’ai toujours été ») est en partie infondé, car il repose d’une part sur une sacralisation méprisante des autres, et d’autre part sur un rejet de LA Différence en général (… différence des sexes en première ligne). Car être différent n’implique pas nécessairement une rupture définitive avec notre entourage. Bien au contraire ! Tout Homme est radicalement seul et différent du fait d’être unique, mais ce n’est pas en soi un drame, ni un état de fait qui nous isole. Une fois cette différence fondamentale digérée et relationnalisée, elle permet heureusement le lien social, la liberté, la responsabilité, la reconnaissance émerveillée de sa singularité, un appel à donner sa solitude à l’universel. C’est parce que nous nous reconnaissons différents des autres Hommes que nous pouvons ensuite mieux nous mêler à eux et entrer en relation. Le problème de la majorité des personnes homosexuelles, c’est qu’elles moralisent leur unicité en termes de possession ou de mal (en gros : « Je suis le meilleur ; sinon, je suis nul »), en prétextant que ce serait la Nature qui les aurait injustement séparées du reste de la société. Mais en matière de différences, pas de fatalité : ce n’est pas parce que la différence distingue que pour le coup elle divise ! Tout comme les frontières…
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
L’auto-persuasion
d’une différence fondamentale
L’adaptation excessive aux regards de l’entourage et l’oubli de leur propre regard négatif sur elles-mêmes vont encourager beaucoup de personnes homosexuelles à affirmer l’existence d’une différence radicale par rapport aux autres. Nous entendons toujours le même refrain de la part des membres de la communauté homosexuelle : le facteur dominant de leur vie, celui qui dépasse tous les autres en importance, est constitué par la conscience d’être différent, de ne pas rentrer dans la norme.
Tout d’abord, cette différence dite « naturelle et fondamentale » est d’ordre social, culturel et intellectuel. Très jeunes, certains sujets homosexuels vivent le choc des cultures avec leur entourage comme une véritable épreuve, puis un moyen de sortir du lot. Il n’est pas très étonnant qu’il y ait parmi les personnes homosexuelles un certain nombre de petits surdoués ou d’individus blessés dans leur amour propre parce que dans leur cursus scolaire, ils ont senti que leurs talents avaient été fortement dévalués ou ignorés. Beaucoup d’entre elles ont l’impression qu’elles ne sont radicalement pas sur la même longueur d’onde que les autres, qu’ils ne pourront jamais les comprendre totalement. Le fossé avec le reste de l’Humanité « hétérosexuelle » se creuse au fil des ans, et se fixe parfois en orientation sexuelle. L’homosexualité est envisagée à l’âge adulte comme une solution bien pratique pour camoufler par l’identitaire leur problème d’intégration sociale sans le régler vraiment à la racine.
Le fantasme de la différence homosexuelle ne renvoie pas uniquement à des différences culturelles. Il se fonde aussi sur des dissemblances physiques ressenties comme minoritaires, écartantes/écartées socialement, et qui deviennent ensuite, selon ce qu’en font l’entourage et la personne qui les porte, une « identité » intégrée mentalement et sexuellement. Cela peut provenir de la taille, de l’obésité, de la dentition, d’une voix suraiguë, de la maigreur, d’un handicap quelconque, d’une couleur de peau rejetée, d’un physique génériquement opposé au sexe biologique ou aux estampes des garçons et des filles télévisuels, d’un complexe de se savoir fragile, limité, ou insignifiant (la croyance et l’identification à l’Homme invisible rôdent…), etc. Difficile de ne pas faire le lien entre des physiques honteux d’eux-mêmes et l’affirmation d’une homosexualité. Cependant, ce lien n’est pas de causalité, mais de coïncidence, c’est-à-dire qu’il a été instauré davantage par le fantasme ou l’impression subjective que par la Réalité. L’homosexualité n’est pas une question de physique particulier – il n’y a pas de « corps homosexuel » (contrairement à ce que proclament certains militants homosexuels radicaux) – mais de rapport idolâtre à son corps et aux images médiatiques des corps sexués.
Affirmer « Je suis différent », ainsi que le font beaucoup de personnes homosexuelles, n’est pas faux en soi, étant donné que tout Homme est unique et donc fondamentalement différent des autres. Mais le problème peut se situer dans les conséquences fâcheuses que la reconnaissance de leur différence jugée « exceptionnelle » ou « minable » peut entraîner sur leur rapport aux autres : mépris, isolement, exclusion, orgueil mal placé. « Je croyais que j’étais un petit garçon singulier et les autres garçons étaient jaloux de moi, parce qu’ils étaient, eux, on ne peut plus ordinaires. » (Luc dans le roman Frère (2001) de Ted Van Lieshout, p. 128) Les personnes homosexuelles ne sont réellement différentes des autres Hommes que si nous considérons que c’est leur désir qui les définit entièrement. Autrement, nous ne pouvons envisager l’homosexualité que comme une facette particulière d’un désir pleinement humain.
En soutenant avec virulence qu’elles sont « différentes » (comprendre « anormales » et « exceptionnelles »), certaines ne remettent pas du tout en cause ce qu’elles appellent hâtivement « norme ». Bien au contraire. À force de ne pas vouloir faire ou être « comme les autres », elles finissent par les imiter inconsciemment, car il arrive toujours un moment où « les autres », ce sont elles. Beaucoup de personnes homosexuelles se laissent trop facilement définir par autrui, y compris et surtout lorsqu’elles se positionnent « contre » une personne, un camp ou une image. Peu savent vraiment ce qu’elles veulent. Elles se déterminent plutôt par le négatif, un peu comme Loïc dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier : « Je ne sais pas encore ce que je suis mais je sais ce que je ne veux pas être. » Elles ne veulent pas ce qu’elles prétendent vouloir, mais par provocation, elles soutiennent qu’elles le désirent profondément, que ce désir fait partie d’elles, alors qu’il est souvent né de la comparaison dévalorisante ou méprisante aux autres. Leur recherche de la personne aimée suit le plus souvent la logique du conformisme inversé, donc du snobisme : elles vont réclamer une chose, non pas tant parce qu’elles la veulent réellement, que parce qu’elles pressentent que les autres la veulent à leur place ou la leur interdisent. Elles aiment quand tout le monde aime, haïssent quand tout le monde déteste… ou aiment quand tout le monde semble détester et haïssent quand tout le monde donne l’impression d’aimer. En définitive, elles ne se posent pas beaucoup la question de ce qu’elles ressentent elles, de ce qu’elles désirent vraiment.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
a) Je suis différent, un point c’est tout !
Très régulièrement dans les fictions homosexuelles, le personnage homosexuel s’auto-persuade de sa différence fondamentale : cf. le roman Carta Abierta A Un Muchacho ‘Diferente’ (1974) d’Antonio Domínguez Olano, le film « Diferente » (1961) de Luis María Delgado, le film « Quella Piccola Differenza » (1969) de Duccio Tessari, le film « I’m Not One Of Them » (1974) de Barbara Hammer, le two-men-show Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, le roman Hawa (La Différence, 2010) de Mohamed Leftah, le roman Différents (2005) de Maryvonne Rippert, le film « Fucking Different XXX » (2012) de Bruce LaBruce et Émilie Jouvet, la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, etc.
Film « A Different Story » de Paul Aaron
« Vous êtes différent. » (le narrateur homosexuel se vouvoyant lui-même, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 131) ; « Je ne suis pas un homme comme les autres. […] Je suis tellement différent. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 11) ; « J’ai toujours été différent. » (Brad dans le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody) ; « Je suis différente de toi, de toutes les autres filles. J’suis pas normal. » (Tania, l’héroïne lesbienne de la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « J’aimerais tellement être différent mais j’y arrive pas. » (Élodie, idem) ; « Pourquoi j’suis pas capable d’être comme les autres ? » (Hubert, le personnage homosexuel du film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] n’avait jamais été tout à fait semblable aux autres enfants, elle avait toujours été seule et insatisfaite, elle avait toujours essayé d’être quelqu’un d’autre… […] Seule… il était terrible de se sentir si seule… de se sentir différente des autres. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 133) ; « J’étais son fils spirituel. Juste un peu différente. » (la voix poétique du poème « Amoureux dans la vie » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, p. 14) ; « Ton père est différent des autres pères. » (le père travesti M to F, ancien curé et ancien évêque de Bruxelles, faisant un coming out à son fils Peter, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; « Est-ce une raison de mépriser ma différence ? » (idem) ; « Philippe me dit que, justement, cet homme avait probablement le goût différent dont il tentait par allusions de m’expliquer l’originalité. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 38) ; « Comment puis-je leur dire ce secret que j’ai sur le cœur depuis que je suis tout petit ? que je suis différent ? » (Chris, le héros homo de la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « Jo est persuadé qu’il est unique. » (Matthieu, l’amant de Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Élève-toi avant que les chênes ne t’étouffent. […] Toi, tu n’es qu’un arbre banal. » (Négoce, l’un des héros homosexuels de la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Je n’ai jamais été comme les autres femmes. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Que diront les gens qui me trouvent trop différent ? » (cf. le chanson « J’ai le droit aussi » de Calogero) ; « La vie n’est pas facile. Surtout quand vous êtes différents. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Je suis différent. » (John, le héros homo incarnant le personnage d’Adam White dans un feuilleton télé Hellsome High, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; « C’est une autre piscine. Différente. » (les nageurs homos de l’équipe de water-polo gay du film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; « Je suis vraiment la cinquième roue du carrosse dans cette famille. » (Sandrine, l’héroïne lesbienne, dans l’épisode 502 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 8 juillet 2019 sur TF1) ; « Elle a peur que ma différence ternisse sa belle petite image toute lisse. » (Sandrine par rapport à sa mère Anne-Marie, dans l’épisode 506 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 12 juillet 2019 sur TF1) ; etc.
Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny fait une fixation sur sa soi-disant « différence » : « Je ne suis pas normal. C’est de notoriété publique. » Et son amant Romeo le confirme dans sa fausse croyance : « Tu n’es pas comme tout le monde. » Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Christopher, l’amant secret d’Alan Turing au pensionnat, lui dit qu’il est « différent ». Turing l’interprète comme une étrangeté isolante : « Mère dit que je suis un type bizarre. » Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Catherine, la prof de maths lesbienne, déclare devant sa classe et face à Nathan, son élève homo, qu’il est « courageux » parce qu’« il ose dire qu’il est différent ». Dans le film « Tout mais pas ça » (« Se Dio vuole », 2015) d’Edoardo Falcone, Tommaso, un père de famille, croit que son fils Andrea est « différent », c’est-à-dire homosexuel. Dans le générique du film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, on nous signale par écrit que « le corbeau blanc » est une expression employée pour désigner « quelqu’un qui est différent des autres ».
b) Une différence si « naturelle » ? Une réelle fatalité ?
On se rend compte au fur et à mesure que la différence du héros homosexuel, qu’il présente comme « naturelle » et « imposée », est un orgueil travaillé, un esthétisme recherché : « Pourquoi vous considérez-vous comme différente ? » (Douglas s’adressant à l’héroïne lesbienne Doris dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Je veux être différent. » (Éric dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton) ; « J’éprouvais pour la première fois un plaisir de perversité à différer des autres ; il est difficile de ne pas se croire supérieur, lorsqu’on souffre davantage. » (Marguerite Yourcenar, Alexis, ou le traité du vain combat (1929), p. 69) ; « Être à part. C’est aussi pour ça que ça me plaît, que je suis pédé ! C’est dans la différence que je préfère avancer. » (un témoin homosexuel de la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Au dîner, je mangeai en silence, avec la conscience d’être différente. J’étais libre. Rien ne comptait. » (Anamika dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 27) ; « Dans ce lycée, il faut être original pour s’intégrer. Et moi, je ne suis qu’une gamine ordinaire. Pour être intéressante, je dois me faire passer pour une gay. » (Karma s’adressant à sa meilleure amie Amy à qui elle force d’être en couple, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; etc.
En général, c’est une différence forcée, cinématographique, immatérielle, qui est recherchée par le héros homosexuel : « Jamais les femmes ordinaires ne donnent l’essor de notre imagination. Elles ne sortent pas de leur siècle. Aucune magie ne les transfigure. Rien en elles qui ne puisse pénétrer. Pas une qui soit mystérieuse. Toutes, elles ont le même sourire stéréotypé et les belles manières du jour. Elles sont claires et banales. Mais les actrices ! Oh ! Combien les actrices sont différentes ! » (Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, pp. 72-73) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] disait à son père combien elle souhaitait être différente, combien elle désirait être quelqu’un comme Nelson. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 36) ; etc. Je vous renvoie au code « Super-héros » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
Au départ, la croyance en une différence homosexuelle – plus ou moins calculée, d’ailleurs – sert d’alibi tacite à la drague. Elle circonscrit un territoire, le territoire de la pulsion narcissique : « [Il y avait également] des jeunes gens comme moi, amoureux fous de l’opéra, conscients ou non de leur différence, qui scrutaient chaque nouveau visage, beau ou laid, se présentant aux doubles portes d’entrée, à la recherche d’un signe de reconnaissance, d’un regard un tant soit peu insistant, peut-être même d’un sourire. Je tombais moi-même amoureux aux trente secondes, convaincu que tel ou tel spectateur regardait dans ma direction, plantait son regard dans le mien, hésitait à m’aborder. » (le narrateur homo humant l’ambiance de l’opéra de Montréal, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 43)
Mais en réalité, le sentiment de « différence » devient un prétexte à la misanthropie. « J’ai une différence que mon entourage vit de plus en plus mal. » (Laurent, le héros homosexuel du one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) Par exemple, au début du film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, Steven, le héros homosexuel, se démarque volontairement d’un groupe d’adolescents « cools » et « footeux » dans lequel il ne se reconnaît pas, parce qu’il ne veut surtout pas que les torchons et les serviettes se mélangent. Dans la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… » de Jann Halexander, le narrateur homosexuel dandy recherche « l’élégance du luxe de la Différence », car il ne se prend pas pour de la merde.
Dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, la réaction de Leo, l’un des héros homosexuels, illustre bien que la prétendue « différence homosexuelle » est une réalité fantasmée, le signe d’une relation sociale blessée et blessante, non-souhaitée : elle n’a rien d’individuel ni d’inné. Au départ, Leo présente sa singularité comme une nature : « Je sais bien que j’ai toujours été du côté de l’ombre, que je suis toujours resté en dehors. » (p. 30) Plus tard, le lecteur se rend finalement compte que chez lui, l’éloignement a été désiré, de son côté, par un consensus mou : « En fait, ce n’est pas juste parce que je n’ai pas été invité. Depuis toujours, je suis celui qu’on cache, celui qui est interdit de paraître. Je me suis accommodéde ce secret. J’ai même trouvé mon compte à cette dissimulation. Je n’ai pas eu le désir de les rencontrer… » (idem, p. 48)
Le fin mot de l’histoire, c’est que la différence semble davantage poser problème et orgueil au héros homosexuel lui-même qu’au reste de ses proches : « J’avoue aujourd’hui que je ne me suis jamais ressenti rejeté par aucun membre de ma famille à cause de ma différence. […] Le fait de mon homosexualité ne semblait absolument pas gêner ni choquer la nouvelle génération de la famille. Et sans exagérer, je pense être en mesure d’affirmer que ma différence ressemblait plutôt à un privilège. » (Ednan, le héros homosexuel, dans l’autobiographie romanesque Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 147).
c) Une sacralisation douteuse des Différences au détriment de LA Différence :
Dans les fictions traitant d’homosexualité, le mot « Différence » est souvent célébré en soi, mais peu explicité, et peu ramené à des faits ou des personnes réelles. Par exemple, dans la comédie musicale « Chantons dans le placard » (2011) de Michel Heim, il est question de la « fameuse différence » « Tous les chanteurs en vue se sont crus obligés de chanter la différence, la fameuse différence. » (Gérard) Mais on ne nous dit rien de celle-ci. Personne ne nous explique ce qu’il y a derrière ce masque… car on a sûrement trop peur de voir le néant ou les atteintes au Réel qu’il occulte !
Il faut se méfier, dans le discours de certains héros homosexuels, de la sacralisation de l’« Égalité » ou de la « Différence ». Ils applaudissent machinalement au mot « Différence », en tant que concept magique, mais non à la réalité de la différence. Ils applaudissent aux différences-annexes (telles que la différence de couleur de peau, de langues, d’éducation, de goûts, de cultures, de couleurs de cheveux, etc.) pour rejeter les différences fondamentales de l’existence humaine (la différence des sexes en priorité, mais aussi d’autres différences essentielles : l’identité, les relations humaines concrètes, la différence des espaces et la différence des générations, Dieu, etc.). Sigmund Freud a été bien inspiré de parler du « narcissisme des petites différences », car avec l’homosexualité, on se trouve en effet confrontés à un désir qui va se concentrer sur les petites différences superficielles pour ne pas considérer les grandes différences : « Vous n’aimez rien, ni personne, même cette différence que vous croyez vivre, vous ne l’aimez pas. Vous ne connaissez que la grâce du corps des morts, vos semblables. » (Marguerite Duras s’adressant aux personnes homosexuelles dans son roman La Maladie de la mort, 1982). Il ne suffit pas de se montrer ami de la différence (en tant que slogan publicitaire) pour la mettre en pratique : il faut aussi la reconnaître et ne pas considérer son accueil comme une évidence ou une démarche confortable (toute différence ou tout mélange n’est pas heureux en soi). Ou alors on devient inconsciemment un gros mouton. La recherche de la différence pour elle-même est en fin de compte un poncif réactionnaire, un conformisme, un refus de rentrer en relation avec les autres : « Je suis unetapette politiquement correcte, et moi j’t’emmerde. » (cf. la chanson « Politiquement correct » de Bénabar) ; « Augusten a toujours su qu’il était différent. Mais différent de qui, de quoi ? » (Augusten Burroughs, Courir avec des ciseaux, 2007) ; « De fait, on est différents. Mais c’est pas pour ça qu’on doit pas avoir les mêmes droits. On est un couple, Serge et moi. On a des sentiments qui sont exactement les mêmes que deux hétéros. » (Victor, le héros homosexuel Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc.
d) La « différence » = le viol
Le sentiment de différence qu’expérimente le héros homosexuel peut venir d’un viol réel, subi dans l’enfance ou plus tard à l’âge adulte, d’une mise à l’écart, d’un manque d’amour, d’un mépris social qui lui a donné la conviction d’être un mouton noir, un paria, un étranger à lui-même. « Je me sens si différent. Comme si avant, j’avais un corps mais j’étais pas dedans. » (Didier après son expérience homo, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia)
Parfois, il résulte tout bêtement d’un fantasme de viol. « J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. […] Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Ce désir de pénétrer et d’envahir la différence de l’autre ; de ne pas laisser la proie s’échapper. Car c’est elle, la proie, qui donne l’impression d’exister mieux. Elle est comme une extension de soi, un poids ajouté au sien. » (Adrien, le narrateur homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 51) ; etc.
En réalité, beaucoup de héros homosexuels n’aiment pas les différences de les avoir trop aimées, ou bien de s’être trompées sur leur compte, en s’imaginant naïvement qu’elles ne concernaient pas le Réel, ou qu’elles ne contrarieraient aucun de leurs petits désirs. Comme la réelle différence nous oblige toujours au renoncement, à l’écoute, au compromis, à l’ouverture coûteuse, elle est alors envisagée par eux comme une source de conflit, une terrible entorse à leur liberté, voire un viol. C’est ce qu’illustre clairement le syllogisme de Lourdes, l’héroïne de la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier : « Les différences = les conflits ; les conflits = les injustices ; les injustices = les guerres. »
Dans les fictions homosexuelles, la différence, c’est parfois le mot qui pourrait remplacer celui de « viol », de « peur » ou de « fantasme de viol ». C’est pourquoi elle peut être envisagée comme une maladie mortelle. « Moi qui me sentais différent, éloigné par d’imperceptibles divergences de la société, j’en conclus au moins que si différence il y avait, elle devait être plus viscérale. » (la voix narrative parlant de ses années collège, dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 19); « J’aimerais être un mec normal avec une queue normale et un père normal ! » (Adam, le héros homo, dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc. Par exemple, dans le vidéo-clip de sa chanson « Thriller », Michael Jackson, juste avant de se transformer en monstre devant sa petite copine qu’il est sur le point d’embrasser et qui va le faire entrer dans le mystère de la sexualité, essaie de la prévenir qu’il n’est pas normal, et même qu’il est dangereux : « Je voulais te dire que je suis différent… »
Le culte de la différence peut aller chez certains héros homosexuels jusqu’à la schizophrénie : « Oui, c’est ça dont on manque, de folie… de folles… Oui, c’est pour ça que moi je suis gay, voilà j’ai réussi à le prouver ! La folie, c’est la seule chose qui ne soit pas mondialisée. La folie c’est la véritable différence entre les gens, c’est la vérité. C’est quand on est fou qu’on est différent. La reine des folles, c’est moi ! Voilà ce qu’il nous faut : Une folle présidente ! » (le narrateur de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 101)
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Apple (so rainbow)
a) Je suis différent, un point c’est tout !
Très régulièrement, les personnes homosexuelles s’auto-persuadent de leur différence (homosexuelle) fondamentale : Je vous renvoie aux documentaires « Glamazon : A Different Kind Of Girl » (1993) de Rico Martinez, « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar, etc. Déjà, en 1919, Magnus Hirschfeld réalisait avec Richard Oswald le premier film homosexuel militant, dont le titre « Ander Als Die Andern »(« Différents des Autres ») était éloquent.
« Le facteur dominant de ma vie, celui qui dépasse tous les autres en importance, est constitué par la conscience d’être différent. » (Donald Webster Cory cité dans l’essai Les Homosexuels (1973) d’André Baudry et Marc Daniel, p. 85) ; « J’ai su très tôt que j’étais différente. » (Claire, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; « Malgré tout, j’étais un petit gars souriant. Je le vois sur les photos. Mais, en dedans, je me sentais tout mal. J’avais comme deux personnalités. À l’extérieur, j’étais un bon petit gars rangé, bon en classe. En dedans de moi, je me sentais différent des autres. J’avais des inquiétudes. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons(2008) de Michel Dorais, p. 246) ; « Le jour où on découvre qu’on aime les garçons, on a l’impression de ne pas être normal. » (Sacha, jeune Allemand homo, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; « Accepté certes, intégré, aimé par ma famille, mes amis –, mais différent. » (Bertrand Delanoë, La Vie, passionnément (2004), p. 14) ; « Je sais juste que dès l’enfance je me suis senti différent de mes frères et sœurs. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 94) ; « J’ai compris au collège que j’étais différent. » (Patrick Blosch, témoignant lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », organisé dans la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris, le samedi 10 octobre 2009) ; « J’ai déjà dit plus haut combien je me sentais différente de mes camarades de classe. […] Et j’en arrivais à me demander quelquefois si je n’étais pas un monstre. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 75) ; « Aujourd’hui encore à Belgrade, des gens se font frapper parce qu’ils sont différents. » (Phrase du générique final du film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) ; « Tout le monde voulait nous casser la gueule à partir du moment où on était différents. » (Didier Lestrade racontant le climat des lieux de drague homo parisiens avant les années 1980, dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco) ; « Toute petite, déjà, j’étais différente. Je ne pouvais pas mettre de mots dessus mais je sentais que je n’étais pas comme les autres. J’étais un garçon manqué. Et cette absence de conformité contrariait beaucoup ma mère. » (Karla Jay, vétérane lesbienne, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc.
Par exemple, dans son autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004), Alexandre Delmar parle du « sentiment indéfinissable d’être différent des autres » (p. 64) qu’il a ressenti dans sa jeunesse : il ne l’a visiblement pas bien vécu : « Pourquoi je ne suis pas comme eux ? » (idem, p. 28) Le réalisateur François Zabaleta présente son docu-fiction « N’importe où hors du monde » (2012) comme un retour sur l’éclosion du « sentiment de la différence chez un enfant de 8 ans ».
b) Une différence si « naturelle » ? Une réelle fatalité ?
On se rend compte au fur et à mesure que la différence que les personnes homosexuelles présentent comme une essence « naturelle » et « imposée », est une impression très subjective et égocentrée, un orgueil travaillé, un esthétisme recherché : « Tout le monde se moquait de moi, même ma famille ; après je me suis habitué et j’en ai fait mon avantage et ma différence. » (Quentin Crisp cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 151) ; « J’avais, d’une certaine façon, décidé de ne pas être conformiste et j’avais réussi, d’une manière ou d’une autre, à le faire accepter. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 124) ; etc.
Le sentiment de différence, c’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf : on ne sait pas qui a commencé, et c’est bien logique puisqu’une peur a à la fois une origine et aucune origine. « J’ai ressenti que j’étais différent vers 6-7 ans. Et cette différence, on me la faisait ressentir. » (Yann, l’un des témoins homosexuels du documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Il n’y a rien de pire pour un enfant qu’être différent. Les gosses sont obsédés par l’uniformité, pas une mèche ne doit dépasser. […] C’est tellement dur à affronter lorsque vous recevez cette gifle en pleine figure… ce message qui signifie au fond : tu es différent donc on ne veut pas de toi dans notre monde. Ce rejet terrifiant, alors que nous sommes tous des animaux sociaux qui n’avons qu’une seule envie : aller vers l’autre et se ressembler. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, Éd. Broché, Paris, p. 19). Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Vincent Guillot, militant intersexe, a de la révolte en lui : « Le médecin m’a dit : ‘T’es un mutant, t’auras jamais d’enfant, tu seras toujours différent des autres.’ »
Le sentiment de « différence » devient un prétexte à la misanthropie : « L’homosexualité, c’est vivre à côté de… être différent des autres. » (Patrice Chéreau cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 127) ; « Je me suis toujours senti un peu à part… » (Jean Guidoni interviewé par le magazine Rebel en septembre 1993) ; « J’ai toujours su que je n’étais pas dans la norme. » (Jean-Luc Romero, On m’a volé ma vérité (2001), p. 27) ; « Dans toutes les situations, je fus toujours pour tous un intrus. » (Fernando Pessoa dans le documentaire « Pessoa l’Inquiéteur » (1990) de Jean Lefaux) ; « L’homosexualité n’est pas une marque de différenciation par rapport aux autres, mais plutôt le signe d’une opposition radicale aux autres. » (Benedetti Carla cité dans l’article « Pier Paolo Pasolini » de Gian-Luigi Simonetti, sur le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 305) ; etc.
La croyance aveugle en sa différence fondamentale peut aussi être également approfondie par la construction d’un couple, ou par l’amant homosexuel qui cherche à flatter son partenaire sur son/leur exceptionnalité, pour mieux le posséder et l’isoler. Par ailleurs, l’obsession de la différence chez les personnes homosexuelles dit également l’angoisse de l’indifférenciation (inconsciente) qui se vit au sein même du couple homo.
Le fin mot de l’histoire, c’est que la Différence et les différences semblent davantage poser problème et orgueil aux personnes homosexuelles elles-mêmes qu’au reste de leurs proches. En effet, en les écoutant, on découvre que leur fameux sentiment de différence RADICALE avec les autres vient le plus souvent d’une comparaison excessive aux modèles de magazine et de cinéma, et non d’abord de leur relation concrète ou de la comparaison positive avec leurs pairs sexués de chair et de sang. À mon avis, la « différence » (homosexuelle) en question, dont elles font tant cas, mériterait de s’appeler en ce qui les concerne « confusion du Réel avec la fiction » : « Je sais que, assez petite, vers l’âge de 7 ans, 8 ans, j’ai eu conscience que j’étais une femme, mais en même temps assez libre d’être une femme différente des stéréotypes et de ce que j’avais remarqué les femmes être en général. » (Lidwine, une femme lesbienne de 50 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 64) ; « J’avais l’impression que d’être homosexuel faisait de moi un sous-homme. C’est pour ça que j’ai longtemps été mal parce que je courais après une espèce d’image masculine, qui est un archétype social, mais qui n’est pas une réalité en définitive. Je courais après ça… et moi, je suis pas comme ça. » (Olivier dans l’émission « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « J’ai su très tôt que je n’étais pas semblable aux autres. J’ai le souvenir très précis d’une fête foraine où m’avaient emmené mes parents. La mode de l’époque condamnait les hommes à porter des pantalons moulants à pattes-d’éléphant, surmontés de chemises en satin de couleurs criardes, aux grands cols larges en pelle à tarte, de préférence ouvertes sur le torse si le temps était clément. J’avais six ans à peine et j’étais autant fasciné par les jeux de la fête foraine auxquels je pouvais participer que par la présence autour de moi de ces adultes habillés à la mode. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 23-24)
c) Une sacralisation douteuse des Différences au détriment de LA Différence :
Ce qui est paradoxal dans le rejet homosexuel de la différence, c’est que la plupart des individus homosexuels sont au demeurant des passionnés d’altérité et des différences en général. Par exemple, Jean-Paul Sartre, dans Saint Genet (1952), a évoqué chez l’écrivain Jean Genet cette fascination quasi obsessionnelle pour l’altérité : « Étranger à lui-même, il ne peut aimer qu’un Autre-que-soi, car c’est lui-même dans son absolue altérité qu’il aime sous les espèces de l’autre. » (p. 109) ; « Il se fascine sur l’Autre et fuit sa propre conscience de soi. » (idem, p. 169) ; etc.
« What a difference a Gay makes »
Le Dieu « Différence » trône sur l’autel interlope (cf. Sacrée Différence (1995) d’Henri Chapier). Une différence désincarnée et poétique est chantée : « J’entreprends de raconter l’histoire de la perpétuelle différence ; plus précisément, de raconter l’histoire des idées comme l’ensemble des formes spécifiées et descriptives de la non-identité. »(Michel Foucault, Dits et Écrits I, 1954-1988 (2001), p. 712) ; « Pour libérer la différence, il nous faut une pensée sans contradiction, sans dialectique, sans négation : une pensée qui dise oui à la divergence ; une pensée affirmative dont l’instrument est la disjonction ; une pensée du multiple – de la multiplicité dispersée et nomade qui ne limite et ne regroupe aucune des contraintes du même ; une pensée qui n’obéit pas au modèle scolaire (qui truque la réponse toute faite), mais qui s’adresse à d’insolubles problèmes ; c’est-à-dire à une multiplicité de points remarquables qui se déplace à mesure qu’on en distingue les conditions et qui insiste, subsiste dans un jeu de répétitions. » (idem, p. 958)
L’embellissement de la différence cache bien souvent un déni de celle-ci. Dans son essai Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), René Girard explique bien que l’homosexualité est « ce mimétisme qui efface d’autant mieux les différences qu’il les recherche plus avidement. Contrairement à ce que veut la théorie du narcissisme, le désir n’aspire jamais à ce qui lui ressemble ; c’est toujours ce qu’il imagine de plus irréductiblement autre qu’il recherche et si, dans l’homosexualité, paradoxalement, c’est dans le même sexe qu’il le recherche, ce n’est jamais là qu’un autre exemple de ce résultat paradoxal qui caractérise le désir mimétique d’un bout à l’autre de sa course : plus le désir cherche le différent, plu il tombe sur le même. » (p. 471) Par exemple, Lara Fabian, dans sa chanson gay friendly « La Différence » couronnant l’amour homosexuel, nous raconte l’histoire de « l’exceptionnelle différence »… pour ensuite conclure qu’elle n’existe pas : « La différence, quand on y pense… Mais quelle différence ? » Dans le journal Le Monde.fr du 24 octobre 2011, Caroline de Haas prône « l’indifférence à la différence ».
La demande du « droit à la différence » et du « droit à l’indifférence », qu’on entend régulièrement de la part des membres de la communauté homosexuelles, est une variante du conformisme individualiste : on prône les « vertus de la banalité » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 179) et on souhaite « être comme les autres sur un pied d’égalité, et trouver une place confortable dans la société » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 676).
Il faut se méfier, dans le discours de certains militants homosexuels actuels, de la sacralisation de l’« Égalité » ou de la « Différence ». Ils applaudissent machinalement au mot « Différence », en tant que concept magique, mais non à la réalité de la différence. « Je suis très fière de ma nature. Pas seulement pour mon physique. Mais seulement pour cette différence. » (Barbara, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut) Ils applaudissent aux différences-annexes (telles que la différence de couleur de peau, de langues, d’éducation, de goûts, de cultures, de croyances, de couleurs de cheveux, etc.) pour rejeter les différences fondamentales de l’existence humaine (la différence des sexes en priorité, mais aussi d’autres différences essentielles : l’identité, les relations humaines concrètes, la différence des espaces et la différence des générations, Dieu, etc.). Sigmund Freud a été bien inspiré de parler du « narcissisme des petites différences », car avec l’homosexualité, on se trouve en effet confrontés à un désir qui va se concentrer sur les petites différences superficielles pour ne pas considérer les grandes différences. Il ne suffit pas de se montrer ami de la différence (le monde publicitaire nous apprend depuis longtemps à le faire) : il faut aussi la reconnaître et ne pas considérer son accueil comme une évidence ou une démarche confortable (toute différence ou tout mélange n’est pas heureux en soi ; il bouscule, responsabilise et exige des efforts de part et d’autre). Pareil pour l’égalité : elle n’est pas vraie pour tout (nous ne sommes pas égaux du simple fait de le vouloir ; de plus, comme les êtres humains sont différents, ils ne sont pas égaux en tout, heureusement !) et n’est pas souhaitable pour tout (on peut être égaux dans la connerie : cela ne nous rendra pas plus intelligents !). Une certaine défense arbitraire des différences et de l’égalité peut provoquer des inégalités et générer des violences réelles, des attaques hétérophobes et homophobes à la fois. Par exemple, à force de vouloir à tout prix, pour reprendre les termes de Bertrand Delanoë, «marteler que la diversité est une source inépuisable d’enrichissement collectif » (Bertrand Delanoë dans l’introduction du Dictionnaire de l’homophobie (2003) écrit par Louis-Georges Tin, p. 7), la communauté homosexuelle en oublie parfois que seuls le respect et la douceur peuvent laisser aux différences reconnues leur espace d’expression et d’existence. L’accueil des différences, la promotion de la diversité : très bien. Mais à une condition : que soient respectées ces deux notions fondamentales de la Réalité qui lui sont concomitantes : l’unité et l’identité. Sinon, la défense totalitaire des différences nous entraîne vers l’uniformité, paradoxalement au nom de la lutte contre l’uniformel par la vénération poétique de différences abstraites. Nous ne reconnaissons rien et n’unissons rien si nous ne dissocions pas. Par l’emploi du terme flou d’« égalité » (mot absolutisé par les militants homosexuels qui nous parlent souvent d’« égalité totale », « absolue », « pleine »), on remarque une confusion récurrente et dangereuses entre la notion d’« égalité de droits » (légitime à demander, comme nous l’apprennent les Droits de l’Homme) et celle d’« égalité des identités » (illégitime puisque nous sommes chacun et chacune uniques, différents, et n’avons pas les mêmes besoins). C’est ce qui explique que Xavier Lacroix définisse à juste raison l’argument de l’égalité, devenu la marotte du militantisme homosexuel actuel, comme un « rouleau compresseur », un disque uniformisant et diabolisant la légitime hiérarchisation induite par nos préférences et nos distinctes réalités/besoins.
La quête effrénée d’originalité dans l’acte ou l’identité homosexuel(-le) est au fond une hétérophobie, dans le sens propre du terme « hétérophobie » (= phobie de l’altérité) : « Est-ce l’homophobie qui empêche les couples d’homosexuels de devenir des parents ‘à part entière’ ? N’y aurait-il pas plutôt dans nos sociétés une espèce d’hétérophobie, au sens de la haine de la différence ? » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 15) Je crois aussi qu’il y a au cœur de notre société gay friendly une véritable idolâtrie pour toutes les altérités (surtout les petites altérités narcissiques, qui ne sont pas fondatrices de l’Humanité, au détriment des grandes : l’altérité des sexes, des générations, des espaces, et divine), une folie pour l’hétérosexualité.
En général, les personnes homosexuelles qui chantent les bienfaits de la différence, qui se grisent de la marginalité « incorrecte » et « originale » que leur procurerait leur statut « d’ » homosexuels, finissent par avouer ce que l’on sait déjà depuis longtemps : qu’il n’y a pas de bonheur viable et durable dans la marginalité et l’isolement. « On est marginal, on est différent. Mais parfois, c’est pesant. On a envie d’appartenir à quelqu’un. » (la femme trans F to M dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)
d) La « différence » = le viol
Le sentiment de différence qu’expérimentent beaucoup de personnes homosexuelles peut provenir d’un viol réel, subi dans l’enfance ou plus tard à l’âge adulte, d’une mise à l’écart, d’un manque d’amour, d’un mépris social qui leur a donné la conviction d’être des moutons noirs, des parias. Il résonne comme un cri de ne pas avoir été reconnu comme unique… ou, ce qui revient au même, comme quelqu’un de trop différent ou de « pas assez différent ».
Le culte de la différence peut aller chez elles jusqu’à la schizophrénie : « Vers l’âge de neuf, dix ans, je me suis mis à organiser des émissions fictives de radio et de télévision. Je me prenais pour un animateur […].Je me prêtais différentes personnalités pour composer mon personnage. Avec une constante : je portais un nom féminin et je parlais, grammaticalement, comme si j’étais une femme. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 28)
Parfois, il résulte tout bêtement d’un fantasme de viol. En réalité, certains sujets homosexuels n’aiment pas les différences de les avoir trop aimées, ou bien de s’être trompés sur leur compte, en s’imaginant naïvement qu’elles ne concernaient pas le Réel, ou qu’elles ne contrarieraient aucun de leurs petits désirs. Comme la réelle différence nous oblige toujours au renoncement, à l’écoute, au compromis, à l’ouverture coûteuse, au partage, elle est alors envisagée par eux comme une source de conflit, une terrible entorse à leur liberté, voire un viol. Ils la grossissent pour se faire plaindre, ou pour cacher qu’ils diabolisent leur propre homosexualité/différence. « J’aimais mieux me faire pointer du doigt comme drogué que comme gai. Les soirées de famille, les mariages, les sorties, tout ça me rappelait que je n’étais pas comme les autres. » (un témoin homosexuel dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 74) L’homosexualité, je le crois, dit une véritable crise de la différence… crise qui se traduit socialement par une surenchère babélique des différences extérieures et subjectives (on met tout au pluriel, on parle d’une infinité de genreS), et par un déni des différences intérieures et objectives (offertes par le Réel et l’Amour).
L’acte homosexuel, qui est posé au nom du respect de la différence, signe pourtant concrètement « le déni de la différence la plus universelle et la plus lourde de conséquence : la différence des sexes, sous-tendant le déni de la différence entre la vie et la mort » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 135). C’est la raison pour laquelle le coming out et le « couple » homo, loin de libérer, enferment encore plus la personne dans la confusion identitaire et amoureuse : « Ce n’est pas facile de se considérer pas comme les autres. » (Brahim Naït-Balk dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt)
Planche « Miroir » de copi, dans la B.D. « Le Monde fantastique des Gays » (… où comment la recherche excessive de la « différence homosexuelle » se retourne en homophobie)
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L’homosexualité est à la différence des sexes ce que le racisme ou le déni de la réalité des races est à la différence des espaces : une honte de soi et des autres, un refus de nos limites et des différences à force de sublimer celles-ci. Tout ça sublimé par un semblant de militantisme LGBT anti-homophobie et anti-racisme.
Publicité parfum de Jean-Paul Gaultier
Bien des personnages homosexuels de fictions traitant d’homosexualité expriment le souhait d’être à eux seuls la synthèse raciale de l’Homme blanc et de l’Homme noir, l’allégorie séduisante et humaniste du Métissage. Ils traduisent généralement une fuite du Réel, un désir de toute-puissance, et un élan de fusion mi-aimant mi-violent, présents chez certaines personnes homosexuelles réelles qui, à force de sacraliser les individus de la race supposée « totalement opposée » à la leur, finissent par les mépriser et par chercher à leur dérober leur place de puissants/victimes.
À l’heure actuelle, on assiste effectivement à un revival néo-colonialiste via l’homosexualité, revival dont Noirs comme Blancs sont complices.
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
Vidéo-clip « United Colours Of Bande de Cons » de la chanson « Lo Mejor De Mi Vida Eres Tu » de Ricky Martin
Certaines personnes homosexuelles ont un rapport mi-passionnel mi-méprisant à la négritude. Non seulement elles adorent les Noirs, et surtout leurs images, mais en plus, elles prétendent les avoir absorbés. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre elles se revendiquent colored men alors qu’elles sont pourtant nées blanches. « Dieu est une lesbienne noire » pouvons-nous lire encore aujourd’hui sur les pancartes de certaines Gay Pride. Dans les années 1970 aux États-Unis, prétendre qu’on aime les Noirs ou qu’on est homosexuel, cela revient souvent au même : le slogan « Gay Power ! »se marie très bien avec la défense du Girl Power et du Black Power. Plus qu’une histoire de race précise, le désir homosexuel fait vouloir changer radicalement de peau : par exemple, James Baldwin, Bill T. Jones, ou Michael Jackson, qui sont Noirs, rêvent de devenir Blancs. Ce qui au départ se présente comme un métissage plutôt rigolo vire souvent au racisme primaire et à la haine de sa propre race. Beaucoup de personnes homosexuelles s’approprient des combats pour l’égalité des races et de sexes qui ne sont pas exactement les leurs, tout cela pour légitimer leurs propres intérêts particuliers. Elles ne supportent pas leur propre couleur de peau et prétendent très sérieusement qu’elles sont de la race de ceux qu’elles considèrent faire partie de la « race maudite » ou de la « race bénie ». « Je ne suis pas des vôtres, je suis éternellement de la race inférieure, je suis une bête, un nègre. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1972), p. 125 et p. 329)
Photographie par Robert Mapplethorpe
La demande d’inversion entre le masque du Noir et celui du Blanc n’a rien de révolutionnaire, d’émouvant, ou de comique, puisque les différences de couleurs de peau sont des réalités. Au contraire, elle est réactionnaire et eugéniste. Au Noir réel, certaines personnes homosexuelles lui préfèrent ce qu’il représente pour elles. À leurs yeux, il ne suffit pas qu’il ait la peau noire pour être Noir. Il faut qu’il traîne avec lui l’image stéréotypée et misérabiliste qu’elles s’en font : « Pour moi, l’Afrique, c’est une découverte essentielle ! Parce que c’est un continent perdu. Absolument condamné. Je n’écrirais pas s’il n’y avait pas ça. » (Bernard-Marie Koltès cité sur l’article « Bernard-Marie Koltès » de Jean-Philippe Renouard, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 277) Elles demandent au Noir de coller en acte, en identité et en mode de vie, à son étiquette médiatico-romantique. « Cultive (l’image de) ta différence ! » serait l’ordre qui lui est implicitement donné. C’est pour cette raison que Jean Genet dit qu’« il faut que les Nègres se nègrent », tout comme Michel Foucault soutient que les personnes homosexuelles doivent « s’acharner à être gay » (Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie » (1981), dans Dits et Écrits II,p. 982). La communauté homosexuelle n’est pas vraiment attachée aux Noirs mais à un « certain Noir », c’est-à-dire à une allégorie exotique de négritude qui lui barre l’accès au vrai Noir. « Ce que nous aimons, c’est toujours un certain mulâtre, une certaine mulâtresse. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, op. cit., p. 377) C’est parce que le Noir ne correspond pas parfaitement à son image d’Épinal que certaines personnes homosexuelles finissent, comme Duane Michals, par le traiter intérieurement de « vilain ».
La majorité d’entre elles aiment le Noir dans la mesure où il peut les transformer en Hommes maudits. Elles adoptent une curieuse philosophie du métissage puisqu’elles l’associent souvent à l’union sadomasochiste ou bien à la féminité diabolique. C’est la raison pour laquelle, dans leurs films, et parfois dans la réalité concrète, la race noire et la race blanche ne s’unissent que dans la prostitution, l’adversité, ou la mort. Le fantasme homosexuel par excellence semble être de vivre une sorte d’apartheid à distance. Un monstrueux « black or white » digne de Michael Jackson.
Ce qui me semble éthiquement malhonnête dans cette histoire, c’est de faire croire que la différence de couleurs de peau est de la même importance, et de même nature que la différence des sexes, qui elle, concerne la Vie. On peut être de race noire ou de race blanche, cela ne change rien à notre dignité humaine commune, et cela n’a pas d’incidence sur la vie d’un être humain. En revanche, la différence des sexes, quant à elle, est LE facteur déterminant de notre présence sur Terre (… en plus de l’existence de Dieu). Dans le cadre des revendications des « droits des homos » dans lesquelles le respect des Noirs est placé au diapason des revendications d’ordre sexuel, on se sert d’une différence physique qui n’a pas d’enjeu sur la Vie, qui n’est qu’une valeur ajoutée à la Vie, pour la mettre sur le même plan anthropologique que la différence des sexes, et ainsi mieux nier cette dernière… voire même la différence des espaces du coup, car je ne suis pas sûr qu’à trop vouloir se servir de la race noire comme faire-valoir d’un métissage bisexuel universel, on la respecte vraiment.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
Le mixage fusionnel des couleurs de peau noire et blanche est traité dans beaucoup d’œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité : c’est le cas de la chanson « Black Or White » de Michael Jackson, la chanson « Soy De La Raza Calé » de Miguel Frías Molina, le film « Black Mama, White Mama » (1972) d’Eddie Romero, le film « Black And White » (2000) de James Toback, le film « Madagascar Skin » (1995) de Chris Newby, le film « Frantz Fanon, peau noire masque blanc » (1996) d’Isaac Julien, le film « Noir et Blanc » (1986) de Claire Devers, la chanson « Je voudrais être blanche » de Joséphine Baker, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters (on y voit une pancarte « Black and White Unite »), l’affiche du spectacle Calamity Jane : Lettres à sa fille (2009) de Dominique Birien (avec le cheval blanc et le cheval noir), le tableau La Blanche et la Noire (1913) de Félix Valotton, le vidéo-clip de la chanson « Lo Mejor De Mi Vida Eres Tú » de Ricky Martin, la série Orange Is The New Black (2013) de Jenji Kohan, le vidéo-clip de la chanson « How Well I Know » de Whitney Houston, la chanson « Clairvoyant » de Nakhane, la chanson « Oh Lord » d’Aude Henneville, etc.
Tableau « La Blanche et la Noire » de Félix Valotton
Certaines créations artistiques racontent la rencontre amoureuse entre un Blanc et un amant Noir, dessinent en quelque sorte les « Couleurs de l’Amour » : cf. le film « Children Of God » (2010) de Kareem Mortimer (avec Roméo, un beau jeune homme noir, et son copain le blondinet Johnny), le vidéo-clip de la chanson « Les Mots » de Mylène Farmer et Seal, la B.D. Pressions & Impressions (2007) de Didier Eberlé (avec Clotilde et sa compagne noire), le film « Loin du Paradis » (2002) de Todd Haynes, le film « The Watermelon Woman » (1996) de Cheryl Dunye, la série nord-américaine Six Feet Under (David, le cadet de la famille est en couple avec un Noir), le film « The Family Stone » (« Esprit de famille », 2005) de Thomas Bezucha (dans lequel Ben a un copain noir), le film « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier (avec le couple homo Claude Rich/Dieudonné), le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie MacDonald (notamment avec la danse saphique finale entre la mère blanche de Jamie et la voisine noire Leah), le roman Un Amor Fora Ciutat (1959) de Manuel de Pedrolo (avec Miquel, l’amant noir), etc.
Certains personnages changent magiquement de couleur : « Il n’est plus un serviteur blanc. Il est devenu un serviteur noir. » (Khalid en parlant d’un domestique noir du Roi Hassan II, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 14) ; « Ainsi, d’individu de couleur, je devins blanc. » (Pretorius dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Sa vue se brouillait. Il tenta de fixer son regard sur Lacour-Farotte. Ce n’était plus le Président qui s’exprimait mais un masque africain, primitif et impressionnant, qui grimaçait, posé sur le corps de Lacour-Farotte. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 241) ; « Il éteignit la lumière, puis tenta de faire une mise au point sur la fenêtre d’en face. […] Il lâcha les jumelles. Il les ramassa et regarda de nouveau. Dans une pièce aux murs couverts de masques africains, Martine Van Decker, immobile, murmurait d’interminables borborygmes en l’observant. » (idem, p. 248) ; « Je m’appelle Jamie Mitchell. J’étais un enfant acteur. Je jouais dans une séré télé, One of the Family. Vous avez déjà vu l’épisode où un riche couple de Noirs adopte un petit prolo blanc à qui ils cachent qu’il est blanc ? [Il se lève pour interpréter à nouveau son rôle de faux Noir] ‘Je suis albinos !!!’. » (Jamie avec son amant Jamie pendant la consultation devant la psy, dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell) ; « La vie est bien étrange. J’ai connu cette fille rue du docteur blanche, une peau noire qui brille. » (cf. le poème « Noire et Blanche » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, p. 35) ; « Je t’adore, ma beauté nègre. » (Prior à son amant blanc, dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « George Washington était une lesbienne noire. » (le professeur d’histoire souhaitant une grande liberté de ton dans ses cours, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; etc.
Tableau de Michel Giliberti
Le personnage homosexuel blanc exprime le désir d’être Noir : « Un lien entre nous deux, nos origines, existait quelque part dans ce monde, sur cette terre. Un lien où son sang rejoignait le mien, où ma peau et la sienne n’en faisaient qu’une. Une peau noire, forcément. Contrairement à tant d’autres au Maroc, les Noirs ne me dérangeaient pas. » (Omar, le héros homo parlant d’Hadda sa bonne/mère noire, le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 79-80) ; « Je suis l’Afrique où seule la chair déborde. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je ne suis pas blanc ! » (Johnny, le héros homosexuel blanc s’adressant à son copain noir-ébène Romeo qui le traite de « Blanc maigre », dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; « Avant, sur Terre, on était tous des Re-nois. » (Steeve, l’un des héros homos – le Blanc – dans la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays) ; « Le Jésus noir est beaucoup plus sexy que le Jésus blanc. » (Lily s’adressant à Éric le héros homo noir possédant un cadre du Christ noir au-dessus de son lit, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc. Il est fréquent de voir des personnages homosexuels blancs s’arranger physiquement pour ressembler à des Noirs : par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense de Copi (mise en scène en 2010 de Florian Pautasso et Maya Peillon), les comédiens s’enduisent de maquillage noir. Dans le film « L’Orpheline » (2011) de Jacques Richard, Eléonore, manchote, va se faire greffer un bras de Noire. Dans le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache, la chanson « Tout doucement » de Bibi est play-backée par un travesti blanc. Dans la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas, Billy est décrit comme un Blanc « noir », un « fils du blues », un « Noir américain passé au Décap’Four ». Dans l’adaptation théâtrale d’Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud, par Nâzim Boudjenah en 2008, le protagoniste se peint en noir, et proclame fièrement : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » Il se considère même comme plus Noir que les vrais Noirs : « Je suis une bête, un Nègre. […] Vous, vous êtes de faux Nègres ! » Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas, l’un des deux héros homos (blancs), porte un tablier de cuisine représentant un corps nu et musclé d’un homme noir. Quand il s’absente, son copain François l’enfile également. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’entend dire : « Vous êtes comme un Nègre. » ; et affirme ensuite : « Je pense que je suis Noir, en plus de Juif. » Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John, le héros homo, interprète dans la série Hellsome High le personnage d’Adam White qui, pour disparaître de la série, est envoyé par les scénaristes en voyage spirituel en Afrique.
Dans son one-woman-show Chatons violents (2015) d’Océane Rose-Marie, Océane, l’héroïne lesbienne bobo blanche, va visiter l’exposition Exhibit B à Paris, expo réalisée en 2014 par un artiste blanc sud-africain mettant des noirs en cages pour symboliser et soi-disant « dénoncer » le racisme… mais sans comprendre que son mimétisme du racisme est en réalité un nouveau racisme puisqu’il a simulé un « zoo humain » avec des vraies personnes noires dedans. Plus tard, quand Océane raconte les années scolaires dures où elle se sentait étrangère aux autres parce que lesbienne, il déclare : « Mon adolescence : un Grand Moment de Solitude. J’étais la Renoi du lycée. »
À l’inverse, du Noir vers le Blanc, ça marche aussi ! Le personnage homosexuel noir se grime en Blanc, se blanchit la peau. « C’était mon rôle! » (une femme noire jalousant le chanteur gay blanc présent sur scène, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Quelle chance, mon amour ! Il est blanc ? » (China s’adressant à Rogelio au moment de la naissance de leur fils, dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1992) de Copi ; « Archiblanc ! » lui répond Rogelio) ; « Me mange pas. Tu vas être malade. » (Shirley Souagnon se décrivant comme un « yaourt périmé » face aux hommes, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « J’vais t’en faire bouffer, du produit blanchissant, tu vas voir ! » (Laurent Spielvogel imitant Marie-Louise la femme de ménage noire lesbienne en parlant de lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.
Par exemple, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, l’homosexuel noir s’applique un « maquillage pour peau exotique ». Leah, la Noire du film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald, porte des masques de beauté blancs pour ressembler à une actrice blanche. Dans le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, Omar, le Pakistanais noir, monte une blanchisserie. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Ruzy, le footballeur d’origine africaine noire, nie qu’il soit Noir : il soutient qu’il est Brésilien. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, l’hétérosexualité est associée à la race blanche, et l’homosexualité à (la marginalité de) la race noire. En effet, Bernard, le héros homo, raconte son seul et premier vrai émoi homosexuel pour Peter, un jeune homme blanc bourgeois chez qui il servait : « Il ne m’a jamais remarqué. Et il est hétéro… » Dans le vidéo-clip de la chanson « Symphony » (2017) de Clean Bandit, le couple homo formé par deux Noirs fait de la peinture blanche et s’en badigeonne un peu le visage. Se peindre en blanc semble ici signifier « s’homosexualiser » et revêtir sur sa peau noir le sentimentalisme occidental, les bons sentiments des Blancs transposés sur les Noirs.
Le personnage homosexuel noir exprime parfois le désir d’être Blanc : cf. le film « J’aimerais, j’aimerais… ou la triste histoire d’Antoine Blanchard » (2006) de Jann Halexander.
« Je suis un Blanc-Noir » est exactement le discours du prostitué (celui qui joue au Blanc tout en souhaitant garder son charme exotique de Noir, son identité vengeresse d’autochtone anti-Occidentaux) : « Mon amour pour votre nation / se fait par ma prostitution / Je prends des Blancs de classe moyenne / Question d’amour et d’argent, Maman / Et le luxe est mon meilleur amant / C’est une question harassante, que l’or. » (cf. la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) L’homme noir se prend pour un caméléon, un Homme invisible sans couleur attitrée : « Ça va du noir jusqu’au très blanc. » (cf. la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… » de Jann Halexander) ; « Invisibles, c’est mieux de goûter au luxe de l’indifférence. » (idem) ; « Je suis une photographie en noir et blanc. » (cf. la chanson « Mélancolie toujours » de Jann Halexander) ; etc.
Film « The Watermelon Woman » de Cheryl Dunye
La croyance raciste qu’une race peut en contaminer une autre par fusion au point de dénaturer les deux couleurs de peau en même temps, dans l’amour comme dans la maladie, est parfois véhiculée. « C’est horrible d’avoir faim. Il y a des gens qui en deviennent tout blancs et qui meurent dans d’atroces souffrances. » (Kanojo, l’héroïne lesbienne noire, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Il aimait ce corps d’homme métis. […] Adrien eut le sentiment étrange de n’être pas le seul à aimer un pareil corps. Il éprouva même une certaine gêne à l’idée que son regard s’inscrivît dans une longue chaîne de regards portés sur l’homme ébène. Désirs de Blancs fascinés par la puissance du corps du Noir, au point de vouloir la lui dérober, la posséder pour eux. N’était-il pas dans son regard comme un fils de colon, fier de tenir pour lui ce corps endormi ? » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), pp. 50) ; etc.
Le mélange racial proposé à plus à voir avec la peinture qu’avec le sang (= le Réel), autrement dit avec l’ART d’inversion d’un apprenti sorcier plutôt qu’avec les réalités de la procréation, de la rencontre d’Amour effective, du métissage concret entre deux êtres humains différents et complémentaires : « Et si je mettais une cape en singe noir ? Le singe noir et le cygne blanc c’est très intéressant ensemble. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986), p. 260) ; « Tu t’es toujours demandé si les zèbres étaient blancs à rayures noires, ou noirs à rayures blanches. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 124) ; « Je suis un Nègre-Blanc qui se fait chier à bouffer du cirage. » (un personnage blanc de la pièce Le Cabaret des utopies (2008) du Groupe Incognito) ; etc.
La fusion entre le Blanc et le Noir exprime très souvent chez les héros homosexuels l’impression de ne pas exister, d’être invisible. « Moi, maintenant, dans l’obscurité, on me voit. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Je suis en noir et blanc toute la journée. » (le père Raymond gay friendly, avouant son « inhumanité », dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc. Par exemple, dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa, de race noire, dit qu’elle se fond dans le fond noir de la scène.
Quand le personnage homosexuel change de visage, cela indique en général un mensonge, une imposture anthropologique. Dans le film « Sexe, gombo et beurre » (2007) de Mahamat-Saleh Haroun, par exemple, Dany, l’homosexuel noir, doit se faire passer pour le papa blanc d’un « enfant café au lait ». Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, ce mélange dit la virtualité internétique entre les deux amants Simon (héros blanc) et Bram (héros noir juif). Bram arrive à se signaler amoureusement à son futur amant Simon grâce aux biscuits de la marque Oréo (face blanche, face noire). Et par ailleurs, Madame Albright, la prof de théâtre du lycée noire au nom de famille brillant, est lesbienne et « n’aime pas les hommes ». Dans la série Bref, mon frère est gay d’Anal +, le frère du héros lui roule sur le pied avec sa voiture, et met cela sur le dos de sa négritude alors qu’il est Blanc : « Désolé. Parfois, je conduis vraiment comme un Noir. »
Ce désir d’être Blanc-Noir renvoie également à une envie (typiquement bisexuelle/transsexuelle) d’incarner égocentriquement la différence des sexes, d’être Dieu tout seul. « Vincent McDoom, il est métisse : moitié homme, moitié femme. » (Anthony Kavanagh dans son one-man-show Anthony Kavanagh fait son coming out, 2010) ; « Moi, j’suis Africain. J’suis un Rasta-Blanc. » (le fumeur de bédault blanc et bisexuel dans la pièce Bang, Bang, (2009) des Lascars Gays) ; « Sera-t-il fille ou garçon ? Albinos ou maricón ? » (Ahmed en parlant de son fils arrivant au monde dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, p. 359) Dans la pièce La Pyramide (1975) de Copi (mise en scène par Adrien Utchanah en 2010), par exemple, le vendeur d’eau est déguisé en moitié-homme, moitié-femme, chacune des parties étant attribuée soit au maquillage noir, soit au maquillage noir.
Souvent, le personnage homosexuel prend la position de l’inter-racé, du marginal sans couleur de peau, situé dans un intermédiaire presque angélique. « Les Noirs, s’ils devenaient blonds, ça deviendrait plus correct. » (Arnold, l’un des héros homos de la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Depuis tu cueille les fleurs du mâle, heureux de vivre en diagonale comme un fou sur son jeu d’échecs. Allez savoir à quoi ça tient de naître noir, ou blond, ou brun, ou d’être gay. » (c.f. la chanson « À quoi ça tient » de Romain Didier). Il se comporte exactement comme la bourgeoise raciste ET anti-raciste de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier. Il est la figure par excellence de la haine de soi, celle qui nous fait désirer disparaître, être invisible. En effet, le transfert identitaire de races ne se fait pas sans violence. Par exemple, dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia, le travesti, se pique de jalousie pour Jenny, le trans noir, qui porte « sa » perruque blonde. Dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, David Bowie est retrouvé cramé dans sa machine à UV. Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel dit qu’il s’est lié d’amitié à l’école avec un certain Julien : « Un Africain blond aux yeux bleus, c’est bizarre, je vous l’accorde. »
Le souhait d’être un Blanc-Noir, de condenser en sa propre personne deux races physiquement très différentes, d’incarner solitairement le métissage (alors que celui-ci n’est beau que s’il est le fruit d’un partage d’amour entre deux personnes distinctes), traduit souvent une schizophrénie : je pense par exemple à Nina, l’héroïne lesbienne du film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, qui est mi-ange mi-démon, mi-cygne blanc, mi-cygne noir, et qui résout cette dualité dans la mort. « Si le noir et blanc me fait frissonner, c’est la couleur qui me fait peur. C’est grave Docteur ? » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012)
Avoir la peau blanche, ou bien la peau noire, on le voit bien, n’est pas en soi le vrai problème. Ce qui est réellement violent, c’est le désir de changer de peau, de se désincarner, de se déshumaniser, c’est la haine de soi donnant envie au personnage homosexuel de devenir quelqu’un d’autre. Dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, Hadda, la servante noire, souhaite changer de race en couchant avec Sidi, son maître blanc : « Laisse-moi faire revenir mon corps au centre de mon monde. Au contact de la peau blanche de Sidi Hamid. […] Mon corps, il m’a trahie. » (p. 197) On comprend que cette démarche, même si elle est présentée comme de l’Amour, traduit en toile de fond une honte existentielle. Le désir de devenir Blanc/Noir est la marque du viol, ou bien d’un désir de viol, qu’il soit exprimé par la victime ou par le bourreau : « Petit Maître m’a violenté. Nègre Blanc, il m’appelle Nègre Blanc. » (l’homo noir de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel)
Par exemple, dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander, le métissage de la race blanche et de la race noire est vu comme une monstruosité : « Les métisses, c’est des bâtards. » ; « Chapitre III : Vaguement noir, vaguement blanc » On y entend à la fois un racisme anti-Noirs voilé, et surtout un racisme anti-Blancs qui sera amorti par la promotion d’une bisexualité matinée de lutte contre l’homophobie.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Film « The Reception » de John G. Young
Je vous renvoie à la biographie Un Rajah blancà Bornéo (2002) de Nigel Barley, au documentaire « Out In Africa » (1994) de Johnny Symons, etc. Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand s’extasie devant la « monstruosité » d’une toile de Sarriaco représentant un jeune homme noir albinos au « regard furibard ». Celia, la critique d’art qui l’accompagne, voit dans ces Noirs albinos qu’on exhibait dans les cours royales toutes les qualités.
Il est assez fréquent de voir des personnes homosexuelles, nées métisses ou se sentant ainsi, vivent en général assez mal le métissage (cf. je vous renvoie à la partie sur les « enfants adoptés » dans le code « Orphelins » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « J’appartenais à ma mère, selon la logique matriarcale. À mon père, d’après ses préceptes, qui d’ailleurs, commentait non sans ironie, que la filiation matrilinéaire n’avait pas de sens pour un garçon, et que le raisonnement de ma mère [blanche et française] était un désastre pour la société africaine. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 14) ; « J’étais, ainsi dit, le ‘moundélé’ du collège, pour ne pas dire ‘blanc’. » (idem, p. 27) ; « Toi, t’es comme un blanc. C’est honteux pour un noir, me répondait-on. L’homme est fait pour la femme, et les enfants pour la continuité du monde… » (idem, p. 62) ; « Ne crois pas que tu fais partie de la race blanche, même si ta mère l’est ! » (Yoro s’adressant à Bertrand Nguyen Matoko dans l’autobiographie de ce dernier, Le Flamant noir (2004), p. 139)
Le désir d’être Blanc (quand on est né Noir), ou Noirs (quand on est né Blanc) est plus répandu qu’on ne le croit parmi les membres de la communauté homosexuelle. Parmi mes amis homos blancs, certains m’ont avoué que dans leur enfance, ils avaient souhaité être noirs. Après, du côté des célébrités homosexuelles/bisexuelles, le cas se présente aussi. Par exemple, l’écrivain nord-américain James Baldwin se met dans la peau d’un Blanc pour écrire son roman Giovanni’s Room (1961). Fabrice Emaer, le créateur du Palace, se décrit comme « une blondasse qui travaille comme une négresse » (cf. la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 73). Le rappeur noir gay Mykki Blanco s’est choisi un pseudonyme scénique éloquent ! Le désir d’être une Noire est exprimée par Beatriz Preciado dans le documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós et Violeta Salvatierra. Dans les années 1930, l’écrivaine Colette tient une rubrique qu’elle baptise « La Jumelle noire » dans une revue appelée Le Journal. Des femmes féministes noires (Gloria Hull, Patricia Bell Scott, Barbara Smith, etc.) ont rédigé en 1982 un essai don’t le titre parle de lui-même : All The Women Are White, All The Blacks Are Men, But Some Of Us Are Brave. Le militant gay Pierre Vallières écrit Les Nègres blancs d’Amérique en 1968. La philosophe Simone de Beauvoir (qui ne dément pas éprouver une attraction charnelle pour les femmes) déclare que « Dieu est noir ». Dans son article « Donner aux morts » (dans la revue Magazine littéraire, n°313, septembre 1993), Paule Thévenin fait allusion chez l’écrivain français Jean Genet à « cet entêtement, à partir d’une certaine époque, à se déclarer non Blanc, à se vouloir à tout prix Colored Man » (p. 36). Le chanteur bisexuel Michael Jackson se fait réellement blanchir la peau. Dans le documentaire « Metamorphosis : The Remarkable Journey Of Granny Lee » (2001) de Luiz Debarros, Granny Lee est un Noir homosexuel qui veut devenir Blanc. Dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar, Nicco, un homme M to F transsexuel né blanc déclare qu’elle ne veut plus être un « hommeblanc ». Dans La Beauté du Métis. Réflexions d’un Franco-phobe (1979), Guy Hocquenghem dit sa haine de « l’homosexualité blanche » embourgeoisée, et se demande s’il n’est pas « né homosexuel […] comme une manière d’être à l’étranger, de lui appartenir et d’être chez lui ».
Les noms de scène et les pseudonymes que se choisissent certaines personnes homosexuelles évoquent l’inversion raciale Blanc/Noir, voire la fusion des deux couleurs de peau : par exemple l’écrivain blanc Essobal Lenoir, ou bien le photographe montpelliérain Chocolat Poire, etc.
Film « Brother To Brother » de Rodney Evans
Beaucoup de personnes homosexuelles blanches expriment le désir d’être noires, ou inversement, des personnes homos noires veulent être blanches : « Déjà, petit, je me disais : ‘Je veux être comme mes copains français, j’aimerais être blond.’ » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 119) ; « James Baldwin est homosexuel parce qu’il a toujours désiré être blanc. » (le Roi Jones concernant son ami noir James Baldwin, cité dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997) de Michel Larivière, p. 55) ; « Être trans, c’est un truc de Blanc. » (Norie, un homme M to F transsexuel noir souhaitant devenir un Blanc, dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar) ; « Cette fascination du Blanc pour le Noir, c’est chez moi de l’ordre du désir, comme l’écriture, profond, mystérieux, fascinant. Souvent je m’interroge sur cette attirance pour l’homme noir. Et mes amis blacks ne m’ont jamais vraiment éclairé là-dessus, pas plus que les Blancs d’ailleurs ! » (le romancier français Hugues Pouyé dans le site Les Toiles roses en 2009) ; « Je me dis – romanesque ! – que je suis un peu métis. Mes ancêtres auraient-ils jeté quelque semence de blanc dans le ventre d’une femme noire, ou l’inverse peut-être. » (idem) ; « Je suis originaire d’un pays qui n’existe plus : le Sud. » (Julien Green à propos de la Guerre de Sécession nord-américaine, cité dans l’article « Julien Green, l’Histoire d’un Sudiste » de Philippe Vannini, Magazine littéraire, n°266, juin 1989, p. 96) ; « Les lesbiennes sont des femmes marron, des échappées de leur classe. » (Monique Wittig, La Pensée Straight, 1979-1992) ; « Ce qui est remarquable, c’est que l’égalité entre Noirs et Blancs, hommes et femmes, semble avoir été générée par l’homosexualité. » (Colin Spencer, « La Politique à l’Âge du Jazz », dans Histoire de l’homosexualité de l’Antiquité à nos jours (1998), pp. 394-397) ; « Dans 30 000 ans, quand ils verront ça, ils ne sauront pas si c’est des mains de Blancs ou des mains de Noirs. C’est un joli symbole. » (Frédéric Lopez face à la pierre où il a imprimé sa main, dans l’émission Rendez-vous en terre inconnue, invitée Cristiana Reali en Australie, diffusée sur France 2 le 18 avril 2017); etc. À la question « Qu’est-ce que vous aimeriez être ? », le poète argentin Néstor Perlongher répond : « J’aimerais être Noir. Être un traître à la race blanche. Être, c’est devenir : devenir Noir, devenir femme, devenir enfant. » (cf. l’article « 69 Preguntas A Néstor Perlongher », 1997, p. 21) Interviewé dans un radio martiniquaise en 2004, l’écrivain congolais Bertrand N’Guyen Matoko, mi-martiniquais mi-vietnamien, dit qu’il est attiré par les Blancs, et regrette que les Blancs le voient comme un Noir, alors que les Noirs le voient comme un Blanc.
Campagne anti-Sida
Le brouillage de la frontière entre Noirs et Blancs est une manœuvre pour se victimiser, pour promouvoir l’homosexualité discrètement et en donnant à cette dernière une apparence de diversité, de solidarité et de lutte contre les discriminations. « Je trouve le nom de ma psy sur internet associé à la Manif Pour Tous, je suis choquée, ces gens sont mon pire cauchemar. Je lui écris. Et elle finit par m’avouer à la séance suivante que oui… Nonnnnnn!!!!!! Je suis choquée, comme chaos sur le ring de boxe. J’y retourne, je veux savoir. Comment est-ce possible? ‘Si elle fait partie de la Manif Pour Tous, ce qui serait invraisemblable, j’arrête !’, avais-je dit à ma sœur. C’est comme être juif et être en face d’un nazi, ou être noir et être en face du Ku Klux Klan. » (une femme lesbienne témoignant dans l’article « Ma psy est ‘Manif Pour Tous’ ») Par exemple, dans le docu-fiction « Elena » (2010) de Nicole Conn, la banalité ET la beauté de l’homosexualité pratiquée est prônée à travers les interview de couples mixtes Noir/Blanc (hétéros ou homos, peu importe).
Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus se prend carrément pour un Noir (l’affiche du spectacle illustre d’ailleurs parfaitement cette schizophrénie spaciale), sous prétexte que les races n’existent pas et qu’il rêve d’un monde sans frontières, sans communautarismes, sans étiquettes, qu’il se prend pour un jazzman : « Avec les lunettes Megachrome, vous pouvez voir les gens de couleur en blanc ! » ; « Moi, mon fantasme, ce serait d’être Noir. Ils ont trop la classe, les Noirs. Ils ont bercé toute mon enfance : Billie, Ella, Charlie. Et à la trompette [se désignant lui-même] : le Nègre blanc ! » ; « Mesdames et Messieurs, ce soir, je suis fier d’être Noir ! ». Ce qui ressemble à un hommage transracial, à une belle déclaration d’amour universel se mute très vite en racisme : « Les races n’existent pas. Y’a l’espèce humaine. C’est tout. » ; « Je connais un clown noir qui déteste les Juifs. Il s’est maqué avec un groupe de clowns blancs qui détestent la Shoah. » Fatus joue d’ailleurs le raciste xénophobe avec son assistant Zoran : « Je te rendrai tes papiers à la fin de la tournée. On avait dit ‘Pas de Noirs’ sur la tournée ! De toute façon, comment veux-tu qu’on s’entende ? on est trop différents ! » Il met également en scène un concept de jeu télévisé raciste, intitulé Qui nique qui ?. Mais il noie ensuite le poisson dans la désinvolture et le déni relativiste : « Le racisme, la xénophobie, c’est tellement gluant comme sujets. Si je devait en parler devant 500 personnes, je serais bien emmerdé. » ; « Un clown, noir, pédé, d’extrême gauche… J’en ai marre des étiquettes. » ; etc. Au bout du compte, il n’aime du « Noir » que le fantasme cinématographique qu’il s’en est fait. Il dit d’ailleurs qu’il est suivi par une ombre. Son goût pour la négritude, et son déni des différentes couleurs de peau par son mépris du mot « race », cachent chez ce comédien bisexuel, en plus d’un délire identificatoire sincère, une véritable francophobie, un violent anti-patriotisme, un meurtre programmé de la différence des espaces. C’est effrayant de voir des gens qui détestent comme ça la France, ces désirs de guerre civile explicitement et inconsciemment exprimés. (N.B. : Je ne justifie pas pour autant Morano ^^)
Lors du débat intitulé « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s » organisé par l’association David et Jonathan à la Mairie du XIe arrondissement de Paris le 10 octobre 2009, Patrick Bloch, un intervenant blanc venu témoigner de sa « joie » d’être, avec son compagnon (blanc aussi), les « parents » de plusieurs enfants noirs adoptés avec qui ils formeraient une « famille heureuse et unie » (désolé pour les nombreuses guillemets, c’est plus fort que moi…) a employé des mots qui, mine de rien, derrière le ton rigolard et bien intentionné du propos, distribuaient des rôles et des couleurs à tout le monde sans prendre en compte la réalité concrète des personnes concernées : « Je suis Noir aussi, faute de le sentir sur ma peau, parce que mes deux enfants le sont. » ; « Je suis né dans une famille black, blanc et rainbow. »
Jama Stark, en 1987, avec sa « Vanitas, robe de chair pour albinos anorexique »
On entend certaines personnes homosexuelles ré-écrire leur vie et leur identité raciale avec des « si », se mettre à la place des Noirs pour les animer comme des marionnettes (ou se faire parler eux-mêmes), avec les meilleures intentions du monde, en plus : « Si j’avais été Noire, j’aurais peut-être fait un film sur les Noirs. » (Jeanne Broyon dans le documentaire « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) ; « Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment je réagirais à ces difficultés si ma peau était noire et si je vivais aux Antilles. » (Lionel Vallet cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 54) ; « Avec la neige, j’ai toujours les idées noires. » (André, l’un des deux hommes homosexuels du docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.
La démarche de vouloir « transcender/déconstruire » les races paraît séduisante et poétique, intellectuellement parlant : le rouleau compresseur de la déesse Égalité voudrait effacer les frontières, les différences, les conflits entre les Hommes, pour que la communion universelle soit complète… mais à trop chercher le bien des personnes sans reconnaître leur unicité, on finit par porter atteinte au Réel, par ne plus reconnaître l’Autre dans sa BELLE et SOLITAIRE différence. Les termes employés par ces prosélytes de l’Égalité sont paradoxalement d’une violence inouïe. Par exemple, sur son article « Pourquoi et comment notre vision du monde se ‘racialise’ ? » publié dans le journal Le Monde du 4-5 mai 2007, le sociologue émérite Éric Fassin défend « un devenir-noir qui fait exploser le concept de race » (p. 15). Les races sont-elles si diaboliques et mauvaises pour qu’on souhaite à ce point les faire « exploser », les neutraliser, sous couvert de défense des différences ?
Ce n’est pas un hasard si, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko constate que la pratique de l’homosexualité ou de l’homophobie est identique en Occident et en Afrique. Les deux hémisphères fusionnent et s’imitent dans la violence dès qu’il s’agit d’actualiser et de justifier/banaliser/diaboliser le désir homosexuel : « Évidemment, de même que mes copains de Brazzaville, je retrouvais l’identique raisonnement. D’un continent à un autre, les vues d’esprit étaient donc les mêmes. » (p. 102)
La recherche trop fiévreuse du Noir ressemble chez certaines personnes homosexuelles à une démarche narcissique, quand bien même ce reflet soit obscurcissant : « À côté des maisons anglaises construites par la compagnie des chemins de fer anglais, il y a longtemps, s’étendait une mare de pétrole noir ou d’huile noire, déchet de locomotives. Nous aimions nous en approcher ensemble, et nous contempler dans ce miroir noir. » (Alfredo Arias, Folies-fantômes (1997), pp. 156-157) Comme l’explique par exemple Stuart concernant Frantz Fanon, le rapport au peuple noir de l’auteur du bien nommé roman Peaux noires, masques blancs (1952) est de type incestueux : « On est très près du complexe d’Œdipe. »… ou, dit autrement, du paternalisme/de l’infantilisme. Pareil du côté des Noirs réels qui désirent être des Blancs. Ce désir de fusionner avec l’Homme blanc n’est pas à entendre uniquement comme un amour fou, mais d’abord comme un narcissisme mortifère, un rêve d’invisibilité.
B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi (cf. planche « Le Roman »)
À mon avis, l’identification au Blanc-Noir montre que l’homosexualité est un désir de devenir objet. On le voit très bien par exemple à travers les personnes transgenres de couleur, à travers l’obsession chez certains Noirs de se convertir en Blancs, sous l’influence des diktats de la mode et de la télévision. Actuellement, l’éclaircissement ou la dépigmentation de la peau connaît un essor important sur le continent africain. Pour entrer dans les canons de beauté des Occidentaux, certaines personnes ont recours à des produits dangereux (L’eau de javel est mélangée à des laits de corps pour accélérer le processus ; l’hydroquinone et ses dérivés sous forme de lait, crème, savon sont aussi très prisés).
Par exemple, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, Sœur Belphégor – sœur de la Perpétuelle Indulgence – est peinturlurée de blanc sur sa peau noire. Dans le docu-fiction « Miwa : à la recherche du Lézard noir » (2010) de Pascal-Alex Vincent, l’acteur Akihiro Miwa se convainc de n’être ni homme ni femme, ni hétéro ni homo, ni blanc ni noir. Le documentaire « Jenny Bel’Air » (2008) de Régine Abadia, retrace la vie de Jenny Bel’Air, le travesti M to F est connu pour avoir été dans les années 1980 le physionomiste excentrique et redouté du sulfureux Palace. Il est décrit comme une synthèse raciale : « Transgenre, ni Blanche ni noire, une violence à faire peur et une douceur attendrissante, Jenny a le port d’une reine et l’âme d’une clocharde à moins que ce ne soit l’inverse. » (cf. le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 80)
Je voudrais terminer ce code par un témoignage personnel. Le 16 août 2016 dernier, j’ai eu une longue conversation téléphonique avec une femme de 30 ans, lesbienne mais qui n’est jamais passée à l’acte homo (son attraction pour les femmes reste de l’ordre purement pulsionnel et fantasmé), et qui a été heureuse de lire mon livre L’homosexualité en Vérité parce que pour une fois, m’a-t-elle dit, elle a pu entendre que l’homosexualité était un mal et une tendance à ne pas pratiquer, et que c’est ce que sa foi catholique et son intuition lui ont toujours inspiré. Son discours était très posé, très serein, et j’ai senti qu’elle était allée très loin dans sa réflexion sur l’homosexualité. Ça fait plaisir de tomber sur des filles (et des sœurs homosexuelles) comme ça ! Elle m’a recontacté le lendemain car elle a farfouillé dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Et en lisant le présent code « Je suis un Blanc-Noir », voilà ce qu’elle m’a révélé, et que je peux publier, avec son autorisation. Ça me réconforte. J’ai un peu moins l’impression d’être un OVNI ou un fou ou un méchant. « Salut Philippe, Je suis tombée sur ton article ‘Je suis un Blanc-Noir’. J’ai des origines africaines et françaises, donc forcément ça m’a intriguée. Je l’ai trouvé très intéressant. J’ai déjà fait le parallèle entre l’homosexualité et la différence noirs/blancs avec tous les problèmes identitaires qui peuvent en découler. Tes analyses pour mieux comprendre le désir homosexuel sont très justes ;-). En tant que femme noire (ou métisse peu importe) je suis choquée de toutes les représentations qu’on peut mettre sur ma couleur de peau. Et oui souvent j’ai voulu être blanche pour être « neutre » ou invisible. Que l’on considère qui je suis, ma personnalité, ma beauté sans faire de moi un objet. Il y a une vraie représentation négative des femmes noires, qui serait moins féminines ou séduisantes que les femmes blanches (c’est le même problème avec la femme lesbienne d’ailleurs). Certains blancs ne voient les noirs que comme des corps comme si toute leur identité était dans leur apparence (peut-être en lien avec l’esclavage, la marchandisation des corps). J’ai un ami (blanc) qui n’est attiré que par les femmes noires et qui ne ressent absolument rien pour les femmes blanches, il m’a dit : ‘Quand tu te l’avoues, c’est comme un gay qui fait sont coming out…’ Enfin voilà je pourrais en parler pendant des heures…Juste pour te dire que c’est un très bon article qui dit beaucoup de choses. »
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Quand il y a des enjeux de vie et de mort, de liberté humaine bafouée, de violence, le jeu, même invoqué sous de séduisants prétextes artistiques, humoristiques, amicaux, politiques, amoureux, sexuels, s’arrête vite… S’il se prolonge, il se transforme en viol, en manipulation. Or comme le désir homosexuel, de par son rejet de la différence des sexes (qui est LE « roc » du Réel par définition, sans lequel aucun d’entre nous ne seraient là pour en parler), n’est pas ancré dans la Réalité, il a du mal à connaître et à faire connaître à celui qui s’y adonne la claire distinction entre le jeu et les limites de celui-ci. C’est la raison pour laquelle, dans les œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité, voire parfois dans la vie concrète des personnes homosexuelles, le jouet conduit régulièrement au viol et à la mort ; le jeu tourne au drame. Oui, la Réalité a ses règles ; et c’est quand on y consent qu’on vit pleinement heureux, qu’on peut vraiment s’amuser sur cette Terre. À prendre l’existence humaine trop au sérieux ou au contraire trop au ludique/au virtuel/à la légère, les personnes homosexuelles, en célébrant les jeux pour se fuir elles-mêmes et fuir les autres, passent souvent à côté du vrai Jeu, celui de l’Amour, de la Joie, et même de la sexualité, celui qui fait comprendre que le bonheur profond est d’appréhender les limites du Réel pour mieux vivre/jouer avec, et de savoir s’imposer des contraintes.
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FICTION
a) L’homosexualité ludique :
Cf. je vous renvoie au code « Humour-poignard », à la partie « Carte » du code « Inversion », et à la partie « Bilboquet » du code « Parodies de Mômes », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
Film « Claire Of The Moon » de Nicole Conn
Très souvent, dans les œuvres homo-érotiques, il est question du jeu : cf. le roman Jeux d’enfance (1930) de Giovanni Comisso, la nouvelle « La Servante » (1978) de Copi (avec l’enfant-rat qui joue au train), le film « L’Arbre et la forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec les enfants jouant à « 1, 2, 3, Soleil »), le film lesbien « Poker Face » (2011) de Becky Lane, le bâti Norén Lars (2011) mis en scène par Antonia Malinova (avec Thomas, le héros à l’homosexualité latente, et fan d’échecs), la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi (avec le jeu de cartes), le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec la mention du jeu de cartes), la chanson « La Tapette en bois » de Jacki, le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent (avec les deux amis homos de Ricky jouant au Jeu des 7 familles), la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet (avec Mme Mime et la Reine de Cœur jouant ensemble aux cartes), la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti (avec les cinq adolescents qui jouent à Action ou Vérité), le film « Games That Lovers Play » (1971) de Malcolm Leigh, le film « Historia Du Kronen » (1994) de Montxo Armendariz, le film « La Règle du jeu » (1939) de Jean Renoir, le film « Hors Jeux » (1980) d’André Almuro, le vidéo-clip de la chanson « Rumour » de Chlöe Howl (avec les jeux d’échecs), le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha (les trois amis homos – Gabriel, Nicolas et Rudolf – se retrouvent régulièrement pour jouer au ping-pong), le film « Imitation Game » (2015) de Morten Tyldum, la chanson « Quand il n’y aura plus personne » du Beau Claude (avec l’amour considéré comme un jeu), etc.
Certains héros homosexuels aiment jouer et se disent fascinés par les jouets/jeux : « Dans la famille Mer [on entend « Mère »], je voudrais la grand-mère. » (Laure, l’héroïne lesbienne, parlant à son père pendant le Jeu des 7 familles, dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma) ; « Ginette [l’une des héroïnes lesbiennes] est certainement trop occupée à jouer aux cartes avec les copains. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 31) ; « Quand elle [Solange] était petite, à l’âge de 5 ans, elle était fascinée par un enfant qui vivait sur le même palier, de 2 ans son aîné, qui passait sa journée assis dans l’escalier en train de jouer au bilboquet […]. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 112) ; « Je suis allé à Las Vegas. Ça me semblait une destination assez gay friendly. Et là, je suis devenu un joueur professionnel : poker, black jack… J’étais très doué. » (André, homosexuel, dans l’épisode 365 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 27 décembre 2018) ; « Sauf que je joue pas. » (Hugo Quéméré, le héros homo, s’adressant à Julien à propos des sentiments qu’il a pour Barthélémy, dans l’épisode 441 de la série Demain Nous Appartient diffusé sur TF1 le 12 avril 2019) ; etc.
Par exemple, dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, l’imaginaire du narrateur homosexuel est habité par « une statue en train de jouer au bilboquet […] (la statue, c’est-à-dire l’enfant, est juste au milieu de la place) » (p. 18). Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle, l’héroïne lesbienne grandit dans une famille qui comate devant les jeux télévisés. Dans la mise en scène (2011) d’Érika Guillouzouic de la pièce Le Frigo (1983) de Copi, la scène préparée par le protagoniste homosexuel ressemble à une immense salle de jeux d’enfant, avec des peluches partout. Même topo avec le vidéo-clip très gay friendly de la chanson « Papa m’aime pas » de Mélissa Mars. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Thérèse, l’héroïne lesbienne, vend des poupées et des trains dans une boutique de jouets.
Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, est très jeu, mais aussi très compétition jalousie : il joue avec sa meilleure amie lesbienne Camille à un blind-test Années 80, aux échecs avec l’hétéro beauf Stan, et propose même en fin de soirée à ses deux rivaux Ninon et Stan de mesurer leur côte de popularité auprès de Camille en jouant à un « Jeu des Favoris », sorte de guerre qui occupe tout le scénario de la pièce.
Il arrive que le héros homosexuel se définisse lui-même comme un jouet : cf. la chanson « Comme un yoyo » de Jenifer, la chanson « Boule de flipper » de Corynne Charby, etc. Par exemple, dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, Bill dit qu’il est un jouet : « Bill comme Bilboquet » se présente-t-il aux gens pour qu’ils se remémorent facilement son prénom. Par exemple, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, la rencontre entre Rémi et Damien est mise sous le signe du jeu. Lorsque Rémi se coince l’écharpe dans la machine à laver, Damien le sauve in extremis de la strangulation, en le comparant à un yoyo : « Heureusement que j’étais là, sinon, vous auriez joué au yoyo toute la journée. » Rémi espère qu’il sera envisagé avec le temps « comme un être humain et non plus comme une balle magique ».
C’est par le jeu que l’homosexualité de certains personnages émerge. Par exemple, dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, la course-poursuite entre meilleurs amis vire au sérieux : Jan et Matthieu couchent ensemble. Dans le film « En colo » (2009) de Pascal-Alex Vincent, lors d’un jeu Action ou Vérité, le jeune Maxime découvre son homosexualité en embrassant un garçon de son âge pour relever un défi. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu raconte qu’avec son « ex » Maximilien, leur union est due à « un Action/Vérité complètement bourrés ». Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, Tommaso, le héros homosexuel, pour expliquer à son frère Antonio qu’il est vraiment gay, revient sur son amitié particulière avec son camarade d’enfance Sasa : « On n’a jamais joué aux petites voitures, avec Sasa… »
Film « Summer Storm » de Marco Kreuzpaintner
Le jeu est cet espace indéterminé de transition entre rêve et Réalité, où le fantasme amoureux homosexuel peut facilement se glisser, et passer pour plus réel que la Réalité même : « Si tu étais un jouet, tu serais quoi ? » (Bruno posant cette question à son futur amant Pablo pour le draguer, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger) ; « Avec Malcolm, j’ai l’impression que le jeu est devenu réalité. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 91) ; « Ok, tout ça n’était qu’un jeu, ok, on s’est pris au sérieux, le rire au fond des yeux. » (cf. la chanson « Nuit magique » de Catherine Lara) ; « Alors quoi ? Continuons à jouer ! » (Valmont en train de se travestir en drag-queen, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « Tu veux jouer à 50 minutes Inside ? » (Un homme en boîte homo draguant Jérémy en boîte, dans le one-man-show Bon à marier (2015) de Jérémy Lorca) ; etc. Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit, l’héroïne lesbienne, propose un jeu à sa copine Esti, mais celui-ci prend une toute autre tournure : « ‘J’ai un nouveau jeu, Esti, ai-je dit. J’essaie de te faire rire et toi, tu ne dois surtout pas bouger, d’accord ?’ Je commençais à me demander s’il n’y avait pas un malentendu. Allait-elle se redresser d’un bond, m’accuser des pires choses ? Je me suis penchée pour voir son visage. Elle avait les yeux fermés, un sourire aux lèvres. […] Elle s’est retournée et a posé ses lèvres sur les miennes. » (Ronit p. 220) ; « On jouait à des tas de jeux ensemble. Et un jour, nos rapports ont un peu changé de nature. » (Graham en parlant de son amour d’adolescence avec Manadj, dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden) ; etc. Dans le film « Boygames » (2012) d’Anna Österlund Nolskog, deux meilleurs amis, John et Nicolas, âgés de 15 ans, sont intéressés par les filles mais redoutent la première expérience sexuelle, alors ils décident de s’entraîner d’abord sur eux-mêmes. Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Clara et Zoé commencent à se chamailler pour rigoler, puis finissent par s’embrasser sur la bouche. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Lukacz joue à cache-cache avec Adam pour le draguer : ils imitent des cris de chiens et de singes pour se retrouver au beau milieu d’un champ de maïs.
L’amour homosexuel que vivent certains personnages n’a pas l’air très solide ni très sérieux car il s’annonce par la voie du divertissement puéril. Par exemple, dans la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier, Bernard essaie de draguer Philippe en lui apprenant à jouer du xylophone. Dans le film « I Want Your Love » (2010) de Travis Mathews, deux amis négocient leur passage à l’acte homosexuel sous forme de jeu… mais leur relation va devenir complexe, ambiguë. Dans le film « Une Femme un jour » (1977) de Léonard Keigel, quand le fils de Nicky voit sa propre mère au lit avec une femme (Caroline), il ne peut s’empêcher de leur demander : « Qu’est-ce que vous faites ? » ; et sa mère de lui répondre spontanément : « On joue. »
b) Jeu en tant que fuite du Réel :
En général, le héros homosexuel a recours au jeu car il veut fuir sa réalité (qu’il juge insupportable ou futile, et qu’il nomme paradoxalement « jeu ») et donner libre cours à ses pulsions : « Tout quitter. Fermer le grand théâtre de Bois-Rouge. Descendre le rideau sur cette comédie avant qu’il ne soit trop tard. Cesser de jouer. Partir. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 88) ; « De toute façon, j’ai gagné le jeu. » (Raul, le héros gay qui a réussi à se faire sucer dans une glory hole par Victor, dans le film « Plus on est de fous », « Donde caben dos » (2021) de Paco Caballero) ; etc.
Il semble voir le monde à travers le prisme des médias et de ses jeux vidéo : « J’avais l’impression que je luttais pour rien. Comme dans ces jeux vidéo, où lorsqu’on coupe un ennemi en deux, chaque moitié redevient un ennemi potentiel. » (Bryan en parlant de son « amour » pour Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 35) ; « C’est comme un site de rencontre de cul, sauf que c’est en direct, non ? » (Simon, l’un des protagonistes homosexuel parlant du sauna, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 40) ; « J’ai oublié ma Playstation chez toi. » (Thomas s’inventant une excuse-bidon pour revenir voir son ex François, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « Vous savez d’où ça vient les lesbiennes ? Ça vient du WiFi. » (l’humoriste « hétéro » Arnaud Demanche se mettant dans la peau d’un internaute, dans son one-man-show Blanc et hétéro, 2019) ; etc.
Andrew et Justin dans la série « Desperate Housewives »
Il est question des jeux vidéo, d’Internet et des rencontres amoureuses que cet outil permet, dans énormément de fictions homo-érotiques actuelles : cf. le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « VGL-Hung » (2007) de Max Barber (avec les jeux vidéo), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, le film « Fragments d’hiver » (2009) de Guillaume Van Haver, le film « Le Suivant » (2011) de Frédéric Guyot, le film « K@biria » (2010) de Sigfrido Giammona, le film « Des jeunes gens modernes » (2011) de Jérôme de Missolz, le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann (Monsieur Chateigner va sur Internet pour trouver ses « plans »), le roman Sex Workers As Virtual Boyfriends (2002) de Joseph Itiel, le film « Amen » (2010) de Ranadeep Bhattacharyya et Judhajit Bagichi, le film « Fragments d’hiver » (2009) de Guillaume Van Haver, le film « Bébé requin » (2004) de Pascal-Alex Vincent, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, le film « La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu » (1998) de Judith Cahen, le film « Internet Obsession » (2002) de Dominick Brascia, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, le film « Independance Day » (1996) de Roland Emmerich, le film « On-Line » (2001) de Jed Weintrob, le film « Anonymous » (2004) de Todd Verow, le film « Espace détente » (2004) de Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h, le film « Sugar Sweet » (2001) de Desiree Lim, le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar (avec Stéphane, le héros homosexuel passant son temps sur sa console avec Mario Bros II), la chanson « Sextonik » de Mylène Farmer, le film « Orange et Pamplemousse » (1997) de Martial Fougeron (avec les rencontres sexuelles par Minitel), le film « Plan cul » (2010) d’Olivier Nicklaus, le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs (où Érik rencontre ses « plans cul » par téléphone), le vidéo-clip de la chanson « Kelly Watch The Stars » du groupe AIR (avec les deux chanteurs jouant à un jeu vidéo des années 1970), le film « Sexual Tension : Volatile » (2012) de Marcelo Mónaco et Marco Berger, le documentaire « Moi, Luka Magnotta » (2012) de Karl Zéro et Daisy D’Errata (relatant l’histoire vraie de Magnotta, acteur porno occasionnel et mannequin raté, qui fut le premier web killer), le film « Bug Chaser » (2012) de Ian Wolfley (où Internet est source de grande angoisse pour Nathan), la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti (le jeune Mathan est toujours fourré sur Internet), etc.
Dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité, les personnages sont accros à informatique et aux jeux amoureux en réseau. Par exemple, dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, Laura compare un garçon jouant dans un bar sur un flipper (un jeu où il faut apparemment détruire des villes en lâchant des bombes) à un vrai guerrier (« Un soldat qui bombarde de vraies villes éprouve la même excitation que ce garçon. », p. 59) : preuve que le monde des jeux vidéo est considéré comme réel… Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ted, l’un des héros homos, parle d’un « clown géant » auquel il doit faire face, lors d’un jeu de rôle où il ne distingue pas la réalité de la fiction. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, anime des jeux télé et est constamment sur Internet ou son I-phone. Dans le film « Simple appareil » (2009) de Jean-Christophe Cavallin, Pierrick et son internaute passent la nuit ensemble dans la chambre de Pierrick, près du Canal Saint-Martin, à se raconter leurs blessures intimes. Dans la pièce Le Gang des potiches (2010) de Karine Dubernet, Nina, l’héroïne lesbienne, a fait du piratage Internet avant de se lancer dans les hold-up. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Roberto va sur les « chat » Internet pour draguer. Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, Benji, le héros homosexuel, trouve ses « plans cul » sur le site saunavirtuel.com avant de se rendre au sauna ; son corps et la machine ne font qu’Un : « Je clique, je trique. » Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, Benoît passe son temps sur Internet pour dégoter ses aventures sexuelles successives. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Norbert est allé voir ailleurs sur Internet et a trompé son copain Vivi. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, Tedd, l’un des héros homosexuels, travaille chez IBM. Dans la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau, le téléphone est montré comme un cordon ombilical sans lequel il est impossible de vivre. Dans les pièces de Copi, telles que Loretta Strong (1974), La Tour de la Défense (1981) ou encore Le Frigo (1983), le téléphone occupe une place capitale : il dit la schizophrénie des personnages transgenres. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., la relation entre Matthieu et Jonathan débute sur Facebook ; les deux sont férus de l’application Grindr et des sites de rencontres, même s’ils n’hésitent pas à les renier pour se racheter une réputation. Dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari, la protagoniste lesbienne Mnesya parle à ses écrans d’ordinateur et se prend elle-même pour un robot : « Moi, je ne suis qu’un processeur de données. » Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Lukazc joue à cache-cache dans un champ de blé pour séduire Adam. Dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin, Anna et Cassy, deux amantes, croient que si elles se déconnectent de Skype, elles et leur amour vont disparaître. C’est d’ailleurs ce qui leur arrive. Leur amour ne tient qu’à une connexion informatique. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam ose faire pour la première fois son coming out à sa sœur via Skype. Dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, Paul, l’un des héros homosexuels, se rend sur le site de rencontres gays Manhunt (textuellement : « Chasse à l’homme »). Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas crise de ne pas avoir de connexion internet en plein coeur de la montagne autrichienne, et se cherche des « plans cul » sur réseau. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca s’inscrit sur GrindR et cherche ses amants par ce biais. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Simon, le héros homo, est accro à ses mails et aux réseaux sociaux. Il crise dans son lycée quand les courriels ne lui parviennent pas : « Pourquoi y’a du réseau nulle part dans ce bahut ?!? Franchement, ça craint ! » Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel, est suspendu à son smartphone et aux applis. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Xavier, héros homo, drague sur Grindr.
Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Patrick, le héros gay, a créé une application algorithmique prédictive de l’Amour asexué baptisée « Cassandra », mêlant alchimie (maçonnique) et mathématiques : « Les chiffres ne mentent pas. L’Amour c’est chimique. La chimie, c’est des chiffres. Et les chiffres, c’est le rayon de Cassandra. » dit-il. Madelyn, la meilleure amie d’Hugo (le futur amant de Patrick) s’extasie de voir que les statistiques (de compatibilité) pourraient construire l’Amour : « Qui aurait cru que l’Amour c’était une question de chiffres ? »
« Deux choses me tenaient à cœur : avoir un chien et un ordinateur. Aucun rapport entre ces deux souhaits, si ce n’est que les deux allaient occuper une place importante dans ma vie. » (Bryan, l’un des héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 21) ; « Dix jours chez eux [mes grands-parents] sans ordinateur ni Internet… le Goulag ! » (idem, p. 29) ; « La chance qu’on avait d’avoir des ordinateurs et Internet. Merci Bill ! » (Bryan faisant un hommage à Bill Gates, op. cit., p. 149) ; « Jonathan squatte l’ordi la plupart de la journée. » (Matthieu parlant de son amant dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Je suis une victime du téléphone. » (une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Marcel revenait au plus tôt à la maison et s’enfermait dans sa chambre, devant son ordinateur. À l’âge de seize ans, il comprit rapidement le caractère égalitaire de cette invention. » (Marcel, l’un des héros homosexuels dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 18) ; « J’ai pour me tenir compagnie un I-phone et deux Blackberry. » (un des protagonistes homosexuels, rentrant dans la peau du « gay lambda », sur l’air de « Comme ils disent » d’Aznavour, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Heureusement qu’il y a Facebook ! » (Raphaël Beaumont dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) ; « Avant d’être un homme, avant d’être mon amour, tu es un fond d’écran. » (Denis à son amant Luther, avec qui il entretient une relation semi virtuelle depuis 19 ans, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Je rêve d’une application Shazam pour les odeurs. » (Richard s’adressant à son amant Kai, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Mon Beyto, il comprend mieux les ordinateurs que celui qui les a inventés. » (le père de Beyto, parlant de son fils gay, dans le film « Les Amours de Beyto » (2020) de Gitta Gsell) ; etc.
L’outil virtuel et ludique donne lieu à bien des quiproquos, ou même à certaines formes de mort. Par exemple, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Max rencontre nana sur le net en pensant que c’est un mec. Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, le symbole Apple de l’ordi de Léo (le héros homosexuel) est en tête de mort.
c) Jeu-schizophrénie :
Le jeu mis en place par le personnage homosexuel n’est pas souvent synonyme de joie et de maîtrise. Au contraire. Bien souvent, le héros ne rigole pas du tout, même quand il propose quelque chose d’objectivement farfelu et ludique : « Ce n’est pas un jeu. » (Frédéric Delamont, le héros homosexuel psychorigide du film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp) Par exemple, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Anne veut sérieusement un Happy Meal (pour les enfants) au Mc Do, et finit par agresser la restauratrice : « Je VEUX le jouet ! ». Ça saoule sa copine Marie : « J’en ai marre de tes conneries de gamine. » Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Kanojo profite des jeux vidéo que lui propose son amie Juna pour draguer celle-ci lourdement. Elles enchaînent les jeux de plus en plus violents : « Tu vois que tu es violente toi aussi. » s’en amuse Juna. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien asocial homosexuel, pense que, par le jeu, l’homme et la machine se rejoindront pour s’aimer. Toute sa vie, il l’a passée à se fuir lui-même dans l’idolâtrie ludique : « Je suis très bon aux jeux, aux casse-tête. »
Il ne maîtrise pas le jeu qu’il joue parce qu’il n’y a mis ni liberté, ni véritable conscience de faire. Il a agi pour/par l’image, par intentions plus que réellement et constructivement. Par exemple, dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, on trouve un bon exemple de la simulation mi ludique mi fatale de la détronisation du roi des parias homosexuels, Bob, qui à tout moment peut être agressé par les joueurs rieurs qui l’entourent. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, le grand jeu de Guillaume, c’est de se faire passer pour sa mère auprès des membres de sa propre famille ; il imite même sa façon de marcher… et tout le monde se fait avoir. Son jeu le conduira à surprendre son père cul nu dans la salle de bain.
Certains personnages homosexuels, en ne distinguant plus la fiction de la Réalité, personnage et personne, rôle (de théâtre) et action (dans la vie), ou bien en confondant sincérité et Vérité, deviennent des acteurs schizophrènes qui ne s’éprouvent pas jouer : cf. le roman Versteck Spieler (Un Joueur caché, 2010) de Marcus Urban, le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec le Roi jouant à la poupée), le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin (avec les jeux d’argent dans les rues de San Francisco), etc.
Par exemple, dans le film « Unconditional » (« Inconditionnel », 2012) de Bryn Higgins, Owen se travestit, et ce qui semblait un jeu devient sérieux. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Marilyn qui au départ devait simuler un couple avec Chris (le héros homosexuel) finit par tomber amoureuse de lui. Dans le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig, le jeu est associé à la torture nazie, par le flou qu’il impose entre folie et Réalité (« Sur cet échiquier, tout est faux ! » s’exclame le héros, complètement ensorcelé par un jeu qu’il feint d’écarter pour mieux s’y enchaîner). La dimension ludique et distancée que propose les jeux est totalement gommée par les personnages de cette pièce (« C’est un combat à mort » déclare par exemple McConnord).
Le jeu qu’ils mènent cache parfois un désir de devenir quelqu’un d’autre que soi, ou bien un objet : « J’ai toujours adoré jouer à la poupée. » (Marina, le travesti M to F, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « Avec une perruque, j’accepte votre regard, je déclare votre jugement moins lourd sur moi… vous pouvez me trouver belle et laide, vous pouvez me regarder, me dévisager avec un sourire aux lèvres, une larme dans les yeux ou plisser le front, je ne suis plus moi-même… Je m’en fous je ne suis pas là. Je joue pour moi, pas pour vous. » (l’Actrice dans la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « ‘Je’ a disparu. Je suis plus moi même… C’est plus moi dans le jeu. » (idem) ; « Cette gamine est fantasque, toujours en train de s’attifer et de jouer la comédie… C’est drôle. » (Collins à propos de Stephen, la jeune héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 28)
Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, la Comédienne dit que quand elle interprète un rôle, elle « n’a pas l’impression de jouer » ; « Ce qu’il y a de plus éprouvant, c’est que soi-même on devient théâtral. » ; « Si au moins je sentais le personnage… ; « Je n’ai pas l’impression de jouer la comédie mais d’imiter une actrice de cinéma détestable, comment s’appelait-elle ? » ; « Tu te laisses emporter par le personnage ! Nous ne sommes pas en train de jouer ! » (Arthur à la Comédienne, op. cit.)
Tout porte à croire que le « jeu » dont parlent les personnages homosexuels n’est que l’expression de leur ébahissement inconscient et jaloux face à leur propre reflet narcissique : « Épreuve du miroir. Le jeu des 7 erreurs. » (Djalil à sa mère, dans la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti) ; « Poète, on se prend à son jeu. C’est le charme. […] Je me suis fait pleurer moi-même en l’écrivant. » (Cyrano de Bergerac par rapport à sa propre lettre envoyée à Roxane dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Les jeux ne sont pas tout à fait faits, chère petite sœur. C’est toi ou c’est moi ! Puisque nous sommes jumelles ! On a commencé à se battre à l’intérieur du ventre de notre mère. » (la Comédienne à Vicky dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Les jeux sont faits, ma sœur. Dieu est avec vous, le Diable est avec moi ! » (idem) ; « Je vais jeter cet ordinateur ! » (Fanny, l’héroïne bisexuelle de la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; etc.
Chose curieuse (mais logique !) : dans certains films, le jeu est simultanément une marque d’homosexualité et une marque d’homophobie : « Tu veux jouer aux cartes ? » (Allan quand il veut détourner la conversation parce qu’il est suspecté par Max d’être homo, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; « Ton petit jeu, ça suffit. » (Marc s’adressant à son amant Sieger qui n’assume pas leur « amour », dans le film « Jongens », « Boys » (2013) de Mischa Kamp) ; etc. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, la photo de Nathan et de Louis s’embrassant secrètement à une soirée de jeunes circule sur les réseaux sociaux : Nathan fait croire que c’était un jeu, pour faire mentir son acte. Le personnage homosexuel joue avec lui-même un jeu de cache-cache identitaire destructeur.
Ce n’est pas un hasard si le jeu, dans les fictions homo-érotiques, de désincarné, passe à violent (puisque ce n’est qu’en rejoignant le Réel qu’on rejoint l’Amour) : cf. le roman Le Jeu dangereux (1931) de Stefan Zweig, la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt (avec la métaphore du jeu amoureux qui termine mal : l’un des deux amants retourne sur lui le revolver qu’il pointait désespérément sur l’autre), le film « Roulette Toronto » (2010) de Courtney Trouble, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (et les jeux vidéo avec port d’armes à feu), le film « Sala Samobójców » (« Suicide Room », 2011) de Jan Komasa (racontant l’histoire d’un club virtuel de suicide), le roman Les Jeux funéraires (1981) de Mary Renault, le vidéo-clip de la chanson « The Power Of Goodbye » de Madonna (avec le jeu d’échecs qui s’achève par une rupture amoureuse), le roman El Juego Del Mentiroso (1993) de Lluís Maria Todó, le film « Jeux de nuit » (1966) de Mai Zetterling, le film « The Devil’s Playground » (1976) de Fred Schepisi, le film « To Play Or To Die » (1991) de Frank Krom, le film « Fucking Amal » (1998) de Lukas Moodysson, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, les tableaux The Entwined (1996) et Obsession (1996) de Christopher Cheung, le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol (avec la description de l’univers totalitaire d’Internet), le film « Les Résultats du Bac » (1999) de Pascal-Alex Vincent (où l’on voit des jeux vidéo avec port d’arme à feu), le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard (traitant toujours des jeux avec port d’arme à feu), le film « Wild Side » (2004) de Sébastien Lifshitz (avec la cruauté des jeux d’enfants), la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan (où un fils homosexuel torture son père en lui organisant un petit jeu d’anniversaire), le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria (avec le parallélisme entre le jeu de cartes et un enterrement), le film « Allez » (2011) d’Oliver Tonning, le film « Cannibal » (2005) de Marian Dora, la chanson « Parce que » de Daniel Darc et Bill Pritchard, etc.
Film « No Regret » (2006) de Lee-Song-Hee-Il
Par exemple, dans le film « En colo » (2009) de Pascal-Alex Vincent, les camarades de Maxime, le héros prochainement homosexuel, exercent sur lui leur homophobie en le testant sur sa sexualité et en le soumettant au chantage de l’aveu. Le tout sous prétexte de la blague : « Ça va, on peut rigoler ! » Ils ne se rendent pas compte de leur méchanceté. « Tu ne sais pas jouer ? » (Mardonio s’adressant à Segundo en le suspectant d’être homo, dans le film « Mon Père », « Retablo » (2018) d’Álvaro Delgado Aparicio). Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, le « Jeu de la bouteille » organisé par le méchant Fábio piège Léo, le héros homosexuel aveugle, qui est sur le point d’embrasser un chien (Pudding) sans le savoir, en s’imaginant embrasser une très belle fille. Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, lors d’un exercice de formation de police (une simulation d’émeute), Marc frappe violemment son collègue (et futur amant) Engel. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand, homosexuel, instaure le jeu « Gay/pas gay » pour en réalité (simuler d’)outer tout le monde. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud, l’un des héros homos, est accro aux jeux vidéos : au départ, on croit qu’il joue à des jeux violents hyper hétéros (« Mais tire ! Tire, bordel !! »), pour finalement découvrir qu’il joue aux Pokémon. Dans la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1, Hugo, le héros homo, drague Bart Valorta pendant une baignade… et dans un premier temps, Bart résiste et le repousse violemment. Hugo lui reproche ses barrières : « La prochaine fois, tu arrêteras de faire ton p’tit joueur » (c.f. l’épisode 260, diffusé le 7 août 2018).
Souvent, on observe dans les œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité un revirement de situation tragique entre le monde ludique et le retour au Réel : « Arrête ce p’tit jeu, Romane, c’est ridicule. T’as rien trouvé de mieux pour me provoquer ? » (Alain Richepin s’adressant à sa fille Romane qui roule un gros palot à sa copine Yindee devant lui, dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien) ; « Je peux pas me détendre tranquille sans que tu me bousilles mon jeu ? » (François, homosexuel, face à son amant Thomas, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « I play with a gun, but just for the fun. » (cf. la chanson « I Hate You » de Mélissa Mars) ; « Je regarde distraitement les enfants qui jouent à s’envoyer des bateaux à voile dans le bassin, je referme le cahier, je pense à la mort de Piggy, Monnie et Rooney. » (le narrateur homosexuel repensant aux trois enfants dévorés par un requin, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 92) ; « Si la syphilis causait autant de ravages que le sida et terrorisait pareillement les pédérastes de la fin du XIXe siècle, des adolescents n’auraient certes pas enfilé de capotes pour jouer à touche-pipi ! » (Essobal Lenoir, « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010), p. 97) ; « Continuons de jouer ! Ce que c’est beau, ce que nous jouons. » (Dorian après avoir assassiné son amant Basile, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Petra et elle s’étaient écartées l’une de l’autre et se tenaient à présent face à face sur le canapé, comme si elles s’apprêtaient à entamer un match de boxe ou un jeu de ficelle. » (Jane, l’héroïne lesbienne en couple avec Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 54) ; « Anna vient ici de temps en temps. Elle habite dans l’appartement d’en face depuis toujours. Le cimetière était son terrain de jeu. » (idem, p. 204) ; « Quand je pense qu’il y a quatre millions de chômeurs… et moi qui fais du yoyo… » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Sidney, l’héroïne lesbienne, oute tous les présentateurs-télé et se moquent de ses concurrents du monde médiatique : c’est son jeu. Cela va se retourner contre elle puisque sa grande rivale, Truddy, qui se fait passer pour son assistante, échafaude un terrible plan de vengeance et de ridiculisation qu’elle finit par dévoiler : « Alors comme ça, je ne sais pas jouer ? […] Moi, je ne sais pas jouer. Mais j’ai su te réduire en poussière rien qu’en jouant. » Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Rinn, l’une des héroïnes lesbiennes, force son amie Suki à l’embrasser sur la bouche, par jeu et « pour s’entraîner ». Cela finit mal car elles sont surprises par Juna et Kanojo. Suki est inanimée suite au baiser.
Film « L’Inconnu du Nord-Express » d’Alfred Hitchcock
Le jeu auquel jouaient les héros vire inexplicablement au cauchemar. Par exemple, dans le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon, la guerre que se livrent « pour de rire » (comme dit Catherine) les neuf protagonistes féminines tourne au drame quand le père finit par se suicider pour de vrai à la fin. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire, le criminel, semble toujours jouer même quand il frappe mortellement… et d’ailleurs, la cible humaine qui lui vaudra la condamnation à l’échafaud, c’est un joueur d’argent ! Dans « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar, Antonio (Antonio Banderas interprétant le rôle d’un psychopathe homo ultra possessif, prêt à tuer par amour) joue au tir à la carabine dans une fête foraine, et annonce déjà son dramatique passage à l’action. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le délire travesti des deux meilleurs amis Matthieu et Franck, ainsi que la fête avec la mère, annonce l’accident de voiture où Matthieu va mourir tragiquement. Dans le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le tour de manège se transforme en piège mortel pour tous les jeunes passagers à bord. Dans le vidéo-clip de la chanson « Kelly Watch The Stars » du groupe AIR, Kelly, jouant un match de ping-pong de compétition, reçoit une balle dans la tempe et se retrouve momentanément dans le coma. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, la bataille de boule de neige, en apparence inoffensive et enfantine, va virer à la guerre mortelle puisque Paul reçoit à la poitrine une pierre dissimulée dans une boule de neige (Dargelos, son amant-ennemi, lui a fait ce joli coup fourré), et perd connaissance ; et à la fin du film, on retrouve cette idée de jeu mortel quand Paul est étendu mort sur la table de billard (tout un symbole !), et que sa sœur Élisabeth le veille. Dans le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, Philippe filme des jeunes en train de jouer aux jeux vidéo avec arme dans un salon public. Dans le film « Action ou Vérité » (1994) de François Ozon, le jeu et les rires cessent immédiatement dès que Rose sort sa main ensanglantée du sexe de sa copine Hélène qui a ses règles. Dans la séquence 12 des didascalies de la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès, le personnage du Rouquin se tire une balle en manipulant son arme à feu comme un joujou. Dans le vidéo-clip de « Libertine » de Mylène Farmer, Libertine, frappée violemment à la tête par une bouteille de vin rouge, s’écroule sur une table de poker. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, c’est toujours à travers un jeu-mensonge, qui va de plus en plus loin (d’abord le béret, ensuite l’Action-Vérité, ensuite le foot, la danse, puis la bagarre), que l’illusion du changement de sexe se fait plus concrète dans l’esprit de Laure, une adolescente qui se prend pour un mec et qui essaie de faire croire à son entourage qu’elle est un garçon ; la violence de cet éloignement du Réel par le jeu de rôle n’apparaît qu’à la fin, quand l’héroïne est obligée de dévoiler sa véritable identité à la face du monde et d’affronter sa propre haine de soi (haine de soi qu’elle faisait passer pour un « jeu sérieux »). Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homo, est invité à jouer aux échecs avec l’homme dont il est amoureux, Dick, et qui est nu dans sa baignoire. Cette partie nourrit un quiproquo qui conduit Tom a tué Dick un peu plus tard dans l’intrigue.
Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la jolie prostituée, fait promettre au jeune Moustique qu’elle a dépucelé de jouer à un jeu jusqu’au bout. Ce dernier promet avant de savoir quelle en est la teneur : « À quoi on joue ? » demande-t-il, excité. Il déchante quand elle lui demande de lui enfoncer dans le ventre un gros couteau de cuisine : « Tu vois ce couteau ? Tu vas me l’enfoncer dans le ventre. C’est pour avoir une chance. Une chance sur deux. » Par « amour », il va obéir à sa demande. Mais, pris de remord, Moustique se jettera dans les bras de la prostituée nommée « Quarante », comme si c’était lui qui avait reçu le coup de couteau : « Pourquoi elle m’a fait ça, Quarante ? »
Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, le héros homosexuel, force tous ses invités gays à jouer, en fin de soirée bien arrosée et pendant un orage, à un jeu dangereux et diabolique : « Mais tu tombes bien. On allait justement faire un petit jeu… » annonce-t-il à Alan, le héros hétéro qui souhaitait prendre la poudre d’escampette. « Écoutez tous. On va jouer ! » Harold, son colocataire, le voit venir puisqu’il lui demande cyniquement : « ‘Le Jeu de la vérité’ ? Ou bien ‘Meurtre’ ? Vous vous souvenez de ce jeu ? Deux jeux identiques. Dans les deux cas, on tue quelqu’un. » Michael met en place un jeu machiavélique qui vise à ce que chacun des convives appelle par téléphone son plus grand amour homosexuel et s’avoue tout seul la vanité de l’amour homosexuel et de l’amour/de la vie en général (« On est tous acteurs de nos vies. Certains restent sur le bas côté. » dit-il laconiquement). Notre maître de cérémonie machiavélique fixe les règles du jeu lui-même : il crée un système de points, régressif si les candidat ne vont pas jusqu’au bout de l’humiliation. Comme par hasard, lui et Harold seront les seuls à ne pas passer aux aveux. Ceci s’explique en partie par le fait qu’ils sont tous deux anciens amants ; et leur relation apparaît comme diaboliquement ascétique. Ils partagent le secret de leur auto-homophobie (pléonasme), de leur haine de soi et de leur misanthropie cynique. C’est pour cela qu’Harold ne mordra pas à l’hameçon des manigances de Michael : « Toi et moi on est pareils. On se ménage parce qu’on joue chacun très bien au jeu de l’autre. Je connais très bien ton jeu. J’y joue très bien. Toi aussi d’ailleurs. Mais tu sais, je suis meilleur que toi. Je te bats quand je veux. Alors, ne me provoque pas. Je te préviens. » Quand tous les invités seront partis, Michael s’effondra dans les bras de Donald, en pleurant amèrement sa tentative ludique de vengeance généralisée.
Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, la jeune Sigrid essaie de « s’amuser » avec sa partenaire amoureuse, Helena, beaucoup plus âgée qu’elle… et ce jeu aboutira au suicide de la seconde. Maria, qui doit interpréter le rôle d’Helena au théâtre, sombre aussi dans un jeu malsain avec son assistante Valentine car elle transpose sur leur relation réelle l’union fictionnelle déséquilibrée entre Helena et Sigrid. Par ailleurs, les deux femmes tirent des jeux ce qu’il y a de plus malsain : elles se rendent au casino pour jouer à des jeux d’argent, finissent par se séparer parce que leur jeu de lectures tourne à la séparation définitive.
e) Jeu-viol :
En réalité, le jeu dont il est question dans les œuvres homosexuelles est très souvent réductible au viol et à la guerre. D’abord le viol en tant que fantasme et peur infondée de la sexualité.
Par exemple, dans la pièce Un petit jeu sans conséquence (2012) de Jean Dell et Gérard Sibleyras, Patrick, l’unique héros homosexuel de l’histoire, très fan des jeux de plage, a provoqué un jeu qui devient sérieux et dramatique : il sépare le couple pourtant très solide Bruno/Claire en faisant circuler un ragot infondé à leur sujet. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Zook fait mine de suggérer un tournage de fist-fucking en proposant à son pote Jenko de jouer aux jeux-vidéo. Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus met en scène un jeu télévisé fictif, Qui nique qui ?, où le principe est de générer et d’illustrer le racisme entre les peuples. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, les amants entre eux soit trichent (« Là, vous ne respectez pas les règles du jeu. » dit Jacques en s’adressant à Arthur) soit se font mal quand ils « jouent » : (« J’aime bien ce jeu. » dit Jean-Marie en frappant Jacques à la poitrine, au visage, puis le brûlant au visage avec son briquet). Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas et François, les deux amants, reviennent de la « Soirée Mousse » organisée par leur ami Paul complètement bourrés : ils portent encore chacun sur le front le post-it du jeu auquel ils ont participé, et essaient de deviner quel personnage célèbre ils incarnent. À un moment, le jeu tourne mal puisque François porte le post-it « Adolf Hitler ». Thomas a tout le mal du monde à lui faire deviner qui il est : « Je suis une personne d’origine allemande. Et je porte des bottes en cuir. » François, sans le vouloir, confond le Führer et le couturier allemand homo Karl Lagerfeld : « Oh nan, pas lui ! Pas Karl Lagerfeld ! »
Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola trompe sa copine Vera d’un commun accord avec Nina. Leur trio diabolique s’organise autour des manigances de Lola et Vera. « Ce petit jeu a l’air de vous amuser. Alors moi aussi je m’amuse. Comme ça, tout le monde s’amuse ! » (Nina s’adressant à Vera et Lola) ; « Nous allons lui jouer un feu d’artifices, le bouquet final. » (Vera s’adressant ironiquement à Lola par rapport à Nina) ; etc. Nina finit par craquer au bout de deux ans d’aventure « extraconjugale » avec Lola : « À quoi vous jouez ? » (Nina s’adressant à Lola et Vera) ; « J’en ai assez de votre petit jeu. C’est malsain. En réalité, je suis qu’un jouet pour vous. » ; « C’est votre jeu. C’est pas le mien. C’est un jeu dont je ne connais pas les règles. » Le goût du jeu méchant semble être né dans le cœur de la méchante Vera à cause de sa grand-mère : « Quand j’étais petite, ma grand-mère avait inventé une enfant virtuelle, Olivia [qu’elle pouvait gâter et féliciter à l’envie quand moi je n’étais pas sage, pour me servir de leçon] Qu’est-ce que je détestais Olivia… J’ai fini par détester ma grand-mère aussi. Quand elle est morte, je n’ai eu aucun chagrin. »
Le jeu amoureux humain perçu comme un viol peut être simplement le fruit de l’imaginaire du héros homosexuel, ou bien le signe chez lui d’élans incestueux et jaloux mal digérés : « Anna et lui [Sir Philip, son mari] se mettaient à causer et à s’amuser, ignorant Stephen [leur fille lesbienne], inventant, comme deux enfants, d’absurdes petits jeux auxquels ne prenait pas toujours part celle qui était l’enfant véritable. Stephen s’asseyait et observait en silence, mais son cœur était la proie des plus étranges émotions, émotions qu’un petit être de sept ans n’est pas fait pour affronter et auxquelles il ne peut donner de noms précis. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 49)
Dès le début du film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, joue à la Gameboy dans la voiture de son père, et parle à sa console : « Putain, me lâche pas ! ». La relation amoureuse qu’il entame avec Nathan est fondée console. C’est en lui expliquant comment y jouer que Nathan initie implicitement Jonas à l’homosexualité : « Maintenant que t’as pigé le truc, le but, c’est de ne jamais s’arrêter. Jamais. » En guise de déclaration d’amour, Nathan offre sa Gameboy à son amant Jonas, au moment où ils sont au cinéma. Jonas est très touché mais gêné aussi : « On va pas jouer maintenant. » La passion de Jonas pour son jeu-vidéo – et finalement pour l’homosexualité – vire tellement à l’obsession que c’est à cause de sa Gameboy qu’il ne vient pas en aide à son amant lui suppliant de lui ouvrir la porte de la voiture où il s’est enfermé, alors que Nathan va se faire tuer. Dix-huit ans tard, à l’âge adulte, Jonas est carrément identifié à sa console, et se fait appeler « Gameboy » par Léonard, le frère de Nathan. Pour le provoquer, et alors même qu’il sent un regard de désir de la part de Jonas posé sur lui, Nathan, sur sa bouée dans la piscine, balance exprès la Gameboy à l’eau. Jonas plonge pour la récupérer. À la fin du film, comme un ultime hommage funèbre, Jonas dépose sur le lit de Nathan la console, symbole de leur amour impossible.
Mais le « jeu » figuré dans les fictions homo-érotiques se réfère surtout au fantasme actualisé de possession de l’autre, au fantasme actualisé de possession de soi (= masturbation), au viol, à l’inceste, à la prostitution. Le héros homosexuel veut conquérir l’amant au point de faire de lui un jouet/devenir son jouet, de rentrer avec lui dans des jeux amoureux destructeurs, des liaisons dangereuses : « Quentin n’a fait que jouer avec vous. » (Lucie parlant à Jules de son ex-copain à lui, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Je m’y connais quand même pas mal en jeu. Je touche ma bite… euh… je touche ma bille. » (Bernard, le héros homosexuel de la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Ça nous laisse quelques minutes pour jouer. » (le client Monsieur Chateigner à son garçon d’hôtel Anthony, qu’il maltraite avec des jeux sadomasochistes, dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann) ; « Et elle voyait Paul couché sur un billard. Dans son rêve, le billard s’appelait ‘Le morne’. » (Elisabeth face à son frère avec qui elle a vécu l’inceste, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Frapper à cette porte pour ressusciter la voix de la mère. Imaginer qu’elle allait enfin se réveiller. Enfin répondre. Parler au petit frère […] qui, chaque soir, voulait qu’on recommençât le jeu : ‘Adi, tu me serres très fort dans tes bras ?’ » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 41) ; « Je t’amène là où je veux. J’ai toutes les cartes du jeu. » (cf. la chanson « Chatte » du groupe travesti M to F Mauvais Genre) ; « Cette fille, Virginie, violée sur la place, et bien c’est moi. […] J’ai toujours été un peu joueuse avec les touristes… » (Léa dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « À quoi tu joues ? » (Hennis s’adressant à son amant Jack qui va le sodomiser par surprise sous la tente, dans le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee) ; « I want a bad girl, to come and playwith me… » (cf. la chanson « Bad Girl » de Mylène Farmer, en référence à la prostitution) ; « Gardons l’innocence et l’insouciance de nos jeux d’antan, troublants. » (cf. la chanson « Regrets » de Mylène Farmer) ; « Ai-je jamais été innocent ? Si je l’ai jamais été, c’est parti très vite. Très vite, je crois avoir compris les jeux des grands, leurs enjeux, leurs discussions murmurées, leurs sous-entendus, leurs lâchetés, leurs espérances. Très vite, je n’ai plus été dupe. J’ai perdu ça : la naïveté, la fraicheur, l’inconscience. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 24) ; « Je veux vous dire que, lorsque je déclare que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes, je signale simplement que, dans une relation amoureuse, souvent, il en est un qui donne et l’autre qui prend, un qui s’offre et l’autre qui choisit, un qui s’expose et l’autre qui se protège, un qui souffrira et l’autre qui s’en sortira. C’est un jeu cruel parce qu’il est pipé. C’est un jeu dangereux parce que quelqu’un perd obligatoirement. » (la figure de Marcel Proust à son jeune amant Vincent, op. cit., pp. 164-165) ; « Moi, je ne suis que ton pion. » (Jack à son amant Paul, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Il est terrible, ce jeu, Khalid. Tu es impitoyable. » (Omar, le héros homosexuel qui tuera son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 111) ; « Un autre jeu, entre nous, allait commencer. Mais ce n’était pas vraiment un jeu. Nous avons vite compris que dans la forêt les jeux n’avaient pas le même sens ni le même goût qu’ailleurs. » (idem, p. 137) ; « Et si on changeait de noms ? Je veux dire échanger nos prénoms, juste nos prénoms… […] On ferme les yeux dix secondes. Après, chacun de nous deux sera l’autre. JE deviendrai toi, TU deviendras moi. » (idem, p. 138) ; « Le combat, pour de faux, pour de vrai, a repris. La transformation aussi. L’échange de prénoms. Un film de science-fiction marocain. » (idem, p. 140) ; « C’est un jeu. Pourquoi vous ne jouez pas avec moi ? » (Dr Apsey parlant à son patient homosexuel Frank à qui il essaie de faire avaler des pilules pour le transformer en hétéro, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Elle me répète qu’elle m’aime et je joue avec elle comme un petit animal effrayé. Ses baisers me donnent la nausée. La manière dont elle s’est jetée dans mon lit, dont elle s’est couchée contre moi, sans que je lui demande rien, me dégoûte. […] Son insouciance, sa beauté me répugnent. » (Heinrich parlant de Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 65) ; « J’ai toujours pensé que comme j’étais une pédé passif, alors je pouvais être un femme belle et désirette, c’est dans moi, comme jouer à la poupée quand j’étais enfant, essayer les robes de ma mother quand j’étais teen et sucer des bites maintenant, quoi ! » (Cody, le héros homosexuel nord-américain hyper efféminé, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 92) ; etc.
Documentaire « Greek Pete » d’Andrew Haigh
Par exemple, dans la chanson « Une Fée, c’est… » de Mylène Farmer, l’allusion à la masturbation ne laisse aucun doute quand la chanteuse dit « Jeux de mains, jeux de M… Émoi. » Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier, l’un des héros homos, dit qu’il s’est déjà prostitué : « Ça m’excitait d’être un jouet sexuel. » Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Léopold, avant de sauter sur le jeune Franz et de coucher avec lui, lui propose de jouer à un jeu de pions : « On joue à quelque chose ? Aux petits chevaux peut-être ? C’est dans le jeu qu’on apprend le mieux à connaître les gens. » Peu à peu, le spectateur découvre que, derrière ses apparences séductrices et aimantes, ce jeu est diabolique : Léopold compose trois fois de suite un « 6 » au dé.
Chez Jean Cocteau, le mot « jeu » remplace presque toujours celui de « sexe » ou de « viol » : par exemple, lorsque Paul déclare dans le roman Les Enfants terribles (1929) qu’« il s’est trop habitué à jouer seul » au moment où sa sœur lui propose de « jouer au jeu » avec elle, l’allusion à la masturbation et à l’inceste est explicite ! Dans le roman Querelle de Brest (1947) de Jean Genet, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, ou encore dans la chanson « Porno graphique » de Mylène Farmer, le passage au viol est anticipé par le jeu de dés pour savoir « qui va enculer qui ». Dans le film « Dans la ville blanche » (1983) d’Alain Tanner, le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, ou encore dans le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, le billard est filmé comme le préambule de la sodomie et du viol homosexuels. Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), l’humoriste Raphaël Beaumont propose aux gens de son public un jeu pour découvrir s’ils sont des violeurs idéaux, façon QCM de plage : « Quel genre de psychopathe êtes-vous ? » Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, la Tonka joue la prostituée… et est prise à son propre jeu : elle se fait violer pour de vrai par Volker. Dans le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le jeu annonce le viol pédophile : Neil, le jeune héros homosexuel, a été couvert de cadeaux et de jeux vidéo par son entraîneur de sport, avant de se déclarer homosexuel à l’âge adulte. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la relation amoureuse fusionnelle entre Kévin et Bryan s’annonce comme un jeu de cartes, celui de la bataille. Au moment où ils vont faire l’amour ensemble, Kévin « dit sur un ton catégorique [à Bryan] : ‘On va jouer à un jeu : la bataille. T’as un jeu de cartes ?’ » (p. 120) ; « ‘J’aime bien jouer avec toi’, dit-il, avec ce sourire qui en disait long sur ce qu’il pensait. » (p. 123) Et lorsque Bryan le remercie de lui avoir changer sa vision du monde et de lui avoir appris l’amour, celui-ci ironise en lui répondant : « Je t’ai appris à jouer aux cartes ! » (p. 390) Leur jeu aura une issue fatale pour chacun des deux… « Jouer » n’est pas nécessairement « aimer ».
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) L’homosexualité ludique :
Cf. je vous renvoie au code « Humour-poignard », à la partie « Travestissement » du code « Substitut d’identité », à la partie « Carte » du code « Inversion », et à la partie « Bilboquet » du code « Parodies de Mômes », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
On peut difficilement dire que dans la vie, les personnes homosexuelles ne sont pas joueuses (Après, la différence se fait dans la catégorie de jeux qu’elles aiment, qui sont souvent des divertissements qui éloignent du Réel : travestissement, jeux solitaires, jeux virtuels ou en réseau, jeux de rôles, jeux d’argent, rituels de cour, etc.) Par exemple, Vanessa Selbst, lesbienne, est joueuse de poker aux États-Unis. Le célèbre Youtubeur Julien Dachaud alias Newtiteuf a fait son coming out en janvier 2017. Dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, Luca, l’un des deux membres du couple homo portraituré, lave ses innombrables figurines de jouets dans une bassine. Je me suis rendu à l’exposition Des jouets et des hommes (2011-2012) au Grand Palais de Paris, et j’y ai trouvé (notamment dans les mises en scène vidéo qui étaient projetées sur des écrans) une ambiance très homo-érotique. Il existe même des Gay Games (Jeux Olympiques spécifiquement réservés aux personnes homosexuelles) !
Certaines personnes homosexuelles se définissent elles-mêmes par le jeu, ou comme des jouets : « Tel un jeu de Yo-Yo, je désespérais et reprenais courage en face de ce mal de vivre. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 57) Par exemple, dans son premier film « Pêche mon Petit Poney » (2012), le réalisateur Thomas Riera se penche sur la genèse de la découverte de l’homosexualité et sur la question du genre dans le monde du jouet d’enfant.
Beaucoup d’entre elles, depuis leur plus tendre enfance, vouent un culte à la légèreté et à la fantaisie du jeu : « Notre maison regorgeait de livres, des jeux de société, ainsi que des décorations militaires qui peuplaient le salon. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 18) ; « J’avais six ans à peine et j’étais autant fasciné par les jeux de la fête foraine auxquels je pouvais participer que par la présence autour de moi de ces adultes habillés à la mode. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 23-24) ; « Sur ma lancée d’organisateur de jeux pour le quartier, je pris en charge les fêtes de la Saint-Jean. J’avais tout juste treize ans. Je montai une comédie musicale avec mes camarades, abusant du play-back. C’était le début du disco et je me trémoussais avec enthousiasme durant le spectacle, incarnant… des chanteuses. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 29-30)
Par exemple, le dramaturge argentin homosexuel Copi était très attaché à sa grand-mère maternelle, Salvadora Medina Onrubia, et dans sa jeunesse, il passait ses dimanches à jouer à la canasta avec elle et ses amies de 80 ans.
Je connais dans mon entourage des amis homosexuels qui adorent se rendre dans les grands salons de jeux, qui aiment beaucoup les jeux en ligne sur Internet et les jeux d’argent. J’ai notamment parmi eux un pote (pourtant le plus âgé de ma bande d’amis d’Angers) dont le salon ressemble à une vraie salle de jeux, avec des figurines de Schtroumpfs partout, des petits casse-tête, des revues de mots-croisés, des peluches de héros de dessins animés, des gadgets en tout genre. Et c’est toujours un plaisir de se retrouver chez lui, car on rigole bien. L’ennui et le vide y sont vraiment bannis !
Étant petit, j’étais moi-même très joueur. Sur la cour de récré, les jeux du loup-chaîne, de la balle au prisonnier, de 1, 2, 3 Soleil, de l’Épervier, me fascinaient ; et à la maison, tous les jeux de société où il y avait des cartes et un plateau – ça allait de la Bonne Paye et du Cluedo, en passant par le Trivial Poursuit et les Jeux de 7 familles – occupaient tellement mon imaginaire qu’il m’arrivait d’en fabriquer « maison ». J’aimais réaliser des jeux de société. Ma conception du « jeu » était néanmoins très particulière. Ce n’était pas les jeux où intervenaient le corps ou le collectif (les sports en groupe ou demandant un effort physique, très peu pour moi…). Il s’agissait plutôt de jeux m’entraînant dans le dessin, l’illustration, la rêverie, l’imaginaire asexué, la fantaisie solitaire, la misanthropie cachée (car personne sauf moi, en réalité, ne pouvait jouer à mes jeux…).
Au fond, les personnes homosexuelles, malgré les apparences, ne sont pas si joueuses que cela. C’est le vrai jeu, celui qui nous aide à nous confronter aux autres, au Réel, et à aimer notre société, que la plupart d’entre elles connaissent mal et fuient (cf. je vous renvoie au code « Différences culturelles » et à la partie « Foot » du code « Solitude » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.) : « Une véritable peur de la vie résulta de sa façon de nous élever, mon frère et moi. […] Au début de ma tendre enfance, je n’ai été privé que d’une chose : jouer avec d’autres enfants. Ma mère prétendait que j’avais une santé fragile et me gardait constamment auprès d’elle. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 76) ; « Je me souviens que je restais toujours près d’elle [ma mère] surl’herbe. J’étais rassuré. J’étais spectateur, je regardais les autres jouer au loin. J’étais hors jeu. » (Brahim Naït-Balk, entraîneur homosexuel du Paris Foot Gay, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), p. 17)
b) Jeu en tant que fuite du Réel :
Film « Homme au bain » de Christophe Honoré
Le jeu que se choisissent les individus homosexuels s’oriente surtout vers l’irréalité. Jadis le Minitel, actuellement Internet, occupent une place prépondérante dans leur vie : cf. le documentaire « Baby You’re Frozen » (2012) de Sadie Lune et Kay Garnellen. Et quoi qu’on en dise, cette lubie virtuelle est plus encouragée par le désir homosexuel que par des désirs non-homosexuels : « Les femmes et les hommes homo-bisexuel-le-s rencontrent plus fréquemment des partenaires par Internet que les femmes et les hommes hétérosexuel-le-s : 24,5% des femmes homo-bisexuelles et 41,6% des hommes déclarent ainsi avoir déjà eu un partenaire rencontré par Internet contre 2,7% et 4,3% chez les femmes et hommes hétérosexuels. » (Nathalie Bajos et Michel Bozon, Enquête sur la sexualité en France (2008), p. 253)
Internet est devenu en quelques années l’interface de rencontres privilégié par les personnes homosexuelles pour rentrer en contact, « s’aimer » entre elles, jouer avec leurs bons sentiments et leurs projections sentimentales… souvent à leurs risques et périls : « Les paroles de ces hommes qui exprimaient la même sensibilité que la mienne m’aidaient à mieux rêver du grand amour, alors que la réalité sexuelle m’avait tellement déçu. » (Brahim Naït-Balk parlant de son expérience des sites de rencontres, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), pp. 45-46)
Beaucoup d’individus homosexuels passent le plus clair de leur temps devant les ordinateurs ou les I-phone (j’ai eu ma période « site de rencontres Internet », où je n’arrivais pas à me déscotcher de mon écran pendant des jours et des jours… donc je sais de quoi je parle !). Il existe un lien étroit entre homosexualité et mondes « ludiques » virtuels. Pour la petite histoire, c’est amusant de voir que l’acteur Jim Parsons, l’inoubliable geek de la série The Big Bang Theory (2007) de Chuck Lorre et Bill Prady, a fait récemment son comingout.
Certaines œuvres artistiques homosexuelles actuelles sont fortement influencées par les jeux vidéo : on peut penser aux tableaux de Thierry Brunello, aux films d’Arnault Labaronne ou de Pascal-Alex Vincent, aux vidéo-clips de Peter Kitsch ou George Michael, etc. Maintenant, il existe même des jeux vidéo (par exemple le jeu Mass Effect 3) mettant en scène des personnages homos virtuels.
Les personnes homosexuelles confondent tellement la fiction avec le Réel que beaucoup d’entre elles entretiennent avec le monde ludique ou Internet un rapport idolâtre d’attraction-répulsion : à la fois elles les célèbrent comme le summum de l’orgasme humoristico-politique-artistique (« Jouer avec Copi c’était militer pour le pur plaisir. Ça tenait des jeux d’enfants. » affirme Myriam Mezières dans la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 71), et elles les diabolisent comme le pire des mirages étant donné qu’ils n’arrivent pas à concrétiser tous les fantasmes. Combien, en effet, conspuent par exemple Facebook et les mondes virtuels (… parce qu’en réalité ils y sont trop dépendants et qu’ils en font un mauvais usage)!
c) Jeu-schizophrénie :
Certaines personnes homosexuelles, en ne distinguant plus la fiction de la Réalité, personnage et personne, rôle (de théâtre) et action (dans la vie), ou bien en confondant sincérité et Vérité, se comportent en acteurs schizophrènes qui ne s’éprouvent pas jouer, en menteurs qui ne comprennent pas pourquoi leur jeu devient parfois soudainement si sérieux et si violent : « J’aime tricher, jouer, tout avoir sans faire de choix. Et alors ? » (Catherine, femme lesbienne, dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 175) ; « Paradoxal et rare, il pouvait ‘faire l’acteur’ sans se sentir Acteur. » (Jorge Lavelli à propos du dramaturge Copi, dans la biographie Copi (1990) de Jorge Damonte, p. 32) ; « J’étais en adoration devant un animateur d’Europe 1, Jean-Louis Lafont, dont la voix et l’allure d’éternel adolescent me ravissaient. Je collectionnais les autocollants avec sa photo et passais tout mon argent de poche en achat de 45 tours. Europe 1 réalisait certaines de ses émissions en direct dans différentes villes de France, le fameux ‘Podium’. En prévision de son passage dans notre région, je me préparais donc à cet événement en endossant le rôle de sa femme imaginaire dans mes jeux. J’avais choisi un prénom de fée : je m’appelais Viviane Lafont. Je n’avais aucune envie de me transformer en femme. Mais, si je veux jouer avec le prénom d’enchanteresse que j’avais choisi, j’espérais qu’un petit miracle allait se produire et me rétablir dans la normalité environnante. Car j’avais très vite saisi que seule une femme avait le droit d’être attirée par les garçons. Si, par magie, je me réveillais un beau matin en fille, tout serait rentré dans l’ordre. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 29) ; « Je rejoignais Amélie. L’un de mes jeux préférés consistait à la maquiller, l’affubler de rouge à lèvres et de tout un tas de poudres différentes. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 105) ; etc.
Par exemple, suite au scandale de son irrévérencieuse pièce LesMariés de la Tour Eiffel (1921), Jean Cocteau raconte qu’il n’a pas maîtrisé son jeu de provocation : « J’attaquais tout. C’était un jeu. Nous nous amusions. Ce n’était pas une œuvre d’attaque. Peut-être que dans ce jeu mettions-nous encore plus de nous-mêmes que dans les œuvres de gravité fausse. Un poète se doit d’être un homme très grave et, par politesse, d’avoir un air léger. Souvent hélas, le poète est un homme léger qui prend l’air grave. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky)
Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », s’amuse avec Ebba, sa dame de compagnie. Elles s’embrassent sur la bouche tout en simulant un cache-cache déguisé et masqué : « Vos jeux sont dénués de calcul et de jalousie. » (la voix-off s’adressant à la Reine Christine) Mais très vite, l’entourage royal va voir d’un très mauvais œil ces galipettes qu’il qualifie de « jeux malsains ». À la fin, même la voix-off finit par mettre en garde son héroïne : « Tu participes à un jeu dangereux en te dissimulant derrière un nouveau masque. » (idem)
Tout porte à croire que le « jeu » mis en place par certaines personnes homosexuelles – une machinerie dénuée de conscience – soit l’expression refoulée d’un narcissisme d’auto-destruction qui s’ignore, d’une schizophrénie : cf. l’autoportrait de Claude Cahun et Moore (= Suzanne Malherbe) déguisées en Valet de Cœur et en Roi de Pique pour l’essai Aveux non avenus, planche VII (1929-1930) de Claude Cahun, l’essai Jeux uraniens (1915) de Claude Cahun (qui sont des méditations sur le narcissisme et les « amours-amitiés » homosexuelles), etc. « Tu penseras au poète grec d’Alexandrie. À celui qui a su raconter comment un miroir est tombé amoureux du coursier qui s’est regardé par hasard en lui. Un jour, un soldat grec se regardera dans ton miroir qui, comme celui du poète, tombera amoureux de lui. Qui pourra te reprocher de jouer aux miroirs ? » (la grand-mère à son petit-fils Alfredo Arias, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-fantômes (1997), p. 160) ; « C’était cela, la vérité. Mon corps réel. Il fallait changer. Le changer. Revenir au jour du départ et de l’arrivée. Maigrir. Absolument maigrir. Arrêter de manger. Jouer de nouveau, sans le savoir, avec la mort. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 63)
Le jeu que certains individus homosexuels défendent cache un désir de devenir quelqu’un d’autre que soi, ou bien un objet : « Pour les grandes occasions, Noël, ma fête et mon anniversaire, on m’achetait des jouets de fille, des poupées notamment, dont j’ai eu un véritable harem. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 63) ; « Lorsque j’avais de cinq à sept ans environ, j’échangeais souvent mes jouets de garçon contre des poupées et je jouais beaucoup avec elles. » (un patient homosexuel cité dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » (1930) de Félix Boehm) ; etc.
Par exemple, lors de sa conférence La Société de l’anticipation à l’INHA, le 31 octobre 2011, Éric Sadin parlait d’un de ses amis gay lui montrant l’application I-Phone Grindr : « Il y a un rapport corporel à la technique : Corps et technique entretiennent des rapports de plus en plus intimes, d’assistanat. »
D’ailleurs, le « Je est un autre » de Rimbaud (cf. extrait d’une lettre d’Arthur Rimbaud à son ami Paul Demeny, datée du 15 mai 1871), ressemblant phoniquement à un « jeu est un autre », renvoie aussi à la corrélation entre jeu et schizophrénie homosexuelle. « Je me faisais toujours gronder pour les jeux turbulents voire dangereux que j’inventais : bataille de feuilles, courses sur les pierres, combat de boxe… […] S’il fallait grandir, je voulais garder le goût de l’aventure, le plaisir du jeu. Un peu comme un homme, me disais-je. » (cf. l’article « Tom Boy à l’affiche » d’Isabelle, qui souhaitait dès son plus jeune âge devenir un garçon) Quand on demande à la photographe lesbienne Claude Cahun quels ont été les moments les plus heureux de sa vie, elle répond : « Le rêve. Imaginer que je suis autre. Me jouer mon rôle préféré. »
Beaucoup de critiques gay friendly actuels trouvent à la schizophrénie de certains créateurs homosexuels (objectivement de mauvaise qualité artistiquement et littérairement parlant) la dimension ludique et drolatique qui lui servira de paravent : « Bizarre ? Vous avez dit bizarre ? Le jeu, toujours désarçonnant, relève ici de la provocation surréaliste. Une sorte de facétie pirandellienne (l’acteur à la recherche d’une identité) en forme de clownerie onirique. Telle est la nature de Copi, et son humour : bariolé et dérangeant. Avec, au cœur, une angoisse d’enfant perdu. Une gentillesse portée sur la mort et l’érotisme, Eros et Thanatos, étroitement liés. » (cf. l’article « La Nuit de Madame Lucienne : Exercices de style » de Pierre Marcabru, dans le journal Le Figaro, le 23 mars 1986)
Mais une fois transposé dans le Réel, dans l’Humanité vivante et dans des enjeux concrets de société, le désir ludique homosexuel, pourtant intellectuellement et sentimentalement séduisant, fait beaucoup moins rire, puisque la vie n’est pas qu’un jeu, et les êtres humains, notamment les enfants, ne sont pas des pions sur un échiquier.
C’est exactement ce que décrit Jean-Paul Sartre quand il parle des Bonnes (1947) de Jean Genet : « À leurs propres yeux, ce n’est qu’un jeu. Mais qu’une tache souille la robe, qu’une cendre la brûle, l’usage imaginaire s’achève en consommation réelle : elles emporteront la robe roulée en boule, elles la détruiront : les voilà voleuses. Genet passe avec la même fatalité du jeu au vol. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr (1952), p. 21)
Le motif de l’accident, très courant dans la fantasmagorie homosexuelle, illustre parfaitement ce possible glissement inconsciemment désiré du mythe « humoristique » à la réalité fantasmée. Le passage brutal du rire à l’incident dramatique, de l’humour pris au sérieux par des personnages qui ne savent plus arrêter leur blague à rallonge, du revirement inattendu entre le « jeu » et le viol, nous est fréquemment présenté. À ce propos, Jean Cocteau, en évoquant l’inceste dans LesEnfants terribles (1929), parle du « jeu » pour ne pas parler du viol : « Pour moi, c’était si loin du sexe, ce que j’appelle le ‘jeu’ desEnfants terribles… D’ailleurs, j’évite d’expliquer ce jeu. On ne touche pas à ces choses-là avec des mains d’homme. » (cf. le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « J’ai décidé d’organiser mon quotidien avec les cartes. Ce qui a commencé comme un jeu est devenu un cauchemar. » (Bertrand Bonello dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc. Il n’est pas anodin que les viols cinématographiques aient quelquefois lieu pendant des soirs de carnaval, après des parties de dés ou de cartes.
Aussi surprenant que cela puisse paraître (… et pourtant, cela prouve bien qu’on nous fait rentrer dans le monde de l’expérimentalisme de l’apprenti sorcier !), le motif du jeu apparaît dans le discours de certains promoteurs de la loi sur le « mariage pour tous ceux qui le désirent » et de l’homoparentalité, par exemple (et de tout ce qui s’en suit : présomption de paternité, PMA, agrément d’adoption, GPA, etc.) : « Il y a un potentiel de jeux de rôles qui se développe dans les familles homoparentales. » (Darren Rosenblum, professeur de droit ayant obtenu avec son copain une enfant par GPA, et s’exprimant lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris, le 7 décembre 2011) ; « Je sais qu’il y a des problèmes [par rapport à la loi sur le « mariage pour tous »]… Mais c’est au droit de régler le problème. Faisons preuve d’imagination juridique, culturelle, législative… » (Didier Éribon lors du « débat » au Sénat sur le mariage, le 11 septembre 2012) Dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy (diffusé dans l’émission Tel Quel, sur la chaîne France 4, le 14 mai 2012) sont filmées quatre petites filles (dont l’une d’elle est élevée dans un couple de femmes lesbiennes) qui jouent au jeu de cartes du UNO. Un peu plus tard, dans ce même reportage, l’enfant (Zohia) obtenue via PMA par le couple de lesbiennes Florence et Olga est également présentée comme un enfant-joujou : « Nos mamans sont comme deux petites filles qui jouent à la poupée. » (la voix-off enjouée et émue, décrivant les deux « mères » pénétrant dans la chambre de la gamine).
À force de trop tirer sur la corde du jeu désincarné, elle finit par casser. Souvent, le jeu homosexuel qui s’éternise annonce comme une soumission ou un esclavage, porte en germe une violence et un élan de mort : « J’ai pris le vice de jouer. Quand j’ai écrit ‘Le Frigo’, je ne pensais pas à moi. Quand on écrit, on imagine le temps de telle action, comme on prend le couteau. » (le dramaturge argentin Copi, parlant de sa pièce lors de l’entretien « Copi : Le Théâtre exaltant » (1983) de Michel Cressole) ; « Si on ‘joue’, alors on est capable de tout jouer, l’homme, la femme, la vie, la mort. » (cf. l’article « L’Acteur, médian sexuel » (1973) de Jean Gillibert) ; « Jusqu’à quand je vais me mettre en jeu comme ça ? » (Jup, homme travesti obèse, avouant qu’il souffre de ne pas être pris au sérieux et du rôle d’« amuseur » public et de « monstre », et du « manque d’affection », dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.
Par exemple, le danseur Vaslav Nijinski jouait compulsivement à la Bourse. Francis Bacon, fasciné par les jeux d’argent et les casinos, ne semble pas prendre conscience de la part de gravité et de Réel que peut engendrer l’addiction au jeu : « Pour moi, il n’y a pas de vrais risques dans le jeu. » (Francis Bacon dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton)
Tout l’essai Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005) de Philippe Muray traite de l’envahissement de la vie quotidienne par le « jeu à tout prix » pour tuer l’ennui, de la violence surgissant après la festivisation (bisexuelle) du monde : « La fête est la force motrice du monde post-historique. » (p. 26) ; « Le réel refoulé a fait retour, brièvement, dans le processus de festivisation générale. Là aussi, il s’agit d’un coup de réel éclatant dans le ciel bleu des jeux qui sont faits. » (idem, p. 161) Le coup de tonnerre du viol n’est pas loin…
e) Jeu-viol :
Film « Les Enfants terribles » de Jean-Pierre Melville
En réalité, dès que le désir homosexuel est pratiqué sous forme de couple, le « jeu » vanté par les personnes homosexuelles s’actualise sous des formes diverses qui ont toutes un lien avec le viol : chantage, manipulation, infidélité, consommation sexuelle, mensonge, bras de fer, rapport de forces conjugaux où les amants jouent au chat et à la souris, volonté de posséder l’autre (= prostitution) ou de se posséder soi (= masturbation), inceste, etc. : « J’aime tricher, jouer, tout avoir sans faire de choix. Et alors ? » (Catherine, l’amant lesbienne de Paula Dumont, dans l’autobiographie de la seconde, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 175) ; « Les amants [homosexuels] sont des équilibristes qui se tiennent par la main, s’assistent mutuellement. C’est un jeu entre la vie et la mort du couple qui tient sur un fil. » (Christophe Aveline, L’Infidélité : La relation homosexuelle en question (2009), p. 55) ; « Deux boxeurs brésiliens pour moi tout seul. Des garçons de très bonne humeur, disposés à tous les jeux. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 155) ; « C’est pas forcément glauque, les baisodromes. Il peut y avoir un côté sympa. C’est facile. C’est un jeu, avec des rituels. Tu consommes, sur place, un mec différent tous les soirs. C’est la quantité qui choque. Mais ça ne laisse pas de trace. Quand j’ai rencontré Stéphane, il y a un an, je ne me sentais pas sale de tout ça. » (Emmanuel, un homme homosexuel de 33 ans, dans la revue Actualité des Religions, n°5, mai 1999, p. 38) ; « Mes premiers souvenirs d’excitation sexuelle remontent à ma cinquième année, bien que je n’en aie eu conscience qu’au cours des dix dernières : je vis un jour des garçons jouer avec les organes génitaux d’un chien et, une autre fois, ces mêmes garçons s’amuser avec leurs propres sexes. Lorsque mon tour arriva, j’éprouvai un vif sentiment de culpabilité à l’égard de ma mère qui arriva bientôt, sans, d’ailleurs, avoir eu connaissance de ce qui venait de se passer. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 76) ; « Dans son office où le père Basile me recevait les après-midi, il y avait non seulement de quoi manger et boire, mais également un piano où je m’amusais à jouer n’importe quoi et n’importe comment. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 35) ; « J’avais trouvé cette pratique agréable au même degré que lorsque tout petit ma nourrice s’amusait à faire de mes fesses et de mon sexe, son jouet favori. » (idem, p. 35) ; « Il fallait, à tout prix, que je me persuade, que j’étais l’homme au même titre que le père Basile ou mon initiateur et que, partant de ce principe, je pouvais jouer le rôle du preneur. » (idem, p. 119) ; « Mon cousin Bruno a demandé ‘On pourrait faire comme dans le film, les mêmes trucs.’ […] ‘Ah ouais ça serait fendard, on se poilerait bien la gueule.’Bruno a demandé où nous pourrions jouer à ce jeu, ‘le faire’, avant de proposer de rester dans le hangar. […] Mon cousin se rassurait et nous rassurait : ce n’était qu’un jeu auquel nous allions jouer, le temps d’un après-midi ‘On pourrait le faire juste comme ça, pour s’amuser.’ Il m’avait suggéré d’aller voler des bijoux à ma sœur aînée ‘Eddy, toi tu pourrais, ça serait encore mieux parce que ça le ferait plus, toi tu pourrais voler des bagues à ta sœur, et comme ça, celui qui ferait le rôle de la femme, celui qui se ferait baiser, juste pour déconner, sinon on se tromperait sans les bagues, ça fera plus vrai. Avec les bagues on pourra bien reconnaître.’ […] Je me rendais compte, moi, que c’était toute ma personne, tout mon désir refoulé depuis toujours, qui m’entraînait dans cette situation. Je brûlais d’excitation. […] J’ai senti son sexe chaud contre mes fesses, puis en moi. Il me donnait des indications ‘Écarte, Lève un peu ton cul.’ J’obéissais à toutes ses exigences avec cette impression de réaliser et de devenir enfin ce que j’étais. […] C’était le début d’une longue série d’après-midi où nous nous réunissions pour reproduire les scènes de nouveaux films vus entretemps. Il fallait prendre garde à ne pas être surpris par nos mères, qui sortaient dans la cour plusieurs fois par jour pour arracher les mauvaises herbes du jardin, déterrer quelques légumes ou chercher des bûches dans le hangar. Quand l’une d’elles arrivait nous trouvions toujours le temps de nous rhabiller et de faire semblant de jouer à autre chose. » (Eddy Bellegueule racontant les jeux du hangar quand lui avait 10 ans et ses cousins 15 ans, dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 150-154) ; etc.
Il n’est pas anodin que l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa s’achève par la citation de la lettre d’adieux que Slimane, l’ex-amant, adresse à l’auteur : c’est le poème « Jeux cruels » de Bachar Ibn Bourd (pp. 125-126).
Oui : il existe des jeux cruels. Dès qu’on s’éloigne du Réel, on ôte au jeu toute sa douceur.
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Il n’est pas très étonnant (même si c’est peu connu et peu valorisé, car le lien de causalité est fui comme la peste) de voir les nombreuses coïncidences qui existent entre gémellité et homosexualité. Dès qu’on commence à connaître des personnes homosexuelles, on rencontre énormément de jumeaux, c’est assez hallucinant. Moi-même, je suis né jumeau ! (je suis un « vrai jumeau », comme on dit, et je partage avec mon frère Jean le même patrimoine génétique, depuis la naissance. Il n’est, quant à lui, pas homosexuel, s’est marié et a trois enfants). Cependant, je n’aurai pas la bêtise de dire que tous les jumeaux sont des homos refoulés, ou bien qu’il y a plus de jumeaux homos que de jumeaux hétéros, ou encore que les personnes nées jumelles sont prédestinées à être homosexuelles.
En revanche, ce que nous révèle la gémellité par rapport au désir homo, c’est d’une part que l’homosexualité n’est pas QUE génétique (si tant est qu’elle le serait, ce qui reste à prouver…) – sinon, mon frère jumeau serait aussi homosexuel que moi – mais qu’en revanche elle possède des terrains porteurs (qui ne sont pas des « causes » de l’homosexualité mais uniquement des coïncidences) ; et d’autre part que le désir homo traduit une peur d’être unique (donc aimé) et un fantasme de toute-puissance ( = « J’ai été capable de m’auto-cloner tout seul »).
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FICTION
Film « Beautiful Thing » d’Hettie Macdonald
On constate dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité que le personnage homosexuel a souvent un frère jumeau, ou est fasciné par la gémellité.On retrouve les jumeaux dans le film « Les Dieux de la vague » (2011) de Dan Castle, le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong (avec les jumelles siamoises aquatiques), la photo Sense Of Space (2000) des frères Gao, la « Chanson des jumelles » de Christophe Moulin, le film « Una Noche » (2012) de Lucy Molloy (avec Elio, le héros homo, et Lila, sa sœur jumelle), le tableau Salim et Medhi (2007) de Manuel Richard, la pièce Les Homos préfèrent les blondes (2007) d’Eleni Laiou et Franck Le Hen, le film « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy (avec la fameuse « Chanson des jumelles »), le téléfilm « Falling in love at Christmas » (« À la recherche de mon père Noël », 2021) de Sharon Lewis (avec Erika, la soeur jumelle lesbienne de Paul), le film « Alice au pays des merveilles » (2010) de Tim Burton, le film « JF partagerait appartement » (1992) de Barbet Schroeder, le vidéo-clip de la chanson « Lo Mejor De Mi Vida Eres Tú » de Ricky Martin, le film « Life Is Sweet » (1990) de Mike Leigh, le film « Hamlet » (1976) de Celestino Coronado, le film « The Maids » (1975) de Christopher Miles, le film « Deux » (2002) de Werner Schroeter, le film « Vas voir maman, papa travaille » (1077) de François Leterrier, la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, le film « Justice pour tous » (1979) de Norman Jewison, le film « Anguished Love » (1987) de Pisan Akarasainee, le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, le film « Unconditional » (« Inconditionnel », 2012) de Bryn Higgins (avec Owen et Kristen, les jumeaux homos dragués par Liam), la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, le film « Leave Me Alone » (2004) de Danny Pang, le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli (avec Rafe et Théron), le roman Les Deux jumelles (1949) de Stefan Zweig, la comédie musicale Ball Im Savoy (Bal au Savoy, 1932) de Paul Abraham, la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall (avec Victor et Bobby, les deux cabaret boys identiques), le film « Murmur Of Youth » (1997) de Lin Cheng-sheng, le roman La Ballade du café triste (1951) de Carson McCullers, la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès (avec les jumeaux noirs), les tableaux de Kinu Sekigushi, le film « The Twin Bracelets » (1990) d’Huang Yu-Shan, les photos-collage de David King (2007), la chanson « Cheeky Song » des Cheeky Girls (où les deux jumelles parlent beaucoup d’inversion des sexes), la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti, la pièce Son mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, le film « Big Business » (1988) de Jim Abrahams, le dessin Encre de Chine (2006) d’Olympe, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp (avec la recherche de la gémellité parfaite de la part de Frédéric Delamont), le film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger (avec Lena et Leni les jumelles siamoises), le roman Bonheur fantôme (2009) d’Anne Percin, le film « Jamais deux sans trois » (1951) d’André Berthomieu, le film « Avril » (2005) de Gérald Hustache-Mathieu (avec les faux jumeaux), le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald (avec la troublante ressemblance entre Ste et Jamie), le film « X2000 » (2000) de François Ozon (avec les jumeaux à l’intérieur d’un même sac de couchage), les photographies L’Hommage à Cavafy (1978) et La Faute énorme (1978) de Duane Michals (où sont pris des jumeaux), le film « The Krays» (« Frères Kray », 1989) de Peter Medak, le film « L’Ombre des anges » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le roman Les Météores (1975) de Michel Tournier (avec Jean et Paul), le roman On The Black Hill (1982) de Bruce Chatwin (avec les jumeaux Lewis et Benjamin), le roman Crocodilia (1988) de Philip Ridley (avec les jumeaux Dave et Théo), le roman Mi Novia Y Mi Novio (1923) d’Álvaro Retana (avec Roberto et sa sœur jumelle), le film « Jubilee » (1978) de Derek Jarman (avec Angel et Sphinx), le film « Morte A Venezia » (« Mort à Venise », 1971) de Luchino Visconti, le film « Paulo et son frère » (1997) de Jean-Philippe Labadie, le roman Thomas l’imposteur (1923) de Jean Cocteau, la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, le roman De Komedianten (1917) de Louis Couperus, le roman La Hermana Secreta De Angélica María (1989) de Luis Zapata, le film « Ostia » (1970) de Sergio Citti (avec Rabbino et Bandiera), le film « Ernesto » (1978) de Salvatore Samperi, le film « Double The Trouble, Twice The Fun » (1992) de Pratibha Parmar, le film « Les Jolies choses » (2001) de Gilles Paquet-Brenner, le roman Le Bateau brume (2010) de Philippe Le Guillou, la chanson « Jumelle » de Linda Lemay (avec la tentation misandre des sœurs lesbiennes), le roman The Importance To Being Earnest (L’importance d’être Constant, 1895) d’Oscar Wilde (avec Algernon et Jack), le film « Footing » (2012) de Damien Gault (avec l’amie d’enfance de Marco, le héros homo, qui a eu des jumelles), le film « Ma vie avec Liberace » (2013) de Steven Soderbergh (Liberace a eu un jumeau mort né), le film « Ich Seh, Ich Seh » (« Goodnight Mommy », 2014) de Veronika Franz et Severin Fiala, le vidéo-clip de la chanson « The Loving Cup » de Christine & the Queens, la pièce Personne n’est parfait(e) (2015) d’Hortense Divetain, le film d’animation « La Famille Addams » (2019) de Conrad Vernon et Greg Tiernan (avec les jumelles Layla et Kayla), etc. Par exemple, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (cf. l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1), Karma, l’une des héros quasi lesbiennes Karma caresse le ventre d’une jeune femme qui attend des jumeaux : « Et félicitations pour les jumeaux ! » Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Cédric, avec son « mari » Bertrand, éduquent et se disent « papas » de deux jumeaux, Gaspard et Noé.
La gémellité rejoint l’homosexualité jusque dans l’homonymie des prénoms des amants gays : Jamie et Jamie dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, Chuck et Buck dans le film « Chuck & Buck » (2001) de Miguel Artera, Bryan et Brian dans le film « Together Alone » (1991) de P. J. Castellaneta, Jeff et Jeff dans le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, Jim et Jim dans le film « American Beauty » (2000) de Sam Mendes, Henri et Henriette dans la comédie musicale La Bête au bois dormant (version 2007) des Caramels fous, les Dupont et Dupond du film « The Mostly Unfabulous Social Life of Ethan Green… » (2005) de George Bamber, Marie et Marie dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie, les jumeaux « Dupond et Dupont » du film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano, Sulky et Sulku dans le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes, Jean et Juan dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, etc. « Où sont Tralali et Tralalère ? » (Citron l’hétérosexuel se moquant du couple homo Mirko/Radmilo, dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) Je vous renvoie également aux photos Le Magicien d’eau ainsi qu’Adam et Adam (1997) d’Orion Delain, au film « Él Y Él » (1980) d’Eduardo Manzanos, au film « By Hook Or By Crook » (2001) d’Harry Dodge et Silas Howard, au roman Cris & Cris (1992) de María Felicitas Jaime, etc. Dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Frédérique surnomme cyniquement le couple Jean-Luc/Romuald « Dupond et Ducon ». Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, Rubén, le héros homosexuel prostitué dit à Eloy son client qu’ils ont toujours eu le même nom de famille. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, on est en plein narcissisme fusionnel : Oliver et Elio décident de s’échanger les prénoms et que chacun appelle son amant par son propre prénom : « Appelle-moi par ton nom et je t’appellerai par le mien. » (Oliver s’adressant à son amant Elio)
Film « Les Demoiselles de Rochefort » de Jacques Demy
Le personnage homosexuel a parfois un vrai jumeau de sang. « Ton frère [Hector, homosexuel] avait un jumeau. » (la mère d’Ariane et d’Hector, à sa fille la lesbienne, dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander) Par exemple, dans le film « La Grande Zorro » (1981) de Peter Medak, Zorro, à cause d’une entorse au pied, se fait remplacer par son frère jumeau Bunny Wigglesworth, gay flamboyant et folle devant l’éternel… Parfois, les jumeaux fictionnels sont homos tous les deux : c’est le cas de Djemal et Djelal, les coiffeurs du roman Bonbon Palace (2008) d’Elil Shafak. La gémellité est prioritairement vue comme un clonage puisqu’elle repose sur l’inversion. Par exemple, dans le film « Jeu de miroir » (2002) de Harry Richard, les deux frères jumeaux (dont l’un est homo) portent des prénoms-anagrammes : Leon et Noel. Dans le one-woman-show Le Gang des potiches (2010) de Karine Dubernet, Janis prend Nina la lesbienne et sa sœur Édith pour des sœurs jumelles. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Petra, l’une des héroïnes lesbiennes, a un frère jumeau, Tielo : « On dormait dans la même chambre quand on était petits. On était jumeaux. C’est l’autre partie de moi. » (p. 85) Par ailleurs, Jane (la compagne de Petra) et la jeune Anna, 13 ans, sont comme des jumelles, des reflets narcissiques : elles ont la même éraflure au visage.
Film « Goodnight » (2015) de Veronika Franz et Severin Fiala
En général, les jumeaux des fictions homosexuelles vivent une fusion destructrice. Par exemple, dans la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti, François et Jasmine, frère et sœur jumeaux, ont une relation conflictuelle : « On finit toujours par se disputer. » Dans le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, les jumeaux Quentin et Antoine s’en vont en voyage vers l’Espagne pour assister à l’enterrement de leur mère. En cours de route, Antoine, le frère hétéro, devient carrément le maquereau de Quentin, l’homosexuel. Dans le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity, Maurice, le styliste homosexuel, associe toujours ensemble Tannis et Simone, les deux filles épouvantables de sa chef Élise, en disant qu’elles sont jumelles : « Il dit ça tout le temps ! » s’en plaint Simone. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Phil, le héros homosexuel, est né jumeau avec sa sœur Dianne. Celle-ci est un peu spéciale car elle a le don d’attirer à elle la Bête et les animaux. Elle ne respecte pas l’intimité de son frère : par exemple, elle rentre dans la salle de bain alors que Phil est tout nu dans son bain. Elle devine qu’il a un copain : « Ce genre de truc m’échappe pas. Je suis ta sœur, hein ? » Et leur gémellité est à double tranchant : « Dianne et moi, on était comme McGyver et son couteau, les asperges et la sauce hollandaise ou les jumelles Olsen. Elle était mon ange gardien, mon amie et alliée. Et moi, son deuxième cœur. »
Film « Donne-moi la main » de Pascal-Alex Vincent
Parfois, le héros homosexuel n’a pas de jumeau de sang, mais en revanche considère son (hypothétique) amant comme son jumeau symbolique, une âme sœur narcissique (qu’il jalouse la plupart du temps) : « Tu es mon sang, mon double aimant. » (cf. la chanson « Je te dis tout » de Mylène Farmer) ; « Des jumelles, ça doit être passionnant ! » (Maryline, l’héroïne bisexuelle parlant des filles de Sandra, dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas) ; « Tu trouves pas qu’on se ressemble, Bilal et moi ? » (Malik, le héros gay, interrogeant sa mère par rapport à son futur amant Bilal, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « Nous sommes deux sœurs jumelles nées sous le signe du plumeau. » (le couple homo dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « On vit ensemble comme deux jumeaux. » (Greg et Hannah, tous deux homosexuels, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini) ; « C’est comme si on était jumelles. » (Cécile à son amante Chloé dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 29) ; « Nous sommes jumelles. » (Janine à sa compagne Simone dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer) ; « Tu es mon jumeau de cœur, mon jumeau spirituel. » (Sven à Éric, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 138) ; « On dit que chaque être humain a un sosie de par le monde. » (Brigitte dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Je ‘lisais’ Maurice, le roman d’Edward Morgan Forster, et toi aussi, mais tu le disais vraiment, et en version originale. Qui étais-tu, que voulais-tu ? Si je m’affichais avec ce livre, qu’il me semblait avoir suffisamment lu en voyant le film qu’en avait tiré James Ivory, c’était parce que j’aspirais à un amour aussi… comment dire ? Romantique. Par ce truchement, peut-être forcerais-je le destin ? […] Ainsi la coïncidence du livre constituait-elle un signe susceptible de m’encourager à t’aborder. […] Ma confusion augmenta quand je sus que nous portions le même prénom. » (la voix narrative racontant une rencontre furtive avec un inconnu dans une gare, dans la nouvelle « Un Jeune homme timide » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 42-43) ; « On dirait ma sœur Olga. » (Érik Satie se regardant dans le miroir, dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Il s’avéra que même si j’étais destinée à vieillir et à mourir, je pourrais avoir une jumelle, installée dans un satellite se déplaçant à la vitesse de la lumière, qui ne vieillirait pas au même rythme que moi. » (Anamika, l’héroïne lesbienne en recherche narcissique d’« immortalité », dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 219) ; « Je recherche mon frère, mon jumeau. » (Paul, le héros homosexuel du film « Seeing Heaven » (2011) de Ian Powell) ; « Tout ce que je sens, tu sens. Et ce que je suis, tu suis. Nous voici sœurs de sang. Déjà nos cheveux s’emmêlent, comme des cheveux de jumelles. Ils s’envolent, cheveux de folles… » (cf. la chanson « Toi c’est moi » de Priscilla) ; « Toi et moi, on est pareils. On se ménage parce qu’on joue chacun très bien au jeu de l’autre. Je connais très bien ton jeu. J’y joue très bien. Toi aussi d’ailleurs. Mais tu sais, je suis meilleur que toi. Je te bats quand je veux. Alors, ne me provoque pas. Je te préviens. » (Harold, homosexuel, s’adressant à son coloc Michael, lui-même gay, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Tu es le frère que je voulais avoir. » (Tom s’adressant à l’homme qu’il aime, Dick, et qu’il imite en tous points, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; etc.
Film « X2000 » de François Ozon
Par exemple, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, Tyler Montague défend sa théorie des âmes-sœurs (notamment homosexuelles) sous vocable de « la flamme jumelle ». Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny et Zach ont le même vécu, la même identité, alors qu’ils ont 15 ans d’écart. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Schmidt est jaloux de l’amitié gémellaire qui naît entre son collège Jenko et Zook (qui sont habillés pareil, aiment les mêmes choses, pratiquent les mêmes activités) : « Serrez-vous la bite et mariez-vous !! » dit-il cyniquement pour les séparer. Quand Jenko et Zook jouent ensemble au football américain et qu’ils forment un duo gagnant, ils sont baptisés de « nouveau couple » par les commentateurs de matchs : « Ils sont interchangeables, ces deux-là. » Il y a même deux vrais jumeaux dans le film, Keith et Kenny Yang. Et à la fin du film où il a été question d’homosexualité toutes les cinq minutes, Schmidt fait cette drôle de remarque face à deux autres hommes qui se ressemblent : « Encore des jumeaux ?? »
Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Luce et Rachel, les deux amantes, découvrent que leurs dates d’anniversaire tombent presque en même temps et qu’elles sont « pratiquement jumelles ». Plus tard, Rachel, mariée à un homme Heck qu’elle n’aime pas et découvrant son homosexualité, emmène Heck dans une forêt pour qu’il la baise. Non seulement ce dernier ne s’exécute pas, mais en plus le couple marié tombe sur deux mecs batifolant derrière un arbre. Et ces deux types portent le même prénom : « Moi, c’est Michael. » ; « Moi, c’est Michael 2. »
Tweedle Dee et Tweedle Dum dans le film « Alice au pays des merveilles » de Walt Disney
Il n’est pas rare que le couple homo apparaisse comme des jumeaux aux yeux des autres : « Simon dit ironiquement à Polly que si elle continue comme ça, on finira par les prendre pour des sœurs jumelles, la rousse et la blonde. » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 51) ; « Elle s’approchait en compagne d’un couple de sosies de Jeremy Irons mais avec un air encore plus snob que lui. Ils ressemblaient vraiment tous les deux à l’acteur anglais et je me surpris à me demander s’ils étaient jumeaux comme les deux médecins qu’avait justement et si génialement interprétés Jeremy Irons dans ‘Dead Ringers’ de David Cronenberg. Mais non, ils portaient des noms de famille différents. Ils n’étaient qu’amants mais on devinait facilement de qui était la photo qui trônait au-dessus de leur lit… » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 213) ; « Nous avons fait toutes les boîtes de folles et personne ne nous a regardés, Pierre et moi nous avons l’air de deux jumeaux de Pierre Cardin. » (la voix narrative du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 53) Dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Suzanne trouve que l’amant de son fils Laurent lui ressemble étrangement… sans deviner que c’est son petit ami. Dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, l’analogie entre gémellité et lesbianisme est faite sans équivoque. Dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, Kévin et Joe sont considérés comme des jumeaux. Dans le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen, Patrik pense que Sven et Göran, les amants homos, sont des « demi-frères ». Dans la pièce Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, le couple homo Javert/Mr Madeleine est présenté comme une paire gémellaire (ils sont d’ailleurs habillés tous les deux à l’identique). Au tout début du vidéo-clip de la chanson « En miettes » (2011) d’Oshen, deux femmes lesbiennes se font l’amour, et elles se ressemblent tellement qu’on dirait des jumelles. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Stefanos et Dany, le temps d’un passage aux toilettes, deviennent amants et se ressemblent comme deux jumeaux, deux fashion victim peroxydées. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, Stuart et Steeve sont quasiment des répliques physiques.
Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Agathe se prend pour Dargelos qu’elle aperçoit en photo. Dans le film « La Beauté du diable » (1949) de Claude Autant-Lara, Marthe apparaît dans le reflet du miroir de François. Dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, le double narcissique est également interpellé. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, pour cacher à Levi qu’il le matait en secret, Chance s’invente un jumeau : « Et si j’avais un frère jumeau qui me ressemblait trait pour trait ? »
La découverte du jumeau narcissique ne se fait pas sans heurts. Dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, par exemple, on perçoit tout à fait que la crise identitaire du personnage de Lucas, qui ne se supporte pas unique, est androgynique et violente : « Je contemplais ce corps face au piano […]. J’aurais voulu que ce corps fût le mien. » (p. 17) Au moment où l’on fait subir à Thomas une ponction de moelle osseuse, Lucas lui dit à distance : « Je fais le geste de porter ma main sur mon propre torse. Ils vont réussir à nous différencier, à éliminer nos ressemblances. » (idem, p. 37) ; « Assassiner son frère, serait-ce autre chose qu’un suicide ? » (idem, p. 145)
Pochette du single « Méfie-toi » de Mylène Farmer
La gémellité dans les fictions traitant d’homosexualité est rarement signe d’un phénomène positif. Au mieux elle illustre poétiquement le narcissisme, la recherche égocentrée et fusionnelle de l’androgyne (cf. le film « Bella, Ricca, Lieve Difetto Fisico, Cerca Anima Gemella » (1972) de Nando Cicero), le mythe de la fondation (cf. la pochette du single de la chanson « Adam et Yves » de Zazie), au pire elle renvoie au viol, au clonage, à la schizophrénie, à la pure baise porno, à l’inceste, à la jalousie, aux crimes, à l’absorption de drogues, à la contrefaçon mensongère, au meurtre fratricide, à la mort : cf. le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg (avec Linda et Christian), le roman Deux larmes dans un peu d’eau (2006) de Mathieu Riboulet (avec les jumelles dont l’une meurt à la naissance), le roman J’ai tué mon frère dans le ventre de ma mère (2011) de Sophie Cool, le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev (avec la jalousie gémellaire Katia/Valentine), le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Farinelli » (1994) de Gérard Corbiau (avec les jumeaux incestueux Carlo et Ricardo), les vidéo-clips des chansons « L’Âme-stram-gram » (où les thèmes du suicide et de l’inceste ressortent) et « California » (là, il est question de prostitution) de Mylène Farmer, le film « The Wild Party » (1975) de James Ivory (avec les jumeaux incestueux), le film « Vies brûlées » (2000) de Marcelo Piñeyro (avec les amants homosexuels criminels surnommés « les Jumeaux »), la nouvelle « Lejana » du recueil Bestiario (1951) de Julio Cortázar (dans laquelle Alina Reyes recherche sa « jumelle du bout du monde »), le tableau Les deux Fridas (1939) de Frida Kahlo (représentant la souffrance et l’extase schizophrénique), les jumeaux jaloux dans les dessins pornographiques de Roger Payne, le film « Imposters » (1979) de Mark Rappaport, la B.D. Dads And Boys (2007) de Josman (avec les jumeaux couchant ensemble), etc. Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des personnages homosexuels affirme avoir été violé dans une tournante par ses « jumeaux ». Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, Wanda, à cause de l’alcool, croit être sortie avec des jumeaux pendant une soirée.
Les jumeaux (ou frères) fictionnels ne se sentent pas reconnus comme uniques, et en souffrent : « Tu le sais, ça, que je ne suis pas Charles ? » (Guillaume s’adressant à son père homosexuel dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « On s’accroche et on fait c’qu’on peut pour pas être mort un jour sur deux. » (le héros du film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa) ; etc. C’est pourquoi ils sont souvent symboles de mort et d’ennui : « Ce n’était pour aucun des deux jumeaux Hypnos ni Thanatos que j’étais descendu dans cet Enfer. » (le protagoniste homo parlant des « quais obscurs et des parkings déserts », dans la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 107) ; « À force d’être toujours ensemble, on a fini par se ressembler. La routine. » (Jonathan en parlant à Matthieu de leur 1 an de vie commune, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc.
Tableau « Les deux Fridas » de Frida Kahlo
Quelquefois, la gémellité cinématographique provoque ou représente l’impuissance sexuelle du personnage homosexuel : « T’arrives pas à bander si ton p’tit frère te regarde pas ?! » (Claire dans le film « Faux semblants » (1988) de David Cronenberg) ; « Il fallait que je sache que nous étions deux pour prendre une consistance. Seule, je n’existe pas. Je ne sais pas être le singulier de notre pluriel d’avant. » (Anna dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 64) Farinelli, dans le film éponyme de Gérard Corbiau (1994), s’imagine qu’il ne pourra pénétrer génitalement une femme qu’en présence de son jumeau… à tel point que la Comtesse de Novère lui demande ironiquement s’il a « besoin de son frère pour bander ».
La gémellité dans les œuvres homosexuelles est souvent associée à la peur de la sexualité et du viol. « J’avais une sœur jumelle : Rebecca. » (Madeleine, la Rousse violée dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki) ; « Un jour je la tuerai. Quand je serai une vraie sorcière, je la tuerai. » (Juna, l’héroïne lesbienne par rapport à sa grande sœur, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc. Par exemple, dans le roman Hawa (La Différence, 2010) de Mohamed Leftah, Zapata et Hawa, les deux jumeaux, sont le fruit de la rencontre entre un soldat américain et une prostituée.
B.D. « Femme assise » de Copi
Au sein de l’œuvre du dramaturge et dessinateur argentin Copi, la gémellité est omniprésente, et s’annonce précisément sous les hospices du viol. Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986), par exemple, Mimi qualifie son double travesti Fifi de « sœur jumelle ». Dans le roman Le Bal des folles (1977), Delphine et Corinne Audieu sont jumelles. Pareil pour la Duchesse d’Albe et la Duchesse de Malaga, les deux sœurs jumelles de la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978). Dans le roman La Cité des rats (1979), on trouve les deux rats femelles jumelles Iris et Carina. Il y a les deux couples de jumelles Leïla/Maria et Joséphine/Fougère dans la pièce Les Quatre jumelles (1973). On retrouve le mythe des fondateurs civilisationnels avec les jumeaux de la tribu des Boludos dans la nouvelle « La Déification de Jean-Rémy de la Salle » (1983). Dans le roman La Vie est un tango (1979), Silvanito a des jumeaux. On observe chez Copi une conception schizophrénique de la gémellité. On n’est pas du tout dans l’idée de double en tant que « semblable » ou « duplicata » (= double des clés, par exemple), mais bien dans l’idée de double en tant qu’« identique » (= deux moitiés d’un seul tout) ou de « double schizophrénique ». Un frère jumeau peut remplacer l’autre et être lui parce que le jumeau est un clone, une voix schizoïde, non un être réel : « Tu m’as étranglée ! » (Joséphine à sa jumelle Fougère dans la pièce Les Quatre jumelles) ; « Les jeux ne sont pas tout à fait faits, chère petite sœur. C’est toi ou c’est moi ! Puisque nous sommes jumelles ! On a commencé à se battre à l’intérieur du ventre de notre mère. » (la Comédienne à Vicky dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne, 1986)
B.D. « Kang » de Copi
Généralement, les jumeaux de Copi sont violents ou représentent le viol : « Elles [les 3 Sœurs de Tchekhov] prétendent être jumelles. Tous les dimanches elles sortent arcs et flèches et elles tirent. » (Copi, Un Livre blanc(2002), p. 76) ; « Lagrossesse de Jacqueline fut difficile, on craignait des jumeaux. » (cf. la nouvelle « La Césarienne » (1983) de Copi, p. 73) ; « Le fait de s’habiller en jumelles leur conservait une certaine clientèle d’amateurs malgré leur soixantaine bien entamée. » (Mimi et Gigi, les deux clochards prostituées, dans la nouvelle « Les Vieux travelos » (1978), p. 87) Le jumeau copien est figure de mort. Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne, la femme de ménage est assassinée plus d’une fois, et sa sœur jumelle est plus bardée de prothèses qu’un mannequin surréaliste. La jumelle symbolise le spectre de l’abandon parental, du doute d’avoir été désiré, et d’être unique : « Qu’est-ce que je vous ai fait ? Parce que j’ai dû vous infliger quelque humiliation dans le passé dont je ne me souviens pas ou qui m’a échappé. Vous étiez comédienne. Je vous ai peut-être volé un rôle sans le savoir. Ou un amant. » (la Comédienne à Vicky, idem, pp. 274-275) ; « Nous sommes sœurs jumelles, Madame Brionska. » (Vicky à la Comédienne, idem, p. 275) ; « Elle [Madame Lucienne] s’est trouvée enceinte d’un légionnaire et elle l’a caché à sa famille qui était très anarchiste. Elle ne m’a pas dit qu’elle avait des jumelles mais une seule fille, qu’elle avait confiée à l’Assistance Publique. » (le Machiniste, idem, p. 275) ; « J’ai mangé un de mes yeux, le droit, et l’autre, le gauche, ma fille l’a mangé. Ainsi, nous sommes jumelles dans l’espace et dans le temps de mère en fille, et ainsi de suite. » (la Reine incestueuse dans la pièce La Pyramide !, 1975)
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Juan et Cesar Hortoneda, surnommés les « Jumeaux de Madrid » (immortalisé par Bruce Weber)
Je vous renvoie à la photo des jumeaux à la Gay Pride parisienne de 2006 exposée dans Triangul’Ère 7 (2007) de Christophe Gendron (p. 171), au dossier « Jumeaux Homos : leurs Secrets » dans la revue Têtu (n°130, février 2008, pp. 102-107), au docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles (avec la jumelle), au documentaire italien « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti sur les parents d’enfants homos (l’un des portraits concerne Cristina, une jumelle lesbienne), à l’ouvrage collectif L’Amour du semblable (2001) de Xavier Lacroix, à la photo Henri Michaux (1925) de Claude Cahun, à l’émission Infra Rouge spéciale « Homo ou hétéro, est-ce un choix ? » diffusée le 24 mars 2015 sur la chaîne France 2, aux multiples parallélismes qu’on peut faire entre les Twin Parade et les Gay Pride, à ce témoignage des deux frères jumeaux homos aux États-Unis, au témoin homosexuel du Refuge (qui parle de son frère jumeau à 1h45), etc.
Le lien entre désir homosexuel et gémellité ne date pas d’hier. « À la fin du XIXe siècle, dans un premier temps, l’homosexualité féminine est définie sur le modèle de la ressemblance et désignée par la métaphore des sœurs jumelles. » (Natacha Chetcuti, Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), p. 21)
Actuellement, il devrait nous sauter aux yeux, même si bizarrement, personne ne semble le connaître. Par exemple, dans l’industrie du porno gay (je ne parle même pas du porno lesbien, car là, la liste est interminable ! … même si celui-ci est attribué à un public « hétéro mâle »…), les jumeaux sont très présents : cf. le film « Double en jeu » (2000) de Jean-Daniel Cadinot, le film porno « Busy Boy » (1970) (avec les jumeaux Christy), le film « Twins » (1993) de Bijou Film Production, le film « The Twins » (1998) d’Odyssey Production (avec les jumeaux Perón), le film « Double Size : Double The Pleasure » (2004) de Pacific Sun Production (avec les jumeaux Dean et Dave Resnick), le film « Double Czech » (2000) (avec les jumeaux Jirka et Karel Bartok), le film « The Twins » de Marc Dorel (avec les jumeaux Alex et Ian Lynch), etc. Parmi les plus « connus », on a les célèbres frères Rocky (vedettes des Folies Bergères et du Casino de Paris dans les années 1930), les jumeaux Guesdes, les jumeaux Brewer, les jumeaux Ryker, les jumeaux Hall, les jumeaux Grooch, les jumeaux Goffney, les jumeaux Mangiatti, Milo et Elie Peters, les jumeaux Carlson, etc.
Dans la réalité, il y a beaucoup d’individus nés jumeaux qui se disent homosexuels à l’âge adulte. C’est le cas de Willa Cather, d’Emmanuel Moire, de Zarko (le jumeau de l’émission de télé-réalité Secret Story 5), Jason Collins (le joueur de basket de la NBA), le frère du cardinal Jean Daniélou, de Will Young (vainqueur de Pop Idol en 2002 en Angleterre), de David Reimer, etc. Même chez les célébrités, le lien de coïncidence entre homosexualité et gémellité est relativement vérifiable, et il arrive que le duo soit tous les deux homosexuels (sans être en couple, évidemment) : Nicolas et Stéphane Sirkis du groupe Indochine, Christophe et Stéphane Botti, Gabriel et Oscar Perón, Willa Cather et son frère William, Megan Rapinoe (footballeuse lesbienne) et sa soeur également lesbienne Rachael, etc. Sur YouTube, la chaîne PAINT dédiée à la visibilité à la communauté LGBTQIA+ francophone a été créée par un frère et une soeur faux jumeaux, Aline et Cédric Feito, tous les deux homos. À Cœur ouvert (2007) est l’autobiographie de l’écrivain choletais Stéphan Desbordes-Dufas : ce dernier raconte sa propre homosexualité et celle de son frère jumeau. Dans l’émission suisse Temps présent « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur RTS le 24 juin 2010, l’un des témoins homos, Lucien, 19 ans, a un frère jumeau, Yvan. Dans l’émission Toute une histoire spéciale « Quand ils ont renoncé leur homosexualité, leurs proches les ont rejetés » diffusée sur France 2 le 8 juin 2016, Tony, 19 ans, se dit homosexuel et a un frère jumeau dit « hétéro », Enzo, qui au départ réagit bien au coming out de son frère pour finalement, par peur des comparaisons, l’insulter. Ils disent tous les deux ne former qu’une seule et même personne : « Mon jumeau, c’est ma moitié. C’est ma vie. » Lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017, Lucas Carreno, femme F to M, est née jumelle avec un frère. Les émissions de talk-show « Ça commence aujourd’hui » animées par Faustine Bollaert France 2 multiplient les témoignages de jumeaux homosexuels tous les deux (Jean-Thomas et Pierre Nicolas, ou encore Aline et Cédric, dans « Jumeaux et homos » en 2020 ; Anthony et Eddy dans « Père, fils, soeurs, frères jumeaux : ils sont homosexuels! » en 2022).
Megan et Rachel Rapinoe
Dans son étude Les Jumeaux, le couple et la personne (1960), René Zazzo, LE Spécialiste français des jumeaux, évoque le cas d’une femme jumelle lesbienne : « Claudette est une jumelle, homosexuelle active. Elle a toujours regretté d’être une fille. Elle prenait les jouets délaissés par son frère jumeau. […] Les tendances voyeuristes ont chez elle une grande importance. »
Certains jumeaux homos témoignent ouvertement de la conjonction du désir homosexuel et de leur identité de frère jumeau : « Pour l’anecdote, une fois, je suis sorti avec un jumeau sans le savoir. Par la suite, j’ai rencontré son frère. Et je dois bien avouer que c’est assez fascinant, la ressemblance. C’étaient des ‘vrais’ et ils me plaisaient donc physiquement tous les deux. Je me suis même surpris à avoir des idées lubriques… » (Férid, lui-même jumeau homo, dans le dossier « Jumeaux Homos : leurs secrets », sur la revue Têtu, n°130, février 2008, p. 106) ; « J’aurais adoré qu’on se tape un couple de jumeaux. » (Laurent en parlant de lui et de son frère jumeau qui est également gay, idem, p. 107)
De mon côté, c’est le rapport intime et autobiographique que j’ai avec le lien homosexualité/gémellité qui m’a au départ lancé dans mes recherches sur le désir homosexuel, j’avoue. Je me disais que la gémellité était un dénominateur commun criant que j’observais tellement dans mes rencontres et dans les films sur l’homosexualité que je voyais qu’il y avait forcément des « mystères de coïncidence » à creuser à propos du désir homosexuel, un désir si mal connu finalement. Au fur et à mesure que je me faisais des amis homos, je découvrais qu’il y avait parmi eux des jumeaux à la pelle, de toutes les catégories : des monozygotes, des dizygotes, des gars, des filles, des jeunes, des plus âgés, des Français, des étrangers, des personnes qui souffrent du « syndrome du jumeau solitaire » (elles ont appris qu’elles ont perdu leur sœur ou leur frère à la naissance, lors de l’accouchement de leur mère : elles en éprouvent donc un manque sans tristesse, une culpabilité inconsciente), même des frères jumeaux qui couchent ensemble (tant qu’ils ne trouvent pas mieux ailleurs !), etc. « Un des événements les plus graves qui puisse arriver à une personne est la mort de son jumeau à la naissance. Le cas d’Elvis Presley est bien connu. Son frère jumeau mourut pendant l’accouchement, ce qui laissa une empreinte indélébile sur sa vie. La vedette aménagea sa villa en double pour son frère. Il mourut à l’âge de 42 ans, totalement obèse, d’une défaillance cardiaque due à la consommation de somnifères. Comme Elvis, tous les jumeaux survivants ont un destin extrêmement lourd lorsque leur jumeau meurt pendant l’accouchement. Le manque de l’autre est tellement insupportable que rien dans la vie ne peut lui faire plaisir. Une partie du jumeau survivant veut mourir le plus vite possible pour être à nouveau réunie avec l’autre. Ce désir de réunification est très fort parce que la personne se sent comme une demi-portion. Ce n’est pas seulement une métaphore, mais bien une réalité. À quoi cela sert-il de faire des efforts à l’école si on a envie de mourir ? » (Alfred R. et Bettina Austermann, Le Syndrome du jumeau perdu (2007), p. 111) ; « C’était en 1983-1984, au début de notre relation. On était allées faire un tour dans les forêts de Géorgie. Ça s’appelait ‘Fête de la Femme’. Il y avait plein de femmes aux seins nus et nageant nues dans le lac. Dans ce lieu de camp, en pleine forêt, deux femmes étaient… comment dire… en train de s’aimer. Et elles se sont retournées vers nous, et j’ai eu un choc… parce qu’elles étaient des jumelles identiques, de vraies jumelles. J’ai eu comme une réaction viscérale. Ça m’a énormément perturbée. Et j’ai dit à Margo : ‘Elles sont jumelles, celles qui sont en train de faire l’amour ?’ Elle m’a répondu : ‘Oui.’ Et j’ai rajouté : ‘Ça te semble juste ?’ Et elle m’a rétorqué : ‘Si tu commences à juger, alors les gens pourront commencer à nous juger nous.’ Ce fut un moment de réveil de ma conscience. C’était une situation tellement embarrassante que j’aurais eu l’opportunité de m’éloigner de Margo, mais à l’époque je ne l’ai pas fait. » (Rilene, une femme de 60 ans, racontant un souvenir qu’elle a vécu avec sa compagne Margo avec qui elle est restée 25 années, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check)
Parfois, je tape en plein dans le mille sans le faire exprès quand j’aborde le sujet du lien homosexualité/gémellité en public (par exemple, lors d’un café-philo sur l’homosexualité, que j’ai tenu en début 2011 à Lorient, certains jeunes auditeurs homos, que je ne connaissais pas du tout, et qui étaient venus par hasard, se sont tout de suite sentis concernés par mon propos étant donné qu’ils étaient jumeaux !). Il m’est même arrivé de reconnaître une jeune fille lesbienne qui fréquentait le même local associatif que moi à Angers, parce qu’elle était passée avec sa sœur à une émission de télé de Mireille Dumas (Bas les masques) sur les jumeaux… et comme pendant toute mon adolescence, mon frère et moi épluchions toutes les émissions qui traitaient du sujet, son visage ne m’avait pas échappé !
Je le dis sans ambages : je tiens notre rapport à la gémellité à mon frère jumeau et à moi pour responsable majeur de mon homosexualité.
Création scénique « Le Roi Roger est nu » de Karol Szymanowski
Du côté simplement des statistiques et des études scientifiques (à prendre avec la distance et les précautions nécessaires pour ne pas causaliser l’homosexualité ni faire de généralités abusives), il est fait état d’un taux élevé de probabilité entre gémellité et homosexualité. « En 1953, Kallman constate que dans tous les cas de jumeaux monozygotes, lorsque l’un est homosexuel, l’autre l’est également. Concordance qui ne se retrouve pas chez les faux jumeaux. » (F. J. Kallman, Heredity In Health and Mental Disorder, N. Y. Norten, 1953, cité dans l’essai X Y de l’identité masculine (1992) d’Élisabeth Badinter, p. 166)
Il ressort de l’étude plus connue de Bayley et Pillard que, chez les vrais jumeaux (les monozygotes), lorsque l’un des deux frères est homosexuel, l’autre l’est aussi dans 55% des cas… ce qui constitue une probabilité énorme ! (cf. les études de l’Université de Boston du Docteur Richard et des psychologues Bailey et Pillard, A Genetic Study Of Male Sexual Orientation, Archives Of General Psychiatry, Chicago, 1991). Dans « Homosexual Orientation in Twins : A Report on Sixty-One Pairs and Three Triplets Sets » (Archives Of Sexual Behaviours 22, 1993, pp. 187-206), F. L. Whitam, M. Diamond et J. Martin donnent un taux de concordance de 65% pour 34 paires de jumeaux monozygotes et de 30% pour 23 paires de jumeaux dizygotes. Je vous renvoie également aux chiffres de concordance similaires donnés par N. Buhrich, J. M. Bailey et N. G. Martin (« Sexual Orientation, Sexual Identity And Sex-Dimorphic Behaviors in Male Twins », Behavior Genetics 21, janvier 1991, pp. 75-96).
Une équipe de chercheurs, dirigée par le Docteur Kenneth Kendler du Medical College of Virginia, a publié en 2000 les résultats d’une recherche très intéressante sur les jumeaux. Sur les 50 000 familles dont les données étaient rendues disponibles par la Foundation Midlife Development, l’équipe de Kendler a examiné les comportements sexuels de 794 paires de jumeaux et 2 907 couples de frères et sœurs. Sur cet échantillon, 2,8% des personnes interrogées étaient homosexuelles ou bisexuelles. Parmi les 324 couples de vrais jumeaux (même patrimoine génétique), 6 reconnaissaient être tous les deux homosexuels ou bisexuels et 19 que l’un des deux était homosexuel alors que son binôme ne l’était pas. À partir de ces données, les conclusions des chercheurs dans l’American Journal Of Psychiatry furent les suivantes : un vrai jumeau sur trois serait homosexuel quand son frère l’est, soit 31,6% des jumeaux homozygotes, alors que dans le cas des faux jumeaux du même sexe le chiffre serait de 13,3% ; et de 8,3% si l’on considère tous les faux jumeaux. Et de conclure que : « les facteurs génétiques peuvent avoir une grande influence sur l’orientation sexuelle ». Enfin, Kenneth Kendler reconnaît que le rôle des gènes joue « en interaction avec des facteurs environnementaux ». Il se garde bien de faire une lecture de la gémellité trop scientifiquement déterministe.
La gémellité fait partie d’une des coïncidences troublantes de l’homosexualité. Le cas des jumeaux homosexuels vient déranger ceux qui pensent que le désir homosexuel est soit totalement acquis, soit totalement inné. Il prouve que l’homosexualité se manifeste plus particulièrement dans certains cadres de vie, des situations particulières qui restent à définir, et qui à elles seules ne seront jamais des « critères éternels d’homosexualité ». Le désir homosexuel est suscité par des facteurs externes réellement mais non systématiquement déterminants. S’il peut s’expliquer en partie par la gémellité par exemple, cela veut dire qu’il est relativement provoqué et construit, qu’il n’est pas qu’inné, qu’il n’est pas non plus uniquement acquis, mais qu’il peut être réveillé par des rencontres, des événements, et un contexte extérieur imparfaitement précis. Et cela inquiète bien évidemment la communauté homo, car dans ce cas-là, l’homosexualité pourrait être considérée comme un choix, ou bien comme un phénomène « opérable », qu’on pourrait ré-éduquer ou désapprendre.
Personnellement, je laisserais les statistiques au second plan, car elles encouragent à ranger du côté de la causalité ce qui n’est qu’à reléguer dans le monde des images et des fantasmes, pour me pencher sur ce que nous pouvons observer aujourd’hui dans la fantasmagorie homosexuelle et parfois dans la réalité concrète. Il est clair que le couple gémellaire est un topos de l’iconographie homosexuelle. Cela s’explique en partie par le fait qu’au niveau des désirs, jumeaux comme personnes homosexuelles ont tout, physiquement et pulsionnellement, pour se prendre pour des exceptions d’Hommes, des photocopies humaines, ou des dieux auto-créés (« J’ai été capable de faire mon frère à mon image sans l’aide de l’extérieur… »), alors que, comme l’écrivait René Zazzo, les jumeaux sont juste les cas limites d’une situation générale : « Nous sommes tous des jumeaux. » (Les Jumeaux, le couple et la personne, 1986). Et je serais tenté de rajouter que, du point de vue des désirs humains superficiels, nous sommes aussi tous partiellement hétérosexuels/bisexuels/homosexuels : les personnes jumelles ne sont pas, comme on le croit souvent, des créatures humaines à part, ni les personnes homosexuelles une espèce exceptionnelle.
Homosexualité et gémellité forment un tandem intéressant car toutes deux soulèvent les mêmes enjeux : le fantasme social du jumeau va de pair avec celui du sexe unique, et du couple fusionnel. Dans le cas des frères jumeaux comme des personnes homosexuelles, le besoin de s’affirmer comme original – donc vivant, aimable et aimant – se trouve supplanté par un désir de relation fusionnelle avec son semblable sexué présentée comme « idyllique », sous-tendant la croyance secrète d’être irréductiblement seul ou bien clone – et donc mort, incomplet, inexistant, mal-aimé, ou peu aimant.
Je crois que le désir homosexuel émerge de la peur, chez une personne, d’être une photocopie, de ne pas être unique. Ce n’est pas plus compliqué que cela.
Pochette du single « Adam et Yves » de Zazie
Bien plus qu’une vérité génétique ou anthropologique figée sur l’homosexualité, bien plus qu’une réalité générale et majoritaire à étendre à toutes les personnes homos, la gémellité correspond en revanche à un désir (déçu) très répandu dans la communauté homo, ET individuellement, ET au sein du couple homo. C’est le désir homosexuel, et uniquement lui, qui doit retenir notre attention. La gémellité homosexuelle est plus un fantasme qu’une réalité concrète. « Dès son enfance, m’a raconté Maurice Pinguet, il avait compris qu’il était homo, mais il croyait que c’était là un rare malheur et qu’il n’aurait jamais la chance de rencontrer son semblable. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 64-65) Parfois, la gémellité entre amants homosexuels est purement symbolique et désirante : « Je suis son frère jumeau et me prépare à me rendre au parloir, habillé exactement comme il s’habille. » (Christian en parlant de son amant Kamel de 20 ans son cadet, dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 119) ; « Je ne sais pas si le désir d’avoir un jumeau est très répandu ou si on trouve une telle attente dans certaines familles. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 33) ; « Parmi les fantasmes des gays, les jumeaux arrivent dans le peloton. » (cf. le dossier « Jumeaux Homos : leurs secrets », dans la revue Têtu, n°130, février 2008, p. 102) ; « C’est le fantasme de pas mal d’homos de se taper des jumeaux, on adore chauffer les mecs avec ça. » (Joaquim, idem, p. 104) ; « Je ne vois pas chez un garçon de plus belle qualité ni de plus grave défaut que d’être né sous le signe des Gémeaux. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 206) ; « Il avait dix-sept ans à présent, presque dix-huit, comme moi. Nous avions tous deux connu cinq ans de souffrance dans ce lycée militaire où nos familles respectives nous avaient envoyés, avec l’espoir que cette éducation virile anéantirait notre imaginaire. Dans un esprit de pédagogie et de feinte gentillesse, ils avaient formé le plan de nous éliminer. Nous avions construit, Ernestito et moi, un jeu de miroirs qui allait devenir notre planche de salut : chacun de nous était tantôt le personnage, tantôt le reflet, et nous ne nous quittions pas. Ce rituel allait nous permettre de survivre aux innombrables épreuves d’humiliation auxquelles cette ‘formation’ se prête volontiers. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 189-190) ; etc.
D’ailleurs, de l’extérieur, beaucoup de couples homos racontent qu’ils ont été pris pour des jumeaux ou des frères (cette confusion est extrêmement fréquente) : « Des personnes peu perspicaces ont souvent cru que nous étions jumelles. » (Paula Dumont en parlant de son couple avec Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 70)
Parfois, il a suffi qu’un individu ait l’impression d’avoir remplacé un frère ou une sœur aîné mort(e) prématurément dans sa famille pour se sentir jumeau : « J’ai le sentiment que ma mère s’en veut toujours du décès de mon frère, comme si elle n’avait pas bien pris soin de moi, alors qu’elle n’avait que 15 ans ! J’ai aussi le sentiment qu’elle a fait une sorte de transfert sur moi. J’ai remplacé l’enfant mort. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 15) Tout récemment, un ami homo m’a expliqué pourquoi il se sentait homosexuel : « J’ai déjà réalisé depuis quelques années que je suis un enfant né pour remplacer un frère mort à quelques mois d’existence (et dont je porte le prénom en second) et je réalise aujourd’hui que ma mère attendait de moi que je sois vivant-mais-mort, ‘sage comme une image’, une forme d’Être au-dessus du temps désincarné. » (cf. mail reçu le 2 août 2011)
Le chanteur homosexuel Emmanuel Moire
Concernant le lien de coïncidence entre gémellité et homosexualité, il est fascinant de voir que la douleur de la perte du jumeau a pu être amortie/camouflée par l’annonce prématurée et officielle d’une homosexualité… comme si la mort du jumeau coïncidait avec le désir homosexuel et ses soubresauts. Je pense au cas précis du chanteur français Emmanuel Moire, qui a presque simultanément appris la mort accidentelle de son frère jumeau (Nicolas Moire, le 12 janvier 2009 est plongé dans un profond coma après avoir été renversé par une voiture, et décède le 28 du même mois) et annoncé dans le magazine Têtu de novembre 2009 qu’il était homo (il a apparemment assumé complètement d’avoir fait son coming out quelques mois après la mort de son frère). Cela laisse supposer plein de choses sur la nature du désir homosexuel, notamment du lien entre homosexualité-gémellité-mort.
En ce sens, l’image fictionnelle des jumeaux homos farceurs ou criminels n’est pas toujours un mythe. Par exemple, les meurtriers de l’acteur gay mexicain Ramón Novarro étaient des frères jumeaux homos (Ils s’appelaient Bert et Daniel). Il existe même des cas de jumeaux qui couchent carrément ensemble : cf. cet article « Ils sont en couple et découvrent qu’ils sont des jumeaux qui furent séparés à la naissance. »
Si l’on sort de la sphère strictement privée de l’individu et du couple, on découvre que la recherche gémellaire homosexuelle s’étend à la communauté homosexuelle toute entière. J’aborde plus largement le thème des clones dans le code « Clonage » du Dictionnaire des Codes homosexuels, mais je peux quand même vous en toucher deux mots en citant simplement l’autobiographie de Mauvais genre (2009) de Paula Dumont, qui à elle seule suffira à illustrer l’uniformisme et le conformisme spéculaire visés par beaucoup de personnes homosexuelles actuelles : « J’ai vécu assez longtemps pour savoir que j’appartiens à une certaine catégorie de femmes qui ne sont originales qu’en apparence. Quand je me rends dans une assemblée de deux cents goudous, je repère mes semblables au premier coup d’œil. Sans nous être concertées, nous arborons toutes la même panoplie, ce qui est la preuve que nous avons subi un conditionnement identique. » (p. 8) ; « Il m’est facile aujourd’hui de répondre à cette question car j’ai, au cours de mon existence, rencontré de nombreuses butchs qui n’ont jamais ouvert que L’Auto Journal ou L’Équipe et qui me ressemblent comme des sœurs jumelles. » (idem, p. 87) La communauté gay et la communauté lesbienne cherchent à se conforter et à se rassurer dans une ressemblance singée… même si parfois survient le doute sur le sens de cette pseudo gémellité : « Dans quelle mesure suis-je Paula, la sœur jumelle de Marc, lui-même et tout comme moi homosexuel exclusif ? » (idem, p. 16)
Vidéo-clip de la chanson « Âme-stram-gram » de Mylène Farmer
La gémellité est aussi – et je terminerai par là – le signe social tangible du viol (« viol » entendu dans son sens légal mais aussi dans le sens d’« éloignement du Réel ») et de la manipulation génétique des apprentis sorciers que nous devenons quand nous jouons avec la vie à travers les « progrès » scientifiques. « Aujourd’hui, sa compagne va accoucher de deux jumelles. » (Jeanne Broyon à propos de Francine, une femme lesbienne qui a eu des enfants par fécondation in vitro, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) ; « C’est tellement beau que ça en devient irréel. » (Francine en parlant de « ses » jumelles qu’elle aurait eues avec sa compagne Karen, le jour de la naissance à la maternité, idem) ; « Mon fils, je l’aime comme si je l’avais fait. » (Jeanne en parlant du fils de sa compagne, idem) ; etc.
Notre société, qui ne sait plus trop qui elle est, qui s’éloigne de ses repères anthropologiques fondateurs, qui s’homosexualise de plus en plus à force de promouvoir l’indifférenciation des sexes, engendre symboliquement, et parfois concrètement, des jumeaux. On les voit, ces deux clones manichéens, s’étaler dans les pubs, les films, et les magazines ; et la procréation médicalement assistée favorise l’existence concrète des jumeaux. Par rapport à la GPA (Gestation Pour Autrui) et à la PMA, « de nombreux couples, notamment les gays, qui rêvent d’un bébé chacun, expriment le désir d’avoir des jumeaux, témoigne le Dr Michael Feinman. La mère porteuse, elle, reçoit entre 25.000 et 35.000 dollars (ses tarifs augmentent à chaque grossesse). Plus 8.000 si elle est enceinte de jumeaux. » (cf. l’article du Figaro) Y compris dans les « projets » parentaux des « couples » homos, on voit bien que la gémellité confine à la schizophrénie fusionnelle : « L’idée, c’est qu’on soit tous les deux le père biologique. Ce serait des jumeaux avec la même mère biologique et le sperme de nous deux. » (Christophe à propos de Bruno, son compagnon, avec qui il programme une GPA avec mère porteuse, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015)
Lorsque nous voyons double, en général, c’est mauvais signe : soit nous avons pris une substance illicite, soit nous sommes malmenés symboliquement, psychiquement, inconsciemment, par un désir écartelant, qui nous éloigne du Réel. Le désir homosexuel fait partie justement des désirs humains les plus écartelants qui soient. « Le double, moi, ça m’effraie. Ces deux sœurs ont la similarité des jumelles. On aurait dit qu’elles auraient voulu être siamoises. » (Celia s’adressant à Bertrand à propos d’une toile figurant deux sœurs identiques, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud)
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QUAND L’HÉTÉRO SE RÉVÈLE ÊTRE UNE GRANDE TAPETTE : L’homosexuel et l’hétérosexuel, des créatures mythiques, des jumeaux de violence
« Hétérosexualité »… quel horrible mot ! Si on en connaissait l’origine et le détournement actuel, si on savait qu’il signifie BISEXUEL, on ne l’emploierait pas autant dans nos conversations, y compris pour faire plaisir à la communauté homosexuelle. Qu’il est difficile de déshabituer les gens à employer le terme « hétérosexuel » en tant qu’espèce humaine naturelle ou en tant qu’amour idéal !
Même moi qui ne l’aime pas, je suis obligé de l’utiliser pour me mettre au niveau de Monsieur Tout-le-monde (bien bas, il faut le dire, tellement nos responsables parentaux, politiques, médiatiques, pédagogiques, nous maintiennent en enfance sur les questions de sexualité), pour me faire comprendre un minimum quand je parle d’homosexualité, même si ça me demande un effort considérable et que je prends soin de le mettre systématiquement « entre guillemets » et de dire « les personnes soi-disant hétéros »… parce que je n’ai pas le temps de rentrer d’emblée dans les détails de mon « explication qui soi-disant saoule/embrouille tout le monde ». Pourtant, mon combat pour redonner à l’adjectif « hétérosexuel » son sens originel plénier, c’est un petit « mal » pour un gros bien. Car nous ne nous rendons pas compte que, dès que le mot « hétérosexualité » apparaît innocemment dans les discussions au sujet de l’homosexualité et de la sexualité en général, les débats tout d’un coup se crispent et s’électrisent sans qu’on comprenne pourquoi, quand nous défendions en toute bonne foi les valeurs de la famille… alors qu’ils s’apaisent aussitôt que l’hétérosexualité ne devient plus le référent moral. Sans rire. C’est fascinant de constater cela.
Jamais vous ne m’entendrez dire du bien du couple hétérosexuel ou DU bien de l’hétérosexualité ! Jamais. Du couple femme-homme aimant, oui. Mais pas du couple hétérosexuel ! Qu’on se mette bien cela dans la tête : le couple hétérosexuel est un couple qui intègre la différence des sexes mais sans désir : il est en voie de bisexualisation, voire d’homosexualisation ; ses membres ne s’entendent pas, vivent dans le fantasme de fusion (qui concrètement aboutit à une rupture), cherchent à copier l’homme-objet et la femme-objet de nos écrans de télé, autrement dit les « hétéros » (et les « homos », ces stades avancés/évolués de l’hétérosexualité). Rien d’étonnant d’ailleurs que les chanteurs et les acteurs qui incarnent le mieux l’idéal masculin hétérosexuel fassent leur coming out en masse (Ricky Martin, George Michael, James Dean, Rex Gildo, Rock Hudson, Marlon Brando, Emmanuel Moire, Zachary Quinto, etc.) ! (N.B. : j’y reviens plus largement dans le code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels…). Le désir hétérosexuel et le désir homosexuel sont jumeaux : il est temps que notre société comprenne cela, pour n’idéaliser ni l’un ni l’autre, ni l’un par rapport à l’autre !
Film « Folle d’elle » de Jérôme Cornuau
Qui aujourd’hui ose intellectuellement associer, en dehors de la caricature ou de la blague, l’homosexuel fictionnel à l’hétérosexuel fictionnel, ou bien l’homme hétérosexuel bien masculin à la grande tapette ?, alors que pourtant, on ne fait que nous montrer à la télé, au cinéma, et au théâtre, que leur opposition binaire est absurde, et qu’ils ne forment qu’une seule et même créature : l’Amoureux universel asexué, ou bien l’Allégorie du Machisme ! J’ai déjà écrit dans mon livre Homosexualité intime que l’homosexualité était un concentré de « machisme peinturluré de rose », mais je vais m’expliquer davantage ici. Très peu de monde connaît la genèse du terme « hétérosexualité », et surtout sa gémellité insoupçonnée avec « l’homosexualité ». On ignore souvent, comme l’a expliqué Jonathan Katz dans son essai très éclairant L’Invention de l’hétérosexualité, qu’historiquement, le récent adjectif « hétérosexuel », créé un an après celui d’« homosexuel » en 1869 (preuve que ce dernier lui a servi de patron), était en réalité synonyme d’« homosexuel », et concernait précisément les personnes qui ne souhaitaient pas aimer fidèlement une seule personne de l’autre sexe, mais plutôt n’importe qui, quel que soit son sexe (et son nombre !), en prônant une sexualité libertaire en deçà des institutions d’Église et d’État. Il est donc important, pour comprendre vraiment le désir homosexuel, de faire prendre conscience à notre société que d’une part l’homosexualité et l’hétérosexualité sont jumelles (même si on les a opposées au XXe siècle – cf. Krafft-Ebing – pour imposer un binarisme manichéen dangereux entre elles deux, et présenter l’hétérosexualité comme l’idéal absolu d’amour, ce qu’elle n’est pas et ne doit surtout pas être !), et d’autre part (et ça, c’est beaucoup moins connu/compris, mais cependant capital) que les couples femme-homme aimants ne sont pas « hétérosexuels ». « Les hétérosexuels » n’existent pas ; et les hommes et les femmes qui cherchent à les incarner sont en général violents et en conflit une fois qu’ils se mettent en couple. L’hétérosexualité prend modèle sur l’homme-objet et la femme-objet, adopte une conception irréaliste, violente et fusionnelle, du couple : elle est un détournement de l’amour vrai. Les couples femme-homme aimants, au contraire, durent, restent ensemble, et ne prennent pas modèle sur les contes de fée ou le cinéma : ils sont bien mieux que les contes de fée, puisqu’ils sont réels et libres !
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
Genèse gémellaire des termes
« homosexuel » et « hétérosexuel »
Comme le reconnaissent maintenant de plus en plus d’historiens de la sexualité, autant le désir homosexuel a de tout temps et de lieu existé (et donc les personnes homosexuelles aussi, les actes homosexuels aussi), autant l’hétérosexualité, l’homosexualité, « les » hétérosexuels, « les » homosexuels, en tant que concepts, mots, et réalités, sont très récents. Il était déjà anachronique d’en parler quand on se référait à des personnes ayant vécu à des époques antérieures au XIXe siècle, mais il n’est maintenant pas du tout anthropologique de les employer pour parler d’être humains. Personne ne peut être réduit à ses sentiments, à ses désirs sexuels ni à sa pratique génitale.
« L’homosexuel » n’existe pas en tant qu’Homme, contrairement aux êtres humains qui désirent s’y identifier. Les personnes homosexuelles sont des réalités hybrides, des actualisations partielles et humanisées d’une étiquette. En effet, « l’homosexuel » allégorise une créature mythique inventée à la fin du XIXe siècle par des scientifiques pro-gay (Kertbeny, Ulrichs, Hirschfeld, etc.) qui désiraient offrir un statut médico-légal au désir entre semblables sexués et avancer que ce dernier n’était ni « contre-nature » ni « anormal », afin de concurrencer l’espèce « hétérosexuelle » créée un an plus tard, en 1870, et répertoriée pour la première fois par l’Oxford English Dictionnary. Comme l’a largement illustré Michel Foucault dans La Volonté de savoir (1976), la naissance de l’hétérosexualité comme de l’homosexualité marque la place grandissante qu’ont occupée dans le monde la médecine légale, la psychologie, la psychiatrie, la sociologie, la littérature sentimentale et le cinéma, entre 1830 et les années 2000. Au fond, elle est la conséquence d’une idéologie très fortement marquée par la pensée des Lumières, qui proclamait l’Homme-sans-Dieu comme unique maître de sa propre existence, qui érigeait sur un piédestal les sentiments et les sciences au service de la construction de ce qui allait devenir l’individualisme mécaniste moderne. L’homosexuel et l’hétérosexuel du XIXe siècle sont des personnages sentimentaux et sensibles mais sans désir, qui ont un passé bien précis, une histoire pré-définie, un caractère privé de mystère et de joie, une morphologie glacée, une anatomie pouvant être disséquée par la science. Bref, ils ont tout des statues animées des films pornographiques ou des mannequins des manuels scolaires de biologie. Leur cœur possède la froideur de la pierre et des images. Par conséquent, ils s’éloignent fortement des êtres humains réels qui, eux, sont vivants, surprenants, et en constante évolution. C’est sûrement ce qui fait dire à Xavier Thévenot qu’il ne peut y avoir que des « pseudo-hétérosexualités » et des« pseudo-homosexualités » (Xavier Thévenot, Homosexualités masculines et morale chrétienne (1985), p. 43).
Ce que le grand public ignore souvent, c’est qu’à l’origine, d’un point de vue purement historique, les termes « homosexualité » et « hétérosexualité » se rapportaient au même désir – le désir bisexuel – avant d’avoir été mis tous deux en opposition par une absurde confusion (ou une volonté) scientifico-sentimentaliste. Plutôt que de désigner une norme sexuelle universelle, le mot « hétérosexualité » venait initialement défendre une sexualité non-normative et dissidente, une bisexualité naturelle, un « troisième sexe » posé comme « normal ». Jonathan Katz, dans son essai L’Invention de l’hétérosexualité (2001), nous montre qu’au départ, l’hétérosexualité était classée au rang des perversions au même titre que l’homosexualité : « En dépit de ce qui nous a été dit, l’hétérosexualité n’était pas synonyme de relation à visée reproductrice. Elle n’était pas, non plus, assimilable à la différence sexuelle et à la distinction de genre, pas plus qu’elle n’étaye l’équivalent de l’érotisme entre hommes et femmes. » (p. 19) On retrouve l’idée de construction historique de « l’hétérosexualité » dans Straight Is The Gate (1995) de Carolyn Dinshaw, ou bien dans l’essai L’Invention de la culture hétérosexuelle (2008) de Louis-Georges Tin (… même si, en ce qui concerne ce dernier, je crois que Tin n’a pas dû tout entendre de ce qu’a expliqué Katz !). L’hétérosexualité pouvait aussi bien qualifier une attirance pour les deux sexes qu’une pratique érotique (masturbation, sodomie, bestialité, adultère, etc.) excluant la procréation, le mariage, et la famille. Le terme « hétérosexuel » a été créé sous l’impulsion d’hommes et de femmes libertaires de la Nouvelle-Angleterre du XVIIe et du XVIIIe siècles, partisans de l’« amour vrai et libre », soucieux de justifier scientifiquement un érotisme en deçà du rapport sexuel et extérieur à toute institution d’État ou d’Église. « L’hétérosexuel » ne rentrait pas dans le cadre de la sexualité dite « normale » étant donné qu’il était jugé coupable d’ambiguïté. « On attribuait à ces hétérosexuels une disposition mentale appelée ‘hermaphrodisme psychique’. Les hétérosexuels éprouvaient une prétendue attirance érotique masculine pour les femmes et féminine pour les hommes. Ils ressentaient périodiquement du désir pour les deux sexes. » (idem, pp. 26-27) Que ce soit les mots « hétérosexuel » (synonyme à l’époque de ce qu’on appelle aujourd’hui « un bisexuel », et qui était en 1892 un homme attiré par les deux sexes) ou « homosexuel » (personne qui devient après 1892 un individu attiré exclusivement par les individus de même sexe que lui), ils étaient tous les deux les expressions d’une absence de désir de se tourner exclusivement vers les membres du sexe opposé … donc bien loin de ce que nous assignons actuellement, surtout au premier ! Par la suite, le théoricien Krafft-Ebing a interprété le terme « hétérosexuel » à travers la grille de la différence sexuelle des partenaires. Il en détourna le sens initial pour le rendre synonyme de « sexualité normale/normative entre un homme et une femme » et l’opposer à « homosexuel », même si paradoxalement, dans sa Psychopathia Sexualis (1886), le « Manifeste de l’hétérosexualité » pourrait-on dire, le terme « hétérosexuel » continua de signifier « instinct sexuel contraire », « hermaphrodisme psychique », « homosexualité » et « fétichisme ».
Film « Victor Victoria » de Blake Edwards
La défense de la normativité de l’hétérosexualité pour ensuite prouver celle de l’anormalité/normalité de l’homosexualité ne vient pas, comme nous le pensons couramment aujourd’hui, « des hétéros », mais en réalité de personnes défendant la normativité de leur désir ambigu pour les deux sexes ou pour un sexe semblable au leur sans en passer par la reconnaissance sociale, la procréation et le mariage. « Ceux qui prêchent la propagation de l’espèce portent la plus grande responsabilité [de la recrudescence de l’homosexualité dans la société allemande nazie] du fait que, dans la petite bourgeoisie et dans toutes les classes des travailleurs, pour un long temps, la femme a seulement été une porteuse d’enfants, dont la seule tâche était de créer de la nouvelle ‘chair à canon dans l’intérêt exclusif de l’industrie et du capitalisme’ » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 181) En définitive, l’invention de l’hétérosexualité, comme de l’homosexualité, est ce qu’on désignerait de nos jours purement bisexuelle, libertaire, homosexuelle et homophobe.
« L’homosexuel » comme « l’hétérosexuel », ces deux créatures scientifiques ne renvoyant pas à des êtres humains réels, sont des jumeaux, historiquement mais aussi symboliquement parlant, puisqu’ils traduisent une conception androgynique du couple amoureux : le couple « hétérosexuel » (tout comme son jumeau « homosexuel ») se veut formé de deux moitiés séparées l’une de l’autre, et censées, selon la mythologie scientifique ou sentimentaliste, se compléter parfaitement dans la fusion. C’est pourquoi Karin Bernfeld a tout à fait raison d’écrire que « l’hétérosexualité est la plus grande utopie de l’humanité » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 318).
Dans la réalité concrète, plus les couples cherchent à copier cette union mythique hétérosexuelle, plus ils rentrent en conflit et évacuent le Désir en leur sein. D’ailleurs, il n’est pas anodin de constater dans le langage courant qu’un homme qui devient brutal avec sa femme et ses enfants, beauf, macho, ou bien superficiel et « bourgeois coincé », sera rapidement qualifié « d’hétéro de base », contrairement à un homme plus aimant et moins statique dans son mode de vie. De même, une femme blonde, girly, superficielle, célibattante ou mère au foyer bourgeoise, sera aussi qualifiée d’« hétérote de base », contrairement à une femme libre, fidèle à son mari et à ses enfants tout en restant elle-même, éloignée de la femme-objet des magazines. C’est dire si l’hétérosexualité est davantage liée au phénomène de l’Homme-objet métrosexuel qu’à la réalité de la nature masculine et de la nature féminine humaines, et donc des couples femme-homme aimants.
J’insiste donc pour dire que « les hétérosexuels » et « les homosexuels » ne s’opposent pas, mais au contraire figurent un seul et même personnage-désir : l’androgyne. Certaines personnes homosexuelles le laissent entendre inconsciemment quand elles désignent à juste titre les personnes hétérosexuelles comme leurs jumeaux désirants : « La plupart des hommes avec qui je couche, ce ne sont que des hétéros, parce que les hétéros adorent les garçons. Mais c’est beaucoup plus discret. » (un témoin homosexuel interviewé dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, p. 188) Les sujets qui ressemblent le plus à l’image des machos télévisuels sont bien souvent les personnes homosexuelles elles-mêmes, gay comme lesbiennes. James Baldwin se penche à juste titre sur les ambiguïtés du machisme : « Les machos – comme les camionneurs, les flics, les joueurs de football – sont beaucoup plus complexes qu’ils ne veulent le reconnaître. Ils ont des besoins qui sont pour eux carrément inexprimables. Ils n’osent pas se regarder dans le miroir. C’est pourquoi ils ont besoin des pédés. Ils ont inventés les pédés afin d’accomplir un fantasme sexuel sur le corps d’un autre homme sans en assumer la responsabilité. » (James Baldwin, « Go The Way Your Blood Beats : An Interview… » de Richard Goldstein, Village Voice, 26 juin 1984, pp. 13-16) Ceux qui, dans leurs discours, transforment « les hétérosexuels » et « les homosexuels » en individus opposés et réels, et qui accordent à l’homosexualité et à l’hétérosexualité un statut de vérités ontologiques, adoptent sans le vouloir une conception androgynique de l’Homme. C’est pourquoi nous avons toutes les raisons de penser que beaucoup de personnes, en s’affirmant « homosexuelles », sont plus proches « des hétéros » que bon nombre de personnes dites « hétéros » (il n’est d’ailleurs pas rare de rencontrer sur les chat Internet un nombre important d’hommes gays qui se font passer pour des hétéros : l’hétérosexualité n’est que le masque lâche d’une homosexualité qui n’ose pas s’affirmer en tant que désir réel).
En effet, le grand drame d’une majorité de personnes homosexuelles actuelles, c’est qu’à leur insu, de plus en plus d’individus pas (encore) homos acceptent de se définir comme « hétéros », soit pour leur faire démagogiquement plaisir (et se défendre de manière un peu trop précipitée et suspecte de ne pas être homosexuel/homophobe, pour ne pas l’être un peu, occasionnellement), soit pour adopter une conception androgynique et violente du couple femme-homme à travers l’imitation des beaux acteurs de leurs films, ou la brutalité des « femmes-lionnes » et des « machos » affichés dans les magazines. En acceptant de s’étiqueter « hétéros » alors qu’ils ne le sont pas fondamentalement, ils cautionnent les utopies de la communauté homosexuelle (l’existence de l’identité homosexuelle éternelle, de la force des amours homosexuelles, etc.) pour donner une consistance aux leurs (le mythe de la princesse et du prince charmants, la sexualité sans risque et sans déception, l’osmose parfaite entre les deux partenaires du couple, les « coups de foudre », etc.), et construisent par leur démission la confusion identitaire de beaucoup de personnes homosexuelles et la fragilité de leur propre foyer. Les personnes non-homosexuelles gay friendly font beaucoup de mal par leur relativisme d’indifférence. C’est la raison pour laquelle il me semble important de toujours distinguer dans notre discours le couple femme-homme aimant non-hétérosexuel et le couple hétérosexuel. Quelqu’un de véritablement aimant cesse instantanément d’être un homosexuel, un hétérosexuel, ou un bisexuel. Il est simplement humain. Je ne connais aucun couple femme-homme aimant « standard », ennuyeux, classique, triste.
En conclusion, je vous encourage fortement à poursuivre la réflexion sur ce trompe-l’œil qu’est « l’hétérosexualité » en lisant les trois autres codes du Dictionnaire des Codes homosexuels fortement imbriqués avec celui-ci : « Femme et homme en statues de cire », « Haine de la famille » et « Don Juan ». Car je crois que mon discours sur l’hétérosexualité dépasse même en importance celui que je développe sur le lien de coïncidence entre désir homosexuel et viol. En effet, à chaque fois qu’on est amené à décrire le désir homosexuel, ceux qui ne veulent pas ouvrir les yeux sur les souffrances qu’il révèle entonnent toujours la même chanson : « Oui, mais ce que tu dis sur l’homosexualité, c’est pas propre à l’homosexualité. Chez les hétéros, c’est pareil ! » ou « C’est pas mieux chez les hétéros ! ». Et le pire, c’est que c’est vrai que ce n’est pas mieux chez les personnes hétéros ! Ce qu’on oublie de rajouter à ce constat sur l’hétérosexualité – constat dont on ignore toute la justesse –, c’est qu’il y a mieux que le couple hétéro : le couple femme-homme aimant, qui, lui, n’est pas « hétéro ». Une fois qu’on n’emploie plus le mot « hétéro » dans les discussions sur l’homosexualité, on constate alors avec étonnement que les débats se pacifient, gagnent en légèreté et en clarté sur l’analyse du désir homosexuel, justement parce qu’on sort enfin de la comparaison dénégatrice, de ce binarisme réifiant, manichéen et pseudo anthropologique stipulant que l’Humanité se partagerait en deux espèces : « les homos » d’un côté, « les hétéros » de l’autre. C’est faux et archi-faux. Les deux seules divisions de vie qui distinguent les êtres humains, ce sont la différence des sexes, et la différence entre Créateur et créature : pas la différence des orientations sexuelles.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
a) L’homosexuel est une créature :
Film « Go Go Reject » de Michael J. Saul
Très souvent, la fantasmagorie homo-érotique nous désigne les héros et les héroïnes homosexuels comme des poupées, des statues, des êtres bioniques, des êtres de fiction. Je vous encourage à consulter les codes « Super-héros », « Poupées », « Frankenstein », « Femme fellinienne géante et pantin », « Don Juan », « Bergère », et « Homosexualité, vérité télévisuelle ? », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour avoir un panorama plus complet sur ce phénomène. Par exemple, dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, les homos sont définis à juste titre par Hervé comme des « créatures ». Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, les hommes posant pour les revues de la presse gay s’interpellent mais sont enfermés chacun dans leur « bocal » ou leur « casier », si on peut dire… Dans le film « Codependent Lesbian Space Alien Seeks Same » (« Extraterrestre lesbienne codépendante cherche de même », 2011) de Madeleine Olnek, trois femmes extraterrestres lesbiennes venues de la planète Zots tentent de convertir la Terre de la vacuité de ses idéaux romantiques hétérosexuels. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui ne s’était jamais posé la question de remettre en cause son homosexualité, avoue qu’il a une « vie bien cadrée » dans son quotidien homosexuel. Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), en jouant avec l’homophobie avec les homosapiens, Fabien, le héros homosexuel, dit que les homos sont plus originels au genre humain que les hétéros : « Vous avez déjà entendu parler des hétérosapiens ? Non. Nous sommes donc à l’origine de l’Humanité, nous les homosapiens. » Dans le film « Le Journal de Bridget Jones » (2001) de Sharon Maguire, Bridget présente son meilleur ami Tom comme « 100 % gay ».
D’ailleurs, il est étonnant de voir que, dans certains discours médiatiques – réducteurs mais assurés –, on entérine arbitrairement l’homosexualité sous forme d’êtres historiques éternels (anhistoriques devrait-on dire !) ayant existé apparemment « depuis la nuit des temps ». « Dai, vos gays sont arrivés. » (Gwen s’adressant à Dai, le père de famille hétérosexuel, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) On inscrit « les » homosexuels dans l’éternité des objets, dans un continuum transhistorique flou, comme s’ils formaient une espèce anthropologique indiscutable : « Ces hommes et ces femmes ont toujours existé. » (cf. la chanson « Un homme ou une femme » d’Axelle Red, traitant de l’homosexualité) Ben voyons ! Mais bien sûr ! C’est évident ! « Tu es un homme triste et pathétique. Tu es homosexuel et tu ne veux pas l’être. Mais tu ne peux rien y faire. Toutes les prières du monde, toutes les analyses n’y changeront rien. Tu sauras peut-être un jour ce qu’est une vie d’hétérosexuel, si tu le veux vraiment, si tu y mets la même volonté que celle de détruire. Mais tu resteras toujours un homo. Toujours Michael. Toujours. Jusqu’à ta mort. » (Harold, l’un des héros homos s’adressant à son coloc Michael, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande », (1970) de William Friedkin) ; « Couchons-nous et demain, lesbiennes et pédales seront le genre humain. » (Cf. la reprise parodique de l’Internationale, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; etc.
L’homosexualité a tellement de mal à se concrétiser que le coming out apparaît comme un chemin sans fin : « On passe notre vie à faire notre coming out. » (Richard et son amant Kai, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou)
b) L’hétérosexuel est aussi une créature :
l’acteur bisexuel James Dean
Le même sort réifiant est réservé aux hétérosexuels (je vous renvoie au code « Femme et homme en statues de cire » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Ils ne sont pas plus vivants que nos mannequins de sciences naturelles, nos modèles de magazines, nos chanteurs (cf. la chanson « Estereosexual » du groupe Mecano). Ils sont parfois surnommés « l’homme d’à côté » ou « la femme d’à côté » (cf. le documentaire d’utilité publique « Pin Up Obsession » (2004) d’Olivier Megaton, le film « La Femme d’à côté » (1981) de François Truffaut, la série Twilight Zone :La Quatrième Dimension (1959 à 1964) de Rod Serling, etc.) : cela nous montre bien que les hétéros se situent dans une autre dimension que notre monde physique concret.
Dans les créations traitant d’homosexualité, les hétéros sont souvent transformés en archétypes caricaturaux de la masculinité et de la féminité, famille plastifiée, en animaux exposés sous vitrine, en couple distant et inanimé comme dans un Muséum d’Histoire Naturelle (le Musée de l’Homme, en quelque sorte) : cf. le film « Les Majorettes de l’Espace » (1996) de David Fourier, la chanson « Au commencement » d’Étienne Daho, la chanson « Derrière les fenêtres » de Mylène Farmer, etc. Par exemple, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, compare une statue de cire à une goudou. Dans le poème « Howl » (1956), on voit clairement qu’Allen Ginsberg associe l’hétérosexualité à un monde politico-médiatique déshumanisé puisqu’il parle de « la mégère borgne du dollar hétérosexuel ». Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un jeu de mots est fait entre l’adjectif « efféminé » et la périphrase « effet minet ». Dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), Merteuil et Valmont sont filmés nus, inanimés, comme un Adam et une Ève originels.
Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, tous les personnages sont à la fois homos et hétéros : la grand-mère de Tom (le héros homosexuel) est un garçon manqué et se comporte comme « un vrai bonhomme ». La maman de Tom envoie balader son mari. Cindy, le prototype de la godiche hétérosexuelle (qui sert de couverture à Tom), a joué pour les besoins de l’émission de télé-réalité voyeuriste Secret Story le rôle d’une lesbienne portant le secret suivant : « Je suis sortie avec une ancienne lesbienne bodybuildée et j’ai quatre orteils. » Graziella, l’agent de Tom (qu’elle sait homosexuel planqué), veut le forcer à sauver les apparences et à jouer l’hétéro pour ne pas perdre l’audimat ni le public hétéro de Tom : « Toi, tu n’oublies pas de penser hétéro, ok ?? » Et Tom rentre évidemment dans le jeu pour sauver sa carrière de chanteur à minettes qui perdrait tout son public s’il ne s’affichait pas hétérosexuel. Cette comédie de l’hétérosexualité pour permettre la pratique (cachée) de l’homosexualité est vite dénoncé par Louis, l’autre personnage homo de la pièce, le beau jardinier musclé qui deviendra le futur amant de Tom : « Pourquoi tu veux faire croire que t’es hétéro ? » lui demande-t-il. « Parce que j’ai peur. » lui répond Tom. L’hétérosexualité est la planque justificatrice de l’homosexualité. Elle est toujours le signe d’une peur.
L’hétérosexualité est associée à juste titre à la vulgarité (télévisuelle, scientifique, senti-menthe-à-l’eau)… on pourrait même l’appeler « beaufitude » ou « normalité ». « Vous, les pédés, ferez le poids face à ces hommes normaux. » (Rocco en parlant des Serbes hétéros, qu’il qualifie régulièrement de « normaux », dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) L’hétéro a un problème avec sa sexualité : s’il n’est pas encore homo, il est au moins déjà misogyne et a du mal avec sa gestion de la différence des sexes : « Pas un seul instant je n’aurai pensé [à dire mon homosexualité] à Ti Éloi. Ce macho irréfléchi aurait été l’ennemi déclaré de ma sexualité hors normes, pendant que, paradoxalement, son homophobie affichée rimait avec sa misogynie. » (Ednar parlant de son « diable de frère » qui a abandonné femme et enfants pour s’expatrier en Malaisie, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 34)
Par exemple, dans le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, les personnes attirées par les membres du sexe prétendument « opposé » sont qualifiées de « reproducteurs ». La famille est envisagée comme un idéal figé, statique : « Nos familles ne sont que des herbiers. » (le juge Xavier Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 57) ; « Ça doit être ça l’idéal. » (idem, p. 109) Dans le film « Lust » (2000) de Dag Johan Haugerud, les membres de la famille, allongés et endormis, sont passés au crible de la lampe-torche tenue par les deux amants homosexuels faisant des commentaires désobligeants à propos de chacun d’eux, à voix basse : les proches parents sont étudiés comme des dossiers, comme des « cas sociaux » ou « cliniques ». Dans la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, toutes les femmes dites « hétérosexuelles » sont définies à raison comme « une masse de femmes-robots au cerveau délavé ». La pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez nous donne l’occasion de voir que les hétéros ne sont que des Hommes-objets : ils veulent entrer dans le show-biz coûte que coûte. Dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, la voix narrative lesbienne décrit le jeu séducteur des hétéros (tellement hétéros qu’ils sont homos !) abusant de leur pouvoir sur les homos, le louvoiement ambigu et insupportable de « ces hétérosexuelles pas très claires qui font leur crâneuse, histoire d’alimenter leurs rêves d’un soupçon d’interdit » (pp. 13-14).
En gros, l’hétérosexuel vit une existence morne et sans désir. « T’es effrayant comme mammifère, toi ! » (Guen , le héros homosexuel, méprisant la « sale race » qu’incarnerait Stan l’hétéro, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) Par exemple, dans la pièce Veuve la mariée ! (2011) de David Sauvage, Roger a divorcé 5 fois et se met « à regretter d’être hétéro ». Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, tous les personnages masculins sont soit impuissants quand ils sont hétéros, soit homos. « Cette Rachel, elle n’est pas seulement hétérosexuelle. On dirait la Barbie hétérosexuelle ! » (Eddie, lesbienne, s’adressant à sa pote lesbienne Luce, à propos de Rachel, la femme mariée hétérosexuelle, qu’elles ont vue au supermarché avec son mari et qui va virer sa cuti pour Luce à la fin, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker)
Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en psychothérapie Benjamin/Arnaud et essaie de les aider à s’assumer en tant que couple homo. L’hétéro, c’est le malade, le mal à éradiquer. « Vous aviez raison. Je suis pas hétéro. Je suis bipolaire, c’est tout. » (Arnaud)
c) L’homosexuel et l’hétérosexuel sont une seule et même créature :
Deux princes de Walt Disney
L’hétérosexuel et l’homosexuel sont finalement une seule et même créature du paraître, qui glorifie la pulsion sexuelle au détriment de la sexuation femme-homme aimante. « Les hétérosexuels sont plus gays que les gays. » (London s’adressant au héros homo Smith, dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki) ; « Homosexuel donne hétérosexuel. Hétérosexuel, c’est le contraire pratique d’homosexualité, l’hétérosexualité qui montre bien la folie de ce monde ! » (le père de Claire l’héoïne lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Pendant un apéro au Boobs’bourg, en attendant les autres, Cody m’avoue qu’à New York il met des petites annonces sur craiglist.org en se faisant passer pour une fille : ‘Comme ça, quand les hommes ils veulent ma chatte, je dis à eux je suis un pédé mais je peux te sucer bien ta bite à fond et avaler ton jus. Ça marche, quoi, les hommes ils ont envie d’une fille parce qu’ils pensent que c’est la seule chose qui les fait bander mais un jour où ils sont en manque ils goûtent à la bouche ou le cul d’un pédé et d’un coup ils se rendent compte que ce qui les fait bander c’est le sexe, et pas une fille, quoi. Je suis comme une sorte de terroriste queer comme j’oblige les hommes hétéros de se rendre compte que tout le monde est pédé, quoi, parce que tout le monde bande pour n’importe qui.’ » (Cody, le héros homosexuel efféminé et nord-américain dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 98-99) ; « De fait, on est différents. Mais c’est pas pour ça qu’on doit pas avoir les mêmes droits. On est un couple, Serge et moi. On a des sentiments qui sont exactement les mêmes que deux hétéros. » (Victor, le héros homosexuel Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc.
Par exemple, dans le spectacle de marionnettes L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Philippe Robin-Volclair, les espèces hétérosexuelles et homosexuelles ont comme par hasard droit à un seul et unique acte de naissance, puisqu’on nous parle de la nouvelle espèce homosexuelle apparue chez les canards, le « Canardus Vulgaris Heterosexualitus ». Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Simon, le héros homo, imagine chacun de ses amis hétéros, révéler à leurs parents leur hétérosexualité, et déclencher un psychodrame, donc mentalement met en scène des coming out inversés. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, la méthode assimil qu’Howard, le héros homosexuel, écoute pour redevenir hétérosexuel, l’encourage paradoxalement à devenir homosexuel, et finit même par s’homosexualiser : « Soyez un homme ! Faites n’importe quoi mais ne dansez pas !!! Arrêtez de tortiller des fesses, espèce de grande folle !!! » Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), en jouant avec l’homophobie avec les homosapiens, Fabien, le héros homosexuel, dit que les homos sont plus originels au genre humain que les hétéros : « Vous avez déjà entendu parler des hétérosapiens ? Non. Nous sommes donc à l’origine de l’Humanité, nous les homosapiens. »
Dans les fictions homo-érotiques, nombreux sont les personnages « hétéros… très homos » : cf. la pièce Penetrator (2009) de Anthony Neilson (avec le personnage de Max), la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec le personnage de Jean-Luc), le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec le personnage qui affiche d’autant plus rigidement son hétérosexualité qu’elle se ressent lesbienne sans l’assumer), le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi (avec le chauffeur de taxi bisexuel), le one-man-show Coming out d’un homme marié (2007) d’Hervé Caffin et Maria Ducceschi, le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, la chanson « Désolé » de Sexion d’homos (parodie de la chanson de Section d’Assaut), la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays, le film « No Soy Como Tú » (2012) de Fernando Figueiras (avec le personnage d’Ugo), le film « Les Amants passagers » (2013) de Pedro Almodóvar (avec le pilote d’avion hétéro qui devient homo), le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi (avec Fabio, l’homosexuel au look super hétéro), le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz (avec Polly qui passe d’hétéro à homo), le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret (avec le personnage de Zoé), le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann (avec Aysla, la femme lesbienne qui se marie avec un homme, et Marie, sa compagne secrète, également mariée et mère de famille), le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini (avec Carole, d’abord hétérosexuelle avant de s’afficher lesbienne), etc. « Mon prof d’éducation physique… Moi, il m’a tout appris. C’est lui qui disait : ‘Un hétéro, c’est un homo qui s’ignore tant qu’il n’a pas goûté au fruit défendu.’. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015). Par exemple, dans la pièce Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Henri, l’hétéro se met dans la peau d’un homo pour récupérer un héritage, mais reste très coureur de jupons). Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, Nicolas est homosexuel… mais marié à Géraldine, pour les convenances. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, travaille comme assistant-télé de Stéphane Plaza, présentateur d’une émission sur M6 qu’il présente comme un « hétéro très homo ». Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, et Julien, le héros bisexuel, maintiennent une relation amoureuse. Mais Yoann tolère d’être un à-côté, et que Julien préfère les femmes : « Oh il aime trop les nanas. » Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Guillaume et Michael sont deux hommes mariés qui sortent ensemble. Dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, les hétéros se transforment peu à peu en hommes sensibles : « Je vois que tu es devenu sensible… » leur signale ironiquement leur entourage. Par exemple, Citron, l’hétéro, de par son travail, se retrouve à assurer la sécurité de la Gay Pride. Il se rapproche beaucoup de son ami gay Radmilo : « Toi et moi, finalement, on se ressemble assez. Peu importe qu’on soit gay ou… » Dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, le groupe commando anti-mariage-gay et scandant des slogans hétérosexistes (« Attention = HÉTÉROSEXUALITÉ EN DANGER ! » ; « Nous devons sanctuariser la famille hétérosexuelle ! ») sont précisément homosexuels, soit assumés comme tels, soit refoulés. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, pour la mettre dans son lit et dans sa vie, Emma qualifie sa future amante Adèle comme l’archétype de « l’hétéro qui serait plutôt curieuse [de l’homosexualité] », de l’extérieur. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, les héros hétérosexuels ont tous eu leur phase homo, et les héros homos banalisent leur désir homosexuel en le mettant sur le compte de la mode ou de la culture de leur adolescence : « C’était une bonne époque pour être homo. Le style androgyne était à la mode ; même les garçons hétéros portaient du maquillage et des bijoux, et se teignaient les cheveux. Je crois qu’une partie de Tielo aurait bien voulu être gay. Jusque-là, on avait tout fait ensemble, mais il avait toujours été le plus dévergondé de nous deux. […] Il s’est laissé draguer par des mecs une ou deux fois. » (Petra parlant des années 1980 et s’adressant à son amante Jane, p. 81) ; « Elles [Jane, la narratrice lesbienne en couple avec Petra, et Ute, la femme hétéro mariée avec Tielo] avaient échangé un baiser une fois alors qu’elles étaient ivres pendant un réveillon de la Saint-Sylvestre, leurs langues se touchant jusqu’à ce que l’une d’elles – Jane ne se rappelait pas laquelle – se dérobe. » (p. 32) Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, sort avec un homme mexicain marié, Palomino Cañedo. Dans l’épisode 85 « La Femme aux gardénias » (2017) de la série Joséphine Ange-gardien, Albertine, l’héroïne lesbienne, a une liaison avec Lena, une chanteuse noire de jazz, alors qu’elle s’apprête à se marier avec Henri, pour faire un mariage de façade : l’hétérosexualité n’est que le miroir de l’homosexualité. « J’épouse Henri pour qu’on soit libres de vivre comme on l’entend. » (Albertine s’adressant à Lena). Dans l’épisode 5 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Otis le héros hétéro va voir « Hedwig and the Angry Inch » et offre une place à Éric son meilleur ami gay pour son anniversaire : ils s’y rendent tous les deux travestis en femmes. Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Cyril, un des personnages hétéros, est présenté comme « un hétéro cool »… et d’ailleurs, on le voit se travestir en femme en porte-jarretelle dans la boîte gay Chez Eva.
Pour le héros gay qui se prend pour une fille, il ne lui semble pas rejoindre l’homosexualité quand il tombe amoureux d’un homme, mais bien l’hétérosexualité… alors qu’il pose quand même des actes homos concrets : « Je suis pas homo parce que je suis une fille attirée par un garçon. C’est on ne peut plus hétéro… » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « Rupaul’s Drag Race : une émission de drag-queens que j’aime beaucoup. » (l’humoriste « hétéro » Arnaud Demanche se mettant dans la peau d’un internaute, dans son one-man-show Blanc et hétéro, 2019) ; etc.
Les hétéros et les homos sont tous les deux des êtres sous cellophane, des créatures du paraître, comme l’illustre le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, et tant d’œuvres sur le « devenir objet ». « Vous êtes tous pareils, il n’y a que le visuel qui compte. Tous sans exception. » (Shawna s’adressant à Michael, le héros homosexuel du roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 48) ; « Vous n’êtes qu’une bite avec une paire de mocassins. » (Martine mettant sur le même plan les homos et les hétéros, dans la pièce Les Amazones, 3 ans après… (2007) de Jean-Marie Chevret) ; « Les hétérosexuelles ont toujours un métro de retard quand il s’agit de reconnaître leur attirance pour d’autres femmes. » (Oshen, la comédienne Océane Rose-Marie, lors de son concert à L’Européen de Paris, le 6 juin 2011) ; « À chaque fois j’arrivais à brouiller les pistes, en sortant avec une fille. Avec une copine, on a le droit d’avoir un copain. Sans copine, on est pédé. » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 160) ; « J’suis hétéro. J’ai dérapé. J’allais pas bien. Il était là. » (Didier par rapport à Bernard son « amant d’un soir », dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « D’après la spécialiste, les femmes hétéros veulent coucher avec d’autres femmes, pour vivre leur toute nouvelle fluidité sexuelle. C’était Les Lesbiennes pour les nuls. » (Tori dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Les rockeurs, les chanteurs de charme en étaient quasiment tous. » (Gérard dans la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; « Et puis ils sont mariés. Ils ont tous les jetons. » (Jean parlant de tous ses « plans cul »/clients homos de la gare) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, l’avocat Roy Cohn refuse de se définir « homo » et dit de lui-même en parlant à la troisième personne : « Roy Cohn est un hétérosexuel qui s’amuse avec les garçons. » Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdelatif Kechiche, Emma définit extérieurement Adèle comme l’archétype de « l’hétéro qui serait plutôt curieuse [de l’homosexualité] ». Dans la pièce Three Little Affairs (2010) de Cathy Celesia, Rachel, avant de révéler son amour lesbien à Ninette, se déclare avec assurance « 100% hétérosexuelle », pour s’assurer une couverture normative. Dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, Ernst se fait sucer dans le train par un « bon père de famille ». Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, Alfonso couche avec Joaquín, mais cache son homosexualité. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria qui se présente comme « hétéro » joue le rôle d’Helena, lesbienne, et ce rôle déteint sur sa vie avec son assistante Valentine, et la perturbe énormément.
On trouve aussi des personnages « homos… très hétéros », passant d’une pratique amoureuse/sexuelle à l’autre afin de vraiment se rendre invisibles : « Vous êtes très crédible en hétérosexuel. » (Isabelle complimentant Pierre, le héros homosexuel de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Je fais l’hétéro. Je le fais bien. » (Jefferey Jordan, homosexuel, dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « J’pensais que tous les chorégraphes étaient gays. Ils étaient auto-reverse. » (cf. une réplique de la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau) ; « J’assume parfaitement mon hétérosexualité. J’ai des relations sexuelles avec Benjamin, une fois de temps en temps. Comme tout le monde. » (Arnaud, le héros homo qui ne s’assume pas en couple homo et qui peu à peu va se définir comme « un hétéro curieux », dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « C’est pas drôle d’être homo. Y’en a marre, je deviens hétéro. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Alors, Trompette en l’air, on s’est réveillé hétéro ? » (Adam homo s’adressant à son futur amant Éric, l’homo efféminé identifié de leur lycée, dans l’épisode 6 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc. Par exemple, dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo sur le point de se marier avec son compagnon, découvre qu’il aime coucher avec les femmes. Dans le film « Camping 2 » (2010) de Fabien Onteniente, le très efféminé Patrick déclare qu’il a déjà fait le sosie d’Elvis Presley. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Konrad, l’homosexuel, adopte un look de motard hétéro : il exerce d’ailleurs le métier de garagiste. Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Édouard parfait son apparence « hétéro » pour mieux rassurer tout le monde… mais il est homo. Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, avoue qu’il a eu « une adolescence hétéro ». Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Schmidt, en parlant de son collègue Jenko, dit qu’« il se prend pour Harvey Milk », pour assurer une couverture à leur mission d’espionnage dans la bibliothèque du campus où ils doivent enquêter. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Henri se fait passer pour un hétéro pour mieux draguer en douce le jeune Franck. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, tous les personnages homos sont (et se comportent comme des) hétéros. Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, Marc et Engel sont deux amants virils, masculins. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent, le héros homosexuel, se force à se marier avec Sophie. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, tous les personnages homosexuels, pourtant en couple fidèle, revendiquent parfois à la surprise générale une hétérosexualité ou posent un geste hétérosexuel entre eux. « Alors, on n’est pas si différents des hétéros, finalement ? » (Jurgen et Jane, p. 112) Par exemple, Jurgen (gay) et Jane (lesbienne) ne sont pas insensibles l’un à l’autre (« Cette fois-ci, ses sourcils levés donnèrent à Jurgen un air malicieux et Jane vit qu’il était beau, d’une beauté que Hollywood qualifie en général de dangereuse. », p. 112), même si le premier assumera ce trouble mutuel et pas la seconde. Jurgen, profite du fait que Jane soit bientôt maman et la seule personne homosexuelle du dîner mondain auquel ils participent, pour avoir à son encontre un surprenant geste déplacé : « Il glissa la main sous la table. Jane lui prit la main et la repose sur la table en se disant qu’il était dommage que la première personne qu’elle trouvait sympathique depuis son arrivée à Berlin ait été un tel connard. » (p. 114) Dans le film « Entre amis » (2015) d’Olivier Baroux, Astrid, la femme amriée, avoue à son mari Philippe qu’elle a « couché avec Jean Franco ». Philippe s’en étonne : « Je croyais qu’il était PD. » « Moi aussi. » avoue Astrid. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum simule d’avoir une femme et d’être hétérosexuel. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Oren, israëlien, est marié à une femme et avec un enfant, et vit une double vie avec un amant, Tomas, à Berlin. Tomas couche avec Anat pour recoucher symboliquement avec Orien. Dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet, le couple « marié » Dominique et Marcel sont bien hétéros chacun de leur côté (ils partagent la même femme, Mireille !)
L’homosexuel, comme l’hétérosexuel, sont des hommes (ou des femmes) mythiques formatés, normés, agressifs. Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, décrit M. Pujol, homosexuel, comme un homme aussi violent qu’une brute hétérosexuelle : « C’était le plus agressivement normal des hommes. » (p. 499) Le portrait de « l’hétérosexuel » Ralph Crossby, bizarrement très efféminé et précieux, dégage la même ambiguïté homosexuelle de l’hétérosexualité de l’homme-objet : « Ralph Crossby se tenait sur le seuil de la porte ouverte. Stephen remarqua qu’il était vêtu d’un complet immaculé de tweed gris qui avait une apparence trop neuve. Mais tout en lui semblait agressivement neuf, ses cheveux mêmes avaient un air de nouveauté, de maigres cheveux bruns qui luisaient comme si on les avait cirés. ‘Je me demande s’il les fait polir en même temps que ses chaussures’, pensa Stephen en l’observant avec intérêt. C’était l’un de ces hommes indéterminés qui ne sont ni grands ni petits, ni gros ni maigres, ni jeunes ni vieux, ni de sa bonne mine, ni précisément laids. Ainsi qu’aurait répondu sa femme si on le lui avait demandé, c’était tout juste ‘un homme’, ce qui le décrivait exactement, car ses seuls traits distinctifs étaient sa nouveauté et son expression hargneuse… sa bouche était intensément hargneuse. Lorsqu’il parlait, sa voix haut perchée avait un ton irrité. » (idem, p. 175)
Certaines créations pro-gays fonctionnent sur l’inversion entre hétérosexualité et homosexualité, pour prouver qu’elles sont semblables et interchangeables. « Est-ce que tout le monde est gay ? Est-ce que je suis dans la Quatrième Dimension ??? […] Il me faut un hétérosexuel de toute urgence ! » (Emily, la femme mariée dépassée le jour de son mariage par le coming out de son presque-futur-mari, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Un enfant, qu’il soit élevé par deux pédés du cul ou par un père et une mère, l’important, c’est qu’il ait de l’amour. » (Nadia, la mère porteuse hétéro dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; etc. Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny, l’un des héros homosexuels, dans son synopsis cinématographique, veut créer « un univers où tout est inversé, un monde gay où les hétéros sont une minorité ». Dans le film « Were The World Mine » (2010) de Tom Gustafson, le but affiché des protagonistes homosexuels est « de rendre gays tous les hétéros ». Dans le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue, les hommes mariés se travestissent tous en femme. Dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie, Armand, homo de 43 ans, vire sa cuti avec la jeune Curly, avant de revenir finalement aux hommes (plus âgés) ; et tous les hommes mariés du film sont présentés comme bisexuels, voire homos. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Lennon, le gros « hétéro » beauf, fait peu à peu son coming out et tombe amoureux fou de Martin sur qui pesait pourtant une forte présomption d’homosexualité et qui à la fin se révèle hétéro.
Fréquemment, les homos s’hétérosexualisent, les hétéros s’homosexualisent : « Maintenant, c’est de la merde, Paris ressemble à un musée pour vieux cons fachos, avec des gays(il prononce ‘géïzes’) qui tètent du petit lait électronique avec des airs ingénus et qui se branlent devant Xtube. Des petits moutons. On a transformé une armée de pédés rebelles qui dérangeaient le modèle hétéro en gays, c’est-à-dire en tarlouzes de droite incapables de réfléchir plus loin que le bout de leur bite. » (Simon le gay, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 23-24) ; « On les connaît, les hétéros… » (François, homo, ironisant avec Kévin son pote homo, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; etc. Par exemple, dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jean, à l’hôpital, le jour de la naissance de son fils, panique et commence à faire une déclaration d’amour homosexuel à son beau-frère homosexuel Antoine, en essayant de l’embrasser sur la bouche, alors qu’il est pourtant hétérosexuel : « Je t’aime ! » Il a peur d’assumer sa paternité nouvelle.
Dans le discours des héros des fictions homo-érotiques, cette fusion entre « l’hétérosexuel » et « l’homosexuel » repose en général sur un fond sentimentaliste, spiritualiste, techniciste, artistique, mercantile, libertin, et traduit une indifférence et une violence : « Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas ; mais homo, bi, hétéro c’est pareil, on ne mange pas dans les assiettes cassées. » (le chauffeur taxi dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 120) ; « Tu sais, cariño, un jour, tu vas tomber amoureux. Si c’est un garçon, t’es homo. Si c’est une fille, t’es hétéro. […] Je me suis tapée toutes les filles de ma promo. Ça n’a pas fait de moi une lesbienne ! » (un des tantes de Guillaume, le héros bisexuel, en flagrant délit de déni de responsabilité, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; etc. Elle est au fond un outing homophobe s’abattant sur la différence des sexes. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Alan est présenté comme un hétéro très homo : « Si c’est celui que je connais, il est aussi hétéro que moi. » lance Larry, l’un des héros homos. L’homosexualité est une projection identitaire et amoureuse complètement irréaliste à la base, mais que certains héros homosexuels imposent à leurs partenaires non-homosexuels en passant préalablement par la case « inversion des sexes » puis « hétérosexualité ». Par exemple, dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, Engel traite tout le temps son futur amant (hétéro à la base) de « gonzesse » pour le dévaloriser et le faire basculer dans l’homosexualité. C’est aussi une projection médiatico-gay-friendly qui ne repose en réalité que sur la rumeur. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, c’est de Cameron Drake, l’acteur l’hétéro recevant un Oscar pour son rôle de gay dans un film intitulé « Servir et protéger », qu’est venue l’homosexualité de son ancien prof de lettres Howard Brackett. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, « un hétéro et un homo se découvrent amoureux. Sans clichés, ni préjugés, il franchiront toutes les étapes avec beaucoup d’humour ». Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, soi-disant « hétéro », a des goûts musicaux très gays (cf. « Take on me » de A-ha), lave son linge avec la lessive OMO, et suscite des sentiments chez Rémi. Rémi lui-même ne se dit pas « homo » et continue de dire que c’était une affaire de « personnes ».
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) La personne homosexuelle est une réalité fantasmée, non une espèce réelle et une identité profonde :
Je vous renvoie à tous les mannequins bodybuildés des revues mensuelles de la presse gay mondiale, aux clichés de Victor Banda et Francesco d’Macho (deux mannequins qui se sont prêtés au jeu du photographe Joan Crisol en se transformant en poupées Ken homosexuelles sous emballage cartonné pour le shooting photos Gayperman : Wonna Play With Me ? montré dans la revue Zero n°93 de décembre 2006/janvier 2007), ainsi qu’aux deux poupées Barbie figurant le couple lesbien sur les affiches de l’association homosexuelle basque Gehitu.
La naissance de l’homosexuel en tant que nomenclature identitaire et amoureuse a une date précise : 1869. « C’est un Hongrois, le docteur Benkert, qui, en 1869, crée le terme d’homosexualité et demande au ministre de la Justice l’abolition de la vieille loi prussienne contre celle-ci. » (Élisabeth Badinter, X Y de l’identité masculine (1992), p. 155) ; « Tout compte fait, le discours médical du XIXe siècle a transformé les comportements sexuels en identités sexuelles. » (idem, p. 156) ; « Le terme homosexualité a été forgé dans l’Europe contemporaine puisqu’il apparaît sous la plume d’un psychiatre hongrois en 1869 (‘hétérosexuel’ apparaîtra peu après.). » (Daniel Borillo et Dominique Colas, L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005), p. 10) C’est la raison pour laquelle, de manière très inconsciente, beaucoup de personnes décrivent « l’homosexuel » comme une caricature (et heureusement ! Personne ne peut se réduire à ses désirs et tendances sexuelles) et en même temps comme une race : « Je ne reproche aux hétéros que le fait qu’ils nous reprochent quelque chose. Je ne reproche qu’une certaine forme de racisme. » (Pierre Démeron au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969). Par exemple, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dit que « l’homosexuel » est « une caricaturevivante » (p. 102). Selon Marcel Proust, la catégorie des hommes invertis formait une « race », oui ! vous avez bien lu, une race « sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et la parjure ».
Et comme aujourd’hui, dans notre société actuelle, on tend à effacer cet acte de naissance d’où a émergé la bipolarité « les homos/les hétéros », en prétextant que la communauté homosexuelle est forcément « communautariste » (ce qui n’est pas systématique), qu’elle ne doit pas réfléchir sur la réalité et les spécificités de son unique socle – le désir homosexuel –, ni rentrer dans la logique marchande de compartimentation identitariste cloisonnante (« les » hétéros par-ci, « les » homos par-là, et tous leurs sous-genres : bis, transgenres, transsexuels, bears, fem, butch, minets, etc. etc.), certains individus gays s’inquiètent à juste raison de la disparition du particularisme désirant homosexuel : « Assistons-nous à la mort de l’homosexualité ? La créature médicale créée au XIXe siècle, avec sa sub-culture et ses prétentions d’identité spécifique, semble sombrer. » (Néstor Perlongher, « Avatares De Los Muchachos De La Noche », dans l’essai Prosa Plebeya (1997), p. 56)
En réalité, je crois que « l’homosexuel » est un personnage que croient revêtir les personnes homosexuelles pratiquantes, et qui n’est autre que l’homme invisible nommé « l’androgyne », cet être mythique qui signe la déni de la réalité de la différence des sexes en soi et chez les autres humains. « Pendant quelques années, je me suis sentie un peu en marge. Ni homme, ni femme, la figure de l’androgyne me fascinait mais je ne voyais pas comment concilier ma soi-disant virilité avec ce qui faisait de moi une femme, d’autant que j’étais censée être hétérosexuelle. Un jour, je me suis découverte lesbienne, et rétrospectivement je crois que l’union s’est faite en moi. » (cf. l’article « De la virilité des lesbiennes » posté par un dénommé « Septembre » dans www.yagg.com le 16 janvier 2010) ; « Hétérosexuels et homosexuels sont des mots barbares, des qualificatifs dont se parent et s’accablent des hommes mutilés qu’on apprend ou qui s’apprennent à réprimer des envies parfaitement naturelles. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc. Il est d’ailleurs décrit comme un être mythique, un messager divin voire Dieu : « Pendant le dîner, nous avons appris que l’esthéticienne avait été hétérosexuelle avant d’être touchée par la grâce. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 156) Par exemple, dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti, Rita, une mère d’une personne homosexuelle parle, de manière fort juste, d’« un fantasme appelé ‘l’homosexuel’ ».
b) La personne hétérosexuelle est une réalité fantasmée, non une espèce réelle et une identité profonde :
L’hétérosexualité est pensée comme une nature, une espèce existante : « Quoi qu’il en coûte, quelles que soient les conséquences je dis qu’il est indispensable de vivre son homosexualité comme les hétéros vivent leur hétérosexualité : naturellement. » (Antoine, homosexuel, dans le journal La Dépêche datée du 21 octobre 2015)
La créature hétérosexuelle est de plus en plus considérée comme préhistorique, voire même éternelle et ontologique : « Nous dont les enfances ont été et continuent d’être bafouées par l’hétérosexisme dominant ! » (Jacques Fortin, Homosexualités, l’adieu aux normes (2000), p. 7) La communauté homosexuelle n’est pas étrangère à cette croyance, étant donné que c’est elle-même qui l’a construite. Par exemple, Gustav Jäger (1832-1917) distinguait homosexuels actifs et passifs. Le passif est le féminin, l’actif masculin et même hyper-viril et comme tel, il est même plus masculin que l’homme « normal », c’est-à-dire hétérosexuel. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 169) Certaines personnes homosexuelles font de l’hétérosexualité une essence évidente, une nature humaine spontanée, qui va se soi : « Les hétéros n’ont pas besoin de se dire ! (idem, p. 41) Elles font barrage à la réflexion sur l’hétérosexualité. Selon elles, l’hétérosexualité, « ça ne se discute, ça ne s’avoue pas, cela va sans dire. » (idem, p. 42) Affaire classée, dit-on. Même des grands théologiens moralistes catholiques, tels que Tony Anatrella, tombent dans le panneau de confondre la différence des sexes avec l’hétérosexualité : « L’homosexualité est le résultat d’un complexe psychologique et d’un inachèvement de la sexualité qui ne s’achemine pas vers l’hétérosexualité. » (Tony Anatrella, Le Règne de Narcisse (2005), p. 76) Par exemple, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, l’homme réel est sérieusement confondu avec l’homme-objet.
Calendrier « Les Dieux du Stade »
Or l’hétérosexualité n’est pas du tout une réalité lointaine et tangible. Elle est au contraire très récente, presque aussi récente que l’homosexualité, puisqu’elle est née un an après elle, en 1870 ; et qu’en plus, même dans le langage courant, elle arrive bien après le terme « homosexuel », comme le souligne Élisabeth Badinter dans son essai X Y de l’identité masculine (1992) : « Le mot ‘hétérosexualité’ n’est utilisé qu’à partir des années 1890. » (p. 238). L’hétérosexualité, temporairement et symboliquement, découle de l’homosexualité. « L’hétérosexualité elle-même n’est historiquement qu’une conséquence, un vague avatar de cet érotisme de soi. » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 21) Cela est si révélateur de ce qu’est véritablement l’hétérosexualité : un désir homosexuel pas encore déployé/assumé. Selon Harvey Fierstein, ce qui effraie le plus de si nombreux hommes hétérosexuels dans l’homosexualité, c’est la peur « qu’ils puissent aimer ça ». (Harvey Fierstein cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 190) Mettre l’hétérosexualité du côté de la compulsivité, des désirs superficiels et égocentrés, c’est tout à fait juste. Dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, il est question justement d’« hétérosexualité compulsive » (« c’est-à-dire d’une hétérosexualité qui répond moins aux besoins profonds de l’individu qu’à sa peur d’être homosexuel », p. 186) : des hommes ou des femmes à l’orientation sexuelle imprécise et tourmentée, cherchent à se prouver qu’ils peuvent plaire aux filles (ou aux garçons, dans le cas des femmes lesbiennes refoulées) parce qu’au fond, ils n’en sont pas si sûrs…
Série « Les Bleus : Premiers pas dans la police »
Les hétéros sont des créatures venues de la médecine légale et du cinéma. En aucun cas ils sont réductibles à l’Humanité dans sa grande majorité. Nous ne vivons pas dans un monde hétéro. Penser cela est un non-sens historique et victimisant. « Aujourd’hui comme hier, l’humanité se partage en hommes et femmes et non, comme voudraient le faire croire ceux-ci, entre homosexuels et hétérosexuels (les derniers étant d’ailleurs, voudrait-on nous persuader, que des homosexuels qui s’ignorent ou se contiennent). On n’est pas humain sans être homme ou femme. » (Michel Schneider, La Confusion des sexes (2007), p. 124) ; « C’est le XIXe siècle bourgeois qui a voulu figer les choses pour enfermer les gens dans des petites cases. » (cf. l’émission « Les Enfants d’Abraham » sur l’homoparentalité, spéciale « Adoption homosexuelle : Pour ou contre ? », sur la chaîne Direct 8, mardi 1er décembre 2009) ; « On ne semble pas remarquer que la revendication du ‘mariage homosexuel’ ou de ‘l’homoparentalité’ n’a pu se formuler qu’à partir de la construction ou de la fiction de sujets de droits qui n’ont jamais existé : les ‘hétérosexuels’. C’est en posant comme une donnée réelle cette classe illusoire de sujets que la question de l’égalité des droits entre ‘homosexuels et hétérosexuels’ a pu se poser. Il s’agit cependant d’une fiction, car ce n’est pas la sexualité des individus qui a jamais fondé le mariage, ni la parenté, mais d’abord le sexe, c’est-à-dire la distinction anthropologique des hommes et des femmes. » (Sylviane Agacinski dans le journal Le Monde, le 22 juin 2007) ; etc.
Le monde hétéro est celui de la technique, des médias, des arts. Parfois, « les hétéros » sont même montrés nus sous vitrines, animalisés (et non sans raison ! : plus on réifie les êtres humains, plus on les bestialise !) : cf. l’essai au titre ironique Nos Amis les hétéros (2004) de François Reynaert, le film documentaire « La Domination masculine » (2009) de Patric Jean (montrant bien que l’hétérosexualité est le monde de la poupée), etc. Dans la réalité concrète, la personne la plus hétérosexuelle qui soit, c’est le prostitué masculin ou la prostituée, c’est-à-dire quelqu’un habité par un désir machiste, et se soumettant à celui-ci en participant à sa mise en pratique. Les prostitué(e)s sont les actualisations extrêmes et partielles d’un personnage androgyne qui n’a jamais réussi à s’incarner pleinement : « Cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toute façon je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), p. 13) L’hétéro est plus proche du super-héros des dessins animés et des bandes dessinées que du réel. Par exemple, dans leur essai Le Cinéma français et l’homosexualité (2008), Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni se sont d’ailleurs amusés à créer un joli néologisme entre le terme « hétéros » et « super-héros » : ils parlent des « beaux (hét)héros » (p. 48). Le philosophe Gilles Deleuze écrit bien que « nous sommes hétérosexuels statistiquement et molairement » et non humainement (Gilles Deleuze cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 91).
Certains chercheurs nous parlent de l’homosexualité (Mary McIntosh, Jeffrey Weeks, John D’Emilio, Gayle Rubin, etc.) et de l’hétérosexualité (Hansen, Jonathan Katz, etc.) comme des constructions relativement modernes et récentes de la pensée contemporaine sur la sexualité. Sur l’hétérosexualité en tant qu’invention (scientifique et médiatique), je vous conseille fortement la lecture de l’article « The Invention Of Heterosexuality » de Jonathan Ned Katz publié dans la revue Socialist Review (1990) ; ainsi que de l’essai Anticlimax : Women’s Press (1990) de Sheila Jeffrey. Virginie Despentes, dans son essai King Kong Théorie (2006), dénonce à juste titre « la distinction des genres telle qu’imposée politiquement autour de la fin du XIXe siècle, l’obligation du binaire » (p. 112) (… même si elle remplace malheureusement le terme « sexe » par celui de « genre »). Comme le démontre la biopic « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée (avec le héros hétérosexuel Ron, qui se fait rejeter de chez lui par ses voisins et taguer sur sa maison « DANGER, SANG DE PÉDÉ ! » simplement parce qu’il a le Sida), l’apparition du virus HIV a funestement contribué à donner une consistance à l’hétérosexualité, et à justifier l’alignement entre l’hétérosexualité et l’homosexualité.
Dans son essai La Pensée Straight (2001), Monique Wittig dénonce « l’aspect fondateur de l’hétérosexualité et prétend que celle-ci n’est ni naturelle, ni un donné : l’hétérosexualité est un régime politique. » Cette philosophe lesbienne donne apparemment une très bonne définition de l’hétérosexualité : « Quand je pose le terme hétérosexualité, je me trouve en face d’un objet non existant, un fétiche, une forme idéologique massive qu’on ne peut pas saisir dans sa réalité, sauf dans ses effets, et dont l’existence réside dans l’esprit des gens d’une façon qui affecte leur vie toute entière, la façon dont ils agissent, leur manière de bouger, leur mode de penser. Donc j’ai affaire à un objet à la fois réel et imaginaire. » (Monique Wittig, « À propos du contrat social », dans l’essai Les Études gays et lesbiennes (1998) de Didier Éribon, p. 61) Cet « objet à la fois réel et imaginaire » dont elle parle, je lui donne pour ma part le nom de « réalité fantasmée ». Ceci étant dit, là où je ne suis plus d’accord avec Wittig, c’est que juste après avoir décrit la superficialité semi-incarnée de l’hétérosexualité, elle confond cette réalité mythique avec la réalité positive du couple femme-homme non-hétérosexuel, puisqu’elle soutient que « vivre en société, c’est vivre en hétérosexualité ». Elle ne mène pas son intuition jusqu’au bout. Dommage.
Le terrain de la réflexion sur le concept d’« hétérosexualité » est quasiment vierge. C’est hallucinant de voir l’aveuglement général dans ce domaine. Ceux qui ne se sentent pas homos se croient maintenant obligés d’assurer qu’ils sont « hétéros » ; et ceux qui se sentent homos ne veulent surtout pas être étiquetés « hétéros » mais tiennent absolument à ce que le reste de la Planète le fasse. Personne ne va remettre en cause cette foutue « hétérosexualité » (et surtout cette foutue bipolarité « hétéros/homos »), présentée comme naturelle, universelle, et éternelle, alors qu’elle est tout sauf cela. Elle est manichéenne en ses fondements. Dans son essai L’Invention de la culture hétérosexuelle (2008), Louis-Georges Tin souligne à raison « l’absence de réflexion sur l’hétérosexualité » (p. 6), la naturalisation forcée du Couple (naturalisation qui gomme la liberté qu’il a eu de se former)… mais il fait l’erreur d’associer cette violation de l’amour, cet artifice, à tous les couples femme-homme : « La pratique hétérosexuelle est universelle. » (p. 9)
Il n’y a que l’Église catholique qui a vraiment ouvert les yeux sur la supercherie de l’hétérosexualité. Dès le Moyen-Âge (à mon sens le véritable terreau idéologique de l’hétérosexualité), Elle s’était déjà opposée à l’hétérosexualité : « Les hommes d’Église réprouvaient non seulement l’adultère, inhérent à la logique courtoise, mais plus généralement cette promotion nouvelle de l’amour, de la femme et du couple. » (Louis-Georges Tin, L’Invention de la culture hétérosexuelle (2008), p. 80) Mais Louis-Georges Tin réduit ces oppositions à une peur superstitieuse, chez les ecclésiastiques, de la sexualité (« Les hommes d’Église s’opposent à la culture hétérosexuelle surtout parce qu’elle est sexuelle. », p. 194) alors qu’à mon avis, la méfiance de l’Église est plus noble et positive que cela : avant tout le monde, Elle s’oppose à la culture hétérosexuelle parce qu’Elle a senti qu’elle était irréelle, réifiante, bisexuelle, individualiste, peu responsabilisante et peu aimante.
L’Église Catholique est finalement la seule institution humaine à avoir compris la gémellité de violence de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, et à s’être opposée à l’hétérosexualité. Par exemple, en Suisse, après le Concile Vatican II (1962-1965), en 1975, es prêtres catholiques romains et les conseillers synodaux suisses dénoncent l’hétérosexualité : ils mettent exactement sur le même plan les « couples » homos et les « couples hétéros ». « À leurs yeux, et dans les années septantes en Suisse, l’hétérosexualité est une perversion, parce que c’est un homme et une femme qui ne veulent pas avoir d’enfant. » (Thierry Delessert dans l’émission radio L’Invité de la Rédaction, spéciale « Thierry Delessert, spécialiste de l’histoire de l’homosexualité en Suisse », sur RTS, le 29 août 2016) La preuve que le Concile Vatican II était vraiment inspiré.
c) La personne hétérosexuelle se rapproche de la bisexualité et de l’homosexualité plus que de la relation d’amour entre une femme et un homme ; La personne homosexuelle se rapproche de la bisexualité et de l’hétérosexualité plus que de la relation d’amour entre une femme et un homme
À la base (et au fond), l’hétérosexualité est un écran que s’est créé la personne bisexuelle pour ne pas assumer sa fragilité et son homosexualité : « Je devais ne plus me comporter comme je le faisais et l’avais toujours fait jusque-là. Surveiller mes gestes quand je parlais, apprendre à rendre ma voix plus grave, me consacrer à des activités exclusivement masculines. Jouer au football plus souvent, ne plus regarder les mêmes programmes de télévision, ne plus écouter les mêmes disques. Tous les matins en me préparant dans la salle de bains je me répétais cette phrase sans discontinuer tant de fois qu’elle finissait par perdre son sens, n’être plus qu’une succession de syllabes, de sons. Je m’arrêtais et je reprenais ‘Aujourd’hui je serai un dur’. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 166) ; « Si Dieu voulait transformer un homo en hétéro, Il aurait le pouvoir de le faire, j’en suis certain. » (Alexander, homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; « Tous homos ! Oui, ils ont des femmes et des enfants mais ils te disent sans scrupules que tu leur plais et qu’ils ont envie de toi. » (Sophie, homme transsexuel M to F, se plaignant des hommes mariés louant ses services, cité dans la biographie du Père Jean-Philippe, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 306) ; « RuPaul est une sorte de gourou, de Dalaï Lama pour la communauté homo. Mais il y a beaucoup d’hétéros qui regardent aussi. » (Rich Juzwiak, homosexuel, parlant de l’émission de télé-réalité transsexuel aux USA Rupaul’s Drag Race, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel) ; « J’enlevais mon masque d’hétéro pour mettre mon masque d’homo, et inversement. » (Dan Savage parlant de la difficulté de faire son coming out, idem) ; etc.
Ne perdons pas de vue que l’hétérosexualité est un prolongement de l’homosexualité. David Halperin a tout à fait raison de rappeler que le terme d’homosexualité « ne s’inscrit pas, au départ, dans un système binaire de classification sexuelle comme pôle opposé de ‘hétérosexualité » (cf. l’article « Homosexualité » de David Halperin, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 256) L’hétérosexualité, initialement n’est pas l’opposé de l’homosexualité, mais uniquement son revers gémellaire, sa face B (comme Bisexuel). « Freud tient à souligner qu’entre un homosexuel et un hétérosexuel il y a une ‘parenté psychologique’. » (Xavier Thévenot, Homosexualités masculines et morale chrétienne (1985), p. 157) ; « Freud l’avait dit avant moi. Il y a en nous tous ET un homosexuel ET un hétérosexuel. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « L’homosexualité, je le répète, est souvent l’‘érotisation’ d’une rivalité mimétique. Le désir portant sur l’objet de cette rivalité, objet qui n’est même pas nécessairement sexuel, se déplace vers le rival lui-même. Le rival n’étant pas nécessairement du même sexe – puisque l’objet n’est pas nécessairement sexuel – cette érotisation de la rivalité peut se produire comme hétérosexualité. À mon avis, il n’y a donc aucune différence structurelle entre le type d’homosexualité et le type d’hétérosexualité dont nous parlons en ce moment. » (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), p. 482) ; etc. C’est pourquoi on ne peut absolument pas être d’accord avec Alberto Mira quand il écrit que « l’expérience homosexuelle n’est pas symétrique à l’expérience hétérosexuelle » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 246 et p. 329). L’homosexualité ne se dissocie que de l’amour femme-homme aimant ; mais elle reste la source de son clone surnommé « hétérosexualité ».
Ce n’est pas un hasard si l’homme hétérosexuel est parfois présenté comme une espèce en voie de disparition. « On pense le mettre au zoo. » (Denis en parlant en boutade de son ami « hétéro », dans le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre) Avec la Queer & Gender Theory (qui ne veut plus qu’on se définisse en tant qu’« homo », « hétéro », « bis », « trans », mais en tant qu’« individu en perpétuelle auto-construction » et en tant qu’« amoureux »), avec de surcroît la tendance de l’hétérosexualité à se muter chroniquement en bisexualité ou en homosexualité selon les époques, on a maintes fois l’occasion de découvrir que l’hétérosexualité est une réalité temporaire, magique, de transition, une bisexualité qui veut se vivre sans se dire. « Pas plus qu’il n’y a des gens purement hétérosexuels, il n’y a de purs homosexuels. Les expressions ‘homosexuel’ et ‘hétérosexuel’ ne sont que des mots, des têtes de chapitres au-dessous desquelles chacun peut écrire ce qui lui plaît. Elles n’ont pas un sens fixe. » (Georg Groddeck, Le Livre de ça (1923), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 380)
L’homosexuel et l’hétérosexuel forment les deux moitiés d’un Tout androgynique, orgueilleux et machiste, que certaines personnes homosexuelles/bisexuelles ressentent en elles et cherchent à rendre réels : « Profondément, je ne me sens pas homosexuel. Plutôt un homosexuel complètement hétérosexuel. Je rêve de conquérir la partie manquante de moi-même. » (Hervé Guibert, romancier français homosexuel, cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 482) ; « Hétérosexuels et homosexuels sont des mots barbares, des qualificatifs dont se parent et s’accablent des hommes mutilés qu’on apprend ou qui s’apprennent à réprimer des envies parfaitement naturelles. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « Pour traduire la nouvelle société, où les homosexuels […] incarnent l’humanité future, un nouveau monde s’impose : ce sera gay. À relier à ‘macho’. Les deux faces d’une même médaille. À gay le bien, à macho le mal. À gay l’homme féminisé porté aux nues, à macho l’homme bêtement viril, dénigré, méprisé. Ostracisé. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 27) ; « J’ai beaucoup de mal pour aller dans des milieux exclusivement féminins, parce qu’il y a une espèce de brutalité dans laquelle je ne me reconnais pas. […] Ce que je ressens dans ces milieux-là parfois, c’est qu’on reproduit, tu as des femmes qui reproduisent des comportements masculins que j’exècre totalement, dans la manière de draguer principalement, c’est ça. Je trouve que c’est vulgaire, pour moi ça casse l’image de l’amour que j’ai pour les femmes. […] Ce qui me gêne c’est la contradiction, pour moi, entre une revendication de l’amour des femmes et cette vulgarité, qui pour moi n’est qu’une reproduction de ce qui se passe chez les hétéros. » (Catherine, femme lesbienne de 32 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, pp. 58-59) ; « Si véritablement je n’étais pas leur star, à coup sûr, je devins par la suite une célébrité parmi eux. Ma féminité les rendait impulsifs les uns les autres. Ils m’aimaient, me parlaient avec douceur en me caressant la nuque ou le dos, comme il était permis ici pour démontrer une certaine affection. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de ses camarades de classe mâles, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 58) ; etc.
Musical « Monsieur! » d’Olivier Schmidt
Par exemple, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), Paula Dumont sous-entend qu’être élevée comme une hétérosexuelle, c’est être élevée comme une future homosexuelle : « J’ai été élevée comme une future hétérosexuelle, j’ai intériorisée, de surcroît, une bonne dose d’homophobie et j’ai vécu dans la chasteté la plus totale pendant toute ma jeunesse. Tout cela ne peut pas être sans conséquence. » (p. 111) Dans son one-man-show Virtuose (2017), l’humoriste Kallagan suspecte un de ses spectateurs du Point Virgule d’homosexualité en le traitant d’« hétéro ».
On observe l’androgynie psychique entre l’hétérosexuel et l’homosexuel à travers certains choix cinématographiques. Par exemple, dans le film « L’Animal » (1977) de Claude Zidi, Belmondo joue un double rôle de cascadeur viril et de star efféminée : les deux personnages sont des sosies. Dans le film « Before Night Fall » (« Avant la nuit », 2000) de Julian Schnabel, les personnages du travesti Bonbon et du lieutenant Victor sont interprétés par le même acteur : Johnny Depp. Le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, pourtant typiquement hétérosexuel, est bourré de codes homosexuels et il s’adresse pourtant à un public très hétéro. Cela veut bien dire ce que ça veut dire : l’hétérosexuel et l’homosexuel sont une seule et même créature, qu’on appellera différemment selon les cultures et les siècles, mais qui globalement est l’androgyne, l’Homme-objet, l’hermaphrodite, le bisexuel.
Rien d’étonnant qu’un des supers-héros les plus ultra-virils qui existent, Batman, soit homosexuel, et que toutes les personnes humaines qui cherchent à imiter l’hyper-sexualité de l’homme-objet ou de la femme-objet se disent homosexuelles/bisexuelles (exemple : les individus butch, bears, daddies, et dragking). Les filles sur-féminines, « plus que femmes », ne sont pas les demoiselles banales que l’on croise habituellement dans la rue, mais bien des hommes travestis, trans, dragqueens, homosexuels, ou des actrices et des prostituées bisexuelles. « L’homosexualité est intimement liée au caractère hétérosexuel (au sens que celui-ci combine les deux sexes). » (Melanie Klein citée dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 419) ; « L’homosexuel tel qu’on le représente (et même tel qu’il se représente lui-même) est toujours une projection de l’imaginaire hétérosexuel. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 22) Sur Facebook, j’avais lu sur un mur d’un ami homo, le 20 avril 2011, que « la follasse c’est le beauf version gay ». C’est excellent, car c’est tout à fait ça.
le chanteur Ricky Martin
La confluence entre hétérosexualité (dans le sens de masculinité et de féminité trop forcées pour être vraies et fidèles à la différence des sexes) et homosexualité est incarnée par beaucoup plus de personnes réelles qu’on ne croit, même si ça ne manque pas de nous surprendre à chaque fois tellement les personnes qui jouent les hétéros masquent leurs penchants homos par la violence ou par leur union forcée avec une personne du sexe complémentaire. « Combien d’hétérosexuels ont fait des expériences homosexuelles dans leur vie ! Ça prouve que c’est une expression tout à fait naturelle de la sexualité. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « Bien sûr, c’était un combat. Surtout pour les gays, les lesbiennes et les transsexuels. Mais cette époque post-hippie était encore marquée par la Révolution sexuelle, et tout le monde couchait avec tout le monde. On ne se posait pas la question de savoir si c’était avec un homme ou avec une femme. Quand on était attiré par quelqu’un, on y allait directement. Je sais par expérience que beaucoup d’hétérosexuels vivaient dans cet état d’esprit. Il ne fait pas l’oublier. Pour eux, ça n’avait rien à voir avec l’homosexualité. » (Romy Haag parlant des années 1970, interviewé(e) dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) Par exemple, Aaron McKinney et Russell Henderson, les assassins prétendument « hétéros » de Matthew Sheppard en 1998 aux États-Unis, étaient en réalité des amants de celui-ci.
On retrouve la reproduction du schéma hétérosexuel chez les personnes homosexuelles (la tapette/le moustachu ou l’actif/le passif du côté des hommes gays ; la fem/la butch du côté des femmes lesbiennes). Daniel Welzer-Lang a parfaitement bien résumé l’équation de l’hétérosexualité (celle-ci s’appliquant exactement aux couples homosexuels) : « masculin = actif = violeur = pénétrer = appropriant = dominant ; féminin = passive = violée = dominée = trou = appropriée » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin (1988), p. 196)
Manif pro-mariage-gay en France, Paris hiver 2012-2013
Dans la réalité, il n’est pas anodin que les cinémas pornos hétérosexuels accueillent une clientèle à majorité homosexuelle et qu’ils aient été depuis très longtemps des lieux de drague gay. Par ailleurs, regardons l’hétérosexualisation spontanée du PaCS français : sur plus de 100 000 couples pacsés en 2007, on dénombre seulement 7% de couples homosexuels. En 1999, année d’instauration du Pacte Civil, ils étaient 42%. Et je ne parle même pas de l’homosexualisation actuelle du mariage femme-homme, avec le « mariage gay »…
l’acteur Rock Hudson
Nombreuses sont les personnalités « hétéros… très homos ». Plus un homme s’hétérosexualise en copiant l’homme-objet masculin (dans les salles de sport, en posant pour la presse gay, en travaillant en tant que chanteur ou acteur de charme), plus il s’homosexualise. C’est un constat paradoxal qu’on a l’occasion de vérifier presque systématiquement. « L’un de mes cousins m’a demandé pourquoi je ne les rejoignais pas. J’ai répondu assez fort pour être entendu de tous que je ne me livrais pas à ce type d’exercice, une fois de plus, comme avec le film que Bruno avait amené, que je trouvais ça ‘gerbant’, et qu’à les regarder, tous autant qu’ils étaient, avec leurs corps dénudés, je me disais que leur comportement était vraiment un comportement de pédés. En vérité, ces morceaux de chair me donnaient des vertiges. J’utilisais les mots ‘pédé’, ‘tantouze’, ‘pédale’ pour les mettre à distance de moi-même. Les dire aux autres pour qu’ils cessent d’envahir tout l’espace de mon corps. Je suis resté assis dans l’herbe et j’ai condamné leur comportement. Jouer aux homosexuels était une façon pour eux de montrer qu’ils ne l’étaient pas. Il fallait n’être pas pédé pour pouvoir jouer à l’être le temps d’une soirée sans prendre le risque de l’injure. » (Eddy Bellegueule parlant de ses cousins hétéros le forçant à regarder et à imiter les films pornos hétéros, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 148-149) La majorité des icônes masculines ou féminines que la communauté homosexuelle se choisit comme modèles d’identification, la majorité des acteurs à la base « hétéros » mais qui ont interprété des rôles d’homosexuels dans les films, la majorité des femmes soi-disant « hétérotes » qui sont « filles à pédés » ou qui défendent les « droits des homos », pratiquent très souvent la bisexualité ou font leur coming out à la surprise générale : je pense à Joséphine Baker, Maïk Darah, Stéphane Rideau, Zachary Quinto, Ricky Martin, Marlon Brando, James Dean, etc. « Je me rappelle. J’adorais Elvis Presley. Mais c’était surtout parce que je le trouvais sexy. Elvis était un personnage artificiel, très maquillé. Et je le trouvais super sexy. Aujourd’hui encore, je suis convaincu qu’il avait une sensibilité gay. Mais comme il était tenu par son manager, il n’a jamais pu l’exprimer, surtout à cette époque. » (Rosa von Prauheim interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte)
Par exemple, dans le documentaire « Brüno » (2009) de Larry Charles, Dave, à la base désigné comme « hétéro », se fait traiter de « pédale », et se révèle en réalité homosexuel. On peut citer également la liaison supposée entre le prof d’art dramatique et l’un des élèves les plus machos du lycée militaire, racontée dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias. Dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, décrit l’ambiguïté des hommes apparemment très « hétéros » avec qui il a couché : « Une nouvelle surprise m’attendait : mon gitan ‘grand et beau’, une fois la lumière éteinte, s’avéra une triste ‘lopette’, plus efféminé qu’il n’est permis de l’être. Poussant des cris de paon, il provoqua presque un scandale dans l’hôtel. […] Pendant de longs jours, la vision ignoble de ce garçon, que je croyais viril, les images de cet homme singeant la femme en présence d’un autre homme tout aussi efféminé, tout cela endormait en moi toute velléité de recommencer. » (pp. 109-110)
Ça marche aussi dans l’autre sens. Nombreuses sont les personnes « homos… très hétéros », c’est-à-dire les personnes homos s’hétérosexualisent qui rentrent dans un jeu de virilité cinématographique : « J’ai été traité de fille très jeune (6/8 ans) par un beau-frère assez tyrannique, avec le recul je m’aperçois que je ne m’en suis jamais vraiment remis… tout du moins ma construction en tant qu’homme a été très compliqué, j’ai toujours eu du mal à me sentir viril (pour résumer)… et avec du recul, je me rend compte que j’ai passé mon enfance à essayé de copier les mimique des gars que j’admirais (le profil hétéro, chef de bande, bagarreur, sportif, drôle avec du succès avec les filles) même si je ne suis pas devenu comme eux, j’essayai du moins de me faire accepter par eux, je voulais en fait être eux (en lisant les premières pages de Confession d’un Masque de Mishima j’ai vu que c’était le cas de certains homo)… malgré tout cela je ne me sentais jamais légitime dans ma virilité, toujours mal dans ma peau, et un peu escroc sur les bords… » (un ami homo de 23 ans, m’écrivant en novembre 2011)
Elles se mettent dans la peau du rôle de « l’hétérosexuel » pour masquer (la violence de) leur homosexualité (pratiquée) : « Et le jeune homme reste sur ses gardes, soupçonne qu’on le soupçonne, feint de feindre pour mieux dissimuler ; achète des livres traitant de l’amour hétérosexuel, prend des précautions avec ses amis, évite de confier son numéro de téléphone et ne reste pas indifférent au cours des entretiens où l’on démolit les pédérastes. Dans l’obligation personnelle d’avoir recours aux subterfuges, il sombre en général dans la dissimulation. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 12) ; « Je suis hétéro et homo… hétéromo ! Les animateurs c’est comme les anges, ça n’a pas de sexe ! » (l’animateur homosexuel Olivier Minne, au micro de RMC en août 2014) ; etc.
Article sur le film « Humpday » (deux amis hétéros tournent un porno gay ensemble)
Les désirs homosexuels et hétérosexuels se font miroir : « Je n’avais pas pensé une seule seconde qu’un pédé puisse ressembler à ce point à un hétéro. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 72) ; « Jimmie était à la fois dans l’érotisme homosexuel et hétérosexuel. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 428) ; « Les hétéros conciliants sont partout et plutôt là où on ne les attend pas. Oui, la vie est inimaginable. […] Que ces bons garçons en veuillent parfois à nos sous n’explique pas comment ils font pour tenir une si belle forme devant nous ou qui voudra. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 174) ; « J’ai des rapports très sains avec les hétérosexuels de mon entourage. Il arrive même que certains changent d’avis en fin de soirée. » (Pascal Sevran dans l’émission Politiquement Show de Patrick Buisson traitant du « communautarisme gay » sur la chaîne LCI en 2003) ; « Pourquoi donc le jeune Adrien Baillon, le plus masculin des homos de Montmartre, viril au lit et casse-cou dans les rues, sodomite actif et criminel aguerri, railleur des tantes et frère de pogne de Mignon, répond-il de toujours au sobriquet de reine de ‘Notre-Dame-des-Fleurs’ ? » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 183) ; « J’étais comme eux, absolument comme eux. On faisait la nouiba : chacun se donnait à l’autre. On baissait nos pantalons et on faisait l’amour en groupe. J’étais moi-même avec eux. Moi-même et différent. Je les adorais, oui, oui. Je restais avec eux même quand ils m’insultaient, me traitaient d’efféminé, de zamel, de pédé passif. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 13)
Pas un pour rattraper l’autre… : l’homme hétérosexuel et l’homme homosexuel ont tous les deux un problème avec leur sexualité, une difficulté à aimer et à s’engager durablement en amour. En somme, ils sont les manifestations « vivantes » d’un manque de désir. « Les homosexuels ne sont pas meilleurs que les hétérosexuels. » (le cinéaste allemand Rosa von Praunheim à Alice A. Kuzniar, dans la revue The Queer German Cinema) Le désir hétérosexuel n’est pas plus unifiant et probant que le désir homosexuel : « Finalement, je n’étais pas plus à l’aise dans l’homosexualité que dans l’hétérosexualité. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (2008) de Michel Dorais, p. 251) ; « Je ne crois pas à l’homosexualité épanouie… Je n’ai pas d’admiration pour ceux qui vivent ça bien. J’ai toujours vécu mon homosexualité comme quelque chose de malheureux. Mais c’est une affaire de goût personnel. J’aurais eu ce même goût du malheur si j’avais été hétérosexuel. » (Patrice Chéreau lors d’une rencontre avec les étudiants de G.A.G.E. en 1992, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 127)
Le silence sur la véritable nature de l’hétérosexualité (= son potentiel caché d’homosexualité) arrange beaucoup de monde : ET les personnes hétérosexuelles (qui désirent continuer à pratiquer l’homosexualité en toute discrétion, tout en gardant une image propre sur elles), ET les personnes homosexuelles (qui souhaitent voir perdurer leurs rêves d’amour avec les objets de leurs fantasmes – les êtres humains ressemblant de près ou de loin aux hétéros des magazines –, qui ne veulent surtout pas apprendre qu’elles sont tout aussi violentes dans leur sexualité et leurs amours que les individus hétérosexuels qu’elles vomissent/idéalisent, ni découvrir que leur homosexualité n’est pas éternelle, qu’elle est aussi inconsistante que l’hétérosexualité, et qu’elle s’oriente fantasmatiquement/et parfois concrètement vers la différence des sexes, considérée comme le diable en personne). Dans le cœur de beaucoup de personnes homosexuelles subsiste le secret espoir de convertir un individu non-homosexuel et non-hétérosexuel en « hétérosexuel », et donc en « homosexuel en devenir ». Ce n’est pas anodin si elles disent souvent en boutade que « les hétéros sont des homos qui s’ignorent, des homos refoulés » ; car en effet, elles tapent en plein dans le mille !
Comme les désirs hétérosexuel et homosexuel ont du mal à s’incarner en espèces humaines réelles, beaucoup de personnes qui les ont confondus avec la sexuation femme-homme, se mettent à remettre en cause la différence des sexes, dans un langage très queer. « Je ne pensais pas devoir décrire mon protagoniste en tant qu’homosexuel ou hétérosexuel. Pour moi, il est queer. Dominik n’a pas besoin de se décrire. » (Jan Komasa, le réalisateur du film « Sala Samobójców » (« Suicide Room », 2011), dans la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris)
Par exemple, dans son essai Testo Junkie (2008), Beatriz Preciado entend « déconstruire les différences de genres et de sexes », car selon elle, « il n’y a ni hommes ni femmes, de même qu’il n’y a ni hétérosexualité ni homosexualité ».
Lors de son interview à la radio Europe 1 diffusée le 24 mars 2013 pour la sortie de son film « Los Amantes Pasajeros » (« Les Amants passagers », 2013), Pedro Almodóvar dit, en référence au turn-over d’orientation sexuelle du pilote d’avion hétéro, que la conversion des hétéros en homos n’est pas une fantaisie de sa part mais une réalité culturelle qui s’observe déjà dans toute la société espagnole.
Ce que les penseurs pro et anti hétérosexualité ou pro et anti homosexualité s’affairent à court-circuiter par leur concret rhétorique partisan, au final, c’est la reconnaissance de l’existence du désir homosexuel en tant que haine de soi qui ne suffira jamais à fonder une espèce. Et c’est aussi leurs pratiques sexuelles violentes qui oscillent de l’hétérosexualité à l’homosexualité, et inversement, et qu’ils ne veulent surtout pas voir nommées.
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Souvent, les intellectuels homosexuels n’aiment pas traiter de l’union homosexuelle entre « les riches » et « les pauvres », car elle leur révèlerait la schizophrénie violente de leur désir homosexuel. Ils idéalisent l’amourette en merveilleux « union de solidarité » pour ne surtout pas l’analyser : « L’homosexualité est une passerelle extraordinaire entre les milieux sociaux : c’est une spécificité de l’érotisme homosexuel. » (Anne Delabre, Didier Roth-Bettoni, Le Cinéma français et l’homosexualité (2008), p. 219) Et comme ils finissent par voir leur propre hypocrisie, et par constater que le tableau de la rencontre des classes qu’ils ont dépeint la larme à l’œil n’est pas si idyllique qu’il y paraît quand il s’actualise dans la pratique homosexuelle (tourisme sexuel, prostitution due à une guerre ou à une crise économique, exploitation matérialiste et sexuelle mutuelle, trafic des corps, misère sexuelle, arrivisme et exploitation de la souffrance/faiblesse humaine, etc.), ils se résignent à la diaboliser et à la trouver « simpliste et dangereuse » : la rencontre « prolo révolté/bourgeois installé » est réduite à une « opposition », à une « position très tranchée, voire manichéenne » (idem, p. 141) C’est génial ou c’est nul, mais en tous cas, ça n’existerait pas !
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FICTION
a) La rencontre des classes sociales permise par l’homosexualité :
Film « Unveiled » d’Angelina Maccarone
Régulièrement, les fictions traitant d’homosexualité se plaisent à unir l’homosexuel pauvre avec l’homosexuel riche : cf.la nouvelle « Le Potager » (2010) d’Essobal Lenoir (avec les rencontres sexuelles furtives entre les homos citadins de Paris et les homos campagnards), le film « Rich Boy, Poor Boy » (1992) de Piedro de San Paulo, la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette (avec Diane la bourgeoise et Isabelle la prolétaire), le film « Fresa Y Chocolate » (« Fraise et Chocolat », 1993) de Tomás Gutiérrez Alea et Juan Carlos Tabio (avec Diego l’homosexuel esthète et David le militant politique), le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (avec Molina la « grande folle » bourgeoise et Valentín le communiste), le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears (avec Omar et Johnny), le film « La meilleure façon de marcher » (1976) de Claude Miller (avec Philippe le bourgeois et Marc le rustre champêtre), le film « Géant » (1956) de George Stevens (avec Jordan et Jet), le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné (avec Serge et François), le film « Les belles manières » (1978) de Jean-Claude Guiguet (avec Camille et Hélène), le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig (avec Czentovic et le joueur d’échecs), le film « The Delta » (1996) de Ira Sachs (avec Lincoln et John), le film « Le Droit du plus fort » (1974) de Rainer Werner Fassbinder (avec Eugène et Frantz), le film « Guns 1748 » (1999) de Jake Scott (avec MacLeane et Plunkett), le film « The Servant » (1963) de Joseph Losey (avec Tony et Hugo), le film « Lan Yu » (2001) de Stanley Kwan, le film « A Mí La Legión » (1942) de Juan de Orduña, le roman El Día Que Murió Marilyn (1970) de Terenci Moix (avec Jordi l’homosexuel riche et Bruno l’homosexuel pauvre), le film « Diputado » (1979) d’Eloy de la Iglesia (avec l’intellectuel de gauche bourgeois Roberto Orbea et le modeste Juanito), le film « Maurice » (1987) de James Ivory (avec Maurice et Scuder), la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, le film « Les Biches » (1968) de Claude Chabrol (avec Frédérique la lesbienne riche et Why la lesbienne modeste), le film « Parisian Love » (1925) de Louis Gasnier, le film « Parigi O Cara » (1962) de Vittorio Caprioli, le film « Les Amis » (1970) de Gérard Blain (avec Philippe l’homo riche et Paul l’homo pauvre), le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas (avec Claude la lesbienne fortunée et Greta la lesbienne sans-le-sou), le film « La Bonne » (1986) de Salvatore Samperi, le film « Rosa E Cornelia » (2000) de Giorgio Treves, le roman Le Crépuscule des Bourbons (2012) de Philippe Gimet (avec les ébats du Duc de Richelieu et du jeune et beau mignon Louis-Marie de Montédour-Trémainville), la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton (avec Doris, l’héroïne lesbienne « fricotant » avec sa secrétaire Peggy), le film « Unveiled » (2007) d’Angelina Maccarone (avec la lesbienne du bout du monde, hébergée et choyée par sa copine occidentale), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec Malik le bourgeois colonial vivant une idylle avec Bilal son serviteur), la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed, le film « Welcome » (2009) de Philippe Lioret, le roman Montecristi (2009) de Jean-Noël Pancrazi, la pièce Bang Bang (2009) des Lascars Gays (avec la rencontre entre Jean-Claude l’homo class et Steeve l’homo pauvre), le film « L’Étrangleur » (1970) de Paul Vecchiali, le film « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » (1999) de François Ozon (avec la liaison entre Léopold le VRP quinquagénaire et Franz un étudiant), le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (dans lequel le « pédé bourgeois » part explorer les bas-fonds sordides des gares, à la recherche d’aventures homosexuelles), le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis (avec Price le « touriste » friqué et son guide Marwan), le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot (avec le « flirt » entre Sidonie la servante-conteuse et la reine Marie-Antoinette), le film « Off World » (2009) de Mateo Guez (racontant un riche Canadien homosexuel face à la pauvreté des bidonvilles des Philippines), la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz (avec le couple homo formé de Chris, le blond venant d’un milieu beauf, et de Ruzy, la star du foot noir), la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis (dans lequel Jean-Marc, l’homo infiltré, et Jean-Jacques, le fils de bonne famille, vivent un amour secret), le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan (avec le couple de Barthélémy – fils à papa blond – et du Maghrébin Brahim), le film « Ander » (2009) de Roberto Castón (avec Ander et son immigré péruvien, José), le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec George Falconer, le prof d’université, qui a une liaison avec Carlos, l’étranger espagnol sans argent), le roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc (avec le narrateur et son facteur), le roman La Dette (2006) de Gilles Sebhan (avec le narrateur prof de lettre et l’étranger arabe), le roman La Nuit de Maritzburg (2014) de Gilbert Sinoué, le film « Indian Palace » (2012) de John Madden (avec Graham et le domestique indien Manadj qui ont une liaison qui fait scandale dans la société indienne), le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin (avec Bernard, le Black, qui est tombé amoureux pendant son adolescence d’un jeune bourgeois, Peter, chez qui il a travaillé avec sa mère), le roman Deux garçons, la mer (2014) de Jamie O’Neill (avec Jim, le bourgeois réservé destiné à la prêtrise, et Doyler, rebelle des bas quartiers), le film « La Partida » (« Le Dernier Match », 2013) d’Antonio Hens (avec Reiner, un quadragénaire espagnol et Juan, le Cubain en quête d’un passeport), le film « Plein soleil » (1960) de Jacques Deray, le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill (avec Doyler, le prolétaire, et Jim, le bourgeois), etc.
Par exemple, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Dylan vient d’une famille martiniquaise aisée ; Ednar d’une famille pauvre. Dans le sketch « Le Couple homo » de Pierre Palmade et Michèle Laroque, Alain, 48 ans, est en couple avec un jeune amant brésilien, Roberto, 19 ans. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, Antonio a vécu son premier amour homosexuel avec un ouvrier de son entreprise, Michele, dans le secret. Cette relation, dit-il, a été rendue impossible parce qu’elle aurait été empêchée ou rendue anonyme : « J’aimerais faire revenir Michele ici. »
Embarqués dans leurs idéalisations misérabilistes et humanistes, beaucoup de héros homosexuels aisés sacralisent la rencontre avec le va-nu-pieds qu’ils ont enjolivée dans leurs rêves les plus envolés… quitte à forcer concrètement un peu les choses… « Le paysan et l’intellectuel… » (Abdallah se décrivant à son ami Maurice dans la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti) ; « Deuxième choc, mon voisin de table, Esteban. Un redoublant. Un cancre. Le bon élève tombe amoureux du cancre. C’est bien connu. » (Mourad, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 338) ; « J’aime les p’tits délinquants ! » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Il aimait ça, Khalid, ma force, mon côté mauvais garçon. Il aimait que je vienne d’un autre monde. Les pauvres. Ça le changeait, disait-il souvent. Il trouvait ça exotique. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 25) ; « J’essaye de dénicher la petite bonne qu’il me faut, et il s’en présente beaucoup de nouvelles. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 13) ; « J’essaie de dénicher la petite bonne qu’il me faut, et il s’en présente beaucoup de nouvelles. […] J’entreprends de lui faire essayer les vêtements qu’elle devrait mettre pour son service. Ainsi je l’amène à se déshabiller devant moi. J’aime à regarder comment les filles sont faites. Ces filles de la campagne n’ont souvent aucune pudeur quand elles sont entre femmes et ont surtout l’habitude d’obéir sans trop réfléchir. » (idem) ; « Jusqu’à présent, j’ai toujours cherché à séduire des femmes qui étaient soit plus jeunes, soit de condition inférieure, et je n’ai jamais pensé à conquérir une femme qui me fût égale ou supérieure. » (idem, p. 33) ; « Je me demandai si c’était vrai qu’elle ne voulait pas. Mais je savais que si je recommençais à lui donner des ordres comme à une bonne, je l’aurais. » (Anamika, l’héroïne lesbienne riche, parlant de son amante-servante pauvre Rani, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 228) ; « Mathilde est avec Maria. Oui je comprends : vous pouvez vous allonger, Maria. » (Isabelle, l’héroïne lesbienne, parlant de son amante Mathilde, soi-disant partie avec la domestique portugaise, avertie à la dernière minute et à son insu, dans la pièce Elles s’aiment depuis 20 ans de Pierre Palmade et Michèle Laroque) ; etc.
Le héros homosexuel peut rentrer dans le même processus de fierté d’être entretenu par un amant riche qui lui offre toute l’affection sensuelle et la richesse matérielle dont il avait rêvées : « Dans ce temps-là où je marchais avec et derrière lui, un pauvre avec un riche, un pauvre accroché à un riche, là, dans cette ailleurs, je pouvais enfin tout m’autoriser. Accéder un moment à la même liberté que Khalid. » (Omar, le héros homo pauvre, en parlant de son amant riche Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 71-72) ; « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (Omar, le protagoniste pauvre, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 81)
Parfois, le personnage homosexuel joue à faire partie des deux mondes – le monde bourgeois et le monde pauvre – pour s’acheter une générosité, une originalité, une trahison envers les deux. « Mais j’avais un problème : quoi porter ? On ne s’habillait pas n’importe comment pour aller à l’opéra. […] Je n’allais tout de même pas me présenter devant le Tout-Montréal déguisé en cousin pauvre ! Même si je n’étais que le cousin pauvre du cousin pauvre ! […] J’aimais mieux faire artiste que péquenaud. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 39) ; « Je suis la Reine des boniches. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc.
L’entrelacement fictionnel entre le personnage homosexuel riche et son amant du bout du monde n’est parfois que la représentation d’une schizophrénie du héros homosexuel, aux prises avec un désir homo-érotique jaloux qui le malmène et le sépare : cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi (avec María-José le travesti M to F, déchiré entre deux mondes : les favelas des Misiones et la jet-set parisienne), les Reines pauvres dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer (avec la prostituée de luxe qui finit par se substituer à sa sœur jumelle prostituée pauvre), etc. « Il faut que je t’avoue quelque chose : je ne suis pas riche. Je suis une mythomane. En fait, j’habite dans une chambre de bonne, rue Monsieur-le-Prince. Je ne m’habille en femme que pour sortir le soir. » (Micheline le travesti M to F s’adressant à Ahmed, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Je ne veux pas être l’esclave ni d’un riche, ni d’un pauvre ! » (Lou, l’héroïne lesbienne dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, l’héroïne lesbienne Anamika couche à la fois avec Rani sa servante et Linde la bourgeoise qui pourrait être sa mère. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, la mère bourgeoise de Vicky, dite « Madame Lucienne », n’est autre qu’une pauvre femme de ménage.
Quelquefois, le héros riche se plait à s’identifier au pauvre pour se faire plaindre et lui ravir sa place : « Vous n’avez pas eu de peine à trouver un foyer d’artistes pour vous adopter alors que moi je suis restée à l’orphelinat jusqu’à l’âge de quinze ans, où je me suis enfuie pour faire la strip-teaseuse dans les fêtes foraines. » (Vicky s’adressant à sa sœur jumelle la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Chaque jour vers l’enfer nous descendons d’un pas, sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange le sein martyrisé d’une antique catin, nous volons au passage un plaisir clandestin. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire). Et le vrai pauvre finit par lui reprocher cette fusion artificielle forcée : « Cette séparation entre nous, elle n’existe pas vraiment ? Je ne le crois pas… Je ne le crois pas. Tu fais semblant d’être comme moi mais tu ne l’es pas. C’est moi le pauvre. » (Omar, le héros homo pauvre, en parlant de son amant riche Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 71-72)
Le héros homosexuel pauvre ne cache pas non plus son souhait d’ascension sociale à travers la « profession » d’escort boy, ni son désir d’être « comme un riche » par fusion corporelle et amoureuse avec son amant bourgeois. Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer), Romeo le Noir couche avec des hommes blancs riches. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, le jeune Dany se laisse entretenir par des amants plus mûrs que lui, et qui lui donnent des billets. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane, le romancier célèbre et riche, se laisse séduire par Vincent, un jeune homme de 20 ans de moins que lui, au chômage, qui le quittera sans explication. Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Rodney, le riche et vieux critique d’art, entretient le jeune acteur Paul.
En réalité, l’attraction du héros homosexuel riche et du héros homosexuel semble motivée prioritairement par l’intérêt matériel et sensuel plutôt que par l’amour gratuit et désintéressé. « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille, le héros homosexuel, parlant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) Même si intellectuellement l’abstraction du fossé des cultures et des classes était séduisante, il se trouve que ce fossé n’est pas si facile à combler/ignorer. Par exemple, dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le père Adam et Lukacz, un jeune délinquant sans le sous, tombent amoureux. Adrian, un des jeunes du centre qui a identifié l’homosexualité latente du père, le fait chanter et peint sur la porte de sa maison, en rouge, l’inscription « Le prêtre est une pédale ! »
Et le pire, c’est que dans les œuvres homosexuelles, le contact entre classes se veut « démocratique » car il obéit à l’inversion des rapports dits « traditionnels » de domination/soumission entre riches et pauvres (or l’inversion n’est pas révolution ou suppression du mal). Le rééquilibrage ou le rachat de l’esclavage se ferait par le commerce génital, par le tourisme sexuel. Par exemple, dans le film « Les Terres froides » (1999) de Sébastien Lifshitz, le Maghrébin dominant « baise » le Blanc. Dans le film « Consentement » (2011) de Cyril Legann, un client de l’hôtel M. Chateigner vit une liaison sado-maso avec son garçon d’hôtel Anthony, qui finit par le dominer : « J’pense que pour le prix, tu mérites au moins de te faire enculer. » Dans le roman La Dette (2006) de Gilles Sebhan, l’acte homosexuel inter-classes symbolise le viol planétaire riches/pauvres, la souffrance de la dette des Occidentaux vis à vis des déshérités (son narrateur soupçonne son père d’avoir tué des Arabes pendant la guerre d’Algérie) : « La dette sans fin, la dette infinie qu’il me faudrait payer en me livrant à des Arabes, en livrant mon cul à des Arabes, pour déshonorer mon sang, ma race, la dette contractée à travers mon père à travers la Guerre d’Indépendance, à travers le renoncement au sol arabe, à travers ce supplice du sexe violé. »
Certains héros homosexuels bourgeois projettent sur leur amant pauvre leurs propres fantasmes érotiques. Le comble, c’est qu’ils se mettent même à rêver à un consentement miraculeux de sa part, à ce que l’initiative de l’amour vienne inopinément de celui qu’ils cherchent à soumettre par le sexe et l’argent. « Marie me dit d’une voix que je ne lui connaissais pas : ‘Mange-moi.’ J’étais comme ahurie d’entendre ces mots sortir de sa bouche. L’autorité que ma condition de patronne me donnait naturellement sur elle était comme abolie. Depuis toutes ces années qu’elle me servait, elle voulait inverser les rôles. J’en eus instantanément une sensation qui ne peut s’écrire. Elle voulait être servie. Sans rien dire, je me mis à genoux, comme on fait pour marquer le respect que l’on doit aux puissantes. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne parlant de sa servante, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon,p. 153)
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) La rencontre des classes sociales permise par l’homosexualité :
Jean Genet et Abdallah
Très souvent dans la réalité concrète, les rencontres amoureuses homosexuelles se font entre les amants de classe aisée et ceux des basses classes. « À Hildesheim, où Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) occupe un poste d’assistant judiciaire, il est soupçonné de relations contre nature avec des personnes de classe inférieure. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 79) Par exemple, dans son autobiographie Parloir (2002), l’écrivain Christian Giudicelli raconte comment il est tombé amoureux du bad boy Kamel qu’il a essayé de sauver de la galère et de la prison. Dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), l’ancien ministre français de la culture, Frédéric Mitterrand, évoque ses contacts réguliers avec la pègre des pays exotiques par lesquels il est passé. L’attraction du réalisateur italien Pier Paolo Pasolini pour les jeunes hommes des milieux populaires est de notoriété publique.
La confluence homosexuelle entre des milieux sociaux que tout semble opposer interroge beaucoup de monde, même si elle est rarement analysée comme un élan de mort de part et d’autre. « Pour quelle raison cet être raffiné [Oscar Wilde] se complaisait-il dans la société des grooms, des valets, des marchands de journaux et – des palefreniers qui l’appelaient d’ailleurs par son prénom ? – Pour quel motif vivait-il à l’hôtel dans l’intimité de ces vauriens, au lieu d’habiter Tite Street, avec sa femme ? » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 176)
Embarqués dans leurs idéalisations misérabilistes et humanistes, un certain nombre de personnes homosexuelles aisées sacralisent la rencontre avec le va-nu-pieds qu’ils ont enjolivée dans leurs rêves les plus envolés… quitte à forcer concrètement un peu les choses… « De même que Marx proposait une société sans classe, les gender feminists proposent une société sans sexe. » (Élizabeth Montfort, Le Genre démasqué (2011), p. 50) ; « Je n’avais pas beaucoup voyagé dans ma vie. Face à Karabiino [le groom noir], je me rendais compte que l’Humanité est une espèce qui m’était en grande partie inconnue. Ce garçon n’était pas comme moi. Ne pouvait pas avoir les mêmes origines que moi. Les mêmes racines. Impossible. Évidemment, je le savais, mais je ne pouvais pas m’empêcher de le remarquer, de me le répéter. Après tout, j’étais africain moi aussi, comme lui. Il avait l’air encore pur, encore frais, encore précieux, loin de la banalité des autres hommes. Ce garçon de 17 ans réinventait l’homme pour moi et révolutionnait du même coup l’idée que je me faisais de la grâce. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 72-73) ; « J’ai allumé la télévision. Sur Melody Hits, il y avait le clip de la chanson de Sabah. Karabiino connaissait le tube mais ignorait tout de la chanteuse. Il s’est arrêté de travailler. Je l’ai invité à venir s’asseoir sur le lit à côté de moi. Et on a regardé le clip ensemble. C’était joyeux. Triste. Bouleversant. Loin de tout. Sabah défiait encore et toujours le temps, la mort, c’était son dernier combat. J’avais soudain envie de pleurer, mais je ne savais pas pourquoi. Karabiino, lui, avait les yeux fixés sur l’écran. Était-il heureux ? Avait-il oublié pour un moment son malheur ? À quoi pensait-il ? Qui, au fond, était-il ? Je n’avais pas de réponses. Je n’en avais pas besoin. Karabiino était un garçon offert à mes yeux, à ma mémoire, parfaitement lisible et complètement mystérieux. Je savais un bout de son histoire, de son rêve. Mais là, à côté de moi, il était comme un petit prince, un petit roi. Un petit Sphinx. Insaisissable. Ailleurs. Ailleurs en permanence. » (idem, pp. 76-77)
L’individu homosexuel démuni peut rentrer dans le même processus de fierté d’être entretenu par un amant riche qui lui offre toute l’affection sensuelle et la richesse matérielle dont il avait rêvées : « À l’allure de ces contacts qui foisonnaient de partout, surgit ma rencontre avec un fils de riche monégasque qui m’initia aux joies du mannequinat et des voyages à l’étranger. Cette formule de voyages à l’étranger, appelée Escort dans le milieu, n’était autre qu’un accompagnement auprès des hommes d’affaires dans leurs déplacements. Bien sûr, avec le sexe à l’appui ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 115)
L’entrelacement fictionnel entre le héros homosexuel riche et son amant du bout du monde, ou bien la double appartenance à deux univers sociaux « opposés » (à l’image de la différence des sexes), n’est parfois que la représentation d’une schizophrénie du sujet homosexuel réel, aux prises avec un désir homo-érotique jaloux qui le malmène, le sépare autant qu’il le fascine, et qui lui rappelle parfois un passé prolétaire et miséreux qui le fait encore souffrir (même si ce même sujet homosexuel a eu accès depuis au milieu de cols blancs qui l’a arraché à la misère : cette schizophrénie est particulièrement visible dans le parcours de personnalités homos comme Hervé Guibert, Jean Genet, Eddy Bellegueule, Didier Éribon, etc.) : « Tenir les deux sphères ensemble, appartenir sans heurts à ces deux mondes n’était guère possible. Pendant plusieurs années, il me fallut passer d’un registre à l’autre, d’un univers à l’autre, mais cet écartèlement entre les deux rôles que je devais jouer, entre mes deux identités sociales, de moins en moins liées l’une à l’autre, de moins en moins compatibles entre elles, produisait en moi une tension bien difficile à supporter et, en tout cas, fort déstabilisante. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 171) ; « Je n’ai pour amis que des femmes très riches et des enfants très pauvres. » (Jean Cocteau, cité dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain) ; « J’ai revu ‘Le Prince et le Pauvre’, et ce pour la première fois depuis 1937. Comme la plupart des films qui exercent une influence sur les enfants, l’histoire est simple mais les sous-entendus tellement complexes qu’ils en deviennent dérangeants pour peu que vous soyez en âge de les saisir. Le prince et le pauvre étaient joués par Bobby et Billy Mauch, de vrais jumeaux de mon âge : 12 ans à l’époque. Et me voilà donc à l’écran, par procuration, non pas une fois mais deux, jouant à la fois le prince et le pauvre. Ces deux personnages – mes deux personnages ? – étaient tellement semblables qu’ils en devenaient interchangeables. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 33) Par exemple, dans son essai Riche et Pauvre (1998), Piotr Barsony évoque cette schizophrénie mondiale que le désir homosexuel illustre : « C’est une vie très compliquée que de vivre avec ses deux moitiés. » Par exemple, sur le flyer de son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval prétend être toutes les femmes, y compris les romanichelles : « Riches, pauvres, belles, moches, vierges ou non, farouches ou nymphomanes, toutes auront leur place parmi les chansons interprétées par la plus glamour des survivantes du Music-hall. Une façon de démontrer que toutes ces femmes peuvent être réunies en une seule : Elle ! » Pour ma part, quand j’étais petit, je m’identifiais énormément à Princesse Sarah, ce personnage de dessins animés japonais qui alliait richesse et misère extrêmes.
Photo « Sensuous Girls » de Paolo Roversi
Il arrive que l’individu homosexuel riche se plaise à s’identifier à un déshérité pour se faire plaindre et lui ravir la place. Et le vrai pauvre finit par lui reprocher cette fusion artificielle forcée : « J’eus affaire à un monsieur habitant une belle villa dans le Val de Marne, qui me désirait fortement vêtu comme l’homme de ménage du film ‘La Cage aux folles’. J’avais halluciné, concluant que ce fantasme me rabaissait complètement. Et puis, non sans gêne, il s’était plu à me dire que son sexe était un petit biscuit qui devenait grand comme une baguette. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 113) ; « Je n’aimais pas Diaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Mais je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. Il s’était imposé à moi en profitant de ma pauvreté et de ce que soixante-cinq roubles par mois ne pussent me suffire à nous empêcher, ma mère et moi, de crever de faim… » (Nijinski dans son Journal, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 198) ; etc.
Mais parfois, la plainte ne vient pas, car l’amant pauvre trouve son compte dans l’opportunisme bourgeois ! Il ne cache pas non plus son souhait d’ascension sociale à travers la « profession » d’escort boy, ni son désir d’être « comme un riche » par fusion corporelle et amoureuse avec son protecteur milliardaire : « Dès les premiers jours, je fus happé par un groupe de jeunes filles qui me décrétèrent mignon comme un ‘petit blanc’ et donc enfant de riche et de bonne éducation. Bientôt, ma personne fit le tour de la classe auprès des collègues masculins qui, jalousement, trouvèrent à leur tour que j’étais efféminé et que cet aspect attirait la compagnie des filles. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 46) ; « L’argent me manquait et l’indispensable de l’argent dans ma vie n’était plus à démontrer. Mes échecs fréquents étaient là pour souligner l’importance de mes mouvements réactionnels aspirés par cette vie. […] Même réduit à son strict minimum, l’argent supporte toute la symbolique de l’échange, de la médiation entre la société et l’individu. C’est une chaîne impossible à rompre, mais si l’excès d’argent pèse aux riches, combien est davantage contraignant le manque d’argent pour ceux qu’on dit pauvres ! » (idem, p. 119)
En réalité, l’attraction du sujet homosexuel riche et du sujet homosexuel semble prioritairement motivée par l’intérêt matériel et sensuel plutôt que par l’amour gratuit et désintéressé. Même si intellectuellement l’abstraction du fossé des cultures et des classes était séduisante, il se trouve que ce fossé n’est pas si facile à combler/ignorer. « Marc [le meilleur ami homo de Paula] m’a expliqué qu’il y avait là-bas [au Maroc] de nombreux jeunes gens disponibles pour une aventure avec un occidental, surtout s’il y avait un petit cadeau à espérer. Mais les échanges intellectuels avec un garçon de dix-huit ans étaient forcément limités. Enfin, a-t-il soupiré, quelques mensonges et un beau sourire valent bien quelques dirhams… » (Paula Dumont dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 197)
Certains auteurs homosexuels bourgeois projettent souvent sur leur amant pauvre leurs propres fantasmes érotiques. Le comble, c’est qu’ils se mettent même à rêver à un consentement miraculeux de sa part, à ce que l’initiative de l’amour vienne inopinément de celui qu’ils cherchent à soumettre par le sexe et l’argent. C’est la raison pour laquelle ils relativisent la prostitution, la pédophilie et le tourisme sexuel, sans même s’en rendre compte.
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« On est tous des anges appelés à baiser chastement ensemble ! »
À mon avis, beaucoup de couples homosexuels sont, du point de vue du comportement, les répliques humaines presque vivantes du Vicomte de Valmont et de la Marquise de Merteuil, le fameux tandem libertin bisexuel des Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. C’est ce qui explique l’attrait naturel de nombreuses personnes homosexuelles pour ce roman. La guerre des sexes, en apparence égalitaire, que se mènent ces deux anciens amants, consiste à asservir l’autre par la voie de la séduction, d’abord par personnes interposées, puis frontalement. Ce duo, tout fictionnel qu’il soit, est à prendre au sérieux dans la mesure où il est l’illustration symbolique de la nature duelle d’un désir homosexuel qui peut avoir des implications concrètes souvent violentes sur les comportements amoureux s’il n’est pas conscientisé. Comme l’écrit Jean-Paul Sartre, les personnes homosexuelles sont connues pour leur « méchanceté [en amour] en partie de ce qu’elles disposent simultanément de deux systèmes de références : l’enchantement sexuel les transporte dans un climat platonicien. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 146) Elles peuvent alors gérer leurs relations conjugales comme on joue aux jeux de société : avec la cruauté des Précieuses de Salon du XVIIIe siècle.
La réalité amoureuse de certains couples homosexuels a souvent la froideur et la méchanceté du couple littéraire libertin Valmont/Merteuil, même si cette violence est contrebalancée par l’intention romantique, un souhait de bien paraître, et un désir d’amour sincère. Beaucoup de personnes homosexuelles considèrent la relation amoureuse comme une communion idyllique… mais aussi comme un bras de fer mi-ludique mi-sérieux, une bataille à gagner par tous les moyens. Parmi elles, je distinguerais deux types de joueurs amoureux, qui finalement n’en sont qu’un : les sincères, qui se piquent au jeu de leurs stratégies d’amour – élaborées ou peu élaborées –, et les marquises, c’est-à-dire les cyniques pures, qui vont amener les acteurs de leur comédie amoureuse à se détruire sans qu’elles-mêmes se sentent concernées, et qui se font également piéger par leur sincérité et leur intellect.
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
Les Fils de Valmont et Merteuil
Film « Les Liaisons dangereuses » de Stephen Frears (réalisateur homosexuel)
Toute la fantasmagorie homo-érotique porte à croire que les personnes homosexuelles pratiquantes sont les fils de Valmont et de Merteuil. Les répliques partiellement et imparfaitement incarnées des Marquis de Sade et des Précieuses de Salon. Des amoureux et non des aimants, des sincères et non des acteurs de la Vérité, des libertins et non des gens libres.
Dans ce petit « condensé », je vais justement essayer de décrire les différentes stratégies amoureuses des libertins homosexuels (sachant que nous les retrouvons presque à l’identique dans les cercles d’amour hétérosexuel). Il existe une gradation entre elles. Je distinguerai les stratégies élaborées, les stratégies peu élaborées, et enfin les stratégies sincèrement et intellectuellement bien élaborées mais inconsciemment mal élaborées.
A – Les stratégies d’amour élaborées
Les individus homosexuels qui se croient plus futés que les autres, ceux que j’appellerais « les sincères », les Hommes qui possèdent parfois une expérience de conjugalité homosexuelle forçant le respect, les vieux beaux ou les jeunes premiers en recherche d’« une relation sérieuse et profonde », etc., ont une connaissance accrue de ces stratégies libertines élaborées qu’ils jugent bien plus nobles que les stratégies mondaines qu’ils attribuent à bon nombre de coureurs de pantalons du « milieu homosexuel »… sauf à eux-mêmes ! Leur technique de drague se veut moins grossière que celle du débauché à la recherche d’un simple « plan cul », car ils désirent, parce que leur code moral d’esthètes surdoués l’exige, faire l’amour… mais pas aussi naïvement que tout le monde. Ils ne sont pas « tout le monde » ! Eux, ils ne baisent pas que pour le sexe, ni pour des idéaux d’amour mièvres… même si dans les faits, c’est quand même le cas. L’amour est un art dont eux seuls détiendraient les clés. À l’occasion, ils s’offrent le luxe de revenir dans les moments de misère affective aux stratégies d’amour peu élaborées. Mais en général, ils s’orientent vers les stratégies libertines compliquées, ascétiques, comme la majorité des personnes homosexuelles d’ailleurs. Selon eux, amour égale complication jouissive, même s’ils aspirent profondément à la simplicité. C’est bien là leur drame.
a) La stratégie de la folle perdue :
La première technique d’amour du libertin homosexuel est l’usage de la pitié. En jouant le rôle de la folle perdue, il se présente d’office comme fragile pour apitoyer sa proie, et surtout pour lui/se donner l’illusion que l’affichage de l’échec équivaut à la conjuration de celui-ci. La mélancolie est chez lui une technique de drague. Il voit en elle un engagement de vie : souffrir est son destin, et sera son amour. C’est pourquoi, avec son air de chien battu, il demande à sa victime de lui faire le plaisir de lui prouver qu’il vaut encore quelque chose en acceptant de coucher avec lui dans la soirée. Implicitement, en la flattant sur sa beauté et sur sa soi-disant « exceptionnalité » surhumaine, il opère un chantage aux sentiments, et même parfois au suicide (« Si tu ne m’aimes pas, je me tue. »). En amour, le libertin homosexuel est prêt à l’humiliation. Il pense qu’il doit se soumettre ou soumettre pour aimer vraiment. Il n’est pas rare d’ailleurs que les jeunes adultes homosexuels exploitent ce besoin de soumission chez certains papys gays soucieux de jouer les Mère Teresa pour les sortir de l’impasse. Une telle situation ne peut pas être appelée de l’amour, ni même de la solidarité, tant elle nourrit deux narcissismes, celui du bon samaritain, et celui du malade mi-réel mi-imaginaire.
Nous trouvons conjointement à la stratégie de la pitié une technique qui lui est proche : celle de la mélancolie. Dans beaucoup de cas, l’amour dans le couple homosexuel s’avance par la voie du chagrin, de la défaillance. Ce que le libertin homosexuel aime chez son partenaire, c’est en grande partie son mal-être, ses propres fantasmes de mort. Il vénère les yeux qui répriment leurs larmes, qui ont la dignité d’échapper à la théâtralité grandiloquente, qui expriment la force dernière des situations d’extrême faiblesse, qui pleurent la condition humaine avec la petite retenue qui les rend poignants, qui disent la douleur d’exister étouffée, qui donnent vraiment envie de sangloter à leur place (on retrouve tout à fait cela dans un film comme « Huit femmes » (2002) de François Ozon).
L’union homosexuelle obéit souvent à la conscience mutuelle d’un opprobre, d’une essence divine de loser. Nous pouvons lire dans la confrontation des fragilités des amants homosexuels une non-rencontre, la volonté d’être compris par l’autre dans sa souffrance au point de le blesser, un appel au secours qui n’en est pas un puisque beaucoup d’entre eux souhaitent moins être aidés que d’entraîner leur partenaire dans leur précipice. C’est curieux, ces « je t’aime » qui ressemblent davantage à des « Nous ne croyons plus en l’Amour à deux » qu’à des « Nous croyons en l’Amour ensemble », même si paradoxalement le libertin homosexuel et sa proie se jurent mutuellement de se faire changer miraculeusement d’avis sur l’Amour dans un élan combatif.
Le libertin homosexuel recherche ce partage dans la souffrance, tout en le trouvant insupportable. Il déplore que son bonheur doive passer par le malheur. Il ne peut voir l’attendrissement de son partenaire sur ses larmes de défaillance que comme un amusement sadique, un arrivisme déplacé, une incompréhension totale, une douceur étouffante. Il sait bien au fond que les Hommes ne peuvent pas aimer uniquement sous prétexte qu’ils détestent ou pleurent ensemble.
Voyant que son couple devient de plus en plus complexe, l’amoureux homosexuel sombre dans la théâtralité et tente de mettre en scène son propre éloignement de l’amant. C’est en même temps une stratégie pour tester son entourage amoureux (ce dernier va-t-il le retenir ?), et une croyance sincère (il pense vraiment qu’il est un être maudit, oublié par l’amour). Il lui arrive alors de jouer les vieilles Maréchales de Strauss qui n’aiment que dans l’abandon et la distance déchirante. L’une des sources d’inspiration homosexuelle est évidemment le mélodrame et la tragédie classique. Le libertin homosexuel connaît par cœur la mise en scène mélancolique de l’amour homosexuel, mais la blâme/parodie surtout chez les autres. En revanche, quand lui-même devient théâtral en amour, il ne s’en aperçoit généralement pas. Au contraire, il mord à l’hameçon de sa propre comédie. Il tombe mal amoureux en croyant être fou d’amour, parce qu’il se persuade que dans ses différentes liaisons sentimentales, il est le seul à aimer véritablement comme il faut.
Il s’abandonne ainsi à l’esthétisme narcissique déprimé. Au cœur des pires tempêtes du dépit amoureux, au plus noir de ses nuits de désespoir, il se prend homo sans le savoir. Cheveux au vent, ou emmitouflé dans son petit pull marine au bord de sa piscine dorée, il ne se voit pas méditer théâtralement sur une feuille morte tombant d’un arbre, exécuter sa propre promenade chorégraphique au ralenti dans sa ville, pleurnicher sur lui-même à la vue des petits bonheurs simples de la vie (un enfant qui joue dans un parc, les familles heureuses, les passants insouciants, etc.), s’émouvoir sur son courage surhumain d’aimer la vie malgré tout ce qu’elle lui ferait soi-disant « subir », se laisser déborder par des extases panthéistes face à la Nature cruelle. Il cache sa (fausse ?) souffrance par la célébration esthético-sentimentale de celle-ci. Au lieu de prendre réellement de la distance par rapport à l’objet du deuil, il s’y identifie dans l’émotionnel et se soustrait au travail de détachement par la mise en scène parodiée du départ. Il adore les créations de la solitude, des adieux larmoyants, de l’amour impossible.
Le libertin homosexuel refuse l’amour et fait passer cette attitude lâche et orgueilleuse pour un sacrifice héroïque, ou une essence de dieu damné. Dans la distance, il enjolive et pleure une relation avec un regretté amant qu’en réalité il n’aurait jamais aimé si celui-ci avait été accessible et vivant. Il est prêt à se priver d’aimer et même à considérer ses futures conquêtes amoureuses comme des objets de vengeance et d’expiation de ce cruel coup du sort qu’il ne veut surtout jamais digérer, plutôt que de regarder la réalité en face. Il tient à son malheur et à son amour désincarné plus qu’à l’amour qu’il chante pourtant à tue-tête.
Nous pouvons nous interroger sur la raison d’une telle comédie. Elle peut s’expliquer en partie par le fait que le libertin homosexuel se convainc que l’amour vrai ne peut pas se dissocier de la souffrance et de la mort. Il s’agit d’une croyance absurde, puisque l’amour vrai, même s’il se manifeste parfois dans des situations d’épreuves, n’a jamais eu besoin de la souffrance ni de la mort pour exister. Mais beaucoup de personnes homosexuelles s’obstinent à la rendre effective par l’intermédiaire de l’esthétique.
Pour le libertin homosexuel, la véritable passion se trouve dans la tyrannie doucereuse. « La première forme de l’amour est respect, timidité, terreur. » (Marcel Jouhandeau, « Chronique d’une passion », cité dans l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 22 décembre 1978) Il définit l’Amour comme une force incontrôlable qui soumet et assigne un destin de despote ou de martyr. Il rêve d’être possédé par l’Amour, ou de faire de ce Dernier un instrument de pouvoir.
b) La stratégie de la peste :
Pour se venger de lui-même parce qu’il s’est laissé croire à sa faiblesse de folle perdue, le libertin homosexuel va, pour attirer les prétendants, prendre le total contre-pied de sa première tactique de séduction qui consistait à se montrer fragile. Il se décide à masquer sa dépression par la prétention. Il éprouve par exemple une sorte de fierté à s’isoler dans les recoins des bars gays, à ne pas aller draguer directement les autres (d’ailleurs, il déteste le mot « drague »), simplement pour ne pas prendre le risque d’être congédié, et pour avoir le plaisir de se faire éternellement désirer. Il a honte de prétendre à l’Amour, d’être fougueux ou passionné, car pour lui, aimer, c’est davantage une faiblesse qu’une force. L’une des règles d’or de ses manœuvres amoureuses est l’interdiction d’aimer ou de se laisser aimer. L’amour réciproque, c’est une abomination à ses yeux : « Mon amour à moi n’aime pas qu’on l’aime » laissera-t-il souvent entendre. Le but du jeu n’est pas d’aimer réellement mais de feindre l’Amour, d’écraser l’autre par l’art de la séduction courtisane, de promettre le ciel étoilé sans y voler. Paradoxalement, c’est pour cacher qu’il considère l’Amour comme une affreuse maladie, qu’il cherchera à tout prix à tomber maladivement amoureux.
Menée à terme, la chaîne de la sincérité conduit bien souvent le libertin homosexuel à la destruction de l’amant et à son auto-destruction. Il se dit tellement que sa bonne foi le sauvera du mal qu’il croit pouvoir tout se permettre pour aimer, même les pires manigances (le mensonge, la jalousie, la tromperie, l’humiliation de son copain en public, les menaces de mort, la soumission, la vengeance, etc.). Les seuls hommes qui l’intéresseraient amoureusement sont objectivement impitoyables avec lui. Et ceux qui s’intéressent à lui alors que lui ne s’intéresse pas vraiment à eux, il les trouve mièvres, pathétiques, et donc dignes d’être détruits. La méchanceté qu’il exerce sur son amant n’est pas seulement à mettre du côté de la volonté mauvaise. Elle lui apparaît comme une forme de charité : il souhaite protéger celui qu’il prétend aimer/qui prétend l’aimer de lui-même, en suscitant chez ce dernier la pitié – quand il a la force de la faiblesse – ou bien la haine – quand il ne veut pas paraître faible. L’élan d’amour du libertin peut alors tourner au drame. Dans l’iconographie homosexuelle, l’amour homosexuel est souvent montré comme un combat violent ou mortel. Et la fiction se fait parfois réalité.
Si et seulement si cette stratégie libertine est transposée dans la réalité concrète, la relation conjugale homosexuelle devient un enfer à vivre. Entre les amants homosexuels, on constate que c’est souvent l’« amour vache ». Il faut se méfier des couples mythiques montrés en exemple par la communauté gay actuelle (Gilbert et George, Marais et Cocteau, Hudson et Christian, Jacob et Sachs, Wilde et Douglas, Chapman et Sherlock, Mead et Benedict, Radiguet et Cocteau, Britten et Spears, Brémond d’Ars et Solidor, Stéphane et Rinieri, Bacon et Dyer, etc.). Quand nous commençons à nous pencher sur leur biographie, nous découvrons qu’en réalité leur relation, même très passionnelle, a été la plupart du temps synonyme de vagabondage sexuel, de pénible cohabitation, de liaison très orageuse, de lourde complexité, de trahisons successives, voire de meurtre (Pelosi et Pasolini, Halliwell et Orton, Verlaine et Rimbaud, etc.).
Quand les unions homosexuelles sont plus pacifiées et que les amants ont tout de même suffisamment de conscience pour se retenir de s’égorger l’un l’autre, la violence est contenue différemment. Leur soif de meurtre ne dépassera généralement pas le seuil du fantasme, mais la violence restera tout de même présente. Souvent, on remarque que dans de nombreux couples homosexuels (mais c’est sensiblement la même chose parmi les couples hétérosexuels) la soumission de l’un et la domination de l’autre ont atteint un degré de synchronisation dans le consentement presque militaire. Ce qui fait violence dans la majorité des unions homosexuelles que nous pouvons être amenés à rencontrer, ce sont les simulacres d’amour – l’infantilisation souriante, la complicité singée, l’exaspération contenue (les défauts de l’autre agacent plus qu’ils n’attendrissent…), l’humour cynique dénué d’émerveillement, les paroles sardoniques, les caresses automatiques, la promotion de la « bonne entente sexuelle » au sein du couple, la répétition suspecte des « réconciliations sur l’oreiller », le mutisme obéissant de l’un des deux concubins, l’excès totalitaire de l’autre, l’ambiance feutrée et rangée de l’appartement, la constante compétition, le manque de confiance et d’écoute, les rapports de force ludiques, etc. –, bref, tout ce qui fait que le conflit ne peut pas être ouvert alors qu’il est manifestement larvé. En règle générale, si le couple homosexuel ne doit pas susciter l’inquiétude, il n’invite pas vraiment à l’enthousiasme ni à la joie, c’est le moins qu’on puisse dire…
B – Les stratégies d’amour peu élaborées
Peu à peu, le libertin homosexuel se lasse de ses stratégies compliquées qui finissent par surcharger ses amours d’artifice et de calcul. La complexité en amour, ça va bien un moment, mais il aspire à la légèreté, à la simplicité, et au naturel. Il va donc chercher à mettre en place des stratégies peu élaborées, censées rééquilibrer la balance. En réalité, celles-ci traduisent la même fuite de soi que les stratégies élaborées.
a) La stratégie de la consommation sexuelle :
Commençons par la stratégie qui se sait peu élaborée ou qui se veut inexistante : celle de la consommation sexuelle pure et dure. Elle est adoptée par le libertin homosexuel qui ne prétend pas aimer quand il s’unit génitalement avec quelqu’un. Elle n’exigerait de lui qu’une seule vertu : l’indifférence. Il va un moment dans les lieux de consommation sexuelle classiques (saunas, bars, boîtes, backrooms, sex-shops, jardins publics, etc.), et en ressort soulagé, apparemment sans regrets. Le contrat de son aliénation a été écrit préalablement à sa place par le supermarché gay, et lui n’avait plus qu’à signer en bas. En réalité, cette stratégie n’est simple qu’en intentions, car le sexe dit « sans loi » établit au contraire des commandements tacites – anonymat, clandestinité, mensonge, banalisation, prohibition de l’engagement, détachement sentimental absolu, enchaînement aux pulsions, etc. – faisant partie de la rigide « algèbre du besoin » décrite par Burroughs dans Le Festin nu (1959), et ne compliquant les existences qu’après-coup.
Parfois, le libertin a quand même la petite dose de savoir-vivre pour maquiller ses bas instincts par un semblant de patience tolérant les préliminaires un peu longuets de la rencontre sexuelle avec l’ami internaute à peine connu. La promenade bâclée en ville, le chocolat dans le salon de thé, la discussion de fin de soirée…, ne sont qu’un gentil petit apéritif pour satisfaire le vernis éthique que l’union fiévreuse des corps est censée faire voler en éclats le soir même. Avant de finir par dire ou faire comprendre à sa proie qu’il veut « baiser », le libertin monte tout un beau discours fondé sur le mépris du « milieu homosexuel » (qu’il connaît pourtant très bien…), saupoudre le tout d’analyses sociologiques à deux balles (« C’est fou, le culte du corps chez les homos… »), et lui montre l’orgueil qu’ils peuvent en tirer ensemble (« Nous deux, c’est différent des ‘relations milieu’ »). Souvent, sa méthode de séduction dissimule un plan de revanche : il consomme et jette ses amants pour se venger de toutes les fois où d’autres l’ont/l’auraient utilisé.
Il arrive que le libertin homosexuel s’attache à un « pote de baise » (selon sa propre dénomination) un peu plus longtemps que prévu et pour un moment volontairement indéfini. Pour se consoler mutuellement de leur parcours sentimental complexe et vide, tous deux décident alors de se laisser une période d’essai, de « test » amoureux, mais sans grande conviction ni désir sérieux de s’engager. Leur union ne tient qu’à un fil. C’est au premier qui craquera parce qu’il n’aura pas eu le courage d’attendre que la rupture vienne de son compagnon de fortune.
La stratégie de la consommation sexuelle ne concerne pas uniquement les adeptes du défoulement physique. Même le libertin homosexuel fidèle et ascétique laisse souvent entendre qu’entre son compagnon et lui, c’est le génital qui l’emporte sur l’amour, que leur union tient majoritairement à la « bonne entente sexuelle » et au besoin réciproque de tendresse. Dans certains couples, le sexe empêche les mots de répudiation, qui pourraient être libérateurs, d’être prononcés, prolongeant ainsi un peu plus le calvaire d’être aussi mal accompagné. Comme éthiquement, beaucoup de personnes homosexuelles sont gênées de reconnaître qu’elles sont plus attachées au sexe qu’à l’Amour, elles font souvent passer leurs instincts sexuels pour des sentiments authentiques (je bande donc j’aime). C’est pourquoi elles n’ont pas l’impression d’être infidèles, y compris lorsqu’elles vont « voir ailleurs ».
Le phénomène de l’infidélité est particulièrement accru au sein de la communauté homosexuelle. Les personnes homosexuelles ont en général plus de partenaires sexuels que les personnes dites « hétéros ». D’après l’enquête ACSF, le nombre moyen de partenaires s’élevait en 1991-1992 à 11 pour les personnes « hétéros » et à 13,7 pour les personnes homos. Parmi les moins de 30 ans, les personnes homos ont souvent collectionné une cinquantaine d’amants, les personnes « hétéros » moins d’une vingtaine (Janine Mossuz-Lavau, La Vie sexuelle en France (2002), p. 372). Il apparaît effectivement que les premières se caractérisent en moyenne par une moindre propension à développer des liens durables avec un partenaire privilégié.
Mais il n’y a même pas besoin des statistiques pour le démontrer. Il suffit de constater les faits sur le terrain. En temps normal, on peut voir que beaucoup de personnes homosexuelles de notre entourage se consomment entre elles, multiplient les aventures sexuelles ponctuelles, passent insensiblement de l’amitié à l’amour avec leurs « ex ». Rien qu’en faisant un tour sur les chat de rencontres Internet, on est frappé du nombre d’hommes mariés qui recherchent des « plans cul », de garçons déjà en couple avec un autre homme (… mais qui parfois l’avouent bien tard) partis draguer ailleurs. La pratique de l’échangisme dans les « milieux » gays ou lesbiens n’est pas rare. Certains pensent que le « sexe à plusieurs » sauvera leur couple sans le remettre totalement en cause. Se créent lexicalement de nouvelles unions et des combinaisons inédites (les couples à trois sont baptisés « trouples » ; il est question de « plurisexualités »…).
La difficulté à inscrire le couple homosexuel sur la durée et la qualité s’explique par la nature même du désir homosexuel. Celui-ci tend davantage vers la désunion et la déréalisation de l’amour que vers l’union. J’abonde dans le sens de Reinaldo Arenas quand il affirme que « le monde homosexuel n’est pas monogame ; presque par nature, par instinct, il tend à la dispersion, aux amours multiples, à la promiscuité parfois. » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1990), p. 90) Comprendre que l’infidélité fait partie de l’élan naturel du désir homosexuel pourrait être salutaire si ceux qui font ce constat lucide ne s’en servaient pas ensuite pour se décharger de toute responsabilité. Malheureusement, trop parmi eux se disent que, puisque l’infidélité est comprise dans leur désir homo-érotique et qu’ils sont indiscutablement homosexuels, ils n’y peuvent rien s’ils butinent d’une fleur à l’autre… : ils seraient donc naturellement justifiés ! « Notre mémoire et notre cœur ne sont pas assez grands pour pouvoir être fidèles » écrivait Marcel Proust (Marcel Proust cité sur le site suivant, consulté en juin 2005). Or, bien sûr, l’infidélité n’est pas une caractéristique profonde des personnes homosexuelles mais une caractéristique du désir homosexuel seulement.
L’infidélité parmi les personnes homosexuelles, dans un sens, n’est pas méprisable, parce qu’elle met en lumière un désir paradoxal qui mérite d’être écouté et analysé. Elle peut être dans certains cas un appel au secours déguisé, une recherche désespérée de sens, une volonté de clarté maladroitement demandée. Il n’est pas rare que certaines personnes homosexuelles trompent leur copain pour lui prouver et se prouver à elles-mêmes les lacunes ou les lourdeurs de la structure conjugale homosexuelle. Le multi-partenariat, le vagabondage sexuel, l’habitude de la consommation sexuelle, etc., ne sont pas à diaboliser. Généralement, ceux qui condamnent les pratiques infidèles sont les mêmes qui les exécutent en douce et qui ne les reconnaissent pas. Ce n’est pas par principe que l’infidélité doit nous gêner, pas plus qu’au nom de l’image sociale, ou d’un attachement à un discours moral ou religieux. Ce qui doit attirer notre attention, ce sont uniquement les personnes et leur bonheur. Ce qui est gênant dans l’infidélité, c’est le mal-être palpable chez ceux qui trompent et qui sont trompés. La fuite du couple traduit chez certaines personnes homosexuelles une profonde insatisfaction qui s’exprime mal puisqu’elle ne demande pas à se résoudre mais au contraire à être réparée en acte par un autre mensonge, l’infidélité, et en intention, par une pensée mièvre. Nous ne verrons le véritable visage du libertin homosexuel qu’à partir du moment où nous comprendrons que dans son esprit, l’infidélité se veut acte d’amour.
b) Le fascinant paradoxe du libertin homosexuel :
Nous touchons là au paradoxe du libertin homosexuel. Entre libertinage et ascèse, Valmont condamne le plaisir sexuel à l’obsession ou à la frustration. Sa course au sexe et à la reconnaissance par l’image dévoile son insatisfaction et son perfectionnisme caché. Son refus catégorique de l’hyper-sexualité dit aussi sa focalisation sur le génital. Il incarne tour à tour la célébration excessive de la sexualité et sa négation dans l’intellectualisme ou le volontarisme. Ne perdons pas de vue que derrière le Vicomte de Valmont se cache la Marquise de Merteuil, « la lesbienne » amoureuse de Cécile de Volanges, dissimulant son mépris du corps et sa frustration d’amour par une maîtrise quasi-parfaite d’elle-même, celle qui privilégie le devoir conjugal sur l’amour, l’esprit sur le plaisir génital, même si elle réitère sans cesse dans son discours l’idée de jouissance. C’est pourquoi on rencontre bien plus d’individus frustrés sexuellement parlant chez les personnes homosexuelles et hétérosexuelles, pourtant forts consommateurs de sexe, que chez les femmes et les hommes qui s’aiment d’un amour vrai sans se priver (ni abuser) des bonnes choses génitales.
Les personnes homosexuelles ne sont pas des obsédés sexuels : au contraire, leur désir érotique est très ascétique, et leur quête sexuelle ne relève pas seulement, comme le croient beaucoup de gens, d’un défoulement instinctif incontrôlé. Le sexe pour le sexe, cela n’a jamais intéressé personne, même et surtout ceux qui le laissent croire par leur mode de vie et leurs paroles. Derrière le consommateur assidu des backrooms et des saunas, la star du porno, ou l’internaute avide de « plans sexe » farfelus, se cache en général un homme frigide et romantique qui cherche inlassablement l’amour vrai, et qui doit porter un désir lui imposant davantage l’obstination, l’inventivité et le volontarisme que le lâcher-prise. À mon avis, les mots « libertinage » et « ascèse » mériteraient d’être marqués comme synonymes dans la prochaine édition du Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon. Un jour, un homme homosexuel m’a fait à juste titre cette remarque (sans s’excepter lui-même dans le tableau) : « J’en ai vu évoluer des gays, de manière fulgurante, des grands principes à un certain libertinage… Ceux qui avaient les plus grands ‘principes’ romantiques étant en général d’ailleurs ceux dont la ‘séance de rattrapage’ est souvent la plus impressionnante !!! » Je reste convaincu que la majorité des personnes homosexuelles n’ont pas renoncé au purisme en cultivant dans l’expérimentalisme sexuel leurs vieux rêves fleur bleue de virginité. Elles pourraient dire, comme Olivier Py : « J’étais au bordel comme au cloître. » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 41)
C – Les stratégies sincèrement et intellectuellement bien élaborées, pratiquement et inconsciemment mal élaborées
Nous en venons à parler de la troisième catégorie des stratégies du libertin homosexuel, celles qui ont trait au paradoxe de la sincérité. En dissociant la fidélité sentimentale et la fidélité génitale/corporelle, et en plaçant la première bien au-dessus de la seconde, le libertin homosexuel pense très sincèrement aimer et être chaste, même quand il va voir ailleurs et qu’il n’aime pas vraiment. À force de self control, il ne se voit plus agir et ne maîtrise plus la course à l’amour qu’il avait méthodiquement organisée.
Ne voyant ses actions qu’à travers le prisme de ses bonnes intentions, il lui est difficile de mesurer que ce n’est pas les valeurs en elles-mêmes qu’il désire mettre sincèrement en pratique dans ses amours qu’il doit remettre en cause (« s’accepter soi-même », « défendre la diversité », « accueillir la différence », « aimer l’autre de tout son cœur et tel qu’il est », etc.), mais le détournement qu’il en fait. Par exemple, la générosité n’a jamais impliqué de se laisser vider son compte en banque par son amant ; l’amour de la beauté n’a jamais imposé la soumission au sexe ; l’acceptation de soi n’a jamais demandé la caricature du coming out ; etc. Le libertin homosexuel a du mal à saisir que l’amour n’est pas que l’intention d’aimer, et que, comme le dit le fameux adage, « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».
a) Les caprices du désir homosexuel :
La discordance entre sincérité et acte, imposée par le désir homosexuel, fait que, bien souvent, les personnes homosexuelles deviennent compliquées en amour, alors qu’en temps normal, elles sont pourtant souvent connues pour être mesurées, drôles, de bon conseil, et maîtresses d’elles-mêmes.
À chaque fois que nous tombons homosexuellement (ou hétérosexuellement) amoureux, nous sommes d’humeur plus triste et plus euphorique qu’à l’habitude. Être homosexuellement amoureux, je crois vraiment que cela ne va à personne. Globalement, le désir homosexuel ne nous simplifie ni ne nous apaise. Il existe souvent un réel décalage entre la profonde sympathie que l’on peut ressentir pour les sujets homosexuels de notre entourage et l’impression détestable qu’ils nous laissent quand on les voit en couple homosexuel avec quelqu’un. C’est comme si, une fois qu’ils obéissaient à leur désir homosexuel, ils n’étaient plus vraiment eux-mêmes, devenaient possessifs, obsessionnels, pathétiques, théâtraux, superstitieux, excessifs, autoritaires, calculateurs, maniaco-dépressifs, impatients, mélancoliques, fragiles, frénétiques, superficiels. Plus le libertin homosexuel est intelligent et sincère, plus il vit mal sa métamorphose en folle perdue ou en homme psychorigide, car il s’attribue à lui-même le dédoublement paradoxal de sa personnalité quand il devrait l’assigner majoritairement à son désir de surface. Il mesure combien il peut devenir psychopathe en « amour », et cherche à prouver à ses amants qu’« en vrai, il est plus cool et plus drôle » que lorsqu’il s’identifie à « l’homosexuel » et qu’il cherche à aimer homosexuellement. Mais ce n’est que peine perdue : chercher à expliquer à l’excès la vanité de la complexité homosexuelle (en écrivant « le mail de trop », en se confondant en excuses ou en explications intellectualisantes sur l’homosexualité), pour en acte la démentir, c’est finalement la justifier et se couvrir encore plus de ridicule dans la contradiction.
b) Le désir amoureux sincèrement théâtral :
Le principal problème du désir homosexuel est qu’il rend les personnes qu’il habite « sincèrement théâtrales ». Les deux termes qui composent cette drôle d’expression valent, je crois, leur pesant d’or, et je n’en ai pas trouvé jusqu’à présent de meilleurs pour décrire le paradoxe du libertin homosexuel. Il est capital de comprendre que le désir homosexuel est avant tout un amour sincérisé, et que beaucoup de personnes homosexuelles désirent réellement être aimées et aimer, même par le biais de l’artifice, du mensonge, de la mort et de la souffrance. Si la sincérité et la bonne intention n’existaient pas dans le couple homosexuel, celui-ci n’aurait plus sa raison d’être ni sa beauté. Or il mérite parfois que nous tenions compte de sa nature d’amour excessivement intentionnalisé. Quand je dis que les personnes homosexuelles sont sincèrement théâtrales ou théâtralement sincères, c’est dans la mesure où à la fois leur sincérité n’est pas à prendre au sérieux puisqu’elle est théâtrale, mais où il faut aussi en tenir compte car elle n’est pas que théâtrale : elle peut amener les individus à agir concrètement, et pas toujours constructivement quand leurs intentions aveuglent leur conscience de mal faire.
Comme d’une part personne n’incarne complètement le personnage mythique du libertin homosexuel, et que d’autre part le désir homosexuel traduit aussi une volonté de bien faire (même si les moyens concrets qu’il met en place ne s’accordent pas toujours avec les buts exposés), je pense que nous devons prendre les personnes homosexuelles un peu au sérieux et reconnaître une part de l’authenticité de leur amour. Il ne s’agit pas de croire en elles comme elles « s’y croient », mais simplement d’y croire comme il faut. Quand Michel Foucault souligne l’existence de la « profonde comédie de l’homosexualité » (la biographie Michel Foucault (1989) de Didier Éribon, citée dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 128), il a raison de ne pas lésiner sur l’importance de l’adjectif « profonde ». Il n’est pas rare d’être témoin de l’acharnement de certains individus homosexuels à aimer leur copain jusqu’au bout (même si par ailleurs ils lui en font voir de toutes les couleurs pour qu’il les quitte…). Leur choix de la solution par défaut, autrement dit de la vie de couple homosexuel (ou hétérosexuel), est loin d’être uniquement une décision prise à la légère, un signe de lâcheté de leur part, un refus clairement volontaire de l’éthique. Il est partiellement éthique en sincérité, mais non en acte. Comment ne pas en tenir compte et ne pas être touché par cette persévérance à construire un amour artificiel ? Entre courage et justification de la couardise, entre lucidité et refus de voir, beaucoup de personnes homosexuelles illustrent toute l’ambiguïté du désir homosexuel qui incite à renoncer à la perfection au nom de la perfection. C’est la raison pour laquelle nous devons malgré tout nous laisser toucher par cette théâtralité de quatre sous homosexuelle, passer par-dessus sa sophistication orgueilleuse. La mise en scène de souffrances ou de sincérité amoureuse n’est pas qu’un spectacle idiot et prétentieux. Dans les cas où la tristesse et l’amour passionné sont excessivement scénarisés, une souffrance réelle se nie et se dit. Derrière la théâtralité homosexuelle, il y a parfois l’expression d’un vécu relationnel complexe, le récit d’amours tourmentées ou d’un torturant fantasme de viol. Beaucoup de personnes homosexuelles trouvent la succession des échecs amoureux dans leur vie affective absolument désolante parce qu’elles sont dans le fond très sensibles et romantiques, et qu’elles aspirent à trouver le « Grand Amour » avec beaucoup de sincérité. Même si leur détresse est quelquefois risible étant donné qu’elle reprend mot pour mot le script de la femme-objet télévisuelle, elle n’en est pas moins un peu réelle. Les sujets homosexuels les plus « théâtralement sincères » sont ceux que nous devrions préférer parce qu’ils se rendent objectivement détestables pour que nous ne découvrions pas leur plaie béante d’exister. Leur comédie n’enlève rien à leur sincérité et à leur dignité humaine. Voilà le drame – ou plutôt le miracle ! – de l’homosexualité.
Cependant, même si la sincérité explique beaucoup de choses, elle n’excuse pas tout. Nous pouvons vouloir le bien des autres sans le faire. Et c’est très souvent parce que le libertin homosexuel ne contrôle plus sa théâtralité, ou qu’il accorde tout pouvoir à ses bonnes intentions et à sa tristesse, qu’il opère parfois des actes violents contraires à sa conscience.
Sa technique d’approche amoureuse est sensiblement toujours la même : sur le terrain des sentiments, il fait passer l’artifice pour du naturel, le programmé pour du spontané. Ainsi, pour gagner le cœur de sa proie, il prêche discrètement le faux pour savoir le vrai, ou bien joue la chanson de la fausse humilité et de la simplicité de l’amour. Il tient exactement l’honnête discours du sénateur du film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, qui loue les services des prostitués tout en prétextant la gratuité : « Je ne veux pas de sexe avec toi. Je veux juste discuter. » Il fait tout pour dissimuler ses manigances. Et pourtant, il aura tout orchestré, fera passer sa stratégie séductrice pour un destin incontrôlable et un miracle d’amour. L’apparente simplicité des sentiments qu’il propose, les privilèges flatteurs qu’il se donne l’impression de distribuer, ses fausses confidences déversées sous forme d’écriture automatique dans les mails ou les messageries de portable, sa patience et son impatience artificielles, ses simulations de troubles exprimés en silences dramaturgiques, ne sont que poudre aux yeux et impliqueront parfois une dette d’amour ou une redoutable demande de sacrifice. Le libertin homosexuel cherche à produire ce qu’il croit être du « naturel » mais qui n’en est pas exactement, pour ensuite se persuader lui-même qu’il aime d’un amour fou et authentique. Il aura programmé ce qui ne se programme qu’en partie : l’amour. Il « sincérisera » le théâtral pour dire ensuite que son théâtre amoureux fantasmé est réalité. Pour lui, la Vérité se fait, et son créateur, ce n’est autre que lui, même si ensuite, il s’effacera hypocritement devant son ouvrage raté par honte de sa prétention à se prendre pour Dieu. Il pense pourtant échapper aux malversations opérées sur l’amour en les intellectualisant à outrance et en mettant en garde les autres contre celles-ci. Le drame du libertin homosexuel, c’est qu’il finit par croire en son rôle d’amoureux éperdu, et que la contrefaçon qu’il opère sur les sentiments humains lui apparaît très souvent comme authentique. Il fait passer la sincérité avant l’honnêteté, si bien qu’il mord à l’hameçon de sa comédie de crooner bourgeois-bohème, de Don Juan torturé par l’amour.
Si la proie du libertin homosexuel a le malheur de lui révéler que sa stratégie d’amour n’est pas aussi naturelle et probe qu’il l’aurait souhaitée, si elle refuse de rentrer dans son jeu faussement gratuit, la réaction de ce dernier peut se révéler d’une violence extrême, surtout quand il est déjà « casé » avec un compagnon avec qui il prétend vivre l’amour fou, même si ce n’est pas le cas étant donné qu’il cherche à flirter ailleurs. À ses yeux, il ne drague pas quand il drague : il aime, tout simplement ! Quand il passe d’un corps à l’autre, c’est, selon lui, uniquement par besoin (limite « sacrifice charitable » !), et non par gaieté de cœur. « Je dois te préciser, chère amie, que ce genre de recherche hasardeuse et de fougue ne me plaisait guère. La ‘drague’ n’était pas une drogue pour moi, mais une nécessité. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 81)
C’est bien parce que l’usage amoureux de la sincérité peut maquiller les plus bas instincts humains qu’André Gide s’exclame : « Que cette question de la sincérité est irritante ! Sincérité ! » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), p. 84) Beaucoup de personnes homosexuelles basculent sans s’en rendre compte dans la bassesse du libertin homosexuel qui justifie son choix de la solution par défaut par le simple fait de se montrer à lui-même qu’il a été capable de reconnaître avec humilité et lucidité qu’il ne choisissait pas la meilleure solution possible. « Je ne fais pas l’erreur comme les autres parce que je l’ai comprise, donc mon intellect et ma sincérité me donnent le droit de la faire » pense-t-il. Cela fait un bon bout de temps qu’il s’est torturé à peser le pour et le contre concernant son couple homosexuel. Il croit connaître mieux que sa société et que ses semblables d’orientation sexuelle les limites des relations homosexuelles. Il n’est pas sans ignorer qu’il ne s’y prend pas au mieux pour aimer dès qu’il emprunte le chemin de son désir homosexuel. Il connaît la honte suprême de se servir sciemment de ses médiocrités et de la justification excessive de celles-ci par l’intellect ou la sincérité pour ensuite conquérir ses amants. Mais non ! Il se pardonne à lui-même ! Il se persuade qu’on ne lui en voudra pas d’avoir essayé d’aimer ! Le résultat compte… mais il serait secondaire par rapport à l’intention, croit-il.
Pour se punir de tomber homosexuellement amoureux, le libertin homosexuel est même capable de projeter sur la personne qu’il convoite ses propres attentes malhonnêtes, mais de manière agressive : inconsciemment, il se rue sur les premiers défauts observés à la hâte chez elle afin de l’écarter de sa vie et de s’illustrer héroïquement par sa capacité d’analyse et son volontarisme ascétique. Une manière comme une autre de se prouver à lui-même qu’il a la force d’âme pour rejeter les sollicitations, qu’il n’est pas aimable (amoureusement et homosexuellement parlant), et que sa proie n’a pas à tenter quoi que ce soit avec lui. Dès le départ, il souhaite freiner ses pulsions homosexuelles, s’empêche d’être impatient pour connaître son amant, condamne la fougue des premiers instants de la rencontre, nie à tout prix le glissement de l’amitié à l’amour, considère l’envie pressante de le séduire – même s’il ne l’a vu qu’une soirée – comme une psychopathie. Il mesure ses élans. Il ne sera pas, à ses yeux, celui qui se risquera à dire « je t’aime » à tout va ! Tomber amoureux dans la seconde, cela lui paraît trop excessif, adolescent, irréaliste, … homosexuel !
Prodigieux mélange d’intentions : il essaiera en même temps de repousser la personne aimée, et par l’argumentation justifiée de sa démarche de rejet, de l’attirer à lui. Il est même capable d’écrire un livre décrivant le désir homosexuel et ses travers pour se donner le droit de ne pas appliquer ce qu’il a vu à juste titre, pour acheter son amant homosexuel, et troquer la part de Vérité qu’il a entrevue contre le mensonge. Il a le pouvoir de disserter de manière juste sur l’homosexualité, mais de se servir de sa réflexion et de ses bonnes intentions pour faire et justifier les erreurs qu’il décrit, en pensant ne pas les commettre « comme les autres ». Il place en quelque sorte la sincérité ou l’intellect avant les actes et l’amour des Hommes. C’est d’ailleurs ce déchirement intérieur qui le rend malheureux toutes les fois où il décide de croire en l’amour homosexuel, et minable aux yeux des prétendants qu’il essaie de convaincre qu’il ne fait pas ce qu’il fait sous prétexte qu’il ne veut pas le faire. Il n’ignore pas que le désir homosexuel n’est pas son désir profond et qu’il ne l’unifie pas. Il s’en rend compte rien qu’à ses propres réactions : dès qu’il cherche à tomber homosexuellement en amour, il se transforme en comédien déprimé et pathétique, alors qu’en temps normal, il est connu au regard des autres pour être quelqu’un de lucide. Mais il ne fait pas ce qu’il dit de juste… parce que sa seule erreur est d’avoir cru en la toute-puissance de sa propre volonté. Il est sincère sans être vrai ; il n’est qu’amoureux en s’imaginant aimer profondément ; il est bien intentionné sans faire de ses bonnes intentions des actes justes.
L’Homme habité par un désir homosexuel sait qu’en disséquant finement l’homosexualité et ses limites, il s’expose à s’éloigner radicalement ou à se rapprocher au plus près de l’impossible incarnation humaine de « l’homosexuel », à se mentir totalement à lui-même (si, en actes, il choisit de s’écarter de ce qu’il a découvert, sous prétexte qu’il a vu juste), ou au contraire à être en accord avec ce qu’il est profondément (s’il suit jusqu’au bout ses idéaux, et fait ce qu’il dit). La réflexion lucide sur le désir homosexuel n’est donc pas sans conséquences dramatiques ou extraordinaires. Elle pose l’ultimatum du « que ton oui soit Oui » biblique. Elle oblige à un choix entier incertain, à l’acceptation que la frontière entre suprême lâcheté et folie du courage de s’accrocher à l’insondable Réalité soit temporairement indécidable. On appellera ce fossé comme on voudra : « orgueil suprême et détestable » ou « merveilleuse expérience de sa liberté ». Mon cœur opte pour la seconde définition.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
a) Le roman de Choderlos de Laclos inspire le personnage homosexuel :
Vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer
Il est fait régulièrement mention des Liaisons dangereuses dans les fictions traitant d’homosexualité : cf. le roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos, le roman Les Enfants terribles (1929) de Jean Cocteau, la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer, le tableau Confrontation harmonique (1996) de Christopher Cheung, le film « L’Escalier » (1969) de Stanley Donen, la pièce Jouer avec le feu (1892) d’August Strindberg, le film « Le Petit César » (1930) de Mervyn LeRoy, le film « Invitations dangereuses » (1972) d’Herbert Ross, la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (avec les deux personnages des Liaisons dangereuses), le film « They Only Kill Their Masters » (1972) de James Goldstone, le film « Oh ! My Three Guys » (1994) de Derek Chiu, la pièce Qui aime bien trahit bien! (2008) de Vincent Delboy, la chanson « Un Bonheur dangereux » d’Étienne Daho, la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio (avec le quatuor machiavélique Vera/Pierre-André/Nina/Lola), etc.
Il arrive que le personnage homosexuel se compare directement à la Marquise de Merteuil ou au Vicomte de Valmont : « Dans sa fouille sur les rayonnages, Gabrielle a retrouvé un roman de Jean Giono, Angelo, qu’elle avait lu dans sa jeunesse. […] Étrange comme la vie vous joue des tours… En vieillissant, c’est fou, elle s’est mise à ressembler au personnage de la marquise de Théus ! » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 58) ; « Tu étais dans la lune, Vicomte ? » (Antonin lisant les Liaisons dangereuses à son amant Hubert, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Elle me paraissait bien jeune pour jouer les Valmont. » (Suzanne en parlant de son amante Héloïse, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 309) ; « Paul et François ne se turent pas une minute. Chacun abandonnait une partie de sa personnalité, s’efforçait de ressembler à l’autre. C’était à qui cacherait son cœur. Ils prenaient le masque des personnages des mauvais romans du XVIIIe siècle dont les Liaisons dangereuses sont le chef-d’œuvre. » (Raymond Radiguet, Le Bal du Comte d’Orgel (1924), p. 68) ; « Je sais que certaines rencontres peuvent mal tourner, comme je sais aussi que la frontière est très fine entre le jeu de la séduction et pourquoi pas quelque chose de dangereux. » (Mélodie, l’héroïne bisexuelle justifiant le viol en plaidoirie à la cour, dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; etc. Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Pédé est surnommé « Vicomte » par Martin. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Thomas, le copain furtif de Adèle, l’héroïne lesbienne, avoue que le seul roman qu’il a lu et aimé de sa vie, ce sont Les Liaisons dangereuses de Laclos. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel, l’écrivain homosexuel cite à loisir Choderlos de Laclos.
On retrouve le duo androgynique caressant et manipulateur des libertins dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, avec les figures de Mérovinge, le chef d’entreprise pernicieux, et sa (compagne ? complice ?) Nathalie Stevenson, « la balafrée de luxe » (p. 244), blonde, grande et mince, portant un smoking noir Saint-Laurent (comme les garçonnes lesbiennes) : « Nathalie pense comme moi. Tu sais qu’elle ne se trompe jamais, il lui suffit de voir une personne quelques minutes… Même si elle juge un peu à la cravache. » (Mérovinge, p. 214) ; « Leur obscure et défunte relation le hantait toujours. Il désirait lui plaire encore, non pour la conquérir, mais par désir enfantin de ne pas décevoir cette ancienne et violente maîtresse. » (p. 215) ; « Antoine s’attarda sur la fraîche balafre qui barrait la joue de Nathalie Stevenson. » (p. 240)
Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, dépeignant une ambiance digne d’un salon de Précieuses, le personnage de la belle Amande est mis à l’honneur et représente tout à fait la Marquise de Merteuil, parce qu’elle aussi persifle sans arrêt avec sa meilleure amie Karen (qu’elle ne tardera pas à trahir, d’ailleurs), joue l’entremetteuse malsaine entre Irène (sa naïve camarade de classe) et Trudel (leur professeur à la fac), commence à perdre son œil comme dans le célèbre roman de Laclos : « [Amande était] D’exécrable humeur parce que, disait-elle, elle n’avait pas eu ses dix heures de sommeil, elle était convaincue que sa première ride, aperçue quinze jours plus tôt dans la glace de son poudrier, était en train de s’installer pour de bon, sous son œil gauche. » (p. 30) Quand vient son tour de relater son histoire, elle avoue elle-même qu’elle calque ses manœuvres relationnelles sur le roman de Laclos (« Il fallait rester dans le ton Liaisons dangereuses. », idem, p. 100), au point que Jason, le héros homosexuel, s’exclame à son propos : « Tu es digne de la Merteuil ! » (idem, p. 103) Dans L’Hystéricon, on retrouve le meurtre de Valmont par Merteuil dans la relation entre Yvon, l’archétype du séducteur hétérosexuel, et la dangereuse Groucha, qui finit par le châtrer : « Mais je garde le meilleur pour la fin, mon petit Yvon. Le produit de la dernière salve du pendu marque aussi la fin de ta propre carrière de don Juan. Grâce à ce cocktail à base de mandragore pilée, tu ne pourras plus nuire à la gent féminine. Je t’ai coupé le sifflet. C’est fini, les prouesses libertines. Tu resteras impuissant jusqu’à la fin de ta vie. Ça t’apprendra à préférer les fillettes remplies de vin aux vraies femmes de chair et de sang. » (Groucha à Yvon, idem, p. 267) Tout le roman est construit comme Les Liaisons dangereuses, avec la mort sociale de Merteuil – ici, d’Amande – à la fin de l’intrigue (p. 422).
Il semble que l’homosexuel fictionnel est le fils de Valmont et de Merteuil, les parents-objets séducteurs : « Sa mère était très jolie et son père était ‘très bien’. » (Tanguy, le héros homosexuel du roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 19) ; « Je sentais dans la nuit le regard enveloppant de mon maître, doux comme sa main tendue, et aussi l’autre regard incisif, menaçant et effrayé, celui de sa femme. Qu’avais-je à faire dans leur secret ? Pourquoi tous deux me plaçaient-ils, les yeux bandés, au milieu de leur passion ? Pourquoi me mêlaient-ils à leur conflit insaisissable, et pourquoi chacun d’eux déposait-il dans mon cerveau son ardent faisceau de colère et de haine ? » (Stefan Zweig, La Confusion des sentiments (1928), p. 84) ; « Noces absurdes et truquées par des femelles-mâles et des mâles-femelles ! » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 130) ; « Dans le royaume des hommes je suis LA souillure, sur l’échiquier des dames, le pion en attente caché derrière une reine hautaine qui choisira seule le bon moment pour se déplacer. Là, aveugle et naïve j’irais buter contre un des cavaliers noirs… Pour l’instant, j’arrive à me dédoubler : je suis pion et joueuse à la fois. » (idem, p. 61) ; « Tout mon lundi je le passe avec Fabrice pour pas rester avec Irène et Franck. Ces deux-là s’entendent trop bien dans le malheur qui les rassemble. Méchants l’un pour l’autre, ils sont devenus, chaque jour un peu plus, inséparables. » (la voix narrative dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, pp. 72-73) ; « Je n’avais pas l’intention de me faire passer pour un homme, mais tu connais Tielo, il adore plaisanter. Il trouvait hilarant que je puisse piéger une fille hétéro, sans parler du fait, bien sûr, que lui aussi cherchait à lever des filles hétéros. Alors au bout d’un moment, on s’est mis à aller dans des clubs hétéros et je faisais semblant d’être son frère Peter. » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 82) ; etc.
Dans la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, par exemple, Damien est le fils écartelé de Valmont et Merteuil (en l’occurrence Amélie et Samuel) : « Tranché entre vous deux, mon cœur s’est retranché. » dira-t-il. Dans le téléfilm « La Confusion des genres » (2000) d’Ilan Duran Cohen, Alain symbolise tout à fait l’homosexuel puisqu’au moment où Marc tente de violer Babette, il s’interpose et se retrouve pris en sandwich entre les deux hétéros, en devenant pour le coup le témoin privilégié du viol entre la femme-objet et l’homme-objet. Dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, John, la femme lesbienne, se retrouve également coincée entre l’homme-objet (Elvis Presley) et la femme-objet (Marilyn Monroe).
Il ne faut pas oublier qu’avant de se déclarer une guerre sans merci (entre eux et contre le sexe que représente l’autre), Valmont et Merteuil étaient anciens amants. « Au fil des années, entre Marc et elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne], la passion s’était lentement transformée en une charmante amitié amoureuse. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 54) Ils ne font que reporter leur propre haine d’eux-mêmes sur la sexualité en général.
Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Mathilde et son meilleur ami homo Guillaume ont une relation épistolaire mi-amicale mi-amoureuse extrêmement toxique : à la fois ils sont incapables de vivre en couple, à la fois ils rejettent toutes les opportunités humaines (hétérosexuelles ou homosexuelles ou bisexuelles) extérieures à leur binôme. Ils sont toujours sur le registre de la conquête : « Toutes ces relations se sont passées sous mon règne. Toutes ces relations ont été commentées par moi. » (Mathilde en parlant des relations amoureuse de Guillaume) ; « Je me voyais régner sur ta vie. […] J’ai essayé de te trouver un nouveau mari. » ; etc. Mathilde décrit la famille comme « l’enfer du quotidien ordinaire » : « Tout vaut mieux que cet inexorable modèle. »
Les intrigues choisies par certains écrivains et réalisateurs homosexuels ressemblent étrangement aux Liaisons dangereuses. On retrouve en effet beaucoup de triangles ou de quatuors amoureux dans les fictions homosexuelles : cf. le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Sans moi » (2007) d’Olivier Panchot, le film « La Tourneuse de pages » (2006) de Denis Dercourt, le film « Toy Boy » (2009) de David MacKenzie, le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet (avec le repas d’Antoine passé en compagnie des trois « rois de la casse gratuite » : Ondine, Ivan, Eva), le film « Grande École » (2003) de Robert Salis, le vidéo-clip de la chanson « Power Of Goodbye » de Madonna (avec la partie d’échecs), la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, les pièces Jules César (1599) et Othello (1604) de William Shakespeare, l’opéra Eugène Onéguine (1879) de Piotr Ilitch Tchaïkovski, le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan (avec Élisabeth la veuve calculatrice et son séduisant bras-droit homo Brahim), etc. « Et si on construisait une maison à deux niveaux avec Aysla et Dom ? » (Marie s’adressant à son mari Bernd, concernant le couple hétéro Dom/Aysla, alors que Marie a une liaison lesbienne secrète avec Aysla, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann)
Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment oublier ? », 2010) de Malu de Martino, un trio amoureux étrange s’instaure entre Julia (prof d’anglais à la faculté), son élève Carmen (qui la drague ouvertement et qui s’introduit carrément dans sa vie privée), et Helena la future amante de Julia (qui couchera avec Carmen un soir). Finalement, aucune des trois relations amoureuses ne se concrétisera durablement. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, le trio libertin Véra/Léopold/Ana entraîne Franz jusqu’au suicide. Dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon, un chassé croisé amoureux s’établit également entre les quatre protagonistes : Harriet, l’héroïne lesbienne, a été la maîtresse d’Auguste (tous les deux se demandent « pourquoi ils ont été si destructeurs ») et ne veut surtout pas d’enfant ; Auguste manipule le jeune Théo et se fait prendre à son propre jeu ; quant à Fanny, elle est présentée par Harriet comme sa « fille spirituelle » (Fanny finit par l’embrasser sur la bouche). Harriet décrit la complexité de ces expériences sentimentales et sensuelles comme une construction artistique « intéressante », une performance théâtrale : « Ces quatuors, on va les jouer avec une intensité, une émotion… »
Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola fait croire à son amante Nina qu’elle « n’est pas faite pour le couple » pour mieux l’utiliser comme encas extraconjugal. « Tu ne sais jamais rien. » (Lola) Nina se plie un certain temps à l’amour asexué et libertin que lui propose Lola, déjà en couple avec la machiavélique Vera : « Dans le fond, t’as raison. Ça ne m’a jamais réussi de mélanger amour et sexualité. » lui avoue Nina. Mais l’exploitation ne durera pas si longtemps : « Rien n’est simple avec vous. » (Nina s’adressant à Lola et Vera) ; « Je crois que vous êtes malades toutes les deux. » conclut Nina au couple lesbien Vera/Lola qui a essayé de la manipuler. Elle finit par partir : « Allez-y ! Vous n’arriverez pas à me détruire. »
Le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion reprend exactement la structure de l’intrigue des Liaisons dangereuses. Serena, la femme lesbienne, fut l’ancienne amante du perfide Osmond (pendant 7 ans), et ensemble, ils se définissent comme « les mauvais » (« Tu m’as rendu aussi mauvaise que toi. » dit Serena à Osmond) qui conduisent secrètement les couples de leur entourage au malheur et à la rupture. Par exemple, Serena jette la belle et intelligente Isabelle (secrètement amoureuse d’elle) dans les bras d’Osmond, et empêche la faisabilité du jeune couple Rosier/Pansy, pourtant éperdument amoureux. Osmond enferme sa fille Pansy au couvent, et maltraite Isabelle. Toute l’orchestration machiavélique de ces deux courtisans homosexuels (Serena est fascinée par Isabelle ; Osmond a tout du collectionneur homo impuissant et misogyne) fait qu’ils s’entendent dire au début du film : « Vous êtes capables de tout, Osmond et vous. Vous êtes dangereux. »
b) Le couple homosexuel est explosif, compliqué, et s’organise sous forme de rapport de forces destructeur : le personnage homosexuel applique les stratégies de l’accès à l’amour par le mal
La transposition de la structure conjugale homosexuelle sur les Liaisons dangereuses traduit bien l’animosité qui existe dans beaucoup de couples homosexuels des fictions. En général, l’amour homosexuel n’est pas représenté comme un amour évident, serein, plein, apaisant. C’est même le début des ennuis : « J’avais déjà compris que ce couple-là aussi, c’était un drôle d’assortiment. » (François, un des personnages homosexuels du roman, Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 122) ; « Se prendre la tête : les lesbiennes adorent ça ! » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Mes sentiments m’effrayent ! Je suis obnubilé par ce garçon. Je ne le connais pas, je ne sais rien de lui mais je crois que je l’aime. Comment est-ce possible ? » (Bryan parlant de son « flash » amoureux pour Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 32) ; « Un garçon qui aime un garçon, ce n’est jamais simple. » (idem, p. 33) ; « J’ai toujours envie de te voir et d’être à tes côtés mais dès que tu t’approches de moi, je n’ai qu’une envie : celle de fuir, de t’ignorer, de passer près de toi sans te voir. Comment peut-on être aussi compliqué ? Pourquoi mon esprit me commande-t-il le contraire de ce que mon corps réclame ? Pourquoi ai-je peur de toi ? » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, idem, p. 210) ; « Petra marqua une pause, entrant indiscutablement dans le rythme familier de leurs querelles. » (Jane, l’héroïne lesbienne en couple avec Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 68) ; « Hier soir, nous nous sommes disputés une fois de plus avec Jimmy. » (Arthur parlant de son amant Jimmy dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « La porte s’ouvrit soudain et Jane sursauta, même si elle savait que c’était Petra. » (idem, p. 79) ; « C’est compliqué. » (Marco par rapport à sa rupture amoureuse avec Franck, dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault) ; « Mais si t’arrêtais de te mettre dans des histoires impossibles, on n’en serait pas là. » (Naïma, la « fille à pédé(s) » s’adressant à son ami homo Valentin, dans le film « Saint Valentin » (2012) de Philippe Landoulsi) ; « Tu sais très bien que la vie que tu m’offres n’est faite que de pleurs, de déchirures et de tracas. » (Fanchette s’adressant à son amante Agathe, dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago) ; « Tu sais bien qu’il ne faut pas qu’on se voie. Ce serait peut-être pire. » (Gabriele s’adressant à son ami homosexuel Marco, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « Des fois, avant l’entraînement, elles faisaient des bras de fer. ‘Je t’aime/Je t’aime/Je t’aime/Je t’aime’. » (Océane Rose Marie, La Lesbienne invisible, 2009) ; « Carole, tu me fais peur. » (Thérèse, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Carol, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Pourquoi en veux-tu toujours plus ? » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West l’invasive, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « Tu as l’air d’une conquérante. » (idem) ; etc.
D’ailleurs, on voit que certains couples homosexuels, avant de se former, se soumettent un test, apparemment ludique, mais qui prend des airs de défi : cf. le film « Plutôt d’accord » (2004) de Christophe et Stéphane Botti, le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, le film « L’Homme que j’aime » (2001) de Stéphane Giusti, etc. Qui est le chat de la souris ? Mystère…
Tout ce qu’on sait, c’est que l’amant se montre abusif, bizarre, dangereux, « too much » comme on dit : « If excessif, accro, compulsif ; if, adhésif, over réactif ; if exclusif et trop émotif ; if impulsif qui est le fautif ? […] If négatif, maladif, inexpressif et plus vraiment vif, cherche le motif. If évasif, approximatif ; if c’est plus l’kif de jouer le calife ; if trop nocif et trop addictif ; if fugitif, maniaco dépressif. » (cf. la chanson « If » d’Étienne Daho et Charlotte Gainsbourg) ; « Dès lors, Stephen pénétra dans un monde complètement nouveau, qui tournait sur l’axe de Collins. C’était un monde plein de continuelles et émouvantes aventures : des ivresses, des joies, d’incroyables tristesses, mais aussi un bel endroit pour s’y précipiter, comme un papillon qui courtise une chandelle. Les jours allaient de haut en bas ; ils ressemblaient à une balançoire qui s’élève au-dessus du faîte des arbres, puis retombe dans les profondeurs, mais rarement, sinon jamais, tient le milieu. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 27) ; « Mais quand on tombe amoureux on devient tous un peu fous. » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, p. 134) ; « L’Amour, ça me fait tourner la tête. » (le Méchant du film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen) ; « Quand un flirt innocent se transforme en dangereuse liaison… » (cf. le résumé du film « My Name Is Love » (2008) de David Färdmar dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 65) ; « Il y a quelque chose en toi qui cloche. Tu demandes une dévotion totale. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West l’invasive, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.
Très souvent, l’amour est envisagé comme un bras de fer par les amants homosexuels : « Je crois qu’il était meilleur que moi. » (Elio parlant de son amant Oliver, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; « Je veux vous dire que, lorsque je déclare que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes, je signale simplement que, dans une relation amoureuse, souvent, il en est un qui donne et l’autre qui prend, un qui s’offre et l’autre qui choisit, un qui s’expose et l’autre qui se protège, un qui souffrira et l’autre qui s’en sortira. C’est un jeu cruel parce qu’il est pipé. C’est un jeu dangereux parce que quelqu’un perd obligatoirement. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 164-165) ; « Je vous aime tant que je me prends à haïr… » (Mary s’adressant à son amante Stephen, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 495) ; « Kanojo doit vraiment être très intime avec Juna. Pourtant, quand elles sont en groupe, on a l’impression qu’elles ne se supportent pas. » (Suki dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « C’est nous les œufs brouillés. » (Océane Rose-Marie parlant à sa compagne avec qui il y a de l’eau dans le gaz, dans son one-woman-show Chaton violents, 2015) ; « Je confesse que je vous déteste ! Je confesse que je déteste Tom ! » (Bryan, le héros homosexuel s’adressant au père Raymond, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc.
Dans son roman La Chasse à l’amour (1973), Violette Leduc définit ses amantes comme des êtres tristes et « frénétiques ». Dans le film « Je te mangerais » (2009) de Sophie Laloy, on voit « l’amour dévorant » d’Emma, étudiante en médecine, pour Marie, une jeune pianiste du Conservatoire de Lyon. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William engueule son amant Georges à cause de ses absences : il lui dit qu’il est fou d’amour pour lui, mais avec une agressivité qui laisse entendre le contraire : « Tu te fous de moi ! Ça fait cinq ans que tu m’abreuves de mensonges ! Marre ! Marre ! Marre ! Marre d’être englouti dans ta double vie ! » Il le maltraite verbalement et physiquement. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Benjamin et Arnaud, en couple, n’arrêtent pas de se prendre le chou et de s’insulter : « Connard, va ! Trou de balle ! » (Arnaud) ; « L’enfant de catin ! » (Benjamin) ; « On s’est encore engueuler. On va encore se foutre sur la gueule. » (Arnaud).
Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, le « comportement chaotique » et « l’agitation sentimentale » (p. 231) caractérisent le personnage lesbien d’Erika : « C’est vrai qu’elle était dangereuse, Erika, à cette époque. On aurait pu croire qu’elle avait tué la petite fille au regard tragique qui demandait si on l’aimait. Elle s’emballait, avait des coups de foudre, faisait des serments éternels auxquels elle croyait. Puis elle s’apercevait que cette femme, finalement, n’était pas celle qu’elle attendait et elle la quittait. » (idem, p. 203) ; « Erika n’avait pas changé, finalement. Comme au temps de Belfort, elle en faisait trop. Et elle était éprise de la seule personne capable de sentir cette pression et de ne pas la supporter facilement. Et cela créait une sorte de cercle vicieux, classique au demeurant. Héloïse, effrayée, reculait. Erika avançait d’autant. Mais comment lui faire modifier son comportement ? […] J’avais eu tort de penser qu’Erika avait évolué. Le fond de son caractère était resté le même : passionné, possessif. » (idem, p. 270) ; « C’était vraiment une tourmentée. » (idem, p. 282) La relation amoureuse qu’Erika entretient avec son amante Suzanne se nourrit d’un drôle de combustible : « Il y avait ce désir violent, qui ne nous quittait pas, et que nous satisfaisions très souvent. » (idem, p. 203)
Quelquefois, le héros homosexuel vit mal sa métamorphose en homme paradoxal. « Pourquoi mon cœur, qui n’a pas d’yeux, s’agite-t-il autant quand je te croise […] ! Quelle réaction chimique déclenche cette agitation ? » (Bryan s’adressant à son amant Kévin par rapport à l’amour, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 306) ; « Je n’avais jamais été jaloux, avec toi, je suis devenu exclusif ! Cet amour-là est trop violent, il fait trop mal. Je croyais que l’amour était quelque chose d’agréable, qui nous grandissait. Mais celui que je ressens pour toi, me fait parfois l’effet inverse, il me détruit ! Pourquoi ? Puisque ça fait si mal, faut-il avoir peur d’aimer ? » (idem, p. 417) ; « Lorsque je pense à vous, mon cœur bat plus fort, mon corps s’étonne et s’émerveille. Quelle est donc cette folie ? » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 19) ; « Le problème, c’est que les mecs me faisaient tourner la tête. » (Stéphane, le héros homosexuel de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’ai pas l’habitude de coucher comme ça avec un inconnu… » (Matthieu, après avoir trompé son copain Jonathan alors qu’il l’idéalisait, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Depuis trois mois, c’est l’enfer. Herbert est violent, armé, totalement imprévisible. » (Fabien à propos de son attitude avec son amant Herbert, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; etc.
Le héros homosexuel adopte une conception totalitaire et superstitieuse de l’Amour, selon laquelle Il ne se choisirait pas, s’imposerait comme une évidence, et tomberait sur n’importe qui comme un « fabuleux destin » : « À vrai dire, je n’ai jamais cherché l’amour, mais j’ai toujours pensé qu’il me tomberait un jour du ciel. » (Ednar, le héros homosexuel, dans l’autobiographie romanesque Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 132)
L’amour homosexuel fictionnel ressemble parfois à une dictature, à une bataille, à une stratégie conquérante, où l’art de séduire empiète sur la personne aimée (je vous renvoie au chapitre sur la conception scientifique de l’amour dans le code « Médecines parallèles » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « En réalité, je suis plus excité par la conquête que par le terrain conquis. » (Dominique, le héros homosexuel du roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 25) ; « C’est triste à dire mais il faut être un peu stratège en amour. » (Laurent Spielvogel imitant André un type qui le drague dans un hammam, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Je décidai de devenir le polytechnicien de l’amour. » (Eugène, le héros homosexuel du one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « Dans le car qui me ramenait chez moi, je décidai que trois était le chiffre parfait. Avec deux liaisons, on était écartelé entre deux choix simples. Il y avait là quelque chose de linéaire. J’étais en train de lire un livre en vogue sur la théorie du chaos, d’après lequel le chiffre trois impliquait le chaos. Je désirais le chaos parce que grâce à lui je pourrais créer mon modèle personnel. Je regardais les beaux objets fractals illustrant le volume et voyais Sheela, Linde et Rani dans l’un d’eux, s’amenuisant au fur et à mesure, le motif se répétant à l’infini. Je refermai le livre, convaincue d’avoir choisi la façon de mener ma vie. Le chaos était la physique moderne, c’était la science d’aujourd’hui. » (Anamika, l’héroïne lesbienne pensant à ses trois amantes – Sheela, Linde, et Rani – dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 64-65) ; « Moi, ce que je veux, c’est de la conquête. » (Lionel dans le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier) ; « L’amour est un champ de bataille. » (Nico dans le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens) ; « La guerre est là. Elle a ton visage, Arthur. » (Vincent s’adressant à son amoureux, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 35) ; « Entre nous deux c’est la guerre. Notre histoire qui se traîne par terre, c’est la haine et c’est la bataille. Enfin bref, tous deux on déraille. Pourtant je sais qu’tu m’aimes encore. Nous sommes à couteaux tirés. Ça va finir par éclater. Regards en coin et méfiance. Mal à l’aise et désespérance. Pourtant tu sais qu’j’t’aime encore. Il y a de l’eau dans le gaz. Ça me fait craquer, ça te déphase. On s’fait du mal, on s’fait la gueule. Je te quitte et tu me laisses seul. Il y a de l’huile sur le feu, et l’on joue à ce petit jeu. » (cf. la chanson « On s’fait la gueule » d’Étienne Daho) ; « C’est bien le curieux de la nature humaine qui porte souvent plus d’intérêt à la conquête qu’à ce qui pourtant déjà existe, si beau, dans sa maison. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 70) ; « J’aime séduire et dominer. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « Avec Jacques, j’allais tricher un peu, beaucoup, passionnément. » (le jeune Mathan dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « L’Amour vient de faire perdre la guerre à l’Allemagne. » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; etc.
Par exemple, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Sigrid profite de son amante Helena, plus âgée qu’elle, pour devenir son assistante et monter en grade dans son entreprise et l’humilier : « Je renforcerai mon emprise. Je continuerai à t’isoler des autres. » Elle la conduira au suicide. Maria, qui doit jouer au théâtre le rôle d’Helena, est mal à l’aise dans sa propre vie à cause de leur histoire : « La relation entre ces deux femmes, c’est dérangeant. » Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah humilie son amante Charlène devant les autres camarades, la traite comme une moins-que-rien. Elle est manipulatrice, diabolique, menteuse. Charlène, à bout, finira par l’étouffer avec un coussin.
Souvent, la tension est palpable dans le couple homosexuel fictionnel, même si elle n’est pas toujours criante. La guerre que se mènent les deux amants est juste larvée dans le cynisme : « Ah ! je le savais, il était maître dans l’art des paroles sardoniques ! » (le narrateur du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 50) ; « J’ai mal de toi. J’ai mal près de toi. » (cf. la chanson « J’roule » d’Hervé Nahel) ; « On s’aime beaucoup mais on s’empêche de vivre. » (Nathalie à son amante Louise, dans le film « La Répétition » (2001) de Catherine Corsini) ; « Il était si dur avec moi… » (Paul par rapport à son amant Jean-Louis dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset) ; « Je venais encore de m’engueuler avec Will. » (Matthieu racontant sa vie commune avec Will, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Malgré toutes nos petites engueulades… » (Matthieu par rapport à son amant actuel Jonathan, idem) ; « Simon raconte avec pudeur que le matin-même, il est allé dans l’appartement de Gilberto détruire chacune de ses affaires. Il a déchiré les chemises de Gilberto, consciencieusement, les unes après les autres, il a brisé le joli cendrier chiné ensemble contre la table du salon (Gilberto ne fume pas). IL a aussi déchiqueté les billets d’avion des vacances qu’ils avaient passés ensemble en Hollande, et tout un tas de papiers officiels. Simon dit ‘J’ai déchiqueté ces billets parce que c’est une manière de lui dire qu’il ne peut rien garder, même pas le souvenir heureux de ce voyage.’ Il a jeté par terre dans la salle de bain toutes les affaires de toilettes de Gilberto qui se sont cassées, parfum, rasoir, eau de toilette, etc., et sur le bureau, il a shooté son Mac, allant jusqu’à enfoncer complètement son pied dans l’écran. Il a écrasé des clopes sur le tapis en prenant soin de bien le cramer. Il a fermé les rideaux, parce que le soleil qui éclaboussait l’appartement le minait. Il est allé chercher un rasoir, et il a lacéré les rideaux. Il a fait le tour de l’appartement, et a trouvé à tout ce bazar quelque chose de touchant. Comme si sa rupture était enfin matérialisée par tous les morceaux éclatés de la vie de Gilberto, la leur depuis quelques mois. Il est allé chercher sa caméra chez lui. De retour dans l’appartement de Gilberto, il a filmé en laissant la caméra caresser ce champ de bataille de sa colère, en racontant (voix off) tout ce qu’il avait brisé. Il a terminé en filmant la boîte aux lettres dans laquelle il a laissé sa clef et y a donné un énorme coup de poing qui l’a complètement déformé. ‘Voilà. J’ai monté le film toute la journée, je l’ai appelé a-mor(t). Et c’est tout.’ » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), pp. 109-110) ; « Elle est dure avec moi, je vous jure. Je lui lave les pieds comme si elle était Jésus et elle m’engueule, elle me parle mal. » (Polly parlant de son amante Claude, idem, p. 115) ; « Mes mères vont peut-être divorcer. Elles n’arrêtent pas de se disputer. Et moi je suis genre le ciment qui les aide à rester ensemble. » (Jackson par rapport à ses deux « mères » lesbiennes, dans l’épisode 5 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc.
Par exemple, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton et Vlad, pourtant en couple, ont une drôle de façon de se déclarer leur « amour »… Vlad fait un doigt d’honneur à Anton, en lui disant : « Ça, ça veut dire ‘Je t’aime’. Et mes deux doigts, ça veut dire ‘Je t’aime beaucoup’. ». Dans le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq, Manu et Philippe se parlent de manière très acerbe. Dans la B.D. Rocky & Hudson, les cowboys gays (2013) d’Adao Iturrusgarai, le duo Rocky/Hudson est un couple sans cesse en crise. Dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès, l’échange entre les deux inconnus sur le lieu de drague est semi-violent, semi-séducteur. Dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, la relation entre Paul et Sébastien est tendue, d’où la remarque de Sébastien à Marie : « Tu verras, la vie à deux, c’est pas simple… ». Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Léopold et Franz n’arrêtent pas de s’engueuler : Léopold est imbuvable, capricieux et méprisant, alors que Franz se montre faible, possessif et paranoïaque. Dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur la chaîne France 2 le 15 octobre 2013, le couple homo Luc/Yoann (joué par Dany Boon) se disputer sans arrêt et perturbent leurs voisins par leur concert. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel et Philippe n’arrêtent pas de s’engueuler, et à chaque fois qu’ils sont au bord de la rupture, Gabriel propose fiévreusement le PaCS ou le mariage pour colmater inefficacement les brèches. Dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Stella/Dotty vivent depuis 30 ans ensemble et pourtant elles se chamaillent continuellement. Dans la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Monsieur Alvarez (huissier) et Damien (le héros transgenre M to F, chef d’entreprise) se gueulent dessus et se mènent une guerre sans merci, avant de former un beau couple de travestis. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, les scènes de ménage entre Paul et Erik sont monnaie courante, et Paul dit à Erik qu’« il lui gâche la vie ». Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François et Thomas, les deux amants, n’arrêtent pas de se prendre le chou pour des « détails ».
Dans le film « I Love You Baby », Daniel et Marcos font un petit dîner en amoureux, mais se parlent pourtant super mal : l’un d’eux a oublié la pizza au four et se le voit reprocher ; l’autre finit par être agacé des inattentions et du manque de savoir-vivre de son compagnon. C’est sur ces petits détails de la vie quotidienne que le couple homosexuel se focalise pour ne pas à avoir à se reprocher l’essentiel : le manque d’amour dans leur relation amoureuse. Leur binôme ne fera pas long feu…
Dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Lucie et Léonore, les deux héroïnes lesbiennes, se déchirent, se giflent, puis s’embrassent sur la bouche, le tout dans un même mouvement… comme si la violence était pour elles la preuve de l’intensité de leur amour, alors qu’en réalité, cette fougue ne vient que confirmer un amour basé prioritairement sur la pulsion.
Assez rapidement, pour faire écran à cette violence, le mensonge s’immisce souvent comme un fonctionnement conjugal normalisé dans les couples homosexuels fictionnels. Il semble être inclus dans le pack homosexuel : « Quiconque aime vraiment renonce à la sincérité. » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, p. 83) ; « Pour rester à deux, il faut savoir mentir, et je ne sais pas. » (Cédric à son amant Laurent, dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure) ; « Je mens toujours à celui que j’aime. » (le transsexuel M to F du film « Tableau de famille » (2002) de Fernan Ozpetek) ; « Je tombe que sur des connards qui ne me racontent que des bobards. » (Stéphane en parlant de ses amants, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’aime la Vérité, mais la Vérité ne m’aime pas. […] Pourtant, je suis simple. Je déteste le mensonge. […] S’il m’arrive de mentir, c’est pour rendre service. » (Jean Cocteau cité dans le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala) Par exemple, dans le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le héros désire « mentir effrontément ». Dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, Dominique vénère « l’art du mensonge » (p. 86). Pensons également au film « L.I.E. » (2001) de Michael Cuesta.
Comme le mensonge crée évidemment un climat de paranoïa croissant, il arrive que l’agacement au sein du duo homosexuel fasse place aux menaces, ou bien que la passion homosexuelle transforme le héros homosexuel (ou son partenaire) en amant excessif, un brin psychopathe et violent : « Crois-moi, Erika est dangereuse. Il vaut mieux n’être que son amie. » (Melitta à Suzanne, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 202) ; « Je vais te tuer. Je te hais. » (Petra à son amante Karin, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder)
Dans le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, Willie est décrit par son copain Doumé comme « un manipulateur » qui peut « faire des coups de pute » (p. 79) ; d’ailleurs, la guerre que se lancent les deux anciens amants après leur rupture sera sans pitié. Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, quand Esti et Ronit se retrouvent toutes les deux pour la première fois dans un bosquet et qu’elles sont prêtes à se dire leur amour, Ronit dit à Esti qu’elle « a l’air d’un tueur en série » (p. 139).
L’amour homosexuel fictionnel s’annonce souvent par la voie de la terreur et de la peur : « Pour nous, les histoires d’amour finissent toujours mal. » (Piya, un transgenre M to F, dans le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun) ; « Tu es vraiment fou. » (Ed s’adressant à Arnold dans le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Il l’attirait puissamment, il l’attira dès le premier instant, quand il avait entendu ses sanglots et deviné plus que perçu sa voix rauque, violente, et surtout quand il avait palpé sa peur. Il n’imaginait pas encore que cette peur était le signe qu’il se trouvait assurément en présence d’un homme nerveux, de ceux qui ne peuvent se contenir, d’un despote. En le consolant et en le veillant il ne savait pas avec qui il était, et quand il en prit conscience, il se dit que ça n’avait pas d’importance, que le jeune homme l’attirait précisément pour cela, pour ce qu’il était. » (cf. la nouvelle « Las Dos Prisiones De Víctor » (1986) d’Oscar Hermes Villordo, p. 251) ; « À pas de loup, j’aime quand vous me faîtes peur. » (cf. la chanson « Consentement » de Mylène Farmer) ; « Quand on aime, on est en danger. Moi, c’est ça qui me plaît. » (Yves Saint-Laurent séduisant Jacques, le copain de Karl Lagerfeld, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « La honte de dépendre à ce point d’un homme que je voudrais haïr me pétrifie. » (le narrateur homosexuel du roman La Peau des zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 16) ; « À ta place, j’aurais peur. » (Henry s’adressant à Franck par rapport à Michel, l’amant de ce dernier, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; etc. Dans le film « Ma mère préfère les femmes » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman, Sofía traite son amante Eliska de « tyran ». Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Steve en fait tellement trop pour se faire aimer de Phillip que ce dernier en est effrayé.
Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, la peur s’installe entre les deux amantes Stephen et Angela, et pas uniquement du côté de la victime « logique » (p. 189) :
Stephen – « J’ai peur maintenant… j’ai peur de vous.
Angela – Mais vous êtes plus forte que moi…
Stephen – Oui, c’est pourquoi j’ai si peur… vous me faites sentir ma force… »
Dans certaines fictions homosexuelles, le désir homosexuel est décrit comme un amour démoniaque, bestial, ou sorcier, une sauvagerie : cf. le roman Bestezuela De Amor (1909) d’Antonio de Hoyos, le roman policier Un Amour radioactif (2030) d’Antoine Chainas, le ballet L’Amour sorcier (1915) de Manuel de Falla (d’ailleurs, en 1933, le danseur Miguel de Molina, lui-même homosexuel, aura le rôle principal de ce spectacle), le film « La Beauté du diable » (1949) de Claude Autant-Lara, le titre du film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, le recueil de poésies Sonnets de l’Amour obscur (1931) de Federico García Lorca, le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le roman Les Garçons sauvages (1971) de William S. Burroughs, la chanson « Cet air étrange » d’Étienne Daho, le film « The Wild Dogs » (2002) de Thom Fitzgerald, le film « Le Messie sauvage » (1972) de Ken Russell et Derek Jarman, le film « Wild Side » (2004) de Sébastien Lifshitz, le film « Alex Strangelove » (2018) de Craig Johnson, etc. « C’est l’amour sorcier. » (cf. la chanson « Kalinda de Luna » de Dalida) ; « Nous progressions au pas dans une forêt sauvage, silencieuse, menaçante, d’obscurs voyous dont nous ne voyions luire au feu des phares et des rares réverbères que les étranges diadèmes de rangées de dents d’ivoire et d’or en couronnes. » (cf. la nouvelle « Les Garçons danaïdes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 101) ; « Succédant à la troupe humaine, une meute de chiens galopait à notre rencontre. Il était trop tard pour arrêter. » (idem) ; « Ce qui allait suivre était justifié. Logique. C’est la loi, il y a toujours qu’un seul gagnant. Ce qui allait venir, c’était de l’amour. L’amour aveugle, sans dieu ni mère pour le protéger. C’était de la guerre. Sans paroles. En dehors du monde. Au tout début. Au-delà de moi. Au-delà de Khalid. À travers nous deux, le combat primitif, innocent, sauvage, libre, recommençait. » (Omar parlant de son amant Khalid dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 163-164) ; « Mon amour, mon ange noir, pardonne-moi. […] Je l’aimais Suki. Je l’aimais. » (Kanojo parlant à Juna, son amante qu’elle a tuée par un combat de magie, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Tu es envoûtée. » (Richard, le copain de Thérèse, l’héroïne lesbienne, lui reprochant de partir avec une femme, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Le charme est rompu. » (Lola, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera à propos de leurs infidélités « extraconjugales », dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Luther, l’amant de Denis, a pour parfum Eau sauvage de Christian Dior. Par rapport au film « The Long Day Closes » (« Une longue journée qui s’achève », 1991) de Terence Davies, le critique Pierre Philippe dit que le personnage de Bud, le héros homo, est un « garçon bâillonné par l’amour obscur qu’il porte en lui. » (cf. le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 85) Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, pour se prouver qu’il est toujours homosexuel et qu’il a encore du désir pour son futur « mari », fait un play-back strip-tease sur « I Put A Spell On You ».
Le héros homosexuel est comme ensorcelé par un amant maléfique qui le maintient en soumission : « Depuis que je t’ai rencontré, je ne sais plus quel est mon nom, je ne sais plus où vont mes pas. Que m’as-tu fait ensorceleur ? » (Raulito s’adressant à son amant Cachafaz, dans la pièce Cachafaz (1993), pp. 20-21) ; « Derrière la porte, souriait de toutes sa nacre un garçon enjôleur que n’importe qui d’un peu novice aurait immanquablement trouvé joli. Laurent resta pétrifié sur le seuil de la porte. » (cf. la nouvelle « Cœur de Pierre », (2010) d’Essobal Lenoir, p. 47) ; « Je souffre de ne pas savoir quelle blessure vous me faites. » (le héros homosexuel à l’homme qui vient le draguer, dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « C’était étrange, ta dépendance. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, très possessif, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc. Par exemple, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, George continue d’aimer son ex, Joley, qui l’a trompé : « Pourtant, je sais que c’est un vrai connard. » Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), quand Pierre Fatus passe son stétoscope sur un des hémisphères de son cerveau, il entend une voix lui dire : « Il y a ici crime de sorcellerie ! »
On retrouve cette idée de dangerosité de la relation amoureuse homosexuelle dans le film « Más Que Amor, Frenesí » (1996) d’Alfonso Albacete et David Menkes, le film « Assassins » (1987) de Todd Haynes, le film « Je t’aime, je te tue » (1971) d’Uwe Brandner, la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, le film « Tristesse et beauté » (1984) de Joy Fleury, le film « Reptile » (1970) de Joseph Mankiewicz, le film « Immacolata et Concetta » (1979) de Salvatore Piscicelli, le roman El Juego Del Mentiroso (1993) de Lluís Maria Todó, le film « Regarde la mer » (1996) de François Ozon, le film « Violence et passion » (1974) de Luchino Visconti, le film « Danse macabre » (1963) d’Antonio Margheriti, le film « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » (1999) de François Ozon, le film « Tiresia » (2002) de Bertrand Bonello, le film « A Cold Coming » (1992) de David Gadberry, la chanson « La Débâcle aux sentiments » de Stanislas Renoult, le film « Disons, un soir à dîner… » (1969) de Giuseppe Patroni Griffi, le film « Mulholland Drive » (2000) de David Lynch, le film « Hitcher » (1985) de Robert Harmon, le film « Caravaggio » (1986) de Derek Jarman, le film « Le Rempart des béguines » (1972) de Guy Casaril, le film « Duel au soleil » (1946) de King Vidor, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho, le film « Scacco Alla Regina » (1969) de Pasquale Festa Campanile, le film « Glissements progressifs du plaisir » (1974) d’Alain Robbe-Grillet, le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, le film « Ricochet » (1991) de Russell Mulcahy, le film « Soplo De Vida » (1999) de Luis Ospina (avec un travesti martyrisé par un flic corrompu qui n’est autre que son amant), le film « Angelos » (1982) de Yorgos Kataguzinos, le film « Love Is The Devil » (1997) de John Maybury, le film « Prick Up » (1987) de Stephen Frears, le film « Le Crime d’amour » (1981) de Guy Gilles, le film « Cours privé » (1986) de Pierre Granier-Deferre, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher (avec le couple cynique composé par David et Philibert), le film « Les Poupées russes » (2002) de Cédric Klapisch (avec les querelles interminables du couple lesbien), le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar (avec Pablo et Antonio vivant une relation passionnelle auto-destructrice), le recueil de poèmes La Destrucción O El Amor (1935) de Vicente Aleixandre, le film « La Fille aux yeux d’or » (1961) de Jean-Gabriel Albicocco (avec la lesbienne manipulatrice et jalouse qui tue la gentille Marie Laforêt), le film « Furyo » (1983) de Nagisa Oshima, la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia (racontant la liaison dangereuse entre deux voisins de pallier), le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, etc.
Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, Chloé s’insère de manière intrusive dans la vie de Catherine, une femme mariée avec qui elle a eu une liaison amoureuse de passage. Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, on retrouve la figure de la vénéneuse amante lesbienne dont on ne peut pas se défaire, à travers la relation de Stella et de la vampirisante Lorelei. Dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, Émilie devient « envahissante » (p. 29) avec son amante Gabrielle. Dans le film « Libertango » (2009) de Sara Hribar, il est question de la dangereuse interprétation entre amitié et amour : Tamara est épuisée par la possessivité de sa colocataire Julija. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette voue à sa prof de français Madame Solenska un amour-passion, idolâtre, jaloux, déconnecté du Réel, démesuré.
Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin et Bryan, les deux amants qui disent pourtant s’aimer passionnément et continuellement, se traitent en réalité très mal. Ils se font des coups bas quand l’un d’eux chute, cherchent sans arrête à faire payer à leur partenaire leur propre insatisfaction de l’amour homosexuel. Il n’y a aucune place au pardon. Ils vivent un amour sans merci, sans compromis, qui mourra de sa « belle » mort : « Mon copain m’a fait un sale coup. Je voudrais me venger en te demandant de sortir avec moi pendant quelque temps. Je t’appelle parce que tu es le seul que je connaisse. On est bien d’accord, il ne s’agit que de faire semblant, juste pour le faire souffrir. […] Je veux qu’il comprenne le mal qu’il vient de me faire. » (Kévin s’adressant à Yohann, dans le roman pp. 257-258) ; « Moi aussi je t’aime, mais mon amour est destructeur, il est toujours négatif. » (Kévin à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 325) ; « À la seconde où je t’ai vu, j’ai compris que j’étais perdu d’avance et toi aussi ! » (Kévin à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 418)
Parfois, la peur se trouve expliquée par des actes. En effet, souvent, la violence et la maltraitance s’installent dans le couple homosexuel fictionnel : « Agathe et Lou s’aiment mais sont rongées par la violence de Lou au sein du couple. » (cf. le résumé du film « Agathe et Lou » (2013) de Noémie Fy, dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 68) ; « Ça me fait du mal de vous voir vous déchirer comme ça. » (Laurent Spielvogel imitant un vieux pote gay du sud s’adressant à lui par rapport à son couple raté avec son amant Marco qui lui est infidèle, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.
Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le protagoniste homo, frappe son client-amant dans une chambre d’hôtel alors qu’il lui avait fait croire au départ qu’il était un prostitué consentant. Dans le film « Ylan » (2008) de Bruno Rodriguez-Haney, Ylan a été jeté dehors par son copain. Dans la pièce La dernière danse (2011) d’Olivier Schmidt, Jack pointe le révolver sur son amant et l’embrasse une dernière fois, avant de retourne le révolver contre lui et de tirer.
Dans les créations homosexuelles, l’amour homosexuel est très souvent mis sous le signe de la trahison, de la vengeance, et parfois du meurtre : cf. le film « Honey Killer » (2013) d’Antony Hickling, le film « Love Kills » (2007) de Tor Iben, etc. Par exemple, dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Raúl maltraite Roberto, son jeune amant. Le roman Ann Vickers (1933) de Dorothy Thompson relate l’histoire d’une femme qui est conduite au suicide à cause de sa liaison avec une lesbienne cruelle et possessive. Dans le film « Ostia » (1970) de Sergio Citti, Rabbino tue son amant Bandiera. Dans le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, Mathias tire sur son copain Jean et le blesse. Dans la pièce El Vals De Los Buitres (1996) d’Hugo Argüelles, alors que Lionel a une attaque cardiaque, son amant le pousse par la fenêtre. Dans le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, Fritz Haarman tue ses amants. Même scénario dans le film « M le Maudit » (1931) de Fritz Lang. Dans la pièce Sud (1953) de Julien Green, le jeune lieutenant Ian Wiczewski se fait volontairement tuer en duel par l’homme qu’il aime, le jeune Marc Clure, qui le transperce de son sabre. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri tue son amant après lui avoir fait « l’amour ». Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Erika, par jalousie, tire un coup de revolver sur sa copine Héloïse. Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le héros homo fracasse à mort le crâne du mec qu’il vient d’embrasser sur la bouche dans un vestiaire de douches. Dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory, Scuder est l’homosexuel homophobe qui fait « chanter » son amant Maurice. Dans le roman Un Garçon près de la rivière (1948) de Gore Vidal, les amants vivent un amour orageux : Jim Willard tue son ami Bob. Dans le film « Él Y Él » (1980) d’Eduardo Manzanos, un jeune homme se réveille nu à côté d’un homme un lendemain de fêtes et décide de le tuer. Dans le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, Eugène est emprisonné pour tentative de meurtre sur son petit copain « Gégé », et Stéphane tue son amant Jean-Jacques avec un marteau. Dans le roman Parloir (2002) de Christian Giudicelli, David est poignardé par Kamel, le héros homosexuel. Dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, Pascal tire au fusil de chasse sur son amant Pierre. Dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le héros tue son amant Stan au revolver. Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, la lesbienne Valérie Seymour a noyé sa compagne Polinska dans une grotte bleue de Capri. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Gatal et son fiancé s’engueulent fort, et Gatal finit par le tuer en l’étouffant.
Non, vous ne rêvez pas ! Beaucoup d’amants homosexuels fictionnels s’entretuent sur nos écrans (y compris dans des films intentionnellement pro-gays et récents ! Un comble…) : « On vivait sur un bateau ivre. Puis la violence est arrivée. On se frappait. » (Florence en parlant de son couple avec Hélène, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Dieu, c’est trop terrible d’aimer ainsi… c’est l’enfer… il y a des moments où je ne puis plus le supporter ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 484) ; « Quand je suis avec une femme, je deviens une bête, un monstre. » (Florence la lesbienne dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Chacun tue l’objet de son amour. » (Oscar Wilde, Ballade de la geôle de Reading (1898), cité dans le Magazine littéraire, n°343, mai 1996, p. 17) ; « Chacun tue ce qu’il aime. » (Texor Textel dans le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb) ; « Je t’aime je t’admire je t’adore, je te tue. » (Alice à Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Je te tuerai si tu me le permets. […] Plus j’aime quelqu’un, plus j’ai envie de le tuer. » (Ada à son amante Cherry, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Moi, c’est parce que je t’aime que je veux te tuer. » (Cherry à Ada, idem) ; « ‘Moi chais même pas si je vais pleurer pour [ma rupture avec] Claude, minaude Polly [l’héroïne lesbienne parlant de son amante], elle a un égo qui me bouffe tellement la vie que parfois j’ai envie de la buter !’ Cody [le pote gay nord-américain] me demande ce que ‘buter’ veut dire, je réponds ‘faire l’amour avec tellement de force que les gens en meurent’. Il répond qu’il veut que Nourdine [l’objet de fantasme de Cody] le bute, ça me fait rire. » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 113) ; etc.
Souvent, le héros a des envies de meurtre par rapport à son amant… : « Je te pousserai de la falaise. » (Hervé Nahel) Dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, François rêve que son compagnon s’étouffe au hot-dog. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Stéphane conseille à son pote Vivien de mettre son « mari » Norbert au congélateur pour s’en débarrasser. Dans le film « Nettoyage à sec » (1997) d’Anne Fontaine, Jean-Marie se fait sodomiser par le beau et provoquant Loïc dans le sous-sol de son pressing, avant de lui coller le fer à repasser brûlant sur la figure et de le tuer en le jetant violemment par terre. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, est presque étranglé à mort par Dick, l’homme qu’il aime, sur un bateau. Cela s’achève en crime passionnel remporté par Tom.
Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, l’amour entre Omar et Khalid est à couteaux tirés. C’est la passion et la stratégie conquérante qui régissent leur relation. « Il est terrible, ce jeu, Khalid. Tu es impitoyable. » (Omar à Khalid, p. 111) ; « Je vais me venger de tout le mal que tu me fais. » (idem, p. 119) Les amants s’adulent et se méprisent dans un même mouvement de recherche de vie par procuration : « Le combat, pour de faux, pour de vrai, a repris. La transformation aussi. L’échange de prénoms. Un film de science-fiction marocain. » (idem, p. 140) Pour survivre, Omar finit par pousser mortellement Khalid, avec le consentement de ce dernier, dans un fleuve. « Ce qui allait suivre était justifié. Logique. C’est la loi, il y a toujours qu’un seul gagnant. Ce qui allait venir, c’était de l’amour. L’amour aveugle, sans dieu ni mère pour le protéger. C’était de la guerre. Sans paroles. En dehors du monde. Au tout début. Au-delà de moi. Au-delà de Khalid. À travers nous deux, le combat primitif, innocent, sauvage, libre, recommençait. » (Omar, idem, pp. 163-164)
Illustration d’Owen Freeman
Dans bien des créations homo-érotiques, les amants homosexuels se donnent la mort par strangulation (je vous renvoie au code « Coït homosexuel = viol » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas, le film « La Clé de verre » (1942) de Stuart Heisler, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le film « Voodoo Island » (1957) de Reginald Le Borg, le film « El Mar » (2000) d’Agusti Villaronga, le roman Querellede Brest (1947) de Jean Genet, le film « L’Étrangleur » (1970) de Paul Vecchiali (avec Marcel Gassouk), le film « L’Étrangleur de Boston » (1968) de Richard Fleischer, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec Madame Lucienne étranglée d’une seule main), le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, le film « L’Étrangleur » (1970) de Paul Vecchiali, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron ; etc. « Tu m’as étranglée. » (Joséphine à Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Adam introduisant son membre urino-reproducteur dans le derrière d’un canard tandis qu’il l’étranglait. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 88) ; « Cinq autres [hommes] s’emparèrent de l’albatros pour lui enfoncer une bouteille de bière dans l’anus tout en l’étranglant. » (idem, p. 139) ; « Je pourrais t’étrangler. » (Cherry à son amante Ada, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Aïe ! Aïe ! Aïe ! Vous m’étranglez ! » (Pédé se faisant enculer par le travesti M to F Fifi, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; etc. Dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, Wilma, le flic travelo M to F, aurait tué son amant par strangulation. Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, Luc essaie de noyer son amant Jean sous la douche, après l’amour. Dans le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, Rémi finit par étrangler son amant Steve. Dans la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell, Tania, l’héroïne lesbienne, est soupçonnée d’avoir étranglé Léa au judo.
Les liaisons dangereuses homosexuelles fictionnelles se choisissent souvent pour cadres le milieu de la drague homo classique ou bien le milieu de la prostitution. Par exemple, dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed, un homosexuel se paie les service d’un jeune homme marié qui se prostitue et se retourne contre lui. Dans le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia Cardoso, le héros transsexuel M to F, tue son amant en lui tirant dessus.
La violence dans le couple homosexuel ne vient pas tant des partenaires pris individuellement, que du couple et de l’acte homosexuels. Le héros, en même temps qu’il trouve en l’amant le sexe et la tendresse qui apaisent pour un temps ses besoins « naturels », se voit aussi fatalement inculpé par la sexuation gémellaire de son compagnon en tant qu’homosexuel (et oui : pour former un couple homosexuel, il faut être deux hommes, ou deux femmes, et agir homosexuellement !), et cela lui est parfois insupportable. Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Miguel est attiré autant que rebuté par Santiago, qui lui révèle son homosexualité (il ne supporte pas d’entendre de son compagnon qu’il a joui d’avoir été dominé par un homme pendant leur coït) : Santiago finira par se suicider. Dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, le copain de Michael ne veut pas que leur relation sexuelle soit rendue visible socialement, car il n’assume pas son copain ni sa propre homosexualité. Beaucoup de héros homosexuels s’auto-détruisent ou bien détruisent leur copain du fait de mal gérer les paradoxes du désir idolâtre (pour et contre lui-même) qu’est le désir homosexuel : cf. le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet.
c) Le paradoxe du libertin, à la fois ascétique et obsédé par le sexe, tout cela à cause de sa sincérité :
c) 1) Pseudo-ascèse :
Aussi bizarre que cela puisse paraître, les Valmont et Merteuil homosexuels des fictions, même s’ils agissent pour détruire et multiplient les conquêtes sexuelles, sont tellement obsédés par leur image (et donc leurs intentions), qu’ils veulent se persuader qu’ils sont encore purs et ascétiques après la débauche. Ils ont une réputation à parfaire ! « J’aime plusieurs personnes. Je ne parle pas de mon homosexualité mais de mon appétit sexuel… et je ne suis pas un libertin ! » (Larry, le héro homosexuel prônant l’infidélité alors qu’il est en couple avec Hank, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je ne coucherai jamais plus avec quelqu’un ! » (le jeune Danny après sa nuit de sexe homo ratée, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Le sexe est une véritable source d’emmerdements. » (Lola, l’héroïne lesbienne dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Je vous renvoie au film « Vices privés, vertus publiques » (1976) de Miklos Jancso, au film « Ascetic : Woman And Woman » (1976) de Kim Shu-hyeong, à la chanson « Sextonik » de Mylène Farmer, au roman Le Bal des Folles (1977) de Copi (ou Marilyn-Garbo est décrite comme « impénétrable », p. 52), etc.
Par exemple, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Luce, l’héroïne lesbienne, utilise l’amitié pour fuir sa vie, et s’appuie sur celle-ci pour justifier que l’amour serait platonique et asexué. « Tu ne baises jamais. » remarque sa pote lesbienne Eddie. Luce lui répond vertement : « J’ai des amis. Ça me suffit amplement. » Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, est présenté comme la sublime allégorie de « la frustration sexuelle sublimée ». Et en effet, son ascétisme, portée aux nues, n’est que le reflet de sa peur de lui-même : « Je dois peut-être m’initier au sexe où que ce soit. »
Ils sont en réalité des caricatures de continents. Des frustrés enchaînés à la luxure parce qu’ils diabolisent la frustration et ne la tolèrent pas de temps en temps, parce qu’ils sont terrorisés par la génitalité (même s’ils s’en goinfrent) : « Dans le fond, elle sent bien qu’elle est complètement inhibée avec le cul. » (Mike, le héros homo parlant de Polly son amie lesbienne, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 74) ; « Sur les marches qui mènent aux chiottes de la gare du Nord, je rencontre H. Il a un air triste, sa tête retenue sur ses deux mains emballées dans deux gros gants de ski, assis sur les marches. Je passe deux fois devant lui. Une première fois en allant aux pissotières. De l’ouverture à la fermeture de la gare, y a des hommes, de tous âges, de toutes origines qui se branlent lamentablement, debout, dans l’odeur de pisse et de foutre, en matant en coin les bites des autres. On dirait des puceaux, aussi fébriles que surexcités. Venir ici me désespère autant que ça me réjouit. » (Mike, le narrateur homo du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 59)
L’ascétisme est un fantasme fort chez le libertin homosexuel. « Je crois que je ne suis pas faite pour le mariage. » (Isabelle, l’héroïne bisexuelle du film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion) ; « C’est bien fini, tout ça. Les aventures. Les garçons. Je me demande si je suis fait pour la vie de couple. » (Vincent, le héros homosexuel, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc. Par exemple, dans le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian, Greta Garbo – la fameuse icône lesbienne – se prend pour la vierge et héroïque Marquise de Merteuil, qui n’aurait besoin de personne dans sa vie pour se suffire à elle-même : « Je mourrai célibataire ! » dit-elle dans un éclat de rire.
Surtout depuis les années 1970, le héros homosexuel a tendance ne pas se définir comme un homosexuel mais plutôt comme un homosensuel, un amoureux, un pur esprit artistique. Il n’aime pas dans le mot « homosexualité » le terme « sexualité » : il le trouve réducteur, trop génital, trop sale. Pour lui, dans l’amour homosexuel, seuls comptent les sentiments, la force de la passion, la tendresse, la sensation, la « douceur ». « Nous appartenons à la race d’Eros. » (le Coryphée dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) En revanche, il ne fait presque jamais allusion à ses actes. Il préfère montrer le visage du self control. « Je refuse d’être à la merci de mes émotions. » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) Le substantif « dragueur » ou le verbe « draguer » sont pour cette vierge effarouchée des gros mots ! « Je ne me souviens pas de t’avoir dragué. » (Denis s’adressant à son amant Luther, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Pourtant, j’ai pas du tout envie de coucher avec toi. […] Je me demande s’il faut baiser avec quelqu’un pour dormir avec. » (Michel s’adressant à son amant Franck dont il est pourtant amoureux, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; « Moi, je drague pas. » (Henry s’adressant à Franck qu’il aime en secret, idem) ; « Je suis désolé… Vous ne me connaissez pas… » (le beau Ian s’excusant d’adresser la parole au « déjà maqué » George, en lui proposant de sortir de la fête où ils se sont rencontrés, pour faire plus ample connaissance, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs ; en plus, George lui dit qu’il est « un bourreau des cœurs » et donc se montre célibataire) ; etc.
Le libertin homosexuel ne supporte pas la vulgarité et la trivialité (qui sont bien souvent réductibles dans son esprit aux mots « coït », « couple » ou « mariage »). Même si, en actes, il est aussi enchaîné à ses pulsions que le « beauf », il s’évertue à faire de l’esthétisme sa caution morale, en se présentant comme un homme plus raffiné/cool que lesdits « raffinés » : « J’ai la faiblesse de penser que nos dialogues valent mieux que les conversations de salon. » (la figure de Proust à Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 165). Il joue la comédie de la surprise : « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 69) ; etc. Il feint de se surprendre lui-même, comme s’il n’avait rien maîtrisé de ses sentiments, comme s’il se retrouvait à poil devant son amant « par accident » ou « par la force de l’amour vainqueur » (genre « Je ne suis pas une fille facile ») : « J’ai pas l’habitude de coucher comme ça avec un inconnu… » (Matthieu, après avoir trompé son copain Jonathan alors qu’il l’idéalisait, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Il faut que tu saches que d’habitude, les choses vont moins vite. » (Romeo au lit avec Johnny, avec qui il a passé juste trois soirées, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc. Par exemple, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, le jeune Franz (20 ans) a suivi un inconnu de 15 ans de plus que lui, Léopold, qui l’a amené chez lui ; et là, il fait sa grande folle perdue pour ne pas assumer sa drague : « Je ne sais pas pourquoi je suis ici… Vous m’avez pris de court… » Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Larry est un vrai coureur, mais il trouve quand même le moyen de dire qu’« il n’est pas un libertin » et qu’il trompe son amant Hank de manière propre. Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, on nous montre que Antoine et Alexis, les deux personnages en couple homo chacun de leur côté, ont dormi ensemble mais séparément (Alexis dort sur le canapé)… comme pour nous prouver que leur histoire d’infidélité est chaste et ne serait pas que sexuelle (alors qu’à un autre moment du film, Antoine avoue quand même que leur relation, « c’est que pour le sexe. »). Le héros homosexuel (et spécialement celui dont la chair est faible) a la préciosité de dire que l’important, par-delà les corps, c’est quand même la beauté intérieure : « L’attirance, ce n’est pas seulement celle des corps. » (Stéphane, le romancier bobo enchaînant les aventures sexuelles avec les jeunes et jolis garçons, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson)
En général, cet hypocrite de compétition flatte sa proie amoureuse dont il veut s’attirer les faveurs, et qu’il rêve de « sauter » en lui faisant croire en son/leur exceptionnalité. « Putain mais tu crois pas qu’on vaut mieux que ça, franchement, se renifler le cul et baiser comme des chiens dans la rue et se barrer comme si on ne s’était jamais connu, avec l’odeur de l’autre sur la queue, sur le cul, sur la gueule, sur les mains. » (Mike s’adressant à « H. » qu’il rencontre sur un lieu de drague à la gare du Nord, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 60)
Dans le refus intellectuel du libertinage et le discours pro-ascèse du héros homosexuel, on voit apparaître un diabolisation de la sexualité dans son sens large, un dégoût pour la différence des sexes et la réalité de la sexuation, un déni de ses relations amoureuses et génitales, une homophobie latente : « Je n’ai pas cette nature qu’ont certains homosexuels, parmi ceux que j’ai rencontrés, de n’écouter que leurs instincts, quitte à briser l’union, parfois ancienne, de couples amis. » (le narrateur homosexuel – « queutard raffiné » – du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 94) ; « Et Adrien était là aussi [sur la Place Dauphine, lieu de prostitution]. Adrien faisait comme eux. Il était l’un d’eux. Il en éprouvait de la honte. Comment lui, le prêtre, pouvait-il être impliqué dans ce vil commerce des corps, côtoyer ces êtres en manque de chair, se mettre en chasse comme eux ? » (le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 27) ; « J’pratique le non-sexe. » (Alice dans le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré) ; « On s’en fout du sexe. » (Brad dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper) ; « Je suis surtout un petit être contrôlé qui se laisse rarement emporter par ses coups de cœur ou ses coups de tête. » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 32) ; « J’veux pas jouir. Je veux toujours me retenir. » (Anne Cadilhac, Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Mais n’allez pas penser que je m’enflamme toujours de la sorte pour le premier venu. » (la figure de Proust s’adressant à son amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 130) ; etc.
Il y a chez le libertin homosexuel un mépris des sentiments (Valmont et Merteuil, dans les Liaisons dangereuses, se rient justement de ceux qu’ils appellent « les sentimentaires », ceux qui ont la naïveté de croire en l’amour et de se laisser aller à leurs sentiments), parce qu’il en est justement trop dépendant, et qu’il est au fond un cœur d’artichaut déçu. C’est bien parce qu’il est romantique qu’il devient un vrai serial baiseur désinvolte : « Je dus lui dire au revoir, sans pouvoir la serrer dans mes bras ni lui confier les sentiments, assez ridicules d’ailleurs, que j’avais pour elle. » (Alexandra par rapport à sa cousine-amante avec qui elle a couchée, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 69) ; « Je sens en moi une poussée d’un romantisme assez pitoyable qui inspire tous les mots que j’écris et qui ferait fuir n’importe qui… » (idem, p. 76) ; « Je ne suis ni possessive ni jalouse en rien, c’est ma nature. » (idem, p. 97) ; « En rentrant, je retrouvai Marie à la cuisine. Elle me donna tout ce qu’elle pouvait de passion, mais j’ai bien senti, depuis l’autre nuit, qu’elle ne sait aimer qu’avec son cœur. Pour les émois du corps cela ne me suffira pas longtemps. » (idem, p. 206) ; « Il a très peu de gestes d’affection avec moi. Tous ces gestes qui font un peu pitié. » (Benjamin s’adressant à son psy par rapport à son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.
Pour le libertin homosexuel, aimer est une maladie, une attitude hystérique de fan : « Je veux sortir du lot, que Mathilde remarque mon amour d’elle, sobre, à l’opposé d’un comportement de fan exubérante. […] J’avais l’air ridicule de la guetter comme un vulgaire paparazzi. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 129) ; « Je me demandais si je n’étais pas folle d’éprouver de telles sensations, si les élans irrépressibles qui me poussaient n’étaient pas les manifestations d’une maladie. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 65) ; « C’est effrayant d’être attiré par le bonheur. » (Anthony, l’un des héros homosexuels du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc. Il surveille scrupuleusement ses accès de fanatisme : « Il fallait que je me prenne en main si je ne voulais pas devenir un de ces fanatiques névrosés qui poursuivent leur idole avec un acharnement maniaque et parfois dangereux. » (idem, p. 255) ; « J’danse pour me guérir d’aimer. » (cf. la chanson « Dans ma bulle antisismique » de Mélissa Mars) Il considère l’amour comme un terrible virus qu’il va pouvoir refiler à son compagnon pour tomber avec lui dans le précipice : « Je ne cesse de vous écrire dans ma tête. C’est comme une maladie, une douce maladie. Il y a des douleurs qu’on dit exquises. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 18) ; « J’aimerais tellement que vous soyez atteinte du même mal que moi ! » (idem, p. 72) ; « Ah, si seulement vous étiez malade de la même maladie que moi ! » (idem, p. 152) Être malade d’amour peut être pourtant chez lui un souhait caché : « Je me rendis compte que je n’avais pas pensé à Mathieu depuis presque 24h et, au lieu d’en être soulagé, j’eus peur. Guérir, oui, absolument, mais pas trop vite, quand même ! » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 178) ; « On se refile l’amour comme une épidémie. » (Mathan dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Me mange pas. Tu vas être malade. » (Shirley Souagnon se décrivant comme un « yaourt périmé » face aux hommes, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc.
Malgré l’enchaînement pathétique de ses conquêtes et de ses échecs amoureux, le personnage homosexuel libertin arrive encore à se trouver héroïque d’être de temps en temps patient, sobre et dans la retenue… le temps d’une soirée ou d’une première rencontre, quoi (« On n’a pas couché le premier soir [… juste le troisième] ») : « On était si bien finalement à se caresser tendrement la nuit durant, sans éprouver le besoin de pénétrer à tout prix. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 50) ; « Il [Simon] bande. J’embrasse son front, il s’endort. » (Mike, le narrateur homosexuel dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 33) ; etc. En théorie, il ne veut pas « du cul », lui : il veut juste des câlins. Il ne veut pas brusquer : il dit qu’il prendra son temps. Il ne veut pas dire « je t’aime » trop vite ni s’engager : ça, c’est bon pour les adolescents, les jaloux et les possessifs. Lui, il est dans la gratuité qui ressemble à une molle contemplation du vide.
Le libertin homosexuel s’oblige à ne pas faire étalage de sa fragilité quand il tombe amoureux. La défaillance est, pour lui, une terrible trahison à lui-même… et la monstration de la fausse retenue de sa défaillance une preuve de la vérité/victoire de ses pulsions ! : « Bien sûr, au début, elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] a tout essayé pour ne pas se laisser dominer par ses émotions. Elle, la dame de Bois-Rouge, l’héritière en titre d’un siècle d’industrie sucrière et d’humanisme chrétien, elle, dont la poigne de fer a su redresser l’exploitation en péril tout en prodiguant justice et bonté, jamais elle n’a toléré jouer les midinettes, les fleurs bleues. De la tenue, que diable ! De la pudeur et de la discrétion avant tout ! […] Et pourtant, voilà qu’aujourd’hui, arrivée à la fin de sa vie, ses beaux principes viennent de voler en éclats. […] Assaillie de pensées contradictoires, elle va comme à son habitude se verser un demi-verre de whisky. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), pp. 14-15) ; « Non, ellene se laissera pas ligoter au piège passionné de cette inconnue [Émilie, son amante] ! » (idem, p. 24) ; « C’est plus fort qu’elle, cette façon de couper court aux effusions pleurnichardes, de mentir à son cœur morfondu, de s’interdire tout amour. » (idem, pp. 42-43) ; « Cette impérieuse envie de fuguer qui la reprend à quatre-vingts ans. Grotesque ! » (idem, p. 77) ; « Faire court. Moins lyrique. Moins grandiloquent. Moins ridicule. Elle ne se pardonne pas les fadaises qu’elle lit sous sa plume. » (idem) ; « Elleen rougit encore. Comme du mot ‘amour’, qu’elle s’est si longtemps interdit de prononcer. » (idem, p. 126) ; « Devrais-je assumer le mot ‘amour’ et aujourd’hui, à plus de cinquante ans, me risquer à l’impudeur d’un exercice de sincérité dangereux ? » (Émilie à Gabrielle, idem, p. 147) ; etc.
Et je crois en effet que le désir homosexuel est un amour qui a honte de lui-même, de sa prétention à l’Amour et à la Vérité : « J’ai besoin d’avoir cette femme pour me sauver du ridicule d’en être amoureux. » (Valmont au sujet de Madame de Tourvel, dans la Lettre IV des Liaisons dangereuses (1782) de Pierre de Choderlos de Laclos)
c) 2) Le libertinage au nom des bonnes intentions :
La comédie de l’ascétisme et du raffinement ne dure généralement pas longtemps chez le libertin homosexuel fictionnel. Elle n’est qu’un vernis qu’il applique sur ses actions pour s’auto-persuader qu’il « agit mal mais quand même pas aussi mal que les autres ». « Fi de l’ascèse ! Ma vie s’enténèbre. Moi sans la langue, sans sexe je m’exsangue. » (cf. la chanson « L’amour n’est rien » de Mylène Farmer) ; « On n’est pas raisonnables, ni toi ni moi. […] On s’entend bien toi et moi dans un lit. On s’entend même mieux dans un lit qu’en dehors. » (Vincent ayant recouché avec son « ex » Stéphane pour une nuit, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Il faut bien connaître le sexe pour devenir ensuite anti-sexe. » (une réplique de la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche) ; « À cet instant, je compris que manature ‘romantique’ me porterait naturellement à toutes les cruautés et que, de toutes celles qui existaient, contrairement à ce que l’on pensait, elle était parmi les plus redoutables, puisqu’en exagérant tout de sentiments elle rendait l’être humain capable de passer du plus grand des attachements à la plus grande indifférence. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 50) ; « Évidemment, il prétend qu’il y va rarement, mais il passe sa vie dans des boîtes à cul. J’ai jamais rencontré de pédé aussi pudique sur sa pratique sexuelle. » (Polly, l’héroïne lesbienne par rapport à son meilleur ami homo Simon, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 28) ; etc. Je vous renvoie au film « Je suis une nymphomane » (1970) de Max Pécas, à la chanson « Nympho-man » de Catherine Lara, le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont (avec le châtelain précieux organisant des parties SM dans son manoir), etc.
Derrière l’ascétique Merteuil se cache la « bite sur pattes » de Valmont. Et inversement : derrière le gogo dancer se cache un grand idéaliste, un esthète qui se croit sobre et sincèrement aimant, un être sensible qui recherche la pureté dans la débauche. Le désir homosexuel fonctionne en dents de scie parce qu’il est écartelé entre intentions et Réalité. C’est pourquoi on retrouve dans les fictions certains personnages homosexuels qui oscillent schizophréniquement d’une vie monacale à une forte activité sexuelle, parfois même prostitutive. Par exemple, dans le film « Une chose très naturelle » (1973) de Christopher Larkin, David, le séminariste défroqué, finit par « se lâcher » sexuellement après une soi-disant « longue et coûteuse » ascèse. Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, le couple homosexuel composé de l’intellectuel (Jean-Marc) et du « queutard » (Luc) symbolise à lui seul le paradoxe du libertin. Dans le film « Little Lies » (2012) de Keith Adam Johnson, Phillip tombe amoureux d’un escort boy. Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, on nous fait croire que l’amour peut naître dans une backroom, à travers la monstration de la tristesse et la compassion du client (Rubén) face au prostitué (Eloy) qui se gâche. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, idem : les deux amants Paul et Erik s’auto-persuadent pendant 9 années de vie commune (souffrants et chaotiques) que le « plan cul » internet qui les a réunis initialement était « bien plus qu’un plan cul ». Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide sauve son amant qu’il trouve dans le monde de la prostitution dans lequel tous deux évoluent.
Le libertin homosexuel insiste beaucoup trop sur son « désir d’aimer » pour aimer véritablement en acte : « Je ne sais pas, fit Jason, en acceptant de croiser le regard de Mourad et de le soutenir. Je crois que je ne crois plus en rien. Et en même temps, je crois que j’ai envie de croire. […] J’ai envie de croire à l’amour, fit-il enfin, en essuyant ses joues d’un revers de main. » (Jason, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 357) ; « J’ai dans mon autre moi un désir d’aimer, comme un bouclier. » (cf. la chanson « Tous ces combats » de Mylène Farmer) ; etc.
Dans la démarche nostalgique du libertin homosexuel, on ne lit pas que de la mélancolie laconique, ou une contemplation morbide de soi, mais aussi un contentement narcissique et « optimiste », une sorte de « Malgré tout, j’ai aimé… » qui maintient despotiquement l’amant dans la carte postale : « J’ai rêvé qu’on pouvait s’aimer. » (cf. la chanson « Rêver » de Mylène Farmer) ; « On n’a pas couché ensemble. On a fait l’amour. […] J’ai pas couché avec Quentin. Je l’ai aimé. » (Jules en parlant de son histoire avec Quentin, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau)
Il y a dans l’amour homosexuel un paradoxe entre fond et forme, entre désir et acte, entre sincérité et Vérité, qu’on peut observer dans la société toute entière avec les « injonctions paradoxales », énoncées par exemple dans les publicités ou les slogans politiques (« Il est interdit d’interdire ! » ; « Silence !!! » ; « Sois tolérant ! », etc.). Par exemple, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Álvaro dit « Je t’aime » à Octavia tout en la passant à tabac.
La stratégie du libertin se veut anti-stratégique, d’un naturel pur et irréprochable. Le Valmont homosexuel vante les mérites de la sincérité (et tous ses dérivés : la franchise, le naturel, l’honnêteté, la spiritualité, l’art, le sentiment, la mélancolie…) : « Il n’y a pas de règles du jeu. Ce que nous vivons, c’est une aventure. » (Billy dans le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver) ; « Je m’apprête à passer des formidables vacances à Rome, j’accepte même de jouer le romantisme indispensable dans cette vieille ville entre deux coïts rapides dans un coin sombre […]» (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 22) ; « Je suis entrée en amour comme d’autres rentrent en religion. » (la voix narrative dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Il y a au fond de lui, comme au fond de tout mystique manqué, une nostalgie de la débauche. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 169) ; « Nicolas allait en boîte comme on va à la messe. […] À 20 ans, infatigable, il traversa dans la débauche un moment de grâce. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 34) ; « Cette nuit, je suis allé dans un lieu dont je n’ose même pas vous parler… eh bien bizarrement, j’ai l’impression qu’Il [Dieu] était là aussi. Comme si aucun lieu ne Lui échappait ! » (Malcolm dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, pp. 120-121) ; « Chui quelqu’un de romantique, de sentimental. » (Fabien Tucci, homosexuel, juste au moment d’avoir un « plan cul » avec son meilleur ami Momo, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « J’ai rencontré le Grand Amour. Comme dans les contes de fée. On s’est trouvés dans un plan à trois. Le coup de foudre. Il m’a fait un vrai festival de Cannes » (idem) ; etc. Par exemple, dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel, le « queutard », se la joue de temps en temps esthète mélomane, nous offrant à l’écran ses rares moments de gratuité et de désert comme des preuves qu’il est quand même, au fond, quelqu’un de profond. En réalité, cette comédie n’a rien d’un repentir ; elle tient davantage du langage du remord orgueilleux qui n’a pas conscience de lui-même et qui s’esthétise narcissiquement que du changement effectif de comportement.
Le libertin homosexuel fictionnel ne supporte pas une chose : c’est qu’on doute de sa SINCÉRITÉ. « Mais nous nous aimons, tout ce que nous avons fait est par amour ! » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977), p. 147) ; « La sincérité est inévitable. » (Madame Garbo dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1998) de Copi) ; « Il me faudra toute une vie pour te prouver ma sincérité. » (Ben à son amant George dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs) ; « Il y a le risque que cette fougue te paraisse insincère, que tu me prennes pour quelqu’un qui se précipite. » (Chris s’adressant à son amant Ernest, dans le roman La Synthèse du Camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 85) ; « C’est la première fois que je mens pas à un mec, en plus. » (Mike, le narrateur homosexuel parlant de sa liaison avec Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « De toute façon avec toi, on ne sait jamais quand tu es sincère et quand tu ne l’es pas, non mais c’est vrai, tu mens tout le temps, à la fin on sait même pas quand tu dis la vérité. Même Léo, qu’est-ce que tu crois, j’ai dû lui expliquer que tu étais Foucaldien, que tu te réinventais sans cesse pour qu’il ne soit pas choqué le jour où il te connaîtrait mieux et où, en deux minutes, il te verrait changer de discours en deux secondes. » (Polly, l’héroïne lesbienne s’adressant à son pote gay Mike, op. cit., p. 119) ; etc. Il rêverait qu’elle maquille parfaitement ses pulsions les plus animales et désordonnées. Cela le met dans une colère noire que sa sincérité puisse le trahir.
Inconsciemment, il se rend compte que la sincérité, si elle n’est pas suivie des actes, est l’instrument d’un enfer humain pavé de bonnes intentions. « Au fait, qu’aimait-elle en moi ? Je perçois bien la sincérité, sinon de sa tendresse, au moins de son désir, et je crains – oui, déjà, je crains – que ce désir seul l’anime. » (Colette, Claudine en ménage (1946), pp. 147-149)
Il y a chez le libertin homosexuel un mépris des sentiments, parce qu’il en est justement trop dépendant, et qu’il est au fond un cœur d’artichaut déçu. « Nicolas songeait que les histoires d’amour n’étaient que mythologie pour midinettes. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 124) Par exemple, dans le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, Lionel vit à travers ses livres, alors que paradoxalement, il dit que la croyance au « Grand Amour » est absurde parce qu’elle ne serait que « de la littérature ». C’est bien parce qu’il est romantique que le héros homosexuel devient un vrai serial baiseur : « Même si on ne voyait pas tellement plus loin que le bout de notre queue, on était au fond très romantiques. » (Michael, le héros homosexuel du roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 41) ; « J’suis un grand romantique… J’attends le prince charmant… » (le protagoniste s’adressant à son partenaire sexuel attaché sur le sling et à qui il fait un fist dans une backroom, dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte) ; « William demandait dans son testament qu’on diffuse la chanson ‘Ah si j’étais un homme, je serais romantique’. » (Liz à propos de Willie « le queutard », dans le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 294) ; etc.
Le libertin homosexuel connaît intellectuellement les pièges dans lesquels il tombe : « Il n’y a que dans les films que l’on rencontre la femme de sa vie dans un train. » (la voix narrative lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 26) Il se protège de son côté fleur bleue pour y retomber inconsciemment : « Je suis d’un romantisme à faire peur. Je me donne des airs de brute épaisse alors que je n’aspire qu’à une rencontre digne d’un Harlequin. » (idem, p. 81) Bercé par son désir d’aimer et sa sincérité, il décide de se rendre imbuvable avec ses amants successifs (instruments expiatoires impuissants de son auto-vengeance !), ou bien de faire n’importe quoi sexuellement, en croyant que sa sincérité « exceptionnelle » va le sauver in extremis : « Alors je deviens odieuse. Je chipote, j’ergote, je pinaille, sans motif valable. Je plaide d’emblée coupable et sollicite la sanction. » (idem, p. 6) En somme, il veut se briser en sa révolte.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Le roman de Choderlos de Laclos inspire beaucoup la communauté homosexuelle :
Cela peut surprendre. Mais dans les faits, le roman Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos est un classique de la littérature homosexuelle, même s’il ne parle pas explicitement d’homosexualité. Par exemple, en 1988, le réalisateur britannique homosexuel Stephen Frears a adapté au cinéma le roman LesLiaisons dangereuses (la fameuse version avec Glenn Close et John Malkovich). Ce n’est pas un hasard si une des plus grandes scènes de travestissement que l’on trouve dans le trio comique des Inconnus soit le sketch des Liaisons vachement dangereuses à la sauce Jean-Claude Vandamme…). Par ailleurs, le chanteur gay Michal (de la Star Academy 3) confesse que l’œuvre de Laclos est son livre de chevet. Autrement, « Liaisons dangereuses » est le titre d’un des chapitres de l’essai L’Homosexualité au cinéma (2007) de Didier Roth-Bettoni (p. 421). Le roman Les Amies d’Héloïse (1990) d’Hélène de Monferrand se veut volontairement une réécriture des Liaisons dangereuses de Laclos. Sinon, dans le générique du film « Bulldog In The Whitehouse » (« Bulldog à la Maison Blanche », 2008), il est signalé en générique d’entrée par le réalisateur Todd Verow que l’intrigue est un remake exact des Liaisons dangereuses, mais à la sauce gay.
Rudolph Valentino
J’ai pu constater que beaucoup de personnes homosexuelles (en général celles qui sont dandys ou au contraire bobos) aiment reconstituer des ambiances libertines dix-huitièmistes : cf. le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » de Cassandre, le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Walking On Broken Glass » d’Annie Lennox, le vidéo-clip de la chanson « What A Girl Wants » de Christina Aguilera, la chorégraphie de la chanson « Vogue » de Madonna au MTV Music Awards en 1990, Annie Lennox en grande Marquise de Merteuil sur son navire fantôme pendant la cérémonie de clôture des J.O. de Londres le 12 août 2012, etc. Par exemple, lors de l’avant-première du film argentin « Plan B » (2010) de Marco Berger au cinéma des Halles de Paris, le 27 juillet 2010, les programmateurs nous annoncent avant la projection que ce film se situe « entre les Liaisons dangereuses et un film de Rohmer ». Dans mon cas personnel, quand je me trouvais encore dans la ville de Rennes, en 2005, j’ai assisté à un raffiné « Dîner Grand Siècle » organisé par le groupe rennais David et Jonathan (avec chandeliers, belles chemises blanches, petits plats dans les grands, et tout le tintouin).
Et par ailleurs, si on regarde les comportements relationnels dans les lieux d’homosociabilité, dans les cercles relationnels homosexuels (si rarement amicaux !), où il ne fait pas bon vivre tellement la drague biaise énormément les rapports, on trouve régulièrement cette ambiance de médisance – on dira « langues de pute » ou « briseuses de couple » – qui rappelle les rituels cruels de courtisans poudrés (cf. la caricature Les artistes pédérastes (1880) d’Heidbrinck).
Dans la pièce-biopic Pour l’amour de Simone (2017) d’Anne-Marie Philipe, il est montré le partage malsain (épistolaire) entre Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui commentent leurs histoires d’« amour » extra-conjugales (y compris homosexuelles) et qui mettent en place leur « théorie des amours contingentes ». Sartre et Beauvoir ont tout des anciens amants Valmont/Merteuil qui jouent, par le libertinage et la pleurnicherie bovaryste, à s’aimer encore. On retrouve chez Simone de Beauvoir ce goût pour la conquête séductrice et ce mépris ascétique et sentimentaliste pour les sentiments : « Pourquoi m’interdirais-je cette sotte sentimentalité ? ». À un moment, elle se moque des attitudes de vierges effarouchées de ses amantes.
Ce n’est pas un hasard que les Liaisons dangereuses et le monde homosexuel se rapprochent étant donné que le donjuanisme mondain appelle de soi au narcissisme à deux (… voire à quatre). D’ailleurs, certains penseurs attribuent parfois une homosexualité latente à la Marquise de Merteuil (vis à vis de Cécile de Volanges) et à Vicomte de Valmont (avec son rival, le chevalier Danceny), ou bien comparent leurs personnages de fiction à ces derniers.
Beaucoup trouvent cette présomption d’homosexualité abusive et « homosexuellement centrée ». Par exemple, dans son essai Queer Critics (2002), François Cusset récuse chez les universitaires de la Queer Theory leur lecture récupératrice et homosexualisante de l’œuvre de Laclos, « leur triangle favori, qu’organiseraient en fait Les Liaisons dangereuses, d’une part le désir de Valmont pour le ferme fessier de son concurrent Danceny, et d’autre part celui de la Merteuil pour la rosée intime de sa petite Volanges » (p. 94). Pourtant, en dehors de toutes considérations essentialistes ou justificatrices d’un amour homosexuel, du point de vue seulement symbolique, cette interprétation n’est pas insensée. La Marquise de Merteuil est décrite non sans raison par Dominique Grisoni comme la « femme macho » (cf. l’article « Le XXe siècle, les preuves des corps » de Dominique Grisoni, dans l’essai La première fois… ou le roman de la virginité perdue à travers les siècles et les continents (1981) de Gilbert Tordjman, p. 70) ; et Valmont a tout de l’homme-mauviette, du Don Juan misogyne et fou de la femme-objet en même temps, du courtisan qui mourra d’avoir voulu plaire à tout le monde et de ne pas avoir su s’engager avec la femme qu’il aime.
À mon avis, il ne faudrait pas juger aussi sévèrement l’empressement de certaines personnes homosexuelles à « homosexualiser » les héros des Liaisons dangereuses, car il ne me paraît pas si abusif ni insensé que cela. Cette identification dit inconsciemment la complexité et la violence du désir homosexuel. Elle est à entendre dans son sens désirant. En effet, je crois que toute personne homosexuelle a un Valmont et une Merteuil dans sa famille (je vous renvoie aux codes « Quatuor » et « Femme et homme en statues de cire » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), est le fruit d’un désamour – voire d’un viol – entre les sexes : « ‘Qui sont tes parents ?’ À 10 ans, j’aurais répondu avec le plus grand sérieux, sans malice, j’aurais répondu mon père est un poète et ma mère est folle. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 151)
b) Le couple homosexuel est explosif, compliqué, et s’organise sous forme de rapport de forces destructeur : beaucoup de personnes homosexuelles appliquent les stratégies de l’accès à l’amour par le mal
La transposition de la structure conjugale homosexuelle sur les Liaisons dangereuses traduit bien l’animosité qui existe dans beaucoup de couples homosexuels réels. Et même dans le « milieu homo ». Par exemple, lors de l’émission On n’est pas couchés de Laurent Ruquier diffusée le 20 octobre 2018 sur la chaîne France 2, le quatuor homosexuel Muriel Robin, Marc-Olivier Fogiel (les deux premiers, lesbien et gay, font une coalition « pro-GPA pour les homos »), Laurent Ruquier et Charles Consigny, s’est écharpé autour de la GPA (Gestation Pour Autrui). La scène est d’une violence homophobe gay friendly difficilement soutenable.
Mais revenons aux couples homosexuels. En général, l’amour homosexuel n’est pas un amour évident, serein, plein, apaisant. C’est même le début des ennuis. Beaucoup de personnes homosexuelles l’avouent d’un air pincé, même si ce n’est pas publicitaire : « Les histoires d’amour gays ne sont pas souvent simples. » (Franck Cnuddle dans l’émission Plus vite que la musique spécial Gay Pride, sur la chaîne M6, 2001) ; « Pour le meilleur et pour le pire. » (Voix-off parlant du « couple » Pierre et Bertrand, dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; etc.
Que ce soit lors de la découverte du désir homosexuel, ou bien dans les premiers instants qui suivent l’émoi amoureux, ou même encore pendant les premiers mois de vie de couple, les complications et les vicissitudes de l’homosexualité apparaissent de manière manifeste : « Depuis que je sors avec des garçons, je parviens de plus en plus mal à contrôler mes émotions. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 161) ; « Depuis bientôt deux semaines, je passe mes journées à envoyer des textos à un garçon qui ne peut pas y répondre. Je suis ridicule. Je suis malvenu. Je suis fou d’amour. Ça fait une éternité que je n’étais pas tombé amoureux. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 96) ; « Celui qui est amoureux à la manière romantique connaît l’expérience de la folie. Or, à ce fou-là, aucun mot moderne n’est aujourd’hui donné, et c’est finalement en cela qu’il se sent fou : aucun langage à voler. » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 87) ; « Des emballements sentimentaux, oui. Une manière très adolescente, et sans doute passablement encombrante, de poursuivre les femmes pour lesquelles elle s’enflammait, assurément. Au point de les faire fuir. […] Certainement très peu de désir. Sauf celui d’aimer. » (Josyane Savigneau parlant de l’écrivaine lesbienne Carson McCullers, dans sa biographie Carson McCullers (1995), p. 99) ; « Pas un jour, tout au long de cette époque, je n’eus de remords ni de soucis. J’étais jeune, j’avais à mes pieds des êtres tout-puissants, riches et auxquels je prodiguais plus d’espoirs que de faveurs. J’agissais instinctivement en courtisane. Chez moi, dans l’appartement que me louait mon ami, du côté de Neuilly, j’organisais de nombreuses réceptions pour me ménager de nouvelles relations : les aventures sentimentales sont, la plupart du temps, de courte durée chez les homosexuels. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 84) ; « Tu es l’homme le plus compliqué de la terre, tu le sais bien. » (Laurent s’adressant à son amant André, avec qui il a vécu pendant 10 ans, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.
Confondant la passion ou la pulsion (« Éros ») avec l’Amour vrai (à savoir la conjonction de l’amour physique « Éros » + de l’amour familial « Storgê » + de l’amour amical « Philia » + de l’amour spirituel et inconditionnel « Agapè »), beaucoup de personnes homosexuelles adoptent fatalement une conception totalitaire et chimique de l’amour. Selon elles, l’Amour s’impose à l’individu de manière naturelle et violente (cf. la croyance au coup de foudre), sans qu’on ne puisse rien maîtriser : « À soixante ans révolus, je ne sais toujours pas grand-chose de l’amour. Je sais seulement qu’il peut fondre sur moi au moment où je m’y attends le moins. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 112)
J’ai remarqué (sans m’exclure en aucune façon du tableau) que le désir homosexuel a tendance à fragiliser les personnes et à les métamorphoser en individus compliqués dès qu’elles pratiquent les actes homosexuels (je vous renvoie au code « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Parfois, la personne homosexuelle ne sait que faire de son compagnon (ou de sa compagne) quand celui-ci/celle-ci adopte un état affectif instable/bipolaire à son contact. Par exemple Vita Sackville-West sentait que Virginia Woolf devenait une « boule de sensibilité » hystérique qui s’attachait à elle de manière malsaine et excessive (cf. l’article « Vivre à travers une femme » de Diane de Margerie, dans le Magazine littéraire, n°275, mars 1990, p. 36). Dans son autobiographie Parce que c’était lui (2005), Roger Stéphane définit sa vie de couple avec Jean-Jacques Rinieri comme « brillante, mondaine, amoureusement agitée » (p. 31). La relation de couple de Benjamin Britten et de son compagnon Peter Pears passait « du désespoir le plus noir aux hystéries de joie » (cf. l’article « Apuntes biográficos » de Benjamin Britten sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Sur le plateau-télé de l’émission « Vie privée, Vie publique » (2007) de Mireille Dumas, le chanteur Dave et son compagnon Patrick Loiseau, en couple depuis des années, n’arrêtent pas de se disputer pour un rien : « Ce qui n’est pas normal, c’est qu’on soit encore ensemble… » ironise Patrick ; il rajoute à propos de son drôle de couple : « On est souvent dans le conflit. » Dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy diffusé dans l’émission Tel Quel sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012, Charlotte et Marion s’engueulent souvent devant les caméras, même si elles veulent donner une image positive de leur couple ; Charlotte dit qu’elle ne supporte pas que Marion dirige sa vie : « Mais laisse-moi ! T’es chiante !! » Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Bernard et Jacques, vivant en couple depuis quelques années, passent leur temps à se chamailler dans la cuisine et à se comparer. Ils se donnent des ordres l’un à l’autre, et Bernard manipule Jacques comme il veut. Toujours dans le même reportage, Thérèse, une femme lesbienne de 70 ans, raconte qu’elle a vécu une « passion » avec Emmanuelle, de 27 ans sa benjamine, passion destructrice dans laquelle Thérèse avoue avoir été excessive.
Ce qui est bizarre dans l’amour homosexuel, c’est qu’il ressemble à un mélange de sentiments antinomiques. « Je l’aimais par haine. » (Jean Genet cité la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 147) Dans son essai L’Amour qui ose dire son nom (2001), Dominique Fernandez parle d’un « amour-haine », d’un « amour maudit » (p. 135). Dans son fameux Tristes Tropiques (1956), Claude Lévi-Strauss nous rappelle que les Indiens Nambikwara surnomment poétiquement l’amour homosexuel « l’amour-mensonge ».
On dirait que les deux partenaires du couple homosexuel ne semblent pas assez mal pour se séparer, et pas assez bien pour rester ensemble. Mais comme chacun d’eux n’a pas la force de briser sa croyance en la supposée « beauté de l’amour homosexuel », il fait alors intervenir le mensonge et la terreur (on l’appelle aussi jalousie) pour que sa tour d’amour tienne coûte que coûte, pour colmater les brèches. La rigidité et l’inconstance deviennent les ciments fragiles d’un désir homosexuel qui n’est fondé ni sur le Réel ni sur l’Amour simple et pacifié. Bien souvent, le couple homosexuel ressemble à un bras de fer (je vous renvoie à cet article sur la violence dans les unions homos, au code « Adeptes des pratiques SM » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), une danse où les partenaires ne se laissent pas bien guider et conduire. « On se disputait tout le temps la dernière année. » (André s’adressant à son amant Laurent, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Son attitude était tellement bizarre qu’elle m’attirait mais, en même temps, elle commençait à me faire peur, et je ne tenais pas à rester seule avec elle. » (Laura, 34 ans, en parlant de sa compagne Laurence, 40 ans, dans le recueil de témoignages Le Livre des rencontres (2002) réunis par Michel Field et Julie Cléau, p. 227) ; « Dans le rapport homosexuel, il va y avoir un rapport de forces qui va s’établir… un rapport de forces qu’il faut essayer d’éviter. Mais entre deux hommes ou entre deux femmes, à cause du conditionnement qui nous entoure, il y a un rapport d’autorité, de domination, de possession qui essaie de s’exercer. Et c’est là qu’il faut suffisamment d’amour pour éviter ce rapport de possesseur à possédé. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « Mes amours étaient ce rayon de soleil. Elles étaient idéalisées à l’extrême. Elles ressemblaient à ses passions soudaines que l’on éprouve dans l’enfance, violentes et sans lendemain. Carpe Diem. […] Mais trop souvent, mes désirs se sont heurtés au mur apparemment inaltérable de la volonté d’autrui. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 72) ; « Chaque nuit d’amour était une revanche qui se suffisait à elle-même. La jouissance de mon amante me vengeait de celles et ceux qui n’avaient joui de moi qu’à mon insu. » (idem, p. 73) ; « J’étais effrayée par le plaisir des femmes que j’aimais. Je craignais toujours de ne pas les voir revenir de ces contrées sauvages où je ne les accompagnais pas. Et quand elles en revenaient, mystérieuses, je n’étais jamais certaine qu’elles n’allaient pas fondre sur moi comme des rapaces sur leur proie à la première minute d’inattention. Je me disais que trop d’amour pouvait les rendre folles et pas assez, inaccessibles. Alors je louvoyais entre mon désir d’elles et mon envie de fuir. J’avais l’amour possessif, tyrannique, même. Puis je disparaissais au moindre reproche. Le plus petit malentendu me rejetait dans ma solitude sans fond. » (idem, p.73) ; « Je n’ai plus de temps à consacrer à mes amours. Ce que je veux, c’est du sexe. Non, je ne dis pas cela, elle n’aimerait pas, je lui dis : – Se rencontrer de temps en temps et passer d’agréables moments. – Il n’y a pas de passion entre nous, constate-t-elle, déçue. Je lui réponds que ce n’est pas ce que je recherche. » (idem, p. 174) ; « Je ne suis pas loin de croire que je n’ai aimé G. que ‘pour ça’. » (idem, p. 184) ; « Il y a, trop profondément ancré en moi, le plaisir de la soumission. » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 118) ; « Ce génie pour la découverte de formes absurdes, tragi-comiques de l’art théâtral fonctionnait comme une sorte de baume qui cicatrisait les blessures causées par ces rencontres violentes. » (Alfredo Arias parlant de l’homme transsexuel M to F Coco, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 16) ; « Quand je suis avec ma copine, je suis à la fois heureuse et inquiète. » (Amina, jeune femme de 20 ans, lesbienne, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; « C’est dans un contexte de rivalité aiguë qu’apparaît l’homosexualité. » (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), p. 469) ; etc. « Pour le psychanalyste Alfred Adler, la tendance à la dépréciation du partenaire, généralement normal, ne manque jamais. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 197)
Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), le romancier Abdellah Taïa associe directement l’amour homosexuel à la possession et à la jalousie : « Je sais que l’amour est une chose qui nous dépasse. Je sais que l’amour est jalousie. Maladie. Je l’ai lu dans les livres. » (p. 116) ; « Slimane est la jalousie même. » (Taïa parlant de son compagnon, idem, p. 106)
Quand on regarde par exemple le « couple » d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé, on est vite frappé de constater sa violence, et le rapport de domination/soumission est minutieusement réglé : « Entre Yves et moi, les rôles ont toujours été bien définis, dans tous les domaines, y compris sexuel. Personne n’est rentré dans le domaine de l’autre. » (Pierre Bergé dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton). D’ailleurs, Betty Catroux, une amie proche des deux hommes, déclare que c’était un couple « avec beaucoup de drames, d’histoires, énormément théâtrale ». Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on voit d’ailleurs de grandes engueulades, avec Yves qui balance des statues à la gueule de Pierre (« Espèce de raté ! T’es un parasite ! ») parce qu’il en a assez de la main mise de Pierre sur lui. Et c’est sûr que Pierre a l’air de le mener à la baguette, de l’humilier (pendant certaines interviews, il lui coupe la parole : « Si c’est pour dire des conneries pareilles… »), d’agir comme un « nerveux » (« T’aboies tout le temps. » lui reproche notamment Victoire).
L’amour homosexuel est une liaison dangereuse car il peut aller jusqu’au meurtre et au viol : « On aime pour détruire et on détruit pour aimer. Alors ce n’est qu’en détruisant ce qu’on aime que l’amour renaît plus pur. » (Luis Cernuda cité dans la biographie Luis Cernuda En Su Sombra (2003) d’Armando López Castro, p. 44) ; « Lorsqu’un homosexuel passif éprouve le besoin de tuer celui auquel il s’est précédemment offert, c’est là une manifestation double de ses sentiments invertis. […] Chez certains invertis, dont les aventures sont purement sexuelles, se produit très souvent ce renversement de sentiments : la soumission fait place à la haine ; une apparence de jeu cache une rivalité : c’est à qui dominera l’autre – le châtrera. Le fameux crime du cabaret Le Poisson d’Or, survenu à Montmartre avant la guerre, en est un exemple classique : un pédéraste, jusqu’alors passif, tua son partenaire et lui tranchera le verge. Quoique ces rôles d’activité et de sa passivité se renversent fréquemment chez les invertis de sexe mâle, il n’en reste pas moins dans chaque acte la naissance de la haine qui se résout souvent par le crime. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 260) ; « Ils se sont rapprochés de moi en se masturbant. J’étais allongé sur le dos au milieu du lit bleu. J’ai fermé les yeux et j’ai essayé de m’imaginer encore une fois à la piscine, l’eau, le chlore, le plongeoir, la paix, le luxe. Un rêve impossible à l’époque. Je nageais mais dans la peur. Je tremblais, à l’intérieur. Je ne voyais plus les garçons sauvages mais je les sentais venir, se rapprocher de mon corps, le renifler et le lécher. Dans un instant le violenter, l’un après l’autre le saigner. Le marquer. Lui retirer une de ses dernières fiertés. Le briser. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 25) ; « Très vite ses crises reprirent et empirèrent, alimentées sans cesse par mes multiples activités donnant prise à sa jalousie maladive. Il en arrivait à menacer mes parents. […] La nuit, dans l’intimité, il laissait toujours son revolver bien en évidence. Je le priais de le ranger, mais il me répondait : ‘C’est pour que tu te rappelles qui je suis.’ Notre relation devenait invivable. » (Denis Daniel à propos d’un de ses amants, dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 98) ; « Le couple commençait à se chamailler : des regards, des non-dits qui en disaient long ! Pierre était de plus en plus nerveux. Quant à Saïd, il était de plus en plus triste. » (idem, p. 110) ; « Autre effacement : l’histoire officielle, en vigueur encore aujourd’hui dans la plupart des livres d’histoire, nous dit que l’attentat du 7 novembre 1938 qui a coûté la vie au secrétaire de l’ambassade allemande à Paris, vom Rath, a été commis par un jeune Juif, Herschel Grynszpan, qui voulait venger le sort cruel qui était fait à sa famille en Allemagne sous la férule nazie. Cet attentat d’un juif contre un fonctionnaire allemand allait servir de prétexte aux persécutions de la ‘Nuit de cristal’. Or, on sait maintenant, au moins depuis quarante ans, par les confidences d’André Gide à Maria Van Rysselberghe, qu’il s’agissait en fait d’un crime homosexuel, Rath et Grynszpan étant amants, après s’être rencontrés dans les cruising bars de Pigalle que fréquentait le même Gide. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 20) ; etc.
La dangereuse Lorelei dans le film « Kaboom » de Gregg Araki
Le cortège des couples homosexuels qui s’entretuent et se maltraitent est ahurissant (et la liste n’est pas exhaustive ! Je ne peux citer que les cas connus et que quelques statistiques : selon l’association AGIR, 11% des hommes gays et des femmes lesbiennes et 20% des personnes bisexuels, ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale au cours de l’année 2013). Par exemple, Alfred Douglas a exercé l’outing et le chantage sur son amant Oscar Wilde. Kenneth Halliwell tue son amant Joe Orton après 14 ans de vie commune, puis se suicide. Alain Pacadis, qui avait tenté de se suicider en 1982, meurt étranglé, le 11 décembre 1986, par son compagnon, âgé de 20 ans, qui voulait, dira-t-il à la police, le « délivrer de son désespoir ». Jean-Claude Poulet-Dachary, homosexuel et chef de cabinet du nouveau maire Front-National de Toulon, est assassiné le 29 août 1995 ; le FN local y voit un crime politique ; on découvre en 1999 que l’assassin n’était autre qu’un ancien amant. L’assassinat de Jean Sénac est autant un crime politique qu’un crime passionnel : Sénac a laissé entrer son assassin chez lui car il le connaissait (cf. le documentaire « Jean Sénac, le forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika) : c’était l’un de ses amants. En 1949, à Madrid, un homme homosexuel nommé « La Eva » tue son jeune amant qui refuse ses avances (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 73). La nuit du 29 mai 1998, toujours en Espagne, une femme, Carmen, demande à sa compagne Isabel de la tuer (idem, p. 291). En juillet 1873, à Bruxelles, Paul Verlaine tire au revolver sur Arthur Rimbaud et le blesse. Dans le documentaire « The Execution Of Wanda Jean » (2002) de Liz Garbus, la femme lesbienne Wanda Jean est condamnée à mort et exécutée en 2001 pour avoir tué son amie. Dans les années 1960, Pierre Meyer est retrouvé mort entièrement nu dans une chambre d’hôtel à Rouen : lui et un camarade se livraient à des ébats sexuels lorsqu’il succomba à une overdose. Le roman L’Increvable Monsieur Schneck (2007) de Colombe Schneck (racontant qu’un homme a découpé en plusieurs morceaux son amant et l’a trimballé dans différentes valises à travers la France) est basée sur des faits réels. Je vous renvoie bien sûr aux codes « Coït homosexuel = viol », « Violeur homosexuel », et « Homosexuel homophobe », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
Dans son essai Le Deuxième Sexe (1949), Simone de Beauvoir rappelle les « violences inouïes » qu’exercent les amantes lesbiennes entre elles : « Les femmes entre elles sont impitoyables. […] Entre deux amies, il y a surenchère de larmes et de convulsions. » Je voudrais également faire mention du phénomène accru de la violence conjugale entre filles dans les couples lesbiens, car elle est bien plus courante qu’on ne l’imagine.
Certains défenseurs invétérés de l’amour homosexuel me diront certainement que je généralise trop, que je noircis le tableau, que le type de relations que je dépeins correspond aux couples typiques du Marais ou aux « exceptions d’homosexuels », et non aux couples homosexuels « durables et heureux » classiques. Alors je persiste et signe en affirmant que le fonctionnement dangereux du désir homosexuel touche universellement tous les couples homosexuels que j’ai rencontrés jusqu’à maintenant, y compris les unions « clean et durables ». Et jusqu’à ce jour, je n’ai jamais vu de couple d’amis qui m’a fait positivement changé d’avis, même s’il y a assurément des unions homos qui se débrouillent mieux que d’autres (et parfois même mieux que des couples femme-homme).
c) Le paradoxe du libertin, à la fois ascétique et obsédé par le sexe, tout cela à cause de sa sincérité :
c) 1) Pseudo-ascèse :
Aussi bizarre que cela puisse paraître, les personnes homosexuelles qui s’identifient (inconsciemment ?) au Vicomte de Valmont et à la Marquise de Merteuil, même si elles agissent pour détruire et multiplient les conquêtes sexuelles, sont tellement obsédées par leur image (et donc leurs intentions), qu’elles ont tendance à se persuader qu’elles sont encore pures et ascétiques après la débauche. Elles ont une réputation à parfaire ! des illusions d’amour à sauver, ne serait-ce que par optimisme et survie ! une mission angéliste interplanétaire à défendre ! (je vous renvoie au code « Amoureux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels)
C’est pourquoi, certaines personnes homosexuelles se présentent comme des anges asexués, des êtres ascétiques (même si, en acte, elles ne vivent pas du tout l’abstinence), comme de « simples amoureuses » : « Je ne suis pas sexuelle. » (l’actrice bisexuelle Maïk Darah, lors de la conférence « Est-ce que j’ai une tête de quota ? » au Théâtre du Temps à Paris, le 11 octobre 2011) ; « Je ne suis pas fait pour la fête. Je ne bois pas. Je ne fume pas. Je suis calviniste sans être protestant. Je ne couchais pas avec Jacques de Bascher. C’était un amour absolu. » (Karl Lagerfeld dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; « Avec ma première petite amie, je n’ai pas eu de relation sexuelle. C’était un amour platonique. Elle disait qu’on faisait quelque chose de très laid. » (Mària Takàcs, la réalisatrice hongroise lesbienne, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; « Les gens pensent que c’est de l’érotisme mais c’est stupide. C’est profondément religieux. » (Edwarda face au tableau de la jeune fille à la salle de bain de Balthus, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; « Je ne vous dis pas qu’on va vivre quelque chose ensemble. On s’en fout. L’important, c’est d’imaginer. » (Celia, la conservatrice de musées séduisant Bertrand, idem) ; etc.
Dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2, le couple Pierre/Bertrand a mis le génital avant l’amour : « Avec les pédés c’est comme ça. C’est d’abord le cul et après les sentiments. » se justifie Bertrand. « On est passés du désirable au aimable. » (Bertrand) Et même quand ils vont voir ailleurs, ils estiment qu’ils ne se trompent pas. « Pour moi les histoires de sexe n’ont jamais été des histoires de sexe. » (Pierre) ; « Leur fidélité n’est pas sexuelle. Leur infidélité n’est pas synonyme de trahison. » (Voix-off) ; « Nous pratiquons le no-sex. C’est pour ça que j’autorise mon mari à aller voir ailleurs. » (Pierre)
Par exemple, dans son film « La Vie d’Adèle » (2013), le réalisateur Abdellatif Kechiche veut faire croire aux spectateurs qu’Emma et Adèle sont patientes, ont la sagesse de ne pas s’embrasser sur la bouche dès leur deuxième rencontre, et que cette mesure prouverait l’authenticité de leur « amour ». Dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh est diffusée la croyance qu’un « plan cul » peut inaugurer une solide histoire d’amour : « Un vendredi soir après une fête chez ses amis hétéros, Russell finit dans un club gay. Juste avant la fermeture, il drague Glen, et ce qu’il croit être juste l’aventure d’un soir devient autre chose, quelque chose de spécial. » (cf. la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, au Forum des Images de Paris, le 7-16 octobre 2011) Même tentative avec le film « Spring » (2011) de Hong Khaou : « Un jeune homme rencontre un étranger pour un plan sexe, une expérience qui va le changer à jamais… » (cf. le résumé sur la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris)
Mais ne nous fions pas aux apparences. Ce discours queerisant actuel cache dans les faits un mépris des corps, de la sexualité, et de l’Amour, ce Dernier étant considéré comme une maladie. « L’amour, cette lumière dont on ne peut guérir » (Jean Sénac dans le documentaire « Jean Sénac, le forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika) Par rapport au roman La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, Kurt Hiller lui a seulement reproché que « l’amour pour un garçon soit diagnostiqué comme un symptôme de décadence et décrit presque comme le choléra » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 122). Je vous renvoie aux nombreuses publicités de lutte contre le Sida, qui sacralisent à leur insu la correspondance entre Amour et virus dangereux.
Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, Lea Delaria, femme lesbienne, dit qu’elle est fan de l’actrice Sigourney Weaver jouant Ellen Ripley dans le film « Alien », parce qu’elle s’y identifie. Mais lorsque dans le scénario de la série de film, l’héroïne finit par coucher avec des mecs, la déception arrive : « J’étais dégoûtée qu’elle couche avec des hommes. J’étais dégoûtée qu’elle couche tout court ! »
En 1908, Weindel et Fischer distinguent deux catégories d’individus homosexuels : les sensuels « qui vont au commerce de la chair », d’une part, et d’autre part, les intellectuels qui se limitent, en l’accompagnant de caresses sans doute, « au contact de l’esprit ». « Ceux-là par haine ou fatigue du sexe peuvent devenir des abstinents, mais des abstinents aux gestes déréglés, aux passions désaxées, aux sentiments dévoyés. » D’où « un lyrisme exaspéré par l’abstinence sexuelle » (pp. 9-10).
Au bout du compte, le libertin homosexuel est un désabusé de l’Amour (ou de ce qu’il croit être de l’Amour) : « Elle en fait des dégâts dans nos vies, cette rage de l’amour-toujours qu’on nous a fourrée dans le crâne quand nous étions petites ! » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 112) ; « Pour la plupart d’entre nous, être aimé est insupportable. » (Carson McCullers citée dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 100)
c) 2) Le libertinage au nom des bonnes intentions :
La comédie de l’ascétisme et du raffinement ne dure généralement pas longtemps chez le libertin homosexuel. Elle n’est qu’un vernis qu’il applique sur ses actions pour s’auto-persuader qu’il « agit mal mais quand même pas aussi mal que les autres ».
Les pratiques libertines des « sages et pieux » individus homosexuels ne sont pas qu’un mythe. Par exemple, au cours de sa vie, l’écrivain espagnol Antonio de Hoyos passait insensiblement des clubs chics aux lieux sordides de prostitution de Madrid. Quant à Antonio Toig, après avoir été carmélite, il traîna dans les parcs de Londres (Hyde Park). Au départ, Alberto Cardín allait rentrer dans un ordre religieux ; il finit par fréquenter des salles obscures. Ernesto Jiménez, après avoir été un prêtre très prude, est un client régulier des saunas. On décèle la même dichotomie quand on découvre que des grands intellectuels tels que Roland Barthes, Yukio Mishima, Marcel Proust, ou Michel Foucault, allaient dans les backrooms, pratiquaient le sado-masochisme, ou tenaient des maisons closes.
D’ailleurs, beaucoup de sujets homosexuels ont tendance à se caricaturer eux-mêmes en libertin, en « grande salope » qui ne fait que des blagues en dessous de la ceinture, à se définir uniquement par leurs vils instincts et leurs actes génitaux peu glorieux, pour s’abriter dans l’auto-parodie, et pour surtout ne jamais changer de comportement : « Je ne pense décidément qu’au cul. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 40) ; « Je je suis libertine. Je suis une catin ! » (cf. la chanson-phare de Mylène Farmer, « Libertine »)
Loin de moi de penser cependant que toute personne homosexuelle est une libertine en puissance (cette tendance soulignée ne s’applique qu’aux sujets homosexuels pratiquants), ni de tout acte génital homosexuel une partie de jambes en l’air, un vulgaire défouloir pulsionnel, une victoire affligeante des instincts. Je vais plus loin ! Je dis que le passage à l’acte homosexuel est une victoire ET des pulsions ET des intentions ascétiques. Une religiosité puante et hypocrite. « J’étais au bordel comme au cloître. » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 41)
Une intuition ne m’a jamais quitté depuis que je fréquente les établissements homosexuels et mes jumeaux d’orientation sexuelle. Derrière l’imparfaite actualisation humaine de l’ascétique Merteuil se cache la « bite sur pattes » de Valmont. Et inversement : derrière le gogo dancer ou le geek se cache un grand idéaliste, un esthète qui se croit sobre et sincèrement aimant, un être sensible qui recherche la pureté dans la débauche. Le désir homosexuel, parce qu’il fonctionne en dents de scie, qu’il est pour et contre lui-même, et qu’il naît de l’écartèlement entre intentions et Réalité, permet ce genre de consanguinités bizarres.
Le libertin homosexuel insiste beaucoup trop sur son « désir d’aimer » pour aimer véritablement en acte, pour se reconnaître tel qu’il est : « Il y a une grande sincérité dans le parcours transsexuel. » (Jihan Ferjan juste avant la projection du film « Trannymals Go To Court » (2007) de Dylan Vade) ; « J’avais envie d’aimer. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 38) ; etc.
Il y a dans l’amour homosexuel un paradoxe entre fond et forme, entre désir et acte, entre sincérité et Vérité, qu’on peut observer dans la société toute entière avec les « injonctions paradoxales », énoncées par exemple dans les publicités ou les slogans politiques (« Il est interdit d’interdire ! » ; « Silence !!! » ; « Sois tolérant ! », etc.) : « Au fond, depuis l’adolescence, je suis déchiré entre mon rêve romantique et mes fantasmes parfois avilissants. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 46)
La stratégie du libertin homosexuel se veut anti-stratégique, d’un naturel pur et irréprochable. Le Valmont homosexuel vante les mérites de la sincérité (et tous ses dérivés : la franchise, le naturel, l’honnêteté, la spiritualité, l’art, le sentiment, la mélancolie…). Pour moi, il n’y a absolument pas lieu de dissocier de manière binaire et manichéenne les individus homosexuels pratiquants soi-disant « sages », « mesurés », « romantiques », « sincères », des « victimes d’amour », des individus homosexuels pratiquants soi-disant « sans cœur », « queutards », « menteurs », « bourreaux des cœurs ». Pour moi, ils sont une seule et même personne. « Rassurez-vous : mes nombreux partenaires, loin d’être les proies innocentes d’un jeu cruel que je serais seul à maîtriser, selon mon bon vouloir, font exactement la même chose de leur côté, avec la même grille d’analyse, tout aussi sectaire, déshumanisée et implacable. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 227) ; « Il a toujours cru à ce rythme grec, la succession de l’Ascèse et de la Fête. » (Roland Barthes en parlant de lui-même à la troisième personne, dans son autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 138) ; « J’ai comme deux personnalités : le bon petit gars d’un côté, l’obsédé de l’autre. » (Bruno, un garçon bisexuel de 25 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 206) ; « Je suis sentimental et vicieux. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 93) ; « Carson McCullers a horreur du sexe, et pourtant il est constamment présent dans ses livres. » (Jean-Pierre Joecker parlant de l’écrivaine McCullers dans la revue Masques, printemps 1984) ; « Je suis toujours surpris par le nombre de filles qui croient encore au grand amour, tendance fleur bleue et prince charmant. Il est fréquent que je console des filles effondrées, folles amoureuses d’un garçon qui les a larguées. » (Père Jean-Philippe, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 249) ; etc.
Dans la démarche nostalgique du libertin homosexuel, on ne lit pas que de la mélancolie laconique, ou une contemplation morbide de soi, mais aussi un contentement narcissique et « optimiste », une sorte de « Malgré tout, j’ai aimé… » qui maintient despotiquement l’amant dans la carte postale : « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales ?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprèsd’elle ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 164)
Le libertin homosexuel ne supporte pas une chose : c’est qu’on doute de sa SINCÉRITÉ. Il rêverait qu’elle maquille parfaitement ses pulsions les plus animales et désordonnées. Cela le met dans une colère noire que sa sincérité puisse le trahir. C’est bien parce que l’usage amoureux de la sincérité peut cautionner les plus bas instincts humains que beaucoup d’auteurs homosexuels récriminent contre elle : « Que cette question de la sincérité est irritante ! Sincérité ! » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), p. 84) ; « Un peu de sincérité est dangereux, beaucoup de sincérité est fatal. » (Oscar Wilde) ; « Quand Lulu m’écrivait des lettres brûlantes, que je viens de classer comme on classe une affaire, il était d’une sincérité absolue. Son silence aujourd’hui les rend caduques. À quoi servent des mots tendres empilés dans une boîte en carton ? Tous les Lulu se ressemblent. Je reste stoïque face à la fatalité. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), pp. 161-162)
Inconsciemment, le libertin homosexuel se rend compte que la sincérité, si elle n’est pas suivie des actes, est l’instrument d’un enfer humain pavé de bonnes intentions. « Les Liaisons dangereuses désigneraient le bien par le détour du mal. » (cf. l’article « Laclos moraliste » de Marguerite Buffard, dans l’ouvrage collectif Analyses et réflexions sur Les Liaisons dangereuses de Laclos (1991) dirigé par Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos, p. 65) ; « J’aime bien détester. Ça réveille. » (Catherine dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc.
Il y a chez le libertin homosexuel un mépris des sentiments (Valmont et Merteuil, dans les Liaisons dangereuses, se rient justement de ceux qu’ils appellent « les sentimentaires », ceux qui ont la naïveté de croire en l’amour et de se laisser aller à leurs sentiments), parce qu’il en est justement trop dépendant, et qu’il est au fond un cœur d’artichaut déçu. « Bon, évitons de la jouer mélodramatique. » (André à Laurent au moment du départ, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) C’est bien parce qu’il est romantique qu’il devient un vrai serial baiseur désinvolte.
Le libertin homosexuel connaît intellectuellement les pièges dans lesquels il tombe (la mièvrerie, la facilité du « plan cul », l’épanchement face à la tendresse et aux mots d’amour, le bien-être des massages, etc.) Il se protège de son côté fleur bleue pour y retomber inconsciemment. Bercé par son désir d’aimer et sa sincérité, il décide de se rendre imbuvable avec ses amants successifs (instruments expiatoires impuissants de son auto-vengeance !), ou bien de faire n’importe quoi sexuellement, en croyant que sa sincérité « exceptionnelle » va le sauver in extremis. En somme, il veut se briser en sa révolte. Mourir de frustration.
Les frustrés sexuels, contrairement à l’idée communément admise dans notre société actuelle, ne sont pas uniquement du côté des faux ascètes qui diabolisent les plaisirs sexuels. Comme l’expliquent à juste titre Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner dans leur essai Le Nouveau désordre amoureux (1977), ils font aussi partie des libertins qui enchaînent les « plans cul » parce que justement ils n’arrivent pas à combler leur soif d’amour. « À qui décerner la palme du meilleur censeur – aux puritains qui répriment les plaisirs du corps ou aux hédonistes qui ne libèrent jamais que le corps masculin ? » (p. 85) ; « L’idéal de l’épanouissement succède à celui de l’ascétisme. » (idem, p. 361)
3 – ARRÊT SUR IMAGE :
PAULA MERTEUIL
Paula Dumont (Valmont?)
Suite à ma critique (« Merteuil chez Sappho ») de son autobiographie Mauvais Genre sur le site Nonfiction en 2010, l’écrivaine Paula Dumont en personne m’a félicité pour mon article par un court mail personnel, daté du 23 août 2010 (qu’elle désavouerait certainement aujourd’hui depuis qu’elle a découvert que je suis catho… Tristesse de l’anti-catholicisme primaire) : « Cher Philippe, Je viens de prendre connaissance, tout à fait par hasard, de votre article. J’ai l’impression que vous me connaissez mieux que je ne me connais moi-même ! Merci de faire preuve de tant d’intérêt pour mes écrits. Amicalement, Paula. » Je vais retranscrire ce portrait ici pour vous montrer combien le commun des personnes homosexuelles pratiquantes sont des répliques comportementales de Valmont et Merteuil, quand bien même la plupart se croie sans le sous, ne vive plus dans des salons du XVIIIe, fréquente parfois assidûment le monde associatif militant LGBT, soit engagée sincèrement dans une relation d’amour.
La simulation de self control chez Merteuil
L’autobiographie La Vie dure (2010) de Paula Dumont constitue à mon sens une mine d’or pour comprendre comment nous fonctionnons tous quand nous nous jetons à corps perdu dans l’amour homosexuel sans lui reconnaître toutes ses limites : nous devenons complexes, paradoxaux, fragiles. Paula Dumont, comme beaucoup de femmes lesbiennes, me fait penser au personnage admirable et souffrant de la Marquise de Merteuil, du roman épistolaireLesLiaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos, présentée non sans raison par certains critiques comme l’archétype de « la » lesbienne, celle qui se fait piéger en amour par sa sincérité, son intellect, et son self-control. La célèbre courtisane semble apparemment un modèle d’ascèse, de savoir-vivre, de maîtrise de soi, de sérieux et d’intelligence, dans sa gestion des histoires amoureuses. Elle est loin d’être bête et rustre, cette « consciencieuse prof de Lettres qui a passé sa vie à compulser des dictionnaires » (p. 136). Elle écrit de belles missives, tantôt pour elle, tantôt pour les autres. Elle calcule tout. Elle croit qu’elle va créer l’amour par elle-même, à bout de bras et à coup de volonté (« Je n’arrivais pas à prendre au sérieux cette peur de l’amour et du désir sur laquelle elle [Catherine] revenait sans cesse et il me semblait, tant l’amour peut rendre présomptueux, que j’en viendrais facilement à bout. » idem, p. 53). Elle trouve son plaisir dans l’introspection, l’analyse littéraire, l’écriture analytique (même si elle se méfie chez les autres des analyses « psychololos »). Elle fuit la niaiserie et la naïveté comme une peste. Pour elle, la naïveté est une hérésie, une faute de goût terrible : être prise en flagrant délit de naïveté, c’est le summum de la honte, surtout quand on se revendique, comme elle, Sainte Gardienne de la Franchise et de la Maîtrise, et que l’on adopte une « vision de l’existence où la fidélité à soi-même et la recherche de l’épanouissement personnel sont primordiaux » (idem, p. 40). Et si cet excès de maîtrise, ce refus du lâcher-prise, pour aimer pourtant, l’empêchaient/nous empêchait d’aimer, finalement ? On peut se poser la question…
Sa technique de drague se veut moins grossière que celle du débauché à la recherche d’un simple « plan cul », car elle désire, parce que son code moral d’esthète surdouée l’exige, faire l’amour… mais pas aussi naïvement que tout le monde. Elle n’est pas « tout le monde » ! Elle ne ressemble pas au commun des « pauvres femmes » qui sont assez aveugles pour rester« stupidement hétérosexuelles toute leur vie » (idem, p. 178). Elle ne joue pas dans la même cour que la majorité des femmes lesbiennes. Non ! Elle, elle ne baise pas que pour le sexe, ni pour des idéaux d’amour mièvres (… même si dans les faits, ça finit quand même par être parfois le cas). Le fin’ amor est un art dont elle serait une des rares personnes à détenir les clés. « Ah la littérature ! Quelle invention géniale pour séduire les femmes ! […] Quels ravages je vais faire auprès des jeunes goudous, à cent ans, quand mon talent sera enfin reconnu ! » (idem, p. 176) La libertine homosexuelle ne rate pas une occasion pour « éblouir par sa culture » (idem, p. 225) et par ses lettres la prétendante qu’elle se sera choisie.
Merteuil est aussi une conquérante, en lutte contre son propre sexe (« Qu’en était-il des autres, asservies à leur mari et à leurs enfants, sans ressources personnelles, sans voiture, sans autre nourriture spirituelle que Marie-Claire, Elle ou Femme d’Aujourd’hui ? Bonne Déesse, quel obscurantisme ! », idem, p. 242), en lutte contre les êtres du sexe « opposé », et contre la sexualité en général : par exemple, elle ne se reconnaît pas dans la tiédeur de ses consœurs lesbiennes qui, à son goût, ne s’engagent pas assez pour la « Cause lesbienne » (« Pauvres femmes, pauvres goudous, chacune dans votre loin, au mieux avec votre chère et tendre, au pire seule et désespérée, ce n’est pas demain la veille que vous comprendrez que la sororité est vitale pour les goudous encore plus que pour les hétérottes. », idem, p. 221) ; et son but est de renverser la « millénariste » domination masculine patriarcale, bien que ce soit une bataille annoncée comme perdue d’avance : « Même quand elles ont fait de longues études et qu’elles ont bénéficié d’une formation sérieuse, les femmes n’ont rien de plus pressé que de se coller à mi-temps dès qu’elles ont un boulot ! Les institutrices que je forme font comme ça dès qu’elles sont titulaires de leur poste… Avec une mentalité pareille, ce n’est pas demain qu’on va prendre en main les commandes de la planète ! » (idem, p. 235)
La technique de drague de l’ascétique Marquise passe généralement par la victimisation, la pitié, et la stratégie de la folle perdue. Paula Merteuil se présente d’office comme fragile ou comme une oubliée de l’amour, pour apitoyer sa proie : « À 18 ans, je me suis repliée sur moi-même, et j’ai abandonné jusqu’à la simple idée qu’on puisse m’aimer d’amour. » (idem, p. 19) Avec son air de chien battu, elle demande à sa compagne du moment de lui faire le plaisir de lui prouver qu’elle vaut encore quelque chose en acceptant de sortir avec une « maudite d’amour » comme elle. On observe une forme de victimisation, de chantage aux sentiments stratégique de la libertine homosexuelle qui se croit la seule à aimer bien, à fond, en vérité, à 100%, contrairement à ses amantes de passage qui n’ont/auraient pas « joué le jeu » de l’amour jusqu’au bout, qui n’ont/n’auraient pas su l’aimer comme elle les a/aurait aimées d’un cœur entier, sacrificiel, pur, gratuit, limite ascétique et platonique. Dans La Vie dure, on assiste à ce genre de plaintes, pas du tout ridicules puisque sincères : « Lui dirais-je combien j’avais pu, adolescente, me sentir infirme, monstrueuse, vouée à jamais à la solitude quand je m’éprenais d’une fille de mon âge ? » (Paula à son amante Catherine, idem, p. 42)
La libertine homosexuelle recherche ce partage amoureux dans la souffrance, tout en le trouvant intellectuellement insupportable. Il déplore que son bonheur doive passer par le malheur. Elle sait bien au fond que les êtres humains ne peuvent pas aimer uniquement sous prétexte qu’ils détestent ensemble, qu’ils pleurent ensemble, ou pour combler une solitude mutuelle. Elle connaît par cœur la mise en scène mélancolique de l’amour homosexuel, mais la blâme/parodie surtout chez les autres. En revanche, quand elle-même devient théâtrale en amour, elle ne s’en aperçoit généralement pas. Au contraire, elle mord à l’hameçon de sa propre sincérité. Elle tombe mal amoureuse en croyant être folle d’amour, parce qu’elle se persuade que dans ses différentes liaisons sentimentales, elle est la seule à aimer véritablement comme il faut. Dans la distance, elle enjolive et pleure une relation avec une regrettée amante qu’en réalité elle n’aurait jamais aimée si celle-ci avait été accessible et vivante (c’est le cas avec Catherine dans La Vie dure). Elle est prête à se priver d’aimer, et même à considérer ses futures conquêtes amoureuses comme des objets de vengeance et d’expiation de ce cruel coup du sort qu’elle ne veut surtout jamais digérer, plutôt que de regarder la réalité en face : elle tient à son malheur et à son amour désincarné plus qu’à l’amour concret qu’elle chante pourtant à tue-tête. La libertine homosexuelle se convainc que l’amour vrai ne peut pas se dissocier de la souffrance et de la mort. Pour elle, la véritable passion se trouve dans la tyrannie doucereuse. Elle définit l’amour comme une force incontrôlable qui soumet et assigne un destin de despote ou de martyr. Elle rêve d’être possédée par l’amour, ou de faire de ce dernier un instrument de pouvoir.
Le paradoxe de la libertine
Pour se venger d’elle-même parce qu’elle s’est laissée croire à sa faiblesse de folle perdue, la libertine homosexuelle va, pour attirer les prétendantes, prendre le total contre-pied de sa première tactique de séduction qui consistait à se montrer fragile. Elle se décide à masquer sa dépression par la prétention. Elle éprouve par exemple une sorte de fierté à ne pas aller draguer (d’ailleurs, elle déteste le mot « drague »), simplement pour ne pas prendre le risque d’être congédiée, et pour avoir le plaisir de se faire éternellement désirer. Elle a honte de prétendre à l’amour, d’être fougueuse ou passionnée (« J’ai essayé de ne pas me gargariser de romantisme à deux sous. », idem, p. 53), car pour elle, aimer, c’est davantage une faiblesse qu’une force, davantage une maladie qu’une énergie curative et positive : « Je me savais incurablement sentimentale. » (idem, p. 190) ; « La sagesse populaire a raison de comparer l’amour à une rage de dents. » (idem, p. 183) L’une des règles d’or de ses manœuvres amoureuses est l’interdiction d’aimer ou de se laisser aimer. Paradoxalement, c’est pour cacher qu’elle considère l’amour comme une affreuse maladie, qu’elle cherchera à tout prix à tomber maladivement amoureuse.
Peu à peu, la libertine homosexuelle se lasse de ses stratégies compliquées qui finissent par surcharger ses amours d’artifice et de calcul. La complexité en amour, ça va bien un moment !…mais elle aspire à la légèreté de « Monsieur Toutlemonde », à la simplicité « triviale », à la spontanéité, au cliché « bobo-Nature ». « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales ?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprès d’elle ? », idem, p. 164) Elle rêve d’être l’Exception qui confirme la règle de la complexité des amours homosexuelles (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle La Vie dure s’achève par une happy-end non-étayée…). Elle reproduit dans sa vie des clichés romantiques cartes postales : « Une fois rentrées à la maison, nous avons écouté Jessye Norman en nous serrant tendrement l’une contre l’autre sur le vieux canapé du salon où nous avions pris place. » (idem, p. 46) On mesure toute la part de narcissisme (même inconscient, même pétri d’intentions altruistes) de la personne qui s’imagine aimer parce qu’elle s’aime elle-même « en amoureuse », que l’amante en face soit là ou pas, que ce soit celle-ci ou une autre : « C’est une véritable histoire de dingue, j’aime une femme dont je ne sais rien… C’est peut-être pour ça que je l’aime, ai-je ironisé. » (idem, p. 134)
Nous touchons là au paradoxe de la courtisane homosexuelle. Entre libertinage et ascèse, Paula Merteuil condamne le plaisir sexuel à l’obsession et à la frustration. Chez la Marquise, la course au sexe et à la reconnaissance par l’image dévoile son insatisfaction et son perfectionnisme caché. Son refus catégorique de l’hyper-sexualité dit aussi sa focalisation sur le génital. Elle incarne tour à tour la célébration excessive de la sexualité et sa négation dans l’intellectualisme ou le volontarisme. Ne perdons pas de vue que derrière la Marquise de Merteuil, « la lesbienne » amoureuse de Cécile de Volanges, dissimulant son mépris du corps et sa frustration d’amour par une maîtrise quasi-parfaite d’elle-même, derrière celle qui privilégie le devoir conjugal sur l’amour, l’esprit sur le plaisir génital (même si elle réitère sans cesse dans son discours l’idée de jouissance), se cache le Vicomte de Valmont (rôle qui pourrait très bien convenir à Marc, le meilleur ami gay de Paula, et qui est décrit dans La Vie dure comme le pendant volage et dévergondé de l’auteure : Paula dit d’ailleurs que c’est leur immense solitude qui est le dénominateur commun de leur amitié). Chez la libertine lesbienne, ce n’est pas la bêtise ni la soif de sexe, qui la poussent à l’illusion amoureuse, mais bien l’excès de raison pour maîtriser l’amour : « Nous avions fait, sans le savoir, un mariage de raison. » (Paula en parlant de son couple bancal avec Martine, idem, p. 73)
À force de self control, la Marquise de Merteuil ne se voit plus agir et ne maîtrise plus la course à l’amour qu’elle avait méthodiquement organisée pour ne pas se donner totalement (l’attente des lettres ou des coups de téléphone deviennent un calvaire ; il lui arrive d’écrire la « lettre de trop » ; etc.). Derrière l’excès de maîtrise, il y a ce que le fin stratège homosexuel veut intellectuellement fuir à tout prix, mais qu’il rejoint parfois en actes : la bestialité, la vile pulsion. C’est bien là son drame ! D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Paula Dumont insiste beaucoup dans ses écrits sur la comparaison entre l’amour lesbien et l’amour des chiens, en sachant qu’elle met le second bien au-dessus du premier : « Ce qu’il y avait entre nous [Martine et elle], c’était quelque chose de bien plus fort, à savoir la peur de la solitude. […]. On prend bien un chien, pour ne pas être seul ! » (idem, p. 78) ; « Quiconque n’a pas été aimé d’un cocker ne sait rien de l’amour. » (idem, p. 115). « Je suis allée brosser la chienne qui en avait grand besoin et qui m’aimait, elle, d’un amour exclusif. » (idem, p. 127) Déjà, dans La Mauvaise Vie, l’auteure vantait les mérites de l’amour des chiens, en citant Marguerite Yourcenar comme exemple, et en parlant de la place considérable que le « meilleur ami de l’homme » avait pris dans sa vie. Fuyons le naturel et il revient au galop…
La fausse dureté
On sent chez Paula Dumont que, sous ses airs surjoués de « gros dur » qui maîtrise sa propre situation amoureuse, qui sait s’imposer et taper du poing sur la table quand il le faut, la recherche de soumission gagne bien souvent le tableau. Sa dureté à elle est plus télévisuelle qu’effective, plus un mime de force (de magazines) qu’une force réelle. Elle l’avoue humblement : « Ne nous cherchons pas d’excuses et soyons honnête, mon propre idéal d’élégance, c’est celui du cow-boy Marlboro. À défaut d’être capable de ses prouesses au rodéo, je suis fascinée par les vrais jeans américains et les chemisiers à carreaux. » (idem, p. 173) Face à l’amour lesbien, c’est comme si elle perdait tous ses moyens, alors que dans sa vie professionnelle, amicale, associative, elle semble pourtant être un modèle de solidité, de lucidité, et de mesure. Alors on comprend encore plus combien déchirante doit être pour elle ce décalage, cette schizophrénie, cette contradiction qui est à la fois ce qui lui permet de montrer à la face de son lectorat une inquiétante fragilité, et ce qui lui donne matière à écrire un essai si touchant, si poignant, si humain. Le lecteur assiste à la méticuleuse description d’une blessure qui suinte, qui mène continuellement la vie dure à celle qui la décrit sans la dénoncer. Comme un schéma amoureux qui se reproduit à l’infini, sans que la concernée s’en rende compte puisqu’elle se donne l’illusion par l’écriture, par sa réflexion brillante, par sa posture physique même, qu’elle ne tombera jamais. Non, rien de rien, non, je ne regrette rien… Au final, à son grand dam, elle est la femme faible, trop gentille, trop bonne poire, capable de se laisser marcher sur les pieds par amour… alors que l’amour véritable n’a jamais demandé une telle abnégation : par exemple, elle logera et entretiendra pendant une douzaine d’années – quand même… – l’envahissante Martine, son « ex » ; elle se voilera la face sur les indécisions de Catherine et justifiera pendant très longtemps l’immaturité et le mutisme de celle-ci ; elle idéalisera un « je t’aime » furtif, ou s’emportera dès qu’on remettra en cause la force de l’amour lesbien ; elle sera même capable de se rabaisser au statut de cinquième roue du carrosse en acceptant de jouer la maîtresse d’une femme déjà en couple avec une autre…). C’est étonnant – et pourtant logique, si l’on perçoit les paradoxes de la sincérité chez la libertine homosexuelle –, cette capacité à l’avilissement et à la soumission en amour par excès de self-control. Fascinant. Paula Dumont passe sont temps à dire « La coupe est pleine » (idem, p. 52), précisément pour mieux se laisser dominer, pour mieux se laisser déborder. Comme un disque qui tourne intérieurement, pour rien : « Catherine pensait-elle que j’étais une marionnette dont elle pouvait tirer les ficelles à son gré pour la faire gesticuler selon ses humeurs ? » (idem, p. 124) Quand Paula nous offre dans son écrit un extrait d’une des lettres de Catherine, son plus grand amour de jeunesse, on a envie d’abonder dans le sens de cette dernière quand elle s’adresse à Paula en ces termes : « Tu ne sais pas te protéger. » (idem, p. 53) C’est en effet le constat final qu’on a envie de faire : c’est en cultivant une fausse dureté que Paula s’est fragilisée. « Quel gâchis que mes amours ! » (idem, p. 134) finit-elle par conclure. Elle en a connues, des misères affectives… (qui, il faut bien le dire, sont légion dans les amours homos classiques, si alambiquées parce que leur complexité est justifiée/camouflée par la sincérité) : entre Catherine l’amante bisexuelle qui ne sait pas ce qu’elle veut, Martine l’amante immature et assistée qui se laisse entretenir, les lesbiennes hommasses de « Goudouland » comme elle le dit elle-même, Chantal l’amante cultivée et distante jouant au chat et à la souris, on a l’impression que la recherche d’amour va lui donner du fil à retordre toute sa vie… d’où « la vie dure »…
Ce qui rend la vie dure, que l’on soit homosexuel ou non, c’est bien cela, finalement : l’absence, en nous, de désir (…du Désir) ; ou bien le « désir en négatif », le « désir par défaut » : on sait plus ce que l’on ne veut pas que ce que l’on veut (idem, p. 190)… et on confond cela avec du désir.
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Étant donné que le désir homosexuel a rejeté la différence des sexes, il n’est pas ancré véritablement, durablement et sereinement dans le Réel. Pas étonnant, pour le coup, qu’il transporte jusqu’à la lune les individus qui s’y adonnent. Beaucoup de personnes homosexuelles confirment leur réputation de Jean de la Lune. Les titres de leurs ouvrages sont des signatures (cf. le roman Pierrot la Lune de Pierre Gripari, le film « Claire Of The Moon » de Nicole Conn, le film « Danny In The Sky » de Dennis Langlois, etc.). La lune, l’astre androgynique par excellence, comme l’explique Paul Rey dans son essai Le Désir (1999), symbolise le fantasme de changer de sexe, de devenir Dieu ou irréel.
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FICTION
Film « La Fureur de vivre » de Nicholas Ray
Dans les fictions traitant d’homosexualité, la lune est vraiment un leitmotiv : cf. le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le poème « Romance De La Luna, Luna » de Federico García Lorca, l’album Cendres de Lune de Mylène Farmer, le film « Full Moon In New York » (1989) de Stanley Kwan, la nouvelle « Comme la lune » (2000) de Daniel Meynard, le film « Les Serpents de la lune des pirates » (1973) de Jean-Louis Jorge, le roman Pierrot la Lune (1963) de Pierre Gripari, le roman La Lune noire d’Orion (1980) de Francis Berthelot, le roman Maybe The Moon (1999) d’Armistead Maupin, le film « La Face cachée de la lune » (2003) de Robert Lepage, le roman The Hidden Side Of The Moon (1987) de Joanna Russ, la chanson « Line » de Nicolas Bacchus, le film « Claire Of The Moon » (1992) de Nicole Conn, la pièce Le Roi Lune (2007) de Thierry Debroux (centré sur la vie de Louis II de Bavière, homosexuel notoire), le film « ¡ Cariño, He Enviado Los Hombres A La Luna ! » (1998) de Marta Balletbo-Coll, le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 jours de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, la nouvelle El Marqués De Sebregondi Llega Y Retrocede (1988) d’Osvaldo Lamborghini, la série Dante’s Cove (saison 2, 2006, avec Grace, la femme vouée à la lune), le roman El Anarquista Desnudo (1979) de Luis Fernández, la pièce L’Autre monde, ou les états et empires de la lune (vers 1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, la chanson « Dans la lune » de Zazie, le recueil de poèmes Los Adoradores De Luna (1976) de Jaime Manrique Ardila, le roman Latin Moon In Manhattan (1990) de Jaime Manrique Ardila, la chanson « The Naked Moon » du film « Le Signe de la Croix » (1932) de Cecil B. DeMille, le film « Dangerous Moonlight » (1941) de Brian Desmond Hurst, le film « Over The Moon » (1937) de Thornton Freeland, le film « Waiting For The Moon » (1987) de Jill Godmilow, le film « Moon 44 » (1990) de Roland Emmerich, le film « Poisson Lune » (1999) de Jose Alvaro Morais, la chanson « Le Soleil a rendez-vous avec la Lune » de Charles Trénet, le film « Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la lune ? » (2000) de Chris Vander Stappen, la chanson « Les Pieds dans la lune » des Valentins, le film d’animation « Le Baiser de la Lune » (2010) de Sébastien Watel (racontant l’histoire d’amour entre Félix, un poisson-chat, et Léon, un poisson-lune), le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec la lune filmée pendant quelques secondes, et que George, le héros homosexuel, regarde), le film « Il y a des jours… et des lunes » (1989) de Claude Lelouch (avec Francis Huster, prêtre en couple avec un antiquaire), le morceau « Clair de Lune » d’Érik Satie, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec Moon Island), la pièce Scène d’été pour jeunes gens en maillot (2012) de Christophe et Stéphane Botti, le film « Plan B » (2010) de Marco Berger (où Bruno conte fleurette à Pablo en lui récitant un poème sur la lune), le film « Mille et une lunes » (2008) de Lyonel Kouro, le roman The Moon Is A Harsh Mistress (Révolte sur la Lune, 1966) de Robert A. Heinlein, le film « Reaching For The Moon » (2013) de Bruno Barreto, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, la chanson « Love Song » de Mylène Farmer, etc.
Film « Mille et une lunes » de Lyonel Kouro
Le satellite le plus connu de la Terre symbolise en général l’éloignement du réel, ou plus gravement la folie, la perte de conscience, la captation de la raison par la pulsion désirante : « Tu étais dans la lune, Vicomte ? » (Antonin lisant les Liaisons dangereuses à son copain Hubert, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Depuis quelques temps, tu es toujours dans la lune mais tu penses à rien ! » (la mère de Bryan détectant inconsciemment une homosexualité chez son fils, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 8) Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silvano « vit dans la lune » (p. 30). Lune : Dans le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, la mère de Nicolas (le héros homosexuel), n’arrête pas de dire à son fils qu’il est dans la lune. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, lorsque Adèle s’homosexualise, elle perd tellement pied avec le réel que sa mère, à table, lui fait gentiment remarquer qu’elle est dans la lune : « Dans la lune, Adèle… » Dans la pièce Lacernaire (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt, la lune est la voix de la conscience occultée par les deux criminels : « Un jour, tu nous feras repeindre la lune avec du crottin. » ; « Ça ne sera que la seconde couche. » lui répond cyniquement Lacenaire.
La lune apparaît comme un innocent motif esthétique : « Sur chaque tableau, Muriel Gold, dans des décors exotiques où trônait cependant toujours la même pleine lune. » (Jean-Marc, décrivant les tableaux de la lesbienne Catherine S. Burroughs, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 214) ; « Rakä et moi, profitant de la lune déjà haute dans le ciel, nous nous aventurions dans les plus hauts étages de la Cité dont la silencieuse et fraîche pénombre argentée nous intriguait. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi) ; « Au clair de lune, on voit les rats partout envahir la cité. » (le chœur des voisines dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Vois dans le ciel : la lun’ se lève ! » (Raulito à son amant Cachafaz, idem) ; « Ce soir, nous allons dîner au clair de lune, je vous réciterai les vers de Lorca. » (Cyrille, le héros homo s’adressant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « La lune m’a dit ‘J’adore !’ » (c.f. la chanson « Intersidérale » de Bilal Hassani) ; etc. Par exemple, dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, Thor, le colocataire de Smith (le héros homosexuel) est « con comme la lune ».
B.D. « Kang » de Copi
Mais en général, elle a une connotation narcissique, amoureuse, homosexuelle et incestueuse : « Lune, avec la mère enfin baisée… » (Allen Ginsberg dans son poème « Howl », 1956) ; « Elle attend que nous allions la séduire. » (Dorian Gray à propos de la lune, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « La lune et moi, on est pareil ! » (Mongola dans le spectacle comique À l’Olympia déjà ! (1992) d’Élie Kakou) ; « Tu crois que c’est toi, les étoiles ? Et moi, la lune ? J’avais cru que tu étais la lune. Moi aussi, j’ai été absente, tu sais. J’ai l’impression d’avoir été absente pendant tout ce temps. » (Esti à son amante Ronit dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 139) ; « La lune, son amie » (Cyrano dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Ton père avait, entre parenthèses, une tête de lune. » (la mère de Doña Rita dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « La lune me caresse le visage si je lui demande. » (Nathan dans le film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez) ; « Et maintenant, la lune, énorme, se levait dans le ciel ; puis elle sembla s’immobiliser et regarder Stephen [l’héroïne lesbienne] fixement. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 60) ; « Tes lèvres sont fraîches comme la mer au clair de lune, mais le soleil levant succède à la lune. » (idem, p. 412) ; « Fly me to the moon. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Je suis aussi fier de toi que si tu avais marché sur la lune. » (Glen s’adressant à son amant Russell qui tente de s’imaginer qu’il fait son coming out à son père, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh) ; « Je pensais que je n’avais qu’à tendre la main pour toucher la lune. » (Danny parlant à son amant Zach de « leur » mère, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Arrêtez de chanter ‘Au clair de la lune’ à vos enfants. C’est une chanson érotique. Et Pierrot est gay. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « C’est la pleine lune ce soir. C’est sûrement un signe. » (Sam, la mère toxique de Rupert le héros homo de 10 ans, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; « On va aller vivre jusqu’à la lune. » (Léo s’adressant à son amant Rémi, dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont), etc. Par exemple, dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, il est question de « l’attraction de la lune ». Dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, on nous parle de la « déesse lune ». Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, c’est juste après le baiser lesbien qu’on nous montre la lune dans le ciel nocturne. La lune est l’incarnation de la passion ravageuse : « Marlène amoureuse, la pleine lune aussi. » (cf. la chanson « Mourir d’ennui » de Jeanne Mas) Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homo face à la lune, en croisière en bateau, rencontre son actrice-chanteuse fétiche de l’autre côté de l’océan : jusqu’à la fin, il prend Patty Pravo pour un substitut maternel et identitaire. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, la lune est l’amant homosexuel que Gatal, le héros homosexuel, se voit offert (et en réalité imposé) par ses deux « pères » en couple homo : « Réjouis-toi, cowboy. La lune sera rousse pour tes fiançailles. » lui dit son Père 1. Elle éclipse aussitôt le futur fiancé de Gatal qui, immédiatement après avoir entendue cette phrase, quitte la scène : « Je disparais. »
B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi
Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Alexandre, le héros hétéro, feuillette un prospectus de prévention Sida dans la boîte gay Chez Eva dans lequel figure une publicité »La Face cachée de la lune ». Et plus tard, pour cette même raison, il est suspecté d’être de la jaquette par un de ses employés, André, ouvertement homosexuel : « Alors ? Ce soir, on nous montre la face cachée de la lune ? ». La lune est finalement cette part d’homosexualité qui résiderait dans l’hétérosexualité.
Souvent, la lune est associée au sexe féminin, donc à la mère primitive poétique qu’un élan incestueux pousse à rejoindre : « Une lune croit en même temps que je décoince les jambes. » (la jeune femme dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « Dieu a dit à la Lune de se renouveler chaque mois. C’est une couronne de splendeur pour ceux qui naissent des entrailles, car eux aussi, ils sont destinés à se renouveler, comme elle. » (cf. une citation du Kiddoush levana, apparaissant dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 126)
B.D. « Femme assise » de Copi
Le personnage homosexuel vénère la lune comme une déesse à laquelle il s’identifie et rêve de s’unir dans une fusion fatale : « Être la lune, perdue dans tes étoiles, cachée derrière un voile pour annuler la pâleur de ma plume. Être la lune. » (cf. la chanson « La Lune » de Jeanne Mas) ; « J’ai demandé à la Lune ce que tu pensais. » (cf. une Habanera du musicien-chanteur Eduardo Sánchez de Fuentes dédié au poète homosexuel Federico García Lorca qui a voyagé à La Havane en 1930) ; « J’ai demandé à la lune si tu voulais encore de moi. » (cf. la chanson « J’ai demandé à la Lune » du groupe Indochine) ; « Accroché à la lune comme un effroyable pantin » (Yanowski lors de son concert Le Cirque des Mirages, 2009) ; « Vousêtes assises sur une faux ? C’est un croissant de Lune ? Attention, ça coupe ! Aïe, Linda ! Vous jaillissez de partout ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Jack Spencer, après avoir touché la lune, touche le fond. » (cf. l’article de journal décrivant le départ de Jack de l’Opéra, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt)
Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, apprend que les Noirs, face à la lune, deviennent bleus. Il s’identifie donc à cette nouvelle race homo-noire de semi-extraterrestre.
L’astre détruit ce qu’il avait pourtant fait vivre par la réification. Il démythifie en mythifiant, viole en rendant éphémèrement vierge, transforme les êtres humains en statues et en spectres (et c’est bien connu que la lumière de la lune, en même temps qu’elle éclaire, est fatale aux photos: elle les fait jaunir). Exactement comme le personnage de Léni dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-araignée, 1976) de Manuel Puig, sacralisée mais aussi meurtrie par l’action lunaire : « La brise éteint les bougies, qui faisaient toute la lumière. Seule entre la clarté de la lune, et elle éclaire Léni, qui ressemble à une statue de plus, grande comme elle est, avec sa robe blanche qui la serre de près, on dirait une amphore grecque […]. Elle a comme la certitude que des choses très importantes vont surgir dans sa vie, et presque sûrement pour aboutir à un tragique dénouement. Elle est à la fois une déesse, et une femme très fragile, qui tremble de peur. » (p. 57) On retrouve la même action destructrice – et paradoxalement magique – de la lune sur la reine du carnaval dans la pièce Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini (Dalida, la femme fatale qui s’achemine vers la mort, porte « sa robe blanche, comme une tache de lune »), ou encore dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi : « Alors, elle, resplendissante, monterait et redescendrait la Butte, comme une pute enveloppée de Chanel à la lumière de la lune, toute seule avec son destin, singe, guenon ou femme cruelle, souvenir d’un Carnaval solitaire de fille à bite ou d’homme sans apparat ! » (Fifi à propos de Lou) ; « Je veux t’attendre au zénith dans le ciel de la pleine lune ! Je veux ta virginité. » (Ahmed à Lou, idem) ; etc. La lune peut même prendre les traits du diable : « Sous la lune naissent parfois d’étranges créatures. » (cf. une réplique de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Je n’ai pas oublié de cette nuit-là […] son visage incandescent pareil à une lune rousse sous la lumière inactinique. » (le narrateur parlant de son amant Didier dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 27) ; « Pendant ce temps, l’uniquement objet [Jason, le héros homosexuel] du désir de Mourad, assis sur son balcon face à la lune, pleurait à chaudes larmes. […] La lumière de la lune se suffisait à elle-même, et les éléments du décor se recomposaient harmonieusement, lui révélant, sans plus de raison ni avec moins d’évidence, que l’horreur du monde a pour revers son inexprimable beauté. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), pp. 245-246) ; « Vous êtes mon astre et mon désastre : trop brève apparition, puis éclipse. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 32) ; etc. Par exemple, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, la lune est filmée en gros plan quand Narcisse se suicide en se jetant du haut d’un immeuble.
Mais j’irai même plus loin en disant que la lune est celle qui donne l’énergie du viol. Par exemple, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie-Lou (2011) de Michel Tremblay, Léopold, avant d’aller violer sa femme Marie-Lou, a récité des poèmes à la lune (« Il disait à la lune qu’il ne voulait pas qu’elle s’en aille. »).
B.D. « Kang » de Copi
Dans le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, tandis que les garçons vont se baigner dans un lac, Ignacio et le père Manolo s’excentrent. Ignacio, le jeune garçon qui se révèlera homosexuel, chante cette chanson dédiée à la lune, juste avant de se faire violer : « Moon River, jamais je ne t’oublierai, jamais je ne me laisserai emporter par les eaux, les eaux tourmentées du fleuve de la lune qui tourbillonne à mes pieds. Ô fleuve, ô Lune, dites-moi où se trouvent, Mon Dieu, le bien et le mal, dites-le moi. Je veux savoir ce qui se dissimule dans l’obscurité pour qu’enfin soit dévoilé… »
B.D. « Femme assise » de Copi
En temps normal, la lune homo-fictionnelle dénature, fait violence à la sexualité par la glorification de l’irréel, de l’inversion, de l’artifice, de l’androgyne (cette créature inexistante, qui a aboli la sexuation), par conséquent de l’homosexualité. « La lune, cette déesse des filles sans garçon… » (cf. une réplique de la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare) ; « Me parlez-vous de loin, de votre île de la lune à l’envers qui invite à l’union ? » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 19) ; « J’ai l’impression que vous m’habitez, que vous me parlez sans cesse, de là-bas, de votre domaine sur l’île de la lune à l’envers. » (idem, p. 138) ; « Elle [Esti, l’héroïne lesbienne] s’était rendue au mikvé afin de se purifier de son mari, mais Ronit [son amante] allait revenir. En marchant vers sa maison, sous la lune décroissante, Esti sentit vaguement la marée s’inverser. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), pp. 36-37) ; « Au clair de la lune, je suis une catin. » (Tom, le fan de Mylène Farmer, dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil) ; etc. Par exemple, la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi commence précisément dans les studios de Télé-Lune ; y sévit une dictature prescrivant un nouvel ordre sexuel, une séparation arbitraire de l’Humanité, ainsi qu’une propagande maternante aseptisée : « Nous allons séparer nos chers spectateurs en mâles, femâles et transexuâles. […] La politique sur la Lune : tout est calme à l’heure qu’il est, une brise légère me caresse, je retouche mon maquillage à l’aide d’un pinceau aérien. C’est l’heure de la paix, pour nous, lunaires. » Dans la pièce La Pyramide ! (1975), du même auteur, quand la Princesse demande à sa mère la Reine « comment fait-on pour avoir un fils mâle ? », celle-ci lui répond : « C’est toujours pile ou face, une face la lune, l’autre le soleil. » L’identité sexuée est éclipsée au profit d’une androgynie lunaire bipolaire angélique.
Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, particulièrement gay friendly, la lune occupe le devant de la scène (« Regardez la lune ! Regardez la lune ! » s’exclame Aldebert ; « Ce soir, la dernière nuit du monde, restons tous ensemble regarder la lune. » dira un peu plus tard Claude)… et on comprend pourquoi ! Elle illustre l’errance amoureuse de tous les personnages, l’indifférenciation identitaire engendrée par la société matérialiste, uniformisante, imposant une bisexualité asexualisante.
B.D. « Femme assise » de Copi
Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Gabriel propose à son futur amant Léo de voir l’éclipse de lune : « La lune disparaît dans le ciel. » Léo lui demande l’intérêt de regarder les éclipses. Gabriel lui explique qu’il y a une éclipse quand « le soleil, la Terre et la lune sont tous les trois exactement alignés » Sous l’éclairage lunaire, Gabriel voit en Léo un androgyne illuminé à moitié par la lune et brûlé par le soleil de l’autre.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Film « Noche Sin Luna » de Bethynia Cárdenas Íñiguez
La lune est une planète qui attire beaucoup de personnes homosexuelles. Elle a déjà inspiré les titres de certains de leurs écrits, des pseudonymes d’hommes travestis (exemple : Claire de Lune), ou bien des noms de lieux d’homosociabilité (cf. la revue La Luna De Madrid (1983) de Borja Casani, le bar gay The Full Moon Saloon d’Orlando, aux États-Unis ; beaucoup d’établissements lesbiens se font baptiser La Lune noire ; on peut aussi penser au fameux Moonwalk de Michael Jackson… qui n’est d’ailleurs pas une invention de Michael finalement). Par exemple, en 1974, Paul Morrissey et Andy Warhol ont travaillé sur un projet de musical à Broadway, intitulé Man On The Moon.
Certains individus homosexuels utilisent la lune comme un exutoire de leur amour non-donné. Elle est la Muse de leur fanatisme : « Ô Lune ! Tu as toujours été à mes côtés, m’éclairant dans les moments les plus terribles. Tu a été ma mère, ma véritable déesse ! » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1992), p. 340) ; « Mais vous êtes un détraqué de la lune ?!? » (Georges Beller à Steevy Boulay, dans la pièce Ma Femme est folle (2011) de Jean Barbier) ; « Sur le plan astronomique, […] la lune, se trouvant entre la terre et le soleil, reçoit la lumière du soleil, et, comme le soleil, éclaire la terre. Cette situation particulière investit la lune d’une surdétermination diffuse. En effet, dans cette perspective, la lune devient, par extension, l’astre qui instaure un lien entre le monde des dieux et celui des hommes. Voilà pourquoi elle dispense la folie. Or, c’est effectivement une folie divine qui possède et inspire ces médiateurs par excellence entre les dieux et les hommes, que sont les devins et les praticiens d’initiations ; lesquels, par choc en retour, se voient affectés de ce caractère bisexuel, qui caractérise les intermédiaires et les médiateurs de tout ordre. » (cf. l’article « Bisexualité et médiation en Grèce ancienne » de Luc Brisson, dans l’ouvrage collectif Bisexualité et différence des sexes (1973), pp. 38-39)
Film « Das Flüstern Des Mondes » (« Whispering Moon », 2006) de Michael Satzinger
La lune a beau être bien lointaine et absente (objectivement, à part pour les gens vivant la nuit, elle occupe davantage nos songes que notre quotidien), elle renvoie quand même chez l’être humain au moins à une réalité psychique et fantasmatique, à un désir de toute-puissance originelle, d’irréalité androgynique égoïste (d’ailleurs, elle est le symbole même de la moitié ou du quartier), à un désir idolâtre fétichiste (de devenir objet), et donc à un fantasme de mort ou de viol incestueux : « Il y avait trois genres : originairement, le mâle était un rejeton du soleil ; la femelle, de la terre ; de la lune enfin, celui qui participe de l’un et de l’autre ensemble. » (Platon, « L’Humanité primitive », Le Banquet (- 385 av. J.-C.), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 34) ; « Dylan et Ednar ne cessaient de s’aimer sans témoins ; seules la lune et les étoiles pouvaient entendre l’écho de ce voix qui chuchotaient sur la falaise. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), p. 31) ; « J’ai été retrouvé la Femme lunaire. Elle m’a confié comment elle avait été violée par son père. » (Simone de Beauvoir, parlant de son amante « la femme lunaire », dans une lettre rapportée dans la pièce-biopic Pour l’amour de Simone (2017) d’Anne-Marie Philipe)
Tout porte à croire que la lune est l’éclairage scénique de la tragédie : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pou la première fois après l’accident. Nous étions à notre porte, sur la terrasse. Elle est rentrée comme une folle dans le poulailler et, pour se venger de sa tragédie, elle a égorgé, une à une, toutes les poules qui essayaient de s’envoler avec terreur. J’ai compris l’absurdité d’avoir des ailes sans pouvoir voler. Elle a fini par saisir le coq qu’elle a achevé avec les dents. Un nuage laissa filtrer les rayons d’une lune grise qui illumina le terrible visage monstrueux, ensanglanté par le sang du coq. Quelque temps après, elle est repartie. Elle a disparu dans la nature. Peut-être a-t-elle cherché dans la jungle la compassion des bêtes […]. Ce poulailler devint ma scène : il avait été le décor d’une véritable tragédie, je pouvais donc l’habiter de mes fantaisies. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167)
La lune occupe une place très importante dans le répertoire musical de Mylène Farmer, l’icône gay préférée de la communauté homosexuelle française : cf. la chanson « Vertige » (« Plus loin, plus haut, j’atteins mon astre. »), « Libertine » (« Cendre de lune, petite bulle d’écume, poussée par le vent, je brûle et je m’enrhume. »), « Paradis inanimé » (« Sous la lune m’allonger. ») ; « Looking For My Name » (« Oh ! I see the moon, I see no trace of you. »), « Pas le temps de vivre » (« Il est des heures où, quand la lune est si pâle, l’être se monacale. ») ; « Il n’y a pas d’ailleurs » (« Pour renaître de tes cendres, il te faudra réapprendre. Aimer vivre, rester libre. Délaisser tes amertumes, te frayer jusqu’à la lune un passage, il faut me croire. ») ; « Pourvu qu’elles soient douces » (« D’un poète tu n’as que la lune en tête. »), « Et si vieillir m’était conté » (« Bientôt la lune est pleine. ») ; les vidéo-clips « Tristana » et « L’Âme-stram-gram ». Dans l’univers farmérien, la lune se réfère en général à la maternité avortée, à un mortel inceste (avec soi-même), à l’impossibilité de l’amour homosexuel.
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