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Code n°119 – Mère gay friendly (sous-codes : Homoparents exemplaires / Homophobes repentants)

Mère gay friendly

Mère gay friendly

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 
 

Si tu es heureux comme ça / Moi ce que je veux, c’est le bonheur de mon fils / Ça ne change rien pour moi / Je crois que je t’aime encore plus

 

Il existe quelqu’un qui a tout comprendu de l’homosexualité avant tout le monde : c’est la mère gay friendly. Elle est portée aux nues par la communauté homosexuelle, et utilisée comme caution morale. Elle existe parfois en vrai, mais on la voit surtout sur nos écrans de télé (les premières mères gays friendly étaient d’ailleurs des actrices : Elizabeth Taylor, Barbara Streisand, Alice Sapritch, Lisa Minnelli, Madonna, Eva Darlan, etc.). Elle se targue d’être la militante de la première heure en faveur des droits-des-homos, et défend bec et ongles son titre d’« hétérosexuelle désintéressée » qui n’aurait aucune couverture à tirer à elle dans la défense de l’homosexualité (sauf celle qui recouvre son divorce ou le viol qu’elle a subi…),  et qui n’aurait pour seule motivation que l’amour inconditionnel/gratuit de son fils. Visiblement, elle incarne la fulgurante Conversion sociale vers la Tolérance à laquelle toute personne « hétéro » (et donc, fatalement, « homophobe », logique) est appelée à vivre pour sortir de son ignorance. Cette femme « miraculée », très soucieuse de se montrer souriante/révoltée/débordante d’émotions devant les caméras, en utilisant l’homosexualité de son fils comme faire-valoir personnel et comme pièce à conviction de son « incroyable ouverture d’esprit », joue la pasionaria s’offrant en holocauste pour le pardon des péchés « des » homophobes qui ne se repentiront jamais (les pauvres : ils ne savent même pas qu’ils sont homophobes…) et pour le Salut de l’Humanité. On y croit…

 

MÈRE MG 1

Mère de « Queer As Folk » (« My Gay Son Makes Me So Proud »)


 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « S’homosexualiser par le matriarcat », « Tante-objet ou maman-objet », « Duo totalitaire lesbienne/gay », « FAP la « fille à pédé(s) » », « Mère possessive », à la partie « Applaudissements » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », et à la partie « L’homo combatif face à l’homo lâche » du code « Faux révolutionnaires », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) Les mamans bonnes copines qui ont tout comprendu :

Film "Jamais sans toi" (2009) d'Aluizio Abranches

Film « Jamais sans toi » (2009) d’Aluizio Abranches


 

La figure de la maman militante pour les droits homosexuels est désormais un classique des œuvres de fiction homosexuelles (elle nous prouve que le ridicule ne tue pas) : cf. la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec la mère de Tania), le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare (avec la mère de Jean, le héros homo décédé), le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan (dans lequel la maman d’Antonin joue parfois à la mère-copine), le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec Catherine, la « Mère-Courage »), le film « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier (avec Colette, la maman-copine de Marc), le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron (avec les mamans « en avance » par rapport aux pères question tolérance gay friendly), le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure (avec Emma, la maman culotée qui va débloquer la situation : ce rôle transformera à jamais la comédienne Éva Darlan en icône gay), le film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka (avec la maman de « X »), le film « Drôle de Félix » (2000) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec Isabelle, la mère de famille compréhensive, prenant Félix le fugitif sous son aile), la série Queer As Folk (avec les mères gay friendly surexcitées, telles que Debbie Novotny), le film « Un Soupçon de rose » (2004) d’Ian Iqbal Rashid, le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent (la mère adulescente de Charlène l’héroïne lesbienne), le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker (avec Mrs Webster, la maman de Luce l’héroïne lesbienne), etc. Par exemple, dans le vidéo-clip de la chanson « Pointer du doigt » de Bruno Roy, la mère du protagoniste homosexuel est filmée comme la seule qui comprend l’homosexualité de son fils. Dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan, Cyrano présente Roxane comme une femme « gaiement maternelle ». Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Emma, l’héroïne lesbienne dont les parents sont divorcés, a une mère très « open » question homosexualité. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer), Lena, la femme bafouée, est celle qui voit tout et qui comprend dès le départ l’émoi homo-érotique que ressent Johnny pour Romeo sur le bateau qui les conduit sur l’île des Bahamas. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, la maman de Marco (Hélène) et celle de Sean s’engagent dans la lutte contre le Sida et pour l’homosexualité de leurs fils gays.

 

« J’ai envie pour mon fils d’être sa meilleure amie. » (Sylvie projetant sa relation avec son fils hypothétique, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « J’aime beaucoup ma mère. Je l’aime davantage comme une camarade ou comme une amie. » (Franz, l’un des héros homos de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Ta mère serait ravie ! » (le père s’adressant à sa fille lesbienne Claire, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Je suis contente. Je suis contente. On est de nouveau amis. » (la mère d’Antoine s’adressant à son fils homosexuel, à propos de son homosexualité, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; etc.

 

MÈRE GF 2 Sarandon prayer for bobby

Téléfilm « Prayers For Bobby » de Russell Mulcahy

 

La mère gay friendly entraîne avec elle toute une foule d’« homoparents » qui, comme elle, deviennent d’exemplaires partisans de la Cause homosexuelle, des modèles du « Progrès social » : cf. le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault, « Pourquoi pas moi ? » (1999) de Stéphane Giusti, « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun, « Eating Out » (2004) de Q. Allan Brocka, etc.

 

Par exemple, dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), la mère de Jefferey Jordan s’annonce comme une femme complice de l’homosexualité de son fils : « Ma mère a voulu que je l’emmène en boîte gay. Elle voulait découvrir mon univers. Elle n’a pas été déçue du voyage. » Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, la mère de Nathan, le héros homosexuel, prend les devants dès qu’elle est au courant que son fils sort avec Jonas, et décide d’inviter chez elle la maman de celui-ci.
 

La particularité de la mère (réelle ou symbolique) du héros homosexuel, c’est qu’elle est dotée d’une intuition quasi surnaturelle (« l’intuition féminine », on appelle ça ?) : « Une femme est beaucoup plus intuitive. » (une réplique du one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « S’il ne le sait pas, moi, je le sais ! » (Sibylle par rapport à l’homosexualité de Nelligan Bougandrapeau, le héros secrètement homo, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « Moi les homos, je les repère en un clin d’œil. » (Luce – Marthe Villalonga – dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur France 2 le mardi 15 octobre 2013) ; « Martine avait déjà tout compris. » (Martine, le mère de Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 17) ; « On ne trompe pas une mère. » (Sara à son fils homo Malik à qui elle veut arracher le secret de son homosexualité, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « Je crois que j’ai su qu’il était tombé amoureux de vous avant que lui-même ne le sache. Une mère devine ces choses-là. […] Je connaissais mon fils mieux que moi-même. » (la mère d’Arthur à Vincent, l’amant de ce dernier, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 194) ; « Mon fils était un héros. Moi, je le savais. Il est des dispositions que seule une mère perçoit. » (la psychiatre dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 220) ; « Quand il y a de l’amour, on peut tout comprendre. » (la mère de Paulo dans le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron) ; « C’est fou, les mères, on a un sixième sens ! » (Grany dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte) ; « Je dois avoir un sixième sens, comme maman ! » (le héros de la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 41) ; « Pourtant, j’ai l’impression qu’elle sait déjà. » (Chris, le héros homosexuel par rapport à l’intuition de son amie gay friendly « psychologue » Marie-Ange, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « L’intuition féminine… Ben tu peux pas comprendre. Je suis une femme, moi. » (Benjamin, le héros homosexuel jouant l’ironie, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Tu sais que j’ai une sacrée intuition. » (Katja, la meilleure amie de Phil, le héros homo du film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa) « Tu ne peux pas manipuler mes pensées. […] Bon, ok, tu peux. » (Phil, s’avouant vaincu, idem) ; etc. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, dit que sa maman avait deviné très vite son homosexualité : « Maman, elle sent ces choses-là. » ; etc. Par exemple, dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau, Maya la lesbienne défend « l’intuition féminine ». Dans la série homo Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, l’épisode 2 est intitulé comme par hasard « Intuition féminine ». Dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent, Vincent, sur le point de s’homosexualiser, croit au « sixième sens féminin ». Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, la mère de Santiago se met au diapason de l’homosexualité de son fils : elle s’habille en violet (la couleur du lesbianisme), et c’est paraît-il grâce à elle qu’il a eu une « sensibilité artistique ». Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Sophie (la nana pas subtile du tout, en réalité) dit qu’elle « a le don pour cerner les gens ». Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle, la sœur du héros homosexuel William, est celle qui devine tout (elle est voyante, d’ailleurs) et qui a compris l’homosexualité de son frère avant tout le monde : « Je savais même que tu savais que je savais. » (William) Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, un des messages forts, c’est que celui qui ne sait rien en sait plus que celui qui sait, et que l’intuition serait féminine : on le voit avec le personnage de Joan Clarke, cette femme néophyte et apparemment sans formation scientifique, qui se retrouve propulsée au rang de grande espionne.

 

La maman gay friendly est une sainte visionnaire qui comprend tout et qui a même le pouvoir de blanchir tout ce qu’on lui annonce : on lui dit qu’on est homo, et on repart avec sa bienveillante bénédiction. Il y a chez cette mère gay friendly un désir puéril et sexiste de parfaire son image d’éternelle adolescente séductrice ; elle se sert de l’homosexualité de son fils pour revivre une seconde jeunesse, pour mettre en place son plan de vengeance contre le temps, les hommes, ses erreurs et ses viols passés, ses limites humaines, et finalement son propre sexe : « Déjà que nous piquez tous les beaux mecs, laissez-moi au moins notre intuition. » (Alice s’adressant à Fred son ami gay, dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) Par exemple, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Camille aide son fils Matthieu à se travestir en le maquillant ; elle refuse de se faire appeler « grand-mère » ou « mamie » par son petit-fils, et veut garder son prénom. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, la mère de Kévin, le héros homo, s’habille comme une jeune, surfe sur Facebook, etc.

 

Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, la grand-mère d’Antonio et de Tommaso, les deux frères homos, a tout de la femme soumise-insoumise, qui s’est mariée par devoir, mais qui ensuite envoie tous ses carcans balader avec l’âge : elle mange sucré, ne se médicamente pas toujours, boit plus que de raison, et finit même par se suicider en se goinfrant de gâteaux. Elle est présentée dans ce film gay friendly comme la conscience visionnaire, la sagesse incarnée qui valide la « justesse » de l’homosexualité de ses petits-fils : « Antonio me l’a dit. Mais je l’aurais compris sans ça. » dit-elle à Tommaso qui lui demande si elle savais pour l’homosexualité d’Antonio.
 

MÈRE GF 3 Pourquoi pas moi Giusti

Josepha dans le film « Pourquoi pas moi? » de Stéphane Giusti


 

La mère gay friendly est la reine des bons sentiments conformistes, des slogans publicitaires sans fond, et des morales débiles (du style « L’important, c’est d’aimer et d’être soi-même », « Il n’y a rien de plus naturel que l’amour » ; « Ce qui compte, c’est ton bonheur », « C’est génial, aime et fais ce que tu veux… mais attention au Sida : protège-toi et aie toujours des capotes sur toi ») : « L’important, c’est que tu sois heureux. » (la mère face à son fils qui fait son coming out, dans un sketch « Coming out du dimanche midi » de l’émission Tout le monde il est beau sur la chaîne Canal +, 2011) ; « J’ai toujours été fière d’avoir un fils homo. » (la mère de Pablo dans le film « Mi-fugue mi-raisin » (1994) de Fernando Colomo) ; « Malik, moi, je ne veux que ton bonheur. » (Sara à son fils homo, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « Oui, j’approuve. Tu fais ce que tu veux, et puis c’est honnête, et puis c’est à la mode. » (la mère à son fils homosexuel, dans le film « Johan, Carnet intime d’un homosexuel » (1975) de Philippe Vallois) ; « Vous êtes magnifiques tous les deux. » (Eugenia s’adressant à Ben et George, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs) ; « Vous êtes un exemple pour nous. » (le discours larmoyant de Petra, idem) ; « Mi hija es lesbiana y estoy muy orgullosa de ella. » (Mme Chapiro, présidente de l’Association des mères de lesbiennes latino-américaines new-yorkaises, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; « Ta mère est très contente de tes progrès chez le psy. » (Benjamin s’adressant à son amant Arnaud qui ne s’assume pas homo et qui consulte pour se guérir de se croire hétérosexuel, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Ma mère va m’aider pour le bébé. » (Irène parlant du bébé qu’elle va élever avec son frère homo Bryan, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la mère de Bryan nous sert le laïus bien connu du « L’important, c’est la communication » (il faut bien qu’elle montre qu’elle a des rudiments en psychologie et que c’est une grande communicante qui a le pouvoir de régler tout type de problème affectif, … comme Mimi Mathy dans Joséphine Ange-gardien) : « Discutons, on ne le fait jamais assez. » (p. 358) ; et son fils entonne le même refrain adolescent et niais (je dis niais car en vrai, l’important n’est pas en soi de « communiquer », mais plutôt ce qu’on communique et comment on le fait) : « On est là pour s’expliquer… Il faut tout se dire. » (p. 358) Ici, c’est la prétention à la transparence – alors qu’en réalité rien n’est dit de l’homosexualité – qui ferait presque sourire.

 

La sympathie maternelle gay friendly arrive avec des gros sabots, quitte à être gentiment brusque. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la mère de Guillaume, le héros bisexuel, sort une phrase suffisamment explicite et apprise pour forcer son fils à se dire homosexuel sans que celui-ci puisse se sentir enfermé dans une identité qui n’est au fond pas la sienne : « Tu sais, y’en a plein qui vivent très heureux. » Mais comme elle voit qu’il ne comprend toujours pas l’implicite de la formule de politesse gay friendly qu’elle vient d’employer, elle finit par s’énerver tendrement sur lui avant de s’éclipser : « Enfin, les pédés, les homos, quoi ! »

 

Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle, la soeur de William (le héros homo), fait des leçons à Georges, le copain de William, sur le fait qu’il n’assumerait pas totalement son couple avec William. C’est elle à qui revient la tache de débusquer et de mater l’homophobie intériorisée qui traîne chez l’homme marié bisexuel. Et cette inquisitrice gay friendly fait la leçon aux hétéros qui ne la suivraient pas immédiatement dans son grand élan de solidarité pro-gays et qui esquisseraient l’ombre d’un doute sur la véracité de l’amour homosexuel : « Deux hommes ensemble, ça vous dérange ? » menace-t-elle Pierre, l’hétéro pas très assuré ni très expert sur l’homosexualité. La gentillesse écrasante de la Miss France autoritaire, un chouïa gestapo arc-en-ciel.

 

On lit derrière ce nouveau rapprochement post-coming out entre mère et fils homo un nouveau prétexte à l’inceste, à la fusion adolescente annulant la différence des générations : « Je vais attendre que tu me dises que tu m’aimes tel que je suis. » (Fabien Tucci, homosexuel, faisant du chantage à son père au moment du coming out, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Ma mère me prenait pour sa meilleure amie. » (Claire dans la pièce Une heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat) Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane est la mère rebelle, impertinente, mâchant son chewing-gum, se conduisant comme une gamine, faisant des conneries comme son fils homo Steve. Dans le sketch « Sacha » de Muriel Robin, la mère de Bruno garde jalousement la nouvelle de l’homosexualité de celui-ci, comme une manière de le posséder encore davantage comme un mari de substitution : « C’est notre secret. […] Il n’est pas désagréable pour une mère de sentir qu’elle est la seule femme qui compte dans le cœur de son fils. […] Je suis l’amie de mon fils… euh, la mère de mon fils, bien sûr. » Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, le fils aîné de la bourgeoise Marie-Muriel, Matthieu-Alexandre, est homosexuel et elle ne s’en rend même pas compte… même si elle donne au public toutes les preuves flagrantes de son homosexualité : il fait partie d’un club très fermé d’art, est présenté comme « très sensible », et lui a offert une sculpture en forme de bite.

 

MÈRE MG 5 Beautiful thing

Film « Beautiful Thing » d’Hettie Macdonald


 

Derrière leur joie de l’homosexualité de leur fils ou de leur fille, beaucoup de mères d’homosexuel ont du mal à cacher leur opportunisme. Par exemple, la maman de Rachel, dans le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, en intégrant l’association P Flag et en passant fiévreusement à la télé en tant que « mère de lesbienne », fait un peu honte à sa fille parce qu’elle en fait trop dans l’acceptation de l’homosexualité de celle-ci… Dans le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, Mrs Hunter, la maman incestueuse de Nico (qui finira d’ailleurs lesbienne, tout comme la mère du film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald) embrasse son fils gay sur la bouche.

 

Grâce à un coming out sans vague et souriant, la mère gay friendly établit avec son fils chéri un pacte d’adoration mutuelle et de non-agression. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, par exemple, on voit Bryan, le héros homosexuel, complimenter sa mère comme une actrice qui aurait parfaitement rempli son contrat : « T’es trop cool, maman… » (p. 406) ; « C’est la vie qui est une vaste comédie où on a tous un rôle. Toi, tu joues le rôle de la maman parfaite. […] Moi, je joue le rôle du fils parfait… » (idem, p. 375) À son tour, celle-ci corrobore narcissiquement les flatteries en les retournant à l’identique à son fiston : « Je t’aime et je suis fière de toi ! Bien sûr que t’es parfait ! » (p. 376) La mère comme le fils se confortent dans le mirage de la relation filiale fusionnelle parfaite, dans le mensonge du coming out, pour évacuer tous les drames qu’il cache. L’éloge infantilisant permet en plus au personnage homosexuel de museler ses parents pour qu’à l’avenir ils ne lui opposent aucune résistance dès qu’il s’agira de ses choix conjugaux homosexuels : ses géniteurs se transforment en bonnes poires bien dressées, et, en plus, dans un consentement total. « Merci maman ! Je suis sûr que tu ne me comprends pas, mais tu fais comme si, c’est cool. » (idem, p. 370)

 
 

b) L’hétéro homophobe fait son mea culpa larmoyant devant les homosexuels :

Cela démarre timidement avec l’expression d’une sympathie et d’une tolérance hétérosexuelle (qui, aux yeux de certains militants homosexuels pressés, résonne maintenant comme de l’homophobie) : l’hétéro fictionnel, même s’il ne dit pas encore qu’il est « pour l’homosexualité », admet au moins qu’il n’est « pas contre ». Son appui ressemble à de l’indifférence, mais il est quand même fréquemment montré comme exemple dans les fictions homo-érotiques : « J’ai rien contre eux. J’ai l’esprit ouvert. » (Charles Newman à propos de l’homosexualité, dans le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano) ; « J’me fiche de ce que vous pouvez être. » (Amalia par rapport à l’homosexualité de Saint Loup, dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; etc.

 

Souvent, la défense de l’homosexualité ne vient pas du personnage homo lui-même mais d’un hétéro qui raconte l’histoire de sa poignante et coûteuse découverte de l’amour homo : cf. le film « Pourquoi pas moi ? » (1999) de Stéphane Giusti (avec Josepha, la mère qui réunit tous les homoparents des amis de sa fille lesbienne le temps d’un week-end champêtre, pour leur ouvrir les yeux sur la « beauté banale de l’homosexualité »), le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron (avec Grany, la grand-mère courageuse, qui vient clouer le bec aux homophobes), la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec la figure de l’hétéro gay friendly très « open »), etc. Par exemple, dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, c’est Prentice, le jeune et bel auto-stoppeur, super roots et super hétéro, pris en stop par le vieux couple de lesbiennes âgées, qui à la fin du film, devant un public ému et qui l’applaudira, nous fait son laïus bobo et pro-gay : « Je n’ai jamais vu un amour comme Stella et Dotty. […] Si l’amour est votre idéal, prenez exemple sur ces deux vieilles gouines. »

 

L’homoparent fictionnel a tendance à s’inventer des excuses-bidon pour étouffer sa juste culpabilité concernant l’homosexualité de son fils/de sa fille : il se croit excessivement attaché au paraître, aux petits-enfants, à l’image sociale, à ses croyances religieuses. « Peut-être que je pense trop aux gens… au qu’en dira-t-on. » (Sara face à son fils homo Malik, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « En fait, je sais très bien ce qui te choque. C’est de savoir que je suis avec une fille. C’est ça ? » (Romane, l’héroïne lesbienne s’adressant à son père, dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien) « Mais non. Mais non. Tu fais ta vie avec qui tu veux. Tu sais très bien que je n’ai jamais rien eu contre les… » (Alain, le père, idem) « Les quoi ? C’est quoi, le mot que tu cherches ? Lesbiennes ? » (Romane, idem) ; « Ça te dérange pas de savoir que je vais vivre avec une fille ? » (Romane, idem) « Mais non ! Bon, j’te dis pas que ça me fait plaisir, bien sûr. Mais j’m’y ferai. C’est ta vie. L’essentiel, c’est que tu sois heureuse. » (Alain, idem) « Merci papa. » (Romane, idem)

 

MÈRE GF 6 Ariane Ascaride

Ariane Ascaride


 

Le témoignage de ce nouveau converti a d’autant plus de force que ce dernier se présente comme un hétérosexuel pur jus et totalement désintéressé par les droits des homos, un simple humaniste qui s’est laissé surprendre par la compassion, un ex-homophobe (en général, son discours pro-gay se fait devant une assemblée nombreuse, larmoyante et penaude, dans un tribunal, une High School nord-américaine, ou un plateau télé) : cf. le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore (avec la maman de Steven, jadis homophobe, qui va finalement défendre son fils), la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (avec la maman de JP, dont la conversion à l’acceptation de l’homosexualité de son fils est très rapide), le film « Prayers for Bobby » (« Bobby : seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy (avec Mary, la maman ex-homophobe qui va parler courageusement devant les caméras de télévision), la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval (avec Marina, la mère de Fred, qui n’est pas aussi « fermée » que prévu), le film « Prom Queen » (« La Reine du bal », 2004) de John l’Ecuyer (avec le tour à 90° de la rigide Emily Hall), le film « When Night Is Falling » (1995) de Patricia Rozema (avec le révérend qui demande pardon pour son propre aveuglement homophobe et celui de ses ouailles), le film « Boat Trip » (2003) de Mort Nathan (avec le plaidoyer tolérance de Nick, l’hétéro), etc. Par exemple, dans la pièce Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman, le père Steeven (un prêtre… donc attention : supposé « gros con ») prend la défense de la communauté homo, et se montre devant les caméras très affecté/compassé par la mort de Matthew Shepard (jeune homosexuel de 19 ans, assassiné sauvagement). Dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, la dernière réplique du film est la formulation d’un « Pardon » de Marie, la mère endeuillée par le suicide de son fils homo Adrien : même si ce n’est pas dit, le spectateur finit par comprendre que c’est l’homophobie des parents qui a conduit Adrien à mettre fin à ses jours. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, la mère d’Howard (le protagoniste homosexuel), qui au départ était homophobe, organise de manière improvisée le jour du mariage hétéro de son fils, une sorte de cercle d’Alcooliques Anonymes avec les petites vieilles qui l’entourent, pour mieux sourire à la nouvelle du coming out de son fils. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le père beauf de Johnny (le héros homo), à la fin de l’histoire, fait un irrationnel turn-over, et encourage même son fils à retrouver son copain Romeo. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Corinne, la mère du jeune Louis, homosexuel, passe d’homophobe à gay friendly, et fait la morale à son mari : « C’est à nous de changer, c’est pas à lui. »

 

« Je suis désolée d’avoir voulu te changer. Tu nous pardonneras ? On s’est trompé. Pardon. » (Patty, la mère-speakerine s’adressant à Steve dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Ma fille couche avec des femmes. Ça ne me dérange pas. » (le père s’adressant à sa fille lesbienne Claire, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Je t’en prie ma chérie, écoute ton cœur. » (Ned, le père de Rachel, l’héroïne lesbienne lui faisant son coming out, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; etc.

 

Certains ex-homophobes hétérosexuels font leur mea culpa au nom de la « honteuse et aveugle communauté hétérosexiste et patriarcale » dont ils font malheureusement partie : c’est le cas par exemple du frère Antoine dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, religieux demandant pardon au jeune Malcolm pour la « fermeture homophobe » de son Église catholique, et encourageant ce dernier à revenir dans les bras de son amant Adrien.

 

L’hommage des hétéros sympathisants se veut émouvant. Ils s’inclinent devant les « héros » homosexuels : « Ce sont des personnes comme vous qui me font aimer ce métier, qui me donnent envie de soigner, de ne jamais désespérer. » (l’infirmière à Adrien, idem, p. 132) ; « Tu sais, en tant que père, je suis capable de t’aimer comme tu es. Même à moitié nu, sur un char de la Gay Pride. » (Eddy le « père » gay friendly s’adressant à son « fils » Édouard, dans la pièce Moi aussi, je voudrais avoir des traumas familiaux… comme tout le monde (2012) de Philippe Beheydt) ; « Je vais dire une banalité. Mais ce qui compte, c’est d’aimer. » (Tommaso, un père de famille qui croit que son fils Andrea est gay, et qui affiche une tolérance ++, dans le film « Tout mais pas ça », « Se Dio vuole » (2015) d’Edoardo Falcone) ; « C’est le courage de mon fils qui me donne des leçons. » (père d’Éric à son fils homo) (le père d’Éric le héros homo dans l’épisode 7 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Merci de m’avoir fait grandir malgré mon grand âge. » (Richard, le père homophobe d’Antoine son fils homo, s’adressant aux « mariés » Antoine et Christophe le jour de leur « mariage », dans le téléfilm « Le Mari de mon mari » (2016) de Charles Nemes) ; etc.

 

Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, c’est un défilé de personnages bien-pensants, soit très méchants, soit très gentils (= comprendre « pro-gays »), soit des méchants qui deviennent spectaculairement gentils (parce qu’en réalité, l’homosexualité leur permet de laisser exprimer en eux un désir bisexuel secrètement refoulé). Par exemple, la vieille Gwen, hétérosexuelle, se laisse enseigner l’homosexualité par ses amis militants LGBT, puis, émue de sa propre capacité à changer d’avis sur la question, elle joue les miraculées ayant vu la Vierge : « Vous m’avez ouvert les yeux, les filles. » dit-elle à ses nouvelles amies lesbiennes, les yeux pleins de larmes. Quant à Hefina, la villageoise gay friendly (et secrètement lesbienne), elle engueule vertement tous les gens de son village s’ils ne sont pas assez enthousiastes et accueillants vis à vis du groupe LGBT qui s’est incrusté dans leur contrée. Nan mais ho ! On va vous apprendre ce c’est que la tolérance ! Et pour finir, le couple hétérosexuel Martin/Sian (avec Sian, la femme bien en chair) est montré comme un exemple d’ignorance homophobe bien dressé à la « gay friendly attitude ». Il en devient même, à la fin, agressivement gay friendly, genre « chien de garde ».

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la mère de Bryan défend l’homosexualité son fils, et son plaidoyer gay friendly final a d’autant plus d’impact qu’elle s’était montrée particulièrement homophobe au début de l’histoire : « Ma mère se sentit fière d’elle. Elle avait le sentiment que cette discussion lui avait vraiment fait comprendre son fils, qu’en me défendant de la sorte, elle n’avait jamais été aussi proche de moi. » (Bryan, p. 400) La dramatisation autour du coming out, même si elle apparaît comme pro-gay, est en réalité déplacée, irréaliste et homophobe : en effet, la mère de Bryan change soudain d’avis sur l’homosexualité de son fils qu’elle n’acceptait pas, en faisant un amalgame abusif entre deux réalités qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre : l’avortement d’une part et le rejet de l’homosexualité d’autre part (comme si toute résistance à la « vérité homosexuelle » était criminelle ; comme si le coming out était à la fois un événement extraordinairement joyeux et un cataclysme irréparable) : « Elle avait changé de ton et sa voix était plus douce. Elle avait presque les larmes aux yeux […] : ‘J’ai réalisé que si mes parents m’avaient dit, comme moi : ‘‘Tu ne peux pas le garder’’ lorsque j’étais enceinte de toi, et si je les avais écoutés, tu serais mort, il y a dix-sept ans. » (idem, p. 353) Dans une naïveté et un totalitarisme effarants, les auteurs vont jusqu’à associer le refus de l’homosexualité à l’infanticide, même si cet excès catastrophiste, ce chantage aux sentiments, seront ensuite noyés dans la formulation-bateau de jolis sentiments. « Tu n’es coupable de rien du tout. Tu es comme on t’a fait. Je suis désolée d’avoir si mal réagi hier. Ça ne sert à rien de pleurer et de crier. Je ne te ferai pas changer et je n’en ai pas l’intention. Si tu trouves ton bonheur avec Kévin, si c’est ton choix, à moi de m’adapter même si ce n’est pas évident. J’ai toujours été très fière de toi. Il n’y a pas de raison que ça change. […] La seule chose que j’ai comprise, c’est que quoi que tu fasses, je t’aimerai toujours. » (la mère de Bryan, op. cit., pp. 354-355) ; « Je t’aime comme tu es et quoi que tu fasses, je t’aimerai toujours. Tu es toute ma vie ! » (idem, p. 356)

 

En général, ces conversions de parents hétéros sont trop rapides, spectaculaires, et dénuées de réflexion, pour être réellement effectives. Il existe encore malheureusement des rebelles au dressage idéologique pro-gay. La mère gay friendly n’est pas toujours si gay friendly que cela : une fois qu’elle a joué la comédie de l’amour parental inconditionnel devant les caméras, se profilent très vite chez elle la jalousie, la possessivité, l’intérêt castrateur, l’homophobie. Elle se place en faveur de l’homosexualité de son fils tant qu’il reste éternellement sous ses jupons, bien célibataire, et qu’il ne ramène pas d’homme à la maison. Une fois qu’une tierce personne vient menacer l’équilibre incestueux qu’elle a construit avec son chérubin de fils, elle nous fait une crise ! « Je t’ai consacré toute ma vie. Je t’ai donné tout mon amour, et t’es prêt à me laisser tomber une semaine sur deux ! » (la mère de Bryan à son fils, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 367) Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, ça a l’air d’être la parfaite entente et les fous rires complices entre Kai le héros homosexuel et sa mère Junn (qui a tout deviné en secret de son homosexualité)… mais en réalité, la maman n’accueille son fils que s’il accepte d’être tout à elle. Elle jalouse Richard, l’amant de ce dernier : « Il a beau être ton ami, je ne l’ai jamais aimé. » Elle le rend responsable de sa mise en quarantaine dans une maison de retraite. « Elle est jalouse. Je suis le fils unique. » (Kai s’adressant à Richard). Junn passe aux aveux avec Richard après la mort accidentelle de son fils : « J’étais si jalouse de vous. […]Comme toutes les mamans du monde, je voulais que Kai soit à mes côtés. » Dans le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gendrault, c’est finalement le personnage le plus gay friendly de l’histoire qui se montrera aussi le plus hostile au couple homo : dès qu’Angelo, le héros gay, trouve chaussure à son pied, rien ne va plus du côté de sa mère ! Comme si on essayait de nous montrer que c’est précisément lorsqu’on essaie d’être le plus « tolérant » possible envers l’homosexualité que l’on prépare le mieux l’homophobie sociale…

 

D’ailleurs, l’homophobie du maternalisme gay friendly peut très bien être endossée par le héros homosexuel lui-même. Par exemple, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (cf. l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1), Shane, le héros homo, fait tout pour outer, ou plutôt forcer Amy et Karma à être homosexuelles comme lui : « Je suis tellement fier de mes petites ! »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Les mamans bonnes copines compréhensives :

Il est une tradition particulièrement hypocrite et savoureuse qui sévit actuellement dans la grande majorité des émissions télévisuelles traitant du coming out : on fait venir, pour la « Minute Émotion », la fameuse mère gay friendly à des talk shows afin de la présenter comme le modèle à suivre en matière d’avancée de la tolérance pro-homos. Cette reine du carnaval, qui maintenant est même disposée à défiler aux Gay Pride, se prête au jeu de l’exhibition, sans en mesurer vraiment les conséquences pour sa propre vie intime future. Elle parle du coming out de son fils dans une optique de guérison, comme on étale ses états d’âme chez un psy, mais avec la seule différence qu’elle le fait avec un narcissisme beauf (qui la désigne à son insu comme la complice opportuniste de sa détresse), pour le plaisir de se raconter, d’expier ses fautes et sa culpabilité, de se montrer sous son meilleur jour. Car c’est bien connu : une mère est naturellement douce, psychologue, accueillante, forte, compatissante, sensible… Pas mal de personnes homosexuelles sont prêtes à avaler cette couleuvre : « Au fond d’elle-même, ma mère savait que j’étais gay. J’étais un gay précoce. » (le chanteur homo Jake Shears interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Ma mère devient militante elle aussi. Elle aimerait qu’on parle de l’intersexuation autant que des Vegan ou des vacances en Grèce. » (Déborah, personne intersexe élevée en fille, dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018)

 

MÈRE GF 7 Au-delà de la haine

Documentaire « Au-delà de la haine » d’Olivier Meyrou (avec la soeur de François)

 

Les exemples de mères gays friendly impudiques ne manquent pas. Je garde en mémoire l’intervention grotesque – et pourtant sincère – de la comédienne française Chantal Lauby, venue en tant que mère « hétérosexuelle » pleurer pour les personnes homosexuelles devant les caméras de Jean-Luc Delarue à l’émission Jour après Jour, sur France 2, en novembre 2000. Je pense aussi actuellement au rôle de mère très concernée par la lutte contre l’homophobie que prend la chroniqueuse Frigide Barjot en France. De son côté, Ariane Ascaride défend la cause homosexuelle en maman-actrice « ouverte » dans le film-fiction « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, on nous montre un repas de famille autour de la mère, Thérèse, lesbienne, et ses enfants déjà grands… et tout le monde rigole. Dans le documentaire « Yang + Yin : Gender in Chinese Cinema » (1997) de Stanley Kwan, la mère du réalisateur est invitée à parler ouvertement de l’homosexualité de son fils. En général, les interventions médiatiques de l’association Contact en France (association des « parents d’homos ») sont menées par des mères (les papas sont minoritaires) ; et lors des émissions télévisuelles traitant d’homosexualité, on nous ressert toujours la même « maman d’homo », Christiane (à croire que les programmateurs n’en ont qu’un seul modèle !), qui raconte 36 000 fois le même coming out depuis des années… et qui promet à chaque fois que ce sera son dernier passage-télé. Dans l’émission Infra-Rouge intitulée « Souffre-douleurs : ils se manifestent » diffusée sur la chaîne France 2 le 10 février 2015, le jeune Lucas Letellier, lycéen se disant « homosexuel », témoigne du harcèlement scolaire qu’il a subi, aux côtés de sa mère, une femme agressivement gay friendly, qui, derrière un soutien expansif, marque bien son territoire (et le fils ne s’en révolte même pas !) : « T’es toujours mon grand bébé quand même ! » Il est frappant de voir dans le discours de ces mamans gays friendly réelles la revendication de la pseudo « intuition féminine » et de leur exceptionnelle et naturelle « douceur de mères ».

 

Cette mère gay friendly n’est pas d’abord la « mère de sang » mais bien l’actrice, donc la mère symbolique : « C’est un grand plaisir pour moi de participer au festival Chéries-Chéris, où je compte tant d’amis. » (Blanca Li, lors du 18e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2012)

 

MÈRE GF 7 Évelyne et Christiane

Évelyne et Christiane dans « Y’a une solution à tout » sur Direct 8


 
 

b) Les parents de fils ou fille homosexuel(-le) exemplaires :

Je vous renvoie aux témoignages de parents collectés dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, aux reportages sur l’association Contact en France, au documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy dans l’émission Tel Quel diffusée le 14 mai 2012 sur la chaîne France 4 (avec notamment les parents de Sarah), ainsi qu’au documentaire italien « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti sur les parents d’enfants homos.

 

Les premières victimes du coming out sont souvent les parents – les « homoparents », comme les baptise Fabrice Pradas (dans son essai Cinéma gay (2005), p. 41). Dans la majorité des cas, ils sont pris entre deux feux. Tandis qu’on leur demande de parler d’homosexualité de toute urgence à leurs enfants, on les avertit que tout ce qu’ils diront porte déjà contre eux et que leur discours est de toute manière stéréotypé et réactionnaire, voire criminel puisque le rejet de l’homosexualité constituerait la première cause de suicide chez les jeunes. L’ultimatum lancé est terrible quand la proposition de dialogue autour de l’homosexualité n’est qu’une demande tacite de consentement silencieux.

 

Il arrive souvent que les personnes homosexuelles tapent sur la nuque de leurs parents par moyens détournés. Plutôt que de se donner la peine d’argumenter et de discuter, elles les invitent à s’éloigner d’elles pour qu’ils se soignent tout seuls comme des grands et aillent propager la Bonne Nouvelle de leur guérison aux autres homoparents malades d’homophobie. À la télévision, un nombre important de reportages sur l’homosexualité sont destinés à éduquer les parents afin que ceux-ci choisissent le droit chemin. Le mot « éducation » sera la plupart du temps remplacé par un jargon scientifique ou émotionnel : il est question d’« information », de « sensibilisation », de « prévention », de « solidarité », de « dialogue »… « Les droits et les libertés des personnes homosexuelles n’ont cessé d’évoluer durant ces quarante dernières années. […] Immersion au cœur de l’association Contact, dont les bénévoles : parents, homos, membres de la famille ou amis se démènent autour d’un mot qui manque bien souvent au sein de nos familles aujourd’hui : le dialogue. Au travers de cette mixité intergénérationnelle, regard sur des histoires de vie, d’acceptation ; de fierté, de honte et surtout d’amour. » (cf. le résumé du documentaire « 20 ans de Contact » (2013) d’Héloïse Lester, dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 89) On nous montre des images de coming out très réussis, de conversions de parents coûteuses mais ultra-rapides, de géniteurs durs à cuire miraculeusement conquis à la cause homosexuelle, de parents gays friendly bien dressés qui tapent du poing sur la table et clouent le bec aux ennemis de leurs enfants à leur place. La mère ouverte et compréhensive, qui pleure d’émotion pour les personnes homosexuelles, est un personnage connu des films et des talk shows. Évidemment, le « père-bourrin-comprend-rien » est écarté de la scène idyllique de complicité filiale (voire amicale !)… même si, de plus en plus, il ose pénétrer timidement dans le champ de vision des caméras.

 

Après la mère gay friendly, on a aussi droit aux pères gay friendly ! : par exemple, dans son one-man-show Anthony Kavanagh fait son coming out (2010), Kavanagh avoue très sérieusement au public que si son propre fils, une fois adulte, lui annonçait qu’il était homo, il se dirait : « Je m’en fous. J’veux qu’il soit heureux. » Quel courage. C’est magnifique. Il en faut, du panache pour oser soutenir ce genre de discours… parce que de nos jours, on risque la prison…

 

MÈRE GF 7 - I'm proud of my gay son

« I’m proud of my gay son » (Gay Pride aux USA)


 

Certains parents se piquent au jeu de l’auto-analyse repentante, pour regagner la sympathie de leur progéniture par l’autoflagellation. Tout le monde s’y met : on n’arrête pas la chaîne de la moralisation pédagogique en si bon chemin ! Lors des réunions dans les associations homosexuelles (par exemple Contact en France), les « parents d’enfant homosexuel » qui ont « assumé » l’homosexualité de leur fils ou de leur fille (comme si c’était la leur…), vont à leur tour endosser le rôle gratifiant des donneurs de leçons pour les autres, en les regardant droit dans les yeux et en simulant la complicité des victimes : « Être homoparents n’est pas une fatalité. Nous sommes tous passés par là, nous savons ce que c’est… Il n’y a pas de raisons de culpabiliser ni de douter. Il faut juste accepter notre fils tel qu’il est, et non tel que nous voudrions qu’il soit. Soyons fiers de lui et de son homosexualité, par amour pour lui. Ne souhaitons-nous pas plus que tout au monde son bonheur ? »

 

À l’heure actuelle, beaucoup de parents battent leur coulpe avec le sourire, se font la morale tout seuls ou bien entre eux, sans qu’on ait besoin d’intervenir. « Il était à deux doigts de leur tomber dessus’ a conclu ma mère. » (la mère parlant de son mari prêt à défendre son fils Eddy Bellegueule traité de « pédale », dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 119) On écoute leur « litanie de la honte du réactionnaire », qui paradoxalement ne demande pas pardon pour ce qui mériterait précisément réparation (inceste, divorce, instrumentalisation des enfants, trop-plein d’amour, etc.). Maintenant, certains en sont rendus à un point où ils réclament leur étiquette de « vieux cons » que leurs enfants homosexuels ne pensaient même pas leur coller. Les homoparents étaient jadis cons dans l’opposition à l’homosexualité ; ils le deviennent maintenant tout autant dans l’accueil désarmé !

 

Par exemple, dans le documentaire « Les Femmes entre elles » de l’émission Dans les yeux d’Olivier (réalisé par Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq, diffusé sur la chaîne France 2 le 12 avril 2011), les parents de Fanny, une jeune lesbienne, se présentent comme des malades cheminant progressivement vers l’acceptation de l’homosexualité de leur fille : « C’est en voie de guérison. » Mais à quoi cela sert de s’affaiblir, si c’est en plus pour alimenter les non-dits ?

 

Il ne me semble pas abusif du tout de parler de harcèlement moral à propos de la politique de « sensibilisation » des parents d’enfant homosexuel à l’acceptation de l’homosexualité. On fait comprendre aux homoparents encore récalcitrants qu’ils jouent avec le feu s’ils n’assument pas l’homosexualité de leur enfant à sa place : « Ne pas aider les jeunes gays et lesbiennes à accepter (leur homosexualité), c’est les livrer à l’homophobie de leurs copains, à l’angoisse d’être différents, voire à la tentation du suicide… C’est surtout manquer gravement à l’éducation affective et sexuelle des adultes de demain. Il y a urgence : les récents actes homophobes nous rappellent que l’enjeu n’est pas seulement individuel mais aussi social, tant il est vrai que la reconnaissance des différences doit se faire très tôt. » (cf. la revue DJ Actu, « L’Homosexualité à l’École : Faut-il en parler ? », n°109, avril 2004, p. 3) Mais c’est ni plus ni moins du chantage aux sentiments et du déni de souffrance.

 

L’éventuelle critique parentale du caricatural coming out est souvent diabolisée dans le catastrophisme émotionnel. Par exemple, dans le film « Prayers For Bobby » (« Bobby : seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy, inspiré d’une histoire vraie, Mary Griffith, une mère « homophobe » va, à cause du suicide de son fils, faire partie de l’association d’homoparents PFLAG, et associer son ancestral refus de l’homosexualité à un meurtre, pour ne pas comprendre que ce refus n’est ni aussi absurde ni aussi violent qu’une mort volontaire.

 

Or je crois que les réticences des parents face au coming out sont en partie justifiées. Mis bien souvent au pied du mur au moment du coming out, ils ne réagissent pas toujours finement. Leurs arguments parfois simplistes et maladroits ne sont cependant pas à prendre au pied de la lettre, mais plutôt à retraduire en peur justifiée que leur enfant soit malheureux, qu’il ne construise pas sa vie sur du solide, qu’il ne soit pas bien entouré, qu’il ne puisse pas se passer du bonheur de fonder une famille. Certes, la bonne intention n’excuse pas tout ce qui est proféré, mais elle explique, atténue, appelle à la clémence, et est parfois recevable. En effet, comme je l’explique plus longuement dans mon traitement du code « Mort » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, annoncer son homosexualité, cela revient aussi à faire jour sur son désir de mourir, ce qui est objectivement violent à entendre. Beaucoup de personnes homosexuelles reçoivent comme des coups de poignard des questions parentales parfois gênantes, et pourtant essentielles, existentielles.

 
 

c) Les personnes « homophobes » repentantes :

La conversion de l’indécrottable hétérosexuel homophobe est présentée comme un héroïsme spectaculaire. « Je suis reconnaissant à ma mère, non seulement de m’avoir accepté tel que je suis, mais de me manifester encore plus d’affection depuis qu’elle sait. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 11) D’ailleurs, on l’applaudit plus au mérite que pour la valeur même de son acte (car au fond, il n’y a rien de noble à se taire et à se soumettre à l’homosexuellement correct).

 

La communauté homosexuelle, aussi surprenant que cela puisse paraître, court après les personnes qu’elles jugent les plus homophobes, pour ensuite y dénicher ses meilleurs représentants gay friendly : c’est une manière pour elle de s’auto-attribuer le rôle de la Prêtresse-guériseuse qui, dans sa grande bonté, absout les péchés d’une exception d’homophobe qu’elle va gentiment gracier (mais une fois n’est pas coutume : le reste « des » homophobes sera sévèrement puni !), et d’authentifier les rares miracles de tolérance qui existent encore sur cette Terre hétéro-patriarcale hostile…

 

Pour devenir un « héros d’un quart d’heure » gay friendly, rien de plus simple ! Si vous êtes mère, vous avez toutes les chances. Si vous êtes une femme lesbienne noire, aussi. Mais le top du top, c’est quand même si vous êtes homophobe. Il suffit de défendre l’identité et les amours homosexuelles tout en gardant sagement son statut « d’homophobe hétérosexuel », de « vieux », d’homme politique « de droite », etc., pour être porté aux nues par la communauté homosexuelle : pensons par exemple à l’enseignante « hétérosexuelle » nord-américaine Penny Culliton qui s’est battue pour faire étudier des livres mettant en scène des héros ouvertement homos à ses élèves ; ou bien à une femme ministre de droite comme Roselyne Bachelot, qui a pleuré au micro de l’Assemblée Nationale en faveur de l’adoption du PaCS ; ou encore à l’essai Iglesia Católica Y Homosexualidad (2006) de Raúl Lugo Rodríguez, qui s’annonce comme le pamphlet du pardon demandé par un ecclésiastique à la communauté homosexuelle. Que c’est gay friendly, l’homophobie !

 

D’ailleurs, les applaudissements des proches et leur tolérance gay friendly sont tellement puants et lâches qu’en réalité, ils ne font pas plaisir aux personnes homosexuelles, qui finissent par se rendre compte qu’elles sont utilisées : « Je ne voulais pas d’une mère comme ça. Pourquoi ? Je ne saurai pas dire… […] J’en voulais pas ! Est-ce qu’on peut imaginer un tel paradoxe ? » (une témoin lesbienne racontant sa gêne par rapport au soutien excessif de la mère d’une de ses ex-compagnes vis à vis de leur couple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Les gens intolérants qui me jugent sont les gens ouverts qui croient bien faire en pensant que je suis né ainsi alors que je sais que c’est pas vrai, et qu’ils veulent absolument me rendre gay. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, juin 2014) ; etc. Par exemple, dans son film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013), Guillaume Gallienne dit qu’il veut écrire une pièce racontant l’histoire d’« un garçon qui doit assumer son hétérosexualité dans une famille qui a décrété qu’il était homosexuel ».

 

Pour ma part – et je conclurai ainsi –, je me suis toujours méfié des élans euphoriques d’acceptation sociale de l’homosexualité. Dans mon parcours personnel, j’ai souvent remarqué que ce sont les personnes en théorie les plus gay friendly de mon entourage familial, celles qui ont applaudi des deux mains à mon coming out et qui ont banalisé mon désir homosexuel dans un relativisme bon ton (alors que je ne leur demandais justement pas une telle effusion de jubilation), qui contre toute attente se sont révélées sur la durée le plus homophobes à mon encontre et qui ont pathologisé/instrumentalisé mon homosexualité pour me clouer le bec quand je faisais lumière sur leurs blessures. Beaucoup de personnes soi-disant « hétérosexuelles » sautent trop précipitamment sur l’essentialisation du désir homosexuel pour avoir les mains propres dans cette histoire : le coming out est la cloche qui recouvre les problèmes de l’individu homosexuel comme ceux de l’individu hétéro qui ne sait pas aimer. Les personnes les plus véritablement respectueuses de mon homosexualité que je connais sont finalement celles qui ont eu l’audace de me reconnaître en tant que personne et non en tant qu’homo, qui ont reconnu mon désir homosexuel tout en le laissant au second plan.

 
 

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Code n°120 – Mère possessive (sous-codes : Maman mon tout mon roi / Maman-gâteau)

Mère possessive

Mère possessive

 

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ma mère m’adore, je l’adore

… et c’est justement ça le problème

 
 

L’association mère-homosexualité agace souvent la communauté homosexuelle au plus haut point. Et il est facile de comprendre pourquoi : bien des sujets homosexuels ne désirent pas analyser la relation idolâtre qu’ils entretiennent avec l’être qui est pour eux le plus détestable et le plus cher au monde. Ils démontrent par leurs propos qu’ils ont élevé leur mère au rang de déesse ou de vierge, pour mieux fuir les femmes réelles. Dans les œuvres homo-érotiques, cette matrone toute-puissante prend tellement de place qu’elle donne très souvent la mort aux hommes ou à leur propre fils. Cela peut correspondre à une certaine réalité. Même si tous les schémas psychologiques attribuant à une mère, et à elle seule, l’origine de l’homosexualité d’un fils sont suspects, le cliché de la mère possessive est malheureusement loin de n’être qu’une caricature ! Les personnes homosexuelles de notre entourage qui n’ont toujours pas réussi à couper le cordon, et qui sont assaillies de la présence étouffante de leur bonne maman, réelle ou symbolique (une nourrice, une tante excentrique, une sœur, une grand-mère, une institutrice, une actrice, une chanteuse, etc.) ne manquent pas! Certaines personnes homosexuelles sont victimes de la revendication virile de leur mère : la mère cinématographique – et parfois la mère réelle – cherche souvent à montrer à son fils que son père n’est qu’un tyran « sans couilles », prend la place de son enfant au point d’envahir son espace psychique, l’aide à s’homosexualiser, impose le sacrifice de toute individualité, et cultive la politique du secret de polichinelle.

 

Et le pire, c’est que la majorité des personnes homosexuelles cautionne cet abaissement à l’idole maternelle par la validation passive de leur homosexualité. Par exemple, Julien Green nie que sa mère ait été tyrannique (« Non, elle était très douce », affirme-t-il à l’émission Apostrophe, diffusée sur la chaîne Antenne 2 le 20 mai 1983), et reconnaît tout de suite après qu’elle a largement outrepassé ses fonctions maternelles. Comme l’écrivait Marcel Proust dans sa préface à Sodome et Gomorrhe (1922), qui pourtant adorait sa mère, « il est difficile de supposer que la mère ou la sœur qui nous aime absolument, ne saisisse pas dans l’essence de notre nature toutes les conséquences, même mauvaises, qu’elle peut porter, difficile aussi de croire que dans son amour pour cette essence elle ne pardonne en elle ces conséquences détestables. » Beaucoup d’individus homosexuels ont droit aux confidences maternelles qui ne les regardent pas, servent de substitut marital pour reporter/illustrer un divorce, si bien qu’ils ne savent plus exactement comment définir ce lien de proximité excessive mais irréelle avec leur mère, et n’osent pas toujours prendre le large.

 

La frustration que leur apporte la relation fusionnelle qu’ils maintiennent parfois avec leur mère réelle et les enjeux de stérilité qu’elle induit ont de forte chance d’être contre-investis dans une soumission totale au modèle du bon enfant dévoué et parfait. Un pacte tacite de non-agression unit fréquemment la mère réelle et son fils homosexuel. « Tu acceptes de me faire dieu, et je ne dénoncerai pas tes abus » déclare le fils à sa mère ; « Tu acceptes d’être tout à moi, et en retour tu seras mon idole (ou je serai ton idole) » promet la mère à son fils. Leur duo peut avoir un fonctionnement bancal mais qui contente pour un temps les deux parties : la mère accepte de servir de joli trophée ou de femme de substitution à son fils ; et la mère fétichise son fils homosexuel en Don Juan, en objet sacré qui peut se prendre plus tard pour l’amour même : « Elle m’aimait excessivement. C’était trop. Moi, je l’aimais beaucoup. Elle a installé l’amour en moi. Elle a fait de moi un homme qui a toujours été amoureux » avoue Julien Green (toujours dans l’émission Apostrophe). Remettre en cause la passion maternelle, cela revient selon certaines personnes homosexuelles à renoncer à leur statut divin, et bon nombre d’entre elles ne sont visiblement pas prêtes à cela, même si à d’autres moments, elles avouent ressentir la projection d’idéaux comme une tyrannie. Bien des fils d’homoparents s’adressent à eux-mêmes le cri sans révolte similaire à celui que Pierre pousse dans le film « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré : « Pourquoi est-ce qu’on demande toujours aux fils d’être des dieux ? »

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Inceste », « Bergère », « Vierge », « Regard féminin », « Parricide la bonne soupe », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Grand-mère », « Infirmière », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Reine », « Actrice-Traîtresse », « Tante-objet ou maman-objet », « Mère gay friendly », « Sirène », à la partie « Peur de devenir folle » du code « Folie », à la partie « Fausse résistance » du code « Matricide », et à la partie « Festins » du code « Obèses anorexiques », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Maman mon tout mon roi :

Dans beaucoup de créations traitant d’homosexualité, la figure de la mère est célébrée par le héros homosexuel : cf. la chanson « Mother Love » du groupe Queen, « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec Bruno adorant sa mère), la chanson « Maman la plus belle du monde » de Luis Mariano, le film « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré, le film « Belle Maman » (1999) de Gabriel Aghion, « Je retourne chez maman » (1952) de George Cukor, le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (avec la figure idéalisée de la mère), le film « Mommie Dearest » (1981) de Frank Perry, le film « Maman très chère » (1981) de Frank Perry, la pièce Casimir et Caroline (2009) de Horváth von Ödön (avec Eugène vivant seul chez sa mère), le film « Mamma Mia » (2007) de Phyllida Lloyd (un grand classique gay !), le roman Du côté de chez Swann (1913) de Marcel Proust, le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie, la chanson « Mama » des Spice Girls, la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (où François est présenté comme un éternel adolescent qui vivra toute sa vie au crochet de sa mère), la chanson « Dimanche 6 août » de Stefan Corbin, le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier (avec la chanson « Maman, c’est toi, la plus belle du monde »), la chanson « Je t’aime maman » de Lorie, la chanson « Oh Mama » de Jeanne Mas, « Toutes les mamas » de Maurane, le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand (abordant la catégorie des gays fils-à-maman), la nouvelle La Nuit est tombée sur mon pays (2015) de Vincent Cheikh, la chanson « Xavier » d’Anne Sylvestre, etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Mama" des Spice Girls

Vidéo-clip de la chanson « Mama » des Spice Girls


 

Les héros homosexuels, filles comme garçons, ne tarissent pas d’éloges à l’égard de leur génitrice : « C’est la plus belle chose au monde, l’amour d’une mère. » (João dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz) ; « Rien ne remplacera le sein d’une vraie nourrice ! » (Mimi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, p. 374) ; « Je crois que tu es la femme la plus importante de ma vie. » (Laurent, le héros homo, à sa mère Suzanne, dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon) ; « Le seul regard de femme que tu portes en ton âme n’est plus sur cette terre, et ce regard de femme, c’est celui de ta mère. » (la Groupie s’adressant à la figure bisexuelle de James Dean, dans la chanson « Éternel Rebelle » du spectacle musical La Légende de Jimmy de Luc Plamondon) ; « Moi, j’étais un fils-à-maman. » (cf. la chanson « La Chanson de Ziggy » de Ziggy et Marie-Jeanne dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger) ; « Maman avait raison. » (Jean-Paul parlant à sa future femme Catherine, dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor) ; « Je travaille toujours bien ici. Ça doit être toi qui m’inspires. » (Yves parlant à sa maman, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « Maman et moi, on s’aime plus que n’importe qui. […] Elle est très pudique. Elle n’aime pas s’épancher. Elle n’a aucun défaut. Ma mère, elle est géniale. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « La fourchette, c’est la maman. Le couteau, c’est le papa. La fourchette, c’est celle que je préfère. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Le Prince Laurent a hérité de la grâce et de l’élégance de la Reine Berthe. » (Laurent Spielvogel parlant de lui et de sa mère version réifiée/royale, idem) ; « Les baisers d’une maman guérissent toutes les blessures. » (la maman de Davide, le héros homosexuel, embrassant les tétons, le ventre et la bouche de son fils, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros homosexuel, déclare que sa mère (Adesse) est « la femme qu’il admirait le plus au monde » (p. 58) : « Je crois que j’ai toujours eu besoin d’elle pour entretenir ce cordon ombilical dont je n’arrivais pas à me défaire. » (idem, p. 69) ; « Adesse représentait pour lui la personne la plus chère au monde. » (idem, p. 70) ; « Entre la mère et le fils, il existait comme une force télépathique qui leur permettait d’agir simultanément à des kilomètres. » (idem, p. 108) Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine, le héros homosexuel, passe « tout son temps au téléphone avec sa mère ». Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le héros homosexuel, avoue que chez lui, pendant son enfance, c’est sa mère qui régentait tout : « Ma mère, c’était peut-être pas un homme, mais c’était un génie. C’était une grande dame. » Elle était sa reine : « À la maison, j’aidais toujours ma mère. » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le jeune héros homosexuel, a une relation de proximité avec sa maman. Il l’embrasse dans l’église. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Rupert, le héros homo, écrit un livre avec pour épitaphe « À la mémoire de ma mère » et maintient avec sa maman Sam une relation quasi conjugale : « Je vis seul avec ma mère. » L’un et l’autre portent une chaîne autour du coup avec les initiales de l’autre gravées sur un pendentif. C’est le même schéma incestuel que vit John, lui-même homo, avec Grace sa maman : « Je te connais. J’ai été la première. » dit-elle.

 

Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne, en cours de dessin en maternelle, peint une carte pour sa mère dans laquelle elle écrit : « Maman, tu es la reine de mon cœur. » (p. 86) Dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Wassim, l’un des personnages homosexuels, embrasse goulument sa maman. Il arrive que le héros homosexuel, comme un grand gamin, appelle sa mère au secours : « Mama, ouh ouh ouh, I don’t want to die… I’m just a poor boy, nobody loves me (He’s just a poor boy from a poor family). » (cf. la chanson « Bohemian Rhapsody » du groupe Queen) Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Kai (le héros homosexuel) et sa mère Junn ont une relation complice très fusionnelle, incestuelle : « Maman, t’es la n°1 dans mon cœur. » déclare Kai à cette dernière). Junn veut vivre le restant de ses jours avec son fils et lui en veut de l’avoir mise en maison de retraite : « Je suis la famille avant tout. Tu ne peux pas te débarrasser de ta mère comme ça. » « Comme toutes les mamans du monde, je voulais que Kai soit à mes côtés. » La mère et le fils s’entendent comme deux meilleurs amis ou comme un petit couple qui partage toutes les confidences, toutes les histoires de cœur. Richard, l’amant secret de Kai, les décrit comme deux jumeaux : « Vous êtes pareils tous les deux. » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio, 17 ans et homosexuel, a une relation fusionnelle avec sa mère Annella : ils s’embrassent sur la bouche, et goulument dans le cou.

 

Très souvent dans les créations artistiques traitant d’homosexualité, le héros homosexuel est associé à un « fils à maman ». « Le p’tit Martin [héros sur lequel pèse une forte présomption d’homosexualité] à sa maman est une Cendrillon ! » (Malik, le héros hétéro, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Ton fils c’est ton portrait craché. Tout pour l’apparence ! » (Laurent Spielvogel imitant son père parlant à sa mère, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Tu vas le laisser tranquille ! Tu vas arrêter de le couver comme ça ?!? Tu vas en faire une… » (Charles, le père de Victor le jeune héros homosexuel, s’adressant à sa femme Martine, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc. Par exemple, dans le film « Attitudes » (2005) de Xavier Dolan, Jules, le héros homosexuel, est traité de « p’tit gars à sa maman » par un camarade du collège. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Malik, le héros homosexuel, pense que le fait d’avoir grandi avec une mère castratrice et ses cinq tantes « aurait pu faire de lui un pédé ». Dans le film « Friendly Persuasion » (« La Loi du Seigneur », 1956) de William Wyler, Jacques, pourtant jeune adulte, est constamment sous la coupe de sa mère : elle le borde encore dans son lit (« Combien de fois je vais encore te border ? »). Le père de Jacques fait la remarque à son épouse : « Eliza, tu ne peux pas le garder dans tes jupons toute ta vie. »

 

La réputation du vieux garçon homosexuel (= le Tanguy) collé aux basques de sa maman chérie n’est plus à faire ! Très souvent, mère et fils hébergent sous le même toit : cf. le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie (avec Armand, le héros homosexuel de 43 ans, qui vit encore seul avec sa mère), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec le voisin célibataire homo, vivant chez sa mère), le film « Tanguy » (2001) d’Étienne Chatiliez, la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan (avec le coiffeur homo Romain, habitant seul chez sa mère) ; etc.

 

« J’habite seul avec maman dans un très vieil appartement, rue Sarasate. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « J’habite seule avec maman. » (Micheline le travesti M to F de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Y’a qu’un homo pour vivre encore chez sa mère à trente ans… » (Laurent à Cédric quand ce dernier lui demande comme il a deviné son homosexualité, dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure) Par exemple, dans la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, Jacques est toujours fourré sous les jupes de sa mère. Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, Abram « veut vivre auprès de sa mère ». Dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Jacques, le héros qui se travestit en Chantal en cachette, vit encore avec sa vieille mère ; il s’habille d’ailleurs comme elle : « Ma mère elle-même s’habille en femme. »

 

La mère possessive est la figure maternelle symbolique au sens large : elle peut s’étendre à la sœur, la nourrice, la tante, l’institutrice, l’actrice, à toutes femmes qui exercent un pouvoir désirant sur le personnage homosexuel. « Servante à la place de ma mère. Femme à la place de ma mère. » (Omar évoquant Hadda, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa) ; « Elle est sympa, la photo de ta mère sur le mur. » (Raphaël par rapport au portrait de Jackie Quartz trônant dans le salon de son copain Benoît, dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « J’aime bien les mères, moi ! » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; etc.

 

La mère adorée en question n’est pas toujours la biologique mais la cinématographique : « C’est quoi le problème ? C’est sa mère, Sophie Marceau ? » (Alex par rapport au héros homosexuel Gabriel, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) Par exemple, dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, la sonnerie de portable de Léo, indiquant un appel entrant de sa mère, c’est « Casse-Noisette » de Tchaïkovsky. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu parle de sa mère en l’imitant comme s’il s’agissait de la mère cinématographique : « Parce que je le vaux bien. » Dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Jacques Alvarez, l’homme transgenre M to F, vit encore avec sa vieille mère : il s’habille comme elle, en soutenant que « sa mère elle-même s’habille en femme. » La mère, dans ces cas-là, est un féminin d’accessoire.

 

Elle a d’ailleurs tout d’une déesse impalpable, immatérielle et parfaite : « Une mère ne se trompe jamais. » (Hubert, le héros gay de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Ma mère a toujours été très très complice de moi, en cachette de mon père pour que je puisse rêver, pour que je puisse devenir moi. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) La mère du personnage homosexuel n’est pas incarnée. C’est une icône virginale. « Je me souviens que je suis très content. Comme toujours quand je crois qu’elle est très heureuse. Et belle. » (le narrateur en parlant de sa mère, dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 9) ; « Je décide d’attendre sans bouger un long et profond sommeil qui ressemble à la mort comme je l’imagine. J’y vois maman dans une grande robe blanche. Elle me sourit, court dans un champ de fleurs bleues. On dirait qu’elle vole. » (idem, p. 88) ; « Il y a des centaines de photos de maman. Elle était si belle… Il ne fallait pas la toucher tant elle était si belle… » (le jeune Thomas, dans le bâti Lars Norén (2011) mis en scène par Antonia Malinova, salle Adjani des Cours Florent, à Paris) ; « Elle est au commencement, elle est là dès la première phrase écrite, elle ne me quitte jamais. Sa présence est sur tout. Elle est la figure tutélaire, le guide, celle qui montre le chemin. Le culte que je lui voue est religieux. […] Je crois souvent que ma vie, que toute ma vie s’est façonnée par rapport à elle, que tout procède d’elle. » (Vincent en parlant de sa mère, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 56-57) ; « Je te salue maman. » (cf. la chanson « Je te salue maman » de Laurent Viel) ; « Que ma mère t’entende. » (Larry, l’un des héros homos du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Qu’est-ce qu’il y a ? T’as vu la Vierge ? » (Laurent s’adressant à son copain Cédric qui a vu par inadvertance au réveil la mère de Laurent les surprendre ensemble au lit, dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure) ; etc. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, par exemple, la chanson du générique final est « Maman la plus belle du monde » de Luis Mariano ; et à un moment donné du synopsis, la mère d’Hubert (le héros homosexuel) est déguisée en sainte Thérèse de Lisieux. Avant de la haïr au point d’avoir des souhaits matricides, Hubert voue une passion sans bornes pour sa maman : « Je sais pas ce qui s’est passé. Quand j’étais petit, je l’aimais. » Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Mrs Webster, la maman de Luce l’héroïne lesbienne, se prend pour Dieu : « Je suis peut-être aussi vieille que Dieu. »

 

 

Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, décrit « le sentiment de quasi-vénération que le visage de sa mère avait éveillé en elle » (p. 22) depuis sa naissance : « La beauté de sa mère était toujours une révélation pour elle ; elle la surprenait chaque fois qu’elle la voyait ; c’était l’une de ces choses singulièrement intolérables, comme le parfum des reines-des-prés sous les haies. […] Anna [le prénom de la maman] disait parfois : ‘Qu’avez-vous donc, Stephen ? Pour l’amour de Dieu, chérie, cessez de me dévisager ainsi !’ Et Stephen se sentait rougir de honte et de confusion parce qu’Anna avait surpris sa contemplation. » (idem, p. 49)

 
POSSESSIVE 2 Mariano
 

S’établit très souvent entre la mère et son fils homo un contrat de sacralisation mutuelle (= « Je t’adore si tu m’adores ; je deviens toi et ainsi, nous serons divins à nous deux »), un empiètement de vie privée consenti : « Ma mère m’adore. Et il va de soi que je l’adore aussi. » (Dominique, le héros gay du roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 15) ; « De son propre aveu, elle n’a jamais aimé que moi. » (idem, p. 33) ; « On dirait que tu m’adores. » (Evita parlant à sa mère dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Y’a personne qui va y toucher. Ce sera mon enfant à moi. » (Marie Lou par rapport à son quatrième et dernier enfant, Roger, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Je ne peux pas te dire je t’aime. J’aime trop ma maman. » (Didier Bénureau dans son one-man-show Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Même si on a prétendu le contraire parce que ça nous arrangeait bien tous les deux… » (Guillaume, le héros bisexuel parlant de la possessivité jalouse et faussement désintéressée de sa mère, possessivité qui a constitué une sorte d’équilibre fragile entre eux, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « C’est pas parce que c’est mon fils mais c’est le plus beau de la Terre ! » (Kate, la maman d’Hugo le héros gay, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; etc. Dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, Joséphine formule à son fils homosexuel Kévin un tendre « Je t’adore ! », et celui-ci lui répond : « Moi aussi je t’adore… mais tu m’écrases les pieds ! » Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, voyage sous le nom de sa mère. Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Isabelle compte appeler son futur fils (qu’elle prévoit d’avoir avec Pierre, le héros homo) « Superman » et veut pour lui « le meilleur », la « réussite », la « perfection » (… et non le bonheur). Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, s’entend dire par sa mère abusive : « Je n’ai que toi. Tu n’as que moi. »

 

Dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, Fernand Cazenave, le héros homosexuel refoulé, est un fils-à-maman vivant une relation particulièrement fusionnelle avec sa mère tyrannique : « La mère et le fils, accrochés flanc à flanc comme de vieilles frégates, s’éloignaient sur l’allée du Midi et ne reparaissaient qu’une fois achevé le tour du rond. » (p. 28) Sa génitrice l’appelle d’ailleurs « son fils adoré » (idem, p. 35) et l’absorbe complètement : « Sa mère le poussait en avant ; elle était en lui ; elle le possédait. » (idem, p. 116)

 

Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, est totalement amoureux de sa mère. Il la dragouille comme une fiancée : « Chaque fois que je te revois, tu rajeunis. » ; « Qu’est-ce que tu sens bon… » ; « C’est toujours toi ma préférée, même si tu me bats. » ; « On va faire équipe, nous deux. » Il la tripote en la prenant par derrière. Il l’embrasse sur la bouche en mettant sa main pour faire tampon entre les deux bouches. Puis, à la fin du film, il lui fait carrément un baiser langoureux sur la bouche, en ajoutant : « T’es ma priorité. ». Sa mère s’en révolte à peine, même si elle avoue en privé à son amie Kyla que son fils souffre d’une pathologie : « Il a un trouble de l’attachement. » Elle rentre dans le jeu fusionnel : « T’es là pour maman, et vice et versa. » ; « Je vais t’aimer de plus en plus fort, et c’est toi qui vas m’aimer de moins en moins : c’est la nature. »
 

Dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, Zac croit qu’avec sa maman, il fonctionne par télépathie, qu’ils forment ensemble un seul corps. On retrouve la même symbiose mère-fils dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti. Dans le film « Peeling » (2002) d’Heidi Anne Bollock, la mère de Beth imite sa fille lesbienne en tout (par exemple, elle se fait des couettes comme elle). Dans le roman Les Parents terribles (1939) de Jean Cocteau, le fils saute sur le lit de sa mère.

 

La mère de l’homosexuel (et ses représentantes féminines futures) est en général la jumelle narcissique : « Je ne me rassemble et ne me définis qu’autour d’elle. Par quelle illusion j’ai pu croire jusqu’à ce jour que je la façonnais à ma ressemblance ? Tandis qu’au contraire c’est moi qui me pliais à la sienne ; et je ne le remarquais pas ! Ou plutôt : par un étrange croisement d’influences amoureuses, nos deux êtres, réciproquement, se déformaient. Involontairement, inconsciemment, chacun des deux êtres qui s’aiment se façonne à cette idole qu’il contemple dans le cœur de l’autre… » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide, p. 83) ; « Lady Griffith aimait Vincent peut-être ; mais elle aimait en lui le succès. […] Elle se penchait avec un instinct d’amante et de mère au-dessus de ce grand enfant qu’elle prenait à tâche de former. Elle en faisait son œuvre, sa statue. » (idem, pp.72-73) ; « Mon image de Lucile est image de moi-même. Rien ne pourra nous séparer. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 73) ; « Ma Mère : mon miroir. » (Margot dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Maman, je serai toujours là pour te protéger.’ Je gonflais ma poitrine et lui montrais mes biceps. […] Je reportais toute mon affection sur ma mère qui me le rendait bien. » (Bryan à sa mère dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 20) ; « Ma mère, c’est toute ma vie. » (Kévin à Bryan, idem, p. 325) ; « T’étais beau quand t’étais bébé. T’étais beau, t’avais l’air d’une petite fille. J’m’amusais bien avec toi : t’avais l’air d’une poupée. T’étais mignonne. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère s’adressant à lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.

 

Le personnage homosexuel demande parfois à rentrer à nouveau dans le ventre de sa mère, à connaître éternellement le bien-être de l’état intra-utérin : « Quel frisson de m’anéantir dans son ventre. » (cf. la chanson « L’Amour naissant » de Mylène Farmer) ; « Si je comprends bien, tu n’as jamais vraiment ‘coupé le cordon’ avec ta mère. » (Sylvia s’adressant à son amante Laura, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 82) ; etc.

 

Téléfilm "À la recherche du temps perdu" de Nina Companeez

Téléfilm « À la recherche du temps perdu » de Nina Companeez


 

La fusion possessive entre le héros homosexuel et sa mère contente apparemment les deux parties. Le seul problème, c’est que la distance vitale entre le fils et la mère n’existe plus, que l’un et l’autre consentent à vivre ensemble une relation incestueuse qui les transforme en objets : « La seule et unique fois où j’aurais pu conclure avec une femme, j’ai pensé à ma mère. » (le héros homosexuel dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « On finissait par se croire non en face d’une mère et d’un fils, mais d’un vieux ménage. » (la description d’Adolphe Forbach et de sa mère, dans le roman Le Bal du Comte d’Orgel (1924) de Raymond Radiguet, p. 52) ; « Théron m’appartient. » (Annah, la mère de Théron, à son mari, dans le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli) ; « Maman est gentille. Eh ben tu vois, tu les as eus, tes glands ? Et le beige te va très bien. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère lui parlant dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015 ; « Toi aussi, maman, t’es belle. » lui répond-il en retour) Par exemple, dans le sketch « Sacha » de Muriel Robin, la maman de Bruno est toute contente d’être « la chose » de son fils : « Il n’est pas désagréable pour une mère de sentir qu’elle est la seule femme qui compte dans le cœur de son fils. » ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Par exemple, dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, la mère filme son fils romain et le prend pour un substitut marital. Dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, la maman d’Éric réifie son fils par la photo. Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, la mère traite son fils de poupée : « Si à la place d’un mannequin, j’avais eu un vrai homme comme ton père ! » Dans son roman Vincent Garbo (2010), Quentin Lamotta dénonce l’appropriation abusive des mères sur les nouveaux-nés, « l’excessive bienveillance des parents » : « L’enfant […] est l’objet de répétées tentatives d’appropriation. Les femmes surtout. » (p. 38) ; « Qui, mais qui d’autre que Garbo, dira jamais la malfaisance de toutes ses fausses mères dévoreuses sur la sensorielle organisation du petit ? » (idem, p. 39) ; « On se le passe de mains en mains, le Vincent, de bras en bras, tel un joujou Celluloïd, et personne alentour, jamais personne pour le sauver de cette inadmissible emprise sur son corps. » (idem, p. 39) ; « L’amour inquiet des parents m’est trop pesante charge. » (idem, p. 86) Dans son roman Le Monarque (1988), Knut Faldbakken parle des « mères poisseuses de sollicitude » (p. 17) qui engendrent des hommes-poupons.

 

Certains héros homosexuels finissent par devenir aussi possessifs en « amour » que leur mère (biologique ou cinématographique), en croyant aimer vraiment leur partenaire d’un amour maternellement exemplaire : « Je ne suis ni possessive ni jalouse en rien, c’est ma nature. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 97) ; « Il faut que vous sachiez, Vincent, que j’ai, de l’amitié, une conception un peu, voire tout à fait, tyrannique et possessive. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à son jeune amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 91) ; « À sa naissance, il deviendrait une personne, quelqu’un que Jane n’aimerait peut-être pas, mais pour le moment il était tout à elle. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 193) ; etc.

 
 

b) Le personnage homosexuel est soumis à l’influence d’une mère intrusive et incestueuse :

La mère possessive est un leitmotiv des fictions homosexuelles : cf. le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (où Josiane Balasko interprète le rôle d’Andrea Martal, une mère très étouffante avec José, son fils homo), le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló (avec la mère de Randy, qui le surprotège), la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec le personnage de Marie), la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, le film « Cher disparu » (1965) de Tony Richardson, le film « Laberinto De Pasiones » (« Le Labyrinthe des passions », 1983) de Pedro Álmodóvar, la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, le film « Le Protégé de Madame Qing » (2000) de Liu Bingjian, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock (avec la maman de Norman Bates), le film « Mother Knows Best » (2009) de Bardi Gudmundsson (où Gudini vit à Reykjavik avec une mère très possessive), le film « Les belles manières » (1978) de Jean-Claude Guiguet (avec le fils trop choyé d’une dame élégante), la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette (avec la mère possessive de Diane), le film « Je préfère qu’on reste amis » (2005) d’Éric Toledano et Olivier Nakache (avec la maman de Claude), le film « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le film « Music Lovers » (1970) de Ken Russell, le film « The Sins Of Rachel » (1972) de Richard Fontaine, le film « Lola et Bilidikid » (1998) de Kutlug Ataman, le film « La Toile d’araignée » (1975) de Stuart Rosenberg, le film « La Vie de Brian » (1979) de Terry Jones (avec la mère possessive acariâtre), le film « Le Lion en hiver » (1968) d’Anthony Harvey, le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, le film « Mi-fugue mi-raisin » (1994) de Fernando Colomo, le film « Muerte En La Playa » (1988) d’Enrique Gómez, le roman Beatriz Y Los Cuerpos Celestes (1998) de Lucía Etxebarria, le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick (avec le cliché de la mère possessive juive), le roman Les Parents terribles (1939) de Jean Cocteau (avec la mère absorbante), le film « Avant le déluge » (1953) d’André Cayatte, la pièce La Casa De Bernarda Alba (La Maison de Bernalda Alba, 1936) de Federico García Lorca (avec la figure de la matrone toute-puissante), le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec la saoulante mère d’Henri, stressée-de-la-vie), le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron (le titre initial était « Je t’aime tant »), le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault (avec la maman d’Angelo), le film « L’Invité de la onzième heure » (1945) de Maurice Cloche, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « Collateral » (2004) de Michael Mann (avec la mère de Max à l’hôpital), la pièce Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (avec la mère juive d’Arnold), le film « Mamma Roma » (1962) de Pier Paolo Pasolini (avec Anna Magnani), le roman Ernesto (1975) d’Umberto Saba, le film « Gay Club » (1980) de Ramón Fernández, le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, la pièce Flor De Otoño (1982) de José María Rodríguez Méndez, le roman Oranges Are Not The Only Fruit (1985) de Jeannette Winterson, le roman The Rubyfruit Jungle (1973) de Rita Mae Brown, la comédie musicale Into The Woods (1987) de Stephen Sondheim, le roman L’École du sud (1991) de Dominique Fernandez, le roman Mes Parents (1986) d’Hervé Guibert, le film « Big Mamma » (1999) de Raja Gosnell, le film « A Different Kind Of Love » (1981) de Brian Mills, le film « Better Than Chocolate » (1999) d’Anne Wheeler, le film « Doña Herlinda Y Su Hijo » (1984) de Jaime Humberto Hermosillo, le film « 101 Reykjavik » (2000) de Baltasar Kormakur (avec la mère de Hlynur), le film « Gugu, O Bom De Cama » (1980) de Mario Benvenutti, le film « Taxi Nach Cairo » (1988) de Frank Ripploh, la pièce La Religieuse (1760) de Denis Diderot (avec la mère incestueuse), le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (avec la mère inquisitrice de Julie), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec Sara, la mère possessive), le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky (avec la mère de Nina, une vraie mante religieuse incestueuse), le film « Ylan » (2008) de Bruno Rodriguez-Haney, la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval (avec « la collante » Marina, la mère de Fred), la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas (avec la mère de Léo, le héros homo), le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro (avec la maman de Léo, le héros homo aveugle, sans cesse sur lui parce qu’elle a peur qu’il lui arrive malheur), la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi (avec Solange, la belle-mère pot de colle), la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand (avec Catherine, la mère bourgeoise), la chanson « Maman le sait » de Lisa Angell, etc.

 

La maman du héros homo est apparemment pleine de sollicitude. Ce serait sa particularité : « Anna Gordon était d’une race de mères dévouées. » (Marguerite Radclyffe Hall à propos de la mère de Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 23) Par exemple, dans la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, Mme Turnblad, la mère de Tracy, est interprétée par un homme travesti, et est une femme hyper prévenante, acariâtre et tendre à la fois.

 

Mais l’homo-maman a tendance à s’immiscer un peu trop dans la vie privée de sa progéniture. Le franchissement de la frontière de la différence des générations n’annonce rien de bon.

 

Dans le registre « mère-bonne-copine refusant de vieillir », cédant à tous les caprices de son fils homosexuel, et lui demandant de lui agrafer son soutif, on a les mères des films « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré, « Pôv fille ! » (2003) de Jean-Luc Baraton, « Pourquoi pas moi ? » (1999) de Stéphane Giusti, « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier, « Reinas » (2005) de Manuel Gómez Pereira, etc.

 

Il est très fréquent de voir la mère du héros homo rentrer sans prévenir dans la chambre de son fils : cf. le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, le film « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, le film « Hitchcocked » (2006) d’Ed Slattery (avec la mère qui rentre dans la salle d’eau où son fils est sous la douche avec un homme), etc. « Ma mère se précipite dans ma chambre sans frapper. » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 140) ; « Je t’ai attendu toute la soirée. » (la mère de Franck endormie et voyant son fils, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) ; « N’ouvre pas, maman, je suis nu ! […] J’arrive, maman ! Ne casse pas la serrure ! » (« L. », le héros transgenre M to F, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Les femmes sont des vraies louves quand il s’agit de leurs petits. » (Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; etc. Dans le film « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, Cédric dit de sa mère qu’elle est tellement indiscrète qu’elle serait capable de « défoncer la porte de sa chambre ». Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Monique, la mère de Delphine, découvre sa fille nue au lit avec une autre femme, Carole, en rentrant de force dans sa chambre.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la mère de Bryan est très intrusive : « Ma mère c’est l’œil de Moscou : elle voit, entend et devine tout ! » (p. 176) ; « Le lendemain matin, ma mère entra dans la chambre pour nous réveiller. Je n’avais pas verrouillé la porte la veille. Elle resta un moment en arrêt devant le lit. » (idem, p. 333) Quand Bryan déclare à sa maman que « les rapports entre une mère et son fils sont toujours ambigus » et qu’il a « souvent l’impression qu’elle ne vit sa vie qu’à travers lui », celle-ci, dans une désinvolture absolue, ne dément pas : « C’est sûrement vrai » (idem, p. 195) Elle envisage même de vivre avec lui ad vitam aeternam et de le garder toujours sous son toit : « Tu as été mon fils et en même temps l’amour de ma vie. Tu es sûrement l’homme que j’ai le plus embrassé ! […] Quand tu étais petit, on s’embrassait toujours sur la bouche. Quand tu as grandi, tu n’as plus voulu. Tu ne voulais même plus que je te tienne par la main. » (idem, p. 353) Bryan n’est pas du tout choqué par ce que lui dit sa mère. Au contraire, il prend cette révélation comme une superbe déclaration d’amour, et se laisse conquérir : « Je sais… je sais tout ça, maman. Je t’aime, je ne t’oublierai jamais. »

 

La possessivité maternelle est parfois la conséquence de l’apathie paternelle, comme le montre clairement le père passif du film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron. Dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, la mère de Gabriel, le héros homosexuel, fouille dans l’ordi portable de son fils… et son père ne réagit pas : « Elle a toujours tout régenter. »

 

Le désir de la mère possessive est assez trouble et ambiguë, difficile à définir. À la fois c’est un désir d’amour et un désir de viol : « Tu me rappelles maman, quand elle avançait masquée, à vouloir je n’sais quoi. » (Camille parlant à sa sœur Pauline, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) Par exemple, dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, la mère de Joaquín, le héros homosexuel, est ultra-protectrice et diabolise le père devant son fils de 15 ans.

 

Étape par étape, la maman possessive gravit les échelons de la violation d’intimité de son fils. Par exemple, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, Ernest se fait suivre dans la rue par sa propre mère (p. 119). Dans la pièce Eva Perón (1970) de Copi, Evita est épiée par sa mère qui cherche à lui extorquer les numéros de ses comptes en banque. Dans le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato, la mère de Lars ouvre le courrier de son fils sans sa permission. L’amour de la mère est tellement dévorant et passionnel qu’il peut parfois effrayer le protagoniste homo même : « Ma mère, elle me fait plus peur qu’un peloton de militaires. » (Roberto le trans, dans la comédie musicale Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stéphan Druet) ; « O.K. ! T’as gagné ! Comme d’habitude ! » (le narrateur homosexuel craquant devant l’insistance de sa mère, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 40) ; etc. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, la mère de Kévin (le héros homo), juive de surcroît, tente de récupérer son fils par tous les moyens, et s’est inscrite sur GrinDr pour le géolocaliser. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, quand on demande à Jonas, le héros homo, ce qu’il fabrique sur son portable, alors qu’il est en train de répondre à un chat sur l’application Grindr, il dit « Non non, c’est ma mère ».

 

Et cette peur n’est pas infondée puisque le fanatisme maternel va parfois jusqu’au meurtre ! Par exemple, dans la pièce La Muerte De Mikel (1984) d’Imanol Uribe, la mère possessive de Mikel finit par assassiner son fils. Dans la comédie musicale Pacific Overtures (1976) de Stephen Sondheim, on entend une chanson racontant l’histoire d’une mère qui empoisonne lentement son fils. On retrouve la mère tueuse dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, dans la pièce Hamlet, Prince de Danemark (1602) de William Shakespeare, dans le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, etc. Dans la chanson « Bohemian Rhapsody » de Queen, Freddie Mercury chante que sa mère l’a tué : « Mama, just killed a man, put a gun against his head, pulled my trigger, now he’s dead. » Dans le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, la mère de Thomas décide de supprimer l’instance de son fils cloné quand celle-ci ne correspond pas au fils idéal souhaité et qu’elle lui désobéit ; c’est une femme par ailleurs pleine de bonnes intentions, en théorie : « Je veux ce qu’il y a de meilleur pour mon fils. » Mais l’amour vrai est la sincérité en actes, non la sincérité nue.

 

Plus que la mort du corps, c’est la mort du Désir que la mère du héros homosexuel inflige à son fils. En se présentant comme son absolu d’amour, elle lui bouche toutes les voies qui le conduiraient à l’Altérité des sexes. « C’est elle qui a eu peur que j’aime une autre femme qu’elle. » (Guillaume, le héros bisexuel parlant de la jalousie secrète de sa mère qui voit toute femme qui approche son fils comme une rivale, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) Par exemple, dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, la mère de Dominique prédit à son fiston qu’« il ne trouvera jamais une femme qui la vaille, ni même un homme ! » (p. 100) Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, avant qu’il ne décide d’avoir un môme avec une femme, la mère de Pierre, le héros homo, s’était faite à l’idée que son fils n’aurait pas d’autre femme dans sa vie qu’elle…

 

C’est dans l’amour homosexuel que le personnage homosexuel trouve un moyen de rejoindre sa mère : il se donne l’illusion qu’il aime son amant (ou que son amant l’aime) comme une mère aimerait son enfant : « Adrien avait aussi un immense besoin d’être aimé. Il y avait en lui un enfant qui cherchait à être protégé, consolé, un enfant qui requérait un amour total. […] Il était bien conscient que cet amour-là ressemblait à l’amour perdu de la mère. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 40) ; « L’exposé fut donné par une fille de terminale, qui parla de l’image de la déesse-mère dans la civilisation Harappan. Je songeai à Linde à chaque fois qu’elle disait ‘déesse-mère’. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant de sa copine Linde, de 20 ans son aînée, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 232) ; « Si ça continue, ma mère va finir par t’aimer plus que moi ! T’as vu comme elle prend ta défense ! Comment tu fais pour séduire tout le monde ? […] Oui, t’as commencé par moi, puis mon chien et maintenant c’est ma mère ! » (Bryan faisant une crise de jalousie à son amant Kévin à propos de sa propre mère, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 158) ; « Je t’aime aussi, maman, je t’aime. Je ne m’en étais jamais rendu compte à quel point. Mais j’aime aussi Kévin, je n’y suis pour rien ! Et je ne sais pas lequel de vous deux occupe la plus grande place dans mon cœur. » (Bryan à sa mère, idem, p. 355) ; etc. Le héros homosexuel ne peut pas aimer les femmes dans la mesure où il recherche chez elles une maternité impossible. Il se cogne contre le mur de l’inceste. Par exemple, dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan, Cyrano se dit touché par une Roxane « si gaiement maternelle » qu’il ne peut l’atteindre. J’aborde plus largement le lien entre maternité et homosexualité dans le code « S’homosexualiser par le matriarcat » du Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Si l’on revient à la genèse de la possessivité maternelle, on se heurte souvent au viol. La mère du héros homosexuel camoufle l’agression dont elle a été jadis victime, ou bien compense une épreuve qu’elle n’a pas pu/voulu surmonter, par un surinvestissement affectif incestueux sur la personne de son fils. Par exemple, dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary, Gayle joue la « mère » de substitution de Mark parce qu’elle a perdu un fils : leur relation sera d’autant plus fusionnel et excessif que le travail de deuil de la femme n’a pas été fait.

 
 

c) Maman-gâteau :

Dans les fictions homo-érotiques, la possessivité maternelle est fréquemment illustrée par la présence de maman-gâteau (cf. la partie « Nourriture comme métaphore du viol » dans le code « Obèses anorexiques » du Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ma mère m’a envoyé un frigo pour mon anniversaire ! » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Elles n’ont pas trop de regrets, nos mères au foyer. Elles nous font de jolis plats, et qui regorgent de fla-flas. Elles n’en voient pas les dégâts, nos mères attentionnées. » (cf. la chanson « Nos Mères » des Valentins) ; « Dan posa la Key lime pie sur la table comme ma mère le faisait jadis avec sa dinde de Noël. » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 105) ; « Elle m’a envoyé un colis avec de la nourriture. » (Stéphane en parlant de sa mère, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Elle s’est mise en tête de cuisiner. Tu connais ta mère ! » (Tereza parlant à Phil, le héros homo, de sa maman Glass, piètre cuisinière, dans le film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa); etc.

 

La mère (et les femmes en général) sont celles qui gavent de nourriture l’homosexuel : cf. le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès, le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec Leonora), le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec la grand-mère d’Étienne qui a gavé de dragées son petit-fils homo jusqu’à l’en rendre malade), le roman Paradiso (1966) de José Lezama Lima (avec le dîner gargantuesque de doña Augusta), le film « Cappuccino » (2010) de Tamer Ruggli (avec la mère possessive de Jérémie), le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre (avec Lucile et ses gâteaux), le roman Petit déjeuner chez Tiffany (1958) de Truman Capote, le film « Échappée belle » (1999) de Lukas Moodysson, le film « Vague de chaleur » (1958) de George Cukor, le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, la chanson « La Femme au milieu » d’Emmanuel Moire, etc.

 

Par exemple, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau interprète une mère qui gave son petit Jeanjean (elle lui donne des mies de pain, des tonnes de cachets d’aspirine pour qu’il « ait ses 16h de sommeil » !) au point de le transformer en statue et de le rendre « inexpressif » : « Maman’ a toujours été très très gentille avec Jeanjean. » dit-elle en parlant d’elle à la troisième personne à son fils. Son « amour » passionnel de mère est exclusif (« Pas de femmes ! Que ta petite maman ! »), la pousse même à être violente et à frapper son fils : « Quel abruti ! » Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, le héros homo allemand, a été élevé par sa grand-mère : « J’ai grandi avec ma grand-mère. ». Tomas attribue à sa grand-mère sa vocation de pâtissier puisqu’elle cuisinait des gâteaux aussi. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Grace, la maman possessive de John le héros homo, lui fait toujours du bœuf Bourguignon en pensant qu’il l’adore, et elle ne le laisse jamais parler. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, « Bonne Maman », la maman de Vita Sackville-West, Lady Sackville, est la maman-gâteau, qui gâte ses petits-enfants et leur offre des pâtisseries.

 

Dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, la mère de Sylvia apporte des gâteaux à sa fille lesbienne. Dans une nouvelle écrite en 2003, un ami romancier me décrivait « cette chaleureuse grand-mère, veillant à la confection de gâteaux que les petits-enfants, démons de la conscience humaine, décapiteront par leurs dents avant de les lâcher en pâture aux chiens. » (p. 20) Dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, Grany se surnomme « mamie-macarons ». Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, China a mis accidentellement l’insecticide anti-cafards dans le biberon de son bébé, croyant que c’était du lait concentré.

 

Le personnage homosexuel n’a pas souvent la force de caractère de refuser les gâteaux-cadeaux empoisonnés que sa mère lui offre « par amour » : « Je ne vois pas pourquoi tu me forces à toujours prendre le thé. Tu sais que je déteste tes gâteaux ! » (Louise à Jeanne dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Ma mère dit toujours qu’il faut savoir refermer la boîte de gâteaux. » (Max, le « fils à maman » du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 113) ; « Elle est terrible. […] C’est la femme la plus égoïste du monde. » (François à propos de sa « belle-mère », la mère de son amant Max, idem) En général, il ne dénonce qu’à demi-mot le cocon (pourtant étouffant) d’une enfance maternelle et sucrée qui s’éternise : « Une haleine familière : tu reconnais cette note laiteuse, aseptisée comme l’intérieur d’une mère. […] Un murmure jaillit des lèvres de ta mère : ‘Mon chéri !’. Tu te demandes si tu n’es pas en plein désert, si ta suffocation n’est pas la cause d’un mirage trop vrai pour être beau. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 167) C’est la complaisance et la gourmandise qui très souvent ont le dernier mot.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Maman mon tout mon roi :

Dans les personnalités homosexuelles connues, on dénombre beaucoup de fanatiques de la figure maternelle : « Il semblait bien que Marc, qui adorait sa mère, ne se remettrait jamais véritablement de sa disparition. » (Paula Dumont parlant de son meilleur ami gay, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 76) ; « Je l’ai tant aimée dans mon enfance. » (Annie Ernaux parlant de sa mère, dans son autobiographie Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), p. 33) ; « L’image qui me reste de l’enfant que je fus est celle d’un garçon longtemps fourré dans les jupons de sa mère. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 18) ; « Même si elle est possessive, l’amour sans limites qu’elle me voue est venu à bout de son éducation et de ses préjugés. » (idem, p. 88) ; « J’ai beaucoup aimé ma mère, et c’est là le seul bon souvenir de mon enfance. » (Fritz Lang cité dans le film « Enfances » (2007) de Yann Le Gal) ; « L’influence de ma mère a été considérable. » (Julien Green cité par Philippe Vannini, « Julien Green, l’Histoire d’un Sudiste », dans Magazine littéraire, n°266, juin 1989, p. 96) ; « Dès mes premières années d’enfance, j’ai voulu imiter ma mère ; par instinct, mais aussi par orgueil, je me suis comporté en femme. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 78) ; « Jean-Claude, c’était le chouchou, celui qu’il fallait protéger. Et pour cause, ma mère savait avant moi qui j’étais. » (Jean-Claude Janvier Modeste en parlant de sa relation avec sa mère, en interview en 2011) ; « Ma mère comptait tellement pour moi. J’ai passé ma vie à la séduire. » (une témoin lesbienne de 70 ans dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Ma famille maternelle est au courant parce que je suis très proche d’eux, ma mère, ma tante et ma grand mère qui sont définitivement les femmes de ma vie. » (Maxime, « Mister gay » de juillet 2014 pour la revue Têtu) ; « Après, ma mère m’a adoré et j’ai adoré ma mère. Comme ma mère aurait voulu une fille, elle me traite en fille. » (Jean Marais dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain) ; « La personnalité de leurs mères marque de manière puissante leur enfance. » (la voix-off dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; « J’aimais passionnément ma chère maman. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « Je cherchais chez une femme – du moins pendant assez longtemps – ma mère. Il m’a manqué l’amour d’une mère pendant ma jeunesse. Et au commencement, je cherchais surtout la Mère. Un sentiment de sécurité. Et cette tendresse qu’on trouve difficilement chez un homme. » (Édith, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko se targue de « l’amour irréprochable, passionnel et fier » (p. 54) qu’il voue à sa mère : « Ma mère avait ce privilège de mériter ma vénération et mon amour pour elle, était presque de la dévotion. » (p. 22)

 

Film "Verfolgt" d’Angelina Maccarone

Film « Verfolgt » d’Angelina Maccarone


 

À 15 ans, à la question « Qu’est-ce qui vous causerait le plus de malheur ? », posée dans un questionnaire d’un album de famille, l’écrivain français Marcel Proust répond : « Être séparé de Maman. » ; en 1905, à la mort de sa mère, son monde s’écroule : « Ma vie a désormais perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation. » (Marcel Proust cité dans l’article « Chronologie » de Jean-Yves Tadié, sur le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 20) De son côté, Denis Daniel présente sa mère comme « l’être qu’il chérit le plus sur terre » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 45) ; lorsqu’elle meurt, il a cette phrase étonnante : « Je pensais sincèrement ne pas pouvoir survivre à maman. » (idem, p. 44) ; son père est complice de la relation incestueuse qu’il maintient avec elle : « Mon fils, je connais l’amour que tu portes à ta mère. » (idem, p. 98) Par ailleurs, l’Espagnol Félix Sierra porte un tatouage « M » en hommage à sa mère sur l’épaule gauche (vrai de vrai !). Pier Paolo Pasolini dira de son film « Œdipe Roi » (1967) qu’il est « autobiographique » (cf. le reportage « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada) : « Toute ma vie a été centrée sur elle. » (Pasolini à propos de sa mère, idem) Certains auteurs homosexuels glorifient leur mère jusque dans leurs créations, comme une Muse. Le dramaturge argentin Copi donne le prénom de sa mère (China) à la fille de Venceslao, le héros de sa pièce L’Ombre de Venceslao (1978).

 

Une relation incestueuse adolescente, une forme de « copinage », s’instaure parfois entre le sujet homosexuel et sa maman : « Maintenant ma mère, c’est ma copine. » (Denis cité dans Pierre Verdrager, L’Homosexualité dans tous ses états (2007), p. 278) ; « Je veux dire que tu me ressembles et je ne suis pas moche. Tu aurais pu être ma petite sœur finalement. Parfois, je m’explique tes collections d’hommes musclés. » (la mère d’Ernestino à son fils homo, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 180) ; « De ma première année de scolarité jusqu’à l’âge de neuf ans, je vécus dans la chaleur exclusivement maternelle. […] J’étais son flamant rose, pas celui des autres. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 12) ; « Ma mère et moi étions proches quand j’étais très jeune : ce qu’on dit des petits garçons, la proximité qu’ils peuvent avoir avec leur mère – cela avant que la honte creuse la distance entre elle et moi. Avant cela, elle s’exclamait devant qui voulait l’entendre que j’étais bien le fils de sa mère, que ça ne faisait pas de doute. Quand la nuit tombait, une peur inexplicable s’emparait de moi. Je ne voulais pas dormir seul. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 78-79) ; « En raison, donc, non seulement de la télévision qui me dérangeait mais surtout de la peur de dormir seul, je me rendais plusieurs fois par semaine devant la chambre de mes parents, l’une des rares pièces de la maison dotée d’une porte. Je n’entrais pas tout de suite, j’attendais devant l’entrée qu’ils terminent. D’une manière générale, j’avais pris cette habitude (et cela jusqu’à dix ans ‘C’est pas normal’, disait ma mère, ‘il est pas normal ce gosse’) de suivre ma mère partout dans la maison. Quand elle entrait dans la salle de bains je l’attendais devant la porte. J’essayais d’en forcer l’ouverture, je donnais des coups de pied dans les murs, je hurlais, je pleurais. Quand elle se rendait aux toilettes, j’exigeais d’elle qu’elle laisse la porte ouverte pour la surveiller, comme par crainte qu’elle ne se volatilise. Elle gardera cette habitude de toujours laisser la porte des toilettes ouvertes quand elle fera ses besoins, habitude qui plus tard me révulsera. Elle ne cédait pas tout de suite. Mon comportement irritait mon grand frère, qui m’appelait ‘Fontaine’ à cause de mes larmes. Il ne souffrait pas qu’un garçon puisse pleurer autant. À force d’insistance, ma mère finissait toujours par céder. » (idem, pp. 80-81) ; « À chaque déplacement de Mika, il n’est pas rare de voir sa mère à ses côtés, qui l’attend, l’observe, aide à porter ses costumes. » (cf. l’article « Paloma, le drame de Mika » de Pauline Delassus) ; etc.

 

Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, et intervenant central du reportage, prend se douche avec sa mère. On les voit s’enlacer tout nus. C’est à peine croyable.
 

 

La mère est tellement adorée qu’elle en perd parfois son humanité. Elle est considérée comme une déesse irréelle planante, un fétiche sacré qui rendrait divin celui qui le posséderait : « Maman, c’est une maman ; c’est pas une femme. » (Max, 86 ans, dans l’émission « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Moi, j’te croyais immortelle. » (Stefan Corbin à propos de sa mère, lors de son concert parisien Les Murmures du temps, 2011) ; « Schreber restait secrètement un petit enfant qui désirait être l’unique possesseur de la mère – possession rendue possible uniquement par son identification à elle, primitive et magique – une fusion symbolique et magique. » (Edmund White dans l’article « Faits et hypothèses » de Robert J. Stoller, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217) ; « Vers cette époque-là, ma mère tombe gravement malade du cancer. Elle est la seule personne qui compte vraiment pour moi. Je promets à Dieu, si elle survit, d’être le garçon parfait dont elle rêve. J’ai donné ma vie pour sauver sa vie. » (Justin, 34 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 248) Le fils comme la mère s’envisagent comme des idoles sacrées qui, une fois séparés de leur moitié, en perdraient leur pouvoir magique et leur identité : « Ma mère disait souvent : ‘Brahim, c’est mon porte-bonheur. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 95) ; « Ma mère elle était malade. Mais maintenant, elle comprend tout. » (Roberto, disquaire homo, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

En lisant certains écrits, on constate que la mère possessive dont il est question est un veau d’or, une idole, un reflet narcissique. Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa parle d’une symbiose surnaturelle avec une mère-extra-terrestre : « Une rencontre. Une fusion. » (p. 11) ; « Il ne reste de ma première vie, mon premier cycle de vie, l’enfance nue, seule, parfois en groupe, qu’une odeur, humaine, forte, dérangeante, possessive. Celle de ma mère M’Barka. Celle de mon corps campagnard et légèrement gras. […] Je suis avec elle dans son corps. » (idem, p. 10) Cette drôle de maman semble être un trait de caractère, une personnalité forte, plus qu’un être humain réel : « Comme ma mère, je suis têtu, dictateur, quand je le veux. » (idem, p. 119)

 

On découvre que dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles, la mère possessive, avant d’être la mère réelle, est d’abord la maman cinématographique, autrement dit l’actrice : « Filmer mes parents, je l’ai déjà fait : Béatrice Dalle qui ouvre la tombe de mon père, Isabelle Huppert qui me prend dans ses bras, ma mère a déjà deux actrices à son actif. […] Les filmer pour de vrai, ça donnerait quoi ? » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 150) « Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver sa tombe. Face à elle, j’ai prié machinalement. J’ai lu des versets du Coran. J’ai dit des mots de ma mère. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, Une Mélancolie arabe (2008), p. 91)

 
 

b) Beaucoup de personnes homosexuelles sont soumises à l’influence d’une mère intrusive et incestueuse :

La mère possessive d’enfant homosexuel n’est pas qu’un cliché (sous-entendu « un mythe homophobe »). Elle existe bien plus souvent qu’on ne le croit (surtout depuis qu’on nous force à la réduire à un cliché non-actualisé !). Rassurez-vous, je ne jette pas la pierre aux mères réelles qui essaient de se dépêtrer comme elles peuvent de leur situation affective et amoureuse parfois tourmentée, qui tentent de se débarrasser de leur culpabilité maternelle au moment de la découverte de l’homosexualité de leur enfant. D’une part parce que chaque mère d’un fils ou d’une fille homosexuel-le est unique (pour ma part, je ne pense pas que ma maman ait été spécialement mère-tigresse avec moi) et que tous les schémas psychologiques attribuant à une mère – et à elle seule – l’origine de l’homosexualité d’un fils sont suspects ; et d’autre part, parce que la mère possessive est davantage une icône cinématographique que la mère biologique (comme nous venons de le voir un peu plus haut). Cela dit, elle peut quand même être parfois la mère biologique.

 

Les individus homosexuels ayant subi les assauts d’une « bonne mère » bien possessive sont légion : on peut citer Andy Warhol, Howard Brookner, Arthur Rimbaud (et sa fameuse « mère Rimbe »), René Crevel, Marcel Jouhandeau, Julien Green, André Gide, Wilfred Owen, Yukio Mishima, Federico García Lorca, Terenci Moix, Oscar Wilde, Mujica Lainez, Marcel Proust, Christopher Isherwood, Tennessee Williams, Cole Porter, Pedro Almodóvar, Pierre Palmade, Copi, Jean-Pierre Coffe, Michel Zaccaro, etc.

 

Par exemple, l’hystérie maternelle et le rapport symbiotique malsain avec la mère sont des thèmes de prédilection des films de Gaël Morel (cf. le film « Après lui » (2006), « New Wave » (2008), etc.). Dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti, la mère de Tiziana (femme lesbienne), rentre dans la chambre de sa fille sans frapper.

 

Certains parmi eux osent dire timidement que leur maman pousse le bouchon un peu trop loin : « Ma mère, elle ne parle pas : elle crie. » (le romancier marocain Abdellah Taïa) ; « Elle était très possessive. » (Paula Dumont parlant de sa mère, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 38) Roger Stéphane évoque l’« inépuisable bienveillance de sa mère » (Roger Stéphane, Parce que c’était lui (2005), p. 32). Freud, concernant le cas de Léonard de Vinci, parle d’« un surcroît de tendresse de la mère » et d’« un passage du père à l’arrière-plan » : « Le garçon refoule l’amour pour la mère, en se mettant lui-même à la place de celle-ci, en s’identifiant à elle et en prenant sa propre personne pour le modèle à la ressemblance duquel il choisira ses nouveaux objets d’amour. » (Sigmund Freud, Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910) La mère d’Alfred Hitchcock était ultra-autoritaire (cf. le film « Enfances » (2007) de Yann Le Gal).

 

Dans mon propre cas, il ait possible que ma maman biologique, de par sa fragilité psychique, ait été avec moi excessivement protectrice (de son propre aveu, elle m’a dit qu’elle avait vraisemblablement été une « mère-tigresse » avec moi). Et parmi mes amis homosexuels, même s’il est impossible d’en faire une règle, je constate que beaucoup ont une mère avec qui ils maintiennent un lien malsain d’excessive distance et d’excessif rapprochement. D’ailleurs, un de mes « ex » (celui avec qui je suis resté le plus longtemps en « couple ») maintenait avec ses amants un rapport infantilisant où à la fois il les traitait comme des petits enfants à choyer et il se plaçait comme un bébé. Il m’a avoué que sa propre maman (qui été bizarrement ravie de l’homosexualité de son fils et des couples homos qu’il formait… pour mieux les contrôler) avait à une époque poussé le vice jusqu’à se créer un profil d’internaute homo sur le site de rencontres et de chat gay que fréquentait son fils, histoire de garder un œil inquisiteur sur les fréquentations du fiston. Véridique !

 

Le cliché de la mère possessive est d’autant plus tabou dans la communauté homosexuelle qu’il renvoie à l’un des interdits majeurs de la société toute entière : l’inceste. Le problème des personnes homosexuelles n’est pas tant que leur orientation sexuelle soit le signe de cette réalité sociale violence, mais bien qu’elles ne la dénoncent jamais. Trop souvent, l’iconoclastie maternelle orchestrée par le « milieu homosexuel » vient au contraire renforcer l’idolâtrie.

 

Beaucoup d’artistes homosexuels ont imité les mères possessives pour se moquer de la leur, tout en lui rendant hommage. Je pense en particulier à la Madame Sarfati d’Élie Kakou, à la chanteuse au nom très signifiant « Madonna », à Carole Fredericks en mère-ventouse dans les concerts de Mylène Farmer, ou bien aux mises en scène de Jérémy Patinier : « Ce soir, je suis votre GOD… votre dieu… votre superchica, votre madre à tous… Mes enfaaaaaaaaants ! (didascalies : La comédienne leur fait un câlin au premier rang/très mère juive…) » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 83) Mais ces parodies caricaturales sont au service du déni de l’inceste : elles illustrent plus qu’elles ne remettent en cause le viol incestueux.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Beaucoup de personnes homosexuelles servent de substitut marital à leur maman, de paravent cachant le divorce de leurs parents, et finissent par occuper auprès de leur génitrice une place qui n’est pas la leur : « J’ai tout le temps besoin de sécurité, de soutien, très négatif, pas d’avenir en vu, dépendant toujours de ma mère je vis toujours chez elle actuellement, l’inconnu m’effraie, ainsi que les relations avec les autres hommes ou femmes. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Quand mes frères et sœurs s’étonnaient de mon absentéisme, ma mère le justifiait par le fait que j’étais l’aîné et qu’elle avait besoin de moi pour accomplir certaines tâches. Un peu comme on le dit d’un mari. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 18) ; « Je fais en sorte de rentrer tard pour éviter cette impression de vivre en couple avec elle… » (idem, p. 90) Elles ont l’impression de trahir leur mère en résistant à la fusion qu’elle leur impose : « J’ai toujours l’impression qu’elle a besoin de moi. J’organise ma vie en fonction de ses besoins. Je ne veux pas la blesser. Encore cette maudite culpabilité ! » (idem, p. 90) Par exemple, dans son autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004), Alexandre Delmar, en parlant du « regard éternel de [sa] maman, ses grands yeux bleus à la fois inquisiteurs et remplis d’amour » pour lui (p. 73), illustre tout à fait le ressentiment coupable et ambivalent qu’expérimente le fils homosexuel envers sa mère : un mélange entre la culpabilité face à une dette d’amour, et le dégoût.

 

Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans attribue – de manière trop causale pour être tout à fait juste – l’homosexualité masculine aux « mères sans pudeur » (p. 107) : « Cette femme se montrait à son fils nue de la tête aux pieds et faisait devant lui toute sa toilette. Mon ami m’avait d’ailleurs confié que, très souvent, naguère, ils couchaient dans le même lit. Elle avait pour son fils un amour qui n’avait rien à voir avec l’amour maternel, ni avec la dignité de n’importe quel être humain. Elle semblait réellement amoureuse de son fils et se trouvait certainement à la source profonde de son homosexualité. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, parlant de G., idem, p. 107) Mais en effet, il est fort possible que l’impudeur adolescente de mères immatures ait pu influer d’une manière ou d’une autre sur la révélation filiale d’une homosexualité. Certaines mamans, en parfaites Jocaste en proie à des fantasmes de fusion avec leur descendant, éteignent peu à peu tout désir et toute vie psychique épanouie chez leur fils ou leur fille : « Réalisation du narcissisme absolu et retrouvailles indifférenciées avec la mère primitive ne font qu’un. Deux façons de rejoindre un même enclos psychique où la satisfaction prend la forme de l’abolition de la vie de représentation, d’un sommeil sans rêve. C’est le paradoxe d’un fantasme qui ne s’accomplit que dans un mouvement de disparition de toute vie fantasmatique, qui ne s’accomplit qu’à lui-même s’abolir. Les retrouvailles avec les origines de la vie se payent de la mort psychique. Le chemin est court qui mène du ventre à la tombe. » (Jacques André, « L’Empire du même », dans Mères et filles (2003), p. 21) Les mères d’enfant homosexuel, en étant trop proches de lui, ont pu s’aimer égoïstement elles-mêmes à travers l’instrumentalisation discrète du fruit de leurs entrailles : « La mère ‘polymorphe’ qui caresse, embrasse, berce, allaite et réchauffe en son sein, prenant son enfant pour substitut (?) d’un objet sexuel à part entière, est elle-même l’enfant de sa sexualité. » (Jacques André, « Le Lit de Jocaste », dans l’essai Incestes (2001), pp. 20-21) Ce narcissisme parental mortifère s’explique. Il est fort possible que le secret de la possessivité de la mère soit le viol. Une mère ne devient tigresse que parce qu’elle est/se sent maltraitée par son mari, qu’elle compense un manque d’amour. Elle serre fort son bébé contre elle pour se consoler de sa terrible solitude.

 
 

c) Maman-gâteau :

Je terminerai brièvement ce chapitre en parlant du lien entre possessivité maternelle et gavage alimentaire. L’inceste qu’ont vécu (et que vivent encore) certaines personnes homosexuelles vient probablement d’un trop-plein d’amour donné par leur mère. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si elles désignent parfois la nourriture préparée par maman comme un instrument de mort, ou bien qu’elles décrivent leur génitrice comme un monstre cannibale : « Ce frigo que sa mère offre au héros n’est rien d’autre qu’un cercueil. » (la comédienne Marilú Marini à propos de la pièce Le Frigo (1970) de Copi, dans l’article « Marilú Marini retrouve Copi » d’Armelle Héliot, sur le journal Le Figaro du 7 janvier 1999) ; « J’ai tellement insisté [pour aller voir le spectacle de magie de Fou Man Chou] que ma grand-mère a dû enfiler sa robe à volants, ses mitaines de dentelle, son petit chapeau et ses chaussures à talons. […] Elle m’a acheté des bonbons. Comme ça, la panoplie nécessaire aux rêves était complète. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 150) ; « Il y a une grande douceur asilaire, et le comble de cette douceur, c’est la nourriture. » (Michel Foucault, « Sur Histoire de Paul », entretien avec R. Féret en 1976, p. 61) ; « Searles a souligné la menace constituée par les tendances cannibaliques de la mère de Schreber, et que le fils avait déplacées sur un père plein de brutalité. » (Robert J. Stoller, « Faits et hypothèses », Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217)

 
 

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Code n°121 – Mère Teresa (sous-code : Bon Samaritain homosexuel)

mère teresa

Mère Teresa

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Le dolorisme et le misérabilisme sont-ils la Charité ?

 

Dans les fictions homosexuelles, il n’est pas rare de voir surgir, au détour d’une scène de film ou d’une intrigue urbaine, un héros homosexuel bon samaritain, parfois accoutré en super-héros ou en vieux baroudeur d’une ONG, venant tendre la main aux pauvres et aux opprimés comme une vraie Mère Teresa, sur un air d’orchestre de violons. D’ailleurs, cette religieuse emblématique apparaît parfois dans les films à thématique homosexuelle. Elle exerce une sorte de fascination identificatoire chez beaucoup de personnes homosexuelles, qui rêveraient de vivre un don d’amour entier, et qui, à travers la mise en scène d’un personnage homosexuel soucieux de la solidarité et de l’entraide envers les nécessiteux, souhaitent redorer le blason de l’homosexualité et justifier leur(s) amour(s) homosexuel(s). Autant dire que leur démarche n’est pas si gratuite et si désintéressée que cela. Cet amour porté aux pauvres est plus émotionnel et lointain que véritablement concret… comme si, à force d’avoir le cœur sur la main, elles ne l’avaient plus à sa place !

 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Amour ambigu de l’étranger », « Prostitution »,  « Méchant Pauvre », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Faux révolutionnaires », « Mère gay friendly », « Se prendre pour Dieu », « Pygmalion », « Homosexualité noire et glorieuse », « Promotion ‘canapédé’ », « Innocence » et « Bobo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

La passion intéressée pour le pauvre

 

Soeur de la Perpétuelle Indulgence

Soeur de la Perpétuelle Indulgence


 

Témoins réels d’un terrible conflit fratricide vécu de près mais auquel elles ne peuvent s’identifier tellement il est brutal, ou bien enfants surprotégés qui demandent à connaître un combat de vie dont on les a/aurait privés, beaucoup de personnes homosexuelles entretiennent avec la guerre et la pauvreté un rapport désirant d’attraction-répulsion. Elles s’approprient souvent les grands drames humains qu’elles ne voient que de très loin (mais pour elles, c’est de très près, puisqu’elles pensent à la distance dérisoire qui les sépare de leur écran de télévision !), et en font excessivement mémoire pour cacher leurs drames personnels ou leur manque de personnalité.

 

Comme moyen de dénégation du viol planétaire iconographique ou réel, et par réflexe de survie, elles choisissent de s’identifier à la catastrophe et aux victimes de celle-ci. Les personnages homosexuels bons samaritains fleurissent dans les films homo-érotiques. Cela renvoie généralement à un fantasme réel. Beaucoup de personnes homosexuelles élèvent le va-nu-pieds sur un piédestal et se rêvent Consciences de l’Humanité. L’actrice jouant les Mère Teresa devant les caméras est connue pour être l’un des principaux idéaux esthétiques de la communauté homosexuelle, sans doute parce qu’elle illustre parfaitement l’ambiguïté du désir homosexuel : entre le goût du paraître à la sauce charity business, et l’amour concret des déshérités, le doute est permis…

 

Car, en effet, nous aurions tort de ne nous fier qu’aux apparences. Au vrai pauvre, bien des personnes homosexuelles lui préfèrent son icône – souffrante ou euphorique – et son absence. Elles le transforment en image folklorique (cf. je vous renvoie au code « Amour ambigu de l’étranger » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Le nécessiteux qu’elles bercent sur leur sein n’est autre que la romanichelle de luxe, le vagabond sublimé des poètes maudits, le « bon sauvage » étranger, « la transfiguration d’un état de misère » pour reprendre les termes d’un de mes amis homos. Elles dépeignent une pègre qui, au lieu d’être constituée de vrais pauvres, se compose plutôt de cercles d’intellectuels libertins – donc un peu d’elles-mêmes ! – s’amusant à imiter, par moquerie ou/et générosité, les images d’Épinal de pauvres qu’ils se fabriquent dans leur imaginaire pour se donner bonne conscience. Cette pègre mi-fictive mi-réelle sert de prétexte à l’exhibition carnavalesque et au déni de la pauvreté. Vêtus de haillons, les faux mendiants homosexuels se donnent en spectacle, en entonnant la litanie de la honte de l’Occidental narrant son malheur face au soi-disant malheur planétaire apocalyptique. Ils se glissent subtilement dans la foule colorée et masquée qu’ils ont eux-mêmes créée pour s’élever en chefs. « En attendant d’être des rois, mes amis et moi sommes les acteurs d’une version de la folie des grandeurs, … sous une pluie de confettis » chante Arnold Turboust dans sa chanson « Mes amis et moi ». Intellectuellement, l’esthétique de la folie du SDF-bouffon donquichottesque séduit beaucoup les auteurs homosexuels : pour eux, le délire « transgressif » est davantage vecteur de Vérité que la Vérité même (cf. je vous renvoie aux codes « Folie » et « Cour des miracles » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 
 

De l’idéalisation du pauvre à l’identification-substitution

 

Au départ, c’est l’hommage larmoyant au Tiers-monde. « J’me sens très proche de ces gens-là. Les gens qui n’ont rien. » (Benigno, le héros homo s’adressant à Marcos, dans le film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar) Beaucoup de personnes homosexuelles se désirent Hommes du Peuple engagés contre la misère. Et pourtant, concrètement et symboliquement, elles restent souvent éloignées des réalités humaines désagréables : dans les fictions, par exemple, un certain nombre de personnages homosexuels se désintéressent du sort du monde (Aschenbach dans le film « Morte A Venezia », « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, ou Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (1960) de Joseph Mankiewicz, constituent de bons exemples de cette compassion homosexuelle qui pleure sur la victime sans lui venir en aide) ; et dans les faits, les cadres de la rencontre entre les personnes homosexuelles et les pauvres qu’elles défendent ont presque toujours un rapport à la prostitution masculine, à la domesticité, à l’anarchisme, au militantisme politique, au populisme, bref, à une solidarité intéressée. « Le roi est généreux. Il veut que ses sujets gardent un bon souvenir de lui, car il ne connaît que trop bien le côté obscur de son âme. Louis II voudrait être un roi bienveillant, mais il sait que ce n’est pas le cas. » (cf. le documentaire « Louis II de Bavière, la mort du Roi » (2004) de Ray Müller et Matthias Unterburg) Il arrive à certaines personnes homosexuelles de s’émouvoir pour la condition précaire d’un misérable garçon qu’elles tentent de sauver de la galère, et celui-ci se laisse entretenir par elles, mais le contrat unit quand même deux égoïsmes cherchant à se substituer l’un à l’autre.

 

Puis petite à petit, ça dérape… On passe de la solidarité au narcissisme. Dans certains sites Internet sur l’homophobie, une dédicace attentionnée annonce déjà la fusion identificatoire prochaine entre l’adjuvant homosexuel et son pauvre : « Cette page est dédiée à toutes les victimes du nazisme. » (Hugo sur le site suivant, consulté en octobre 2003) À l’heure actuelle, les rapprochements anachroniques se font magiquement par le terme an-historique d’« homophobie ». Lors de la Journée Mondiale de la Déportation du 24 avril notamment, une certaine confrérie homosexuelle exige que soit déposée une gerbe de fleurs à la mémoire de leurs frères morts dans les camps nazis, et surveille d’une oreille tatillonne si le nom des « homosexuels » est bien cité au micro dans la liste des victimes. Puis elle s’attribue le sort des martyrs du passé en accusant de révisionnisme tous ceux qui trouvent cette identification déplacée. À l’entendre, les personnes homosexuelles ont été sous le nazisme celles qui ont subi les pires traitements de tous les prisonniers (cf. je vous renvoie au film « Bent » (1997) de Sean Mathias, au docu-fiction « Paragraphe 175 » (2000) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, ainsi qu’à l’essai Les Oubliés de la mémoire (2000) de Jean Le Bitoux). Qu’en sait-elle au juste ? Absolument rien, car d’une part, sur le terrain des souffrances, surtout dans le contexte de la barbarie généralisée des Nazis, la hiérarchie des douleurs n’est pas de mise, et d’autre part, les personnes homosexuelles de l’époque n’ont absolument pas fait l’objet d’une « solution finale » ni d’un « génocide » planifié comme ce fut le cas pour les Juifs. Certes, cela ne minimise en rien l’atrocité des crimes perpétrés à l’encontre de la communauté homosexuelle pendant la Seconde Guerre mondiale, mais il convient quand même d’être précis et humble.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles ne désirent plus simplement compatir au sort du pauvre : après lui avoir écrit son holocauste, elles veulent se substituer à lui pour dire qu’elles sont les plus grandes victimes de tous les temps (cf. je vous renvoie également la partie « Je suis une (plus grande) victime (que les autres) » du code « Homosexualité noire et glorieuse » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Faire mémoire devient très souvent dans leur cas un prétexte pour pleurer sur soi. Elles aiment davantage le pauvre pour l’esthétique révolutionnaire qu’il incarne que pour lui-même, et dans la mesure où il justifie « en gros » leurs combats personnels. C’est le glissement de la révolution à l’anarchisme/rébellion dont parle Patrick Bougon concernant l’engagement politique de Jean Genet : « La position politique de Genet est moins propalestinienne qu’anarchiste. […] Ce qui intéresse Genet chez les Black Panthers et les Feddayin, c’est qu’ils sont des vecteurs de déstabilisation du pouvoir et de l’État. » (cf. l’article « Politique et autobiographie » de Patrick Bougon, le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 69) Leur soutien au pauvre est une adhésion de principe, non prioritairement de personne. Elles ne s’intéressent pas tant à la victime en elle-même qu’à l’occasion qu’elle leur fournit de s’attaquer aux mécanismes de pouvoir qui la rendent/rendraient victime. Concernant par exemple l’univers carcéral, les paroles de Michel Foucault sont assez claires : « En fait, je ne m’intéresse pas au détenu comme personne. Je m’intéresse aux tactiques et aux stratégies de pouvoir qui sous-tendent cette institution paradoxale qu’est la prison. » (Michel Foucault lors de l’entretien « Michel Foucault, l’Illégalisme et l’Art de punir » avec G. Tarrab en 1976) En choisissant de défendre « la différence qui gêne(rait) », elles ont l’impression d’être ultra-révolutionnaires et dangereuses, mais elles se cachent ainsi à elles-mêmes le jugement dépréciatif qu’elles ont porté sur les porte-drapeaux de leur révolution : en simulant la fausse camaraderie, elles s’entourent d’individus que la société juge/jugerait peu fréquentables, parce que ce sont souvent elles-mêmes qui ont projeté sur elle leurs propres jugements sur les pauvres, alors que ce qui devrait présider à l’ordre de la solidarité, c’est la lutte pour les exclus contre l’exclusion, il semble que pour elles, c’est la lutte grâce aux exclus contre ladite « majorité » (… il serait plus juste de dire ceux de leur propre classe) qui l’emporte. Elles veulent sauver le Peuple sans lui, en lui arrachant le haut-parleur des mains. « Nous devons dire que nous sommes plus frappés pour que les Arabes le soient moins. Nous devons crier pour les Arabes qui, eux, ne peuvent pas se faire entendre. » (Michel Foucault, Le Temps immobile, t. III, p. 430) En quelque sorte, elles s’identifient aux victimes à défendre pour prendre leur place et reprocher ensuite à ceux qui ne les suivraient pas dans leur élan de solidarité universelle de ne pas agir comme elles. Elles sont les prophètes d’« une nouvelle orthodoxie dont le contenu importe finalement moins que le partage manichéen qu’elle établit entre amis et ennemis du genre humain, l’obligation qu’elle fait aux premiers de se ranger, sous prétexte de défendre les opprimés, du côté des puissants ». (Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs (2002), p. 13)

 

En règle générale, la solidarité homosexuelle est à entendre dans son sens passionnel, à savoir d’altruisme agressif, de « générosité dingue » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 221). Touche pas à pote ! Mon pauvre est à moâ ! Bien souvent paniquées par les nouvelles du journal, meurtries par le sort des populations télévisuelles, beaucoup de personnes homosexuelles, en mal de combat ou en panne d’identité, ont un besoin cannibale de se rendre utiles et d’aller vers les autres. Il leur arrive de crier dans leur salon de thé : « Je dois et j’ai besoin de faire ma vie avec les masses et les travailleurs manuels ! » (Edward Carpenter sur le site suivant, consulté en janvier 2003) Elles s’inscrivent parfois dans les associations caritatives, parlent de voyages « humanitaires » et de « solidarité » à tout bout de champ, se persuadent qu’elles sont indispensables au bonheur de celui qui se trouve dans la détresse… alors que par ailleurs, elles ont tendance à voir la vie en noir, à peu s’occuper d’elles, de leur voisinage, de l’entraide à échelle humaine. Elles veulent pour les vraies victimes ce qu’elles refusent pour elles-mêmes. « Comme vous savez, je suis du côté de ceux qui cherchent à avoir un territoire, mais je refuse d’en avoir un » avoue Jean Genet (cité dans l’article « Une crépusculaire odeur l’isole » de Tahar Ben Jelloun, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 30). Le paradoxe de leur passion du pauvre se situe dans le fait que nous pourrions définir la plupart des personnes homosexuelles à la fois comme des amis de la Terre entière et des ennemis du genre humain (cf. je vous renvoie à la partie « Misanthropie » du code « Solitude » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). C’est par exemple ce qui peut expliquer que Michel Larivière décrive dans une même phrase Michel Simon comme un individu « misanthrope, anarchiste, toujours proche des exclus, des marginaux, mais vivant en solitaire, entourés de ses animaux familiers » (Michel Larivière, Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 311).

 

À force d’avoir le cœur sur la main, elles ont tendance à ne plus le laisser à sa juste place ! Peu de personnes homosexuelles ont la notion de la vraie générosité : pour elles, elle se limite à tout donner matériellement sans donner de sa personne, à s’émouvoir dans la mélancolie démissionnaire. « Au cinéma, j’avais envie de pleurer. Sensibilité effrayante pour tout ce qui est douloureux dans la vie des hommes. » (Klaus Mann, Journal. Les Années d’exil (1937-1949), p. 205) Au final, elles font souvent une parodie du don. Dans les films, elles ont coutume de se représenter à travers des personnages homosexuels versant la larmichette devant le prisonnier politique qui fait son témoignage poignant. En prenant en pitié l’image médiatique du pauvre pour délaisser le pauvre réel, elles ne se rendent pas toujours compte qu’elles peuvent collaborer avec l’ennemi de l’humanisme. Dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, par exemple, il aura suffi au soldat nazi de montrer à Léni des images de misère et d’enfants faméliques du Tiers-monde sur un écran de cinéma pour la convaincre du bien fondé de l’acte de justice des Nazis pour « sauver le monde ». C’est bien souvent cela, l’amour homosexuel du crève-la-faim : un désir démesuré d’identification dans la compassion, mais peu aimant parce qu’il vénère essentiellement en lui la mort et son statut de « faible à genoux » (cf. la chanson « Tous les secrets du monde » de Catherine Lara).

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Le cœur sur la main :

 

Pris dans ses élans de passionaria, le héros homosexuel des fictions traitant d’homosexualité s’engage dans le monde de la solidarité, se rêve régulièrement révolutionnaire et missionnaire des pauvres/de « son » pauvre : « Je sais comment ça se passe. J’ai bossé dans une ONG. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « J’éprouvai un élan de tendresse protectrice envers Rani. […] Cette nuit-là, je rêvai que dans un doux murmure je l’appelais Rani et lui demandais de partir avec moi dans un endroit où elle ne serait plus bonne à tout faire. » (Anamika parlant de sa domestique, avec qui elle va coucher, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 25) ; « Je ne sais quoi m’attirait irrésistiblement vers la rivière. » (le narrateur homosexuel fasciné par les ouvriers de la fabrique de tuiles qui bordait la rivière et qu’il regarde se baigner ou pisser, dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 15) ; « J’aimerais connaître un ouvrier. J’aimerais que tout le monde soit cultivé, même les rappeurs d’Aubervilliers. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Les mots ‘transmission’, ‘solidarité’, ça te rappelle quelque chose ? » (Jacques, le héros homosexuel quinquagénaire s’adressant à Olivier parce que ce dernier s’oppose à ce qu’il héberge son jeune amant Mathan, très profiteur et assisté, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.

 

Il joue fréquemment au bon samaritain. Par exemple, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, travaille dans une maison d’accueil de personnes handicapées. Dans le film « I Love You Baby » (2001) de Alfonso Albacetes et David Menkes, Carmen, la « fille à pédés » célibataire, s’offre un enfant dans le cadre d’une adoption monoparentale, et est persuadée de faire une formidable œuvre de charité : elle partage son projet avec son « meilleur ami homo » Daniel. Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc donne la pièce à un guide-charlatan, Lotus le Barbu. Dans le vidéo-clip de sa chanson « Désenchantée », Mylène Farmer se prend pour un Moïse ou un Spartacus, version Germinal, qui va libérer tous les détenus d’un pénitencier. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabe, l’héroïne bisexuelle, va visiter les SDF et les prostitués dans la rue. Dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Romuald, le héros homosexuel, est clown pour enfants malades. Dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch, Jean-Luc, le héros homosexuel, veut construire une école en mission humanitaire au Népal. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le jeune homosexuel, prend la défense de Mustafa, le Maghrébin pourchassé par la police grecque ; un peu plus tard, il rend visite à son parrain Tassos, une vieille « tante » qui vit avec Achmad, un bel Arabe plus jeune que lui. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, un groupe de militants LGBT, pour assouvir leur soif de solidarité et aussi pour se créer une légitimité, vient au secours des mineurs d’un village gallois qui ne leur a rien demandé : « Les forces de l’ordre s’en prennent à ces pauvres gars plutôt qu’à nous ! » (Mark, le chef de l’association LGBT) Il leur apporte des couvertures, des gants, du chauffage, des moyens de locomotion. Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, est bénévole aux Restos du Cœur.

 

Il arrive que le personnage homosexuel se prenne carrément pour la figure emblématique de la solidarité : Mère Teresa de Calcutta. Par exemple, dans le film « Jeffrey » (1995) de Christopher Ashley, la bienheureuse femme apparaît à diverses reprises, comme par magie, et sauve même la vie du héros homosexuel au moment où il manque de se faire écraser par une voiture : « Mère Teresa m’a relevée. Elle est plutôt bien conservée. » (Jeffrey) Le roman La Nuit de Maritzburg : l’éternel amour de Gandhi (2014) de Gilbert Sinoué raconte la rencontre soi-disant amoureuse entre Gandhi et son ami allemand Herman Kallenbach.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Si ce n’est pas lui qui se prend pour Mère Teresa, ce sont les autres qui l’y enjoignent ! Dans les films et les séries gay friendly, le héros homosexuel est maintes fois représenté comme celui qui écoute les autres, les conseille, les aide à se réconcilier entre eux. Il est même le marginal avec un « M » majuscule, celui qui comprendrait forcément mieux les différents marginaux comme lui, du fait de sa douloureuse expérience de l’homophobie : cf. l’album Kang (1984) de Copi, la série française Les Filles d’à côté (1993-1995) de Jean-Luc Azoulay (avec Gérard, le gérant efféminé de la salle de muscu, qui console et soutient tous ses clients), le film « Le Cœur sur la main » (1949) d’André Berthomieu, le roman La Dette (2006) de Gilles Sebhan, le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar (avec Tina/Carmen Maura gâtant de cadeaux les personnes en fauteuil dans tout l’hôpital), la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (cf. l’épisode 5 « Oublier Paris », avec le parapluie donné à la prostituée), le vidéo-clip de la chanson « They Don’t Care About Us » de Michael Jackson, le roman Le Livre du Pauvre (1944) d’Antonio Botto, le roman Les Clochards célestes (1958) de Jack Kerouac, le film « David Copperfield » (1935) de George Cukor, le film « Le Clochard » (1965) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Extravagances » (1995) de Beeban Kidron, le film « Holiday Heart » (2000) de Robert Townsend (avec le héros homo protégeant la veuve et l’orphelin), le film « Fucking City » (1982) de Lothar Lambert (avec la passion pour les travailleurs immigrés), le film « Gracias Por La Propina » (« Merci pour le pourboire », 1997) de Francesc Bellmunt, le film « Un Mauvais Fils » (1980) de Claude Sautet, la série Joséphine Ange Gardien (1999) de Nicolas Cuche (cf. l’épisode 8 « Une Famille pour Noël »), etc.

 

Manif USA avec des pancartes "We don't let our friends get hurt"

Manif USA avec des pancartes « We don’t let our friends get hurt« 


 

La charité homosexuelle prend parfois figure et support sur l’identité homo, le couple homo ou la « famille » homo-parentale (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » et « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc (avec la venue impromptue du facteur), le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Unveiled » (2007) d’Angelina Maccarone, le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, etc. « On n’a qu’à adopter un p’tit Coréen ! » (Benji parlant à Hugo dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) Par exemple, dans le film « Ander » (2008) de Roberto Caston, Ander tombe amoureux d’un jeune immigré péruvien (José) qu’il entretient et embauche dans son exploitation agricole. Dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch, Jean-Luc, chef de chantier, sort avec son ouvrier arabe Rachid. Dans le film « Indian Palace » (2012) de John Madden, Graham, le héros homosexuel sexagénaire, joue au baseball avec les gamins indiens des rues : il est d’ailleurs tombé amoureux, dans sa jeunesse, de son domestique indien, Manadj, et transpose cette histoire sur son propre présent.

 

Dans fictions actuelles, le personnage homosexuel est souvent valorisé par les actions solidaires qu’il vit parallèlement à son histoire d’amour… comme si ces deux terrains (l’un ponctuel et fraternel, l’autre plus entier et idéalement aimant) pouvaient être mis sur le même plan… Par exemple, dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, Ambre et Helena se rencontrent en Namibie lors d’un voyage humanitaire et vivent leur secrète idylle. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk aide un jeune homosexuel en fauteuil à « s’assumer en tant qu’homo ». Dans la série Ainsi soient-ils (épisode 5 saison 1), c’est en aidant les sans-papiers que les deux séminaristes Guillaume et Emmanuel se rapprochent.

 
 

b) Le cœur plus totalement à sa place : la solidarité désincarnée

Quelquefois, pris de remords face à son propre désœuvrement de bourgeois et à sa solidarité majoritairement intellectuelle/esthétique, le héros homosexuel se met théâtralement à « désirer aider », à « désirer être utile » : « Moi je veux c’est aimer. Moi je veux c’est aider. » (cf. la chanson « Moi je veux » de Mylène Farmer)

 

Sa générosité est tellement bien-intentionnée qu’elle finit par déborder, par sortir de son lit. À force d’avoir le cœur sur la main, le protagoniste homosexuel n’a plus son cœur à sa place ! « J’ai un cœur gros comme ça. Mais attention ! Trop bonne mais pas trop conne. » (Philippe Mistral dans son one-man-show Changez d’air, 2011) ; « Je lui ai passé ma carte pour le dépanner et il a vidé mon compte ! […] Ben oui. Moi, c’est comme ça, Jeze, tu le sais… Je crois à l’amour, à la fidélité et à la sincérité ! » (Greg, le héros homosexuel qui s’est fait arnaquer par son compagnon Igor, dans le film « La Mante Religieuse » (2012) de Natalie Saracco) ; etc.

 

Film "Partisane" de Jule Japhet Chiari

Film « Partisane » de Jule Japhet Chiari


 

La solidarité prônée par certains réalisateurs et écrivains homosexuels n’est pas très incarnée. Par exemple, dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japhet Chiari, Loba, dit « la marcheuse », est présentée comme une Européenne proche des pauvres en Inde : en réalité, on ne la voit jamais en actes et en proximité avec eux ; elle apparaît comme une figure bouddhiste lumineuse et aérienne, un spectre irréel. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, est le bourgeois qui prend la cause des pauvres, parce que ça fait bien.

 

C’est aussi par le biais de la louange de l’esthétisme que se cristallise la relation idyllique entre le bienfaiteur homosexuel et le va-nu-pieds (cf. je vous renvoie au code « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, les héros homosexuels séjournant à Istanbul se montrent soucieux des beaux Turcs… et on se demande si leur démarche est si humanitaire qu’ils le disent… Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Julien, un ouvrier peintre en bâtiment tombe amoureux de la prostituée Rosa. Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Marilyn tombe amoureuse de Mona, une femme maghrébine avec qui elle va faire de la danse orientale dans un club.

 

Le pauvre prend la forme de l’image d’Épinal du Beatus Ille magnifique et innocent : cf. le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré (avec le beau métisse sortant de l’eau), le film « Grande École » (2004) de Robert Salis (avec la sacralisation esthétique du jeune Maghrébin), le court-métrage « Alger la blanche » (1986) de Cyril Collard, les films (« Les Corps ouverts » (1998) et « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz (avec la place de choix laissée à l’acteur Yasmine Belmadi), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le facteur fou), le film « Jagdszenen Aus Niederbayern » (« Scène de chasse en Bavière », 1969) de Peter Fleischmann (avec Rovo, le simplet avec qui Abram va avoir une relation), etc. Il devient un objet plus qu’une personne. « Vous êtes dans le vrai. Épaulez-vous les uns les autres. […] Tous les désaxés et les paumés, vous savez que vous êtes des rock’n’rollers tournoyant au son de votre propre rock’n’roll. » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell)

 

Souvent, les héros homosexuels sombrent dans le misérabilisme et le dolorisme identificatoires : ils croient compatir et soulager des souffrances rien que par le regard, les sentiments : « Il faut voir comme ses yeux brillent quand elle [Madeleine] parle de l’Alsace. C’est comme si je portais personnellement la responsabilité de ce qu’on a fait subir à son peuple. » (Théo dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 100) ; « Rencontre/Maladie/Mort/Deuil. Les larmes m’envahissent, les couleurs se brouillent devant mes yeux, je gémis et me tords de douleur, je pleure comme un enfant de cinq ans. Je ne peux plus m’arrêter, je pleure toutes les larmes que j’ai gardées en moi depuis plusieurs semaines ou mois ou années, et entre deux respirations, je geins lamentablement. » (Mike, le narrateur homosexuel face aux photos de l’Expo Nan Goldin, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 90) ; etc.

 

L’amour compassionnel du pauvre se fait en général par la voie des larmes et de la télévision. Par exemple, dans le film « Grande École » (2003) de Robert Salis, Paul est en pleurs sur les bancs de l’amphi de l’École Normale Supérieure en entendant le témoignage poignant d’un Indien qui parle de son expérience inhumaine de l’incarcération. On retrouve la même mise en scène du témoignage humanitaire larmoyant, « sauce catho JMJ » cette fois, dans le film « Nos vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Florence pleure devant les portraits de Nan Golding dans une expo. Dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Boris le personnage homosexuel sanglote devant les images d’expulsion des sans-papiers de l’église Saint-Bernard à Paris. Dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, Bob est débordé d’émotion et de sensualité face à Félix, le déporté des camps de concentration : en parallèle et en toile de fond de cette intrigue, on retrouve une relation virtuelle d’Internet. Dans le film « Prom Queen » (« La Reine du bal » 2004) de John L’Écuyer, Edward, le héros homo, par la notoriété que lui a apportée son coming out, conseille par téléphone un jeune homo comme lui pour l’aider à faire face à l’homophobie dont il souffre ; il est tellement ému par son propre témoignage qu’il finit, en raccrochant, par se prendre pour le Christ (une croix christique illumine son lit).

 

Il y a en général entre le personnage homosexuel et « son » pauvre un écran, un média, une distance spéculaire, une projection fantasmatique narcissique. « Quand je l’ai vu dans sa cage à l’animalerie, j’ai eu envie de le rendre heureux. Ce qui m’a le plus retourné, c’était son regard de mendiant. Il avait l’air tellement triste… Il était immobile. Il n’aboyait pas mais il me suppliait. Enfin, c’est ce que j’ai cru. » (Bryan, le héros homo parlant de son chien Nicky, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 68) ; « La frayeur des Éthiopiens devient ma propre frayeur. » (cf. une réplique de la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd) ; etc.

 
 

c) La solidarité intéressée :

L’élan vers le pauvre n’est pas si gratuit et poétique qu’il y paraît en intentions. Il se révèle en réalité jugeant, politisé, égoïste ou arriviste. Il se fait en général dans une optique de militance intéressée, en vue d’une opposition ou d’une diabolisation excessive d’un camp socio-politique, ou bien dans une démarche de séduction et de drague : cf. le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec Carlos, le prostitué espagnol), le film « Bulldog In The White House » (« Bulldog à la Maison Blanche » (2006) de Todd Verrows (avec Bulldog qui feint de donner la pièce à un clochard dans la rue pour amadouer son amant et l’attirer dans son lit), le roman Montecristi (2011) de Jean-Noël Pancrazi, le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens (Jeanfi, le steward homo, sort avec un Maghrébin, Moustafa), etc.

 

« Je les aime pour m’opposer. » dit le héros homosexuel en parlant de ses mendiants. L’idéalisation des uns conforte le mépris des autres : « Moi, j’m’entends bien qu’avec les étrangers. » (Malik parlant à Bilal dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia)

 

Certaines protagonistes homosexuels ont tout des bons samaritains « fiévreux », soucieux de se trouver au plus vite un pauvre à aider pour faire écran à leur propre sentiment de vide existentiel ou de vacuité amoureuse, limite complexés de se retrouver si visiblement isolés et riches. Leur solidarité ressemble plus à un attachement narcissique digne d’une mère possessive qu’à une aide efficace et distancée.

 

Le héros homosexuel aime tellement le pauvre qu’il finit par imaginer qu’il a pris sa place : « Maintenant clochardisé, installé assis dans la marge, non seulement Vincent Garbo n’effraie plus ni ne dérange, mais chacun et chacune semble lui reconnaître comme un droit à l’existence. Comme si sur ce mètre carré de bitume, j’avais enfin trouvé ma juste place. » (Quentin Lamotta, Vincent Garbo (2010), p. 93) Par exemple, dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose-Marie, il y a une association « Les Gouines Sans Domicile Fixe » qui existe.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le cœur sur la main :

Pris dans leurs élans de passionarias, beaucoup de personnes homosexuelles et gay friendly se rêvent régulièrement révolutionnaires et missionnaires des pauvres/de « leur » pauvre : cf. l’autobiographie De Profundis (1897) d’Oscar Wilde, l’essai En Los Reinos De Taifa (1986) de Juan Goytisolo, le documentaire sur les mineurs « Cold Face » (1935) d’Alberto Cavalcanti, l’exposition photos Garçons de Cotonou (2015) de Michel Guillaume, etc.

 

Le chanteur Mika contre le cancer

Le chanteur Mika contre le cancer


 

Elles jouent fréquemment aux bons samaritains : « Le pédé reste pour moi un compagnon des exclus, des déshérités, aux côtés des prisonniers, des prostituées… » (le réalisateur Lionel Soukaz cité dans l’article « Lionel Soukaz » de Jean-Philippe Renouard, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 444) ; « Je suis concernée, car moi je suis du côté de la douleur. » (l’écrivaine lesbienne Nina Bouraoui parlant du « mariage homo » dans l’émission Culture et Dépendances, diffusée sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004) ; « Marlon s’identifie à ceux qui souffrent, qui sont mutilés, qui sont dépossédés. » (Peter Manson dans le documentaire « Marlon Brando » (2000) de Toby Beach et Peter Yost) ; « Nous formons partie du tissu social, nous étions là pour la manifestation 1er mai, aux manifestations contre la guerre [en Irak], à l’occasion du naufrage du Prestige, en assumant toujours le risque d’être considérés comme trop politisés, mais convaincus qu’on ne peut pas être trop politisé. » (Beatriz Gimeno citée dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 39) ; « J’ai toujours aimé les bonnes. Dans la lutte des classes qui ravageait autrefois les appartements bourgeois je prenais instinctivement le parti de la cuisine. L’attitude rogue de la méchante [surnom donné à la mère] qui se comportait en contre-maître m’avait rangé du côté des victimes et révélé des solidarités inespérées. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), pp. 102-103) ; etc.

 

Par exemple, Jean Genet se porte défenseur des Black Panthers, des Palestiniens ou des détenus. Rainer Werner Fassbinder accueille Noirs et Maghrébins. Michel Foucault se bat pour le droit des minorités ethniques, et notamment des travailleurs immigrés. Pier Paolo Pasolini est attiré par le Tiers-monde. Allen Ginsberg est l’homme de tous les combats alter-mondialistes. Horation Jr Alger héberge des jeunes garçons abandonnés dans son hôtel new-yorkais. Federico García Lorca reste marqué à vie par la ville de New York pendant la crise de 1929. Leonard Bernstein s’engage pour la paix dans le monde et contre la torture. Muriel Robin s’investit pour les Restos du Cœur en tant que marraine. Pendant l’Affaire Dreyfus, Marcel Proust, juif, soutient la victime et devient dreyfusard. José Pascual entretient économiquement des jeunes Maghrébins sans papiers. Horation Jr Alger écrit des romans d’apprentissages (Dick le Déguenillé (1868), Tom le Loqueteux (1871), etc.) retraçant le parcours de jeunes marginaux qui se trouvent en bas de l’échelle sociale mais qui finissent par vivre un conte de fée. Truman Capote, à la fin de sa vie, prit la défense de jeunes hommes plus ou moins prolétaires, dont il vantait la simplicité. En 1971, Graham Chapman et son compagnon David Sherlock prennent sous leur aile le jeune John Tomiczek de Liverpool. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le réalisateur et son équipe se prennent pour les nouveaux sauveurs des immigrés, apportant de la poésie saupoudrée de mythologie aux habitants des Cités : quelques grammes de finesse dans un monde de brutes…

 

Selon Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895), « l’Uraniste a droit à une satisfaction de ses désirs sexuels naturels et comme cela ne peut se faire qu’avec l’autorisation d’un jeune homme, cette autorisation, dans de telles conditions, non seulement est un acte moralement permissible, mais il peut être aussi un acte de charité chrétienne, et même, sous certaines circonstances, un devoir. Ulrichs va jusqu’à comparer la situation du garçon sollicité par l’Uraniste à celle d’une femme esseulée qui donne naissance à un enfant avec l’aide de deux soldats rencontrés en chemin qui, fortuitement, lui servent de sages-femmes. La pauvre a été contrainte d’exposer sa nudité la plus intime à leurs yeux. De la même façon, Ulrichs en est sûr, même si le jeune partenaire de l’Uraniste éprouve une aversion instinctuelle à l’encontre de la relation homosexuelle, il reconnaît par la raison que la pulsion amoureuse de l’Uraniste est innée, et qu’elle doit aboutir. En cette circonstance, on plaidera l’absence de péché et la pureté. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 86-87)
 

Pour ma part, j’ai connu, pendant mon voyage humanitaire au Honduras en 1999, une femme lesbienne qui, avec une amie à elle, était partie aider les enfants pauvres dans les bidonvilles. Par ailleurs, une amie lesbienne m’a parlé d’un couple lesbien que sa sœur a connu, et qui apparemment emmenait des enfants gravement malades faire de la montagne pour planter leur drapeau sur les Éverest, en signe de leur exploit.

 

Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit pas, à travers ce code, d’ironiser cyniquement les bons sentiments et les œuvres e bienfaisance, du fait de l’homosexualité (nous sommes tous, sans exception, impuissants à supprimer toute la misère du monde). Il ne s’agit pas non plus de dire qu’individuellement les personnes homosexuelles n’ont pas des qualités humaines, une ouverture aux autres, une grande générosité, une capacité à être solidaires (certaines sont des crèmes de garçons et de filles, très serviables !) : je parle ici de l’étouffement de solidarité qu’engendre l’acte du couple homosexuel, indépendamment de la valeur et du cœur des deux individus séparés qui le posent ensemble. Il faut bien distinguer acte et personnes, bonnes intentions et Réel, émotionnel et amour concret. Avec la personne homosexuelle qui croit en l’amour homosexuel ou en couple, le geste solidaire a tendance à se figer en vidéo-clip, en paraître.

 

Adriana Karembeu pour la Croix Rouge

Adriana Karembeu pour la Croix Rouge


 

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si certains membres de la communauté gay s’identifient aux grandes actrices aux joues badigeonnées de suie et soutenant les miséreux dans un dispensaire de Calcutta, genre Scarlett O’Hara au mouroir du film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming, ou encore Eva Perón, Lady Di, Julie Andrews, France Gall, Audrey Hepburn, Emmanuelle Béart, Adriana Karembeu, Zazie, etc.

 

La « charité » homosexuelle prend parfois figure et support sur l’identité homo (le coming out), l’amour homo (le couple homo et le « mariage ») ou la « famille » homo-parentale (l’adoption, la PMA – Procréation Médicalement Assistée – et la GPA – Gestation Pour Autrui) (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » et « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno parodie l’actrice qui va aider les « p’tits Africains » (en réalité, il va les exploiter et les acheter à travers l’adoption…). Autre exemple : quelques militants homosexuels français ont présenté en France (2012-2013) la loi du « mariage pour tous » comme une noble cause, humaniste, solidaire et sociale, alors qu’en réalité, elle n’englobe que des intérêts particularistes particulièrement égoïstes et narcissiques.

 

Médiatiquement, l’individu homosexuel se valorise/est souvent valorisé par les actions solidaires qu’il vit parallèlement à son histoire d’amour homo… comme si ces deux terrains (l’un ponctuel, l’autre plus entier et sentimental) pouvaient être mis sur le même plan… « Peut-être que si je n’étais jamais allé au lit avec des Algériens, je n’aurais pas pu approuver le F.L.N. J’aurais probablement été de leur bord, de toute manière, mais c’est l’homosexualité qui m’a fait réaliser que les Algériens n’étaient pas différents des autres hommes… » (Jean Genet dans la revue Playboy)

 

Si ce ne sont pas les personnes homosexuelles qui se prennent pour des Mère Teresa, ce sont les autres qui les y enjoignent ! (cf. je vous renvoie aux codes « Mère gay friendly » et « Faux révolutionnaires » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) En ce moment, il est à la mode de montrer, au détour de films et de documentaires abordant les thèmes de la solidarité et du dépassement de la souffrance, un couple homosexuel descendre de nulle part : cf. le film « Intouchable » (2011) d’Éric Toledano (avec le couple de lesbiennes). C’est la petite touche « politico-sentimentalo-engagée » rajoutée par la romance amoureuse. Dans les reportages, les sujets homosexuels sont maintes fois représentés comme ceux qui écoutent les autres, les conseillent, les aident à se réconcilier entre eux. Ils seraient même les marginaux avec un « M » majuscule, qui comprendraient forcément mieux les différents marginaux comme eux, du fait de leur douloureuse expérience de l’homophobie. Ils sont souvent valorisés par les actions solidaires qu’ils vivent/vivraient parallèlement à leur histoire d’amour… comme si ces deux terrains (l’un ponctuel et fraternel, l’autre plus entier et idéalement aimant) pouvaient être mis sur le même plan… Par exemple, dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence sont filmées comme les nouveaux messies, faisant un travail de prévention Sida avant-gardiste absolument admirable, aidant « tous les homos de la terre à s’assumer » et le monde à « s’aimer dans la diversité/sécurité » : elles ont suscité une standing ovation lors du Festival Chéries-Chéris du Forum des Images à Paris en octobre 2011 ! C’était comique et affligeant à voir, une euphorie émotionnelle déplacée pareille…

 
 

b) Le cœur plus totalement à sa place : la solidarité désincarnée

Vincent McDoom

Vincent McDoom


 

Quelquefois, prises de remords face à leur propre désœuvrement de bourgeois et à leur solidarité majoritairement intellectuelle/esthétique, les personnes homosexuelles se mettent théâtralement à « désirer aider », à « désirer être utiles ». Leur générosité est tellement bien-intentionnée qu’elle finit par déborder, par sortir de son lit. À force d’avoir le cœur sur la main, certaines finissent par ne plus l’avoir à sa place ! « J’ai enseigné pendant quatre ans à des adolescents et aucun ne m’a appelé au secours. Ensuite, j’ai été nommée en École Normale où tous mes élèves étaient majeurs. Mais je me suis souvent demandé ce que j’aurais fait si j’avais été sollicitée par des collégiens ou des lycéens à la dérive, voire désespérés. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 97)

 

C’est souvent par le biais de la louange de l’esthétisme que se cristallise la relation idyllique entre le bienfaiteur homosexuel et le va-nu-pieds (cf. je vous renvoie au code « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Le pauvre prend la forme de l’image d’Épinal du Beatus Ille magnifique et innocent. Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment il est tombé amoureux du domestique noir (Karabiino) qui le servait dans son hôtel, avec qui il a pourtant si peu communiqué, et à qui ses fantasmes intérieurs ont prêté des mots excessifs et des intentions ambiguës : « J’avais honte de moi devant lui. Je me sentais vieux, blasé. Mais j’étais avec lui, je comprenais tout ce qu’il désirait, tout ce qu’il ne désirait pas. Il était dans le malheur avec une fraicheur miraculeuse. […] Je l’ai aimé. » (pp. 74-75) On lit tout à fait dans son discours le narcissisme fusionnel : « Il portait des chaussures différentes, des espadrilles vertes simples et très jolies. Je les ai tout de suite adorées. Je voulais les mêmes. […] Je voulais de toute façon avoir exactement les mêmes espadrilles que lui. » (idem, p. 76)

 

Dans l’extrême-inverse, la pauvreté est confondue avec la médiocrité bobo ou artistico-camp. Par exemple, dans le journal Libération du 15 décembre 1987, Mathieu Lindon et Marion Scali se mettent à justifier le « théâtre du pauvre » de Copi, qui était en réalité très petit-bourgeois.

 

Souvent, les personnes homosexuelles sombrent dans le misérabilisme et le dolorisme identificatoires. Elles croient compatir et soulager des souffrances rien que par le regard, les sentiments : « Les spectacles de théâtre me ravissaient : ils étaient pleins des images de mes misères et de substances où j’alimentais le feu qui me dévorait. Pourquoi l’homme veut-il s’affliger en contemplant des aventures tragiques et lamentables, qu’il ne voudrait pas lui-même souffrir ? Qu’est-ce là, sinon une pitoyable folie ? Car nous sommes d’autant plus émus que nous sommes moins guéris de ces passions. Quand on souffre soi-même, on nomme ordinairement cela misère, et quand on partage les souffrances d’autrui, pitié. […] Au spectacle du malheur d’autrui, malheur imaginaire et de tréteaux, le jeu de l’acteur me plaisait et me charmait d’autant plus qu’il me tirait plus de larmes. […] De là venait mon goût pour la douleur, non pas une douleur profonde, car je n’aimais pas souffrir ce que j’aimais voir, mais pour cette douleur qui, en écoutant des fictions, me chatouillent, en quelque sorte, l’épiderme. » (Saint Augustin, Les Confessions (IVe siècle), pp. 50-51. C’est moi qui souligne) ; « La compassion est mon pire défaut. » (Stefan Sweig) ; etc. L’amour compassionnel du pauvre se fait par la voie des larmes, du théâtre, de l’Opéra et de la télévision.

 

Il y a en général entre la personne homosexuelle et « son » pauvre un écran, un média, une distance spéculaire, une projection fantasmatique narcissique : « Quand quelquefois, je vois à la télévision de belles âmes pleurer sur la misère sexuelle des malfaiteurs enfermés en prison, je ne peux me retenir d’évoquer ma jeunesse, tout aussi misérable, où je subissais une punition inhumaine pour des crimes que je n’avais pas commis. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 109) ; « Je me rappelle – je suis un cinéphage – que je sortais indigné et avec un grand mal au corps après avoir vu un film où on discriminait, réprimait et pourchassait les Noirs ou les Juifs ou les femmes pour le simple fait de l’être. » (Armand de Fluvià cité dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 81) ; « J’ai vécu avec une petite cuillère en or dans la bouche. Mais dans ma vie privée, je vis avec des prolos, des vrais. Ils savent bien que je suis un intellectuel bourgeois parisien. Mais ils m’aiment comme l’un des leurs. Ceci ne va pas sans mauvaise conscience de ma part, c’est bien évident. Mais les liens qui nous unissent nous entraînent au-delà de la mauvaise conscience. Ce qui compte, c’est le rapport qu’il y a entre nous, et ce que je peux leur apporter. Par mes écrits, mes livres. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Par exemple, dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, José Pascual explique que durant son adolescence, il s’est décidé à devenir missionnaire après avoir vu des images télévisuelles de pauvreté en Afrique.

 
 

c) La solidarité intéressée :

L’élan vers le pauvre n’est pas si gratuit et poétique qu’il y paraît en intentions. Il se révèle en réalité très souvent jugeant, politisé, égoïste ou arriviste. Il se fait en général dans une optique de militance intéressée, en vue d’une opposition ou d’une diabolisation excessive d’un camp socio-politique, ou bien dans une démarche de séduction et de drague : Par exemple, lors de son concert à la salle de L’Européen à Paris le 6 juin 2011, la chanteuse Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « Lesbienne invisible ») a fait venir sur scène un panel de « femmes du monde » façon United Color Of Benetton (des femmes de toutes les races, de toutes les nationalités), en hommage à la « lutte contre les préjugés »… et surtout pour prouver l’existence de l’« Hydre de la Domination masculine » !

 

Je pense aussi à tout l’opportunisme politisé et à la fausse humilité affichée d’un Louis-Georges Tin accueillant et prenant sous son aile Auf, l’Ougandais homosexuel du documentaire Ouganda : au nom de Dieu (2010) de Dominique Mesmin, au Forum des Images de Paris, le 16 novembre 2010 : il le présentait comme une preuve intéressante d’homophobie, un objet venant alimenter l’indignation et justifier le bien-fondé de la lutte pour les « droits LGBT ». Et le pire, c’est que cette instrumentalisation de son petit protégé exilé était sincère !

 

« Je les aime pour m’opposer. » disent bon nombre de personnes homosexuelles en parlant de leurs mendiants… ou même de leurs partenaires amoureux (les kissing ne sont pas autre chose qu’un geste d’amour et de solidarité détourné en matraque faussement désintéressée). L’idéalisation des uns conforte le mépris des autres : « Je n’en vins jamais à communier dans les valeurs de la classe dominante. Je ressentais toujours de la gêne, voire de la haine, lorsque j’entendais autour de moi parler avec mépris ou désinvolture des gens du peuple, de leur mode de vie, de leurs manières d’être. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), pp. 25-26) ; « La figure de la looseuse de la féminité m’est plus sympathique, elle m’est essentielle. Exactement comme la figure du looser social, économique ou politique. Je préfère ceux qui n’y arrivent pas. […] Et dans l’ensemble l’humour et l’inventivité se situent plutôt de notre côté. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), pp. 10-11) ; etc.

 

Certains sujets homosexuels ont tout des bons samaritains « fiévreux », soucieux de se trouver au plus vite un pauvre à aider pour faire écran à leur propre sentiment de vide existentiel ou de vacuité amoureuse, limite complexés de se retrouver si visiblement isolés et riches : « J’ai enseigné pendant quatre ans à des adolescents et aucun ne m’a appelé au secours. Ensuite, j’ai été nommée en École Normale où tous mes élèves étaient majeurs. Mais je me suis souvent demandé ce que j’aurais fait si j’avais été sollicitée par des collégiens ou des lycéens à la dérive, voire désespérés. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 97) Leur solidarité ressemble plus à un attachement narcissique digne d’une mère possessive qu’à une aide efficace et distancée : « La générosité de Coco était légendaire. Il avait fondé des foyers pour personnes en détresse : à Rome, à Paris, et maintenant ici. Son âme de mamma juive n’avait pas de frontière et le malheur des autres était une source inépuisable d’affection. » (Alfredo Arias, Folies-fantômes (1997), p. 95)

 

Certaines personnes homosexuelles ou gay friendly finissent par utiliser tellement le pauvre qu’elles se prennent pour lui : « La communauté homosexuelle est une minorité et les minorités ont à mon sens un rôle primordial. Elles nous rappellent qui nous sommes. La minorité est le joyau, le petit cœur en chacun de nous. Dans le film, elle est comme un révélateur en chimie. […] Elle révèle ce qu’est l’amour. » (la réalisatrice Zabou Breitman dans le dossier de presse de son film « L’Homme de sa vie » (2006), citée dans l’essai L’Homosexualité au cinéma (2007) de Didier Roth-Bettoni, p. 585)

 

Or, il ne suffit pas de vouloir aimer. C’est la solidarité en actes et par le don entier de sa personne qui compte.

 

Actuellement (et ça devient très inquiétant), l’agenda politique des pays occidentaux en matière de sexualité et de promotion de l’homosexualité prend la forme d’« aides au développement », de la « solidarité », de la « lutte contre la pauvreté/les discriminations/l’inégalité hommes-femmes ». Ces pays riches dépressifs exercent sur les pays pauvres une pression financière qui se pare des meilleures intentions, et qui est idéologiquement orientée vers l’indifférenciation sexuelle et la bisexualité. Il n’y a qu’à voir comment le Sénégal a dû tenir tête à l’« aide » nord-américaine (avec un président Obama qui voulait forcer ce pays à signer en faveur des causes LGBT). Le chantage à la solidarité est énorme dans des continents comme l’Afrique ou l’Amérique latine, qui ont besoin de cet argent, mais pas des conditions idéologiques de ces aides.

 
 

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Code n°122 – Milieu homosexuel infernal (sous-codes : Noir derrière l’arc-en-ciel / Descente aux Enfers)

Milieu infernal

Milieu homosexuel infernal

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

« Si seulement nous pouvions ne pas nous haïr autant… C’est ça notre drame. » Cette réplique de Michael, l’un des héros gays du film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1972) de William Friedkin, concernant ses jumeaux d’orientation sexuelle, nous plante bien le décor de la communauté homosexuelle réelle, et surtout la raison pour laquelle la grande majorité des communautaires homos n’arrive pas à faire l’unité (n’y croit même plus ! pour beaucoup, le « milieu homo » et la « communauté homosexuelle » n’existent pas et sont des concepts intellectuels méprisables !)… au point de se faire la guerre entre eux et de se faire vivre un véritable enfer : LA HAINE DE SOI, qui, si elle n’est pas identifiée comme intrinsèque au désir homosexuel, ni réglée, se mute en haine des autres.

 

Remarque très importante avant de commencer l’étude de ce chapitre. Ce code n’a pas pour but d’homosexualiser le malheur, ni de diaboliser le « milieu homosexuel » ou encore moins les personnes homosexuelles (elles le font déjà bien assez elles-mêmes !), ni de dire que les individus homosexuels ont le monopole du malheur et de la souffrance. Il existe bien des lieux et des rituels de drague « hétéros » glauques (Ce qu’on oublie de rajouter en général à ce juste parallélisme, c’est que les couples femme-homme qui rentrent dans ces cercles libertins sont justement en voie de bisexualisation et d’homosexualisation avancées…). Quoi qu’il en soit, le malheur humain, même émanant d’une minorité sexuelle où il est particulièrement (mais non-exclusivement) marqué, est toujours universalisable, et signe d’un viol social plus global dans les couples femme-homme qui ne s’aiment pas assez, donc hétérosexuels. Il va s’agir, dans ce code, d’étudier la signification du symbolisme folklorique des Enfers employé et même créé majoritairement par les personnes homosexuelles.

 

Allez, descendons maintenant dans les limbes iconographiques des enfers interlopes, dans la fournaise homosexuelle, ni si horrible que les communautaires non-assumés le disent, ni si banale que les communautaires « assumés » le prétendent.

 

Je signale pour finir qu’il est fortement conseiller de lire les sept autres codes de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, en complément : les codes traitant plus particulièrement de l’individu homosexuel et de son couple – « Se prendre pour le diable », « Focalisation sur le péché », et « Amant diabolique » – et les codes traitant de la métamorphose de la communauté homosexuelle en dictature – « Homosexuels psychorigides », « Adeptes des pratiques SM », « Défense du tyran » et « Hitler gay »).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Homosexuel homophobe », « Amant triste », « Cour des miracles homosexuelle », « Méchant pauvre », « Hitler gay », « Petits morveux », « Drogues », « Violeur homosexuel », « Homosexualité noire et glorieuse », « Patrons de l’audiovisuel », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Focalisation sur le péché », « Se prendre pour le diable », « Appel déguisé », « Défense du tyran », « Entre-deux-guerres », « Manège », « Adeptes des pratiques SM », « Amant diabolique », « Humour-poignard », « Aube », « Faux révolutionnaires », « Amant triste » et à la partie « Dictateur gay » du code « Homosexuels psychorigides », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

La dramatique extériorisation de l’homophobie sur « les hétéros »

 

Il ne suffit pas de traîner très longtemps dans les lieux – virtuels ou réels – d’homosociabilité pour découvrir assez vite que les personnes homosexuelles sont leurs pires ennemis, et que la « révolution homosexuelle » n’est qu’un joli concept romantique sorti des cerveaux des universitaires queer. La plupart d’entre elles n’aiment pas le collectif : c’est dommage, mais c’est souvent un fait. Les réunir autour de lieux-symboles, d’événements fédérateurs, de personnages emblématiques, de bars, d’associations, de sites Internet, a souvent relevé du tour de force ! La majorité des militants associatifs vous le confirmeront, surtout les soirs ingrats de Gay Pride où, exténués, ils se forcent à sourire en disant que « Ça a été une fois de plus un succès » alors que la joie est loin d’être dans tous les cœurs. La communauté homosexuelle constitue une famille turbulente dont la cohésion est bien plus une utopie sucrée marketing qu’une réalité. Si les personnes homosexuelles se retrouvent dans le « milieu », ce n’est pas vraiment par choix ni par engagement : elles viennent surtout consommer, trouver chaussure à leur pied, ou bien dans une logique d’adversité plus que d’unité. Même pour l’habitué des établissements gay friendly, l’entourage d’orientation sexuelle ne constituera jamais vraiment une seconde famille.

 

La communauté homosexuelle fait tout un pataquès autour des attaques homophobes qu’elle subirait pour ne pas regarder les paradoxes du désir homosexuel en face. Notamment, certains individus n’arrêtent pas de parler du ravage des suicides au sein du « milieu ». Pour les quelques cas de tentatives de suicide de personnes homosexuelles connus, ils sont tous généralement autant explicables par des phénomènes sociaux exogènes (hostilité de l’environnement familial, pression sociale, échec scolaire, etc.) que par des facteurs endogènes (déceptions amoureuses homosexuelles, drames issus du « milieu » homosexuel, comportements aberrants des personnes homosexuelles entre elles, médiocrité de l’accompagnement amical gay, manque de sens trouvé dans un certain mode de vie homosexuel, dégoût de soi et du monde, état dépressif, consommation de substances psychoactives ou d’alcool, angoisses dues à une infection par le VIH, difficile transition vers le troisième âge, etc.). Qui oblige les personnes homosexuelles à se cloîtrer dans la clandestinité ? Bien avant que ce soit « la société » qui les y ait contraints, c’est un mode de vie qu’elles ont elles-mêmes choisi. Qui pratiquent les sinistres outing ? Sûrement pas prioritairement « les hétéros homophobes ». Ceux qui outent les personnes homosexuelles sont les individus qui côtoient leurs bars, leurs réseaux Internet, leurs cercles amicaux ou amoureux, donc des personnes homosexuelles aussi. Qui critique le plus la visibilité homosexuelle à la télévision ou à la Gay Pride ? Qui empêche la communauté homosexuelle de se faire une place confortable dans la société et d’être forte ? Ses propres membres. « Comment y aurait-il un pouvoir gay ? Ils se détestent tous ! » ironise Frédéric Mitterrand (interviewé dans l’article « Y a-t-il une culture gay ? » sur la revue TÉLÉRAMA, n°2893, le 22 juin 2005, p. 18). Ceux qui défendent la cause homosexuelle dans les media s’étonnent que les seules lettres d’insultes qu’ils reçoivent proviennent presque exclusivement de leurs frères communautaires : « Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’intolérance chez les homos. Ils se plaignent à longueur de journée de ne pas avoir tel ou tel droit et ils ne sont même pas unis entre eux. […] Les seuls papiers méchants que j’ai eus dans la presse, c’était dans la presse gay. Quand je suis sorti de La Ferme, j’ai eu 10000 lettres de fans, et six lettres d’insultes qui venaient toutes de gays. » (Vincent McDoom dans le magazine Egéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, pp. 52-55)

 

Actuellement, les gens ne voient dans la figure de la personne homophobe que l’individu gay frustré, honteux, « follophobe », tristounet, frigide. Ils oublient d’inclure dans le portrait toutes les personnes homosexuelles « assumées », extraverties, tout sourire. Par exemple, certains sujets homosexuels se plaisent à imaginer qu’« il n’y a pas plus lesbophobe qu’une lesbienne qui s’ignore » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 15). Qu’ils se détrompent ! Il y a tout aussi lesbophobe qu’une femme lesbienne refoulée : une femme lesbienne qui croit se connaître par cœur et qui, du fait de s’étiqueter éternellement lesbienne, refuse de reconnaître qu’elle puisse un jour devenir lesbophobe. On observe à bien des occasions des personnes homosexuelles, jouant en temps normal les grandes tapettes ou les militants de la première heure, se métamorphoser sans crier gare en brutes épaisses détestant leur communauté d’adoption. Bien des personnes homosexuelles, en disant qu’elles s’assument à 100% en tant qu’« homos », rejoignent dans l’extrême les personnes homophobes qui nient en bloc leur homosexualité, puisqu’elles aussi essentialisent le désir homosexuel, se caricaturent, se figent en objet, et donc refoulent qui elles sont profondément. S’il arrive exceptionnellement que certaines personnes homosexuelles reconnaissent que leur désir homosexuel est en partie homophobe, c’est pour mieux se donner l’illusion que depuis leur merveilleuse conversion à la « cause gay », elles s’assument pleinement en tant qu’homosexuelles et que la triste page de leur passé homophobe est déjà bel et bien tournée. S’avouer « ex-homophobe », cela revient pour elles à combattre l’homophobie et à montrer patte blanche. Mais derrière la personne homosexuelle et agressivement fière de l’être se cache souvent une personne (ex)homophobe convaincue, qui affirme haut et fort que l’homosexualité est quelque chose de monstrueux ou de génial : cela dépend des époques, du sens du vent, et des caprices de son désir homosexuel.

 
 

L’homophobie institutionnalisée en « communauté homosexuelle »

 

Le plus souvent, le despotisme homosexuel, avant de s’actualiser systématiquement à l’échelle d’une nation ou de la Planète, s’exerce d’abord au sein d’une communauté humaine réduite, autrement dit la communauté homosexuelle. Et, comme l’affirme à juste raison Frédéric Martel dans son splendide essai Le Rose et le Noir (1996), « la dictature de la majorité n’est pas plus enviable que la dictature des minorités. » (p. 713) Presque la totalité des personnes homosexuelles vous l’assurera : il se vit une forte exclusion dans ce que nous appelons, faute de mieux, le « milieu homosexuel ». En son sein, les moyens mis en place pour créer de vrais espaces d’expression sont apparemment suffisants mais concrètement inefficaces, sûrement par manque de volonté chez ses membres de se rencontrer sans se consommer. Dans les associations, la prise de parole se destine davantage aux « actions » militantes et à l’idéologie de la conquête ou de l’émotionnel qu’aux individus qui s’y trouvent. À l’intérieur des bars, des boîtes et sur les chat Internet, le dialogue y est également très limité et sclérosé par la drague. Par ailleurs, il existe un décalage vertigineux entre ce que nous pouvons voir sur les chaînes de télévision ou les magazines proposés à la clientèle homosexuelle – dignes de la plus mauvaise presse féminine –, et les aspirations profondes des personnes homosexuelles. Sous prétexte de respecter la liberté et l’intimité de chacun, la majorité des porte-parole de la communauté homosexuelle se défilent, et leur pensée n’attire pas les foules. L’unique réponse que l’ensemble des journalistes de la presse gay apportent aux questions existentielles de leurs camarades communautaires est l’affichage fier de leur propre démission, le renvoi à la responsabilité individuelle, l’exposition muette des plaintes dans la rubrique « Courrier des lecteurs » favorisant le narcissisme dans l’écoute du témoignage « je » larmoyant ou bien la révolte défaitiste.

 

Les réalisateurs gays essaient parfois d’atténuer à l’écran la cruauté du cérémonial de la drague homosexuelle en montrant des beaux gosses repentants et gentils avec leur amant moins beau ou moins jeune qu’eux. Mais rien n’y fait. Les individus homosexuels sont souvent extrêmement sectaires entre eux, envers les « folles », les personnes travesties, transsexuelles, lesbiennes, âgées, jeunes, séropositives (les « plombés » comme on les appelle parfois), et surtout les sujets homosexuels étiquetés « homophobes », autrement dit les personnes bisexuelles, celles qui viennent leur révéler que l’homosexualité est prioritairement une réalité mythique, non-figée. Quelques rares films osent tout de même montrer l’envers du décor (le court-métrage « Fast Forward », « D’un trait » (2004), d’Alexis van Stratum est à ce titre exemplaire). Malheureusement, ils sont en général récupérés dans le but de cultiver chez les personnes homosexuelles qui se disent « hors-milieu » le mythe du prince charmant homosexuel ou de leur supposée différence radicale avec le commun des habitants « du milieu ». Yves Navarre avait raison de dire que les personnes homosexuelles sont « bien plus racistes avec elles qu’on ne l’est avec elles ». Trop occupées à fuir leurs propres problèmes personnels dans un pathétisme mou, des délires forcés, un désir de se démarquer des autres, et un consumérisme égoïste, elles ne s’aident pas souvent entre elles. Elles n’ont qu’une envie : s’éloigner les unes des autres. « J’ai pour amis des folles comme moi, des amis pour passer un moment, pour rigoler un peu. Mais dès que nous devenons dramatiques… nous nous fuyons. Chacune se voit reflétée dans l’autre, et est épouvantée. Nous nous déprimons comme des chiennes, tu peux pas savoir. » (Molina, le héros homosexuel du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, p. 205) Il est difficile de rencontrer dans la communauté homosexuelle une seule personne homosexuelle qui se sente vraiment à sa place, même parmi les habitués des bars et des associations.

 

 

La majorité des individus homosexuels ne sont pas dupes. Ils expérimentent, dès qu’ils arrivent dans la communauté gay, un profond décalage entre leurs idéaux d’amour et les réalités relationnelles décevantes qu’ils y vivent, quand bien même ils savent pertinemment que les modes de vie homosexuels observables dans les bars et sur les réseaux virtuels ne sont pas généralisables à l’ensemble du « milieu » (terme hypocritement flou, désignant stricto sensu les établissements gay friendly spécialisés, mais qui pourrait tout à fait s’étendre d’une part à n’importe quel endroit public improvisé – et, surtout grâce à Internet, à tout lieu de vie où l’Homme désire se mythifier –, et d’autre part à toute personne croyant en la vérité du désir homosexuel : le « milieu homosexuel », c’est le désir homosexuel ; c’est le couple homosexuel). La plupart du temps, ils tombent de très haut. C’est pourquoi, pour figurer la communauté homosexuelle, certains artistes mettent en scène un enfer folklorique, bien après avoir cherché désespérément un éden gay dans une contrée lointaine et littéraire (cf. je vous renvoie évidemment au code « Milieu homosexuel paradisiaque »  dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

En réalité, le « milieu homosexuel » n’est ni aussi terrible qu’ils le disent – il y a bien des boîtes glauques pour personnes hétérosexuelles également – ni aussi banal. Bon nombre de personnes homosexuelles nous mettent en garde contre l’expérience d’Internet et des nuits dans les établissements gay et lesbiens : « Il y a une vraie violence à ouvrir la porte de ces lieux. » (Nina Bouraoui, l’écrivaine lesbienne, dans l’émission Culture et Dépendances, sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004) Elles vivent douloureusement le formatage qu’elles s’imposent par la culture marchande homosexuelle. Mais l’impression d’enfer est chez elles souvent teintée d’amnésie, comme le montrent les propos d’Hervé Guibert dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001) : « Le sauna de la Kleiststrasse hier soir : une expérience du dégoût. Dégoût pour les corps, dégoût pour le lieu, dégoût pour les pratiques […]. (L’aisance, l’indifférence de T. dans tous ces endroits). » (p. 91)

 

Si le « ghetto gay » est tel qu’il est actuellement, ce n’est pas uniquement à cause d’un groupuscule réduit de personnes homosexuelles. Le malheur d’une minorité est toujours universalisable, et les sociétés hétérosexuelles (et surtout humaines !) auront très certainement à répondre de la construction d’infrastructures déshumanisantes dans lesquelles certains individus ont accepté de s’enfermer et de se détruire en cadenassant leur révolte intérieure : « Les terreurs que connaissent les homosexuels dans cette société ne seraient pas aussi grandes si la société elle-même ne devait pas affronter toutes ces terreurs qu’elle ne veut pas admettre. » disait James Baldwin dans une interview (au journal Village Voice en 1984).

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Les Enfers marais-cageux :

 

Film "The Game Of Juan’s Life" de Joselito Altarejos

Film « The Game Of Juan’s Life » de Joselito Altarejos


 

Très souvent dans les œuvres de fiction homo-érotiques, les héros homos décrivent le « milieu homosexuel » comme un enfer : cf. le film « J’ai rêvé sous l’eau » (2012) d’Hormoz, le roman Méphistophéla (1890) de Catulle Mendès, le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat, le film « Back Room » (1999) de Guillem Morales, le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, le roman Todos Los Parques No Son Un Paraíso (1978) d’Antonio Roig, le film « Madagascar Skin » (1995) de Chris Newby, le roman Riches, cruels et fardés (2002) de Hervé Claude, la pièce La Descente d’Orphée (1957) de Tennessee Williams, la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (le réalisateur avoua lui-même qu’il a cherché, à travers son film, à figurer une descente dans l’enfer de l’inhumain), le roman Les Caves du Vatican (1914) d’André Gide, la chanson « Hellbent For Leather » du groupe Juda’s Priest, le film « Lucifer Rising » (1974) de Kenneth Anger, la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare, le film « Le Rôti de satan » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le roman La Descente aux enfers (1963) de Marcel Jouhandeau, le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec la célébration du dieu Mercure), le roman Poupée Bella (2004) de Nina Bouraoui, le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti, le film « Hell’s Highway » (1932) de Rowland Brown, le film « L’Enfer d’Ethan » (2004) de Quentin Lee, le film « Descentes aux enfers » (1986) de Francis Girod, le film « Irréversible » (2001) de Gaspar Noé, le recueil de poèmes Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (avec le train-fantôme nommé « L’Enfer »), le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, le film « Café du diable » (2011) de Maria Beatty, la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) Bernard-Marie Koltès, la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès (dépeignant les bas-fonds des saunas gays), le film « Adults Only » (2013) de Michael J. Saul (dans les méandres d’une backroom gay), la chanson « Nous les amoureux » de Jean-Claude Pascal, le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, etc. « Partir à la recherche de Greta a été comme entrer dans un des cercles de l’Enfer. » (Jane, l’héroïne lesbienne en quête de Greta la prostituée, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 177)

 

Par exemple, dans le vidéo-clip de la chanson « Jesus Is Gay » de Gaël, le héros homo va « s’encanailler » dans une boîte appelée Au Diable. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato se perd dans la boîte gay teintée d’un filtre rouge. Dans le one-man-show Gérard, comme le prénom (2011) de Laurent Gérard, Éric et Michael tiennent un bar dans le Centre Ville, le Gaytapens. Dans son one-man-show Hétéro-Kit (2011), Yann Mercanton décrit la fréquentation du sauna comme la descente d’Orphée aux enfers. Dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, Laura et sa copine vont voir au théâtre la pièce L’Épopée de Gilgamesh racontant l’histoire d’un homme qui va chercher son ami aux Enfers. Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, la voix-off est celle d’un diable doucereux invisible qui téléguide avec amusement les quatre personnages en les acheminant vers une descente progressive dans l’enfer du sauna gay. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Jacques et Yves Saint-Laurent se rendent ensemble dans les bacchanales homos, sur fond de filtre rouge. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, pendant le jeu télévisé Questions pour un champion qu’Adèle, l’héroïne lesbienne, regarde avec ses parents, Julien Lepers pose la question suivante : « Quel est le nom de la femme d’Orphée qui descend aux enfers ? » (réponse : Eurydice). Plus tard, Adèle apprend à connaître le milieu lesbien parisien, montré comme un milieu hostile, moqueur, narquois, grippe-fesses, puéril, cancanier. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, on aperçoit des mugs en forme de clowns blancs grimaçants et diaboliques au comptoir du bar-club gay Le Stud. Dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet, Caroline décrit le « milieu homo » comme une « caste de dépravés ».

 

Pour renforcer cette idée que le « milieu homosexuel » est infernal, il est fait parfois référence dans les fictions au Styx, le mythologique fleuve infernal : cf. les films « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Styx » (2004) de Falk Ulbrich, les chansons « On est tous des imbéciles » et « L’Instant X » de Mylène Farmer, le film « Parking » (1985) de Jacques Demy, etc.

 

Beaucoup de personnages homosexuels affirment rentrer dans le « milieu » comme ils pénètrent dans la géhenne, le néant : « L’Enfer, c’est l’autre boîte de nuit à Montparnasse. » (l’héroïne lesbienne dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie) ; « Si vous aimez le show, vous brûlerez en enfer avec nous. » (la voix-off du spectacle musical Adam et Steeve, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Je me croyais délivré de l’enfer de la famille et le voici reconstruit sur les terrains de mes vices ! » (Pédé, le héros homosexuel de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Mercredi matin, c’était comme le jour du Jugement dernier. On avait tous peur. Le Paradis. L’Enfer. Pas de purgatoire. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 40) ; « À nous le Marais et ses marécages ! » (Stéphanie dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau) ; « Ce n’était pour aucun des deux jumeaux Hypnos ni Thanatos que j’étais descendu dans cet Enfer. » (le protagoniste parlant de ses ballades le long des « quais obscurs et des parkings déserts », dans la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 107) ; « Qui peut dire dans cet enfer ce qu’on attend de nous ? » (cf. la chanson « À quoi je sers ? » de Mylène Farmer) ; « Je me trouve en ce moment dans l’enfer des folles, deux étages en dessous de la place de l’Opéra. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 126) ; « Cette soirée est un enfer. » (Didier, le héros homo à l’intérieur d’une boîte gay, dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « Il [Emmanuel] me disait avoir connu par eux [les homosexuels] l’enfer brûlant du mépris porté sur soi. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 172) ; « Y’a des party, poum poum, dans les clubs en bas, des gigolos pressés qui se lèchent les bras, des enfants fous qui jouent mais ne pardonnent pas, des femmes enlacées qui se parlent tout bas. Mais y’a des gens qui sont stricts, des chats noirs qui miaulent, des crocodiles en bas. Mais y’a des gens qui sont stricts, des perroquets qui volent, des pingouins en papier mâché. » (cf. la chanson « Des gens stricts » du groupe Animo) ; « J’ai traîné dans les boîtes jusqu’au petit matin, et à chaque fois je suis rentré ivre mort, défoncé jusqu’à la moelle, couvert de coups de martinet, inondé d’urine jusqu’aux chaussettes, mais seul, toujours seul, doctoresse ! » (L. dans la pièce Le Frigo (1983), p. 24) ; « Je n’avais été en tout et pour tout, dans ma vie, que trois fois dans un sauna masculin, et j’en étais ressorti très déprimé. » (Éric, le narrateur homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 92) ; « Sur les marches qui mènent aux chiottes de la gare du Nord, je rencontre H. Il a un air triste, sa tête retenue sur ses deux mains emballées dans deux gros gants de ski, assis sur les marches. Je passe deux fois devant lui. Une première fois en allant aux pissotières. De l’ouverture à la fermeture de la gare, il y a des hommes, de tous âges, de toutes origines qui se branlent lamentablement, debout, dans l’odeur de pisse et de foutre, en matant en coin les bites des autres. On dirait des puceaux, aussi fébriles que surexcités. Venir ici me désespère autant que ça me réjouit. » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 59) ; « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’Enfer. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) ; « Je marche dans Babel et dans ses dédales. » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Depuis trois mois, c’est l’enfer. Herbert est violent, armé, totalement imprévisible. » (Fabien à propos de son attitude avec son amant Herbert, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Tu devrais rentrer chez toi. C’est pas un endroit pour toi. » (Serge rencontrant pour la première fois son jeune amant Victor dans un parc parisien plein de prédateurs, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « Chaque jour vers l’enfer nous descendons d’un pas, sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange le sein martyrisé d’une antique catin, nous volons au passage un plaisir clandestin. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; « Une fois que tu seras là-dedans, tu verras à quel point c’est triste et moche. » (un client homo plus âgé du club The Boys s’adressant à Nathan, le héros homosexuel qu’il va entraîner dans un guet-apens pour le tuer, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc.

 

Par exemple, le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre dépeint les bas-fonds d’une maison close homosexuelle où l’ambiance est très malsaine : les backroom sont peintes avec un fond rouge, on entend des ricanements, on y voit des prostitués claquemurés dans leur cellule et entourés d’une drôle de cour des miracles monstrueuse. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, on nous montre l’ambiance détestable de la fête hétéro-gay de l’appartement du couple Ted/Roberto, où George est contraint de s’héberger. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui ne s’était jamais posé la question de remettre en cause son homosexualité, avoue qu’il a une « vie bien cadrée » dans son quotidien homosexuel. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), Kelly, l’héroïne lesbienne, se rend dans une boîte appelée « Quajmire » qui est l’antre des enfers.

 

Javier de la Torre dans sa prison dorée, rouge et plumée

Javier de la Torre dans sa prison dorée, rouge et plumée


 

Même s’il vit une expérience qu’il décrit comme un enfer, le héros homosexuel s’auto-persuade que cette impression est agréable, voire paradisiaque (il « l’a voulu », se dit-il) : « Les autres penseront que vous connaissez l’enfer. Mais ils ne sauront jamais que l’enfer est doux. » (le narrateur homosexuel du roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 70) ; « Pour nous, ça avait la couleur de l’amour – mais j’avoue que si j’avais été hétéro, ça aurait largement ressemblé à la fin de toute intelligence et à la couleur de l’enfer. » (Doumi décrivant les années 1980, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, pp. 35-36) ; « Il avait eu l’impression de marcher au milieu de colonnes et de soldats d’un temps ancestral, vers une arène. C’était violent, ça faisait mal, mais il y avait déjà le plaisir de penser que ce serait peut-être bon ensuite, un peu plus loin. » (Doumi au Palace, op. cit., p. 36) ; « Toi et moi on sait repérer les mecs bien. Pas comme toutes ces folles qui cherchent à baiser. » (Romain, le compagnon d’Alexis, s’adressant à Laurent qui sort en secret avec Alexis, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; etc.

 

En général, son déni le met dans un état d’amnésique ou de zombie, qui ne lui fait plus distinguer le Réel du fantasme : « Il entrait dans un monde improbable, à mi-chemin entre fantasme et réalité. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 29) ; « Je suis un garçon sensible et réfléchi. En grandissant, je ne me suis jamais affranchi de ces nuits de veille au douloureux vague à l’âme. J’ai compris bien trop tard que j’étais une femme. Je me suis fait belle, belle, belle, pour aller les voir. Je remercie toute l’équipe de la Gare Saint-Lazare. » (cf. la chanson « Coming Out » d’Alexis HK)

 

Très souvent, la fête homosexuelle annonce une catastrophe ou une descente aux Enfers surprenante (cf. je vous renvoie au code « Humour-poignard » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « Poltergay » (2006) d’Éric Lavaine, la bande de morts-vivants hantant la maison de Marc et Emma a péri dans une boîte gay qui a brûlé dans les années 1970. Dans la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, le meurtre du barman a lieu un soir d’orgie, lors d’un « bal macabre » (p. 83) dans une backroom d’une boîte homo de Pigalle. Dans le roman La Vie est un tango (1979), toujours de Copi, le carnaval est précisément le moment du viol : « Je vois que, tandis que le pauvre Silberman est assassiné dans les rotatives, à l’étage de la direction on ne pense qu’au carnaval. » (pp. 75-76) ; « Silvano fut réveillé en sursaut par le bruit des pétards et le vacarme dans la rue. […] Il se dirigea vers son bureau pour chercher un revolver […]. Des gamins déguisés arrivaient de la rue avec des serpentins et des tambours. […] L’intrusion des enfants ne prédisait rien de bon. (idem, pp. 170-171) ; « Serais-je en enfer, se demanda-t-il. À bien y penser il était bien possible qu’il fût mort depuis plusieurs jours. […] Les enfants de la rue, depuis que le carnaval avait commencé, ressemblaient de plus en plus à des démons. (idem, p. 174) ; « Il se dit : cette année, le carnaval devient sérieux. » (idem, p. 175)

 

Dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, le sauna Continental-Opéra est le théâtre d’une explosion dramatique des chaudières en plein bal masqué : « C’est mardi, mais c’est mardi gras. Aujourd’hui, les folles du Continental sont permises de se travestir, elles vont et viennent sans arrêt des galeries Lafayette qui se trouvent tout près, ce soir il y a un grand bal autour de la piscine. » Même scénario dans la pièce La Tour de la Défense (1981) : « Au deuxième et dernier acte de La Tour de la Défense de Copi, un hélicoptère s’écrase sur la tour voisine, et déclenche un incendie généralisé. Le carnaval se termine dans les flammes. » (cf. l’article « Copi de bonne fois » de René Solis, dans le journal Libération du 4 avril 2005) Dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, l’enfer gay derrière le carnaval, le viol le soir de fête homosexuelle, est bien décrit par l’un des héros gay, Bjorn : « Ma vie. Quand je suis parti de la rue, avec Jan, j’ai pensé que je n’y retournerais plus jamais. Je sais maintenant que certains endroits sont encore pires. Comme celui où je me trouve en ce moment avec des gens qui organisent l’enfer, qui en vivent. Gays ou pas. Prostitution, violence, hôtels et drogue sans doute. Cette nuit dans la pénombre, j’ai compris que d’autres ici faisaient le métier de tout diriger à leur profit. Que derrière la Gay Pride de Sydney il y avait un trafic d’ecstasy, de médicaments, de produits dérivés. Il y avait du marketing et du sex-business. Avec beaucoup de dollars à la clé. […] Je sais maintenant que Jan est mêlé à tout ça et qu’ils sont en train de s’entre-tuer à quelques semaines seulement de la grande parade sur Oxford Street, du défilé du ‘Mardi gras’. » (pp. 167-168) Dans le film « Poltergay » (2006) d’Éric Lavaine, la bande de joyeux drilles homos surexcités est en réalité composée de clients homosexuels qui ont tous péri dans l’incendie d’une boîte gay disco dans les années 1970.

 
 

b) Le panier de crabes aux pinces roses :

Les héros homosexuels des fictions emploient la fantasmagorie de l’enfer pour parler de leurs relations amicales et amoureuses homosexuelles parce que, visiblement, celles-ci sont compliquées et douloureuses : cf. le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron, la poésie « Oda A Walt Whitman » (1940) de Federico García Lorca, le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le film « L’Ange bleu » (1930) de Josef von Sternberg, le roman El Giocondo (1970) de Francisco Umbral, le roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana (avec le cercle de langues de vipères homosexuelles), le film « Our Betters » (1933) de George Cukor (avec les personnages sophistiqués très gossip girls), etc.

 

À les entendre, le « milieu homosexuel » est un véritable panier de crabes ! : « Je te parle de ma communauté qui me déçoit. » (Océane Rose-Marie dans son one-woman-show Chaton violents, 2015) ; « Ce milieu gay c’est tellement pourri. Tellement de convoitises. » (Laurent Spielvogel imitant le gay quarantenaire du sud, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Il n’y a pas de paradis homosexuel, ou bien, s’il y en a un, attendez-vous à y trouver quelques lois sauvages ! » (Éric dans le roman Le Loup (1972) de Marie-Claire Blais) ; « Je payais en toute hâte, empochai mon ticket et me jetai sur les portes du théâtre sans regarder vers la queue où, j’en étais convaincu, une dizaine d’homosexuels – dont un prêtre –, plus méchants les uns que les autres, riaient de ma déconvenue. » (le narrateur homo à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 35) ; « La plupart déambulaient par bandes, comme autant de sectes à l’intérieur de la secte. […]  Il régnait dans ce lieu une certaine agressivité de chacun envers tous les autres, à l’exception de ceux qui s’inséraient exactement dans votre archétype. » (le narrateur homo décrivant une boîte gay, dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, pp. 56-57) ; « Je ne vois que des méchantes, le nez en l’air, méprisantes. » (un homo parlant des « clones » du Marais, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Les bars gays sont des prisons aussi. » (un des personnages homosexuels de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Devant la porte des chiottes, j’écarte une bande de jeunes androgynes pour passer, l’un d’eux dit ‘Mais c’est pas possible, ils ont ouvert les portes du zoo de Vincennes pour laisser s’échapper ces monstres ?’ Ses copines rient. » (Mike, le héros homo du roman Des chiens (2012) de Mike Nietomertz, p. 102) ; « Ô, mon Dieu, que quelqu’un vienne à mon secours, s’il vous plaît ! Les travelos me trucident ! » (Lou, l’héroïne lesbienne de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, p. 323) ; « Est-ce que tu sors avec une bande de tantes ? J’aurais pu deviner que ça allait arriver. Tes fantasmes paranoïaques d’arrestation et d’accident ont été le premier symptôme. » (Myrma Minkoff s’adressant à son ami gay Ignatius dans le roman La Conjuration des Imbéciles (1981) de John Kennedy Toole, p. 414) ; « Vous, les travestis troupières, vous venez nous faire la guerre à nous, pédés pacifistes, nous traitant de jeunes filles tristes quand tout ce que nous cherchons, c’est simplement un garçon (si c’est possible un artiste) idéaliste, simple et bon qui reste garder la maison quand nous faisons secrétaires ! Vous voulez nous effrayer, affublées de vos perruques, habillées comme des perruches. […] Les jardins du Sacré-Cœur sont bien gardés par les flics ! Vous ne me faites pas peur ! » (Pédé, le héros homo s’adressant aux travestis, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Les rendez-vous entre gays sur internet, c’est toujours un peu craignos. » (Katya s’adressant à Anton, son ami homosexuel, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu décrit les foudres de venin qui s’abattent sur lui, de la part de son entourage homo formé de « langues de pute », suite à sa rupture amoureuse avec Jonathan : « Ou quand l’Empire contre-attaque… » Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, Jonathan, l’un des héros homos, avoue que le « public le plus difficile » qu’il a rencontré, après le « milieu homo », c’est « celui des cabarets ». Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Pretorius, le vampire homosexuel dit qu’il voit autour de lui « des bandes de gamins qui ne l’aiment pas ». Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ! (2012), Samuel Laroque dit qu’il est un concentré de bêtise et de superficialité : « Le Marais, c’est un peu comme une grande ferme où y’a de la dinde en batterie. » Les « Maraisiennes » sont présentées comme des clients obsessionnels des salles de sport, des acheteurs de sac à main, des consommateurs de Smart-phone, des gens déprimants (« Bonsoir mes amis dépressifs ! » s’exclame la parodie de Mylène Farmer face à son public gay), etc. Pire que cela ! Les habitants du « milieu », en plus d’être cons, seraient méchants, un repère de violeurs (Laroque dit sa trouille d’être piégé par le GHB, la « drogue du violeur », en boîtes homos) : « Je n’y vais plus. J’en ai marre des boîtes. » (idem) ; « Les homos, c’est pas de la tarte non plus. Y’a pas plus intolérant qu’un homo dans le milieu. » (idem) ; « Bon vous savez quoi ? Être homo, c’est pas toujours gai. » (idem)

 

Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel raconte comment lui et ses amis homos se parlent mal, même si au départ ça semble être un code culturel : « On a beaucoup d’ironie sur nous-mêmes. » ; « Qu’est-ce que tu fous, connasse ? » ; « T’as dormi où, p’tite salope ? » ; etc.
 

Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, les héros homosexuels, militants d’Act-Up, ne peuvent pas se supporter. Ils détestent « les folles de la Gay Pride » sous prétexte que ce seraient elles « qui les détestent ». Et entre eux, c’est la militance plus que l’amitié qui les unis. D’ailleurs, quand Thibault, le leader du mouvement, va à l’hôpital rendre visite à son pote Sean, cloué au lit par le VIH, il lui demande : « On s’aime pas beaucoup mais on est quand même des amis, non ? », avant que Sean ne lui réponde par la négative, dans un silence interrompu par une demande encore plus glaçante : « Je préfèrerais que tu t’en ailles. » Le portrait pourtant idyllique que nous montre ce docu-fiction sur Act-Up ne fait, à son insu, que comme la désigner comme un nid de vipères, où les coups bas, la colère, la sale ambiance, les trahisons, et les fausses amitiés, prédominent.
 

Dans son roman très autobiographique Le Bal des folles (1977), Copi décrit « cette hystérie propre aux groupes de travestis », en ne s’excluant pas du lot : « On se gifle pour un mouchoir, on se casse la gueule pour un client (ne vont-ils pas jusqu’à tuer ?). Elles ont toutes des couteaux au cran d’arrêt dans leurs sacs. » (p. 34) Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, on nous montre les coups bas et la cruauté mesquine entre travestis, qui se piquent les perruques, s’insultent de plein de noms d’oiseaux, juste avant leur show (une vraie parodie sérieuse d’un concours de reines de beauté qui tourne au drame et à la concurrence adolescente !). Dans le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, le groupe d’amies lesbiennes de Rachel, l’héroïne lesbienne, est représenté sous la forme d’un jury impitoyable… surtout quand elle ose leur présenter sa nouvelle conquête. Dans le film « Orange et Pamplemousse » (1997) de Martial Fougeron est filmée la discrimination dans le « milieu » et les déceptions des recherches « réseaux » par téléphone ou Internet. Dans la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, Eugène dresse le portrait de « ce monde homosexuel où, dit-il, il n’a jamais connu la plénitude ». Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, le « milieu homosexuel » est qualifié de « marché ».

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, le groupe de potes gays qui se retrouve ensemble le temps d’une sauterie passe son temps à se tirer dans les pattes : par exemple, Alan est follophobe par rapport à Emory le gay efféminé (« Je n’aime pas sa façon de parler, ça me tape sur les nerfs. » Il finit par le frapper de « Pédale ! ») ; Emory méprise l’inculture de Tex, le beau gosse gigolo décervelé (« Elle est cruche et n’y connaît rien à l’art ! ») et chope des maladies vénériennes presque à chaque fois qu’il se rend épisodiquement dans les saunas (« Vous avez plus de chance que moi. Quand je ne me fais pas arrêter, mon client a une maladie vénérienne. ») ; Michael rumine son complexe physique de ne pas être un top model ajusté aux canons de beauté de la communauté LGBTLes pédés sont pires que les femmes. À 30 ans, ils pensent que c’est fini. Il n’y a pas que la beauté ! ») ; quant à Michael, le maître de cérémonie de cette soirée machiavélique, il maltraite tous ses invités par un jeu qui leur révèlera la vacuité de leurs histoires d’amour homo.

 

Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas, Rudolf et Gabriel sont à la fois des potes gays inséparables et de véritables ennemis : ils se piquent leurs amants entre eux, s’empoisonnent la vie, se suivent et se fuient en Autriche. « On n’a plus vingt ans. Moi, j’ai changé. Pas vous ! C’est pas Paris que je fuis : c’est vous ! » dira Rudolf dans un coup de colère.

 

Les personnages homosexuels sont souvent extrêmement sectaires entre eux, envers les « folles », les personnes travesties, transsexuelles, lesbiennes, âgées, jeunes, séropositives, et surtout les individus homosexuels étiquetés « homophobes », autrement dit les « bisexuels », ceux qui viennent leur révéler que l’homosexualité est prioritairement une réalité mythique, non-figée : « Ennemi public n°1 : les bis. » (la comédienne lesbienne Chriss Lag dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au 3ème Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris, en avril 2009) ; « Nés condamnés, nous nous condamnons tous. Isolés, nous nous isolons. » (le héros homosexuel du roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 121) ; « Quand ils sont jeunes, ils n’ont rien à raconter. Tu dois t’emmerder. » (un « ami » s’adressant à Matthieu à propos du jeune amant de ce dernier, Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Ouais, évidemment, les vieux ça me dégoûte. » (Mike, le narrateur homosexuel, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 38) ; « J’en veux beaucoup aux jeunes de votre génération d’être plus beaux que nous. » (Jacques s’adressant à son amant Arthur, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « Qui est l’ancêtre ? » (un jeune homo du dortoir, qui rappelle méchamment à Zach qu’il est « trop vieux » parce qu’il a 35 ans, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Maintenant, c’est de la merde, Paris ressemble à un musée pour vieux cons fachos, avec des gays (il prononce ‘géïzes’) qui tètent du petit lait électronique avec des airs ingénus et qui se branlent devant Xtube. Des petits moutons. On a transformé une armée de pédés rebelles qui dérangeaient le modèle hétéro en gays, c’est-à-dire en tarlouzes de droite incapables de réfléchir plus loin que le bout de leur bite. » (Simon le héros homosexuel, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 23-24) ; « J’ai autre chose à faire que de traîner avec des gamins. » (Jonathan, homosexuel, ne voulant pas collaborer au départ avec les jeunes militants LGBT, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; etc. Par exemple, dans le film « L.A. Zombie » (2010) de Bruce LaBruce, on ne voit que des crimes homophobes opérés entre homos. Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz (p. 30), les héros homosexuels présentent même la communauté homosexuelle comme une « fausse démocratie » (p. 30). Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, toute une série de meurtres est effectuée par un psychopathe… qui se révèle homosexuel). Dans le film « La Forme de l’eau » (« The Shape of Water », 2018) de Guillermo del Toro, Giles, le personnage homo âgé, tente de draguer le jeune barman du resto qu’il fréquente. Mais lorsque ce dernier s’en rend compte, il le lourde comme une vieille merde. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, une série de meurtre entache un lieu de drague homo… et on découvre que ce sont les « vacanciers » homosexuels eux-mêmes qui s’entretuent, s’épient jalousement, et se couvrent pour garder un espoir de coucher ensemble. L’inspecteur chargé de l’enquête s’étonne de l’insensibilité et du manque de fraternité entre les homos : « C’est un petit monde. Vous devez tous vous connaître, non ? […] Que l’un des vôtres se soient fait assassiner, ça ne vous émeut pas plus que ça ??? Vous avez une drôle de façon de vous aimez… » dira-t-il à Franck.

 

Dans le « milieu homosexuel » semble régner la « démocratie de l’indifférence mutuelle » : « Ici, personne ne te demande de compte. » (une réplique du téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve) Les homosexuels ont du mal à se mélanger entre eux, comme c’est le cas des lesbiennes fictionnelles avec les homos : « Elles venaient moins pour draguer que les gars et avaient plutôt tendance à rester entre elles, en petits couples propres qui savent bien se tenir. Quelques-unes, plus âgées, se mêlaient aux groupes d’hommes, fraternisaient volontiers et payaient des tournées accueillies avec force cris de joie, mais elles étaient plutôt rares. » (Jean-Marc décrivant les lesbiennes du bar Macho Person, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 171) ; « En tout cas ils [les homos] ne sont jamais venus voir mes pièces. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 16) Dans le roman La Conjuration des imbéciles (1981) de John Kennedy Toole, dès qu’Ignatius essaie de fédérer les homos pour créer pour eux un parti politique, il se fait lyncher. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, lorsque Jacques apprend que son amant Arthur compte se rendre à une réunion publique d’Act-Up, il prend peur : « Je ne veux pas qu’on lui fasse du mal. » (Jacques) « Que veux-tu qu’ils lui fassent du mal à Act-Up ? » s’étonne son pote Mathieu.

 

L’orientation sexuelle et la pulsions étant les dénominateurs communs de la communauté homosexuelle, il est logique que les rapports relationnels qui s’instaurent entre les communautaires soient majoritairement de consommation, intéressés et violents : « Tu dois comprendre que le sexe est très important pour une lesbienne. » (Peyton à sa copine Elena, dans le film « Elena » (2011) de Nicole Conn). C’est généralement déprimant pour le héros homosexuel de voir que, dès que lui et ses frères d’orientation sexuelle s’adonnent factuellement à leur désir homosexuel, ils se renvoient un pathétique reflet d’obsédés sexuels. « Les pédés sur le net ne pensent qu’au cul. » (l’un des héros homos de la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) Ce n’est pas ce qu’ils seraient dans un autre cadre amoureux et communautaire, certainement. Et c’est bien cela qui les attristent le plus : d’être complices de leur propre damnation.

 

Parfois, le « milieu homosexuel » sera le bouc-émissaire diabolisé du héros homosexuel, le lieu où il déversera sa culpabilité inavouée de mal agir amoureusement, son homophobie intériorisée/son homosexualité : « Le milieu, c’est pas mon style ! » (Benoît dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « Privés de toute dignité sociale, de toute charte sociale établie pour la conduite de l’homme, de la camaraderie qui, par droit divin, devrait être le propre de toute créature qui vit et respire, rejetés de tous, en proie dès leur plus tendre enfance à une incessante persécution, ils étaient maintenant plus avilis encore que ne le croyaient leurs ennemis, et plus désespérés que toute la lie de la création. Car, puisque tout ce qui, à nombre d’entre eux, avait semblé beau, une émotion belle, désintéressée, et noble parfois, avait été couvert de honte, traité d’impureté et de vilenie, ils s’étaient graduellement abaissés au niveau auquel le monde plaçait leurs émotions. Et regardant avec horreur ces hommes saturés de boisson, intoxiqués de drogue, comme s’ils l’étaient en trop grand nombre, Stephen sentit que quelque chose de terrifiant planait dans cette malheureuse salle de chez Alec, terrifiant parce que s’il y avait un Dieu, sa colère devait s’élever contre une telle injustice. Leur lot était plus pitoyable encore que le sien et l’humanité avait sûrement à en répondre. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 564)

 

Je vous renvoie avec insistance sur les chapitres « Dictateur gay » et « Armée gay » du code « Homosexuels psychorigides » du Dictionnaire des Codes homosexuels, et notamment sur le lobby LGBT qui veut bisexualiser/asexualiser/sentimentaliser la Planète.

 
 

c) L’arc-en-ciel, spectre de la lumière noire :

Pièce "Under A Rainbow Flag" de Leo Schwartz

Pièce « Under A Rainbow Flag » de Leo Schwartz


 

Vous n’êtes pas sans ignorer que l’arc-en-ciel à 6 couleurs est devenu le symbole de la communauté homosexuelle. Et comme pour illustrer que, à l’instar du fameux adage, « l’enfer est pavé de bonnes intentions », la couleur noire se mêle souvent à l’arc-en-ciel dans les créations homosexuelles, tel un spectre de la lumière blanche inversé : cf. l’essai La Prochaine fois, le feu (1963) de James Baldwin (avec la citation ouvrant le livre : « Dieu donna à Noé le signe d’un arc-en-ciel : il est fini le temps de l’eau, s’approche celui du feu… »), le film « Osama » (2003) de Sedigh Barmak (dans ce film, le changement de sexe se fait en passant sous l’arc-en-ciel), le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell (avec les bonbons multicolores apportés par le militaire noir, au milieu des ruines), le film « Vivir De Negro » (« Vivre dans le noir », 2010) d’Alejo Flah, la chanson « Lisa » de Jeanne Mas (« Je lui dirai des mots sensuels, passion nouée d’un arc-en-ciel, le provoquer par mes erreurs, le suffoquer de ma douceur. »), le roman Les Couleurs de la nuit (2010) de Stéphane Lambert, le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin (Hall décrit son téléphone noir et l’arc-en-ciel qui en surgit), etc.

 

Il arrive que certains personnages homosexuels présentent le « milieu homosexuel » comme un arc-en-ciel annonciateur/signe d’orage infernal : « J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides / Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux / D’hommes ! Des arc-en-ciel tendus comme des brides / Sous l’horizon des mers, à des glauques troupeaux ! / J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses / Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan ! / Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces/Et les lointains vers les gouffres cataractant ! » (Arthur Rimbaud, « Le Bateau ivre » (1869-1872), p. 87) ; « Hier soir j’étais sorti de mon œuf… Je crois bien que c’était un œuf, alors ils m’ont dit : tu iras à la guerre ! […]  Moi, la guerre, je n’en connaissais rien. Je ne savais même pas où ça se passait ! […]  Alors je me suis mis à voler. J’y prends un plaisir fou […]  moi je planais comme un dingue. […]  Mais cette vie-là ça m’a fatigué vite. Je commence à m’arrêter de plus en plus souvent, dès que je vois une branche de libre. Et j’y trouve des gens qui me ressemblent, des camarades qui ont des muscles meurtris à force de voyager. Et je reste avec eux, piailler, sautiller, changer de branche quand le temps nous le concède. Alors il pleut souvent. Nos plumes deviennent grises. Alors, peu à peu, je viens chez vous. » (Copi, La Journée d’une rêveuse, 1968) ; « Je ne l’ai pas reconnu parce qu’il avait enfilé un tee-shirt noir orné d’un arc-en-ciel. » (Ashe, l’un des personnages homosexuels du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 17) ; « Il y a un arc-en-ciel dans chaque nuage. » (le prof de bio Monsieur Hendricks, dans l’épisode 8 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, la société sans différence des sexes, où les rapports humains sont entièrement homosexualisés, est un univers insupportable, sans goût, où tout est blanc ou noir (la tonalité duelle de couleurs est parfois cassée par des éclats multicolores de peinture), où la machine a pris le pas sur l’humain : tous les personnages sont des robots s’exploitant les uns les autres. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, c’est au moment où Suki et Kanojo descendent toutes les deux dans la cave de la maison de Juna, et que la première se presse contre la seconde (« J’ai peur du noir!!! ») que précisément Kanojo conseille à Suki de « penser à un troupeau de licornes qui descend d’un arc-en-ciel ». Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Phil, le héros homo raconte le vide existentiel qu’il expérimente du fait de ne pas connaître son père biologique. Il lui donne les couleurs de l’arc-en-ciel : « Et aujourd’hui ? C’est normal de ne rien savoir sur notre père, le mystérieux numéro 3 de la liste. Pour moi, ça restait un vide étrange. Un trou noir. Comme si le vide en moi prenait des couleurs. »
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Les Enfers marais-cageux :

Aussi étonnant que cela puisse paraître, beaucoup de personnes homosexuelles réelles reprennent à leur compte la menace que d’autres personnes homosexuelles refoulées avant elles avaient prononcé avant elles. Par exemple, dans le docu-fiction Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman, le révérend Phelps, pasteur protestant évangélique, soutient que « les homos vont tous finir en enfer ».

 

Même s’il s’agit bien évidemment d’un langage métaphorique (difficile de se représenter l’enfer, c’est-à-dire l’absence de Bien), il n’est pas rare que le « milieu homosexuel » soit décrit par les personnes homosexuelles – y compris celles qui se définissent « athées » – comme un enfer : « J’ai vu l’enfer en direct. » (Thomas, homosexuel, parlant de ses expériences homosexuelles, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; « L’enfer ne nous fait pas peur, le paradis non plus. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 102) ; « Après ça [une aventure génitale avec le beau-frère], je dégringole assez rapidement. Il a réveillé quelque chose en moi. Je commence à me promener dans les parcs la nuit. Ma descente aux enfers, elle commence là. Mon estime de moi tombe à zéro. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (2008) de Michel Dorais, p. 250) ; « J’ai beaucoup de mal pour aller dans des milieux exclusivement féminins, parce qu’il y a une espèce de brutalité dans laquelle je ne me reconnais pas. […] Ce que je ressens dans ces milieux-là parfois, c’est qu’on reproduit, tu as des femmes qui reproduisent des comportements masculins que j’exècre totalement, dans la manière de draguer principalement, c’est ça. Je trouve que c’est vulgaire, pour moi ça casse l’image de l’amour que j’ai pour les femmes. […] Ce qui me gêne c’est la contradiction, pour moi, entre une revendication de l’amour des femmes et cette vulgarité, qui pour moi n’est qu’une reproduction de ce qui se passe chez les hétéros. » (Catherine, femme lesbienne de 32 ans, dans l’essai Se dire lesbienne (2010) de Natacha Chetcuti, pp. 58-59) ; « On est confronté dans ces lieux de drague, hélas, à de multiples formes de violence. On y croise des gens bizarres ou des demi-fous et il faut être sur ses gardes. Et surtout on s’expose à être l’objet d’agressions physiques par des voyous ou bien à des fréquents contrôles d’identité par la police, qui y pratique un véritable harcèlement. Cela a-t-il changé ? J’en doute. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 219) ; « Le sauna de la Kleiststrasse hier soir : une expérience du dégoût. Dégoût pour les corps, dégoût pour le lieu, dégoût pour les pratiques (l’homme qui se promène avec un cockring, l’écran vidéo qui projette un fist-fucking, un autre homme allongé sur une natte qui ronfle comme si c’était le plaisir qui le faisait râler). Ma serviette ne cesse de tomber de ma taille, T. va chier et je l’attends longtemps à la porte, j’ouvre la porte et j’aperçois ses pieds nus qui dépassent de l’autre porte. Il me dit d’aller dans la salle du hammam qui est un dédale carrelé blanc devenu totalement opaque par la vapeur. Je me cogne à quelques corps, et j’ai soudain peur de ne plus pouvoir sortir, je tends mes mains en avant. (L’aisance, l’indifférence de T. dans tous ces endroits.) » (Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (2001), p. 91) ; « Ce contexte dénué de tout raffinement […]  C’est là que je compris que cette recherche d’extrême était vaine. » (Gaël-Laurent décrivant un sex-club, dans son autobiographie Recto/Verso (2007), p. 191) ; « Je n’ai connu que des enfers rougeoyants, des êtres torturés par les flammes de la rage, embrasés d’envie, avides, dévorateurs. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 180) ; « La dictature de l’apparence, […] inévitable chez les pédés ? » (Anne Delabre, Didier Roth-Bettoni, Le Cinéma français et l’homosexualité (2008), p. 97) ; « Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J’ai connu la peur et la terrible solitude, les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants, la prison de la dépression et de la Maison de la Santé. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Dans un tract politique nazi du 16 septembre 1919, on pouvait lire ce slogan : ‘L’Allemagne est en train de devenir une ‘maison chaude’ pour les fantasmes et l’excitation sexuelle.’Cette formule correspondait à une réalité certaine. Des touristes du monde entier venaient à Berlin, parce qu’elle était surnommé ‘Sin City’… On pouvait même trouver des filles de 10-11 ans portant des habits de bébés qui se promenaient de minuit à l’aube en concurrence avec des blondes luxuriantes, nues dans leurs manteaux de fourrures. Ou avec des garçons habillés en poupées, poudrés, les yeux faits, et du rouge aux lèvres. Pas moins de deux mille prostitués mâles sillonnaient les rues de Berlin, tous listés par la police. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 31) ; « Le Stonewall était un endroit sale et sordide. C’était comme une décharge. Mais c’était chez nous. » (Jim Fouratt, client homosexuel régulier décrivant l’établissement gay du Stonewall Inn de New York, dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco) ; etc.

 

Certains intellectuels homosexuels nous mettent en garde contre le formatage imposé par la culture marchande homosexuelle, et notamment Internet. « Vivre dans un monde où tout le monde est pareil, c’est un enfer ! » (Jean-Paul Montanari parlant du Marais, dans le documentaire « Bleu, Blanc, Rose » (2002) d’Yves Jeuland) Je vous renvoie au documentaire « Gay et pas froid aux yeux » (1997) de Rosa von Praunheim. Un peu avant sa mort, Jean Genet projette d’écrire un livre sur l’homosexualité intitulé L’Enfer. Dans l’émission Culture et dépendances, diffusée sur la chaîne France 3 le 9 juin 2004, l’écrivaine lesbienne Nina Bouraoui décrit son roman Poupée Bella (2004) comme « une descente dans l’enfer des filles».

 

Dans le docu-fiction « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, lors de la séquence du concert SM, les coïts ressemblent à des scènes de torture. Le réalisateur en personne, quand il a été interviewé au Forum des Images de Paris au 17e Festival Chéries-Chéris 2011, nous a déclaré textuellement n’avoir ajouté aucune mise en scène à ces images des bas-fonds de New York : il a filmé tel quel ce qu’il définit comme une « reconstitution des enfers » (des hommes avec des masques de diable ou des têtes de morts, cris et actes de tortures sado-maso). Il a avoué également que parmi tous les figurants du film, il ne restait plus que trois survivants…

 

En général, l’une des premières étapes qu’une personne homosexuelle doit passer quand elle rentre dans le « milieu », c’est l’abandon de ses idéaux profonds (et parfois même de la foi) pour ne penser qu’à son petit « bien-être » : « Mes amis m’ont aidé à briser mes contradictions et à rejeter l’idée de Dieu. Je me rappelle d’une phrase prononcée par l’un d’entre eux, qui m’a encouragé à vivre pleinement. » (José Pascual cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 144) ; « J’ai d’abord erré dans ces lieux sombres, ma serviette à la main, je suis passé devant les cabines et j’ai vu des hommes allongés, offerts comme sur un étal de marché. Chacun pouvait choisir le garçon qui lui plaisait. Parfois, bien que la cabine fût plongée dans le noir, je distinguais plusieurs corps agglutinés. À priori, j’aurais dit que mon rêve se réalisait sous mes yeux, mais en fait j’ai très mal vécu cette première incursion dans l’univers homosexuel. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 44) ; « Ses pulsions et ses désirs aplanis, il vécut totalement hors du circuit qui avait tant abîmé sa vie auparavant. » (Prologue à l’essai d’Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 9) ; etc. En fin de compte, on nous demande de lâcher notre paradis (notre virginité, notre liberté, notre joie, notre innocence).

 

Même s’il vit une expérience qu’il décrit comme un enfer, l’individu homosexuel s’auto-persuade souvent que cette impression est agréable, voire paradisiaque (il « l’a voulu », se dit-il). La nullité, ce n’est pas toujours révoltant. En général, son déni le met dans un état d’amnésique ou de zombie, qui ne lui fait plus distinguer le Réel du fantasme : « On ne respirait pas, il s’y vivait une fantaisie sexuelle presque irréelle. Une ambiance onirique que je compare avec l’atmosphère de certaines séquences de « Huit et demi » de Fellini. » (Fernando Maldonado évoquant le cinéma Carretas de Madrid, dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 139)

 

Dans son excellent essai Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), le philosophe Philippe Muray évoque l’existence des « sectes homosexuelles » (p. 51), où ceux qui s’y enferment s’auto-persuadent qu’ils sont tous à l’extérieur. « L’enfer se hait lui-même. » disait Bernanos.

 

Il est à noter aussi que beaucoup de personnes homos trouvent leur compte dans la diabolisation du « milieu homo ». Elles l’entretiennent allègrement toutes seules… même si elles auront tendance à dire ensuite qu’elle vient uniquement des « méchants hétéros homophobes » ! Moi, par exemple, j’ai plus de plaisir à me dire « du milieu », à me balader dans le Marais, et à m’intéresser à la culture homosexuelle qu’elles ! Leur transformation du « milieu homosexuel » en enfer (qu’il ne serait jamais si on le voulait vraiment !) est un moyen pour elles de se victimiser sans se remettre en question, de se placer en outsider irresponsables, pour continuer à agir exactement comme elles agiraient à l’intérieur, mais sans assumer leurs actes concrets de débauche. Quand elles agissent mal ou font de mauvaises rencontres amoureuses, elles mettent cela sur le compte de la « superficialité d’Internet ou de Facebook ou des chats », sur la soi-disant « tendance des gays à mettre le sexe bien avant les sentiments »… alors que dans les faits, ce sont justement la sincérité et les sentiments qui sont moteurs de libertinage ! et ce sont elles qui, en actes, rentrent complètement dans le jeu de l’amour consommateur ! Oui, la supposée « superficialité » d’Internet, des saunas, de Facebook, des boîtes gay, a très très bon dos !

 
 

b) Le panier de crabes aux pinces roses :

INFERNAL transphobie

 

Pourquoi les individus homosexuels emploient-ils une image si diabolisée et si catastrophique de leur propre maison… alors même qu’à d’autres moments, ils s’obstineront à en dresser un portrait totalement idyllique ? Certainement parce qu’ils ne se sentent pas à leur place, ni aimés, ni comblés par leurs relations amicales et amoureuses homosexuelles qui, visiblement, sont compliquées et douloureuses. « Après les petites annonces et les saunas, j’ai fini par m’aventurer dans le quartier gay de Paris, le Marais, toujours dans l’espoir de LA rencontre. J’ai vite déchanté. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 48) ; « Le monde gay m’effraie : trop stéréotypé ? Trop âgé ? Trop fermé ? Comment l’appréhender ? Mes débuts, c’est sur le net que je les ai faits. Mes premières erreurs aussi. Caché derrière un pseudonyme, on se croit tout permis, on s’invente des envies, une vie, et on oublie la sienne. On est happé par cette apparente convivialité, à mille lieues de la réalité, mais, malgré tout, on s’y plaît, on s’y réfugie, on y jouit et on s’y confie. C’était plus fort que moi, je ne vivais plus que pour ça. J’ai tout pris au pied de la lettre, et je me suis retrouvé à Paris pour y rencontrer un mec que je ne connaissais pas. Après plusieurs mois d’amour virtuel, je voulais que ça continue dans la vie réelle. Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte de ma stupidité et du fait que cette histoire ne pourrait jamais marcher. D’ailleurs, c’est ce qui s’est passé. J’y ai trop cru, alors que l’homme n’en voulait que pour mon cul. Il a négligé mon innocence au profit de sa complaisance. Après un début passionnel, la chute a été rude. Le retour à la réalité, brutal et cinglant. Maintenant, j’ai compris. J’essaie d’oublier. Je suis entre deux âges et je ne sais pas trop sur quel pied danser. Je sors de plus en plus dans le milieu gay (boîtes, bars, vernissage) : je préfère aller directement sur le terrain, je suis curieux et j’aime explorer ce monde d’adultes, mais jamais je n’ose aborder, sans doute par peur du rejet ou d’être jugé. Même si l’envie d’un homme se fait de plus en plus pressante, je préfère me préserver, aussi bien physiquement que psychologiquement. » (Cédric, un jeune homosexuel grenoblois de 18 ans, dans la revue Têtu, 2002) ; « La solidarité y est fréquente ; encore plus l’égoïsme, la jalousie, l’hostilité, la trahison. » (Roger Peyrefitte parlant du « milieu homosexuel » et cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 253) ; « Quiconque a passé une nuit dans un bain gay sait qu’il s’agit (ou s’agissait) de l’un des environnements les plus cruellement rigides, hiérarchisés et compétitifs qui se puissent imaginer. Vos allures, vos muscles, votre système pileux, la taille de votre queue et la forme de votre cul déterminaient exactement la façon dont vous alliez trouver le bonheur durant ces quelques heures, et le rejet, généralement accompagné de deux ou trois mots tout au plus, pouvait être cinglant, sans aucune de ces civilités hypocrites avec lesquelles nous évitons les indésirables dans le monde extérieur. » (Léo Barsani, cité dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, pp. 269-270) ; « Il y a toujours du chantage entre nous. C’est très très répandu. Ça se passe par des lettres ou des téléphones. Y’a mon premier ami que j’ai perdu de cette manière, d’ailleurs. Il s’est suicidé. À cause d’un chantage, oui. » (Frank, témoin homosexuel suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

À les entendre, le « milieu homosexuel » est un véritable panier de crabes ! « La dictature de la majorité n’est pas plus enviable que la dictature des minorités. » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 713) ; « Je me butais à dire que j’étais rejeté par ce même milieu, tout en le fréquentant assidument. Je savais que je me contredisais. Pire, j’avais tendance à me positionner en victime vis-à-vis à d’eux. […] On se haïssait. On se scrutait en chiens de faïence. Ainsi allaient nos humeurs. […] Des liens de rivalité et de dépendance, des uns par rapport aux autres, s’installèrent par la suite. Nous étions en fait des assoiffés du renouveau et du sexe, même si nos mœurs nous obligeaient à une pseudo convivialité. » (Berthrand Nguyen Matoko, racontant ses soirées « délire » déguisées avec ses potes homos, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 141) ; etc. Et personnellement, sans vouloir noircir excessivement le tableau (puisque je suis un fervent défenseur de la culture et de la communauté homosexuelles ; et que la croyance en la « communauté homo » m’a servi de bon prétexte pour faire de très belles rencontres amicales… et ce n’est pas fini !), je ne démentirai pas cette mauvaise réputation.

 

Quand je repense par exemple à la sale ambiance (faussement « déconne ») que j’ai vécue pendant 2 années dans l’équipe de chroniqueurs de l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle, de la maltraitance verbale (en plus de la bêtise et de l’intolérance aux pensées différentes) qu’on m’a fait subir, j’ai à la fois envie de sourire et de gerber. Pauvres auditeurs (si jamais il y en a…) !

 

Force est de reconnaître que les personnes homosexuelles sont souvent extrêmement sectaires entre elles, envers les « folles », les personnes travesties, transsexuelles, lesbiennes, âgées, jeunes, séropositives, et surtout les individus homosexuels étiquetés « homophobes », autrement dit les « bisexuels », ceux qui viennent leur révéler que l’homosexualité est prioritairement une réalité mythique, non-figée : « J’avais eu à faire avec assez de pédés égocentriques, paranoïaques et destructeurs. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 275) ; « Je me suis mis à marcher derrière Bruno comme quand on suit aveuglément l’amour, pour trouver au comptoir un centimètre carré disponible. Lumières paralysantes, la musique hurlait pour couvrir la rumeur générale qui s’amplifiait alors que, les bières se vidaient. Hommes enlacés, bouche à bouche, sexe à sexe, ils se déchaînaient pour un soir en libérant toutes leurs pulsions, le temps de vivre leurs désirs. Les plus âgés, relativement plus calmes, ‘des aventuriers de l’âge perdu’, comme les appelait Bruno, qualification qui me déplaisait fortement, lorgnaient sans doute vers le passé déchu qui s’écoulait à la vitesse des perfusions. Tandis que je m’insurgeais contre cette discrimination, Bruno m’expliquera plus tard que, attirance physique oblige, le fossé des générations dans le milieu a plus qu’un sens, il a un corps. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 133) ; « En ce qui concerne les discriminations, malheureusement il en existe au sein même du Mouvement homosexuel, tout du moins dans le secteur des hommes, qui est celui que je connais le mieux. Il existe une grave discrimination sur l’âge. […] Une autre discrimination existe en raison de l’apparence physique. » (Armand de Fluvià, cité dans l’ouvrage collectif Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 84) ; « Les coulisses de ces Barnum du vice ne sont pas des paradis. C’est plutôt à l’enfer que ressemble Sodome et, entre les entrées et les sorties des vedettes, éclatent des drames compliqués et grinçants. On se bat – en femmes, naturellement : on déchire la robe neuve de son ennemie intime, quand on ne la coupe pas au rasoir. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 37) ; « Nous autres, les goudous à cent pour cent, c’est à ça qu’on est bonnes, elles viennent se faire baisouiller un moment, et tout à coup, elles reprennent leurs esprits et elles nous proposent d’être leurs amies ! […] Ces femmes nous méprisent. Elles se servent de nous quand elles sont en manque et le premier argument leur suffit pour tirer l’échelle quand elles ont eu ce qu’elles voulaient. » (Paula Dumont parlant des femmes hétérosexuelles infiltrant leur « milieu », dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 123) ; « Tout à coup, sans transition, Michel Foucault se mit à rire : ‘Elle est complètement folle !’ Un frisson me parcourut l’échine : mes oreilles venaient d’entendre pour la première fois ce elle qui était un féminin de la langue secrète de l’Enfer et ce folle, terme usité dans cette société infernale dont Foucault nous laissait entendre qu’il était un initié. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), pp. 63-64) ; etc.

 

Par exemple, le documentaire « The Gift » (2005) de Louise Hogarth fait état d’un rejet massif des personnes homosexuelles sidéennes au sein du « milieu homosexuel ». Le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont nous montre la descente aux enfers de Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, qui se met en étau entre le monde totalitaire de la danse classique et le monde non moins totalitaire de la transition de sexe. De son vivant, le photographe nord-américain « Mapplethorpe a souffert de ne pas trouver chez les gays eux-mêmes un accueil plus chaleureux. » (Lionel Povert, Dictionnaire gay (1994), p. 322) À titre d’exemple, le traitement lamentable réservé à l’association française Arcadie (créée en 1954 et dissoute en 1982), pourtant pionnière en France des droits de la communauté homosexuelle actuelle, montre combien grande est l’intolérance et l’ingratitude dans le « milieu homosexuel » (cf. le dossier « En terre d’Arcadie », entretien avec André Baudry de Christian Gendron, dans la revue Triangul’Ère 6 de Christophe Gendron, décembre 2006, pp. 112-145).

 

Parfois, dans un élan nostalgique, certains individus homosexuels idéalisent les premiers temps de la communauté homosexuelle pour mieux se lamenter sur l’inhumanité du « ghetto gay » marchand actuel. Or des vétérans comme Denis Daniel nous dressent un portrait peu reluisant du « milieu homosexuel d’antan », où la consommation mutuelle entre amants était instituée autrement, mais tout aussi présente : « ‘ – Salut ! C’était pas mal, sais-tu ! Et tu la boucles, compris ?’ Pas de doute, en ce temps-là, dans le milieu on savait vivre !!! » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 71)

 

En voulant fuir à tout prix les règles et les interdits sociaux au nom de leur liberté de conscience, la plupart des personnes homosexuelles adoptent un code moral privé tout aussi rigide, voire plus rigide que les règles de vie édictées par la société « hétéro » rejetée. « Une permissivité trop grande amène le sujet à renforcer les interdits internes devant l’absence d’interdits externes. » (Xavier Thévenot, Homosexualités masculines et morale chrétienne (1985), p. 175) ; « Pauvres femmes, pauvres goudous, chacune dans votre loin, au mieux avec votre chère et tendre, au pire seule et désespérée, ce n’est pas demain la veille que vous comprendrez que la sororité est vitale pour les goudous encore plus que pour les hétérottes. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 221) ; « Le monde gay n’est pas parfait, ni saint, de la même manière que le monde hétérosexuel n’est ni parfait ni saint. […] Il y a beaucoup de poubelle, dedans comme dehors… » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, pp. 192-194)

 

L’orientation sexuelle et la pulsions étant les dénominateurs communs de la communauté homosexuelle, il est logique que les rapports relationnels qui s’instaurent entre les communautaires soient majoritairement de consommation, intéressés, compulsifs et violents : « Comment le caractère particulièrement ségrégatif d’une telle communauté, fondée sur la seule particularité de sa jouissance sexuelle, ne saute-t-il pas immédiatement aux yeux des démocrates ? » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 111) C’est généralement déprimant pour l’individu homosexuel de voir que, dès que lui et ses frères d’orientation sexuelle s’adonnent factuellement à leur désir homosexuel, ils se renvoient un pathétique reflet d’obsédés sexuels. « Le grand plaisir du débauché, c’est d’entraîner à la débauche. » (André Gide à Oscar Wilde, au lendemain d’une promenade dans les quartiers « spéciaux » d’Alger) Ce n’est pas ce qu’ils seraient dans un autre cadre amoureux et communautaire, certainement. Et c’est bien cela qui les attristent le plus : d’être complices de leur propre damnation.

 

Un jour, en 2003, Bernard, un ami angevin, m’avait confié par mail l’enfer qu’il vivait dans sa vie homosexuelle, plus terrible encore que l’enfer folklorique des dessins animés, parce qu’il était « librement » consenti : « C’est dur pour moi : je suis un affectif et la solitude me pèse… et puis les années sont là malgré tout. En 2 ans, je n’ai jamais réussi à construire une relation d’amour. Que de tentatives, d’espoir vains, d’illusions et de désillusions ! et ce soir je vais rentrer seul… En fait, je n’aime pas aller au Cargo [ancien bar LGBT d’Angers]. L’ambiance festive me plait et parler ‘homo’ m’est utile, mais le côté pathétique des homos me déprime. Je me sens totalement en décalage, perdu dans tout ça, noyé dans cette souffrance sous-jacente. J’ai juste envie de bonheur, de rire, de plaisir partagé, de douceur. Je connais trop la solitude, et même quand j’étais en couple je vivais seul. Parfois c’était pire qu’aujourd’hui. »

 

Les communautaires homosexuels ne se contentent pas de fermer les portes de l’enfer de leurs pratiques sexuelles : ils veulent l’étendre au reste du monde, en cherchant (pour les plus extrémistes) à homosexualiser la Planète entière, et à bisexualiser/asexualiser tous les êtres humains (pour les encore plus extrémistes et les plus bobos d’entre eux). Je vous renvoie avec insistance sur les chapitres « Dictateur gay » et « Armée gay » du code « Homosexuels psychorigides » du Dictionnaire des Codes homosexuels, et notamment sur le lobby LGBT.

 

Entre elles, même les personnalités homosexuelles médiatiques et « assumées », peuvent s’écharper comme jamais. C’est ce qui s’est passé lors de l’émission On n’est pas couchés de Laurent Ruquier diffusée le 20 octobre 2018 sur la chaîne France 2, pendant laquelle Muriel Robin, Marc-Olivier Fogiel et Laurent Ruquier (je ne compte même pas Christine Angot) se sont ligués contre le jeune chroniqueur homo Charles Consigny, à propos d’un désaccord sur la GPA (Gestation Pour Autrui). La scène est d’une violence homophobe gay friendly difficilement soutenable.
 
 

c) L’arc-en-ciel, spectre de la lumière noire :

Le noir de l’arc-en-ciel homosexuel est à lui seul allégorisé par l’actrice-chanteuse nord-américaine Judy Garland, qui a incarné la petite Dorothée du film gay friendly « Le Magicien d’Oz » (1939) de Victor Fleming, dans lequel elle chanta le fameux « Over The Rainbow » : celle qui a donné naissance au mouvement gay contemporain (on dit que sa mort, le 27 juin 1969, à Manhattan, a été à l’origine des révoltes de Stonewall), et qui lui a donné son symbole, l’arc-en-ciel, a eu une vie particulièrement noire et tourmentée (divorce, déprime, suicide…).

 

Pour la Gay Pride parisienne de 2018, place du Châtelet, un immense écriteau « Rainbow is the new black » (traduction officielle : « L’arc-en-ciel est la nouvelle coolitude »)… clin d’oeil aussi à la série nord-américaine Orange is the new black


 

Le Rainbow Flag homosexuel, devenu depuis les années 1980, le symbole de la communauté homosexuelle, et censé défendre la joie et la beauté de la diversité, est plutôt un spectre de la lumière noire, puisque la diversité en question ressemble à une uniformité bien terne et sombre : « Je pense que derrière tout ce carnaval se cache une grande violence. » (Madeleine dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 266) ; « Contre les préjugés, ceux des autres mais aussi les nôtres, brandissons notre arc-en-ciel et combattons l’obscurantisme dans la salle obscure ! » (Antoine Quet dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 9) ; « L’arc-en-ciel, éternelle déclaration d’amour de l’infini à notre terre de violence. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, 17 janvier 1981, p. 15) ; « La plupart du temps, je dessinais des représentations de l’Enfer que je rapportais à la maison pour que ma mère les admire. J’avais développé une technique formidable pour dessiner l’Enfer : coloriez une feuille de papier en faisant des blocs de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, puis prenez un pastel noir et recouvrez les couleurs. Ensuite, prenez une épingle et faites des dessins sur le papier. Les couleurs apparaissent là où le noir a été gratté. Spectaculaire et efficace. Surtout pour les âmes perdues. » (Jeanette Winterson, lesbienne, dans son autobiographie Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, 2011, p. 71) ; etc. Le noir est la couleur du caméléon multicolore homosexuel, comme l’illustrent les propos de Frédéric Sanchez : « Le costume noir, c’est mon uniforme, j’aime le côté strict. Le besoin d’être neutre, de pouvoir passer d’un milieu à un autre. » (cf. l’article « Frédéric Sanchez, illustrateur sonore », sur le site www.e-llico.com, consulté en juin 2005). Le choix du Rainbow Flag m’apparaît particulièrement judicieux et signifiant dans la mesure où l’arc-en-ciel a toujours été annonciateur/signe d’orage… tout comme la communauté homosexuelle. Je vous renvoie notamment au fond ténébriste que prennent certaines affiches, pourtant très pro-gay, d’Élisabeth Ohlson Wallin, au choix du titre de l’excellent essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel.

 

L’arc-en-ciel homosexuel broie du noir et cache souvent des pratiques et des réalités dramatiques. Par exemple, en France, le collectif associatif Arc-en-ciel s’occupe des rebus de la société, des personnes seules ou qui sont séropositives : l’arc-en-ciel est ici un cache-misère. Personne, en entendant le nom de cette association, ne peut deviner à quoi elle est destinée. Par ailleurs, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt, l’arc-en-ciel gay en papier mâché s’enflamme et se laisse peu à peu noircir par la cendre. Tout un symbole !

 

Documentaire "Homo et alors?!?" de Peter Gerardt

Documentaire « Homo et alors?!? » de Peter Gerardt


 

Le Rainbow gay justifie des pratiques mercantiles autour de l’amour (prostitution, drague, tourisme sexuel, etc.) et de la filiation (Gender, PMA, GPA, « mariage gay », etc.) qui sont inadmissibles : « Je suis né dans une famille black, blanc et rainbow. » (Patrick Blosch, témoignant de son homosexualité et du « faire famille homoparentale » à travers l’adoption d’enfants, lors du débat public « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », le samedi 10 octobre 2009, à la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris).

 

Tweet du 10 juin 2020


 
Clichés télébristes pro-LGBT d'Élisabeth Ohlson Wallin

Clichés télébristes pro-LGBT d’Élisabeth Ohlson Wallin


 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°123 – Milieu homosexuel paradisiaque (sous-codes : Bande de copains / Applaudissements / Cuculand)

Milieu paradisiaque

Milieu homosexuel paradisiaque

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

L’artillerie lourde de la guimauve arc-en-ciel

 

boda

 

Certains intellectuels homosexuels se plaisent à présenter la communauté homosexuelle comme un mouvement identitaire puissant, une famille ultra-soudée, qui donne au monde une nouvelle façon de faire la fête, de s’affirmer, de s’aimer. Lassés des productions artistiques au message sinistre qu’ils avaient jadis construites eux-mêmes, ils créent sur papier ou sur pellicule des épopées extraordinaires où tout le monde rigole et applaudit, où les happy end parachèvent l’utopie identitariste ou amoureuse, où l’homosexualité a forcément le dernier mot. Ils essaient de faire de la révolte de Stonewall une nouvelle Prise de la Bastille, le déclenchement d’une révolution homosexuelle prometteuse. Quant aux personnes homosexuelles moins lettrées, elles ont tendance à se persuader qu’elles ne sont elles-mêmes et heureuses qu’entre les quatre murs du « milieu homosexuel » (… tout en se déclarant hypocritement « hors milieu » quand cela les arrange). Ceci est dû en général à l’influence de certains films visant à démontrer que le coming out est le summum de la réconciliation de soi avec soi-même, que les couples homosexuels filent l’amour parfait, que la camaraderie homosexuelle est là à tout instant, que « les » homos sont d’infatigables fêtards, une bande de copains inséparables et toujours prêts à s’épauler dans l’épreuve. Mais la première phrase de Dennis, l’un des personnages homos du film « Le Club des cœurs brisés » (2000) de Greg Barlanti vient nous ramener les pieds sur terre : « Je ne peux pas me décider à savoir si mes amis sont la meilleure ou la pire chose qui me soit arrivée. » Dans la réalité concrète, nous découvrons que la révolution homosexuelle n’est souvent qu’un joli concept romantique sorti des cerveaux des universitaires queer.

 

Film "Les Garçons de la bande" de William Friedkin

Film « Les Garçons de la bande » de William Friedkin


 

Quand la révolution que les sujets homosexuels défendent adopte un sourire qui n’est pas de circonstance, puisqu’il dissimule énormément de drames vécus au sein du « milieu homosexuel » et dans le vécu individuel de ses membres, elle apparaît dans toute son horreur. Les talk show télévisés actuels, promettant un bonheur parfait aux personnes homosexuelles, correspondent rarement à la réalité, et causent bien des dégâts dans la vie des intervenants gay qui, par narcissisme ou inconscience, ont déballé leur « joie d’être homos/malheur d’être rejetés en tant qu’homos » devant les caméras (il finissent pour la plupart en dépression, abandonnés par leurs amis, séparés de leur compagnon de l’époque, démolis par leur(s) tentative(s) de suicide, etc.). La révolution festive homosexuelle a son cynisme et sa violence. Avant de les lâcher sur la place publique, la communauté homosexuelle dorlote ses porte-drapeaux, les décore, les épile, leur oxygène les cheveux, les place sur un char, leur ordonne d’être reconnaissants et d’arborer un visage de fierté afin de lui faire honneur. Les plus fragiles d’entre eux se réfugieront dans un anonymat de consommation et d’amours sans lendemain. Les moins fragiles, ravis d’occuper pendant un quart d’heure le haut de l’affiche et de défendre une utopie collective, deviennent souvent des militants « agressivement heureux d’être gay ». C’est une manière comme une autre pour eux de se venger de leur propre naïveté.

 

La majorité des personnes homosexuelles demandent à leur société le contraire de ce qu’elles prétendent vouloir agressivement. Et elles sont déçues qu’à l’heure actuelle celle-ci applaudisse de plus en plus à leurs provocations adolescentes ou à leurs simulations d’amour pour éviter de les comprendre. Déjà, au cours des premières années de la visibilité homosexuelle, les militants gays les plus charismatiques s’étonnaient de voir exaucer aussi facilement leurs rêves superficiels : « On voulait juste s’amuser. On ne pensait pas avoir autant de succès. On s’attendait même à provoquer plus d’indignation, de scandale en affichant notre homosexualité. » (Jimmy Somerville interviewé dans le documentaire « Sex’n’Pop, Part IV » (2004) de Christian Bettges). Encore aujourd’hui, la communauté homosexuelle fait grise mine. La plupart de ses membres ne verront jamais leur reconnaissance sociale comme une victoire, tout simplement parce qu’elles ne veulent pas vraiment être reconnues, en tout cas pas comme ça, en tant qu’« homos » s’aimant d’un amour idéal équivalent à l’union femme-homme désirante, et sans que la société ait identifié le désir de viol qu’elle a suscité en elles – plus rarement encore le viol qu’elle leur a fait subir.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Amoureux », « Déni », « Manège », « Planeur », « Faux révolutionnaires », « Cour des miracles », « Bobo », « Milieu homosexuel infernal », « Innocence », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Fresques historiques », « Humour-poignard », « Douceur-poignard », et « Mère gay friendly » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le Gay Paradise ovationné :

Souvent, dans les fictions homosexuelles, le milieu homosexuel est comparé à un paradis : cf. « Big Eden » (2000) de Thomas Bezucha, le film « Eden’s Curve » (2003) d’Anne Misawa, la B.D. Kiwi au Paradis (1999) de Teddy of Paris, le film « Paradisio Inferno » (1994) de Jean-Daniel Cadinot, le film « Rue des Roses » (2012) de Patrick Fabre, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le spectacle musical Rendez-vous au Paradis (2015) du groupe vocal gay Podium, le film « Plus on est de fous » (« Donde caben dos », 2021) de Paco Caballero (avec le club échangiste Paradisio), etc. « C’est donc à cela que ressemble le Paradis ? à un camping ? » (Max, le campeur homo, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « Y’a trop plein d’homos : on va bien s’amuser ! » (Ingrid dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies (avec la boîte gay Heaven) ; etc.

 

Film "Satreelex, The Iron Ladies" de Yongyooth Thongkonthun

Film « Satreelex, The Iron Ladies » de Yongyooth Thongkonthun


 

On essaie de nous faire croire que la communauté homosexuelle est une grande bande de copains ultra-soudée, toujours prête à s’épauler dans l’épreuve : cf. le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka, le film « Le Club des cœurs brisés » (2000) de Greg Berlanti, le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun (avec l’équipe de volley interlope), le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, le film « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin, le film « L’Attaque de la moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (avec le trio de trois travestis en vadrouille), le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache (surtout dans le club travesti), les séries Queer As Folk (présentant les aventures et les déboires amoureux d’une bande de copains homos, avec tous les profils de caractère), le film « Go Fish » (1994) de Rose Troche, le film « Some Of My Best Friends Are… » (1971) de Mervyn Nelson, le film « Arch Brown’s Top Story » (1993) d’Arch Brown, le film « Changing Face » (1993) de Robert Tate et Robert Roznowski, le film « I’ll Love You Forever… Tonight » (1992) de Michael Edgar Bravo, le film « Get Over It » (1995) de Nicholas Katsapetses, le film « Relax… It’s Just Sex » (1998) de J. P. Castellaneta, le film « Punks » (2000) de Patrick-Ian Polk, le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, le film « Ice Men » (2002) de Thom Best, le film « Esprit d’équipe » (2005) de Robert I. Douglas, le film « Uomini Uomini Uomini » (1996) de Christian De Sica, le film « Gulabi Aaina » (« The Ink Mirror », 2003) de Sridhar Rangyan, la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, le one-man-show Elle est pas belle ma vie ! (2012) de Samuel Laroque (le comédien demande à son public, à la toute fin du spectacle, de se faire un grand baiser de paix, « comme à l’église »), le film « The Family Stone » (« Esprit de famille », 2005), de Thomas Bezucha, le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell (avec la messe profane du travesti M to F), le film « Vecinas » (2012) d’Eli Navarro (avec la grande collocation de quatre lesbiennes), le roman Down There On A Visit (L’Ami de passage (1962) de Christopher Isherwood (avec la bande d’amis qui gravite autour d’Ambrose), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) du travesti M to F Charlène Duval, le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, le film « Le Bal des 41 » (« El Baile de los 41 », 2020) de David Pablos (avec le club d’amis gays qui font des spectacles travestis qui les tordent de rire), la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, etc. Par exemple, dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand finit par décrire la grande diversité du « milieu homo », avec un regard pseudo lucide et attendri sur les travers et les richesses de ses membres (« les ridicules, les maqués, les pestes, les refoulés, les hystériques, les rebelles homos, les fans de Femmes avec un grand F, les bien introduits dans les meilleures sociétés, les politisés… et moi, folle et sensée, sans préjugés »). On assiste à la même typologie d’homosexualités mi-grinçante mi aimante dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel)

 

Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, tout est quasiment filmé comme des succès de la communauté homosexuel : lors de la fête au village, Jonathan, l’un des héros homosexuels, fait un malheur ; le groupe de militants homosexuels partage d’incroyables moments de convivialité ; les actions politiques des mouvements LGBT et ouvrier s’annoncent comme de véritables chamboulements historiques (« On écrit l’histoire. Gays et hétéros ensemble ! » s’exclame solennellement Dai, le père de famille gay friendly) ; et la fin du film s’achève en apothéose, avec les images euphoriques et émouvantes du défilé de la Gay Pride londonienne de 1985 où tout le monde est heureux. Dans le docu-fiction « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, on nous montre le groupe Act-Up comme une grande famille, tant pendant les fêtes que les combats (zap), les engueulades, les moments de soutien dans l’épreuve (la maladie, le deuil). Tout cela est filmé au ralenti, avec des confettis.

 

Dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (cf. l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1), Karma et sa meilleure amie Amy ont fait croire à leur lycée qu’elles étaient lesbiennes afin de sortir de l’ombre et de devenir populaires. Cela rend triste Amy, mais Karma la force à trouver leur imposture géniale : « Aujourd’hui, tout le monde nous adore. Tu dois admettre que c’est génial ! » Et en effet, elles sont élues reines du bal de rentrée du lycée et célébrées par une pluie de confettis et par l’ovation d’une foule gay friendly en délire. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane, la mère de Steve (le héros homosexuel), et son fils, apparaissent comme une école de bonne humeur et de savoir-vivre. Leur voisine mère au foyer, Kylia, revit grâce à eux, s’ouvre à la « liberté » : « C’était plaisant hier. » Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, le monde gay est présenté comme coloré et rafraîchissant, surtout pendant la scène de la choré maritime « délire » des potes homos de Tommaso, lui-même homosexuel.

 

Film "Crustacés et Coquillages" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Crustacés et Coquillages » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Les protagonistes homosexuels ont en général l’esprit de famille, mais un esprit qui dépasse la famille de sang (la famille réelle, donc) : « Entre traînées, on s’entraide ! » (le pote noir homosexuel de Paul, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « René, Georges, mes copines » (Zamba, le travesti M to F, dans le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue) ; « Si moi, je m’entendais bien avec Kévin, ma mère s’entendait super bien avec la sienne. Il avait raison, nous étions une vraie famille unie ! J’avais deux mamans géniales et un petit frère magnifique que j’aimais comme un malade. » (Bryan en parlant de son couple avec Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 409) ; « Et si on construisait une maison à deux niveaux avec Aysla et Dom ? » (Marie s’adressant à son mari Bernd, concernant le couple hétéro Dom/Aysla, alors que Marie a une liaison lesbienne secrète avec Aysla, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann) ; « J’ai fait un repli communautaire avec mes semblables. » (Océane Rose-Marie dans son one-woman-show Châtons violents, 2015) ; « Tu nous as donné une vraie famille. » (Lettie, la femme-à-barbe transgenre, s’adressant à Phineas, dans le film « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey) ; « Je suis sa famille. » (Adrien, le héros homo, mettant le grappin sur Eva, sa meilleure amie et Fille-À-Pédés, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; « Nous sommes une grande famille ! » (Seb, homo parlant de sa bande, dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion) ; etc. Par exemple, dans les films « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2011) de Malu de Martino, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Tableau de famille » (2002) de Ferzan Ozpetek, le film « Pourquoi pas moi ? » (1999) de Stéphane Giusti, les héros homosexuels, tous sexes confondus, décident de vivre une vie communautaire dans une baraque retapée, une sorte de « Maison du Bonheur » où il serait possible de guérir de toutes ses peines de cœur. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, se compare, avec ses 4 amis, aux « Desperate Housewifes » : « C’est important les amis. » Dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur France 2 le mardi 15 octobre 2013, le « couple » Luc et Yoann croit emménager dans « une coloc d’homos » et sont déçus de leurs nouveaux voisins d’immeuble. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, le héros homo, débarque dans le chalet chambres d’hôtes autrichien de Johanna, sa tante, et sur un malentendu (parce qu’elle croyait qu’en arrivant à trois, il venait avec une famille mari-femme-enfant), Rudolf et ses deux potes gays Nicolas et Gabriel sont hébergés dans une chambre formatée « famille ». Et pendant tout le film, le réalisateur essaie de nous montrer que le trio forme une famille ultra-soudée et inséparables : « Vous êtes tout pour moi. Sans vous, je ne suis rien. » déclare Nicolas à ses copains. Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Nina rêve de faire appart commun avec George et son copain Joley. Puis, une fois qu’elle a un bébé avec Vince, et que George n’est plus en couple avec Joley, elle veut continuer de vivre en colocation avec George : « On peut très bien vivre comme ça si on en a envie. On se fiche des schémas conformistes. » (Nina s’adressant à George) Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, dit que sa vraie famille n’est pas sa famille biologique, mais un mix de sa mère (Glass), du compagnon de celle-ci (Michael), de sa sœur jumelle (Dianne) et du couple lesbien ami (Tereza et Pascale).

 

Ils créent parfois une sorte de vie communautaire amico-amoureuse : « Nous étions maintenant trois complices, et, toutes femmes que nous étions, nous avions su construire un espace d’harmonie, entièrement voué à notre sensualité. […] Le lendemain nous montâmes au premier pour organiser au mieux l’installation de la bonne. Je dis à Marie qu’elle pouvait s’y établir également, ainsi nous y serions toutes les trois. La maison était grande et conçue pour une famille que je n’aurais jamais. » (Alexandra, la narratrice lesbienne parlant de ses domestiques-amantes fricotant ensemble, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 127-128) ; « Dans la jardin, je les voyais souvent se parler et rire au milieu des roses, Marie la regardait avec des yeux d’amoureuse, et, quand elles rentraient après leur petite promenade, il me semblait que d’un coup la pièce s’emplissait d’un fraîcheur et d’un bonheur qui me ravissaient l’âme. La maison entière était vouée au désir des femmes. » (idem, p. 132-133). Dans le film « Miss » (2020) de Ruben Alves, la collocation de Yolande (Isabelle Nanty), c’est vraiment l’auberge espagnole multiculturelle : il y a un rebeu, un Noir, un prostitué transsexuel, Alex (le héros transgenre M to F qui candidate pour être Miss France) ainsi que deux femmes indiennes. Cette communauté interlope, bien que pas facile à superviser tant elle ne paye pas toujours ses loyers (à temps) et tant elle est le théâtre de chamailleries « fraternelles », est présentée comme la vraie famille d’Alex, et un havre de paix, de soutien et de rigolades.

 

Dans énormément de films pro-gay, le personnage homosexuel et le couple qu’il forme avec son copain, ou bien le groupe de potes homos, sont applaudis comme de véritables héros au moment du happy end : c’est le cas par exemple dans le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun (c’est la folie dans le stade lors du match final), le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (le play-back des protagonistes déclenche l’hilarité et l’admiration générales), le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, le film « Eating Out » (2004) de Q. Allan Brocka, le film « Philadelphia » (1993) de Jonathan Demme, le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache, le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron, le film « The Prom Queen » (« La Reine du bal », 2004) de John L’Écuyer, le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald (avec la danse collective finale), le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Je m’voyais déjà » (2008) de Laurent Ruquier, le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso (avec l’euphorie du groupe de prostitués masculins au concert de la cantatrice trans M to F Louvre), etc. « C’était le plus beau jour de ma vie. » (Zize, le travesti M to F parlant du Concours de Beauté qu’il a gagné, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson)

 

Film "Everything Relative" de Sharon Pollack

Film « Everything Relative » de Sharon Pollack


 

Par exemple, dans le film « Ma Mère préfère les femmes » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman, tout le monde applaudit et rigole au moment du mariage gay final. Le film « Elena » (2010) de Nicole Conn s’achève par un grand pique-nique collectif avec la « famille » homosexuelle nouvellement constituée (par les amis, les couples homos et hétéros mélangés, le bébé né de leur copinage). Dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, tous célèbrent le baiser homo entre Elliot et Paul par des applaudissements. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, chaque prestation scénique de Chance, le héros homo, soulève une ovation systématique dans la salle de concert. Dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, c’est la happy end au moment du mariage, tout le monde est content. Dans le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, la récitation orale par Allen Ginsberg de son poème « Howl » suscite les éclats de rire et les applaudissements d’un public bobo médusé (là aussi, très vraisemblable…). Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, à la fête d’anniversaire d’Erik, tout le monde applaudit le baiser homosexuel que s’échangent Paul et Erik (le couple qui se défera assez vite). Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, une fête d’artistes bobos dans le jardin est organisée en l’honneur de la formation du couple Emma/Adèle. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, c’est la happy end où tout le monde se réconcilie et célèbre « tous les amours » et « toutes les identités ». Dans la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell, c’est également la fin heureuse ouverte sur la « tolérance » généralisée. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, on nous montre des applaudissements hystériques autour de l’Oscar décerné à l’acteur Cameron Drake pour son rôle de gay dans le film « Servir et protéger ».

 
 

b) Cuculand :

Pierre et Gilles (et Cie)

Pierre et Gilles (et Cie)


 

Si l’on en croit les œuvres cinématographiques qu’on nous présente actuellement du « milieu homosexuel », celui-ci serait le Pays des Bisounours. Ceci est particulièrement saillant à travers le traitement à l’image de ses représentants – les couples homosexuels – et des rituels de drague, banalisés ou idéalisés à l’extrême. On nous fait voir par exemple des Apollons homosexuels compatissants, et même carrément séduits par leur « amant-plus-moche-ou-plus-vieux-qu’eux », comme dans les films « Hellbent » (2005) de Paul Etheredge-Ouzts, ou bien encore « Comme un garçon » (1998) de Simon Shore, … scenari qu’on ne voit quasiment jamais dans la réalité. Dans un registre similaire, à la fin du film « Les Témoins » (2006), André Téchiné nous fait croire que l’âgisme homosexuel n’existe pas toujours entre personnes homosexuelles : Adrien, l’homosexuel âgé, trouve miraculeusement chaussure à son pied avec un jeune éphèbe avec qui il peut construire une relation stable. Top crédibilité… À la fin de son film « In & Out » (1997), Frank Oz laisse croire aux spectateurs que Peter et Howard se préparent à leur propre mariage à l’église… avant de nous révéler que finalement, ce sont les parents âgés d’Howard (ou plutôt la mère et son nouveau mari) qui officialisent leur union.

 

Le quotidien intime des membres de la communauté homosexuelle n’est quasiment jamais abordé dans les fictions… ou alors il sera présenté sous un jour étonnamment idyllique. On retrouve le couple homosexuel publicitairement heureux avec son labrador dans la petite maison dans la prairie ou dans sa belle cuisine équipée, dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, le film « 200 American » (2003) de Richard Lemay, le film « Sex Revelations » (2000) d’Anne Heche, le film « Dimanche matin » (2001) de Robert Farrar, le film « Making Love » (1982) d’Arthur Hiller, le film « When Night Is Falling » (1995) de Patricia Rozema, le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le vidéo-clip de la chanson « The Edge Of Glory » de Lady Gaga (avec la cérémonie de mariage gay sur la plage, sous une pluie de pétales de rose), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (Omar et Emmanuel baladant le chien en couple, sous le soleil de la « téci »), la chanson « Fantastic Shine » du groupe Love Of Lesbian, le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (avec les fous rires complices entre la mère Junn et son fils homo Kai, les regards attendris entre amants, les danses, etc.), le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker (avec la course finale des retrouvailles des deux amantes au milieu des embouteillages), le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, etc.

 

Film "The Bubble" d'Ethan Fox

Film « The Bubble » d’Ethan Fox


 

Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la mère de Guillaume lit des romans Harlequin hétérosexuels, et son fils finit par rêver des mêmes histoires en les transposant dans leur version homosexuelle sur sa propre vie sentimentale, avec une naïveté incroyable. Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, pendant qu’elles sont au lit toutes nues, Carole et Delphine écoutent une chanson rétro parlant du « paradis ». Dans le film « Jongens » (« Boys », 2013) de Mischa Kamp, il y a plein de ralentis, de Nature, de soleil et du banjo, pour nous entraîner à croire en l’idylle entre Marc et Sieger. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, l’amourette immature entre Thérèse et Carol est complètement enrobée de musique rétro des années 1950, de clichés romantiques et jazzy.

 

Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., qui raconte une histoire sentimentale (« longue » mais finalement éphémère, je rappelle) entre Mathieu et Jonathan, on entend quand même pendant toute l’intrigue les personnages se persuader que ce qu’ils ont vécu était quand même « l’Amour avec un grand A » : « Je pourrais citer chaque premier baiser de mes relations. » (Matthieu… qui plus tard trompera Jonathan) ; « Avez-vous déjà remarqué que lorsque deux visages s’embrassent, ça forme un cœur ? » (idem) ; « J’trouve ça mignon. » (idem) ; « Il suffisait d’un seul regard pour nous comprendre. » (Jonathan et Matthieu) ; etc. Jonathan a écrit « Je t’aime » sur des centaines de post-it disséminés partout dans l’appartement, et Matthieu trouve à nouveau ça magnifique : « C’est mignon, non ? » L’espace d’une réplique, Matthieu a un éclair fugace de lucidité : « Je devrais porter plainte contre ma mère de m’avoir fait aussi cucul. »

 

L’idéalisation justificatrice de l’amour homo se veut plus subtile que de simples applaudissements : les défenseurs bobos du couple homo utilisent plutôt la simulation de pudeur, l’esthétique naturaliste minimaliste, et la sacralisation du silence ou de l’art, comme moyens de concrétiser discrètement leurs fantasmes amoureux : « Elles [le couple lesbien Angela Crossby et Stephen Gordon] marchaient en silence, tandis que la lumière changeait et devenait plus profonde, de plus en plus dorée et plus fantasmagorique. Et les oiseaux, qui aimaient cette étrange lumière, chantèrent un à un, puis tous ensemble : ‘Nous sommes heureux, Stephen !’ Et, se tournant vers Angela, Stephen répondit aux oiseaux : ‘Votre présence ici me rend si heureuse. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 189) ; « Le prince charmant existe-t-il ? » (le narrateur homosexuel du roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 23) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Georges, après avoir été pourtant absent de son couple avec William, assure vivre « l’amour véritable ». La fin de cette œuvre théâtrale qui restera dans les annales (ou pas, d’ailleurs) continue de cultiver le mythe : la happy end kitsch (avec boule à facettes) et l’annonce de la reformation du couple William/Georges sont totalement forcées dans le cynisme auto-parodique.

 

La beauté des cadres naturels est censée illustrer/rehausser la grandeur « sobre » (bobo en fait) des amours homosexuelles (cf. le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee, le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitmann, le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, entre autres). Par exemple, dans les films « Un Amour à taire » (2005) de Christian Faure, « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally, et « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, les amants homosexuels s’aspergent d’eau dans une rivière. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, le couple Paul et Erik est filmé à la prairie, à la plage, à la campagne, etc. Les deux amoureuses lesbiennes du film « Les Filles du Botaniste » (2006) de Daï Sijie courent au ralenti le long des rizières, accompagnées d’un orchestre symphonique de violons. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, la place omniprésente du piano est censée illustrer la vie merveilleusement simple du couple homosexuel Ben/George. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, on retrouve la totale du film carte-postale pour encadrer l’idylle homosexuel entre les deux héros Johnny et Roméo : l’île paradisiaque avec la plongée, les crépuscules, les vacances, les plages de sable fin, etc. Les amants du film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau font du cerf-volant ensemble. Le couple homosexuel du film « Maurice » (1987) de James Ivory savoure son « amour » au milieu de la prairie aux petits oiseaux et aux jolies pâquerettes. Le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela est un film érotique déguisé en Harlequin gay à la sauce bobo et nature. Dans le film « Une chose très naturelle » (1973) de Christopher Larkin, les amants homosexuels courent nus devant un coucher de soleil. La scène en rollers du film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick n’est pas mal dans le genre « cucul qui fait semblant de forcer le cucul pour ne pas ‘faire cucul’ ». On a même droit au remake de la scène des spaghettis de « La Belle et le Clochard » dans le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester !

 

L’idéalisation médiatique de l’amour homosexuel a tout du cliché publicitaire, de l’image d’Épinal poétique à deux balles. Il n’a que la sincérité (ou l’humour) pour la sauver du ridicule : « Au moment où elle grimpait dans son car, elle se retourna pour me lancer un grand sourire. On aurait cru un mannequin dans une pub de shampoing. Les femmes s’éloignaient dans le lointain puis virevoltaient pour montrer leur visage au public. J’avais l’impression qu’il y avait du glamour dans ma vie. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant de Sheela, une camarade de classe dont elle est secrètement amoureuse, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 166-167) ; « J’ai rêvé en m’endormant, hier soir, que je te chantais une chanson douce, une chanson française, et que nous nous endormions près d’une cascade en pleine nature, à la belle étoile, l’un contre l’autre – l’un dans l’autre… » (Chris s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 119-120) ; « Mes désirs étaient aussi forts que les bruits de la cloche de l’église. » (le héros du film « Dans le village » (2009) de Patricia Godal) ; « Cette chambre est un navire. Un navire à bord duquel nous naviguons, sur des mers calmes ou déchaînées, à la recherche de rivages paisibles ou accidentés. Il y a des soleils impressionnants et puis des coups de sirocco. Il y a des étendues d’eau à perte de vue et puis, brusquement, la côte. Il y a ce roulis incessant, qui nous berce ou nous secoue, qui nous accompagne toujours. Nous sommes des marins égarés, à bord d’un bateau ivre. » (la figure de Proust à son jeune amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 83) ; « Nous avons fait un détour par Montmartre pour voir les peintres. Sur la Place du Tertre, une fille faisait des tatouages. Nous nous sommes fait tatouer un cœur chacun, dans la paume de la main gauche. » (Kévin et son amant Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 145) ; « Je pense à toi tout le temps, tout le temps. Tout est là pour m’y faire penser : deux amoureux qui s’embrassent, une moto qui passe, le soleil… » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, op. cit., pp. 328-329) ; « C’était comme au cinéma. C’était au bord de la plage. C’est alors qu’il m’est apparu. Un petit air de Ryan Goslin… avec le corps d’Élie Sémoun. » (Benjamin racontant sa première rencontre avec Arnaud, à qui il a fait volontairement un croche-patte, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Bienvenue à Cuculand !

 

De plus en plus dans les fictions homo-érotiques, ce pays imaginaire se voit crédibilisé par le témoignage des personnages hétéros, filmés comme des témoins de quelque chose qui les dépasse, et que pourtant ils verraient de leurs propres yeux d’aveugles : « Je n’ai jamais vu un amour comme Stella et Dotty. Si l’amour est votre idéal, prenez exemple sur ces deux vieilles gouines. » (Prentice, le jeune et bel auto-stoppeur hétérosexuel, face à une assemblée d’un bar plein à craquer et qui finit par l’ovationner pour son « courage » gay friendly, dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald)

 
 

c) Un paradis réel ?

Comment voit-on que ces images de couples homosexuels médiatiques « tout sourire », et plus globalement cette vision de la communauté homosexuelle ultra-heureuse, s’éloignent de la réalité ? D’une part en observant les faits (on le verra dans la seconde partie de ce code). Et d’autre part, parce que beaucoup de héros homosexuels eux-mêmes finissent par dénoncer leur propre comédie. Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, on nous chante que le Marais est « un quartier où ce n’est pas si rose ». Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Tassos, la grande tata, tient une boîte rétro gay baptisée Paradiso… mais l’insigne lumineuse du lieu bat de l’aile…

 

La communauté homosexuelle fictionnelle a tendance à se chercher un ailleurs (temporel ou spatial) paradisiaque pour se prouver qu’elle n’est heureuse que lorsqu’elle ne se trouve pas à sa place. Mais cette démarche de diversion ne la convainc pas elle-même : « Ailleurs, est-ce mieux ? Tu dis qu’ailleurs c’est toujours mieux. » (cf. la chanson « Les Passagers » d’Étienne Daho) ; « Aide-les à construire une Nation : celle du cœur. Vous êtes un Peuple fier et ancien. Aide ces garçons à construire leur propre Nation. » (Scrotes s’adressant à son amant Anthony, à propos du couple homo naissant Jim/Doyler, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Je dois quitter le paradis en vitesse. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, ayant vécu son homosexualité clandestinement au Mexique, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Les réalisateurs homosexuels avouent parfois très inconsciemment l’envers du décor de leur tableau enchanteur du « milieu ». Ils se trahissent en général par l’agressivité. Le bien-être au sein du « milieu homosexuel » ressemble davantage à un cri guerrier, à un élan combatif, qu’à une réalité concrète : « Tribu, qu’est-ce que nous voulons ? Paix et liberté maintenant ! […] L’enfer n’est pas pour nous ! » (le chef de la bande de la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) Le bonheur dans le couple homo fictionnel tient majoritairement de l’auto-persuasion, de la méthode Coué, de la bonne intention : « Ce n’est pas une situation que nous subissons. C’est une situation qui tous les deux nous ressemble. » (Denis s’adressant à son amant semi-virtuel Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) Le sourire bienveillant et l’accueil social de l’homosexualité s’affichent par la sacralisation de concepts flous et planants comme la « tolérance », l’« égalité », le « respect », l’« ouverture », la « solidarité », dont on ne sait pas trop quelles réalités ils recouvrent : « Alors vous aussi, Serge, vous aimez les hommes ? Vous inquiétez pas. J’suis tolérante. » (Mousse dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon) ; « C’est tendance d’avoir un couple de gays comme voisins ! » (Cathy – Arielle Dombasle – dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur France 2 le mardi 15 octobre 2013) ; etc. Or, les intentions ne suffisent pas à construire le réel.

 

Dans beaucoup de films gay friendly, l’identité et l’amour homosexuels sont tellement saturés de larmes et de victimisation qu’on finit par douter de leur soi-disant beauté : cf. le film « Prayers For Bobby » (« Seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy (avec le plaidoyer émouvant pro-gay de Mary, la maman du défunt Bobby, face aux caméras de télévision) ; le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman (avec le discours final émouvant d’Esti devant sa communauté juive lors de la soirée de commémoration de la mort du Rav, son père, qui sonne comme un coming out) ; les discours violonneux de la tolérance dans le film « The Prom Queen » (« La Reine du bal », 2004) de John L’Écuyer ; etc.

 

L’environnement gay friendly des couples homos fictionnels veut tellement leur bien qu’il finit par leur forcer la main. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas se retrouve forcé par son copain François au mariage : « Je me marie dans quinze jours, et je suis le dernier à le savoir ?? » Par exemple, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, le couple homosexuel, vieux de 39 ans, formé par Ben et Georges, est totalement idéalisé et couvert d’éloges. Leurs amis gays friendly assistent, émus, à leurs noces, et tout le monde se trouve magnifique : « Vous êtes magnifiques tous les deux. » (Eugenia s’adressant à Ben et George,) ; « Tu es superbe. » (George à Ben) L’assemblée des convives répond même « oui » à la place des « mariés » et ne les laisse pas libres de formuler leur échange de consentements : pression gay friendly de malade ! Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, lors d’un diaporama d’enterrement de vie de garçon juste avant que Jérémie passe la bague au doigt d’Antoine (précisément au moment où Jérémie tombe amoureux d’une femme), toute l’assistance d’amis gays friendly contraint Jérémie et Antoine à s’embrasser publiquement : « Le baiser ! Le baiser !! »
 

Paradoxe : l’impression de paradis homosexuel va être d’autant plus clamée qu’on nous montrera à l’écran une série noire (… comme pour nous prouver implicitement que l’enfer est pavé d’intentions paradisiaques) : « Je crois pas en Dieu et encore moins à Satan. Adieu, bande de tarlouzes imaginaires ! » (Bill dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut) C’est le cas par exemple du film « Notre Paradis » (2011) de Gaël Morel, qui décrit une lente descente aux enfers du couple d’amants homosexuels évoluant dans le monde prostitutif homo. Dans le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, Willie baptise la période précédant l’arrivée du Sida dans la communauté homosexuelle « la Grande Joie » (p. 66). Dans le roman Des chiens (2011) de Miko Nietomertz, Dominique présente cyniquement à Benoît un sauna comme le cadre idyllique de la rencontre de l’amour vrai : « Tu vois, ici, c’est le paradis ! Il n’y a que des mecs, des dizaines de mecs offerts qui attendent l’amour ou une bite (il se touche la bite en le disant), il n’y a pas d’horloge parce que le temps n’existe plus, pas de lumière naturelle (en désignant une fenêtre calfeutré de tafta noir), pas de stress ni de choses qui viennent de l’extérieur. Tu viens, tu te fous à poil et tu laisses au vestiaire tout ton stress et tes soucis. Ici, c’est le paradis de l’amour, de la détente. » (pp. 37-38) Dans le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, l’entrée des backrooms du bar cuir porte un écriteau lumineux « Paradise ». Dans le film « Nos Vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot, François retourne à la première boîte homosexuelle où il a atterri quand il est arrivé à Paris, et dit au patron qu’il regrette la fermeture prochaine de celle-ci. Dans une ambiance de piano-bar rétro vide, à la lumière des stroboscopes déglingués, ils se parlent à un comptoir et se rappellent avec nostalgie le bon vieux temps. François, perdu dans ses pensées, dit d’une manière tellement pathétique « On s’est bien amusés quand même… » que cela ne provoque qu’un acquiescement timide et peu convaincu de son ami. Oui, il y a des paradis bien tristounets, quand on les regarde en face… Dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan entraîne sa maman dans le milieu homo : « Ma mère a voulu que je l’emmène en boîte gay. Elle voulait découvrir mon univers. Elle n’a pas été déçue du voyage. » C’est visiblement scabreux : « Comme les chiens à l’entrée, on s’démerde ! », même si Jefferey ironise et angélise ce qu’il voit : « C’est féérique. » Il la fait pénétrer dans une backroom où visiblement elle est possédée par le diable : « Elle nous rejoue la scène de l’Exorcisme dans la backroom. »

 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, tous les lieux fréquentés par les héros homosexuels qui sont gays et teintés d’un parfum paradisiaque se révèlent finalement infernaux, car ils s’y font ou tuer ou tabasser. Par exemple, dans le club gay Boys Paradise, Nathan et son amant Jonas sont refoulés à l’entrée, et finissent par être accostés par un prédateur qui les amènent dans un autre club au nom céleste, La Dolce Vita, qui se trouvera être une discothèque homo fictive qu’ils ne verront jamais. Sur le trajet, le prédateur homo, qui a l’air pourtant d’avoir des goûts musicaux de midinette (il écoute à fond la chanson « T’en va pas » d’Elsa, et ne veut pas baisser le son), refuse de faire descendre les deux jeunes garçons et donne un coup mortel à Nathan. Dix-huit ans plus tard, Jonas retourne au Boys Paradise, mais cette fois pour y déclencher une baston, se faire blesser au visage et être expulsé. Enfin, il y a un troisième lieu « paradisiaque » teinté de mort dans le film : c’est le parc d’attractions nommé Magic World où Nathan, à l’âge de 9 ans, a subi un lynchage collectif aux autos tamponneuses, qui l’a éjecté de sa voiture et coupé le visage : il s’est pris la tête sur la barrière de sécurité et a failli en mourir.
 

L’idéal que nous propose Cuculand, c’est au fond un amour beau PARCE que mort ou empêché par la cruauté homophobe « des autres » (= l’homophobie). Un amour synonyme de mort. Il n’est jamais expliqué la violence intrinsèque à la pratique homosexuelle. Mais pour le coup, celle-ci apparaît brutalement et par surprise de ceux qu’on n’attendait pas : les défenseurs de la banalisation/sacralisation de « l’amour » (homo). Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, on voit que l’euphorie sociale et gay friendly pour le coming out fait vite place à l’indifférence violente, au poncif collectif de l’outing précipité et forcé : en effet, au lycée, les amies gay friendly d’Adèle (l’héroïne lesbienne) la harcèlent afin qu’elle fasse son « coming out » (« Juste assume ! »), pour ensuite lui reprocher qu’elle n’obtempère pas et pour finalement se retourner contre elle. Dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden, Graham, le vieil héros homosexuel, veut retrouver son amour de jeunesse, Manadj, avant de mourir, alors qu’il se sait malade d’une maladie incurable. C’est sa dernière volonté. Graham montre ses mois d’« amour » avec Manadj comme un « pur bonheur » : « On était au bord d’un lac. On regardait un coucher de soleil. Soudain, tout s’est écroulé. On s’est endormis. Et ils nous ont trouvés. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le Gay Paradise ovationné :

Film "Beautiful Thing" d'Hettie Macdonald

Film « Beautiful Thing » d’Hettie Macdonald


 

À de rares occasions, dans les discours des personnes homosexuelles, le « milieu homosexuel » est comparé à un paradis : je vous renvoie au fameux drapeau arc-en-ciel rainbow flag, à la vision idyllique de la communauté homo dans l’article « Crónica Auténtica De Lo Acontecido En Un Pub De Chueca Una Noche De Verano » de J. A. Herrero Brasas (cité dans l’ouvrage collectif Primera Plana (2007), pp. 121-124), aux images télévisées des différentes Gay Pride à travers le monde, au traitement éthéré et humoristique du film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, aux noms que se sont choisis certaines revues de la presse LGBT (cf. la revue Gai-Pied, magasine homosexuel français fondé en 1979 par Jean Le Bitoux, et suspendu en 1992), à la B.D. Le Monde fantastique des gays (1986) de Copi (titre ô combien ironique vu les drames qu’elle raconte), aux délires forcés et dégoulinants des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (qu’on entend parfois faire ce genre de blagues éculées : « Plus on est de folles, plus on rit ! »), au documentaire « Bear Nation » (2011) de Malcolm Ingram, etc. Par exemple, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check, Paul raconte comment, dans les premiers temps de son entrée dans le « milieu homo » de New-York, tout lui était facile et il a vraiment pu « toucher le Ciel » étant donné qu’il était beau physiquement. Je vous renvoie aussi au risible compte à rebours euphorique du lancement de la chaîne câblée Pink TV, en direct du Palais Chaillot, à une heure de grande écoute au Journal Télévisé de 20h, sur TF1, le 25 octobre 2004. Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture, Out » (2014) de Maxime Donzel, il est question de « la découverte d’une communauté où on peut s’épanouir ».

 

Film "Shortbus" de John Cameron Mitchell

Film « Shortbus » de John Cameron Mitchell


 

À en croire certains communautaires homosexuels (et autres personnes gay friendly en voie de bisexualisation), le « milieu homosexuel » serait nettement plus convivial et détendu que les vulgaires milieux femme-homme : « Je m’emmerde dans les dîners d’hétéros, ça manque d’humour. » (Claude, homosexuel, dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 16) ; « C’est la révolution la plus incarnée qui ait existé sur la planète. Amantes ou non, nous étions en amour les unes avec les autres. Nous étions en amour avec les idées et avec tout ce qui était possible… » (Lise Weil témoigne à propos d’un rassemblement international lesbien, dans le documentaire « Lesbiana : une Révolution parallèle » (2012) de Myriam Fougère). Leurs copains – comprendre « potes », ou plus souvent « ex » –  constitueraient « cette seconde famille choisie » dont parle Jean-Luc Lagarce dans sa pièce Le Pays lointain (1999). On serait plus libre et plus détendu dans le « milieu homo » qu’ailleurs : « Je vais dans ce genre d’endroits parce que toute la journée, on a une tension, une carapace, et qui fait que dans ce milieu-là, c’est enfin la liberté. Y’a que dans ces endroits-là qu’on peut vraiment être libres. » (Corinne, femme lesbienne interrogée dans l’émission Ça se discute, sur la chaîne France 2, le 18 février 2004) ; « Ici, c’est le paradis ! » (Laura, une femme lesbienne parlant du rassemblement lesbien de Dinah Shore, dans l’article « Dinah Shore : Lesbian Paradise » sur la revue Têtu, n° 135, juillet-août 2008, p. 148) ; « Le monde gai, c’est comme un univers différent. Les bars, c’est l’unique endroit où l’on peut rencontrer d’autres semblables. C’est le paradis pour bien du monde quand on découvre ça. » (un témoin homosexuel cité dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 73) ; « C’était l’Éden pour moi. C’était extraordinaire. » (Irène, une femme lesbienne de 65 ans jadis mariée avec un homme, parlant de sa première entrée dans un troquet lesbien strasbourgeois, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Les bains de vapeur qui existent[à Berlin] sont à mon avis le sommet de la félicité humaine. En tout cas, j’ai particulièrement apprécié la façon dont les relations s’y nouent. » (lettre de Ernst Röhm, à 42 ans, le 11 août 1929) ; « Dès qu’on arrivait, on sentait qu’on n’était pas du tout dans une ambiance de bar très froide, avec des gens sur la défensive. Là, on venait vers vous pour vous parler. Quel bonheur ! » (Perry Brass, vétéran gay, parlant des dancings homos dans les années 1970 à New York, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc. Mais l’euphorie « paillettes » de la découverte du « milieu », le champ des possibles qui s’ouvre au nouvel arrivant, l’exaltation de la nouveauté, passent vite et ne dure qu’un temps… car la communauté homosexuelle pratiquante, on n’en fait vite le tour ! et nul ne peut prétendre trouver durablement le bonheur dans la marginalité.

 
PARADISIAQUE Archive
 

De même au niveau de la conjugalité et de la sphère amoureuse. Comme une majorité de couples homosexuels éprouvent, sur la durée, leur manque de joie et de solidité, ils cherchent très souvent à s’agrandir par l’amitié avec d’autres couples homosexuels amis/amants. Ils veulent nous prouver qu’une vie communautaire LGBT est possible… par exemple dans une grande ferme du Larzac, dans un club de massage zen ou de randonnée pédestre, au sein de couples à 3-4-+ + +. « Angéla était une belle fille d’une trentaine d’années qui voulait former un groupe de goudous. Elle détestait aller traîner en boîte à des heures indues et préférait participer à des petites bouffes entre copines, faire des randonnées, bref vivre au grand jour. Son projet m’a enthousiasmée et je l’ai rassurée que je serais un des piliers de son groupe. Je rêvais, moi aussi, comme beaucoup de mes semblables, d’une grande famille amicale où, peut-être, il me serait possible de rencontrer un jour l’âme sœur. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 208) ; « L’idée nous est venue que nous pourrions, à notre retraite, acheter chacune une maison dans un hameau, et être à l’origine d’une oasis pour goudous. » (idem, p. 239) Le mythe de la vie communautaire homosexuelle sous forme de grande famille d’amour élargie trouve un grand succès dans les rangs LGBT. Par exemple, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne), Xavier, le père de famille jadis marié et avec des enfants maintenant adultes, projette, après son coming out, de réunir tous ses amants, ses « ex » et sa famille sous le même toit : no problem ! Dans le roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros, avec son compagnon indien, décide de vivre en communauté avec Grégoire et son nouveau petit copain Serge : « Pratiquement à chaque fin de semaine et durant les vacances nous nous retrouvions tous les quatre dans le pavillon. Cette cohabitation se passait sans anicroches et dans une ambiance plutôt festive et surtout amoureuse. À la maison, chacun avait son domaine : jardinage, ménage, repassage ; d’emblée, je m’imposais à la cuisine. » (p. 197) Ces projets de vie communautaire ne sont en général pas viables à long terme, et finissent en événements ponctuels (universités d’été, vacances, club de rencontres autour d’un événementiel LGBT, engagement associatif plus ou moins régulier…).

 

Film "FIT" de Rikki Beadle-Blair

Film « FIT » de Rikki Beadle-Blair


 

Face au décalage entre leurs bonnes intentions gays friendly et la montée de l’homophobie ou bien de leur insatisfaction de couples qu’elles connaissent concrètement, beaucoup de personnes homosexuelles finissent par découvrir dans la révolte et dans la bouderie agressive qu’elles se sont construites une prison d’auto-satisfaction collective : « J’ai bien peur qu’on vive vraiment dans notre microcosme, protégés et aimés par nos amis et nos parents. Et je crois que ce n’était qu’une illusion. » (Luca s’adressant à son amant Gustav, après leur micro-trottoir leur prouvant que leurs concitoyens italiens ne valident absolument pas leur monde Bisounours homosexuel, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi.

 
 

b) Cuculand :


 

Si l’on en croit les discours des militants homosexuels, le « milieu homosexuel » serait le Pays des Bisounours. Un endroit sans frontière, où on accueille tout le monde dans sa différence, où la parité femme-homme serait parfaite (les femmes n’en seraient pas moins nombreuses de ne pas se rendre visibles), où on aurait le choix de rencontrer n’importe quel type de personnes qui correspond à nos goûts, où on pourrait « être totalement soi » et rencontrer l’amour vrai et durable. « Je me sentais tellement libre. J’étais qui je voulais. Le paradis était certes loin mais, il avait le mérite d’exister dans mon cœur. Les anges me le rappelaient de temps en temps. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 115)

 

Dans les premiers temps de la relation, certains mettent des post-it « Je t’aime » partout dans la maison : ils trouvent ça génial, original, « trop mimi ». Et quand les rares couples homos qui passent le cap des 7 ans de vie commune sont encore motivés par Cuculand et leur utopie d’amour, ils font, pour les télés, la demande en « mariage » sous forme de flashmob (on respire un coup avant de regarder l’affichage adulescent de la sincérité…).

 

 

Le « bonheur d’aimer et d’être aimé » homosexuellement est exhibé actuellement dans les talk show télévisés, dans les cérémonies de PaCS ou de faux mariages dans les mairies, ou bien lors des kissing géants organisés devant l’église Notre-Dame de Paris et sur les places des grandes villes.

 

 

La communauté homosexuelle met le paquet pour que ses représentants – les couples homosexuels – soient mis en valeur, et donnent une image positive, conviviale, et paradisiaque, du « milieu ». On nous plonge dans un bain de guimauve. Par exemple, pendant un kissing parisien montré dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger, Jeanne se ballade avec un ballon « Action Bisounours » gonflé en forme de cœur. Le kitsch assumé n’en reste pas moins kitsch…

 
PARADISIAQUE Princes
 

L’idéalisation justificatrice de l’amour homo ne se fait pas toujours en grandes pompes. La propagande se veut plus subtile que de bruyants applaudissements : les défenseurs bobos du couple homo utilisent plutôt la simulation de pudeur, l’esthétique naturaliste minimaliste, et la sacralisation du silence ou de l’art, comme moyens de concrétiser discrètement leurs fantasmes amoureux : « Plus personne ne compte à leurs yeux. […] Tout se tait. Le temps s’est arrêté. Moment de silence et de bonheur dans le tumulte de la guerre. » (Louis-Georges Tin sublimant « quelque peu » l’amitié chevaleresque entre Roland et Olivier, dans la Chanson de Roland, citée dans son essai L’Invention de la culture hétérosexuelle (2008), p. 21) ; « Il y avait énormément de femmes qui vivaient dans cette région, et qui avaient des fermes. Il n’y a jamais eu aucun problème. Jamais jamais jamais. » (Catherine, vivant elle aussi dans une ferme avec sa compagne, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc. On nous chante la beauté, la sobriété, et la pseudo simplicité des sentiments homosexuels. Par exemple, dans son essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), Natacha Chetcuti s’applique à conter des « tranches de vie » (elle dira des « histoires de vie », p. 35), à retracer béatement des portraits de couples lesbiens qu’elle juge sobres et merveilleux, et qui sont censés illustrer « la place donnée à l’autre ».

 

Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, les spectateurs ont de quoi ne pas en croire leurs oreilles : dans la scène de fin, lorsque les deux héros Léo et Gabriel s’échangent leur premier vrai baiser long et consenti, il n’y a aucun violons, mais juste le gazouillis des petits oiseaux. On croit rêver. Les petits zoziaux pendant le baiser final ! Le réalisateur brésilien s’est-il rendu compte de sa naïveté ? Je ne pense pas.

 

La communauté homosexuelle, à travers ses films vraisemblables mais pourtant irréalistes, avec ses documentaires scénarisés, ne semble pas se rendre compte qu’elle se crée sa propre prison dorée d’auto-persuasion, sa propre déconnection du Réel, sa propre illusion d’amour, une illusion qui accentuera la rigidité de leurs détracteurs.

 

En ce moment, la mode des films gays cuculand surfe sur la vague de la sobriété bobo : on entrevoit à peine de scènes de sexes, on veut nous prouver que la relation homosexuelle ne serait même pas sexuelle, que l’amour homosexuel est gratuit et touchant parce qu’il serait accidentel, circonstanciel, « pudique », parce qu’il ne serait classable ni parmi les amours hétérosexuelles ni parmi les amours homosexuelles communes du « milieu gay dépravé ». Le fameux « Nous deux c’est différent. », très immature, orgueilleux, homophobe et misanthrope.

 









 

« Un vendredi soir après une fête chez ses amis hétéros, Russell finit dans un club gay. Juste avant la fermeture, il drague Glenn, et ce qu’il croit être juste l’aventure d’un soir devient autre chose, quelque chose de spécial. » (cf. le résumé du film « Week-end » (2011) d’Andrew Haigh, sur la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris)

 

L’idéal que nous propose Cuculand, c’est au fond un amour beau PARCE que mort, irréel, éphémère, ou empêché par la cruauté homophobe « des autres » (= l’homophobie) : « Après avoir subi une greffe cardiaque qui lui a sauvé la vie, Simon apprend que le donneur est en fait son compagnon François décédé dans un accident de voiture. […] Ils se sont mutuellement sauvés la vie et bien que séparés, ils vont finir leurs jours ensemble. » (cf. le résumé du film « La Dérade » (2011) de Pascal Latil, sur la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris) Un amour synonyme de mort.

 
 

c) Un paradis réel ?

Comment voit-on que les couples homosexuels « tout sourire », et plus globalement le mythe de la communauté homosexuelle ultra-heureuse et soudée, s’éloignent de la réalité ? Tout simplement en observant les faits (j’aborde très largement les dégâts et la cruauté qui sévissent au sein du « milieu homosexuel » dans le code « Milieu homosexuel infernal » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Et d’autre part, parce que beaucoup d’individus homosexuels eux-mêmes finissent par dénoncer leur propre comédie et vendre la mèche. Cette démarche d’auto-persuasion d’un bonheur qui finalement ne se vit/voit pas vraiment, finit par ne pas convaincre même les plus optimistes : cf. je vous renvoie au documentaire « Il n’est pas facile d’être homosexuel, même à New York » (1974) de Bill Daughton. « L’Allemagne serait-elle donc un paradis pour les homos ? » (Peter Gehardt dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; « La première chose que me disent les Français qui me savent à Londres est : ‘Tu as de la chance : Londres, c’est trop bien pour les gays !’ S’il est vrai que Londres est probablement l’endroit d’Europe où l’on peut vivre le plus librement son orientation sexuelle, il n’en reste pas moins que l’homophobie a la peau dure là-bas aussi. » (Julien, 22 ans, dans la revue Têtu, 2002)

 

Planche "Les Gais d'antan" sur la B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

Planche « Les Gais d’antan » sur la B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi


 

La communauté homosexuelle a tendance à se chercher un ailleurs (temporel ou spatial) paradisiaque pour se prouver qu’elle n’est heureuse que lorsqu’elle ne se trouve pas à sa place. Quand on demande à ses membres où se cachent les couples homos solides qui s’aiment vraiment, ils nous rient au nom comme si on avait posé une question bête… mais après mûre réflexion, ils sont bien coincés pour nous répondre ! On les voit faire mentalement les fonds de tiroirs, se focaliser sur le fait que « c’est possible » (en zappant la question de savoir si c’est idéal en même temps que possible), et nous parler vaguement de l’existence d’un ou deux couples lointains et invisibles dont ils ont perdu mystérieusement la trace (… ils auraient déménagé dans la Creuse… mais seraient quand même magnifiques et durables, assurément !). Par exemple, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta, la Hollande est présentée comme un paradis gay : « La tolérance hollandaise n’est pas une légende : 50 000 homos à Amsterdam, et 700 000 en Hollande. » ; « Sans vouloir être un paradis de l’homosexualité, la ville d’Amsterdam est la plus concernée et la plus engagée en Europe dans ce mouvement anti-discriminations. »

 

L’amour homosexuel merveilleux a tout l’air d’une projection narcissique nourrie à deux (et, en amont, promue par la société publicitaire bisexuelle gay friendly, et l’ensemble de la communauté homosexuelle), un roman-photos reposant majoritairement sur les goûts (musicaux surtout) et les sensations individuelles : « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales ?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprès d’elle ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 164) ; « Une fois rentrées à la maison, nous avons écouté Jessye Norman en nous serrant tendrement l’une contre l’autre sur le vieux canapé du salon où nous avions pris place. » (Paula et Catherine, op. cit., p. 46) ; « Après plusieurs jours sans nouvelles, je reçois une vidéo. Vianney filme une carte postale de Paris avec nos deux adresses reliées par un tracé rouge, et ses lèvres qui murmurent ‘je t’aime’. De mon côté j’achète une boîte à musique avec La Vie en rose, que je lui envoie. Il me répond avec la reprise du Coup de Soleil de Vincent Delerm et Valérie Lemercier que je me repasse en boucle. […] Nous nous regardons. Nous cherchons l’un dans le regard de l’autre celui qu’on aime, celui à qui on parle chaque jour au téléphone depuis plusieurs jours, celui à qui on envoie des petits cadeaux guimauves. Tout mais surtout moins de froideur, moins de déception. […] Je dis ‘Je t’aime Vianney’, parce que c’est la dernière fois que je le lui dirais, et pendant une seconde, dans ma tête, c’est le souvenir du garçon que j’aime qui me revient. Ce garçon qui est tellement Vianney et pas du tout lui dans une adéquation à laquelle je n’arrive pas à me faire. » (Mike et son amant Vianney, dans le roman Des chiens (2011) de Miko Nietomertz, pp. 86-87) ; « J’aime Sébastien à la folie. Le parking de la mairie d’Évreux est facile à trouver, je me gare. Et j’attends. […] J’aperçois la Cooper de mon homme. Il se gare. Je descends à sa rencontre. C’est un film qui se déroule maintenant devant moi. […] Je marche vers lui. Au ralenti. Tout se passe comme si mon corps anticipait ce qui allait arriver. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), pp. 234-235) Bienvenue à Cuculand !

 

Après ce constat d’échec dénié, ils feuillettent (… pour les plus érudits d’entre eux…) leurs manuels d’Histoire ré-écrits aux goûts gay friendly, et se plaisent à réveiller le papou gay dormant dans une contrée-fantôme ou dans une tribu ignorant la civilisation capitaliste. « L’homosexualité masculine a, depuis les origines du monde, existé dans plus de 40 cultures. À l’ombre des pyramides (2500 avant notre ère) les pharaons possédaient des réserves de jeunes garçons. La prostitution masculine se pratiquait en Chine vers l’an 2200 avant notre ère. […] La pédérastie est ouvertement pratiquée en Océanie (Hawaii) ou aux Antilles, aussi bien qu’en Afrique (Nigeria, Dahomey) ou au Japon par les samouraïs. Dans les cultures chamaniques, Indiens des plaines d’Amérique du Nord, Tchouktches d’Asie centrale, Scythes, etc. » (Michel Larivière, Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997), pp. 15-16) Beaucoup d’individus homos extériorisent leurs problèmes amoureux sur la croyance qu’un paradis homosexuel merveilleux existe… même s’ils en sont encore loin : ils ne seraient pas nés dans le bonne famille, à la bonne époque, dans le bon milieu social, dans le bon pays, avec le bon sexe et le bon âge. L’herbe serait toujours plus tendre dans la pré d’à côté ! : « J’aimerais bien avoir vingt ans aujourd’hui… » (Christophe, un témoin homo de 40 ans, dans l’émission Jour après Jour, sur la chaîne France 2, novembre 2000) ; « C’est épouvantable ce que j’ai pu entendre. Dans ces milieux-là, en usine, ça n’existe pas l’homosexualité. Un milieu de cols blancs, un milieu universitaire, c’est probablement une fourmilière pour les gais, c’est le paradis. » (un témoin ayant grandi dans un milieu ouvrier, cité dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 73)

 

Certains intellectuels homosexuels actuels (Claude Puzin, entre autres) font de la Grèce antique (l’Athènes du Ve siècle av. J.-C.) ou de la Rome Antique (Ier au Ve siècle ap. J.-C.) un temps béni pour la communauté homosexuelle. Or la civilisation de la Grèce homosexuelle n’a duré qu’un ou deux siècles tout au plus – l’amour homosexuel qui y est vanté n’a donc rien d’éternel, de social, ou de durable ; il existe surtout littérairement – ; et de plus, il faut quand même rappeler que les sociétés grecque et romaine se rangent dans la catégorie des civilisations esclavagistes, excusez du peu (les individus homosexuels passifs étaient des esclaves que les hommes homosexuels actifs achetaient, vendaient, se prêtaient parfois)… donc on est bien loin d’un modèle idéal de société et d’amour ! « Pas de bévue plus monumentale que de faire de la Grèce antique le berceau, la patrie, et le paradis de l’homosexualité. Ni le mot ni la chose n’existaient. Ce que nous appelons homosexualité, le rapport entre deux adultes consentants, il n’y a rien qui ne fût autant réprouvé à Athènes. » (Dominique Fernandez, L’Amour qui ose dire son nom (2000), p. 16) ; « Rien ne distingue à Rome un séducteur adultère d’un travesti passif. C’est le même être dépravé et assoiffé de plaisirs, cibles d’insultes et de plaisanteries cruelles. » (cf. l’article « L’Eros romain » de Florence Dupont, dans le Magazine littéraire, n°426, décembre 2003, pp. 31-32) Désolé aussi pour les nostalgiques de la Renaissance italienne, française, ou anglo-saxonne : à cette époque-là non plus, le couple homosexuel n’a jamais été célébré comme modèle social d’amour (cf. voir également l’article « Une Renaissance homosexuelle ? » de Louis-Georges Tin, idem, p. 35). Plus proche de nous, on entend parfois les personnes homosexuelles se trouver un Éden dans les bois et les plages nudistes, dans les pays d’Asie du Sud-Est, ou dans le Maghreb (où pullule le tourisme sexuel… c’est une manière bien personnelle de voir la « liberté » et le « paradis »…). La légende veut que la Thaïlande soit un « gay paradise ». Mais le sociologue australien Peter Jackson, auteur de Male Homosexuality In Thailand (1995), offre une vision plus réaliste sur le degré d’acceptation sociale du phénomène gay thaïlandais. « Même si les relations homosexuelles sont moins sanctionnées socialement en Thaïlande qu’en Occident, cela ne signifie pas qu’elles soient considérées comme un comportement normal ou acceptable. Les rejets culturels traditionnels restent très forts. » (cf. la revue Actualité des religions, n°5, mai 1999, p. 41) ; « Mais pour les gays, la fête va bientôt tourner court. » (la voix-off du documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco, parlant de l’arrivée du Sida qui met un cran d’arrêt aux frasques sexuelles des années 1970) ; etc.

 

Paradoxe : l’impression de paradis homosexuel va être d’autant plus clamée par certains militants homosexuels que ces derniers vivront individuellement (ou bien dans leur couple) une série noire. « Aujourd’hui, je connais des bars un peu glauques, qui ressemblent un peu à Cruising. Je trouve ça marrant. Même excitant. » (Rich Juzwiak, homo, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel). Le déni prend alors la forme du discours béat et banalisant de l’amnésie… : cf. le documentaire « Les Mille et un soleils de Pigalle » (2006) de Marcel Mazé (au titre faussement prometteur puisqu’il retrace en réalité l’enfer quotidien de deux jeunes Maghrébins travaillant comme gigolos dans des sex-shops parisiens). Un discours aussi décousu et contradictoire que, par exemple, celui de l’écrivaine lesbienne Nina Bouraoui dans l’émission Culture et Dépendances le 9 juin 2004 : « Cette violence-là, c’est la violence de la nuit, parce que lorsqu’on pense qu’on va trouver l’amour, qu’on va trouver des amis, qu’on va trouver l’amour chez des gens qui soi-disant vous ressemblent, on est terriblement déçu. Parce qu’il n’y a pas une homosexualité : il y a des homosexualités. Il y a des rencontres. C’est pour ça que moi je suis toujours du côté de l’individu. J’pense que le milieu c’est important parce que ce sont des refuges. C’est là qu’on peut embrasser, c’est-à-dire rencontrer, c’est là qu’on peut partager. On se sent moins seul. » Autre exemple de déni mièvre de l’horreur (avec des cœurs et des étoiles dans les yeux) : celui de l’écrivain Jean Genet, envoyé jusqu’à sa majorité dans la Colonie pénitentiaire de Mettray en Touraine, une sorte de prison pour adolescents où il connaît ses premières expériences homosexuelles. À sa sortie, il dira qu’il y a vécu l’« enfer », mais aussi qu’il y a été « paradoxalement heureux » et que ce n’est qu’une fois libre qu’il s’est cru perdu (cf. l’extrait non publié du roman Journal du voleur (1949) de Jean Genet, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 20).

 

Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, est filmé un repas de famille autour de Thérèse, une femme lesbienne de 70 ans, et ses enfants devenus adultes. Et tout le monde rigole, banalise l’homosexualité, voire dit qu’elle a épanoui l’intéressée (qui aurait été forcément malheureuse et menteuse avant son coming out). Thérèse se met à raconter la vague de liberté qu’elle a vécue dans les années 1970, même si on lit en filigrane qu’elle a énormément souffert en amour homosexuel. Et quand elle évoque qu’elle a pratiqué des avortements de femmes chez elle en créant une cellule clandestine, elle déclare avec un aplomb apaisé qui ferait presque frémir : « C’était une période fabuleuse. »

 

Film "Shortbus" de John Cameron Mitchell

Film « Shortbus » de John Cameron Mitchell


 

Qui veut faire l’ange fait la bête. La violence de l’idéalisation de l’« amour » homosexuel – qui n’a pas lieu d’être idéalisé – s’observe également sur le terrain politique et associatif LBGT. Plus les méthodes de ces groupes de pression homosexuels s’annoncent sous les auspices de la paix, de la justice et de l’amour, plus ils frappent d’une manière particulièrement violente (car elle est sincérisée) et peu aimante. Je pense par exemple aux groupes de militants pro-gays, déguisés en angelots, qui organisaient en 1999 des « Actions de l’Ange » pendant l’enterrement du jeune Matthew Shepard aux États-Unis, en encerclant leurs opposants pour les mettre hors d’état de nuire).

 

Beaucoup d’artistes homosexuels essaient de se venger de leur propre naîveté en pratiquant un art de la destruction qui garantirait soi-disant leur maturité et leur recul. Rien n’y fait. Dans son excellent article « Le Style Camp » (1968), Susan Sontag explique que, même dans le monde artistique trash et iconoclaste du camp (une sorte de kitsch inversé, sali), on retrouve une forme de naïveté angéliste, de « goût pour le sensationnel et le pittoresque » : « Les objets camp portent en eux une certaine tranquillité – une naïveté plutôt, comme dans un décor de pastorale. L’expression de William Empton, ‘pastorale urbaine’, s’appliquerait très bien à une bonne partie du Camp. »

 

Cette illusion de paradis s’applique également à la condition transgenre, transsexuelle et intersexe. Par exemple, dans l’émission Aventures de la médecine spéciale « Sexualité et Médecine » de Michel Cymes diffusée sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Léonie, homme transsexuel M to F de 29 ans, décrit ses séances d’orthophonie pour transformer sa voix et prendre surtout confiance en lui, comme « son petit paradis de transition ». Mais on voit bien à l’écran que son isolement relationnel et existentiel reste inchangé.
 
 

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Code n°124 – Milieu psychiatrique (sous-code : Mère folle)

milieu psy

Milieu psychiatrique

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La fragilité interdite

 

Mylène Farmer

Mylène Farmer


 

C’est peu de dire qu’il existe des liens entre homosexualité et psychiatrie ! Le désir homosexuel étant une blessure identitaire, blessure qui peut s’agrandir si elle est suivie d’une pratique amoureuse homosexuelle – il n’est pas étonnant qu’il rejoigne le monde de la névrose puis de la pathologie. Entre les réactions observables sur les chats gays et dans le « milieu », entre les pathologies existantes au sein des « couples » homos ou au sein des familles où apparaît l’homosexualité, entre les divers profils perturbés des personnes habitées par un désir homo (le plus souvent en dépression), j’ai eu largement de quoi faire ici un méga gros dossier bien passionnant, bien cheesy… et bien flippant aussi ! Bienvenue dans le gros hôpital psychiatrique qu’est la communauté homosexuelle, non pas parce qu’elle serait peuplée de « malades » ou de plus grands blessés que la moyenne, mais parce que la pratique homosexuelle fait beaucoup de dégâts et que les blessures humaines universelles n’y sont spécialement peu identifiées étant donné qu’elles sont appelées « amour » ou « identité fondamentale de l’individu ».

 

Alors pour commencer et pour résumer, Je peux dire sans peur et sans caricaturer que toutes les personnes homosexuelles que je connais (et je m’inclus dans le tableau) ont connu dans l’enfance une étape de forte dépression… qu’en général elles n’ont pas gérée et qui se prolonge à l’âge adulte à cause du silence de notre société à la dénoncer.

 

Toute une légende noire sur le traitement qu’ont et auraient fait subir la science et la médecine légale aux personnes homosexuelles circule et sert à beaucoup d’entre elles à nier leurs blessures psychiques. Elle serait totalement absurde si elle ne s’appuyait pas sur un substrat de réalités passées (traitements par castration, électrochocs, injections d’hormones, chimiothérapies, lobotomies, pratiqués sur certains patients « invertis », notamment pendant la Seconde Guerre mondiale) et présentes (les thérapies comportementales, les groupes de parole pour « guérir les homos », l’inhumanité de quelques médecins d’hôpitaux, l’acharnement thérapeutique d’un certain milieu psychiatrique). Face à ce qu’elles décrivent comme une dictature scientifique (parfois à raison quand la science rejoint l’inhumanité et cherche à réduire l’Homme a une équation mathématique, souvent à tort quand la médecine se bat concrètement pour la vie), elles invitent à la désobéissance dans une joie transgressive et une folie indécidable, quitte à forcer un peu leur côté psychotique pour piéger leur monde : « Vive ce qu’ils nomment régression ! L’homosexualité a toujours été la plus spontanée des attirances. » (Karin Bernfeld, Apologie de la Passivité (1999), p. 30)

 

MILIEU PSYCHIATRIQUE Freud

Sigmund Freud


 

À dire vrai, il est assez étrange de découvrir cette hostilité quasi-généralisée des personnes homosexuelles envers la communauté scientifique. Si nous reprenons par exemple les mots de Sigmund Freud concernant l’homosexualité, on devrait plutôt y voir une bouffée d’air pur : « L’homosexualité n’est ni un vice, ni un avilissement et on ne pourrait la qualifier de maladie ; nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un arrêt du développement sexuel. » (cf. un extrait d’une lettre de Freud adressée, le 9 avril 1935, à une femme nord-américaine inquiète pour son fils) Freud n’a jamais figé l’homosexualité en orientation sexuelle permanente, ni même en pathologie, puisqu’il soutient que tout Homme fait un choix d’objet homosexuel à un moment ou un autre de sa vie fantasmatique. Dans ses Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905), il signale que la conduite homosexuelle n’est pas « quelque chose de rare, ni de particulier, mais une partie de la constitution individuelle dite normale ». Cependant, en décrivant l’homosexualité comme un stade sexuel transitoire, un inachèvement psychosexuel humain, il ne l’a pas, au goût de beaucoup de personnes homosexuelles, assez pathologisée, normalisée, ou bénie. Certaines aimeraient inconsciemment que la psychanalyse range le désir homosexuel dans la liste des perversions (inceste, zoophilie, exhibitionnisme, sadomasochisme, etc.), alors que celle-ci insiste d’une part pour prendre le mot « perversion » dans son sens uniquement psychanalytique – c’est-à-dire d’envers de la névrose, d’absence de contrôle des pulsions, et non dans le sens moral du « plaisir dans le mal » – et d’autre part pour ne pas amalgamer les perversions entre elles. Tandis qu’elles demandent d’être mises à l’abri de toute blessure psychique et qu’elles moralisent la maladie en général, elles rêvent qu’on les considère comme des cas pathologiques incurables du fait qu’elles soient/désirent être, de par leur désir homosexuel, souvent plus fragilisées psychiquement que d’autres. En effet, la plupart des personnes homosexuelles ont une expérience précoce de la pathologie et de la maladie psychique. Il n’est pas rare qu’elles aient eu à porter la dépression de l’un de leurs parents quand elles étaient petites. Du point de vue déjà uniquement du fantasme et des images, le milieu psychiatrique les attire énormément et revient comme un leitmotiv dans leurs œuvres. C’est pourquoi beaucoup d’entre elles expriment, comme leur star, leur peur de devenir folles, en trouvant une jouissance secrète dans l’hypocondrie. Leur récupération du stigmate pour se définir en tant que « folles » n’est pas qu’un jeu : elle est parfois un témoignage de vie. De nombreux sujets homosexuels sont/ont déjà été internés en hôpital psychiatrique, et dans notre entourage relationnel, il n’est absolument pas rare d’en croiser beaucoup qui sont névrosés, voire psychotiques, drogués, alcooliques, mythomanes, cleptomanes, schizophrènes, suicidaires, dépressifs : « Les problèmes de déprime concernent 59,2% des femmes et 36,4% des homo-bisexuel-le-s de 18-69 ans (versus 31,7% et 17,5% chez les personnes hétérosexuelles du même âge). » (Nathalie Bajos et Michel Bozon, Enquête sur la sexualité en France (2008), p. 262). Que cette fragilité s’explique par des facteurs exogènes et des circonstances largement atténuantes (enfance difficile, oppression sociale, situation familiale complexe, viol, inceste, etc.) ne remet pas en question le fait que bien des personnes homosexuelles nécessiteraient un accompagnement médical, des lieux d’écoute, un suivi psychologique sérieux. Heureusement, pour la majorité des membres de la communauté homosexuelle, un simple entourage amical de qualité suffit. Mais c’est celui-ci qui fait généralement défaut !

 

Je crois qu’il n’y a pas à banaliser la blessure, le trouble intérieur et la déchirure que constitue pour tout être humain l’éloignement de la source de sa propre existence – la différence des sexes –, différence qui est le socle du Réel et, quand elle est vraiment accueillie librement et dans l’amour, le socle du plus grand Amour humain possible (servi par le mariage femme-homme aimant ou le célibat consacré). En effet, le désir homosexuel se caractérise par un fait objectif : la fuite, la peur et l’éjection de la différence des sexes. Le reconnaître n’enferme pas les personnes dans le phénomène désirant qu’elles ressentent vraiment, mais au contraire leur permet de le mettre à distance d’elles, et même parfois d’en sortir. Il y a des peurs fondées, d’autres peu fondées (même si toute angoisse par rapport à la sexualité et tout fantasme de viol, ne reposant pas systématiquement sur l’expérience d’un viol, indiquent au minimum un effondrement narcissique de la personnalité, une phase de dépression). Il y a des peurs surmontables, d’autres dans un temps humain plus difficilement surmontables. Mais dans tous les cas, un accompagnement de la fragilité psychique est toujours possible, souhaitable, et souvent fécond s’il est orienté vers une reconnaissance de la beauté de la différence des sexes et de la différence Créateur/créatures.

 

Parmi les personnes homosexuelles, les plus lucides se reconnaissent volontiers névrosées ou psychotiques, car elles ont compris que leur désir homosexuel n’était pas totalement étranger – ni totalement lié ! – à une névrose ou une pathologie personnalisable, mais qu’il était par nature névrogène. Ceux d’entre vous qui ont vécu l’expérience d’encadrement des groupes de personnes handicapées (je l’ai vécu moi-même) ont pu constater qu’il n’était pas inhabituel de voir des cas d’homosexualité chez les personnes trisomiques. Il me semble que cela n’a absolument rien d’insultant de faire remarquer les liens existants entre désir homosexuel et trisomie (… à moins, bien sûr, de considérer la trisomie 21 comme une tare honteuse, ce qui n’est pas mon cas). Les personnes trisomiques nous montrent que le désir homosexuel peut toucher des catégories de personnes plus fragiles que d’autres et qui ont besoin d’être particulièrement épaulées. Beaucoup de personnes homosexuelles refusent de reconnaître le caractère névrogène ou pathologique du désir homosexuel parce qu’elles désirent tout simplement nier leurs fragilités. Et c’est ainsi qu’en 1973, un certain lobby homosexuel nord-américain parvient à faire rayer l’homosexualité de la liste des déviations et troubles mentaux de l’OMS. Mais depuis quand vote-t-on qu’une fragilité psychique n’en est plus une par voie référendaire et pour faire plaisir à une minorité d’individus qui a honte de ce qui n’est qu’humain ? Le désir homosexuel est signe d’une blessure, réelle ou fantasmée. Il n’y a donc pas à se bander les yeux devant elle ni à jouer les démagogues, même au nom de la solidarité ou de la compassion.

 

Beaucoup d’individus homosexuels reprochent finalement à la science d’avoir dévoilé des vérités improbables (notamment que le désir homosexuel traduit une souffrance, un arrêt du développement psycho-sexuel et une non-résolution du complexe d’Œdipe) et de les avoir détournées en concepts moralisants (« Les homosexuels sont tous immatures et ont tous une mère possessive ou un père absent »), parce qu’eux-mêmes ont opéré ces détournements en mettant le savoir scientifique sur un piédestal sans même chercher à le comprendre.

 
 

N.B. : Je vois renvoie également aux codes « Drogues », « Folie », « Appel déguisé », « Homosexuels psychorigides », « Matricide », « Médecines parallèles », « Mère possessive », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Viol », « Désir désordonné », « Cour des miracles », « Bobo », « Doubles schizophréniques », « Médecin tué », « Infirmière », « Déni », « Violeur homosexuel », « Frankenstein », « Milieu homosexuel infernal », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Liaisons dangereuses », « Oubli et Amnésie », « Sommeil », « Substitut d’identité »,  à la partie « Cruella » du code « Reine », à la partie « Criminel homosexuel » du code « Homosexualité noire et glorieuse », à la partie « Suicide » du code « Mort », et à la partie « Prison » du code « Entre-deux-guerres » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La peur de devenir fou :

C’est très étrange. Souvent dans les fictions homo-érotiques, le héros homosexuel a peur de ne pas maîtriser sa folie (= ses pulsions, ses sentiments, ses passions, ses idolâtries, son fantasme d’être fou, etc.) et l’exprime : « Si tu savais comme j’aimerais ne plus savoir ce que je dis, d’être folle. » (Marie Lou, la mère, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « C’est héréditaire, la folie. » (Carmen s’adressant à sa sœur Manon, idem) ; « J’ai peur de devenir folle, et d’ailleurs je me rends folle en guettant les symptômes. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 403) ; « Tu crois que je perds la tête ? » (Marilyn, l’héroïne lesbienne de la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco) ; « Est-ce que je deviens fou ? » (Cyril, le héros internaute du roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 42) ; « Qu’est-ce qu’il y a ? J’suis fou. J’suis un malade. » (Steeve dans la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays) ; « Fou ? Je deviens fou ? » (le héros dans la pièce Des Lear (2009) de Vincent Nadal) ; « J’ai peur de devenir folle. Toutes les nuits je rêve qu’on me viole. » (cf. la chanson « Les Adieux d’un sex-symbol » de Stella Spotlight dans l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Qui croire ? Et si je devenais folle, à l’image de mon père dont le cerveau se détériore lentement. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 186-187) ; « Je savais que j’étais devenu fou. » (Garnet Montrose, le héros homosexuel du roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 161) ; « Pendant le trajet de Pau à Paris, il a cru qu’elle devenait folle. » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1997), p. 63) ; « Vous êtes bon pour la psychiatrie, la seule issue pour échapper au tragique, à cette folie qui vous guette. » (le narrateur homosexuel parlant de lui en se vouvoyant, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 206) ; « Voilà que je perds la boule. Ma santé mentale m’inquiète. D’où me vient cette brusque envie d’absolu, d’irréel, d’unique qui ne peut trouver un écho que dans la mort ? » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 16) ; « Je deviens fou ! Je suis malade. La vodka rend hétéro. » (Pierre, le héros homosexuel qui était à deux doigts de virer sa cuti, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Parfois, je crois que je suis fou. Je ne vois pas les choses comme les autres. » (Kenny dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford) ; « Tu crois que c’est douloureux d’être fou. J’ai peur de ce que j’ai à l’intérieur. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; etc.

 

Même entre personnages homosexuels, ils se renvoient leur propre impression de folie. Ironiquement… mais pas que. Certains s’inquiètent en voyant l’attitude bizarre de leurs potes ou de leurs amants. « Putain, mais Cody, t’es folle. C’est dingue, ça. » (Mike s’adressant à son ami nord-américain efféminé Cody, qui s’est laissé violer et voler par un amant de passage, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 111) ; « T’as l’air d’une rescapée de la rue sainte Anne. » (André, homo, s’adressant à Adrien son pote aussi homo, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; « Il en a sacrément besoin, du psy. Il est tordu en spirales ! (Laurent Spielvogel imitant Marie-Louise la femme de ménage noire lesbienne parlant de lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Tu as tendance à avoir des obsessions bizarres. » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 119) ; « Nom de Dieu ! On croirait entendre une folle. » (Tielo s’adressant à Jane, idem, p. 186) ; « Ne l’écoutez pas, elle est folle. » (Anna s’adressant au père Walter face à Jane, idem, p. 209) ; « Certaines femmes enceintes sont sujettes à des troubles. Cela les rend vulnérables à des délires paranoïaques. C’est un état temporaire, mais cela peut être perturbant pour elles, et pour ceux qui les entourent. » (le Docteur Mann s’adressant à Jane, idem, p. 226) ; « Pauvre tarée. » (Alban Mann, idem, p. 233) ; « Elle est folle ! » (Elizabeth insultant Kena parce qu’elle a découvert que celle-ci était lesbienne, dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu) ; « Il est clair, Trudi Hobson, que tu es folle comme un âne. » (Doris, l’héroïne lesbienne de la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, face au plan machiavélique de vengeance orchestré par sa rivale) ; « C’est un être dangereux, particulièrement déséquilibré. » (Helmer parlant de Thomas le héros homosexuel, dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields) ; « Nina a repéré ton côté pervers polymorphe. » (Lola s’adressant ironiquement à Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Je crois que vous êtes malades toutes les deux. » (Nina l’héroïne lesbienne se faisant manipuler par le couple lesbien Vera/Lola, idem) ; etc. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael traite son ami homo Emory de « folle saoule ». Dans la pièce Une Heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat, Claire et Joséphine se qualifient mutuellement de folles. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand dépeint les différentes catégories d’homos qu’il a identifiées dans la communauté LGBT, dont « les hystériques ». Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, la folie est considérée comme un rempart à l’acte violent et à la responsabilité de celui-ci : en effet, quand les spectateurs découvrent que Daphnée a tué son bébé, Luc, l’un des héros homosexuels, lui conseille de simuler la folie pour ne pas être inculpée par la police : « Il faut te faire passer pour folle. Tu as compris ? » ; cette dernière se force à l’intégrer (preuve de sa grande folie !) : « Je suis devenue folle, bon, je suis devenue folle. » Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Prior, le héros homosexuel, n’arrête pas de dire qu’il devient fou. Dans la série Hit & Miss (2012) d’Hettie McDonald), Mia, le héros transsexuel M to F, s’entend dire : « T’as un grain. » Et c’est en effet un tueur en série. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui n’assume pas son homosexualité au moment où il se découvre amoureux d’une femme, Ana, fait passer son futur « mari » Antoine pour son demi-frère, pour un suicidaire parce que sa mère serait morte et qu’il se ferait suivre par un psychiatre.

 

C’est souvent la vie quotidienne de couple homo qui rend le héros fou. Il arrive à ce dernier de reprocher à sa « moitié » son propre état de folie ou ses élans frénétiques : « C’est moi que tu devrais rendre marteau. » (Laurent par rapport à son amant André, avec qui il a vécu pendant 10 ans, dans le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Tu es devenu fou, Dorian ! » (Basile, l’amant de Dorian, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « T’es folle ! T’es folle ! Faut raccrocher ! » (Anna s’adressant à son amante Cassie sur un chat, dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « Je perds la tête. » (Ninette, l’héroïne lesbienne de la pièce Three Little Affairs (2010) d’Adeline Piketty) ; « Stephen… Je pense parfois que nous avons été pis que folles. J’ai dû être folle pour vous avoir permis de m’aimer ainsi. » (Angela s’adressant à son amante Stephen, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 233) ; « Je crois que cette fille elle-même est à demi folle. » (Angela en parlant de Stephen, idem, p. 261) ; « Hôpital Sainte Anne, bonjour ! » (Benjamin, vivant dans le même appartement que son amant Pierre, et blaguant à l’interphone, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; etc. Par exemple, dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Dotty, l’héroïne lesbienne dit à sa compagne Stella qu’on l’a forcée à partager une chambre de maison de retraite « avec une folle » pour « assurer la transition » avec trente ans passés avec elle. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William, le héros homosexuel, est dépressif, fait des crises de tétanie et d’angoisse depuis qu’il est petit (ça ressemble à des crises d’épilepsie), est fragile psychologiquement et a des tendances suicidaires (parce qu’il ne supporte pas les absences de son amant négligent Georges) : d’ailleurs, ses chantages amoureux prennent des allures de tragédie grecque.

 

La peur de la folie chez le héros homosexuel laisse vite place à la terreur psychorigide. Le fou n’accepte pas de s’entendre dire sa fragilité psychique. « Aucune déraison, je suis dans la peau d’une autre. » (cf. la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer) ; « Il est un peu taré votre copain Américain ! Il m’a dit que l’homosexualité était une maladie psychiatrique. » (Vianney, l’un des héros homosexuels, parlant de Cody, homo aussi, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 95) ; etc. Il lui arrive de rentrer alors dans une colère disproportionnée (qui prouve d’ailleurs à son insu sa folie). Le fou, c’est toujours l’autre ! Voilà bien l’extériorisation du mal, typique de la névrose (le moins malade est toujours celui qui s’accepte un peu malade de par sa condition humaine). Par exemple, dans le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, Bruno ne supporte pas d’être traité de fou par Guy… parce qu’en réalité, il l’est réellement. De même, dans le film « Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock, Norman Bates saute presque à la gorge de Marion Crane quand celle-ci laisse sous-entendre qu’il puisse être un peu dérangé et vicieux. Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine et Carole, les deux amantes lesbiennes féministes, vont prêter main forte à leur amie lesbienne Adeline pour kidnapper Guitou, son ami homo interné en hôpital psychiatrique par ses parents parce qu’il est homosexuel (lobotomies, électrochocs, etc.). Au moment de le délivrer, elles se battent à la bombe lacrymo contre le personnel de l’asile. Dans la série Manifest (2018) de Jeff Rake (épisode 4, saison 1), Thomas, le petit ami de Léo, est interné en hôpital psychiatrique, du fait de son homosexualité mais également parce qu’il a fait partie des passagers du mystérieux vol 828, et tous le prennent pour un fou.

 

Norman Bates dans le film "Psycho" d'Alfred Hitchcock

Norman Bates dans le film « Psycho » d’Alfred Hitchcock


 
 

b) Le trouble psychologique ou psychiatrique :

Le personnage homosexuel, à force de vivre dans l’angoisse de perdre la tête, finit par devenir fou (il est parfois interné en hôpital psychiatrique). Les films homo-érotiques parlant de protagonistes homosexuels tourmentés psychiquement sont légion : cf. le film « Les Orages d’un été » (1996) de Kevin Bacon, le film « Sling Blade » (1996) de Billy Bob Thornton, le roman À ta place (2006) de Karine Reysset (avec Chloé, l’héroïne lesbienne internée), le film « La Chair de l’orchidée » (1974) de Patrice Chéreau, le film « Le Jour des idiots » (1981) de Werner Schroeter, le film « Philadelphia » (1993) de Jonathan Demme, le roman La Folie en tête (1970) de Violette Leduc, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, le roman Quand je suis devenu fou (1997) de Christopher Donner, le film « Psychocops » (1988) de Wallace Potts, la pièce Non, je ne danse pas ! (2010) de Lydie Agaesse, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, la chanson « Forever Young » d’Alphaville, le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig, le film « À travers le miroir » (1961) d’Ingmar Bergman (avec le personnage de Karin), la chanson « Laissez-moi vivre » du rappeur Monis, la chanson « Nobody’s perfect » de Madonna, les chansons « Chloé », « Maman a tort », « Psychiatric » (avec l’extrait du film « Elephant Man » de David Lynch) et « Effets secondaires » de Mylène Farmer, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, la chanson « Papa m’aime pas » de Mélissa Mars, « Hush ! » (2001) de Ryosuke Hashiguchi, la pièce Antigone (1922) de Jean Cocteau, le film « Streetcar Named Desire » (« Un Tramway nommé Désir », 1950) d’Élia Kazan (avec le personnage de Blanche), le film « Marnie » (« Pas de printemps pour Marnie », 1964) d’Alfred Hitchcock (avec le personnage de traumatisée de Marnie), le film « Cat People » (« La Féline », 1942) de Jacques Tourneur (avec Irena la tourmentée), la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner (avec le personnage d’Harper), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec Catherine, enfermée dans un hôpital psychiatrique), la série Dante’s Cove (2006, saison 2, avec le personnage de Michelle), la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone (avec Vielkenstein tout droit sorti de l’asile), la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti (Virginie est parti en HP après avoir été violée), la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, la pièce Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set (où il est question de la dépression), le film « Dead Ringers » (« Faux Semblants », 1988) de David Cronenberg, le film « Farinelli » (1994) de Gérard Corbiau, le film « La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu » (1998) de Judith Cahen, le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, le film « The Others » (« Les Autres », 2001) d’Alejandro Amenábar, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz (avec le héros homo dépressif Maxime), le film « Outrageous ! » (1977) de Richard Benner, le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg (avec le personnage de Christian), le film « El Invierno De Las Anjanas » (1999) de Pedro Telechea, le film « Electrochocs » (2006) de Juan Carlos Claver, le film « À corps perdu » (1988) de Léa Pool, le roman Beatriz Y Los Cuerpos Celestes (1998) de Lucía Etxebarria (avec l’héroïne lesbienne en cure de désintoxication), le roman Le Jardin d’acclimatation (1980) d’Yves Navarre, le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, le film « El Mar » (2000) d’Agusti Villaronga, le film « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar, l’album « Mythomane » d’Étienne Daho, le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec Arlette internée dans un dispensaire), le film « Une petite zone de turbulence » (2009) d’Alfred Lot (avec Jean-Pierre, le père angoissé et paranoïaque interprété par Michel Blanc), la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier, le film d’animation « Les Douze Travaux d’Astérix » (1976) de René Goscinny et Albert Uderzo (avec le directeur efféminé de la « Maison qui rend fou »), le film d’animation « Alice au pays des merveilles » (1951) de Walt Disney (avec le Chapelier toqué très efféminé), le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie (avec Michel, le psychopathe homo refoulé), la pièce Hors-Piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt (avec Francis, le héros homo en dépression), la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut (qui se déroule dans un asile psychiatrique), la pièce Home (2015) de David Storey, etc. Par exemple, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf fait des dépressions nerveuses et est sujette à des hallucinations.

 

« Il va pas bien. Il va jamais bien, Duccio. » (Bernard, le héros homo parlant d’un de ses potes homos présent dans le public, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Encore une autre déprime. » (Kevin, le héros homosexuel de la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte) ; « Je vais me taper une putain de dépression. » (Stéphane, le héros homosexuel, après une rupture amoureuse, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’suis totalement dépressive ! » (la mère jouée par le comédien travesti M to F David Forgit, dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; « Oui, je le sais. Je suis malade. » (Adam faisant dans les larmes son coming out à sa sœur, dans le film « W imie… », « Aime… et fais ce que tu veux » (2014) de Malgorzata Szumowska) ; « Pierre est interné faire une cure de désintoxication. » (le narrateur homosexuel parlant de son amnt, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 94) ; « Tu es absolument paranoïaque. » (Michael, le héros homosexuel s’adressant à son colocataire gay Harold, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Nous sommes hystériques, obsessionnels et mégalomanes. » (Rudolf, l’un des héros homos s’adressant à ses deux autres potes homos, Gabriel et Nicolas, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « À la fin de la trilogie des frères Dardenne [« L’Enfant », « Le Fils » et « Rosetta »] , j’étais en réanimation à Robert Debré. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; etc.

 

Le délire que connaît le personnage homosexuel lui est parfois renvoyé par son entourage proche. Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener, le père de Claire, l’héroïne lesbienne, n’arrête pas d’associer l’homosexualité (et ses dérivés) à une folie : « L’hétérosexualité montre bien la folie de ce monde ! » Il dénonce « la folie de cette société » et « la folie de ce gouvernement de merde » qui fait approuver des lois comme le « mariage pour tous ». Il traite sa fille Claire et sa compagne Suzanne de « deux folles ». Et lorsqu’elles lui annoncent qu’elles ont l’intention de se marier et d’avoir un enfant, il leur réplique : « Je ne suis pas totalement stupide. Je me doutais bien d’une folie de ce genre ! » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, parce qu’elle est suspectée de lesbienne et qu’elle s’isole, Clara est traitée par ses camarades de « névrosée », de « pauvre tarée » : « Faut que t’ailles te faire soigner, ma pauvre fille ! » lui dira sa pote Séverine. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Dodo est considéré par Elsa comme un aliéné dans un hôpital psychiatrique, un handicapé, un fou qu’il faut prendre en pitié. Dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil, Tom, le fan de Mylène Farmer, est interné en hôpital psychiatrique à cause de sa pathologie. Le médecin chargé de le soigner pète un câble devant ce cas désespéré : « Quelle clinique de dégénérés ! »

 

La folie du héros homosexuel passe également par le débordement dévorant des pulsions dites « amoureuses », débordement qui confine au fanatisme et à la psychopathie du violeur : « Tu vois pas qu’elle est folle ? Elle aime tout le monde. » (Jean-Pierre s’adressant à sa femme Fanny par rapport à Catherine la bisexuelle qui s’ingère dans leur couple, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Ma cruauté, dans ces instants, me préparait à l’idée qu’un jour je n’aurais plus vraiment de limite et que mon ‘vice’ m’avalerait entièrement. Je combinais et raisonnais de plus en plus en fonction de lui, sentant bien que, quand j’étais dans ces étranges dispositions, en crise, comme on dirait, c’était lui qui déterminait tout ce que je pensais et faisais. J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. […] Je voulais ma nuit avec une femme. » (Alexandra, la narratrice lesbienne au discours obsessionnel, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « J’ai par instants une telle envie du féminin que nulle considération morale ne peut empêcher ce qu’il faut bien appeler mes folies. » (idem, p. 102) ; « J’étais comme folle, dans un état de désir frénétique. » (idem, p. 141) ; « Non seulement j’suis fou… mais en plus, je ne pense qu’à ça. » (Hervé Nahel lors de son concert au Sentier des Halles, le 20 novembre 2011) ; « Mais oui mon chaton, je t’aime comme une folle. » (la femme s’adressant à son mari homo dans la pièce Tu m’aimes comment ? (2009) de Sophie Cadalen) ; « Mais quand on tombe amoureux on devient tous un peu fous. » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Je suis devenue folle. Je suis devenue flle de quelqu’un. Et c’était pas de toi. Je suis désolée, je suis vraiment désolée. » (Rachel, l’héroïne lesbienne désamparée face à son mari Heck, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; etc.

 

Film "L'Inconnu du Nord-Express" d'Alfred Hitchcock

Film « L’Inconnu du Nord-Express » d’Alfred Hitchcock


 

Par exemple, dans le film « Bye Bye Blondie » (2011) de Virginie Despentes, Gloria et France se sont rencontrées dans un hôpital psychiatrique dans les années 1980. Dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, Chloé, l’héroïne lesbienne hyper introvertie et internée en HP, souffre de « catatonie », une maladie se manifestant par un « état de passivité, d’inertie motrice et psychique, alternant souvent avec des crises d’excitation, caractéristique de la schizophrénie » (p. 43). Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, montre une grande fragilité psychologique. Il consulte d’ailleurs pléthore de psychanalystes, ingurgite plein de médicaments pour gérer sa dépression identitaire et amoureuse, suit des cures, essaie de se faire passer pour fou afin d’échapper au service militaire. Le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems démarre avec la narratrice transgenre F to M en camisole de force sur scène. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz cherche à appeler par téléphone l’« asile de fous » pour y faire interner son amant : « Lui, Leopold, il est fou !!! » Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Angelo s’est retrouvé enfermé en asile pour érotomanie ; en fan déçu, il a tenté de kidnapper Carla Bruni (« Il est dingo, genre Cannibal Lecter ? » s’interroge Kévin sur son compte) et est recherché activement par la police qui tente de l’interner en hôpital psychiatrique (d’ailleurs, lui-même compare la ville de Toulouse à un HP). Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, la mère de Juliette dit que sa fille « est devenue folle » sans savoir que celle-ci est tombée amoureuse de sa prof de français et a des comportements anormaux (vol à l’étalage, maquillage, etc.). Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Vicky Fantômas a été enfermée à Sainte-Anne (« On lui faisait des électrochocs et on la laissait ressortir au bout de deux ou trois mois. ») et à l’Assistance publique, elle a poignardé sa voisine de lit à l’âge de treize ans. Plus tard, cette folle furieuse (qui est le double fantasmé et transgenre de son auteur) a été victime d’un attentat qui l’a défiguré, et on l’a soupçonnée d’être la terroriste qui transportait la bombe. Dans le film « Dressed To Kill » (« Pulsions », 1980) de Brian de Palma, le tueur psychopathe transgenre M to F est atteint d’un dédoublement de personnalités. Dans le film « Il ou Elle » (2012) d’Antoine et Pascale Serre, Florent Hostein s’habille en femme régulièrement et il a subi plusieurs internements en hôpital psychiatrique. Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, Rovo, le « fou » du village, sort avec Abram : il est allé à l’asile psy… et y finira ses jours. Dans le téléfilm « Prayers For Bobby » (« Bobby, seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy, Bobby, le héros homosexuel suicidaire, a de visions de lui dans un hôpital glauque. Dans le film « Joe + Belle » (2011) de Veronica Kedar, Joe est une jeune trafiquante de drogue, lesbienne, et qui vient de sortir d’un établissement psychiatrique. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, l’homosexuel dépressif, émotif et efféminé, est « en travail » avec sa psy depuis plus de dix ans. Dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm, la première image que nous voyons d’Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, c’est celle où, face au psychiatre de la clinique où il est interné pour dépression lourde (« Vous sortez d’une dépression grave. »), il exprime son désir de devenir prêtre et de rentrer au séminaire. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, finit par être interné dans un hôpital psychiatrique. C’est sa mère qui, contre toute attente, finit par s’en débarrasser et par « le placer » par surprise, car lui nie complètement sa pathologie : « J’irai pas dans un hôpital. Je suis pas fou! » Dans la pièce The Mousetrap (La Souricière, 1952) d’Agatha Christie (mise en scène en 2015 par Stan Risoch), Christopher Wren, le héros homosexuel, est présenté comme un jeune homme souffrant d’« instabilité mentale, ayant « déserté l’armée », « mentalement perturbé » et hyperactif. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, le jeune gay Fabien s’achète des anti-dépresseurs. Dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, Maryline, l’héroïne bisexuelle, prof d’arts plastique, fait un burn out puis une cure suite à sa dépression. Elle avoue elle-même : « J’ai toujours attiré les dingues et les malades… à moins que ce ne soit l’inverse et que ce soient eux qui m’attirent. »

 

Film "Suddenly Last Summer" de Joseph Mankiewicz

Film « Suddenly Last Summer » de Joseph Mankiewicz


 

C’est parfois le milieu homosexuel qui est (décrit) comme un hôpital psychiatrique (par le héros homosexuel) : « Bonsoir mes amis dépressifs ! » (la figure de Mylène Farmer s’adressant à son public homo, dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque) ; « J’ai pas l’impression d’être ancré dans la réalité ici. J’suis chez les dingos !! » (Monsieur Alvarez par rapport à l’agence immobilière tenu par Damien, le héros transgenre M to F, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Je suis bien ici avec mes malades. » (la psychiatre de l’hôpital de Marchenoir, dans le roman Le Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 157) ; « Hôpital psychiatrique, staliniste politique. » (cf. la chanson « Dizzidence Politik » du groupe Indochine) ; « On est tous des imbéciles. On est bien très bien débiles. » (cf. la chanson « On est tous des imbéciles » de Mylène Farmer) ; « Ben oui ! Tout le monde sait qu’y tiennent des camisoles de force dans tou’es théâtres du monde ! » (le narrateur homo s’adressant à sa mère en parlant des opéras très fréquentés par les homos, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 42) ; etc. Par exemple, la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet choisit comme cadre un asile où sont enfermées que des femmes folles : « Au fin fond d’une forêt, des personnes sont enfermées dans un hôpital psychiatrique. » (voix-off prononçant l’incipit) Dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt, Jack dit de son amant Paul qu’il ne tourne pas rond : « Les détraqués de ton espèce… » Dans son one-(wo)man-show Madame H. raconte la Saga des Transpédégouines (2007), Madame H. (travesti M to F) fait allusion au phénomène généralisé de la dépression chez les individus homosexuels. Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, les quatre protagonistes homosexuels décrivent « les gays » comme « des cinglés, pour pas dire déréglés ».

 
 

c) L’antécédent familial : la mère folle

Film "The Goonies" de Richard Donner

Film « The Goonies » de Richard Donner


 

La folie qui submerge certains héros homosexuels semble être précédée par la folie ou la dépression de leur mère (plus la mère cinématographique ou fantasmée que la mère biologique réelle). On retrouve la maman folle (ça peut être la fameuse « fille à pédés ») par exemple dans le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (avec Irène), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, le film « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré, le roman Los Cascabeles De Madame Locura (1916) d’Antonio de Hoyos, le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol (Madeleine, l’héroïne surnommée « la vieille folle »), la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo (avec la mère droguée et dépressive de Giulia, l’héroïne lesbienne), le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli, le film « Un beau jour, un coiffeur… » (2004) de Gilles Bindi, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi (avec Daphnée, la mère indigne et infanticide internée en clinique psychiatrique), le film « Female Trouble » (1975) de John Waters, le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, le film « Les Frissons de l’angoisse » (1975) de Dario Argento, le film « Pourquoi pas ! » (1977) de Coline Serreau, le film « Emporte-moi » (1998) de Léa Pool (avec le personnage d’Hanna), le téléfilm « Sa Raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand (avec Hélène), le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala, le film « Juste un peu de réconfort » (2004) d’Armand Lameloise, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (avec la mère de JP), le film « Hazel » (2012) de Tamer Ruggli (avec la mère obsessionnelle et au bord de la crise de nerfs), le film « Diva Histeria » (2006) de Denis Gueguin, le film « La Mujer Sin Cabeza » (« Une Femme sans tête » (2008) de Lucrecia Martel, le film « Belle Salope » (2010) de Philippe Roger, la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (dans l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1, Karma et Amy présentent chacune de leur mère comme un « cas »), la chanson « Maman est folle » de William Sheller, etc.

 

« Ma mère a fait une dépression nerveuse et on l’a fait soigner. » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Ma mère est devenue folle parce que mon père buvait trop. » (cf. la chanson « Banlieue Nord » de Johnny Rockfort dans l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Sacrée, ma mère dans son hôpital psychiatrique. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Dans la famille Maboule, je voudrais la grand-mère. » (Micka jouant au Jeu de 7 familles avec ses amis, dans le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent) ; « Depuis sa dernière lobotomie ma mère n’est plus la même. » (« L. », le héros transgenre M to F, de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Je suis trop folle pour un garçon dans ton genre. » (Chloé s’adressant à Martin, le héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité, et dont la mère de celle-ci est en dépression, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Cette capacité à passer de l’hystérie à la douceur maternelle… » (Elliot par rapport à Preciosa dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Il faut qu’on s’occupe de la vieille folle ! » (Angelo par rapport à la mère de Kévin, le héros homo, dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone) ; « Moi, j’en suis à ma troisième dépression nerveuse. » (la mère de François, le héros homo, dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Elle se dit à mi-voix : ‘Je suis folle… […] Pareille à une folle, elle disait des mots et Péliou dressait les oreilles, croyait qu’elle lui parlait. » (Félicité, la mère du protagoniste, dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, pp. 66-68) ; « Ma mère est déjà folle. » (Alicia dans le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio) ; « Ma mère est sourde et folle depuis la crise. » (Eugène, le tailleur homosexuel de la pièce Casimir et Caroline (2009) d’Ödön von Horváth) ; « J’ai cru que j’allais devenir folle. Complètement folle. » (la femme de Daniel par rapport à l’homosexualité de son mari dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Ma mère est littéralement en train de perdre la tête. » (Randall dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 229) ; « T’es complètement Alzheimer. » (Hubert, le héros homo s’adressant à sa mère dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Le comportement de la mère était irrégulier. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 48) ; « Je ne suis pas folle ! » (la mère cyclothymique d’Evita, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « T’es complètement folle en fait. » (Roberto, le transsexuel M to F s’adressant à sa mère lesbienne Alba dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet) ; « Elle est toujours aussi hystérique, ma folle de mère ? » (idem) ; « Je ne suis pas folle, vous savez. Bonsoir ! » (la parodie d’Isabelle Adjani jouée par Florence Foresti dans l’émission On n’est pas couché sur France 2, parodie très appréciée des personnes homosexuelles) ; « Elle est chtarbée, putain… » (Steve, le héros homosexuel, parlant de sa mère Diane, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan) ; « Je suis en train de devenir folle. » (Diane, idem) ; « Elle est folle. » (Yoann, le héros homosexuel, à propos de Solange, la belle-mère, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Elle a craqué, maman. » (idem) ; « Je suis déprimée. » (la mère de Luce, l’héroïne lesbienne du film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Est-ce que je fais de la dépression, moi ? Pourtant, j’aurais de quoi avec le mari que j’ai…[…] Dépressive ? Je ne suis pas dépressive. J’ai pas le temps d’être dépressive. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère s’adressant à lui et qui radote comme une folle, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « La mienne est folle. » (Marc, le héros homo parlant de sa mère, dans le film « Jongens », « Boys » (2013) de Mischa Kamp) ; « Eh bien moi j’ai raté l’ENA. Maman était folle… » (Yvan Burger incarne un soldat de l’armée homosexuel, dans le sketch « La Corvée de pluche » (1983) des Inconnus) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, la mère d’Henri, le héros homosexuel, se montre insupportable car elle n’arrête pas de bavarder – c’est un disque qui tourne à vide – et de brimer son fils, reportant ainsi ses propres angoisses sur lui. Dans le roman Deux Garçons (2014) de Philippe Mezescaze, Philippe, pour fuir la folie de sa mère, arrive à La Rochelle et s’installe chez sa grand-mère. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Camille (interprétée par Catherine Deneuve) est une mère un peu psychopathe, qui a du mal à accepter la mort de son fils, et qui transpose complètement la vie de Matthieu sur celle de son tueur, Franck. Ce dernier finit par s’en inquiéter : « Vous êtes complètement… » Dans le roman Courir avec des ciseaux (2007) d’Augusten Burroughs, la mère d’Augusten, le héros homosexuel (double de l’auteur), est décrite par son fils comme une « mère complètement psychotique ». Dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie décrit sa mère comme « une vieille à moitié folle ». Dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, la mère de Paul a fait une dépression très grave. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, quand Bryan dit à Stéphanie que sa propre mère est folle, elle lui rétorque que « c’est lui qui l’a rendu folle » (p. 180). Dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm (épisode 1 de la saison 2), Guillaume, l’un des héros homos, a une mère babos et bobo complètement illuminée, refusant de vieillir, ayant été quitté par son mari, voulant fuir en Inde, et ne voulant pas que son fils s’en aille au séminaire et la laisse « comme une vieille folle avec ses anti-dépresseurs« . Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, a une mère qui se drogue, pique des colères homériques, lui soutire de l’argent, est complètement paumée psychologiquement. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Glass, la maman de Phil le héros homo, a fait un « séjour à l’hôpital ». Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Grace, la mère de John le héros homo, est alcoolique, fantasque, et part dans ses délires car elle est en dépression.

 

La folie de la mère peut être l’autre nom de l’amour incestuel voire homosexuel que la génitrice maintient avec sa fille ou son fils homo. Par exemple, dans l’épisode 506 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 12 juillet 2019 sur TF1, la relation entre Anne-Marie, la mère homophobe, et sa fille lesbienne Sandrine semble être passionnelle, amoureuse. « À cette époque, j’étais folle d’elle, contrairement à ce qu’on pouvait croire. » (Anne-Marie).
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La peur de devenir fou :

Essai Psychiatrie et homosexualité de Malick Briki

Essai Psychiatrie et homosexualité de Malick Briki


 

Les personnes homosexuelles ne s’auto-désignent pas « folles » ou queer pour des prunes ! La pathologie ou la folie exerce sur elles une fascination mêlée de peur, parce qu’elles ne la maîtrisent pas autant qu’elles se l’imaginent : « Je travaille à ma ‘Folie’ qui risque dans ce dévidage du délire de devenir un peu trop ce qu’elle a toujours prétendu être. » (cf. une lettre de Michel Foucault à un ami, le 22 novembre 1958) ; « Tu vois. Je marche vraiment sur la tête. Je sais pas comment te dire. » (Thérèse, femme lesbienne de 70 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « J’avais peur d’être fou. » (Allen Ginsberg dans le biopic « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman) ; « Ce que je redoute le plus avec ce syndrome XXY, c’est que si je prends pas d’hormones, je deviens fou, un danger envers les autres et moi-même. » (Vincent Guillot, militant intersexe, dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018) ; « Je rêve parfois que je n’ai plus ni hanches, ni fesses, ni jambes. Ma folie ne va pas jusque-là. » (personne intersexe qui se fait appeler « M », idem) ; etc. Par exemple, Virginia Woolf a vécu toute sa vie dans la crainte de devenir folle, si bien qu’elle décida d’arrêter son calvaire en se suicidant le 28 mars 1941. À la fin du documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, l’homme transsexuel M to F Bambi avoue avoir peur de vivre des « crises de folie ».

 

N’oublions pas non plus qu’à l’origine, le mot et le concept d’« homosexualité » (en tant qu’identité de personne et en tant que « couple d’amour ») est un pur produit de la psychiatrie et de la médecine légale de la fin du XIXe siècle. Les individus homosexuels d’aujourd’hui et d’hier, ou ceux qui se présentent comme « hétéros gay friendly » rentrent complètement dans ce jeu déshumanisant, froid et homophobe de la psychiatrie post-moderne puisqu’ils placent tous leurs espoirs sur l’endocrinologie, la sociologie, la génétique, la psychiatrie, la psychologie, l’anthropologie, l’historiographie, afin de rechercher les « causes » de l’homosexualité ou de prouver qu’elle n’est pas un choix, qu’elle serait « naturelle » et donc non-modifiable.

 
 

b) Les liens concrets entre désir homosexuel et pathologie :

Quelques dates-clés. L’Association psychiatrique américaine – en lien avec OMS (Organisation Mondiale de la Santé) – décida en 1973 de rayer l’homosexualité de sa liste des désordres mentaux (la France fera de même en 1992). En 1987, l’APA (l’Association des Psychiatres Américains) fit disparaître pour l’homosexualité la nomination de perversion pour la remplacer par celle de paraphilie. Sur le territoire français, la transidentité – tout comme l’homosexualité jusqu’en 1981 – a été classée comme pathologie mentale avant d’être rayée de la liste des maladies psychiatriques par décret le 10 février 2010.

 

Parce qu’on n’a pas voulu stigmatiser les personnes homosexuelles et qu’on leur voulait du bien, du jour au lendemain, les organismes scientifiques internationaux ont décrété que nous ne souffrions plus du tout ! Ils sont passés d’un extrême à l’autre. Est-ce aussi simple ? Peut-on décider, parce qu’on veut le bien de la personne, de nier sa souffrance, et donc une part importante de sa personne ? Je ne crois pas. Bien sûr, il n’y a pas à enfermer les gens dans leurs blessures ni les réduire à celles-ci. Mais le véritable accueil de la personne passe par la reconnaissance aussi de ses blessures, si elle en a vraiment.

 

Le déni bien intentionné ou politisé de la pathologie qu’est le désir homosexuel non seulement ne règle pas les problèmes des personnes homosexuelles, mais en plus, en rajoute une couche. Dès qu’on se penche sur la plaie de l’homosexualité, on hallucine de voir que beaucoup d’entre elles sont au fond du trou ou du désespoir. Effectivement, beaucoup de personnes homosexuelles ont été internées à l’hôpital psychiatrique et souffrent, sinon de pathologies, au moins de névroses prononcées : Andy Warhol, Malcolm Lowry, Raúl Gómez Jattin, Serguei Esenin, Carson McCullers, Vaslav Nijinski, Stéphan Desbordes-Dufas, Louis II de Bavière, Ted Smith, Paul Verlaine, Virginia Woolf, Gribouille, Allen Ginsberg, Violette Leduc, Maurice Rostand, Jane Bowles, Salvador Dalí, Pierre Guyotat, Tennessee Williams, etc. « J’ai passé 8 mois chez les dingues. […] J’avais promis au médecin que j’allais devenir hétérosexuel. » (Allen Ginsberg dans le biopic « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman) ; « Je suis né avec une dépression. […] Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J’ai connu la peur et la terrible solitude, les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants, la prison de la dépression et de la Maison de la Santé. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Arrive pour Stéphane le service militaire, il déserte, disparaît pendant des mois dans les bas-fonds de Paris où j’ai fini par le retrouver, est repris, mis en asile psychiatrique militaire, et est gracié sur intervention de Mme Mitterrand, à la prière d’un haut fonctionnaire qui, épris de son charme, désirait avoir avec lui une liaison durable, une union. Cet amoureux malheureux téléphonait nuitamment à Estelle, la mère de Stéphane, en la suppliant, en vain, d’obtenir de son fils que ce fils adopte pour cela une conduite plus « cohérente » (c’était son mot) : ne plus se prostituer, cesser d’être dealer. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), pp. 236-237) ; « Tu disparais pendant des mois, terrassée par la dépression. » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », s’adressant à elle-même à la deuxième personne, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « J’ai saisi l’opportunité d’une dépression et d’un grand abattement pour me marier. » (Germaine, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « À 18 ans, je n’allais vraiment pas bien. J’ai fait une grosse dépression. J’ai été hospitalisée suite à ça, plusieurs fois. Durant cette année, j’ai fait des allers-retours à l’hôpital. Et même dans ce milieu hospitalier où j’étais, c’était pas mieux. C’est ce qui ‘a amené à faire une tentative de suicide alors que j’étais à l’hôpital à ce moment-là. » (Noémie, jeune témoin lesbienne de 20 ans, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014, Amina, femme lesbienne de 20 ans, est internée en hôpital psychiatrique. Dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010, Alexandre, jeune témoin homo suisse de 24 ans, a été interné par des mouvements évangéliques : « Ils l’ont mis dans une clinique psychiatrique. » (le père d’Alexandre) Le pasteur de l’Église qu’il a fréquentée aux États-Unis lui a dit : « Tu es homosexuel. Tu es malade. Tu pourrais contaminer les autres. » Il lui a proposé une guérison.

 

Le comportement homosexuel louvoie avec l’homosexualité de circonstance impulsée par la consommation de drogues, les situations d’enfermement et d’incarcération : cf. le documentaire « Çürük – The Pink Report » (2010) d’Ulrike Böhnisch. « Dans les prisons et les asiles psychiatriques, la conduite homosexuelle augmente considérablement. » (les docteurs Alberto Solá et Esteve Cirera, cités dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 287) Il y a de nombreux ponts qui existent entre les Alcooliques Anonymes et la communauté homosexuelle, par exemple (certaines personnes cumulent l’addiction aux drogues et l’addiction au sexe). « L’homosexualité ne conduit pas seulement à la pédophilie. Mais aussi au meurtre, à la dépression et à la toxicomanie. Les statistiques le prouvent. » (Petras Gražulis, président du groupe politique lituanien d’extrême droite Ordre et Justice, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt)

 

Si ce n’est pas d’être internées, beaucoup personnes homosexuelles se sont au moins passionnées pour le monde de la folie. L’univers de la psychiatrie et de la pathologie attire un certain nombre d’intellectuels homosexuels : Félix Guattari, Tennessee Williams, Mylène Farmer, Pedro Almodóvar, Werner Schrœter, Patrice Chéreau, Alfred Hitchcock, etc. Juan Soto, ou même Michel Foucault, ont travaillé en clinique psychiatrique. Gertrude Stein, dans les années 1910-1920, fit des études de médecine psychiatrique. Il est également étonnant de voir le nombre de personnes homosexuelles – en général pas les plus équilibrées… au point qu’on a l’impression qu’elles essaient de régler et de justifier leurs propres névroses – qui s’inscrivent en fac de psycho, qui se lancent dans la psychanalyse, la sexologie et la psychiatrie. On peut craindre pour les générations à venir…

 

Même si tout être humain est perturbé et blessé, et que les individus homosexuels n’ont pas le monopole de la pathologie, il faut reconnaître qu’ils aggravent leur cas et élargissent leurs blessures psychiques en les niant systématiquement, en refusant leurs limites humaines, leur vulnérabilité, la violence et la régression de la pratique homo, et en extériorisant leur mal-être sur l’« homophobie » sociale (cf. je vous renvoie aux documentaires « Das Ganze Leben » (1983) de Bruno Moll, « Ce n’est pas l’homosexuel qui est pervers mais la situation dans laquelle il vit » (1970) de Rosa von Praunheim, etc.) « Je dis que si l’homosexuel est malade, ce n’est pas par son homosexualité, c’est dans la condition que la société fait à son homosexualité. » (Jean-Louis Bory dans l’émission Les Dossiers de l’écran, sur la chaîne Antenne 2, 21 janvier 1975) ; « C’est vous qui avez peur, qui êtes pris dans une psychose ou névrosés, ce n’est pas moi, ce n’est pas nous. » (Guy Hocquenghem, Le Désir homosexuel (1972), p. 11) ; « L’homosexualité est-elle une névrose ? Il est certain qu’un assez grand nombre d’homos présentent des caractéristiques névrotiques, ne serait-ce qu’un complexe de culpabilité plus ou moins intense, des angoisses et des obsessions de diverses natures. Point n’est besoin, pour le prouver, de citer André Gide et ses obsessions musicales, ni les phobies de Marcel Proust. Mais les conditions d’existence que leur crée la société suffiraient largement pour expliquer toutes les névroses possibles. Comment échapperaient-ils aux angoisses et aux complexes de culpabilité, alors que tout, autour d’eux, contribue à les culpabiliser et à leur donner un sentiment d’insécurité ? » (Marc Daniel, André Baudry, Les Homosexuels (1973), pp. 58-59) ; etc. Par exemple, toutes les fois où j’ai essayé de parler avec des personnes transsexuelles (parfois très drôles et assez intelligentes, au demeurant) pour les mettre devant le fait accompli de leur fuite du Réel, j’ai eu affaire à la même opposition : « Pfff… on croirait entendre les psychiatres ! » Certaines cachent bien leur blessure identitaire par l’humour ou le travestissement : « Le travesti se sent complètement étranger à son propre sexe, ses sensations de femmes, ou d’homme, le saturent entièrement, sans que l’on puisse constater en lui le moindre signe de folie. » (C. Westphal, en 1870, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 306)

 

Les personnes homosexuelles blessées psychiquement ne manquent pourtant pas ! Voici quelques portraits : « À mon avis, Louis II n’était pas schizophrène, mais il souffrait plutôt d’un trouble borderline, c’est-à-dire à la frontière entre normalité et psychose, qui présente un état-limite. Les personnes atteintes de ce trouble peuvent se comporter de manière tout à fait normale lorsqu’elles bénéficient de conditions favorables, et de façon très perturbées voire carrément psychotiques lorsqu’elles se trouvent dans des conditions défavorables. Et Louis II bénéficie sans doute des conditions les plus défavorables qui soient : personne pour le contredire, personne pour s’opposer à ses folies. » (Wolfgang Schmidbauer, psychanalyste, dans le documentaire « Louis II de Bavière, la mort du Roi » (2004) de Ray Müller et Matthias Unterburg) ; « Elle est gravement malade et vit dans un monde imaginaire si bizarre et si éloigné de la réalité qu’on ne peut absolument pas lui faire entendre raison. » (Annemarie Schwarzenbach à propos de l’écrivaine lesbienne Carson McCullers, dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 103) ; « Carson McCullers souffrait de malaises psychosomatiques répétés. Qu’à toute situation de crise, elle répondait par des comportements portant la marque de l’hystérie. » (idem, pp. 129-130) ; « Il y a chez Carson McCullers une instabilité psychique, voire un schéma dépressif chronique, qu’elle cherche à compenser par l’alcool et que celui-ci souligne. » (idem, p. 136) ; « Le rôle le plus long et le plus pathétique de sa carrière : celui du ‘fou’. […] Le danseur présenta très tôt des signes de grande fragilité émotionnelle. […] Les ombres de la folie se firent bientôt plus menaçantes, et à l’automne de 1918, Nijinski montra des signes inquiétants de déséquilibre qui culminèrent à la fin de l’année. […] Nijinski avait déjà frappé sa femme, allant même jusqu’à la pousser violemment dans l’escalier de la villa. […] Il devait partir pour l’hôpital psychiatrique Burghölzli. On décida d’opter pour le sanatorium. Il partit pour le sanatorium Bellevue, à Kreuzlingen. Vaslav Nijinski n’avait que trente ans. » (Christian Dumais-Lvowski, dans l’avant-propos du journal Cahiers (1919) de Vaslav Nijinski, pp. 9-15) ; « Je n’ai pas fait de séjour en hôpital psychiatrique, comme beaucoup d’autres homosexuels de ma génération. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 12) ; « Et qu’il me soit permis de poser une question : est-ce un hasard si les femmes très en demande de sexualité que j’ai rencontrées dans ma vie étaient guettées par la maladie mentale ? Qu’on le veuille ou non, même à notre époque, même en occident, même chez les jeunes, la sexualité féminine est loin d’être libérée. » (idem, p. 109) ; « Je rentre en clinique pour dépression nerveuse. » (Catherine s’adressant à son amante Paula, dans l’autobiographie de Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 18) ; « Il y a aussi des allusions à une tentative de suicide qu’elle avait faite quand elle était adolescente… Hélène était malade. La plupart du temps, elle était brillante, elle passait aussi par des épisodes de dépression où, de son propre aveu, elle n’était plus elle-même. » (Paula Dumont, op. cit., p. 57) ; etc.

 

Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent est diagnostiqué « maniaco-dépressif » et interné. Il ne répond pas à son appel d’incorporation à l’armée française pour la Guerre d’Algérie : « Entre l’armée et toi… tu n’es pas allé plus loin que l’Hôpital du Val de Grâce. » commente Pierre Bergé, son compagnon. Ce dernier poursuit : « Tu es entré en maladie comme on entre en religion. […] Tu n’étais heureux que deux fois par an : au printemps et à l’automne. » Quant à Michel Leiris, il subit en 1929 une grave dépression nerveuse, une période d’incapacité totale qui nécessita, pendant environ un an, un traitement psychiatrique approprié.

 

Parmi les célébrités qu’on voit actuellement à la télévision défendre la cause homosexuelle, il est facile de cerner les personnalités paranoïaques (la palme revient à Caroline Fourest et à Didier Éribon), hystériques (Frigide Barjot, Caroline Mécary), mythomanes (Eddy Bellegueule), sadiques et maniaco-dépressives (Marc-Olivier Fogiel, Laurent Ruquier), schizophrènes/autistes (Laure Pora), exhibitionnistes, etc. Et si on ne veut pas employer de mots qui font peur, on dira queer (= étranges) ou « compliquées » (cf. l’article « La Folle compliquée » de Didier Lestrade, publié le 10 juillet 2011 dans la revue Minorités.org).

 

Laure Pora pleine de peinture rouge à la Fondation Lejeune

Laure Pora (transgenre M to F) plein de peinture rouge à la Fondation Lejeune


 

Le déni des pathologies comprises dans le désir homo et aggravées par la pratique homosexuelle expliquent qu’on reconnaisse dans le « milieu homo », et même dans les couples homos campagnards soi-disant « hors milieu », tous les symptômes et tous les profils psycho-pathologiques recensés par la tradition psychiatrique : fétichisme, dépression, schizophrénie, paranoïa, voyeurisme (addiction à la pornographie), masochisme, pyromanie, érotomanie, zoophilie, nécrophilie, sadisme, etc. Beaucoup de personnes homos vivent en amour homosexuel des histoires compliquées, de fortes déceptions de s’être trop données ou d’avoir été trahies, et cela les plonge souvent dans de profondes dépressions. « Très vite, les lettres échangées prirent, du moins pour moi, une tournure nettement sentimentale. Un jour, la femme de mon… amant platonique découvrit toute l’histoire ; et je souffris de nouveau énormément de cet amour malheureux ; je fus même au bord du suicide. À la suite de cette dépression nerveuse, le médecin de la famille, un être jeune, aimable et profondément humain, s’intéressa à moi, me confessa et finit par découvrir que ma vie sexuelle était reléguée à l’arrière-plan de mon existence. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 81)

 

Dans mon entourage proche, j’observe sur les sites de rencontres homos, en boîtes, en soirées, avec mes amis homos, des comportements absolument incroyables. Ça commence doucement : dépression, mélancolie, analphabétisme et illettrisme, incapacité à écouter et à communiquer ses émotions (présentée comme de la « timidité » : à d’autres…), dépendance à la drogue ou à la mère, sauvagerie sociale, infidélité, mensonge, repliement sur soi, etc. Et puis parfois, ça prend des allures de films d’action ou d’épouvante : vols, viols, troubles bipolaires, sadisme, dédoublement de personnalité, vengeance, harcèlement psychologique, meurtre, etc. « La folie. Elle finissait toujours par réapparaître dans notre vie et détruisait peu à peu quelque chose en moi. Tu étais fou. Je l’étais aussi, mais beaucoup, beaucoup moins que toi. » (Abdellah Taïa  s’adressant à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 120) ; « Je fis la connaissance d’une sorte de gitan (c’est d’ailleurs moi qui l’abordai et l’enlevai, littéralement). Il était grand et je le trouvais beau, mais dans un triste état vestimentaire que venait encore renforcer une réticence marquée à l’égard de tous les principes d’hygiène élémentaire. Tandis que, comme l’aurait fait une ‘fille’, je l’invitais à monter dans ma voiture et à s’y installer avec son baluchon, je ne cessais de me répéter : ‘Tu es fou… Tout cela finira mal…[…] Le lendemain, après m’avoir tapé de quatre mille francs et ‘emprunté’ ma montre, il disparut de lui-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108) ; etc. Mes potes homos m’ont raconté des épisodes de leur vie amoureuse ahurissants : leur « ex » qui se fait passer pour un flic et appelle chez leurs parents, leur amant qui les suit en filature en voiture en pleine ville (course-poursuite urbaine), leur « plan cul » qui leur vole leur carte de crédit, etc. C’est à peine croyable. Certaines de mes amies lesbiennes m’ont assuré, avant d’avoir choisi la continence, qu’elles « n’étaient sorties qu’avec des folles ». Ceci est confirmé par quelques témoignages publiques : « À l’âge de 21 ans, j’ai recommencé à avoir des aventures avec des nanas. C’était toujours des catastrophes intersidérales. Je tombais sur des nanas complètement dingues, enfin je ne sais pas, c’était affreux. » (Louise, femme lesbienne de 31 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 54)

 

Par bien des aspects, la communauté homosexuelle a tout l’air d’un hôpital psychiatrique non-agréé, qui pue le malaise mal géré. Dans la réalité, il n’est pas rare de rencontrer des cas de catatonie (état de passivité, d’inertie motrice et psychique, alternant souvent avec des crises d’excitation, caractéristique de la schizophrénie) parmi les habitants apathiques du « milieu » (et particulièrement sur les chat gays et les réseaux sociaux). Certains individus homosexuels ne semblent avoir d’avis sur rien, aucune conversation, aucun caractère ni personnalité. Pire que ça : ils parlent comme des robots qui ne pensent qu’à baiser pour se sentir vivants. La plupart ont une double vie, mentent et dissimulent sans arrêt. Et pour ce qui est des profils de mecs homosexuels au contraire super bavards, on peut constater curieusement que ce sont surtout les personnalités homosexuelles les plus perturbées qui psychiatrisent le plus tous ceux qu’elles se choisissent pour ennemis (il n’y a qu’à voir les procès pour folie que je subis en masse sur Twitter en ce moment par certains internautes LGBTI, qui n’ont que l’homophobie pathologisée comme argumentaire, pour le comprendre !). « Fou » est un mot commode pour ne rien nommer du tout, et par conséquent ne rien essayer de comprendre non plus, puisqu’il s’agit d’innommable, de non-représentable, d’impensable, d’irrationnel. La présomption de folie ou le diagnostic d’« homophobie intériorisée » dispensent à ces psychiatres-de-comptoir d’avoir à argumenter et à voir qu’ils projettent sur moi leurs propres pathologies. D’ailleurs, leurs discours calomnieux n’ont souvent ni queue ni tête, et fonctionnent par associations phoniques de mots ou d’idées, par inversions et par slogans au syllogisme douteux. Exactement comme le dialogue insensé entre le Lièvre de Mars, le Chapelier toqué et Alice dans le dessin animé « Alice au pays des merveilles » (1951) de Walt Disney.

 

Film "Alice In Wonderland" de Walt Disney

Film « Alice In Wonderland » de Walt Disney


 

Le Chapelier toqué : « Pourquoi un corbeau ressemble-il à un grain de sel ?

Alice – Mais oui c’est vrai.

Le Lièvre de Mars – Qu’est ce que vous dites ?

Alice – Pourquoi un corbeau ressemble-il à un grain de sel ?

Le Chapelier toqué – Mais qu’est ce qu’elle raconte ?

Le Lièvre de Mars – Mais c’est elle qui a un grain !!! »

 
 

MILIEU PSYCHIATRIQUE Mariage

 

Actuellement, un des signes marquants de cette pathologie homosexuelle (et hétérosexuelle, après tout), c’est la frénésie à demander des lois sociétales (« mariage pour tous », PMA, adoption, GPA, théorie du Gender, etc.) qui poussent les êtres humains à la banalisation/négation de la différence des sexes, au déni du Réel/des limites de l’Humanité, et à la marchandisation des rapports humains sous couvert de solidarité, de sentiments et d’égalité des droits. En avril 2014, un ami homo très lucide me parlait des « couples » homos de son entourage qui avaient fait le pas de réclamer le mariage, et qui, loin d’être ceux des couples les plus durables et les plus solides de la communauté (car ceux-là n’ont pas l’orgueil de demander quelque chose qui ne leur revient pas par nature), étaient au contraire les personnalités les plus inquiétantes et les plus déstructurées qu’il connaissait : « C’est drôle, plus les mecs sont instables, ne se respectent pas, plus ils réclament ce mariage, autrement dit, ils demandent à la République le respect qu’ils ne s’accordent pas à eux-mêmes…entre autres… » À ce jour, je ne côtoie aucun « couple » homo qui se soit lancé dans le « mariage pour tous » en respectant le mariage et les enfants (et personne, dans mes connaissances homos, n’a su me fournir des exemples plus probants) : ils l’ont fait pour le symbole, pour des idéologies, par volontarisme, par paranoïa. Et leur agressivité obsessionnelle traduit bien une angoisse pathologique et une psychorigidité.

 

Milieu psy priscilla

Film « Priscilla folle du désert » de Stephan Elliott


 

Même s’il faut manier les mots, les concepts et les réalités spirituelles avec précaution, je me risque enfin à identifier la blessure psychique homo-bisexuelle en tant que phénomène concrètement démoniaque. Les prêtres exorcistes, qui sont des hommes avec la tête sur les épaules, et qui ont parfois interrogé les rares personnes possédées par Baal/Satan, attestent que le diable s’intéresse de près à la sexualité et au psychisme humains : « Baal dit : ‘Je rends faible. […] Baal va précipiter des gens très mortifiés, à la fois dans leur chair par des attaques de types affectives, sexuelles, imaginatives, dans leur orgueil parce qu’ils sont diminués, et dans leur psychisme. Son lieu de prédilection, c’est l’hôpital psychiatrique. Et il nous disait de façon assez cynique : ‘Je fais tout pour que les hôpitaux psychiatriques sortent des villes afin que jamais un malade n’entende la moindre cloche. Je vous dis ce que Baal dit des cloches : ‘Je ne veux pas que la cloche sonne l’Angélus. Quand une cloche sonne, cela retentit à mes oreilles et ça me fait fuir, car la cloche met plein d’amour partout, cela met plein de joie et d’allégresse dans tous les cœurs, même les païens l’entendent, cela leur met le bonheur dans le cœur. C’est un son audible qui transmet l’amour audiblement. C’est encore un truc de l’Église, je n’aime pas du tout l’Église. Chaque petite note de musique dans l’air, cela réchauffe le cœur des mourants, cela aide les mamans à avoir de l’amour pour leurs enfants, cela aide les papas à avoir de la force pour travailler dans les champs ; ceux qui travaillent dans les tours, ils n’entendent pas. Les enfants dans les parcs et les enfants à l’école, ils entendent les cloches. Ce n’est pas pareil que la sonnerie de l’usine, ce n’est pas pareil les cloches. La sonnerie, voilà le bruit que moi j’aime, la sonnerie. Cela étouffe la voix de l’amour. La sonnerie, c’est malin : on sort, on arrête, on fait. Tandis que la cloche, c’est un son qui donne la force aux papas, le sourire aux mamans, la joie aux enfants, l’amour à tous. Les mourants, ça leur apporte l’espérance du Ciel et moi, je ne suis pas content de tout cela. Je vais vous dire un truc, cela, c’est mon truc. Je fais en sorte que les hôpitaux soient très loin des villes pour qu’ils soient loin des églises. Ce que je n’aime pas, c’est qu’on garde l’église à l’intérieur de l’hôpital et qu’on fasse sonner les cloches dans les hôpitaux. » (Père Pascal, frère jésuite exorciste citant le diable qu’il a entendu, « Baal, ennemi de l’Église », Actes du colloque de Banneux, les Attaques du démon contre l’Église (2009), pp. 149-150)

 
 

c) L’antécédent familial : la mère folle

La folie qui submerge certaines personnes homosexuelles semble être précédée par la folie ou la dépression de leur mère (plus la mère cinématographique ou fantasmée que la mère biologique réelle), semble émerger sur un terrain familial ou social psychologiquement troublé. C’est mon cas : ma maman a vécu une grosse dépression pendant vingt ans et en est sortie quand j’avais douze ans. Et parmi mes amis homos, j’en connais beaucoup qui ont dû porter très tôt l’hystérie, la déprime, la dépression, l’hospitalisation, de leur mère… et qui se sont sentis l’obligation de l’imiter…« Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pou la première fois après l’accident. Nous étions à notre porte, sur la terrasse. Elle est rentrée comme une folle dans le poulailler et, pour se venger de sa tragédie, elle a égorgé, une à une, toutes les poules qui essayaient de s’envoler avec terreur. J’ai compris l’absurdité d’avoir des ailes sans pouvoir voler. Elle a fini par saisir le coq qu’elle a achevé avec les dents. Un nuage laissa filtrer les rayons d’une lune grise qui illumina le terrible visage monstrueux, ensanglanté par le sang du coq. Quelque temps après, elle est repartie. Elle a disparu dans la nature. Peut-être a-t-elle cherché dans la jungle la compassion des bêtes […]. Ce poulailler devint ma scène : il avait été le décor d’une véritable tragédie, je pouvais donc l’habiter de mes fantaisies. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167) ; « Pas étonnant que le fils soit folle, quand on voit sa mère… » (cf. une formule citée dans la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 72) ; « Ma mère elle était malade. Mais maintenant, elle comprend tout. » (Roberto, disquaire homo, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « À l’époque, j’avais une mère qui était dépressive. » (Éric, homosexuel et séropositif, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; « On m’en veut parce qu’elle a voulu se suicider, mais, puisqu’elle a fait ça, c’est qu’elle est folle et moi je n’y suis pour rien. » (Stéphane, jeune homme qui se prostitue homosexuellement, parlant de sa propre mère, dans l’autobiographie Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014) de Paul Veyne, p. 234) ; etc. Par exemple, Mylène Farmer s’intéresse beaucoup à l’actrice France Farmer (qui lui donna son pseudonyme), femme qui finit sa vie complètement folle. Les membres de la communauté homosexuelle vouent une mystérieuse fascination identificatoire pour des actrices un peu barrées voire suicidaires : Marilyn Monroe, Maria Callas, Judy Garland, Dalida, Lady Gaga, Björk, Marianne James, etc. L’hystérie maternelle est un thème de prédilection des réalisateurs ou des écrivains tels que Gaël Morel, Pedro Almodóvar, François Ozon, Rainer Werner Fassbinder, Copi, Michel Bellin, Federico García Lorca, etc.

 

Certaines personnalités homosexuelles témoignent également de la pathologie de leur mère de sang : « Je ne pouvais supporter qu’une telle dégradation frappe ma mère. Un jour, j’ai rêvé que je lui criais avec colère : ‘Arrête d’être folle ! » (Annie Ernaux, Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), p. 11) ; « Ma mère était hospitalisée en psychiatrie. Je n’avais personne vers qui me tourner. » (Robert, homosexuel, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 46) ; « Mon père veut nous éloigner de la famille folle de ma mère. Il nous protège. Il la protège aussi. Elle est vulnérable. Quand elle pleure, je sais que ma mère est comme eux, malade des nerfs. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 38) ; « Cecilia, la mère d’Ernestino, riait comme une folle. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 193) ; etc. Par exemple, la mère d’Allen Ginsberg, Naomi, mourut dans un asile de fous ; il n’avait que 6 ans quand elle a été internée. Aux États-Unis, Jeffrey Dahmer (alias le « Monstre de Milvaukee ») est un vrai cannibale et nécrophile, homosexuel de surcroît : entre 1978 et 1991, il a tué dix-sept jeunes hommes. Il a grandi élevé par une mère en dépression nerveuse. Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, il est dit que la maman de Christine « est fragile psychologiquement et jalouse de son nouveau-né ». La Reine Christine parle même de « sa démente mère ».

 

La nervosité et l’orgueil maternels ont pu être anxiogènes et reportés sous forme d’homosexualité sur les personnes homosexuelles. « Face à mes bouffées de stress matinales, ma mère avait fini par s’inquiéter et appeler le médecin. Il avait été décidé que je prendrais des gouttes plusieurs fois par jour pour me calmer (mon père s’en moquait Comme dans les asiles de dingues’). Ma mère répondait, quand la question lui était posée, que j’étais nerveux depuis toujours. Peut-être même hyperactif. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 64) ; « Ma mère pleurait de désespoir, dans son grand manteau de fourrure qui faisait d’elle une espèce d’ours sinistre : une grosse boule de poil en larmes qui me rendait encore plus cafardeux. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 193) ; « Lattéfa était possédée mais je n’ai jamais su comment cela avait commencé pour elle. Pour quelle faute ? Quel crime ? Quel but ? Et jusqu’à quand allait-elle être étrangère à elle-même, juste à côté de la folie ? J’étais Lattéfa. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 86-87) ; etc.

 

Actuellement, beaucoup de mères et de femmes, dans leur déni de leur sexuation ou dans leur prétention à prendre la place des hommes ou de leur mari, nourrissent leur propre hystérie et leurs angoisses. Ce n’est pas un hasard si Jacques Lacan dit que l’hystérie est « la maladie de l’utérus migrateur », en parallèle avec l’homme phallique. Et maintenant, avec la pratique mondialisée de l’adoption, des PMA et GPA, la mère folle devient beaucoup de femmes lesbiennes en couple !

 

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Code n°125 – Miroir (sous-code : Miroir brisé ou kaléidoscopique / Traversée du miroir / Alice au pays des merveilles)

Miroir

Miroir

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Bianca Castafiore dans la B.D. "Les Bijoux de la Castafiore" d'Hergé

Bianca Castafiore dans la B.D. « Les Bijoux de la Castafiore » d’Hergé


 

« Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je suis quelqu’un d’autre ! ». Voilà le cri existentiel et idolâtre (narcissique) que la grande majorité des personnes homosexuelles lancent inconsciemment à leur société et à elles-mêmes. La glace étant l’instrument d’inversion (sexuée, sexuelle) par excellence, il était logique qu’elle soit plébiscitée par la communauté homosexuelle, assemblée humaine en panne d’identité et à la recherche de l’« Irréalité à forme humaine et réaliste ». Beaucoup de personnes homosexuelles envisagent la Réalité (et l’Amour : cf. je vous renvoie aux codes « Amant narcissique » et « Cercueil en cristal » de mon Dictionnaire des codes homosexuels) comme un miroir à la fois sans fond et dont paradoxalement elles cherchent à se convaincre de la réelle profondeur. Mirage désirant et actionnel assuré !

 
 

N.B. : je vous renvoie également aux codes « Clonage », « Se prendre pour Dieu », « Amant narcissique », « Cercueil en cristal », « Emma Bovary ‘Oh mon Dieu !’ », « Photographe », « Eau », « Lunettes d’or », « Homosexualité, vérité télévisuelle ? », « Inversion », « Femme au balcon », « Planeur », « Main coupée », « Haine de la beauté », « Télévore et Cinévore », « Regard féminin », « Pygmalion », « Poupées », « Amant modèle photographique », « Homme invisible », « Doubles schizophréniques », « Jumeaux », « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau », à la partie « Crâne en cristal » du code « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », et à la partie « Paravent » du code « Maquillage », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Miroir, mon beau miroir :

Le miroir occupe une très grande place dans la fantasmagorie homosexuelle : cf. le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Leperen, le conte Lisa-Loup et le conteur (2003) de Mylène Farmer (avec le garçon plat), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (avec la chanson la chanson « Mirror, Mirror » en duo entre Madame Raymonde), la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev (avec Katia devant son miroir), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, le film « Aynehaye Rooberoo » (« Facing Mirrors », 2011) de Negar Azarbayjani, le film « Crystal » (2003) d’Anne Crémieux, le film « Is-Slottet » (1987) de Per Blom (avec le mystérieux Palais des Glaces), le film « Mirror, Mirror » (1978) d’Edward Fleming, le film « L’Enfant miroir » (1990) de Philip Ridley, le film « Espelho De Carne » (1983) d’Antonio Carlos Fontoura, le film « Gulabi Aaina » (« The Ink Mirror », 2003) de Sridhar Rangyan, le film « I’ll Be Your Mirror » (1996) de Nan Goldin, le film « Jeu de miroir » (2002) d’Harry Richard, etc.

 

« Oh mon Dieu ! Mes yeux n’ont jamais vu de richesses pareilles ! Ah, je ris de me voir si belle en ce miroir ! » (Lourdes trouvant un miroir dans son coffre, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je vous envie d’aimer les vitres comme vous les aimez. » (Marie-Louise, une brodeuse parlant de Sidonie et de la Reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Hubert, ma psyché ! » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Elle [Sylvia, l’héroïne lesbienne] montra du doigt une petite chouette d’or sommairement travaillée, aux ailes d’émeraude, la tête piquée de diamants avec deux topazes pour les yeux. […] Je revois cet oiseau plus nettement que son visage dont je ne perçois qu’un seul profil – l’autre moitié devenue invisible, à la manière d’un miroir. » (Harry Muslisch, Deux Femmes (1975), p. 30) ; « Le miroir est une femme intersidérale. » (c.f. la chanson « Intersidérale » de Bilal Hassani) ; etc.

 

Le personnage homosexuel cherche parfois à être plat comme son miroir : « James cultivait l’art d’être superficiel. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 52) Par exemple, dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, adaptée par Pierre Constant, le miroir devient fil de fer du funambule. La nouvelle « Marcovaldo Tarsile De La Tour Montigny Xuclar I Fer Ampolles » (1975) de Terenci Moix raconte l’histoire d’un homme dont l’obsession de sa vie est la « longitude ». Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont se prend pour une vitre de pare-brise de voiture : « Déjà réincarné ?!? Efficace, le système informatique là-haut ! Quoi ? En vitre ??? Je crois qu’il y a une erreur. […] Tout le monde ne parle pas miroir. […]Je suis superstitieux ? Superficiel ?? Je sais. » Dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau, la Bête énumère les 5 instruments sur lesquels repose son pouvoir : « Mon miroir, mon gant, mon cheval, ma rose et ma clé d’or. »

 

Le miroir permet au héros homosexuel de fuir sa réalité et le monde : « Comme si j’étais assis là-haut au Paradis, de l’autre côté de ma vie, mon paradis acquis. » (cf. la chanson « Soudain » d’Étienne Daho) ; « Le monde est froid. Subitement distant verni aseptisé. Je le regarde à travers cette vitre. Je le vois loin, hors de portée. J’en suis comme en retrait, exclue, ou au moins séparée. […]  C’est entre 8 et 9 ans que je me suis décollée du monde – ou plutôt qu’il a décollé de moi pour être donné en spectacle – et depuis je cherche en vain comment y rentrer et m’y fondre, comment retraverser la vitre. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) Par exemple, dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, Fayçal Ben Checri, le héros homosexuel, est en train de répéter ses pas de danse classique devant son miroir. Dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Gabriel, l’adolescent homosexuel rêveur et déprimé, est toujours filmé derrière une vitre de voiture, de vitre de bus.

 

Stéphanie, héros trans M to F du film "Wild Side" de Sébastien Lifshitz

Stéphanie, héros trans M to F du film « Wild Side » de Sébastien Lifshitz


 

Le miroir donne l’illusion de dépasser les 4 frontières du Réel humain et de l’Amour que sont la différence des sexes, la différence des générations, la différence des espaces et la différence Créateur/créatures : « Vous, Oiseaux-Comédiens, aidez-moi à franchir le miroir… de l’enfance perdue. » (Camarade Constance dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine  Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina» (Cody, le héros homosexuel efféminé nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « Je suis de l’autre côté du miroir. » (Damien, travesti M to F de la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai recollé mes morceaux. » (Mr Alvarez, travesti M to F, idem) ; « Je m’examinais longuement dans le miroir. » (la narratrice transgenre F to M au moment de se travestir en homme, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; etc. Par exemple, dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette se sert du miroir pour se prendre pour se lesbianiser et se vieillir afin de séduire sa prof de français. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Miriam, l’héroïne transsexuelle F to M (transformée en « Lukas »), passe son temps à se scruter dans le miroir, et vit l’angoisse du Dorian Gray. Pendant tout le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, la jeune Laure (qui se prend pour un garçon) se regarde sans cesse dans le miroir.

 

Le miroir est figure d’inversion sexuelle. Par exemple, dans le film « Jeu de miroir » (2002) de Harry Richard, les deux frères jumeaux (dont l’un est homo) portent des prénoms-anagrammes : Leon et Noel. Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, Rayon, le héros transsexuel M to F, a plein de photos d’actrices autour de son miroir. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, le miroir est omniprésent dans le quotidien des personnages, et surtout ceux qui sont intersexes et transsexuels. Le film démarre par Rana qui se regarde dans sa glace de rétroviseur de voiture. Plus tard, alors qu’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M se rase la barbe (ou plutôt fait semblant de le faire), elle est surprise par l’arrivée d’Akram, la belle-mère de Rana, qui l’a vue dans la salle de bain, et elle se coupe au visage. Adineh sanglotte comme une enfant devant son miroir. Mais finalement, plus de peur que de mal : « J’aurais pu te taillader le visage ! » la prévient quand même Akram. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, vit sa vie à travers les miroirs. Par exemple, quand il parle devant sa glace, il imite un dialogue entre Dick et sa compagne Marge, en alternant la voix masculine puis féminine… parce qu’il est amoureux de Dick.

 

Le soupçon intime d’homosexualité chez le personnage homosexuel a parfois besoin du monde du miroir pour acquérir une consistance. Je vous renvoie au film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano. Dans le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, François se répète plusieurs fois de suite devant sa glace qu’il est homo. Dans le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, Sita, l’héroïne lesbienne fait de même.

 

Film "Les Roseaux sauvages" d'André Téchiné

Film « Les Roseaux sauvages » d’André Téchiné


 

Il est fréquent qu’Alice au pays des merveilles (celle qui a traversé le miroir du sommeil pour entrer dans la rêverie puérile) apparaisse dans les créations homo-érotiques : cf. la pièce musicale Rosa La Rouge (2010) de Marcial Di Fonzo Bo et Claire Diterzi, le one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie (avec Alice, transgenre F to M), le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec l’histoire du petit homme qui traverse le miroir), la photo Miroir d’Alice (1932) de Duane Michals, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Francis, le héros homosexuel, qui a « vu un lapin blanc »), la chanson « Dans un autre pays » de Goûts de luxe, etc.

 

« Je m’appelle Alice, comme Alice au pays des merveilles. » (Chiara dans le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo) ; « C’est pas vrai, la vieille Alice ! Je te croyais à l’hospice ! » (Fifi s’adressant à son ami travesti M to F Mimi – c’est la première phrase de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je viens de l’autre côté du miroir, […]  du côté du faux jardin. » (le narrateur de la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; etc.

 

Le héros homosexuel essaie, en vrai marginal, de traverser le miroir : cf. le roman La Traversée des apparences (1948) de Virginia Woolf, le film « À travers le miroir » (1961) d’Ingmar Bergman, les films « Orphée » (1949) et « Le Sang d’un poète » (1930) de Jean Cocteau, le poème « Del Otro Lado » de Luis Cernuda dans le recueil Desolación De La Quimera (1956-1962), la pièce Antigone (1922) de Jean Cocteau, le film « Tras El Cristal » (1986) d’Agustí Villaronga, le roman Le Syndrome de Lazare (2007) de Michel Canesi et Jamil Rahmani, le film « Del Otro Lado » (1999) de C. A. Griffith, la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Ieperen, le tableau Le Faux Pas (2002) de Michel Giliberti, etc.

 

Film "Orphée" de Jean Cocteau

Film « Orphée » de Jean Cocteau


 

Dans les créations homo-érotiques, le passage du miroir est parfois symbolisé par un simple voile, une forêt de linge étendu sur des cordes, ou un rideau opaque : cf. le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, le film « Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la lune ? » (2001) de Chris Vander Stappen, le film « W » (1998) de Luc Freit, le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola (avec les barrières de linge entre Antonietta et Gabriele le héros homosexuel), etc. « La dentelle, c’est comme un miroir. » (Doña Augusta dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, p. 19)

 
 

 

b) Le narcissisme individuel :

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Le héros homosexuel très souvent se voue un culte à lui-même et à son image spéculaire (il ne fait pas la différence entre les deux). Il est très proche du personnage mythologique de Narcisse : cf. le roman A Sodoma En Tren Cobijo (1933) d’Álvaro Retana (avec le personnage de Nemesio), le film « Le Narcisse noir » (1947) de Powell et Pressburger, le film « Image In The Snow » (1940) de Willard Maas, cf. le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos (avec Silverio devant son miroir), le film « Pink Narcissus » (1971) de James Bidgood, le roman Le Traité de Narcisse (1891) d’André Gide, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec la femme-fillette lesbienne allongée près d’un étang artificiel d’eau), le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès (avec le visage dans l’eau), la chanson « Narcissus Is Back » de Christine & the Queens, etc.
 

Par exemple, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry affirme dès le début qu’il n’y a que lui qui l’intéresse. La première scène du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne est précisément le moment où Guillaume, le héros bisexuel, se maquille et se raconte devant sa glace de coulisses théâtrales. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, n’arrête pas de se peindre elle-même en autoportrait. Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca passe son temps à renifler et effleurer son corps, à se palper. Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, réclame toute l’attention à lui tout seul : « Personne ne me regarde ! »

 

Il arrive que le héros personnage s’aime tellement qu’il se prend pour un être immanent, auto-créé, divin : « Et oui, Dieu était une femme… allez y touchez, touchez… Je comprends, vous êtes impressionnés… Moi, aussi, à chaque fois que je me regarde dans une glace… Ça me fait pareil… C’est tellement beau. J’comprends que vous ayez tous les yeux fixés sur moi. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’espère, avec un peu de chance, que dans le monde entier, y’aura des meufs qui auront des posters de moi dans leur chambre ! » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne, en conclusion de son one-woman-show Chaton violents, 2015) ; « Ton fils c’est ton portrait craché. Tout pour l’apparence. » (Laurent Spielvogel imitant son père parlant à sa mère, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Le problème, c’est que tu n’aimes que toi. » (Adrien s’adressant à Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « Tu ramènes tout à toi. » (idem) ; etc.

 
 

c) Le narcissisme collectif et communautarisé :

Mais le narcissisme homosexuel n’est pas qu’individuel. Il semble réunir la majorité des amis homos du héros gay. « On fuit toutes certaines réalités face au miroir. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, parlant au nom de toutes les femmes lesbiennes). Par exemple, dans le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo, ou encore dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, tous les personnages se regardent continuellement dans le miroir. Le film « Far West » (2002) de Pascal-Alex Vincent démarre sur une scène de chorégraphie de groupe de potes gays devant un grand paroi spéculaire de salle de danse. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, les miroirs sont omniprésents : dans la vie intime des héroïnes lesbiennes, mais aussi dans leur univers de beaux-ardeux. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, le groupe de potes homos est présenté comme un concentré de narcissiques. « Tu passes des heures devant ton miroir, passées à mettre des crèmes et des masques. Et on ne voit même pas la différence. » dit par exemple Michael à son colocataire Harold. Quant au personnage hyper efféminé d’Emory – qui affirme avoir « fait du patin à glace » dans sa jeunesse –, il se repoudre le nez devant sa glace en faisant sa précieuse : « Je ne suis pas prête pour le gros plan, M. DeMille. Il va falloir attendre. » Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc, le héros homosexuel, évoque, concernant le « milieu homo », « ces boîtes à la mode où la jeunesse pavane sa beauté, ses pectoraux et son linge neuf en un perpétuel spectacle de soi-même » (p. 226). Dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, le monde du miroir est présenté comme le « milieu homosexuel ». Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Graziella, l’agent de Tom (le héros homo) qui veut le forcer à paraître hétéro, lui soumet un test de questions pour savoir s’il arrive à rentrer dans la peau de son personnage. Et l’un des questions est : « Football ou patinage artistique ? » Tom prend sur lui pour répondre « Football »… mais le « naturel » ne tarde pas à revenir au galop.

 

Comédie musicale Sauna de Nicolas Guilleminot

Comédie musicale Sauna de Nicolas Guilleminot


 
 

d) Le miroir est la figure de l’éclatement identitaire :

Film "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes" de François Ozon

Film « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » de François Ozon


 

À force de se regarder de trop près le nombril, un certain nombre de personnages homosexuels finissent par ne plus pouvoir se voir du tout : cf. le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le film « Amnesia – The James Brighton Enigma » (« Amnésie, l’énigme James Brighton », 2005) de Denis Langlois, le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu (avec le miroir-clapet de Kena, l’héroïne lesbienne divisée), etc.

 

Film "Amnesia" de Denis Langlois

Film « Amnesia » de Denis Langlois


 

« Dans l’rétro ma vie qui s’anamorphose. » (cf. la chanson « California » de Mylène Farmer) ; « Surprise, elle me dévisage sur le cliché et puis en chair et en os, et après se regarde longuement dans la glace. J’accroche la photo au coin du miroir, et me reflète à mon tour. Je suis derrière elle, et je lui parle à l’oreille, fixant son double qui me fait face. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 47-48) ; « Je comprends pas mon corps. Le plaisir qu’il trouve, et qu’il prend, à savoir les yeux d’Irène dans un coin du miroir. Sa volonté de se soumettre aussi vite à la nécessité qui l’oblige. Ce que sa main droite est en train de faire sous le drap bleu, qui me donne la honte rouge. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 86) ; etc.

 

Le héros homosexuel vit tellement dans l’horizontalité et la superficialité de son désir qu’il finit par croire ou vivre la chute sans s’en rendre compte. Le vertical surgit inopinément de l’horizontal. C’est le cas dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, où la chute dans les graviers succède à la scène du miroir narcissique. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, a du mal à se tenir droit, et à rester droit… si bien qu’il se croit atteint de vertiges et de signes physiques montrant qu’il est malade du Sida.

 

MIROIR The Irrepressibles Croop

 

Le symbole du miroir brisé, multiple ou kaléidoscopique est omniprésent dans la fantasmagorie homosexuelle : cf. la couverture de l’album « The Irrepressibles » du groupe Coop (avec les 4 visages coupés en 2 de Jamie McDermott), la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely (avec le miroir fragmenté), la pièce Betty Speaks (2009) de Louise de Ville, le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, la chanson « En miettes » d’Oshen, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le film « Grande École » (2004) de Robert Salis, le film « Happy Together » (1997) de Wong Far-Wai, le film « Swimming Pool » (2003) de François Ozon, le film « La Femme du chef de gare » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Mulholland Drive » (2001) de David Lynch, le film « Casablanca » (1942) de Michael Curtiz, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Thomas trébuche » (1998) de Pascal-Alex Vincent, le roman La Sombra El Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar, le film « Miroirs brisés » (1984) de Marleen Gorris, le vidéo-clip de la chanson « College Boy » d’Indochine (avec le miroir brisé dans le casier), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec Ayrton se regardant avec mépris devant sa glace à plusieurs battants), etc. « Toutes les vitres avaient volé en éclats, même celles des miroirs, ainsi que la vaisselle et les bouteilles. » (Copi, « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 33) ; « Oh, merde, j’ai un kaléidoscope dans la tête ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Une rêverie de cristal éveillait peu à peu son âme dans un courant de plaisirs. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite en 2003 par un ami angevin, p. 30) ; « Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas ; mais homo, bi, hétéro c’est pareil, on ne mange pas dans les assiettes cassées. » (le chauffeur taxi dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 120) ; « Des images se projetaient dans mon esprit, tels les morceaux d’un miroir fracassé. » (Éric, le héros homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 115) ; « Le Masque est tombé. Le Miroir brisé. Qui peut m’regarder sans me juger ? » (cf. la chanson « Si mes larmes tombent » de Christophe Willem) ; etc. Par exemple, dans la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, les deux amis transgenres M to F, Jacques et Damien, se rendent ensemble voir un film expérimental, « Éclat de viande », au cinéma. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, les miroirs sont très présents et renvoient toujours à l’angoisse du héros homo, Frankie : il se scrute tout le temps pour savoir s’il a des tâches de Sida sur la peau ; et à chaque fois qu’il se regarde dans le miroir, il finit toujours par se voir flouté. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, peut s’admirer partout dans les nombreux miroirs de sa salle de bain. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Louis, le héros homo « qui ne s’assume pas », prononce plusieurs fois devant son miroir « Je suis pas homo », avant de le briser comme un boxeur. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), Kelly, l’héroïne lesbienne, brise son miroir dans les toilettes de la boîte.

 

Les héros homosexuels visent tous inconsciemment à devenir l’androgyne, cet être divisé, éclaté, hyper-sexué et asexué à la fois, kaléidoscopique, à plusieurs faces comme le diamant ou le diable : « Le Dieu des Hommes […] s’éleva de 7 mètres au-dessus de nous, allant se placer haut à l’intérieur de l’aiguille de la Sainte-Chapelle dont les vitraux à mille et une couleurs produisaient sur lui (un barbu blanc aussi poilu qu’un ours polaire) un effet de kaléidoscope très agréable. » (Gouri, le rat bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 85) ; « Elle me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo» (Yvon en parlant de la dangereuse Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 264) ; etc. Par exemple, dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, c’est l’angoisse pour l’héroïne bisexuelle Nina, qui se voit partout dans les miroirs et qui se sent attaquée par eux, par elle-même, dans un élan d’autodestruction étrange et irrationnel.

 
 

e) Le miroir est la figure de la haine de soi, du viol et de la mort :

Film "La Belle et la Bête" de Walt Disney

Film « La Belle et la Bête » de Walt Disney


 

Comme le miroir éloigne le héros homosexuel de lui-même et des autres, il finit par lui apparaître comme un menteur ou un méchant reflet. « Jane s’assit au bout du lit et vit un instant le visage de sa mère en train de lui sourire dans le miroir de la penderie. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 105) ; « À l’intérieur, l’excès de miroirs était censé exprimer une certaine idée du luxe, mais les reflets importuns l’énervèrent. » (Jane, l’héroïne lesbienne par rapport à la salle de bain, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 17) ; « Sur le moment, il me semble qu’un tiers se tromperait à prétendre me désigner lequel, de mon reflet ou de moi, est l’original et lequel la copie. […] Moi Vincent Garbo regardant celui qui me regarde, la bénéfique utilité du miroir se retourne en maléfice : non seulement mon reflet a pour moi cessé d’être la preuve que je peux être vu, que je suis dans cette pièce et que je pourrais en sortir, mais il me persuade même carrément du contraire. Je ne serais pas du tout surpris de voir l’autre quitter le miroir et d’être obligé d’attendre qu’il y revienne pour pouvoir exister encore un peu. » (Quentin Lamotta, Vincent Garbo (2010), p. 53) Il déclenche en général chez le protagoniste homosexuel l’hilarité, la cruauté, le mépris ou le sentiment d’être merdique : cf. le roman Défauts dans le miroir (1981) de Patrick White. « Je ris de me voir si con dans ce miroir. » (cf. le film « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander) ; « Vidvn riait devant le miroir de l’archevêque, pavoisant. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 125) ; « On n’a même pas de miroir, dans ces satellites ! Je vais me regarder dans l’eau des waters ! » (Loretta Strong, le héros travesti M to F, dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Épreuve du miroir. Le jeu des 7 erreurs. » (Djalil s’adressant à sa mère dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Mon prof de philosophie mort en mirant son reflet dans un miroir fendu scandalisé par sa laideur ! » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite en 2003 par un ami homosexuel angevin, p. 63) ; « Cesse d’enfiler cette cagoule comme un singe qui découvre son reflet dans le miroir ! » (le Père 2 s’adressant à son futur gendre homosexuel, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; etc. Par exemple, dans le film « Rebel Without Cause » (« La Fureur de vivre », 1955) de Nicholas Ray, Jim (James Dean), le héros bisexuel, déclare à son amie Judy (Natalie Wood) que son reflet dans son miroir de poche ressemble à une guenon.

 

B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi


 

Alba – « Tu t’es regardée dans un miroir dernièrement ?

Zulma – Non.

Alba – Eh ben fais-le. Tu feras des cauchemars. »

(Alba parlant de sa mère Zulma dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet)

 

MIROIR Assise brisé (1)

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

« J’ai presque couru jusqu’aux toilettes, comme si j’allais vomir au lieu de pleurer, me suis assise sur le couvercle de la cuvette et j’ai pleuré, pleuré, sans comprendre pourquoi. J’ai regardé mon reflet dans le miroir de la salle de bains, les traces de larmes, les yeux rouges, et je me suis souvenue d’une chose, juste une chose, d’un moment semblable, d’une époque semblable. Où je me regardais dans ce miroir. En pleurant. Je savais ce que c’était. La sonnette de la porte d’entrée a retenti. » (Ronit, l’un des héroïnes lesbiennes du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 167) ; « Je me suis enfermée à clé dans la salle de bains. Je me souviens des gouttes de sang écarlates dans le lavabo, d’une couleur incroyable, du tourbillon rouge et rose quand j’ai ouvert le robinet. Je me souviens d’avoir pleuré, un peu. D’avoir été étonnée de pleurer. De m’être regardée dans le miroir, au-dessus du lavabo, d’avoir vu mon visage en pleurs, sans reconnaître mon propre reflet. » (idem, p. 219) ; « J’avais rêvé que j’observais le viol de lady Philippa par les vitraux brisés de la chapelle. En même temps, j’étais lady Philippa moi-même, contemplant terrorisée mon propre visage dans l’ouverture en forme d’ogive, depuis la pierre tombale où je subissais ce terrible attentat. En revanche, mon agresseur lui-même n’était dans mon rêve qu’une masse sombre et sans visage. » (Bathilde dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 303) ; « Une ou deux minutes passèrent, puis, levant les yeux, il se vit soudain dans un miroir incliné au-dessus du lit et remarqua que sa cravate était de travers ; il répara aussitôt ce désordre de ses grosses mains qui tremblaient un peu. ‘Ça, par exemple !’ murmura-t-il. Plusieurs fois il répéta cette phrase sur le ton d’une grande surprise, et, sans regarder le lit, tourna les talons et gagna la porte. » (Paul Esménard après le meurtre de Berthe qu’il a étranglée, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 117) ; « J’ai fait installer des miroirs pour que vous puissiez mourir au pluriel. » (Merteuil dans la peau de Valmont, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc.

 

Le miroir brisé est souvent un signe d’inceste, de viol, de mort et de suicide dans les fictions homo-érotiques : cf. le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls (avec le meurtre sous les douches municipales), le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre (avec Eloy, le prostitué qui se regarde toujours dans la glace), le film « Le Miroir de l’obscène » (1973) de Jess Franco, la pièce Bodas De Sangre (Noces de sang, 1932) de Federico García Lorca, le recueil de poésies A Través De Un Espejo Oscuro (1988-2004) de Leopoldo Alas, le roman La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar, le poème « El Inquisidor Ante El Espejo » (1977) de Vicente Aleixandre, le film « La Tour Montparnasse infernale » (2000) de Charles Némès, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré (avec notamment Narcisse, l’imbuvable), le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, etc. « Les miroirs de la salle de bains étaient couverts de buée, mais elle voyait l’étrangère qu’elle était devenue, difforme et vaguement rose dans la glace embuée. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 41).
 

Par exemple, dans la mise en scène par Adrien Utchanah en 2010 de la pièce La Pyramide (1975) de Copi, on entend un bruit de miroir brisé précisément quand la Vache sacrée se poignarde le cœur. Dans la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz, la reine Marguerite se plait à admirer, horrifiée, sa « laideur » devant son miroir au moment de commettre un crime. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a besoin du miroir pour croire en son horreur, pour se la rendre réelle. Elle récite, comme une femme possédée, un discours « diabolique », après avoir empoisonné mortellement son frère adoré Paul : « Il faut rendre la vie invivable. Il faut être laide à faire peur… » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, sous la douche, Clara, l’héroïne lesbienne, voit dans une flaque le reflet riant et diabolique d’un de ses agresseurs lesbophobes. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le miroir brisé des toilettes de la boîte gay apparaît pile dans la scène où le pasteur homophobe Ralph va pénétrer par sodomie un jeune homme qui a reconnu sa double vie. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, la fenêtre est souvent le miroir dans lequel l’héroïne lesbienne, Charlène, contemple sa propre triste ou l’horreur de son acte criminel. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique pour rajeunir. Le résultat n’est d’ailleurs pas toujours à la hauteur de ses espérances. Il parle « des effets mordants du peeling » et des ratés de son médecin qui le bronze de trop. Et il découvre horrifié sa gueule de « gros lézard qui mue » dans un double miroir. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, à la fin, la grand-mère de Tommaso (le héros homosexuel) se maquille pour retrouver la jeunesse de ses vingts ans, face à plusieurs miroirs, avant de se suicider. Dès les premières images du film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on voit le protagoniste homosexuel, Davide, regarder par le trou des interstices de ses miroirs. Il s’est composé une caverne de miroirs cachés dans le grenier familial dans laquelle se réfugier secrètement. Un jour, son père, ayant découvert sa cachette, l’entraîne de force dans le grenier pour que Davide le voie détruire au marteau tous les miroirs. Dans ce film, ces derniers sont tellement signes de souffrance, de destruction narcissique, que la dernière image montre Davide face à son reflet spéculaire, en train de crier d’horreur.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Miroir, mon beau miroir :

Il est étonnant de voir l’idolâtrie des personnes homosexuelles pour les miroirs. Je vous renvoie au documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz ainsi qu’au documentaire « Mirror, Mirror » (1996) de Baillie Walsh. Dans Logique du sens (1969), Gilles Deleuze s’intéresse à la traversée du miroir dans le chef-d’œuvre de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles (De l’autre côté du miroir).

 

« La dualité m’a toujours fasciné, tout comme les miroirs et les images filmées. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 35)

 

MIROIR Cocteau

 

Par exemple, l’artiste femme performer Orlan considère son corps comme un média, comme un instrument de son désir de nomadisme : « Je suis une homme et un femme. » Elle s’entoure de miroirs pour « se voir à l’intérieur ». Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Edwarda, une visiteuse du musée illuminée, observe dans un tableau de Balthus représentant une femme dans sa salle de bain un fantôme ou une Alice enfermée dans un placard-miroir : « Le miroir devait faire la même taille que la toile. »

 

D’ailleurs, le soupçon intime d’homosexualité (y compris celui que les personnes homosexuelles projettent sur « les hétéros ») a parfois besoin du monde du miroir pour acquérir une consistance. « Les machos – comme les camionneurs, les flics, les joueurs de football – sont beaucoup plus complexes qu’ils ne veulent le reconnaître. Ils ont des besoins qui sont pour eux carrément inexprimables. Ils n’osent pas se regarder dans le miroir. C’est pourquoi ils ont besoin des pédés. Ils ont inventés les pédés afin d’accomplir un fantasme sexuel sur le corps d’un autre homme sans en assumer la responsabilité. » (James Baldwin, « Go The Way Your Blood Beats » : An Interview… » de Richard Goldstein, Village Voice, 26 juin 1984, pp. 13-16); « Je me regarde dans la glace et je contemple mon visage. […] Je me dis à voix haute que je suis homosexuel ! Je me le répète deux, trois, quatre fois. » (Alexandre Delmar, Prélude à une Vie heureuse (2004), p. 119) ; etc.

 

Par exemple, il n’y a qu’à regarder le nombre de miroirs de notre existence (les tables de lycée, les plexiglas des métros, les graffitis aux toilettes publiques, etc.) où sont gravés les mots « PD » ou « enculé » pour découvrir que l’homosexualité est une vérité avant tout spéculaire. Autre exemple : dans l’émission Jour après Jour (novembre 2000) animée par Jean-Luc Delarue sur la chaîne France 2, Jérôme affirme qu’il a été obligé de répéter plusieurs fois à son propre reflet dans le miroir qu’il était homo pour assumer une homosexualité qu’il ressentait comme monstrueuse.

 
 

b) Le narcissisme individuel :

La passion de certaines personnes homosexuelles pour le miroir dévoile leur croyance en leur auto-engendrement. Pour le psychanalyste Alfred Adler, « la perspective homosexuelle se développe très tôt chez des enfants égocentriques. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 200) Beaucoup d’entre elles construisent autour de leur être un véritable culte de la personnalité. Il suffit d’observer leur rapport aux miroirs, en discothèque notamment, ou bien encore leur attitude de femme fatale ou de dandy en présence d’un appareil photo, pour le constater. Elles se scrutent sans arrêt et pâtissent de la maladie du Don Juan qui cherche constamment à plaire, à faire plaisir, et à savoir ce que les autres pensent de lui, sans jamais arriver à satiété. Cela se transforme souvent en onanisme : « Les choses du cul sont la santé même ! Il s’agit de jouir loyalement de son être. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976)

 

Certains créateurs homosexuels construisent carrément des Narcisses modernes avec leurs caméras et leurs appareils photos. Par exemple, les photographes Pierre et Gilles ont fait de Matthieu Charneau leur nouvelle égérie, leur « Narcisse ».

 

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles


 

Pendant son concert à L’Européen de Paris le 6 juin 2011, la chanteuse trans F to M Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « lesbienne invisible », qui se fait appeler désormais « Océan ») se regarde dans son verre à pied, s’arrange et s’adore dans son reflet : le verre en cristal lui sert de miroir narcissique. Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, est obsédé par son miroir. Ce dernier est comme une drogue auto-destructrice. D’ailleurs, les images du film oscillent entre des plans rapprochés de portraits de Victor au miroir et de prises de médicaments. À un moment, un des miroirs dans lequel il se voit lui présente une image triplée de lui-même.

 

Les personnes homosexuelles, en général, à travers leur focalisation sur le miroir, montrent qu’elles n’ont pas accepté leur corps et son unicité. Autrement dit, dans un jargon psychanalytique, elles n’ont pas fait coïncider l’image de leur Moi avec leur propre corps (cf. le stade du miroir décrit par Henry Wallon). Elles sont donc tentées de rechercher chez les autres un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisées (= « elles en mieux »).

 
 

c) Le narcissisme collectif et communautarisé :

Le narcissisme homosexuel ne se limite pas à l’individu qui se ressent homo. Il s’étend à toute la communauté LGBT. En effet, le discours de beaucoup d’intellectuels homosexuels, notamment ceux des Queer & Gender Studies, flatte le narcissisme interlope dans une défense poétisante de l’identité homosexuelle en tant que projection de soi éclatée, indéfinissable, circonscrite au ressenti et à l’initiative strictement individuels. Par exemple, dans son essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), Natacha Chetcuti s’attache de manière très narcissique à « la manière de se percevoir » (p. 65) en tant que lesbienne, à la « mise en scène de soi » (p. 96), au « processus d’énonciation » (p. 14) du MOI homosexuel. Elle délaisse la question fondamentale du « Qui suis-je ? » ou du « Quel est le sens du désir homosexuel ? » pour lui préférer celle du « Comment je me dis ? [… après m’être caricaturé et inventé une identité originale et inédite] », du « Comment je me vois et me définis ? » : « Le terme d’autonomination est à considérer en tant que processus : il ne désigne ni un état, ni une condition des individus, mais bien au contraire une définition de soi constamment rejouée ou renégociée. » (p. 35) Il s’agit de se ré-inventer soi-même par l’amour homosexuel, l’homosensualité, son reflet spéculaire déconstruit/reconstruit. C’est le genre en tant qu’« allure, présentation de soi, manière d’être dans le corps » (p. 70) qui primerait. Nous ne sommes plus dans la recherche de Vérité mais dans le plaisir de se raconter (… dans un reflet aquatique indomptable que serait le désir). Natacha Chetcuti veut « étudier les modes d’autodéfinition qui permet de comprendre comment les lesbiennes se pensent et se construisent pour elles-mêmes. » (p. 19)

 

Ce nombrilisme identitaire et amoureux s’observe aussi loin des sphères « intellectuelles » et universitaires. Il rejoint la presse gay et le milieu association. Par exemple, le premier numéro de la revue gay Miroir/Miroirs, la revue des corps contemporains est sorti en France en septembre 2013. Il était consacré à Grindr et aux applications Smartphones pour la création des rencontres amoureuses homos.

 

MIROIR Les Narcisses

 
 

d) Le miroir est la figure de l’éclatement identitaire :

À force de se regarder de trop près le nombril, un certain nombre de personnes homosexuelles finissent par ne plus pouvoir se voir du tout. C’est la raison pour laquelle Raymond Rosenthal disait du dramaturge nord-américain Tennessee Williams qu’il « souffrait d’un profond narcissisme qui l’empêchait de regarder à l’intérieur de lui-même ».

 

« Mon père pensait que le football m’endurcirait et il m’avait proposé d’en faire, comme lui dans sa jeunesse, comme mes cousins et mes frères. J’avais résisté : à cet âge déjà je voulais faire de la danse ; ma sœur en faisait. Je me rêvais sur une scène, j’imaginais des collants, des paillettes, des foules m’acclamant et moi les saluant, comblé, couvert de sueur – mais sachant la honte que cela représentait je ne l’avais jamais avoué. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 30).

 

Beaucoup de créateurs homosexuels ont utilisé dans leurs œuvres des miroirs fragmentés : Marcel Duchamp, Jean Cocteau, Louise Bourgeois, Claude Cahun, etc., comme pour figurer leur désunion intérieure (cf. je vous renvoie au code « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, ainsi qu’au documentaire « Kaleïdoskop » (2004) retraçant le parcours artistique de Philippe Découflé). Par exemple, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, se surnomme lui-même « Linn da Quebrada » (Linn la brisée) et se compare à « ces éclats de miroir brisé où se réfléchit l’Homme créé à l’image de Dieu ».

 

Photo "Five-Way Portrait Of Marcel Duchamp" (1917)

Photo « Five-Way Portrait Of Marcel Duchamp » (1917)


 

« Ma vie intégrait cette limite. Elle se fendillait dans les épreuves quotidiennes, se nourrissait d’être aimée pour ce que j’étais et non comme un idéal. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 59) ; « Faut-il que tout glisse et tout passe ? » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 96) ; etc.

 
 

e) Le miroir est la figure de la haine de soi, du viol et de la mort :

Le narcissisme homosexuel (tout comme le narcissisme hétéro-bisexuel) entraîne concrètement les personnes homosexuelles qui s’y adonnent sur les sentiers du mépris de soi, de l’homophobie, de la haine, de la violence, du viol, de maladie, de la prostitution : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pour la première fois après l’accident. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167) ; « Entre mon miroir et mon corps, raccourcir la laisse… Et maintenant, à nous deux. » (la photographe lesbienne Claude Cahun) ; « Si je me regarde dans le miroir, je peux être agressif avec moi-même, ou déprimé. » (la femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) ; « Devant le petit miroir de sa loge, après avoir rasé, une fois de plus, son visage déjà ravagé par les nuits sans sommeil et les fards trop lourds, Claude se coiffe. » (Jean-Louis Chardans décrivant un homme travesti M to F, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 36) ; « Il aura fallu que je m’habitue à ce visage décharné que le miroir chaque fois me fait voir comme ne m’appartenant plus mais déjà à mon cadavre, et il aurait fallu, comble ou interruption du narcissisme, que je réussisse à l’aimer. » (Hervé Guibert, parlant de son corps ravagé par le Sida, dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001), p. 500) ; « Il suffisait, je le savais, d’un rien, d’un geste, d’une sensation, pour que le miroir bascule et que l’envers du décor rempli d’abîmes et de dangers disparaisse. » (Berthrand Nguyen Matoko face à la proposition d’un poste de prostitué, Le Flamant noir (2004), p. 117) ; « Je me rencontre – comme par exemple devant la glace le matin – et ce n’est pas les rencontres que je préfère. C’est pas toujours très marrant. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

La relation narcissique au miroir est synonyme de mort. Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau par exemple, on en trouve une belle illustration puisque les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort (Maria Casarès) va et vient sur Terre. Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand Bonello, en s’observant nu devant son miroir, y voit progressivement une tache inquiétante au dos. Une tache qui l’inquiète. La mort donnée par le miroir n’est pas aussi réelle que certaines personnes homosexuelles le croient : elle est d’abord symbolique et psychique, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas être imparfaitement réelle, et donc concrètement violente si dans leur quotidien les individus donnent davantage raison à la profondeur du miroir qu’à la profondeur de la vie réelle.

 

Par exemple, le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton se finit sur une image digne d’une glaçante actualisation du drame narcissique de Dorian Gray : juste avant de se rendre à la vente aux enchères de sa propre collection, Pierre Bergé contemple sa triste figure de requin matérialiste et égoïste qui a dédié sa vie aux objets et qui a perdu son âme humaine. Dans l’émission Danse avec les stars 6 du 28 novembre 2015, le chanteur Loïc Nottet avoue que, lorsqu’il était jeune et se regardait dans la glace, il s’imaginait non pas être face à lui-même mais face à un « double diabolique ».

 
 

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Code n°126 – Moitié (sous-codes : Visage divisé / Rideau déchiré / Orange coupée / Siamois / Animal à deux têtes)

Moitié

Moitié

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Pièce Wake Up (2014) de Patonov

Pièce Wake Up (2014) de Platonov


 

Si vous faites partie des gens qui ne comprennent pas pourquoi l’Église catho dit que les actes homosexuels sont « intrinsèquement désordonnés » et ne respectent pas l’unité de l’être humain, ou bien qui doutent que le désir homo est un élan qui divise la personne humaine plus qu’il ne l’unifie, voilà un code qui devrait vous éclairer !

 

Quand on aura compris que le désir homosexuel est un désir éclaté, écartelé/écartelant parce qu’éloigné du Réel par le sentiment et la haine de soi, qu’il est la marque d’une blessure, on aura touché au cœur du problème, et on reconnaîtra vraiment l’homosexualité telle qu’elle est : un désir humain non-essentiel.

 

Si j’avais une seule définition à donner au désir homo, je dirais qu’il est un élan sexuel qui divise plus qu’il n’unifie la personne qu’il habite (pour un temps plus ou moins long). Certes, la différence de sexes a déjà coupé l’Humanité en deux (Étymologiquement, le mot « sexualité » vient du verbe latin « secare », qui signifie « couper »). Mais c’est au cœur de l’individu que le désir homo divise. On pourrait dire que le désir homosexuel est un désir « plus que sexuel », supra-sexuel : il élargit encore plus la blessure existentielle béante de la sexualité humaine. Cette poussée désirante antagonique et extatique coupe une nouvelle fois symboliquement en deux la personne qu’il habite (on pourrait dire qu’elle la coupe en 4, comme les mythiques androgynes sont coupés en 4 !). La fantasmagorie homosexuelle nous donne maintes et maintes preuves en image de cette force fusionnelle de rupture qu’est le désir homosexuel, agissant inconsciemment en toute personne qui le ressent, lui donnant la sensation sentimentalo-narcissique de retrouver une unité amoureuse androgynique dans la dispersion : il n’y a qu’à regarder dans les œuvres homosexuelles toutes les mentions faites aux animaux à deux têtes, aux visages scindés en deux, aux jumeaux, à la cicatrice arborée par un mythique androgyne (figure de la sublimation/négation de la sexualité humaine incarnée).

 

Le désir homosexuel correspond bien à une blessure – ou plutôt une mauvaise gestion de sa coupure universelle de sexualité – car il est très souvent représenté par les auteurs homosexuels comme une entaille, une cicatrice, une balafre, une division : en plus de ce code sur la « Moitié », je vous renvoie surtout aux nombreuses occurrences faites au pirate Albator dans la fantasmagorie homo-érotiques, recensées dans le code « Désir désordonné » de ce Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Doubles schizophréniques », « Amant diabolique », « Jumeaux », « Trio », « Quatuor », « Fusion », « Homme invisible », « Miroir », « Désir désordonné », « Animaux empaillés », « Femme et homme en statues de cire », « Solitude », « Viol », « Clown blanc et masques », « Île », « Clonage », « Se prendre pour Dieu », et à la partie « Couteau » du code « Inversion », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

Pour allégoriser un désir de fusion amoureuse avec soi-même qui existait chez l’Homme bien avant qu’il ne le conceptualise, Platon a imaginé dans son Banquet (380 av. J.-C.) une race de créatures séparées par les dieux en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle : les androgynes. L’androgyne est l’être imaginaire idéal, affranchi des contraintes du temps et de l’espace, vivant du fantasme de retrouver la plénitude de la totalité originelle en lui-même, aspirant au retour au jardin d’Éden, maudissant la sexualité qui l’a coupé littéralement en deux. Rien d’étonnant que dans l’iconographie traditionnelle, il soit donc associé au diable – dans la Bible, le diable se prénomme parfois « le Double » ou « le Séparé » –, et représenté par un être asexué, mi-démoniaque mi-angélique.

 

En adoptant une conception fusionnelle et conflictuelle de l’amour, beaucoup de personnes homosexuelles se lancent à la recherche de leur moitié androgynique. Alfred Jarry, notamment, invente le concept d’« adolphisme » qui n’est pas la communion de deux êtres différents fusionnant en Un, pas même de deux jumeaux, mais l’union des deux moitiés d’un même Moi. À en croire la majorité des personnes transgenres, cette osmose serait concrètement possible grâce à la chirurgie. En recousant en elles leur moitié, elles se donnent l’illusion de résurrection et de divinité. « Je me suis relevée de la table d’opération tel Lazare sortant de la fosse » affirme par exemple Hedwig, l’homme transsexuel triomphant, dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell.

 

Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. Mais celle-ci ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.

 

MOIT

B.D. « Femme assise » de Copi

 

Le fantasme de viol ou le viol réel sont très souvent figurés dans les œuvres homosexuelles par l’image de l’androgyne coupé en deux, ou d’un même visage humain divisé symétriquement en son milieu. Les motifs du rideau déchiré, de l’orange coupée, de l’animal à plusieurs têtes, et surtout de l’Homme séparé en deux, symbolisent la division du Moi avec lui-même, ainsi que l’échec du désir androgynique qui n’arrive à faire que des clonages ratés dans la réalité concrète.

 

Ce désir de fusion-rupture pour recoller les morceaux avec soi n’est pas qu’une mise en scène de viol. Il peut en être la prémisse. Il existe un phénomène curieux et non automatique que nous pouvons constater à chaque fois qu’il y a en germe une situation de violence dans la réalité concrète : la fusion, même à l’état de fantasme, est parfois précédée d’un désir de rupture ou d’une rupture réelle, ou inversement, annonce une rupture ou un désir de rupture. Et cette fusion est d’autant plus violente que la force du mouvement de rupture qui la précédait a été forte ou désirée… comme pour un élastique. C’est le cas par exemple des hommes homosexuels avec le reste des membres du sexe masculin. Plus ils se seront coupés dans leur jeunesse (volontairement ou non) des garçons, et plus leur désir de fusion avec eux risque d’être brutal à l’âge adulte. Souvent, nous ne prenons pas soin d’analyser le désir homosexuel en relation avec une rupture ou la croyance infondée d’une rupture pensée comme définitive. Or, ce sont les personnes homosexuelles ou leurs personnages qui nous rappellent à l’ordre, comme Sonia dans le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, en parlant de sa relation amoureuse avec Chéyenne : « C’est une fusion qui nous a séparées. »

 

Pour l’esprit qui sépare unité et rupture de manière aussi radicale, du fait que pour lui elles se confondent, les unités comme les ruptures partielles de l’existence humaine seront vécues comme des véritables mutilations, des séparations abruptes, des viols. C’est ce qui fait le drame de celui qui vit du rêve de l’androgyne : il craint que la recherche de son unité agisse comme une rupture totale avec lui-même ; et paradoxalement, il croit que la rupture totale avec lui-même va lui permettre de ne faire plus qu’Un. Le viol devient alors, dans son esprit, son unité. C’est ce qui fait dire à Neil, le héros homosexuel du film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, que le viol pédophile dont il a été victime dans sa jeunesse l’a rendu unique. En effet, en parlant de son violeur, il lui reconnaît la découverte de son unicité : « J’étais son seul amour, son seul trophée. J’étais unique. » Le viol a le pouvoir de donner à ses victimes une impression d’unité dans la réification et la contrefaçon d’amour, alors que pourtant, comme le montre la scène du viol pédophile de « La Mauvaise Éducation » (2003) de Pedro Almodóvar durant laquelle le visage d’Ignacio se scinde en deux à l’écran, il cultive en elles ce désir de l’androgyne, les brise en deux, et leur annonce que sans lui elles ne valent rien.

 

L’unité que le viol ou le désir de viol impose aux personnes homosexuelles est une unité des extrêmes, écartelante mais pas toujours désagréable. Le passage du fantasme à la réalité fantasmée à travers le viol peut donner une impression d’éclatement lumineux extatique, de diversité offerte par la fausse profondeur du miroir, comme l’exprime Pietro en s’adressant à son violeur dans le film « Théorème » (1968) de Pier Paolo Pasolini en ces termes : « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. En te parlant, je prends conscience de ma diversité. »

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

FICTION

a) Un élan de la division, impulsé par le désir homosexuel (ou hétérosexuel, ou bisexuel), est symbolisé par le motif de la moitié :

MOITIÉ 1 Mala Educacion

Film « La Mala Educacion » de Pedro Almodovar


 

La moitié est un leitmotiv des œuvres homosexuelles : on la retrouve par exemple dans la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob, le film « La Face cachée de la lune » (2003) de Robert Lepage, le film « Alexander : The Other Side Of Dawn » (1977) de John Erman, le film « Uncut » (1997) de John Greyson, la photo Masculin Féminin (1998) d’Orion Delain, le roman Middlesex (2002) de Jeffrey Eugénides, le tableau Moi et Je (2002) de Xavier Wei, le dessin Encre de Chine (2006) d’Olympe, les tableaux de Pierre-André Guérin, la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès, le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi (avec l’unijambiste), le livre Le Cœur entre deux chaises (2012) de Frédéric Monceau, le film « Demi-Gods » (1974) de Wallace Potts, la pièce Un Rôle pour deux actrices et demie (2012) de Christine Berrou, le film « Separata » (2013) de Miguel Lafuente, la chanson « Les Uniques » de Nicolas Bacchus, le sketch du Testament de Muriel Robin (avec Jean-Denis, le frère coupé en deux), la chanson « Tu me divises en deux » de Marc Lavoine, la chanson « Half Ladies » de Christine & the Queens, la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet (c.f. le tableau du visage coupé en deux accroché au mur du salon), etc.

 

Dans un premier temps, la mention de la moitié apparaît parfois anodine et anecdotique : « Tu garderais la moitié du Jésuite. » (la Princesse à la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Je suis le propriétaire de la moitié de la pyramide ! » (le Jésuite dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Je vous enverrai la moitié de ma paie de bibliothécaire ! » (le Rat à la Reine, pour sa propre libération, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « La crise, ça veut dire qu’il faudra carrément se fendre à deux… de rire. » (Zize, le travesti M to F dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Je deviens sa demi-sœur. » (Jean-Charles/Jessica, le héros transsexuel M to F s’adressant à son meilleur ami hétéro Jean-Louis, dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; etc. Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit, l’héroïne lesbienne, regarde à la télévision une émission de magie dont elle invente le titre : « Ça pourrait être ‘Comment scier une femme en deux ?’ » (p. 282) Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, le titre du chapitre 2 est « Un Héros coupé en deux ».

 

Bien souvent dans la logique du désir homosexuel, le double est pensé non pas en terme d’unité (ex : le double de clé, deux jumeaux similaires mais non semblables) mais de division (ex : la moitié d’un Tout, le clone humain, etc.). « J’avais l’impression que je luttais pour rien. Comme dans ces jeux vidéo, où lorsqu’on coupe un ennemi en deux, chaque moitié redevient un ennemi potentiel. » (Bryan en parlant de son « amour » pour Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 35) Dans les pièces de Copi (Les Quatre Jumelles, La Nuit de Madame Lucienne, etc.), un personnage né jumeau peut remplacer son frère, est envisagé comme un clone ou une simple moitié du même individu : « Les jeux ne sont pas tout à fait faits, chère petite sœur. C’est toi ou c’est moi ! Puisque nous sommes jumelles ! On a commencé à se battre à l’intérieur du ventre de notre mère. » (la Comédienne à Vicky, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Après Victor, je suis devenue Mimi. Mi-homme, mi-femme. » (la narratrice transgenre F to M, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; etc.

 

MOITIÉ 2 Mujeres al borde de un ataque

Film « Mujeres Al Borde De Un Ataque De Nervios » de Pedro Almodovar


 

La présence de la moitié, loin d’être positive, indique souvent un viol ou un désir de viol chez le personnage homosexuel : « Michael et moi nous récupérons les petits corps : Pigg n’a plus de bras, à Moonie lui manque la moitié de la poitrine, Rooney a la figure déchiquetée, nous récupérons aussi la tête de la louve qui flotte près de la plage et ma jambe en métal qui est ramenée par la mer. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 104) La moitié est signe de schizophrénie, voire de folie : « une vieille à moitié folle » (Robbie en parlant de sa mère, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; « Et toi, tu t’es remis ensemble ? » (David à Olivier dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher) ; « Je suis en train de me fissurer. » (Jarry dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Ça expliquera peut-être pourquoi je me sens double, pourquoi je dois sans cesse lutter entre deux mouvances. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, Joyce, la lesbienne, soutient qu’elle « n’est pas malade » et qu’elle « veut juste un gosse »… mais on découvre qu’elle donne des croquettes à ses enfants, les fait coucher dans des litières, et dit d’un air très pince-sans-rire qu’« elle adore les enfants » et qu’elle « en a déjà mangés 4 ». Elle compte même couper en deux l’enfant que le couple Rodolphe/Claudio comptaient faire avec elle dans leur projet de coparentalité : « On fait 50/50 avec l’enfant? Je prends la tête et vous les jambes ? » Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel serial killer est souvent montré avec le visage coupé en deux.

 

En général, la division de soi n’est pas facile à vivre : « Je fais tout un peu, mais rien n’est comme je veux, me dissous un peu, me divise en deux, mais là… m’effondre, m’effondre. » (cf. la chanson « M’effondre » de Mylène Farmer) ; « L’enfant sent en lui qu’il est porteur d’une minuscule fissure. C’est une chance et une souffrance. » (Damien/Brigitte travesti M to F s’auto-décrivant, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « C’est pas rentable, l’hémiplégie. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai recollé mes morceaux. » (Mr Alvarez en travesti M to F, idem) ; « Moi, j’ai jamais réussi à être en entier à quelqu’un. » (Charlotte, l’héroïne lesbienne du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; etc. Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane parle de son amour « amputé » pour (et à cause de) Vincent. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui ne s’était jamais posé la question de remettre en cause son homosexualité, voit sa vie chamboulée par l’amour d’une femme : on le voit essayer de partager en deux une carcasse de poulet… comme pour illustrer le déchirement qu’est le désir bisexuel.

 

En plus de symboliser un rapport souffrant et désuni à l’Amour, le motif de la moitié illustre également un rapport blessé à sa propre identité. Une terreur d’être unique ou uniformisé (cf. le film « Uniformadas » (2010) d’Irene Zoe Alameda, la chanson « Les Uniques » de Nicolas Bacchus, etc.).

 

On assiste à un effondrement narcissique du « Moi » qui se perd en eaux profondes. Le héros a l’impression de ne pas exister, ou bien d’être une moitié d’Homme (ça s’appellerait, dans le langage courant, la « dépression ») : « Je ne suis pas complète et je ne le serai jamais… comprenez-vous ? Je ne suis pas complète… » (Stephen, l’héroïne lesbienne du le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 285) ; « Je ne suis pas unique. Ne dis jamais ça. » (Valentine s’adressant à Valentin dans la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev) ; « Pourquoi je ne suis pas fils unique, moi ? » (Jack, le frère homo de Daniel, dans le film « Madame Doubtfire » (1994) de Christ Columbus) ; « Jo est persuadé qu’il est unique. » (Matthieu, l’amant de Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Se sentir qu’une moitié de personne, c’est dur. » (Greta à son père qu’elle voit pour la première fois, dans le film « Órói », « Jitters » (2010) de Baldvin Zophoníasson) ; « Je suis une moitié de mime. Je suis entré dans la boîte en verre… mais je ne sais pas en sortir. » (Santiago dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Seul, tu vis comme à deux, quand tu y repenses ! Moi, je vis comme pour deux ! » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; etc. Il rêve parfois de mourir. Par exemple, dans la pièce Parce qu’il n’avait plus de désir (2007) de Lévy Blancard, le personnage homosexuel est à la recherche d’« un monde où on peut disparaître à moitié ».

 

La coupure schizophrénique dépasse la simple dimension individuelle : elle est existentielle, universelle, internationale, planétaire : « Je suis né dans un pays occupé. Une nation coupée en deux, comme l’était la sienne autrefois. » (Théo, allemand, à propos de sa grand-mère qui a eu une liaison avec un Allemand, union dont il est issu, dans le roman, À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 178) ; « Lady Gaga a fait un grand écart facial sur la Grande Muraille de Chine. » (Graziella) (dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; etc.

 

MOITIÉ 4 Hedwig

Film « Hedwig And The Angry Inch » de John Cameron Mitchell


 

Paradoxalement, le viol, même s’il coupe sa victime en deux, lui donne une impression d’unité : « Je plongeai dans la rivière. Baissant l’échine, je remontai un champ de vigne voisin, quand je sentis la masse de l’homme, comme un carapaçon de laine, me plaquer au sol en plein soleil. La chaleur de sa poigne se propagea jusqu’à mon cœur, et figea ma volonté. Il murmura à mon oreille les mots étrangers du manque et du désir. Il me lécha la nuque et le cou. Il écarta mes fesses et y colla ses joues râpeuses pour m’enduire de salive, tout en caressant mes hanches. J’avais plus que la chair de poule, mon corps tremblait tout entier comme si je n’étais plus qu’un cœur énorme, badoum, badoum… […] Quelque chose se tordait et craquait en moi. » (la voix narrative dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 15) ; « Mon père m’avait prévenu : ‘Tu finiras coupé ! » (Lacenaire se réjouissant cyniquement/orgueilleusement d’être condamné à l’échafaud, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc.

 

Pour colmater efficacement la fêlure du viol, le personnage homosexuel a trouvé une super parade : il va mettre un masque qui s’appelle « l’homosexuel », et qu’il va exhiber fièrement. Le motif de la moitié renvoie parfois explicitement à l’homosexualité. « Sergueï est moitié moitié… » (cf. les propos tenus à propos d’un danseur de ballet, dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder) Dans le film « Les deux papas et la maman » (1995) de Jean-Marc Longval, quand Jérôme refuse de se poser la question de l’homosexualité pour lui-même, sa compagne Delphine lui dit : « Mais Jérôme, on a tous une face cachée… » L’inconscient collectif associe souvent l’homosexualité à une moitié, une ambivalence. « Vincent McDoom, il est métisse : moitié homme, moitié femme. » (Anthony Kavanagh dans son one-man-show Anthony Kavanagh fait son coming out, 2010)

 

La moitié dont parlent certains héros homosexuels, c’est précisément leur homosexualité qui revient au galop et prend le pas sur l’hétérosexualité. « Et puis un jour, l’autre moitié de moi s’est réveillée. On ne peut rien faire contre ça. » (Martin le héros homosexuel s’adressant à son ex-femme Christine par rapport à sa propre homosexualité, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8, « Une Famille pour Noël »)

 
 

b) Le visage du personnage homosexuel se scinde en son milieu :

Dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité, étonnamment, on voit beaucoup de scènes où le visage du héros homosexuel se coupe en deux : cf. la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano (avec la scène du visage coupé en deux par l’ascenseur), le roman Une Langouste pour deux (1978) de Copi, le roman Les Deux Visages de Janvier (1964) de Patricia Highsmith, le film « Two Gentlemen Sharing » (1969) de Ted Kotcheff, la pochette de l’album « Meds » (2006) du groupe Placebo, le site Internet officiel d’Indochine (cf. le site http://indo.fr, consulté en juin 2005, avec la statue coupée en deux), le concert de la tournée Mylenium Tour (1999) de Mylène Farmer (où la chanteuse sort du crâne d’Isis fendu en deux), le film « El Cielo Dividido » (2006) de Julián Hernández, le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant (avec l’astrolabe cassé par Don Diego quand il avait 12 ans), l’affiche de la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, l’affiche du film « Doctor Jekyll And Sister Hyde » (1971) de Roy Ward Baker, le film « Un Autre homme » (2008) de Lionel Baier (avec le motif de l’homme coupé en deux par les baguettes chinoises), le film « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, l’affiche du film « Glen Or Glenda ? » (1953) d’Ed Wood, la photo Couleur de peau (1977) d’Orion Delain, le roman Zéro Commentaire (2011) de Florence Hinckel (avec le visage coupé en deux de Medhi sur le dessin de couverture, réalisé par Laurence Ningre), le film « Broken » (2010) de Kent Thomas, le vidéo-clip de la chanson « Luca Era Gay » de Povia, le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio (avec le visage coupé en deux de Aurora), la couverture de l’album « Mirror Mirror » du groupe Coop (avec les 4 visages coupés en 2 de Jamie McDermott), la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, la pochette de l’album Changement de propriétaire du Beau Claude, la pièce Grosses Coupures (2014) d’Antoine Rabasco, la couverture du roman Chercher le garçon (2015) de Jérémy Lorca, etc.

 

On trouve de nombreux dessins ou peintures de Jean Cocteau, de Pierre-Ant, de Francis Bacon, du peintre Paul, de Frida Kahlo, de Salvador Dalí, avec des visages coupés en deux, l’homme séparé en deux dans les toiles, etc.

 

Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, un des personnages gays, Claude Bukowski, porte une fissure rouge maquillée sur la face. Lors du générique du film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, on voit des visages déchirés en deux, sous forme de « collages » photographiques. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xav, l’un des héros homos, est obsédé par un « homme défiguré, avec une cicatrice » : « Il a la gueule coupée en deux, comme dans mon rêve. Mais il est quand même beau. » Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le héros homosexuel, se coupe le front en deux en tapant sa tête contre un punching-ball de fêtes foraines. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se met dans la peau de James, une femme qui s’est fait passée pour un homme toute sa vie, scieur de profession, et qui se prend « une poutre tombant sur son crâne » pour le fendre en deux. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, alors qu’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M se rase la barbe (ou plutôt fait semblant de le faire), elle est surprise par l’arrivée d’Akram, la belle-mère de Rana, qui l’a vue dans la salle de bain, et elle se coupe au visage. Adineh sanglotte comme une enfant devant son miroir. Mais finalement, plus de peur que de mal : « J’aurais pu te taillader le visage ! » la prévient quand même Akram. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan, à l’âge de 9 ans, a eu le visage coupé en deux car il s’est fait éjecter de son auto tamponneuse après avoir été attaqué par une meute de voitures dans un parc d’attractions appelé Magic World. Sa maman raconte l’accident : « Et schlaaack ! La joue coupée en deux, sur la barrière de protection. »

 

Souvent, le personnage homosexuel se décrit comme un pirate avec une cicatrice comme Fatigay, ou un buste sculpté fissuré : « J’y prends le rasoir jetable de Marcel et dans le cagibi à bricolage, d’un coup de marteau le brise en miettes contondantes ; du plus gros bout de lame récupéré je me taillade le visage aussi profondément que je peux, ne m’épargnant pas lèvres et paupières, et retourne tout sanguinolent me coucher sur le ventre, la tête dans mon oreiller buvardant larmes et sang. » (Vincent Garbo dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 59) ; « la longue cicatrice toute droite sur la joue de Stephen » (Stephen, l’héroïne lesbienne du le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de Solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 388) ; « Marcel se décrivait comme étant beau, grand et découpé. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 19) ; « Ils m’ont laissé ma tronche pas finie. » (la psy en évoquant ses parents, dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « On m’a laissé la tête en souvenir, son crâne triangulaire est scié en deux, bien nettoyé dans un bocal d’alcool. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 60) ; « Dites, Linda, vous avez pas faim ? Ça vous dit la cervelle ? Un crâne ça s’ouvre ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Il [Ninu-Nip] se coupa deux fois le menton. » (cf. la nouvelle « Quoi ? Zob, zut, love » (1983) de Copi, p. 7) ; « Combien de fois je t’ai dit de te protéger le visage ? » (le mac s’adressant à l’amant de Davide, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Il leva brusquement son bras avec l’intention de se taillader le visage en diagonale d’une joue à l’autre, car il lui apparut comment vraiment sensé de défigurer ce qui était déjà défiguré à l’intérieur. Une balafre ? Non, faisons-en deux ! » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, ne supportant pas son élan physique envers le jeune David, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 178) ; etc.

 

Cet homme à la tête coupée en deux, c’est l’allégorie du viol. « Et regardez ce que vous nous avez fait de notre cara diva ! Je vais me voir forcé de lui rouvrir le crâne pour récupérer le cerveau ! » (le professeur Verdureau en parlant de la cantatrice Regina Morti dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « J’ai trouvé une photo du président avec la petite fille (seulement la moitié de la tête de la petite fille rentre dans la photo) riant et regardant l’objectif. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 35) ; « Une moitié de son visage disparaissait dans une mare de sang. » (Laura décrivant son amante Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 198) ; « Tu m’as coupé, sale pute ! » (Steve, le héros homosexuel, s’adressant à sa mère incestueuse Diane, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, suite au viol pédophile qu’il a subi près du fleuve, on entend le jeune Ignacio dire, pendant que son visage se sépare à l’écran : « Un mince filet de sang divisait mon front en deux. J’eus le pressentiment que ma vie serait à cette image : toujours divisée, sans que je ne puisse rien y faire. » Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, au village de Jonathan, un gars homosexuel efféminé a été tabassé par des « casseurs de pédés » dont Jonathan faisait lui-même partie, avant de se dire également homosexuel ! Depuis ce viol, Jonathan dit qu’il est hanté à jamais par l’image de cet « homme balafré » qu’il croise dans la rue. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1985) de Copi, Vicky Fantomas est une femme avec une cicatrice sur la joue gauche, avec une attelle à la jambe ; elle a été victime d’un attentat au drugstore et peut-être qu’elle-même portait la bombe. Dans le film « Cours privé » (1986) de Pierre Granier-Deferre, Jeanne Kern, une femme au visage coupé sur une photo figure dans une partouze avec de très jeunes gens. Dans sa pièce Des Lear (2009), Vincent Nadal, en répétant le mot « bâtard », coupe son corps et son visage en deux avec sa main : « Bâtard. Pourquoi nous marquer de ce mot ? » Dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, c’est au moment où les deux amants homosexuels prononcent la phrase « C’est meilleur que l’été indien » qu’ils se coupent manuellement le visage en deux (je vous renvoie au code « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Dans le film « Adèle Blanc Sec » (2010) de Luc Besson, suite à un match de tennis entre l’héroïne et sa sœur jumelle avec qui elle maintient une relation fusionnelle androgynique (incestueuse ? elle est décrite comme « l’amie, l’ange »), finit paralysée à cause d’une broche venue se planter au milieu de son front, laissant couler un filet de sens qui lui coupe le visage en deux. Au début du film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, un homme suicidé est « coupé par le milieu » sur la voie du métro ; et on voit plus tard Ángela et Chema regarder des films d’horreur, dont « Sangre Fresca », dans lequel on voit un homme se faire ouvre le cerveau à la lame de rasoir. Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, Mamie Suzanne raconte qu’elle a fait tomber son petit fils homosexuel lors d’une fête de famille, et qu’il s’est ouvert le menton.

 

Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, les deux héroïnes principales, à savoir Jane (lesbienne en couple avec Petra) et la jeune Anna (13 ans, abusée par son père et violée par les hommes), ont la même éraflure sur le visage, à cause d’un lanceur de pierres qui a sévi autour de leur immeuble : « joue éraflée » (p. 33) ; « Jane se sentit un peu dépassée. Il était possible que la fille et elle aient été victimes du même lanceur de pierres. » (p. 44) ; « Jane songea une nouvelle fois à Anna, à l’ecchymose au-dessus de son œil qui reflétait presque la sienne. » (p. 54) ; « Vous avez une coupure sur le visage. » (un flic s’adressant à Jane, idem, p. 147) ; etc. Leur viol ou leur fantasme de viol fait l’unité entre les deux femmes coupées au visage.
 

Dans le film « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar, une femme à qui le mari vient gentiment apporter le café au lit, se fait ébouillanter la moitié du visage (on entend d’ailleurs la fameuse réplique « Nunca olvidaré esa taza de café » ; traduction : « Je n’oublierai jamais cette tasse de café. ») ; « Je me suis réveillé par un cri d’horreur. La fille de la patronne laisse tomber le plateau du petit déjeuner sur moi, le café me brûle le visage, je bondis dans mon lit. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 105) ; « À deux ans ma sœur m’a ébouillanté le visage. » (Joséphine en parlant de sa sœur jumelle Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles(1973) de Copi) ; « Une soupière pleine de pot-au-feu inonda Silvano et lui brûla le visage. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 16) ; « Silvano fut couvert de café qui lui brûla le visage, dégoulinant sur les moustaches et les poils de la poitrine. » (idem, p. 45) ; etc.

 

Un objet – spéculaire, double, et coupant, comme par hasard… – symbolise à lui seul le viol et la moitié : c’est le couteau. Le motif du couteau-miroir revient très fréquemment dans les fictions homosexuelles : « Je vais chercher un couteau de cuisine et je vais t’ouvrir en deux comme une grosse dinde. » (Claudia à Elsa, les deux servantes de la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « C’est une année à double tranchants. » (Ana, née la même année qu’Hitler, dans la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa) ; « Il se trouvait un couteau à pain sur le bar. Maria-José se concentra dans le désir de le voir s’enfoncer dans le cœur de Louis du Corbeau […]. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 38) Par exemple, le titre original de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi était Le Couteau du Rosbif. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, quand Emory dit que ses lèvres lui font mal, Michael lui répond : « Si on met un couteau sous le lit, on n’a plus mal, me paraît-il. » Harold rajoute « Et si on en met un sous la gorge, ça coupe. ».

 

MOITIÉ 5 clown

Federico Fellini


 

Le visage séparé n’est pas toujours le symbole d’un viol véritable. Parfois, il s’agit juste chez le protagoniste homosexuel d’une impression de viol parce qu’il ne s’accepte pas en tant qu’être humain unique, parce qu’il refuse la naturelle différence des sexes, parce qu’il a peur de ne pas être aimé ou d’être mal aimé, parce qu’il découvre un désir homosexuel divisant : « Quel malheur, quel coup de hache dans ma vie qui était déjà en morceaux ! » (Albert en parlant de sa passion homosexuelle, dans le paragraphe final du chapitre 8 du roman Mademoiselle de Maupin (1835) de Théophile Gautier) ; « C’est très Genre, tes fesses. » (la narratrice transgenre F to M dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; « Que laisserons-nous de nous, moitié-anges moitié-loups, quand nos corps seront dissous dans la langueur monotone du premier frisson d’automne ? » (le narrateur homosexuel du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, avec plein de visages coupés en deux à l’écran) ; « Dès demain, je vais voir l’infirmière. Tu t’es fait un traumatisme crânien, c’est pas possible autrement. » (Amy s’adressant à sa meilleure amie Karma qui veut jouer la lesbienne avec elle, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « J’ai grondé. Je me suis fendu. » (le fiancé de Gatal, dans son monologue final où il se prend pour Dieu, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; etc. Dans le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie, le visage d’Alice, l’héroïne lesbienne qui s’habille comme un garçon, apparaît coupé en deux par les portes de l’ascenseur se refermant sur elle.

 

La moitié indique la présence d’un désir sombre, noir, diabolique : « Elle [Esti] a reculé d’un pas. La moitié de son visage a disparu dans l’ombre. Autour de nous, les arbres bruissaient et bourdonnaient. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, parlant de son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman p. 143) ; « Dalida, l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire, le monstre à deux têtes. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Lorsqu’on jette une lumière crue sur la partie du visage demeurée dans l’ombre, peut-il apparaître une difformité inquiétante ? » (Anna dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 123) ; « Un ange à deux têtes, assis sur l’arbre dénudé, ricanait à mes dépens. » (la voix narrative dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 68) ; « J’avais toujours peur que les deux bouts de sa silhouette ne se détachent l’un de l’autre ! » (la voix narrative parlant de sa sœur Zohr, idem, p. 29) ; « La supérieure avait un peu de trouble dans le regard et sur son visage ; mais toute sa personne était si rarement ensemble ! » (Denis Diderot, La Religieuse (1760), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 191) ; « Je n’ai pas votre capacité à être double. » (Don Pedro à son père le Roi Ferrante, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant) ; « Quand j’aurai cassé l’œuf en deux et que j’aurai gobé le jaune, il restera… le Roi Lear. » (le narrateur de la pièce Des Lear (2009) de Vincent Nadal) ; « Il pourrait bien avoir deux têtes, Petra et moi, on l’aimera quand même. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte parlant de leur bébé, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 114) ; etc.

 

Dans la pièce de Gérald Garutti Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007), le diable est montré comme un homme coupé en deux. Dans le film « Mon Führer : La vraie histoire d’Adolf Hitler » (2007) de Dani Levy, Hitler se fait accidentellement couper une moitié de moustache. Dans le roman Le Musée des Amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, le visage à moitié caché du Maître de la secte La Guilde contribue à renforcer son action diabolique, androgynique, invisible : « Alors que le discours de Fabien se terminait, juste avant les applaudissements, deux spectateurs ont quitté la salle. […] La femme est coiffée d’un large chapeau, l’homme porte un costume noir et tous les deux arborent des lunettes de soleil. » (p. 331) Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, c’est précisément quand les personnages sont diabolisés et homosexualisés qu’ils se coupent le visage : « À mesure qu’elle s’approchait, ses traits se précisaient. Elle avait les yeux d’un bleu surnaturel. Des pommettes hautes et saillantes. Des lèvres fines couleur carmin. De loin, on aurait dit une coupure saignante. » (Jason, le héros homo décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, p. 56) ; « Hugues n’était vraiment pas mal, dans le genre austère. Mourad [l’un des deux héros homos] lui trouvait un petit quelque chose de Corto Maltese. Le côté baroudeur, pirate des mers du Sud. Il avait sûrement une belle cicatrice de guerrier quelque part. » (idem, p. 82) À la fin du roman, Mourad se coupe (accidentellement ?) le visage en se rasant (p. 205).

 
 

c) Le rideau déchiré :

MOITIÉ 14 Rideau déchiré Esos Dos

Film « Esos Dos » de Javier de la Torre


 

On retrouve le motif du rideau déchiré dans différentes créations homosexuelles : cf. le film « Cléopâtre » (1963) de Joseph Mankiewicz, le film « Tom Curtain » (« Le Rideau déchiré », 1966) d’Alfred Hitchcock, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala (avec la robe déchirée de Maxime), le film « Rideau de Fusuma » (1973) de Tatsumi Kumashiro, le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, etc. Par exemple, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, le comédien coupe en deux la scène en tirant le rideau à la moitié du plateau. Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, la moitié du visage de Marie, l’héroïne lesbienne, est coupé par le rideau de douche. « Simon a fermé les rideaux, parce que le soleil qui éclaboussait l’appartement le minait. Il est allé chercher un rasoir, et il a lacéré les rideaux. » (Mike Nietomertz dans son roman Des chiens (2011), pp. 109-110) ; etc.

 

Très souvent, le personnage homosexuel ne se prend pas tant pour un être humain que pour un drap déchiré, une image incomplète, ou une sculpture fissurée en deux : « Je suis déchiré. » (Malcolm, le héros homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « T’es déchirée ? Déjà ? » (Bernard le héros homo s’adressant au trans M to F « Géraldine » comme s’il était bourré, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Tu vas craquer. Tu es déjà plein de fissures. » (Georges à Zaza, dans la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « Il y en a un [loup] qui m’a arraché la moitié de la manche ! » (Garbenko dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi) ; « En se levant, Angela avait déchiré sa robe, ce qui sembla la désoler : elle palpa la déchirure. » (Angela, le personnage lesbien du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 181) ; « Muriel Gold, nue sous la douche, était à moitié cachée par le rideau qu’elle tenait délicatement de la main droite. » (Michel Tremblay, Le Cœur éclaté (1989), p. 215) ; « En rentrant, j’ai bouffé mes doubles rideaux. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Le jour où tu m’as regardé, c’est comme un rideau qui s’est déchiré. » (Le désaxé homosexuel déclarant sa flamme à Daniel, dans le film « Persécution » (2008) de Patrice Chéreau) ; etc.

 

Le rideau déchiré symbolise le viol : « Le chauffeur de taxi […] Il râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) La séparation de ce tissu prend l’apparence d’une ouverture, d’une fusion, mais c’est une illusion poétique. « Le nuit le rideau se déchire […] arrachons rideaux et voiles pour joindre nos corps ! » (la voix narrative du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 14) ; « L’appartement dit d’où je viens, et les rideaux ouverts, où je vais… » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier). En réalité, il dit une perte d’identité et d’amour : « Jusque-là, l’amour que j’éprouvais n’avait cessé de claquer au vent comme une voile déchirée. » (Laura, l’héroïne lesbienne du roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 19)

 
 

d) L’orange coupée en deux :

Parallèlement au symbole du rideau déchiré, on rencontre dans les fictions homosexuelles un autre motif de division : le fruit coupé en deux : cf. le film « Giorni » (« Un Jour comme un autre », 2001) de Laura Muscardin, le poème « Muerte De Antoñito El Camborio » (1928) de Federico García Lorca (avec les citrons coupés jetés à la rivière), le roman Ma Moitié d’orange (1973) de Jean-Louis Bory, le roman Oranges Are Not The Only Fruit (1985) de Jeannette Winterson, le film « Mi-fugue mi-raisin » (1994) de Fernando Colomo, la chanson « Aime » de Lara Fabian (avec la moitié d’orange), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec les tomates coupées en deux sur la planche de travail de la cuisine), la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi (avec le melon tranché), le film « Les Lauriers sont coupés » (1961) de José Ferrer (traitant de travestissement), le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio (avec les oranges dorées), etc.

 

« Cette rondelle orange, fruit-soleil fendu sur le verre » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 20) ; « Est-ce que vous prendrez une rondelle d’orange confite dans votre vino bianco, cher Bottecelli ? » (Hubert, le héros homo, à Jean-Marc le journaliste, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « J’ai aussi deux tranches de saumon et la moitié d’un citron. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 135) ; « Moi, les fruits, je les coupe en deux. » (Claude dans le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur)

 

Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, quand Benoît, le personnage homosexuel, définit l’homosexualité de son ancien camarade de classe Fifou, qu’il soupçonne d’être homo, il le coupe précisément en deux, comme un fruit) : « Il était mi-figue mi-raisin. » Parfois, l’homosexualité est, à travers le fruit coupé, présentée comme une superficialité, un stade narcissique souffrant, une séduction : « Les deux frères se ressemblaient comme une pomme coupée. » (la pièce Arlecchino, Il Servitore Di Due Padroni, Arlequin, valet de deux maîtres (1753) de Goldoni) ; « Sur le fruit coupé en deux, dur miroir » (cf. la chanson « Liberté » du groupe Cassandre, basée sur le poème de Paul Éluard) ; « Nous sommes l’androgyne tranché en deux. Je suis comme le fruit dont on a arraché la moitié et qui saigne. » (la voix narrative de la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Comme vous êtes sympas, je vais couper la poire en deux. » (Philippe Mistral dans son one-man-show Changez d’air, 2011)

 
 

e) L’Homme siamois ou l’animal à deux têtes :

Autre symbole de division illustrant l’action dispersante du désir homosexuel : l’homme à deux têtes. On le retrouve dans la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet (avec Muriel et Magdalena, les deux vieilles qui se déplacent comme deux sœurs siamoises, de manière très mécanique), le concert des Enfoirés 2008 (« Medley Le Secret des Chiffres », avec Pierre Palmade et Jean-Jacques Goldman déguisés en frères siamois), la pochette du disque de la chanson « Quel souci La Boétie ! » de Claudia Phillips (avec la chanteuse aux seins figurant deux têtes), la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti (avec l’infirmière à deux têtes), le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger (avec les personnages à deux têtes de la Cour des miracles interlope), la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec la mention d’un être mi-homme, mi-femme… en gros, du troisième sexe), le tableau Anthropométrie de l’époque bleue (1960) d’Yves Klein (avec les êtres siamois), la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (avec les demi-frères), le one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des Transpédégouines (2007) de Madame H. (avec l’enfant bicéphale), la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti (avec les frères jumeaux siamois), la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès (avec l’« Italien bicéphale »), le film « La Femme aux deux visages » (1941) de George Cukor, le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec l’homme coupé en deux), le film « Autoportrait aux trois filles » (2009) de Nicolas Pleskof, la nouvelle« Kleptophile » (2010) d’Essobal Lenoir (avec le vigile du grand magasin, comparé à un cerbère à trois têtes), le film « L’Homme aux cent visages » (1959) de Dino Risi, le film « Between Two Women » (2000) de Steven Woodcock, la photo de Patrick Sarfati (p. 195) dans la revue Triangul’Ère 1 (1999) de Christophe Gendron, le dessin de saint Sébastien (2001) de Thom Seck, la pièce Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou (avec Jean-Claude Collé, l’homme à deux têtes… ou les deux frères siamois ?), le film « Twee Vrouwen » (« Deux fois femme », 1985) de George Sluizer, le film « Abre Los Ojos » (« Ouvre les yeux », 2002) d’Alejandro Amenábar (avec l’homme aux deux visages), l’enfant à deux têtes balzacien (cf. le site http://www.histoires-litteraires.org, consulté en juin 2005), la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman (avec, en décor, la chemise à deux têtes conçue avec un seul buste), le film « Un Pyjama pour deux » (1962) de Delbert Mann, etc. Dans le film « The Lady Vanishes » (« Une Femme disparaît », 1937) d’Alfred Hitchcock, Caldicott et Charters partagent un même pyjama.

 

Nombreux sont les personnages homosexuels affichant leur bilatéralité androgynique (l’androgyne est coupé en deux, voire en quatre) : « J’ai laissé mon double se détacher de moi. » (Robert dans la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « On a pensé à se suicider… mais comme on avait qu’une corde pour deux… » (Stéphane dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Privée de joujou à double têtes pendant 6 mois ! » (Sharon à sa compagne France, dans la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne) ; « Merde… Si ça se trouve, je suis bipolaire ! » (Louis, le héros homosexuel, dans la pièce Dépression très nerveuse(2008) d’Augustin d’Ollone) ; « J’ai huit doigts et deux têtes. » (Marthe, l’héroïne lesbienne, dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) ; « Je me suis plié en deux… pour ne pas dire en quatre. » (François, le héros homosexuel du one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « L’été, on le passait avec les touristes. […] Les autres [hommes] nous suivaient dans les dunes, les fourrés, succombaient à nos baisers de pieuvres à quatre jambes, sœurs siamoises à deux sexes. » (Cécile en parlant de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 48) ; « J’ai passé mon temps à vous séparer et à recoller les morceaux ! » (Jasmine aux deux demi-frères Djalil et François, dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Parmi les affaires de Kévin, il y avait plusieurs tableaux. L’un d’entre eux représentait deux visages de profil, superposés, avec un seul œil en commun. » (Alexis Hayden et Angel of Ys, Si tu avais été… (2009), p. 13) ; etc. Par exemple, dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues), l’opération du changement de sexe nous est présentée comme le simple pliage d’un papier par le docteur Francisco. Le film « Unfinished : Exploring The Transgender Self » (2013) de Siufung raconte l’origine de l’Homme en tant qu’organisme ayant deux séries de bras et de jambes ainsi que deux visages sortant d’une grosse tête.

 

Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, l’amant homosexuel, Georges, est à la fois invisible (il est toujours absent) et bipartite : « Finalement, elle a trois jambes, cette fiancée ? » (Adèle s’adressant à son frère homo William en feignant d’ignorer le sexe de son amant Georges) William finit par le confondre avec un pyjama à « deux pattes et deux manches en chiffon ». Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, un des tableaux de Ben, le héros homo, représente un homme à deux têtes (siamois, donc) tenant sur ses genoux un bébé.

 

Cet être double décrit dans les fictions homo-érotiques est en général le représentant de diabolos, l’esprit double qui divise : « Gerry ressemblait aux jumeaux d’‘Alice in Wonderland’ de Walt Disney, Tweedledee et Tweedledum. » (Jean-Marc en parlant d’un ami homosexuel, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 169) Dans le roman L’Hystéricon (2010), le duo de gossip girls Karen/Amande est surnommé « les siamoises » (p. 31). C’est le cas d’autres duos de langues de vipère de ce même ouvrage : « Quand je leur jetais de nouveau un regard, elles [Varia et sa copine] s’étaient transformées en monstre à deux têtes et ricanaient de plus belle, en renversant à tour de rôle leurs chevelures blonde et brune. » (Jason, le personnage homosexuel décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, idem, pp. 59-60) Dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, le duo impitoyable formé par le chef d’entreprise Mérovinge et sa masculine assistante Nathalie Stevenson (une femme blonde, grande et mince, portant un smoking noir Yves Saint-Laurent et une balafre) glace le sang… : « Nathalie pense comme moi. Tu sais qu’elle ne se trompe jamais, il lui suffit de voir une personne quelques minutes… Même si elle juge un peu à la cravache. » (Mérovinge, p. 214) ; « Leur obscure et défunte relation le hantait toujours. Il désirait lui plaire encore, non pour la conquérir, mais par désir enfantin de ne pas décevoir cette ancienne et violente maîtresse. » (idem, p. 215) ; « Antoine s’attarda sur la fraîche balafre qui barrait la joue de Nathalie Stevenson. » (idem, p. 240) ; « la balafrée de luxe » (idem, p. 244) Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Ahmed est pris par les deux travelos Fifi et Mimi pour le (ou les !) fantôme(s) du Vicomte : « C’est deux personnes ! » soutient le premier ; « C’est une seule ! » embraye le second. Dans la mise en scène d’Érika Guillouzouic (2010) de la pièce Le Frigo (1983) de Copi, le protagoniste homosexuel/transsexuel est coupé et maquillé en eux : une moitié figurant le fils, une autre sa mère… et tour à tour, l’un des personnages prend le dessus sur l’autre, dans une débauche verbale d’une grande violente.

 

MOITIÉ 6 Aigle

Film « L’Aigle à deux têtes » de Jean Cocteau


 

En lien avec le code de l’Homme à plusieurs visages, on voit très fréquemment surgir dans la fantasmagorie homosexuelle les animaux à deux têtes : cf. la pièce L’Aigle à deux têtes (1946) de Jean Cocteau, le Musée d’Histoire Naturelle du film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (avec des images d’animaux à deux têtes ou biscornus au tout début du film), le film « La Chatte à deux têtes » (2001) de Jacques Nolot, la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon (avec Dimitri et ses deux « inséparables »), le roman La Bête à trois têtes (1999) de Boniblues, le roman Une Langouste pour deux (1978) de Copi, le film « Einaym Pkuhot » (« Tu n’aimeras point », 2009) d’Haim Tabakman (avec le poulet coupé en deux), la comédie musicale Toutes les chansons ont une histoire (2010) de Frédéric Zeitoun (avec les deux mainates), le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa (avec les deux chiens identiques baladés en laisse), le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Chanel et Saucisse, les deux teckels du coiffeur gay) ; etc. « Coupé en deux, le chiwawa ! » (César le héros hétéro, en parlant d’un ami qui a tué sa chienne, dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; « Tous les garçons et les filles étaient des aigles à deux têtes. » (cf. la chanson « Flower Power » de Nathalie Cardone) ; « Ils aiment beaucoup aussi un jeu très singulier qui consiste à courir à toute allure dans la ligne de démarcation entre la mer et le sable. […] parfois deux ensemble (les chiens), parfois seuls. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 13) ; « Le boa a la tête coupée » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 59) ; « Mais je ne veux pas manger un poulet entier ! Une moitié me suffira. » (Regina Morti dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Ah, non ! Nous n’aurons qu’un rat à nous deux ! » (le Jésuite dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, Jean donne une moitié de couille de boa constrictor à Micheline (on ne sait pas trop, d’ailleurs, de quelle couille il parle…) : « Tiens, la moitié de la mienne. C’est exquis ! »

 

MOITIÉ 12 Kang

B.D. « Kang » de Copi


 

L’animal coupé peut renvoyer au viol ou au fantasme de viol (division identitaire avec soi-même). « Le personnage de Carlos Sanchez en avait marre de rester dans le buisson à espionner Lola. Et il décide de la violer à l’intérieur de son camion, sur une moitié de vache, étalée par terre, comme lit. Lola Sola se débat. Mais on comprend tout de suite qu’elle aime ça. Qu’elle aime un homme puissant. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 253) Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, face à ses problèmes d’identité et de dépression, va consulter un psychiatre qui lui montre des dessins que lui identifie comme « deux rats qui se mangent » avant de se résigner à y reconnaître un papillon.

 
 

f) Une vision androgynique de l’amour :

MOITIÉ 7 Carlos de Lazerne

Roman « La Veuve de minuit » de Carlos de Lazerne


 

En général, l’amour homosexuel – et c’est très clairement illustré dans les fictions – se caractérise par une recherche de fusion-rupture avec un semblable sexué androgynique, coupé en deux ou portant une curieuse cicatrice : cf. le recueil de poésies Androgyne, mon amour (1977) de Tennessee Williams, le film « 2 × Adam, 1 × Eva » (1959) d’Herbert Jarczyk, le film « The Sum Of Us » (1994) de Kevin Dowling et Geoff Burton, etc. « la fêlure qui te défigure » (cf. la voix narrative s’adressant à l’amant, dans la chanson « Un Merveilleux Été » d’Étienne Daho) ; « Un pare-brise de Twingo ? Fendu en deux, en plus… C’est gentil, je suis pas intéressé. » (le héros homo, réincarné en vitre, et accosté par une autre vitre, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; etc. Le personnage homosexuel se voue à un dieu divisé en deux qu’il appelle « Amour » ou « Couple » : « Vous êtes presque des demi-dieux… Rien n’est vraiment impossible aux créatures de votre espèce. Vous avez lu Platon. Alors à deux, tout est possible. » (Thibaut de Saint Pol, N’oubliez pas de vivre (2004), p. 155) ; « C’est un fruit sucré que l’univers et la terre ensemencent, un cadeau divin qui t’est offert. Si tu crois à cette chance, la vie s’arrange pour nous donner l’autre moitié d’orange. » (cf. la chanson « Aime » de Lara Fabian) ; « Nous sommes tous nés d’un amour amputé. » (François, le héros homosexuel du one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Avez-vous déjà remarqué que lorsque deux visages s’embrassent, ça forme un cœur ? » (Matthieu le héros homo dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Il me reste une moitié de cœur. Allez, viens la partager ! » (Jonathan s’adressant à son amant Matthieu, idem) ; « Tu es l’autre partie de moi. Grâce à toi, je suis entière. » (Peyton, l’héroïne lesbienne parlant à son amante Elena dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Vianney part très vite. Je sens à nouveau le souffle de son corps, chaud cette fois, qui s’éloigne de moi et qui, en s’arrachant à moi, m’enlève une partie de moi-même que je viens à peine de retrouver et dont je dois déjà me détacher. » (Mike racontant son aventure d’un soir avec un certain Vianney qu’il accueille chez lui alors qu’il a les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 86) ; « C’est comme un morceau de ma chair qu’on vient de sectionner. » (l’amante face à la rupture avec Éléonore dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « À ce moment, elle ne connaissait rien d’autre que la beauté et Collins, et les deux ne faisaient qu’un seul être, qui étaient Stephen. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 26) ; etc.

 

Les œuvres artistiques telles que le film « The Man Who Fell To Earth » (« L’Homme qui venait d’ailleurs », 1976) de Nicolas Roeg, le roman Ma Moitié d’orange (1973) de Jean-Louis Bory, le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Nous étions un seul homme » (1978) de Philippe Vallois, le roman L’Autre moitié de l’homme (1975) de Joanna Russ, le film « El Cielo Dividido » (2006) de Julián Hernández, ou le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, revisitent le mythe de l’androgyne. L’amant homosexuel est considéré comme le morceau de puzzle manquant à l’identité profonde de l’être et à la réalisation de l’amour plénier : « Je crois que je l’ai trouvé. Celui qui va tout réparer. » (Charlie en parlant de l’homme qu’il aime, dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear) ; « Il faut que je retrouve mon autre moitié. » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra parle toujours de sa « fente »; et elle cherche à diviser ses amantes : « Je compris que, sur ce plan-là, tout était maintenant changé. Comme si une digue s’était rompue en elle. » (p. 186)

 

Très souvent, le personnage homosexuel adopte un vision fusionnelle/désunie de l’amour femme-homme, et donc du couple homme-homme ou femme-femme. Il vit dans l’utopie de la complétude amoureuse parfaite avec un autre lui-même, une symbiose sans Désir mais débordante de sentiments narcissiques immatures. « Vous êtes ma juste moitié d’un Tout indissociable. » (Janine à Simone, dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer) ; « Aimer… C’est quand tu fais partie de moi. Si tu n’es plus là, tu me manques. Je ne suis plus que la moitié de moi-même. » (Bryan à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 328) ; « Il me faudrait là ta main pour étreindre une à une mes peurs de n’être plus qu’une. » (cf. la chanson « Pas le temps de vivre » de Mylène Farmer) ; « Tu as lu le Symposium de Platon ? Je pense que l’amour, c’est la recherche de sa moitié. » (Leo à son amant Ryan, dans le film « Drift » (2000) de Quentin Lee) ; « Il fallait que je sache que nous étions deux pour prendre une consistance. Seule, je n’existe pas. Je ne sais pas être le singulier de notre pluriel d’avant. » (Anna dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 64) ; « Côte à côte, comme des mailles au lit. » (Arnaud à son amant Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes…(2009) d’Alberto Lombardo) ; « Nous avons attaché le président au pape avec une corde. Ils ont l’air de deux saucissons ficelés ensemble. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 59) ; « C’est comme un morceau de ma chaire qu’on vient de sectionner. » (l’amante face à la rupture avec Éléonore, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Redonne-moi l’autre bout de moi, tout ce qui fait qu’on est Roi. » (cf. la chanson « Redonne-moi » de Mylène Farmer) ; « Quand je suis seul, je ne suis plus rien. Je ne supporte pas la solitude. » (Paul Verlaine dans le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland) ; « J’ai dans le cœur comme un poids de n’avoir fait le choix, Lui ou toi. Mes deux moitiés d’homme, sans eux je n’suis rien. » (cf. la chanson « Lui ou toi » d’Alizée) ; etc.

 

Dans le Musée des Amours lointaines du roman éponyme (2008) de Jean-Philippe Vest, les billets sont toujours vendus par paires, même quand le visiteur vient seul. D’ailleurs les personnages amoureux se regardent parfois comme des hermaphrodites (habituellement représentés endormis dans l’iconographie traditionnelle), comme des objets : « Il [Ethan] ne sait pas depuis combien de temps il regarde Hillary dormir. Les draps blancs ne recouvrent que la moitié de son corps. Le reste, Ethan le caresse doucement, du bout des doigts, comme une œuvre d’art trop fragile. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 13) Dans le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille » (2009) d’Ella Lemhagen, Patrik pense au départ que ses deux « pères » adoptifs, Sven et Göran, sont des « demi-frères ».

 

Le désir homosexuel signale la présence d’une déchirure. Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, c’est précisément quand Esti, l’héroïne lesbienne, ressent un émoi sensuel pour une jeune prof d’histoire, mademoiselle Schnitzler, qu’en l’aidant à accrocher un poster au mur, le poster se scinde en deux : « Celui-ci se déchira en son milieu. ». Elles réparent leur maladresse avec du scotch : « Esti considéra le résultat final. La déchirure était à peine visible ; elle ne la voyait que parce qu’elle savait où elle était. » (pp. 80-81) Toujours dans ce même roman, c’est quand Dovid, le mari d’Esti, la découvre accidentellement au lit avec une femme, qu’il la voit en double : « En regardant Esti, il ne voyait pas une Esti, mais deux. » (p. 240)

 

Le fantasme amoureux de l’androgyne touche socialement beaucoup de couples fictionnels vivant sans amour mais pourtant dans l’utopie de la fusion androgynique appelée cinématographiquement « amour » ou « coup de foudre », qu’ils soient hétéros ou homos peu importe. « Demain, j’épouse une femme que je n’aime pas. Et je perds à jamais une moitié de moi. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto)

 

Cette conception égocentrique et fausse de l’Amour ne laisse pas, en général, les amants homosexuels fictionnels dans la paix (car qu’est-ce que l’Amour véritable si ce n’est Celui qui nous apprend que nous sommes uniques ?) : « Allez grouille, avant que la foudre nous coupe en deux ! » (Venceslao à son cheval dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) Ils ont l’impression de vivre un amour incomplet, décevant, au rabais, maudit par Dieu. « Avant toi j’étais entier et maintenant je suis une moitié. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Ils attendent sous l’abri que la tempête passe, tout en riant de leur situation cocasse. […] Un éclair illumine le ciel, suivi rapidement d’un coup de tonnerre, un signe que la foudre vient de tomber tout près. Puis, dans un vacarme ahurissant, un autre éclair s’abat sur leur refuge. Le tronc se fend, et une partie s’effondre. Abasourdi après avoir été projeté de deux mètres par la foudre, Ahmed rouvre les yeux et cherche Saïd. […] Saïd est mort, tué par l’orage, un signe peut-être que Dieu n’approuve pas ce que les garçons s’apprêtaient à faire ce soir. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 48)

 

La fusion est tellement désirée au cœur du couple homo que les amants finissent par s’étouffer et se détester, même s’ils sont incapables de se quitter : « Tu n’avais qu’à épouser Christopher Palm au lieu de te coller à moi comme une sangsue ! » (Fougère à sa sœur Joséphine dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Tu joues la meilleure amie, et puis après, tu joues la parfaite hystéro qui m’arrache la moitié du visage ! […] Arrête de me toucher ! J’vais finir en morceaux avec toi ! » (Fred, le héros homo, à sa meilleure amie Alice dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) ; « Jamais je ne vous quitterai, le ciel devrait-il s’écrouler, parce que nous sommes un seul être, une seule âme divisée en deux moitiés qui se tourmentent. » (Daventry à Garnet Montrose, dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 156)

 

Quelquefois, les amants homosexuels vont même jusqu’à se prouver la folie de leur amour fusionnel en se violant, en se coupant en deux : « Mon plan consistait à passer une nuit avec toi. Cette nuit-là, je t’aurais baisée jusqu’à te fendre en deux. » (Victor à Helena, dans le film « Carne Trémula », « En chair et en os » (1997), de Pedro Almodóvar) ; « Je te fends la chatte ! » (Venceslao s’adressant à Mechita dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi) ; « Ce matin, j’ai pris la décision de casser Rachid en deux, comme une biscotte. » (Jean-Luc par rapport à son petit copain Rachid, dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch) ; « Si tu me coupes, je te fends comme une bûche. » (Don Cristóbal au coiffeur dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « Je lui [Jean-Marie] défonce le crâne d’un coup de hache. » (la voix narrative parlant de Jean-Marie, dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 112) ; etc. En coupant son partenaire en deux, le héros homosexuel ne fait pas que le violer (du moins, à ses yeux) : il fait le travail de sexualité à la place de Dieu, donc de « création » dira-t-il, d’« amour ». Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis, le héros homosexuel, considère l’identité et l’amour comme un éclatement, une errance, une fusion où les partenaires passent leur temps à se dérober (dans tous les sens du terme !) l’un l’autre : « Je suis amoureux de celui qui détient ma pièce perdue que je veux te voler. » (Denis à son amant Luther) Pour lui, « vivre c’est continuer à vivre en pièces détachées, le sourire aux lèvres ». Et bien sourions et « éclatons-nous » au lit… avec le rictus forcé de Ronald McDonald’s.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Un élan de la division, impulsé par le désir homosexuel (ou hétérosexuel, ou bisexuel), est symbolisé par le motif de la moitié :

 

Je vous encourage à lire attentivement le code « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, qui va de pair avec celui-ci, et qui insiste davantage sur les effets écartelants du désir homosexuel que sur les représentations iconographiques de la division.

 

MOITIÉ 8 La Fille coupée

Film « La Femme coupée en deux » de Claude Chabrol


 

Qu’on se le dise. Le code de la moitié n’est pas uniquement fictionnel, même si, bien évidemment, aucune personne humaine n’est un être à demi, ou n’arrivera à fusionner complètement avec son partenaire sexuel, tout « amoureux » et « en connexion » qu’ils se prétendent. Il est juste le reflet d’une réalité désirante, d’un fantasme de viol/de séparation consubstantiel au désir homosexuel. « Les mots ‘maniéré’, ‘efféminé’, résonnaient en permanence autour de moi dans la bouche des adultes : pas seulement au collège, pas uniquement de la part des deux garçons. Ils étaient comme des lames de rasoir, qui, lorsque je les entendais, me déchiraient pendant des heures, des jours, que je ressassais, me répétais à moi-même. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 84) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. […] Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. » (idem, p. 193) Cela ressemble à de la science-fiction, à une grosse blague, mais ce fantasme de la moitié est partagé par beaucoup plus d’individus homosexuels qu’on ne l’imagine : ils s’imaginent presque tous au pluriel. « Ma maison avait deux tours : l’une plongée dans la lumière et l’autre obscure. » (l’écrivain français Hugues Pouyé parlant de son enfance, sur le site Les Toiles roses en 2009) ; « Ma vie intégrait cette limite. Elle se fendillait dans les épreuves quotidiennes, se nourrissait d’être aimée pour ce que j’étais et non comme un idéal. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 59) ; etc.

 

Dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti, par exemple, un des témoins homosexuels exprime ses dernières volontés de manière bien étrange : « Quand je mourrai, je veux qu’on m’enterre dans deux cercueils différents. » Dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier, le dragking interviewée (une femme transgenre se travestissant en homme en attendant d’être opérée) doute de son unicité et de l’unicité de l’être humain : « Quand on est trans, on déteste le manque. On veut être complet. Mais personne n’est complet. » Dans l’émission radiophonique Je t’aime pareil de France Inter (spéciale « Les différentes manières de gérer son homosexualité », diffusée le 24 juillet), il est question du terme « fem » qui qualifierait les femmes lesbiennes comme des demi-femmes.

 

La moitié est une projection identitaire narcissique. Généralement, elle provient d’une identification excessive à un acteur ou à un être de fiction. « Ce n’est qu’après avoir vu ‘Le Prince et le Pauvre’ que je reconnus mon autre moitié en la personne de Jimmie Trimble. » (Gore Vidal parlant d’un acteur de film, dans son autobiographie Palimpseste – Mémoires (1995), p. 35) ; « Être homosexuel, être Juif, être Blanc sont les 3 jambes sur lesquelles je marche. J’aime utiliser ma judaïté. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; etc. En 1907 en Allemagne, le chancelier Bernhard von Bülow est saisi par la tourmente homo-judiciaire. En effet, Bülow est accusé d’entretenir des relations « contre nature » avec son secrétaire privé, un certain Max Scheefer, qu’il aurait appelé « ma meilleure moitié ». En 1908, selon Weindel et Fischer, « les homosexuels subissent les seuls instincts femelles, qui les mettent en antagonisme avec eux-mêmes, et c’est bien la forme de lutte la plus rude et la plus douloureuse dont un être pensant puisse se trouver déchiré » (p. 212).

 

La découverte – non pas de son désir homosexuel mais – de l’acte homosexuel a souvent un effet dispersant, schizophrénique : « J’avais le sentiment que, sous mes pieds, la terre s’était fendue en deux et que je glissais irrémédiablement dans une faille, sans pouvoir y échapper. » (Jean-Michel Dunand parlant de la découverte concrète de l’acte homosexuel, dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 31) Cette division identitaire illustre un manque d’unité avec soi-même et avec les autres, y compris au niveau social. « Je m’enfermais dans un personnage à deux visages. J’étais l’illustration vivante du héros né de l’imagination de Robert Louis Stevenson dans la nouvelle L’Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Le bon grain et l’ivraie qui nous habitent tous se scindaient sous l’effet d’une drogue chez ce notable anglais. » (idem, p. 50) ; « En réalité, j’éprouvais tous les jours qu’il n’y avait pas de place pour moi dans le marxisme et, à l’intérieur de ce cadre comme partout, je devais vivre une vie divisée. J’étais coupé en deux : moitié trotskiste, moitié gay. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010, p. 205) ; « J’ai demandé au ciel de me dire pourquoi je suis là ? Qui j’étais ? Et quelques jours plus tard, on dit que le hasard n’existe pas, je regardais la télé le soir en zappant les chaînes, je vois un film érotique chouette et je vois un homme de dos, et l’autre personne je la voyais pas et après je me rends compte que ce sont deux homosexuels. Je n’avais jamais vu d’homosexuel en chair et en os et de les voir en plus en plein acte de violence. J’ai eu comme un coup de poignard, une monté de colère, un viol de mon être, une déchirure, je savais ce que c’était des pédés mais le voir physiquement a été comme un choc, comme une balle en pleine tête et à partir de ce moment-là ma vie est devenue un enfer, car je suis quelqu’un de craintif, et le moindre problème qui surgit faut que je tente de le résoudre sinon je peux paniquer très vite et là je me remémore ces images sans cesse. À m’en faire gerber et presser ma tête et ma poitrine continuellement comme dans un étau. Je me suis dit : ‘T’es un homme et eux aussi donc tu peux faire cet acte aussi’ et que je ne pouvais imaginer qu’un homme puisse descendre aussi bas dans l’instinct animal malsain. » (cf. le mail d’un ami, Pierre-Adrien, 30 ans, juin 2014) ; etc. Quand on ne vit pas concrètement ce qu’on sait de juste, on expérimente l’écartèlement du libertin ; on devient romantique à défaut d’être vrai et aimant, et cela nous fait théâtralement/vraiment souffrir : « Au fond, depuis l’adolescence, je suis déchiré entre mon rêve romantique et mes fantasmes parfois avilissants. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 46)

 

La division identitaire qu’expriment certaines personnes homosexuelles peut également provenir d’un viol. « Mon cousin a profité de moi. Mon cousin avec qui il s’est passé des choses… très dures. C’était avec lui que j’ai perdu une partie de moi. Une fois mariée avec lui, il m’a fait payer le fait que j’aie été avec une fille avant. Il m’a séquestré. Il y a eu des coups. J’étais juste un corps. » (Amina, jeune femme de 20 ans, lesbienne, de culture musulmane, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) L’étrangeté de la séparation que fait vivre le viol, c’est qu’elle peut donner l’impression d’une unité et d’une vérité, l’espace d’un instant. « J’ai senti son sexe chaud contre mes fesses, puis en moi. Il me donnait des indications ‘Écarte’, ‘Lève un peu ton cul’. J’obéissais à toutes ses exigences avec cette impression de réaliser et de devenir enfin ce que j’étais. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 152-153) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc. Par exemple, Giulia Foïs, en parlant de son viol, dit « Je suis une sur deux ».

 
 

b) Le visage de la personne homosexuelle se scinde symboliquement en son milieu :

MOITIÉ 9 Internet

 

« Ernst Röhm est typiquement ce que l’on appelait à l’époque une ‘gueule cassée’. Des éclats d’obus lui ont enlevé la moitié du nez et entaillé ses joues. Malgré les miracles qu’accomplit dès cette époque la chirurgie esthétique, dopée par la Première Guerre mondiale, il porte pour toujours sur sa face des stigmates du Grand Massacre qui imposent le respect, les glorieuses cicatrices du héros de la Grande Guerre. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 217)
 

Le dédoublement de personnalité impulsé par le désir homosexuel est exprimé concrètement par certaines personnes homosexuelles. Elles se disent incomplètes : « Je rêve de conquérir la partie manquante de moi-même. » (Hervé Guibert cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 482) ; « Le monde se fissure, et le mystère s’épaissit… » (la phrase de conclusion du documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Aujourd’hui, je suis complet. » (Axel, homme transsexuel M to F, après son opération de « changement de sexe », dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; « Sur le front de Slimane, il y a quatre rides. Au bout de son nez, il y a comme une petite fissure. Slimane dit que sa grand-mère Maryam a la même. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 104) ; etc. Souvent, elles se décrivent comme un pirate avec une cicatrice, et s’identifient aux visages coupés. « Mireya [l’héroïne de la série La Vie désespérée de Mireya, la Blonde de Pompeya] taillade le visage du Morocho, son homme, avec une bouteille de vin Mendoza qu’elle a cassée sur le comptoir en étain du café El Riachuelo. Mireya court désespérée dans la rue. Il pleut des cordes. La blonde s’appuie contre un réverbère et pleure à chaudes larmes. Ses pleurs se mélangent aux gouttes de pluie. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 247) Par exemple, elles disent leur passion pour le manga japonais Albator ; et ce personnage est parfois utilisé comme pseudonyme sur les sites de rencontres Internet (cf. je vous renvoie à la partie sur « Albator » du code « Désir désordonné » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Dans l’affiche de son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus a choisi de peindre son corps et son visage en noir, avec des inscriptions xénophobes et ethniques, figurant ainsi sa schizophrénie spaciale.

 

L’action de se couper le visage n’est pas à prendre dans son sens littéral, mais à mon avis, à interpréter comme un refus d’accepter son identité humaine, et plus largement la réalité de la sexualité. « Je suis une homme et un femme. » (Orlan, l’artiste « performer » F to M) Pour certaines personnes homosexuelles, la découverte de la différence des sexes a parfois été bêtement vécue comme un coup de hache, une séparation définitive de l’Amour (femme/homme, mais aussi créature/Créateur). C’est le cas de l’écrivain Jean Genet, par exemple. « Il ne meurt pas. La conscience reflue, Genet renaît de ses cendres ; la tante-fille, coupée en deux par le couteau d’abattoir, se recolle. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 133)

 

La moitié de visage ou de cerveau est aussi une possible conséquence de l’homophobie, c’est-à-dire du viol qu’ont vécu certaines personnes homosexuelles : « J’ai une partie du cerveau qui a été atrophiée. » (Bruno Weil, jeune homme homosexuel passé à tabac par quatre hommes qui l’ont laissé pour mort, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014)
 
 
 

c) Le rideau déchiré :

Parfois, la personne homosexuelle ne se prend pas tant pour un être humain que pour un drap déchiré. Cela peut renvoyer à une figuration de la schizophrénie ou du viol/de l’inceste : « Tu as encore ton extase ? Tu sais, elle [Cecilia] ne veut pas toucher mon rideau. » (Ernestito dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 229) ; « En me rendant devant la chambre de mes parents ces nuits où, tétanisé par la peur, je ne trouvais pas le sommeil, j’entendais leur respiration de plus en plus précipitée à travers la porte, les cris étouffés, leur souffle audible à cause des cloisons trop peu épaisses. (Je gravais des petits mots au couteau suisse sur les plaques de placoplâtre, ‘Chambre d’Ed’, et même cette phrase absurde – puisqu’il n’y avait pas de porte –, ‘Frappez au rideau avant d’entrer.’) Les gémissements de ma mère, ‘Putain c’est bon, encore, encore.’ J’attendais qu’ils aient terminé pour entrer. Je savais qu’à un moment ou à un autre mon père pousserait un cri puissant et sonore. Je savais que ce cri était une espèce de signal, la possibilité de pénétrer dans la chambre. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 81-82)

 
 

d) L’orange coupée en deux :

Concernant le motif des fruits coupés en deux, il est amusant de le voir employé dans des contextes réels où apparemment il n’a rien à y faire. Par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense de Copi (1981, mise en scène de 2010 par Florian Pautasso et Maya Peillon), des fruits – kiwis, mandarines – sont coupés en deux pendant la représentation.

 

Il n’est en général pas synonyme d’amour unifié et durable. Dans son autobiographie Recto/Verso (2007), Gaël-Laurent Tilium définit les soirées avec ses « potes de baise » (ou « fucking-friends ») comme la « seconde moitié d’orange » d’une sexualité amuse-gueule (p. 226).

 

Pour la petite histoire, les relations homosexuelles étaient désignées dans la Chine du VIe siècle avant J.-C. sous le terme d’amours de la « pêche partagée » (cf. Assises de la Mémoire Gay, Gays et lesbiennes en Chine (2004), p. 9).

 
 

e) L’Homme siamois ou l’animal à deux têtes :

MOITIÉ 10 Glen or Glenda

Film « Glen Or Glenda ? » d’Ed Wood


 

Nombreux sont les sujets homosexuels affichant leur bilatéralité ou se décrivant comme deux personnes alors qu’ils n’en sont qu’une. « Je suis toujours deux. » (Cécile Vargaftig, interviewée à l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle, Paris, le 7 mars 2011) ; « J’ai commencé à vivre deux vies séparées. Je devenais un homosexuel. » (Guy Hocquenghem, cité dans l’émission-radio Je t’aime pareil d’Harry Eliezer sur France Inter, spéciale « Papa, maman, les copains, chéri(e)… je suis homo », le 10 juillet 2010) ; « À deux, vous essayez de faire une personne, ok ? » (le comédien Jarry en boutade à deux spectateurs pendant son one-man-show Entre Fous Émois, 2008) ; « On passait des heures devant les agneaux à deux têtes. Il était bouleversé. » (la voix-off de la mère de Bertrand, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; « Le double, moi, ça m’effraie. Ces deux sœurs ont la similarité des jumelles. On aurait dit qu’elles auraient voulu être siamoises. » (Celia s’adressant à Bertrand à propos d’une toile figurant deux sœurs identiques, idem) ; etc. Ils perpétuent de manière partielle et souvent inconsciente le mythe de l’androgyne platonicien : comme l’explique Jean Libis dans son essai Le Mythe de l’Androgyne (1980), « L’androgyne, c’est l’Un-en-deux. » (p. 273). On peut lire dans L’Humanité du 20 mai 1993 l’article de Jean-Pierre Leonardini au titre éloquent : « Un Homme inverti en vaut deux ».

 
 

Photo Henri Michaud (1925) de Claude Cahun

Photo Henri Michaud (1925) de Claude Cahun


 

Dans le monde artistique, l’androgynie ou l’hermaphrodisme ont parfois été représentées par une statue avec deux têtes : c’est le cas de l’étrange sculpture Métamorphose d’Hermaphrodite et Samalcis (v. 1520) de Mabuse exposée au Musée Van Beuningen (Pays-Bas). Généralement, la scission identitaire souhaitée, et exprimée dans les arts, n’est pas de bon augure. Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, les didascalies de l’entrée de la mère de « L. » sont le signe d’une ambiguïté de sexes (elle est un trans), d’une violence androgynique à venir : « (L. rentre avec un double costume qui représente sa mère d’un côté, et L. en robe de chambre et moustaches de l’autre.) »

 

 

Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Déborah, personne intersexe élevée en fille, et son amie Audrey, elle aussi intersexe, se baladent au Muséum d’Histoires Naturelles de Lausanne (en Suisse), et y observent les animaux empaillés, et notamment un « Chat : Monstre à tête double ».
 
 

f) Une vision androgynique de l’amour :

MOITIÉ 11 Mylène

Concert de Mylène Farmer


 

D’un point de vue amoureux, de nombreuses personnes homosexuelles adoptent une conception androgynique du couple (= le couple ne serait pas formé de personnes entières et uniques, mais de deux moitiés d’une même personne) : « Toutes les histoires d’amour sont des projections. À travers l’autre on est amoureux d’une partie de soi qu’on n’a pas exploitée, la partie perdue de soi-même. » (Étienne Daho dans le site www.citation.ca, consulté en janvier 2007) ; « Deux êtres qui s’aiment fort sur la Terre forment un ange dans le ciel. » (Jean-Claude Brialy cité dans la revue Triangul’Ère 7 (2007) de Christophe Gendron, p. 9) ; « Quand j’ai fait la connaissance d’Ali, par le biais d’un site de rencontres gay en avril 2004, il avait quasiment la moitié de mon âge. J’ai d’abord aimé son visage, sa jeunesse. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 99) Le « monologue avec l’amant » (cf. le documentaire « Le Bal des chattes sauvages » (2005) de Véronika Minder), voilà le rêve que beaucoup d’entre elles veulent réaliser. Luis Cernuda, par exemple, est défini, non sans raison, comme le « poète de l’amour incomplet » (Armando López Castro, Luis Cernuda En Su Sombra (2003), p.163).

 

Dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, Patricia a épinglé sur pinces à linge les moitiés de portraits de visage de ses parents, qui maintenant ne s’aiment plus d’amour car son père est parti avec des hommes.

 

Dans son essai Petit traité des grandes vertus (1995), le philosophe André Comte-Sponville nous met très justement en garde contre ces simulacres d’amour que sont les « coups de foudre » et les unions amoureuses de deux individus qui se mettent ensemble non parce qu’ils s’aiment vraiment mais pour ne pas rester tout seuls (cf. la fameuse « Solitude à deux » dont je parle dans le code « Île » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Deux amants qui jouissent simultanément, cela fait deux plaisirs différents, l’un à l’autre mystérieux, deux spasmes, deux solitudes. Le corps en sait plus sur l’amour que les poètes, du moins que ces poètes-là – presque tous – qui mentent sur le corps. De quoi ont-ils peur ? De quoi veulent-ils se consoler ? D’eux-mêmes peut-être, de cette grande folie du désir (ou de sa petitesse après coup ?), de bête en eux, de cet abîme si tôt comblé (ce peu profond ruisseau glorifié : le plaisir), et de cette paix, soudain, qui ressemble à une mort… La solitude est notre lot, et ce lot c’est le corps. » (p. 305)

 

Le fantasme amoureux de l’androgyne touche socialement beaucoup de couples vivant sans amour mais pourtant dans l’utopie de la fusion androgynique appelée cinématographiquement « amour », hétéros ou homos confondus. Dans son essai Le Premier Sexe (2006), le philosophe Éric Zemmour a tout compris quand il dénonce l’obsession collective de la « couplisation » (p. 101) de notre société, qui construit des moitiés d’Hommes, des clones sans personnalités et sans désir : « On peut les voir, dans les rues de Paris et d’ailleurs, main dans la main, vêtus du même uniforme, pantalon large et informe, baskets, chemise ample et pull-over moulant, les cheveux mi-longs. Un même corps de garçonnet androgyne pour deux. Ils sont l’incarnation de la vieille métaphore de Platon sur le corps coupé en deux que l’amour ressouderait miraculeusement. Ils sont plus que frères et sœurs, ils sont jumeaux. Depuis le plus jeune âge, ils sont en couple. Ils ne conçoivent pas la vie, le désir, la rencontre, autrement que dans un cadre immédiatement installé. Parfois, les éléments du couple changent, mais c’est chaque fois une déchirure. Mais peu importe, ce ne sont pas les individus qui comptent, c’est le couple. » (p. 57)

 
 
 

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Code n°127 – Mort (sous-codes : Mise en scène de son enterrement / Cimetière / « Je suis mort » / Suicide)

Mort

Mort

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ça vous étonne que les mêmes qui réclamaient le « mariage pour tous » demandent maintenant l’« euthanasie pour tous » ?

 

La relation des personnes homosexuelles à la mort est très ambiguë : on pourrait la définir comme un envoûtement. Beaucoup d’entre elles font de la mort le sujet principal de leurs œuvres, et se définissent parfois comme des « morts-vivants fascinés par la mort » (cf. l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 495). Le cimetière et le monde gothique sont des codes extrêmement présents dans la fantasmagorie homosexuelle, y compris chez des personnalités peu morbides qui ne passeront jamais à l’acte du suicide et qui ne vivront pas d’expériences sadomasochistes. Le rapport des personnes homosexuelles à la mort est souvent celui de la fascination identificatoire. Elles se persuadent qu’elles sont ses jumelles, parce qu’en règle générale, elles amalgament la mort réelle et la mort cinématographique larmoyante ou froide. « Il me semble que les cheveux qui collent aux tempes sont les miens, que les yeux clos comme ceux qu’on voit dans les photographies des cadavres sont les miens. » (Lucas, le narrateur homosexuel du roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 63) Par leur traitement de l’androgynie, elles célèbrent la mort dans sa forme la plus parfaite. La Faucheuse serait l’épouse idéale et « pure » (idem, pp. 46-47), le reflet narcissique qu’elles pourraient rejoindre pour gagner l’éternité et s’auto-contempler. Leur identification à la veuve drapée de sa mantille noire, portant des lunettes de soleil pour cacher sa fausse/digne peine, est relativement fréquente. Dans leurs créations, les personnages se voient très souvent morts et imaginent leur propre enterrement.

 

En réalité, l’adhésion des personnes homosexuelles à la mort est bien plus esthétique que réelle. Comme le commun des mortels, elles n’aiment ni la mort ni la souffrance réelles, mais leur idée romancée, leurs mises en scène. On peut penser notamment au narcissisme dans la souffrance qu’elles trouvent en la figure de saint Sébastien, le « saint patron de la communauté homosexuelle ». Leur désir de mort réside davantage dans la jouissance de l’anticipation/réécriture de la mort réelle que dans la mort en elle-même. De même, le plaisir du sadomasochisme se situe plus dans la transgression d’un interdit et dans la scénarisation de la douleur que dans la souffrance en soi. Une fois la douleur actualisée, il perd toute sa magie et sa force.

 

Le problème est que beaucoup de personnes homosexuelles confondent la mort avec ses représentations… et (se) laissent croire qu’elles désirent profondément mourir quand elles vivent des dépressions. « Les auteurs que j’aime sont tous suicidaires » confie Werner Schrœter à Michel Foucault (cf. « Conversation avec Werner Schœter », dans l’essai Dits et Écrits II (2001) de Michel Foucault, p. 1073). Klaus Mann, quant à lui, nous rappelle dans son Journal (1937-1949) la nature du désir homosexuel, nature liée bien sûr à la vie mais prioritairement à la mort : « Tous les gens vers lesquels je me sens attiré, et qui se sentent attirés vers moi, voudraient mourir. » (p. 49) Certaines réclament même le « droit au suicide » en partant du principe que, puisqu’on ne leur a pas demandé leur avis pour naître, elles n’ont pas à le demander aux autres pour mourir. « Je suis partisan d’un véritable combat culturel pour réapprendre aux gens qu’il n’y a pas une conduite qui ne soit plus belle que le suicide. » (Werner Schœter, « Conversation avec Werner Schœter », dans l’essai Dits et Écrits II (2001) de Michel Foucault, p. 1076) Malheureusement, ce ne sont pas toujours seulement des mots. Bon nombre de personnes homosexuelles pensent au suicide ou bien passent à l’acte. La liste des célébrités homosexuelles ayant mis fin à leurs jours est interminable : prenez n’importe quel nom des dictionnaires les répertoriant, et vous le constaterez très rapidement. Des études nord-américaines indiquent que le taux de suicide chez les jeunes adultes homosexuels actuels serait de 6 à 14 fois plus important que chez « les hétéros » du même âge (Michel Dorais, Mort ou fif (2001), p. 18). Je me demande dans quelle mesure leur désir de laisser la mort sur le terrain du figé n’encourage pas finalement le passage du mythe à l’actualisation violente. Loin d’être une exorcisation, la mythification de la mort peut parfois servir de prétexte à la création inconsciente de réalités fantasmées. Certaines personnes homosexuelles se sont parfois attachées viscéralement à une mort imagée pour ne pas affronter (ce qu’elles imaginent être) la mort réelle. Du coup, elles cherchent parfois à se frotter aux deux. C’est le cas de l’écrivain Yukio Mishima, qui à force de vouloir fuir la mort, l’a rejointe dans le mythe actualisé en se suicidant selon la tradition samouraï : « Je me complaisais à imaginer des situations dans lesquelles j’étais moi-même tué sur le champ de bataille ou assassiné. Pourtant, j’avais de la mort une peur anormale. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 30)

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mort = Épouse », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Clown blanc et Masques », « Frankenstein », « Morts-vivants », « Passion pour les catastrophes », « Sommeil », « Animaux empaillés », « Cercueil en cristal », « Matricide », « Parricide la bonne soupe », « Viol », « Milieu homosexuel infernal », et à la partie « Momie » du code « Homme invisible », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) L’attraction pour la mort :

La mort occupe une grande place dans la vie des personnages homosexuels de fiction, comme on peut le voir dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, la chanson « Pont de Verdun » de Jann Halexander, la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec l’obsession pour les crânes de squelettes humains), le film « Unfinished : Exploring The Transgender Self » (2013) de Siufung (avec les tatouages de deux têtes de mort à la place des seins), le film « I Dreamt Under The Water » (« J’ai rêvé sous l’eau », 2008) d’Hormoz (centré sur un homme mort), les romans Son Frère (2001), Un Garçon d’Italie (2003), Un Instant d’abandon (2005) (reprenant l’affaire insoluble de la mort du petit Grégory) de Philippe Besson, le film « Society » (2007) de Vincent Moloi (dans lequel quatre anciennes amies d’école sont réunies autour d’une cinquième qui est décédée), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (qui se déroule le jour de la Toussaint), la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le film « A Festa Da Menina Morta » (2008) de Matheus Nachtergaele, la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa (où Ana écrit le poème « Requiem »), le film « Les Autres » (2001) d’Alejandro Amenábar, le roman Orlando (1928) de Virginia Woolf, le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le film « Funeral Parade Of Roses » (1969) de Toshio Matsumoto, le film « Le Mystère Silkwood » (1983) de Mike Nichols, le film « The Lawless Heart » (2002) de Neil Hunter et Tom Hunsinger, le film « La Petite Mort » (1995) de François Ozon, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (avec Romain, l’amant mort), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Funérailles » (2008) de Subarna Thapa, le film « La Déchirure » (2007) de Mikaël Buch (avec la veillée mortuaire), la chanson « Plutôt mourir » de David Courtin, etc.

 

Le thème de la mort est omniprésent dans les films de Pedro Almodóvar (cf. l’univers de l’hôpital dans « Todo Sobre Mi Madre », « Tout sur ma mère » (1998), le coma dans « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001), la criminologie dans « Matador » (1986), etc.), dans les romans d’Anne Garréta (Ciel liquides (1990), La Décomposition (1999), etc.), dans les pièces de Jean Genet (Les Nègres en 1958, Pompes funèbres en 1947, etc.).

 

Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, fait le constat cynique que l’existence humaine est « glauque » : « C’est le monde. » dit-elle laconiquement à Victoire. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homosexuels, n’a qu’une ambition dans la vie : « Mourir jeune et joli. » Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, est fasciné par la mort. Le crime lui permet d’être esthétique et théâtral : « Grand Dieu !! » ; « Doux Jésus !! » ; « Quelle situation abominable !! » ; « Quelqu’un a fermé la porte. Mon Dieu ! Nous sommes piégés !!! » ; etc. Et son compagnon secret, Charles, est décrit comme un suicidaire. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Herbert, l’un des héros homosexuels, a une tête de mort tatouée dans le cou.
 

Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, veut aller voir le Musée des morts de Guanajuato (Mexique). Palomino, son amant et guide mexicain, joue à fond la carte du mysticisme mortuaire pseudo national : « Demander une rançon même pour un mort est une pratique courue au Mexique. ». Ils visitent ensemble des cimetières mexicains. Eisenstein finit par se prendre pour les morts : « C’est le Jour des Morts… et je suis un homme mort. »
 

Très souvent, le héros homosexuel est placé sous le signe de la mort : « Qu’elle était étrange, chez Fernand, cette curiosité soudaine pour les choses finies ! » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 93) ; « Curieusement, je n’ai jamais vu de magazine intitulé Death. Il pourrait y avoir au moins une rubrique sur le sujet. Un article du style : ‘Les cercueils faits maison : une alternative bon marché’, dans une de ces revues pour ménagères. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 43-44) ; « C’est vrai que tu es née le jour de la fête des morts ? » (Chloé à son amante Cécile, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 28) ; « Jason venait de faire son apparition. Il se tenait debout sur le rocher au-dessus d’eux, les mains sur les hanches, la jambe gauche s’avançant légèrement dans le vide. Il était doré comme un croissant. Ses boucles blondes flottaient dans la brise légère. Corinne, assise à ses pieds, l’observait, incrédule. Avec son maillot de bain qui représentait des têtes de mort sur fond noir, il ressemblait vraiment à un messager des dieux de l’enfer. ‘Encore une beauté d’archange, songeait-elle.’ » (Corinne décrivant Jason, le personnage homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 83) ; « Oh ! Lumineuse après-midi, 1er novembre. » (cf. la chanson « 1er novembre (Le Fruit) » du Beau Claude) ; « Tu ne peux pas t’empêcher d’être attiré par les histoires morbides. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Quand on meurt, j’aimerais savoir ce qu’on ressent. On croit qu’on s’endort ? » (Jacques s’adressant à Enoch, dans le film « Friendly Persuasion », « La Loi du Seigneur » (1956) de William Wyler) ; « Je ne lis pas tellement les [auteurs] vivants. » (Arthur s’adressant à son amant Jacques, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Film "Avant que j'oublie" (2007) de Jacques Nolot

Film « Avant que j’oublie » (2007) de Jacques Nolot

 

Il arrive que le personnage homosexuel remplace un grand frère ou une grande soeur, bref, un enfant mort… et pour le coup, se croit être un faux vivant. Par exemple, dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel est confondu par sa grand-mère Mamie Suzanne avec son grand-père, et d’abord pour un de ses frères morts : « Sur les trois frères, c’est pas toi qui es mort en 95 ? »
 

Le héros homosexuel exerce parfois le métier de croque-mort (ou fait comme si) : cf. les séries télévisées Six Feet Under et La Famille Addams, le film « Les Croque-morts en folie ! » (1982) de Ron Howard, le film « Cher disparu » (1965) de Tony Richardson (dans l’univers des pompes funèbres), etc. « Je sens la mort : je suis croque-mort. » (Elliot dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Fossoyeur, c’est un métier où on ne chôme pas ! » (Knocherl dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Yeux ouverts » (2000) d’Olivier Py, quand Olivier demande à Vincent pourquoi il prétend être « l’homme le plus triste du monde », ce dernier lui répond pour lui clouer le bec : « Je travaille aux pompes funèbres, j’aime baiser avec les monstres, et je suis impuissant. Ça te va ? » Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Léo, le héros homosexuel est croque-mort, et travaille aux pompes funèbres « Aux Joyeux Défunts ». Il dit lui-même qu’il est obnubilé par la mort, et sa mère se désole qu’il soit « toujours abonné à ses morbideries ». Il possède chez lui toute la panoplie des objets dédiés à la mort : des squelettes, des mugs en forme de crâne, un ordi Apple avec une tête de mort à la place de la pomme, « plein de photos de crânes et de cercueils ».

 

La mort est bien un objet de désir chez le héros puisqu’il l’associe très souvent à son homosexualité : « Luca est condamné à mort à cause de son homosexualité. » (cf. la bande-annonce du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès). Il la vénère comme un dieu : « Where are you, God of the Death ? » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Les seuls trucs qui t’excitent, ce sont tes crânes et tes cercueils. » (Garance s’adressant à Léo le héros homo, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; etc. Dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, Jerry et Joe, travestis en femmes, racontent qu’ils ont joué dans des orchestres pour les funérailles (« Nous jouions dans les enterrements. ») ce qui laisse leur chef Sweet Sue perplexe : « Ça ne vous ferait rien de rejoindre les vivants ? »

 
 

b) Le goût homosexuel pour les cimetières :

Film "Volver" de Pedro Almodovar

Film « Volver » de Pedro Almodovar


 

En outre, le personnage homosexuel affectionne les cimetières, comme c’est le cas dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, le vidéo-clip de la chanson « Thriller » de Michael Jackson, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, le roman Ciel liquides (1990) d’Anne F. Garréta, le film « Contact » (2002) de Kieran Galvin, le vidéo-clip de la chanson « Parler tout bas » d’Alizée, le conte Lisa-Loup et le Conteur (2003) de Mylène Farmer, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Cachorro » (2003) de Miguel Albaladejo, le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le film « Alexandrie, pourquoi ? » (1978) de Youssef Chahine, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré, la pièce Cosmétique de l’ennemi (2008) d’Amélie Nothomb, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec la scène du fou rire du couple lesbien dans le cimetière), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, etc.

 

Beaucoup d’histoire d’amour homosexuel ont lieu dans un cimetière, comme si ce dernier était l’endroit romantique par excellence : cf. le roman Dream Boy (1995) de Jim Grimsley, le vidéo-clip de la chanson « Regrets » (tourné en février 1991 dans un cimetière juif de Budapest) et de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander (tourné au Cimetière du Nord à Maggelburg), le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Borstal Boy » (2000) de Peter Sheridan, le film « The Return Of Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty (où quatre jeunes femmes lesbiennes s’aiment dans un cimetière d’avions en Arizona, au cœur d’un monde à l’abandon), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec les deux amants Malik et Bilal dans un cimetière), le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec Rosário et le travesti M to F Tonia dans le cimetière décoré de bougies), le roman Le Cimetière de Saint Eugène (2010) de Nadia Galy (avec les amants Slim et Mocka dans le cimetière), le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec les quatre nains dans le cimetière, lieu considéré comme un cadre idéal pour un pique-nique), la pièce Golgota Picnic (2011) de Rodrigo García (où des ébats masculins s’opèrent), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, le film « Les Passagers » (1999) de Jean-Claude Guiguet, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (Paul et Jean-Louis, les deux amants, se rencontrent dans un cimetière), etc.

 

D’ailleurs, le héros homosexuel dit parfois son attachement pour les cimetières : « On ne se sent jamais plus vivant que dans un cimetière. » (Elliot, le héros de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Que c’est joli, un cimetière ! » (le Baron Lovejoy, homosexuel, idem) ; « Dès l’âge de 14 ans, je vivais aux côtés de mes amis du cimetière. » (le héros homosexuel de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « Dans mon cimetière, je me suis habitué à percevoir les rumeurs du monde, les soubresauts des humains. » (Luca dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 166) ; « Il dit que c’est l’histoire d’un pays, d’un siècle qui se raconte dans les cimetières de France. » (Lucas citant son frère Thomas, dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 60) ; « Sur vos tombes, j’irai cracher. Chacun, je les souillerai de mes déjections de pédé. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Ton absence, c’est comme si je me trouvais en silence dans un cimetière un matin d’hiver. » (Stéphane s’adressant à son ex-compagnon Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Il paraissait étrange à Jane d’avoir un jour pu trouver le cimetière de Saint-Sébastien charmant. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 198) ; « Anna vient ici de temps en temps. Elle habite dans l’appartement d’en face depuis toujours. Le cimetière était son terrain de jeu. » (le Père Walter parlant d’Anna, idem, p. 204) ; etc.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan et Kévin se rencontrent pour la première fois au cimetière, face à la tombe de Julien, l’homosexuel du lycée qui s’est suicidé : « Nous étions là, figés devant ce cercueil que nous regardions en silence. » (Bryan, p. 50) ; « Au cimetière, nous étions épaule contre épaule. Aujourd’hui, bras dessus, bras dessous. J’étais aux anges ! » (idem, p. 16) ; « En réalité, je déprimais complètement. On mit cela sur le compte de la mort de Julien. C’était en partie vrai, mais la vraie raison de ma déprime venait du fait que je pensais à celui qui n’était pas là, comme d’hab, et qui pleurait avec moi tout à l’heure, quand nos épaules s’étaient touchées. Les filles et ma mère avaient raison, je n’étais pas là, j’étais encore au cimetière. Pas avec Julien, j’y étais avec mon amoureux. » (idem, p. 52) ; « Kévin se faisait draguer aux mariages, moi je repérais les beaux mecs dans les cimetières. On faisait une sacrée paire ! » (idem, p. 409) ; etc.

 

Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, le cimetière occupe une place importante dans la formation du couple Miguel-Santiago : par exemple, les amants se donnent rendez-vous là-bas pour vivre leur amour secret (« Bonne nouvelle. Viens au cimetière à 16h. » écrit Miguel dans un de ses mots doux) ; et Santiago prend des photos de Miguel pendant que ce dernier célèbre les funérailles de son cousin Carlos (et il avoue l’avoir trouvé « très sexy » à ce moment-là : « Tu ressemblais à un vrai leader ! »)

 

Le cimetière apparaît comme une sorte de Jardin d’Éden inversé, de terre d’élection d’amants maudits : « Mon parc est semé de gens morts ! » (Copi, La Journée d’une rêveuse, 1968) Il se veut un retour à l’innocence de l’enfance. Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, toute la bande de potes homos va se balader au Père Lachaise ; et Jean-Luc, le cousin homo, retourne avec les enfants au cimetière pour les y statufier par mimes « esthétisants ». Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur va se recueillir devant la tombe du romancier Bernard-Marie Koltès au cimetière du Père Lachaise. Dans le film « Miss » (2020) de Ruben Alves, Alex (le héros transgenre M to F qui candidate pour être Miss France) est orphelin et a perdu ses deux parents biologiques dans un accident de voiture. On le voit à la fin déposer des fleurs dans le cimetière.

 
 

c) Certains personnages homosexuels s’imaginent leur propre enterrement :

Vidéo-clip de la chanson "Fuck Them All" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Fuck Them All » de Mylène Farmer


 

Le héros homosexuel a tendance à se mettre dans la peau des absents ou des morts, bref, à prêter à la réalité la forme de ses fantasmes de mort et de ses sentiments égocentrés : cf. le roman Les Absents (1995) d’Hugo Marsan ; etc. « J’ai un curieux défaut. Celui de souvent penser à ceux qui ne sont pas là, à l’instant. » (Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 44) ; « Encore une fois, penser à ceux qui ne sont pas là ! Toujours ce décalage, pourquoi ? Je me suis souvent posé cette question. Une seule réponse plausible : je me suis inquiéter pour ceux qui sont présents. Ça ne les rend pas invulnérables pour autant, mais c’est comme ça. Je n’ai peur que pour les absents ! Comment les protéger, les secourir ? » (idem, p. 242) ; « Toute cette mise en scène hospitalière a quelque chose de carcéral, de concentrationnaire, et lorsque j’ai le malheur de m’entrevoir dans une glace, je frémis d’horreur en reconnaissant mes frères et sœurs juifs partis en fumée. Six millions de fantômes veillent à mon chevet, attendant que je les rejoigne. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 183-184) ; « C’est troublant de penser qu’à un endroit – un même endroit – ont déambulé des gens qui ne sont plus. […] Désormais, des personnes que je ne connais pas vont habiter ce lieu, s’asseoir sur un nouveau siège de piano, s’allonger sur la même pelouse gelée en automne, dormir dans les mêmes chambres. C’est tout un sanctuaire qui s’échappe. Il ne me reste que quelques objets – et puis des souvenirs. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 55) ; etc.

 

Film "Odete" de João Rodrigues

Film « Odete » de João Pedro Rodrigues


 

L’esprit homo-bobo se plaît à se projeter précipitamment dans la mort, et à jouer la Vieille Maréchale de Strauss qui écrit ses mémoires (alors qu’il est pourtant en pleine force de l’âge !), juste pour le plaisir de s’imaginer mourant et de se faire plaindre, juste pour s’inventer un héroïsme esthétique qui le consolera de son inavouable ennui existentiel : « Tu dis : je suis l’homme sans ascendance, ni fraternité, ni descendance. Je suis cette chose posée au milieu du monde mais non reliée au monde. Je suis celui qui ne sait pas d’où il vient, qui n’a personne avec qui partager son histoire et qui ne laissera pas de traces. Ainsi, quand je serai mort, c’est davantage que le nom que je porte qui disparaîtra, c’est mon existence même qui sera niée, jetée aux oubliettes. » (la figure de Marcel Proust à son jeune amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 101) ; « Je veux mourir mince, ne pas me nourrir avant de mourir. Je veux rester jeune. […] J’veux mourir blond, avec une tête de p’tit garçon. […] Des lunettes noires pour faire la star. […] À moins que je finisse dans un musée et que je me fasse empailler. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc.

 

Le rapport à la mort du personnage homosexuel est souvent de fascination identificatoire. « Ce visage avait été si beau. […] je pouvais lire la mort dans son regard passé du brun noisette au noir profond. » (Jean-Marc en évoquant Luc, son « ex » malade du Sida, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 37) ; « Rencontre/Maladie/Mort/Deuil. Les larmes m’envahissent, les couleurs se brouillent devant mes yeux, je gémis et me tords de douleur, je pleure comme un enfant de cinq ans. Je ne peux plus m’arrêter, je pleure toutes les larmes que j’ai gardées en moi depuis plusieurs semaines ou mois ou années, et entre deux respirations, je geins lamentablement. » (Mike, le narrateur homosexuel face aux photos de Nan Goldin, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 90) ; « Quand quelqu’un se noyait à Fortaleza, je pensais que ça aurait pu être moi… » (Donato, le héros homosexuel, secouriste en mer, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Daniel dit qu’il cherche derrière chaque visage le reflet de la mort.

 

Dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, Lucas, le personnage homosexuel, reconnaît la mort comme son propre reflet spéculaire. « Il me semble que ce corps qu’on repose à intervalles réguliers à des étudiants en médecine indifférents est le mien. » (p. 63) ; « J’ai cette image saugrenue dont je ne parviens pas à me débarrasser, celle du président Kennedy, à Dallas, le 22 novembre 1963, à l’arrière de sa Lincoln décapotable. […] Je vois l’affolement et je songe que c’est cela qu’il pourrait nous être donné de connaître. J’ai beau me dire que c’est absurde, malsain sans doute, je n’arrive pas à m’éloigner de cette vision. » (idem, p. 56) Son désespoir résigné face à la mort serait « vrai » parce qu’intégral. Il n’a pas digéré le part d’inéluctabilité de la mort, alors qu’il pense pourtant en avoir pris conscience de manière absolue, visionnaire, minoritaire, … homosexuelle ! « Il n’y aura pas d’autre issue que la mort. […] Ils auront beau affirmer que les chances de survivre l’emportent sur celles de succomber, ils auront beau avoir, au moins au début, la raison et les probabilités de leur côté, ils n’empêcheront pas la mort de se produire. Nous savons qu’ils ne savent pas, nous avons cette intuition fabuleuse, un désespoir intégral, très pur. C’est impossible, sans doute, à expliquer. Nous ne parviendrons pas à leur faire admettre notre certitude. Ils s’essaieront, mais sans y parvenir, à nous raisonner. » (Lucas en parlant des médecins, idem, pp. 46-47)

 

Cette fixation identitaire homosexuelle sur la mort a tout l’air d’être le fruit d’une relation incestueuse maternelle. Par exemple, dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, la mère d’Adrien, le héros homosexuel qui s’est suicidé, voit par une hallucination son fils mort dans sa baignoire. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Camille, une mère un peu folle qui a du mal à accepter la mort de son fils Matthieu, transpose complètement la vie de son fils (certainement homo) sur celle de son meilleur ami et meurtrier Franck.

 

C’est le fait de ne pas avoir été suffisamment désiré et aimé qui fait que le personnage homosexuel ou transsexuel s’identifie à la mort. « Je regrette de l’avoir fait. » (le père d’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, femme qui a perdu sa mère à 5 ans, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani)
 

Quelquefois, dans les fictions abordant la thématique de l’homosexualité, la mort est présentée comme une jumelle/un jumeau : « Alexis Guérande est mort. Alexis Guérande est mort, ce matin, à côté de moi. Il est mort, frappé à la tête par une balle de hasard, dans un moment de répit, dans un moment où les combats avaient cessé et où notre attention s’était relâchée. Juste une balle qui s’est logée dans sa tempe gauche, rien d’autre, quelque chose de très net, comme un éclat de diamant pur qui forme tout à coup un trou rouge au bout de ses sourcils. La mort a été instantanée. » (Arthur parlant d’un compagnon de tranchée, un poète breton de 20 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 175) ; « Avant la fin de la semaine, je me serai débarrassé de mon frère… Je pense que je vais sans doute le tuer à Paris. » (Jack en parlant de son double mythique Constant, lors du dénouement de la pièce The Importance To Being Earnest, L’importance d’être Constant (1895) d’Oscar Wilde) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, Paul, le héros homosexuel, est le double de Louis, son frère mort.

 

Comble du narcissisme : il arrive souvent que le héros homosexuel s’imagine son propre enterrement, pour pleurer et s’émouvoir sur lui-même : cf. le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria (dans lequel un homme allongé dans un tombeau, veillé par des pleureuses, ouvre soudain les yeux), le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec la scène du double enterrement), le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, la chanson « Camomille » de Stefan Corbin (dans laquelle le narrateur se raconte comme un homme pleurant sous son parapluie un jour d’enterrement), la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), etc. Par exemple, Dans le film « Seul le feu » (2013) de Christophe Pellet, Thomas, le héros homosexuel, en visitant le Père Lachaise, exprime le souhait de se faire incinéré. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on assiste, lors de l’enterrement de Rettore, l’un des héros homos, à deux enterrements dessinés par deux groupes opposés, celui des potes homos junkies comme lui, celui de la famille bourgeoise endeuillée.

 

« Il dit qu’il veut des fleurs, des couronnes, ce décorum un peu vulgaire, un deuil éclatant, celui qu’on montre, qu’on expose. […] Il dit qu’il faudra des larmes, des évanouissements peut-être, des manifestations spectaculaires, que la souffrance s’exprime plutôt que d’être comprimée, contenue. » (Lucas parlant de son frère Thomas, dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 61) ; « Il y aura un monde fou à mon enterrement ! Je vais téléphoner aux agences de presse. » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Beaucoup de monde était présent le jour de mon enterrement. » (Bryan, en cadavre parlant, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 452) ; « Je fais le mort si je veux. Je ressuscite si je veux ! » (la productrice dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « C’est à croire que je suis au tombeau. » (Rosa dans le spectacle musical Rosa La Rouge (2010) de Marcial Di Fonzo Bo et Claire Diterzi) ; « Même ma mort, même la mise en scène de ma mort, j’ai dû la faire toute seule. » (Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Je creusais une tombe, dans les rêves cela arrive. Mais c’était la réalité. » (Bjorn dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 155) ; « Dans mon lit, là, de granit, je décompose ma vie. » (cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer) ; « Les enterrements, c’est pas mal. » (Justin dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz) ; « C’est beau de sublimer, mais je commence à être pas mal vieux pour rêver que Jean Besré se meurt d’amour pour moi ou que Guy Provost m’enterre sous des tonnes de fleurs coupées parmi les plus rares et les plus odorantes. Ce petit théâtre ne suffit pas à remplir ma vie ni à combler mon besoin d’amour. » (le narrateur parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « C’est ça que je veux pour ma mort : qu’on promène mon corps sur un brancard, à la lueur des bougies. » (Jérémie, homo et malade du Sida, exprimant ces dernières volontés, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo) ; etc.

 

Dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, Elliot voit son nom inscrit sur sa propre tombe, au moment où il se ballade dans un cimetière. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette, l’héroïne lesbienne, se voit morte dans sa tombe. Dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, Cyril veut « passer sa vie à inventer sa mort » (p. 106). Dans la chanson « La Chanson de Jérémy » de Bruno Bisaro, Jérémy voit son propre enterrement. Dans le clip de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, Mylène pousse un landau dans un cimetière et s’arrête devant une stèle gravée à son nom. Dans le film « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, Laurent s’identifie à son cousin Marc qui était gay, comme lui, et qui est mort. Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Louis s’imagine et prépare son enterrement : « Depuis que je suis né, [j’ai] plutôt l’impression de préparer ma mort. »

 
 

d) « Je suis mort » :

Film "Nés en 68" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Nés en 68 » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Dans le même ordre d’idée, certains personnages homosexuels disent de leur vivant qu’ils sont morts : « On s’accroche et on fait c’qu’on peut pour pas être mort un jour sur deux. » (le héros du film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa) ; « J’ai rêvé que j’étais mort ! » (l’amant du narrateur de la nouvelle « Un Jeune homme timide » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 45) ; « Laissez-moi m’allonger et fermer les yeux pour toujours. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je suis morte. Je suis bien. » (Anne Cadilhac se décrivant dans son cercueil, bouffée par les vers, lors de son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Ça fait longtemps que je suis mort ? Peut-être trop longtemps. » (Jack, en cadavre parlant, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Je suis déjà mort, il ne reste plus qu’à me décider, qu’à officialiser. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 313) ; « Je voudrais être morte, comme ma mère ! » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 266) ; « Il est mort. Il est mort et moi, je ne suis déjà plus vivant. » (Vincent en parlant de son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 185) ; « Je suis mort. » (le professeur Foufoune dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut) ; « Mais je suis si peu mort ! Je suis à peine mort ! » (le Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Je suis morte. » (la figure d’Evita dans la pièceEva Perón (1969) de Copi) ; « Je suis en train de crever ! Je meurs ! Je meurs ! » (Rogelio dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Mon Dieu, je suis morte ! » (China, idem) ; « Je suis frappé par plusieurs coïncidences : je m’imagine être mort hier à midi. Au moment où j’ai téléphoné à Marielle de la cabine publique j’étais déjà mort, en attendant le jugement dernier j’ai tué trois fois. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 126) ; « Dites-lui que je suis déjà mort ! » (Cyrille, le héros homosexuel parlant d’Hubert à l’Infirmière, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je devais être mort ? » (idem) ; « Je suis mort. » (Arnaud dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Peut-être je suis mort moi aussi, je dis. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 16) ; « Putain, je suis mort. » (un personnage du film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « Serais-je en enfer, se demanda-t-il. À bien y penser il était bien possible qu’il fût mort depuis plusieurs jours. » (le narrateur du roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 174) ; « Ça fait vingt ans que je suis mort. » (Hervé dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Nous sommes morts. » (les héros homosexuels du film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester) ; « Moi j’suis déjà mort. » (Willie, le héros homosexuel malade du Sida, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 186) ; « Le défunt, c’est moi. » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Moi, je suis mort. » (Enrique dans le film « La Mala Educación », « La mauvaise éducation » (2003), de Pedro Almodóvar) ; « Fais comme si j’étais mort. » (cf. la chanson « Un Merveilleux Été » d’Étienne Daho) ; « J’suis déjà mort, moi, en fait. » (le héros de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan) ; « Thomas, tu n’es pas mort. Tu es juste une absence, comme un voyage. » (la mère de Thomas, le héros homosexuel, dans le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard) ; « Quand on a cru mourir et qu’on vit, on est obéissant, docteur. » (Catherine dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960), de Joseph Mankiewicz) ; « Elle était comme morte, et moi comme si j’allais mourir. […] Nous nous étions endormies. » (la Religieuse dans le roman La Religieuse (1760) de Denis Diderot) ; « Mort, pensa Fabien. Je suis mort. C’est moins difficile qu’on ne croit. Et il ne se passe rien…» (Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 314) ; « Décédée depuis longtemps de l’intérieur, desséchée de l’extérieur. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 132) ; « Mes camarades morts sont moins morts que moi. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 29) ; « Dis-leur que je suis mort. » (Roy Cohn dans la pièce Angels In America(1991) de Tony Kushner) ; « Il faut un mot nouveau pour décrire à quel point je suis mort. » (Danny, l’un des héros homos du film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Je suis mort de chez mort. » (Chris après le baiser donné à son amant Danny, idem) ; « Je vous demande la mort comme un dû. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « Je me tue à faire le mort. » (cf. la chanson « Fragile » de Christophe Willem) ; « Il faut être naturellement somnolent. On se met au lit. Et on fait le mort. » (Palomino, parlant du comportement homosexuel qu’il va imposer à son amant Sergueï Eisenstein, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, la mort est présentée comme irréelle, comme un rêve éveillé : on comprend qu’il s’agit davantage de la mort psychique du zombie sans désir que de la mort véritable ; Paul, souvent allongé, est un homme qui « fait le mort ». Dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, les personnages disent tous qu’ils sont morts : ils parlent comme les cadavres vivants d’un panthéon en déclin. Dans le film « Cléopâtre » (1963) de Joseph Mankiewicz, Marc-Antoine affirme qu’il est mort. Dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, Nietzsche parle de lui-même à la troisième personne du singulier en annonçant qu’il est mort. Dans la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette, Isabelle dit qu’elle meurt debout. Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte, qui vit pourtant hors de sa sphère de conscience, joue à être un fœtus qui n’est pas encore sorti du ventre de sa mère, et parle de lui à la troisième personne : « Je vais raconter la fin de sa vie et sa mort. »

 

Souvent dans les fictions homosexuelles, la mort est simulée : on peut penser par exemple à la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias (avec la fausse mort du Coryphée, qui fait semblant de s’écrouler sur scène).

 

En plus d’être une réplique de cour de récré (prononcée pourtant par un adulte), ce « Je suis mort » est l’expression d’un désir de mourir tout en niant la mort, bref, l’expression d’une schizophrénie : littéralement, le héros homosexuel s’absente sur place : « Je suis mort. […] Je m’absente… un peu comme si je n’étais plus là. » (Éric dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel)

 

Le coming out de sa propre mort est aussi plus concrètement l’énonciation de sa soumission amoureuse, du renoncement à sa liberté : « Je ne sais plus ce que je dis. Je suis malade, fatigué… Tu as gagné. Tu m’as conquis. » (le secrétaire de presse à Bulldog, son amant, dans le film « Bulldog In The Whitehouse », « Bulldog à la Maison Blanche » (2008), de Todd Verow) Dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, par exemple, la voyante prédit à Hervé qu’au moment de se mettre en couple homosexuel, il vivra une « mort immatérielle » : une baisse du désir, en d’autres termes. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, cherchant à découvrir quel est le personnage qui est marqué sur son post-it, demande à son amant Thomas : « Est-ce que je suis mort ? »

 
 

e) La mort prise pas assez au sérieux ET trop au sérieux :

Comme il se prend pour sa propre mort pour s’en protéger, le héros homosexuel a tendance à nier la réalité de la mort. « J’aime pas penser à la mort. » (Martin, le héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « La mort ne me semble rien et ne me concerne pas. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. En général, il la fige en icône magnifique ou au contraire en estampe camp néo-gothique (qu’on appelle facilement « humour noir »). Par exemple, L’Ombre de Venceslao (1978) est la seule de toutes ses pièces de Copi où un personnage meurt pour de bon.

 

C’est la raison pour laquelle la mort réelle est presque systématiquement amalgamée au monde de l’image : « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du Camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44) Par exemple, dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk regarde la mort dans un opéra. Dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, Angela se passionne pour la mort mi-cinématographique, mi-réelle, à travers l’étude des snuff movies.

 

La cristallisation artistique de la mort par l’esthétique a pour nom « Kitsch », et c’est une technique largement portée par les artistes homosexuels. L’excellente définition du kitsch selon Milan Kundera dans le roman L’Insoutenable légèreté de l’être (1984) (« Le kitsch est un paravent qui dissimule la mort. », pp. 357-367) trouve dans certaines scènes cinématographiques ou théâtrales des fictions homosexuelles une parfaite illustration. Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, le kitsch est représenté à la lettre par la scène finale : Élisabeth qui s’est tirée dessus après avoir empoisonné mortellement son frère, s’écroule, faisant tomber le paravent qui dissimule la mort de Paul. Par ailleurs, il est question du « paravent de la mort » dans la pièce La Sonate des Spectres (1907) d’August Strindberg. Et on retrouve cette idée du kitsch comme paravent de mort dans différents ouvrages homosexuels : « Ce sont des gens à l’esprit pratique qui n’ont simplement pas envie de voir la mort en face ou plutôt à côté car une cloison nous en séparait. » (François dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 125) ; « […] la lampe brillant derrière un paravent qui dissimulait à moitié le lit du jeune homme » (Fabien presque mort, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 303) ; « La galerie comportait les paravents d’un jardin d’hiver qui n’avait jamais vu le jour. Paul les traîna, les déplia et s’en fit des remparts, une sorte de ville chinoise. » (la voix de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville)

 

La tragicomédie kitsch et camp, au-delà de son aspect risible, est un instrument très employé par le dramaturge argentin Copi pour faire de la mort une mise en scène de cour de récré, une irréalité : « Zut ! J’avais oublié que vous étiez mort ! » (l’Infirmière à Cyrille et à Regina Morti, dans la pièce Une Visite inopportune, 1988) ; « Tu vois, Lou, il y a pas de mort ! » (Ahmed en voyant Pédé ressusciter, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur, 1986) ; « Oh, j’avais oublié qu’elle était morte ! » (Daphnée en parlant de son bébé qu’elle a assassinée, dans la pièce La Tour de la Défense, 1974) Dans les pièces de Copi, revient souvent le motif de la mort à répétition. « Je suis la septième à se suicider ce soir ? […] Quelle concurrence dans le métier ! Goliatha, venez dire adieu à la petite patronne ! Je rentre dans le frigo ! » (« L. » dans la pièce Le Frigo, 1983) Par exemple, dans La Nuit de Madame Lucienne (1985), tous les personnages s’entretuent et mettent en scène des meurtres (la femme de ménage est assassinée en mille et un chapitres) ; dans L’Ombre de Venceslao (1978), Venceslao le gaucho se suicide, Rogelio est empoisonné, sa jeune femme meurt sous les balles des militaires ; dans Une Visite inopportune, Cyrille ne meurt pas vraiment, ni même Regina Morti ; dans Les Quatre Jumelles (1973), les protagonistes passent leur temps à « mourir pour de faux » et de manière ultra ludique et violente à la fois : « Tais-toi ! Tu es morte ! » (Joséphine à sa sœur Fougère qui l’appelle, dans la pièce Les Quatre Jumelles) ; « Je vais te tuer, Leïla. Comment veux-tu mourir ? » (Maria, idem) Mais concrètement, la mort ou le départ sont des réalités très peu affrontées par l’auteur. La preuve en est que pour lui, même les objets peuvent mourir : « Il est mort l’ascenseur. » (cf. une réplique de la femme de chambre dans la pièce Le Frigo) La mort ou le viol sont éminemment liées chez Copi à la mort iconographique, au viol cinématographique : ce ne sont pas des hommes qui meurent, ce sont des poupées ou des acteurs : « C’est Rooney […] Le requin lui arrache un bras, son petit corps saute en l’air comme un pantin, retombe dans la mer. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 104) ; « Ensuite il est entré une petite fille de six ans environ avec mon chien empaillé dans les bras et elle me l’a donné. […] Je suis sorti dans la rue comme tous les jours. Ça n’a pas tellement changé par rapport à avant la catastrophe, exceptant le fait que tous les gens sont morts et empaillés. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972), pp. 31-32) ; « Est-ce que la vraie mort qui vous guette a quelque chose à envier à la mort drapée en noir d’une scène de théâtre ? » (le Professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune) ; « Mon grand-père le clown s’est suicidé en cours de spectacle. Il s’est pendu au trapèze, tout le monde croyait à un numéro comique ! Il a eu quinze minutes d’applaudissements avant qu’on s’aperçoive qu’il était mort ! » (le Machiniste dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne) La mort est à ce point niée par Copi que ses héroïnes féminines ne savent en général pas s’en aller, quitter la scène, affronter leur finitude : « Elle [Daphnée] est toujours en train de partir et elle ne part jamais. » (Jean dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) Et les personnages des ouvrages de Copi transcendent la mort sans l’expérimenter : « On se fout de la mort ! Ha ha ! Car nous aurons vécu la mort ! » (Cachafaz à son amant Raulito dans la pièce Cachafaz, 1993) ; « La mort, nous, nous la conjurons ! » (Raulito, idem) Dans l’article « Jorge Lavelli : Copi n’est pas une dérision » d’Hugues Le Tanneur, publié dans le journal Aden le 1er octobre 2001, Lavelli explique à juste titre que, par exemple, L’Ombre de Venceslao (1978) « est la seule pièce de Copi où un personnage meurt pour de bon. Venceslao se pend après s’être confessé au perroquet de sa maîtresse. Mais il revient sous la forme d’une ombre. » Dans l’article « Copi, le non-conforme » de Gilles Costaz, sur le journal Le Matin de Paris du 11 octobre 1983, Copi lui-même confirme cette idée de déni de la mort par la surexploitation de la mort fictionnelle : « Dans Le Frigo, c’est une des très rares fois où je ne tue pas mon personnage. Généralement, quand j’en crée un, je m’attends à lui asséner une mort violente. Là, ma transsexuelle ne meurt pas. C’est sans doute que je l’aime. » Alors qu’en soi la mort marque un achèvement non-définitif mais brutal et sans retour, Copi la conçoit comme un processus inachevé, une transition, un sommeil, un jeu, une schizophrénie : « Il se passe des choses très bizarres avec mes morts. Je n’arrive pas à les enterrer. C’est-à-dire, ils n’arrivent pas à mourir complètement. » (Jeanne au Marchand de melons, dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Dors, dors, mon mort… dors, dors, oh, mi amor… » (cf. le chant de Louise au Vrai Facteur, idem) ; « Je ne suis pas sûr qu’elle [Louise] ne soit pas morte ! Elle est très roublarde. Parlons bas ! Elle a quatre oreilles ! » (Jeanne au Marchand qui lui propose d’enterrer son amie Louise, idem) ; « Ne m’appelez pas madame. Appelez-moi mademoiselle, ou bien veuve. […] Je préfère que vous m’appeliez veuve. Bien que je ne le sois pas vraiment, mon mari n’étant pas mon mari et n’étant d’ailleurs pas vraiment mort, à vrai dire. » (Jeanne au Marchand de melons, idem) ; « J’ai encore tué. » (le narrateur homosexuel à son éditeur, dans le roman Le Bal des Folles, p. 121) ; « Je n’aime pas ce mélange de rêve et de réalité, j’ai peur d’être encore amené à tuer comme dans mes précédents rêves. […] Je sais que même si je ne suis pas un criminel, mon emploi du temps de ces quatre derniers jours m’est complètement sorti de la tête, n’aurais-je pas pendant cette période tué pour de bon ? Est-ce que Marielle ne courra pas un danger restant seule avec moi ? Non, voyons, je suis la personne la plus pacifique du monde. Les gens violents dans leurs rêves sont dans la réalité incapables de tuer une mouche. » (idem, p. 134)

 

En règle générale, les œuvres de fiction traitant d’homosexualité retranscrivent clairement le rapport idolâtre d’attraction-répulsion que le héros homosexuel entretient avec la mort : ce dernier est d’autant plus attiré par elle qu’il la craint : « Félicité imaginait son fils grelottant au petit jour devant un cadavre de la veille. Lui qui avait si peur de la mort, il devait faire une étrange tête. » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 45) ; « Un enchantement amer l’enchaînait à ce cadavre. » (idem, p. 48) ; « Je dois quitter Paris au plus vite ! À n’importe quel prix. […] Pour la première fois de ma vie, je sens la mort qui plane sur moi. Il faut fuir, et vite. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 20-21) ; « Max perdait les pédales, ce qui ne m’a pas étonné, il a toujours été hyperprotégé par ses parents. Ils n’avaient pas dû lui apprendre que la mort existait. » (François à propos de son « chéri », dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 118) ; etc. Par exemple, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, Dzav est nécrophobe.

 

La mort est d’habitude tellement crainte du héros homosexuel qu’elle est même vue par lui comme l’origine de la vie et de l’amour : « Soudain, nous nous souvenons que ce qui nous rapproche, ce qui nous attache l’un à l’autre, c’est ce mort entre nous. Nous sentons la présence de ce disparu entre nous. Nous sommes à nouveau ensemble, elle et moi. » (Vincent parlant de la mère d’Arthur, son amant, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 206) ; « Si dans les mains du Seigneur qui t’éduqua de la sorte bonheur rime avec malheur et les mots ‘vivante’ et ‘morte’ frappent toujours à la même porte, c’est au-delà de notre faute. » (Ahmed à Lou, sa femme morte, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « L’amour, la mort peut-être. » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « l’amour’ et ‘la mort !’ ça se prononce presque pareil ! » (Kévin à Bryan dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 114) Dans beaucoup d’ouvrages homo-érotiques, l’amour homosexuel débute précisément par une mort qui ne lui semble pourtant pas directement liée : cf. la mort du Rav dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, la mort du bébé à la frontière israëlo-palestinienne dans le film « The Bubble » (2003) d’Eytan Fox, la mort de Carlos le cousin de Miguel dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, etc.

 
 

f) Le personnage homosexuel se suicide ou est dégoûté de la vie :

Téléfilm "Prayers For Bobby" de Russell Mulcahy

Téléfilm « Prayers For Bobby » de Russell Mulcahy


 

Étant donné que la mort est à la fois sublimée et niée par les intentions esthétiques et sentimentalistes du personnage homosexuel, ce dernier en arrive très souvent à se la donner concrètement. On retrouve le thème du suicide en lien avec l’homosexualité extrêmement souvent dans les œuvres de fiction : cf. le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, le film « Ode To Billy Joe » (1976) de Max Baer, le film « Charlotte dite Charlie » (1995) de Caroline Huppert, le roman Mi Novia Y Mi Novio (1923) d’Álvaro Retana (avec le personnage de Roberto), la pièce Sortilegio (1942) de Gregorio Martínez Sierra (avec le personnage d’Augusto), la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora , la pièce Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi (avec le personnage de Daphnée qui tente de se suicider, et qui se rate), le film « La Fille aux jacinthes » (1955) d’Hasse Ekman, le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « Quartet » (1948) d’Harold French, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le film « La Victime » (1961) de Basil Dearden, le film « Amour à trois » (1969) de Sergio Capogna, le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy (Alexandre se jette du haut d’un train qui passe sur un aqueduc), le film « La Cage aux Folles » (1978) d’Édouard Molinaro, (avec Zaza et ses multiples chantages au suicide), le film « Alors, heureux ? » (1979) de Claude Barrois, Pierre Jolivet, et Marc Jolivet, le film « Colloque de chiens » (1977) de Raoul Ruiz, le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska (avec le suicide de Gayo), le film « Tempête à Washington » (1962) d’Otto Preminger, le film « Sergent » (1967) de John Flynn, le film « Play It As It Lays » (1972) de Frank Perry, le film « Mamá Es Boba » (1997) de Santiago Lorenzo (avec le suicide du journaliste homo), le film « Luc ou la part des choses » (1982) de Michel Audy, le film « La Rage au cœur » (2000) de Léa Pool, le film « Amor Maldito » (1986) d’Adelia Sampaio, le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler, le film « Bueberry Hill » (1989) de Robbe De Hert, le film « Total Loss » (2000) de Dana Nechushtan, le film « Quartiere » (1987) de Silvano Agosti, le film « Les Uns et les Autres » (1980) de Claude Lelouch, le film « Tir à vue » (1984) de Marc Angelo, le film « La Truite » (1982) de Joseph Losey, le film « Cahier volé » (1991) de Christine Lipinska, le film « Le Cahier volé » de Régine Desforges, le film « Le Goût de la cerise » (1997) d’Abbas Kiarostami, la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes (avec Frank, l’homosexuel suicidaire), le film « Bumblefuck, USA » (2011) d’Aaron Douglas Johnston, le film « Un Fils » (2011) d’André Gaumond, le film « Sala Samobójców » (« Suicide Room », 2011) de Jan Komasa, le film « Afternoon » (2008) de Ruaairo McKenna, le film « Duel » (2010) d’Edgar D’Alberto Rezende, le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann (avec le suicide d’un des deux personnages homos, Rovo), le film « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung (avec le suicide de Kisuki après qu’il ait découvert son impuissance sexuelle), le film « 3000 euro » (2009) de François Zabaleta (sur la tentation suicidaire et le suicide assisté), le téléfilm « Prayers For Bobby » (2009) de Russell Mulcahy (Bobby tente de se suicider en ingérant des médicaments, puis ensuite en se jetant du haut d’un pont), le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta (avec le suicide de François), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le suicide au cyanure), le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec le suicide d’Horacio Silberman, le directeur du Musée des Beaux-Arts de Buenos Aires), le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye (avec le suicide de Wang Ping dans la forêt), le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec le suicide de Martha, la lesbienne), le one-woman-show Mado fait son show (2010) de Noëlle Perna/Mado la Niçoise (avec la 28e tentative de suicide raté du gay dépressif), la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali (avec le suicide de Frédérique, l’héroïne lesbienne), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (avec le suicide par pendaison de Maurice), la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi (avec le personnage de Lou, suicidaire), le film « Absences répétées » (1972) de Guy Gilles, le film « Alger la Blanche » (1985) de Cyril Collard, le film « The Saddest Boy In The World » (2006) de Jamie Travis, le film « Charlotte dite Charlie » (2003) de Caroline Huppert, le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec le suicide de Jack), la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec le personnage lesbien d’Élodie), le film « Parfum d’absinthe » (2005) d’Achim von Borries (basé sur des faits réels, et racontant la vague de suicides commanditée par un cercle de jeunes étudiants homosexuels britanniques), le film « Attitudes » (2005) de Xavier Dolan (Jules, le héros homo, veut « en finir »), le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec le suicide du guerrier anglais), le film « Joe + Belle » (2011) de Veronica Kedar (Belle est suicidaire et sort d’un établissement psychiatrique), le film « Mia » (2011) de Javier Van de Couter (avec Mia, une jeune femme qui vient de se suicider), le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie (avec Armand, le héros homosexuel, qui essaie de se tailler les veines avec une scie), le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (qui tourne au drame quand le père finit par se suicider pour de vrai à la fin), le film « Starcrossed » (2005) de James Burkhammer (avec Darren et son frère Connor, amants secrets, qui finissent par se suicider dans une piscine, avec des menottes), le film « Darkroom – Tödliche Tropfen » (« Backroom – Drogue mortelle », 2019) de Rosa von Praunheim (avec Lars, le héros homosexuel suicidaire), la chanson « Veux-tu danser ? » de Michel Rivard, etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Claudia, la servante, fait croire qu’elle va se suicider à l’arme à feu. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, veut se jeter par la fenêtre. Dans la pièce Le Clan des Joyeux Désespérés (2011) de Karine de Mo, au moment où Lili rentre dans l’appartement de Mona où celle-ci tente de se suicider au gaz et qu’elle repose inanimée, elle lit le pendentif de Mona à l’envers (« Anom » = à n’homme)… et est tentée de lui faire un bouche-à-bouche lesbien, avant de se rétracter par acquis de conscience. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo, le personnage bisexuel, avoue avoir songé au suicide dans ses années lycée. Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, dit au médecin militaire qu’il a fait une tentative de suicide « parce que l’Autre a essayé de me noyer » : il parle en réalité de son frère, et essaie d’être réformé de l’armée. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent dit qu’il veut mourir. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Helena est attirée par la « jeunesse » de Sigrid, et cette dernière, en bonne profiteuse, la pousse au suicide. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, l’un des héros homos, décrit la vie comme « un gouffre ». Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan, le jeune héros homosexuel de 19 ans, a fait une T.S. (tentative de suicide) à 18 ans. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le beau Vincent raconte que la première fois qu’il a couché homosexuellement, c’était dans un coin reculé d’une plage, à l’âge de 15 ans, avec un homme de 20 ans, Sébastien, qui s’est fait sauter la cervelle à l’arme à feu un an après. Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le chroniqueur radio homosexuel licencié, est tenté d’en finir avec la vie en se tirant une balle au revolver, quand il est interrompu par l’arrivée impromptue de sa voisine de pallier, Antonietta. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, le jeune Louis, homosexuel, fait une tentative de suicide en se jetant du haut d’un immeuble désaffecté. Dans le téléfilm Fiertés (épisode 1) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, 17 ans, homo, est sur le point de se trancher la gorge avec une lame de rasoir. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Noé, le héros homosexuel, se suicide en se jetant dans un puits. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques, le héros homo atteint du Sida, planifie à la fin du film son suicide : « Je me sens plein d’une tristesse suicidaire. » Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John le héros homosexuel se suicide par overdose. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Rémi se suicide parce que son amant Léo a repoussé ses avances et n’a pas assumé leur « amour » d’adolescence.

 

Dans les créations de Tennessee Williams, Copi, Shakespeare, Thomas Mann, Julien Green, Bernard-Marie Koltès, etc., les personnages finissent souvent par se donner la mort. On retrouve la figure de l’homosexuel suicidaire dans le film « Mandragora » (1997) de Wiktor Grodecki, le roman Le Malfaiteur (1955) de Julien Green, les romans Confidence africaine (1931) et Un Taciturne (1932) de Roger Martin du Gard, le roman Macaron Citron (2001) de Claire Mazard, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume, le film « La Captive » (2000) de Chantal Akerman, le film « La Conséquence » (1977) de Wolfgang Petersen, la chanson « Je t’aime Mélancolie » de Mylène Farmer (« Un long suicide acide, je t’aime Mélancolie. »), etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

La question du suicide revient comme une marotte dans la bouche des personnages homosexuels : « On a pensé se suicider… mais comme on n’avait qu’une corde pour deux… » (Stef et Nono, dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Nono a le suicide maladroit. » (Stef en parlant de Nono, idem) ; « J’pense qu’au suicide. » (un des personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je songe au suicide. » (un escargot de la B.D. La Femme assise (2002) de Copi, p. 67) ; « J’ai suicidé la réalité, j’ai fait une apnée de moi même. » (l’Actrice de la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Dès que le rideau tombe, dès que la vie reprend, j’ai peur. » (idem, p. 32) ; « C’est agressif la vie. C’est agressif la vérité. » (idem, p. 33) ; « Je suis certain d’être bon pour la guillotine, rien qu’à y penser mes cheveux se dressent sur ma tête. Quand je songe au procès qui m’attend je suis encore plus effrayé. Tant pis, je me suiciderai quand cette vie me deviendra trop dure. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 125) ; « J’ai tellement envie de mourir… » (Petra dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « La vie m’est fade. » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 69) ; « Je suis un grand suicidaire. » (Eugène, le héros homo du one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « Je le saurais si j’étais suicidaire… » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Après deux matins, à l’aube, Claude [l’héroïne lesbienne] se suicide. » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 122) ; « Je voudrai ramper sous une pierre et dormir pour toujours. » (Bobby, le héros homo du téléfilm « Prayers For Bobby » (2009) de Russell Mulcahy) ; « J’ai failli me foutre en l’air. » (Morgane, héros transsexuel M to F, dans l’épisode 405 de la série Demain Nous Appartient, diffusé sur TF1 le 21 février 2019) ; « Décroche pas non plus, c’est pas la peine. J’suis complètement suicidaire. J’suis au-dessous de tout avec toi. Je me sens prisonnier, en apnée, au bord d’un gouffre. » (Adrien parlant au répondeur d’Eva, sa meilleure amie qu’il a éloignée volontairement d’Alexandre, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; « Rien d’extraordinaire : Fripounet voulait encore s’ouvrir les veines. » (Eva parlant d’un de ses amis gays après une discussion téléphonique, didem) ; etc.

 

Le suicide du héros homosexuel ou transgenre peut être symbolique, à travers la négation de soi-même : « Miri n’existe plus !!! » (Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi) ; « Je me sens si mal. J’en ai assez de vivre et j’ai peur de mourir. » (Michael, le héros homosexuel s’adressant à son ami Donald, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je pourrais me tuer. » (Alan, homosexuel, déprimé au téléphone, idem) ; « Harold fait une collection de barbituriques qu’il prépare pour anticiper le long hiver qu’est la mort. […] La mort, ce n’est pas comme au théâtre. Tu n’auras pas le courage de le faire. Tous les homos ne se flinguent pas à la fin de l’histoire. » (Michael, le héros homosexuel s’adressant plus ou moins directement à Harold son colocataire gay, idem) ; etc.

 

En général, c’est la star qui, par sa beauté fatale, sert de prétexte esthétique et d’alibi au suicide : cf. le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot (avec Nadège, la femme magnifique qui se suicide), la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec le suicide de l’actrice Vicky), la comédie musicale Non, je ne danse pas ! (2010) de Lydie Agaesse (avec la mariée qui se défenestre du haut d’un immeuble, et qui atterrit sur une Volvo verte), etc. « Je suis mort. Yolanda m’a suicidé. » (cf. le message que Yolanda écrit sur un journal de bord, dans le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar) ; « Ça a de la gueule, quand même. Mourir sur scène, sous les projecteurs. » (Raphaël Beaumont dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) La femme suicidée auquel le héros homosexuel s’identifie ressemble à « la fille d’à côté », à une moitié de cerveau d’une conscience en proie à une schizophrénie auto-destructrice, à la jumelle narcissique androgynique : « Elle s’est pendue vers six heures du matin, j’étais tout seul, j’écrivais et pourtant je n’ai pas entendu le moindre bruit. […] Pourtant la fenêtre de sa salle de bains donne sur la mienne. Et les deux étaient ouvertes. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 50) ; « Yo quiero morir. » (Max, le héros homosexuel travesti en Shakira, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « Je suis sur le point d’entrer dans mon frigo ! Je suis déçu de la vie et de ses apparences ! » (« L. », le héros transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Mon voisin sur un coup de tête s’est jeté aux oubliettes. » (cf. la chanson « Mon Voisin » du Beau Claude) ; etc.

 

Le suicide est appréhendé comme un chemin de sanctification, une voie d’accès à l’éternité cinématographique : cf. le roman Une Chute infinie (2009) de Mohamed Leftah, la chanson « C’est une belle journée » de Mylène Farmer, etc. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin se suicide pour être immortel : « J’aurais dix-huit ans à jamais. » (p. 461)

 

En réalité, le suicide du héros homosexuel, même si ce n’est pas dit explicitement, vient principalement d’un orgueil personnel démesuré (cf. le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, le film « Traitement de choc » (1972) d’Alain Jessua – racontant l’histoire d’un quinquagénaire homo qui met fin à ses jours parce qu’il refuse de vieillir, etc.), ou de drames surgissant dans sa vie amoureuse intime, plutôt que de la soi-disant non-acceptation sociale de son homosexualité. Par exemple, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt, Paul prend en cachette des photos de son amant Jack pour faire des articles à sensation sur son compte ; quand ce dernier le découvre, il se suicide devant lui pour assouvir sa vengeance et prouver sa blessure d’amour. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Léopold pousse son jeune amant Franz au suicide (il avale du cyanure). Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, la jeune collégienne Juliette tente de se suicider parce qu’elle est tombée excessivement amoureuse de sa prof de français. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin essaie de se pendre à cause de l’infidélité de son amant Bryan. Toujours dans ce roman, on découvre que Bryan, le héros gay, est aussi (voire plus !) responsable de l’abandon puis du suicide subséquent de son camarade de classe efféminé Julien, que ses camarades « hétéros » : « C’était mon frère de cœur. Nous avions la même faiblesse – si c’en est une – mais je ne me reconnaissais pas en lui. Je l’avais toujours ignoré. Finalement, j’étais peut-être pire que ceux qui se moquaient de lui. » (p. 49) ; « Personne n’était là quand Julien en avait besoin, quand il était bien vivant, quand il désespérait. Personne pour l’écouter, pour le comprendre et lui tendre la main… alors, il est parti. » (idem, p. 51) Dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, un steward suicidaire veut se jeter du haut d’un immeuble parce qu’il y ait poussé par une « Méchante Pédale ». Dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary, Mark se sent coupable du suicide de son ami Lester (qui s’est taillé les veines dans sa baignoire). Dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, George cherche constamment à se suicider parce qu’il ne se remet pas de la mort accidentelle de son compagnon. Dans La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, Aschenbach finit par mourir en contemplant l’objet de ses désirs : « Il semblait à Aschenbach que le psychagogue pâle et charmant lui souriait là-bas, lui faisait signe ; que, détachant la main de sa hanche, il la tendait vers le lointain, et prenant les devants s’élançait comme une ombre dans l’immensité pleine de promesses. Comme tant de fois déjà il voulut se lever pour le suivre. Quelques minutes s’écoulèrent avant que l’on accourût au secours du poète dont le corps s’était affaissé sur le bord de la chaise. On le monta dans sa chambre. Et le jour même la nouvelle de sa mort se répandit par le monde où elle fut accueillie avec une déférente émotion. » (p. 107) Tous ces exemples illustrent que la réalité et les causes réelles du suicide du héros homosexuel sont bien plus internes qu’externes au désir homosexuel.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La mort occupe une grande place dans la vie des personnes homosexuelles :

le réalisateur Eisenstein

le réalisateur Eisenstein


 

La mort occupe une grande place dans la vie des personnes homosexuelles. Déjà toutes petites, certaines parmi elles avouent avoir été obnubilées par elle. Leurs maîtres d’école déploraient leurs « goûts morbides » (Patrick White cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Elles ont parfois eu conscience de la mort et de la futilité de la vie très jeunes (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton). Par exemple, Federico García Lorca se rappelle de l’enterrement du compadre Pastor dans les moindres détails, alors qu’il n’avait pourtant que 3 ans (Francisco García Lorca, Federico Y Su Mundo (1980), p. 58). De son côté, Jean Cocteau a connu la mort de très près : dans sa jeunesse, il doit porter le suicide de son père. Malcolm Lowry consacre l’un de ses romans au Jour des Morts au Mexique (cf. le documentaire « Le Volcan » (1976) de Donald Brittain). À 14 ans, Paul Verlaine adresse à Victor Hugo un de ses premiers poèmes, intitulé « La Mort » ; d’ailleurs, ses élégies (« Melancholia », « Resignation », etc.) occupent une place non-négligeable dans son œuvre.

 

Il est fréquent que les personnes homosexuelles remplacent (dans la tête de ses parents ou en vrai) un enfant mort, après un accident, une fausse couche ou un avortement : « Ma sœur était morte [à l’âge de cinq ans] et ma mère m’appelait ‘sa petite fille’ et m’apprenait le canevas. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 77) ; « Une histoire qu’elle racontait souvent à qui voulait bien l’entendre : avant de me mettre au monde elle avait perdu un enfant. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 73) ; « Maman, j’ai envie de mourir. » (cf. propos de Kimy, un garçon transgenre M to F de 8 ans, rapportés lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; « Au début de ma puberté, quand j’avais 11-12 ans, j’ai pensé au suicide. » (Lucas Carreno, femme F to M, idem) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend que l’acteur homosexuel Jean Marais est arrivé jute après le décès de sa sœur Madeleine. Il a donc remplacé une morte, et a dû subir le refus du deuil de sa mère (sa mère qui, à sa naissance, s’est exclamée : « Enlevez-le, je ne veux pas le voir ! »). Jean Marais avouera lui-même qu’elle s’est bien rattrapée… sans lui en vouloir d’avoir vêtu dans son cœur et dans son identité l’âme d’une sœur morte : « Après, ma mère m’a adoré et j’ai adoré ma mère. Comme ma mère aurait voulu une fille, elle me traite en fille. » Il existe des liens étroits entre avortement (= infanticide) et homosexualité, que je développe par exemple dans le code « Petits Morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

À l’âge adulte, cette passion pour la mort ne s’atténue pas : « Jean Genet a toujours entretenu un rapport privilégié avec la mort, avec les morts. Et on peut même dire qu’à partir d’un certain moment il n’a écrit que pour les morts. L’occasion pour lui idéale d’un véritable spectacle théâtral ne serait-elle pas un convoi funèbre, le lieu idéal pour ce nouveau théâtre étant le cimetière ? […] Les deux dernières pièces de Jean Genet, les plus belles, Les Nègres et Les Paravents étaient envahies par la mort. » (cf. l’article « Donner aux morts » de Paule Thévenin, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 36) ; « La vie n’est pas digne d’être vécue. » (Stefan Sweig, juste avant son suicide, dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel) ; « Comme je crois au néant, y’aura plus rien de moi. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Dans son Journal (2008), le dramaturge Jean-Luc Lagarce tient la rubrique nécrologique de toutes les célébrités people : « Je ne note que les morts. » écrit-il. Sur le cliché Andy Warhol, Paris (1974) pris par Helmut Newton, Andy Warhol figure mort (ou endormi ?). Le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata raconte que, pendant l’Occupation, lorsqu’une rumeur a couru sur la prétendue mort de Charles Trénet, ce dernier envoya des cartes d’invitation d’un goût douteux : « Charles Trénet : ni juif, ni mort ! »

 

Il arrive que certaines personnes homosexuelles exercent le métier de croque-mort. Ce fut par exemple le cas du chanteur Jann Halexander. Pour ma part, je connais dans mon entourage proche des amis homosexuels qui sont réellement croque-mort.

 

Alors comment expliquer la corrélation entre homosexualité et mort ? Je crois que la coïncidence vient de la nature idolâtre du désir homosexuel. Cela en choquera peut-être certains, mais je le dis quand même : le désir homosexuel, même s’il est par ailleurs un élan d’amour et de vie, se rapproche davantage d’un désir de mort. « Le goût de vivre commençait à s’émousser. » (Christian, dandy homosexuel de 50 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) Comme il est éloigné de la Réalité – puisqu’il rejette en grande partie la différence des sexes –, il s’oriente vers un devenir-objet qui désincarne et déshumanise plus qu’il n’humanise et unifie l’individu qui le ressent. Dans mon essai Homosexualité intime (2009), j’explique ainsi pourquoi beaucoup de coming out font autant violence à des parents : en même temps que leur enfant leur annonce qu’il « aime » homosexuellement et qu’il « est » pleinement homo, il ne se rend pas compte (et les parents d’aujourd’hui de moins en moins également) qu’il dit par la même occasion qu’il souhaite mourir. On retrouve par exemple ce lien entre coming out et mort quand le réalisateur français François Ozon, à l’occasion d’une interview accordée au magazine gay Illico à propos de son film « Le Temps qui reste » (2005), fait un parallèle inconscient entre la révélation de l’homosexualité et la découverte d’une maladie mortelle : « Romain a un coming out à faire, non pas sur sa sexualité qu’il n’a jamais cachée, mais sur le fait qu’il va mourir. »

 

En voulant fuir les petites morts de l’existence, celles qui font davantage partie des hommes et des pères, les bonnes morts si elles sont au service de la douceur et des plus faibles (la guerre, les limites, la souffrance, l’effort, la loi, le combat, la force, le pouvoir, la politique, etc.), les personnes homosexuelles s’exposent fatalement à vivre les mauvaises morts, celle du confort et de la fuite du Réel (l’ennui, l’angoisse, la frustration, la schizophrénie, le fétichisme, la consommation, le doute, etc.), les mauvais côtés de la féminité (la possessivité, la vengeance, la jalousie, les complications amoureuses, etc.). « Cette génération veut abandonner la pulsion de mort qui est le propre de la virilité depuis des millénaires. Ils veulent être du côté de la vie, du côté des femmes. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 86) ; « Le pouvoir, c’est le mal, la mort, le phallus, l’homme. Plus personne, dans les jeunes générations de nos pays, ne veut assumer ce fardeau. » (idem, p. 120)

 
 

b) Le goût homosexuel pour les cimetières :

En outre, un certain nombre de personnes homosexuelles affectionnent les cimetières : je vous renvoie aux auto-portraits de la photographe lesbienne Claude Cahun dans les cimetières, aux photos de Jann Halexander, de Mylène Farmer, ou à l’univers du chanteur Mika lors de ses concerts.

 

Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, on apprend que la toute première rencontre entre Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent a eu lieu lors de l’enterrement de Christian Dior, en 1957 ; pour Bergé, cette inhumation est un jour capital, la pierre blanche sur laquelle s’est fondée leur « couple ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Regrets" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Regrets » de Mylène Farmer


 

Le cimetière est un lieu qui permet aux personnes homosexuelles de rentrer dans la peau de la veuve ou de la Drama Queen : « Si, comme Georges Perec, je ne me souviens pas du moment de ma naissance, en revanche je sais – depuis mon plus jeune âge – la passion que je porte aux cimetières. » (Michel Chomarat, dans les Archives des mouvements LGBT+ (2018) d’Antoine Idier, Ed. Textuel, Paris, p. 153) ; « Je ne sais pas pourquoi je suis allé sur sa tombe. Mais je sais que dans les allées de cet immense et magnifique cimetière en ruine, je me suis vu dans ma fin, en train de partir définitivement. J’ai vu encore une fois le monde arabe autour de moi qui n’en finissait pas de tomber. Et là, j’ai eu envie de pleurer. De crier de toute mon âme. De me jeter moi aussi d’un balcon. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) ; « Les cimetières ont vraiment une signification pour moi. » (le chanteur Jann Halexander, au micro de l’émission radiophonique Homo Micro sur RFPP, le 24 janvier 2011) ; « Je me souvins de la pinède proche du cimetière de St Tropez, ce lieu de drague […] » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 213) ; « J’adore les cimetières. C’est l’un des endroits dans lesquels je me sens bien. Où que j’aille dans le monde, je vais dans un cimetière, cela apprend beaucoup sur une culture, un peuple. » (la chanteuse Mylène Farmer, citée dans la biographie Mylène Farmer, le Mystère (2003) de Mathias Goudeau, p. 61)

 

Récemment, un ami homosexuel sexagénaire, marié avec plusieurs enfants, m’a avoué qu’il « recherchait le bonheur dans les cimetières en Allemagne, où il se trouvait dans la paix » ; il m’a aussi dit que depuis son enfance, et après dans ses relations amoureuses homosexuelles, il « avait subi des violences et avait tenté de se suicider ». J’ai également visité le fameux cimetière du Père Lachaise, et mon guide (un vieux papy lui-même homosexuel) m’a raconté combien l’endroit était un haut lieu de drague homosexuelle. Il a d’ailleurs rencontré plusieurs de ses amants là-bas ; certaines chapelles sont devenues de véritables backroom ou baisodromes, et il existe tout un réseau insoupçonné de rencontres amoureuses spécifiquement homosexuelles : hallucinant !

 

Je pense que le cimetière, plus qu’un lieu étrange ou une simple posture esthétique mélancolique, est le rempart d’un viol fantasmé ou réellement vécu par les personnes homosexuelles : «  Cette fois un ancien collègue de son père attira Ednar chez lui dans un guet-apens ; lorsqu’il comprit le but de l’invitation, il voulut s’enfuir. L’homme le retint ; il se débattit, parvint à se libérer et, enjambant la fenêtre, il s’enfuit et escalada le mur du cimetière voisin. Dans le crépuscule, il prit la poudre d’escampette pour échapper au viol. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), pp. 12-14)

 
 

c) Certaines personnes homosexuelles s’imaginent leur propre enterrement :

Les personnes homosexuelles ont tendance à se mettre à la place des absents ou des morts, bref, à prêter à la réalité la forme de leurs fantasmes de mort et de leurs sentiments égocentrés (souvent victimisants) : « J’entends les soupirs des mourants. C’était une nuit d’hiver. C’était nous deux et le temps des adieux. » (Stefan Corbin, pendant son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011) Je vous renvoie par exemple aux fameux dying organisés par Act-Up ou pendant les Gay Pride ; ou encore à la scène du mime d’assassinat par rafale de mitraillette dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin.

 

Jean Cocteau

Jean Cocteau


 

Le rapport des personnes homosexuelles à la mort est souvent de fascination identificatoire. Voilà pourquoi elles la présentent souvent comme une jumelle/un jumeau : « J’ai le sentiment que ma mère s’en veut toujours du décès de mon frère, comme si elle n’avait pas bien pris soin de moi, alors qu’elle n’avait que 15 ans ! J’ai aussi le sentiment qu’elle a fait une sorte de transfert sur moi. J’ai remplacé l’enfant mort. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 15) ; « Il aura fallu que je m’habitue à ce visage décharné que le miroir chaque fois me fait voir comme ne m’appartenant plus mais déjà à mon cadavre, et il aurait fallu, comble ou interruption du narcissisme, que je réussisse à l’aimer. » (Hervé Guibert évoquant son corps ravagé par le Sida, dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001), p. 500)

 

Comble du narcissisme : il arrive souvent qu’elles s’imaginent leur propre enterrement, pour pleurer et s’émouvoir sur elles-mêmes. Dans sa biographie Saint Genet (1952), Jean-Paul Sartre évoque le narcissisme de Jean Genet à s’imaginer mort (p. 218) ; dans le documentaire « La Villa Santo Sospir » (1949), Jean Cocteau explique qu’il a décoré la chapelle saint Pierre en 1957 « comme son propre sarcophage ». Dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, Luca (la trentaine) décide qu’à sa mort ses cendres seront dispersées dans le beau paysage urbain romain qu’il contemple. Par ailleurs, il n’est pas très étonnant que de nombreuses chanteurs célébrés par la communauté homosexuelle se filment morts à l’intérieur d’un cercueil ouvert dans leurs vidéo-clips (cf. « Everytime » de Britney Spears, « Tristana » et « Fuck Them All » de Mylène Farmer, « ¿ Qué Harás Tú Cuando Mueras ? » de Marta Sánchez, « Ghosts » de Michael Jackson, etc.).

 

Claude Cahun, "Autoportrait"

Claude Cahun, « Autoportrait »


 

« Il avait anticipé les lieux et l’espace de sa mort. Il voulait mourir au bord de la mer. » (Peter Kammerer parlant de son ami Pier Paolo Pasolini, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2012) d’Andreas Pichler) ; « Images que j’aimerais voir défiler avant de mourir. » (Denis intitulant une de ses séquences filmiques testamentaires qu’il offre à son amant Luther, dans le docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; etc.

 
 

d) « Je suis mort » :

Dans une boîte gay, pour Halloween...

Dans une boîte gay, pour Halloween…


 

Dans le même ordre d’idée, certaines personnes homosexuelles disent de leur vivant qu’elles sont mortes (autrement dit, elles énoncent l’impossible…) : « D’avance, j’étais mort, autant tout oser dès maintenant. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 28) ; « Un jour, je te raconterai la première fois que je suis mort. » (idem, p. 51) ; « À vrai dire, je suis déjà mort. » (cf. un extrait de la lettre d’Alfredo Ormando, qui s’est immolé lui-même au Vatican en 1998, dans le documentaire « Les Règles du Vatican » (2007) d’Alessandro Avellis) ; « Je suis mort. » (Jean-Luc Lagarce dans son Journal, 2008) ; « Chaque minute est une éternité quand on croit que l’on va mourir à la seconde suivante. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 72) ; « Au fond qu’est-ce que je risque, je suis déjà à moitié mort. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 155) ; « Et moi aussi, je suis mort. Bien sûr que je suis mort. Il ne reste rien de l’enfant qui n’avait pas dix ans. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 43) ; « En ce qui me concerne, je n’ai pas peur de la mort. Parce que j’ai été beaucoup plus de temps mort que vivant. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « J’étais dans ma deuxième vie. Je venais de rencontrer la mort. J’étais parti. Puis je suis revenu. » (cf. les toutes premières lignes de l’autobiographie d’Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 9) ; « D’avance, j’étais mort, autant tout oser dès maintenant. » (idem, p. 28) ; « La mort m’avait choisi. » (idem, p. 14) ; « C’était cela, la vérité. Mon corps réel. Il fallait changer. Le changer. Revenir au jour du départ et de l’arrivée. Maigrir. Absolument maigrir. Arrêter de manger. Jouer de nouveau, sans le savoir, avec la mort. » (p. 63) ; « C’est ça, la mort. La vraie mort. La mort directe, consciemment. […] Se détacher de son corps, du monde, en vitesse, dans l’effarement. » (idem, p. 94) ; « C’est quelque part comme si j’étais mort. » (Bruno Wiel, jeune homme trentenaire homosexuel, jadis agressé par quatre hommes et laissé pour mort, et parlant de sa situation présente, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Faire le mort était mon rôle préféré : mon ou ma partenaire jouait à ma place et je n’étais pas engueulé. » (Dominique Fernandez parlant des parties familiales de bridge, dans la biographie Ramon (2008), p. 38) ; « J’ai l’impression que je serai mort bien avant la diffusion de ce film. Je ne sais pas pourquoi je vous parle. J’ai l’impression d’un retour de ce vieux poison. Je le ressens comme une punition. Parce que je donne une mauvaise image de ces pauvres chrétiens. » (Thomas, homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, au moment où Bertrand Bonello demande à sa femme si elle doit retourner sur scène pendant son spectacle, celle-ci lui répond : « Ben non, chui morte », en se référant bien sûr à son personnage.

 

À la manière des zombies, elles prétendent vivre ou vivent leur vie comme si elles ne l’éprouvaient pas comme leur, sont des « joyeux suicidés moraux » (pour reprendre la formule de Jean-Paul Sartre dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 86), passant par une crise de dépersonnalisation, expérience qui rejoint la notion freudienne de narcissisme intégral. Comme l’écrivait Luis Cernuda, elles affirment « vivre sans exister ». Elles se comportent parfois en morts-vivants qui ne trouvent pas incongru d’affirmer « Je suis mort » alors qu’elles sont pourtant bien en vie.

 

Concernant mon expérience personnelle, à l’été 2002, je suis allé rendre visite près de Montpellier à un ami homosexuel, presque trentenaire, que j’avais rencontré sur Internet, et qui m’a hébergé quelques jours chez lui. Jamais je n’aurais imaginé que ces six journées seraient si interminables. Il s’est montré particulièrement désagréable à mon égard parce qu’il a vite compris qu’il n’arriverait pas à coucher avec moi. J’avais fait le déplacement spécialement pour lui, mais je voyais bien que ma présence l’agaçait prodigieusement, si bien qu’à la fin, alors que j’étais obligé de rester chez lui vu que je n’avais aucun pied à terre dans la région, il ne m’adressait quasiment pas la parole. Un jour qu’il avait été particulièrement peu loquace, et que je lui demandais pourquoi il ne me répondait pas, il m’avait sorti inconsciemment cette phrase surprenante qui avait résonné en moi comme un écho à toutes les fois où je l’avais déjà à l’époque entendue de la bouche d’autres personnages ou auteurs homosexuels : « Je ne suis pas agacé. Moi, je suis mort. » Quelques semaines plus tard, j’ai su le fin mot de son mutisme, de son attitude odieuse, et de cette phrase, puisque l’ami en question m’a avoué que juste avant mon arrivée, il comptait se suicider.

 
 

e) La mort prise pas assez au sérieux ET trop au sérieux :

Beaucoup de personnes homosexuelles ont tendance à se prendre pour leur propre mort afin de s’en protéger, car elles en ont une frousse maladive. « Victor Garcia, Copi, Jérôme Savary font partie des gens qui courent devant la mort. » (Colette Godard, dans sa biographie L’Enfant de la fête (1996) consacré à Jérôme Savary) ; « Plus que quiconque, sans doute, je répugne à la vue d’un corbillard et je m’en trouve profondément affecté ; une draperie mortuaire, accrochée à une porte, me rend malade pour une semaine entière. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 88) ; « Le monde s’est mis alors à trembler autour de moi. La terre s’ouvrait sous mes pieds. L’abîme. J’y suis tombé. Le cycle de la mort aveugle, que j’avais déjà croisé enfant, jeune homme, recommençait. C’était le désert. Le désert et la panique. […] J’avais peur, peur, peur… Peur de partir. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 93) Par exemple, lors de sa conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon, à la Mairie du IIIe arrondissement, le 18 novembre 2010, le romancier français Christophe Bigot parle ouvertement de son rapport idolâtre (d’attraction-répulsion) à la mort, de son « fantasme de guillotine » : « Je suis vraiment phobique à ce qui touche à la torture, à la guillotine, la lapidation, la peine de mort. C’est un truc que je ne guérirai jamais. » Dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, la « peur des malades et des morts » est considérée comme un symptôme d’homosexualité (p. 378). Dans son autobiographique Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko parle de son angoisse morbide (« La mort me faisait peur. », p. 98) et tente de « découvrir l’origine de la phobie de la mort comme dans un premier souvenir traumatisant de son enfance, celui de la mort de son grand-père lorsque j’avais 7 ans ». Le cinéaste russe Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’est photographié à côté d’un crâne humain.

 

L’identification à la mort médiatique ou cinématographique sera bien souvent chez elles un réflexe de survie face à une peur excessive de la mort réelle : « Je me complaisais à imaginer des situations dans lesquelles j’étais moi-même tué sur le champ de bataille ou assassiné. Pourtant, j’avais de la mort une peur anormale. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 30) ; « Depuis que j’ai 12 ans, et depuis qu’elle est une terreur, la mort est une marotte. […] La découverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d’un homme qui hurle d’impuissance à l’intérieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon père de me céder le crâne qui avait accompagné mes études de médecine, m’hypnotisant de films d’épouvante et commençant à écrire, sous le pseudonyme d’Hector Lenoir, un conte qui racontait les affres d’un fantôme enchaîné dans les oubliettes du château des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu’aux stories sélectionnées par Hitchcock, errant dans les cimetières et étrennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d’enfants, me déplaçant jusqu’à Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillés comme Anthony Perkins dans ‘Psychose’, la mort me semblait horriblement belle, féeriquement atroce… » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990, pp. 158-159) ; « Frisson de tristesse et de tendresse. Je comprends de nouveau mon destin – je ne pourrai jamais être aimé, alors qu’il me faut aimer, et c’est pourquoi j’attends la mort comme une rédemption. J’ai fixé au-dessus de mon bureau cette image de l’innocence rieuse, de la sottise, de la force et de la beauté. » (Klaus Mann en parlant d’une photo du skieur Arosa, dans son Journal (1937-1949), pp. 37-38) ; « New York me désespérait avec une grâce certaine où, la sereine langueur de la pollution piquée par le bruit et la chaleur, apportait un bonheur furtif et réparateur mais où, planaient irrémédiables, mon angoisse de vivre et l’attente de la mort. Damné jusqu’à la fin des temps, encombré de mes grandes jambes inutiles, j’étais seul, la nuit, plein de désirs inexaucés, sans savoir que mes seuls amis étaient les étoiles, émues, anonymes, de ma présence. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 118)

 

Comme la mort réelle est sublimée voire niée par le cinéma et les médias, elle est souvent perçue par les personnes homosexuelles comme l’origine de la vie et de l’amour : « Mon premier contact avec la maternité, c’est ma mère qui tombe inanimée et qui baigne dans son sang. C’est mon premier souvenir, le plus blessant et le plus percutant. Pour moi qui ne sait rien de la vie, d’un seul coup, la maternité c’est la mort […] c’est pour toutes ces raisons que je suis persuadée aujourd’hui que, bien que me sachant et me revendiquant de sexe féminin, j’ai refusé cette intrusion de l’enfant dans mon ventre. » (Paula Dumont parlant de la fausse couche de sa mère, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), pp. 54-55) ; « Je me suis sentie confusément coupable de la mort du fiancé de Janette Levreau et encore bien davantage du chagrin de cette dernière. Et depuis ces temps troublés, je me suis demandé souvent si je n’avais pas des pouvoirs paranormaux. En tout cas, je veille très attentivement à ne jamais avoir de souhaits homicides. […] Après avoir assassiné mon frère et un jeune militaire, j’ai assez de crimes sur la conscience ! » (Paula Dumont par rapport à sa maîtresse de CM2, Janette, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 47)

 
 

f) Quand la comédie devient sérieuse et orgueilleuse : le suicide

Étant donné que la mort peut être à la fois transcendée et niée par les intentions esthétiques et sentimentalistes, beaucoup de personnes homosexuelles en arrivent très souvent à la désirer, ou à se la donner concrètement. « Le taux de suicides chez les jeunes homosexuels est cinq fois plus élevé que la moyenne. » (Peter Gehardt dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; « Aujourd’hui encore en Suisse, un jeune homosexuel sur 4 fait une tentative de suicide. C’est 3 à 4 fois plus que chez les hétérosexuels. » (la voix-off dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010 ; dans cette même émission, Alexandre, jeune témoin homo suisse de 24 ans, raconte qu’il a tenté de se suicider).

 

Par exemple, les écrivains japonais Yasunari Kawabata et Yukio Mishima s’avouent partager « la même attirance de la mort, du suicide et de l’autodestruction » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 8). D’ailleurs, Mishima se suicidera vraiment pour rejoindre son amant Morita, en se faisant hara-kiri. Magnus Hirschfeld prétendra en 1914 que 300 de ses patients, soit 3% des 10 000 individus homosexuels qu’il a reçus, se sont donné la mort. Pour les seules années 1906-1907, on comptait six suicides parmi les sujets homosexuels officiers de l’armée allemande, dont l’existence avait été dévastée par les réclamations de maîtres-chanteurs. Pour sa part, le philosophe français Michel Foucault réclame le « droit au suicide » : « Des gens que nous ne connaissons pas […] ont préparé, avec beaucoup de soin, notre entrée dans le ‘monde’. Il n’est pas admissible qu’on ne nous permette pas de préparer nous-mêmes avec tout le soin que nous souhaitons, ce quelque chose auquel nous pensons depuis longtemps. » (Michel Foucault, « Un Plaisir si simple », Dits et Écrits II, 1976-1988 (2001), pp. 778-779)

 

Certains individus homosexuels expriment ouvertement leur souhait d’en finir avec leur vie : « Je n’étais pas loin de me fiche en l’air. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 130) ; « Le suicide avait longtemps flirté avec mes pensées, mais la peur de mourir avait occulté définitivement cette obsession. » (Ednar dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 34) ; « Mon désir de mourir est immense. Besoin profond de paix. » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 76) ; « Tous les gens vers lesquels je me sens attiré, et qui se sentent attirés vers moi, voudraient mourir. » (idem, p. 49) ; « La vie est un enfer. » (Yves Saint-Laurent s’adressant à son amie Loulou de la Falaise, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Au milieu de l’été de mes 15 ans, j’ai fait une tentative de suicide. » (Perry Brass, vétéran gay, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc.

 

Il y en a malheureusement qui sont passés concrètement à l’acte : Alfredo Ormando (qui s’est immolé en 1998 devant les bâtiments du Vatican), Bobby le jeune fils gay de Mary Griffith (qui a sauté du haut d’un pont d’autoroute aux États-Unis), Leslie Cheung (l’acteur homosexuel chinois qui s’est jeté le 1er avril 2003 du 24e étage du Mandarin Hôtel de Hong Kong), Carl-Joseph Walker-Hoover (un jeune garçon noir de 11 ans aux États-Unis, le 6 avril 2009), etc. On ne compte plus les personnalités homosexuelles qui se sont suicidées en vrai : Hart Crane, René Crevel, Philippe Jullian, Heinrich von Kleist, Jan Lechon, Yves Navarre, Louis Goulven Salou, Virginia Woolf, James Whale, Friedrich Krupp, Alan Turing, Roger Stéphane, Raymond Roussel, Pierre Molinier, Adrienne Monnier, Mario Mieli, Klaus Mann, Jean-Louis Bory, Fersen, Claude Cahun, Jean Boullet, Alain Pacadis, Louis II de Bavière, Annemarie Schwarzenbach, Bernard Buffet, Otto Weininger, Benedict Friedlander, Benedict Friedländer, Aaron Hernández, Stefan Sweig, etc. « Il y a aussi des allusions à une tentative de suicide qu’elle avait faite quand elle était adolescente… Hélène était malade. La plupart du temps, elle était brillante, elle passait aussi par des épisodes de dépression où, de son propre aveu, elle n’était plus elle-même. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 57) ; « Sans hygiène morale ni physique, leur tendance au déséquilibre, la drogue les conduisent souvent au suicide. » (Jean-Louis Chardans parlant des travestis, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 291) ; « Il y a toujours du chantage entre nous. C’est très très répandu. Ça se passe par des lettres ou des téléphones. Y’a mon premier ami que j’ai perdu de cette manière, d’ailleurs. Il s’est suicidé. À cause d’un chantage, oui. » (Frank, témoin homosexuel suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Dans les émissions de « télé-réalité » françaises, les stars d’un quart d’heure homosexuelles qui se sont données la mort ne manquent pas : on peut penser au suicide par pendaison de « Jpé », l’un des participants de Trompe-moi si tu peux (juin 2010) sur la chaîne M6 ; ou encore au suicide d’« FX » (François-Xavier Leuridan) de Secret Story 3 (2009) sur la chaîne TF1 (lui s’est jeté sous une voiture qui circulait sur autoroute).

 

Parmi les personnes transgenres ou transsexuelles, le taux de suicide bat tous les records, notamment parce qu’elles nient leur sexuation, ont souvent été violées étant petites, ou bien parce que leur « transition » est douloureuse et laisse de lourdes séquelles. Par exemple, dans le documentaire « Mr Angel » (2013) de Dan Hun, Buck Angel, transsexuel F to M, est passé par plusieurs tentatives de suicides et addictions à la drogue.

 

Le désir de mort n’est évidemment pas propre aux personnes homosexuelles. Sigmund Freud constate l’existence d’une destructivité foncière chez l’Homme, qu’il appelle « pulsion de mort ». Cependant, il semblerait que le désir homosexuel, plus que d’autres désirs humains, est davantage un élan qui oriente vers la mort qu’un élan de vie. Dans son essai Homoparenté (2010), le psychanalyste Jean-Pierre Winter explique d’ailleurs comment le rejet de la différence des sexes dans le couple homosexuel induit un « déni de la différence entre la vie et la mort » (p. 135), donc un glissement vers la destruction, la désincarnation et la division de l’être humain, du couple, et de la famille.

 

Avec Facebook apparaissent aussi les cas médiatisés d’adolescents dont le suicide est présenté caricaturalement comme une conséquence directe de l’homophobie soi-disant « non-homosexuelle » (Tyler Clementi, ce violoniste introverti qui se suicida en 2010 parce que ses ébats homosexuels avaient été filmés par son colocataire ; Lance Lundsten, un lycéen de 18 ans, dans le Minnessotta, en 2011 ; Kameron Jacobsen, un jeune New-yorkais de 14 ans, en 2011 ; Jack Reese, mort à 17 ans, en 2012 ; Jeffrey Fehr, 18 ans, harcelé à l’école au nom de son homosexualité, et qui s’est suicidé en janvier 2012 en Californie ; etc.). Je vous renvoie à la campagne « It Gets Better » (« Ça ira mieux ») de Dan Savage, menée en 2010 sur YouTube contre la vague de suicides des jeunes gay, et qui fut relayée par des personnalités des États-Unis telles que Barak Obama, David Paterson, Hillary Clinton, Gloria Estefan, etc.

 

On remarquera que le dossier des « suicides d’homosexuels » ou des « suicides pour cause d’homophobie » sert à alimenter une véritable censure sur les réelles causes des suicides des personnes homosexuelles, qui ne sont pas tant exogènes qu’endogènes (cf. je vous renvoie à mon papier sur les clés pour sortir des tentations de déprime ou d’envies de suicide liées à l’homosexualité). En effet, si on regarde bien les cas où les individus homosexuels ont mis fin à leurs jours, on constate que leurs suicides s’expliquent certes par des facteurs extérieurs à reconnaître, mais principalement par des histoires internes au « milieu LGBT », par les attitudes inadmissibles des personnes homosexuelles entre elles dans le cadre amoureux : « Je souffris de nouveau énormément de cet amour malheureux : je fus même au bord du suicide. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 81) ; « J’en arrive même à me persuader que je n’aurai pas à me suicider parce que cet amour va s’en charger à ma place. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 59) Par exemple, Malcolm Lowry a refusé les avances d’un camarade de lycée, qui s’est ensuite suicidé.

 

Le plus paradoxal, c’est que beaucoup de personnes homosexuelles, en se focalisant sur des termes tels que « homophobie » ou « suicide » qu’elles ne veulent surtout pas comprendre, en faisant l’autruche pour que les causes des suicides de personnes homosexuelles ne soient pas identifiées – et ce, toujours dans un principe bien-intentionné de sur-protection des victimes –, poussent finalement les individus homosexuels qu’ils veulent préserver du suicide au suicide, en inversant les problèmes et leurs solutions. Par exemple, dans l’émission Homo Micro du 13 février 2007, Jean Le Bitoux conseille aux personnes homos de ne pas aller voir les psys car « il y a des suicides après ». Or c’est précisément parce qu’elles ne vont pas voir de bons psys et des amis qui pourraient les aider à mettre des mots sur leur mal-être qu’elles en viennent justement à commettre parfois l’irréparable.

 

La problématique des suicides des gens homosexuels est bien sûr sociale, mais aussi et surtout individuelle et désirante. Nous aurions tout intérêt – parce qu’on ne le fait pas assez – de nous pencher sur la question de la haine de soi (que traduit le désir homosexuel), de l’orgueil blessé, de l’éloignement du Réel par l’esthétique de la mort, de l’impact parfois dramatique de certains médias dans le processus de construction de l’identité sexuée et sexuelle de nos contemporains, pour traiter de l’étiologie des suicides des sujets homosexuels.

 

Car en général, c’est l’excessive identification sentimentaliste à la star suicidaire (il suffit de prendre un peu au sérieux l’esthétisme mélancolique d’une Dalida, d’une Marilyn Monroe, d’une Judy Garland, ou d’une Mylène Farmer, pour s’abandonner à la mort) qui sert à un certain nombre de personnes homosexuelles d’alibi au suicide : « Je n’ai jamais oublié Souad Hosni. Je n’avais pas oublié son feuilleton Houa et Hiya qui me faisait courir dans mon adolescence, à la sortie du collège. J’avais depuis rattrapé mon retard en regardant presque tous les films qu’elle avait tournés. Je l’avais suivie de près, de très près, avec attention et une certaine admiration. Et puis, au début des années 90, après l’échec retentissant de son film ‘Troisième Classe’, elle avait disparu. Pendant deux ou trois ans, on ne savait pas où elle était. Elle se cachait en fait à Londres où elle soignait un mal de dos et une dépression chroniques. On la disait sans le sou, ruinée. L’État égyptien, qui payait pour son hospitalisation, avait fini par la lâcher, l’abandonner. En juin 2001, elle s’était suicidée en se jetant du balcon de l’appartement où elle résidait à Londres. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) ; « Là, dans cette obscurité, dans cette exécution, cette mort volontaire, je me suis souvenu de ma sœur hantée. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, op. cit., p. 123)

 

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Code n°128 – Mort = Épouse (sous-code : Veuve)

Mort = Épouse

Mort = Épouse

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

Mariées avec la mort ?

 

Incroyable mais vrai : beaucoup de personnes homosexuelles croient inconsciemment qu’elles sont mariées à la mort. Ce n’est pas moi qui l’invente : ce sont elles qui le disent ! Alors bien sûr, elles prétendront que c’est faux parce qu’elles savent bien faire intellectuellement la différence entre la mort cinématographique et la mort réelle… mais dans leur cœur, c’est beaucoup moins clair.

 

Elles célèbrent en général la mort dans sa forme la plus parfaite : l’actrice ou la veuve (Je traite plus largement de la mort en général, et de la place du suicide en particulier, dans le code « Mort » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). À les entendre, la Faucheuse serait l’épouse idéale et « pure » (le narrateur du roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, pp. 46-47), le reflet narcissique qu’elles pourraient rejoindre pour gagner l’éternité et s’auto-contempler. Leur identification à la veuve drapée de sa mantille noire, portant des lunettes de soleil pour cacher sa fausse/digne peine, est relativement fréquente dans les fictions traitant d’homosexualité.

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles – y compris celles qui ne se pensent pas suicidaires ou déprimées – prennent la Camarde pour leur fiancée. « Je sens que la mort m’aime et me cherche pour m’emmener dans son inframonde. » (Raúl Gómez Jattin sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) Certaines disent même préférer la mort à leur amant, et remarquent que ce dernier aussi, comme le montrent les propos de Klaus Mann dans son Journal (1937-1949) : « Lui, il aime la mort à vrai dire davantage que moi. » (p. 53) Il s’agit d’une croyance absurde, puisque l’Amour vrai, même s’il se manifeste parfois dans des situations d’épreuves, n’a jamais eu besoin de la souffrance ni de la mort pour exister. Mais elles s’obstinent à la rendre effective par l’intermédiaire de l’esthétique, pour se créer un destin de star romantique maudite et devenir un objet sacré.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mort », « Morts-vivants », « Frankenstein », « Femme-Araignée », « Reine », « Mère possessive », « Femme fellinienne géante et pantin », « Homosexualité noire et glorieuse », « Carmen », « Actrice-Traîtresse », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Amant triste », « Vampirisme », « Amant narcissique », « Femme allongée », « Mariée », « Se prendre pour le diable », « Liaisons dangereuses », « Coït homosexuel = viol », à la partie « Rouge et noir » du code « Corrida amoureuse », à la partie « Fixette sur un amant perdu et déifié » du code « Clonage », et à la partie « Nécrophagie » du code « Cannibalisme », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) Le personnage homosexuel considère la Mort comme une épouse à qui il doit rester fidèle :

Film "Giorgino" de Laurent Boutonnat

Film « Giorgino » de Laurent Boutonnat


 

Dans les fictions homo-érotiques, la Mort est très souvent associée par le héros homosexuel à une épouse, une mère, une sœur, une star qu’il ne peut trahir : « Elle est ma sœur, la Mort ! » (l’Infirmière dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 63) ; « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. Je me rappelle Maman presque tous les jours. Je me souviens d’un après-midi en particulier. Nous étions sur les rives de la Sunshine Coast, dans le golfe d’Alaska. Partout il y avait de la neige, c’était blanc à perte de vue. Papa avait acheté un Polaroïd, Maman s’était assise sur un tas de neige. Son visage ce jour-là sera son visage pour toujours. J’entends tout à coup le ‘clic’ de l’appareil, le ‘zzz’ de la photo qui sort – petit à petit, le portrait se révèle… Je trouve ça magique. Et pourtant, lorsque les traits de Maman deviennent tout à fait nets sur le papier glacé, je ne la reconnais plus… Elle a déjà changé. Je la regarde, je regarde la photo, je la regarde, je reviens à la photo : ma mère s’enfuit ! Je pleure énormément. La photo tombe sur la neige. Quand mon père la ramasse, les couleurs ont suinté, le visage de ma mère n’est plus qu’une traînée rose. » (Chris, l’un des héros homosexuels du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44) ; « Je décide d’attendre sans bouger un long et profond sommeil qui ressemble à la mort comme je l’imagine. J’y vois maman dans une grande robe blanche. Elle me sourit, court dans un champ de fleurs bleues. On dirait qu’elle vole. » (le jeune narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 88) ; « Je sortais avec une fille mais… elle est morte. » (Antoine, le héros, en parlant de sa meilleure amie Sophie – pourtant toujours vivante au moment où il en parle – dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, p. 15) ; « Sophie avait modérément apprécié qu’il la fasse passer pour morte. » (idem, p. 21) ; « Dans un dernier flash, elle [Truddy] vit le visage de sa mère, morte à sa naissance et qu’elle n’avait connue que par des photos. » (cf. la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 40) ; « Perdu le coeur d’une femme, et la mort porte son nom. » (cf. la chanson « Insondables » de Mylène Farmer) ; « Toi aussi, t’as eu ta période gothique. » (Louis, le héros homo, s’adressant à sa mère, dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel) ; « Je me demande si la mort ressemble à ça. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West juste après qu’elle l’a fait jouir au lit, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

La Mort (Maria Casarès) dans le film "Orphée" de Jean Cocteau

La Mort (Maria Casarès) dans le film « Orphée » de Jean Cocteau


 

Dès l’incipit de son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), le comédien Raphaël Beaumont rentre sur scène en ayant une conversation téléphonique amoureuse avec la mort (« Non, c’est toi qui raccroches… Ah non, c’est tooooi ! »). Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, la Mort, personnifiée par Maria Casarès, symbolise également l’amour-glamour : « Vous vous attendiez sans doute à me voir travailler avec un suaire et une faux ? Mais mon garçon, si j’apparaissais aux vivants tel qu’ils me représentent, ils me reconnaîtraient, et cela ne faciliterait pas notre tache. » Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, la cantatrice d’Opéra, Regina Morti – dont le nom signifie « Reine des Morts » – déclare sa flamme à Cyrille, le héros homosexuel mourant du Sida sur son lit d’hôpital ; ce harcèlement de star mythomane le fait réagir (« Vous êtes folle ? Nous ne sommes pas mariés ! », p. 50) ; et elle lui donne une réponse déconcertante : « Nous le sommes dans le royaume des morts. […] Je vous attends dans l’au-delà per il grande finale ! » En bonne star paranoïaque en mal de fans et de reconnaissance, elle lui attribue même des mots doux qu’il n’a jamais écrits. Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, la vieille Olga raconte les horreurs de la Seconde Guerre mondiale à Katya et à Anton, le héros homosexuel, et dit qu’elle a connu les Nazis.

 

Film "le Secret de Veronika Voss" de Rainer Werner Fassbinder

Film « le Secret de Veronika Voss » de Rainer Werner Fassbinder


 

Il est très fréquent dans la fantasmagorie homosexuelle que le personnage homosexuel identifie son amant à la Mort : « Tout ce qu’elle veut, c’est me voir morte. » (Rinn parlant de Juna, la femme qu’elle aime, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Mon amour, mon ange noir, pardonne-moi. […] Je l’aimais Suki. Je l’aimais. » (Kanojo parlant à Juna, son amante qu’elle a tuée par un combat de magie, idem) ; « J’avais l’impression que j’étais en train de mourir. Mais vue comme ça, la mort, c’était ce que j’avais connu de meilleur dans ma vie. » (Mourad, l’un des deux héros homosexuels décrivant son premier émoi amoureux pour un homme, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) ; « Tu vois l’amour comme un tombeau. » (la Dame Étoile à Tania l’héroïne lesbienne, dans la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « Gabrielle s’épouvantait de céder ainsi au plaisir vain de s’adresser à une morte [Émilie]. […] Là où elle était, Émilie n’attendait plus rien, Gabrielle non plus. Mortes toutes deux… toutes deux. Ou presque. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), pp. 208-209) ; « J’ai rencontré la mort et j’ai pas osé l’envoyer chier. » (Frédérique Quelven dans son one-woman-show Nana vend la mèche, 2009) ; « J’ai voyagé d’une morte à l’autre. » (Laura en parlant de sa compagne Sylvia puis de sa mère, dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 200) ; « La Mort prochaine et moi, nous faisons nos adieux, nous nous promenons, nous marchons la nuit dans les rues désertes légèrement embrumées et nous nous plaisons beaucoup. » (Louis dans la pièce Juste la fin du monde (1999) de Jean-Luc Lagarce) ; « Je danse avec la mort. » (la figure de Frida Kahlo dans la pièce Attention : Peinture fraîche (2007) de Lupe Velez) ; « Ce n’était ni pour sa fortune, ni pour son élégance qu’Élisabeth l’avait épousé, ni pour sa grâce. Elle l’avait épousé pour sa mort. » (la voix-off de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « La mort seule m’aimera. » (Mino dans le film « À travers le miroir » (1961) d’Ingmar Bergman) ; « C’est la mort qui m’épouse. » (Antigone dans la pièce éponyme (1922) de Jean Cocteau) ; « L’amour, la mort, peut-être. » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « Oui, la mort était bien là. […] Assise au bord de mon lit, les coudes relevés en os sans chair, la faux entre les jambes, la tête chauve et le crâne escarpé, du noir autour des yeux et le sexe disparu, la mort me proposa un dilemme sagement monstrueux. C’était lui, l’homme sans visage de la voiture ou elle. Elle ou lui ? Lui ou elle ! » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 107) ; « Je pensais que ce serait sexy de voir Dean te tuer. » (Wayne au cadavre de Jimmy, dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper) ; « Sexy coma, sexy trauma, sexy coma… » (cf. la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer) ; « Je reconnais alors la voix d’un cher défunt, d’un défunt qui ne respire plus que par mes lèvres : toujours, quand l’enthousiasme me donne des ailes, je suis lui. » (le narrateur homosexuel du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 66) ; « Jamais peut-être, ils n’avaient été aussi proches l’un de l’autre, mystérieusement aussi proches. » (Malcolm au chevet de son amant Adrien, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 130) ; « Et mourir d’être mortelle, mourir d’être aimée. » (cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer) ; « Sur vos tombes, j’irai cracher. Chacun, je les souillerai de mes déjections de pédé. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Je m’accroche à la certitude que l’amour ne dure pas. » (Sylvie, la « fille à pédés » dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Le soir je dors profondément à côté de mon éditeur. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 124) ; « Karma est capable d’être en retard à son propre enterrement. Mais je l’aime. » (Amy en parlant de sa fausse copine Karma, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « Il n’est qu’un oiseau de mauvais augure. Cet homme est froid comme la mort. » (le Père 2 parlant de son futur gendre, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Un ange éploré était accroupi à la base d’une grande croix, les bras levés vers le ciel dans une posture suppliante. Ses ailes étaient aussi longues que son corps, son visage beau et torturé, évoquant un Jésus féminin. Le sculpteur avait fait du bon travail ; une impression de lumière se dégageait des plis de pierre de sa robe, laquelle épousait ses formes athlétiques mais manifestement féminines. Jane s’aperçut que son regard s’attardait sur les fesses de l’ange. Elle rit et murmura : ‘ Du porno de cimetière. » (Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 46) ; « J’ai envie de toi, là, maintenant, sur le cercueil ! » (Vincent s’adressant mentalement à son amant et demi-frère Nicolas face au tombeau de leur père, dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux) ; « L’amour est aussi fort que la mort. » (Valmont dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « J’ai rêvé que t’étais morte. » (Mathilde s’adressant à son amante Isabelle, dans la pièce Elles s’aiment depuis 20 ans de Pierre Palmade et Michèle Laroque) ; « Je suis là. T’as pas besoin de faire semblant d’être déjà mort. » (Arthur s’adressant à son amant Jacques, malade du Sida, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

C’est la mort (ou un mort) qui permet la formation du couple homosexuel fictionnel. Par exemple, dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, c’est un mort, Buddy (le grand-frère de Idgie, et le fiancé de Ruth), qui réunit les deux femmes. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, la Mort est présentée comme une partenaire de vie. Sergueï Eisenstein, homosexuel, danse la valse avec un squelette : « La mort est proche ici. Elle me tape sur l’épaule. » ; « La mort devrait toujours être prête à répondre à un appel. » ; etc. Son amant Palomino aussi. Ce dernier dit qu’il a rendez-vous avec la mort : « La mort est une amie, pas une étrangère. Ici, au Mexique, la Mort arrive souriante, sobre. » Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo Nathan euthanasie son amant Sean, malade du Sida, puis ensuite le tromper le soir même de sa mort… mais tout ça est présenté comme de l’« amour ». Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, un Allemand, est en couple épisodique avec Oren, un Israëlien, qui finit par se tuer dans un accident de voiture à Jérusalem. Tomas décide d’aller sur les traces de son amant en terre juive. Oren apparaît sous forme de flash-back, d’images réelles et de résurgences actualisées. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, drague 18 ans après avoir perdu son amant de jeunesse Nathan, le frère de ce dernier, Léonard. Une façon pour lui de conjurer le sort et de retrouver Nathan.
 

Le duo Eros et Thanatos rencontre un certain succès dans les œuvres de fiction homosexuelles, puisque très souvent, les deux amants homosexuels se retrouvent davantage dans la mort que dans la vie : cf. le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol (dans lequel l’amant tant aimé se suicide), le film « Thelma et Louise » (1991) de Ridley Scott (avec le suicide collectif du couple lesbien), le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar, le film « Liebe Ist Kälter Als Der Tod » (« L’Amour est plus froid que la mort », 1969) de Rainer Werner Fassbinder, la pièce Doña Macabra (1970) d’Hugo Argüelles, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox (avec les deux amants qui finissent par se faire sauter à la bombe ensemble), le film « Du sang, de la volupté et de la mort » (1947-1948) de Gregory J. Markopoulos, le film « Je t’aime, je te tue » (1971) d’Uwe Brandner, le film « Mourir d’aimer » (1970) d’André Cayatte, le film « Rites d’amour et de mort » (1965) de Yukio Mishima, le film « O Beijo No Asfalto » (1985) de Bruno Barreto, le film « La Chair et le Sang » (1985) de Paul Verhoeven, le film « Man To Man » (1992) de John Maybury, le film « Amour et mort à Long Island » (1997) de Richard Kwietniowski, le film « The Sweet Smell Of Death » (1995) de Wong Ying Git, le roman La Vallée heureuse (1939) d’Anne-Marie Schwarzenbach, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le vidéo-clip de la chanson « Peut-être toi » de Mylène Farmer (dans lequel les deux amants finissent transpercés mortellement par la flèche de leur amour), le film « Mercy » (« Amours mortelles », 2001) de Damian Harris, le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, les films « New Wave » (2008) (avec Romain, l’amant mort) et « Après lui » (2006) de Gaël Morel (avec Camille, la mère endeuillée de Matthieu), le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet (dédié à son ami de prison Maurice Pilorge, condamné à mort), le roman L’Amant des morts (2008) de Mathieu Riboulet, la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander, le roman La Vie privée (2014) d’Olivier Steiner, la chanson « Monsieur Vénus » de Juliette (avec la protagoniste lesbienne couchant avec le cadavre de son amante), etc.

 

Par exemple, dans le film « La Dérade » (2011) de Pascal Latil, après avoir subi une greffe cardiaque qui lui a sauvé la vie, Simon apprend que le donneur est en fait son compagnon François décédé dans un accident de voiture : Simon remplace un mort. Dans le roman L’Amant pur (2009) de David Plante, la tumeur au cerveau qui emporte Nikos empêche et paradoxalement permettrait « l’amour » entre lui et son amant David. Dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden, Graham veut retrouver son amour de jeunesse avant de mourir alors qu’il se sait malade d’une maladie incurable : c’est sa dernière volonté. Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, faire son deuil et faire son coming out sont mis sur le même plan : accueillir l’existence de l’amour homo serait équivalent à dépasser la mort. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, le secouriste qui a sauvé de la noyade son futur amant Konrad mais qui est arrivé trop tard pour Heiko le partenaire de ce dernier, sert d’amant de substitution à Konrad, finalement. Il remplace un mort. D’ailleurs, Konrad le lui fait remarquer : « Tu t’es habitué à la mort. » Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler meurt fusillé dans les bras de son amant Jim, pendant la Guerre des Boers, en 1916 en Irlande. Dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, Radmilo tient en bras son amant Mirko juste après une sanglante Gay Pride à Belgrade, et juste avant qu’il ne meurt. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Grégory vient d’enterrer son compagnon Gérard, mort dans un accident effroyable de voiture.

 

Il n’est pas rare de voir le héros homosexuel faire l’amour à son amant décédé (cf. je vous renvoie aux codes « Cannibalisme », « Coït homosexuel = viol », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », ou encore « Violeur homosexuel », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le héros homosexuel, n’arrive à jouir et à vivre la génitalité homosexuelle qu’une fois avoir étranglé son fantasme incarné en Jean. Dans le film « Drift » (2000) de Quentin Lee, les amants trouvent très romantique de s’imaginer s’aimer dans la mort : « J’aimerais mourir avec celui que j’aime. Un double suicide. On s’ouvrirait les veines dans une baignoire et on ferait l’amour, jusqu’à mourir dans nos sangs mêlés. » Dans la série nord-américaine Grey’s Anatomy, Todd embrasse sur la bouche le cadavre de Darren, son amant (et ancien camarade de front en Afghanistan) sur la table d’opération, et qui a succombé à une lourde opération de tumeur au cerveau. À la toute fin du film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, Jim est l’allégorie de la mort qui vient chercher son amant George et lui donne le baiser mortel qui l’entraînera avec elle. Dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, Ahmed fait un baiser à Saïd, son copain, mort carbonisé par la foudre : « Il dépose un long baiser sur les lèvres meurtries de son ami de la campagne. » (p. 48) Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin embrasse le cadavre de son copain Bryan : « Kévin se pencha vers moi, ses larmes coulaient sur mon visage. Il m’embrassa. Ses lèvres sur les miennes étaient chaudes et douces. » (p. 452) Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Miguel pleure sur la momie de son amant Santiago avant de la jeter à jamais dans la mer. Dans le film « Odete » de João Pedro Rodriguez, Rui embrasse le cadavre de son amant Pedro exposé dans un cercueil aux pompes funèbres. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), les deux héroïnes lesbiennes, Kelly et Yorkie, s’unissent dans l’euthanasie. Dans la série The Last of Us (épisode 3, 2023) de de Neil Druckmann et Craig Mazin, Frank demande à son amant Bill de l’euthanasier (car il se sait condamner par la vieillesse et la maladie) sous forme de mariage non-officiel, en le droguant puis en s’endormant dans ses bras. Bill, ne voulant pas être seul, se suicide avec Frank, façon tragédie romantique.

 

Film "Odete" de João Pedro Rodrigues

Film « Odete » de João Pedro Rodrigues


 
 

b) La veuve est un personnage habituel de la cour des miracles homosexuelle :

Mylène Farmer pendant sa tournée "N°5"

Mylène Farmer pendant sa tournée « N°5 »


 

La figure de la veuve est un leitmotiv des œuvres artistiques traitant de l’homosexualité : cf. le film « Átame » (« Attache-moi », 1989) de Pedro Almodóvar, la pièce Eva Perón (1970) de Copi, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec Élisabeth), les chansons « La Veuve noire » et « Sans Logique » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Let Your Head Go » de Victoria Beckham, le film « Indian Palace » (2011) de John Madden (avec Evelyn, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Marie, foulard autour de la tête, look sixties, lunettes noires), la veuve gay friendly qui comprend Graham), le film « Les Amants diaboliques » (1943) de Luchino Visconti (avec la figure de Giovanna), le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec la comédienne Patachou), la pièce La Casa De Bernarda Alba (La Maison de Bernarda Alba, 1936) de Federico García Lorca, La Veuve joyeuse (2005) de Jérôme Savary, la pièce L’École des Veuves (2008) d’Hazem El Awadly, la nouvelle The Roman Spring Of Mrs Stone (1961) de Tennessee Williams, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven (avec la veuve noire), la comédie musicale Fame (2008) de David de Silva (avec la cousine Conchita), le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (avec Mme Fève et Mme Especel), le film « Exposé » (1976) de James Kenelm Clarke, la pièce La Reine morte (1942) d’Henri de Montherlant, la pièce Doña Macabra (1970) d’Hugo Argüelles, le film « The War Widow » (1976) de Paul Bogart, le film « La Veuve noire » (1986) de Bob Rafelson, la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, le film « Les Veufs » (1991) de Max Ficher, le film « La Vespa » (2001) de Gianlucca Fumagalli, le film « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure, le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat (avec Lady Felicity), la pièce Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud, le one-man-showJérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, le film « A Festa Da Menina Morta » (2008) de Matheus Nachtergaele, la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar (avec Victoria Abril en présentatrice-télé sadique, en grande prêtresse de la Mort en direct), la pièce L’Orféo (2009) d’Alessandro Striggio (avec la figure sépulcrale de Sylvia), le one-man-show Petit cours d’éducation sexuelle (2009) de Samuel Ganes (avec la Princesse de la Mort), la chanson « Mourir sur scène » de Dalida, la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan (avec la figure de Roxane en veuve inconsolable), le film « L’Enfer perverti des veuves » (1991) d’Hisayasu Sato, le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander (avec la mère endeuillée), le film « Un Mariage de rêve » (2009) de Stephan Elliot, la pièce Minuit chrétien (2008) de François Tilly, la pièce Tante Olga (2008) de Michel Heim (avec la Tante Olga), le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec Rosalia et Concetta, les veuves travesties), le film « Un Mariage de rêve » (2009) de Stephan Elliot (avec la veuve noire), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon (avec Mousse, la veuve discrète), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (avec Marcelle, la mère de François, le personnage homosexuel), le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec la veuve noire), le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » du groupe Cassandre, la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (avec la veuve et ses lunettes noires), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec Bijou, la veuve hystérique et capricieuse surnommée « La Reine des Ombres », p. 27), la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi (avec la tante Louise), la pièce Eva Perón (1969) de Copi (avec Evita emmitouflée d’un foulard, avec ses lunettes noires), la nouvelle « L’Écrivain » (1978) de Copi (avec la veuve Mme Pignou), le film « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, la pièce Veuve la mariée ! (2011) de David Sauvage (avec Priscilla qui perd son mari le jour de son mariage), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec Sara, la mère veuve), le film « Potiche » (2010) de François Ozon (où l’on voit Suzanne avec son foulard et ses lunettes noires), la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec Mme Follenska, la veuve bourgeoise), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec le personnage du travesti Line, la veuve avec lunettes noires et foulard de star), le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet, la pièce musicale Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini (avec Dalida, « l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire » au parcours jonché de cadavres et d’hommes suicidés), la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias (avec « la Téré », la directrice de la volière), la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan (la cantatrice Isabelle, fantôme qu’on ne voit jamais, est décrite par Romain, le coiffeur homosexuel, comme une « veuve noire »), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (avec Lucie/Clara, la maîtresse de cérémonie macabre), le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas (avec Maria jouant le veuve affectée à la mort d’un auteur dramatique qu’elle connaissait à peine), le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (avec Junn), la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux (avec Géraldine, la femme de Nicolas le héros homosexuel), etc.

 

Beaucoup de héros homosexuels s’identifient à une reine endeuillée maternelle, qui ne serait ni trop démonstrative dans sa douleur (pour conserver sa noblesse de diva, sa pudeur, son courage, son statut figé de femme-objet immortelle qui ne craquèle jamais…) ni trop discrète non plus (sa tristesse doit se voir : c’est la mort qui, grâce à la beauté, est censée vaincre/contaminer la Vie et l’Amour !) : « Mylène Farmer, c’est croque-mort. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Lucie [l’un des héroïnes homosexuelles] cache bien sa détresse, stoïque comme la vie le lui a appris, mais elle sait qu’elle ne pourra pas tenir encore longtemps. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 30) ; « La mère est là. Elle est là, droite, debout devant moi, raide dans la douleur. Sa raideur ressemble à la rigidité d’un cadavre. Ce n’est pas l’expression d’une forme de dignité même si je ne doute pas un seul instant que cette femme soit d’une exemplaire dignité. C’est l’immobilité de la souffrance absolue, la position de qui lutte pour ne pas mourir. […] La mère est là. Elle est grise, comme si le visage était de cire, comme si toute lumière avait disparu, comme si l’ombre avait affaissé tous ses traits, comme si l’obscurité s’était emparée d’elle. […] On est submergé par sa douleur à elle. […] Le contact avec elle me ramène à la pureté intacte de mon chagrin, à l’épaisseur inentamée de ma tristesse. […] Une voix d’outre-tombe. » (Vincent, le héros homo, décrivant la mère d’Arthur qui a perdu son fils à la guerre, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 189-192)

 

Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane, la mère de Steve le héros homosexuel, signe « D.I.E. » et porte parfois des lunettes noires de star. Elle conduira son fils vers la mort en l’internant dans un hôpital psychiatrique.
 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Très souvent, le héros homosexuel se prend pour la veuve cinématographique, une diva messagère de la mort : « Parfois il se fait des rencontres entre les vieilles veuves de folles et les vieilles folles à veuves. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 86) ; « Tu es veuve, mon pauvre enfant. » (Mère Anne du Corbeau à Maria-José le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 33) ; « Elle serait sans doute la veuve la plus convoitée de la jet society mais pour quoi faire ? » (idem) ; « C’était elle, en robe de deuil. » (Cocoliche dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « Une coupe de Veuve Cliquot ? » (le Machiniste à la Comédienne, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai une tante qui m’adore comme si j’étais son propre fils. Une veuve. » (Lisandre dans la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare) ; « Une femme entre dans le Musée des amours lointaines. Elle porte un large chapeau ainsi que de grosses lunettes noires. » (Félicia dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, p. 237) ; « La veuve Nance avait été l’amour de ma jeunesse. » (Garnet Montrose, le héros homosexuel du roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 11) ; « Elle [Vicky, l’actrice défigurée, alias « Vicky Fantômas » ou « Reine des Ténèbres »] était actrice, elle était une des victimes de l’attentat du drugstore, vous vous en souvenez ? Elle a été presque déchiquetée, elle a perdu l’usage d’un bras et d’une jambe. Parfois, elle vient s’asseoir dans les derniers rangs, la tête cachée dans un foulard. Je l’ai vue rôder ce soir devant le théâtre. » (le Machiniste de la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « L’ascenseur s’arrêta encore une fois pour s’ouvrir sur une femme aux épaules carrées, coiffée d’une grossière perruque de guanaco blanchâtre, vêtue d’une tunique noire comme celle des prêtres mais en tissu léger et laissant apparaître un tailleur gris uni de chez Chanel et un foulard rayé gris sur gris de chez Grès, les jambes gainées de bas strictement beiges et chaussée d’escarpins en crocodile noir. Elle ressemblait un peu par l’expression à la mère de Vidvn, en plus absente […]. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, pp. 79-80) ; « Une femme m’a soudain attrapé par la main gauche. […] Une jeune fille à la fin de l’adolescence. Et déjà veuve. Déjà dans la mort. Sa main dans la mort touchait ma main. Cette pensée m’a fait peur. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 44-45) ; « J’étais terrorisé. Elle était tout près de moi. Elle n’était plus la même jeune femme qui m’avait abordé. Plus elle parlait, plus elle devenait une autre. Avec une autre voix. Un autre âge. Elle était collée à moi. Je sentais son odeur. Je reconnaissais cette odeur. Il fallait fuir. C’était l’odeur de la mort. » (idem, p. 47) ; « Seules les super salopes castratrices névrosées portent du noir. » (cf. une réplique du film « The Stepford Wives », « Et l’homme créa la femme » (2004) de Frank Oz) ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homo, se décrit comme « l’Homme en noir », le « Prince des Poètes » : même s’il joue pour un temps la comédie de la veuve endeuillée qui a perdu la femme de sa vie dans un accident d’avion (« Je porte le deuil de ma vie… »), il se lâche ensuite sur le compte de sa femme en déclarant qu’il la haïssait et qu’il peut désormais vivre ses amours homosexuelles librement. Dans la pièce The Mousetrap (La Souricière, 1952) d’Agatha Christie (mise en scène en 2015 par Stan Risoch), Christopher Wren, le héros homosexuel, se projette dans Mollie Ralston : « Je vous imaginais en veuve… » Dans le film « Cruella » (2021) de Craig Gillespie, Artie, le personnage homosexuel, styliste, est fan de la méchanceté sophistiquée de la méchante Cruella, et devient son complice pour exécuter le plan de vengeance de cette dernière contre sa mère, la Baronne.

 

La veuve est moteur de fantasme (esthétique, amoureux, sensuel, cinématographique, plus qu’aimant). Par exemple, dans le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion, Isabelle tombe sous le charme de la vénéneuse veuve Serena Merle : « Pour moi, vous êtes l’image même de la réussite. » Dans la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, la duchesse d’Albe (celle qui initialement a servi de modèle au peintre espagnol Goya pour réaliser La Maja Desnuda et La Maja Vestida) est associée à la fois à la mort et à l’éclair de l’appareil photographique : « La maigreur de la duchesse d’Albe lui avait attiré le sobriquet peu élégant de ‘La Esqueleta’. […] Sa fille cadette ressemblait comme deux goutte d’eau à feu leur mère morte en couches. » (p. 9) ; « La Duchesse d’Albe fut bien forcée de garder le deuil pendant un an. » (idem, p. 11) ; « La duchesse d’Albe se tenait presque cachée dans l’ombre d’un jasmin, le visage dissimulé sous une mantille noire. » (idem, p. 13) ; « Ce n’était pas finalement la laideur qui impressionnait le plus chez la duchesse d’Albe, mais son extrême maigreur, sa peau collée à son crâne, ses yeux très noirs enfoncés au fond de ses orbites, la proéminence de ses dents et sa peau d’un blanc grisâtre. » (idem, p. 14) ; « Soudain, un éclair traversa le ciel. Florencio en profita pour jeter un coup d’œil sur la duchesse ; il fut presque épouvanté par l’expression cadavérique, mais se dit que c’était probablement un effet de la lumière de l’éclair. […] Florencio Goyete Solis déposa la duchesse d’Albe évanouie sur le divan, le même que dans les deux tableaux. » (idem, pp. 18-19)

 

B.D." Femme assise" de Copi

B.D. » Femme assise » de Copi


 

La Mort, ou plutôt le fantasme de mort, figuré par l’actrice, est considérée comme plus éternelle que la Vie même : « C’est une belle journée, je vais me coucher, une si belle journée, Souveraine, donne l’envie d’aimer, mais je vais me coucher, mordre l’éternité à dents pleines. […] Belle, la vie est belle, mais la mienne, un monde emporté. Elle, j’entre en elle, et mortelle, va. » (cf. la chanson « C’est une belle journée » de Mylène Farmer) ; « Pour commencer, une de mes petites compositions : La Mort ! » (Lucie, la diva-serveuse au rire sardonique, qui s’annonce en grandes pompes, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Même la mort n’en veut plus. » (Léo à propos de l’actrice Loana, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; etc.

 

ÉPOUSE Sex Friends

Pièce « Les Sex Friends de Quentin » de Cyrille Étourneau


 

Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, associe sa mère à la mort. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, un Allemand, est en couple épisodique avec Oren, un Israëlien marié à une femme Anat, qui finit par se tuer dans un accident de voiture à Jérusalem. Tomas, pour retrouver Oren, couche avec la veuve. Anat est le seul témoin vivant et sensuel qui peut ramener à Tomas, le souvenir d’Oren. Dans ce film, une autre veuve – la maman d’Oren, Hanna – exerce un mystérieux pouvoir divinatoire d’homosexualité sur Tomas : elle a compris énigmatiquement le lien érotique qui reliait Oren à Tomas.

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, notamment, la féminité fatale et mortelle est mise à l’honneur, autant avec le fantôme de lady Philippa, qu’avec les femmes russes castratrices (telles que Groucha), ou encore avec Amande, la peste de l’histoire qui va finalement « passer à l’échafaud » sur décision de la collectivité : « Tout le monde s’étais mis sur son trente et un pour cette soirée d’adieu. Les couleurs exaltant le bronzage étaient de sortie, environnées de parfums légers ou capiteux, boisés ou fruités. Mais Amande était à coup sûr la plus belle, une fois encore. […] Avec son turban cerise sur la tête, son débardeur assorti, sa minijupe noire et ses espadrilles à talon compensé, elle était ravageuse, et elle le savait. Une véritable reine. Mais ce qu’elle ignorait, c’est qu’elle venait en réalité de faire une toilette de condamnée à mort. » (pp. 418-419)

 

Dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le couple homosexuel s’identifie à l’obscure et désirable Marie de Médicis, la reine que l’Histoire officielle a voulu austère, tout de noir vêtue. Dans la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen, l’obsession de la Mort est très prégnante : elle est représentée comme une « diva des décombres », contemplant une Apocalypse (médiatique) à distance, défilant au ralenti pour afficher son impuissance solennelle. Lors du spectacle Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval, Madame Raymonde prétend « hanter » le Vingtième Théâtre de Paris. Dans la chanson « Les Adieux d’un sex-symbol » de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger, l’actrice vieillissante Stella Spotlight se définit elle-même comme la mort en personne : « Voulez-vous voir la mort en face ? Elle s’habille en technicolor. »

 

L’immortalisation de la Mort iconographique montre une volonté de beaucoup d’auteurs homosexuels de ne pas affronter la mort réelle, de figer la course et la réalité du temps. « La tradition veut que je ne meure jamais ! » (la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi)

 

La mort est surtout signe chez le personnage homosexuel d’un narcissisme destructeur. C’est pourquoi elle est envisagée non comme une réalité (celle de notre finitude) mais comme un déguisement (de travesti, de mannequin, de pleureuse professionnelle). « J’veux mourir blond, avec des lunettes noires pour faire la star. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « C’était une déesse. Une déesse sépulcrale régnant sur l’obscurité immense, un fantôme incolore qui avait quitté l’écran d’un film en noir et blanc. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 8) ; « Ne m’appelez pas madame. Appelez-moi mademoiselle, ou bien veuve. […] Je préfère que vous m’appeliez veuve. Bien que je ne le sois pas vraiment, mon mari n’étant pas mon mari et n’étant d’ailleurs pas vraiment mort, à vrai dire. » (Jeanne au marchand de melons, dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi, pp. 91-92) ; « Le malheur me va si bien. » (Valentine en veuve dans la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev) ; « Une robe noire… Il me faut une robe noire pour le voyage. » (Octavia, le héros transsexuel M to F de la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet) ; « J’accompagne un cortège funèbre. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 28) ; « Je suis assis à côté, il fait semblant de ne pas voir les larmes qui coulent sous mes lunettes. ‘Pierre, je murmure, Pietro… » (le narrateur parlant de son amant, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 56) ; « Pierre pousse des cris comme une Sicilienne à une veillée de mort, je la gifle. » (idem, p. 102) ; etc. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin pleurant la mort de son compagnon Bryan, est comparé par Laurent, l’auteur du meurtre de Bryan, à une « veuve éplorée » (p. 453). Dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie, le héros homosexuel, se définit comme « une veuve de guerre ». Bien plus qu’une simple attitude de Drama Queen qui voudrait se rendre intéressant(e) en pleurant sur elle, l’identification à la veuve est souvent le reflet d’une profonde déception en amour. Par exemple, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, le vampire Prétorius se plaint de perdre tous les gens qu’il aime autour de lui, d’un abandon affectif.

 

Certains héros homosexuels entretiennent avec la veuve un rapport idolâtre d’attraction-répulsion : ils la jalousent plus qu’ils ne l’aiment, car ils rêvent de lui dérober son identité de mante religieuse indépendante et croqueuse d’hommes : « Mme de Séryeuse adorait son fils, mais, veuve à 20 ans, dans sa crainte de donner à François une éducation féminine, elle avait refoulé ses élans. Une ménagère ne peut voir du pain émietté ; les caresses semblaient à Mme de Séryeuse gaspillage du cœur et capables d’appauvrir les grands sentiments. […] Aussi, cette mère et ce fils, qui ne savaient rien l’un de l’autre, se lamentaient séparément. Face à face ils étaient glacés. » (Raymond Radiguet, Le Bal du Comte d’Orgel (1924), pp. 53-54) Par exemple, dans le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan, Cal (interprété par James Dean) suit tout le temps la « veuve » (elle ne l’est pas, mais lui ressemble), Kate ; il découvrira qu’elle est sa vraie mère et qu’elle l’a abandonné : « Vous lui direz que je la déteste. »

 

Finalement, les personnages homosexuels s’entendent dire parfois que leur pratique homosexuelle – en laquelle ils voudraient n’y voir qu’une déesse éternelle – est certes une mort qui a sa beauté, mais une mort quand même. « L’homosexualité est une mort. La mort est belle sauf qu’elle est moins belle que la vie. » (le père de Claire s’adressant à sa fille et à la compagne de celle-ci, Suzanne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certaines personnes homosexuelles considèrent la mort comme une épouse à qui elles doivent rester fidèles :

Le couturier homosexuel Yves Saint-Laurent

Le couturier homosexuel Yves Saint-Laurent


 

La Mort est associée par beaucoup de personnes homosexuelles à une épouse, une mère, une sœur, une star qu’elles ne peuvent trahir, à un amant éternel, bref, à l’Amour : « La mort est une compagne fidèle, toujours présente dans les moments de solitude. Elle ne me quitte jamais. Pas un jour ne passe sans que je ne la regarde de près avec une envie irrépressible de la toucher, de me fondre en elle. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 64) ; « La mort toujours a été très proche de moi ; elle a toujours été pour moi une si fidèle compagne, que parfois j’ai peur de mourir seulement parce qu’alors peut-être que la mort m’abandonnera. » (Reinaldo Areinas, Antes Que Anochezca, 1992) ; « Je la connais bien et nous avons parfois flirté ensemble. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 140) ; « Je suis enfermé, terrifié et coupable […] de la période de prétendant où je me suis cru élu, où je me suis cru le petit fiancé de la mort. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), pp. 85-86) ; « Un soir, la mort est venue me voir. » (Yanowski pendant son concert Le Cirque des Mirages, 2009) ; « Le mort et le plus beau des humains m’apparaissaient confondus dans la même poussière d’or. […] Je faisais connaissance au même instant avec la mort et avec l’amour. » (Jean Genet, Journal du Voleur (1949), p. 43) ; « À sa mort, il serait moi. […] Nous étions vraiment destinés à être complémentaires… » (Gore Vidal évoquant son ami Jimmie, dans ses Mémoires (1995), p. 425) ; « J’étais dans ma deuxième vie. Je venais de rencontrer la mort. J’étais parti. Puis je suis revenu. Je courais. Je courais. Vite, vite. Vite. Vite. Vers où ? Pourquoi ? Je ne le sais pas pour l’instant. Je ne me rappelle pas tout. Je ne me rappelle rien maintenant à vrai dire. Mais ça va venir, je le sais. » (les toutes premières lignes de l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, p. 9) ; « La mort m’avait choisi. » (idem, p. 14) ; « J’en ris, aujourd’hui, mais, ce jour-là, je me crus bien saisi par la mort elle-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 89) ; « Je passai donc ma première d’études aux Beaux-Arts dans le labeur et la chasteté, avec l’idée fixe d’épouser, à l’issue de mes années d’études, une amie d’enfance, morte depuis et que j’aimais alors par-dessus tout au monde. Aujourd’hui, avec le recul du passé, je me rends compte que je l’aimais trop pour m’apercevoir que je ne la désirais pas. Je sais : certains esprits admettent difficilement l’un sans l’autre. Cependant, hormis cette jeune fille, aucune femme n’a habité mes rêves ni réussi à éveiller en moi quelque désir… » (idem, p. 94) ; « Il s’est laissée séduire par une figure perverse : la Mort. » (Prosper Mérimée parlant de la mort du criminel Lacenaire, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, une femme géante nocturne vient annoncer à Bertrand Bonello dans son sommeil, en murmurant à son oreille, qu’il va mourir : « Répète après moi : ‘Je vais mourir d’un sectionnement des mains.’ »

 

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles


 

La Mort épousée mentalement/fantasmatiquement n’est en réalité que le reflet dévitalisé, lisse, froid et superficiel, du miroir narcissique de soi-même. Par exemple, dans l’article « Copi : on a perdu l’original » de Mathieu Lindon et Marion Scali, publié dans le journal Libération du 15 décembre 1987, l’un des dessins de Copi représente la Mort habillée en girl des Folies-Bergère, avec cette légende : « La star, c’est moi. » Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno fait l’amour avec un mort, l’Homme invisible. Parce qu’au fond, il ne veut pas avouer qu’il veut s’adorer/se détester lui-même…

 

Actuellement, le duo Eros et Thanatos rencontre un certain succès dans l’esprit des personnes homosexuelles pratiquantes, puisque très souvent, elles pensent que les sentiments d’amour justifient toute pratique, y compris la chute collective à deux dans la mort : cf. le roman Le Mausolée des amants (1976-1991) d’Hervé Guibert. « Un jour, j’ai eu envie de baiser sans capote, de partager ce malheur avec lui. J’avais un désir assez inexplicable de sacrifice. Je savais ce que je faisais, j’ai ma part de responsabilité. » (Greg, 24 ans, test positif en avril 2001, cité dans la revue Têtu, avril 2002) ; « En observant Bruno pénétrer Fabien, la jalousie m’a envahi. Je rêvais de tuer Fabien et mon cousin Stéphane afin d’avoir le corps de Bruno pour moi seul, ses bras puissants, ses jambes aux muscles saillants. Même Bruno, je le rêvais mort pour qu’il ne puisse plus m’échapper, jamais, que son corps m’appartienne pour toujours. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 154) ; etc.

 

Il y a dans les backroom, les lieux de « drague dure » et de prostitution, parmi les amateurs de barebacking (promoteurs du fameux « baiser sans capote »), une quête désespérée d’« amour dans la mort » qui est indéniable, et qu’on a déjà pu observer en temps d’apparition du Sida (par exemple, si on fait un bref constat des acteurs de films pornos des années 1970-1980 encore vivants, on ne peut que reconnaître l’hécatombe, et la forte imbrication entre amour homosexuel et mort). « C’est pas loin de la mort. C’était pas spécialement désagréable, en dehors de l’image que l’on a de soi. […] Il y avait un potentiel de violence possible, c’était une époque où moi, j’étais proche de la mort. » (Richard, homme homosexuel abusé évoquant le viol qu’il a vécu, cité dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, pp. 185-186)

 

Certains sujets homosexuels cherchent même à faire l’amour avec des cadavres (cf. je vous renvoie à la partie sur la « nécrophagie » dans le code « Cannibalisme » du Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, aux États-Unis, Jeffrey Dahmer (« le monstre de Milvaukee »), homosexuel, est un authentique nécrophile : entre 1978 et 1991, il a tué dix-sept jeunes hommes, et il prenait plaisir à faire l’amour avec des hommes inanimés et morts. Le mariage avec un mort n’est pas que fictionnel. C’est effectué dans la vie réelle. Par exemple, Étienne Cardiles s’est marié à titre posthume, le 30 mai 2017 au soir à la mairie du XIVe arrondissement de Paris, avec Xavier Jugelé, le policier assassiné sur les Champs-Élysées le 20 avril de la même année, dont il était le compagnon. La cérémonie s’est déroulée en petit comité en présence toutefois de plusieurs autorités. Ainsi, l’ancien président François Hollande a assisté à la cérémonie, tout comme Anne Hidalgo, la maire (PS) de Paris.

 

Comme je l’explique aussi dans la partie « Cimetière » du code « Mort », toujours dans ce Dictionnaire, quasiment tous les cimetières sont des lieux de drague homosexuelle insoupçonnée : plusieurs guides et fins connaisseurs de ces endroits (dont certains sont homosexuels) me l’ont confirmé, notamment lors de ma visite en 2011 du cimetière parisien du Père Lachaise.

 

Sofia Coppola par le photographe homosexuel Robert Mapplethorpe

Le photographe homosexuel Robert Mapplethorpe par Sofia Coppola


 
 

b) La veuve est un motif important d’identification homosexuelle :

La veuve cinématographique est un personnage très apprécié des membres de la communauté homosexuelle. « Coco et Paquito partirent vers le théâtre, pour commencer les répétitions de La Veuve joyeuse. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 99) Par exemple, dans le reportage « Vies et morts de Andy Warhol » (2005) de Jean-Michel Vecchiet, Andy Warhol dit être fasciné par la veuve Jackie Kennedy. Je pense également à la veuve Doña Cecilia dépeinte par Alfredo Arias dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), ou à l’engouement de beaucoup de personnes homosexuelles pour des chanteuses comme Mylène Farmer, Barbara, Dalida, France Gall (« la » veuve par excellence), Annie Lennox (en grande Marquise de Merteuil sur son navire fantôme, lors de la cérémonie de clôture des J.O. de Londres, le 12 août 2012), etc.

 

La chanteuse Annie Lennox aux J.O. de Londres

La chanteuse Annie Lennox aux J.O. de Londres


 

On retrouve la veuve dans l’imagerie de beaucoup d’icônes gays : chez la chanteuse Jeanne Mas (habillée avec une mantille noire), chez Madonna (cf. le vidéo-clip de la chanson « Frozen »), chez Mylène Farmer, chez Vivien Leigh (cf. le film « Gone With The Wind », « Autant en emporte le vent » (1939) de Victor Flemming), chez Jeanne Moreau (« La Mariée était en noir » (1968) de François Truffaut), chez Mika (lors de son concert du 26 avril 2010 à Paris Bercy), etc. Dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, Gaétane, l’homme transsexuel M to F (avec ses lunettes noires), fait de l’actrice en deuil un modèle d’identification fort. Par ailleurs, dans certains pays du Maghreb, ce n’est par hasard si la « veuve » est un terme synonyme « homosexuel ».

 

Film "Otto Or Up With Dead People" de Bruce LaBruce

Film « Otto Or Up With Dead People » de Bruce LaBruce


 

Dans l’imaginaire homosexuel, la Mort est souvent envisagée comme un esthétisme amoureux. Par exemple, lors de son concert Les Murmures du temps (2011) au Théâtre parisien de L’île Saint-Louis, Stéphan Corbin explique comment la mort de la chanteuse Lassa l’a affecté autant qu’inspiré pour écrire ses chansons d’amour. Selon lui, son album a été « créé pour la nuit, dans l’esprit amoureux, à écouter des chansons nostalgiques », pour « faire revivre chacune des personnes, chacun des instants » : « J’entends les soupirs des mourants. C’était une nuit d’hiver. C’était nous deux et le temps des adieux. »

 

Défilé Jean-Paul Gaultier (septembre 2011) avec Mylène Farmer en veuve

Défilé Jean-Paul Gaultier (septembre 2011) avec Mylène Farmer en veuve


 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’identifient à une reine endeuillée, qui n’est pas la veuve réelle. C’est en réalité une actrice jouant la mélancolie, qui ne serait ni trop démonstrative dans sa douleur (pour conserver sa vraisemblance, sa noblesse de diva, sa pudeur, son courage, son statut figé de femme-objet immortelle qui ne craquèle jamais…) ni trop discrète non plus (sa tristesse doit se voir : c’est la mort qui, grâce à la beauté, est censée vaincre/contaminer la Vie et l’Amour !). On la croise beaucoup chez les héroïnes désespérées MAIS NOBLES créées par des artistes romantico-bobos comme François Ozon, Gaël Morel, Pedro Almodóvar, Philippe Besson, Jann Halexander, Abdellah Taïa, etc. « Héba, la demi-sœur, est celle qui m’a le plus touché. Je pourrais même dire que, quelque part, je suis tombé amoureux d’elle. Dans une Égypte qui voile de plus en plus ses femmes, Héba était libre, avec sincérité et conviction. Elle était belle comme une star de cinéma, comme Mervat Amine, dont j’avais aimé tant de films, surtout les comédies romantiques. Elle fumait avec élégance et sans provocation. Elle était habillée en permanence en noir, ce qui donnait encore plus de charme à sa silhouette très allongée. […] Les hommes étaient subjugués, ils la mangeaient des yeux mais n’osaient pas lui manquer de respect. Elle passait, et tout le monde se posait cette question : Mais qui est cette femme ? C’était une star. Et pas que pour moi. C’était une femme-mystère avec un peu de tristesse dans les yeux. Un être exceptionnel autour duquel on pourrait construire un film, écrire un roman, un recueil de poésie. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 69-70) ; « En présence d’une femme qui n’a rien oublié du passé et de ses blessures, qui n’a pas encore tourné la page et qui était dans cette douleur, devant nous, simple, sans manières artificielles. Digne. Belle. Belle. » (idem, p. 71) ; « Je ne sais pas pourquoi je suis allé sur sa tombe. Mais je sais que dans les allées de cet immense et magnifique cimetière en ruine, je me suis vu dans ma fin, en train de partir définitivement. J’ai vu encore une fois le monde arabe autour de moi qui n’en finissait pas de tomber. Et là, j’ai eu envie de pleurer. De crier de toute mon âme. De me jeter moi aussi d’un balcon. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, idem, p. 91) ; « Elle était petite de taille, sans âge et portait des habits noirs. Elle était sans doute une mendiante et elle avait hérité d’un certain pouvoir. Elle savait faire. Elle savait toucher. […] Elle était entrée en moi, dans mon esprit, mon âme lui appartenait, elle la regardait avec douceur, avec brutalité. […] Et enfin, de sa main droite, elle a bouché mes narines. Plus d’air. Le grand sommeil. Le noir paisible. […] La dame en noir a lâché mon nez et de sa bouche a soufflé sur moi. » (idem, pp. 93-94) Cette veuve homosexuelle mi-fictionnelle mi-réelle exprime de manière indirecte et voilée un isolement, une profonde déception, une désillusion réelle, en amour (homosexuel). Un mal-être existentiel mal résolu.

 

Par exemple, le comédien homosexuel Jean-Claude Brialy était à tous les enterrements de stars du Père Lachaise… si bien qu’il était surnommé « la Mère Lachaise » !

 
 

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