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Code n°149 – Première fois

Première fois bon

Première fois

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

La première fois homo : caractérisée par l’absence de liberté et de Réel

 

C’est curieux comme l’initiation homosexuelle, même dans des créations artistiques qui veulent donner une bonne image de l’homosexualité, se passe dans la douleur et l’absence de liberté.

 

Quand on écoute les personnages homosexuels fictionnels – et beaucoup plus d’individus homosexuels réels qu’on n’imagine – raconter leur « première fois homosexuelle » (premier baiser, premières caresses, premier coït, coming out), on est saisi de voir que pour eux, ce n’est pas une partie de plaisir, agréable et apaisée. Tout le contraire ! Ils sentent inconsciemment qu’en actes, ils s’éloignent du Réel, et que cette fuite est amère, qu’elle les catapulte dans un rêve éveillé qui corporellement semble répondre à la perfection à leurs attentes, mais qui dans leur cœur les blesse et les rend tristes.

 

Ils nous racontent par exemple qu’ils ont pleuré juste après avoir reçu leur premier baiser homo… bien qu’ils n’aient révélé leur curieuse réaction à personne, en croyant que c’était eux seuls qui avaient un « problème », un sursaut « injustifié » de culpabilité, qu’il n’y a pas de baiser spécifiquement « homosexuel » mais des baisers d’amour tout court. Ce réflexe de tristesse nous dit bien que le désir homosexuel n’est pas un désir uniquement d’amour, mais également un élan violent, même si sa violence est juste devinée, atténuée par le jeu ou l’euphorie des sens, et ré-écrite positivement a posteriori dans le rose sucré (de la sincérité, de la passion, des sentiments, de l’excitation face à la nouveauté) ou carrément dans le noir (de la gravité d’un sacrifice d’amour brutal et désespéré – dans le sens salafiste du terme « sacrifice » -, de l’orgueil gay militant et volontairement « dérangeant », de la comédie relativiste de la Drama Queen).

 

Non pas que la « première fois » amoureuse soit tellement plus réussie chez les personnes hétérosexuelles (ce n’est mieux que chez les couples femme-homme aimants, qui, eux, ont pris le temps de se choisir pleinement et de respecter le Réel) qui vivent aussi le premier baiser ou le premier coït comme une souillure, un mauvais moment, une déception.

 

Avant la publication de mon tout premier livre (sur les liens non-causaux entre homosexualité et viol), j’avais entrepris de récolter des témoignages de personnes homosexuelles dans le Marais, à Paris, en les interviewant sur leur « première fois » homosexuelle (premier émoi, premier regard, premier baiser, premier flirt, premier grand amour, première coucherie, etc.), car je sentais que dans l’initiation à l’acte homosexuel, il se passait quelque chose de pas normal, qui me mettrait sur la piste du viol. Je me suis vite rendu compte que le projet était trop audacieux et qu’il tournerait court, car lors des interviews, je me heurtais au même refus, chez mes témoins, de vraiment revenir sur les faits et sur leur « première fois ». D’emblée, ils enchaînaient sur le Grand Amour qu’ils souhaitaient trouver (sans trop y croire…) dans les aventures qui précédaient leur première fois. Mais bon, finalement, c’était une confirmation que la piste du mauvais souvenir était quand même la bonne ! Et puis les témoignages des amis sont finalement venus tout naturellement.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Coït homosexuel = viol », « Amant diabolique », « Amant triste », « Violeur homosexuel », « Symboles phalliques », « Moitié », « Viol », « Liaisons dangereuses », « Fusion », « Déni », « Manège », « Appel déguisé », « Jeu », « Douceur-poignard », et à la partie « Langue au chat » du code « Amant diabolique », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

Film "High Strung" de Roger Nyard

Film « High Strung » de Roger Nyard


 

Il semble que, dans le rapprochement amoureux homosexuel, le passage violent du mythe à la réalité fantasmée s’initie bien avant le passage à l’acte génital et la pénétration anale ou vaginale. Le viol se limite au simple baiser sur la bouche. Quand on écoute certaines personnes homosexuelles raconter leur premier baiser homosexuel, on les trouve bizarrement peu enthousiastes. Elles ne sont ni dégoûtées, ni amusées, mais juste fascinées par un geste qu’elles situent davantage sur le terrain de la science-fiction que sur celui de la beauté mémorable. Il leur a souvent laissé une impression de catapultage forcé dans un monde inconnu, paranormal. « Nous nous sommes embrassées, et j’ai su que ma vie avait basculé. J’ai été projetée d’un monde à l’autre. J’ai été poussée. » (Corinne, intervenante lesbienne  mimant le mouvement de projection violente vers l’avant avec la main, dans l’émission Ça se discute, sur la chaîne France 2, le 18 février 2004) C’est comme s’il faisait passer brutalement du fantasme à la réalité fantasmée en entravant une liberté. Relativement nombreux sont les sujets homosexuels qui ont fondu en larmes quand ils l’ont reçu. Même dans les fictions, nous voyons quelques exemples de ce surprenant « baiser-homosexuel-qui-fait-pleurer ». « Et voilà que je pleure, sans expliquer pourquoi. G. me regarde avec une douce interrogation. Que lui dire ? Que je ne l’aime pas ? Ce n’est pas vrai. Aimer, c’est si facile. Que je l’aime moins ? Ce n’est pas vrai non plus. C’est autrement, voilà tout. Je pleure parce que je cède à mon désir de caresses. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), pp. 47-48) Il est parfois clairement associé au viol (cf. « Yossi et Jagger » (2002) d’Eytan Fox, « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, etc.). Le baiser homosexuel peut avoir la violence d’une caresse dénuée d’amour, comme le décrit Stefan Zweig dans son roman La Confusion des sentiments (1926) : « Ce fut un baiser comme je n’en avais jamais reçu d’une femme, un baiser sauvage et désespéré comme un cri mortel. » (p. 126)

 

Bien souvent, l’initiation à la génitalité homosexuelle est vécue comme un traumatisme. Il n’est pas anodin que les artistes homosexuels traitent régulièrement des « premières fois » dans leurs créations. Même si les personnes homosexuelles n’ont pas le monopole du viol ou du fantasme de viol – beaucoup de jeunes filles ou de garçons hétérosexuels ont vécu leur défloration comme un viol –, en revanche, je crois que leurs unions corporelles y sont plus biologiquement, corporellement, psychiquement, et symboliquement exposées que les unions entre la femme et l’homme, du fait de l’exclusion radicale de la différence des sexes dans tous les couples homosexuels, et de la nature du désir homosexuel, davantage tourné vers la réification. Si les jeunes adolescents homosexuels reculent au maximum l’échéance de leur premier « passage à l’acte », que la majorité d’entre eux sont allés à la génitalité « comme on va chez le dentiste », ce n’est pas sans raison. Il y a une violence dans l’acte génital (et simplement sensuel) homosexuel, qui reste difficile à définir, mais qui pourtant existe. Cela vaut le coup d’écouter les récits du premier rapport sexuel des personnes homosexuelles : on a parfois l’impression d’entendre une mise en scène de viol – et plus rarement un viol réel. Ceci transparaît parfois dans le discours des personnages fictionnels homosexuels. « La première fois, c’est toujours bizarre » avoue Julián, dans le film « Krámpack » (2000) de Cesc Gay. Dans « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, le jeune Roy, demande à son amant qui vient juste de le déflorer : « On se sent toujours comme ça après ? ».

 

Si la pénétration anale va en se banalisant dans les discours sociaux actuels, il ne faut pas oublier qu’au départ, elle fait mal aux personnes pénétrées et pénétrantes, pas seulement physiquement mais aussi psychiquement. Dans le film « Mauvaises Fréquentations » (2000) d’Antonio Hens, le personnage de Guillermo nous dit bien ce qui se passe la « première fois », et aussi pendant l’après-sodomie. « Je ne m’étais jamais laissé pénétrer. Mais il a dit que j’allais aimer, je n’avais qu’à me détendre. Malgré la salive et mes efforts pour me relaxer, ça faisait un mal de chien. Voyant qu’il n’y arrivait pas, il s’est mis à pousser de toutes ses forces. J’ai jamais eu aussi mal. Mais depuis, je me dilate sans problème. » Par la suite, beaucoup de personnes gay réécrivent l’épisode de la pénétration dans l’angélisme – la prostate serait même, selon certains, le « point G homosexuel » ! (pourquoi pas, après tout ?) –, ou se mettent à mépriser les partenaires sexuels qui mettent du temps à accepter la sodomie. Mais le malaise concernant la pénétration anale revient autrement dans le couple, généralement sous forme d’agressivité et d’indifférence mutuelles.

 

Dans la bouche des personnes homosexuelles réelles, le sentiment de viol concernant le dépucelage se mêle souvent à l’optimisme forcé. « La première fois où ça s’est fait avec un garçon, c’était très fort… très violent. » (Denis dans l’émission Bas les Masques, diffusée sur la chaîne France 2, en septembre 1992) Mais au final, la violence symbolique gagne tout le tableau. « Ça s’est passé mal, très très mal, parce que c’est comme si ça en rajoutait encore, en définitive. Le fait de passer à l’acte, pour moi, faisait que ça rajoutait encore de la complication à mon existence. » (Olivier, 37 ans, parlant de la découverte de son homosexualité et de son premier passage à l’acte homosexuel, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) Il n’est absolument pas rare de rencontrer des sujets homosexuels qui ont vu leur amant effondré juste après qu’ils l’aient « déniaisé ». Sur le coup, ils n’ont pas saisi pourquoi. Ce dernier s’est tout de suite excusé d’avoir pleuré, leur a assuré que c’étaient des larmes de joie et de découverte, qu’elles étaient un soubresaut de culpabilité induite par le poids culturel (« judéo-chrétien » !) et éducationnel. Et l’énigme s’est approfondie sans trouver d’écho. Beaucoup de personnes homosexuelles ne peuvent même pas dire leur souffrance du viol à leur partenaire, car elles sentent qu’il ne pourra pas les comprendre. Et plus profondément encore, il leur est difficile de lui avouer un fantasme de viol – et plus rarement un viol réel – consenti à deux.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La première fois homosexuelle est vécue par le protagoniste gay comme un traumatisme :

Film "Miroirs d’été" d’Étienne Desrosiers

Film « Miroirs d’été » d’Étienne Desrosiers


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, il est souvent question de l’initiation coûteuse à la sensualité/sexualité homosexuelle : cf. le roman El Anarquista Desnudo (1979) de Luis Fernández, le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, les films « Les Puceaux » (1997) et « Robe d’été » (1996) de François Ozon, le film « Carne Trémula » (« En chair et en os », 1997) de Pedro Almodóvar, le film « Eating Out » (2004) de Q. Allan Brocka, le film La Trilogie de la vie (1975) de Pier Paolo Pasolini, la chanson « Toute première fois » de Jeanne Mas, les chansons « Fuck Them All », « Plus grandir », « Libertine », « Dans les rues de Londres » de Mylène Farmer, le film « Ode To Billy Joe » (1976) de Max Baer, le film « Premier amour, version infernale » (1968) de Susumu Hani, le film « La Sagrada Familia » (2006) de Sebastián Campos, la chanson « Tu m’as possédée par surprise » de Madame Raymonde, le film « Einaym Pkuhot » (« Tu n’aimeras point », 2009) de Haim Tabakman (avec la tristesse post-acte homo visible dans l’attitude d’Aaron), etc.

 

Au départ, la première fois homosexuelle est totalement déproblématisée, sacralisée et banalisée. Par exemple, dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport, les quatre comédiens distribuent au tout début des questionnaires au public pour qu’il raconte sa première fois (sexuelle). Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny prend le fait de s’abandonner à faire la planche sur l’eau avec son futur amant Romeo pour une incroyable révélation d’amour : « C’est la première fois. »… laissant sous-entendre que c’est l’amour homo qui l’aide à s’abandonner vraiment, à faire confiance pour la première fois à quelqu’un. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, croit que les premières fois sont toujours les bonnes. C’est sa théorie en amour. Il est obnubilé par l’idée d’embrasser quelqu’un et d’être embrassé en retour, et est certain que la première sera la bonne. Il n’hésite pas à verser dans le théorie relativiste de l’expérimentalisme de tout : « Il y a toujours une première fois. » dit-il par exemple avant de s’autoriser à vivre sa première cuite. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Tareq, le héros homosexuel, raconte que sa première fois homosexuelle, à l’âge de 17 ans, il l’a vécue avec un homme plus âgé que lui : « Je cherchais sûrement une figure paternelle. Quant à Leevi, son amant, il dit que sa première fois homosexuelle (quand il est sorti avec un homme) a impulsé la mort de sa maman : « Ça a commencé juste avant la mort de ma mère. » Dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, le dépucelage homo de Ritchie (avec Ash) se passe tellement mal qu’il fond en larmes après avoir été jeté comme un malpropre.

 

Mais assez vite, on découvre que le fait de tomber amoureux homosexuellement n’est déjà pas source d’apaisement chez certains héros homosexuels. « À la première seconde, je savais que j’allais l’aimer, que j’allais souffrir. Au fond, il m’avait déjà échappé au premier instant où je l’ai vu. J’ai voulu faire durer cette imposture le plus longtemps possible. La douleur est éblouissante, très pure. » (Stéphane parlant de son ex-amant, le jeune et beau Vincent qui le frappe de temps en temps physiquement, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Pourquoi je me sens si coupable ? » (Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, suite à sa première expérience homosexuelle avec un homme anonyme de Carthage, dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm) ; « J’avais trop peur. Je tremblais. » (Guillaume parlant de son histoire avec Michael, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Tu trembles. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse avec qui elle couche pour la première fois, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « C’est la première fois ? Ben dis donc… T’es pas un grand bavard, toi… » (Serge s’adressant à son jeune amant Victor après leur nuit de sexe, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « Je peux pas… C’est pas bien… Ça ne peut pas durer… Je ne peux pas l’assumer. » (John s’adressant à son amant Will juste après leur nuit de sexe, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; etc. Par exemple, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Franck s’éprend d’un homme, Michel, qu’il a connu sur un lieu de drague homo où il y a une série de meurtres : « J’crois que je suis en train de tomber amoureux. » avoue-t-il à son pote Henri qui le sent quand même inquiet (et pour cause : Michel est le tueur !) : « Et c’est ça qui te tracasse ? » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, juste avant de coucher avec son ami Todd, Frankie exprime une appréhension : « C’est peut-être pas une bonne idée… » Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin (mis en scène par Élise Vigier en 2018), Arthur, le héros homosexuel, vit très mal l’acte homo : « Ma bite a commencé à grossir, et j’ai commencé à pleurer. » ; « J’ai jamais oublié cet homme. À cause de lui, j’ai jamais pu toucher quelqu’un avant longtemps. » ; « Merde. C’est quoi mon problème ? » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio pleure lorsqu’il pratique l’homosexualité avec Oliver. Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018, Arthur, le personnage homosexuel, fond en larmes en disant son « amour » pour son amant Crunch : « Je suis amoureux de toi. »… « Alors pourquoi tu pleures ? » lui demande Crunch. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan embrasse Jonas sur la bouche dans la salle de sport du collège. Jonas ne s’en trouve pas bien : « Oh… j’ai la tête qui tourne. ».

 

Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi manque de s’étrangler (parce que son écharpe s’est prise dans la machine à laver) au moment où il rencontre pour la première fois Damien à la laverie, et dont il tombe amoureux. Et quand Damien raconte ses expériences homosexuelles, ce n’est pas brillant non plus : « C’est quand même vachement déstabilisant. J’ai tout de suite compris que c’était pas mon truc. Y’avait quelque chose en moins. » Dans la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1, Hugo, le héros homo, drague Bart Valorta pendant une baignade… et dans un premier temps, Bart réagit super mal et le renvoie chier… avant de céder un peu plus tard (c.f. les épisodes 260 et 262, diffusés les 7 et 9 août 2018).
 

C’est le premier rapport sexuel en général, qu’il se passe entre deux personnes de sexes différents ou entre deux personnes de même sexe, qui est mis en scène de manière dramatique dans les fictions homosexuelles : « Dorita se donna à lui [Silvano] pour la première fois la nuit des adieux, dans la salle de classe, sur le bureau de Silvano, tandis que la pluie fouettait les carreaux. Dorita était vierge. L’expérience fut douloureuse pour tous les deux. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 12) ; « Comme elle me l’avait dit, la première fois est toujours déterminante, qu’elle soit de souffrance ou d’harmonie, surtout pour le goût spécial que j’ai. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 132) ; « Elle est rentrée en moi. J’ai cru que j’allais exploser. » (Irène après sa première relation lesbienne, dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport) ; « T’as les mains froides… » (Karim parlant à Guillaume, son « plan cul » anxieux d’aller chez lui, un gars qu’il ne connaît pas, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « Ça, comme première tentative, c’était raté de chez raté. » (Guillaume, idem) ; « Je ne veux plus qu’on reparle de ça. C’est malsain. » (Clara après que Zoé, sa meilleure amie, lui ait fait sa déclaration et l’ait embrassée, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Ce n’est pas grave si ta toute première fois était trop sombre. Ce n’est pas grave si ta seconde fois met à jour ta part d’ombre. » (c.f. la chanson « Grave » d’Eddy de Pretto) ; etc. Par exemple, le film « Tchernobyl » (2009) de Pascal Alex-Vincent filme un couple d’adolescents en train de vivre son tout premiers coït sylvestre. Dans le film « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung, Kisuki, le héros (homosexuel ?) se suicide parce que sa « première fois » avec Naoko, sa copine, se révèle désastreuse ; cette femme lui fait croire à son impuissance sexuelle. Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Floriane veut être dépucelée par son amante Marie (« J’voudrais que ce soit toi, Marie. Que tu sois la première. Que tu me débarrasses. »), ce qui met cette dernière dans l’embarras (« Je peux pas faire ça. »). Cette défloration se passe mal, dans la tristesse et les larmes… même si Floriane conclut laconiquement, après le premier baiser sur la bouche : « Ben tu vois ?… c’était pas si difficile. » Dans le film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez, le premier baiser que s’échange Walter et Julien Doré est mal vécu par Walter. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Suki est inanimée suite au baiser forcé qu’elle a reçu de Rinn.

 

Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler, après sa nuit d’amour avec Jim, est pris de crampes insupportables au ventre : « C’est pas bon d’avaler la mer d’Irlande. » lui rétorque Jim, pour faire de l’humour.

 

Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Benjamin raconte à son psy sa première rencontre homosexuelle avec son amant Arnaud, à qui il a fait volontairement un croche-patte, alors que le tableau est idyllique : « C’était comme au cinéma. C’était au bord de la plage. C’est alors qu’il m’est apparu. Un petit air de Ryan Goslin… avec le corps d’Élie Sémoun. » De son côté, Arnaud donne une autre version des faits au psychanalyste, en partant sur le quiproquo incestueux que le thérapeute lui parlait de sa première cuite : « Ma première fois, c’était avec mon oncle dans sa cave. » « Je comprends le traumatisme… » interrompt le psy. « J’avais 12 ans. J’étais consentant. […] C’était un Cabernet d’Anjou. Ma première cuite. » Réalisant qu’il y a eu malentendu, Arnaud se reprend : « Je sortais du cinéma. Il faisait 40° C. Ça puait la pisse. Je passe par Paris-Plage. Et là, avec le soleil qui m’aveugle, je me prends Ben en pleine gueule. Mais bon, moi j’ai le mal de mer, alors je lui en veux pas. »
 

Beaucoup de personnages homosexuels nous mettent en garde contre le passage douloureux à l’acte homosexuel (qu’ils ont vécu ou ont vu vivre), sans pour autant le dénoncer explicitement. « Ça devient vexant. J’ai l’impression de revivre mon dépucelage. […] Je suis à plat. La deuxième raison qui me rappelle mon dépucelage. » (Arnold, l’un des héros homos de la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « J’ai détesté ça la première fois. » (Sven dans le film « Patrik, 1.5 », « Les Joies de la famille » (2009), d’Ella Lemhagen) ; « C’est quand même sacrément dur l’âge des premières amours, petit pédé. » (cf. la chanson « Petit Pédé » de Renaud) ; « Viens, ferme les yeux sur nos premières nuits. » (cf. la chanson « J’attends » de Mylène Farmer) ; « Quel malheur, quel coup de hache dans ma vie qui était déjà en morceau ! Quelle passion si insensée, coupable, odieuse, s’est emparée de moi ! C’est une honte, et elle me fera toujours rougir. » (Albert dans le roman Mademoiselle de Maupin (1835) de Théophile Gautier, paragraphe final du chapitre 8) ; « Pascal se sentait brouillé et malade. Et tellement sale. Il avait eu beau se frotter les mains à s’en écorcher la peau, il savait bien que c’était inutile. Ce genre de trace ne s’effaçait jamais. » (Claude Brami, Le Garçon sur la colline (1980), p. 246) ; « C’était l’été de nos treize ans. L’été des sœurs de sang. Dovid a eu migraine sur migraine, cet été-là. » (Ronit parlant de sa première fois lesbienne, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 217)

 

Par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik a eu du sexe homosexuel dès l’âge à 13 ans pour la première fois, et ça ne semble pas relié à de superbes souvenirs : « Je cache des vérités importantes depuis que j’ai 13 ans. » se contente-t-il de dire de manière laconique.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, nous avons droit à tous les récits d’initiation homosexuelle des héros homosexuels. Par exemple, pour Hank, ça a été l’angoisse… même s’il s’empresse ensuite de banaliser : « La première fois que je l’ai fait, c’était pendant la grossesse de ma femme. Il y avait une réunion de professeurs, à New York. Ma femme ne se sentant pas bien, j’y suis allé seul. Et dans le train, j’y ai pensé. J’y pensais, j’y pensais pendant tout le voyage. Et peu après mon arrivée, j’avais emballé un mec dans les toilettes de la gare. […] Je n’avais jamais fait ça de ma vie auparavant. J’avais une trouille bleue. […] Mais je suis tombé sur un gars sympa. Je ne l’ai jamais revu ensuite. […] Ce qui est drôle, c’est que je ne me rappelle pas son nom. […] Après, ce fut plus facile. On s’améliore avec la pratique. » Michael raconte que lors de son dépucelage, il ne se souvient de rien : « La première fois, je tenais pas debout. » Bernard, quant à lui, a couché avec son pote Peter un soir alcoolisé, et il est le seul à s’en souvenir et à avoir accordé de l’importance à leur dérapage : « C’était l’après-midi. Toute la matinée, j’ai été malade à l’idée de l’affronter. […] Il a fait comme si rien ne s’était passé. »

 

Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, quand Nicolas, le héros gay, raconte son initiation à l’homosexualité au jeune Michael, lycéen en questionnement, il tente d’édulcorer les choses : « L’amour entre hommes, c’est pareil qu’avec les filles. Ça peut faire mal au début… mais tout ça, c’est l’expérience. » Comme Michael le rejette, Nicolas finit par cracher le morceau et par dire que sa « première fois » homosexuelle a été « plutôt glauque »… puis il s’empresse de renier son aveu : « Mais tu sais, la première fois, c’est jamais bien. »

 
 

b) Le baiser qui fait pleurer :

Symboliquement, le premier passage à l’acte homosexuel tourne surtout autour de l’action du baiser. Il est souvent question de l’importance (et des dégâts !) du premier baiser homosexuel dans les fictions homosexuelles : cf. le film « First Kiss » (1996) de Linda Cullen, le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le film « Butterfly Kiss » (1995) de Michael Winterbottom, le recueil de poèmes Espadas Como Labios (Des épées comme des lèvres, 1932) de Vicente Aleixandre, le poème « Canción De Amor Para Los Nazis En Baviera » de Néstor Perlongher, le film « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le roman El Peso De La Paja. El Beso De Peter Pan (1993) de Terenci Moix, la chanson « Tatuaje » de Rafael de León, le film « Les Amoureux » (1964) de Mai Zetterling (avec le baiser volé), le film « O Beijo » (1964) de Flavio Tambellini, le film « Csokkal Es Körömmel » (« Baisers et égratignures », 1995) de György Szomjas, le film « Kiss Kiss Bang Bang » (2005) de Shane Black, le film « O Beijo No Asfalto » (1985) de Bruno Barreto, le film « Kiss Or Kill » (1997) de Bill Bennett, le tableau Le Baiser (1992) de Michel Giliberti, le film « Kiss Me God Damn It ! » (2006) de Stian Kristiansen, etc.

 

Bizarrement, le personnage homosexuel a peur de ce baiser homosexuel. Il lui arrive de le fuir. Par exemple, dans le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, Benjamin se dérobe au baiser sur la bouche que Vincent s’apprête à lui faire : « Excuse-moi. J’peux pas te donner c’que tu veux. Pas ici… pas comme ça. »

 

Ce qui est très curieux, c’est qu’il fait souvent pleurer le héros gay qui le reçoit ou le donne : cf. le film « A Kiss In The Snow » (1997) de Frank Mosvold, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré, le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le film « Kissing Jessica Stein » (2002) de Charles Herman-Wurmfeld, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « Aimée et Jaguar » (1998) de Max Färberböck, le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, etc.

 

« Et vous l’avez embrassé ! Vous en frémissez. Vous n’ignorez pas qu’il est des étreintes dont on conserve à jamais la brûlure. » (la voix narrative parlant de la déesse « Littérature », dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 150) ; « Les baisers, les premiers, goût d’embruns, goût de spleen. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « J’attends ma peine, sa bouche est si douce. » (cf. la chanson « Je t’aime Mélancolie » de Mylène Farmer) ; « Ce fut un baiser comme je n’en avais jamais reçu d’une femme, un baiser sauvage et désespéré comme un cri mortel. Le tremblement convulsif de son corps passa en moi. […] Mon âme s’abandonnait à lui, et pourtant j’étais épouvanté jusqu’au tréfonds de moi-même par la répulsion qu’avait mon corps à se retrouver ainsi au contact d’un homme – affreuse confusion des sentiments… » (le héros homosexuel recevant son premier baiser de son amant, dans le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 126) ; « Ce fut une secousse comme quand un corps se désarticule violemment. » (idem) ; « Ce fut un innocent coup d’œil en arrière qui perdit le fils. L’homme, que le père semblait fuir, lança au fils un baiser aérien, et ce baiser percuta avec une telle violence l’innocence de ses pensées qu’il faillit tomber à la renverse ; mais le fourmillement délicieux que cette collision déclencha le laissa sur sa faim. » (cf. la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 30)

 

Le baiser homosexuel fictionnel n’est généralement pas donné et reçu en toute liberté : il est arraché (comme dans les films « Baisers volés » (1968) de François Truffaut, « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, la chanson « Le Baiser » du groupe Indochine, etc.), ou bien à l’image d’une collaboration, d’un viol. « Y’a des baisers volés dans les trains de tsarine. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Cette nuit, je te l’ai pris, ce baiser que tu n’as pas voulu me donner. […] Je suis encore troublé par ce baiser volé. » (Kévin à son amant Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 207) ; « Mes baisers sont souillés. » (cf. la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer) ; « Je souffre de tes yeux, de tes mains, de tes lèvres… qui savent si bien mentir… et je demande à mon ombre, sans trêve… si ce baiser sacré… peut me trahir. » (les paroles d’un boléro chanté dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 215) ; « Je n’aimais pas son haleine à l’odeur de bière et de cigarette. […] Quand j’ai été dans sa bouche, j’ai trouvé ça divin. J’ai oublié qui j’étais. » (le jeune Mathan parlant de sa première fois homosexuelle, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.

 

Dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, quand James se fait embrasser pour la première fois sur la bouche par Ceth, un amant insistant, il lui dit qu’« il ne le sent pas » tout en se laissant néanmoins faire ; mais plus les baisers s’enchaînent avec fougue, plus il pleure et rejette violemment son partenaire comme une furie : « Non !!! Tu ne vois pas que je ne veux pas ??? » Dans le film « Babysitting » (2014) de Philippe Lacheau, Sam et Franck s’embrassent à leur insu dans le noir (une Dark Room d’un parc d’attractions), mauvaise blague orchestrée par Sonia que les deux hommes se disputent : en découvrant les images, ça ne les fait pas rire du tout.

 

Le baiser homosexuel peut être associé aussi au meurtre et à l’acte diabolique. « Ta petite bouche m’a appris à pécher. » (cf. la chanson « Piensa En Mí » de Luz Cazal) Par exemple, au moment du baiser entre Julia et Élisabeth dans le film « Danse macabre » (1963) d’Antonio Margheriti, la seconde saisit un coupe-papier pour poignarder sa tentatrice. Dans le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong, le premier baiser a le goût amer de la pomme du Jardin d’Éden.

 

Dans le film « The Burning Boy » (2000) de Kieran Galvin, le premier baiser homosexuel entraîne la mort. En effet, c’est au moment où Ben donne à son meilleur ami Chill le signe charnel que ce dernier attendait tant que paradoxalement, Chill se met à pleurer. « Mais tu pleures ? » s’étonne Ben. « Non, je ne pleure pas. » répond Chill. Ben essaie alors de relativiser l’acte qu’ils viennent de poser (« Écoute, ça va, c’est pas grave. Je sais que je te plais. ») mais Chill s’énerve, pousse son copain, qui finit par faire une mauvaise chute le laissant totalement inanimé dans un cabanon qui prendra entièrement feu. Ce film vise à faire comprendre au spectateur que le refus de sa propre homosexualité est criminel ; mais au-delà de cette dialectique idéologique, on nous montre en toile de fond que le baiser homosexuel tue.

 

 
 

c) L’acte homosexuel rejoint indirectement ou directement le viol :

Le passage à l’acte homosexuel n’est pas violent prioritairement parce qu’il y aurait pénétration génitale (car certains militants homosexuels se plaisent à penser que ce serait uniquement la vision de deux corps masculins qui s’emboîtent et s’enculent qui gênerait les opposants à l’homosexualité), mais bien parce que le désir homosexuel est violent par nature.

 

Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah et Charlène, les deux amantes, se retrouvent à parler de leur dépucelage dans un bosquet. Sarah dit que « la première fois [génitale], ça ne se passe jamais bien. Charlène lui rétorque qu’elle ne l’a jamais fait avec un homme. Puis elles entendent un bruit de bête sauvage effrayante qui les fait quitter précipitamment le lieu, terrorisées. Un peu plus tard, sous l’effet de l’alcool et dans un moment d’intimité, elles s’embrassent sur la bouche dans leur caravane. Ce geste recouvre une forme de mélancolie fataliste : « It’s too late. I’m in love. » déclare Charlène à Sarah. Juste après le baiser, étonnamment, Sarah lui fout tout de suite après une gifle magistrale : « I’m not ready ! », geste blessant qui déromantise bien évidemment la scène. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso Davide, le héros homo de 14 ans, est enculé contre un mur en verre, sur fond rouge, par un autre prostitué.
 

D’ailleurs, c’est bien pour cela que dans les fictions homosexuelles, la violence et la tristesse de l’acte homosexuel sont ressenties bien avant le passage au lit. Elles se présentent déjà à partir de la rencontre de l’amant, de la perception d’un attachement sentimental disproportionné.

 

Le héros homosexuel a un étrange mauvais pressentiment quand il rencontre son amant : « La première fois que j’ai vu Julien, j’ai su que j’étais perdu. Julien me donne l’image retouchée, parfait, d’une condamnation à l’avance. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 114) Il freine des quatre fers au moment de réaliser son fantasme, et on/il ne comprend pas pourquoi. « Moi, ce qui m’a ouvert les yeux, c’est un type. On s’apprêtait à faire l’amour et… il éclate en sanglots. Là-dessus, il dit : ‘Excuse-moi, j’suis désolé… Ce n’est plus aussi drôle qu’autrefois.’ » (Jeffrey, le héros homosexuel, dans le film éponyme (1995) de Christophe Ashley) ; « Tu ne sais pas pourquoi je pleure. » (Violette Leduc à son amie Hermine, dans le roman La Bâtarde (1964), p. 221) ; « J’ai pas envie de la voir nue, j’ai pas envie de le voir nu. » (cf. la chanson « Troisième Sexe » du groupe Indochine) ; « Puisque c’est la première fois, ça vous dérange pas si on éteint la lumière. » (Dzav–Bonnard à leur producteur, au moment du coït, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard)

 

Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, quand Esti et Ronit se retrouvent toutes les deux pour la première fois dans un bosquet et qu’elles sont prêtes à se révéler leurs sentiments, Ronit dit à Esti qu’elle « a l’air d’un tueur en série ». (p. 139) Elles finissent par sortir ensemble. Mais plus tard, c’est toujours la même résistance qui revient : « Je l’ai repoussée et tenue à l’écart, à bout de bras. Je suis plus forte qu’elle, je l’ai toujours été. Ça n’a pas été difficile. ‘Non, Esti ! ai-je dit. Tu dois arrêter maintenant. Ce n’est pas, enfin, ça suffit, tu arrêtes, d’accord ?» (Ronit, idem, p. 145)

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, au moment de vivre son premier rapprochement homosexuel, Bryan se sent très mal et repousse son copain Kévin, même s’il se cherche ensuite des excuses pour trouver sa gêne absurde (il dit qu’il se trouve « compliqué ») : « Je regrettais presque d’avoir réagi aussi connement. Évidemment que j’en rêvais, pourquoi lui faire croire le contraire ? Je pouvais mentir aux autres mais pas à lui… et à chaque fois, cette impression d’avoir un cerveau compliqué… c’était lui le responsable, pas moi ! » (p. 120)

 

La première fois homosexuelle est marquée par un contexte d’absence de liberté (on appelle cela l’« homosexualité de circonstance » dans la réalité). Par exemple, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Markus et Gabriel s’embrassent sous l’effet de l’alcool, alors qu’ils ne sont pas en pleine possession de leurs moyens. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Peter embrasse de force Howard sur la bouche.

 

Le désir homosexuel n’est pas un élan libre à la base. « Un jeune garçon aux yeux verts vous sourit. On vous pousse par derrière. Vous avancez. » (Thibaut de Saint Pol, N’oubliez pas de vivre (2004), p. 16) Il peut dire un attachement malsain aux origines. C’est la raison pour laquelle la première fois homosexuelle est parfois associée à un acte incestueux : « Que signifiait le baiser qui l’avait tant troublé : défi, ou mépris ? L’homme les avait-il pris, son père et lui, pour des invertis ? » (la voix narrative dans la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 31) Dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Alex affirme en blague que sa « première fois homosexuelle », ça a été avec son beau-père. Dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, le baiser entre Elliot et Paul, au départ plaisant, laisse place à la culpabilité : Elliot regarde la place vide de son père dans le bar. Idem dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, où ce sera le fait que le baiser homosexuel soit vu et rendu concret par le regard d’un vieillard, qui remplira le héros homosexuel d’une culpabilité criminelle à l’égard de son camarade de vestiaires. Dans le téléfilm « L’Homme que j’aime » (2001) de Stéphane Giusti, le premier rapport amoureux homosexuel fait l’objet d’une vraie bagarre dans les vestiaires entre les deux amants, Lucas et Martin.

 

Plus radicalement, la première fois homosexuelle renvoie au viol, à la trahison, à une imposture identitaire et amoureuse. « Toute sodomie commence par un viol. » (Paul dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Soudain, tandis que j’étais à moitié nu, je ne sais par quel subterfuge inconscient de l’esprit, les images de ma première nuit d’amour avec Franck se projetèrent sur ce lit, comme en surimposition. Scènes de film muet, où l’un des protagonistes – moi, en l’occurrence –, est pris d’un terrible remords pour ce qu’il a fait subir au jeune garçon. » (Éric en parlant de son amant Franck, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 35) ; « La honte et le plaisir, l’impression à la fois d’être souillé et d’enfreindre un tabou vieux comme le monde se mêlent en lui. » (la description de Franck sodomisé, idem, p. 39) ; « Tu sais, ma première amie, je l’ai trahie. » (Cherry à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « C’est très perturbant de découvrir le sexe comme ça. » (Joe, un homme homosexuel obèse, très anxieux et efféminé, qui a été violé par un prêtre à l’adolescence, dans le film « Spotlight » (2016) de Tom McCarthy) ; etc.

 

Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Balthasar dit : « J’ai eu un orgasme mais ça fait mal. » Ce à quoi Louis lui répond : « T’étais pourtant prévenu… Le dépucelage… » Dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, le jeune Michael, au moment de réaliser sa première fellation, fait tout pour reculer l’échéance : « Tu as un bonbon ? » Dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, on observe une sodomie qui fait mal, qui inquiète, qui n’est pas librement choisie. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, le premier coït homosexuel entre Raúl et le jeune Roberto se passe très mal, dans une grande appréhension et violence : « Tu vas me faire mal! […] Ça fait mal ! » hurle Roberto avant d’être effectivement violé et frappé par son amant.

 

Dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, José et Ander font la première fois l’amour dans les toilettes un jour de mariage ; certes, Ander a bu, mais il est aussi tellement traumatisé de la violence de la pénétration anale et de son assujettissement à son homosexualité qu’il en vomit sur place.

 

Dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, les deux meilleurs amis, Jan et Matthieu, finissent par coucher ensemble, et Matthieu le vit super mal : « Putain, mais lâche-moi, espèce de pédale ! » Il pousse Jan contre une fenêtre qui vole en éclat et qui le blesse à la jambe.

 

Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, la première fois où Russell et Glenn se rencontrent, c’est dans les toilettes d’une boîte gay, un soir de déprime mutuelle. Et quand ils font ensemble un brin de causette (présenté comme « profond » par le réalisateur), on apprend que la toute première fois de Russell lui est apparue comme « trop violente ».

 

Les dommages collatéraux du premier acte homosexuel peuvent être bien entendu d’ordre physique : « Tu avais mal à l’endroit du… coït. » (Dominique à Jérôme en parlant de la nuit d’amour alcoolisée entre Jérôme et François l’homosexuel, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos) Mais ils sont avant tout psychologiques.

 

Dans le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, par exemple, l’amour lesbien naît du voyeurisme : l’héroïne observe par le trou du mur de son appartement sa voisine nue dans sa salle de bain, et la toute première fois, celle-ci hurle de se découvrir ainsi violée… avant de se laisser au fur et à mesure espionner avec complaisance.

 

Dans le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland, le premier rapport sexuel entre Craig et Matt est vécu comme un drame. En effet, dans un premier temps, Craig, en bon puceau, attend son amant au fond de leur lit, avec une réelle appréhension, même s’il lui assure que « tout va bien », et qu’il sera par la suite à l’initiative de tous les actes sensuels qu’ils vont poser. Ensuite, il reçoit les caresses de son copain comme un vrai supplice. Puis il demande machinalement à Matt : « Je veux que tu me baises. » Son copain, entièrement nu, lui demande s’il est « sûr » de sa décision, étant donné le peu d’appétence manifestée. Craig prend sur lui et se force à ne pas se contredire : « Oui, pénètre-moi ! ». Matt, déjà coupable, insiste à nouveau : « Tu es sûr que tu veux le faire ?… ». Son ami lui ordonne : « Fais-le ! ». Au moment où Craig se fait finalement pénétrer, il se relève précipitamment du lit, réagit très violemment, se tape la tête contre les murs de la chambre en injuriant Matt. Plus tard, son compagnon lui avouera qu’il a compris sa mauvaise réaction, car lui aussi avait pleuré lorsqu’il s’était fait jadis déflorer. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle est poussée dans les bras des femmes parce qu’elle avait été prématurément et préalablement poussée dans les bras des garçons à cause de la pression des copines de lycée.

 

La première fois homosexuelle est aussi en lien avec la violence des rapports sociaux et commerciaux au sein de la communauté homosexuelle, de l’inhumanité des sites de rencontres Internet et des lieux de drague homosexuelle (qui offrent parfois le cadre du premier contact brutal du héros avec son homosexualité). Par exemple, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, Benji, le héros homosexuel, débarque pour la première fois au sauna et vit un parcours initiatique difficile…

 

La première fois homosexuelle est également liée à la mort, à la guerre et aux grandes catastrophes. « J’avais l’impression que j’étais en train de mourir. Mais vue comme ça, la mort, c’était ce que j’avais connu de meilleur dans ma vie. » (Mourad, le personnage homosexuel décrivant son premier émoi amoureux homosexuel, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) Dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, le héros homosexuel dit avoir rencontré son « mari » pour la première fois le 11 septembre 2001. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan et Kevin, les deux amants homos, se rencontrent pour la première fois au cimetière, face à la tombe de Julien, un gay du lycée qui s’est suicidé : « Nous étions là, figés devant ce cercueil que nous regardions en silence. » (p. 50) Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le beau Vincent raconte que la première fois qu’il a couché homosexuellement, c’était dans un coin reculé d’une plage, à l’âge de 15 ans, avec un homme de 20 ans, Sébastien, qui s’est tué à l’arme à feu un an après.

 
 

d) La ré-écriture enchanteresse et volontariste de la « première fois » homosexuelle :

 

Pourtant, l’initiation homosexuelle n’apparaît pas tout de suite comme violente, car sa brutalité est amortie par les intentions amoureuses. Beaucoup de personnages homosexuels, dans leurs élans ados, fantasment sur l’idée de « première fois » : « Just a first kiss from my lover… beautiful kiss and forever : I love him… » (cf. la chanson « Father I Am » de Jann Halexander) ; « On s’assied sur le lit, on se caresse, on s’embrasse avec fureur ou grande tendresse, alternativement. Vianney s’allonge et je le caresse doucement, je découvre son corps avec mes doigts devenus beaucoup plus sensibles. J’arrive à son visage, il murmure ‘J’ai envie de pleurer. C’est comme un rêve, un truc trop beau pour être vrai. Je me demande quand la tuile va nous tomber dessus. » (Mike, le narrateur homosexuel faisant pour la première fois l’amour avec un inconnu, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 85) ; etc.

 

Film "Tomboy" de Céline Sciamma

Film « Tomboy » de Céline Sciamma


 

On comprend que si la « première fois homosexuelle » est parfois décrite en des termes positifs, ce n’est pas tant parce que les faits sont regardés tels qu’ils sont, mais bien parce qu’ils sont l’objet d’une ré-écriture enchanteresse postérieure à l’acte homo : « Nos corps se sont touchés. Soudain, nous nous sommes embrassées. Je ne sais pas comment cela s’est produit. Je me sentais nauséeuse… Je me suis laissée aller. Je me suis sentie bien. » (l’héroïne racontant une aventure lesbienne à sa mère, dans le film « Les Rendez-vous d’Anna » (1978) de Chantal Akerman) ; « Je ne sais même plus si je l’ai vraiment aimé. Quand je l’ai rencontré, il était comme perdu. Moi, je n’étais pas mieux que lui. […] Son histoire m’a touché, sa souffrance, ses larmes, ses questions. […] Je le sentais désespéré et c’était la première fois que je rencontrais quelqu’un d’aussi vrai. […] Je me suis attaché à ce qu’il représentait, peut-être plus qu’à lui d’ailleurs. » (Malcolm en parlant d’Adrien, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, pp. 119-120) ; « ‘L’autre jour, il faisait gris comme le jour où Gilberto m’a quitté, mais ça allait. Je suis allé chez un mec pour baiser, on a fumé et avant de baiser, d’un coup tout est remonté. Je me suis mis à pleurer, je ne pouvais plus m’arrêter.’ En riant, il ajoute ‘Le pauvre garçon ne savait pas quoi faire !’ » (Simon dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 113) ; etc.

 

Même si dans les faits la « première fois » et la virginité sont rendues bien loin, certains héros homos s’évertuent en amour à rejouer cycliquement la comédie de la « première fois ». « C’est dans la nuit de Rebecca que la légende partira, et aujourd’hui pour une troisième fois elle décidait de sa première fois. » (la chanson « Trois nuits par semaine » du groupe Indochine) ; « Inconsciemment, reproduire chaque fois la toute première fois, le tout premier mauvais choix. » (cf. la chanson « L’Inconstant » d’Étienne Daho) ; « Avec un mec, c’est chaque fois la première fois… Encore plus. » (Franck dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Je pourrais citer chaque premier baiser de mes relations. » (Matthieu… qui, plus tard, trompera quand même son copain Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc. Dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2010) de Jérémy Patinier, la première fois est le lieu de la division déniée : « J’ai été seule puis une et demi, j’ai grandi en comprenant comme ça que je ne supporterais mon corps que lorsque je nouerais au sien, lorsque nous serons en nous, l’un dans l’autre, chacun réconciliés avec sa première fois… » (une jeune femme dans l’acte 2 intitulé justement « La Première fois ») ; « Je n’ai jamais eu de première fois puisque j’ai tout de suite eu l’impression que c’était déjà la deuxième. » (idem)

 

Le personnage homosexuel, dans ses élans bourgeois-bohème, fantasme beaucoup sur l’idée de « première fois ». Intellectuellement, elle lui plaît. Même si ses actes ne sont pas purs, il exhibera souvent à l’amant qu’il cherche à posséder ses intentions de retour à la virginité à travers l’amour homosexuel : « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 69) Il affectionne les coups de foudre, les « premières fois » saturées de désirs (pulsionnels) et de sensations, mais où la liberté est quasi absente. A-t-il compris qu’il n’était pas à l’origine de l’Amour originel ? que l’Amour vrai n’était pas brutal ? Visiblement, non.

 

Par exemple, on l’entend dire toutes les trois semaines qu’il est tombé fou amoureux, que « cette fois, il a vraiment rencontré LE bon », que « c’est complètement différent de tout ce qu’il a connu auparavant »… Face à l’amant, il sert le même discours sincère de la renaissance : « C’est la première fois que ça m’arrive ; t’es la première personne avec qui je le fais ; Tout ça, je ne l’ai jamais dit à personne avant ». Mais concrètement, dans sa vie, la réalité de la « première fois » sexuelle est beaucoup plus liée à celle de la rupture, de la bonne intention non-actée, ou de la pulsion égoïste romantisée (autrement dit de la masturbation), qu’à la véritable virginité, une virginité reçue et non pas créée par ses propres forces/perceptions humaines. « Je rêve pour sortir du bois, pour ma toute première fois… [d’une branlette] » (un des personnages homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Ma première relation homo, je l’ai eue avec moi-même. » (David dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ?, 2010) de Malu de Martino), Julia, l’héroïne lesbienne, se palpe sous sa douche (en souvenir de sa dernière relation amoureuse terminée) et pleure tout de suite après.

 

Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la « première fois » est tellement idéalisée qu’en actes, elle fait faire n’importe quoi au héros homosexuel : « Je m’étais juré de pas coucher le premier soir ! Mais que voulez-vous ? J’avais rencontré mon Prince Charmant ! Je me sentais comme Cendrillon ! Elle avait trouvé chaussure à son pied et moi… »

 

Dans le film « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, la première fois entre le jeune Roy et son amant plus âgé, Maurice, se déroule de manière tragique et en même temps totalement dédramatisée. En effet, à la fois Roy pleure quand il se fait pénétrer (on comprend qu’il ment quand il fait croire à son aîné que ce n’est pas sa première fois homosexuelle), et juste après le coït douloureux, il caresse langoureusement le poitrail de son « copain d’un soir » en scandant à voix basse et de manière répétée le prénom « Maurice… Maurice… » qu’il vient de découvrir (les amants ne s’étaient même pas donnés la peine de se présenter avant de passer au lit !)… alors que pour l’homme plus expérimenté, on voit qu’il s’agissait d’un banal « plan cul », d’une formalité qu’il va s’empresser d’oublier. Au moment du départ de Maurice, Roy, assis sur la cuvette des toilettes, dés-idéalise l’idylle, et pose une question dans le vide, qui restera sans réponse : « On se sent toujours comme ça après ? »

 

Une autre parade trouvée par le personnage homosexuel pour noyer sa tristesse d’être un homosexuel pratiquant débutant, c’est l’intention ludique : « Le passage à l’acte ressemble à s’y méprendre à ces jeux où les enfants se répartissent les rôles entre gendarmes et voleurs : ‘On dirait que tu es mort’, en sachant que le pistolet est en bois. La cravache de Mathilde est un gourdin en papier mâché, mes fesses la tête de guignol. » (la voix narrative lesbienne, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 60)

 

Par exemple, dans les films « I Want Your Love » (2010) de Travis Mathews ou « Action Vérité » (1994) de François Ozon, le passage à l’acte passe par le biais du défi ludique.

 

Mais le jeu en question ressemble à un piège, une diversion mensongère, un catapultage précipité dans le monde de la sexualité clinique et pornographique. Par exemple, dans la pièce Faim d’année (2007) de Franck Arrondeau et Xaviéra Marcjetti, Marc évoque sa première expérience homogénitale : « Ça s’est fait bizarrement. Au détour d’un jeu. »

 

Dans le film « Infidèles » (2010) de Claude Pérès, un réalisateur et un acteur s’enferment dans un appartement, seuls, avec une caméra, toute une nuit, jusqu’au lever du jour, pour mettre à l’épreuve leurs désirs. Leur jeu ambigu finit par tourner mal.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin, juste avant de passer au lit avec Bryan, lui fait passer un drôle de bizutage : il « dit sur un ton catégorique : ‘On va jouer à un jeu : la bataille. T’as un jeu de cartes ?’[…] J’aime bien jouer avec toi’, dit-il, avec ce sourire qui en disait long sur ce qu’il pensait. » (p. 123)

 

Dans beaucoup de fictions homosexuelles, le passage à l’acte homosexuel finit par faire rire jaune, et par blesser.

 
 

e) Le premier viol homosexuel vient de l’imaginaire et de l’éloignement du Réel :

Comme je l’ai dit un peu plus haut, la violence de l’acte homosexuel n’est pas prioritairement une question de pénétration génitale ou de gestes brusques dans le cadre amoureux (les pratiques ouvertement violentes restent circonscrites aux sphères très minoritaires de l’univers SM). Elle se situe avant tout dans la violence d’une sincérité, sincérité exposée comme vraie et aimante, alors qu’elle n’équivaut pas à la Vérité ni à l’Amour (on peut vouloir le bien sans le faire ! on peut être franc, consentant, sincère, intentionnel, sans être vrai !)

 

Le meilleur exemple de « premières fois homosexuelles » ratées, d’actualisations violentes de la sincérité, ce sont déjà les coming out : « C’était la première fois que je parlais de mon homosexualité et c’était pour la renier ! » (Ednar disant à Yvonne qu’il n’est pas homo alors qu’elle a découvert à raison son homosexualité, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 44)

 

La violence de la première fois homosexuelle, c’est aussi celle du regard libidineux, ou d’un simple « Je t’aime », tellement inapproprié au Réel et à la réalité de la relation qu’il a l’effet d’une gifle : « En sortant du casino, […] je lui ai dit que j’avais envie de faire l’amour avec elle. Elle m’a regardée tristement. Je pouvais lire dans ses pensées : ‘Si même les femmes ne me laissent pas tranquille, maintenant, qu’est-ce que je vais devenir ? » (Suzanne en parlant de Fédora et de leur première rencontre, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 238) La déclaration d’amour homosexuel apparaît comme un arrivisme suspect, flattant la défaillance humaine des deux personnages qui vont s’adonner à leur désir homosexuel en toute passivité/sincérité : « Elle a ajouté, d’une voix étranglée : ‘Je vous aime’ et elle s’est mise à pleurer. » (Erika décrite par Suzanne lorsqu’elle lui déclare sa flamme pour la première fois, idem, p. 185)

 

L’acte homosexuel a le pouvoir d’anesthésier la conscience de mal faire. Il rend flou la frontière entre le bien et le mal, entre réalité et fantasme, si bien que le héros homosexuel qui se décide à croire en la beauté et en la réalité de l’identité homosexuelle ou de l’amour homosexuel vit une forme de division interne indéfinissable, de captation psychique, d’hypnose, de rêve éveillé digne des meilleurs films de science-fiction (quand l’être humain s’extériorise trop), entre ce qu’il ressent et ce qu’il vit concrètement. « Quand j’ai sonné à la porte, j’étais dans un état second. » (Florence dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Les miens et ceux de mon monde. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. Je ne m’en suis pas rendu compte lors de ton séjour. Je m’en aperçois, alors que tu t’en vas ? En te parlant, je prends conscience de ma diversité. Qu’adviendra-t-il de moi ? Ce sera comme vivre tout près d’un autre moi-même qui n’a rien de commun avec moi. Faut-il toucher le fond de cette diversité que tu m’as révélée et qui est ma vraie nature angoissée ? » (Pietro à l’Étranger qui l’a défloré, dans le film « Teorema », « Théorème » (1968), de Pier Paolo Pasolini) ; « La chambre obscure impliquait certains actes concrets. Julien attendait des choses, que son hôte n’avait à présent guère le courage d’entreprendre. La chaleur était pénible. Nicolas se sentait décalé, hors de lui-même, tandis que ce corps offert devenait soudain réel. Attendant d’être accommodés à la cuisine de Nicolas, les 65 kilos de Julien s’imposaient maintenant comme un paquet de chair peu compatible avec la rêverie qui les avait conduits jusque-là. […] Il devenait spectateur de Julien et de lui-même. […] Nicolas n’osait révéler son malaise à celui devant lequel il avait, depuis trois jours, montré tant de détermination. Il fallait payer. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), pp. 82-85)

 

Dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet, Antoine entraîne Julien dans un guet-apens (cette situation finit par plaire à ce dernier, malgré la violence objective de la démarche) : « Je lui ai emboîté le pas. Antoine m’a entraîné jusqu’aux toilettes où il m’a brusquement poussé. J’ai demandé : ‘Pourquoi ?’. ‘Tu verras. C’est un secret’. Alors je me suis avancé sans broncher et Antoine a refermé la porte derrière lui. Et puis là… oh, la, la, la, la, j’en tremble rien qu’à l’écrire mais Antoine qui s’est immobilisé devant moi, m’a plaqué violemment contre le mur, s’est collé à ma poitrine jusqu’à presque m’étouffer, et d’un geste langoureux, il a posé sa bouche contre ma bouche, et tout en se penchant délicatement près de mon oreille, il m’a soufflé : ‘Je t’aime.’ J’ai failli m’évanouir à cet instant. J’étais transporté aux anges, renversé, ébranlé. »

 

Dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, Tanguy déclare vivre écartelé « entre deux mondes » (p. 237) juste après avoir vécu sa première expérience homosexuelle.

 

Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz (20 ans) se retrouve dans l’appartement de Léopold (35 ans) – ils se sont flairés dans la rue et ils ne se connaissent pas – et la situation précipitée mais voulue par eux deux laisse Franz dans un profond désarroi. Juste avant qu’ils s’embrassent, le jeune homme semble perdu (« Je ne sais pas… Je ne sais pas pourquoi je suis ici. Vous m’avez pris de court… ») et raconte que son tout premier baiser homosexuel (avec la langue) reçu par Joachim – un camarade dans un foyer de lycéen – l’avait troublé (« Je me suis senti très mal. »). Lorsqu’il embrasse Léopold pour la première fois, Franz est pris d’étourdissements : « Ça fait tout drôle… J’ai vraisemblablement trop bu. » Une fois l’acte sexuel consumé, Franz est à la fois repu et pris de culpabilité : « Je me suis bien fait avoir. »

 

Le personnage homosexuel semble nous dire que la beauté de l’acte homosexuel réside prioritairement dans sa non-actualisation, dans sa non-réalisation ; dès que celui-ci devient concret, il perd de sa splendeur. La première fois n’a que la magie de l’irréel : « Tout est allé très vite et Olivier ne réalise pas trop ce qui vient de se passer. Il est content que son ami ait pris cette initiative. Plusieurs fois il avait rêvé de ce moment, où il pourrait enfin embrasser son fantasme sur la bouche. Mais la réalité a finalement été bien décevante. Maintenant, il ne sait plus s’il est heureux que ça se soit produit ou non. » (Olivier, le héros homo du roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, p. 173)

 

Dans le film « Jongens » (« Boys », 2013) de Mischa Kamp, quand Sieger reçoit et donne son premier baiser à son amant Marc, il s’allonge sur l’eau en regardant le ciel, comme éberlué par une irréalité. Dans le film « Fotostar » (2002) de Michele Andina, Konrad, le héros homosexuel, une fois qu’il se trouve enfin dans le salon de Jonas, l’homme qu’il a dragué et qui l’embrasse langoureusement sur la bouche, finit par se rétracter. Au moment d’accéder enfin pour de vrai à l’homme de ses fantasmes érotiques, il découvre avec effroi l’envers du décor, la vanité de la possession de l’homme-objet que son désir homosexuel avait commandé. On le voit paralysé par la peur. Jonas essaie de le tranquilliser : « Tu n’as aucune raison d’avoir peur. » Mais Konrad nie sa crispation sans pour autant y remédier (« Mais je n’ai pas peur. »)… contradiction qui perturbe bien évidemment Jonas (« Alors détends-toi. Qu’est-ce que tu as ? »). C’est au moment où Konrad prétexte d’aller aux toilettes qu’il quitte en douce l’appartement de son ami. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Kena et Ziki se retrouvent pour la première fois en intimité dans une camionnette… mais au moment de s’embrasser, Kena est tellement gênée qu’elle quitte le lieu : « Je dois y aller. » Plus tard, juste après leur première coucherie et leur nuit d’amour, les deux amantes Ziki et Kena partagent leurs impressions… et Ziki a du mal à réaliser la factualité de leur acte génital : « J’aimerais que ce soit vrai. »… « Mais c’est vrai ! » lui répond gentiment Kena, pour la rassurer.

 

Dans le film « Krámpack » (2000) de Cesc Gay, c’est le même scénario : l’amant-puceau qui avait « allumé le chauffe-eau » ne prend finalement pas la douche, parce qu’il a inconsciemment peur du viol qu’il a enclenché en toute bonne foi et toute audace. Dani, adolescent de moins de 18 ans, drague Julián, un écrivain homosexuel à la quarantaine bien tassée, et lui saute littéralement dessus pour qu’il couche ensemble. D’abord, il lui vole un baiser… ce qui laisse Julián pantois (il noie sa gêne dans un rire nerveux : « Ça te gêne pas d’embrasser un homme ? ») Dani joue alors la carte du naturel forcé (« Pourquoi ça me gênerait ? ») et du mensonge, puisqu’il fait croire que ce n’est pas sa première fois et qu’il a déjà couché avec son meilleur ami Nico, ce qui est pertinemment faux (« Ce n’est pas ma première fois. Oui, je l’ai déjà fait avant. Et le reste aussi. Baiser, faire l’amour… Bon… plus ou moins. »). Dani cherche à masquer sa peur par une audace effrénée, démesurée : il ouvre précipitamment la braguette de Julián et se met torse nu devant lui. Ce dernier essaie d’amortir la précipitation suspecte du jeune « chien fou » (« Dani… Dani… On continue ? T’es sûr ? Tu veux vraiment qu’on continue ? »), et sans pour autant rejeter sa proposition, il fume, met de la musique, part se préparer, afin de rajouter à la baise pédophile une lenteur et un romantisme qui la déréaliseront. Mais au moment où il revient dans le salon, entre-temps, le petit oiseau soi-disant téméraire et effronté s’est envolé…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La première fois homosexuelle est vécue par beaucoup de personnes homosexuelles comme un traumatisme :

J’entends déjà d’ici certains esprits pessimistes me rétorquer à propos de ce code : « Mais pourquoi inventes-tu un malaise là où il n’y en a pas eu ? Moi, j’ai vécu mon premier baiser comme une libération ! Et le jour de la découverte de mon homosexualité a été, sans déconner, une révélation, le plus beau jour de ma vie ! Pourquoi fouilles-tu la merde et cherches-tu à culpabiliser l’ensemble des personnes homosexuelles en les faisant revenir sur un souvenir intime et lointain qu’elles n’ont plus en mémoire ? » Et je leur répondrai : « Et pourquoi, d’après vous, elles se sont autant empressées de l’oublier ou de ne pas l’analyser, ce souvenir ? »

 

De même, j’imagine le parallèle immédiat et facile qui peut être fait avec l’hétérosexualité : « Tu sais, ce que tu dis sur la ‘première fois’ homosexuelle, c’est la même chose pour tous les couples hétéros… Ce n’est jamais parfait pour eux non plus du premier coup. On est tous gauches et inexpérimentés quand on débute sexuellement. On ne sort jamais la première fois avec la bonne personne. Et l’acte sexuel humain a toujours une part de violence naturelle, inhérente à la passion, au rythme bestial du coït, aux jeux sexuels, au rapport de pouvoirs entre amants pendant l’accouplement. J’ai l’impression que tu idéalises un peu le tableau des couples hétéros, pour mieux noircir le tableau des homos. Mais c’est noir… ou gris… pour tout le monde ! Il n’y pas d’amour ou de baiser spécifiquement homos : il y a de l’amour et des baisers tout court ! ». Et je pourrais rétorquer à ces défenseurs de la banalité du coït humain : « Mais qui vous dit que la première fois n’est jamais parfaite dans les couples femme-homme, si ce n’est vous, parce que vous ne croyez plus en l’Amour vrai ? Qui vous dit qu’il n’y a pas des couples qui s’attendent vraiment et qui soignent complètement leur première fois, au point de vivre même leurs petits défauts de débutants comme des occasions de rire et de s’aimer davantage ? » Ce n’est pas parce que techniquement ce n’est pas parfait – quand on est novice, on est, c’est vrai, forcément maladroit – que ce n’en est pas moins idéal et génial dès la première fois quand même pour ces deux êtres de sexes différents qui vivent l’émerveillement de la découverte de leurs différences et de leur virginité offerte intacte à la bonne personne qui les a attendus. Même si la première fois homosexuelle n’est pas systématiquement facteur de tristesse et d’horreur, en tout cas, elle n’est pas autant source d’émerveillement, de paix profonde, de patience, de respect, de durée, de joie, de surprise, que la première fois entre deux personnes de sexes différents qui ne se sont pas ruées sur le gâteau de la sexualité et qui ont vraiment pris la peine de ne pas se posséder l’une l’autre dans une fusion fiévreuse et une précipitation angoissée.

 

Même dans la réalité, j’ai constaté à maintes reprises que la première fois homo-affective/homosexuelle est souvent traumatique (ce n’est pas rien de vivre concrètement l’exclusion de la différence des sexes !). D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si statistiquement le premier rapport homosexuel est vécu beaucoup plus tard que dans les couples femme-homme, comme si le choc était inconsciemment deviné, reporté, craint : « Les personnes qui ont eu un partenaire du même sexe dans les 12 derniers mois rapportent une activité sexuelle plus diversifiée que les autres. Elles ont débuté leur vie sexuelle plus précocement : 17,3 ans ‘versus’ 18,6 ans pour les femmes hétérosexuelles, et 17,1 ans ‘versus’ 17,6 ans pour les hommes hétérosexuels. Leur premier rapport homosexuel a eu lieu à 22,8 ans pour les filles et 18,8 ans pour les garçons. » (Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 251) Le caractère précipité, compulsif, pressé, bâclé, que prend souvent la première expérience homosexuelle ne fait que renforcer le climat de peur qui entoure inconsciemment l’acte homosexuel, ne fait que prouver que celui-ci est né d’une frustration ou même qu’il engendre une frustration).

 

Beaucoup de psychiatres et de psychologues vous le diront. Il n’est pas anodin de passer à l’acte homosexuel. Quand je m’étais entretenu, en 2012, avec le journaliste Jacques Arènes (qui semblait un peu timoré à l’idée d’envisager, comme moi, un lien entre désir homosexuel et viol), ce dernier n’a pas pu s’empêcher de m’avouer qu’au vue de son accompagnement psychologique auprès de ses patients homosexuels, il constatait à maintes reprises une ambiguïté violente qui se cristallisait autour de l’initiation à la pratique homosexuelle.

 

Et quand les individus homosexuels posent un regard rétrospectif honnête sur leur dépucelage homosexuel, quand ils s’aventurent à ouvrir le livre de leur honte, on entend beaucoup de remords : « Ça s’est passé mal, très très mal, parce que c’est comme si ça en rajoutait encore, en définitive. Le fait de passer à l’acte, pour moi, faisait que ça rajoutait encore de la complication à mon existence. » (Olivier, 37 ans, parlant de son premier passage à l’acte homosexuel, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Mon premier contact avec un pédé fut un réel moment d’intense stupidité. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 72) ; « Le premier soir, ça a été presque beurk. La première rencontre ça a été un peu catastrophique. » (Yann parlant de son amant Pierre, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « J’avais seize ans. La prof d’italien nous emmenait voir une pièce. Je suis arrivé en retard. Chaillot était fermé. Alors j’ai voulu connaître le sexe. Le sexe était plus fort. Plus fort que la peur. Plus fort que moi. Je suis descendu dans les jardins. J’avais lu dans ‘Le Nouvel Obs‘ que ça draguait. J’ai zoné dans les bosquets, moyennement rassuré. Un mec s’est approché, beaucoup plus vieux que moi, trente ans, moustachu. Il m’a demandé ce que je faisais là. J’ai dit Je drague’. Il a dit ‘Moi aussi’. Je l’ai suivi jusque derrière une espèce de monument grec. On s’est embrassé. J’avais déjà roulé des pelles à deux ou trois filles, mais là c’était différent. Électrique. Après on s’est sucé. Le goût était horrible. J’ai joui, je ne me souviens pas comment. Je ne me permettais pas de faire très attention à ces choses-là à l’époque. Quand je suis rentré à la maison j’étais en sueur, j’avais envie de vomir. » (Guillaume Dustan, Plus fort que moi, 1998) ; « J’y suis allé pour avoir du sexe avec les hommes. C’est la première chose que j’ai faite. Donc ce gars avec qui j’avais chatté un temps sur Internet était de Flint, dans le Michigan. C’est là-bas que j’ai perdu ma virginité. La capitale mondiale des assassinats, c’est de notoriété publique [rires] . Ce n’était pas la destination la plus romantique. […] Ce fut un épisode sans importance. Ça n’a pas été… il n’y a pas eu de feux d’artifice. Juste après, j’ai senti une forte culpabilité et honte. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Il est arrivé. Ça n’a pas vraiment bien collé. Il est reparti. Ça n’a pas collé la première fois. » (Pierre racontant sa première rencontre avec Bertrand, dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 

Dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, Romain demande à ses amis homos séropos quelle a été leur pire expérience sexuelle. Seul Mateo répond en boutade : « Ma pire expérience sexuelle ? Je sais pas. Y’en a eues tellement ! » Il raconte plus sérieusement qu’il a été violé à l’âge de 15 ans, dans un bar gay, par « un type qui avait mis une saloperie dans son verre ». Il avoue que sur le coup qu’il ne se souvenait plus de rien.
 

Énormément de personnes homosexuelles nous mettent en garde contre le passage douloureux à l’acte (qu’ils ont vécu ou ont vu vivre), sans pour autant le dénoncer explicitement. « La première fois que nous avons passée ensemble, je n’ai fait que pleurer. Elle était aussi démunie que moi si bien que l’une comme l’autre, en toute bonne foi, nous avons cru nous aimer. » (Paula Dumont en parlant de son couple avec Martine, dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 70)

 

Par exemple, dans le documentaire « Le Bal des chattes sauvages » (2005) de Véronika Minder, l’acte homosexuel n’est pas présenté comme anodin : à la perspective de la rencontre d’amour homosexuelle, les amantes ressentent une profonde et curieuse tristesse. Elles préfèrent appeler cela une « sauvagerie »…

 
 

b) Le baiser qui fait pleurer :

Film "L'Évangile selon saint Matthieu" de Pier Paolo Pasolini

Film « L’Évangile selon saint Matthieu » de Pasolini


 

Symboliquement, le principal premier passage à l’acte homosexuel est le baiser. Dans le discours de certaines personnes homosexuelles, il est souvent question de l’importance (et des dégâts !) du premier baiser homosexuel : « Dans mon premier film, ‘Crescendo’, on voit un premier baiser, celui que le personnage principal, qui au début du film est hétéro, échange avec un garçon. Comme il n’est pas habitué, il court cracher dans un lavabo. Moi aussi j’ai fait ça la première fois. Mais évidemment, il y prend vite goût… » (le réalisateur Jean-Daniel Cadinot, cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 70)

 

En écoutant certains amis homosexuels me raconter leur initiation homosexuelle en privé, j’ai été frappé de voir qu’elle ressemblait parfois à un viol, bien que cela ne soit même pas conscientisé et identifié comme tel par la victime « consentante ». Parmi eux, quelques-uns ont littéralement fondu en larmes juste après avoir reçu un simple baiser, ou une caresse soi-disant anodine. Je n’invente rien. On me l’a raconté.

 

Le baiser homosexuel n’est généralement pas donné et reçu en toute liberté. Il est arraché, ou bien apparaît comme une collaboration, un viol : « Une seule pensée traverse alors mon esprit avant de sombrer totalement dans le plaisir indescriptible du premier baiser échangé avec un garçon : comment vais-je réagir en me regardant dans la glace demain matin ? » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 123)

 

Par exemple, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy (diffusé dans l’émission Tel Quel, sur la chaîne France 4, le 14 mai 2012), Guillaume, homosexuel, raconte qu’il a éclaté en sanglots devant sa glace après sa première nuit de passage à l’acte homo.

 
 

c) L’acte homosexuel rejoint indirectement ou directement le viol :

La première fois homosexuelle est marquée en général par un contexte d’absence de liberté (on appelle cela l’« homosexualité de circonstance » : je parle plus longuement de ce type particulier d’homosexualité dans les codes « Entre-deux-guerres » et « Drogues » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « J’avais bien eu une première expérience après l’armée, mais ça s’était très mal passé. Alors j’ai cru que j’étais hétéro. » (Joaquim cité dans la revue Têtu, n°130, février 2008, p. 102)

 

Elle n’est pas une expérience plaisante. Elle provoque parfois même un malaise corporel, un dégoût. « Je n’aimais pas Djaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. […] Tout de suite, je lui permis de faire l’amour avec moi. Je tremblais comme une feuille et je m’efforçais de dissimuler la haine qu’il m’inspirait… » (le danseur Waslaw Nijinksy à propos de son amant Djaghilew, dans le Journal de Nijinsky)

 

Dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), le dramaturge Denis Daniel raconte que les démarrages de ses rapports homosexuels provoquèrent chez lui d’« inexplicables malaises » (p. 113).

 

Salvador Dalí raconte que la « première fois » (pénétration anale) avec le poète espagnol Federico García Lorca a été très mal vécue par le second (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 235).

 

Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa décrit son tout premier contact avec la sexualité : à 13 ans, il voit un voisin des impasses du Bloc 14 se masturber. « C’était l’été, en plein été, août, le 7 août. […] Abdellah, fils de Ssi Aziz, se masturbait. » (p. 11) Plus tard, il vit sa première expérience sexuelle avec un cousin plus âgé que lui, Chouaïb, qui le viole… ce qui n’empêche pas l’écrivain de penser qu’il a finalement adoré cela : « Chouaïb était maintenant nu, entièrement nu. […] C’est à ce moment-là que j’ai réalisé ce qui allait physiquement m’arriver, se produire en moi. Exploser en moi. Pour la première fois. J’ai fermé mes fesses. J’ai fermé mes yeux. Avec force. » (p. 22)

 

La première fois homosexuelle est aussi en lien avec la violence des rapports sociaux et commerciaux au sein de la communauté homosexuelle, avec l’inhumanité des sites de rencontres Internet et des lieux de drague (qui offrent le premier contact concret avec une homosexualité pratiquée). Par exemple, dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), Jean-Michel Dunand raconte que sa première fois homosexuelle s’est passée dans un contexte glauque : un homme plus âgé que lui l’a tripoté dans des toilettes publiques.

 

La première fois homosexuelle est associée également à la mort, à l’amour impossible avec un être absent. « C’est l’amour le plus douloureux ! C’est la première fois que mon cœur s’est ouvert à l’amour, l’amour vrai, peut-être la seule fois de ma vie. » (Emilio Prados cité dans l’essai De Sodoma A Chueca (2004) d’Alberto Mira, p. 233)

 

Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko raconte avec des mots précis « le traumatisme de sa première expérience homosexuelle » (p. 99) : « À peine fut-il sur moi, que je versais des larmes de désolation. L’instant de sodomie, rigoureusement chargé, vit tout mon être disparaître dans les profondeurs du mal pour ne devenir qu’une empreinte. Les filles pensais-je alors, subissent-elles le même sort ? J’avais terriblement mal et je hurlais que jamais plus je ne résisterais, mais qu’il fallait que cela cesse. Torture terrifiante qui m’incendiait de partout, son sexe sans pitié qui me ravageait par des tamponnements secs et violents. » (idem, p. 68) ; « Je sentais chaque centimètre de mon corps me distendre et m’étirer. Indéfiniment. De me sentir possédé, je me mis à pleurer. » (idem, p. 69) ; « Tu m’appartiens désormais, me dit-il’. C’était des mots d’homme, des mots possessionnels et j’en avais la cognition. À seize ans, je n’étais plus le même. J’avais soudainement comme une impression de vide, ce vide qui semblait être ma mort et mon humiliation. […] Qu’étais-je devenu, pour un jour, une nuit, toute une vie ? » (idem, p. 70) ; « Rien ne m’avait préparé à l’extraordinaire sensation que j’avais éprouvée à contempler ma propre sexualité de l’extérieur. J’estimais au fond de moi, qu’un passionnant épisode de ma vie ratait son départ. » (idem, p. 74)

 
 

d) La ré-écriture enchanteresse et volontariste de la « première fois » homosexuelle :

Pourtant, l’initiation homosexuelle n’apparaît pas tout de suite comme violente aux yeux des personnes homosexuelles pratiquantes, car sa brutalité est amortie par les intentions amoureuses, et par une auto-persuasion individuelle (matinée d’un « militantisme de l’optimisme ») qui stipule que « le mal était malgré tout nécessaire et en valait la chandelle ».

 

Parfois, le traumatisme de la « première fois » est interprété sous forme de conte de fée révolutionnaire, pour atténuer le vrai choc. « J’ai perdu ma virginité avec bonheur. Ses regards d’admiration et d’incrédulité ont suffi à faire compenser toutes mes frustrations. » (Kim Pérez Fernández-Figares, homme transsexuel cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 254) ; « En 2005, Christine Bakke fait pour la première fois l’amour avec une femme : ‘C’était sa première fois à elle aussi, ce que j’ai trouvé très beau. Il n’y avait aucune attente, c’état naturel, ça coulait de source.’ » (Christine Bakke, ex-ex-lesbienne, interviewée à Denver, dans le Colorado, fin 2018, dans l’essai Dieu est amour (2019) de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, Éd. Flammarion, Paris, p. 84) ; etc.

 

On comprend que si la « première fois homosexuelle » est parfois décrite en des termes positifs, ce n’est pas tant parce que les faits sont regardés tels qu’ils sont, mais bien parce qu’ils sont l’objet d’une ré-écriture enchanteresse postérieure à l’acte homo.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, dans leurs élans bobos, fantasment sur le concept de « première fois ». Même si dans les faits la « première fois » et la virginité sont rendues bien loin, certaines s’évertuent en amour à rejouer cycliquement la comédie de la « première fois ». Par exemple, on les entend dire toutes les trois semaines qu’elles sont tombées folles amoureuses, que « cette fois, elles ont vraiment rencontré LA bonne personne », que « c’est complètement différent de tout ce qu’elles ont connu auparavant »… Face à l’amant, elles servent le même discours sincère de la renaissance : « C’est la première fois que ça m’arrive ; t’es la première personne avec qui je fais ça ; Tout ça, je ne l’ai jamais dit à personne d’autre ». Mais concrètement, dans leur vie, la réalité de la « première fois » est beaucoup plus liée à celle de la rupture, de la bonne intention non-actée, ou de la pulsion égoïste romantisée, qu’à la véritable virginité, une virginité reçue et non pas créée par nos propres forces/perceptions humaines.

 

L’esprit bobo, vénérant l’instant au détriment de la durée, a un rapport idolâtre aux premières fois : à la fois il les idéalise, et il les méprise comme des rêves de midinettes. « J’essaie de me rappeler. Le début. Ce qui m’a attiré. La nuit. Une boîte de nuit où je me rendais pour la première fois de ma vie. La foule branchée que je n’aimais pas. […] Il dansait. Seul. […] Plus tard, audacieux, je lui ai parlé, je l’ai complimenté. Il a levé les yeux, a souri et moi je suis tombé amoureux, immédiatement, instantanément. On appelle ça le coup de foudre. Moi, j’appelle ça la reconnaissance mutuelle. […] Je ne l’ai pas quitté. Il ne m’a pas quitté. On a dansé ensemble. Une fois. Un slow. ‘Pull marine’. Isabelle Adjani. » (Abdellah Taïa parlant de sa première rencontre avec Slimane, celui qui sera son amant pendant quelques années, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 108) ; « Comment une vie bascule à travers une main qui s’aventure… Je suis devenue une vraie femme. » (Thérèse par rapport à sa toute première fois lesbienne, où une ancienne camarade de classe dévergondée l’a dépucelée, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.

 

Une autre parade trouvée par les personnes homosexuelles pour noyer leur tristesse d’être des individus homos pratiquants régulièrement débutants, c’est la focalisation sur le coming out, sur l’exhibition de soi : elles vont régulièrement mettre en scène la première fois qu’elles ont annoncé leur homosexualité, pour ne pas avoir à révéler que la véritable difficulté n’a pas été d’annoncer son désir homosexuel, mais bien de l’avoir actualisé/concrétisé avec un copain !

 

Et une grande partie de la société participe de ce déni de violence de la première fois homosexuelle qu’est le coming out. Le coming out est une fausse première fois qui cache la vraie, le train qui en dissimule un autre. C’est pour cette raison, à mon avis, que les premières fois homosexuelles sont guettées autant que craintes par nos contemporains (excitation voyeuriste et misérabiliste sur le coming out, suspens autour du baiser homo dans les séries télévisées, curiosité malsaine par rapport à l’acte génital, attente de conversion inexpliquée de l’hétérosexualité à l’homosexualité, gros plan scabreux sur la violence soi-disant « homophobe », etc.).

 

Sinon, bien évidemment, l’astuce la plus efficace que se sont trouvées beaucoup de personnes homosexuelles pour nier la déception/violence de leur premier passage à l’acte homosexuel, c’est la victimisation, et son corollaire : l’extériorisation du viol sur un ennemi tout-puissant (qui portera tantôt le nom d’« homophobie intériorisée », de « culpabilité », de « regard culturel »).

 

En général, le fameux « regard social » – qui bien souvent et l’autre nom d’un regard sur soi et sur sa propre situation qu’on n’ose pas assumer ni écouter – a bon dos… « La première fois, c’était pas très bien. Parce que j’avais peur du regard des gens. » (Amélie, 28 ans, à qui on demande comment était son premier baiser lesbien, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger)

 

Certains individus homosexuels vont inverser les choses, en disant que l’acte homosexuel est objectivement bon, mais qu’il n’est rendu mauvais que par une lecture postérieure et subjective à l’aune des préjugés éducationnels, religieux, et sociaux sans fondements qu’on nous aurait mis dans la tête. Je ne suis bien sûr pas d’accord avec cette interprétation réductrice. Notre regard sur l’acte homosexuel vient de l’acte en lui-même, de la perception de celui qui le vit, et de la société : les trois ensemble. L’apparente valeur positive de l’acte homosexuel tient à mon sens davantage de la décharge émotionnelle/nerveuse qu’il a permise dans l’instant, du défouloir post-dépression, du petit soulagement vécu dans une frustration affective globale, du contentement rassurant et ponctuel dans les câlins, que de l’acte en lui-même. « Il m’a invité à le suivre dans une cabine et j’ai eu ma première expérience sexuelle adulte. Ce n’est pas ainsi que j’avais imaginé cette première fois, mais j’avais envie d’y aller à son contact, besoin de me perdre dans un corps-à-corps. Toute cette frustration accumulée me pesait, j’avais une folle envie de me défouler, je me suis donc lancé. Sur le moment, cette intense décharge d’adrénaline n’a pas été désagréable. C’est seulement après que je me suis senti mal à l’aise. J’avais un goût amer à la bouche, je me sentais sale. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 44-45) Je crois en effet que l’acte homosexuel (contrairement à la découverte initiale de son désir homosexuel – qui n’est pas triste –, ou bien du bon déroulement de certains coming out) est traumatique en lui-même, pas dans le sens commun, brutal, et évident du mot « viol », mais dans le sens de « ravissement » : on ne sait pas quoi en penser, de ce cette première fois homosexuelle ; elle n’est ni assez grande pour remplir de joie, ni assez douce pour être banale. « Au début, j’étais à la fois surpris et gêné. Mais, dès que j’ai su répondre à ses avances, nous avons multiplié les occasions de nous isoler et, à mon grand bonheur, nos jeux sexuels se sont poursuivis pendant plusieurs mois. Mais, subitement, j’allais découvrir le chagrin de la perte, car il s’est détourné de moi pour une fille. Il m’a abandonné. Il avait tourné la page. J’avais été utilisé et jeté, sans même un mot d’explication. Je m’en suis voulu d’avoir répondu à ses avances. Je n’étais pas capable de lui faire des reproches, puisque tout s’était passé dans le non-dit. J’ai ravalé mon humiliation ; ce ne serait pas la dernière fois. » (idem, pp. 20-21)

 
 

e) Le premier viol homosexuel vient de l’imaginaire et de l’éloignement du Réel :

La violence de l’acte homosexuel n’est pas prioritairement une question de pénétration génitale ou de gestes brusques (qui pourraient être vécus dans le cadre très minoritaire de l’univers SM par exemple). Elle se situe avant tout dans la violence d’une sincérité, sincérité exposée comme vraie et aimante, alors qu’elle n’équivaut pas à la Vérité ni à l’Amour (on peut vouloir le bien sans le faire ! on peut être franc, consentant, sincère, intentionnel, sans être vrai !)

 

« C’était la première fois qu’Ednar faisait l’amour ; enfin un ‘câlin’. Quoi de plus naturel pour un jeune homme de seize ans, si le prétendant n’était pas un copain de son âge rencontré par hasard un soir sur la plage ! Mais voilà, une fois ce premier ‘rapport sexuel’ consommé, il lui procura plus de dégoût que de plaisir. » (Jean-Claude Janvier-Modeste dans son autobiographie romancée Un Fils différent (2011), p. 19) ; « Avec ma première petite amie, je n’ai pas eu de relation sexuelle. C’était un amour platonique. Elle disait qu’on faisait quelque chose de très laid. » (Mària Takàcs, la réalisatrice hongroise lesbienne, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; etc.

 

Le meilleur exemple de « premières fois homosexuelles » ratées, d’actualisations violentes de la sincérité, ce sont déjà les coming out : « Depuis l’âge de 16 ans, je savais que j’étais vraiment attirée par les femmes, je le savais, je le sentais ce truc-là. C’était assez paradoxal, parce que la première connaissance que j’ai eue de l’homosexualité, j’étais plutôt prête à la rejeter, à l’éviter. » (Laura, une femme lesbienne de 49 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 52) ; « Moi je me dis, je viens d’un milieu plutôt intello, alternatif, où a priori, c’était possible d’assumer ça plutôt facilement, et en fait je me suis grave pris la tête pendant dix ans et je ne sais pas pourquoi. » (Louise, femme lesbienne de 31 ans, idem, p. 54)

 

La violence de la première fois homosexuelle, c’est aussi celle du regard libidineux de notre semblable sexué, ou bien celle d’un simple « Je t’aime », tellement inapproprié au Réel et à la réalité de la relation qu’il a l’effet d’une gifle. Par exemple, lors de l’émission Dans les yeux d’Olivier d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq, diffusée sur la chaîne France 2 (spéciale « Les Femmes entre elles », le 12 avril 2011), quand Tina a annoncé à sa copine Stéphanie, 24 ans (et de vingt ans sa cadette !) qu’elle l’aime et qu’elle ne peut pas vivre sans elle, celle-ci avoue « s’être effondrée » La déclaration d’amour homosexuel apparaît comme un arrivisme suspect, flattant la défaillance humaine des deux amants qui s’adonnent (de manière consentie mais si peu libre !) à leur désir homosexuel.

 

L’acte homosexuel a le pouvoir d’anesthésier la conscience de mal faire. Il rend flou la frontière entre le bien et le mal, entre réalité et fantasme, si bien que les personnes homosexuelles qui se décident à croire en la beauté et en la réalité de l’identité homosexuelle ou de l’amour homosexuel vivent une forme de division interne indéfinissable, de captation psychique, d’hypnose, de rêve éveillé digne des meilleurs films de science-fiction (quand l’être humain s’extériorise trop), entre ce qu’elles ressentent et ce qu’elles vivent concrètement.

 

Par exemple, lors du talk-show Ça se discute (diffusé sur la chaîne France 2, le 18 février 2004), une intervenante lesbienne, Corinne, jadis mariée à un homme qui s’appelle Matthieu, décrit sa « première fois » lesbienne. Pendant qu’elle s’exprime, elle mime avec les mains le mouvement de projection violente vers l’avant qui a immédiatement précédé le baiser homosexuel : « Nous nous sommes embrassées, et j’ai su que ma vie avait basculé. J’ai été projetée d’un monde à l’autre. J’ai été poussée et je suis rentrée au travail avec elle, et tout ce que je savais dire sur le trajet – c’est elle qui me l’a dit plus tard parce que moi, j’étais un peu partie ailleurs – c’était ‘putain merde, fait chier, putain merde, fait chier, putain merde, fait chier’ parce que j’ai tout de suite su en 3 secondes que mon mariage était fini et qu’en fait, le ‘putain merde, fait chier’ c’était ‘putain merde, ça y est, ce que tu attendais depuis X années vient enfin d’arriver’. Et 15 jours plus tard, j’annonçais à Matthieu que je le quittais. »

 

Les personnes homosexuelles pratiquantes semblent nous dire que la beauté de l’acte homosexuel réside prioritairement dans sa non-actualisation ; dès que celui-ci devient concret, il perd de sa splendeur. Il n’a que la magie de l’irréel.

 

Pour ma part, je me souviens de ma première fois homosexuelle. Je l’ai vécue tard. À 29 ans. En 2009. À Paris. Dans un contexte relativement respectueux, sincère, consenti, pas du tout glauque, mais malgré tout précipité et peu libre. Je n’en garde pas un souvenir cauchemardesque, au contraire. C’était juste un moment surréaliste, où j’étais dans un état second. Je n’aimais pas cet homme (un peu plus âgé que moi et qui m’a servi de cobaye, au fond). Quand il m’a serré dans ses bras puis embrassé sur la bouche, je tremblais de tout mon corps (alors que je n’avais pas froid). J’étais tétanisé. Il a bien fallu quinze minutes avant que je me détende. Pourtant, il n’a pas été brusque avec moi et m’offrait des gestes qui me faisaient plaisir, qui étaient censés me rassurer. Cet homme a été, en apparences, très respectueux avec moi (même s’il me traitait comme un bibelot). Mais j’étais transi de peur et de culpabilité parce que je sentais que je vivais la médiocrité que j’avais devinée depuis mes 20 ans (sans que personne ne m’ait dit que « c’était mal »). Parce que je sentais que le fantasme devenait réalité et que malgré tout, il ne me comblait pas. Je voyais déjà que ça n’allait pas. Je tremblais comme une feuille. Je n’étais plus moi-même. Mais sur le coup, j’ai accepté comme logiques cette transformation, mon laisser-faire, un abandon à la sensualité et à la facilité. Je crois que pour ce premier contact avec la sexualité homosexuelle, j’ai été violenté et j’ai violenté. Mais comme mon partenaire et moi étions d’accord pour le faire, nous nous sommes forcés à amortir mentalement le choc. Nous n’avons même pas couché ensemble. Nous nous sommes juste enlacés et embrassés. La violence dont je parle n’est effectivement pas tant dans la brutalité des gestes – car les gestes posés étaient doux, presque chastes, d’une naïveté adolescente – que dans l’absence de liberté, l’égoïsme mutuel, l’éloignement du Réel, le manque de désir et de joie. C’est drôle : alors que je n’étais pas du tout dans l’état d’esprit de trouver ce que j’allais vivre « diabolique » ou au contraire totalement idyllique, alors même que mon premier amant n’avait absolument pas connaissance de ce que j’avais déjà écrit des années auparavant sur le passage à l’acte homosexuel (dans mon livre qui venait d’être publié), tout s’est pourtant passé exactement comme je l’avais écrit, à la virgule près. J’ai en effet vécu, pendant ma première fois homosexuelle, un « truc » surjoué, narcissique, immature, hallucinant (dans le sens de « ravissement » peu choquant), assez banal, désordonné, insensé, sans joie profonde. Tout sauf exceptionnel, en somme. Comme quoi, on n’a pas besoin d’en passer obligatoirement par l’expérience pour voir juste sur l’acte homosexuel et juger de son irréalité/sa violence consentie. Et de cela, je n’en ai jamais douté.

 
 

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Code n°150 – Promotion « canapédé » (sous-codes : Ascension sociale / Dandy / Riches / Bourgeois / Goût de l’argent / Député)

Promo canapédé

Promotion « canapédé »

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

En direct de la rue des Francs-Bourgeois… ou des bourgeois francs

 

Film "Jet Set 2" de Fabien Onteniente

Film « Jet Set 2 » de Fabien Onteniente


 

Sans pour autant être vraie et aimante, la bourgeoisie (dans le sens post-moderne du terme : l’attrait pour le « devenir-objet » et pour le matérialisme) est très sincère et franche. Et le désir homosexuel, étant par définition le désir d’être objet (vous irez voir le code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels pour ceux qui ne le connaissent pas encore) et le désir sincère qui ne parvient pas à être pleinement vrai, est particulièrement bourgeois. Ce que je dis n’est pas nouveau. Déjà, dans la Bible, il est fait mention que Sodome et Gomorrhe étaient des villes bourgeoises. Et si nous regardons autour de nous, il n’est pas difficile de constater que la pratique et la visibilité de l’homosexualité sont prioritairement observables dans les sphères de pouvoir, de luxe et de matérialisme déshumanisant de la gauche caviar. Pas étonnant que certains pays de l’Hémisphère Sud les considèrent aujourd’hui comme des « vices occidentaux » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 162) venant des Blancs riches.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie est souvent reconnue, et malheureusement causalisée, par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. Or, bien évidemment, cette proximité est de l’ordre de la coïncidence et n’est pas systématique. C’est d’ailleurs pour cette raison que le désir homosexuel peut être ressenti par des gens objectivement sans argent ou par des individus au train de vie bobo (bourgeois-bohème). Toutes les personnes homosexuelles ne sont pas bourgeoises, ni en porte-monnaie, ni en attitudes. Je ne parle que d’une tendance très marquée du désir homosexuel pratiqué, et non du désir homosexuel seulement ressenti. Bien avant d’être un signe extérieur de richesse effective, l’homosexualité cherchant à s’incarner est d’abord un désir de richesse matérielle. Dans les fictions homo-érotiques, force est de constater que le personnage homosexuel joue souvent le dandy bourgeois ou le jeune homme arriviste qui louvoie avec le monde de l’argent et de la Jet Set grâce à son homosexualité… et plus on nie la part de vérité de ce cliché, plus il s’actualise.

 

On le voit dans bien des corps de métiers (mode, sport, médias, théâtre, opéra, hôtellerie, etc.) : l’homosexualité pratiquée est un moyen d’insertion à l’intérieur de certains milieux professionnels et sociaux. Dans le monde du libéralisme économique déshumanisé et conquérant, certaines personnes n’hésitent pas à user de leur prétendue « identité homosexuelle » (… ou de la pratique discrète des actes homosexuels « entre deux réunions », « sous le bureau », ou « dans la salle de la photocopieuse ») pour gravir les échelons de leur entreprise ou de leur milieu professionnel/artistique/politique. Elles semblent prêtes à tout pour arriver à leurs fins. Elles mêlent sans complexe génitalité et travail, vie privée et carrière, business et séduction. Et si on les soupçonne d’arrivisme, de corruption, de semi-prostitution, ou d’élitisme de nouveaux riches (les cercles d’artistes dandys ou d’universitaires homosexuels petits-bourgeois du début du XXe siècle ne sont pas si loin de nous !), elles avancent avec le masque du nouveau spectre de la communauté homosexuelle : l’Homophobie dans le Travail. Mais pourtant, aucune n’ignore la force de corruption de pouvoir qu’exerce le désir homosexuel actualisé.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Patrons de l’audiovisuel », « Prostitution », « Bourgeoise », « Méchant Pauvre », « Bobo », « Homosexuels psychorigides », « Liaisons dangereuses », « Solitude », « Lunettes d’or », « Amour ambigu du pauvre », « Homosexuel homophobe », « Innocence », « Défense du tyran », « Poupées », « Pygmalion », « Homosexualité vérité télévisuelle ? », « Androgynie bouffon/tyran », « Faux révolutionnaires », « Faux intellectuels », à la partie sur l’appât du gain dans le code « Artiste raté », à la partie « matérialiste » du code « Collectionneur » et à la partie « Apocalypse » du code « Entre-deux-guerres » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La haine des bourgeois du fils-à-papa homosexuel :

Dans les fictions homo-érotiques, énormément de héros homosexuels expriment leur haine des bourgeois et des riches : « Je hais les mini et les super-puissants !!! Je les vomis. » (Belle Espérance en parlant des « gens de la Haute » dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « Sales bourgeois ! » (Daphnée, la bourgeoise par excellence, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le film « La Cérémonie » (1995) de Claude Chabrol, Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert détruisent une famille de bourgeois. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, l’Étranger sème le trouble en couchant avec tous les membres d’une famille aisée. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Scott, le héros homosexuel, le fils du maire, rentre en conflit avec son milieu social d’origine pour vivre dans des squats. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, les bourgeois sont moqués.

 

Mais la haine des bourgeois est justement propre aux bourgeois ! Comme l’explique à juste titre Mère Teresa, qui est bien placée pour parler de la misère et des pauvres puisqu’elle les a côtoyés de près, jamais le vrai pauvre ne singe ni ne grossit sa souffrance, jamais il n’haït les riches : « Je n’ai jamais entendu un pauvre grogner ou maudire, je n’en ai jamais vu terrassé par une dépression. » (Mère Teresa, Il n’y a pas de plus grand Amour (1997), p. 163)

 

Le héros homosexuel devient bourgeois d’abord parce qu’il désire se faire objet, qu’il nie son humanité et qu’il rejoint donc la violence et les mondes déshumanisés. « Bande de faux-culs, vous les bourgeois ! Vous êtes les premiers à défiler dans les manifs ‘Les pédés au bûcher !’, mais on vous voit dans les bois ! » (Herbert, homosexuel, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Depuis longtemps, Jason n’était plus capable d’apprécier le spectacle de la nature pour lui-même. En bon dandy féru de décadence, et ayant entretenu son raffinement avec le soin maniaque que l’on prend à s’occuper d’un bonzaï, il était saturé de culture. Un flot de références picturales ou littéraires venait faire écran à toute impression spontanée, et spécifier la teneur même de son émotion. C’est ainsi que la mer, à l’horizon, lui parut avoir revêtu son plus beau bleu Klein. […] La transparence de l’air lui rappela quelque ciel italien de Corot. Quant aux hortensias qui exhibaient avec une joyeuse fierté leurs gros pompons roses, bleus et mauves, ils semblaient sortis du costume d’Arlequin d’une fête galante de Nicolas Lancret. » (Jason, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 31) Par exemple, dans le film « Gigola » (2010) de Laure Charpentier, l’héroïne lesbienne incarne parfaitement la figure de la garçonne envahie par les objets : elle est vêtue d’un smoking, porte un œillet rouge à la boutonnière, brandit une canne à pommeau d’argent incrusté d’une tête de cobra.

 

Le désir bourgeois et homosexuel n’est pas uniquement l’appât du gain. Il est celui qui naît de la jalousie ou/et du conformisme, de la haine de soi, de l’attrait pour le paraître. Il consiste à dire : « Je ne désire pas profondément une personne ou un objet, mais je le prétends parce que je sens que c’est désiré par ‘les autres’ (… et surtout par ceux du sexe complémentaire !) ». C’est l’élan mimétique largement décortiqué par René Girard : « Oui, elle était bandante, c’est le mot. Les mâles de la salle de jeu et moi, nous le savions bien. Et tout à coup j’ai eu envie de les battre sur leur propre terrain. Apparemment tout le monde avait envie de cette belle brune. Pourquoi pas moi ? » (Suzanne, l’héroïne lesbienne bourgeoise du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 237)

 

Certains héros homos créent une version dark, trash, camp, queer et bobo, des bourgeois qu’ils méprisent… pour se donner l’illusion qu’ils sont des marginaux iconoclastes et révolutionnaires parmi les marginaux aisés, des aristos « plus bourgeois que bourgeois » : cf. le bourgeois le châtelain libertin organisant des parties SM dans son manoir dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la bourgeoisie incorrecte dans la nouvelle « L’Apocalypse des gérontes » (2010) d’Essobal Lenoir, etc. « Vous êtes un mondain pour vos amis, un snob pour vos détracteurs. Je ne tranche pas. Après tout, je suis comme vous. » (Vincent, le jeune héros homosexuel s’adressant à la figure de Marcel Proust, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 26) Par exemple, dans la nouvelle « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel voue une passion sans limite pour le « trash bourgeois » et « l’érotisme de salon » (p. 97). Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le jeune héros homosexuel, joue le dandy à part de ses camarades de lycée : il s’habille avec chapeau haut de forme et canne de « Lord anglais », avec un œil caché de pirate.

 

L’élitisme de l’incorrection ou la marginalité camp des héros homosexuels n’est qu’une bourgeoisie qui s’ignore, car ces derniers restent enchaînés au paraître : « Quelques pédés paradent et ça sent le pédant. » (l’un des héros de la pièce Intérieur ou la Traversée spectaculaire d’un foutoir devenu trentenaire (2011) de Jérôme Thibault) La bourgeoisie, c’est finalement l’attachement haineux aux images et aux objets.

 
 

b) Bourgeoisie et homosexualité :

Film "Victor Victoria" de Blake Edwards

Film « Victor Victoria » de Blake Edwards


 

Derrière l’arrogance provocante et iconoclaste par rapport au monde du paraître, il y a une idolâtrie. En effet, beaucoup de personnages homosexuels regrettent le déclin de la bourgeoisie, expriment leur nostalgie de la noblesse (ou plutôt de leur « idée de noblesse ») : cf. le film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming, le roman Le Dernier des Médicis (1994) de Dominique Fernandez, le film « Déclin de l’Empire américain » (1986) de Denys Arcand, le roman Feu le monde bourgeois (1966) de Nadine Gordimer, le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, etc. Par exemple, dans le roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá, José María est le dernier maillon d’une famille aristocrate en décadence. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, les amantes Thérèse et Carol sont l’archétype des deux grandes bourgeoises qui aiment vivre dans le luxe et le désuet. Je vous renvoie au code « Entre-deux-guerres » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

D’ailleurs, le héros homosexuel des fictions est souvent issu d’une famille bourgeoise : par exemple Lars dans le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato, Julien dans le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, François dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Tala et Leyla dans le roman I Can’t Think Straight (2011) de Shamim Sarif (les deux amantes sont toutes deux héritières de très bonne famille), Tadzio dans le film « Morte A Venezia » (« Mort à Venise », 1971) de Luchino Visconti, Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewics, Kyril le dandy avec son monocle dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Ignacio dans le film « Le Bal des 41 » (« El Baile de los 41 », 2020) de David Pablos, etc. Dans la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, Henriette, le héros travesti M to F, se définit lui-même comme un « fils-à-papa ». Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Suzanne, l’héroïne lesbienne, se fait traiter de « bourgeoise des Chartrons ». Dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, Hervé appartient à la « petite noblesse bretonne » (p. 62). Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les deux « pères » de Gatal, le héros homosexuel, ont tenu à ce que leur fils suive sa scolarité dans les « écoles les plus chères et les plus cotées ».

 
 

Lou – « Je ne suis pas assassine, je suis une fille riche !

Mimi – Riche, dit-elle, archi-riche ! C’est Mademoiselle d’Onassis ! »

(Lou et Mimi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)

 
 

L’homosexuel, dans bien des cas, est présenté comme le fils de la bourgeoisie. « L’idéal d’la féminité, c’est d’être née avec du blé ! C’est comm’ ça qu’elle’ pond’ des pédés. […] Ell’ font d’eux des efféminés. » (Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Vous êtes une petite bourgeoise. » (le père de Claire, parlant à Suzanne, la compagne de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Ainsi que le montre le début du film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, la bourgeoisie serait congénitale et engendrerait l’homosexualité. Par exemple, dans le roman Le Bal des folles (1977), Copi-narrateur se définit lui-même comme un « fils de bourgeois » (p. 143), et décrit ses camarades homosexuels comme des bourges : « Elles sont toutes des bourgeoises tarées. » (p. 130) Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, les homos sont définis comme des « bourgeois arriérés ». Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Matthieu-Alexandre, le fils aîné de la bourgeoise Marie-Muriel, est homo : il fait partie d’un club très fermé d’art, et sa mère anti-mariage-pour-tous ne se rend même pas compte de sa tendance, même si elle l’avoue à son insu : « Il est tellement sensible… » Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie est le prototype du gosse de bobo qui va se marier avec un autre homme de sa classe et de sa situation, Antoine : « Il est successful, il est riche. » Il trouve même qu’il a finalement une vie « trop cadrée ». Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Freddie, l’hétéro de base, sous-entend qu’il a compris l’homosexualité cachée de Tom, le héros homosexuel, quand il tourne en dérision l’intérieur riche de son appartement : « C’est tellement… bourgeois… ». Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Audrey, la journaliste noire, qualifie au départ les préoccupations homosexuelles de Rupert par rapport à John de « petits problèmes de riches ».

 

Film "Maurice" de James Ivory

Film « Maurice » de James Ivory


 

« Je me demande pourquoi il y a toujours autant de pédales chez les bourgeois. Ça doit être l’absence d’effort physique. À force de rien foutre assis sur des fauteuils, leurs gènes deviennent mous et dégénérés. » (le boucher joué par Philippe Nahon dans le film « Seul contre tous » (1998) de Gaspard Noé) ; « Toi, t’es aristocratique. » (Vanessa s’adressant à son mari homosexuel Laurent, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille, le héros homosexuel, parlant à Hubert dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « C’est la classe, les gays ont tout. […] Et j’suis fier, et j’suis snob. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Vous êtes une petite bourgeoise. » (le père de Claire, s’adressan à Suzanne, la copine de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener), etc.

 

À en croire certains propos, l’homosexualité serait une pratique plus tolérée et courue dans les milieux aisés : « Tout comme aujourd’hui, jadis, on retrouvait plus de compassion pour la communauté homosexuelle dans les milieux aisés de notre population. La classe moyenne avait de tout temps marqué du mépris et du dégoût envers ces ‘gens-là’ comme ils disaient. » (Ednar à propos de la Martinique, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 27) Je vous renvoie aux codes « Défense du tyran » et « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Souvent, dans les films homo-érotiques, c’est ambiance bourgeoise et salon de thé : cf. la chanson « À table » de Jann Halexander, les vidéo-clips des chansons « Maman a tort », « Libertine » et « Plus grandir » de Mylène Farmer, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec la relation sensuelle entre les petites filles modèles et leurs gouvernantes), le film « Une dernière nuit au Mans » (2010) de Jeff Bonnenfant et Jann Halexander, le film « Occident (Statross le Magnifique 2) » (2008) de Jann Halexander, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le roman Los Alegres Muchachos De Atzavará (1987) de Manuel Vázquez Montalbán, le film « Parfum d’absinthe » (2005) d’Achim von Borries, le film « The Queen » (2006) de Stephen Frears, le film « Rocco et ses frères » (1960) de Luchino Visconti, le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « Laberinto De Pasiones » (« Le Labyrinthe des passions », 1982) de Pedro Almodóvar, le film « Amours particulières » (1969) de Gérard Trembaciewicz, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec les parties mondaines du couple lesbien Catherine S. Burroughs/Muriel Gold), le roman Off-Side (1968) de Gonzalo Torrente Ballester, le film « Il Disco Volante » (1964) de Tinto Brass, le film « Fraude Matrimoniale » (1977) d’Ignacio F. Iquino, le film « Le Feu Follet » (1963) de Louis Malle, le film « Dandy Dust » (1998) d’Hans A. Scheirl, le film « Concussion » (2013) de Stacie Passon (avec Abby, la lesbienne fortunée), le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2014) de Frank Oz (avec le couple de bourgeois homosexuels fraîchement installé dans la bourgade bourgeoise de Stepford ; l’un d’eux est politicien de droite), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin (avec le précieux dandy criminel, Lacenaire), etc.

 

Fictionnellement, les politiciens, magistrats, députés ou businessmen fortunés sont souvent homosexuels : cf. le film « Ronde de nuit » (2004) d’Edgardo Cozarinsky, le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « El Diputado » (1978) d’Eloy de la Iglesia, la trilogie « Dead Or Live » (1999-2002) de Takashi Miike (avec le maire homo), le film « Le Corps de mon ennemi » (1976) d’Henri Verneuil (avec le maire homo), le film « Tempête à Washington » (1962) d’Otto Preminger (avec le sénateur Brig Andersen), le film « Que le meilleur l’emporte » (1964) de Franklin J. Schaffner (avec le gouverneur Cantwell), le film « The Barber, l’homme qui n’était pas là » (2001) de Joel Coen (avec le chef d’entreprise gay), le film « Jack le Magnifique » (1979) de Peter Bogdanovich (avec le sénateur homo), le film « Hécate, maîtresse de la nuit » (1982) de Daniel Schmid (avec le diplomate joué par Bernard Giraudeau), le film « Brylcream Boulevard » (1995) de Robbe de Hert (avec le politicien homo), le film « Charmant Garçon » (1999) de Patrick Chesnais (avec le Ministre de la culture), le film « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill (avec le vieux ministre), la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier (avec Georges, le notaire marié et secrètement homosexuel), le dessin animé « Les Douze Travaux d’Astérix » (1976) de René Goscinny et Albert Uderzo (avec le directeur efféminé de la Maison qui rend fou), etc. « Il est pédéraste ? Alors on en fera un bon sénateur ! » (les deux sénateurs dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky) ; « George Washington était une lesbienne noire. » (le professeur d’histoire souhaitant une grande liberté de ton dans ses cours, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Les hommes politiques, c’est un peu comme les homosexuels. Ça te fait gober tout et n’importe quoi. Et plus c’est gros, plus ça passe. » (Samuel Laroque parlant de ses pairs homos, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « À la mairie de Paris, y’a vraiment beaucoup de pédés ! » (Laurent Violet dans son one-man-show Faites-vous Violet, 2012) ; « J’oublie toujours que ce Ministère des Finances est comme une ruche. » (Mathilde, jalouse que son meilleur ami homo Guillaume ait fait une rencontre amoureuse au travail, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Ils [les hommes politiques] en sont tous. » (un des quatre héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Les pédés obtiennent toujours tout les premiers. » (Senel Paz, Fresa Y Chocolate (1991), p. 10) ; « Les folles sont partout… même au gouvernement ! » (le pasteur Ralph, homosexuel refoulé, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc. Par exemple, dans le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, le Ministre de la Sécurité Intérieure, Benyamin Landau, est homosexuel. Dans le film « L’Homme qui venait d’ailleurs » (1976) de Nicolas Roeg, David Bowie est PDG. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand présente satiriquement le Prince Charles comme un homo, et laisse entendre que vu sa vie débridée et ses déboires avec les femmes, le coming out du président François Hollande serait « imminent ». À la fin, il dépeint les différentes catégories d’homos qu’il a identifiées dans la communauté LGBT, dont « les bien introduits dans les meilleures sociétés, les politisés ». Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Jurgen est l’amant du patron de la boîte de Petra, elle-même homosexuelle.

 

D’ailleurs, le lien entre homosexualité et Franc-Maçonnerie est opéré inconsciemment même dans les films gays friendly tels que « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, où l’expression « être du bâtiment » équivaut à dire « être homosexuel ».
 

On retrouve beaucoup dans les fictions homo-érotiques la figure du bourgeois homo : Bernard le bobo homo sophistiqué dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Georges l’homosexuel bourgeois dans la pièce La Cage aux folles (1973) de Jean Poiret, Jean Desailly en un grand bourgeois inverti dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville, Gabriel de la Serna dans la B.D. Muchacho (2006) d’Emmanuel Lepage,Jean-Paul le pédé bourgeois avec son petit chien de compagnie surnommé « Cocteau » dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier), le Baron Lovejoy dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le narrateur homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, le dandy de la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, Pietrino le dandy efféminé dans le film « Toto Cue Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, les dandys oisifs du film « Godelureaux » (1960) de Claude Chabrol, Mathias dans le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, les deux artistes Sulki et Sulku dans le film « Musée haut, Musée bas » (2011) de Jean-Michel Ribes, David et Philibert les dandys capricieux dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, Stephen l’héroïne lesbienne dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, le baron Charlus et Swann dans le roman À la recherche du temps perdu (1913-1927) de Marcel Proust, la dandy lesbien dans le film « Love Is The Devil » de John Maybury, Jacques-Henri dans les films « Les Visiteurs » (1992) et « Les Visiteurs II, les Couloirs du Temps » (1998) de Jean-Marie Poiré, le dandy homosexuel du film « Quartet » (1948) d’Harold French, Harold pédé dandy qui case des mots de français quand il parle anglais dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Jules le poète maudit snob dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Philippe le « dandy macho » homo dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, etc.

 

Dans le mot « luxure », il y a « luxe ». En amour, beaucoup de couples homosexuels fictionnels vivent une existence pépère faite de loisirs, de sexes, de parties, de jolis voyages : « Nous menons une vie bourgeoise. » (Pretorius en parlant de lui et de son amant Dracula, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Zach et Nate se rencontrent dans un cocktail mondain et se draguent. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, fréquente les salons anglais smart de thé, où il drague les bons pères de famille bourgeois : Samuel (Omar Sy), son ami hétéro, lui reproche de s’acheter des « lustres à 6 milliards » d’euros.

 

L’homosexualité se présente comme une préciosité artistique, une sophistication matérielle et gestuelle, une douilletterie, voire une misanthropie et un caprice bourgeois : cf. la chanson « la bourgeoisie des sensations » de Calogéro (traitant précisément des méandres de la bisexualité), le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, le roman Le Portrait de Dorian Gray (1891) d’Oscar Wilde (avec le dandy refusant de vieillir), le roman Le Goût de Monsieur (2004) de Didier Godard, etc. « J’ai des acouphènes en avion. » (Jean-Paul, le pédé bourgeois du film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; « J’ai rencontré cet homme [Éric] qui me subjugua par son esprit vif et ses manières d’aristocrate. » (Albert Russo, L’Amant de mon père (2000), p. 25) ; « Je suis un misanthrope élitiste assumé. » (Karl Lagarfeld cité dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; etc. Par exemple, dans la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… » de Jann Halexander, le narrateur célèbre le snobisme comme un raffinement, un « art de vivre » noble, une originalité exceptionnelle (homosexuelle, même !), « l’élégance du luxe de la Différence » : « Mais j’avais un problème : quoi porter ? On ne s’habillait pas n’importe comment pour aller à l’opéra. […] Je n’allais tout de même pas me présenter devant le Tout-Montréal déguisé en cousin pauvre ! Même si je n’étais que le cousin pauvre du cousin pauvre ! […] J’aimais mieux faire artiste que péquenaud. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 39)

 
 

c) Le goût homosexuel pour l’argent :

Les héros homosexuels affichent à maintes reprises leur attrait pour les privilèges de la noblesse matérialiste (ou bobo anti-matérialiste) et les Jet Set : cf. le tableau Dollar Sign (1981) d’Andy Warhol, le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, la pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland, le film « Le Cercle des poètes disparus » (1989) de Peter Weir, le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, le film « Gigolo » (2004) de Bastien Schweitzer, le film « J’en suis » (1997) de Claude Fournier, les films « Jet Set » (1999) et « People » (2004) de Fabien Onteniente, le film « Années volées » (1998) de Fernando Colomo, le film « Bezness » (1992) de Nouri Bouzid, le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, le roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana, le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, le film « Noblesse oblige » (1949) de Robert Hamer, le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano, le film « Costa Azzura » (1959) de Vittorio Sala, le film « Cent francs l’amour » (1985) de Jacques Richard, le film « Primary Colors » (1998) de Mike Nichols, le film « Les Rênes du pouvoir » (1999) de George Hickenlooper, le film « The Ritz » (1976) de Richard Lester, le film « L’Amour » (1972) de Paul Morrissey, la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy, le film « Funeral Parade Of Roses » (1969) de Toshio Matsumoto, le film « Pretty Persuasion » (2005) de Marcos Siega, le film « High Art » (1998) de Lisa Cholodenko, le film « Riches et célèbres » (1981) de George Cukor, le film « Ho Visto Le Stelle ! » (2003) de Vincenzo Salemme, le film « Per Finto O Per Amore » (2002) de Marco Mattolini, le film « A.K.A. » (2001) de Duncan Roy (fonctionnant comme un roman d’apprentissage), le film « Gamin de Paris » (1992) de Jean-Daniel Cadinot, le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello, la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, le roman L’Ami de passage (2014) de Christopher Isherwood (avec une bande d’homosexuels qui gravitent autour d’Ambrose, un Anglais riche et dépravé), la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis (avec le cercle de petits bourges puceaux, homophobes… et homosexuels), la chanson « Je cherche un millionnaire » de Coccinelle, etc. Par exemple, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, accède au milieu branchouille des artistes. « Goudron organisait tant de salons et de soirées fréquentées par des centaines de personnes ridicules de toutes sortes. Il les collectionnait, vous savez. » (le pervers Comte Smokrev s’adressant à Pawel Tarnowski, au sujet de son mécène homosexuel Goudron, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 308)

 

Film "Gigola" de Laure Charpentier

Film « Gigola » de Laure Charpentier


 

« J’ai des relations mondaines. J’ai des relations. J’connais la baronne du Maine. Son fils Absalon. » (cf. la chanson « Les Relations mondaines » de Charles Trénet) ; « Moi ce que je vise, c’est le fric. » (Tedd, l’un des héros homosexuel du film « Cruising », « La Chasse » (1980) de William Friedkin) ; « C’est ma dernière mission là-bas, avait alors promis Ginette. Je ne pars que pour six mois. Je ferai une tonne d’argent, et l’on va l’avoir, notre maison de campagne. » (Ginette s’adressant à son amante Lucie, dans son roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 30) ; « J’adore la vélocité de l’argent. » (une phrase du poème Howl (1956) d’Allen Ginsberg) ; « Que c’est beau, le fric. » (la bourgeoise imitée par Rodolphe Sand, dans le one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « Comme j’suis vénale… J’adore le fric ! » (Blanche-Neige dans le one-(wo)man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Vous êtes la Reine des Affaires ! » (François Dourdan s’adressant à Marina, le travesti M to F, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « J’ai toujours voulu être capitaliste. […] J’ai un capital : c’est mon corps. Je suis une capitaliste interne. […] J’ai décidé de capitaliser mon corps de l’intérieur. » (Nathalie Rhéa se justifiant d’avoir pris du poids, dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « La nuit, je restais éveillée dans mon lit, oubliant un moment la dure réalité de mes seize ans et de ma condition de faible femme dénuée de fortune, pour imaginer que j’étais l’homme des films. Je voulais la richesse, le pouvoir, la célébrité […]. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 24) ; « Le fric… j’ai grand besoin de fric. » (le Baron Lovejoy, homosexuel, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « J’ai toujours rêvé d’habiter dans un 4 étoiles. » (Dany, le jeune héros homosexuel du film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; « Avec toutes ces conneries, on a perdu beaucoup d’argent. On est passé à l’émission ‘Money Drop’ de Florence Boccolini, spéciale couples gays. » (Benjamin parlant de lui et de son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Par exemple, tous les personnages du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (Fabien, Emmanuel Fruges, etc.) émettent le souhait de vivre dans le luxe ; notamment, Fabien regrette « de ne pas être riche » (p. 42) : « Il se mit à courir à la recherche de la première personne qui lui parût heureuse, mais surtout riche. » (idem, p. 82) Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Stéphane veut devenir « aussi riche que Madonna ». Dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, le narrateur homosexuel ne cache pas ses appétits carriéristes. Dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, Paola joue la proximité avec les célébrités. Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Roy Cohn est de mèche avec la « First Lady » des États-Unis. Dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, Willie est obsédé par l’envie d’être célèbre.

 

Pas besoin d’être riche pour être bourgeois. Il suffit d’être obsédé par l’argent et le matériel, de désirer être riche… et cette soif est donnée aux héros homosexuels de classe aisée comme aux héros sans le sou. « Il faut que je t’avoue quelque chose : je ne suis pas riche. Je suis une mythomane. En fait, j’habite dans une chambre de bonne, rue Monsieur-le-Prince. » (Micheline, le travesti M to F, s’adressant à Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi)

 

On observe que le personnage homosexuel évolue souvent dans un univers capitaliste très mécanisé et déshumanisé : cf. le vidéo-clip de la chanson « Cargo de nuit » d’Axel Bauer, le roman La Comédie humaine (1825) d’Honoré de Balzac (avec le personnage de Vautrin), le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, la pièce La Machine infernale (1934) de Jean Cocteau, la chanson « Chain Reaction » de Diana Ross, la chanson « Spinning The Wheel » de George Michael, la chanson « Material Girl » de Madonna, la chanson « Telephone » de Lady Gaga, etc. Je vous renvoie également la partie « Automates » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

d) L’homosexualité pratiquée (et parfois la prostitution homosexuelle) comme moyen d’ascension sociale :

Le goût homosexuel pour l’argent pourrait paraître purement vénal et glacial s’il ne se mâtinait pas de sentimentalité et de sensualité pseudo « désintéressées » pour se justifier. Dans les œuvres homo-érotiques, un certain nombre de relations conjugales homosexuelles sont effectivement placées sous le signe de l’argent et du matériel. « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 81) Je vous renvoie à la partie « Amant-objet » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup d’amants fictionnels se gavent de cadeaux, se soudoient pour se prouver mutuellement leur amour. Ils sont davantage tenus par le matériel et les biens communs accumulés par la vie de « couple » que par l’Amour et la joie : « Tu aimes les bijoux, hein ? Prends ça aussi. Et le collier. Tiens, tiens, ne me remercie pas. […] Tu aimes l’argent, hein ? » (Evita s’adressant à l’infirmière, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Ici, on dit ‘partners’ pour deux hommes qui vivent ensemble, comme s’ils fondaient une affaire commerciale, comme s’ils construisaient une nouvelle société. Gordon et Sean ne sont peut-être que cela. » (Claudio, l’un des héros homosexuels parlant d’un couple d’amis homos à lui, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 100) ; « En plus, mon keum est architecte. Il est pété de thune. C’est pas mal pour une vieille pédale comme moi ! » (Serge parlant de son compagnon Victor au jeune Basile, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc.

 

Le héros homosexuel fait passer sa quête bourgeoise de paraître pour un élan combatif, une curiosité, une ouverture vers l’inconnu. On retrouve parfois dans les fictions homo-érotiques la magie des récits des romans d’apprentissage. Par exemple, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F ne cache pas ses prétentions de gloire et de pognon : « Je viens à Paris pour être une star. » Il/Elle se caricature en Miss France vulgaire, courtisé(e) par un producteur, Monsieur Benamou, qui s’intéresse mystérieusement à lui/elle et veut en faire son égérie pour son agence de sosies : « Si ça se trouve, on va gagner des ronds… » accepte Zize après rapide réflexion. Il/Elle est pris(e) pour une prostituée par un passant dès son arrivée à la Gare de Lyon de Paris.

 

Très souvent dans les fictions, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent. L’homosexualité se transforme en droit de cuissage laboral : c’est le cas notamment entre Frédéric et son bras droit Nicolas dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, entre Cédric le botaniste et son jeune étudiant stagiaire Laurent dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, entre Gérard Lanvin et son mystérieux supérieur Michel Piccoli chargé de réorganiser l’entreprise dans le film « Une étrange affaire » (1981) de Pierre Granier-Deferre, entre le professeur Daniel Auteuil et l’escort boy Stuart Townsend dans le film « Mauvaise Passe » (1998) de Michel Blanc, entre l’adjuvant Denis Lavant et le jeune légionnaire Grégoire Colin dans le film « Beau travail » (2000) de Claire Denis, entre l’avocat Fabrice Luchini et Roschdy Zem son garde du corps dans le film « La Fille de Monaco » (2008) d’Anne Fontaine, entre le Duc de Richelieu et son jeune et beau Louis-Marie de Montédour-Trémainville dans le roman Le Crépuscule des bourbons (2012) de Philippe Gimet, etc. Par exemple, dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Lucie et Léonore couchent ensemble pour réussir dans le milieu artistique. Dans la comédie musicale Le Rouge et le Noir (2016) d’Alexandre Bonstein, Géronimo parle d’« introduire » son patron, le Marquis de la Mole. Dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, José toujours appelle son futur amant Ander « patron ». Dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch, Jean-Luc, chef de chantier, est en couple avec son ouvrier arabe Rachid. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny se laisse entretenir par Shane, et son ambition est de « devenir riche ». Dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand, Pierre est un ministre homosexuel, et Nicolas (qui devient l’amant) monte en grade dans son cabinet. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Sigrid profite de son amante Helena, plus âgée qu’elle, pour devenir son assistante et monter en grade dans son entreprise. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, un maquereau veut lancer Davide, le héros homosexuel de 14 ans, dans la chanson. Mais pour cela, Davide passe d’abord à la casserole. Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra favorise l’ascension de Karin (son amante) dans le monde du mannequina. Dans le film « La Partida » (« Le Dernier Match », 2013) d’Antonio Hens, Reinier rencontre Juan, un quadragénaire espagnol et voit en lui son passeport pour quitter Cuba et la misère. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Vincent, agent artistique, est l’amant de Stéphane (qui a toujours rêvé d’être une star). Dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, Claudio essaie de s’attirer les faveurs économiques de Gordon. Dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, Juan le jardinier homo désire « faire grimper son derrière en même temps que sa carrière » (p. 147). Dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, les consultants sont traités de « bande de pédés ! » (p. 194). Dans la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim, le verbe « pistonner » utilisé par Gérard remplace le verbe « sodomiser ». Dans le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber, François Pignon découvre qu’en faisant au faux coming out, non seulement il ne sera pas viré de son entreprise comme initialement prévu mais il montera en grade. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, sort avec des amants plus âgés et riches que lui, qui l’entretiennent. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, homosexuel, est vendeur dans un magasin de vêtements féminins et fait passer son compagnon Thomas pour un livreur : « C’est bon pour le commerce. » lui dit-il pour justifier son mensonge homophobe. Dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, le couple homo est composé de Barthélémy, un Blond dont les dents rayent le parquet, fils de bonne famille potentiellement à la tête d’un Empire industriel important, et de Brahim, un Maghrébin, fin stratège et bras droit d’Élizabeth (la tante de Barthélémy, un vrai requin, à la tête de l’entreprise familiale). Ces deux ambitieux sortent ensemble pour réunir leurs appétits carriéristes. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, drague ouvertement Samuel (joué par Omar Sy) et l’aide à trouver un travail de cascadeur. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, et Julien, le héros bisexuel, maintiennent une relation amoureuse d’intérêt. Julien exploite sexuellement et professionnellement Yoann en tant qu’assistant et « plan cul » ponctuel. Et ce dernier semble disposé à se laisser corrompre, à jouer « la bonne » : « Je suis un petit peu son PM : Personal Manager. » ; « J’adore mon job. » ; « T’es chouette comme patron. » ; etc. Yoann est de plus en plus gourmand. Julien le comprend : « Je t’augmente. » « De combien ? » lui demande Yoann. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel se moque du cliché selon lequel « Le gay aurait toujours un travail de rêve ». Au contraire, il fait du conseil téléphonique pour les banques, et se plie à une séduction hypocrite très commercial. En revanche, en génitalité, il reproduit le même business : quand il tente d’expliquer à son éditeur hétéro la notion d’« actif » et « passif », ce dernier lui rétorque : « C’est quoi l’actif ? C’est quoi le passif ? Moi, à part dans un bilan comptable, je sais pas ce que c’est. » Je vous renvoie aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Homosexuels psychorigides » et « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

L’homosexualité est présentée comme une force de conviction professionnelle, comme l’atout majeur de l’entrepreneur self-made-man auto-suffisant, meneur d’hommes et de femmes, sachant ce qu’il veut. « C’est dingue ! Ma boss est lesbienne ! » (Florence, l’héroïne lesbienne, parlant de son nouveau job aux États-Unis, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « La passion financière resurgissait continuellement de ses propos. Sur un ton de plaisanterie, Julien évoquait le projet d’user de ses charmes pour séduire un célèbre milliardaire homo. […] L’argent, toujours l’argent ! »  (Benoît Duteurtre décrivant un jeune homosexuel arriviste, dans le roman Gaieté parisienne (1996), pp. 72-97) ; « Par l’intermédiaire de l’un d’eux, j’ai fait connaissance avec le milieu homosexuel local. À la Marsa, il y avait un couple célèbre. Donald, un Libano-Américain richissime d’au moins soixante-dix ans, et Sami, un Tunisien trente ans plus jeune que lui. Ils organisaient des fêtes privées, plus ou moins clandestines. […] Dans ces soirées, il y avait beaucoup de touristes. Des résidents étrangers, des huiles des milieux culturels et diplomatiques. Des intouchables, en bref. Beaucoup de fric, et même de l’alcool. » (Mourad, l’un des héros homosexuels dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 343) ; « Je suis le genre de garçon qui est monté à Paris depuis la Meurthe-et-Moselle, et qui était prêt à gravir les échelons de l’échelle sociale. » (Jacques, le héros homo, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Choses secrètes » (2002) de Jean-Claude Brisseau, Nathalie et Sandrine décident d’utiliser le sexe comme arme de progression sociale et se font embaucher dans une entreprise : « Les femmes fatales sont en général narcissiques ou lesbiennes, frigides avec les hommes. Elles ne jouissent que si elles en ont envie, donc pas souvent, c’est ce qui fait leur force. » (Nathalie) Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas dit qu’« il ne faut pas mélanger sexe et travail », mais immédiatement après se justifie de draguer lourdement le beau et jeune serveur autrichien qui s’occupe de sa table au chalet de montagne ; son pote gay Gabriel semble être dans la même démarche : « Ma vie est un entretien d’embauche ! » Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, le mariage homo et l’amour homo sont considérés comme un moyen de toucher le pactole de l’héritage. Selon Dodo, il s’agit de « faire semblant d’être gay pour réussir ». Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite André un homme qui le drague dans un hammam en lui proposant tout son carnet d’adresses du milieu artistique : « Je suis très introduit dans le milieu du théâtre. » Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Joël se fait passer pour un trader, un magnat de la finance, et attire ainsi dans ses filets un bel athlète croate dans une discothèque. Ce dernier est prêt à faire affaire avec lui : « On est pareils. On mise sur le pétrole, sur le gaz. Je veux te sucer. » Au moment du coït et de se faire sucer par lui à l’hôtel, Joël l’insulte en plein orgasme de « sale capitaliste ! ».

 

Très souvent dans les fictions, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent : « En serez-vous ? Si vous en êtes, faut reconnaître qu’à notre époque, ça mène à tout. Pour réussir, il faut en être. Un p’tit effort, Zou ! En serez-vous ? » (cf. la chanson « En serez-vous ? » des duettistes Gilles et Julien, en 1932) ; « Vous voulez vraiment que je vous dise ? J’veux coucher avec vous. […] On a quand même le droit d’avoir envie de son patron ! » (Armand à son patron Paul, qu’il va finir par sucer, dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie) ; « Je suis quand même plus amoureuse avec ta carte de crédit. » (cf. la chanson « Fais-moi un chèque » de Jena Kanelle) ; « Vous avez déjà pensé à être mannequin ? C’est possible avec les bonnes connexions, vous savez… » (Monsieur Chateigner, client d’un hôtel de luxe, cherchant à draguer le jeune et joli garçon d’hôtel Anthony, dans le film « Consentement » (2011) de Cyril Legann) ; « Le job, c’est de l’argent, et l’argent, c’est que pour le sexe ! Time is money, money is sex. » (la Comtesse Conule de la Tronchade dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 51) ; « Duccio connaît le directeur de casting. Mais malgré ça, il n’a pas été pris. » (Bernard en parlant d’un de ses potes homos faisant du porno, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Il s’appelle R., il a dix-neuf ans tout juste et la naïveté de croire que le monde du spectacle l’attend. […] Je mens, je dis que j’ai déjà mis en scène une pièce. Il est intéressé. Je dis ‘t’es prêt à tout pour jouer dans ma prochaine pièce ?[…] Dans le fond, je m’en fous de parler, tout ce que je veux c’est le baiser. » (Mike le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 67) ; « J’essaye de dénicher la petite bonne qu’il me faut, et il s’en présente beaucoup de nouvelles. » (Alexandra, la narratrice lesbienne couchant avec toutes ses domestiques, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 13) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, met sur le même plan sa relation de subordination au commandant de bord de l’avion qu’il occupe avec la fellation : « Ben c’est le commandant… » dit-il avec un geste obscène.

 

L’homosexualité se présente comme un pass pour monter les marches de l’échelle sociale : « Dès que j’ai su qui j’étais, j’ai su que j’allais monter l’échelle sociale. J’ai vu passer les ascenseurs. […] Grimper ! Grimper ! […] Monter en grade. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Si on est gay, on attire les médias, et donc les producteurs. » (Dzav et Bonnard dans leur pièce Quand je serai grand, je serai intermittent, 2010)

 

Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le monde où la différence des sexes a été totalement rejetée se trouve être un espace totalement mécanisé, où les personnages homos sont des robots qui se clonent entre eux et ne vivent que pour leur travail, leur image, leur production : Gatal, le héros homosexuel, par exemple, travaille en tant que chef de produits, dans une boîte qui s’appelle Craker Booster… et qui lui demande sans cesse des résultats, une charge de travail inhumaine. Il va être contraint de s’accoupler avec son directeur. Négoce est le personnage homosexuel entremetteur, un mafieux crapuleux, un chasseur de têtes engagé par des « couples de pères homos » pour arranger des mariages homos entre des jeunes hommes célibataires : « Merci. Vous savez mon fond de commerce… » Dans cette pièce, le sperme et la procréation sont véritablement des monnaies d’échange : « Ta semence est épaisse et riche. » (le Père 2) Et la formation des couples homos obéit à une logique principalement stratégique, productiviste, mécaniste et capitaliste.
 

Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le jeune Vincent (au chômage) est sorti avec Stéphane, l’écrivain célèbre et de vingt ans son aîné, pour la gloire, l’image, le luxe et l’ascension sociale : « Je me suis dit qu’avec toi j’allais progresser. » Quand Stéphane lui demande : « Tu m’aurais aimé si j’avais été pauvre, inconnu ? », Vincent lui avoue que « non », mais il s’en sort en lui prétextant qu’il aurait refusé de l’aimer autrement que ce qu’il était : riche et connu. Mais l’exploitation est réciproque, car Vincent passe son temps à reprocher à Stéphane de l’avoir utilisé comme un escort boy, un faire-valoir : « Tu me prenais pour une pute ! » Leur toute première rencontre a eu lieu lors d’une séance de dédicace d’un roman de Stéphane. Vincent lui reproche d’avoir acheté son cœur par une signature : « C’était déjà une manière de me considérer comme une pute. »
 

La connexion entre homosexualité et bourgeoisie se cristallise souvent autour de la prostitution. « Mon amour pour votre nation se fait par ma prostitution. Je prends des Blancs de classe moyenne. Question d’amour et d’argent, Maman. Et le luxe est mon meilleur amant. C’est une question harassante que l’or. » (le gigolo homosexuel de la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) Par exemple, dans le film « Esos Dos » (2011) de Javier de la Torre, le client Rubén appelle Eloy le prostitué avec qui il couche « mon amour, mon petit » : ce dernier lui renvoie la monnaie de sa pièce (si on peut dire) puisqu’il lui « fait payer » sexuellement le fait que celui-ci le paye financièrement pour du sexe.

 

Le sexe, les sentiments ou la tendresse atténuent la conscience de la consommation mutuelle et de l’exploitation mercantile : « L’argent, ça n’existe plus. À partir de ce soir. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) C’est pour cela que la « promotion canapédé » semble, aux yeux des personnages homosexuels qui s’y livrent, un cadeau, une preuve supplémentaire et tangible qu’il est bien question d’amour entre le client et son protégé, entre le mécène et son Eugène de Rastignac.

 

La soif d’ascension sociale peut même pousser le héros homosexuel à la trahison (de lui-même), à la « collaboration », au vol, au viol, au meurtre. « Je suis sûr que n’importe quel autre espion lui aurait arraché son triste bien par la force, mais je ne suis ni un simple sbire ni un voleur à la tire : ich bin zivilisiert. » (Heinrich, l’espion sophistiqué du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 46-47) ; « Un vrai bourgeois, le présumé d’Al Qaïda ! » (Billy à propos de son compagnon de cellule et amant Rasso, dans la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas) ; etc. Par exemple, dans le film « Occident (Statross le Magnifique 2) » (2008) de Jann Halexander, Statross Reichmann, un bourgeois métis bisexuel, vit une relation tourmentée avec Hans, un jeune homme blanc d’extrême droite. Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, Jaime, un jeune prostitué, va aider un de ses clients à tuer sa femme.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie finit souvent par être reconnue, causalisée et dénoncée par beaucoup de personnages à la fois homosexuels et homophobes. Par exemple, dans le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, la jalousie de Régis, personnage hétéro, vis à vis de son petit frère Vincent, ne fait que s’accroître quand ce dernier fait son coming out : « Si j’avais su qu’il fallait être pédé pour réussir… »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La haine des bourgeois du fils-à-papa homosexuel :

Parmi les personnes homosexuelles, beaucoup expriment leur haine des bourgeois et des riches (cf. je vous renvoie au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Ce qu’elles ont un mal fou à comprendre, c’est que la haine des bourgeois est justement propre aux bourgeois, et notamment aux bourgeois de la gauche caviar ! Comme l’explique à juste titre Mère Teresa, qui est bien placée pour parler de la misère et des pauvres puisqu’elle les a côtoyés de près, jamais le vrai pauvre ne singe ni ne grossit sa souffrance, jamais il n’haït les riches : « Je n’ai jamais entendu un pauvre grogner ou maudire, je n’en ai jamais vu terrassé par une dépression. » (Mère Teresa, Il n’y a pas de plus grand Amour (1997), p. 163)

 

La plupart d’entre elles deviennent bourgeoises d’abord parce qu’elles désirent se faire objet, qu’elles nient leur humanité et qu’elles rejoignent donc la violence et les mondes déshumanisés. Le désir bourgeois et homosexuel n’est pas uniquement l’appât du gain. Il est celui qui naît de la jalousie ou/et du conformisme, de la haine de soi, de l’attrait pour le paraître : « Truman Capote était étonnamment innocent. Il prit les riches qui aimaient la publicité pour la classe dominante, et il prit beaucoup trop ses aises parmi eux, pour finalement se rendre compte qu’il n’était pour eux qu’un animal de compagnie dont ils pouvaient très bien se passer, comme ce fut le cas lorsqu’il publia de terribles ragots sur leur compte. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 359)

 

Certains auteurs homosexuels créent une version dark, trash, camp, queer et bobo, des bourgeois qu’ils méprisent… pour se donner l’illusion qu’ils sont des marginaux iconoclastes et révolutionnaires parmi les marginaux aisés, des aristos « plus bourgeois que bourgeois » : « [La visibilité homosexuelle], c’est même un peu BCBG. J’aimerais qu’une année, la Gay Pride passe dans les cités. Parce que, pour l’instant, on reste trop chez les Marie-Chantal. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 56) ; « L’homosexuel demeure un loup, libre et fier, farouchement indépendant et sans doute encore sauvage, et rien ne l’oblige à se faire chien, animal domestique, embourgeoisé et de bonne compagnie. » (Dominique Fernandez, Le Loup et le Chien, 1999)

 

Dans son essai Camp (1983), Mark Booth situe les origines du mouvement camp (particulièrement homosexuel) au XVIIe siècle français dans les pratiques de cour à Versailles, sous Louis XIV. Et dans son article « Notes on Camp » (1964), Susan Sontag assimile les sujets homosexuels actuels à des « aristocrates du goût » qui « ont lié leur intégration sociale à la promotion du sens esthétique ». Dans son article « Le Style Camp » (L’Œuvre parle, 1968), elle montre combien la marginalité camp des artistes homosexuels signe l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie : « Le dandy d’autrefois haïssait la vulgarité. Le dandy moderne, passionné de Camp, apprécie la vulgarité. […] Le dandy était un être suréduqué. […] Il avait la vocation du ‘bon goût’. Le connaisseur du Camp a découvert des plaisirs plus ingénieux. Il ne s’agit plus d’apprécier la poésie latine, des vins rares et des gilets de velours, mais de goûter aux plus épicés, aux plus communs des plaisirs, aux arts dont se délecte la masse. […] [Le Camp est] un groupe social, formé par cooptation, composé pour une bonne part d’homosexuels, et qui joue ce rôle improvisé de l’aristocratie du goût. […] Le rapport existant entre l’homosexualité et le goût camp demanderait une explication. On ne saurait confondre le goût camp et le goût homosexuel, mais il est évident qu’il y a entre l’un et l’autre des interférences et d’indéniables affinités. […] Le goût camp comporte toujours un élément de prosélytisme […] Les homosexuels fondent dans la promotion de valeurs purement esthétiques un espoir de disparition du ban social qu’ils encourent. Le Camp décompose la moralité. Il neutralise l’indignation morale, patronne la légèreté et le badinage. » (pp. 444-447)

 

Mais rien n’y fait. L’élitisme de l’incorrection ou la marginalité camp choisie par beaucoup de personnes homosexuelles n’est qu’une bourgeoisie qui s’ignore, car ces dernières restent enchaînées au paraître. Elles nous proposent parfois des mises en scène grotesquement sérieuses de libertinage, des remake réchauffés du Marquis de Sade… un peu sur le modèle de la Fistinière, ce relais-château près d’Assigny (France) où des adeptes du SM se retrouvent pour se torturer entre eux (mais avec art et méthode, attention !).

 

La bourgeoisie, c’est finalement l’attachement haineux aux images, aux objets, aux intentions (idolâtres ou destructrices) plus qu’au Réel et aux personnes.

 
 

b) Bourgeoisie et homosexualité :

Portrait de Lady Una Troubridge (1924) par Romaine Brooks

Portrait de Lady Una Troubridge (1924) par Romaine Brooks


 

Certains artistes homosexuels s’expriment comme des petits-bourgeois, même s’ils pensent que la parodie de bourgeoise qu’ils jouent conjurera parodiquement le sort : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 81) ; « Et après ça, on prétend que c’est moi qui ai un goût de chiotte ! » (idem, p. 92) ; « Le hasard voulut que nous nous retrouvassions… » (le narrateur de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 73) ; « Conditions de vie innommables ! […] Une crise arrive dans le pays, c’est la débâcle c’est la faillite. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Le chaos est dans l’air. » (cf. la chanson « Gabon » de Jann Halexander) ; « Finie la prison de Turcs, et place au terrain de cricket ! » (Guillaume, le héros bisexuel en Angleterre, dans le film autobiographique « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « J’ai toujours rêvé de visiter les châteaux de Louis II de Bavière. » (idem) ; etc.

 

Mais rien n’y fait. Énormément de personnes homosexuelles se comportent en bourgeois à cause de leur enchaînement au paraître. Derrière l’arrogance provocante et iconoclaste par rapport au monde des images déréalisantes, il y a une idolâtrie. En effet, il arrive que des sujets homosexuels regrettent le déclin de la bourgeoisie, expriment leur nostalgie de la noblesse (ou plutôt de leur « idée de noblesse »). Passéisme classique des antiquaires, collectionneurs et des voyageurs dépressifs… : cf. l’essai Éloge du snobisme (1993) de Jacques de Ricaumont, Un jeune homme chic (1978) d’Alain Pacadis, Le Dictionnaire du snobisme (1958) de Philippe Jullian, etc. Par exemple, Lucien Daudet (le fils homosexuel d’Alphonse Daudet) vivait mal le fait d’avoir un nom de famille sans particule. Dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend qu’André Breton trouvait Jean Cocteau trop mondain. Alfred Krupp, l’homme le plus riche d’Allemagne au début du XXe siècle, qui emploie plus de 50 000 personnes, se livre à des pratiques homosexuelles avec des jeunes gens.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie est souvent reconnue, et malheureusement causalisée, par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. « Sylvain devait penser au contraire que le procureur était ridicule. Qu’il parlait comme un pédé. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 140) ; « Ils ont des façons délicates/ Tous auraient pu être traités de ‘pédés’ au collège. Les bourgeois n’ont pas les mêmes usages de leur corps. Ils ne définissent pas la virilité comme mon père, comme les hommes de l’usine. (Ce sera bien plus visible à l’École normale, ces corps féminins de la bourgeoisie intellectuelle.) Et je me le dis quand je les vois, au début. Je me dis ‘Mais quelle bande de pédales Et aussi le soulagement ‘Je ne suis peut-être pas pédé, comme je l’ai pensé, peut-être ai-je depuis toujours un corps de bourgeois prisonnier du monde de mon enfance’. » (Eddy Bellegueule, homosexuel et venant d’un milieu prolétaire, décrivant son entrée dans l’internat du prestigieux Lycée Michelis, op. cit., p. 218) Or, bien évidemment, cette proximité est de l’ordre de la coïncidence, du fantasme, et n’est pas systématique. Toutes les personnes homosexuelles ne sont pas bourgeoises, ni en porte-monnaie, ni en attitudes. Je ne parle que d’une tendance très marquée du désir homosexuel, mais pas réservée à lui. Elle est particulière à la pratique de celui-ci. Après, dans l’histoire des personnes homosexuelles, on découvre que l’attachement au matériel a pu camoufler/engendrer des souffrances. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, il apparaît clairement que le « couple » Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent compense par le matériel son manque d’amour : il y a des tableaux partout chez eux ; tout est centré sur le fric et les objets. En 1908, selon Weindel et Fischer, les adeptes de l’homosexuels « se recrutent dans le monde des théâtres, ou dans les classes élevées de la société » (p. 91).

 

Force est de reconnaître que beaucoup d’individus homosexuels sont issus d’une famille bourgeoise : « Vous savez, les fils de bonne famille comme moi […] » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 11) ; « Dès les premiers jours, je fus happé par un groupe de jeunes filles qui me décrétèrent mignon comme un ‘petit blanc’ et donc enfant de riche et de bonne éducation. Bientôt, ma personne fit le tour de la classe auprès des collègues masculins qui, jalousement, trouvèrent à leur tour que j’étais efféminé et que cet aspect attirait la compagnie des filles. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 46) ; « Moi, je la vois [mon enfance] comme une période qui ne nous a pas du tout armés. Je vais grandir moins vite que les autres. » (Christian, le dandy quinquagénaire homo, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.

 

À la base, la création de l’homosexualité et même de l’hétérosexualité est bourgeoise : « C’est le XXe siècle bourgeois qui a voulu figer les choses pour enfermer les gens dans des petites cases. » (le rabbin Haïm Korsia dans l’émission Les Enfants d’Abraham sur le thème « Adoption homosexuelle : Pour ou contre ? », diffusée sur la chaîne Direct 8 le 1er décembre 2009)

 

Le sujet homosexuel, dans bien des cas, est présenté/se présente comme le fils de la bourgeoisie : « Les personnes homo-bisexuelles ont un niveau d’étude plus élevé que les personnes hétérosexuelles […]. Quant aux hommes, la déclaration d’une pratique homosexuelle est plus fréquente parmi les professions intellectuelles et cadres des entreprises, les professions intermédiaires de la santé et du secteur social et les employés de commerce. » (Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 257) ; « On [les homos] est plus riches que les hétéros. » (Éric Garnier dans à l’émission radio Homo Micro du 3 mai 2006 sur Radio Paris Plurielle) ; « Marc était très dépensier, il le reconnaissait lui-même, et très élégant, ceci expliquant cela. » (Paula Dumont, l’auteure lesbienne décrivant son meilleur ami homo, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 77) ; « Dieu sait si nous autres, les invertis, nous sommes prudents en matière d’argent, quoi qu’en dise la légende ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 87) ; « Vous avez un sacré pouvoir d’achat, vous, les couples gays ! Ça part dans les relais-châteaux… » (Dominique de Souza Pinto, femme politique lesbienne à la conférence « Le Lobby gay… Un bruit de couloir » à l’Amphithéâtre Érignac à Sciences-Po Paris, le mardi 22 février 2011) ; « La population gay est celle qui possède le plus fort pouvoir d’achat du marché musical. » (la voix-off du documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc. Les personnes homosexuelles, de par leur statut de « vieux garçons célibataires à deux » (ou de « vieilles filles ») ont, il est vrai, un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne, en général.

 

À en croire certains propos, l’homosexualité serait une pratique plus tolérée et courue dans les milieux aisés : « C’est épouvantable ce que j’ai pu entendre. Dans ces milieux-là, en usine, ça n’existe pas l’homosexualité. Un milieu de cols blancs, un milieu universitaire, c’est probablement une fourmilière pour les gays, c’est le paradis. » (un témoin homosexuel ayant grandi dans un milieu ouvrier, cité dans l’essai Mort ou fif (2001) de Michel Dorais, p. 73) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. Très vite, grâce au premier argent si généreusement laissé par mon attaché d’ambassade, je me fis un nom dans la hiérarchie des antiquaires. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 86) ; etc. Ce n’est pas un hasard si un certain nombre de cinéastes de la « Nouvelle Vague » du cinéma français des années 1960 (Jean-Luc Godard notamment) considéraient l’homosexualité comme un signe d’embourgeoisement. Je vous renvoie aux codes « Défense du tyran » et « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Pierre Drieu La Rochelle

Pierre Drieu La Rochelle


 

Pour avoir assisté en vrai à des dîners mondains et des « soirées Grand Siècle » à la Thierry Ardisson, j’ai remarqué que souvent, dans les regroupements entre personnes homosexuelles, c’était ambiance bourgeoise et Précieuses de salon design. On trouve un nombre important de jet-setter dans le « milieu homosexuel » (agréé… ou pas) : Stéphane Bern, Frédéric Mitterrand, Roger Stéphane, Georges Mandel, Brummel, Robert de Montesquiou, Luis Cernuda, Andy Warhol, Lucien Daudet, Jan Lechon, Oscar Wilde, Marcel Proust, Siegfried Sassoon, Maurice Rostand, Ernest Thesiger, Jacques Chazot, Matthieu Galey, Jacques Fath, Tennessee Williams, Alain Pacadis, Truman Capote, Jean Cocteau, Francis Poulenc, Bola de Nieves, Bertrand Delanoë, Cecil Beaton, Christophe Girard, Natalie Clifford Barney, Antonio de Hoyos, Elton John, etc. « Jean Sénac adorait rencontrer des personnalités. » (cf. le documentaire « Jean Sénac, le Forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika)

 

Les cercles intellectuels de dandys homosexuels existent depuis très longtemps. En voici quelques exemples : la Confrérie du Comte de Vermandois en 1681, la Wickersdorf fondée par Gustav Wyneken en 1906, le groupe londonien de Bloomsbury, le salon parisien lesbien de Romaine Brooks, l’Homintern d’Oxford dans les années 1930, la Société des Apôtres à Cambridge, le salon parisien de Winnaretta et du prince Edmond de Polignac, les salons de thés lesbiens de la chanteuse Suzy Solidor, les salons de Jacques de Ricaumont invitant le Tout-Paris, la Resi espagnole des années 1930, les soirées au Palace en 1980, les soirées privées des Bains Douches, les réunions parisiennes du cercle intellectuel La Rive opposée, etc., sans compter le monde associatif ou télévisuel actuel. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on voit une reproduction des réunions de dandys décadents de Karl Lagerfeld.

 

Je connais parmi mes amis homos des presque-caricatures vivantes de bourgeois. Et dans les plus connus des dandys et des bourgeoises télévisuels, on peut citer Gabriel de la Serna, Oscar Wilde, Marcel Proust, Natalie Barney, Suzy Solidor, Jean Cocteau, Pascal Sevran, Gertrude Stein, etc. « Ce dandy fin de siècle [Jean Lorrain] avait le goût des bijoux aux enroulements inquiétants et des pierres ‘vénéneuses’. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 188) Par exemple, dans l’article de Cavana sur l’édition de la pièce Une Visite inopportune (1988), le dramaturge argentin Copi est décrit comme un « aristocrate » (p. 76). Ce dernier ne dément pas l’affirmation : « Avec un ami, j’ai vendu des dessins sur le pont des Arts, mais je restais très bourgeois. […] Mon père qui m’envoyait de l’argent était en exil dans une ambassade. » (le dramaturge homosexuel argentin Copi, cité dans l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » de Michel Cressole, publié dans le journal Libération du 15 décembre 1987)

 

Dans la classe politique et dans le milieu huppé des magistrats, des maires, des chefs d’entreprise et des députés, force est de constater qu’on retrouve une forte pratique homosexuelle (ce qui est logique, car la vie politique implique un éloignement de la famille, une surcharge de travail qui réclame une compensation affective débordante, un célibat tout donné à une cause, un égocentrisme et un goût de l’image auquel il est difficile de résister). On trouve beaucoup d’hommes homosexuels au pouvoir : Bertrand Delanoë (Maire de Paris), Harvey Milk (1930-1978), Uzi Even (ex-député israélien, David Girard (1960-1990), Sunil Babu Pant (politicien gay du Népal), André Boisclair (ex-chef du parti québécois), Frédéric Mitterrand, Jack Lang, Xavier Bettel (Premier ministre luxembourgeois), Klaus Wowereit (le maire de Berlin), Corine Mauch (la maire de Zürich), François Fillon (giton de Joël le Theule), Emmanuel Macron (avec le président de Radio France Mathieu Gallet), etc. Anne Holt, ex-Ministre de la Justice norvégienne, est ouvertement lesbienne. La première ministre islandaise est lesbienne. Les entrepreneurs homosexuels créent des corporations et des réseaux « 100% gay ». Par exemple, en France, le SNEG est le Syndicat National des Entreprises Gaies, et défend tous les patrons et entreprises qui se disent gays friendly ou homosexuels.

 

Cette observation peut être faite aussi dans la sphère « privée » du couple homosexuel. N’oublions pas que dans le mot « luxure », il y a « luxe ». En amour, beaucoup de couples homosexuels vivent une existence pépère faite de loisirs, de sexes, de parties, de jolis voyages, d’infidélités libertines bourgeoises. Ils se goinfrent de loisirs et d’images.

 

Par ailleurs, beaucoup d’acteurs, en interprétant des rôles de bourgeois au cinéma ou au théâtre, ont cultivé une apparence efféminée ou singé une pratique homosexuelle : cf. Jean-Marc Thibault dans le film « La Belle Américaine » (1961) de Robert Dhéry, Jean Carmet dans le film « La Métamorphose des Cloportes » (1965) de Pierre Granier-Deferre, Jacques Sereys dans le film « La Chamade » (1968) d’Alain Cavalier, Guy Michel dans le film « Le Mouton enragé » (1973) de Michel Deville, etc.

 

La plupart du temps, l’homosexualité se présente comme une préciosité artistique, une sophistication matérielle et gestuelle, une douilletterie, voire une misanthropie et un caprice bourgeois : « Il est doté de cette classe anglo-saxonne qui me fascine au plus haut point. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 15)

 
 

c) Le goût homosexuel pour l’argent :

Le fils (gay) de Magic Johnson

Le fils (gay) de Magic Johnson


 

L’homosexualité, on le remarque bien dans notre société, se marie très bien avec la branchitude et le petitembourgeoisement. Pas besoin d’être riche pour être bourgeois. Il suffit d’être obsédé par l’argent et le matériel, de désirer être riche… et cette soif, c’est donné aux gens de classe aisée comme aux gens sans le sou : « Elle avait toujours aimé traîner dans les boutiques, même quand elle n’avait pas d’argent à dépenser. » (Martine, la compagne de Paula Dumont parlant de son ex-compagne Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), pp. 152-153)

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles ne cachent pas leur attrait pour les privilèges de la noblesse matérialiste et les Jet Set. « Félix Sierra aime les bijoux et le luxe. » (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 186) ; « Je rêve de devenir riche un jour. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 57) ; « Je ne serai jamais qu’un pauvre petit Français sans le sou condamné à sécher sur des désirs insensés. » (idem, p. 58) ; « L’argent me manquait et l’indispensable de l’argent dans ma vie n’était plus à démontrer. Mes échecs fréquents étaient là pour souligner l’importance de mes mouvements réactionnels aspirés par cette vie. […] Même réduit à son strict minimum, l’argent supporte toute la symbolique de l’échange, de la médiation entre la société et l’individu. C’est une chaîne impossible à rompre, mais si l’excès d’argent pèse aux riches, combien est davantage contraignant le manque d’argent pour ceux qu’on dit pauvres ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 119) ; « L’argent était devenu quelque chose de très important pour moi. Le matériel était ce qui me maintenait dans la relation. » (Rilene, femme homosexuelle, évoquant sa relation de 25 ans avec Margo, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Pour être libre, il n’y a pas 36 000 solutions : il faut de l’argent. » (Axel, une femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; etc. Par exemple, le dramaturge argentin Copi, dans ses B.D. et dans ses pièces, parle sans arrêt d’argent : c’est une obsession chez lui. Dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), l’écrivaine lesbienne Paula Dumont en vient à exprimer en boutade son « regret de ne pas avoir été élevée chez les milliardaires comme Natalie Barney » (p. 104). Quand on demande à Andy Warhol ce qu’il aime le plus, il répond sans hésiter « l’argent » (cf. le reportage « Vies et morts de Andy Warhol » (2005) de Jean-Michel Vecchiet). Le peintre espagnol Salvador Dalí voulait devenir, selon ses propres termes, « légèrement multimillionnaire », et fut baptisé par André Breton d’« Avida Dollars » : l’artiste attaqué répliqua en disant : « Ce fut André Breton, pour piquer à vif mon attirance pour l’or, qui inventa cet anagramme… Il croyait ainsi mettre au pilori mon admirable nom, mais il n’a rien fait d’autre que composer un talisman… L’Amérique m’a accueilli comme l’enfant prodige et m’a couvert de dollars… L’or m’illumine et les banquiers sont les suprêmes prêtres de la religion Dalinienne. » (Salvador Dalí) Dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), Denis Daniel avoue avoir conservé des « goûts du luxe » (p. 46), même si par ailleurs, il cherche à tout prix à se débarrasser de l’image du « petit-bourgeois » qui lui colle à la peau depuis son enfance et qui le fait tant souffrir (idem, p. 68).

 

Il existe une étroite relation entre la spéculation boursière effrénée et l’homosexualité : certaines personnes homosexuelles cherchent à faire fructifier leur cœur comme si c’était un plan épargne (avec un capital-sentiments, un capital-tendresse, un capital-sincérité, un capital-sexe, etc.). À ce sujet, les mots de l’essayiste lesbienne Cathy Bernheim dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003) ne laissent aucun doute : « Je VEUX que l’amour me rapporte. Finis les investissements en pure perte, les amantes perdues au détour d’une querelle. […] Si l’amour n’est plus l’aventure, je ne suis pas loin de me demander quel intérêt il peut y avoir. Intérêt : encore du vocabulaire d’épargnante ! » (pp. 170-171) Le lien entre capitalisme et homosexualité a été étudié par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans L’Anti-Œdipe, Capitalisme et Schizophrénie (1972).

 
 

d) L’homosexualité pratiquée (et parfois la prostitution) comme moyen d’ascension sociale :

Le goût homosexuel pour l’argent pourrait paraître purement vénal et glacial s’il ne se mâtinait pas de sentimentalité et de sensualité pseudo « désintéressées » pour se justifier. Dans les discours et les faits, un certain nombre de relations conjugales homosexuelles sont effectivement placées sous le signe de l’argent et du matériel. Je vous renvoie à la partie « amant-objet » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup d’amants en union homo se gavent de cadeaux, se soudoient pour se prouver mutuellement leur amour. Ils sont davantage tenus par le matériel et les biens communs accumulés par la vie de « couple » que par l’Amour et la joie : « Entre eux et moi, l’argent s’imposait, c’est vrai. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de ses amants, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 122) Par exemple, le poète homosexuel Sergueï Esenin, de son propre aveu, a fait de son statut de « poète-paysan » un moyen d’ascension sociale et d’accès à la célébrité. Dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, Gaétane, un homme transsexuel M to F, se compare à Rastignac, le jeune personnage de Balzac.

 

Dans certaines sphères professionnelles et relationnelles, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent : « Jeune garçon de 19 ans cherche personne aisée et distinguée pour payer ses études. » (Berthrand Nguyen Matoko passant une annonce, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 100) ; « De nos jours, les homosexuels forment deux catégories : ceux qui s’y adonnent par goût, et ceux qui s’y livrent par calcul ; les seconds vivant, bien entendu, aux crochets des premiers. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 54) ; « J’ai toujours pensé que perdre ma virginité ferait avancer ma carrière. » (la chanteuse Madonna citée dans la pièce Ma première fois(2012) de Ken Davenport) ; « La société française ne fait en cette matière, comme en d’autres, qu’imiter le monde américain. Aussi connaîtrons-nous, à l’instar des États-Unis, l’étape suivante, avec des entreprises qui courtiseront les homosexuels, chercheront à les recruter et s’afficheront gay friendly. » (Alain Minc, Épîtres à nos nouveaux maîtres (2002), p. 72)

 

L’homosexualité se transforme en droit de cuissage laboral : c’est le cas notamment dans des milieux comme l’art, l’Éducation Nationale, le show business, le prêt-à-porter, la haute couture, le sport, l’hôtellerie, etc. (je vous renvoie aux codes « Patrons de l’audiovisuel », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » et « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels : « Le citoyen moyen, lui, devient de plus en plus tolérant, et peut-être aussi de plus en plus indifférent. Finalement, dans une famille bourgeoise, aujourd’hui, quand on parle de Valentino, le garçon coiffeur de Madame, on ne parle même plus de sa sexualité. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 55) ; « À dix-neuf ans, lui, le petit étudiant, se trouvait, par les hasards de l’amour, l’amant de l’un des premiers secrétaires d’ambassade des U.S.A. En quelques mois, nouveau prince de Paris, Jean-Luc se voyait offrir sa loge réservée à l’Opéra, une voiture et tout l’argent de ses désirs. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 73) ; « J’étais, à l’époque, très innocent encore, semblait-il et, il faut le dire, très beau ; je fus tour à tour la ‘maîtresse’ d’un écrivain célèbre et d’un attaché à l’ambassade des États-Unis. » (idem, p. 84) ; etc.

 

Des amis vendeurs chez Zara à Paris, par exemple, m’ont certifié que tous leurs collègues étaient homos, et avaient été choisis en grande partie pour ça… même si ça peut difficilement être prouvé. Lors de mon voyage en Côte d’Ivoire en juin 2014, des Ivoiriens m’ont raconté que les entreprises qui engagent leurs employés à condition qu’ils virent homos était une pratique de plus en plus répandue.

 

L’homosexualité est considérée par certains patrons ou certains employés comme un pass pour monter les marches de l’échelle sociale, comme une force de conviction personnelle, comme l’atout majeur de l’entrepreneur self-made-man auto-suffisant, meneur d’hommes et de femmes, sachant ce qu’il veut : « Je le voyais, Abdellah. Naïf. Amoureux. Paresseux. Ambitieux. Décidé à conquérir Paris. Impatient. » (Abdellah Taïa parlant de lui à la troisième personne, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 63) ; « Dès le début de sa carrière, Cocteau entre de plain-pied, après une adolescence fiévreuse et brûlante d’enfant gâté, dans les hauts parages de la société parisienne. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 204) ; « J’ai cultivé l’ambiguïté [sexuelle] pour vendre beaucoup de disques. » (la chanteuse Amanda Lear dans l’émission « Jean-Louis Bory 2 ») ; « Un jeune homme désireux de se faire une carrière dans n’importe quel domaine n’a aucune chance s’il se présente, ne serait-ce qu’une seule fois, accompagné de sa femme ou de sa fiancée, fût-elle la femme la plus brillante, la plus sensationnelle de la capitale. Ses sorties même, s’il veut réussir, il doit les organiser en compagnie de garçons de son âge, sinon plus jeunes. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 17) ; « En face de la ‘maffia rose’ de ceux qui ‘en sont’, de la ‘grande famille’, de l’inconsciente et toute-puissante franc-maçonnerie des pédérastes, les jeunes n’hésitent plus : pour réussir, ils s’enrôlent, eux aussi. » (idem, p. 18) ; « On les retrouve dans les salons de la meilleure société. […] Ils sont nombreux, sinon très nombreux, dans les postes élevés de l’administration, des ministères, dans les coulisses même de la diplomatie (Roger Peyrefitte, dans Les Ambassades, nous a permis d’y jeter un coup d’œil). » (idem, p. 20) ; « Les titres de noblesse et les noms ronflants parent les invertis d’une curieuse auréole. Qu’on porte le pantalon étroit et la veste à pont, ou le pardessus court et une légère moustache, on se fait appeler la grande duchesse de Montreuil, la marquise de Vaugirard, la vicomtesse de Meudon. Les grands noms, arrangés à la mode tutupanpanse croisent et s’apostrophent le long des allées historiques où les moineaux roturiers n’en ont jamais tant entendu. C’est un petit Sodome à la mode du XVIIe siècle. » (idem, p. 25) ; « Son enfance est marquée par sa honte d’être pauvre, et sa soif de mondanités, qui le pousse dès l’âge de 20 ans à la conquête du Tout-Paris. » (Michel Larivière à propos de Philippe Jullian, dans le Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 199)

 

Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon expose la correspondance entre son coming out et le « transfuge de classe » (p. 25) qui l’a éloigné du milieu ouvrier dont il était issu : « Pourquoi, moi qui ai tant éprouvé la honte sociale, la honte du milieu d’où je venais quand, une fois installé à Paris, des gens qui venaient de milieux sociaux si différents du mien, à qui je mentais plus ou moins sur mes origines de classe, ou devant lesquels je me sentais profondément gêné d’avouer ces origines, pourquoi donc n’ai-je jamais eu l’idée d’aborder ce problème dans un livre ou un article ? » (p. 21) ; « La décision de quitter la ville où je suis né et où j’avais passé toute mon adolescence pour aller vivre à Paris, quand j’avais 20 ans, signifia en même temps pour moi un changement progressif de milieu social. » (p. 22) ; « Mon frère correspondait sans problème et sans distance au monde qui était le nôtre, aux métiers qui se proposaient à nous, à l’avenir qui se dessinait pour nous. Moi, je n’allais pas tarder à éprouver et cultiver l’intense sentiment d’un écart que les études et l’homosexualité concourraient à installer dans ma vie : je n’allais être ni ouvrier, ni boucher, mais autre que ce à quoi j’étais socialement destiné. » (p. 111)

 

L’humoriste Akim Omiri dans sa première partie du spectacle En état d’urgence (2017) de Mathieu Madenian au Bataclan, raconte comment un producteur l’a harcelé sexuellement en lui faisant des avances de nature homosexuelle pour qu’il passe des « petits plateaux aux grandes salles ».
 

La connexion entre homosexualité et bourgeoisie se cristallise souvent autour de la prostitution. « Devant mon représentant, mes absences commencèrent à faire désordre. Je donnais l’impression de ne rien faire et d’être immensément riche. Ce qui, mal s’en fut, suscita d’énormes questions. Il pensait, en effet, que j’étais tombé dans une histoire de drogue. Le moyen le plus sûr était de l’ignorer totalement, lorsqu’il souhaitait faire ma chambre de fond en comble. Mais s’avouer homosexuel et, par-dessus le marché, se faire entretenir, n’était pas mieux non plus. […] À l’allure de ces contacts qui foisonnaient de partout, surgit ma rencontre avec un fils de riche monégasque qui m’initia aux joies du mannequinat et des voyages à l’étranger. Cette formule de voyages à l’étranger, appelée ‘Escort’ dans le milieu, n’était autre qu’un accompagnement auprès des hommes d’affaires dans leurs déplacements. Bien sûr, avec le sexe à l’appui ! » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de son métier de prostitué-escort boy, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 115) ; « Des séances de photos en spectacle où le corps avait la parole, je devins l’ovation des plus belles fesses, du plus beau sourire… […] Je plaisais aux hommes et en contrepartie, l’argent me plaisait. » (idem, p. 120) ; « De Brazzaville à Paris, mes rapports sexuels définissaient une périlleuse échelle sociale très discutée. Le déshonneur n’existait plus, rien d’autre non plus. Poches pleines ou vides, les jours se suivaient intrinsèquement et ne se ressemblaient pas. » (idem, p. 123) Par exemple, dans le documentaire « Habana Muda » (« La Havane muette », 2011), Chino, un Cubain sourd, en plus d’enchaîner les petits boulots, vend ses charmes le soir aux touristes étrangers ; l’un d’eux, José, tombe amoureux de lui et lui propose de l’emmener au Mexique pour lui dénicher un vrai métier.

 

Le sexe, les sentiments ou la tendresse atténuent la conscience de la consommation mutuelle et de l’exploitation mercantile. C’est pour cela que la « promotion canapédé » (néologisme-maison) semble, aux yeux de certains individus homosexuels qui s’y livrent, un cadeau, une preuve supplémentaire et tangible qu’il est bien question d’amour entre le client et son protégé, entre le mécène et son poulain. Mais dans les faits, nous remarquons que la soif d’ascension sociale n’est pas du tout poétique : elle peut même pousser à la trahison (à soi-même), à la « collaboration », au vol, au viol, au meurtre. Je vous renvoie aux codes « Amour ambigu du pauvre », « Prostitution », « Liaisons dangereuses », « Homosexuel homophobe » et « Méchant Pauvre » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie finit souvent par être reconnue, causalisée et dénoncée par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. Par exemple, le 12 octobre 1998 à Laramie aux États-Unis (Wyoming), Aaron McKinney et Russell Henderson, les assassins de Matthew Shepard (jeune homme homosexuel), s’étaient attaqués à lui pour leur dérober des objets. D’ailleurs, le soir du meurtre, ils lui ont piqué sa carte bancaire, ses fringues, ses chaussures, et avaient l’intention de le cambrioler : « Matthew, c’était une pute pétée de tune ! » On voit bien que socialement, l’un des fruits de la pratique homosexuelle, à savoir l’argent, symbolise et est parfois le moteur de l’homophobie.

 

 
 

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Code n°151 – Prostitution (sous-codes : Défense de la prostitution / Interdit d’aimer / Prostituée tueuse / Prostituée tuée)

Prostitution

Prostitution

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Pratique homosexuelle = prostitution gratuite

 

Cela reste pour moi un mystère… Comment nos sociétés actuelles arrivent-elles à persuader la majeure partie de la population que l’homosexualité est une identité « normale », un amour « banal », surtout quand on voit l’envers du décor, et les nombreuses confluences entre monde homosexuel et prostitution ? Ça me dépasse. Pourtant, j’arrive facilement à comprendre qu’on ne puisse pas réduire (et heureusement !) la communauté homosexuelle à une nation de prostitués et de maquereaux… mais de là à n’établir aucun lien (ne serait-ce qu’un lien désirant, symbolique, fantasmatique) reconnaissant que dans le désir homosexuel il y a une forte part de recherche de consommation et de réification de soi/de l’être « aimé », là, j’avoue qu’on a de sacrées œillères… pour ne pas dire de la merde dans les yeux ! Même s’ils sont soi-disant une minorité, beaucoup d’individus homosexuels se prostituent concrètement, ou bien louent les services de prostitués, ou vivent un rapport amoureux conjugal très centré sur le matériel, ou se laissent entretenir comme des putes par leur copain, ou sacralisent la prostitution en image d’Épinal (et bobo !) magnifique. Si l’argent n’est pas toujours la première monnaie d’échange dans le trafic prostitutif homosexuel, il est souvent remplacé par les corps eux-mêmes et par la sincérité. Est-ce mieux ?

 

Vidéo-clip de la chanson "California" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer


 

À force de styliser sur les écrans la figure de la prostituée-garce / ou du « bad boy » bear, à qui de nombreux artistes homosexuels offrent iconographiquement les moyens de s’émanciper dans l’exhibition pornographique et de se venger de ceux qui voulaient jadis la/le censurer (pensez par exemple aux prostituées-tueuses des vidéo-clips des chansons « California » et « Libertine » de Mylène Farmer ; pensez à la figure du Maghrébin dans les films pornos), il n’est pas rare d’entendre au sein des associations féministes ou dans la bouche d’individus homosexuels une défense ouverte de la prostitution : « Qu’est-ce qui est choquant ? Que des garçons parfois très jeunes se prostituent pour subvenir à leurs besoins immédiats ? Ou que la société dans son ensemble ait créé des situations de détresse telles que la prostitution soit devenue un passage presque obligé ? Et puis, pourquoi considérer d’emblée que la prostitution est dégradante ? » (Nicolas Henri interviewé par Erwan Chuberre, dans le magazine Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, p. 47)

 

Le soutien homosexuel de la prostitution s’intègre dans le déni de l’homosexualité et du fantasme de viol. Par exemple, peu de prostitués masculins se définissent comme « homos » : ils disent qu’ils couchent avec des hommes par besoin, et non pour laisser s’exprimer une orientation sexuelle fièrement assumée en tant qu’identité amoureuse (même si c’est parfois le cas). Par leur attrait pour la/le prostitué(e) imagé(e), certaines personnes homosexuelles révèlent l’une des clés de leur souffrance en amour et de leur désir homosexuel : la discordance entre le but noble recherché et les moyens moins nobles qu’elles utilisent parfois pour l’atteindre. Pietro Citati, en parlant de Marcel Proust, décrit justement le déchirement homosexuel à travers la prostitution : « Proust aimait particulièrement le milieu des domestiques : il avait besoin de ce monde que l’on pouvait acheter. Lui, qui savait plus que tout autre que l’amour ne s’achète pas, a cherché à plusieurs reprises à acheter l’amour. C’est à la fois une merveilleuse discordance et une tragédie. » (cf. l’article « La Douleur pour destin » de Pietro Citati, dans le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 25)

 

La grande majorité des femmes célébrées par les personnes homosexuelles incarnent la prostituée, la féminité fatale. Cette femme violée, exploitée, mais qui consent à rentrer dans un système qui l’aliène, les fascine, parce qu’elle est leur jumelle de désir. La prostituée – plus métaphorique que réelle – incarne la trahison à soi, la soumission active, le viol consenti, intégré, assumé, défendu et dissimulé par tout type de victimes, y compris homosexuelles. Elle est l’allégorie de l’homosexualité émancipée, de l’homophobie intériorisée, l’illustration vivante de la violence personnifiée qui se déguise en engagement fier et libre : il est aujourd’hui fréquent d’entendre des prostituées revendiquer naturellement leur statut de « travailleuses du sexe » ou de stars du porno. Certaines personnes homosexuelles et la prostituée ont en commun qu’elles s’interdisent toutes deux d’aimer. Elles couchent avec leurs clients ou leurs amants à condition qu’ils ne s’attachent pas sentimentalement à elles. L’identification homosexuelle à la prostituée nous dit quelque chose d’important de ce que beaucoup d’individus homosexuels vivent en amour : un sentiment d’exploitation, et parfois une consommation réelle.

 

Parce que la prostituée imagée a le pouvoir de dévoiler, par ce qu’elle représente, la vraie nature de leur désir homosexuel, certains personnages homosexuels la tuent à l’écran. Beaucoup de personnes homosexuelles ont des comptes à régler avec la prostituée-chanteuse. N’oubliez pas que c’est elle qui, à l’image, les a tuées, les a virées de son trottoir (les « gens du trottoir d’en face » ou « de l’autre rive » sont souvent des expressions servant à qualifier les membres de la communauté homosexuelle), ou leur a demandé de devenir homosexuelles. « Change de trottoir ! Le mien est piégé. Sors du trou noir, je fais mon métier ! J’ai peur de rien. Je suis une femme pressée ! » (Claire Litvine dans la chanson « Une Femme pressée » des L5)

 
 

N.B. 1 : Ce code est indissociable du code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Notamment la partie sur les prostituées de luxe.

N.B. 2 : Je vous renvoie également aux codes « Méchant pauvre », « Amour ambigu de l’étranger », « Voleurs », « Violeur homosexuel », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Actrice-traîtresse », « Femme-Araignée », « Promotion « canapédé » », « Don Juan », « Bobo », « Pygmalion », « Inceste », « Amant comme modèle photographique », « FAP amoureuse de son meilleur ami homosexuel », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Voyage », « Duo totalitaire lesbienne/gay », « Ville », « Entre-deux-guerres », « Amant diabolique », « Adeptes des pratiques SM », à la partie « Amant-objet » du code « Pygmalion », à la partie « Femme-pute » dans le code « Destruction des femmes », à la partie « Trou noir » du code « Oubli et amnésie », à la partie sur les gigolos-tueurs du code « Homosexuel homophobe », la partie « Maman-putain » du code « Matricide », la partie « Prostituée noire » du code « Noir », à la partie « Tendresse » du code « Douceur-poignard », à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », et à la partie « Désir d’être pris pour un objet » du code « Viol », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Un lien existant entre homosexualité et prostitution :

Film "200 American" de Richard LeMay

Film « 200 American » de Richard LeMay


 

Il est extrêmement souvent question de prostitution dans les œuvres homo-érotiques : cf. le film « Broken » (2010) de Kent Thomas, le film « Help » (2009) de Marc Abi Rached, le film « Sagwan » (2009) de Monti Parungao, le roman A Thousand And One Night Stands : The Life Of Jon Vincent (2001) de H. A. Carson, le film « The Docks Of New York » (« Les Damnés de l’océan », 1928) de Josef von Sternberg, le roman Querelle de Brest (1947) de Jean Genet, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès, le film « Souffle au cœur » (1971) de Louis Malle, le film « Tenue de soirée » (1986) de Bertrand Blier, le film « The Living End » (1992) de Gregg Araki, la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le roman Kept Boy (1996) de Robert Rodi, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « Insects In The Backyard » (2010) de Tanwarin Sukkhapisit, le film « Les Fraises des bois » (2011) de Dominique Choisy, le film « Teslimiyet » (« Other Angels », 2010) d’Emre Yalgin, le film « Des jeunes gens modernes » (2011) de Jérôme de Missolz, la pièce Balm In Gilead (1965) de Lanford Wilson, le roman Shuck (2008) de Daniel Allen Cox, le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, le roman Can’t Buy Me Love (2001) de Chris Kenry, le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano, le film « Flesh » (1968) de Paul Morrissey, la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario, la poésie « Oda A Walt Whitman » (1940) de Federico García Lorca, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le roman Closer (Plus proche, 1990) de Dennis Cooper, la chanson « Tatuaje » de Rafael de León, la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, le film « Belle de jour » (1966) de Luis Buñuel, le roman Murder Most Fab (2008) de Julian Clary, le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, le film « Sibak » (« Les Danseurs de minuit », 1994) de Mel Chionglo, le roman Yes, Yes, Yes (1990) d’Hisao Hiruma, la pièce Pal Joey (1940) de Richard Rodgers, Lorenz Hart et John O’Hara, le film « In The Flesh » (1997) de Ben Taylor, le roman Quand je suis devenu fou (1997) de Christopher Donner, le film « Zipper And Tits » (2001) d’Hiroyuki Oki, le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « L’École de la chair » (1998) de Benoît Jacquot, le film « Burlesk King » (1999) de Mel Chionglo, le film « Sugar » (2004) de John Palmer, le film « Miroirs brisés » (1984) de Marleen Gorris, la pièce Entertaining Mr Sloane (1964) de Joe Orton, la pièce The Boys In The Band (1968) de Mart Crowley, le film « Justice pour tous » (1979) de Norman Jewison, le film « Piccadily Pickups » (1999) d’Amory Peart, le film « Alexander : The Other Side Of Dawn » (1977) de John Erman, le roman User (1994) de Bruce Benderson, le film « New York 42e rue » (1982) de Paul Morrissey, le roman After Nirvana (1997) de Lee Williams, le film « My Addiction » (1993) de Sky Gilbert, le film « Le Livre de Jérémie » (2004) d’Asia Argento, le roman Martin And John (1994) de Dale Peck, le film « Passé sous silence » (2003) de James Mérendino, le film « Taxiboy » (2001) de Veronica Chen, le film « Manille » (1975) de Lino Brocka, le roman Sarah (2000) de JT LeRoy, le film « Les Croque-Morts en folie ! » (1982) de Ron Howard, le roman Prostitution (1975) de Pierre Guyotat, le film « Flying With One Wing » (2002) d’Asoka Handagama, le film « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, le film « Garçons d’Athènes » (1998) de Constantino Giannaris, le roman Mysterious Skin (1995) de Scott Heim, le film « Contradictions » (2002) de Cyril Rota, le film « Smukke Dreng » (« Joli Garçon », 1993) de Carsten Sonder, le roman Rent Boys (1997) de David Macmillan, le roman Setting The Lawn On Fire : A Novel (2005) de Mack Friedman, le film « Morirás En Chafarinas » (1995) de Pedro Olea, la chanson « House Of The Rising Sun » du groupe The Animals, le roman Suburban Hustler : Stories Of A Hi-Tech Callboy (1999) d’Aaron Lawrence, le roman Down There On A Visit (1966) de Christopher Isherwood, le film « Le Rôti de satan » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Bordella » (1976) de Pupi Avati, le film « The Gemini Affair » (1974) de Matt Cimber, le film « Rideau de Fusuma » (1973) de Tatsumi Kumashiro, le film « Where The Day Takes You » (1992) de Marc Rocco, le film « Skin And Bone » (1995) d’Everett Lewis, le film « Johns » (2002) de Scott Silver, le film « Speedway Junky » (1998) de Nickolas Perry, le film « Mr Smith Gets A Hustler » (2002) d’Ian McCrudden, le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler, le film « Die Blaue Stunde » (1992) de Marcel Gisler, le film « Er Moretto, Von Liebe Leban » (1985) de Simon Bischoff, le film « Rosatigre » (2000) de Tonino De Bernardi, le film « Septej » (1995) de David Ondricek, le film « Empire State » (1986) de Ron Peck, le roman Last Exit To Brooklyn (1957) d’Hubert Selby Jr, les romans City Of Night (1963) et Numbers (1967) de John Rechy, la chanson « Quand on arrive en ville » de la comédie musicale Starmania de Michel Berger, le roman Midnight Cowboy (1965) de James Leo Herlihy, le roman Boy Culture (1996) de Matthew Rettenmund, le roman Brutal (1996) d’Aiden Shaw, le roman The Queen Of Hearts : A Transsexual Romance (1998) de Brad Clayton, la pièce Trafficking In Broken Hearts (2005) d’Edwin Sanchez, le film « Honey Killer » (2013) d’Antony Hickling, le film « La Habana Muda » (2011) d’Éric Brach, le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la chanson « Ma Marloupette » de Sandrey, la chanson « Tous des putains ! » de Jean Guidoni, la chanson « I’m The Boy » de Serge Gainsbourg, etc.

 

Par exemple, dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, Marcello fait une remarque étrange au jeune héros homosexuel, Barthélémy (« Vaut mieux être gigolo que pédé ! »)… sans se douter de l’homosexualité de ce dernier, et sans réaliser la signifiance de ses dires puisque Barthémémy fréquente énormément de gigolos dans le « milieu homo ». Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, à sa sortie du train à la gare de Lyon, Zize, le travesti M to F, est pris sérieusement pour une pute par un pépé. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Mathilde compare son meilleur ami homo Guillaume à une prostituée, car ce dernier l’informe qu’il va coucher avec un homme marié (son amour de jeunesse, Michael) dans un hôtel : « Et maintenant, tu es dans une chambre d’hôtel comme une pute. » Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi, le héros bisexuel, dit qu’il vit à Montmartre, à côté des « putes ».

 

Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, tous les personnages sont prostitués : officiels/agréés (Martine, péripatéticienne de métier), officieux (Michèle, l’actrice-bimbo), sentimentaux (Jules, le héros homosexuel, qui a joué le rôle d’une prostituée sur le tournage du film « Les Misérables » ; il se décrit comme un tapin gratuit auprès de ses trois camarades de jeu, Michèle, Martine et Lucie : « Oui, moi aussi, je suis comme vous. Je suis une pute. Je suis une pute. Comme vous. »).

 

Quelquefois, le terme « prostitution » s’étend plus largement à l’« infidélité », au « devenir objet exhibé », ou à la « diabolisation de la sexualité et des corps ». En effet, un personnage peut être considéré comme une « pute » ou un « prostitué » quand il se donne à voir comme un objet, de manière indécente et irrespectueuse vis à vis de lui-même et des autres (souvent à travers les médias), ou bien parce que son corps est méprisé. « Tu n’as pas peur qu’on fasse un peu putes ? » (Solange à Delphine, sa sœur qui lui montre leurs robes rouges de music-hall, dans le film « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy) ; « T’as l’air d’une pute. Cache-moi ces mamelles. » (Alba, l’héroïne lesbienne, à sa servante Claudia, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; etc.

 
 

b) La prostitution pratiquée :

Il n’est pas rare que le héros homosexuel fictionnel passe à l’action et se prostitue réellement contre de l’argent : cf. le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec Strella, le héros transsexuel M to F), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Emmanuel, le héros homosexuel, qui se vend chez le voisin âgé de son immeuble), le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec Mike et Scott, les deux gigolos, par ailleurs amants), le roman Autobiographie érotique (2004) de Bruce Benderson (avec Romulus, le « prostitué roumain qui glande en Hongrie »), le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec Ezri et Robbie qui vont faire le tapin dans les parcs), le film « Journal d’un prostitué » (2001) de Tamfik Abu Wael, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (avec Bjorn, l’homosexuel jadis prostitué), le film « Un Fils » (2003) d’Amal Bedjaoui, le film « L’Enfer d’Ethan » (2004) de Quentin Lee, le film « Mandragora » (1997) de Wiktor Grodecki, le film « Tiresia » (2003) de Bertrand Bonello, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, la chanson « One Night In Bangkok » de Murray Head, la chanson « I’m A Gigolo » de Cole Porter, le film « Breakfast At Tiffany’s » (1961) de Blake Edwards (avec le gigolo Varjak), le film « Midnight Cowboys » (1969) de John Schlesinger (avec le prostitué Joe Buck), le film « Revolutions Happen Like Refrains In A Song » (« Les Révolutions surviennent comme des refrains dans les chansons », 1987) de Nick Deocampo, le roman Less Than Zero (Moins que zéro, 1987) de Brett Easton Ellis, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat (avec les trois prostitués urbains), le film « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill, le film « Macho Dancer » (« Danseurs machos », 1988) de Lino Brocka, le film « Cop » (1988) de James B. Harris, le film « Via Appia » (1990) de Jochen Hick, le film « Fill’em » (1992) de Sky Gilbert, le film « Gossenkind » (« L’Enfant de la rue », 1992) de Peter Kern, le film « Being At Home With Claude » (« À la maison avec Claude », 1992) de Jean Beaudin, le film « Die Blaue Stunde » (« L’Heure bleue », 1992) de Marcel Gisler, le film « Smukke Dreng » (« Beau garçon », 1993) de Carsten Sønder, le film « Hatachi No Binetsu » (« La Légère Fièvre des vingt ans », 1993) de Ryosuke Hasiguchi, le film « Post Cards From America » (« Cartes postales d’Amérique », 1994) de Steve McLean, le film « Dupe Od Mramora » (« Anus de marbre », 1995) de Zelimir Zilnik (sur les prostitués travestis en Serbie), le film « Tattoo Boy » (1995) de Larry Turner, le film « The Toilers And The Wayfarers » (1996) de Keith Froelich, le film « The Unveiling » (« Le sans voile », 1996) de Rodney Evans, le film « Tapin du soir » (1996) d’Ane Fontaine, le film « Johns » (1996) de Scott Silvers, le film « Private Shows » (1997) de Blaine Hopkins et Stephen Winter, le film « Star Maps » (1997) de Miguel Arleta, le film « Hard » (1998) de John Huckert, le film « Speedway Junky » (1999) de Nickolas Perry, le film « Circuit » (2001) de Dirk Shafer (racontant l’histoire d’un prostitué terrifié à l’idée de vieillir), le film « Aka » (2002) de Duncan Roy, le film « Gan » (« Un Jardin », 2003) de Ruthie Shatz Adi Barash (racontant l’histoire de deux jeunes prostitués de Tel Aviv), le film « Los Novios Búlgaros » (« Les Amants bulgares », 2003) d’Eloy de la Iglesia, le film « Yeladim Tovim » (« Brave garçon », 2004) de Yair Hochner, le film « Eighteen » (« Dix-huit », 2004) de Richard Bell, le film « Ethan Mao » (2004) de Quentin Lee, le film « Dirty Little Sins » (« Sale petit péché », 2005) de Kett Blakk, le film « Transamerica » (2005) de Duncan Tucker (un transsexuel M to F découvre qu’il a un fils qui se prostitue dans la ville de New York), le film « Breakfast On Pluto » (2005) de Neil Jordan, le film « Into It » (2006) de Jeff Maccubbin, le film « Avant que j’oublie » (2007) de Jacques Nolot, la série Dante’s Cove (2006) de Michael Costanza (où Kevin avoue à son petit ami qu’il se fait parfois payer ses faveurs sexuelles), le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot (avec Andrea qui est escort-boy), le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh (Alexandra veut louer les services d’une prostituée), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Lucie, qui se prostitue), etc.

 

« Il [Pedro/Maria-José] fut élevé par son frère aîné qui l’habillait en fille et le prostitua dès l’âge de six ans. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 30) ; « On m’appelait Fifty Dollars. 50 $ pour une passe, c’est pas mal, non ? » (Jacques Nolot, racontant comment il est passé de la prostitution à une homosexualité « assumée », dans son film « La Chatte à deux têtes », 2002) ; « Déshabillez-vous, s’il-vous-plaît. Ne posez pas de questions. […] Silence ! Tu te tais ! » (Monsieur Chateigner s’adressant impérieusement à Anthony, son beau garçon d’hôtel, dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann) ; « Je suis une pute minable. » (Peter, l’amant nain du film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, Lulu retrouve à l’âge adulte un ancien camarade de foot (homosexuel), en train de faire le trottoir à Pigalle. Dans le roman Ta Mère (2010) de Bernard Carvalho, Andreï est poussé à se prostituer par ses camarades soldats de l’armée russe. Dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Christian Bordeleau, Carmen est « putain sur la rue Saint Laurent ». Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd couche avec des hommes « pour du fric ».

 

Le personnage homosexuel est aussi client de prostitué(e)s : cf. le film « My Hustler » (« Mon Prostitué », 1965) d’Andy Warhol et Chuck Wein, le film « L’Orpheline » (2011) avec Noémie Merlant (avec Jean-Claude Dreyfus dans son rôle de proxénète), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Antes Que Anochezca » (« Avant la nuit », 2000) de Julián Schnabel, le film « My Hustler Boyfriend » (« Mon petit ami le prostitué », 2004) de Peter Pizzi, etc. « Il paraît que c’est un truc de pédés, d’homos refoulés, les mecs qui niquent des gonzesses dans tous les coins. » (Fred à son ami Greg, dans le film « Les Infidèles » (2011) de Jean Dujardin) ; « J’ai connu des putains… de ténèbres. » (c.f. la chanson « Désobéissance » de Mylène Farmer). Par exemple, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval essaie de ramener des cocktails mondains où il se rend des « p’tits jeunes sans cervelle » pour les faire venir chez lui. Dans le sketch des Faux Cambrioleurs d’Elie Sémoun, un homme dont on fête l’anniversaire-surprise, finit par avouer, sous la pression d’un cambrioleur imaginaire, qu’il « s’est tapé » des jeunes prostitués lors de son dernier voyage « touristique » en Thaïlande. Dans un des sketchs de Franck Dubosc, Mike, un ami à lui, accueille plusieurs jeunes hommes exotiques dans son lit (comparés aux « Rois mages » apportant leur corps en cadeau), au village-vacances où ils se trouvent. Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Pierre, le héros homosexuel, prospecte de se chercher une mère-porteuse pour avoir un enfant, et voit en Isabelle, qui se définit comme « une salope » qui ne peut pas se satisfaire d’un seul homme, une collaboratrice intéressante. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony baise des « chauffeurs mécaniciens » et des jeunes prostitués tels que Doyler. Le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso traite de la prostitution masculine, et pire que ça, de la prostitution juvénile. Davide, le héros homosexuel, n’a que 14 ans, et vend quand même son corps aux hommes. Rettore, son camarade prostitué, finit par mourir à la fin du film : on suppose qu’un de ses clients l’a éliminé.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, la prostitution, au départ, est une réalité qui est occultée et singée par l’humour cynique. En effet, Emory, le personnage homo le plus « grande folle », fait mine de faire le tapin sur le trottoir à côté d’un lampadaire, avec un humour queer provocateur très courant dans le « milieu homo » : « Tu veux mon corps ? Faut me payer. » dit-il à Larry qui passe en voiture. Mais on découvre par la suite que ce n’est pas qu’une blague, et qu’il est à la fois souteneur (il louera les services d’un jeune prostitué décérébré, Tex, qu’il offrira en cadeau d’anniversaire à son pote Harold) et prostitué réel (« Vous avez plus de chance que moi.  Quand je ne me fais pas arrêter, mon client a une maladie vénérienne. »).

 

Le film « Fast Forward » (« D’un trait », 2004) d’Alexis van Stratum laisse entendre que la prostitution est le passage obligé de l’homosexualité vieillissante : le héros homosexuel âgé qui veut continuer à jouir de la beauté des jeunes corps qu’avant la valeur marchande de son propre corps lui permettait d’obtenir gratuitement, se voit obligé de sortir le chéquier…

 
 

c) Les prostitutions parallèles, non-officielles, dites « éthiques », « gratuites », et se faisant passer pour de l’Amour :

Vidéo-clip de la chanson "Moi Lolita" d'Alizée

Vidéo-clip de la chanson « Moi Lolita » d’Alizée


 

Il arrive que la relation de prostitution dure un peu plus de temps que prévu entre les amants de la prostitution (à savoir le binôme prostitué/client, ou bien prostituée/client, ou encore prostitué/cliente). Certains décident de s’entretenir dans la consommation, trouvent un « p’tit arrangement à l’amiable ». Régulièrement dans les fictions homo-érotiques, la relation amoureuse (homosexuelle) est placée sous le signe de l’argent : cf. le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung (p. 63 et p. 117), le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, le film « Rockbitch » (1998) de Wim Verbulst, le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka, le film « The Price Of Love » (1995) de David Burton Morris, le film « The Boy Next Door » (2008) d’un réalisateur inconnu, le tout début du vidéo-clip de la chanson « Moi, Lolita » d’Alizée, etc.

 

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, plus Stephen, l’héroïne lesbienne, sent qu’Angela lui échappe, plus elle la soudoie avec des cadeaux… mais c’est déjà trop tard : « Elle ne pouvait acheter l’amour d’Angela. » (p. 246). Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent passe son temps à reprocher à son amant Stéphane de l’avoir utilisé comme un escort boy, un faire-valoir : « Tu me prenais pour une pute ! » Leur toute première rencontre a eu lieu lors d’une séance de dédicace d’un roman de Stéphane. Vincent lui reproche d’avoir acheté son cœur par une signature : « C’était déjà une manière de me considérer comme une pute. »

 

Parfois, le fait que le duo client/prostitué(e) s’attribue l’étiquette identitaire ou amoureuse d’« homosexuels » ou de « couple » change la donne, non dans les faits (… car le consentement n’est pas la liberté ; le plaisir et la tendresse font partie de l’Amour, mais ne se supplantent pas à Lui), mais au moins dans les esprits. Ils ne se considèrent plus comme des clients ou des prostitués l’un par rapport à l’autre, ne voient plus leur relation comme une prostitution : cf. le film « Un Ragazzo Come Tanti » (« Un Homme comme tant d’autres », 1983) de Gianni Minello, le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon, le film « Happy Together » (1997) de Wong Kar-Wai, le roman L’Ange impur (2012) de Samy Kossan (Samy s’est prostitué dès l’âge de 15 ans ; puis il rencontre l’« amour » avec Joey, un autre prostitué qui est encore plus dangereux que lui), etc.

 

Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, par « amour » pour Jean, accepte que ce dernier soit son proxénète et finit par se prostituer. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, la relation de « couple » est mise sur le même plan que la relation prostitutionnelle. Par exemple, Petra demande à son amante Jane si elle a déjà payé pour coucher. Elle lui répond que non. Petra lui rétorque : « Et toutes ces fois où tu es super gentille avec moi ? ». Jane lui renvoie la pareille. Au départ, Petra répond par la blague : « J’ai payé ta place de cinéma, alors j’espère que tu vas accepter de coucher avec moi une fois qu’on arrivera à la maison. » (Petra s’adressant à son amante Jane, p. 77) Ensuite, voyant l’attraction interdite de sa compagne pour les prostituées (et notamment la jeune Anna), elle ironise : « Ça te fascine, hein ? T’aimerais qu’on en ramène une un jour ? » (p. 78) Enfin, on apprend que dans sa jeunesse, Petra a loué les services d’une prostituée en la payant : « Je ne sais pas trop si on peut dire que j’ai payé pour m’envoyer en l’air » (p. 84), avance-t-elle en faisant croire que la prostituée et elle y ont trouvé leur plaisir. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso Davide, le héros homo de 14 ans, est enculé contre un mur en verre, sur fond rouge, par un autre prostitué. Ce dernier l’abandonnera après l’avoir usé. Pire, il l’entraînera de force à la prostitution pour qu’il ait le droit d’habiter chez lui.

 

Certains protagonistes considèrent même que la prostitution et l’argent sont les moteurs de leur désir amoureux. Par exemple, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Wassim avoue à Malik qu’il a besoin de donner un billet à son copain pour jouir et l’aimer davantage : « Tu sais ce que j’aime le plus ? Les gigolos. » Dans le film « El Diputado » (« Le Député », 1978) d’Eloy de la Iglesia, un prostitué adolescent, indicateur de la police, tombe amoureux de sa victime. Dans le film « 200 American » (2003) de Richard LeMay, un homme d’affaires new-yorkais devient amoureux d’un prostitué australien. Dans le film « Little Lies » (2012) de Keith Adam Johnson, Phillip tombe amoureux d’un escort.

 

Il n’y a pas que l’argent qui nourrit la prostitution et la consommation entre partenaires homosexuels/bisexuels. S’il n’y avait que l’argent, on comprendrait pourquoi l’âge des prostitué(e)s fictionnels serait fixe et prioritairement bas, et pourquoi l’âge ou la classe sociale des clients serait forcément élevé(e), de manière inversement proportionnelle. Or on constate que la prostitution dans les œuvres homo-érotiques n’a pas d’âge ni d’argent précis, qu’elle peut être pratiquée entre jeunes, ou entre personnes « plus âgées », ou entre pauvres, ou entre riches, et qu’elle jouit d’autres moteurs : le besoin d’affection, la tendresse, le contentement des sens et des corps, la célébrité, l’ascension sociale, l’esthétisme, l’interdit, la clandestinité, les cadeaux (voyages, habits, bijoux), etc. Seule la monnaie d’échange varie : dans certains cas, ce sont les corps qui remplacent les billets… d’où l’impression que l’argent a disparu, qu’il s’agit d’une prostitution gratuite et désintéressée, que la corruption n’existe plus, voire même qu’une homosexualité s’assume pleinement ! Par exemple, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Sheela, pour les cours particuliers que lui donneraient Anamika (l’héroïne lesbienne), lui propose très sérieusement de la payer « en monnaie de baisers » (p. 97).

 

Certains couples homos fictionnels pensent naïvement qu’à partir du moment où ils ne s’échangent pas de matériel (ce qui reste à prouver… car la première matière, c’est leur corps), à partir du moment où un (timide) consentement/un plaisir/une générosité a été échangé entre partenaires sexuels, à partir du moment où il n’y a pas eu que de l’égoïsme, il n’y a forcément plus de consommation et d’exploitation mutuelle du tout ! Que de la liberté et de l’amour ! c.f. La pièce Cachafaz (1993) de Copi (avec la relation d’« amour » entre Raulito, le prostitué, et Cachafaz, son « mac »), le film « Notre Paradis » (2010) de Gaël Morel (avec les deux amants prostitués, Vassili et Angelo), le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (avec la relation ambiguë entre Loïc et Lionel), la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane (avec Mitchell tombant amoureux d’un gigolo), etc. Par exemple, dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, la rencontre entre George, le héros homosexuel universitaire, et le prostitué Carlos, est filmée comme une belle (parce que désespérée !) idylle. Dans le sketch « Le Couple homo » de Pierre Palmade et Michèle Laroque, Alain, 48 ans, est en couple avec un jeune amant brésilien, Roberto, 19 ans, traité de « gigolo ». Avec la prostitution, c’est la différence de classes sociales qui serait soudain pulvérisée, c’est merveilleux… : cf. le film « Hustler White » (« Prostitué blanc », 1996) de Nick Castro et Bruce LaBruce, le film « Happy Hookers » (« Prostitués heureux », 2006) de Ashish Sawhny (relatant la vie de trois prostitués en Inde), etc.

 

Il arrive que le héros homosexuel, bercé par ses illusions d’amour ou stimulé par ses pulsions, se mettent à justifier tout type de prostitutions comme une action banale et possiblement amoureuse : « Je ne suis pas devenu pute. » (Jean-Marie, homosexuel, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « Partager mon ennui le plus abyssal au premier venu trouvera ça banal… » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer) ; « Les jeunes prostitués qui se trouvaient Place Dauphine le fascinaient. […] Sa présence ici n’était pas insensée. Elle était juste nécessaire. » (Adrien, le héros homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 26) ; « Le premier métier : la prostitution ? » (Omar, l’un des deux héros homosexuels du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 93) ; « Enfin j’ai reçu une lettre de ma cousine. Elle ne dit rien de ce que nous avons fait ensemble, sinon qu’elle finit sa lettre par je t’embrasse’. Trois fois à la suite. Elle m’écrit surtout pour me dire le bien que je lui ai fait en lui prêtant la somme dont elle avait grand besoin et qui la sauve tout à fait. » (Alexandra, la narratrice lesbienne ayant vécu une liaison amoureuse avec sa cousine, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 75) ; etc.

 

Selon l’hypocrite client homosexuel fictionnel, ou le non moins hypocrite prostitué, il existerait une prostitution « éthique », « bio », « multi-culturelle », « gratuite », « transcendant la vulgarité de la prostitution payante ». « L’argent, ça n’existe plus. À partir de ce soir. » (Cherry d’adressant à son amante Ada, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Il m’arrivait aussi d’être fréquenté par certains voisins en mal de chaleur humaine. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 56) ; « Toi non plus tu n’as pas d’argent. Je te propose une chose : moi je taille une pipe à toi, et toi tu me tailles une pipe. » (un homme au travesti M to F Paletta, dans le film « Toto Che Visse Due Volte », « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « En fait, si t’étais une femme, tu serais une pute gratuite, pour le plaisir ?’ Cody rit. » (Mike, le narrateur homosexuel, s’adressant à Cody, son pote gay nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 92) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina.’ » (Cody, op. cit., p. 101) ; « Mon amour pour votre nation se fait par ma prostitution. Je prends des Blancs de classe moyenne. Question d’amour et d’argent, Maman. Et le luxe est mon meilleur amant. C’est une question harassante, que l’or ! » (cf. la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) ; etc.

 
 

Adrien – « T’as raison, on n’achète pas la tendresse, presque machinalement.

Malcolm – T’inquiète, j’te ferai rien payer. »

(cf. le dialogue entre Adrien, le héros homosexuel, et son amant-prostitué noir, Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 28)

 
 

Il y a quelque chose de complètement paradoxal dans la participation des personnages homosexuels – pourtant souvent lettrés, esthètes, éduqués, spirituels, réputés « raffinés » et « romantiques », a priori peu vénaux – à la prostitution (et je vous renvoie directement à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », ou bien au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour mieux me faire comprendre). Il y a aussi un vrai paradoxe à ce que certains héros (parfois « homosexuels refoulés », mais pas que ; ils peuvent aussi être de souche populaire, d’une culture étrangère très religieuse et homophobe ; ou bien des « fils à papa » qui n’ont pas besoin d’argent) se lancent dans le métier de la prostitution homosexuelle. « Moi, j’suis pas une pute ! Je suis une intellectuelle ! » (Raulito le prostitué, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi)

 

En général, les acteurs fictionnels de la prostitution atténuent et excusent la violence de la prostitution par le prétexte de l’esthétisme (« Il est beau et mis en valeur, mon escort-boy ! » ; ou bien « En prostitué, je suis une puissante icône du danger sexuel ! »), par la bonne intention (« Je rêve que pour une fois, l’acte de consommation que je vais poser soit exceptionnellement de l’amour, comme dans ‘Pretty Woman’ : je cherche à sauver le prostitué qui se gâche. » ; ou bien « Je rêve que mon client m’arrache à mon enfer, soit mon prince charmant inattendu. » ; cf. le film « Change-moi ma vie » (2001) de Liria Bégéja, le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, etc.), ou par le besoin (« Je fais ça pour l’argent, pour subsister : pas par gaieté de cœur ou pour les sentiments ! » ; ou bien « J’aide un pauvre prostitué à vivre en le payant et en subvenant à ses besoins. »), ou par le désespoir (« Personne ne m’aime ! J’aime donc comme je peux, et n’importe comment ! Personne n’a rien à me dire ! »), etc.

 

La prostitution gratuite, camouflée par la « légitimité » de « l’amour » homosexuel, de la drague, et de la fougue des passions, est la porte ouverte à l’actualisation banalisée du viol : « Il râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel parlant du chauffeur de taxi maghrébin qui le viole, dans le roman Le Bal des folles (1977), p. 44)

 

Par exemple, dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, on constate que la protagoniste lesbienne française, Kim (Muriel Robin), dans sa grande naïveté militante, confond le tourisme sexuel avec l’Amour. En effet, alors qu’elle dîne dans un restaurant thaïlandais avec Louis (Jean Réno, jouant le rôle d’un médecin qui l’accompagne dans sa démarche d’adoption, et qui vit sur place en Asie du Sud-Est), elle s’offusque de voir ce dernier casser la figure à deux hommes dînant ensemble, et qui ont l’air d’être en couple : « Vous êtes homophobe ? » lui demande-t-elle, indignée. Louis lui coupe froidement le sifflet : « Non : je suis contre la prostitution. »

 

Le client fictionnel a souvent ce double discours puant, hypocrite, et pourtant sincère, de celui qui, en même temps qu’il loue les services de son prostitué et l’enfonce donc un peu plus dans la misère, cherche en l’en sortir. Il tient exactement les propos compassionnels et pseudo ascétiques du sénateur du film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern : « Je ne veux pas de sexe avec toi. Je veux juste discuter… »

 

Le déni du viol chez le prostitué homosexuel ou son client se fige parfois en posture interrogative esthétisée, carrément schizophrène : « Et Adrien était là aussi [sur la Place Dauphine, lieu de prostitution]. Adrien faisait comme eux. Il était l’un d’eux. Il en éprouvait de la honte. Comment lui, le prêtre, pouvait-il être impliqué dans ce vil commerce des corps, côtoyer ces êtres en manque de chair, se mettre en chasse comme eux ? » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 27)

 
 

d) Putain de merde ! (la prostituée tueuse ou la prostituée tuée par le client homosexuel) :

Mais la réalité violente de la prostitution renvoie vite les amants homosexuels/bisexuels fictionnels à la médiocrité et l’orgueil de leur situation ! Au final, ils s’utilisent plus qu’ils ne s’aiment. Et ils le savent très bien. Leur homosexualité tient davantage à l’argent et à l’intérêt éphémère de soulager leurs pulsions personnelles qu’à leur liberté, à leurs désirs profonds, et à l’Amour. Le client, tout comme le/la prostitué(e), passent leur temps à s’échanger les rôles de dominant/dominé, car tous deux ont honte d’aimer. La prostitution leur sert de rempart pour ne pas assumer leur désir et leurs actes (homo)sexuels : « Y’a que les pédés qui se la touchent sans payer. » (Rachid à Karim, dans le film « Mon copain Rachid » (1998) de Philippe Barassat) Par exemple, dans le film « Chop-Shop » (2009) de Ramin Bahrani, Alejandro insiste pour sucer Carlos sous l’excuse de la prostitution. Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier, l’un des héros homos, dit qu’il s’est déjà prostitué : « Ça m’excitait d’être un jouet sexuel. » Et Mathan, son futur amant, plaisante en remarquant qu’il est passé à un autre type de prostitution : « Maintenant, tu couches avec tout le monde, mais sans rémunération… » Le cadre « légalisé »/balisé de la prostitution fait office de paravent à la fois de la pratique homosexuelle mais aussi de l’homophobie des deux héros.

 

Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, pendant la nuit, vient dans la chambre de sa maman, la réveille pour lui demander conseil au sujet de son premier béguin pour un garçon de sa classe, Nicholas. Elle lui donne ce conseil : « Fais tout. » Mais elle lui délivre aussi un avertissement faustique (l’interdit d’aimer) : « Mais ne lui demande pas s’il t’aime. Crois-moi, je m’y connais. » Phil remercie sa mère maquerelle (qui s’autoproclame elle-même « BITCH ») : « Merci Mum. Tu m’as bien aidé. »
 

L’une de leurs règles d’or de leur collaboration est l’interdiction de « s’attacher », de s’engager, de se laisser aimer, de rendre l’amour visible, et de le vivre de manière un minimum égalitaire. « Non, elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] ne se laissera pas ligoter au piège passionné de cette inconnue ! » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 24) ; « C’est plus fort qu’elle, cette façon de couper court aux effusions pleurnichardes, de mentir à son cœur morfondu, de s’interdire tout amour. » (idem, pp. 42-43) ; « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie s’adressant à son amante, op. cit., p. 69) ; « Elle [Gabrielle] en rougit encore. Comme du mot ‘amour’, qu’elle s’est si longtemps interdit de prononcer. » (idem, p. 126) ; « Je veux pas que tu tombes amoureuse. » (Anna s’adressant à son amante Polly, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 51) ; « Elle était toujours sur le point de m’aimer, et je ne le voulais à aucun prix. » (Suzanne concernant sa liaison éphémère avec Agnès, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 225) ; « Parole donnée, contrat signé. N’oublie jamais : INTERDIT D’AIMER. » (le diable parlant à James Dean, dans la chanson « Cinq » du Clergyman, dans la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Berger) ; « Le lys veut dire : je te défie de m’aimer. » (Luce la fleuriste face à Rachel sa future amante dont elle tombe amoureuse, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Je ne te parle pas d’amour. Je sais très bien que ça te ferait rire. » (Julien, l’amoureux éconduit de Rosa, la prostituée, dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; etc.

 

Et c’est bien parce que le client et son travailleur/sa travailleuse s’empêchent d’être passionnés, de se dire « Je t’aime », de se donner en amour, en brandissant la pancarte « Interdit d’aimer » (cf. le film « Défense d’aimer » (2001) de Rodolphe Marconi, le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le roman Ya No Sufro Por Amor (2006) de Lucía Etxebarría, etc.) – comme un aveu qu’ils n’assument ni l’acte d’amour qu’ils posent sans amour, ni leur désir homosexuel, ni leur propre homophobie –, qu’ils tombent au final maladivement/passionnément amoureux entre eux, ou bien amoureux du premier inconnu qu’ils rencontrent une demi-seconde sur les lieux de prostitutions non-agréés (Internet, les saunas, les backrooms, les lieux improbables de la rencontre homosexuelle, etc.), pour ensuite s’en débarrasser comme une preuve gênante de leur fragilité (homo)sexuelle.

 

La prostituée ou le prostitué, jadis sacralisé(e) comme l’icône immaculée de la victime à sauver des griffes de la misère, comme la figure inversée du prince charmant/de la vierge (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), perd peu à peu de son prestige. Il/elle entraîne son amant vers un monde illusoire (cf. le film « L.I.E. », « Mensonge » (2001) de Michael Cuesta). La princesse du pavé retrouve son costume de Cendrillon quand les deux coups de minuit sonnent : « La vierge devient pute. » (« X », le héros homosexuel du film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka) ; « La Vierge est une pute ! Tu te rends compte, canard ? » (Philibert à son amant, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher) ; « On est toutes des salopes pour les hommes. » (Léa, la femme violée de la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe Botti) ; etc. Par exemple, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat, la femme est considérée comme « la reine des putes » par le héros homosexuel (interprété par Rocco Siffredi). Dans le film « Mauvaise Passe » (1999) de Michel Blanc, Pierre (Daniel Auteuil) quitte sa famille et s’enfuit à Londres, où il rencontre Tom (Sam Townsend), un prostitué, qui l’amène à s’enfermer dans son monde obscur de sexe et d’argent.

 

Entre le héros homosexuel et la prostituée/le prostitué, il existe un double mouvement idolâtre-schizophrène-paradoxal-divisant-passionnel d’attraction/répulsion, d’adoration/destruction… que l’on perçoit tout à fait dans le couple homosexuel fictionnel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, composé d’Omar et Khalid : tandis que Khalid dit qu’« il n’aime pas les putes », Omar s’oppose à lui par un laconique : « Moi, oui. » (p. 117)

 

On découvre derrière cette idolâtrie un lourd contentieux. La prostituée ou le prostitué finit par être détesté(e) par le héros homosexuel étant donné qu’il/elle est considéré(e) comme le père ou la mère indigne qui lui a donné la vie (par exemple, dans le roman Hawa (La Différence, 2010) de Mohamed Leftah, Zapata et Hawa, les deux jumeaux, sont le fruit de la rencontre entre un soldat américain et une prostituée ; dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, Arthur, un des héros homosexuels, est un enfant issu d’une liaison de prostitution : son père, l’écrivain bisexuel Marcel Proust, a couché avec une prostituée, pour l’avoir ; et je vous renvoie aussi au long chapitre « Maman-putain » du code « Matricide » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, ainsi qu’à la figure de la mère-maquerelle du code « S’homosexualiser par le matriarcat »). Il/elle apparaît, aux yeux du client, comme une tentation désirante dangereuse, mais également comme un souvenir désagréable d’une initiation forcée à la sexualité. Par exemple, dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, Enrique force son fils transsexuel M to F Michael à aller voir une prostituée pour le faire changer de force d’orientation sexuelle ; cela se transformera en séance de torture mentale pour le jeune homme. Dans le film « Jeux d’amour chez les jeunes filles » (1971) de F. J. Gottlieb, une mère engage une prostituée pour déniaiser son fils et l’empêcher qu’il devienne homo. Dans le film « El Transexual » (1977) de José Jara, Lorna est forcé à aller au bordel par son père pour se « convertir » à l’hétérosexualité. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco J. Lombardi, Joaquin se fait emmener par son père ultra-conservateur dans un bordel pour le faire « devenir un homme ». Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la prostituée, fouette Jules et le méprise.

 

En dépit de leur pacte de non-agression ou de neutralité, la rencontre entre le client et la prostituée/le prostitué a même pu se solder par un viol/vol réciproque. Chacune des deux parties s’est laissée surprendre négativement par son propre égoïsme/arrivisme, reflété dans l’attitude de complaisance/d’exploitation de son complice. « Malcolm n’est peut-être qu’un profiteur. Un esclave affranchi qui désormais possède le maître et se joue de lui. » (Adrien, le héros homosexuel, parlant de Malcolm, son amant-prostitué, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 59) Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homosexuel, révèle qu’il s’est jadis pris un coup de poignard par une femme. Et Quentin, son amant secret, a lui aussi eu une relation avec une prostituée (Martine) avant de se convertir à l’homosexualité. Jules Jules, sur scène, se conduit très mal avec ses deux compagnes-prostituées : il donne une gifle à Michèle (l’actrice-pétasse) et traite Martine (la prostituée « professionnelle ») de « morue » : en les attaquant, il semble vouloir réveiller en elles les prostituées-tigresses : « Vous êtes des bêtes sauvages !!! » Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, pendant qu’il fait ses mots-croisés, Léo, le héros homosexuel, réfléchit tout haut (pour finalement trouver la bonne solution : le mot « Occiput ») : « 7 lettres : prostituée assassinée ou crâne. »

 

Le héros homosexuel (proxénète ou client) dépeint alors le jeune homme/la jeune femme qu’il a voulu posséder, comme un voleur, un monstre (cf. la prostituée borgne du film « Le Trou noir » (1997) de François Ozon), un traître, un démon, un cruel tentateur, une preuve gênante de son homosexualité/de son adultère… « Gigi lui [le prince Koulotô] prit le portefeuille dans sa poche intérieure ; une liasse de billets de 500 francs roula sur le trottoir. Les deux vieux travelos se précipitèrent pour la ramasser, la mirent dans un de leurs sacs et coururent jusqu’à l’angle de la rue des Martyrs. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, pp. 88-89) ; « Avec sa bouche d’anthropophage rouge carrosserie, ses cheveux façon perruque en nylon du Crazy Horse, elle aurait pu jouer dans une parodie porno de films de vampires. » (Jason, le héros homosexuel décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 56) ; « Partir à la recherche de Greta a été comme entrer dans un des cercles de l’Enfer. » (Jane, l’héroïne lesbienne en quête de Greta la prostituée, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 177) ; etc.

 

La prostituée de l’homosexuel est souvent une prédatrice sensuelle et dangereuse, allongée comme une féline sur un canapé, en combinaison cuir (cf. la chanson « Les Liens d’Eros » d’Étienne Daho). « Assise sur le canapé, elle lisse sous ses doigts les éraflures laissées dans le cuir par les griffes de son vieux chat, mort la veille. » (cf. la description de l’héroïne lesbienne, Gabrielle, les toutes premières lignes du roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 10) Par exemple, dans la chanson « À force de retarder le vent » de Jann Halexander, la prostituée tueuse et bourgeoise fixe l’homosexuel de son regard félin, et « murmure à son chat ».

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, la prostituée lesbienne ou le prostitué masculin incarne souvent la figure de la tentation destructrice. « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’enfer. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) Dans le film « Between Love And Goodbye » (2008) de Casper Andreas, April, la sœur de Kyle, ancienne prostituée, essaie de briser le couple Marcel/Kyle. Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, Jaime, un jeune prostitué, va aider un de ses clients à tuer sa femme. Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, une prostituée lesbienne et vénéneuse, Chloé, attire dans ses filets Catherine, une femme mariée, au point de s’insérer de manière très intrusive dans sa vie ; ce triangle amoureux finira mal puisque Chloé meurt défenestrée.

 

Le prostitué/la prostituée symbolise l’allégorie du meurtre élégant, le climax du viol ou de la mort « acceptable » : « Jolie s’empara d’une brosse d’argent et le frappa sur la tête. Le Sénateur tomba la tête la première dans l’eau. » (Copi, La Vie est un tango (1979), pp. 27-28) Il est présenté(e) comme un être qui conduit symboliquement à la mort : « La jeune prostituée sortit son couteau à cran d’arrêt de son décolleté et poignarda sauvagement à la gorge la boulangère, qui se mit à râler. » (cf. la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, p. 54). Par exemple, dans le roman La Colmena (1951) de Camilo José Cela, Matiitas se tire un coup de fusil dans l’anus après s’être enfermé à l’intérieur de la chambre de la prostituée Aix qui l’a initié à la génitalité. Dans le film « Lonely Boat » (2012) de Christopher Tram et Simon Fauquet, la prostituée Macha se fait frapper par Erwann. Dans le one-man-show Parigot-Brucellois (2009) de Stéphane Cuvelier, « Big Demon » est le nom du prostitué transsexuel M to F du Bois de Boulogne. Dans le film « American Gigolo » (1980) de Paul Schrader, un gigolo est soupçonné de meurtre. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume se fait « défloré » violemment par Ingeborg, une séduisante assistante d’une station thermale norvégienne (qui lui fait un lavement d’anus en lui introduisant un tuyau). Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Alban Mann traite sa propre fille de « pute » (p. 18), et finira par la tuer, comme il a assassiné sa femme Greta, elle-même prostituée « professionnelle ». Jane, l’héroïne lesbienne, vengera les deux femmes en tuant Mann au couteau. Et tous les personnages tentent d’assassiner la prostituée, y compris celle-ci qui cherche à se supprimer : « Greta est une pute. Je l’attends. Quand elle descendra l’escalier l’escalier je lui ferai un croche-patte et je lui enfoncerai les yeux dans les orbites. » (Frau Becker, p. 213) ; « Je me souviens de deux prostituées, des belles filles, qui venaient à la clinique, et qui avaient sauté ensemble main dans la main vers la mort. » (Alban Mann, p. 234)

 

Film "Matador" de Pedro Almodóvar

Film « Matador » de Pedro Almodóvar


 

Le/la prostitué(e) fictionnel(-le)s apparaît comme le/la rebelle qui se venge en tuant son proxénète ou en se débarrassant de l’homosexuel : cf. le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz (avec le gang des prostitués-amants qui assassine Sébastien), la chanson « Il m’déroute » de Christiane Nere, la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt (avec Louna, la prostituée tueuse), le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar (avec Maria qui poignarde ses amants lors de leurs ébats amoureux), le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer (avec la prostituée de luxe qui achève le maquereau de sa sœur jumelle exploitée), le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (avec les prostituées-tueuses), la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti (avec Salomé, la dangereuse prostituée), le film « Ronde de nuit » (2004) d’Edgardo Cozarinsky, (avec la prostituée qui pousse son client sur la voie routière), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (avec Martine, la prostituée vengeresse), etc. Je vous renvoie également au code « Actrice-Traîtresse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Par conséquent, il est logique que le héros homosexuel finisse souvent par tuer la prostituée/le prostitué : cf. le film « Lonely Boat » de Christopher Tram et Simon Fauquet, la pièce Requiem pour une garce (2011) de David Sauvage, le film « De la vie des marionnettes » (1980) d’Ingmar Bergman (avec Peter Egerman), le film « Faut-il tuer Sister George ? » (1968) de Robert Aldrich, le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos (avec le meurtre iconographique de la prostituée), le film « L’Aurore » (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau, le film « Doctor Jekyll And Sister Hyde » (1971) de Roy Ward Baker, le film « Games That Lovers Play » (1971) de Malcolm Leigh, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec le meurtre final), le film « L’Année des treize lunes » (1978) de Rainer Werner Fassbinder, le film « El Asesino De Muñecas » (1975) de Michael Skaife, le film « Armaguedon » (1976) d’Alain Jessua, le film « Sometimes Aunt Martha Does Dreadful Things » (1971) de Thomas Casey, le film « Intimate Confessions Of A Chinese Courtesan » (1973) de Chu Yuan, le film « Tubog Sa Ginto » (1971) de Lino Brocka, le film « Amours mortelles » (2001) de Damian Harris, le film « En El Paraíso No Existe El Dolor » (1995) de Víctor Sacca, le film « Rocher d’Acapulco » (1994) de Laurent Tuel, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (où Loïc pousse sa meilleure amie Marie – qu’il a traitée de « pute » – au suicide), le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki (avec la scène de maltraitance du héros lors d’un « plan cul » qui tourne mal), le film « Colloque de chiens » (1977) de Raoul Ruiz (avec Monique, l’ex-prostituée qui se suicide), la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy (avec « Lola Lola », la danseuse découpée en morceaux dans une malle), etc. « C’était une putain. Rien n’était assez bon pour lui. […] Il avait la peau douce comme une fille. » (Felix Tesla après avoir tué le prostitué Leland, dans le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas) ; « Les filles qui se font violenter sont souvent hyper sexualisées. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 55) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Los Ambiguos (1922) d’Álvaro Retana, la prostituée est tuée car c’est elle qui envoie le personnage homosexuel de Julio à la prostitution. Dans le roman Moïra (1950) de Julien Green, le protagoniste homosexuel étrangle la prostituée qui le force à la sexualité. Dans le film « Pulsions » (1980) de Brian de Palma, Bobbi, un transsexuel M to F en devenir, tue les femmes trop désirables et sexuellement trop actives. Dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, João, le héros transsexuel M to F, maltraite Loretta. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Alejandra, traitée de « pute » par Raúl, l’un des héros homosexuels, finit par achever au couteau de cuisine ce dernier qui allait la tuer. À la fin de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le Baron Osvald Lovejoy, homosexuel, tue Scarlett, la prostituée, avec son flingue. Dans le film « Jagdfzenen Aus Niderbayern » (« Scènes de chasse en Bavière », 1969) de Peter Fleischmann, Abram, le héros homosexuel, poignarde « la Tonka » au ventre (« Je lui ai crevé son ventre ! », dit-il en la traitant de « prostituée ») parce qu’elle lui avait annoncé qu’elle était enceinte de lui ; il finit par la battre à mort, en l’insultant violemment (« Tu vas te taire, salope !! »). Dans le film d’épouvante « In The Blood » (« Dans le sang », 2006) de Lou Peterson, un jeune homme donne rendez-vous à un prostitué latino ; et ça finit mal, bien sûr !

 

Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la jolie prostituée, fait promettre au jeune Moustique qu’elle a dépucelé de jouer à un jeu jusqu’au bout. Ce dernier promet avant de savoir quelle en est la teneur : « À quoi on joue ? » demande-t-il, excité. Il déchante quand elle lui demande de lui enfoncer dans le ventre un gros couteau de cuisine : « Tu vois ce couteau ? Tu vas me l’enfoncer dans le ventre. C’est pour avoir une chance. Une chance sur deux. » Par « amour », il va obéir à sa demande. Mais, pris de remord, Moustique se jettera dans les bras de la prostituée nommée « Quarante », comme si c’était lui qui avait reçu le coup de couteau : « Pourquoi elle m’a fait ça, Quarante ? »

 

Le meurtre de la prostituée/du prostitué ressemble finalement en tous points au meurtre homophobe, suscité par l’homosexualité pratiquée. Par exemple, dans la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, une boulangère laisse sa propre fille se prostituer sur le trottoir juste en face de sa boutique, et va chercher à s’en débarrasser : « La jeune prostituée pissait sur le trottoir (pour ce faire, elle avait soulevé sa mini-jupe en lamé, elle n’avait même pas de caleçon, le petit caniche léchait son urine dans le caniveau). » (p. 51) ; « La jeune prostituée jaillit de derrière la voiture et projeta un pavé sur la vitrine qui vola en éclats. Mme Pignou fut blessée au front par un éclat de verre. » (idem, p. 53) ; « La boulangère allait dans l’arrière-boutique et revenait avec un fusil de chasse. Elle visa la vitrine, tira à plusieurs reprises, plusieurs œufs volèrent en éclats. La jeune prostituée poussa un cri et alla se cacher derrière une voiture. ‘Je l’ai ratée, la pute !’ s’écria la boulangère. » (p. 53) ; « La jeune prostituée s’effondra sur la chaise en formica et se mit à sangloter, se maculant les joues de ses mains inondées du sang de la boulangère. » (idem, p. 55) Mme Pignou reproche en réalité à sa fille leur gémellité d’actions, puisqu’elle a été jadis prostituée aussi : « Je suis une ancienne fille de joie. » (p. 52) L’acte prostitutif et l’acte homosexuel peuvent avoir le même effet réverbérant violent que celui qu’on observe dans le cas des actes homophobes. L’agresseur ne supporte pas d’identifier chez sa victime leur faiblesse commune, observable dans le fait que cette dernière s’adonne à son désir homosexuel ou bien dans le fait qu’elle l’encourage efficacement à la prostitution… donc il attaque l’objet de son désir/de l’aveu de sa propre faiblesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cas d’homophobie fictionnelle ont souvent lieu dans des contextes prostitutifs, et sont des actes peu contrôlés, très pulsionnels, limite voulus narcissiquement amoureux et positivement sacrificiels. Le héros homosexuel érige un bûcher en l’honneur du prostitué/de la prostituée pour lui prouver qu’il/elle est éternel(le), pour lui démontrer qu’il l’aime à (l’)en (faire) mourir : « La jeune prostituée était devenue une torche vivante, elle courait dans tous les sens, s’écrasant contre les derniers miroirs qui volaient en éclats. » (idem, p. 55)

 
 

e) À la recherche du sceptre du machisme perdu :

Pour conclure, ce qui unit le prostitué/la prostituée et son client, en plus de la mort (celle-ci ne sera finalement que l’issu de ce que je vous annonce), c’est une idolâtrie (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Ils convoitent tous deux le pouvoir narcissique par excellence, à savoir le désir machiste du mâle cinématographique (dans sa version plutôt porno), du Super-héros à la génitalité affranchie de la sexualité et du sentiment, et de la femme fatale croqueuse d’hommes (par exemple, Mylène Farmer dans le vidéo-clip de sa chanson « California »). La prostitution et l’homosexualité pratiquée, à ce titre, peuvent se définir comme l’appropriation « fière » du machisme. Dans les fictions, les personnages homosexuels pratiquants et les prostitué(e)s fictionnel(le)s ont en commun d’être la même projection intériorisée du viol : ils disent vouloir ardemment et sans influence ce à quoi le réalisateur machiste les a persuadé de s’abaisser. « Ton métier, c’est de te faire violer. » (David s’adressant à son frère prostitué Dodge, dans le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern) ; « Je veux que tu me butes. » (la prostituée s’adressant à Dick son client bisexuel, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; etc. Ils veulent aimer/être aimés comme ils imaginent qu’un homme cinématographique aime et « fait l’amour » à la femme-objet… donc avec toute-puissance, brutalité, et pourquoi pas dans la soumission aussi (inversion « démocratique » des rôles oblige !). Ils ré-instaurent sans s’en rendre compte les codes pornographiques du machisme asexué le plus abject. Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, l’héroïne lesbienne, est à la recherche de prostituées avec qui avoir des aventures, et cherche à imiter les hommes machos qu’elle jalouse. « Je le comprends et j’envie sa vie de noceur ! Ces hommes-là ont compris la valeur de ce qu’ils louent. Si j’en trouve le moyen, je veux connaître cet instant où, en payant le prix, je pourrai choisir et monter avec une femme pour lui faire tout ce que j’aime… Je voudrais être cet homme qui va au salon, rencontre, paye et s’en va, sans séduction, sans attendre, comme un animal. » (p. 34) ; « Ayant remarqué mon petit manège, elle [la prostituée] s’avança, certaine cette fois que j’étais revenue pour elle. […] Elle me prit par le bras et m’entraîna dans un coin sombre, comme elle devait le faire pour décider le client quand il n’était pas sûr de lui. Elle ouvrit un peu mon manteau et chercha entre mes jambes ce qu’il n’y avait pas. Elle entreprit de me palper plus avant. Je me mis à la regarder bien en face. […] Elle m’attrapa le bras violemment. Terrorisée, j’eus l’énergie de m’enfuir, courant comme je le pouvais dans mon accoutrement, manquant de trébucher dix fois sur mon pantalon trop long… Je l’entendis qui disait quelque chose comme : ‘J’ai d’la moralité, moi !’ Puis, très clairement, le mot ‘ordure’ claqua dans la nuit. » (pp. 40-41) ; « L’amour de Marie était devenu assez pesant. […] Maintenant que je l’avais possédée, je n’avais plus vraiment de désir pour elle. Sans doute aurais-je aimé vivre comme beaucoup d’hommes, sans cesse en recherche de nouveauté, tout à la joie de la découverte. […] Si j’avais été une femme qui prenait du plaisir avec les hommes, j’aurais sans doute été une courtisane, ou pis encore… » (pp. 207-208)

 

Par la pratique de la prostitution, le/la prostitué(e), tout comme son client, prétendent « inverser/transcender les rapports de domination femme-homme », bref, gommer la différence des sexes, ou bien l’incarner à eux seuls (cf. le film « Prends-moi » (2005) d’Everett Lewis). « Oui, j’étudie les hommes depuis des années, professionnellement… un peu comme une prostituée en somme… » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc, converti à l’homosexualité, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je ne suis pas une putain, c’est moi qui paie ! » (Maria-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 36) ; « Je suis déjà sorti avec une femme. Finalement, je suis devenu gay ; elle, actrice porno. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Dans les fictions homo-érotiques, la prostitution n’est pas simplement une violation de la différence des sexes. Elle se double d’une violation de la différence des générations (= inceste) et de la différence des espaces (= racisme). C’est la raison pour laquelle beaucoup de créateurs homosexuels figurent la relation mère-fille comme une union transsexuelle maquerelle-prostituée (dans laquelle, bien souvent, les rôles s’interchangent d’ailleurs, puisqu’il s’agit concrètement d’une schizophrénie, de l’expression d’une transsidentité cynique). Par exemple, dans l’œuvre théâtrale et romanesque de Copi, ce duo maman-fille prostituées est un grand classique. « Ma mère, que fais-tu ici ? Je t’ai interdit de venir traîner dans mon territoire ! » (Lou parlant à sa mère Solitaire à Montmartre dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)

 

B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi (cf. planche "Telle mère telle fille")

B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi (cf. planche « Telle mère telle fille »)

PROSTITUTION Telle mère 2
 

On l’observe aussi dans beaucoup de spectacles travestis ou transsexuels. Notamment, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, « relooke » sa nièce Claire comme une pute et la laisse sur un parking pour qu’elle fasse son apprentissage de la « sexualité »… ou plutôt de la prostitution. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, trois générations de prostituées (grand-mère, mère et fille) se succèdent (« Oui, j’ai fait carrière au bois… » dit la mère), s’injurient entre elles (« Toutes des putes ! Même maman ! »), et ne sont que les trois facettes d’un même désir de se mépriser et de déprimer en rigolant (« J’suis totalement dépressive ! » ; « Ridicule, oui, mais pas médiocre ! »), quitte à prendre la terre entière pour une nation de prostituées damnées (« Mes sœurs salopes, prenez le taureau par les couilles ! » conclut la fille Gwendoline).

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Un lien existant entre homosexualité et prostitution :

PROSTITUTION Koltès

Pièce « Dans la solitude des champs de coton » de Bernard-Marie Koltès


 

Même dans le réel, il existe des rapports étroits entre homosexualité et prostitution. Dans toute société humaine, à n’importe quelle époque, et dans n’importe quel pays, ils sont constatables (et je ne parle pas que de la prostitution masculine en disant cela : je me réfère aussi à la prostitution féminine !). Souvent, le pratique des actes homosexuels et de la prostitution coïncident avec des contextes de misère, de crise, de pauvreté, de dictatures, et de guerres. « En relisant les écrits des auteurs latins, on en arrive à se convaincre qu’à Rome, la prostitution masculine était presque aussi générale et aussi ardente que la prostitution féminine. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 126) ; « Les familles patriciennes avaient coutume de donner à leurs fils, à partir du jour de leur puberté, un jeune esclave qui partageait leur lit et qui était destiné à satisfaire leurs premiers élans voluptueux. Les jeunes esclaves portaient des cheveux flottants. Le jour de son mariage, le jeune Romain qui voulait indiquer sa fidélité à son épouse, faisait couper les cheveux à ses esclaves. La loi romaine ne permettait cette prostitution que chez les esclaves, les affranchis, les étrangers. Le châtiment de mort n’intervenait que pour les hommes libres. » (idem, p. 127) ; « Dans un tract politique nazi du 16 septembre 1919, on pouvait lire ce slogan : ‘L’Allemagne est en train de devenir une ‘maison chaude’ pour les fantasmes et l’excitation sexuelle.’Cette formule correspondait à une réalité certaine. Des touristes du monde entier venaient à Berlin, parce qu’elle était surnommé ‘Sin City’… On pouvait même trouver des filles de 10-11 ans portant des habits de bébés qui se promenaient de minuit à l’aube en concurrence avec des blondes luxuriantes, nues dans leurs manteaux de fourrures. Ou avec des garçons habillés en poupées, poudrés, les yeux faits, et du rouge aux lèvres. Pas moins de deux mille prostitués mâles sillonnaient les rues de Berlin, tous listés par la police. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 31) ; « Si l’Occupation [1942-1944] avait radicalement supprimé la progression de la drogue en France, elle y avait en revanche développé l’homosexualité. Assez répandue outre-Rhin, la pédérastie s’étendit à la suite du passage des soldats allemands dans notre pays. Jusqu’alors, elle était le fait de quelques intellectuels ou de quelques blasés qui constituaient une confrérie très fermée. Les véritables invertis physiologiques se montraient encore plus discrets. Bref, la pédérastie n’était pas descendue dans la rue. Par goût, par entraînement, par intérêt, par lâcheté, de nombreux jeunes gens, et des moins jeunes, subirent l’initiation germanique. À la Libération, l’arrivée des Nord-Africains, les difficultés économiques, la fermeture des bordels, encouragèrent cette vague d’homosexualité. Pour la première fois à Paris, il existait une prostitution masculine avouée sur les trottoirs de Saint-Germain-des-Prés. C’est pourquoi la loi d’avril 1946 sur la prostitution n’établit aucune distinction de sexe. » (André Larue, Les Flics, 1968) ; « Les prostitué(e)s et les homosexuels sont les proies privilégiées des polices des mœurs partout dans le monde. » (Gayle Rubin, Marché au sexe (2001), p. 95) ; « Bien à l’âge de neuf ans, j’ai été abusée sexuellement par un adolescent et sa sœur. J’ai alors expérimenté une activité hétérosexuelle et homosexuelle affreuse à un très jeune âge et en même temps, j’étais élevée par la télévision – j’avais la permission de regarder des films réservés aux adultes, des films d’horreur, des films à contenu sexuel, donc mon éducation à l’amour et au sexe s’est faite par l’abus et en gros par la négligence parentale, puisqu’ils nous autorisaient à regarder ces choses. » (Shelley Lubben, ex-actrice porno) ; « Je pourrais également être prostitué – et même travesti, navré si cela vous choque. Violé à l’âge de 12 ans, j’ai grandi dans une famille où l’inceste était monnaie courante. Les hommes de mon enfance – à commencer par mon père – n’étaient pas à la hauteur. Pire, ils auraient dû me dégoûter d’être un homme. » (Père Jean-Philippe, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 17) ; etc.

 

Il existe de nombreux croisements indirects entre la pratique de la prostitution et l’émergence de l’homosexualité. Dans certains pays, les actes homosexuels et prostitutifs génèrent d’ailleurs les mêmes châtiments (lapidation, meurtre, emprisonnement, peine de mort, etc.). Par exemple, dans son roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011), Jean-Claude Janvier-Modeste raconte comme lui/son personnage s’est fait lapider par les gens de son village en Martinique à cause de son homosexualité.

 
 

b) La prostitution pratiquée :

Certaines personnes homosexuelles se prostituent réellement, et racontent leur expérience : Berthrand Nguyen Matoko, John Rechy, Rupert Everett, Arthur Rimbaud (qui « s’encrapulait » avec de vieux messieurs : il écrivit à son ancien professeur Izambard qu’il se faisait « cyniquement entretenir »), Antonio Ruiz, Quentin Crisp, Joey Stefano, Richie McMullen, David Wojnarowicz, Aiden Shaw, tous les acteurs porno, etc. « Ali couche avec des hommes plus âgés qui le payent, ou accepte de se louer  comme escort-boy. En somme, il se prostituait… » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 105) Cette réalité n’est pas très connue car non seulement la prostitution est un acte honteux, mais en plus, elle est en général mêlée aux crimes homophobes. Par exemple, le documentaire « Moi, Luka Magnotta » (2012) de Karl Zéro et Daisy D’Errata retrace la vie de Luka Magnotta, le premier web killer de notre époque, escort boy, strip-teaseur, acteur porno occasionnel et mannequin raté. En Suède, un ex-président de l’Inter-LGBT suédois RFSL a été condamné à 5 ans de prison pour abus sexuels graves sur 5 jeunes hommes, incitation à la prostitution par ses victimes pour financer ses achats alimentaires… et de drogues.

 

Je vous renvoie à l’essai Doubles Vies : Enquête sur la prostitution masculine homosexuelle (2010) d’Hervé Latapie, à l’autobiographie Arthur X. : Mémoires d’un travesti prostitué homosexuel (1850-1861) de H. Legludic, à l’autobiographie The Basketball Diaries (1963) de Jim Carroll, à l’autobiographie Sex Workers As Virtual Boyfriends (2002) de Joseph Itiel, à l’autobiographie My Father And Myself (1968) de J. R. Ackerley, à la biographie Enchanted Boy (1989) de Richie McMullen, à l’autobiographie Close To The Knives (Au bord du gouffre, 1991) de David Wojnarowicz, à l’essai American Studies (1994) de Mark Merlis, à la biographie Assuming The Position : A Memoir Of Hustling (1999) de Rick Whitaker, au roman partiellement autobiographique L’Enfant ébloui (1995) de Rachid O, à l’autobiographie Red Carpets And Other Banana Skins (2006) de Rupert Everett, à la biographie Wonder Bread And Ectasy : The Life And Death Of Joey Stefano (1996) de Charles Isherwood, à l’autobiographie Chicken : Self-Portrait Of A Young Man For Rent (2002) de David Henry Sterry, aux documentaires « Four Rent Boys And A Sangoma » (2003) de Catherine Muller, « Rue Curiol » (2013) de Julian Ballester, « Le Beau Mec » (1978) de Wallace Potts, « Les Mille et un soleils de Pigalle » (2006) de Marcel Mazé (deux jeunes Maghrébins témoignent de leur quotidien dans des sex-shops parisiens dans lesquels ils travaillent en tant que gigolos), « Tierra Madre » (2011) de Dylan Verrechia (Aidee est lesbienne et strip-teaseuse), « Not Angels But Angels » (1994) et « Body Without Soul » (1996) de Wiktor Grodecki (sur la prostitution masculine à Prague), « Vestida De Azul » (1977) d’Antonio Giménez Rico, « 101 Rent Boys » (2000) de Barbato et Bailey, « Femminielli » (1993) de Michele Buono, Carmine Fornari, et Piero Ricciardi, « Oliver » (1983) de Nick Deocampo, « El Lugar Sin Límites » (1978) d’Arturo Ripstein (sur l’homosexualité au Mexique), « Night Scene » (2004) de Cui Zi’en, « Les Garçons du trottoir » (2003) de Ruthie Shatz et Adi Barash, « Yawmeyat A’her » (« Journal d’un prostitué », 2001) de Tawfik Abu Wael, « Out In Africa » (1994) de Johnny Symons, « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut, « Super 8 ½ » (1994) de Bruce LaBruce, « Portrait Of Jason » (1967) de Shirley Clarke, « Maybe I Can Give You Sex ? » (« Peut-être puis-je vous proposer mes faveurs sexuelles ? », 1992) de Rune Layumas et Jurgen Bruning, « A Kind Of Family » (« Une Sorte de famille », 1992) d’Andrew Koster, « Boys From Brasilia » (1993) de John-Paul Davidson, le film « Hooks To The Left » (2006) de Todd Verow, etc. Je vous encourage aussi à consulter la thèse (1987) de Néstor Perlongher sur la prostitution des Michês au Brésil, ainsi que les reportages de Maryse Choisy dans le milieu des prostituées, et les précieux travaux de Michel Dorais, Peter Aggleton, Cudore L. Snell, Robert P. McNamara, Leon E. Pettiway, Robin Lloyd, sur la prostitution masculine.

 

Actuellement, les lieux de drague homosexuelle (pissotières, jardins publics, saunas, aires d’autoroute, métro, librairies spécialisées, cinéma, Minitel, Internet, plages nudistes, forêts, etc.) permettent aux réseaux de prostitution masculine de s’installer et de s’étendre en toute discrétion.

 

Dans ma vie, j’ai déjà eu l’occasion de rencontrer, parmi mes amis homosexuels, des jeunes hommes qui se prostituent. Et ceux-là, généralement, tendent immédiatement l’oreille ou me demandent tout de suite la carte de visite de mon site dès qu’ils entendent que j’ai traité dans mes écrits des liens non-causaux entre désir homosexuel et viol ! Et ne croyez pas que ces amis soient forcément des garçons honteux de leur « gagne-pain » occasionnel, ou qu’ils crèvent la faim ! Bien souvent, ils vivent parallèlement une vie de « couple bien rangé » avec un partenaire régulier, et font le tapin juste pour arrondir les fins de mois ! J’en connais même qui sont de vrais « fils à papa », de famille bourgeoise, bien sous tous rapports, et qui se déplacent pour « tailler des pipes » à la Défense à de jeunes ingénieurs rencontrés sur Internet ! Donc je suis loin de « glauquiser » la prostitution. L’horreur a quelque chose de très banal par moment.

 

Par ailleurs, des personnes homosexuelles sont véritablement des clients de prostitué(e)s, même s’il n’est pas de bon ton de le révéler : Frédéric Mitterrand, Pier Paolo Pasolini, Rudolph Moshammer, Jean Genet, William S. Burroughs, John Rechy, Marcel Proust (qui a même créé son propre bordel !), tous les hommes et toutes les femmes fréquentant des saunas/les bars/les clubs pour y pratiquer l’homosexualité, etc. « Il est très difficile de trouver des témoignages de clients. Ils se sentent souvent honteux. Les médias les montrent comme des monstres ! » (Hervé Latapie cité dans l’article de Lucile Roger, sur le Têtu du vendredi 15 janvier 2010) Par exemple, le 3 avril 2012, Richard Descoings, le directeur de Science-Po Paris, homme marié, est retrouvé mort à 53 ans, nu sur son lit, suite à une crise cardiaque, dans un hôtel de New York : il s’acoquinait avec deux escort-boys qui ont pris la fuite. « Lors de mes rencontres anonymes, j’étais ce que l’on appelle un client. Je ne faisais rien pour procurer du plaisir à l’autre, ou du moins pas de manière délibérée. Lorsque je suis devenu trop vieux pour recevoir ce genre d’attentions de la part des jeunes, j’ai payé avec plaisir, me libérant ainsi du souci d’avoir à contenter quiconque, de quelque façon que ce soit. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 349) ; « Arrive pour Stéphane le service militaire, il déserte, disparaît pendant des mois dans les bas-fonds de Paris où j’ai fini par le retrouver, est repris, mis en asile psychiatrique militaire, et est gracié sur intervention de Mme Mitterrand, à la prière d’un haut fonctionnaire qui, épris de son charme, désirait avoir avec lui une liaison durable, une union. Cet amoureux malheureux téléphonait nuitamment à Estelle, la mère de Stéphane, en la suppliant, en vain, d’obtenir de son fils que ce fils adopte pour cela une conduite plus « cohérente » (c’était son mot) : ne plus se prostituer, cesser d’être dealer. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), pp. 236-237) ; « C’est là que Magnus Hirschfeld rencontre Li Shiu Tong, surnommé Tao Li, un jeune étudiant en médecine qui devient son compagnon. L’écart d’âge entre les deux est de 40 ans. Tao Li a donc 25 ans au début de leur liaison. Liaison hors du commun, homosexuelle, interraciale, intergénérationnelle. En outre, elle n’est pas monogame, puisque Hirschfeld garde sa relation avec Karl Giese. Ce ménage à trois ne vivra pas sans problème. Hirschfeld entretient financièrement ses deux amants. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 113) ; etc.

 

Certaines personnes homosexuelles cautionnent la prostitution, tout en reconnaissant lucidement ses limites : « J’ai pris le pli de payer pour les garçons. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 161) ; « Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément. […] L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système. » (idem, p. 315) Selon Marcel Proust, par exemple, la catégorie des hommes invertis formait une « race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et la parjure, à qui est presque fermée la possibilité de cet amour dont l’espérance leur donne la force de supporter tant de risques et de solitudes, puisqu’ils sont justement épris d’un homme qui n’aurait rien d’une femme, d’un homme qui ne serait pas inverti et qui, par conséquent, ne peut les aimer ; de sorte que leur désir serait à jamais inassouvissable si l’argent ne leur livrait pas de vrais hommes, et si l’imagination ne finissait par leur faire prendre pour de vrais hommes les invertis à qui ils se sont prostitués. » (Marcel Proust, 1972, p. 16)

 
 

c) Les prostitutions parallèles, non-officielles, dites « éthiques », « gratuites », et se faisant passer pour de l’Amour :

Il arrive que la relation de prostitution dure un peu plus de temps que prévu entre les amants de la prostitution (à savoir le binôme prostitué/client, ou bien prostituée/client, ou encore prostitué/cliente). Certains couples décident de s’entretenir dans la consommation, trouvent un « p’tit arrangement à l’amiable ». Généralement, leur relation amoureuse est placée sous le signe de l’argent : « En 1942, lors d’un voyage à Cannes, je fis, dans un cabaret la connaissance d’un jeune barman. Pour le revoir, pour être plus souvent à ses côtés, je poussai même la folie jusqu’à louer un appartement dans l’immeuble qui abritait le cabaret. Tous les jours, à la même heure, j’étais là, rivé au comptoir, afin de bavarder un peu avec lui. Pour lui, je dépensais sans compter. Un soir, enfin, tous mes espoirs furent satisfaits… Stupidement, je lui offris – luxe suprême à l’époque – une moto. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, pp. 86-87) ; « J’ai toujours su que je me prostituais. Pour rien. Pour un Mickey Parade et une soirée télé, une religieuse au chocolat et des fraises Haribo, un tour en voiture ou une séance de cinéma avec sa glace à la vanille. Peut-être aussi parce que tout simplement, Didier était infiniment gentil avec moi. Infiniment attentionné. » (Christophe Tison, Il m’aimait (2004), p. 76)

 

Parfois, le fait que le duo client/prostitué(e) s’attribue l’étiquette identitaire ou amoureuse d’« homosexuels » ou de « couple » change la donne, non dans les faits (… car le consentement n’est pas la liberté ; le plaisir et la tendresse font partie de l’Amour, mais ne se supplantent pas à Lui), mais au moins dans les esprits. Ils ne se considèrent plus comme des clients ou des prostitués l’un par rapport à l’autre, ne voient plus leur relation comme une prostitution… même s’ils finissent par se rendre compte que cela revient au même : « Par la porte entrouverte, j’apercevais un étranger, couché dans mon lit, satisfait après notre affreuse passion. Qui était-il ? qui nous avait poussés l’un vers l’autre, comme ‘les autres’ vers les putains ?… Quelle impasse ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 98) ; « Quand j’étais un peu plus jeune, j’ai connu des hommes assez riches. Je n’ai pas fait de prostitution, non, disons que je me faisais gâter. » (Bruno, un gars bisexuel de 25 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 206) ; « Pour la première fois, j’eus l’impression de faire la pute. Le tapin. J’adoptais l’attitude la plus faussement détachée possible, ne regardant rien, fixant tout. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 213) ;

 

Il n’y a pas que l’argent qui nourrit la prostitution et la consommation entre partenaires homosexuels/bisexuels. S’il n’y avait que de la monnaie sonnante et trébuchante, on comprendrait pourquoi l’âge des prostitué(e)s serait fixe et prioritairement bas, et pourquoi l’âge ou la classe sociale des clients serait forcément élevé(e), de manière inversement proportionnelle. Or on constate que la prostitution n’a pas d’âge ni d’argent précis, qu’elle peut être pratiquée entre jeunes, ou entre personnes « plus âgées », ou entre pauvres, ou entre riches, et qu’elle jouit d’autres moteurs : le besoin d’affection, la tendresse, le contentement des sens et des corps, la célébrité, l’ascension sociale, l’esthétisme, l’interdit, la clandestinité, les cadeaux (voyages, habits, bijoux), le sexe, la sincérité, etc.

 

Bon nombre de romanciers, de chanteurs et de réalisateurs homosexuels prennent comme cadre amoureux homosexuel des récits où se mêlent monde bourgeois et monde underground du prolétariat facile à acheter (Bernard-Marie Koltès, Hervé Guibert, Patrice Chéreau, Marcial di Fonzo Bo, Marcel Proust, Jann Halexander, Philippe Besson, etc.). Le tourisme sexuel et artistique sert de « bonne » excuse pour pratiquer une prostitution sans complexe ! Je vous renvoie au titre évocateur de l’autobiographie Escapades Of A Gay Traveler : Sexual, Cultural, And Spiritual Encounters (2003) de Joseph Itiel, racontant des tribulations prostitutives aériennes ! Énormément de photographes homosexuels ont choisi pour modèles « artistiques » des prostitués : Alberto Sorbelli, Larry Clark, Terry Richardson, Nan Goldin, Wolfgang Tillmans, Jack Pierson, Wilhelm von Gloeden, Philip Lorca di Corcia, etc.

 

Les transactions et les exploitations continuent de se faire ! Seule la monnaie d’échange varie : dans certains cas, ce sont les corps qui remplacent les billets… d’où l’impression que l’argent a disparu, qu’il s’agit d’une prostitution gratuite et désintéressée, que la corruption n’existe plus, voire même qu’une homosexualité s’assume pleinement !

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, on observe que, sous couvert de justification de l’« amour » homosexuel et de la possibilité de l’orgasme 100% féminin, le réalisateur et toute son équipe ont basculé dans le machisme inconscient du proxénète. En effet, dans l’histoire, Adèle et Emma, les deux femmes en « couple », passent leur temps à s’insulter de « sale pute », de « traînée », de « prostituée », ou bien se proposent de « se payer en nature » au moment de la réconciliation sur l’oreiller. Quant à l’ambiance sur le tournage, Kechiche a tellement poussé à bout ses actrices pour qu’elles se fassent jouir devant sa caméra que ces dernières ont avoué à des journaux qu’elles s’étaient senti traitées comme des « prostituées » … même si la carotte de la « bonne cause », l’excuse du « rôle artistique » et la récompense de la Palme d’or, ont réussi à atténuer cette violence.

 

Certains couples (homos) pensent naïvement qu’à partir du moment où ils ne s’échangent pas de matériel (ce qui reste à prouver… car la première matière, c’est leur corps), à partir du moment où un (timide) consentement/un plaisir/une générosité a été échangé entre partenaires sexuels, à partir du moment où il n’y a pas eu que de l’égoïsme, il n’y a forcément plus de consommation et d’exploitation mutuelle du tout ! Que de la liberté et de l’amour ! Par exemple, dans la publicité pour Kwixo (mars 2012), un maître-nageur se fait palper par un ami pour une question d’argent… et finit par aimer ça : « Tu sais, Éric, j’aimais bien quand tu cherchais mon porte-feuille. »

 

 

Il arrive que certains individus homosexuels, bercés par leurs illusions d’amour ou stimulés par leurs pulsions, se mettent à justifier tout type de prostitutions comme un acte banal, magique, un loisir « plaisant et naturel » : c’est comme cela qu’on peut considérer, par exemple, la forte consommation de pornographie chez la plupart des personnes homosexuelles (petit rappel historique : la « démocratisation/banalisation » de la pornographie est très récente : rien qu’en France, elle est arrivée seulement en 1975). Ils nous présentent les prostitués comme des « Messieurs-Tout-le-monde » sans problème, arrivant à concilier leur activité prostitutive avec leur quotidien. Le film « Boy Wonder » (2005) de Kery Isabel traite justement de la double vie d’un homme alternativement « normal » et travesti prostitué. Par ailleurs, des essais comme ceux de Maria Nengeh Mensah (Luttes XXX : Inspirations du mouvement des travailleuses du sexe, 2012) tentent de décriminaliser la prostitution, de la présenter comme une réponse « logique et justifiée » à une oppression machiste et patriarcale.

 

Il arrive que des individus homosexuels et/ou féministes se mettent à célébrer la prostitution comme une transgression « géniale », « forte », « anti-conformiste », « jusque-boutiste », « anormative », « inversante », « émancipante », « responsable », « libre », « révolutionnaire », « couillue ». « Il y a des garçons et des filles à qui l’on donne cent euros, une poignée de dollars, parce qu’ils les valent et que ça nous simplifie l’existence. On appelle ça le sexe, et c’est très bon pour la santé. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 190) ; « Interdire la prostitution, et pourquoi donc ? » (idem, p. 212)

 

Par exemple, dans le documentaire « Mamá No Me Lo Dijo » (2003) de Maria Galindo, certaines femmes lesbiennes féministes se mettent à justifier un « droit à la prostitution féminine ». Dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), Alberto Mira parle de la prostitution comme d’« une pratique qui devrait être démystifier » (p. 266). Dans la partie « Éloge ambigu du contrat » de son autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Barthes défend également la prostitution. Dans l’émission Ça commence aujourd’hui (spéciale « À moins de 20 ans, elles sont tombées dans la prostitution ») sur France 2 diffusée le 17 mars 2023, Alexia, jeune ex-prostituée (avec des hommes), se découvre exclusivement lesbienne et dit que l’homosexualité l’a aidée à se réconcilier avec son corps.

 

Cette justification de la prostitution peut se faire par défaut, par pur sexisme. C’est souvent ce qui arrive à des associations féministes comme Ni putes ni soumises, qui ne voient la prostitution que sous le prisme manichéen de la domination des hommes par les femmes, et non comme ce qu’elle est vraiment : un machisme qui n’a pas de sexe spécifique. Elles oublient un peu vite qu’il existe une exploitation de l’homme sur l’homme, ou de la femme sur l’homme, qui s’appelle aussi « prostitution masculine », « nymphomanie », « banque de sperme », « PMA », « cougarisme », et j’en passe.

 

À en croire ces libertins militants, il existerait une prostitution « éthique », « bio », « multi-culturelle », « poétique », « gratuite », « transcendant la vulgarité de la prostitution payante ou du mariage ». « Je vais être obligé d’avouer quelque chose d’un peu personnel. Moi, j’ai toujours été attiré par les pissotières, par ce contact, par ce qui se passe entre des corps étrangers qui se rencontrent au départ pour uriner, et au bout de quelques secondes, de quelques minutes, ça se transforme en autre chose. J’ai toujours trouvé ça très poétique, très entraînant, et je dois avouer que ça me rappelle la sexualité enfantine de groupe que j’ai eue avant l’âge de 12 ans. J’ai pris ma retraite sexuelle à l’âge de 12 ans. Entre l’âge de 12 et 22 ans, il s’est rien passé. Et cette fascination pour les pissotières rejoint un peu ça : ce côté gentil, bienveillant, ce côté étranger et tout d’un coup on se donne l’un à l’autre, pendant un p’tit moment, et complètement dans l’interdit… Malheureusement, il n’y a plus de pissotières à Paris. » (le romancier Abdellah Taïa à l’émission Homo Micro du 25 septembre 2006, sur Radio Paris Plurielle) ; « Cette cérémonie [de la prostitution entre les jeunes Indiennes et des marins] qui perpétue le viol possède un atout : elle exclut le mariage. Le couple argentin, dès le mariage, ne se parle plus. » (le dramaturge argentin Copi en août 1984 à Paris, cité dans la biographie du frère de Copi, Jorge Damonte, Copi (1990), p. 90)

 

La réalité de la violence de la prostitution masculine peut être également euphémisée et romantisée en goût du voyage (on parle concrètement de « tourisme sexuel »), en aide humanitaire (on parle d’« escort-boys »), de rencontre des Peuples (on parle d’« amants exotiques ») : cf. l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, le documentaire « Not Angels But Angels » (« Rien que des anges », 1994) de Wiktor Grodecki, etc.

 

Il y a quelque chose de complètement paradoxal dans la participation des personnes homosexuelles – pourtant souvent lettrées, esthètes, éduquées, spirituelles, réputées « raffinées » et « romantiques », à priori peu vénales – à la prostitution (et je vous renvoie directement à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses » et au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour mieux me faire comprendre). Il y a aussi un vrai paradoxe à ce que certains individus (parfois « homosexuels refoulés », mais pas que ; ils peuvent aussi être de souche populaire, d’une culture étrangère très religieuse et homophobe ; ou bien des « fils à papa » qui n’ont pas besoin d’argent) se lancent dans le métier de la prostitution homosexuelle. Le déni du prostitué homosexuel ou de son client se fige parfois en posture interrogative esthétisée : « Je me découvrais dans la confrontation entre le garçon que j’étais et l’argent qui dominait. Pourtant, je continuais à m’entêter et par-là même, de manière très troublante, prouvais une détermination à vouloir foncer et à repousser la haine qui naissait de ces rencontres. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 109) ; « J’étais très naïf et idiot, m’attachant à l’argent, et à une sorte de défi qui m’empêchait de dénoncer ma propre honte. » (idem, pp. 113-114) ; « Comment, osais-je me dire, que j’allais être un prostitué ? » (idem, p. 116)

 

En général, la violence de la prostitution est toujours être atténuée et excusée par l’esthétisme (« Il est beau et mis en valeur, mon escort-boy ! » ; ou bien « En prostitué, je suis une puissante icône du danger sexuel ! »), par la bonne intention (« Je rêve que pour une fois, l’acte de consommation que je vais poser soit exceptionnellement de l’amour, comme dans ‘Pretty Woman’ : je cherche à sauver le prostitué qui se gâche. » ; ou bien « Je rêve que mon client m’arrache à mon enfer, soit mon prince charmant inattendu. » ; cf. le film « Change-moi ma vie » (2001) de Liria Bégéja), ou par le besoin (« Je fais ça pour l’argent, pour subsister : pas par gaieté de cœur ou pour les sentiments ! » ; ou bien « J’aide un pauvre prostitué à vivre en le payant et en subvenant à ses besoins. »), ou par le désespoir (« Personne ne m’aime ! J’aime donc comme je peux, et n’importe comment ! Personne n’a rien à me dire ! »), etc.

 

Le client tient souvent ce double discours puant, hypocrite (et pourtant sincère !) de celui qui, en même temps qu’il loue les service de son prostitué et l’enfonce un peu plus dans sa misère, cherche en l’en sortir : « Il faut arrêter cette vie. » dit le haut-fonctionnaire qui entretient Berthrand Nguyen Matoko… tout en « baisant » avec lui (cf. Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 125).

 

Chez l’esprit bobo persiste un indécrottable fantasme de convertir la prostituée/le prostitué, en prince charmant ou en princesse charmante, façon conte de fée underground « à la Week-end » (le film d’Andrew Haigh… l’archétype du film bobo bear qui plait aux célibataires homos qui croient au sexe sans croire en l’Amour). Même si en théorie le libertin prétend que « l’amour n’a pas de règle », qu’il ne se décide pas, qu’il n’est pas guidé par le désir et la liberté humaine, qu’il est circonstance inattendue, il s’impose justement que l’amour ne se trouve que là où il n’a pas l’air de s’y trouver, y compris dans la violence, la consommation, et le contexte glauque de la prostitution. (« J’ai rencontré mon copain au Bois de Boulogne. Pourtant, lui comme moi ne sommes pas du tout ‘milieu’… »). Son anticonformisme de principe, bien intentionné, a aussi sa part de naïveté de midinette romantique, même si l’intéressé refusera de se l’avouer ! Être pris en défaut d’ingénuité hypocrite : rien de pire pour l’homme homosexuel bobo !

 

 
 

d) Putain de merde ! (la prostituée tueuse ou la prostituée tuée par le client homosexuel) :

Mais la réalité violente de la prostitution renvoie vite les amants homosexuels/bisexuels à la médiocrité et l’orgueil de leur situation ! Au final, ils s’utilisent plus qu’ils ne s’aiment. Et ils le savent très bien. Leur homosexualité tient davantage à l’argent et à l’intérêt éphémère de soulager leurs pulsions personnelles qu’à leur liberté, à leurs désirs profonds, et à l’Amour. Le client, tout comme le/la prostitué(e), passent leur temps à s’échanger les rôles de dominant/dominé, car tous deux ont honte d’aimer.

 

L’une de leurs règles d’or de leur collaboration est l’interdiction de « s’attacher », de s’engager, de se laisser aimer, de rendre l’amour visible, et de le vivre de manière un minimum égalitaire. « J’ai essayé de ne pas me gargariser de romantisme à deux sous. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 53) Et c’est bien parce que le client et son travailleur/sa travailleuse s’empêchent d’être passionnés, de se dire « Je t’aime », de se donner en amour, en brandissant la pancarte « Interdit d’aimer » – comme un aveu qu’ils n’assument ni l’acte d’amour qu’ils posent sans amour, ni leur désir homosexuel, ni leur propre homophobie –, qu’ils tombent au final maladivement/passionnément amoureux entre eux, ou bien amoureux du premier inconnu qu’ils rencontrent une demi-seconde sur les lieux de prostitutions non-agréés (Internet, les saunas, les backrooms, les lieux improbables de la rencontre homosexuelle, etc.), pour ensuite s’en débarrasser comme une preuve gênante de leur fragilité (homo)sexuelle. « Je me savais incurablement sentimentale. » (idem, p. 190) ; « La sagesse populaire a raison de comparer l’amour à une rage de dents. » (idem, p. 183)

 

La prostituée ou le prostitué, jadis sacralisé(e) comme l’icône immaculée de la victime à sauver des griffes de la misère, comme la figure inversée du prince charmant/de la vierge (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), perd peu à peu de son prestige. Il/elle entraîne son amant vers un monde illusoire. La princesse du pavé retrouve son costume de Cendrillon quand les deux coups de minuit sonnent : « J’avais suivi une prostituée – naturellement vieille et décatie – et ne sus que m’enfuir devant les audaces cupides de l’horrible femme : tout ce qu’avaient pu inventer mes cauchemars au sujet des filles se trouvait réuni là, ignoble, sordide. C’était donc cela, l’amour des femmes : cette sorcière avare, pressée, aux gestes obscènes ? » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 81)

 

En dépit de leur pacte de non-agression ou de neutralité, la rencontre entre le client et la prostituée/le prostitué s’est soldée concrètement par un viol/vol réciproque. Chacune des deux parties s’est laissée surprendre négativement par son propre égoïsme, reflété dans l’attitude de complaisance/d’exploitation de son complice. En général, l’individu homosexuel (proxénète ou client) dépeint alors le jeune homme/la jeune femme qu’il a voulu posséder, comme un voleur, un monstre, un traître, un démon, un cruel tentateur, une preuve gênante de son homosexualité/de son adultère, un assassin…

 

C’est parfois ainsi qu’il/elle se comporte (cf. je vous renvoie au code « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Le phénomène des prostitués homosexuels tueurs, bien qu’isolé, est malheureusement beaucoup plus répandu que l’opinion publique et que nos médias veulent bien le penser. Par exemple, le 4 avril 2012, Jean-Nérée Ronfort, un expert en antiquités de 69 ans, a été découvert par son compagnon gisant au sol de son bureau, le crâne fracassé : il a été tué par trois prostitués roumains de 20, 21 et 25 ans. Carlos Travers, à l’automne 1979 à Madrid, a été étranglé par un câble par un prostitué. Álvaro Retana, le romancier espagnol, a été assassiné par un prostitué homosexuel en 1970. Joan Joachim Winckelmann est massacré dans sa chambre d’hôtel de Trieste par un jeune voyou, Francesco Arcangeli. Ramón Novarro, amateur de jeunes prostitués, est retrouvé mort dans sa piscine, assassiné par deux gigolos. Pier Paolo Pasolini a été sauvagement tué par Pino Pelosi, un jeune prostitué homosexuel de 17 ans, le 1er novembre 1975. Aux États-Unis, en 1997, le jeune prostitué de 27 ans Andrew Phillip Cunanan, s’est attaqué à quatre clients homosexuels (dont un ingénieur de 28 ans – à coups de marteau –, un riche agent immobilier de 72 ans – lardé de coups de sécateur, puis enrubanné comme une momie avec un rouleau adhésif –, et le fameux grand couturier Gianni Versace).

 

Le retour de bâton ne se fait pas attendre… car il arrive aussi très souvent que des prostitué(e)s se fassent liquider par leurs clients/amants homosexuels, parce que les premiers les ont exploités, ou bien parce que les seconds se sont sentis cruellement trahis ! Par exemple, en 1949 en Espagne, une prostituée, Carmen Broto, plus connue sous le nom de « Cocotte », a été assassinée par un homme homosexuel. Le 23 décembre 2002, dans les Hauts-de-Seine, Philippe Digard (26 ans) étouffa et tua Ilia, un jeune prostitué homosexuel. Costas Taktsis, l’écrivain grec, a été étranglé le 30 août 1988 par un amant de passage, alors qu’il se prostituait dans les rues d’Athènes. Dans le documentaire Et ta sœur ! (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, on voit que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence tiennent très scrupuleusement les comptes des meurtres de prostituées de par le monde, sur un registre nommé le Livre des Martyres.

 

Si les prostitué(e)s ne sont évidemment pas tous tué(e)s physiquement par leur maquereau ou leur client (et heureusement), ils/elles sont en revanche régulièrement maltraité(e)s, vidé(e)s de leur âme, et poussé(e)s dans le vide. Les sociologues s’accordent pour dire que bon nombre de personnes transsexuelles, travesties, ou prostituées, se suicident.

 

Et concernant les viols, du côté du prostitué/de la prostitué(e) comme de celui de son client homosexuel/bisexuel, le cadre légal et pourtant secret/clandestin/anonyme de la prostitution est la porte ouverte à tous les chantages, à tous les viols qui ne pourront même pas être dénoncés par les victimes. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans décrit les « générations de maîtres-chanteurs » (p. 39) qui se succèdent dans les sphères relationnelles (homosexuelles) de la prostitution. Par exemple, dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang est relaté un viol sur un prostitué (p. 123).

 

L’acte prostitutif et l’acte homosexuel peuvent avoir le même effet réverbérant violent que celui qu’on observe dans le cas des actes homophobes. L’agresseur ne supporte pas d’identifier chez sa victime leur faiblesse commune, observable dans le fait que cette dernière s’adonne à son désir homosexuel ou bien dans le fait qu’elle l’encourage efficacement à la prostitution… donc il attaque l’objet de son désir/de l’aveu de sa propre faiblesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cas d’homophobie ont souvent lieu dans des contextes prostitutifs, et sont des actes peu contrôlés, très pulsionnels, limite voulus narcissiquement amoureux et positivement sacrificiels. L’individu homosexuel érige un bûcher en l’honneur de son client/de son vendeur pour lui prouver qu’il est éternel, pour lui démontrer qu’il l’aime à (l’)en (faire) mourir. Dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), Frédéric Mitterrand, qui est un fin connaisseur du monde de la prostitution puisqu’il y a souscrit, explique clairement les mécanismes de l’homophobie qui se jouent dans le cadre de la relation ambigu client/prostitué : « Les plus graves menaces surgissent quand on est trop gentil ; le garçon est troublé, il s’expose à éprouver de la sympathie, il ne peut plus mépriser commodément. Si sa nature est franchement mauvaise, il peut prendre peur, s’enrager et devenir incontrôlable avec des pulsions de meurtre pour se débarrasser du gêneur qui a bousculé son équilibre et ses habitudes. […] Des Pelosi la grenouille [en référence au prostitué qui a assassiné le cinéaste Pasolini], j’en ai croisé pas mal dans des endroits glauques à Paris. […] Je sais que je ne suis pas le seul à être hanté par ce crime et par tout ce qu’il laisse supposer. » (pp. 163-164)

 
 

e) À la recherche du sceptre du machisme perdu :

Pour conclure, ce qui unit le prostitué/la prostituée et son client, en plus de la mort (celle-ci ne sera finalement que l’issu de ce que je vous annonce), c’est une idolâtrie. Ils convoitent tous deux le pouvoir narcissique par excellence, à savoir le désir machiste du mâle cinématographique (dans sa version plutôt porno), du Super-héros à la génitalité affranchie de la sexualité et du sentiment, de la femme fatale croqueuse d’hommes (cf. le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer). La prostitution et l’homosexualité pratiquée, à ce titre, peuvent se définir comme l’appropriation « fière » du machisme. « Dans les films, la hardeuse a une sexualité d’homme. Pour être plus précise : elle se comporte exactement comme un homosexuel en back-room. Telle que mise en scène dans les films, elle veut du sexe, avec n’importe qui, elle en veut par tous les trous et elle en jouit à tous les coups. Comme un homme s’il avait un corps de femme. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), p. 101) Quand je parle d’intériorisation du viol dans le cas de la prostitution homosexuelle, j’ai des illustrations à foison. Par exemple, l’application I-Phone Grindr, permettant de détecter quelles sont les personnes homosexuelles qui se trouvent au plus près de notre circonférence géographique, est le support parfait d’une prostitution « librement » consentie : c’est un gaydar, une prémisse de la puce électronique sous la peau, reléguant la personne qui s’en sert à l’état de prostitué en « libre service », « mobile », consommable sur place. « Corps et technique entretiennent des rapports de plus en plus intimes, d’assistanat. » (le sociologue Éric Sadin parlant d’un de ses amis gays lui montrant l’application Grindr, lors de sa conférence La Société de l’anticipation à l’INHA, le 31 octobre 2011) C’est la même chose sur les sites de rencontres Internet, faussement « gratuits », où règne l’auto-pornographisation, l’auto-érotisation… même si cette forme de prostitution, qui transforme tout internaute en bout de viande sur un étalage, s’est démocratisée au point de faire oublier sa violence injonctive, puisque l’utilisateur se choisit lui-même comme « mac », et se prostitue apparemment de plein gré.

 

PROSTITUTION Grindr

 

Les personnes homosexuelles pratiquantes et les prostitué(e)s ont en commun d’être la même projection intériorisée du viol : ils disent vouloir ardemment et sans influence ce à quoi le réalisateur machiste les a persuadé de s’abaisser. Ils veulent aimer/être aimés comme ils imaginent qu’un homme cinématographique aime et « fait l’amour » à la femme-objet… donc avec toute-puissance, brutalité, et pourquoi pas dans la soumission aussi (inversion « démocratique » des rôles oblige !). Ils ré-instaurent sans s’en rendre compte les codes pornographiques du machisme asexué le plus abject, comme l’expliquent très bien Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut dans leur essai Le Nouveau Désordre amoureux (1977).

 
 

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Code n°152 – Putain béatifiée (sous-codes : Prostituée lesbienne / Pute de luxe)

Putain béatifiée

Putain béatifiée

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

La jouissance d’être un « piège à hommes », une « arme de séduction massive »

 

Énormément de personnes homosexuelles abordent le thème de la prostitution, féminine comme masculine, parce que celle-ci correspond chez elles à un fantasme esthétisé de viol plus ou moins avoué, parfois actualisé dans leur propre mode de vie, ou projeté à tort sur les femmes réelles.

 

Pour beaucoup d’entre elles, la première des putains, c’est d’abord leur maman (plus symbolique que biologique) : d’une part, si on rentre dans leur système de pensée incestuel, leur mère biologique a bien dû « fauter » au moins une fois avec leur père pour les avoir ! ; d’une part, leur mère cinématographique a bien été obligée de se vendre scandaleusement pour réaliser de beaux films ! Sur pellicule, l’insulte « pute » s’étendra à toutes les femmes que les personnages homosexuels rêvent vierges et qui ne leur ont pas consacré leur virginité.

 

La putain est la reine de la communauté homo. Mais attention, quand je dis ça, je parle surtout de la péripatéticienne scénique. La majorité des personnes homosexuelles ne s’intéressent pas tant à la prostituée réelle qu’à l’icône de la bad girl. Si elles étaient réellement sensibilisées aux conditions difficiles dans lesquelles vivent les vraies prostituées (précarité financière, exposition aux maladies, alcoolisme, drogue, suicide, solitude, mort prématurée, persécution policière, exil, absence d’amour, mépris du corps, etc.), elles ne les idéaliseraient ni ne les mépriseraient pas autant. Leur prostituée adorée, c’est plutôt une actrice bourgeoise volontairement vulgaire et peste : elle peut être aussi bien la femme de chambre au-dessus de tout soupçon que la pute de luxe fière de l’être. Nous observons par exemple ce duo à travers les personnages de Pierrette (Fanny Ardant) et Louise (Emmanuelle Béart) dans le film « Huit Femmes » de François Ozon ; ou bien les deux prostituées jumelles (la riche et la pauvre) du vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer.

 

Cette sacralisation de la prostituée cinématographique, de la pute de luxe, n’est pas propre à l’homosexualité masculine, comme se plaisent à le croire certaines femmes lesbiennes qui pensent que la femme-objet est précisément l’anti-modèle de la communauté lesbienne. Elle est aussi typiquement lesbienne, sauf que le désir de fusion s’est érotisé dans le cas lesbien. La seule différence entre les hommes gays et les femmes lesbiennes, c’est que les hommes homos ne désirent pas génitalement l’icône prostitutive à laquelle ils s’identifient esthétiquement de manière plus démonstrative et assumée que les femmes lesbiennes ; alors que les femmes lesbiennes désirent génitalement l’icône de la femme prostituées à laquelle elles s’identifient esthétiquement dans l’attraction-répulsion, à la sauce bisexuelle et machiste : elles rejettent sa sur-féminité pour l’échanger contre une sur-masculinité, tout aussi artificielle et asexuée, finalement.

 
 

N.B. 1 : Ce code est indissociable du code « Prostitution » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

N.B. 2 : Je vous renvoie également aux codes « Mariée », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Talons aiguilles », « Reine », « Cour des miracles homosexuelle », « Regard féminin », « Attraction pour la foi », « Blasphème », « Femme étrangère », « Tante-objet ou Maman-objet », « Défense du tyran », « Actrice-Traîtresse », « Carmen », « Femme allongée », « Vierge », « Bergère », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Femme-Araignée », « Femme fellinienne géante et le pantin », « Don Juan », « Inceste », à la partie « Femme-pute » dans le code « Destruction des femmes », à la partie « Bourgeoise-prostituée pénétrant dans une église » du code « Bourgeoise », à la partie « Prostituée noire » du code « Noir », à la partie « Maman-putain » du code « Matricide », à la partie sur le « Transsexuel divin » dans le code « Se prendre pour Dieu », et à la partie sur les marins dans le code « Eau », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) Passion pour la prostituée de luxe :

Film "Prenez garde à la sainte putain" de Rainer Werner Fassbinder

Film « Prenez garde à la sainte putain » de Rainer Werner Fassbinder


 

Dans les œuvres homo-érotiques, il est plutôt question de la prostituée et de la prostitution féminine que de la prostitution masculine : cf. l’album Putain de Jean Guidoni, le film « Girls Will Be Girls » (2004) de Richard Day, le film « Les Dames du bois de Boulogne » (1945) de Jean Cocteau, le roman Les Dames du bois de Boulogne (1949) de Robert Bresson, le vidéo-clip « Roxanne » de George Michael, la chanson « Ojos Verdes » de Nazario, la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi, la comédie musicale Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy, le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker, le roman El Último Pecado De Una Hija del Siglo (1914) d’Álvaro Retana, le film « Les Compagnes de nuit » (1953) de Ralph Habib, le spectacle-cabaret Dietrich Hotel (2008) de Michel Hermon, la chanson « Fille du soleil » de Kristel Adams dans la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon, la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet (avec Yolanda), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima, la chanson « La Garce » de Elodie Frégé, la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Lucie, qui se prostitue), le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker, le film « Pasajero » (2010) de Miguel Gabaldón, le film « Jeune et Jolie » (2013) de François Ozon, etc.

 

En général, le personnage homosexuel voue une passion idolâtre pour la prostituée ou la femme scandaleuse. Il la trouve magnifique et hyper glamour : « Et quand revient l’aube des hommes, je vous assure je reste belle. » (Scarlett, la prostituée-louve de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Mourad déclara que Varia était sans doute une pétasse, mais qu’il adorait les pétasses. » (Mourad, l’un des deux héros homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 67) ; « Je n’ai aimé que les catins. » (Lacenaire dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. Par exemple, la pièce L’Amant (1962) d’Harold Pinter s’achève par la « déclaration d’amour » que Richard formule à sa femme Sarah en la traitant de « merveilleuse putain ». Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca dit sa fascination pour Déborah, un piège-à-hommes : « C’était mon idole. »

 

Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa la prostituée est carrément virginisée et sacralisée par ses camarades prostituées nommées « Trente-cinq » et « Quarante » : « Pire : elle est saine. » (Quarante) ; « Rosa, c’est sacré pour nous. » Lors du repas où sa bande de crapules se réunit pour une fête, elle se retrouve à la place du Christ, au milieu de la Cène.
 

La prostituée qu’aime le héros homosexuel peut même être une reine, une princesse, une femme d’affaires politiques, ou une bourgeoise : cf. la chanson « Queen Bitch » de David Bowie, la B.D La Verdadera Historia Del Superguerrero Del Antifaz, La Superpura Condesita Y El Super Ali Kan (1971) de Nazario, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik (avec Cheo-Seon, la reine-putain), la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi (avec Madame Ada, la bourgeoise prostituée), la chanson « My Shocking Princess » de Paco Solis (dédiée à l’actrice porno Clara Morgane), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, etc. Par exemple, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, le sauna est montré comme un salon à la Nadine de Rothschild, où il convient de respecter les « codes de bienséance » et de se comporter comme une vraie Lady. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Marilyn est le cadeau d’anniversaire du père de Chris : traitée de prostituée par Sultana, elle porte quand même la couronne de Reine de Beauté. Dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, Marie-Solène, la mariée en blanc, est comparée à une prostituée sur qui tous les invités de l’église sont passés.

 

La prostituée adulée par le héros homo est en général une femme à poigne, qui ne se laisse pas faire, qui après avoir été violée finit par se venger et par reconquérir son honneur et sa virginité en prenant le dessus sur ses violeurs et en réaffirmant son statut de « piège à hommes », d’icône machiste hypersexuée (cf. je vous renvoie à la partie « Catwoman » du code « Femme-Araignée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Alejandra (traitée de pute par Raúl) finit par tuer au couteau de cuisine Raúl qui allait la tuer.

 

Les créateurs homosexuels aiment également le retournement camp de la grande bourgeoise en courtisane libertine : ils le trouvent non seulement drôle mais désirable (il n’y a pas que de l’auto-dérision dans la démarche d’inversion : celle-ci est aussi très naïve) : « La Reine des Rats se glissa entre mes pattes et me suça le pénis sans résultat. » (Gouri, le héros bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 118) ; « Le job, c’est de l’argent, et l’argent, c’est que pour le sexe ! Time is money, money is sex. » (la Comtesse Conule de la Tronchade, surnommée « la comtesse de Sodome et Gomorrhe », dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je ne suis pas une putain, c’est moi qui paie ! » (Maria-José, le transsexuel M to F de la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 36) ; « Chaque jour vers l’enfer nous descendons d’un pas, sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange le sein martyrisé d’une antique catin, nous volons au passage un plaisir clandestin. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel adore s’insulter ou traiter ses amis homos de putes : « Quelle chaleur de pute ! » ; « Qu’est-ce que tu fous, connasse ? » ; « T’as dormi où, p’tite salope ? » ; etc.

 

La prostituée des fictions homo-érotiques a le privilège de mériter de l’allégorie ! Je pense par exemple aux majuscules mises à « la Pute » ou « la Garce » dans le discours de Vincent Garbo, le héros bisexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta.

 

Ce n’est pas la prostituée réelle mais la « pute de luxe », la prostituée cinématographique, qui trouve grâce aux yeux du héros homosexuel (la détresse de la vraie prostituée, il s’en moque bien !). La seconde doit obligatoirement figurer au carré d’or, « VIP », sous le feu des projecteurs : cf. le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria, le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (avec les personnages sulfureux, et pourtant bien sous tous rapports, de Pierrette, la pute lesbienne sophistiquée et « bourgeoise ratée » jouée par Fanny Ardant, et de Claire, la domestique « chaudasse » et impertinente interprétée par Emmanuelle Béart), les vidéo-clips des chansons « California » et « Libertine » de Mylène Farmer, le film « La Punition » (1972) de Pierre-Alain Jolivet (avec la prostituée de luxe), etc.

 

« J’adore les prostituées au cinéma. » (« », le héros homosexuel du film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka) ; « Groucha ne correspondait pas exactement à l’image usuelle de la garce et relevait en fait d’une sous-catégorie moins connue mais encore plus dangereuse de garces, la garce sophistiquée. » (Yvon, le héros « hétéro » du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 68) ; « Sa tenue, ça faisait limite pute du quartier rouge à Amsterdam, sauf que sur elle c’était superclasse, je sais pas comment vous dire, elle était superbelle, et superflippante. Je m’assois sur le tabouret en ébène. » (idem, p. 264) ; « Vous êtes une putain, Valmont. » (Merteuil s’adressant à Valmont avec son voile blanc de mariée, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc.

 

Par exemple, Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013), tous les personnages du travesti M to F David Forgit sont des prostituées misérables mais qui jouent cyniquement à être des putes de luxe quand même : « Oui, j’ai fait carrière au bois… […] J’ai toujours eu les yeux plus gros que le ventre… question luxe. […] Fille de joie au bois… depuis 30 ans. » Dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, Reme est surnommée la « pute d’or » par Peio. Dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, l’actrice Jane Randolph est érigée en modèle de vertu par Molina, le héros homosexuel. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, la mère est à la fois la femme adultère et la parfaite bourgeoise digne et pieuse. Dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval rappelle avec nostalgie son fantasme d’incarner la vamp, la prostituée de luxe qui ramène chez elles des « jeunes hommes sans cervelle ». Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Martine, la prostituée, est plus fine et perspicace que les autres personnages.

 

Souvent, le héros homosexuel est touché par la fragilité de la prostituée, par son statut de reine détrônée, d’ange déchu, de vierge violée mais aussi vengeresse. « Je suis si fragile qu’on me tienne la main. » (cf. la chanson « Libertine » de Mylène Farmer) ; « Ne la laisse pas tomber. Elle est si fragile. Être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile. » (cf. la chanson « Femme libérée » de Cookie Dingler) ; « Je suis stoïque, mais plus pour longtemps… » (cf. la chanson « Pas de doute » de Mylène Farmer) C’est son propre fantasme narcissique de viol qu’il admire en elle. La prostituée est une icône de puissance (encore en veilleuse), du danger sexuel. Elle en impose. Par exemple, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, c’est Scarlett, la prostituée tueuse, qui butera le loup. Dans le film « L’Affaire Crazy Capo » (1973) de Patrick Jamain, Alice Sapritch tient un luxueux bordel masculin, est meneuse d’hommes. La prostituée est l’incarnation du meurtre parricide élégant : « Jolie s’empara d’une brosse d’argent et le frappa sur la tête. Le Sénateur tomba la tête la première dans l’eau. » (Copi, La Vie est un tango (1979), pp. 27-28) ; « Change de trottoir, le mien est piégé. Si c’est trop tard, ne reste pas figé ! Sors du trou noir ! Je fais mon métier. J’ai peur de rien, je suis une femme pressée ! » (cf. la chanson « Une Femme pressée » du groupe L5)

 

La prostituée que le héros homosexuel vénère peut également être tout simplement le rôle homosexualisé (et finalement dégradant, féminisé, exploité) qui est donné à l’amant de ce dernier : « Malgré son côté sainte-nitouche, ça doit être une sacrée salope au lit. » (Jonathan en parlant de son futur « plan cul » avec Matthieu, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves traite Jacques, son futur amant, de « pute »… alors que ce dernier rêverait ironiquement, en bon dandy dix-huitiémiste qui se respecte, de se faire au moins traiter de « catin » : ça fait plus classe !

 

Par exemple, dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, la relation de « couple » est mise sur le même plan que la relation prostitutionnelle. Par exemple, Petra demande à son amante Jane si elle a déjà payé pour coucher. Voyant l’attraction interdite de sa compagne pour les prostituées (et notamment la jeune Anna), Petra ironise : « Ça te fascine, hein ? T’aimerais qu’on en ramène une un jour ? » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 78) ; « Plus tard, alors qu’elles étaient couchées et que Petra commençait à lui embrasser la nuque, le souvenir des deux filles lui revint à l’esprit. Elle se souvint du contraste saisissant entre leurs longs cheveux noirs et leur peau pâle, comme Blanche-Neige, qui lui rappelait tant le teint d’Anna. » (p. 79)
 

En somme, la prostituée fantasmée par le personnage homo est l’incarnation « vivante » de ce désir-machiste-dans-un-corps-voulu-asexué-ou-hypersexué qu’est le désir homosexuel ou le désir hétérosexuel : « Vous aussi, vous êtes un mec bien. » (Jules, le personnage homosexuel s’adressant à Michèle la prostituée, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau)

 
 

b) La sacralisation de la sainte Pute :

Film "Entre Tinieblas" de Pedro Almodóvar

Film « Entre Tinieblas » de Pedro Almodóvar


 

Le héros homosexuel pousse la passion pour la prostituée cinématographique au paroxysme de la dévotion. Il la présente (et pas qu’ironiquement) comme une sainte, une Marie-Madeleine ! cf. la pièce L’Ingénue Libertine (1909) de Colette, le film « La Sorcière vierge » (1972) de Ray Austin, le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos (avec Cristina), le film « Couvent de la Bête sacrée » (1974) de Norifumi Suzuki, le film « Esperanza et ses saints » (2000) d’Alejandro Springall, le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon (avec Mousse, la prostituée héroïnomane rentrant dans l’église), le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar (avec la chanteuse-prostituée Yolanda arrivant dans l’église du couvent comme une apparition divine), le vidéo-clip de la chanson « Like A Prayer » de Madonna, la chanson « Maria-Magdalena » de Sandra, le vidéo-clip de la chanson « Berlin » de Christophe Willem, etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, le sauna est transformé en église, en lieu de « mystère et de sensualité », avec de l’encens, des clients qui chantent du gospel, et même des « novices » ! Le film « Y a-t-il des pommes au paradis ? » (2006) de Ben Yamed Mohamed Bahri raconte comment un travesti rencontre Jésus. Dans la pièce Les Monologues du pénis(2007) de Carlos Goncalves, l’actrice Monica Bellucci est, selon Sylvain le personnage homosexuel, la « sainte patronne des comédiens ». Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Floriane, l’héroïne lesbienne, représente la vierge cachée derrière la « pute » : elle a une réputation d’allumeuse dans le club de piscine (« Elle fait encore la pute, ta copine. » dit une camarade à la future amante de Floriane, Marie) alors qu’en réalité, elle n’a jamais couché avec un garçon. Finalement, Floriane est la Don Juane qui, pour faire mentir son image sulfureuse (ou carrément pour la confirmer et la forcer), draguera Marie pour de vrai : « Si jamais François sait que chuis pas une vrai salope, c’est fini. […] J’voudrais que ce soit toi, Marie. Que tu sois la première. Que tu me débarrasses. » Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, le spectateur assiste à la métamorphose de la prostituée lesbienne Jézabel en dévote : « Qui sait ? Peut-être que t’as l’âme d’une sainte. » (le père David s’adressant à Jézabel) Dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès, il est question d’« une petite vierge élevée pour être putain ». Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, la meilleure amie de Zize, le travesti M to F, s’appelle « Annonciade » et est prostituée également.

 

« Elle s’appelait Maria. » (Jane à propos de la prostituée Maria, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 159) ; « Rien ne semble pouvoir briser le cycle monotone du quotidien mélancolique de Maria qui vit et travaille à Paris. Jusqu’au jour où cette prostituée anglaise, esseulée, sera élue et révélée par l’Annonciation. » (cf. la critique du film « L’Annonciation Or The Conception Of A Little Gay Boy » (2011) d’Antony Hickling, sur la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris) ; « La garce et la grâce ! » (Nietzsche à sa sœur Élisabeth, dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « Toutes, sans exception, sont vierges ! » (le Maître de Cérémonie en parlant des 6 call-girls qui l’entourent, dans la comédie musicale Cabaret (2011) de Sam Mendes et Rob Marshall) ; « Vous êtes la nouvelle Vierge Marie ? » (Yoann, le héros homosexuel, s’adressant à l’ex-femme de son amant Julien, Zoé, une femme très légère, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Elle baise pas. C’est une sainte. » (Meri, le transsexuel M to F se moquant de la prudence de Davide, son jeune camarade homo de 14 ans, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « La Sainte Vierge incarnée ! » (Azario, un ami homo de Davide tout content d’avoir peinturluré de maquillage son amie gothique, idem) ; etc.

 
 

c) L’identification narcissique à la prostituée, l’icône de l’hypersexualité machiste et asexuée :

Pochette de l'album Les Chansons de l'innocence retrouvée d'Étienne Daho

Pochette de l’album Les Chansons de l’innocence retrouvée d’Étienne Daho


 

Le héros homosexuel sacralise la prostituée en Reine parce qu’il rêve de se substituer à elle, de lui piquer son diadème, et de se déifier lui-même par identification : cf. le roman Jésus-la-Caille (1914) de Francis Carco, le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec Tonia, le transsexuel M to F, priant saint Antoine à genou chez elle), le film « L.A. Zombie » (2010) de Bruce LaBruce, le roman Notre-Dame des Fleurs (1946) de Jean Genet (avec le travesti « Divine »), la pièce Les Précieux ridicules (2008) de Damien Poinsard et Guido Reyna, etc. « Fais-moi un chèque, chèque, si tu veux me check-check, si tu veux mes fesses, traite-moi comme une princesse, mec. » (cf. la chanson « Fais-moi un chèque » du travesti Jena Kanelle) ; « Dans la nuit, j’étais la poupée qu’on habille et qu’on déshabille. » (cf. la chanson « Le Privilège » de Michel Sardou) ; « Tu m’as pris pour une pute ? » (Jarry dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Je suis né il y a quelques jours dans un bois. Et tout qui s’est passé avant ça compte pas. » (Angelo, le prostitué bien nommé, retrouvé inanimé au Bois de Boulogne, dans le film « Notre Paradis » (2010) de Gaël Morel) ; « Moi, j’ai été enfant de chœur de la Vierge de Fatima ! » (Raulito le prostitué, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Cette nuit, je suis allé dans un lieu dont je n’ose même pas vous parler… eh bien bizarrement, j’ai l’impression qu’Il [Dieu] était là aussi. Comme si aucun lieu ne Lui échappait ! » (Malcolm, le prostitué homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, pp. 120-121) ; « Le trottoir, c’est mon Royaume ! Sur le trottoir, je suis née, la pissoire c’est mon Palais. » (Fifi, le travesti M to F de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Cody est petit, musclé à l’américaine, avec des muscles ronds et gras. Il teint ses cheveux en blond et passe son temps à les ramener derrière les oreilles alors qu’ils ne font pas plus de trois millimètres de longueur. Il semble regarder par en dessous avec son petit air de princesse ou de pute supérieure, derrière des lentilles bleues. » (Mike, le narrateur homosexuel décrivant Cody, son pote gay efféminé nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 89) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina.’ » (Cody, idem, p. 101) ; etc.

 

L’identification du personnage homosexuel à la prostituée est parfois totale : « Je veux être une traînée. » (Paul, le héros homosexuel du film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Si ! Je suis une Salope ! » (Todd, le héros homosexuel du film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson) ; « Que celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre. » (cf. la phrase inscrite sur l’affiche du film « Prêtre » (1994) d’Antonia Bird) ; « J’embrasse comme une prostituée. » (Arnold Wilcox, le flic gay de la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd) ; « J’ai toujours rêvé d’aller tapiner sur Hollywood Boulevard ! » (Daniel dans la pièce Son mec à moi (2007) de Patrick Hernandez) ; « On dirait deux putes ! » (Max, en parlant de lui et de son amant Fred, habillés avec un tee-shirt TATI, dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « C’est depuis que je suis petit que ça me tient : l’envie d’être pute. » (Franck, le héros homosexuel de la pièce Mon amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « J’ai comme une envie de voir ma vie au lit. » (cf. la chanson « Je t’aime mélancolie » de Mylène Farmer) ; « Je, je, suis libertine, je suis une catin ! » (cf. la chanson « Libertine » de Mylène Farmer) ; « Et c’est devenue une traînée… comme moi. » (Jérémy Lorca parlant de l’actrice Brigitte Bardot, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, le comédien imite une metteur en scène acariâtre, Julie Duchâtel, qui se définit elle-même comme la « P.U.T. du Paca » : « Je suis pute. » Dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, Cosette (interprétée par un homme travesti) veut devenir prostituée. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, l’écrivain maudit homosexuel, a tourné dans le film « Les Misérables » et a joué le rôle d’une pute.

 

Cette identification à la prostituée n’est pas propre aux personnages homos masculins. Elle vient aussi beaucoup des héroïnes lesbiennes, qui vivent leur homosexualité en même temps qu’elles font le tapin. La figure de la prostituée lesbienne est récurrente : cf. le film « Gigola » (2010) de Laure Charpentier (avec la figure de la garçonne vêtue d’un smoking), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Lucie, l’héroïne lesbienne), la pièce Psy (2009) de Nicolas Taffin (avec Natacha, la strip-teaseuse bisexuelle), la pièce Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet (avec le personnage de Caroline), la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt (avec le personnage de Jessy), la chanson « Bad Girl » de Mylène Farmer, le film « Hardcore » (2004) de Dennis Iliadis, le film « Monster » (2003) de Patty Jenkins, le film « Fiona » (1999) d’Amos Kollek, le film « Et mourir de désir » (1973) de Jean Bastia, le sketch « Les Scénaristes » des Robins des Bois, la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas (avec Garance, la prostituée lesbienne), etc.

 

« J’ai eu quelques femmes au début, mais c’est plus rares maintenant. » (Martine, la prostituée gérant une maison close, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Le pasteur l’avait-il vraiment prise pour une prostituée enceinte à la recherche d’un abri ? Elles étaient jolies, ces filles, beaucoup plus jeunes qu’elle, pour la plupart ; peut-être devrait-elle prendre cela pour un compliment. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 54) ; « C’est nous qui lançons la mode. Nous, les blacks et les gays. » (Maria, la prostituée, s’adressant à Jane, idem, p. 165) ; « Greta m’a embrassée une fois. Elle embrassait bien. Moi aussi je l’ai embrassée. » (Frau Becker s’adressant à Jane, idem, p. 215) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Simon, l’un des héros homosexuels, compare sa meilleure amie lesbienne Polly à une prostituée (p. 13). Dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, on trouve des prostituées (les « dames du Lusty »), dont certaines sont lesbiennes. Dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, Simone, l’hétérosexuelle bourgeoise, se révèle finalement lesbienne. Dans le film « Where’s Poppa ? » (1970) de Carl Reiner, la prostituée représente la tentation bisexuelle. Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, l’héroïne lesbienne, détourne le jeune Santiago. Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Camille, l’héroïne bisexuelle, est présentée comme une « femme libre et sans entraves », volage et libérée.

 

C’est souvent l’héroïne lesbienne ou bisexuelle elle-même qui se définit comme une prostituée : « Je je suis libertine, je suis une catin ! » (cf. la chanson « Libertine » de Mylène Farmer) ; « Moi, c’que je veux, c’est devenir une pute ! » (Camille, la narratrice lesbienne dans son one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet) ; « Je suis mauvaise. Une dévergondée. Une putain. » (Hadda dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 195)

 

À force de fuir la femme-objet cinématographique soumise au viol (le viol de la prostitution, voire le viol maquillé par le mariage bourgeois), l’héroïne lesbienne, même butch, finit par fusionner avec la prostituée, pour ne former qu’une seule et même créature : « Elle gère son sex-appeal. Ça lui donne même un côté pute de luxe à mille lieues de l’image qu’on se fait de la lesbienne un peu tarée de cinquante berges. » (Mike, le narrateur homo, parlant de sa pote lesbienne masculine Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 49-50) ; « C’était une pute gouine. » (l’un des jurés, homo, qui ressemble aux chanteurs du groupe Indochine, « clashant » un candidat-chanteur dans le sketch « Stop Stars » de Kad & Olivier) ; etc. Par exemple, dans la pièce Le Gang des potiches (2010) de Karine Dubernet, Nina, l’héroïne lesbienne, vit en colocation avec Janis, la strip-teaseuse.

 

C’est la confrontation à des hommes machos et obsédés uniquement par leur petite jouissance qui conduit certaines « travailleuses du sexe » à se tourner vers les femmes.

 
 

d) Le goût de « l’idée de prostitution » comme le signe d’un désir homosexuel incestuel :

L’attachement homosexuel à la prostituée renvoie également à l’inceste. La prostituée est la figure enviée mais aussi jalousée de la mère : « Et si on trouvait une prostituée pour ton père ? » (Khalid s’adressant à son amant Omar, au moment où ils pénètrent la plus grande forêt du Maroc, la Mamora, un haut lieu de prostitution, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 124) ; « Elle faisait vraiment vieille pute, dans son peignoir à fleurs. Peut-être était-elle réellement une pute, d’ailleurs. » (Corinne décrivant sa probable mère biologique, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 226) ; « C’est un manteau de ma mère, cette salope ! » (Chloé dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe Botti) ; « Quand ton père m’a connue, j’étais une junkie séropositive. » (la mère d’Ariane – et aussi du héros homosexuel – s’adressant à sa fille, dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander) ; « Maman, elle était pas plus religieuse que moi ! » (Carmen, la fille légère de la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Christian Bordeleau) ; « Ma maman, c’est une pute. Et Dieu sait combien j’l’adore ! » (Crunch, l’un des héros homosexuels, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983), la mère de « L. » se prostitue avant d’aller aux offices religieux : « Je m’attarde sur les escaliers du Sacré-Cœur avant la première messe. » (p. 29). Dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, la mère de Dzav est prostituée au Bois de Boulogne. Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, la mère de la petite Jeanne (6 ans) est prostituée. Dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Suzanne (la mère du héros homosexuel, jouée par Catherine Deneuve) est décrite comme une « bourgeoise nymphomane ». Dans le roman Hawa (2011) de Mohamed Leftah, les jumeaux Zapata et Hawa sont les fruits de la rencontre d’un soldat américain et d’une prostituée. Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, met sa grand-mère (qui le traite de « pupute » au lieu de « pupuce » sans s’en apercevoir) sur un piédestal car il soutient qu’il « l’adore ». Dans le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, la mère de Nicolas (le héros homosexuel), est une séduisante femme-objet fatale surnommée « Désirée », portant un manteau de fourrure, un peu pute et aguicheuse. Dans le film « Mommy » (2014) (toujours de Dolan), Diane, la mère de Steve (le héros homosexuel), est présentée comme la Grande Pute jalousée et magnifiée par son fils homo Steve.

 

Parfois, la fusion incestueuse est telle qu’il existe une collaboration et une étonnante compétition entre le fils homosexuel féminisé et sa mère autour de leur travail commun de prostituées. Ceci est particulièrement visible dans l’œuvre du dramaturge et dessinateur argentin Copi. Par exemple, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi, c’est la mère d’Evita qui envoie sa fille « tapiner ».

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Chez Copi, la mère et la fille (transsexuelle) sont souvent amantes, ou bien l’une est la sœur maquerelle de l’autre, et elles se partagent/disputent le butin. « Ma mère, que fais-tu ici ? Je t’ai interdit de venir traîner dans mon territoire ! » (Lou s’adressant à sa mère Solitaire, à Montmartre, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur, 1986)

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 
 

La mère – « J’ai besoin d’argent pour payer mon gigolo !

« L. », la fille – C’est fini, je ne te file plus de sous !

La mère – Je t’en prie, mon chéri, juste un petit chèque pour finir de payer les traites de mon gigolo ! »

(cf. un extrait de dialogue de la pièce Le Frigo, 1983)

 

Planche "Telle mère telle fille" de la B.D. "Le Monde fantastique des Gays" de Copi

Planche « Telle mère telle fille » de la B.D. « Le Monde fantastique des Gays » de Copi


 

On a de quoi douter très sérieusement de la sexuation féminine des deux personnages en question. Il s’agit plutôt de deux parodies machistes de sur-féminité, jouées par deux hommes homosexuels travestis :

 

« L. » – « Veux-tu une tasse de thé ?

La mère – Avec un nuage de sperme, comme d’habitude. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Passion pour la prostituée de luxe :

Mylène Farmer

Mylène Farmer


 

Certaines personnes homosexuelles ont pu être en contact très jeunes avec le monde de la prostitution, même à travers l’industrie du porno. Même s’il est dur, il a pu bénéficier de la ré-écriture enchanteresse de l’enfance : « Cher Jorge Lavelli, Je te donne cette pièce [La Journée d’une rêveuse] en souvenir attendri de la ville de Buenos Aires qui a été, pour nous aussi, un peu le parc de notre enfance. C’est dans un coin de rue rose de cette ville que nous avons tué à coups de marteau dix-sept facteurs, un marchand de melons et la putain du coin avant d’aller comme des gosses scier les arbres des patios de San Telmo. » (cf. l’extrait d’une lettre de Copi à Jorge Lavelli, en préface de La Journée d’une rêveuse (1968), p. 7) ; « Tu me rappelais souvent que le premier mot que j’aie prononcé était ‘pute’. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 164)

 

Elles vouent une passion idolâtre pour la prostituée cinématographique ou la femme scandaleuse des médias (la prostituée réelle, elles s’en moquent éperdument !). « Si tu es libre, on va te traiter de pute. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla). Il arrive qu’elles trouvent ce « piège à hommes » magnifique et hyper glamour : « Avec la volupté d’une cover-girl, je m’en allais dans un délire de trémoussements en changeant de partenaire à chaque changement de morceau. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 133) ; « J’étais fan de Béatrice Dalle. » (Denis, un témoin homosexuel cité dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, p. 57) ; « Et si je parle beaucoup des prostituées, c’est qu’elles portent en elles une mythologie poétique merveilleuse. Le port, les marins… Ce sont de beaux univers. Ils ont inspiré beaucoup d’auteurs et de poètes. » (Denis D’Arcangelo à propos de son spectacle Madame Raymonde, cité dans la revue Têtu, n°130, février 2008, p. 38) Par exemple, la Patty Diphusa du réalisateur Pedro Almodóvar est certes star du porno… mais diva quand même ! Autre exemple : à l’âge de 9 ans, le couturier homosexuel Jean-Paul Gaultier, à l’école, dessinait déjà des danseuses des Folies Bergère. Pour ma part, quand j’étais en grande section de maternelle, je faisais des dessins de grandes actrices avec des talons aiguilles, un peu provocantes.

 

Cette tendance, aussi étonnant que cela puisse paraître, n’est pas circonscrite à la sphère homosexuelle. Elle s’ouvre à la collectivité qui s’hétérosexualise à grands pas. Par exemple, socialement, on observe que les Femen, ces femmes aux seins nues venant saccager des églises françaises – et dont certaines ont fait de la prostitution leur « métier » – sont portées aux nues (c’est le cas de le dire…) par nos mass médias et sont devenues très vite les porte-drapeau des droits LGBT et des défenseurs hétéros gay friendly et homosexuels du « mariage pour tous » en France. Même Anne Hidalgo, le maire de Paris, leur tresse des couronnes et arrive à les trouver « touchantes ». Ce sont nos dirigeants socialo-féministes et un certain nombre de militants homosexuels qui ont concrètement soutenu le mythe (violemment actualisé) de la putain béatifiée.

 
 

b) La sacralisation de la sainte Pute :

Jean-Paul Gaultier rejouant "Entre Tinieblas"

Jean-Paul Gaultier rejouant « Entre Tinieblas »


 

Certaines personnes homosexuelles poussent la passion pour la prostituée cinématographique au paroxysme de la dévotion. Il la présente (et pas qu’ironiquement) comme une sainte, une Marie-Madeleine ! cf. l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli (avec la prostituée Rita de Jésus). « La Vierge, c’est un monstre par définition. Dans le sens de malformation. Elle a des pouvoirs. Au sens de créature.[…] L’autre paradoxe de Caravage, c’est que le modèle de la Vierge était une pute. » (Celia la conservatrice de musées face au tableau de Carravage où la Vierge Marie, toute habillée de rouge, est enterrée, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud)

 

Par exemple, le peintre Caravage (1571-1610) a représenté en peinture le cadavre de la Vierge… et la femme réelle qui lui a servi de modèle pour cette toile était une prostituée. Ce fait est relaté dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher).

 

Dans ses articles, le poète homosexuel argentin Néstor Perlongher, après avoir détruit verbalement Eva Perón, la sanctifie : elle devient une déesse de perversion, une putain béatifiée, distribuant de la marihuana à tous les pauvres.

 

« Tu te souviens de la prostituée à la fin […]. Elle avait une tête d’ange. » (cf. un dialogue entre les trois tantes d’Alfredo Arias, se rappelant un film qu’elles ont vu ensemble, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997), p. 116) ; « La Chola avançait d’un pas décidé, malgré le déséquilibre que provoquaient ses talons aiguilles qui s’enfonçaient dans le chemin de terre battue. Sur son passage, flottait un délicieux parfum douceâtre. Ses formes étaient exaltées par un tailleur blanc moulant et une petite ceinture rouge. La Chola s’arrêta devant une maison basse, peinte à la chaux et surmontée d’un énorme écriteau où l’on pouvait lire ‘Église scientifique’. De part et d’autre de la porte étaient peints deux angelots assis chacun sur son nuage. Elle frappa. » (Alfredo Arias, op. cit., p. 233) ; « J’aime beaucoup Brigitte Bardot. On sent chez elle un cœur pur. » (le romancier homosexuel Julien Green, cité dans l’article « Julien Green, l’Histoire d’un Sudiste » de Philippe Vannini, sur le Magazine littéraire, n°266, juin 1989, p. 103) ; « J’étais scandalisé qu’on traite cette femme comme une voleuse et qu’on la salisse. » (Jean-Claude Brialy parlant de Joséphine Baker, dans son autobiographie Le Ruisseau des singes (2000), p. 338)

 

Certaines personnes homosexuelles vraiment sanctifient la pin up (littéralement « celle qu’on crucifie »). Kake Frears, par exemple, n’hésite pas à qualifier la blonde aux gros seins Dolly Parton de « sainte » (cf. le documentaire « Sex’n’Pop, Part IV » (2004) de Christian Bettges). Ari Gold trouve Madonna « fantastic » (idem). Plus la femme télévisuelle est vulgaire, plus elle a des chances de devenir une icône homosexuelle adulée comme une vierge (Madonna, Mylène Farmer, Britney Spears, Christina Aguilera, Donna Summer, Bette Midler, Samantha Fox, Janet Jackson, Pussycat Dolls, Rihanna, etc.).

 

Vidéo-clip de la chanson "Like A Prayer" de Madonna

Vidéo-clip de la chanson « Like A Prayer » de Madonna


 

Dans le « milieu homosexuel », on trouve une certaine sophistication jouissive à se traiter mutuellement de « garces » ou de « putes » pour se rendre plus important. « On se dit partout ‘connasses’. On s’insulte de sales pestes. » (cf. la chanson « L’Amour ça va » de Mauvais Genre)

 

Beaucoup de créateurs homosexuels aiment également le retournement camp de la grande bourgeoise en courtisane libertine : ils le trouvent non seulement drôle mais désirable. Il n’y a pas que de l’auto-dérision dans la démarche d’inversion : celle-ci est aussi très sincère et naïve. Par exemple, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence tiennent les comptes de meurtres de prostituées, avec un Livre des Martyres. Elles jouent elles-mêmes les prostituées béatifiées.

 
 

c) L’identification narcissique à l’icône de l’hypersexualité machiste et asexuée :

Certaines personnes homosexuelles sacralisent la prostituée en Reine parce qu’elles rêvent de se substituer à elle, de lui piquer son diadème, de se déifier elles-mêmes par identification, mais aussi parfois de reprendre la main sur un viol passé. « Sur scène, j’essaie d’incarner à la fois le mac et la pute. » (le rappeur gay Mykki Blanco interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Il ne faut pas laisser les couturiers homosexuels habiller les femmes, car ils vont les transformer en prostituées.» (la couturière Gabrielle Chanel) ; etc. Il n’est pas rare qu’elles se présentent comme des saintes, des repentis de la prostitution, des Marie-Madeleine modernes ! Par exemple, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, une Sœur de la Perpétuelle Indulgence raconte (en boutade ?) qu’elle est rentrée dans la « Congrégation » après avoir été « récupérée sur un trottoir ». Harry Glenn Milstead a créé, avec John Waters, un personnage de travesti ultra-vulgaire qui s’appelait « Divine ». Pareil pour le flamboyant « Hedwig » de John Cameron Mitchell, se comparant à Lazare ; ou bien pour Yvette Leglaire, la chanteuse-prostituée travestie qui joue les monstres sacrés immortels ; ou bien pour « Madame H. », la bourgeoise-maquerelle interprétée par un travesti. Beaucoup de personnes transsexuelles M to F se prennent pour des prostituées angéliques. L’une des dénominations d’« homosexuel » les plus utilisées dans le langage courant – « queen » – est en réalité une déformation du mot « quean », qui signifiait à la base « prostituée » (cf. Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 271).

 

Cette identification à la prostituée n’est pas propre aux personnes homos masculines. Elle vient aussi beaucoup des femmes lesbiennes, qui vivent parfois leur homosexualité en même temps qu’elles font le tapin. Comme l’explique Suzette Robichon dans son article « Gouine » dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon (p. 227), à l’origine, le terme « gouine » désignait autrefois une prostituée. Dans l’iconographie, la sulfureuse garçonne flirte avec les tabous : elle se maquille et fume en public, comme les prostituées. La comédienne lesbienne Louise de Ville est le parfait exemple de la femme lesbienne passant de la pin-up coquine à la prostituée. Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, Ebba, la dame de compagnie et amante secrète de la Reine Christine, est surnommée « la Catin de la Reine ».

 

À force de fuir la femme-objet cinématographique soumise au viol (le viol de la prostitution, voire le viol maquillé par le mariage bourgeois), ou bien de voir des exemples de femmes hétérosexuelles maltraitées (pléonasme…), voire de tomber sur des hommes qui se conduisent avec elles comme des clients se rendant au bordel, certaines femmes lesbiennes, même butch, finissent par fusionner avec la prostituée (celle qui semble maîtriser son corps et ses désirs, qui donne une impression d’indépendance) pour ne former qu’une seule et même personne. Et côté « travailleuses du sexe », c’est certainement la confrontation régulière à des hommes machos et obsédés uniquement par leur petite jouissance qui conduit certaines à se tourner vers les femmes. Par exemple, dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, on nous parle d’une prostituée lesbienne (p. 82). Dans énormément de films pornos, beaucoup d’actrices sont forcées de tourner des scènes lesbiennes. Dans le documentaire « Tierra Madre » (2011) de Dylan Verrechia, l’héroïne, Aidee, est lesbienne et strip-teaseuse.

 

Cette putain convoitée est en réalité une projection du machisme, que certaines personnes homos ont intégrée comme la femme réelle, leur copine d’apparat : « Le soir même quand j’ai retrouvé mon cousin Stéphane il m’a posé des questions ‘C’est vrai que maintenant t’as une meuf, que ta meuf c’est Laura, celle que tout le monde dit que c’est une vraie salope’. J’avais perçu dans sa question une forme d’admiration, de complicité virile que je n’avais jamais partagées avec lui. Il était encore plus valorisant pour moi de fréquenter une ‘salope’. Elle faisait de moi un machiste qui entrait dans le cercle des garçons-que-Laura-avait-fréquentés. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 170)

 
 

d) Le goût de « l’idée de prostitution » comme le signe d’un désir homosexuel incestuel :

L’attachement homosexuel à la prostituée renvoie également à l’inceste. La prostituée est la figure enviée mais aussi jalousée de la mère : « Lorsque j’ai eu 40 ans, ma mère m’a dit : ‘Maintenant, tu fais ce que tu veux, mais, surtout, ne dis rien à ton père, ne lui montre jamais que tu es comme ça, il va dire que c’est de ma faute, que je suis une prostituée.» (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 89)

 

Par exemple, dans le cas des GPA (Gestation Pour Autrui), certains couples d’hommes cherchent des femmes à louer pour qu’elles portent « leur » futur bébé. C’est une forme d’exploitation, de « prostitution sans génitalité », mais qui passe pour une merveilleuse collaboration parce que, quelque part, elle donne la vie. Je garderai toujours en tête les propos qu’a rapportés Darren Rosemblum lors de sa conférence à Sciences-Po sur « L’homoparentalité aux USA », le 7 décembre 2011. Le jeune avocat racontait, avec des étoiles dans les yeux, comment il avait loué, avec son compagnon, le ventre d’une femme, Beth, pour avoir « leur » petite fille, et ce que Beth, la mère porteuse, avait fini par conclure qu’ils avaient tous les trois été d’accord pour opérer ensemble une « exploitation mutuelle ». Quand homosexualité, prostitution et maternité se rejoignent, cela forme un trio incestueux qui fait froid dans le dos…

 
 

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Code n°153 – Pygmalion (sous-codes : Divin artiste / « Je suis mon oeuvre » / Amant-objet / Statues / Musée Grévin / Coiffeur homo / Couturier homo / Destruction iconoclaste)

Pygmalion

Pygmalion

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Façonner l’autre à son image (fantasmée)

 

Film "Un beau jour, un coiffeur…" de Gilles Bindi

Film « Un beau jour, un coiffeur… » de Gilles Bindi


 

Qui aurait pu prédire que l’être humain, tout doté de bon sens qu’il est, puisse un jour tomber amoureux de lui-même à travers un autre, surtout si cet « Autre » est un objet ou une statue ? Il a beau savoir que ce mannequin, ou cet amant vivant excessivement adoré et instrumentalisé, ne peut pas l’aimer en retour parce qu’il est soit inerte soit trop couvé pour pouvoir en placer une, il s’évertue, comme le sculpteur de la mythologie grecque Pygmalion avec sa statue Galatée, à donner à ses pulsions et à ses fantasmes esthétiques de possession l’apparence et le contenu de l’amour. En d’autres termes, il ne se place pas en réceptacle et serviteur humble de l’Amour, mais en créateur divin qui va façonner l’Amour de ses propres mains, à lui tout seul.

 

Le désir homosexuel est l’un des élans humains les plus marqués de cette illusion de l’amour des statues, de ce mythe de l’invention de la Vérité par l’art et les sentiments. Beaucoup de personnes homosexuelles sont tombées amoureuses de l’homme-objet ou de la femme-objet des magazines, avant d’orienter leur cœur, par défaut, vers les individus de chair et de sang qui correspondaient « le moins mal » à leurs projections narcissiques « artistiques ». Certaines se choisissent même des métiers de Pygmalion (coiffeur, couturier, photographe, maquilleuse, poète, écrivain, etc.) qui les consoleront tant bien que mal de leur orgueil de créature qui veut être Créateur.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Frankenstein », « Cirque », « Don Juan », « Femme et homme en statues de cire », « Amant narcissique », « Homme invisible », « Tomber amoureux d’un personnage de fiction ou du leader de la classe », « Se prendre pour Dieu », « Fusion », « Clonage », « Clown blanc et Masques », « Poupées », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Super-héros », « Amant comme modèle photographique », « Morts-vivants », « Adeptes des pratiques SM », « Fan de feuilletons », « Collectionneur homo », « Cannibalisme », « Train », « Vent », « Femme fellinienne géante et pantin », « Prostitution », à la partie « Antiquaire homo » du code « Fresques historiques », à la partie « être traité comme un objet » du code « Viol », à la partie « Corps morcelé » du code « Ennemi de la Nature », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Je ne suis pas qu’un corps !

(… J’ai aussi une voiture !)

 

Dans un monde où la science semble avancer spectaculairement, où une certaine société matérialiste et individualiste prône le mythe du self-made man et l’auto-réalisation par l’art et les bons sentiments, beaucoup de personnes – notamment homosexuelles – s’imaginent qu’elles peuvent être leur œuvre. En fantasme, le créateur et sa créature fusionnent : elles disent qu’elles sont leurs chansons, leur livre, leurs paroles, leurs goûts, leurs actes. « C’est notre fiction qui nous constitue » soutient par exemple Monique Wittig dans Les Guérillères (1969). La distance vitale entre l’artiste et son chef d’œuvre n’est en général pas respectée. Il leur arrive même de comparer l’exercice d’écriture à la masturbation. Très souvent, à les voir vivre, on s’aperçoit qu’elles se prennent pour ce qu’elles disent, ce qui explique notamment leur susceptibilité et la fermeture de certains de leurs discours. Elles croient, par l’exercice de l’imitation, se créer elles-mêmes. Elles sont d’ailleurs nombreuses à défendre que les travestis finissent par devenir vraiment ce qu’ils imitent, et que les sujets transsexuels hommes sont réellement des femmes.

 

Ce rêve de fusion avec leur création peut également s’exprimer par la rupture ou l’éloignement par rapport à cette dernière. « Contrairement à la plupart des romanciers contemporains dont la matière est essentiellement de source intime, intérieure, moi, j’ai, avant de pouvoir mettre ma matière en œuvre, à la créer hors de moi, à la poser devant moi, séparée, détachée de moi, presque étrangère à moi. » (Roger Martin du Gard à André Gide en 1933) Cependant, cette démarche a tout l’air d’une coquetterie : c’est en feignant de délaisser leur œuvre que le désir de s’attacher à elle au point de s’y confondre est parfois le plus fort. Étant donné qu’en intention, leur chef d’œuvre se veut anti-identitaire, elles se cachent à elles-mêmes leur narcissisme de créateurs. Il peut y avoir, notamment dans l’écriture automatique ou de l’acte iconoclaste, une forme de narcissisme : on s’écoute (s’) abandonner, on se regarde détruire (au ralenti).

 

Par l’art plus que par la science, beaucoup de personnes homosexuelles se prennent pour des Hommes ressuscités, des dieux-sculpteurs de Réalité. C’est l’idée qu’exprime par exemple André Gide quand il affirme dans son roman Les Faux-Monnayeurs (1925) que « la réalité l’intéresse comme une matière plastique » (p. 133). Elles considèrent le regard humain comme principal créateur de ce qui est vu, et non comme récepteur de ce qui le dépasse ; l’expérience extatique du dédoublement de soi ou de la mythomanie, comme une manière juste d’appréhender la Réalité. Déplacer des objets par un simple coup d’œil, jeter des sorts, lutter contre des démons, déployer ses pouvoirs magiques pour contrôler les éléments naturels, ou figer ses ennemis en statues, sont souvent des fantasmes esthétiques exprimés par les personnes homosexuelles (cf. le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer).

 

Le statut humain qui leur semble le mieux conduire à la nature divine qu’elles visent est celui d’artiste, et plus particulièrement de poète. Elles sacralisent souvent la figure de l’auto-créateur libre et visionnaire, qui forgerait le monde en le nommant. Le rôle d’artistes qu’elles s’attribuent cumule orgueil précieux et auto-détestation. L’activité artistique sert de manière de se consoler de n’avoir pas réussi totalement à se faire Dieu. Hervé Guibert n’a-t-il pas écrit un jour que « l’œuvre artistique était l’exorcisme de l’impuissance » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), p. 265) ?

 

Pour s’auto-persuader de leur grandeur divine sans se l’attribuer à elles-mêmes de manière trop visible et suspecte, les Pygmalions narcissiques homosexuels ont coutume de projeter tout leur émerveillement d’eux-mêmes vers leur création artistique, vers leur partenaire de vie qu’ils ont voulu sauver de la misère et qu’ils couvrent de cadeaux, de bijoux, de sollicitude, d’attentions, de sexe, de caresses. Énormément de personnes homosexuelles prennent leur amant pour un objet, un fétiche à célébrer comme un reflet spéculaire magnifique et à détruire comme un bibelot. Il n’est pas rare, par exemple, d’entendre des hommes traiter leur compagnon de « nounours », de « bébé », ou de « porte-manteau », même parfois avec des cœurs dans les yeux. Certains vont jusqu’à affirmer (je l’ai entendu !) que leur seul souci, après avoir bien profité de leur printemps de trentenaires, est d’« équiper leur maison d’un amant » à la quarantaine. Et je ne parle pas de la louange des « jolis p’tits culs », des « longues bites », ou des « gros seins », sorties de la bouche de la clientèle des établissements gay…

Comme pour illustrer que l’union homosexuelle est déséquilibrée parce que réifiante, beaucoup d’auteurs homosexuels représentent dans leur iconographie un rapport fétichiste entre les amants : l’un d’eux est le modèle photographique de l’autre, et le personnage qui divinise son compagnon par la photo, le dessin, ou la sculpture, finit toujours par se faire larguer puis traiter comme un objet par celui qu’il a voulu réifier. Cette vision de l’amour n’apparaît pas comme insultante aux esprits qui la représentent étant donné qu’elle se pare des meilleures intentions. Un certain nombre de personnes homosexuelles veulent être les Pygmalion fusionnant avec leur amant créé : souvent, des célébrités homosexuelles lancent des jeunes talents, qui sont par la même occasion des amants temporaires (on peut penser en particulier à Jean Cocteau avec Raymond Radiguet ou Jean Marais, à John Waters avec Divine, à Yvonne Brémonds d’Ars avec Suzy Solidor, au baron Von Sinclair avec Hölderlin, Laurent Bon avec Yann Barthès, etc. Elles attendent de leur amant qu’il soit leur parent-objet, ou leur fils-objet, le tout sans lien de filiation de sang bien sûr. Leur partenaire, c’est leur petit chouchou à elles, celui qu’elles blottissent contre elles pour le protéger des agressions extérieures. « Julien est là tout entier, debout, dans la paume de ma main. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 44) Elles ne se rendent pas toujours compte qu’à force de le tenir bien serré contre elles, ce dernier est en train de devenir symboliquement – et parfois réellement – violet. « Quand tu es comme ça, anéanti contre moi, j’ai l’impression de te protéger. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 163)

 

Leur désir de materner l’amant ou de se lover en lui cache souvent un souhait de disparaître ou de retourner au stade intra-utérin. « J’aimerais que tu sois un kangourou avec une poche pour que les petits kangourous s’y glissent. » (Virginia Woolf s’adressant par lettre à Violet Dickinson) Il arrive que certaines personnes homosexuelles – celles qui de l’extérieur ressemblent à des statues du Musée Grévin tellement elles sont timides, muettes, et sans personnalité – fassent de leur partenaire un bouclier ou un paravent afin de ne pas affronter la vie, et qu’elles se débrouillent toujours pour sortir avec des personnalités très étouffantes et charismatiques qui vont les surprotéger et faire leur travail de sociabilité à leur place. Les paravents dont parle Jean Genet ne sont pas, pour cette raison, à considérer dans le sens uniquement matériel. Il faut y lire une métaphore des amants.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Divin artiste :

Dans les œuvres homosexuelles, le statut d’artiste est particulièrement valorisé. On a l’impression qu’il n’y a pas de plus grand titre – après « l’être amoureux » – que celui de Poète ou d’Artiste : « Moi, mon truc, c’est pas la chasse ou la pêche. C’est l’art ! » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Un poète est plus qu’un homme. » (Heurtebise dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) ; « Écrire : c’est un sacerdoce, une entrée en religion. » (Philippe Besson, En l’absence des hommes (2001), p. 106) ; « Je veux être artiste ou n’être rien. » (Louis II de Bavière dans la pièce Le Roi Lune (2007) de Thierry Debroux) ; « Oh la la… Y’a vraiment beaucoup de pédés là-bas ! » (Laurent Violet, se référant au monde du spectacle et des arts, dans son one-man-show < i>Faites-vous Violet, 2012) ; « Je suis une grande amatrice d’art. » (Catherine, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, l’écrivain pédant homosexuel, se décrit pompeusement comme le « Prince des Poètes » ou « L’Homme en noir ». Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane fait passer l’écriture pour un rituel sacré, un processus créatif et créateur impossible à interrompre, un moment en suspension : « Je revenais à toi quand l’écriture cessait. » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, le couple Ben/George est engagé dans l’artistique : l’un est peintre, l’autre prof de chant et de musique.

 

L’artiste homosexuel se veut souvent l’égal de Dieu : cf. le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall (avec la figure du Pygmalion-Poète en Stephen), le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo (avec la figure sacralisée du Poète), le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret (avec Sonia, la figure de l’« artiste » bisexuelle extraordinaire), etc. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, l’Auteur se fait appeler « Dieu » par la Comédienne. Dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, le peintre Jioseppe Campi signe ses tableaux avec les initiales christiques « J. C. ».

 

Le héros homosexuel croit, comme Adam, créer le monde par la parole et par l’art, se créer lui-même : « Toute influence est immorale. » (Lord Henry, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Imaginez le souffle du romancier qui aperçoit pour la première fois son œuvre. » (Thibaut de Saint Pol, N’oubliez pas de vivre (2004), p. 249) ; « En un sens, nos paroles sont réalité. Elles peuvent créer des mondes et les détruire. Elles ont le tranchant du couteau. […] » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 17) ; « De même que Dieu a créé ce monde par la parole, nous créons des mondes par nos mots. […] Nos mots sont puissants. Nos mots sont réels. » (idem, pp. 289-292) ; « Il n’y a pas à dire, Jioseppe a vraiment un don, qui lui permet d’aller au-delà même de la représentation vraie, pour toucher l’idéal. […] Il ne se considère pas comme un simple imitateur de nature. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), pp. 10-11) ; « La machine à écrire est sacrée. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Je dois créer une œuvre d’art. Je dois chanter l’apothéose, faire croire que j’ai écrit la Bible. » (cf. la chanson « Une Chanson sans paroles et sans musique » de Jann Halexander) ; « Vivre, c’est improviser. Être toujours en totale improvisation. » (le jeune Mathan, homosexuel, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, il est question des « yeux tout-puissants du narrateur » (p. 404).

 

C’est l’effet « Madeleine de Proust » bobo : je me raconte ressentir. « Enfin, Gabrielle redécouvre l’état d’écriture, jubile à évoluer parmi les créations de son esprit, éprouve sa toute-puissance à l’égard des personnages, repousse les limites des mots, affronte le courage de dire. […] Lorsqu’elle écrit, des vagues émotions la traversent. […] Elle n’a jamais ressenti cela. Elle se sent vivante. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), pp. 98-99) ; « Nicolas se sentait pleinement lui-même : vagabond, poète. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 120) ; « Vous vous écoutez écrire. » (le narrateur homosexuel du roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 120) ; « Poète, on se prend à son jeu. C’est le charme. […] Je me suis fait pleurer moi-même en l’écrivant. » (Cyrano par rapport à la lettre d’amour qu’il a écrite dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Tu peux t’inventer ta propre personnalité. » (Léo, le héros homosexuel dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; etc.

 

Aux yeux du héros homosexuel, le monde des statues va cristalliser ses fantasmes érotiques et incarner sa créativité divine. C’est la raison pour laquelle, dans les fictions homo-érotiques, on retrouve autant de sculpteurs ou d’amateurs de sculpture. Par exemple, dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz, Daniel découvre soudainement l’homosexualité de son père décédé en réalisant dans le bureau de ce dernier qu’il est rempli d’Apollons grecques. Dans le roman Paysage avec dromadaires (2014) de Carola Saavedra, Erika est une sculptrice lesbienne qui va avoir une liaison avec la jeune et belle Karen. Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Matthieu-Alexandre, le fils aîné homosexuel de Marie-Muriel, fait des sculptures du meilleur goût : en forme de bites. Dans le roman Nous sommes l’eau (2014) de Wally Lamb, Annie, sculptrice, vit une passion pour Viveca, une galeriste new-yorkaise. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la pièce commence par une femme sur scène (la narratrice transgenre F to M) qui se met en position fœtale, comme un monstre difforme sur une table d’opération : elle exprime en quelque sorte que son corps lui appartient et qu’elle serait son propre matériau.

 
 

b) « Je suis mon œuvre » :

L’orgueil du personnage homosexuel qui se met dans la peau de l’artiste divin ne s’arrête pas là. Comme il ne veut auto-suffisant, à la fois il se glorifiera en tant que Créateur capable d’engendrer une belle création à son image, et il ne supportera pas que cette création lui fasse de l’ombre. C’est pourquoi il dit souvent qu’il ne fait qu’Un avec son ouvrage/miroir narcissique : « L’œuvre d’un poète est sa vie… et la vie d’un poète est son œuvre. On ne peut les séparer. Pour lui, vivre est un art et son art est toute sa vie. » (Catherine en parlant de son fils homosexuel Sébastien, dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « Moi je… m’invente une vie. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) ; « Nous ne sommes reliés qu’à nous-mêmes. » (cf. la chanson « Nous souviendrons-nous » de Mylène Farmer) ; « Je suis mon œuvre. […] Si je n’écrivais pas, je crois bien que je serais mort. » (Philippe Besson, En l’absence des hommes (2001), p. 106) ; « Ce sont des mots triomphants ! » (la voix narrative de la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Je puis dire que je suis mon ouvrage. » (la Marquise de Merteuil, Lettre LXXXI, dans le roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos) ; « Je ne sais pas ce qui est réel et ce que j’invente. » (Anna dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 17) ; « Les choses que je n’imagine pas n’existe pas. » (l’héroïne de la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau) ; « J’ai envie d’être coulé dans le béton. » (Glen dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh) ; « Tu te prends pour la réincarnation de David ou quoi ? » (Jian Cheng s’adressant à Wang Ping qui se regarde dans la glace, dans le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye) ; « On est un peu homos clichés aujourd’hui. » (Nicolas, Gabriel et Rudolf, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Je ne suis pas une drag, je suis de l’art ! » (le dragqueen dans le film « Cost Of Love » (2010) de Carl Medland) ; « Je suis une photographie en noir et blanc. » (cf. la chanson « Mélancolie toujours » de Jann Halexander) ; « Je suis une caricature. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire est un poète qui se croit sublime dans la cruauté et qui tente de « faire de sa vie son œuvre ».
 
 

c) Le personnage homosexuel prend son amant pour un objet :

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Cannibalisme », « Amant narcissique », et à la partie « Dos » du code « Amant comme modèle photographique » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

N’étant que créature – ou créateur secondaire – et non Créateur, le héros homosexuel ne va pas pouvoir fusionner avec son œuvre artistique. Pour se consoler de cet échec, et quand même se persuader qu’il est Dieu, il se rabat alors sur la fétichisation sacralisante de son ouvrage, et sur la sentimentalisation d’un amant qu’il va mettre sur un piédestal comme une statue, et dont il va se revendiquer possesseur privilégié : cf. le film « Prends-moi » (2002) d’Everett Lewis.

 

Par exemple, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, le boulot d’Hannah, l’héroïne lesbienne, est de sélectionner en casting des actrices pour un film. Dans le film « Sekret » (2012) de Prezemyslaw Wodcieszek, Ksawert, gay, est un danseur qui travaille comme drag queen et Karolina est son agent. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand dit qu’il aurait aimé être directeur de casting. Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Rodney, le riche et vieux critique d’art, entretient le jeune acteur Paul. Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Atos Pezzini, homosexuel, chaperonne des petits jeunes artistes qui veulent évoluer dans le monde du théâtre : par exemple, il définit Diego, son assistant (habillé en marin), comme « son poisson-pilote ». Dans la pièce La Vie est une tarte aux pommes (2014) de Michel Jonasz, l’imprésario est gay. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf écrit en 1929 une autobiographie, Orlando, prenant comme inspiratrice son ex-amante Vita Sackville-West : cette dernière est gênée d’être « la Muse de Mademoiselle Woolf ». Mais après avoir vu le résultat romanesque, elle change d’avis et tombe amoureuse de son double fictionnel : « Je suis tombée amoureuse de ta vision de moi. » déclare Vita. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo tire le portrait de son amant Rémi puis lui dit : « J’ai une idée : je vais devenir ton manager. »

 

Le fait de transformer l’amant en objet indique un élan de possessivité qui se veut de l’amour mais qui au fond n’en est pas : « J’avoue t’avoir adoré à la folie, avec extravagance, absurdité. Je voulais t’avoir pour moi tout seul. » (Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1891) ; « Mais de toi je ferai ce que je voudrai. » (Bruno à son « fils-amant » Jérémie, dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand) ; « Il faut que je l’aie ! » (Léopold racontant sa réaction face au premier garçon dont il prétend être tombé amoureux, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « La seule chose qui m’importe aujourd’hui : posséder une femme. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 15) ; « Je veux sa bouche. Je veux son cul. Il est à moi ! » (Lennon, le héros homosexuel parlant de Martin, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Et si ce qu’il faut, c’est que tu sois originale, je m’arrangerai pour que tu puisses l’être. » (Amy qui veut bien jouer à la lesbienne avec sa meilleure amie Karma pour lui faire plaisir et lui faire gagner de la popularité dans leur lycée, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; etc.

 

C’est le malheur et la tristesse qui font que les amants homosexuels se traitent mutuellement d’objet et cherchent à se raccommoder l’un l’autre, comme un seul vase qu’ils formeraient à deux et dont il faudrait recoller les morceaux : « Mais vous êtes en lambeaux ! Venez que je vous ramasse ! Je vous recouds, Linda ! Vous êtes pas belle à voir ! » (Loretta Strong à Linda dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Mon cœur n’est pas de pierre. […] Ma langue n’est pas de bois. […] Ton cœur n’est pas de marbre. […] Tu insistes, je me cabre : il n’y a plus rien à faire. » (cf. la chanson « Changement de propriétaire » du Beau Claude) ; etc.

 

On trouve beaucoup de cas de réification de l’être aimé dans les fictions traitant d’homosexualité. Le personnage homosexuel considère souvent son amant comme un objet : cf. le film « Possession » (2002) de Neil LaBute, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le tableau Men With Doll (2001) de Xavier Gicquel, etc. « Il faut que je prenne des décisions ! Vincent, je le fous à la poubelle… » (Stéphane, le héros homo parlant de son copain, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Moi, c’est Nathan. Ça veut dire ‘cadeau’ en hébreu. » (Nathan se présentant pour la première fois à son amant Jonas, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; « Je suis plus qu’un cocon à bébé pour toi, hein ? » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte s’adressant à son amante Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 101) ; « C’est un cube. Une lesbienne, quoi. » (Angélique par rapport à Judith dans la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « Je remarque toutes les fautes de goût de cet appartement. […] Je cherche la place que tu vas prendre entre tous ces meubles. » (l’homme dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier, p. 48) ; « J’aimais tout de lui, ses tableaux, ses vêtements… Tout ce qui le concernait me fascinait. Il n’y avait pas une seule ombre au tableau. Il était drôle, généreux et toujours plus beau ! » (Bryan par rapport à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 16) ; « Dans une autre vie, je voudrais être ton ours. » (Bryan à Kévin, op. cit., p. 73) ; « Tu es mon refuge. Avant c’était mon ours, maintenant c’est toi. » (Kévin à Bryan, op. cit., p. 157) ; « T’es à moi, rien qu’à moi et personne ne te touche ! » (Bryan à Kévin, op. cit., p. 345) ; « Finalement, t’es mon cadeau de Noël ! » (Kévin à Bryan, op. cit., p. 391) ; « T’es mon bisounours. » (un des clients du sauna à Tristan, l’homme bear, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Tu pries pour que ton frère, comme toi, au même moment, soit blotti dans les bras d’un beau jeune homme plein de vigueur, et qui prendrait soin de toi comme d’une poupée. » (Félix à propos d’un soldat allié, Bob, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 132) ; « Je touche du bois ! » (Emma, en claquant les fesses d’Adèle au lit, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Je me souviens, en te touchant, d’avoir eu peur de te casser. » (Denis s’adressant à son amant Luther, dans le docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « T’es trop chou. On dirait une petite poupée mécanique. » (Kanojo s’adressant à son amante Rinn dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « C’est une petite poupée de chiffon. » (Juna parlant de son amante Rinn, idem) ; « Si je la trouve, je l’achète. » (Shirley Souagnon parlant de son hypothétique grande fan dans le public, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Beaucoup, beaucoup étaient ceux qui l’avaient désiré, avaient désiré surtout le transformer en un objet d’art malléable. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 172) ; « Savez-vous ce que vous êtes ? Vous êtes comme une belle et grande sculpture grecque. Un Hermès. Magnifique… mais froid comme la pierre. » (le Comte Smokrev s’adressant méchamment à Pawel, idem, p. 302) ; etc. Souvent, l’amant homo est aussi expressif qu’un frigo. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, est un garçon très renfermé sur lui-même, qui ne dit quasiment rien : « Jamais plus de trois mots ! » le charrie son amant Kevin.

 

Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, le couple lesbien Suzanne et Héloïse « s’offre » un plan à trois avec Fédora pour se donner un second souffle : « Je crois vraiment que c’est un cadeau, un cadeau pour toutes les deux. Comme les deux pull-overs achetés à Londres il y a si longtemps. » (p. 333). Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry se sert du sein d’un des spectateurs comme interrupteur de lumière de la salle. Dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari, Mnesya, la protagoniste lesbienne, dit que son amante Loba l’a attirée parce qu’« elle n’était pas cassée ». Dans le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, Allen Ginsberg présente Peter, son amant, comme son « cadeau de Noël ». Dans le film « Un Jour comme un autre » (2003) de Laura Muscardin, l’amant est comparé à une couverture chaude. Dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, les deux amants se soumettent un jeu de questions-réponses qui pourrait leur paraître insultantes (« Si tu étais un jouet, tu serais quoi ? ») s’il n’était pas saturé de drague : quand Pablo dit qu’il se voit en pelle et en seau, Bruno propose de l’acheter. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie reproche à son amant Todd de se servir de lui comme un bouche-trou aux soirées, ou comme un objet : « Je suis ton oreiller. » Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel dit qu’il est en couple avec son violon « Jean-Jacques ». Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel, écrit sur son amant syrien Tareq.

 

Dans le meilleur des cas, l’amant est associé à une œuvre d’art : « On vous a dit que vous ressemblez à un Botticelli ? » (Cyrille au journaliste Jean-Marc, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 17) ; « C’est mon monument à moi. » (William parlant de son amant Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Si je savais dessiner, je te demanderais d’être mon modèle. » (Jacques s’adressant à son jeune amant Mathan, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. En règle générale, le personnage homosexuel se dit fasciné par les corps sculptés et les statues des dieux grecs : cf. le film « Tendre Voyou » (1966) de Jean Becker (avec Ivan Desny), le film « Corps à Cœur » (1978) de Paul Vecchiali, le film « Boys For Beauty » (2000) de Mickey Chen, le film « Boys Toys » (2003) de Geof Smith, la chanson « Black Or White » de Michael Jackson (sur la Statue de la Liberté), le film « Mon Führer : la vraie histoire d’Adolf Hitler » (2007) de Dani Levy (avec les statues grecques dans le bureau d’Hitler), le roman El Día Que Murió Marilyn (1970) de Terenci Moix (avec le goût de Jordi pour les statues), le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, le film « Song Of The Godbody » (1977) de James Broughton, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec la statue), le roman L’Uruguayen (1972) de Copi (avec la statue de l’enfant au bilboquet, au milieu de la place du village), le film « The Bridge » (2005) de George Barbakadze (avec des statues dans le superbe appartement du couple Niko-Luka), le roman L’homme de marbre (2008) de Stéphane Lambert, le vidéo-clip de la chanson « Nothing Compares To You » de Sinead O’Connor, le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, etc. Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, la valise de Daphnée contient une statue grecque. Dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, Lucas parle de sa « fascination pour les corps » (p. 51). Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, il y a des lithographies de statues partout dans la chambre du « couple » Paul-Erik. Dans le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, Nicolas, le héros homosexuel, est associé à une statue de marbre pendant qu’il danse : des images de statue sont intercalées à ses pas. Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine, l’héroïne lesbienne, ment à sa mère en lui présentant son amante Carole comme une simple amie qu’elle aurait rencontrée dans un « atelier de poterie pour femmes ». Carole ironise, en glissant plein de sous-entendus : « Dans ces ateliers, on sculpte les corps… »

 

La statue de marbre charme la fantaisie du héros homosexuel : « La folie des corps… tu sais ce que c’est quand on est jeune. » (Xav dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Michael va à une académie de sculpture, passe ses journées aux musées. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 140) ; « Ta chambre est une ode à la couleur mauve : des tapis aux abat-jour, des peintures aux statuettes, des draps aux alaises, le décor couvre chaque nuance du violet. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 169) ; « Nous adorerons Evita. Son image sera reproduite à l’infini en peinture et en statue pour que son souvenir reste vivant dans chaque école, dans chaque endroit de travail, dans chaque foyer. » (Perón dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « En époussetant le buffet qui se trouve dans le salon, je fais tomber un bibelot. Une petite statuette en bronze qui représente un personnage ailé et qui heureusement touche le parquet sans s’ébrécher. » (Théo dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 68) ; « Nous vîmes, pas très loin de nous, un homme bien mis qui regardait la statue d’un éphèbe. Il le détaillait avec grande attention, et, alors que nous parlions des pratiques assez particulières du monde antique, Philippe me dit que, justement, cet homme avait probablement le goût différent dont il tentait par allusions de m’expliquer l’originalité. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 38) ; « Un ange éploré était accroupi à la base d’une grande croix, les bras levés vers le ciel dans une posture suppliante. Ses ailes étaient aussi longues que son corps, son visage beau et torturé, évoquant un Jésus féminin. Le sculpteur avait fait du bon travail ; une impression de lumière se dégageait des plis de pierre de sa robe, laquelle épousait ses formes athlétiques mais manifestement féminines. Jane s’aperçut que son regard s’attardait sur les fesses de l’ange. Elle rit et murmura : ‘ Du porno de cimetière. ’. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 46) ; « Je vous vois rougir. Comment se fait-il, ma très chère ? Cela vous va bien. » (Merteuil s’adressant à sa poupée Madame de Tourvel, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, dans la mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc. Par exemple, dans le film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev copie les statues de marbre du Louvre et s’en inspire pour effectuer ses chorégraphies.

 

Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur tombe amoureux de son jouet en bois, « Kiki », que lui avait offert son parrain décédé quand il était petit. Il dit que « c’est comme une présence apaisante et rassurante pour lui » : « Je ne l’ai pas choisi. Il ne m’a pas choisi. » Il semble vivre avec cet être-machine une relation fusionnelle où l’un existe au détriment de l’autre : « Il y a eu assemblage de cellules. Il va grandir. Moi pas. Il va gémir. Moi pas. Il va finir. Moi pas. Je suis pourtant dedans. Il se racle la gorge… et c’est ma voix qui sort.
 
 

d) Le mythe de Pygmalion est appliqué au couple homosexuel : l’artiste homosexuel tombe amoureux de son amant-chef d’œuvre :

Le personnage homosexuel prête à sa statue des sentiments humains : cf. la pièce La Statue mutilée (1970) de Tennessee Williams, le film « La Statue qui marche » (1920) de Fritz Lang, le film « De la vie des marionnettes » (1980) d’Ingmar Bergman, la chanson « L’Horloge » de Mylène Farmer (« Mon gosier de métal parle toutes les langues. »), la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer (« Dis maman, pourquoi je suis pas un garçon ? »), la chanson « Parler tout bas » d’Alizée (« Les jours de pluie, mes jouets sont vivants. »), etc. Par exemple, les dernières images du faux film « Servir et protéger » dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Billy parle à la statue du président Lincoln comme si elle était vivante, et son amant Dany le lui fait remarquer : « C’est une statue, Billy… » Et à la toute fin de « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard reçoit la statuette oscarisée de Cameron. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, prend son aspirateur Tornado pour un être vivant, un chien. Et quand la machine ne fonctionne plus, il pleure un mort. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Georges, le héros homo fortuné, possède dans son appartement des statuettes… et un amant sculptural. Dans le générique du film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, ça démarre tout de suite avec une succession de photos de statues grecques.

 

Photo Le Tribut (1985) de Marcel Marien

Photo Le Tribut (1985) de Marcel Marien


 

Dans les fictions homo-érotiques, on voit souvent qu’art et amour sont mélangés, que le personnage homosexuel ne fait pas de distinction entre les goûts et l’Amour (il « aime » une œuvre d’art comme il « aime » une personne), entre esthétique et éthique : « Est-ce de l’une de ces statues que jaillit un gémissement nostalgique ? » (cf. la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 112) ; « À travers le modèle, il [Jioseppe] doit représenter un sentiment. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Plus elle s’approche, plus le cœur d’Anne-Catherine bat fort. Elle regarde la sculpture. […] Doucement, le doux visage d’un jeune guerrier émerge du fond des âges. Il y a des centaines d’années, cet homme existait, en chair et en os. […] Elle hésite, approche sa main tremblante et finalement, touche l’œuvre. » (idem, p. 272) ; « Jason allait réciter son credo mécaniquement. Dire qu’il ne croyait qu’à l’art. Affirmer avec un lyrisme faux que seules la peinture, la musique et la poésie permettent de supporter l’existence. » (Jason, le héros gay, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 357) Par exemple, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra met l’art sur le même niveau que l’amour. Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, Orphée et Narcisse sont confondus. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Bernard, le peintre et amant de Pierre Bergé, tire le portrait d’Yves Saint-Laurent. Dans le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion, Isabelle tombe amoureuse de la veuve Serena Merle rien qu’en l’écoutant jouer du Schubert : « Elle est charmante. Elle joue admirablement du piano. » Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan, le jeune héros homosexuel, a dessiné François, son premier amour. Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, l’homosexualité est mise sur le même plan que le talent pianistique inné : Irène, au moment où le père Raymond lui demande d’où lui vient sa prédisposition au métier de pianiste, lui répond, pour défendre l’homosexualité de son frère Bryan : « C’est comme demander à Bryan pourquoi il est gay. »

 

Il arrive fréquemment que le héros homosexuel tombe amoureux de son œuvre d’art : cf. la chanson « Kissing My Song » du groupe Indochine, les vidéo-clips des chansons « Redonne-moi » et « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le film « Calé » (1986) de Carlos Serrano, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Martin (Hache) » (1997) d’Adolfo Aristarain, la comédie musicale My Fair Lady (1958) de Cecil Beaton, le film « My Fair Lady » (1964) de George Cukor, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (le Dr Frank-N-Furter tombe amoureux de son modèle Rocky), le roman L’Apprenti Sorcier (1976) de François Augiéras, le poème « Un Hombre Con Su Amor » de Luis Cernuda, le film « Mikael » (1924) de Carl Theodor Dreyer, la pièce Pygmalion (1957) de George Bernard Shaw (avec Jean Marais et Jeanne Moreau), le film « Artistes et Modèles » (1955) de Frank Tashlin, le film « Mikael » (1923) de Carl Theodor Dreyer, le film « Pygmalion » (1938) d’Anthony Asquith, le film « Boulevard » (1960) de Julien Duvivier, le film « La Rue chaude » (1961) d’Edward Dmytryck (avec la sculptrice), le film « Making Love » (1982) d’Arthur Hiller, le film « Desert Hearts » (1985) de Donna Deitch, le film « Gugu, O Bom De Cama » (1980) de Mario Benvenutti, le film « Valentin » (2001) de Juan Luis Iborra, le film « Caravaggio » (1986) de Derek Jarman, le film « Le Sang du Poète » (1930) de Jean Cocteau (avec le beau sculpteur incarné par Enrique Rivero), le film « Love Is The Devil » de John Maybury, le film « L’Enfant Miroir » (1990) de Philip Ridley, le film « It’s That Age » (1990) d’Hagar Kot, etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, Maxence tombe amoureux du portrait de la femme idéale qui lui est apparu en rêve : « Son portrait et l’amour ne font plus qu’une image » dit-il. Dans la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks, Dr Frankenstein Junior et sa créature Frankenstein jouent à être en couple. Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Catherine, l’héroïne lesbienne, compare son amante Fanny à un tableau et tombe amoureuse d’elle. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs (où l’art et la musique sont montrés comme de l’Amour vrai), Ben, l’un des héros homosexuels, est peintre : il peint sur les toits des immeubles new-yorkais, les fameux roof tops . Il décide de tirer le portrait du jeune Vlad, le beau camarade de classe de son neveu Joey, qui est dégoûté de cette mise en scène. Joey trouve qu’un peintre peignant un modèle, « ça fait gay ! ». Ce sera son plus beau tableau. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, maquille sa propre mère dans la salle de bain et lui redonne soi-disant sa féminité. « Ta grand-mère était très douée. » le complimente-t-elle.

 

Toile "Pygmalion et Galatée" de Jean-Léon Gérôme

Toile « Pygmalion et Galatée » de Jean-Léon Gérôme


 

Dans la pensée du Pygmalion et de son modèle (pensée totalitaire et fusionnelle), l’amour est créé par eux et par personne d’autre. Il ne se reçoit pas de l’extérieur… donc encore moins de Dieu ! « Quand est-ce qu’on refait l’amour ? On le réinvente maintenant comme à chaque fois. L’amour est le facteur exponentiel des corps. On se multiplie l’un l’autre. Rien de tout ça ne nous a été transmis, appris. Tout ça on l’avait dedans. » (cf. une réplique de la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier)

 

Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel embrasse son amant Omar qu’il a dessiné sur le mur de sa chambre. Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), le comédien se met dans la peau d’un homme dont la femme a été défigurée dans un accident de voiture et qu’il embrasse comme si elle était un tableau abstrait : « Mon p’tit Picasso à moi… Smack ! » Dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, il se produit un curieux phénomène : les personnages voient apparaître sur les tableaux exposés dans une galerie d’art le visage de leur future âme-sœur, visage que les autres visiteurs ne parviennent pas à voir : « Tu veux dire que cette statue [la statue de Dibutades] porte le secret des œuvres qui font apparaître les âmes sœurs ? » (p. 202) ; « La jeune femme [Anne-Catherine] est touchée, pour la première fois de sa vie, par la grâce de l’art, devant l’autoportrait de Madame Vigée-Le Brun et sa fille. » (idem, p. 308) Dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, la voix narrative s’adresse à une amante-statue. Dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, Myriam parle toujours à sa poupée. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin a fait un portrait de son futur amant Bryan à partir d’une photo qu’il a prise de lui ; cet acte anticipé d’idolâtrie étonne sa mère : « Vous ne vous connaissiez pas mais tu as sa photo et tu fais son portrait ! » (p. 17) Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Emma tire le portrait d’Adèle dès leur deuxième rencontre. Dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, Elena, avant de sortir avec son amie Peyton, veut absolument la flatter et l’amadouer en faisant d’elle un beau portrait-photo.

 

L’amant est comparé à une statue ou à une poupée désirable par le héros homosexuel : cf. le vidéo-clip de la chanson « Redonne-moi » de Mylène Farmer, le film « Poupée d’amour » (1970) de Mac Ahlberg, le vidéo-clip de la chanson « Luca Era Gay » de Povia (avec la présence d’une statue gréco-romaine), le vidéo-clip de la chanson « Gay Bar » du groupe Electric Six (avec la statue grecque), etc. « Beau comme ces jeunes Grecs ciselés dans le marbre. » (la psychiatre décrivant le corps mort de Cyril, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 222) ; « Un homme, c’est comme une pierre à laquelle tu te tiens. C’est robuste. » (Franck dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Quand je suis tombé sur Pietro j’ai été ébloui, tous mes sens se transformèrent. Il n’avait aucune sexualité, aucune. Il ne bandait jamais, ne sentait rien, je pouvais faire de lui ce que je voulais. » (la voix narrative du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 22) ; « Il pense que je vois en lui un chef-d’œuvre romain. » (idem, p. 23) ; « Le corps de Pietro est devenu dur et ferme comme une statue, pas une goutte de sang n’a coulé de son nombril. » (idem, p. 151) ; « Pierre, on dirait un gros bouddha en mousse, sauf dans les moments où il pique ses crises et me casse des objets sur la tête. » (idem, p. 68) ; « Il s’aventure dans la sculpture. Il fait un Pierre grandeur nature en argile à côté du vrai qui n’a pas de mal à poser puisqu’il est toujours immobile à méditer. Ce Pierre ne lui ressemble pas du tout, il est beau, grand et musclé, on dirait une statue grecque. » (idem, p. 70) ; « Tu es comme une sculpture. Je suis amateur d’art. » (le voisin de l’immeuble payant Emmanuel pour qu’il se dénude devant lui, dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré) ; « Si les sculpteurs de l’antiquité t’avaient connu, c’est toi qu’ils auraient pris comme modèle. Tu serais aujourd’hui dans tous les musées ! » (Kévin s’adressant à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 391) ; etc. Dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, Laura voit son amante Sylvia en pièces détachées, et la compare à la Vénus de Milo. Dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, le corps des amants est sans cesse associé à des sculptures de Michel Ange, aux peintures de Géricault : « La pierre, fût-elle ou non façonnée par l’homme, nous rend immortels. » (p. 44)

 

D’ailleurs, le couple homosexuel fictionnel se place souvent sous le patronat d’une statue : cf. le film « Le Cas d’O » (2003) d’Olivier Ciappa (où le couple Orient-Michaël est soumis au pouvoir énigmatique d’une statue), le film « La Chair et le diable » (1927) de Clarence Brown (avec le pacte d’amour devant la statue), etc. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Antonin offre à son copain Hubert deux marionnettes en pâte à modeler à leur effigie, pour officialiser leur union.

 

Vidéo-clip de la chanson "Redonne-moi" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Redonne-moi » de Mylène Farmer


 

La légende de Pygmalion, ce sculpteur tombant amoureux de la statue qu’il a façonnée, est très souvent revisitée dans les œuvres de fiction homosexuelles : « Pierre me dit tous les jours que je suis sa star. » (Stéphane dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Oui, je la pomponne, lui applique du rose sur les joues, sur les lèvres pour lui donner meilleure mine, sinon elle a un teint de morte. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset p. 53) ; « C’est moi qui lance les artistes. » (l’attachée de presse interprétée par Élie Kakou, dans son spectacle comique Élie Kakou au Point Virgule en 1992) ; « Pendant des années je t’ai connu, je t’ai peint. » (Chris dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 64) ; « Vous allez faire mon portrait. » (la duchesse d’Albe au prince Solis, dans la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 20) ; « Je vais faire de toi un top model. » (Petra à son amante Karin, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je suis juste un homme qui à coup sûr peut te faire accéder à la célébrité. » (Zach s’adressant à son jeune étudiant-amant Danny, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « T’as du talent, tu sais. » (Jack parlant au jeune et bel Hugo, en cherchant à le pygmalionner, dans la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; etc.

 

Le personnage homosexuel dit qu’il tombe amoureux de sa statue, qu’il est l’agent de celle-ci : « Hey ! Embrasse pour moi la Statue de la Liberté ! » (Stéphane, le héros homo à son meilleure amie lesbienne Florence, au moment où celle-ci part à New York, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Moi, je sirotais ta douce peau d’or. » (cf. la chanson « Ange » du Beau Claude) ; etc. Dans le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman, Ezri tire le portrait d’Aaron, son amant : « Je peux te dessiner. […] Tu es mon chef d’œuvre. » Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Muriel Gold est le modèle pictural constant de sa copine et peintre Catherine S. Burroughs. Dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder, Watson est le biographe-amant de Sherlock Holmes. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Thibault, l’amant de Xav, est présenté comme un « Pygmalion ». Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont nous fait une imitation de Cristina Cordula, la conseillère en reloocking de la chaîne française M6. Dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, le couple lesbien se promet de se construire une carrière dans la chanson : dès la première phrase du film, Shirin propose à sa copine Ati de fuir Téhéran pour se rendre à « un endroit où elle sera son agent », dans une ville où elles pourront s’aimer au grand jour ; et Ati, un peu plus tard, s’annonce aussi comme le Pygmalion de Shirin : « Tu chantes et je deviens ton agent. » Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, pygmalionne son grand frère Ody pour qu’il gagne le concours genre The Voice grec : « Je veux qu’on aille en Thessalonique et que tu deviennes une star. » Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, et Julien, le héros bisexuel, maintiennent une relation amoureuse d’intérêt. Yoann joue le Pygmalion de la carrière de présentateur télé de Julien : « Je suis un petit peu son PM : Personal Manager. »

 

Le coït homo ressemble parfois à un atelier poterie : « J’aime trop pétrir ses fesses de coureur, me coller à son dos cambré de statue. Je le renverse dans le lit : il m’est livré. Il est à moi. Alors je sais que son sexe m’appartient. Je le saisis d’un coup, son sexe bandé et chaud dont il est si fier, son gros membre de beau garçon. J’avale son gland rose, son bourgeon gonflé prêt à donner sa sève. Je le sens si bien quand il me prend, bien large et vigoureux. J’aime qu’il me déchire, qu’il m’éventre tout entier du bas en haut. Enfin, je suis si terriblement heureux quand je danse empalé sur lui. » (Jacques Astruc, Chambranle (2006), p. 97) ; « Tu me modèles comme si j’étais faite d’argile. » (Judy Minx dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris, en avril 2009) ; « Je n’étais pas de marbre. Ma bouche goba goulûment l’un, puis l’autre testicule. Leur propriétaire se retourna, appuya ses genoux sur une marche, cambra son échine, prit la pose et apposa sa croupe fendue à cheval sur l’arrête de mon nez. Mes paumes pétrirent les deux globes. » (le personnage homosexuel fait l’amour à un modèle, dans la nouvelle « Au Musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 110)

 

Même si le héros homosexuel laisse libre cours à ses pulsions sexuelles les plus viles à travers la sculpture, il dira que son goût des corps n’a rien de « sexuel » : pour lui, c’est uniquement du bon goût ! du raffinement d’esthète ! de la sensibilité gratuite et désintéressée pour l’art ! du vrai romantisme, quoi !…

 
 

e) Le coiffeur homosexuel :

Le coiffeur homo du film "Mon curé chez les nudistes" de Robert Thomas

Le coiffeur homo du film « Mon curé chez les nudistes » de Robert Thomas


 

Chez le personnage homosexuel, le désir de façonner l’amant par amour et pour le figer dans l’esthétique ou le sentiment, ne se limite pas au monde de la sculpture. Un autre cliché très connu de l’homosexualité est celui du coiffeur gay. On retrouve les coiffeurs homos (et leurs parodies) dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen (Fifou, le personnage homo, dit qu’il aime coiffer), la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan (avec Romain Canard, la folle furieuse), le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer (avec Mario, le coiffeur gay de la mère homophobe du héros homo, Romeo), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (où il est question d’un homo surnommé le « coiffeur du XIème »), le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (avec le coiffeur gay qui s’appelle « Montmartre »), le roman Bonbon Palace (2008) d’Elil Shafak (avec les jumeaux coiffeurs Djemal et Djelal, tous deux homosexuels), le film « Un beau jour, un coiffeur… » (2004) de Gilles Bindi, le film « Barbie También Puede Estar Triste » (2001) d’Albertina Carri, le film « Mon curé chez les nudistes » (1982) de Robert Thomas, le film « No Skin Of My Ass » (1991) de Bruce LaBruce, le film « Salut Maya » (2004) de Claudia Lorenz, le film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick (avec le salon de coiffure de la tante de Sabu), le film « Ed Wood » (1994) de Tim Burton, le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin (avec Patreese Johnson), le film « L’Escalier » (1969) de Stanley Donen (Charlie et Harry le couple de coiffeurs homosexuels), le film « Baleydier » (1931) de Jean Mamy, le film « Coiffeur pour dames » (1931) de René Guissart, le film « Lady For A Day » (1933) de Frank Capra, le film « A Queer Story » (1996) de Shu Kei, le film « Blow » (2000) de Ted Demme, le film « Elisa » (1956) de Roger Richebé, le film « Coucou » (1979) de Francesco Massaro, le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch (avec Sylvia), le film « Les Pétroleuses » (1971) de Christian-Jaque, le film « Le plus vieux métier du monde » (1966) de Claude Autant-Lara, la pièce Jimmy, créature de rêve (2005) de Marie Brassard (avec Jimmy), les films « Le Roi de cœur » (1966) et « Tendre Poulet » (1977) de Philippe de Broca, le film « Outrageous ! » (1977) de Richard Benner, le film « Hush ! » (2002) de Ryosuke Hashiguchi (avec le coiffeur animalier homo), le film « L’Amour en question » (1978) d’André Cayatte, le film « La Matiouette » (1982) d’André Téchiné, le film « Les Gros Bras » (1964) de Francis Rigaud, le film « Comme un oiseau sur la branche » (1990) de John Badham, le film « Who’s The Man ? » (1993) de Ted Demme, le film « Rock » (1996) de Michael Bay, les films « Vacances à Paris » (1958) et « La Party » (1968) de Blake Edwards, le film « La Valse des truands » (1969) de Paul Bogart, le film « L’Escalier » (1976) de Greydon Clark, le film « Black Shampoo » (1976) de Greydon Clark, le film « Ja Zuster, Nee Zuster » (2002) de Pieter Kramer, le film « Papy fait de la résistance » (1983) de Jean-Marie Poiré (avec Guy-Hubert, le coiffeur efféminé joué par Martin Lamotte), le film « Superlove » (1998) de Jean-Claude Janer, le film « La Californie » (2005) de Jacques Fieschi, le film « La Nuit de Varennes » (1981) d’Ettore Scola, le film « Le Harem de Madame Osmane » (1999) de Nadir Moknèche, la B.D. Le Rose et le Glaive d’Astérix, le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec le couple Rick et Chuck), le film « Odette Toutlemonde » (2007) d’Éric-Emmanuel Schmitt (avec le personnage de Rudy), le film « Meilleur Espoir féminin » (1999) de Gérard Jugnot (avec le personnage d’Andrea), la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi, le film « Rachel se marie » (2009) de Jonathan Demme (avec le coiffeur homosexuel abusé), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec le coiffeur et maquilleur homo), l’histoire courte « Standing » dans l’album Le Monde fantastique des gays (1986) de Copi, le film « The Producers » (« Les Producteurs », 1968) de Mel Brooks (avec un milieu artistique rempli de folles tordues, et notamment de coiffeurs), le film « You Don’t Mess With The Zohan » (« Rien que pour vos cheveux », 2008) de Dennis Dugan (où le héros hétéro passe pour un homo auprès de sa famille israélienne parce qu’il veut être coiffeur), le roman Maïté Coiffure (2004) de Marie-Aude Murail (avec Fifi, le coiffeur homo), le film « Mon arbre » (2011) de Bérénice André (avec Lydia, la coiffeuse lesbienne garçonne), le sketch « Le Salon de coiffure II » de Muriel Robin (avec Patrick, un homo qui pleure la fermeture du salon de coiffure), le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand (Claudio, le copain de Rodolphe, est coiffeur), le film « Bridget Jones : l’Âge de raison » (2004) de Beeban Kidron, la chanson « Georges » de Thomas Fersen, etc.

 

PYGMALION Maïté coiffure

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle, l’héroïne lesbienne, soupçonne Emma, sa future amante, d’être « coiffeuse » de métier à cause de sa teinture de cheveux de celle-ci, qui est bleue. Le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, traitant de l’homoparentalité, débute par une séance de teinture (ratée) de cheveux  chez le coiffeur. Dans son one-man-show Gérard comme le prénom (2011), Laurent Gérard nous parle de son coiffeur homosexuel « qui a un rire très… coiffeur » et sur qui il reporte toute son affection : « Quelqu’un d’essentiel dans ma vie : mon coiffeur ! »

 

Film "Braids On Bald Head" (2010) d'Ishaya Bako

Film « Braids On Bald Head » (2010) d’Ishaya Bako


 

Le cliché du coiffeur gay agit comme une homophobie positive tellement il enferme les héros homosexuels dans la soi-disant « exceptionnalité » de leur désir sexuel : « J’ai rien contre les gays. Si y’avait pas les gays, on serait jamais coiffés. » (Sonia dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « Aimer Carla Bruni, à moins d’être coiffeur, c’est direct le bûcher. » (Jonathan, le héros homosexuel de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Couturier… Et pourquoi pas coiffeur pour dames tant qu’on y est ? » (Laurent Spielvogel imitant son père lui parlant, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « À part ça, je crois qu’il est un petit peu… Il est coiffeur, il est coiffeur ! » (Laurent Spielvogel imitant sa mère lui parlant de son coiffeur homo, idem) ; « J’suis coiffeur. Non, c’est une blague. Je suis visagiste, en fait. » (Arnaud, le héros homo qui ne s’assume pas, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Par exemple, dans le film « 20 ans d’écart » (2013) de David Moreau, le cliché du coiffeur homo est imaginé autant que méprisé par un des assistants maquilleurs de l’agence de mode de la revue Rebelle. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, un jeune Kenyan est la risée de la bande masculine de Blacksta et Waireri, parce qu’il est coiffeur : « Il a encore plus une démarche de tapette ».

 

 

Il se trouve que, bien souvent, le cliché renvoie à la réalité. Le personnage homosexuel dit clairement qu’il se consacre au métier de coiffeur : « J’entre à l’école de coiffure l’an prochain. » (Alex, la grande tapette, dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras) ; « Nous autres, les coiffeurs, avons plus de flair que les chiens de chasse. » (le coiffeur dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « Je faisais les teintures chez les coiffeurs. » (Otho, le personnage homosexuel du film « Bettlejuice » (1988) de Tim Burton) ; « J’voulais être coiffeur. » (un des protagonistes homos dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je sais qu’en ce moment, Quentin, il est avec une coiffeuse. » (Jules, le héros homosexuel parlant de son ex petit copain, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; etc. Par exemple, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Markus est coiffeur et propose à son amant Gabriel de lui servir de « cobaye » pour son salon de coiffure de Manchester, et ensuite faire carrière : « J’aimerais faire une formation de coiffeur à Londres. » Dans le roman Courir avec des ciseaux (2007) d’Augusten Burroughs, Augusten veut devenir « star, ou docteur, ou coiffeur ». Parfois, le héros coiffeur n’a pas besoin de faire sa réputation : son homosexualité est sous-entendue par les autres personnages : « Le matin je passerai chez mon coiffeur me faire teindre en blond platine. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi)

 

En général, l’artiste capillaire gay est montré comme l’incarnation vivante de la superficialité humaine la plus extrême, un Steevy Boulay sans cervelle et très bavard, une fashion victim aux cheveux décolorés et oxygénés : « C’est un esprit médiocre. » (Saint Loup par rapport à un de ses coiffeurs homos, dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; « Le Marais, j’y vais juste pour me gommer les cheveux. » (cf. la réplique d’une bobo gay friendly dans le film « Neiges d’automne » (2014) d’Hugo Bardin) ; etc. C’est la raison pourquoi le cliché du coiffeur homosexuel attise souvent les foudres de la communauté homosexuelle.

 

Au-delà de ça, le lien entre orientation homosexuelle et coiffure, quel est-il ? Il est le même qu’avec la danse ou le massage. L’acte de coiffer peut se sensualiser très vite, prendre, selon le désir et l’intention qu’on y met, une charge érotique forte. Par exemple, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, la séance de coiffure préfigure l’homosexualité, et annonce déjà le coït lesbien à venir entre Anamika et son amante Linde : « Tandis que je faisais pénétrer l’huile dans ses tresses noires, elle laissait échapper des ‘oooh’ et des ‘aaah’ de plaisir. J’étais tout entière concentrée sur sa peau luisante et la façon dont, grâce à l’huile, mes doigts glissaient tout seuls. » (p. 17)

 

Le coiffeur homo prétend parfois enfanter et magnifier son amant : « Laissez-moi 3 jours, Didier, et je refais de vous le séducteur que vous étiez. » (Bernard, le héros homo et ancien coiffeur, s’adressant à son futur amant, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia)

 
 

f) Le couturier homosexuel :

Film "Rose et Noir" de Gérard Jugnot

Film « Rose et Noir » de Gérard Jugnot


 

En parallèle avec le motif du coiffeur gay, le personnage du couturier homosexuel est aussi récurrent dans les fictions homosexuelles : cf. le film « La Belle Ensorceleuse » (1941) de René Clair, le film « Irene » (1926) d’Alfred E. Green, le film « Fig Leaves » (1926) d’Howard Hawks, le film « The Broadway Melody » (1929) de Harry Beaumont, le film « Manhattan Parade » (1931) de Lloyd Bacon, le film « Le Couturier de ces dames » (1956) de Jean Boyer, le film « Paradis perdu » (1939) d’Abel Gance, le film « Grand Ziegfeld » (1936) de Robert Z. Leonard, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder (avec Petra), la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz, la pièce Les Indélébiles (2008) d’Igor Koumpan et Jeff Sirerol (avec le vendeur en magasin de mode), le film « Mango soufflé » (2002) de Malesh Dattani, le film « De la vie des marionnettes » (1980) d’Ingmar Bergman, le film « No Desearás Al Vecino Del 5° » (1970) de Ramón Fernández, le film « On est toujours trop bon avec les femmes » (1970) de Michel Boisrond, le film « La Panthère est de retour » (1975) d’Arthur Marks, le film « Manila By Night » (1979) d’Ismael Bernal, le film « Jackie Chan à Hong Kong » (1999) de Vincent Kok, la pièce Attachez vos ceintures (2008) de David Buniak (le vendeur en prêt-à-porter), le film « Rose et Noir » (2008) de Gérard Jugnot (avec les costumiers gay), la pièce Le Frigo (1983) de Copi, (avec Hugh couturier), la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi (avec Jean, le styliste), le film « Anastasia » (1997) de Don Bluth et Gary Goldman (dans la chanson sur « Paris »), le film « Corazones De Mujer » (2008) de Davide Sordella et Pablo Benedetti (avec Shakira, « le meilleur couturier de Turin »), le film « Alice au Pays des Merveilles » (2010) de Tim Burton (avec le Chapelier folle), la pièce Casimir et Caroline (2009) d’Ödön von Horváth (avec le tailleur Eugène Schützinger), le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin (avec Matthew, le couturier homosexuel), le sketch du vendeur en prêt à porter d’Elie Semoun (avec Jean Luc), le sketch d’Alex Lutz imitant la vendeuse de magasin, le film « Devil Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2006) de David Frankel (avec Nigel, le couturier gay), le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity (avec Maurice le styliste homo), l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien (avec Dallas, l’assistant-couturier homo de la créatrice Cecilia), etc.

 

« Le monsieur qui fait mon costume est homosexuel. » (l’humoriste « hétéro » Arnaud Demanche dans son one-man-show Blanc et hétéro, 2019)

 


 

Par exemple, dans le film « Rush Hour 3 » (2007) de Brett Ratner, Carter s’infiltre incognito dans un cabaret parisien en tant que « Bibiche », un costumier noir particulièrement maniéré. Dans le film « 20 ans d’écart » (2013) de David Moreau, Vincent Khan, le rédacteur en chef de la revue de mode féminine Rebelle est homosexuel. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca est un amoureux des fringues. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François est vendeur dans un magasin de vêtements féminins. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca se met dans la peau d’un vendeur efféminé de chez Prada. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, travaille dans une boutique de prêt-à-porter avant de devenir steward. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Géraldine, un transsexuel M to F, bosse dans la mode ; et Bernard, le héros homosexuel, joue au couturier avec Donatienne, sa « fille à pédés ». Dans le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, Michel, le meilleur ami gay de Chloé, est le « conseiller fringues » de son amie. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il leur propose trois options d’ateliers au choix : une visite au Musée de la Mode, un atelier de création de bougies parfumées, et un atelier Mylène Farmer. Benjamin et Arnaud choisissent la sortie au musée. Arnaud se montre étonnamment expert en haute couture, ce qui étonne son copain : « Depuis quand t’es devenu un mini Lagarfeld ? » Par ailleurs, certains personnages homosexuels travaillent dans l’univers du prêt-à-porter et de la haute couture : « Pietro faisait des dessins de mode. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, pp. 12-13) ; « À ma sortie je vous emmènerai faire le tour des grands couturiers ! » (Cyrille, le héros homo, s’adressant à l’infirmière dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « À l’occasion, je pique aussi à la machine. […] Le travail ne me fait pas peur : je suis un peu décorateur, un peu styliste. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « J’engage moins mes petites bonnes pour le travail qu’elles sont supposées fournir que selon les désirs qu’elles éveillent en moi. J’agis avec elles comme si j’étais chez la modiste. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 10) ; « Il y a mon costumier, fou de taffetas et d’opéra. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; etc.

 

Film "Dar l'Invincible" (1982) de Don Coscarelli

Film « Dar l’Invincible » (1982) de Don Coscarelli


 
 

g) L’amant homosexuel est aussi statique et causant qu’une porte de prison ou une statue du Musée Grévin :

Le gros problème du Pygmalion homosexuel, c’est qu’en tombant amoureux d’une statue ou d’un amant réservé et manipulable à souhait, c’est qu’il se retrouve un peu seul. Dans la solitude angoissante d’un musée de cire. Les allusions au Musée Grévin dans les fictions homosexuelles sont nombreuses : cf. le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec la mère de José, empaillée pour le Musée Grévin), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec le cabinet du Dr Lebrun en musée de cire), le roman Le Musée Grévin (1943) de Louis Aragon, le film « Le Musée Grévin » (1959) de Jacques Demy, etc. « On n’est pas au Musée Grévin ! » (la mamie de Tom, le héros homosexuel, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) Dans la comédie musicale Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy, le marin gay veut voir le Musée Grévin afin de se trouver une excuse pour ne pas sortir avec la pin-up : c’est le chemin vers ce lieu mythique parisien qui nous met sur la piste de son homosexualité. Dans le film « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier, Marc, le héros homosexuel, paye le Musée Grévin à sa mère Colette.

 

Souvent le personnage homosexuel a des traits qu’on dit « autistiques », c’est-à-dire qu’il ressemble à une statue (du Musée Grévin) qui ne bouge pas, qui ne sait pas communiquer avec son entourage, qui n’exprime rien. Sans contrefaçon, je suis un glaçon… : « À moins que je finisse dans un musée et que je me fasse empailler. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Moi, je suis quelqu’un qui dit pas ses sentiments. Je garde tout. » (Benoît, le héros homosexuel de la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « Comme je suis le seul homosexuel de mon groupe, je ne sais pas où aller pour en rencontrer d’autres et ma grande timidité m’empêche de m’informer. » (le narrateur homosexuel à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « Tu es timide et orgueilleuse… ce qui ne facilite pas le rapport avec les autres. » (le père de Claire s’adressant à sa fille lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David reproche à son amant, Philibert, de ne pas parler, de ressembler à une statue muette. D’ailleurs, à la fin du spectacle, les deux comédiens parodient des spectateurs qui les regarderaient : « Ils ont mis le paquet ! On dirait le Musée Grévin ! » Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Isabelle est la fille-poupée, tétraplégique et muette. On dirait un trans, d’ailleurs.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Harold est décrit par son pote gay Emory comme « un homo glacial ». Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Duccio (un homme du public, homosexualisé) est décrit comme un autiste ; et par ailleurs, Bernard, le héros homo, et sa meilleure amie Donatienne vont au Musée Grévin. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, le personnage de Paul, surtout quand il est en couple homo, devient muet et insaisissable. Dans le film « Stadt, Land, Fluss » (« La Clé des champs », 2011) de Benjamin Cantu, Marko n’a pas beaucoup d’amis, est quelqu’un de taciturne et de solitaire. Dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, Chloé est muette comme une statue ; Cécile, sa copine, dit d’elle qu’« elle se laisse faire comme un pantin désarticulé » (p. 25), et qu’elle est « comme un mannequin de cire déguisé » (p. 96). Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, compare la statue de cire à « une goudou ». Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Héloïse est décrite comme une fille « fermée », réservée, peu expansive (p. 368) : « Elle était sobre. Pas froide, mais on aurait pu s’y tromper. » (idem, p. 271) Dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier présente son amant homosexuel comme une statue quasi muette du Musée Grévin. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Florence dit s’être transformée en statue muette, muselée au contact de son amante Hélène. Quand elle la quittera, elle dira : « J’avais fermé ma gueule pendant 4 années. » Dans la pièce Transes… sexuelles (2007) de Rina Novi, Martin, le personnage homosexuel, est montré comme un autiste qui ne parle à personne sur les bancs de la fac. Dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, Sean est décrit comme une statue : « Il ne parlait pas, c’est tout, d’ailleurs il ne nous a jamais parlé. » (p. 43). Il était « toujours dans l’ombre » ; « C’était un gars qui parvenait souvent à se faire oublier. » (idem, p. 80) On découvre que son statisme a pour corollaire une misanthropie cachée : « Je crois qu’il n’aimait personne et ne s’en cachait pas. » (idem, p. 231) Toujours dans le même récit, François, le Belge extraverti, vit avec son compagnon Max, complètement renfermé sur lui-même : « Je ne sais pas comment les autres nous jugeaient, Max et moi. Le mariage de la carpe et du lapin sans doute. » (idem, p. 133) Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny est présenté comme un jeune homme « timide, silencieux, très réservé », et son amant Romeo le trouve à différentes reprises « étrange » autant qu’attirant : « Tu n’es pas comme tout le monde… » Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane reproche à son ex-amant Vincent son incapacité à communiquer, son mutisme de jeune adulte inculte et infantilisé : « T’étais du genre à ne pas donner d’explications. » ; « C’était plutôt à toi qu’il fallait tirer les vers du nez ! »

 

On retrouve l’homo mutique ou sourd-muet dans énormément de créations homo-érotiques : cf. le film « Allez » (2011) d’Oliver Tonning (où Sofia, l’héroïne lesbienne, est une jeune fille très timide), le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot (avec Lucas, jeune étudiant introverti et homosexuel), le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec le héros homo, Henri), le film « Persona » (1966) d’Ingmar Bergman, le film « À corps perdu » (1988) de Léa Pool, le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie (avec l’inquiétante impassibilité de Rick), le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche (avec Rudy), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell (avec le personnage complexe et perturbé de James), le film « Paso doble » (1983) de Lothar Lambert, le film « Plaisir (et ses petits tracas) » (1997) de Nicolas Boukhrief, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (Arnold en boîte, c’est quelque chose !), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé (avec le personnage de Stan), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell (avec le silencieux et perturbé James), le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly, le film « Paulo et son frère » (1997) de Jean-Philippe Labadie, le roman Le Cœur est un chasseur solitaire (1940) de Carson McCullers (on y retrouve John Singer, le sourd-muet ; d’ailleurs, cette œuvre devait initialement s’intituler Le Muet), le film « Godelureaux » (1960) de Claude Chabrol (avec l’exubérant Brialy et son colocataire muet), le film « Ander » (2009) de Roberto Castón (avec José, un homo renfermé et mutique), le film « Benzina » (« Gasoline », 2001) de Monica Stambrini (avec Eleonora, la lesbienne très introvertie), etc. Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Esti, l’héroïne lesbienne, est connue pour être hyper renfermée sur elle-même. Madame Stone se demande même « s’il lui arrive de parler » (p. 58). Son amante Ronit confirme cela : « C’est vrai qu’elle était souvent taciturne, même en société, et même lorsqu’on lui adressait la parole. Elle avait cette étrange façon de se comporter, cette capacité à devenir soudain très silencieuse. » (idem, p. 60) ; « Elle avait toujours été taciturne et un peu bizarre. » (idem, p. 145)

 

Ce mutisme résulte surtout d’un viol ou d’un inceste. Par exemple, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, le petit Jeanjean a été tellement gavé (de sucreries, d’attentions, etc.) par sa mère qu’il est devenu « inexpressif »… ce qui a l’air de réjouir cette dernière : « Au moins, le mien, il est pas prêt de bouger ! »

 

Parfois, en tombant sur certains passages de romans, ou en voyant certaines pièces, on a l’impression que le héros homosexuel soliloque, même s’il nous dit qu’il est en compagnie de son copain : « As-tu plus de facilités pour parler ? J’en doute. Tu ne parles à personne. […] Je ne t’ai jamais vu rire, ni même sourire. Ce n’est pas grave, je t’apprendrai ! Tu parles peu mais heureusement car les rares fois où je t’ai vu parler à quelqu’un, j’étais vert de jalousie. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 212) ; « On ne se voit plus mais pendant que je t’écris ainsi, chaque soir, j’ai l’impression que tu es là, au bout de ce clavier. Non, plus proche encore. Je te parle, tu m’écoutes. J’imagine tes réponses, je vois ton beau sourire… » (idem, p. 309) ; « Je nous crée une existence. Je veux façonner la tienne, participer à tes joies et à tes surprises. » (idem, p. 311)

 

Le personnage homosexuel définit son amant, comme une statue, un vis à vis « sympa mais pas très loquace » : « T’es comme autiste. » (Jean-Louis à son amant Paul dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset) ; « Parle-moi, Irina… Raconte-moi quelque chose. » (Mme Garbo à une Irina, son amante silencieuse, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Tu as toujours été si terriblement tranquille. » (la voix narrative à l’amante, dans le roman La Vallée heureuse (1939) d’Anne-Marie Schwarzenbach) ; « Je vivais avec le gars le plus gentil de la Terre. » (Eugène en parlant de son copain Sébastien, dans le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « Ce que je dis sur Max, je ne le pense pas, évidemment, c’est le garçon le plus gentil du monde, c’est un amour, c’est le mien. […] Max est un cliché à lui tout seul. » (François à propos de son « mari », dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 108 puis p. 114) ; « Mike ?!? Y parle jamais ! J’pense que moi-même j’y ai jamais parlé ! » (Gerry à propos de son ami homo, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 206) ; « Va jouer au Musée Grévin, tu seras plus expressive ! » (la Comédienne à Vicky, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi)

 

Rien d’étonnant que le héros homosexuel finisse par reprocher à la statue – qui lui fait office d’amoureux – son inertie marbrée : « Je lui trouvais une froideur de vamp rétro. Quelque chose d’Eva Marie Saint dans ‘La Mort aux trousses’, l’exotisme slave en plus. […] Quand elle écrivait, elle devait appuyer très fort sur son stylo, car son ongle devenait blanc à l’extrémité, et rosissait à la base, sous l’afflux du sang. Ce détail me prouvait qu’elle n’était pas de marbre. Comme pour me confirmer cette découverte, en réalité sans doute parce que j’avais passé les bornes en la détaillant de manière assez insistante, elle est sortie de son immobilité de statue, a tourné la tête et m’a lancé un regard excédé. […] De toute évidence, je n’existais pas à ses yeux. » (Jason, le personnage homosexuel, décrivant Varia Andreïevskaïa dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 53-54) ;

 
 

h) La destruction iconoclaste de la poupée/statue:

Cette poupée ou statue a pour fâcheuse de résister à son maître : cf. les chansons « La Poupée qui fait non » et « Porno graphique » (« Des poupées qui disent oui ou non ») de Mylène Farmer, le film « Insatisfaites poupées érotiques du professeur Hitchcock » (1971) de Fernando Di Leo, le film « Barbie También Puede Estar Triste » (2001) d’Albertina Carri, la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz (avec Yvonne, la poupée qui fait non), « C’est moi, je suis argile. De l’argile mêlé de ciment et de sable. C’est moi, je suis pierre. Difficile à tailler. » (cf. la chanson de Rosário dans le film « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « C’est fini. J’en ai plus qu’assez d’être ton objet d’amour. Ton objet tout court. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 115) ; « J’étais son gode préféré… et maintenant, il me délaisse. » (le narrateur homosexuel du one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Il est hors de question que je joue à la poupée Lolita de Madame Kanojo. » (Juna s’adressant à son amante Kanojo, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez); « Nous ne voulons pas être tes poupées ! » (idem) ; « Pourquoi ça ne me dérangerait pas d’être une poupée ? Je ne sais pas. Pour jouer avec ta grande sœur. » (Kanojo s’adressant à Juna par des propos incestueux, idem) ; etc.

 

À force de trop s’imaginer que les objets sont vivants et des personnes capables de l’aimer en retour, il arrive que le personnage homosexuel trouve ses poupées ingrates et méchantes, et qu’il se retourne contre elles. « Je nous invente une vie à deux qui est si loin de la réalité ! J’y crois tellement que je me sens bien. Mon cœur est tout léger, ma poitrine se desserre. Je crains ne plus savoir faire la différence entre la fiction et la réalité. Mon esprit divague. Tu me perturbes trop. » (Bryan à Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 311) Il teste l’inhumanité de ses pantins ou cherche à les réveiller en les détruisant. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, le Rat est bien plus qu’une marionnette en mousse : pour Vicky, il « a un esprit. C’est le Diable. […] Il serait incapable de tuer tout seul. » Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry est persuadé que les objets le détestent et qu’ils sont vivants. « Y’a des jours, même les objets, ils veulent ma peau. Vous l’avez vu vous-mêmes au début de la séance : le briquet, il m’a agressé, vous êtes témoins ! » ; « Il me présente toujours à ses potes comme le mec qui sourie et qui parle pas. » (Benjamin, le héros homo parlant de son amant Arnaud à son psy, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian, le héros, finit par prendre son propre portrait pour plus vrai et plus beau que lui : « Je suis jaloux du portrait que tu as fait de moi ! » dit-il à son amant-peintre Basile. En même temps que Dorian embrasse l’artiste, il l’étrangle jusqu’à le tuer parce qu’il a osé concrétiser la relation amoureuse/passionnelle/jalouse entre le modèle et sa toile.

 

Peu à peu, la statue tant adorée apparaît comme dangereuse aux yeux de son adulateur homosexuel : cette Vénus d’Ille androgyne a aussi le pouvoir de pétrifier et de contaminer son amant humain, au point de le rendre fou/objet et de lui faire perdre le sens du Réel : « Si la fille me plaît, c’est la statue de marbre. » (Chriss Lag se décrivant en cas de « coup de foudre », dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles (2009) au Troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris) ; « On raconte que quand les ‘Boludos’ vous regardent dans les yeux vous restez figé dans la même position pour l’éternité. On a trouvé sur leur chemin d’innombrables statues en lave représentant des êtres humains et des animaux à l’expression effrayée. » (cf. la nouvelle « La Déification de Jean-Rémy de la Salle » (1983) de Copi, p. 58) ; « On nous trouvera enlacés, bouch’ contre bouch’, galvanisés, incendiés et confondus comme un rocher contre un rocher, comm’ deux statues qu’aurait sculptées la lave ardente du matin. » (Cachafaz à Raulito dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Je veux être ton objet, assurai-je. » (Anamika à Linde, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 150) ; « Ça ressemble à un petit bonhomme, avec un tronc, deux bras, deux jambes, une tête un peu fibreuse, avec des petits fils comme à la base des poireaux. Là, je m’aperçois que c’est pas juste une illusion, que c’est véritablement un petit bonhomme. Sur ce qui fait office de tête, il y a des yeux dessinés, une petite bouche. Et au milieu du ventre, des aiguilles plantées. ‘Tu ne te reconnais pas ? qu’elle me fait. C’est toi. C’est une poupée vaudoue. Tu ne vois pas ? Les petits fils, sur la tête, ça ressemble à tes cheveux. J’ai même prévu d’accrocher des petites perles pour mieux imiter les dreadlocks.’ Au moment où je me reconnaissais, j’ai identifié les symptômes d’un bad trip» (Yvon en parlant de Groucha dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 265)

 

Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, on retrouve exactement cette réification mutuelle entre amants homosexuels, à travers le couple Luc-Jean :

Luc – « Je suis en marbre, n’est-ce pas, tu peux passer ton temps à me cogner dessus, ce n’est que ton poing que ça blesse. Je suis comme la tour d’en face, regarde. L’hélicoptère s’est écrasé contre, les occupants ont péri, mais la tour n’a pas branlé. Je suis une bite bien dure.

Jean – Luc, c’est toi qui te places en tour en face de moi.

Luc – Et toi tu te places en quoi ? En badaud ? Va m’oublier, va. Ne me touche pas, con ! »

 

On voit que le rapport amoureux entre le créateur homosexuel et sa créature se transforme en rapport de force, en manipulation : « C’est vrai, tu jouais à la poupée, me tirais les cheveux quand tu me coiffais, semblais oublier que j’étais bien vivante. » (Cécile à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 39-40) ; « Khalid était à moi. Il s’enfonçait dans ma bouche. Je continuais de voyager dans la sienne. Des voies. Des ruelles. De l’obscurité. Des lumières, rares. J’étais devenu un sorcier : le fils de Bouhaydoura. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 141) Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, la cantatrice Regina Morti est décrite par l’infirmière comme la « poupée mécanique » du professeur Vertudeau. Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra cherche à modeler Karin à sa guise. Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank dit de son amant Jonathan qu’« il le force à faire des choses qu’il ne veut pas faire. » ; celui-ci confirme le reproche qui lui est fait : « Oui, je te manipule. » Dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville, Jean Desailly joue un grand bourgeois inverti qui se fait voler une statuette par un jeune tapin qu’il a amené chez lui. Le thème de la statue est en lien étroit avec la prostitution : cf. le film « Baby Doll » (1956) d’Elia Kazan, le film « House Of Dolls » (1973) de Kuei Chieh-Hung, le film « La Rue chaude » (1961) d’Edward Dmytryck (avec le bordel The Doll’s House), le film « The Big Doll House » (1971) de Jack Hill, etc.

 

Le héros qui joue au Pygmalion homosexuel a tout du despote : il projette sur son amant ses propres diktats émotionnels et esthétiques (voire spirituels), et essaie de l’encastrer de force dans son cadre, son joli tableau, avec des cœurs dans les yeux : « Ce n’est pas une situation que nous subissons. C’est une situation qui tous les deux nous ressemble. » (Daniel à son amant Luther dans le docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) Par exemple, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, un maquereau veut lancer Davide, le héros homosexuel, dans la chanson. Il apparaît comme le chevalier blanc (il porte un costard blanc, a une belle voiture blanche). Mais en réalité, c’est pour s’attirer les faveurs sexuelles du petit. C’est de la prostitution pédophile déguisée (Davide a quatorze ans).

 

Puis le personnage homosexuel se décide parfois à en finir avec son fétiche : « Au revoir Dorian. Tu es celui qui a le plus influencé mon art. […] Je reconnais t’avoir adoré passionnément. » (Basile, le peintre, s’adressant à son amant Dorian Gray dans le roman éponyme (1890) d’Oscar Wilde) ; « Les jours de grand froid, […] on se réfugiait dans ma chambre. On retombait en enfance, parfois on sortait mes Barbie. Quelques mois plus tard, tu as décrété que nous étions trop vieilles pour ça et nous les avons brûlées. » (Cécile à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 40) ; « Je te tue, Madame ! Tu sais ce que je vais faire avec ta porcelaine de Limoges ? Je vais te lacérer les fesses et je vais te crever les yeux, ma petite patronne ! » (Goliatha à « L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « J’ai décapité Teeny. » (Karine dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011), « Où est-elle ? Ça sent le brûlé ! Oh, zut, je l’ai mise dans le grille-pain ! Qu’est-ce qu’elle a rétréci, on dirait une baudruche. » (Loretta Strong à propos de sa poupée Linda, dans la pièce Loretta Strong (1987) de Copi) ; « C’est Rooney […] Le requin lui arrache un bras, son petit corps saute en l’air comme un pantin, retombe dans la mer. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 104) ; « Dans un rapide accès de colère, Stephen allait à l’armoire, en sortait ses poupées et commençait à les tourmenter. Elle avait toujours méprisé ces créatures idiotes qui, pourtant, arrivaient avec chaque Noël et chaque anniversaire. ‘Je vous hais ! je vous hais ! je vous hais !’ soufflait-elle, frappant leurs faces inoffensives. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 29)

 

Le motif de la statuette ou de la poupée détruite est un leitmotiv dans les œuvres homosexuelles : cf. le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec la poupée massacrée), le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec les poupées électrocutées par Strella, le transsexuel), le film « El Asesino De Muñecas » (1975) de Michael Skaife, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche (avec la destruction des poupées Barbie), la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, le film « Reflection In A Golden Eye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, etc. Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, Wanda fait cramer ses poupées dans la cheminée. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, est dessinatrice et peintre : elle finit par détruire ses dessins.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Divin artiste :

Jean Marais

Jean Marais


 

Socialement, on présente de plus en plus les personnes homosexuelles comme les maîtresses du bon goût et du pygmalionnage. « Comme tous les poètes, il entrevoyait l’avenir. » (cf. un interviewé à propos de Pier Paolo Pasolini, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » d’Andreas Pichler) Pensez par exemple à l’émission de télé-réalité « Queer : Cinq experts dans le vent » diffusée en 2004 sur TF1 (inspirée de l’émission nord-américaine Queer Eye For The Straight Guy), dans laquelle des dandys gays étaient chargés d’éduquer un homme « hétéro » pour lui apprendre à séduire élégamment les femmes.

 

Le statut de l’Artiste homosexuel divin est largement entretenu par la critique bobo. Par exemple, dans l’article « Des cris à Montevideo » publié dans le journal Le Nouvel Observateur le 3 décembre 1973, Michel Cournot compare le dramaturge homosexuel Copi est à Jeanne d’Arc qui, tout en ne sachant pas écrire, aurait été quand même touchée par la grâce : « Jeanne d’Arc a fait gagner une demi-douzaine de batailles : en écrivant sans savoir écrire. Pareil pour Copi. Il ne le cache pas. » Dans l’article « Copi est au ciel » sur le journal Le Nouvel Observateur daté du 18 décembre 1987, aux lendemains de la mort de Copi, Michel Cournot récidive en le décrivant comme « un ange gardien », un auteur que « tous aimaient ». Dans l’article « Copi, le survolté » de Guy Dumur, toujours dans le Nouvel Obs mais cette fois publié le 11 avril 1986, Copi est élevé au rang d’extra-terrestre visionnaire : « Il suffit d’avoir vu les dessins de Copi pour savoir qu’il ne voit pas, ne pense pas comme tout le monde. »

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, au lieu d’orienter le processus de création vers la découverte de l’Autre, envisagent celui-ci comme un miroir narcissique : « La rencontre la plus importante d’une vie, c’est la rencontre avec soi-même. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Être queer, c’est se forger sa propre identité. » (Jan Noll, un chanteur homosexuel interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte).

 
 

b) « Je suis mon œuvre » :

Pas étonnant, par conséquent, que certaines croient en leur réputation de dieux vivants fusionnant avec leurs chefs d’œuvre et créant le monde avec leurs mots : « Il faut être soi-même une œuvre d’art, ou se vêtir d’une œuvre d’art. » (Oscar Wilde, Sentences philosophiques à l’usage de la jeunesse, 1894) ; « Je ne chante pas des chansons ni les interprète. Moi je suis la chanson. » (Bola de Nieves cité par Deny Extremera, « Bola de Nieves : Yo Soy La Canción. », sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « De même que Gustave Flaubert disait ‘Emma Bovary c’est moi !’, mes héros sont tout de même beaucoup moi. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « J’aime utiliser le corps comme une scène de théâtre. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; « Je SUIS le conte de fée moderne. » (la phrase qui revient comme un leitmotiv dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Ce que je dis est ce qui est. » (Tamara Kamenszain, « El Canto Del Cisne », dans le recueil Poemas Completos (1997) de Néstor Perlongher, p. 369) ; « J’ai vécu pour mon métier et par mon métier. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Tu n’es chez toi nulle part ailleurs que dans ces phrases. » (Anne Garréta, Pas un jour, 2002) ; « Le schizophrène est le producteur universel. Il n’y a pas lieu de distinguer le produire de son produit. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1973), p. 13) ; « J’existe uniquement dans les émotions que je crée. » (Nancy Cárdenas dans l’ouvrage collectif Para Enterdernos (1999) d’Alberto Mira, p. 158) ; « C’est sans doute cela ma folie, je tiens à mon livre plus qu’à ma vie. » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), p. 274) Dans sa biographie Saint Genet (1952) sur Jean Genet, Jean-Paul Sartre explique que pour Genet, « l’être et le mot ne font qu’un » (p. 54). Le titre de l’essai Les Mots et les Choses (1966) de Michel Foucault n’est pas anodin, de même que celui du recueil de poèmes La Realidad Y El Deseo (La Réalité et le désir, 1924-1962) de Luis Cernuda. C’est la distance entre le créateur et son œuvre, entre le sujet désirant et son objet de désir, qui pose problème à bon nombre de personnes homosexuelles, car elles cherchent à l’abolir/la magnifier (pour prendre leurs désirs pour des réalités). La fusion entre le créateur et sa création est observable par exemple dans les poèmes de Walt Whitman, Néstor Perlongher, Jean Cocteau, les pièces de Jérémy Patinier (par exemple avec le piano-corps dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour, 2011).

 

Certains auteurs homosexuels se vénèrent tellement eux-mêmes dans leur œuvres artistiques qu’ils comparent l’exercice d’écriture à la masturbation (c’est le cas d’Andy Warhol, Gil de Biedma, Jean Cocteau, Néstor Perlongher, Chen Jianghong, Hou Junming, etc.). « Le jeu de faire des vers, qui n’est pas un jeu, finit par ressembler au vice solitaire. » (cf. le poème « El Juego De Hacer Versos » (1986) de Jaime Gil de Biedma) Par exemple, Jean Cocteau parle du dessin comme d’une masturbation, d’une « jouissance » (Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau et compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier). Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, l’art est vraiment utilisé comme le prétexte à baiser, à se masturber narcissiquement.

 

C’est parfois dans la simulation de rupture brutale et de distance que s’exprime le plus clairement le désir de fusion orgueilleuse de certains créateurs homosexuels avec leur « bébé » pictural/plastique : une création artistique non-identitaire, « sans auteur derrière », qui se ferait toute seule, par l’opération du Saint-Esprit, n’est-elle pas finalement, parce qu’elle serait l’œuvre d’un dieu invisible, d’un orgueil, d’une puanteur, d’une lâcheté, d’une hypocrisie, et d’une violence incroyables ? « [Je suis un] narrateur homosexuel, qui ne revendique rien, jamais ne justifie ses désirs, prétendant être ailleurs, dans l’écriture, alors que seuls ses désirs vous concernent. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 25) ; « Contrairement à la plupart des romanciers contemporains dont la matière est essentiellement de source intime, intérieure, moi, j’ai, avant de pouvoir mettre ma matière en œuvre, à la créer hors de moi, à la poser devant moi, séparée, détachée de moi, presque étrangère à moi. » (Roger Martin du Gard à André Gide en 1933) ; « J’explique juste le mot, mais sans dire que je poète. » (le narrateur par rapport au verbe « crabauder » dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 53) ; « Je n’adhère pas au culte de ma personnalité. » (Mylène Farmer dans la revue Paris Match, n°2741, le 6 décembre 2001) ; « Cela va se gâter sans qu’il y ait de ma faute. Mes personnages ne tournent pas bien ; je suis obligé de les suivre là où me mène leur défaut ou leur vice aggravé. » (Paul Brach et Suzy Mante-Proust, Correspondance générale de Marcel Proust, 1930-1936, p. 76) ; « J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! » (Arthur Rimbaud, Poésies 1869-1872)

 

Par exemple, dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, Pietro s’auto-sacralise en déifiant les œuvres d’art qu’il crée, et se cache à lui-même son propre orgueil en pratiquant un art iconoclaste, violent et vulgaire. Dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic, malgré les apparences de détachement bobo « humble », Renaud Camus adopte un discours très marchand et impérieux concernant sa création littéraire : il parle d’« efficacité » de l’écriture, et conclut : « Ce que je dis se fait. » Dans l’ouvrage collectif Historias De Amor (1995), Tamara Kamenszain définit le romancier argentin homosexuel Osvaldo Lamborghini comme « le père de la méfiance » car « personne ne fit aussi peu confiance aux mots que lui » (pp.117-120) : « Rien ne rime avec rien. L’auteur ne peut s’asseoir en toute impunité au centre de son poème pour l’ordonner harmonieusement. Parce ce centre névralgique a été pris d’assaut par une rébellion de mots. » Or, voilà bien un paradoxe puisque l’écrivain argentin utilisa dans sa prose et dans sa poésie des mots d’une violence extrême visant à choquer et à agir comme des armes réelles. On trouve avec Osvaldo Lamborghini le parfait exemple du rapport idolâtre que certains artistes entretiennent avec le verbe.

 
 

c) Certains individus homosexuels prennent leur amant pour un objet :

Le désir de vivre une symbiose avec sa création artistique, très marqué chez les personnes homosexuelles, se décline en général par un renoncement à la fusion d’une part (renoncement qui se fait passer pour de l’humilité… alors que c’est juste du réalisme ! Il n’y a que Mary Poppins qui peut rentrer dans un tableau…) et par une sentimentalisation possessive de l’œuvre d’art ou de l’amant portraituré d’autre part. L’amant homosexuel est apprécié davantage pour son paraître, sa plastique, son utilité sensuelle, que pour ses richesses intérieures.

 

On constate une passion homosexuelle par les carcasses corporelles. Je vous renvoie aux photographies de Cosimo Mirco Magliocca du Stadio dei Marmi à Rome, à l’article de Philippe Besson « Hervé Guibert, le Goût pour les corps » dans Magazine littéraire (n°426, décembre 2003), au documentaire Beef Cake (1998) de Thom Fitzgerald (défendant l’existence de l’homme-objet et luttant contre la censure anti-porno), au documentaire « Les Garçons de la piscine » (2009) de Louis Dupont (qui est un prétexte à filmer les corps masculins), à l’affiche du one-(wo)man-show Lady Raymonde (2014) de Denis d’Archangelo (avec l’affiche où Madame Raymonde est déguisée en Statue de la Liberté), etc. Certaines personnes homosexuelles ont affirmé de leur vivant être réellement fascinées par la plastique du corps masculin ou féminin : Walter Pater, Michel Ange, Yukio Mishima, César Lácar, Juan Fersero, Francis Bacon (adepte des statues égyptiennes, et fasciné par les travaux de sculpture de Michel Ange). « J’aime les hommes. J’aime la qualité de leur chair. » (Francis Bacon cité dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton) ; « Je suis captivé jusqu’à la fascination par le corps socialisé, le corps mythologique, le corps artificiel (celui des travestis japonais) et le corps prostitué (de l’acteur). » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 63) ; « Tiens, encore une pub pour des slips ! C’est la fête du slip ce magazine. » (David Abiker en parlant de la revue Têtu, dans son essai Le Musée de l’homme : le fabuleux déclin de l’Empire masculin (2005), p. 93) ; « Devant un nu féminin, je restais insensible, alors qu’une statue antique d’adolescent suscitait mon érection. » (Yukio Mishima cité dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997) de Michel Larivière, p. 248) ; « Sabah faisait son come-back. Cette chanteuse libanaise mythique de plus de 80 ans qui était devenue, à force de liftings, une statue, une momie, une icône, une petite fille étrange à la chevelure flamboyante et très blonde. Une femme à la voix un peu rauque qui défie le monde et le monde arabe. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 66) ; etc. Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte qu’il veut faire trois statues à l’effigie de ses tantes préférées : « Cette perfection dans le détail renforça mon idée de faire de cette humble maison une sculpture. J’allais immortaliser mes tantes. Mon projet consistait à remplir les différentes pièces de la maison avec du ciment. […] je demanderais à un ami sculpteur de réaliser des statues de mes tantes, d’après une photo de leur jeunesse. » (p. 107) Toujours dans ce témoignage, on nous parle de la « première œuvre d’art comestible » (idem, p. 240) : une Vénus de Milo faite entièrement en dés de fromage.

 

Claude Cahun en statue Bouddha

Claude Cahun en statue Bouddha


 

Certaines personnes homosexuelles (beaucoup plus qu’on ne croit !) se pensent nées d’une statue : « En sortant de la brasserie, j’ai observé longuement la façade de la gare du Nord, et j’ai pensé que mon père était une des statues, boulonnées sur la corniche, et qu’il me regardait, et j’ai pensé : est-ce qu’il me regarde ou est-ce qu’il me surveille ? » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 91) ; « C’est pour ça que ça s’appelle le voging. On prend la pose. » (Carmen Xtravaganza, le transsexuel M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; etc.

 

L’émission Aventures de la médecine spéciale « Sexualité et Médecine » de Michel Cymes diffusée sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, se termine avec un entretien entre Léonie, homme transsexuel M to F de 29 ans, et le journaliste Michel Cymes, au Musée Rodin, entourés de statues. Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018 aussi, Déborah, personne intersexe élevée en fille, voue un culte à la sculpture de L’Hermaphrodite du Musée du Louvre : « J’adore cette statue, elle est trop belle ! ». Enfin, le chanteur gay kitsch Théo Lavabo, révélé par l’émisson La France a un incroyable talent, joue perpétuellement le rôle de l’aliment (la chipolata) ou de l’objet (le lavabo) qu’on consomme et on utilise pour son plaisir. Il a fait de l’identification aux objets sa marque de fabrique et son identité.
 
 

d) Le mythe de Pygmalion est appliqué au couple homosexuel : l’artiste homosexuel tombe amoureux de son amant-chef d’œuvre

Film "Le Sang d'un Poète" de Jean Cocteau

Film « Le Sang d’un Poète » de Jean Cocteau


 

L’univers du mannequinat, de la sculpture, de la coiffure et de la danse, renvoyant au mythe de Pygmalion et au goût des statues, est particulièrement investi par les sujets homosexuels : cf. le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz (avec des plans fixes sur des statues de marbre sculptées), le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Newtiteuf qui crée son mec idéal par ordinateur, etc. « Leur imagination est charmée à la vue de beaux jeunes gens, à la vue de statues ou de peintures dont ils aiment à entourer leur chambre. » (J. L. Casper, parlant « des pédérastes », dans son Traité pratique de médecine légale, 1852) Dans son autobiographie L’Arc-en-ciel (1983, Journal 1981-1984), Julien Green évoque dans sa vie « certains tableaux qui l’ont marqué et dont il a parlé dans son Journal » : « l’évolution du goût et des sentiments à travers l’œil d’un enfant, puis d’un homme, ce que le monde en apparence plat de la peinture fait surgir dans la perspective du rêve, la tyrannie des images depuis l’enfance. Et, je pense, sans oublier les idoles de la sculpture. » (juin 1981, p. 39)

 

La sculpture est un art propice à la naturalisation des fantasmes, donc à l’homosexualité : les corps (et l’amour, les sentiments) peuvent être subtilement déformés, et ce, de manière réaliste. C’est pour cela, par exemple, qu’elle a souvent servi de support privilégié à l’hybridité et l’hermaphrodisme (cf. l’étrange Métamorphose d’Hermaphrodite de Mabuse au musée Van Beuningen, une statue avec un seul corps et deux têtes).

 

Parmi les sculpteurs homosexuels qui ont créé de beaux Apollons musclés, on trouve Michel Ange, Arno Brecker (qui travailla pour Hitler), Tom of Finland (dessinateur), George Lepape (dessinateur), Patrick Pottier (sculpteur), Jean-Esprit Marcellin (sculpteur), George Segal (sculpteur nord-américain), etc. Par exemple, Jean Cocteau avait pour coutume de dessiner ses amants successifs (Jean Marais, « Doudou », etc.). Avery Willard est un photographe nord-américain qui a fait des nus à New York. Si elles ne sont pas sculpteurs, beaucoup de personnes homosexuelles vivent entourées de statues et de sculptures : par exemple, les divers appartements d’Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé étaient remplis de statues.

 

Je connais dans mon entourage quelques peintres et dessinateurs de nus… qui m’ont avoué qu’au cours de leurs séances de « travail », il leur arrivait de coucher avec leurs modèles masculins. Quand on traîne sur les sites de rencontres internet, il est également fréquent (quand on est un peu jeune et pas trop moche) de se faire accoster par des sculpteurs, de recevoir des offres de photographes qui cherchent à recruter des acteurs pour des castings de films pornos, ou qui tentent de dénicher parmi les internautes des proies faciles pour des shooting photos déshabillés.

 

On peut aussi souligner que les expos design et d’art contemporain/classique sont parfois des lieux de drague et d’homosociabilité idéaux. Un peu comme les bibliothèques : les amants se flairent, se scrutent, s’approchent, entre deux simulations d’observation attentive de toiles. L’art est une bonne excuse pour donner une légitimité, un raffinement, et un caractère élitiste, aux relations entre esthètes homosexuels. (J’aborde plus largement ce point dans le code « Peinture » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Par ailleurs, un certain nombre de personnes homosexuelles veulent être les Pygmalion fusionnant avec leur amant créé : « J’ai un côté Pygmalion. » (Catherine à son amante Paula, dans l’essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 56) ; « C’est là que nous fîmes l’amour divinement. Mon amoureux restait brûlant et mes mains avides ne se lassaient pas de sculpter le corps du jeune dieu qui m’avait visité. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 127) ; « Il faut se mettre dans la peau du Modèle, il ou elle. […] Il faut se mettre dans la peau du Peintre. » (Ronan Le Grand cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 86) ; « Jean, tu es mon seul chef d’œuvre. » (Jean Cocteau à Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau et Compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier)

 

Souvent, des célébrités homosexuelles lancent des jeunes talents, qui sont par la même occasion des amants temporaires (on peut penser en particulier à Jean Cocteau avec Raymond Radiguet ou Jean Marais, à Pierre Bergé avec Yves Saint-Laurent, à John Waters avec Divine, à Yvonne Brémonds d’Ars avec Suzy Solidor, à Albert Bausil avec Charles Trénet, au baron Von Sinclair avec Hölderlin, etc. ; Patrick Loiseau, le compagnon du chanteur Dave depuis 36 ans, lui écrit les paroles de ses chansons). Et ces copies de Galatée se laissent entretenir, façonner, sculpter… jusqu’à temps de devenir elles aussi les Pygmalions célèbres de Galatée plus jeunes et moins connues. « L’attachement de Serge pour Nijinski était sans limites : c’est avec lui qu’il avait remporté ses premiers succès en 1909 ; en plus de son ami, c’était un peu son œuvre. » (Jean-Louis Chardans parlant de la relation artistico-amoureuse – et oppressante ! – entre le danseur Nijinski et son amant Serge de Diaghilew, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 197)

 

L’idolâtrie homosexuelle est particulièrement visible dans le mode de vie des « bourgeois de gauche » richissimes qu’ont été Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent. Ils ont vécu toute leur vie agrippés à l’argent et à leurs objets d’art, sous prétexte d’en être amoureux et que ces choses aient été le symbole de leur « amour ». On observe chez ce « couple » une totale inversion des valeurs : ils réifient l’humain, et humanisent les objets. Ils parlent d’objets comme ils parlent d’amour. Ils rentrent en plein dans le délire du Pygmalion ou du Dorian Gray. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, Pierre Bergé pense que sa quincaillerie et ses statuettes vont « s’envoler de leurs propres ailes » lors des ventes aux enchères. Il décrit ses bibelots comme « une partie de son âme, une partie de sa vie », comme des êtres vivants dont lui et Yves sont tombés amoureux : « Le coup de foudre fut immédiat. » (en évoquant deux vases que Yves Saint-Laurent voulait absolument posséder sur un marché marocain) ; « Mes tableaux de Jéricho, Mondrian, Picasso, Braque, Cézanne… Maintenant, ce sont mes enfants. » ; « Nous sommes devenus Yves et moi très très amoureux… de cette maison de Marrakech. » ; « Je crois en rien. Alors raison de plus pour croire aux choses, à ses objets inanimés. […] Je vais contrôler le destin de cette collection. » Délirant… mais réel.

 
 

e) Le coiffeur homosexuel :

En ce qui concerne les Pygmalions du monde de la coiffure, ils constituent un cliché flamboyant de « l’homosexualité masculine éternelle ». « Dans un coin de la boîte, deux apprentis coiffeurs façonnaient sous un projecteur des coupes excentriques aux clients volontaires. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 53) ; « Sur l’autre chaîne il y avait un homosexuel qui participait à une émission de télé-réalité. C’était un homme extraverti aux vêtements colorés, aux manières féminines, aux coiffures improbables pour des gens comme mes parents. L’idée même qu’un homme aille chez le coiffeur était mal perçue. » (Eddy Bellegueule parlant de Steevy Boulay, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 116-117) ; « Nous sommes antiquaires, coiffeurs, modélistes. C’est un peu vrai, cela dit… » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc.

 

Le célèbre coiffeur Antoine de Paris, d’origine polonaise, est venu en France au début du XXe siècle et a révolutionné son métier. Son salon de coiffure s’est situé pendant 60 ans au 5, rue Cambon. Antoine était gay et l’image d’un coiffeur gay vient de lui. Il y a deux films français qu’il a inspiré (« Coiffeur pour dames » en 1933 et en 1952) et son personnage a été parodié dans un film américain « The Secret Life of Walter Mitty » en tant qu’Anatole of Paris. Il était ami proche de Maurice Rostand. Antoine est appelé le roi des coiffeurs, coiffeur des rois. Il a fait une énorme carrière mais aujourd’hui il est oublié car pendant la Guerre Froide il a quitté Paris pour vivre en Pologne communiste.

 

Film "La Petite Salon" de Caroline Le

Film « La Petite Salon » de Caroline Le


 

Je vous renvoie au coiffeur gay du documentaire « Out In Africa » (1994) de Johnny Symons, au documentaire « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger (on nous montre les coulisses d’un salon de coiffure lesbien). Il existe, parmi les personnes homosexuelles, de vrais coiffeurs (il suffit de faire un tour dans le quartier du Marais à Paris pour s’en rendre compte…), mais comme ce métier est moins médiatisé que ceux du spectacle, et davantage estampillé « homosexualité visible et péjorative », rares sont les coiffeurs gay connus du grand public. On peut tout de même citer Houcine El Ouriachi (tristement célèbre puisqu’il a été assassiné à Tanger le 11 mai 2005), « JiGé » dans la biographie Le Musée de l’Homme : Le fabuleux déclin de l’Empire masculin (2005) de David Abiker, Fadi Fawaz le dernier compagnon du chanteur George Michael, etc. François About certifie que le copain du réalisateur de Jacques Scandelari était le « coiffeur des stars » à New York. Dans l’émission radiophonique Homo Micro du 12 février 2007, quand Brahim Naït-Balk demande à l’écrivain Ron l’Infirmier si « ça existe, les beaux garçons, chez les infirmiers », ce dernier aborde la question de la place de l’homosexualité dans le monde de la coiffure : « Alors infirmier pour les garçons, c’est comme steward, ou coiffeur. Voilà… C’est 90% des infirmiers hommes… […] Mais j’pouvais pas être infirmière, alors, voilà… » Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte qu’au théâtre de son lycée, il a joué le rôle d’un coiffeur : « Nous montâmes un intermède d’un auteur espagnol. Je faisais le coiffeur du village et Ernestino le médecin. » (p. 196) Dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » (diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013), Jacques Viallatte, le romancier de 61 ans, a découvert son homosexualité à 34 ans – alors qu’il était marié et qu’il avait 4 enfants – avec le coiffeur (marié et homo aussi) de sa femme : « Je rentre dans ce salon de coiffure… et bingo ! Je vois cet homme. Ce coiffeur. […] Je n’ai plus mes jambes. Je commence à transpirer des mains, alors que même sur ce plateau, je transpire pas des mains. Un coup de foudre. Dans le reportage « Homo en banlieue : le combat de Lyes » de l’émission Envoyé Spécial, (diffusé sur France 2, le 7 février 2019), Magdalena, apprentie coiffeuse, est lesbienne. »

 

Romain Carnard, le coiffeur de la pièce "Dernier coup de ciseaux"

Romain Carnard, le coiffeur de la pièce « Dernier coup de ciseaux »


 

Certains militants homosexuels ou gay friendly cherchent à noyer l’existence des coiffeurs homosexuels dans le « cliché » ou dans la masse : « Le citoyen moyen, lui, devient de plus en plus tolérant, et peut-être aussi de plus en plus indifférent. Finalement, dans une famille bourgeoise, aujourd’hui, quand on parle de Valentino, le garçon coiffeur de Madame, on ne parle même plus de sa sexualité. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 55) Par exemple, dans le documentaire Ménie Grégoire : Une Voix sur les ondes (2007, sur la chaîne France 5) de Marie-Christine Gambart et Sophie Garnier, la célèbre présentatrice radiophonique Ménie Grégoire se rend chez son coiffeur attitré, Robert, un homme homosexuel qui tient sa boutique Robert of Paris. L’un comme l’autre se flattent et s’auto-sacralisent : « Vous êtes une reine ! » déclare Robert avec enthousiasme ; et Ménie le brosse aussi dans le sens du poil : « L’homosexualité, c’est tout à fait naturel, c’est normal. » Le coiffeur officiel de Marine Le Pen est également homosexuel. Dans le sketch « Men’s Hair Styling Salon » interprété dans les années 1960 par James Stewart, Dean Martin, et Orson Welles, on assiste à la même banalisation rigolarde du lien entre homosexualité et coiffeur : les trois acteurs feuillettent des revues et cancanent ensemble comme s’ils étaient des clientes régulières d’un salon de coiffure.

 

Certaines personnes homosexuelles ont grandi dans une ambiance exclusivement féminine, en plus précisément une ambiance de « féminin d’apparat », de « féminité forcée et cinématographique » : Xosé Manuel Buxán, par exemple, évoque son enfance où il était admiré par son entourage (et surtout les clientes du salon de coiffure de sa mère, fidèles lectrices de revues people) pour ses mimiques, ses talents d’acteur, sa précocité (cf. l’article « Entre El Papel Y La Pluma » de Xosé Manuel Buxán, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 173).

 

Le cliché du coiffeur gay agit comme une homophobie positive tellement il enferme les personnes homosexuelles dans la soi-disant « exceptionnalité » de leur désir sexuel. « Un jour, le démon de midi ou de onze heures entre en jeu, un gamin parle et c’est le scandale, plus ou moins vite étouffé : ‘M. Un-Tel, le coiffeur (ou l’antiquaire) de la Place-aux-Huiles… Qui aurait cru ça ? … Si gentil… si doux… Surpris avec un petit garçon de douze ans ! … et papati… et patata…’ » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 103) C’est pour ça qu’il agace et amuse prodigieusement la plupart des individus homosexuels : « Il préféra s’orienter vers un métier d’art ; à son niveau d’étude, la seule possibilité qui s’offrait à lui était la coiffure. […] Démonstration à l’appui, il fit face au miroir accroché au-dessus du buffet et, se dandinant exagérément le postérieur, il mima un homosexuel caressant les cheveux des clients. » (Ednar, le héros homosexuel, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 15)

 
 

f) Le couturier homosexuel :

N.B. : Je vous renvoie aussi à la partie « Homme-voile » du code « Homme invisible », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

PYGMALION Fernandel

 

Certains sujets homosexuels sont réellement couturiers : Christian Dior, Dolce & Gabanna, Jean-Paul Gaultier, Calvin Klein, Yves Saint-Laurent, Gianni Versace, Hubert de Givenchy, Claude Montana, Thierry Mugler, Azzedine Alaïa, etc. Et quand je dis « couturier », il s’agit de toutes les coutures, même théâtrales et littéraires : « Les écrivains se sont toujours passionnés pour la couture. Il n’y a qu’à lire Proust. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 150) ; « Mon seul combat, c’est d’habiller les femmes. » (Yves Saint-Laurent dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc.

 

Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias fait allusion à beaucoup de couturiers homosexuels : Horace, Jacques, Luisito Mareco. À propos de Jacques, qui a pour modèle et amant le jeune cadet de 16 ans Pedro, on découvre que l’attrait pour le monde du prêt-à-porter dit une fascination/soumission pour la beauté et le paraître : « Il s’immobilisa, interloqué devant cette nudité inattendue. ‘C’est un rêve. C’est un ange descendu sur terre’, soupira le vieux couturier. » (p. 261)

 
 

g) L’amant homosexuel est aussi statique et causant qu’une porte de prison ou une statue du Musée Grévin :

Si l’on revient à la problématique de l’amant-objet au sein de la relation d’amour homosexuel, on peut être étonnés de vérifier que la réification de soi-même ou de l’être aimé n’est parfois pas qu’une légende délirante, et qu’au contraire elle s’actualise dans la réalité bien plus souvent qu’on ne le croit ! « C’est pas parce que j’ai gagné l’année dernière que je vais me transformer en statue du Musée Grévin. » (le chanteur homosexuel Mika, dans l’émission The Voice 4 sur la chaîne TF1 le 17 janvier 2015) J’ai en tête les images de Jean Cocteau se filmant en train de converser avec sa propre statue du Musée Grévin. Dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, on apprend qu’Yves Saint-Laurent a quasiment été un pantin toute sa vie, et son amant Pierre Bergé évoque sa « timidité maladive ».

 

Pour ma part, j’en ai rencontrés beaucoup, dans la communauté LGBT, des Musée Grévin homosexuels vivants ! Vous savez, ceux qui de l’extérieur ressemblent à des statues tellement elles sont statiques, crispées, coincées, réservées, muettes, sans personnalité et sans avis, renfermées sur elles-mêmes (on les croirait à la limite de l’autisme parfois… ; avec un de mes amis, on s’amuse à les appeler « les frigos sur pattes » !) « C’est comme un objet qu’on pose sur une table. Des fois on oublie qu’il est là. » (un témoin en parlant d’un amant, dans la pièce documentaire Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Je suis froide et impénétrable. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla).

 

Dans les cas connus de « frigos », on peut penser à Raymond Radiguet, qui était un homme silencieux et renfermé, à Fernando Lumbreras et « son caractère introverti » (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 67), etc. Roger Martin du Gard décrit le « beau visage d’ange inconsolable » d’Annemarie Schwarzenbach (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 97). L’écrivain Ribadeau Dumas disait de Jean Cocteau qu’il ne souriait jamais : « Cocteau offrait le masque tragique des figures de défilé, la tristesse maquillée du cirque. » (« Apuntes biográficos » de Jean Cocteau, sur le site www.islaternura.com). Le docu-fiction autobiographique « N’importe où hors du monde » (2012), est, selon son réalisateur François Zabaleta, « l’histoire d’une destruction ; celle, quotidienne, irréversible, d’un enfant de huit ans muré, celle du sentiment de la différence chez un enfant ». Emilio Barón évoque la profonde solitude de Luis Cernuda enfant, de son « incapacité à communiquer avec les autres » (Emilio Barón, Luis Cernuda Poeta (2002), p. 41). Alexandre Delmar dit qu’il est « un vrai d’Aboville des relations sociales » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 43). Carson McCullers a une tendance à se renfermer sur elle-même. C’était déjà le cas dans son enfance. « Ce sérieux que rien ne pouvait infléchir ne lui donnait pas l’air d’une adulte, mais plutôt celui d’un enfant prodigieux mais très légèrement anormal qui refuse de sortir pour aller jouer parce qu’il est occupé à écrire dans son cahier. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 17). À l’âge adulte, elle restera « paralysée et quasi mutique » (p. 18). La représentation de Paul Verlaine à côté d’Arthur Rimbaud dans le tableau Le Coin de table peint par Fantin-Latour en 1872 est très parlante : on y voit un Verlaine littéralement pétrifié par la beauté de son jeune et insaisissable amant.

 

Le phénomène des Musée Grévin homosexuels m’a toujours interrogé et halluciné. Au-delà de la blague, je crois d’une part qu’il n’est évidemment pas spécifiquement homosexuel (et puis personne n’est un frigo !), et d’autre part qu’il nous rappelle en revanche le lien non-causal entre désir homosexuel et viol, ou entre homosexualité et désir d’être objet. Karine Reysset lui a donné un nom un peu scientifique qui lui va très bien, je trouve : dans son roman lesbien À ta place (2006), elle écrit que son personnage Chloé souffre de « catatonie », une maladie se manifestant par un « état de passivité, d’inertie motrice et psychique, alternant souvent avec des crises d’excitation, caractéristique de la schizophrénie » (p. 43). Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Fred, le trans M to F, est surnommé « le Frigo » par Alex, un camarade gay. Dans la réalité, il n’est pas rare justement de rencontrer des cas de « catatonie » parmi les habitants apathiques du « milieu » homo.

 

Par exemple, dans le film très biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, ne semble avoir aucune intériorité : il a du mal à parler, est très introverti, ne peut pas dire ce qu’il ressent, n’a aucun avis sur rien, semble dépourvu de personnalité, de vie intérieure mais aussi extérieure (vie amoureuse, amicale : zéro).
 
 

h) La destruction iconoclaste de la poupée/statue:

Dans la réalité aussi, la lassitude arrive fréquemment dans les couples homosexuels fondés sur le Pygmalionnage. Même si les amants n’ont pas de rôles de Pygmalion (créateur) et de Galatée (créature) prédéfinis, et qu’ils passent leur temps à s’échanger leurs masques, c’est sur un même éloignement de la Réalité que se construit leur relation. L’un finit par reprocher à l’autre de ne pas se laisser faire ou de ne rien exprimer, l’autre voudrait être libre et ne pas être considéré comme un enfant/comme un père : « Catherine pensait-elle que j’étais une marionnette dont elle pouvait tirer les ficelles à son gré pour la faire gesticuler selon ses humeurs ? » (Paula Dumont parlant de son amante, dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 124) ; « Quand vous n’êtes pas sur votre piédestal, vous n’êtes pas intéressant. » (Oscar Wilde à Lord Douglas, dans son autobiographie De Profundis, 1897) ; « J’ai tenu comme j’ai pu. J’ai arrêté de travailler. Je suis devenu une petite femme. Ta conception de la femme. Je suis devenu Saâd, ton copain d’enfance. Je suis devenu une sculpture entre tes mains. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 117) ; « Tu m’appartiens désormais, me dit-il’. C’était des mots d’homme, des mots possessionnels et j’en avais la cognition. À seize ans, je n’étais plus le même. J’avais soudainement comme une impression de vide, ce vide qui semblait être ma mort et mon humiliation. […] Qu’étais-je devenu, pour un jour, une nuit, toute une vie ? » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 70) ; etc. En somme, ils se vengent d’une seule et même idolâtrie qu’ils alimentent tous les deux en restant en couple.

 

La destruction progressive des âmes et des cœurs dans beaucoup de duos amoureux homosexuels se fait symboliquement par l’anéantissement concret des statues et des poupées. On l’observe fréquemment dans les discours et les actions artistiques/militantes réelles de certains individus homosexuels. « Il faut être agressif pour être sculpteur. » (Louise Bourgeois, la sculptrice, dans le film documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) de Marion Cajori et Amei Wallach) ; « Quand on attaque une toile au couteau, ça m’intéresse. » (Celia s’adressant à Bertrand, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc.

 

La pulsion sadique dans le fétichisme a été maintes fois analysée en psychanalyse. Beaucoup de chanteuses devenues icônes gays jouent avec leur poupée avant de la détruire à l’écran (cf. les chansons « Sans contrefaçon » et « Plus grandir » de Mylène Farmer, « Papa m’aime pas » et « Maman s’est barrée » de Mélissa Mars, « Pour que tu m’aimes encore » de Céline Dion, « Parler tout bas » d’Alizée, « On éteint » de Zazie, « Tú No Eres Para Mí » de Fanny Lu, etc.).

 

Si on voit actuellement dans certaines vitrines de Castro (le quartier gay de San Francisco, aux États-Unis) des poupées Barbie et Ken massacrées, torturées, et exposées bâillonnées pour prouver que la communauté homosexuelle tord le cou à la « tyrannie marchande hétérosexiste », c’est bien que les poupées et les statues sont UN PEU considérées comme des témoins à charge gênants. Si elle déchaînent autant de haine et que des individus anti-matérialistes s’affairent à leur scotcher la bouche, c’est bien qu’elles sont considérées comme vivantes et détentrices d’un lourd secret. Pour le connaître, ce tabou, il suffit de se pencher sur le vécu de leurs assassins iconoclastes homosexuels, et on trouve assez vite la réponse… Je crois que la révélation de la poupée homosexuelle réside d’une part sur la nature idolâtre du désir homosexuel par rapport à l’homme-objet et la femme-objet (Ce qui gêne la communauté homosexuelle, c’est que l’homosexuel ou la lesbienne sont les pâles copies de l’homme-objet et de la femme-objet, ces deux créatures médiatiques/scientifiques qu’elle déteste/adore : « Il était manifeste qu’elle était choquée par la visibilité de mon homosexualité. Pour elle, j’étais la représentation, la statue vivante, l’incarnation même du lesbianisme. » souligne Paula Dumont dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 174), et d’autre part sur le fantasme de viol que la figurine « incarne ». Dans son Épître aux Romains, saint Paul présente les actes homosexuels comme une conséquence du fait d’adorer des images des statues d’hommes, comme le fruit d’une idolâtrie, d’un amour trahi. Aurait-il, une nouvelle fois, flairé juste ?

 

La violence iconoclaste des Pygmalions homos actuels relève de la pulsion sadique dirigée contre une poupée vaudou – autrement dit d’un processus de diversion de la violence réelle. C’est pour cela qu’elle n’inquiète pas, et même qu’elle peut amuser. Cela dit, elle reste une violence actualisable, potentielle, emmagasinée dans le placard « fantasme » de notre psychisme. C’est la mort dans sa globalité qui est dédramatisée et évacuée dans la réification des êtres humains. Rien n’est grave – même la scène de torture et d’écartèlement des membres – si c’est une poupée qui les subit. Mais comme la poupée est fantasmatiquement humanisée et animée de sentiments par certains créateurs homosexuels, la gravité de la mort peut, pour le coup, être mélangée de manière cachée au désir, et donc se transformer en fantasme inconscient, en horreur banalisée, en pulsion involontairement actualisable.

 

Le sort réservé aux femmes réelles par certains couturiers gays ou certaines femmes lesbiennes féministes parties en croisade contre la femme-objet est parfois dramatique : « La nature féminine se transforme sous le crayon des créateurs de mode. […] Ils entraînent l’humanité consentante vers des corps de femmes sans seins ni fesses, sans rondeur ni douceur, des corps de mec, longs et secs. Ce sont leurs fantasmes que les créateurs de mode imposent à l’humanité, leurs fantasmes d’homosexuels (puisque l’énorme majorité d’entre eux le sont), qui rêvent davantage sur le corps d’un garçon que sur celui d’une femme. […] Aujourd’hui, les jeunes filles, toujours au bord de l’anorexie, se fabriquent un corps de garçonnet pour plaire à des créateurs homosexuels qui n’aiment pas les femmes, qui les considèrent comme de simples ‘portemanteaux’, et les terrorisent pour quelques grammes de trop. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), pp. 19-20) En remettant en cause la soi-disant « condition de la femme » (… de la statue), les féministes – souvent lesbiennes – rejettent au final une vie de dînette, de poupée, et non la vie de la femme réelle… Le problème, c’est qu’elle ne fasse pas la différence entre les deux, et que, du coup, elles vont évacuer les deux… alors qu’il n’y a que la première à jeter.

 

En amour homosexuel, on observe le même processus destructeur. L’individu qui joue au Pygmalion homosexuel a tout du despote : il projette sur son amant ses propres diktats émotionnels et esthétiques (voire spirituels), et essaie de l’encastrer de force dans son cadre, son joli tableau, avec des cœurs dans les yeux : « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprès d’elle ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 164) Il cherche aussi à être possédé comme un objet et à être détruit : cf. le magazine des sexualités gays qui s’intitule Prends-moi. « À l’allure de ces contacts qui foisonnaient de partout, surgit ma rencontre avec un fils de riche monégasque qui m’initia aux joies du mannequinat et des voyages à l’étranger. Cette formule de voyages à l’étranger, appelée ‘Escort’ dans le milieu, n’était autre qu’un accompagnement auprès des hommes d’affaires dans leurs déplacements. Bien sûr, avec le sexe à l’appui ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 115) Pas étonnant que la sculpture homosexuelle s’effrite… : « Ces existences-là n’ont pas de ciment social. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976)

 
 

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Code n°154 – Quatuor

Quatuor le bon

Quatuor

 
 

NOTICE EXPLICATIVE

Dès que vous verrez le chiffre 4 dans les fictions traitant d’homosexualité, maintenant, vous tilterez tout de suite… Une fois qu’on le sait, on ne voit que lui !

 

Dans les œuvres homo-érotiques, il est très souvent signe d’androgynie et de mort. L’Androgyne – qu’on peut appelé aussi l’Homme invisible, le diable, puisqu’étymologiquement, il signifie « le Double », le « Divisé divisant » –, a tout, en termes de (bonnes) intentions, de Dieu. Selon la légende de Platon racontée dans le Banquet (-380 av. J.-C.), il a été coupé en deux, voire en quatre. Il reprend exactement les mêmes symboles iconographiques que le Christ, mais cette fois dans leur version agressive, autrement dit impuissante. Les quatre évangélistes entourant Jésus (cf. le Tétramorphe : saint Marc en lion, saint Jean en aigle, saint Matthieu en ange ou en homme, et saint Luc en bœuf) sont remplacés selon la légende androgynique par le chat-panthère, l’aigle noir, l’araignée, et enfin le taureau (codes référencés sur ce Dictionnaire des Codes homosexuels). Dans la fantasmagorie homosexuelle, le motif du quatuor et le chiffre 4 symbolisent généralement la destruction. L’Androgyne n’est pas, comme le Christ, diabolique d’être son extrême opposé : il est diabolique d’être en apparence son jumeau : je dis bien « en apparence », car il n’est que la photocopie, à défaut d’avoir pu être l’original, créature et non Créateur.

 

QUATUOR 1

Tétramorphe


 

Dans une logique très scientifiste (et pour le coup sentimentaliste et fusionnelle), deux plus deux font quatre, on sera tous quasiment d’accord. Un tel décompte marche pour les objets, pour les choses inanimées, pour les abstractions que sont les chiffres, pour le couple (de non-amour) où chacun des membres est considéré comme deux moitiés d’Homme. Mais du point de vue réaliste (et donc humain, idéaliste, aimant et non plus basiquement amoureux), deux plus deux font deux – un couple d’Amour vrai n’est formé que de deux personnes uniques et entières – voire au moins un : l’enfant/les enfants qui naîtra/naîtront de leur union. La logique du quatuor androgynique divise et disperse ; l’élan du quatuor christique unifie et s’ouvre vers la Vie.

 

Pour employer une image simple que permet de visualiser très vite pourquoi je dis que le chiffre quatre peut signifier la mort, pensez au nombre de croque-morts qu’il faut pour porter un cercueil ! Ça devrait suffire…

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Extase », « Amoureux », « Moitié », « Femme et homme en statues de cire », « Se prendre pour Dieu », « Chat », « Aigle noir », « Araignée », « Trio », « Liaisons dangereuses », « Lune », à la partie « Apocalypse » du code « Entre-deux-guerres », à la partie « Taureau » du code « Corrida amoureuse », et à la partie « Diamants » du code « Homme invisible », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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FICTION

QUATUOR 2 Pierre et Gilles

Tableau « Perversion » de Pierre et Gilles


 

On retrouve le chiffre 4 dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité : le film « Four minutes » (2008) de Chris Kraus, la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel (c’est la quatuor d’homos seul sur scène), le roman La Quatrième Fille du Docteur Klein (2003) d’Élisabeth Brami, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi (avec Garbo/Mme Simpson/Garbenko/Irina), le film « Frauensee » (« À fleur d’eau », 2012) de Zoltan Paul, la chanson « Quatre Vies » d’Emmanuel Moire, le film « Zodiac » (2012) de Konstantina Kotzamani, la comédie musicale Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy (avec quatre chanteurs sur scène : le curé, le marin, la prostituée, et l’actrice), la couverture de l’album Mirror Mirror du groupe Coop (avec les 4 visages coupés en 2 de Jamie McDermott), le film « X2000 » (2000) de François Ozon, le spectacle musical La Légende de Jimmy de Luc Plamondon (avec le quatuor clergyman/diva/groupie/teenager), la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy (avec Bill/Étienne/Solange/Delphine), le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, le roman Ma Forêt fantôme (2003) de Denis Lachaud, le film « Blunt : The Fourth Man » (1985) de John Glenister, le film « Quatre garçons dans le vent » (1964) de Richard Lester, le film « Male Bait » (1971) de Peter Curran, le film « Les Désarrois de l’élève Törless » (1966) de Volker Schlöndorff, le film « 2 by 4 » (1997) de Jimmy Smallhorne, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Perdona Bonita, Pero Lucas Me Quería A Mí » (1997) de Félix Sabroso y Dunia Ayaso, le film « Quartetto Basileus » (1981) de Fabio Carpi, le film « Uomini Uomini Uomini » (1996) de Christian De Sica, le poème « Antoñito El Camborio » de Federico García Lorca (avec les quatre cousins), le film « Quartetto » (2000) de Salvatore Piscicelli, le film « Le Quatrième Protocole » (1987) de John Mackensie, la pièce Quartett (2008) d’Heine Müller, le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami (avec le quatuor de vaches), le film « Nen No Natsu Yasumi » (1988) de Shusuke Kaneko, le film « Disons, un soir à dîner… » (1969) de Giuseppe Patroni Griffi, le film « A Bigger Splash » (1974) de Jack Hazan, le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon (avec les 4 petites gravures envoyées par la cousine d’Alexandra, où sur l’une d’elles sont représentées 4 femmes), la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay (avec la photo de Marie Lou et ses trois sœurs, en pantalon, masculinisés), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (dans laquelle la chambre de Vivi, le héros homosexuel, est orientée selon les 4 coins cardinaux), le film « Les Rencontres d’après-minuit » (2013) de Yann Gonzalez (avec la Chienne, la Star, l’Étalon et l’Adolescent), le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan (avec le problème de maths et les 4 boules de l’urne), la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, etc.

 

QUATUOR 3 Victor

Film « Victor, Victoria » de Blake Edwards


 

On entend le chiffre 4 en replay : « Un œil, quatre cheveux, un nez, une chaise : la femme assise. » (cf. l’article « La Femme assise » de Cavana dans la version manuscrite de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 75) ; « Les 4 coins, les 4 souris. » (la figure d’Érik Satie jouant le morceau du char gazant les souris, dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Nous sommes là, tous les 4, entre amis gays. » (Jean-Luc, Romuald, Heïdi, et Frédérique, les héros gay et lesbiens de la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « Je sais que vous aimez le cacao sucré, c’est pourquoi j’ai mis quatre morceaux de sucre. » (Puddle à Stephen dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 204) ; « J’ai eu quatre hommes dans ma vie. » (Harvey Milk dans le film éponyme (2009) de Gus Van Sant) ; « T’hésitais entre fraise et chocolat… et t’as pris la glace à 4 boules. » (Clothilde, la sœur lesbienne de Jean-Luc, le héros homo de la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch) ; « Le retour de mon mari scellerait notre union. » (Alexandra, la narratrice lesbienne s’évoquant elle-même en compagnie de ses deux bonnes/amantes et de son mari, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 171) ; « Il était quatre heures du matin. J’étais seule et j’avais besoin de parler à quelqu’un… »  (cf. la chanson « Un Garçon pas comme les autres » de Marie-Jeanne, dans la comédie musicale Starmania de Michel Berger) ; « J’ai toujours rêvé d’habiter dans un 4 étoiles. » (Dany, le héros homosexuel du film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; « Au pied du paravent, une borne kilométrique sur laquelle on lit : Aïn-Sofar 4km. » (cf. la didascalie du Premier Tableau de la pièce Les Paravents (1961) de Jean Genet) ; « Que des 4 ! … ‘44’. » (le commentateur de la loterie du village gallois, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Il me manque 4 chansons maintenant. » (Tom, le fan de Mylène Farmer, dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil) ; etc. Dans la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander, un couple bourgeois de crocodiles, Monsieur et Madame Hammer, ont « 5 enfants moins une infante » : Tino, Lino, Lucie, et Brutus. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca apporte un 4/4 à un anniversaire. Il est épaté de voir qu’un homme a coupé son gâteau sur le dessus, à l’horizontal : « Respect : il a pris les ¾ ! »

 

QUATUOR 2 2 fois 2

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Certains auteurs homos affectionnent le quatuor. Et on voit d’ailleurs que celui-ci articule et régit la distribution des personnages de beaucoup d’œuvres homo-érotiques. Je pense par exemple aux pièces de Bernard-Marie Koltès (Sallinger (1977), entre autres, reprend le thème des cartes, avec les 4 rois et les 4 reines) ; on peut citer aussi le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (avec les quatre vieilles divas, les quatre bourreaux) ; l’organisation de la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado se fait également sur la base des quadrilles (avec le quatuor de femmes, ensuite le quatuor d’hommes, puis les figures du père et de la mère symbolisées par quatre géants sur échasses en blanc).

 

QUATUOR 3 Livre blanc

« Le Livre blanc » de Copi


 

On remarque que l’identification au quatuor donne au personnage homosexuel une illusion de toute-puissance : « Je vieillirai plus. J’ai quatre ans. Pour toujours. » (le héros dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 11) ; « N’est-il pas incongru d’éprouver de tels émois lorsqu’on a quatre fois vingt ? Et que vient faire dans son existence finissante cette femme blonde, excessive, en âge d’être sa fille ? » (Gabrielle par rapport à sa jeune amante Émilie, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 12-13) ; etc. Le héros gay se prend parfois pour un veau d’or, une poule pondeuse d’œufs dorés : « Oh zut, j’accouche ! Un… deux… trois… quatre ! C’est des chauves-souris en or ! Oh mais les yeux c’est des petits rubis ! » (Loretta Strong dans la pièce éponyme (1978) de Copi) ; « Quatre rats ! » (idem) ; « Dieu que l’icône est classe. 4, 3, 2, 1. » (cf. la chanson « Méfie-toi » de Mylène Farmer) Lors de son show musical Charlène Duval… entre copines (2011), Charlène le travesti est entouré de ses quatre journalistes-danseurs ; à la fin de leur chorégraphie, au moment du salut final, il/elle glisse avec malice au public un remerciement très ambigu qui donne à croire qu’il/elle a œuvré à sa propre sacralisation : « Merci aux quatre garçons qui travaillent à la gloire… de moi-même. » Dans le film « Mon arbre » (2011) de Bérénice André, la jeune Marie se dessine elle-même au centre son arbre généalogique, écartelée par ses 4 « parents » homos : elle se prendra finalement pour la Vierge Marie ! Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, le livre Le Quatuor d’Alexandre de Lawrence Durrell est l’un des romans préférés du protagoniste homosexuel Denis, un vrai dandy bobo. Dans le téléfilm Under the Christmas Tree (Noël, toi et moi, 2021) de Lisa Rose Snow, les deux amantes lesbiennes Charlotte et Alma se rendent à une fête de Noël démoniaque où l’une est déguisée en démon et l’autre en ange, et toutes deux se rendent ensemble voir une cartomancienne qui leur tire les cartes et associe Charlotte à « 4 oiseaux (le faucon, l’aigle, hiboux et la perdrix).

 

QUATUOR 4 poterie

Le Mythe d’Aristophane


 

Le personnage homosexuel se prend carrément pour l’Androgyne, qui s’est fait couper en 4 par Zeus. « Je me suis plié en deux… pour ne pas dire en 4. » (François, le héros homosexuel, dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « J’ai huit doigts et deux têtes. » (Marthe, la lesbienne du film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) ; « On s’coupe en quatre, on s’casse en deux. » (c.f. la chanson « Presque oui » de Georges et Louis) ; etc. Dans la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, Paul parle de la menace de se faire « couper deux fois la tête » sous la guillotine. On retrouve le même calcul dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi : « Je ne suis pas sûr qu’elle [Louise] ne soit pas morte ! Elle est très roublarde. Parlons bas ! Elle a quatre oreilles ! » (Jeanne au Marchand) ; « Combien font deux et deux et deux et deux ? » (Jeanne au Fils) Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Cindy, le prototype de l’hétérosexuelle, a joué pour les bienfaits de l’émission de télé-réalité voyeuriste Secret Story le rôle d’une lesbienne portant le secret suivant : « Je suis sortie avec une ancienne lesbienne bodybuildée et j’ai quatre orteils. » Et plus tard, l’animateur qui devait présenter l’émission Stars chez eux s’est coincé le pied dans la 4/4 de Graziella, la présentatrice psycho.

 

Le quatuor peut également figurer l’amant homosexuel : « Collins avait maintenant un rival des plus sérieux, qui avait fait depuis peu son apparition aux écuries. Il ne possédait point de véritable genou de servante, mais, en revanche, quatre émouvantes jambes brunes… Il avait, de plus que Collins, deux jambes et une queue, ce qui n’était guère en faveur de cette dernière ! Ce Noël-là, quand Stephen avait eu huit ans, Sir Philip lui avait acheté un robuste poney bai. » (la voix narrative parlant de l’héroïne lesbienne Stephen, qui reporte son affection ambiguë pour sa nourrice Collins sur un cheval, dans le roman Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 53) ; « Ils se sont pliés en quatre pour monter Moloch au ciel. » (cf. le poème « Howl » (1955) d’Allen Ginsberg) ; « Tu étais si gentil dans ton costard 3 pièces. » (cf. la chanson « Tu étais si gentil » du Beau Claude) ; « Émile, François, Julien, Fabrice, souvent de l’un à l’autre je glisse. » (cf. la chanson « Ce je ne sais quoi. » du Beau Claude) ; « Nous sommes des dieux, Scrotes, et ces deux jeunes hommes sont nos jouets. » (Anthony s’adressant à son amant, par rapport au jeune couple homo naissant Jim/Doyler, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc.

 

Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne, semble véritablement rechercher la divinité orgueilleuse du quadruple clonage, puisqu’elle vit en parallèle des relations amoureuses avec trois amantes différentes, Sheela, Linde, et Rani (et si on compte sa mère – avec qui elle maintient une relation très ambiguë –, ça fait quatre !) : « Dans le car qui me ramenait chez moi, je décidai que trois était le chiffre parfait. Avec deux liaisons, on était écartelé entre deux choix simples. Il y avait là quelque chose de linéaire. J’étais en train de lire un livre en vogue sur la théorie du chaos, d’après lequel le chiffre trois impliquait le chaos. Je désirais le chaos parce que grâce à lui je pourrais créer mon modèle personnel. Je regardais les beaux objets fractals illustrant le volume et voyais Sheela, Linde et Rani dans l’un d’eux, s’amenuisant au fur et à mesure, le motif se répétant à l’infini. Je refermai le livre, convaincue d’avoir choisi la façon de mener ma vie. Le chaos était la physique moderne, c’était la science d’aujourd’hui. » (pp. 64-65) ; « La tête me tourna en nous imaginant à dix ans de là, assises toutes les quatre sur un canapé, et Rani nous parlant d’égal à égal. […] L’électron pensant intitulé ‘assurer l’instruction de Rani’ avait sauté d’une tête à l’autre parce que nous avions été assises tout près. Nous étions toutes les trois les tranches d’un même cerveau. […] C’était un sentiment d’être bien davantage qu’un simple individu. Au bout du compte, elles étaient toutes raccordées à moi. » (Anamika parlant du quatuor qu’elle forme avec sa mère/Rani/Linde, idem, pp. 183-186)

 

Le chiffre quatre indique dans un premier temps une fuite du Réel. Par exemple, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, Lourdes-Marilyn, l’héroïne, « enlèverait le 4 de l’horloge… pour qu’il n’y ait plus de 4 heures. » Dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi, les 5 hommes-oiseaux devant Jeanne prétendent être le « vrai facteur » : « Moi ! Moi ! Moi ! C’est moi le vrai facteur ! C’est moi ! […] C’est moi. C’est lui. Moi. Moi. Lui. Moi. Lui. » On apprend par la suite qu’il n’y a qu’un seul « vrai facteur », et 4 « faux facteurs », le chiffre 4 étant donc celui du mensonge, de l’illusion identitaire.

 

Parfois, le quatuor représente un carré relationnel amoureux intenable, digne du roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. « Trois marins et l’amour, ça fait quatre paumés. » (Solange dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy). Je pense par exemple au film « West-Side Story » (1961) de Robert Wise, au film « Grande École » (2003) de Robert Salis (avec le jeu malsain des stratégies et des échanges amoureux), au film « Ken Park » (2002) de Larry Clark, au film « Passion » (1964) de Yasuzo Masumara (avec les quatre amants qui s’auto-détruisent), au film « Quartet » (1981) de James Ivory (avec un quadrille amoureux entre Marya, Stefan, un mécène anglais et son épouse artiste peintre), à la pièce Missing (2008) de Nick Hamm (avec les quatre lycéens disparus, parmi lequel se cache un meurtrier), à la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio (avec le quatuor machiavélique Vera/Pierre-André/Nina/Lola), au film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino (Marzia/Chiara/Oliver/Elio), au film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button (avec Léonard/Vita/Harold/Virginia), au film « Plus on est de fous » (« Donde caben dos », 2021) de Paco Caballero, etc. Dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon, les couples se font et se défont ; Harriet et Auguste ont été anciens amants et s’amusent à manipuler Fanny et Théo (« Pourquoi nous avons été si destructeurs ? » ironisent-ils) ; Harriet ne veut pas d’enfant ; Auguste charme Théo et se fait prendre à son propre jeu ; Fanny est présentée par Harriet comme sa « fille spirituelle » et les deux femmes finissent par s’embrasser sur la bouche. Harriet noie le poisson de l’inconstance amoureuse générale dans l’esthétisme sentimentaliste : « Ces quatuors, on va les jouer avec une intensité, une émotion… »

 

Le quatuor établit et prouve un parallélisme de violence entre hétérosexualité et violence. Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le couple hétéro Lena/Révérend Ralph (homo secret) est mis en parallèle/opposition avec le couple homo Johnny/Romeo. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Sultana a l’idée de faire un double mariage : le sien avec le père de Chris, puis un mariage entre Marilyn et Chris. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, le quatuor Adèle/William/Gabriel/Pierre est réuni pour le procès de la bisexualité (autrement dit de l’hétérosexualité). Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, le couple lesbien Rachel/Luce et le couple hétéro Tessa/Ned (les parents de Rachel) s’embrassent simultanément au milieu de l’embouteillage. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, le quatuor Meredith/Marge/Tom/Dick se centre autour de la machination machiavélique de Tom, le héros homosexuel, qui brise tous les couples par « amour » passionnel pour Dick qu’il finira par assassiner. Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, les trois héros bi-homosexuels (Camille, Ninon et Guen) méprisent le seul héros hétéro de la pièce, Stan, et organisent sa mort sociale, et presque physique. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, le groupe d’Olivia, Anwar (dandy homo), Ruby (la pimbêche) et Aimee (l’idiote), s’amusent dans leur lycée à critiquer tout le monde (« On balance un tas de trucs odieux sur tout le monde. » dit Ruby) et à former des couples postiches pour humilier leurs camarades rejetés : par exemple, dans l’épisode 5 de la saison 1, il fait croire à Harriett, une élève laide, que Jordan, un mec populaire du lycée, en pince pour elle ; et elle se prend un râteau monumental. « C’est un vrai crash-test. » rigole Anwar.

 

QUATUOR 5 Salo

Film « Salò ou les 120 journées de Sodome » de Pasolini


 

En réalité, dès que le chiffre 4 apparaît dans les œuvres homosexuelles, c’est mauvais signe… : « Déjà quatre hivers à ne savoir que faire. » (cf. la chanson « Quatre Hivers » d’Étienne Daho) ; « La mort déversait lentement dans le corps de ma sœur sa lymphe empoisonnée afin que celle-ci puisse l’apprécier chaque jour de sa jeunesse, elle avait glacé son sang, durci ses veines et dessinait sur son visage à l’encre indélébile des fissures au coin de sa bouche, quatre étincelles étirant la fente de ses yeux et, sous son cou, une nouvelle peau, pendante et rugueuse coupée en son milieu par deux cordes de muqueuses blanches. » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 30) ; « L’absence de Tchang dépasse bientôt les quatre mois, si bien qu’à plusieurs reprises le village sans nouvelles craint sa disparition, et même sa mort. » (Chris dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 141) ; « Comme une rengaine, le mot ‘rien, rien, rien…’ t’étourdit, ses quatre lettres finissent par n’avoir plus de sens. » (Félix, idem, p. 104) ; « Je vous embrasse quatre fois sur les deux joues, Maître. Je vais me blottir, dormir avec les miens. À un de ces quatre jours. Votre Gouri. » (Gouri à Copi le Traducteur, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 65) ; « Les deux chefs des armées russe et américaine, assez semblables entre eux, blonds, s’avancèrent se tenant par le bras. Deux interprètes du sexe féminin brunes les suivaient. » (la voix narrative parlant des deux amiraux Smutchenko et Smith, idem, p. 113) ; « Il se passe des phénomènes extraordinair’ par ici. […] Ce matin, on a vu tomber d’un nuage quatre scorpions. » (le chœur des voisines dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Je te lui [l’agent] ai foutu mon couteau dans le bidon et dans l’épaule. Quatre balafr’ dans les bacchantes et je lui ai ouvert le cœur. » (Cachafaz à Raulito, idem) ; « On entendit un hurlement derrière la porte. […] Quatre folles, le torse nu, traînaient une des leurs par les pieds. » (la voix narrative parlant du cadavre de L’Islandais assassiné, dans la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, p. 88) ; « les quatre folles qui ont tué l’Islandais sous nos yeux » (idem, p. 91) ; « Quatre pygmées l’ [Christian] immobilisèrent, s’agrippant chacun à un de ses membres, un cinquième lui assena un coup de karaté sur la nuque. Il s’évanouit l’espace d’un instant. » (cf. la nouvelle « La Césarienne » (1983) de Copi, p. 71) ; « Puce poussait le corps du pied. On entendit une sirène de police. Sans trop y penser on prit le corps, lui par les aisselles et moi par les jambes et on le cacha derrière le comptoir : un réflexe de peur. Quatre portières de voiture claquèrent en même temps dans la rue. Je poussai le corps de Mme Ada contre le fond derrière le comptoir et me coinçai assis en tailleur entre elle et la grosse poubelle en même temps que la porte s’ouvrait et que quatre inspecteurs en civil faisaient calme irruption dans le café. Puce servit quatre pastis d’une main tremblante. » (Ahmed caché avec le corps de Mme Ada pendant qu’arrivent les flics, dans la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi, pp. 44-45) ; « Il parvient au centre de la piste, au cœur du cyclone où la musique se multiplie par elle-même, propulsée des quatre points cardinaux par quatre haut-parleurs géants qui enfoncent les temps dans les oreilles comme des coups de marteau. » (le héros homo se trouvant malgré lui à l’intérieur d’une boîte gay qu’il décrit comme un enfer, dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 59) ; « Se mouvant avec raideur, les paupières rougies et les yeux larmoyants, les quatre femmes avalèrent de grandes tasses de café ; puis telles qu’elles étaient, elles se couchèrent sur le plancher, enveloppées dans leur trench-coat et dans leur couverture militaire. Elles s’endormirent en moins d’un quart d’heure, bien que la villa fût secouée et ébranlée par le bombardement. » (Marguerite Radclyffe Hall, Le Puits de solitude (1928), p. 370) ; « Acte IV : Scène finale. » (Jack à son amant Paul, juste avant de se suicider devant lui à la fin de l’Acte, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Je me réveillais souvent vers quatre heures du matin, en nage et toujours ce même cauchemar. Je te cherchais désespérément partout. Quand enfin je te trouvais, tu te retournais… Et là, horreur ! Ce n’était pas toi ! » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 44) ; « Moi, le premier jour, je me suis dit : ‘Tiens, il est beau !’ Le lendemain aussi… Le troisième je te cherchais partout, et le quatrième tu me manquais déjà. Ensuite, tu m’as pourri la vie ! » (idem, p. 112) ; « Au matin, les hommes de la Chevra Kadisha se mirent au travail pour apprêter le Rav. Ils se retrouvèrent dans la petite antichambre proche du cimetière. Ils étaient quatre : Levisky, Rigler, Newman et Dovid. Dovid avait passé la nuit auprès du corps, à réciter des psaumes. » (le quatuor entourant la dépouille du Rav, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 37) ; « Il me reste deux rues à traverser pour atteindre Lyon Perrache, lorsque quatre hommes surgissent et s’approchent rapidement de moi. Avant que je n’aie eu le temps de réagir, ils me poussent à terre. Aussi surprise qu’épouvantée, j’appelle à l’aide de toutes mes forces. Cela n’effraie pas mes agresseurs. » (Madeleine violée par les quatre exécutants du méchant Nazi Heinrich, dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 56) ; « Quatre… Comme c’est cocasse. Quatre couverts alors que nous ne sommes que trois… » (Jules, le héros homosexuel, juste avant que Lucie la serveuse et maîtresse de cérémonie macabre interprète sa chanson « La Mort », dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Chez les 4 Jean, on a un baptême du feu spécifique. » (Jean-Jacques, Jean-Édouard, Jean-Henri et Jean-Paul, évoquant le viol ou la soumission comme bizutage d’intégration de leur groupe-commando, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Et si on construisait une maison à deux niveaux avec Aysla et Dom ? » (Marie s’adressant à son mari Bernd, concernant le couple hétéro Dom/Aysla, alors que Marie a une liaison lesbienne secrète avec Aysla, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann) ; « Heureusement, 4 sont mortes. » (Hugues, le héros homo parlant des cousines Noémie et Alfonsine, qui étaient à la base 6, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; etc.

 

QUATUOR 6 Cavaliers

Les 4 Cavaliers de l’Apocalypse


 

Le chiffre 4 est généralement synonyme de mort, d’enfer, de diable, de viol, et de fin du monde, dans les œuvres homosexuelles : c’est le cas dans le film « Wolves Of Wall Street » (2002) de David DeCoteau, le film « Avant le Déluge » (1953) d’André Cayatte, le film « Démons » (1982) de Lars Norén, le film « Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse » (1921) de Rex Ingram, le film « Quatre Mouches de velours gris » (1971) de Dario Argento, le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec les 4 nains dans le cimetière), le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia (Leibowitz, Doumé, et Liz sont tous les trois centrés sur Willie, le personnage qui mourra du Sida à la fin et qui signera leur propre perte), le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus (avec le titre d’un des chapitres – « Quatre fois deux » – symbolisant le couple homo narcissique et fallacieux parce qu’il est le produit d’une rencontre Internet trouble), le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petit (avec le quatuor médisant, Ondine/Ivan/Eva… et Antoine, prisonnier à son insu d’un cercle de Précieuses de Salons modernes), la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi (et les 4 « gouines armées » avec, à leur tête, Sapho), la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec le gang homophobe composé de quatre « Dalton » autour de la méchante Angélique), le film « Le Marginal » (1983) de Jacques Deray (avec le bar cuir gay Le Carré d’As), la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi (évoquant clairement la schizophrénie), la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick (où le quatuor va finir par étouffer le coming out du héros), le film « Magnum Force » (1973) de Ted Post (avec les quatre policiers fascistes), le film « Quatre mariages et un enterrement » (1993) de Mike Newell, la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt (avec les quatre call girls camouflant par tous les moyens le meurtre de leur patron), le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec les deux duos de quatre femmes criminelles cherchant à tuer l’Homme invisible), le vidéo-clip de la chanson « Love » du groupe Kazaky (avec le quatuor diabolique), la chanson « Dile A Tu Amiga » de Dalmata (avec le diable, le couple de lesbiennes et le chanteur), le vidéo-clip de la chanson « Foolin » de Devendra Banhart, le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, etc.

 

QUATUOR 7 Vincent Maloi

Film « Society » de Vincent Moloi


 

Dans la pièce Démocratie(s) (2010) d’Harold Pinter, par exemple, la femme violée en arrière-plan est cachée par quatre personnages situés en avant-scène. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, au bout de quatre viols (ou « passes »), le Pass Navigo parisien devient gratuit. Dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, Joyce, la lesbienne, soutient qu’elle « n’est pas malade » et qu’elle « veut juste un gosse »… mais on découvre qu’elle donne des croquettes à ses enfants, les fait coucher dans des litières, et dit d’un air très pince-sans-rire qu’« elle adore les enfants » et qu’elle « en a déjà mangé 4 ». Dans le film « Vacation ! » (2010) de Zach Clark, des vacances entre 4 amies de collège dégénèrent, et se concluent tragiquement. Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Benjamin, Pierre son compagnon, Isabelle et Sylvie, forment un quatuor malsain prospectant pour un enfant-objet. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, les quatre amis homosexuels (Nono, Stef, Norbert et Vivi) braquent un supermarché. Dans le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis, le chiffre 4 signifie « mort » et se rapporte à un homme décédé étendu sur une civière. Dans le film « Mascarade » (2012) d’Alexis Langlois, au bord d’une falaise, trois hommes nus exécutent une étrange cérémonie : une créature surgit et assassine froidement les trois païens. Chez le roman Dracula (1897) de Bram Stoker, le personnage de Lucie devient un polyandre parce qu’elle est transfusée par quatre hommes. Dans le roman L’Autre Dracula contre l’Ordre noir de la Golden Dawn (2011) de Tony Mark, les héros vivent à 4 dans un manoir. Dans le film « The Return Of Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty, les quatre femmes lesbiennes « s’aiment » dans un cimetière d’avions : le désir lesbien couronne une humanité dissoute. Dans le film « Society » (2007) de Vincent Moloi, quatre femmes noires (dont un couple de lesbiennes), anciennes camarades de classe, sont réunies autour de la mort de leur cinquième amie. Dans le film « Adieu ma concubine » (1993) de Chen Kaige, Dieyi et Xialou, face au Maître Yuan, expliquent qu’ils veulent reconstituer leur troupe après une dizaine d’années de séparation. Le maître explique cette rupture par une allusion au chiffre quatre : « Je comprends. Tout ça, c’est à cause de la bande des quatre. » Les deux acteurs acquiescent : « Certainement. À cause de la bande des quatre… ». Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Véra, Léopold, Ana et Franz compose le quatuor libertin qui entraînera Franz jusqu’au suicide… et Léopold, l’amant de Franz, est le maître diabolique de ce carré amoureux. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le quatuor composé de quatre homosexuels (Gatal, ses deux « pères » et Négoce l’entremetteur) met à mort le fiancé de Gatal à cause de son infidélité. Dans le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, Ignacio Rodríguez est en réalité mort depuis quatre ans. Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, trois hommes masqués (avec des têtes d’animaux : notamment le tigre) sont au service du méchant gourou de l’histoire : ils violent (la scène du viol de la femme rousse dans la forêt est d’anthologie) et kidnappent tous les « gentils » (À un moment du film, le spectateur voit un grand « N°4 » inscrit sur un immeuble). Dans le thriller noir « The Owls » (2010) de Cheryl Dunye, quatre OWLs (Older Wiser Lesbians = lesbiennes de plus de 40 ans ; traduction : « les chouettes ») tuent accidentellement une autre jeune lesbienne. Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, le quatuor Tatiana/Clothilde/Richard/Adrien symbolise la mort prochaine d’Adrien, qui sera assassiné. Dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Bilal réalise une toile dans lequel il se dessine lui-même agressé par quatre hommes. Dans la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, le diable permet la fusion d’un trio vivant un coït homosexuel extatique et violent : « Nos trois sexes formaient un seul canon, qui traversait nos corps encastrés, dirigés par un cerveau unique. Nous éjaculâmes en rafale, le garçon de derrière, puis moi, puis l’ange. À l’instant où ce dernier déchargeait cette accumulation de nos énergies vitales, une forme hideuse jaillit de l’ombre. […] Un rai de lumière dévoila cette créature. » (p. 116) ; « Aussitôt nous fûmes embrochés comme des infidèles, et son sperme ardent traversa nos trois corps comme un fluide électrique. » (idem, pp. 117-118) Dans une autre nouvelle du même auteur, intitulée « Au Musée » (2010), l’amant homosexuel semble réagir comme tous les animaux du quatuor : « Il trépignait, glapissait, miaulait ; puis il meugla, hennit, barrit, avant de blatérer, raire, ululer, et de jouir de concert avec moi. » (pp. 111-112) Dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, les membres de « La Guilde », sorte de secte vouée à l’effigie d’une sculpture diabolique, sont au nombre de quatre ! D’ailleurs, je vais vous citer un extrait de ce livre pour que vous compreniez l’analogie voilée entre le chiffre quatre et le diable (ici, une ombre noire mi masculine mi féminine) : « Un homme s’avance dans les salles à peine éclairées du musée. Son ombre glisse sur chaque tableau, le visiteur nocturne sait qu’il ne sera pas inquiété. […] Il a les cheveux longs, légèrement ondulés. Il est habillé tout de noir et a gradé son imperméable. […] Il a l’air de parler tout seul, mais cette impression est la conséquence des nouvelles technologies, qui rendent les téléphones portables presque invisibles. […] La Mission commence. […] La femme qui vient à la rencontre de l’homme énigmatique, dans la salle numéro cinq, sait très bien, elle aussi, ce que la ‘Mission’ recouvre comme réalité. […] Le Maître est le numéro un d’une organisation plus ou moins secrète, dont le nom complet est : La Guilde de Saint Dibutades. […] La Guilde a rompu ses liens avec l’Église à la fin du seizième siècle, lorsque ses membres ont canonisé Dibutades, contre l’avis de la papauté. Aujourd’hui encore, la puissance de l’organisation s’étend à la planète entière, mais seuls le Maître et ses proches associés en connaissent la véritable ampleur. » (pp. 15-16) Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, quatre comédiens représentent l’enfer du sauna… et la voix-off caressante et sournoise qui les guide, c’est celle d’un diable invisible, parlant en régie. Dans la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare, le diabolique Obéron, le Prince des Nuits, habillé de rouge, englobe à lui tout seul un bestiaire complet : on voit entre autre en lui un « guépard aux mains tachetées, et même un monstre répugnant. » Dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, le quatuor Michael/Copi-personnage/Patrizia/Laure symbolise la fusion d’un même Homme invisible multi-facettes comme le diamant travaillé : « Je mets Michael et Patrizia à la porte avec leur part de diamants. » (la voix narrative, p. 145) Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, tombe dans un traquenard qui ressemblait à un savoureux « plan cul » au départ : en boîte, il rencontre Karim, un Arabe, qui l’entraîne chez lui et le propose à deux autres de ses potes qui rêvent de se « taper un rebeu ». Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Suki, Juna, Rinn et Kadojo, compose le club des quatre Gothic Lolitas qui s’autodétruisent par la magie noire, autour de la grande sœur invisible (morte) de Juna.

 

QUATUOR 8 Kaboom

Film « Kaboom » de Gregg Araki


 

Comme je vous le disais dans la notice explicative, l’Androgyne diabolique s’entoure des mêmes personnages que le Christ (cf. le Tétramorphe : saint Marc en lion, saint Jean en aigle, saint Matthieu en ange ou en homme, et saint Luc en bœuf), mais dans leur version violente et agressive (cf. le chat-panthère, l’aigle noir, l’araignée, et enfin le taureau survolté des corridas). On retrouve ce quatuor christique inversé dans le film d’animation « God, Guns And Queers » (2010) de Tom de Pékin (avec notamment une belle femme-araignée, entouré de trois autres figures proches du quatuor). On le voit aussi chez Pasolini : « Quatre ou cinq enfants apparurent, dans la peau de tigre des champs. » (Pier Paolo Pasolini, cité sur une plaque circulaire que j’ai aperçue au Métro Bibliothèque François Mitterrand à Paris) Dans l’œuvre de l’écrivain argentin Copi, la figuration du quatuor androgynique est particulièrement saisissante : « Portrait-robot du Gronz : tête de hibou, buste de bœuf, arrière-train de dragon. Méfiez-vous, ils sont très excitables à la vue de la couleur verte. Ne portez pas de vert et camouflez votre végétation derrière des paravents. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) Dans le roman La Cité des Rats (1979), le personnage du rat Gouri donne même le quarté du tétramorphe dans l’ordre ! Juste hallucinant ! Le chat-panthère, le taureau, l’aigle, et l’araignée, y sont présents (et il y a une chance sur un milliard que Copi se soit calculé aussi précisément !) : « Je rêvai que j’étais moi-même mais que ma queue finissait en une tête de CHAT qui essayait de m’attraper le museau, et je tournais en cercles sur moi-même de plus en plus vite pour lui échapper. Puis une énorme mouette à tête d’AIGLE avalait la tête de chat avant de se dissoudre pour faire place à un SPHINX qui avait le corps de Rakä et la tête de Mimile, qui ondulait lentement des hanches et sur la queue duquel se posait une ARAIGNÉE rouge tombant de son fil, ce qui me réveilla en sursaut. Je m’agrippais à Rakä de mes QUATRE pattes […]. » (Gouri, p. 68 ; c’est moi qui met en majuscules) Dans le film « Sherlock Holmes » (2008) de Guy Ritchie (traitant discrètement d’homosexualité), Lord Blackwood, représentant le diable, effectue ses crimes en suivant précautionneusement le tétramorphe biblique : l’homme (le Roux), l’aigle (John Standish), le bœuf (Sir Thomas), et le lion (le Parlement).

 

QUATUOR 9 Sherlock

Film « Sherlock Holmes » de Guy Ritchie


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Je vous renvoie au bar gay les Quatre Coins du Monde de Montréal.

 

Pourquoi mettre en relation le chiffre 4 et une orientation sexuelle ? Et bien parce que les chiffres ont, de tout temps, eu une valeur symbolique universelle, un sens caché ; et la sexualité en a un aussi ! Sigmund Freud, par exemple, a écrit à son ami Fleiss qu’il s’habitue à « considérer chaque acte sexuel comme un événement impliquant 4 personnes. » (cf. une lettre datant du 1er août 1899) Il se référait bien entendu à la part de féminin et de masculin (= bisexuelle) que chaque être humain a en lui, ainsi qu’aux parents de chacun des deux membres composant le couple.

 

QUATUOR 10 Bas relief

Bas-relief avec les « Quatre Vivants » entourant Jésus


 

Concernant spécifiquement l’homosexualité, Platon, dans son Banquet (-380 av. J.-C.), décrit l’Androgyne comme une créature qui « avait quatre mains et des jambes en nombre égal à celui des mains » ainsi que « quatre oreilles » (Daniel Borillo et Dominique Colas, L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005), p. 34) : « En raison de leur orgueil, voulant s’égaler à Dieu, les androgynes furent coupés en deux et promis à être à nouveau divisés par moitié s’ils persistaient dans leur orgueil. La coupure réalisée, l’amour attire chaque moitié vers l’autre, afin de restaurer leur unité. » (Marsile Ficin, Commentaire sur Le Banquet de Platon : De l’Amour, 1492) On peut donc parler d’une rupture en quatre des androgynes.

 

Et le plus étonnant, c’est qu’inconsciemment, beaucoup de personnes homosexuelles adoptent une conception divisante et androgynique de leurs unions, des identités humaines : « Tout couple est toujours dédoublé : un côté pile qui regarde la vie, un côté face tourné vers la mort. » (Orion Delain cité dans la revue Triangul’Ère 1 (1999) de Christophe Gendron, p. 246) Dans son article « Copi le Voyageur » (1974), Colette Godard écrit que le dramaturge argentin Copi « coupe les corps en quatre morceaux » dans ses œuvres.

 

Dans son essai Une Boucle d’oreille pour Jacob (2010), Charles Madézo analyse l’homosexualité latente qui peut exister dans les « couples à quatre » (échangistes déclarés, ou pas), en partant d’un film de Russel : « Le film Women In Love de Ken Russell met en scène deux couples en butte à la complexité qui marque les tentatives de ménage à quatre. Démêlant l’écheveau trop serré d’attentes convergentes, les deux hommes finissent par se confronter à une sorte de combat. Ils luttent tous deux, magnifiques et nus dans la lumière troublante d’un feu de bois. Leur corps à corps révèle sans ambiguïté qu’à travers les deux femmes, c’est bien eux-mêmes qu’ils recherchent, abordant dans une sorte de fureur leur profonde homosexualité. » (p. 104-105) J’aborde de manière plus détaillée la question de l’homosexualité latente et de la bisexualité dans le code « Trio » du Dictionnaire des Codes homosexuels, mais en tout cas, elles marchent aussi bien pour le trio que pour le quatuor. « Bruno m’a donné une des bagues, l’autre à Fabien, ‘Vous deux ferez les femmes, et moi et Stéphane on fera les hommes’. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 152)

 

L’une des choses qui distingue le plus l’être humain de l’animal, c’est que, même s’ils ont tous deux 4 pattes, l’Homme donne l’impression de n’en avoir que deux parce qu’Il possède une liberté et une intelligence que les bébêtes n’auront jamais. Vouloir faire de l’être humain un quatuor indique justement l’existence d’un désir bestial, régressif, animal, archaïque, violent.

 

femme as

B.D. « Femme assise » de Copi


 

C’est pourquoi il arrive parfois que les personnes homosexuelles utilisent le chiffre 4 pour raconter un viol ou une mort. « Ils [Polo et sa sœur Nuna] sont allés en vacances sur l’île de Lesbos. Un jour, ils étaient sur le port, quand un groupe de quatre marins les ont invités à faire un tour. Ils voulaient leur montrer le vieux château qui surmonte la ville. Ils les ont suivis. Le soleil tombait. Après la visite, quand ils ont voulu rentrer, Polo et Nuna se sont aperçus que les portes du château étaient fermées. Impossible de s’échapper. Les murailles avaient huit mètres de haut. Polo était ravi de se trouver enfermé en compagnie de ces quatre marins. Mais il ne savait pas quoi faire de sa sœur. […] Les marins n’ont fait ni une ni quatre. Ils ont enculé Polo et sa sœur Nuna, comme si elle était Rita Hayworth. » (Luisito dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 226) ; « Même le jour de l’anniversaire du maire, elle [l’actrice Lola Sola] voyait le gâteau en forme de cercueil avec les quatre bougies tout autour. » (idem, p. 252) ; « Un jour, chez des amis, alors que les parents étaient fort occupés à deviser dans le fond du parc, je fus le témoin d’une véritable orgie enfantine, à laquelle, d’ailleurs, je ne pris aucune part, me sentant trop décontenancé à la vue des petites filles. Des frères, des sœurs, d’autres garçons se livraient à des expériences sexuelles très poussées et je garderai toujours en mémoire le spectacle de la sœur d’un de mes camarades ‘utilisée’ par quatre garçons à la suite… Cette scène (qui se renouvelait, d’ailleurs, paraît-il, à chacune des réunions familiales, à l’insu des parents, naturellement) fut interrompue, ce jour-là, par l’entrée intempestive de la mère de l’une des fillettes… Ce fut un beau scandale. Il y eut des scènes pénibles. Un procès faillit en résulter mais, au cours des interrogatoires, chacun se tira d’affaire par des mensonges. Cet épisode aux couleurs crues s’imprima profondément dans mon esprit et me fit, plus que jamais prendre en horreur les filles et les femmes. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 79) ; « J’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 193) ; « Ils me sont tombés à 4 dessus. » (Bruno Wiel, jeune homme homosexuel agressé, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Je dis souvent que j’appartenais à 4 identités normalement incompatibles : je venais du Sud, juif, gay et pauvre. » (Perry Brass, vétéran gay évoquant le harcèlement scolaire qui l’a conduit au suicide à 15 ans, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc. Par exemple, dans son « Domaine des Esprits » où il habitait, le chanteur homo Charles Trénet accueillait des mineurs pour des surprises-parties sexuelles. Il a été pris en flagrant délit avec 4 jeunes Allemands de 19-20 ans. Il fut condamné à la prison pour attentat aux mœurs, à Aix (France).

 

Dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, le chiffre 4 est celui de la fusion amoureuse étouffante : « On est mardi. J’ai passé ces quatre derniers jours avec Slimane. On n’est pas sortis de l’appartement. J’ai passé quatre jours sur lui, et lui sur moi. À manger. À faire l’amour. À se disputer. À se réconcilier. À dormir. L’un dans l’autre au sens propre. Prisonniers. Il est presque 16 heures. Je suis dans une salle de cinéma. Je vais voir pour la première fois Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. » (p. 109) Quand je dis que le quatuor désigne le désir homosexuel en tant que fantasme violent de viol, je suis très sérieux, vous allez voir pourquoi. Toujours dans Une Mélancolie arabe, les mots d’Abdellah Taïa concernant la tournante – quasi consentie – qu’il a subie pendant son adolescence sont plus que clairs : « ‘Je ne vais pas te violer tout seul… Nous allons tous te violer. Faire de toi une vraie petite fille…’ Il a ouvert la porte. La peur m’a repris. Elle montait. Elle m’inondait. M’aveuglait. Les autres sont entrés. Ils étaient quatre et non deux comme au début. Comme il faisait encore un peu sombre dans la pièce, je n’arrivais pas à voir à quoi ressemblaient les deux nouveaux. Ils se sont tous déshabillés aussitôt. La sex party allait commencer. » (p. 24)

 

QUATUOR 11 Christ en croix

Film « La Ricotta » de Pasolini


 

Sur le plan du couple homosexuel réel, l’arrivée du quatuor – un couple de deux femmes lesbiennes dans un projet de co-parentalité avec deux hommes gays, par exemple – marque aussi une violence faite à l’enfant, et à la société dans son ensemble : « Ce qu’on essaie de nous faire oublier dans la revendication d’égalité des couples homosexuels[par rapport aux couples femme-homme, dans le cadre de l’homoparentalité], c’est que chez eux ce n’est pas le couple qui fera l’enfant mais un trio. Un trio au minimum, un quatuor dans certains cas, mais pas un couple. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 205) Je vous renvoie au documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne (avec les 4 photos du couple à 4 : Xavier (le père) / la mère (la femme-moitié) / Guillaume (nouveau mec du père) / François (l’ex du père)) ; ainsi qu’au reportage « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy dans l’émission Tel Quel diffusée le 14 mai 2012 sur la chaîne France 4, durant lequel le jeu à 4 du UNO est mis en parallèle avec la « famille » homoparentale.

 

Parfois, les personnes homosexuelles qui emploient le chiffre quatre formulent sans même s’en rendre compte des vœux mégalomaniaques, irréalistes, potentiellement violents : « Je suis favorable au mariage gay à 400 %. Les homos qui veulent y recourir doivent pouvoir le faire car c’est une question élémentaire d’égalité des droits. » (Franck Chaumont dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, pp. 77-78)

 

Par exemple, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015, la GPA (Gestation Pour Autrui) embarque au moins quatre « géniteurs » : Kelcy (la donneuse d’ovocyte, contractée pour 6000 euros, choisie sur catalogue), Veronica (la mère-porteuse) et les deux membres du « couple » gay Christophe et Bruno (qui ont donné leur sperme).
 

À propos du plus Réel des réels (j’ai nommé Dieu), en parcourant un jour la Bible (version TOB), au Livre de Daniel (7, 2-14), dans l’Ancien Testament, je suis tombé (tout à fait par hasard ? en tout cas, c’était après la première publication de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) sur un chapitre dont le titre m’a intrigué car il parlait du chiffre quatre dans son sens diabolique : « Les 4 bêtes et le Fils de l’Homme ».

 

Je vous le retranscris, en mettant entre crochets les quatre personnages de mon quatuor androgynique violent (le taureau, l’aigle noir, la panthère, et l’araignée) que j’ai identifiés, et en surlignant le chiffre 4, pour qu’on y voit plus clair : « Daniel prit la parole et dit : Je regardais, dans mes visions durant la nuit. Et voici que les quatre vents du ciel faisaient rejaillir la Grande Mer. Et quatre bêtes monstrueuses s’élevaient de la Mer, différentes les unes des autres. La première était comme un lion [panthère] et elle avait des ailes d’aigle [aigle noir]. Je regardais, lorsqu’on lui arracha les ailes ; elle fut soulevée de terre et dressée sur deux pattes comme un homme [araignée], et un cœur d’homme lui fut donné. Puis voici une autre Bête, une seconde, semblable à un ours [araignée] ; elle fut dressée sur un côté, ayant trois côtes dans la gueule entre les dents ; et on lui parlait ainsi : « Lève-toi ! Mange beaucoup de chair ! » Après cela, je regardais, et en voici une autre, comme un léopard [panthère] ayant quatre ailes d’oiseau sur le dos ; la Bête avait quatre têtes, et il lui fut donné une souveraineté. Après cela, je regardais dans les visions de la nuit, et voici une quatrième Bête, redoutable, terrifiante, extrêmement vigoureuse ; elle avait de monstrueuses dents de fer [araignée] ; elle mangeait, déchiquetait et foulait le reste au pied ; elle différait de toutes les bêtes qui l’avaient précédée, et elle avait dix cornes [taureau]. » Incroyable, non ? Vous voyez au passage qu’il y a des croisements entre les différents personnages androgyniques. C’est une interprétation très personnelle de la Bible que je viens de faire là, et que j’assume comme un travail exégétique « fait maison » : elle n’en reste pas moins troublante. Il me semble que je n’ai rien inventé en associant l’apparent quatuor christique au quatuor diabolique, ni totalement rêvé en le devinant de moi-même et des œuvres homo-érotiques qu’il m’a été donné de connaître.

 

Pour continuer sur ma lancée de l’exploration de la Bible, j’ai appris dernièrement que dans l’épître aux Romains (au Nouveau Testament, cette fois), saint Paul présente les actes homosexuels comme la conséquence du fait d’adorer des « images d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes et de reptiles » (Romains 1 : 22-23) … conséquence qui, en plus, est le fait d’une imitation ratée de Dieu : « Ainsi Dieu les a livrés, etc. » L’homosexualité est désignée comme une punition de l’idolâtrie. Alors, bien sûr, si vous dites à la personne homosexuelle lambda qu’elle est homo parce qu’elle a « adoré une statue d’homme, d’oiseau, de quadrupède ou de reptile, étant donné que c’est écrit dans la Bible, donc que c’est à prendre au sérieux », elle vous regardera avec des yeux ronds, vous rira au nez, et vous offrira une camisole de force. Mais pourtant, la Bible a raison. Plus que quatre fois raison !

 

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Code n°155 – Regard féminin (sous-codes : Cyclope / Pute borgne)

Regard fém

Regard féminin

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

« Elle a les yeux camembert,

elle a le regard qui pue,

elle a pété la première,

m’a touché c’est foutu. »

 

Quand je dis que le désir homosexuel provient et est le signe d’une idolâtrie, je suis très sérieux. Un regard féminisé (mais pas nécessairement applicables aux femmes de chair et de sang : il appartient d’ailleurs davantage à l’androgyne télévisuel asexué, sur-masculinisé et sur-féminisé, qu’à la sexuation femelle réelle, et peut donc tout à fait être porté par des hommes) a capturé le psychisme, le cœur et le désir érotique des personnes homosexuelles, et les a fait désirer être semblables à lui, à des veaux d’or aux yeux scintillants, séduisants et médusants, à des déesses de pacotille, à des poupées vaudou à brûler afin de prouver l’immortalité. Les yeux féminins dans les fictions homo-érotiques, c’est la conscience des actes (homosexuels) mauvais mise au repos, niée par celui qui les posent.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Femme allongée », « Cercueil en cristal », « Actrice-traîtresse », « Mère possessive », « Destruction des femmes », « Bergère », « Sommeil », « Carmen », « Poids des mots et des regards », « Voyante extralucide », « Cannibalisme », « Lunettes d’or », « Voyeur vu », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Espion », « Femme fellinienne géante et pantin », à la partie « Prostituée lesbienne » du code « Putain béatifiée », à la partie « Intuition féminine » dans le code « Mère gay friendly », à la partie « Regards » du code « Amant diabolique », et la partie « Hypnotiseur » du code « Médecines parallèles » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

a) T’as de beaux yeux, tu sais ?

REGARD FEM 1 Maléfice

Maléfice dans « Sleeping Beauty » de Walt Disney


 

Le regard féminin occupe une place prépondérante dans les œuvres de fiction homosexuelles : cf. le roman Les Yeux d’Elsa (1942) de Louis Aragon, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, la chanson « Les Yeux noirs » du groupe Indochine, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le film « Les Enfants terribles » (1950) de Jean-Pierre Melville (avec l’insistance sur les yeux d’Agathe), la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (1938) de Witold Gombrowicz (avec le regard d’Yvonne), le roman L’Autre (1971) de Julien Green (avec le clin d’œil fait aux Yeux d’Elsa d’Aragon), le film « Amore A Prima Vista » (1999) de Vincenzo Salemme, le film « I Love You Philip Morris » (2009) de Glenn Ficarra et John Requa (avec le regard féminin sur une pancarte), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec les yeux bleus d’Ingrid, la femme fictive de Copi-Traducteur), la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier, le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco (avec le regard pénétrant de Jézabel, l’héroïne bisexuelle, dans tous ses autoportraits), le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, le film « Le Troisième œil » (1989) d’André Almuro, le roman Les Yeux de Zanele (2014) de Claire Sobert, la chanson « Tu me regardes » d’Angèle, etc.

 

REGARD 2 mannequin

Film « Rosatigre » de Tonino De Bernardi


 

Loin d’être d’abord applicable uniquement aux femmes réelles, il concerne avant tout le veau d’or asexué aux yeux sur-féminisés, objet de tous les fantasmes angélistes, matriarcaux, machistes et réifiants du personnage homosexuel : cf. le film « La Fille aux yeux d’or » (1961) de Jean-Gabriel Albicocco, la chanson « Goldeneye » de Tina Turner, le film « L’Embellie » (2000) de Jean-Baptiste Erreca (avec le regard géant de Marlene Dietrich tapissant le décor du cabaret transformiste), le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar, le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar (avec le regard géant et lumineux d’Uma Rojo sur l’affiche de la pièce Un Tramway nommé Désir), la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre, la chanson « Ojos Verdes » de Nazario, le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec le regard de Brolovine), la chanson « Bette Davis Eyes » de Kim Carnes, la chanson « Femme comme chacune » de Céline Dion (avec la chanteuse et « ses yeux de clair de lune »), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec le grand regard féminin peint sur le mur de la chambre d’Emmanuel), la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen (avec le portrait de la chanteuse des années 1980 Jackie Quartz trônant dans le salon), etc.

 

Il est fréquent que les yeux de la femme des fictions homo-érotiques homosexualisent le héros homosexuel : « Moi les homos, je les repère en un clin d’œil. » (Luce – Marthe Villalonga – dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur France 2 le mardi 15 octobre 2013) Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, la mère de Tom espionne derrière le lierre la formation du couple entre son fils et son futur amant Louis. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, la maman d’Oren, Hanna – exerce un mystérieux pouvoir divinatoire d’homosexualité sur Tomas, le héros homo : elle a compris énigmatiquement le lien érotique qui reliait son fils décédé Oren à Tomas. Je vous renvoie à la partie sur l’intuition féminine dans le code « Mère gay friendly » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

REGARD FEM 3 Hedwig

Film « Hedwig And The Angry Inch » de John Cameron Mitchell


 

Le regard féminin dont il est question est vraiment celui de l’actrice, de l’icône cinématographique du danger sexuel sophistiqué, caressant, magnifié par le cinéma : « Elle est là, ma Vénus allongée, le corps et les poignets sanglés. Dans son imper en latex elle m’observe, comme la proie de ses projets. Attitude polaire de surface, sourire de Joconde apaisée. » (cf. la chanson « Les Liens d’Eros » d’Étienne Daho) ; « Chut ! Chut ! Faut pas te réveiller. Je voulais juste t’embrasser, te regarder encore une fois pour t’emporter avec moi là où je vais chanter. » (cf. la chanson « Berceuse » de Céline Dion) ; « J’ai mis de l’ordre à mes cheveux, un peu plus de noir sur mes yeux. » (cf. la chanson « Il venait d’avoir 18 ans. » de Dalida) ; « Je crois que tes yeux voient très bien. » (Martin s’adressant à Chloé, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Jane vit son propre reflet dans les pupilles de la femme, une silhouette pâle et lointaine ; une lueur dans un œil. » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos de la prostituée Maria, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 163) ; etc. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, a dans sa chambre un poster géant d’un regard d’actrice.

 

REGARD FEM 4 - Mala Edu

Film « La Mala Educacion » de Pedro Almodovar


 

Les yeux des femmes représentés dans les créations crypto-gays ont tendance à se mythifier. D’ailleurs, la femme dépeinte par les créateurs homosexuels sous forme de prostituée-méduse, de moitié gémellaire narcissique androgynique, ou de serpent faussement assoupi (cf. je vous renvoie au code « Femme allongée » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) ressemble à un cyclope, cet être mythique homérique qui ne possède qu’un seul œil : cf. le film « Œdipe N+1 » (2003) d’Éric Rognard (avec Sandra, le transsexuel M to F borgne dans la boîte), le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon, le film « Girls Will Be Girls » (2004) de Richard Day, le film « Le Trou noir » (1997) de François Ozon (avec la prostituée borgne), le film « Punition en uniforme, le chevillage au carré pour trou rond » (1991) d’Hisayasu Sato, la pièce Le Frigo (1983) de Copi (avec le Rat crevant un œil au renard en fourrure de « L. »), le film « Barbarella » (1968) de Roger Vadim (avec également une prostituée borgne), le film « Three Strangers » (1946) de Jean Negulesco, le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec Dotty, la lesbienne aveugle), le dessin « Le Trou de l’œil » (1965) d’Endre Rozsda, le poème « Howl » (1956) d’Allen Ginsberg (avec la mention de « la mégère borgne du dollar hétérosexuel »), le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen (avec Isabelle, la femme-cyclope), le film « Alice In Wonderland » (« Alice au pays des merveilles », 2010) de Tim Burton (avec Ilosovic Stayne, le valet-cyclope), le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner (avec la prof borgne du club de mambo), le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau (avec Chance, le héros homosexuel jouant le dandy de son lycée, avec son œil caché de pirate), le vidéo-clip de la chanson « Alejandro » de Lady Gaga, le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Gwendoline, l’héroïne transgenre de 16 ans, se retrouve à tourner son premier film porno « Danse avec mes deux trous ».

 

REGARD FEM 5 - Tout sur

Film « Todo Sobre Mi Madre » de Pedro Almodovar


 

Le regard féminin homosexuel n’est pas vraiment dialogal ni réfléchissant ni en état de marche : « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda à propos du tableau du Louvre, Portrait d’une Négresse de Marie-Guillemine Benoist, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 196) ; « Il y a de l’écho dans vos yeux, Sophie. » (Nana, le héros homosexuel, se foutant de la gueule du peu de perspicacité de la femme qu’il a rencontrée sur Internet en pensant initialement qu’il s’agissait d’un homme, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « L’eau de la piscine a abîmé les yeux de Karina. » (Gabriel, un des héros homosexuels du film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; « Ton coup de fil, tu peux te le fourrer dans ton œil pourri de cyclope ! » (Santiago à Doris la présentatrice lesbienne, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « C’est la mère qui a conseillé à Marilyn d’acheter le serpent, c’est bon contre le mal d’œil. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 83) ; « J’ai un œil plus grand que l’autre. » (Solange dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy) ; « D’exécrable humeur parce que, disait-elle, elle n’avait pas eu ses dix heures de sommeil, Karen était convaincue que sa première ride, aperçue quinze jours plus tôt dans la glace de son poudrier, était en train de s’installer pour de bon, sous son œil gauche. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 30) ; « Je suis aveugle de l’œil gauche. » (Wave, la copine d’enfance lesbienne de Peyton, l’héroïne du film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Vous êtes tellement maigre qu’on va croire que vous allez perdre un œil. » (Laurent Gérard dans son one-man-show Gérard comme le prénom, 2011) ; « À sa façon de me regarder de l’œil gauche. » (Elliot, le héros homosexuel parlant de sa mère, dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) ; « Épinglée ? Vous voulez dire avec les yeux troués par les épingles. C’est bien votre style. Alors vous m’avez détestée toute votre vie croyant être ma sœur. » (la Comédienne s’adressant à sa sœur jumelle Vicky à propos de la photo d’elle que cette dernière a clouée sur son miroir, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai mangé un de mes yeux, le droit, et l’autre, le gauche, ma fille l’a mangé. Ainsi, nous sommes jumelles dans l’espace et dans le temps de mère en fille, et ainsi de suite. » (la Reine aveugle dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « À treize ans je lui ai crevé un œil avec une ampoule électrique. » (Joséphine en parlant de sa sœur, dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Oh mon Dieu, elle a reçu une balle dans l’œil ! » (Joséphine à Fougère, idem) ; « Oh, merde, la cocaïne m’a attaqué le nerf optique ! » (idem) ; « Arlette allait et venait devant les CRS les seins à l’air et chantait : Je sais que j’ai un œil en compote. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 122) ; « Parmi les affaires de Kévin, il y avait plusieurs tableaux. L’un d’entre eux représentait deux visages de profil, superposés, avec un seul œil en commun. » (Bryan parlant de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 13) ; « Il y avait un ours énorme posé sur une chaise. Il n’était pas en très bon état : il lui manquait un œil et était rapiécé de partout. » (idem, p. 72) ; etc. Par exemple, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel décrit Maureen O’Hara (la mère rousse de son futur amant) comme la reine de l’opéra de Montréal, mais aussi comme une princesse aveugle : « My mother’s eyes aren’t very good… But not in the center… » (le roux prenant des places d’opéra pour sa mère, p. 34) ; « Maureen tenait le bras de son fils et je crus d’abord qu’elle était aveugle. Mais elle promenait autour d’elle ce regard curieux de myope qui ne voit pas ce qui l’entoure et qui se fie au flou des contours pour se guider. Mon rouquin n’avait pas menti au guichet, sa mère avait bel et bien un problème de vision ! » (idem, p. 44) ; « Lentement, délibérément, Anna leva son visage vers la lumière, telle une star du cinéma muet cherchant la caméra, et Jane vit qu’elle avait l’œil gauche noir et enflé. […]Anna sourit. L’ecchymose qu’elle avait au-dessus de l’œil paraissait plus foncée dans l’ombre de la cage d’escalier. » (Jane, l’héroïne lesbienne décrivant Anna, la fillette-prostituée, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, pp. 121-123) ; « Greta est une pute. Je l’attends. Quand elle descendra l’escalier l’escalier je lui ferai un croche-patte et je lui enfoncerai les yeux dans les orbites. » (Frau Becker s’adressant à Jane, idem, p. 213) ; « J’aime les poneys avec des têtes de mort. Des poneys qui perdent un œil. » (Juna, l’une des héroïnes lesbiennes, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je travaille avec une femme qui est en train de perdre la vue. » (Bryan, le héros homosexuel, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc.

 

Et on peut remarquer qu’un certain nombre de personnages homosexuels, en cherchant à imiter cette femme-cyclope, perdent un de leurs deux yeux (l’œil du voyeurisme ?). Par exemple, dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, Ernst ne voit plus de l’œil gauche. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Vivi propose « le borgne » comme copain à Nono. À la fin du roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos, la Marquise de Merteuil, lesbienne, affreusement défigurée par la petite vérole, est contrainte de perdre un œil. Dans la nouvelle d’un ami angevin que j’avais lue en 2003, il était fait référence à « un cyclope à deux yeux » (p. 63). Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, Laurie est une femme-cyclope. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur, le héros homo, sort avec des hommes et cache dans un premier temps son homosexualité à sa petite amie Nadine, avec qui il couche occasionnellement. Elle finit par découvrir le pot aux roses, et par comprendre qu’Arthur l’utilise comme une prostituée : « L’autre œil. On dirait un panda borgne. » (Arthur) « Puis-je savoir tes intentions ? On est amoureux ou on n’est pas amoureux ? » (Nadine). Plus tard, Nadine reproche à Arthur de faire les yeux doux dans son rétroviseur à l’auto-stoppeur, Stéphane, qu’ils viennent de prendre en voiture : « Tu veux mes yeux, là ? »

 
 

b) Les yeux-revolver :

 

En général, la femme fictionnelle (endormie ?) épie et hypnotise le personnage homosexuel de ses yeux d’or. Elle a tout de l’espionne inquisitrice qui va le manipuler : « Les yeux de Laura n’ont plus rien à dire. Les yeux de Laura cachent son sourire. » (cf. la chanson « Les Yeux de Laura » du groupe Goût du Luxe) ; « J’ai toujours l’impression que tu vois tout, que tu sens tout. » (Michel s’adressant à Mélodie l’héroïne bisexuelle, dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; « Laisse-moi être tes yeux. » (cf. la chanson « Le Grand Secret » d’Indochine) ; « Vous avez vu ? Elle m’espionne ! » (la mère d’Evita en parlant de sa propre fille, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Une infirmière apparût. Maria-José [travesti M to F] resta immobile quelques secondes, fascinée par le grand sourire de la jeune femme qui se trouvait dans le coma il y avait à peine une demi-heure. […] Elle fit semblant de se rendormir. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 34) ; « Tu me dévisages. » (Ninette troublée par son amie Rachel, dans la pièce Three Little Affairs (2010) d’Adeline Piketty) ; « Quand je te regarde, c’est comme si je me remplissais de toi. » (Anna s’adressant à son amante Cassie par écrans Skype interposés, dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « J’étais un autre avant que mon œil atteigne l’éclat de vos yeux. » (Merteuil s’adressant à sa poupée Madame de Tourvel, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, dans la mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « Charlotte, ça fait cinq mois. On fait quoi ? On va où ?? J’vois tes yeux. Et j’vois mon amour qui te pèse. » (Mélodie s’adressant à son amante Charlotte, dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; etc. Par exemple, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, on nous parle de la « persistance rétinienne » de la femme étrangère. Dans le film « Cat People » (« La Féline », 1942) de Jacques Tourneur, Oliver confie à Alice qu’il n’aime pas réellement Iréna mais qu’il est comme hypnotisé par elle : « Je ne peux détacher mes yeux d’elle. Elle m’attire invinciblement. Et pourtant, à bien des égards, nous sommes étrangers l’un à l’autre. » Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank, le personnage homosexuel, se trouve dans un bar, et se sent possédé par les yeux d’une femme : « Elle attrape mon regard ! »

 

Par exemple, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Didier, le héros homosexuel, dit être obsédé par « les yeux d’Yvette », son « ex » ; et on voit qu’il a un rapport idolâtre avec elle : « Elle que j’ai eu le malheur d’aimer à outrance. »
 

REGARD FEM 6 - Sans logique

Clip « Sans logique » de Mylène Farmer


 

Dans la fantasmagorie homosexuelle, le regard féminin n’est pas associé à la douceur et à la fragilité des femmes réelles. Il est plutôt le regard de conquête machiste (arboré parfois par les héros transgenres, ou la prostituée de luxe), de prétention à la possession et à la réification, du voyeurisme, de la puissance de séduction anesthésiante : cf. le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears (avec les yeux inquisiteurs de toutes les femmes de l’intrigue), la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon (avec la description d’un regard féminin dévorant), le film « The Girl With The Hungry Eyes » (1967) de William Rotsler, la chanson « Mais il dort !… » d’Ingrid, la chanson « Chacun fait c’qui lui plaît » du groupe Chagrin d’amour (avec les yeux-miroirs de la prostituée), le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson (avec la mère de Gabriel, le héros homosexuel, qui fouille dans l’ordi portable de son fils, ou encore la grand-mère de Stella qui espionne sa petite-fille au téléphone), la chanson « Femmes à lunettes » de Richard Gotainer (laissant supposer que le regard féminin est machiste, puisque les femmes à lunettes sont censées être des « femmes à quéquette »…), le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini (avec les regards appuyés et déshumanisés d’Annah en boîte), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec la mère de Malik, Sara, regardant son fils et son copain au lit), le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (avec la vraie mère de Guillaume, le héros bisexuel, scrutant tout à la fin du film son fils dans l’ombre du théâtre), le film « Les Yeux de sa mère » (2010) de Thierry Klifa, etc.

 

« Tu sais que je perfectionne mon regard de braise. » (Karma, la fausse lesbienne qui essaie de faire croire à tout son lycée qu’elle est homosexuelle, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « Tu lui fais de l’œil avec les jambes. » (Zize, le travesti M to F s’adressant à sa nièce Claire pour qu’elle aguiche le client sur le parking, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’Enfer. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) ; « Dévore-moi des yeux, ma Princesse ! » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Il faut me regarder quand je ne me vois pas ! » (Amira Casar s’adressant autoritairement au héros homosexuel, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat) ; « Je veux un œil qui me regarde quand je lui parle. » (François à sa psychanalyste dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Regarde-moi ou ne me regarde pas ! […] Je n’ai jamais ouvert les yeux. […] Regarde-en mes yeux. » (la diva au protagoniste masculin, dans le ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « Se voulant discrète, la patronne du café [lesbienne] se contenta de nous observer du coin de l’œil. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 215) ; « Le fait que ta mère te suive dans la rue est inexcusable… » (Chris à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 119) ; « Les yeux d’Irène. Noirs. Ils sont là dans la glace. Dans le coin du bas à droite. Contents d’avoir attrapé les miens. » (le jeune narrateur dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 85) ; « Les yeux fardés jusqu’au mépris. […] Tu es la beauté incarnée, partie à tout jamais. » (Luca, le narrateur homo du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Tu plonges en moi l’acier de ton œil blanc. » (cf. la chanson « 1er novembre (Le Fruit) » du Beau Claude) ; « Tu m’as donné un coup dans l’œil. » (Kanojo s’adressant à son amante Juna, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Une des jeunes femmes pointa deux doigts vers elle en formant le signe du mauvais œil, gardant le bras le long du corps pour que personne d’autre ne le remarque. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 200) ; « Ne me regarde pas ! » (la mère de Chiron, le jeune héros homosexuel, dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Les petites femmes de Maupassant (2005) de Roger Défossez, Coralie, le personnage féminin travesti en homme, est soumise à un « espionnage (féminin) de tous les instants ». Dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, le regard d’Emma, la mystérieuse femme masculine, hypnotise Kevin, le personnage homosexuel : elle/il lui adresse des mots mi-séducteurs mi-injonctifs (« Tu peux me regarder en face ! »). Dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, Félicité, la mère possessive de Fernand, lui impose son « regard maniaque » (p. 28) ; est décrit chez cette femme la « gloutonnerie du regard », son « attention goulue des hommes ». Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, c’est le regard de la mère de Marc qui surprend son fils et son amant Engel s’échanger un baiser dans le couloir d’hôpital qui met le feu aux poudres. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, la toute première phrase que Lisa, la future amante de Laure (une vraie surveillante, scrutatrice), sort à l’héroïne lesbienne, se rapporte précisément au registre de la vue : « Tu recherches les autres. Je t’ai vu(e) les regarder. » Dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, Max cauchemarde que la mère de Fred, son amant, l’agresse en cuir, comme une femme-tigresse, en lui disant « Vous m’avez tapé dans l’œil, Max ! » et qu’il lui répond « Je suis désolé… » comme un enfant pris en faute. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, suite au coming out de son fils Antonio, Stefania regarde passivement son fils dans l’encoignure de la porte de sa chambre : son visage est coupée en deux par l’ombre, et son œil scrute passivement Antonio faire ses affaires parce qu’il a été viré de la maison familiale par le père.

 

Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, toutes les femmes sont des voyeuses : la concierge moustachue est un cas d’espèce ; et Antionetta est obsédée visuellement par son voisin de pallier homosexuel, Gabriele, vivant dans l’immeuble d’en face : « Ça fait depuis ce matin que je te regarde. » Même si Gabriele finit par partir, elle prête serment qu’elle continuera de l’observer, comme s’il se trouvait enfermé dans une vitrine : « Moi je regarderai ta fenêtre tous les jours. »
 

Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le regard féminin des mères est omniprésent, du début à la fin : « Tu me rappelles maman, quand elle avançait masquée, à vouloir je ne sais quoi… » (Camille à sa sœur Pauline) Camille espionne Franck, le copain de son fils décédé, et décide de le suivre partout où qu’il aille, même jusqu’au Portugal ; le film s’achève précisément par un gros plan sur le regard pénétrant, froid, triste, vitreux et surchargé esthétiquement/émotionnellement, de Catherine Deneuve face à « son » Franck endormi.

 

Quelquefois, le pouvoir hypnotique de la femme fictionnelle homo-érotique aux yeux dorés conduit le héros homosexuel qui les observe à devenir lui-même objet, fou à lier (comme le fan), et à mourir (transpercé ou criblé de balles) : cf. le film « Les Yeux de Laura Mars » (1977) d’Irwin Kershner, la chanson « L’Œil sec » des Valentins, le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar (avec l’œil de la mère d’Antonio Banderas – Angel – qui scrute son fils nu dans la salle de bain), etc. « Le Sphynx a crevé les yeux de sa mère. » (cf. une phrase de la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand)

 

REGARD FEM 7 SM

 

« Dans le premier rêve, elle ne dit rien, me regarde seulement. Toute la journée d’après, je la passe à curiocreuser la vision et le profond changement qu’en moi j’ai ressenti au réveil. Les yeux de cette femme, et beaucoup plus que ses yeux, le vibrillonnant savoir qu’ils instillent, et tout elle, sa rassurante présence, sa force, irrésistible, presque violente. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 101) ; « Si le subtil lecteur pouvait porter son regard plus loin, au-delà de la place, jusqu’à la fenêtre de l’hôtel particulier rose, là-haut, il apercevrait Boléro de Ravel [surnom d’un travesti M to F] en train de cadrer Tarzan dans le viseur meurtrier de son fusil de chasse. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 104) ; « Tellement si femme quand elle mord, tellement si femme quand elle dort, elle a les yeux revolver. » (cf. la chanson « Les Yeux revolver » de Marc Lavoine) ; « Ses beaux yeux sont fermés. J’ose pas demander qu’on les ouvre. Et je le regretterai après le trop-tard : c’était ses yeux que je voulais voir. » (le jeune narrateur face à la dépouille de sa grand-mère, dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 71) ; « Je me sers de tes yeux sur moi et à ma guise… » (cf. la chanson « Plaisir extensible » du groupe L5) ; « En une demi-heure, Catherine S. Burroughs devint ma peintre favorite de tous les temps et de toutes les écoles. Je n’aurais vraiment pas su expliquer pourquoi, tout ce que je savais c’était que ses œuvres que je dévorais des yeux sans m’en rassasier, me sautaient dessus, me regardaient jusqu’au fond de l’âme, c’était ça qui était unique, c’étaient elles qui me regardaient ! Muriel Gold me regardait avec amour et je fondais ! » (Jean-Marc, le héros homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 216) ; « Ton regard de Madone me perdra, me tuera. » (cf. la chanson « Corrida » du Teenager de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Je me voyais comme par-dessus mon épaule, ou plutôt, à cause du regard de cette salope posé sur moi, comme si j’étais elle. » (Yvon en parlant du regard de Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p.258) ; « J’ai essayé de dormir. Mais y avait rien à faire. Dès que je fermais les yeux, j’avais des paillettes d’or qui me pleuvaient devant les rétines. Et derrière ce rideau, Groucha, dansant une sorte de danse du ventre, avec son piercing au milieu qui faisait comme un œil éblouissante. Groucha, ça virait à l’obsession. Il me la fallait. Et à froid, loin d’elle et de son regard moqueur, ça me paraissait pas si hors de portée que ça. » (idem, p. 261) ; « Ses yeux, ils devenaient de plus en plus grands et brillants, comme ceux des méchantes dans les dessins animés japonais, avec trois gros points blancs qui tremblent au milieu des iris. ‘Je suis un peu sorcière.’ » (idem, p. 265) ; « Les yeux des filles, ça sert à quoi ? Ça sert à mettre le feu partout. Ça rend fou. […] Les Brésiliennes ont des yeux incandescents. » (Charlène Duval, l’acteur transgenre M to F, dans son spectacle musical Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Il ne faut pas me regarder dans les yeux. […] Votre regard me brûle. Je ne supporte pas votre regard !! » (la Bête s’adressant à la Belle, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; « Je me dirige vers le groupe que forment quelques femmes sans âge. Elles m’accueillent avec une chaleur exagérée. Je sens votre regard toujours posé sur moi. C’est décidé : je ne vous parlerai pas. Je commence à ne plus aimer vos yeux sur moi. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 17-18) ; « Comment vous faites pour être sexys avec des gros yeux comme ça ? » (Shirley Souagnon s’adressant à toutes les « femmes hétérosexuelles » dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le personnage de Leonora (Elizabeth Taylor) est central, et est visité chaque nuit par le héros homosexuel (William) : elle est veillée et exerce sur lui une emprise énigmatique puisqu’elle lui donne l’impression de le surveiller même quand elle dort les yeux fermés. La passion de William – une adoration distante, décorporéisée, mais pas du tout chaste pour autant – pour Leonora finira tragiquement puisque le héros homosexuel sera achevé d’un coup de revolver par le Major Weldon, lors d’une nuit où il était une nouvelle fois venu vénérer sa Muse assoupie. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, parodie les passagères nord-américaines « aux ongles tellement longs que tu pourrais te crever un œil avec » et qui en grandes bourgeoises s’extasient devant un verre d’eau offert grâcement par la compagnie aérienne. Il éteint leur enthousiasme, en faisant comme par hasard mention de l’or : « Ça va… C’était un verre d’eau, pas un lingot non plus ! »

 

L’espace psychique du personnage gay est tellement envahi par la présence de ce regard féminin (télévisuel, incestueux et maternel la plupart du temps) que ce même héros, une fois arrivé à maturité d’adulte, a souvent du mal par la suite à se donner totalement à son compagnon homosexuel ou à l’amour en général… même si c’est le regard féminin angélique qui lui a parfois appris son homosexualité : « Ma mère nous regarde ! » (Bryan à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 147) ; « Ma mère c’est l’œil de Moscou : elle voit, entend et devine tout ! » (idem, p. 176) ; « Ma mère, c’est simple : c’est l’Œil de Moscou. Toujours sur mon dos, à me juger, à me critiquer. Et je te laisse imaginer : le coming out n’a rien arrangé. » (Sandrine, l’héroïne lesbienne, dans l’épisode 504 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 10 juillet 2019 sur TF1) ; « Le seul regard de femme que tu portes en ton âme n’est plus sur cette terre. Et ce regard de femme, c’est celui de ta mère. » (cf. la chanson « Éternel Rebelle » de la Groupie dans la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Quand j’ai relevé les yeux, j’ai vu qu’elle [la mère d’Arthur] m’observait, d’un regard qui n’était pas inquisiteur mais plutôt contemplatif. Oui, elle faisait cela, me contempler. Et, dans ses yeux à elle, alors j’ai vu qu’elle savait tout, sans qu’on lui ait rien dit, qu’elle avait tout deviné, qu’elle avait compris toute cette histoire, la nôtre. » (Vincent en parlant à son amant Arthur de sa mère endeuillée, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 169-170) ; « Olivier jette quelques coups d’œil rapides vers son ami, il ne peut pas s’en empêcher. Au bout d’une demi-heure environ, il se rend compte qu’Alice l’observe. Depuis quand le regarde-t-elle ? A-t-elle compris quelque chose ? Les femmes sont plus rapides que les hommes pour décrypter les signes. Olivier se sent comme pris sur le fait, il n’ose plus fixer autre chose que ses feuilles de cours. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 92) ; « Une femme d’humain se tenait debout devant nous et nous regardait, immobile. […] Derrière elle se tenait un homme assez petit. […] L’homme était très poilu et sentait de loin la chèvre. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 59) ; « Je ne me rassemble et ne me définis qu’autour d’elle. Par quelle illusion j’ai pu croire jusqu’à ce jour que je la façonnais à ma ressemblance ? Tandis qu’au contraire c’est moi qui me pliais à la sienne ; et je ne le remarquais pas ! Ou plutôt : par un étrange croisement d’influences amoureuses, nos deux êtres, réciproquement, se déformaient. Involontairement, inconsciemment, chacun des deux êtres qui s’aiment se façonne à cette idole qu’il contemple dans le cœur de l’autre… » (Édouard dans le roman Les Faux-monnayeurs (1925) d’André Gide, p. 83) Le regard féminin semble être à lui seul l’allégorie du mirage de l’amour dans lequel chacun des deux membres du couple homosexuel s’est engagé : « Pendant que nous faisions l’amour, nous apercevions à travers la persienne, sur le balcon de la maison d’en face, une jeune femme dont nous pouvions suivre la marche de l’anguille dans la tapisserie. Comment ne pas nous demander si elle ne soupçonnait pas ce qui se passait de notre côté ? Elle nous avait vus fermer la fenêtre, tirer les rideaux. Le mystère de cette présence redoublait notre plaisir. » (Marcel Jouhandeau, Gourdin d’Élise, 1962) ; « Ça te dérange pas que ta mère te voie quand tu baises ? » (Nathan au lit avec Sean, et parlant d’une photo de la mère de Sean punaisée au mur, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo)

 

Par exemple, dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Kena et Ziki sont sous le regard délateur et effrayant de toute la communauté féminine et maternelle kényane (la pire, c’est Mama Atim, la commère). En particulier, Rose, la maman de Ziki, a surpris sa fille embrasser Kena : « J’ai tout vu, Ziki. »
 

REGARD FEM 11 Lady Gaga

Lady Gaga


 

Derrière la fixation homo-fictionnelle sur les regards féminins, on peut déceler en toile de fond une peur de la sexualité et de la génitalité en général. Un refus du désir.

 

Michel (hétéro) – « Pourquoi tu me regardes ?

Patricia (lesbienne) – Parce que je te regarde. […] Je ne veux pas être amoureuse de toi. »

(cf. un dialogue du film « P.A. » (2010) de Sophie Laly)

 

Quelquefois, les yeux impénétrables de la femme endormie sont l’allégorie de l’indifférence féminine face à la souffrance et l’individualité masculine : « … La belle Claire aux beaux yeux clairs. Oui, c’est ça : elle n’est peut-être rien d’autre qu’une jolie jeune femme au regard fuyant. » (le narrateur du roman Son frère (2001) de Philippe Besson, p. 48) ; « Toute observatrice qu’elle était, Maman n’avait jamais été d’une grande curiosité. » (Ednar, le héros homosexuel du roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 69)

 

REGARD FEM 8 Concert Mylène

Concert Mylène Farmer, N°5


 

La femme qui n’a qu’un regard à proposer/montrer est aussi tout simplement la femme violée, celle qui est sans voix (et qui est sublimée ainsi) : cf. le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec le regard prononcé de Loïs, l’amie de Kenny ; et puis l’affiche du regard effrayé de Marion Crane dans le film « Psychose » d’Hitchcock), etc. On en trouve un bel exemple avec la scène de sexe lesbien entre deux femmes en burka dans le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina. C’est aussi le cas dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs : la photo-portrait préférée du couple homo Paul-Erik représente le regard affolé d’une femme qui rate son métro. Les héros homosexuels aiment le regard féminin surtout parce qu’il est, de manière voilée et esthétisée, la mémoire du viol qu’ils ont vécu ou désiré. « Elle me regardait comme le Sphinx qui règne sur la plaine d’Égypte. » (Amy Miller par rapport à sa fille Julia, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « Elle a des yeux d’Égyptienne, des yeux aussi intenses, je n’en ai vus qu’une seule fois dans ma vie. Julia Miller ! » (Arthur, le héros homosexuel, par rapport à Julia, la femme violée par son père, idem)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) T’as de beaux yeux, tu sais ?

REGARD FEM 9 Annie Lennox

Annie Lennox, période « Eurythmics »


 

Un certain nombre de gens dans notre société sacralisent le regard féminin et la perception féminine, comme s’ils étaient le summum de la séduction, de la beauté, du pouvoir. On entend fréquemment (surtout de la bouche des femmes féministes qui « verraient tout » mieux que les autres, ou des femmes lesbiennes) la ritournelle sexiste et misandre sur la soi-disant « intuition féminine naturelle », la force du point de vue des femmes : « Les femmes perçoivent énormément les choses et c’est ce qui les rend si enrichissantes. » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 129) Je vous renvoie à la partie « Intuition féminine » dans le code « Mère gay friendly » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

REGARD FEM 10 Cindy

Comédie musicale « Cindy » de Plamondon


 

Le regard féminin, loin d’être d’abord applicable uniquement aux femmes réelles, concerne avant tout le veau d’or asexué aux yeux sur-féminisés (façon danseuse du Lido), objet de tous les fantasmes angélistes, matriarcaux, machistes et réifiants de l’individu homosexuel, que certaines icônes gay se plaisent à incarner : je pense par exemple à la couverture de l’album du spectacle musical Cindy… proche des yeux androgynes ultra-maquillés de Boy George, Jeanne Mas, Marilyn Manson, David Bowie, Marianne James, et tant d’autres.

 

REGARD FEM 11 - Benedict

Clip « Listen to the sand » de Benedict


 

Dans le discours de certains individus homosexuels, le regard féminin a tendance à se mythifier. « Prenez garde ! La Dame blanche vous regarde ! » (Renaud Camus dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic) D’ailleurs, la femme dépeinte par les créateurs homosexuels sous forme de prostituée-méduse, de moitié gémellaire narcissique androgynique, ou de serpent faussement assoupi (cf. je vous renvoie au code « Femme allongée » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) ressemble à un cyclope, cet être mythique homérique qui ne possède qu’un seul œil : je pense par exemple à la photo Juin 1991 de Jean-Claude Lagrèze, au tatouage de l’œil sur l’épaule gauche de Félix Sierra, ou bien encore à la Femme assise de Copi : « Un œil, quatre cheveux, un nez, une chaise : la femme assise. » (cf. l’article de Cavana dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 75). Par exemple, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check,Paul, homme homosexuel, a retrouvé la foi en regardant accidentellement à la télé une nonne borgne, la Mère Angelica, et ça a bouleversé sa vie de foi du tout au tout. Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme prostituée, s’applique du gros scotch partout sur le visage, et ne laisse un trou que sur un de ses yeux, et sur sa bouche ; et ensuite, il suce un godemiché en plastique en forme de bite, puis l’introduit dans son œil. Par ailleurs, en 1943, la sculptrice Louise Bourgeois réalise un dessin d’araignée avec un œil de cyclope.

 

Sketch « Les Scénaristes » des Robins des Bois (avec la référence à la pute-borgne lesbienne)

 
 

b) Les yeux-revolver :

En général, la femme (endormie ?) vue fantasmatiquement par l’individu homosexuel épie et hypnotise de ses yeux d’or. Elle a tout de l’espionne inquisitrice : « ‘Elle est là, murmura-t-elle. Elle m’espionne. Elle est toujours là.’ » (la Chola, un homme transsexuel M to F, parlant de sa voisine de palier dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 237)

 

Quelquefois, le pouvoir hypnotique de cette femme mentale aux yeux dorés conduit celui qui les observe à devenir lui-même objet, fou à lier (comme le fan), et à mourir : « Elle était entrée en moi, dans mon esprit, mon âme lui appartenait, elle la regardait avec douceur, avec brutalité.[…] Et enfin, de sa main droite, elle a bouché mes narines. Plus d’air. Le grand sommeil. Le noir paisible. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 93-94)

 

REGARD FEM 12 - Jeanne Mas

Jeanne Mas


 

Dans le discours de certaines personnes homosexuelles, le regard féminin n’est pas associé à la douceur et à la fragilité des femmes réelles. Il est plutôt le regard de conquête machiste (arboré parfois par les personnes transgenres, les prostituées cinématographiques et les chanteuses « qui n’en veulent »), de prétention à la possession et à la réification, du voyeurisme, de la puissance de séduction anesthésiante. « Ednar savait que Fanny [sa tante] était une femme dépourvue de curiosité mais dotée d’un tempérament d’observatrice innée. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011), p. 54) On lit en toile de fond une peur de la sexualité et de la génitalité, un refus du désir : « Je rougis à chaque fois qu’une paire d’yeux humains, mâles ou femelles, rencontraient les miens. Surtout les yeux féminins, car je passais mon existence entouré principalement de dames et de demoiselles. » (Tennessee Williams parlant de son adolescence, dans son autobiographie Mémoires d’un vieux crocodile (1972), p. 38)

 

REGARD 13 - Boy George

Le chanteur Boy George


 

Plus largement, le regard féminin pesant et idéalisé dont parlent les individus homosexuels et ceux qui défendent leurs couples renvoie à leur propre misanthropie, à leur fuite/extériorisation narcissique d’eux-mêmes, ou à une vision diabolisée et idolâtre de ladite « société », cette Déesse indomptable avec laquelle ils veulent fusionner, par démission (cf. je vous indique la lecture des codes « Poids des mots et des regards » et « Lunettes d’or » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ça se passera d’autant mieux que le regard de la société changera sur ces couples. » (Anne Hidalgo, socialiste, s’exprimant sur la loi pour le « mariage pour tous » dans l’émission Mots croisés « Homos, mariés et parents ? », diffusée sur la chaîne France 2 le 17 septembre 2012)

 
 

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Code n°156 – Reine (sous-code : Cruella)

Reine

Reine

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La Reine prise pour l’incarnation de la différence des sexes

 

La Reine dans le film "Blanche-Neige" de Walt Disney

La Reine androgynique dans le film « Blanche-Neige » de Walt Disney


 

Encore un cadeau inattendu de Jésus ce 29 septembre 2014 en soirée. Je finalisais la rédaction de cet article traitant du lien entre PRINCESSE/REINE et HOMOSEXUALITÉ. Et ce même soir, à tout « hasard », je me suis rendu à la Manufacture des Abbesses (Paris) voir cette pièce Mâle Matériau d’Isabelle Côte Willems, œuvre très « queer » (et très merdique aussi ; mais ça, je m’en doutais un peu : passer une heure à écouter le délire schizo d’une femme qui se prend sérieusement pour un homme, ça ne risquait pas d’être brillant. Bref.). Et la toute première tirade de la pièce ne parlait que de la Princesse ! « Quand j’étais petite, j’aimais bien les déguisements de princesse. Mais avec une robe de princesse, on peut pas courir : ça se déchire. On peut pas nager, sinon on se noie, etc. » La comédienne sur scène a commencé d’emblée à réduire en pièce cette Princesse qui l’empêcherait d’être elle-même, à massacrer cette Reine mentale et de chiffon comme elle rejetait sa sexuation de femme, parce que dans son esprit les deux ne faisaient qu’une, parce qu’au fond elle amalgamait la Princesse et la différence des sexes (et ça marche aussi avec le Superman hyper viril). J’avais bientôt fini d’écrire mon code, mais ce one-woman-show m’a fait réaliser une chose capitale, m’a montré la dernière pièce manquante du puzzle : dans l’esprit de bien des personnes homosexuelles, transgenres ou transsexuelles, la Reine EST la différence des sexes à elle seule. Et l’homme-objet EST également la différence des sexes à lui tout seul. C’est pourquoi elles cherchent à rentrer dans la peau de l’archétype médiatique du sexe complémentaire – archétype qu’elles confondent avec les personnes réelles du sexe complémentaire (le Don Juan mis à la place des hommes, la Reine mise à la place des femmes) – afin d’incarner à elles seules la différence des sexes, mais aussi afin de neutraliser celle-ci par les objets et le pastiche mimétique. Rien d’étonnant que les personnes lesbiennes/transgenres F to M nées femmes, qui renient leur sexuation et la différence des sexes, rejettent dans le même mouvement les princesses et les reines qu’elles ont prises pour toutes les femmes réelles et plus globalement pour la différence des sexes. Rien d’étonnant non plus que les personnes gays/transgenres M to F nées hommes, qui renient leur sexuation et la différence des sexes, rejettent et jalousent dans le même mouvement les princesses et les reines qu’elles ont prises pour toutes les femmes réelles et plus globalement pour la différence des sexes.

 

Drag-queen

Drag-queen


 

Le désir homosexuel et transgenre, qui tente d’en même temps détruire la différence des sexes et de l’incarner à soi seul, explique que la communauté homosexuelle détruise, nie, mais aussi sacre la Reine comme une Reine, obéisse (plus ou moins ironiquement) à la logique du titre qu’elle lui décerne. C’est pourquoi paradoxalement la Reine, cette femme puissante et objet à la fois, soi-disant la première à être entrée dans une Histoire écrite majoritairement par des hommes et en leur honneur, a tout pour devenir l’icône des féministes et des personnes homosexuelles. Pratique et impactante, elle leur permet de cacher leur misogynie ou leur haine d’elles-mêmes à travers une idolâtrie que peu de nos contemporains identifient comme jalouse, haineuse, destructrice, car celle-ci scintille de mille feux. La Reine n’est pas tellement une femme. Elle est la figure fantasmée de la mère (donc l’allégorie de l’inceste), la figure fantasmée du père (donc l’allégorie du pouvoir, de la force machiste, du viol), de l’homme-objet devenu dieu (donc l’allégorie de l’androgyne asexué travesti). Les personnes homosexuelles l’intronisent puis la détruisent – comme la Reine de Beauté d’un carnaval ou d’un concours (c’est bien le char le plus beau qui subit le sort des flammes à la fin du défilé) – pour prouver qu’Elle est toute-puissante, et surtout pour cacher leur haine des femmes réelles (qui sont pourtant Reines autrement : par leur fragilité, leurs défauts, leurs imperfections, leur incarnation, leur Humanité créée par Dieu), pour cacher également leur mal-être existentiel, et parfois leur viol, à travers une carcasse d’arrogance savamment travaillée, une simulation de confiance et de fermeté. La Reine est le masque du faible, du lâche qui pense ne faire de la force d’une affaire d’apparences.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Femme au balcon », « Douceur-poignard », « Mort = Épouse », « Mariée », « Actrice-Traîtresse », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Bergère », « Androgynie bouffon/tyran », « Vierge », « Poupées », « Femme allongée », « Bourgeoise », « Carmen », « Femme et homme en statues de cire », « Tante-objet ou Mère-objet », « Grand-mère », « Putain béatifiée », « Regard féminin », « Femme étrangère », « Mère possessive », « Matricide », « Conteur homosexuel », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Parodies de Mômes », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Éternelle jeunesse », « Don Juan », « Super-héros », « Homosexuels psychorigides », « Sirène », « Maquillage », « Liaisons dangereuses », « Destruction des femmes », « Femme fellinienne géante et Pantin », « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », « Cour des miracles », « Tout », à la partie « Carnaval » du code « Clown blanc et Masques », à la partie « Catwoman » du code « Femme-Araignée », à la partie « Beauté du diable » du code « Haine de la beauté », à la partie « Applaudissements » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », à la partie « Mère folle » du code « Milieu psychiatrique », et à la partie « Grands Hommes » du code « Défense du tyran », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La Reine rose et gentille :

Le femme-objet adulée par le héros homosexuel est souvent une Reine : cf. la chanson « Dancing Queen » du groupe ABBA, le film « The Great McGonagall » (1974) de Joseph McGrath (avec la Reine Victoria), le film « Desperate Living » (1977) de John Waters, le film « Edward II » (1991) de Derek Jarman, le film « Senso » (1954) de Luchino Visconti, le film « Music Lovers » (1970) de Ken Russell, le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian, le film « Orlando » (1992) de Sally Potter (avec la Reine Élisabeth), le film « Reinas » (2005) de Manuel Gómez Pereira, le film « I Wonna Be A Beauty Queen » (1979) de Richard Gayer, le film « Queen Of The Whole Wide World » (2001) de Roger Hyde, le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian, le film « Parigi O Cara » (1962) de Vittorio Caprioli, le film « Il était une fois dans l’Est » (1974) d’André Brassard (avec la Reine Cléopâtre), le film « Cleopatra’s Second Husband » (1998) de Jon Reiss, le film « Princesa » (2001) d’Henrique Goldman, le film « Elizabeth » (1997) de Shekhar Kapur, la pièce Attachez vos ceintures (2008) de David Buniak, le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec la reine endormie), le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec la Reine Victoria), le vidéo-clip de la chanson « Todos Me Miran » de Gloria Trevi, la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi (avec Madame Ada, la femme de l’Ambassadeur d’Angleterre), le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer (sur un monde asexué proche de l’enfance), la pièce Mon beau-père est une princesse (2013) de Didier Bénureau, le film « La Princesse et la Sirène » (2017) de Charlotte Audebram, la pièce Queen Size (2018) de Mandeep Raikhy, la chanson « Les Pingouins » de Juliette Gréco, etc.

 

Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas, Gabriel et Rudolf, les trois héros gays, forment le chœur heureux d’une princesse « Sissi » autrichienne nouvelle génération : une sorte de cantatrice fantomatique des montagnes, ultra-maquillée, transgenre M to FSissi est de retour !! »). Dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, Paul, l’un des héros homosexuel, est fan de la Princesse de Clèves. Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Rani, l’une des héroïnes lesbiennes, la bonne et amante d’Anamika, porte un prénom qui signifie « Reine ». Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, se fait traiter de « Miss Bretagne » par Ninon.

 

Ellie dans la série Glee

Ellie dans la série Glee


 

En général, la Reine se résume à un costume de bal masqué ou à une femme-objet des concours de beauté. Elle est l’incarnation de l’innocence féérique et angélique : cf. le film « Little Miss Sunshine » (2006) de Jonathan Dayton, le film « La Reine du Bal » (« Prom Queen », 2004) de John L’Écuyer, le film « Miss Congeniality » (« Miss Détective », 2000) de Donald Petrie (avec quelques reines de beauté lesbiennes), la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (deux amies, Amy et Karma, sont célébrées comme le couple lesbien roi de la Fête du Lycée), le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, etc.

 

Série Faking It

Série Faking It


 

« Il y a toujours un personnage de l’Histoire de France qui m’a fasciné : c’est Marie-Antoinette. Je ne sais pas pourquoi. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Je suis la reine du camouflage. » (Martial dans la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon) ; « Je suis la Reine des Belges ! » (le Docteur Meinthe dans le film « Parfum d’Yvonne » (1993) de Patrice Leconte) ; « Pierre et moi dans une fête hippie déguisés tous les deux en Marie-Antoinette à Ibiza en 1971. » (le narrateur homosexuel et son amant Pierre, dans le roman Le Bal des folles (1977), p. 11) ; « Dans le quartier, on me surnomme l’Impératrice du Bon Goût. » (Zize, le travesti M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « J’ai failli être Miss France. » (idem) ; « Je me refais mon couronnement toute seule. » (idem) ; « Pourtant sommeille en moi une princesse toute en délicatesse. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc.

 

Cette reine est aussi, pour un temps assez court en général, l’amant que le héros homosexuel se choisit : « Vous, comme ça, trônant dans ce décor mi-colonial mi-artiste. Vous, ma Gabrielle. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 143)
 

La revendication d’une royauté (matérielle, de pouvoir, ou de pacotille) n’échappe pas souvent au second degré camp de l’autoparodie. « Je me marre à regarder les photos de la Reine Juliana. » (le narrateur homosexuel lisant Paris-Match, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 26) ; « Le trottoir, c’est mon Royaume ! Sur le trottoir, je suis née, la pissoire c’est mon Palais. » (Fifi, le héros travesti M to F de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je suis la Reine des boniches. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc. Par exemple, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, Stephany, l’héroïne homosexuelle, se rebaptise ironiquement « Lady Di version lesbienne ». Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Schmidt se prend pour une « princesse » du monde de la musique, pour la chanteuse Beyonce. Dans la pièce Moi aussi, je voudrais avoir des traumas familiaux… comme tout le monde (2012) de Philippe Beheydt, Eddy rêve, en tant qu’acteur, de jouer le rôle d’une Princesse byzantine.

 

Le fait de transgresser la différence des sexes, ou de jouer l’inversion sexuée par rapport à son sexe de naissance, est parfois directement associé à la royauté de la Reine. Par exemple, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, le producteur traite Bonnard de « Reine » quand celui-ci se travestit en femme.

 
 

b) La Reine sombre et despotique :

La Reine que le héros homosexuel adule n’est pas qu’une gentille poupée Barbie. Elle a du caractère, est indépendante, a du répondant, sait s’imposer. C’est la matrone hiératique qui domine son univers et a le pouvoir des hommes : cf. la pièce La Casa De Bernarda Alba (La Maison de Bernarda Alba, 1936) de Federico García Lorca, le film « The Queen » (2006) de Stephen Frears, le one-woman-show Femmes de pouvoirs, pouvoirs de femmes (2013) d’Océane Rose-Marie, le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan (avec Élisabeth, magnat sans pitié), le film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau (avec Catherine de Médicis), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz (avec Mrs Venable), le roman Du côté de chez Swann (1913) de Marcel Proust (avec Madame Verdurin), le film « Girl King » (2001) d’Ileana Pietrobruno, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters (avec Velma Von Tussle, la productrice odieuse et hystérique), le film « The Devils Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel (avec le personnage de Miranda), la pièce Loretta Strong (1978) de Copi, la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, etc. On peut penser à la description enthousiaste de Marie de Médicis, la reine toute de noir vêtue, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher.

 

« La maison tout entière se mettait à la disposition de la vieille dame. […] Elle était comme ces reines qui ont été régentes […]. » (la description de Doña Augusta dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, p. 20) ; « Il les aime vaches et friquées. » (Wilma, le flic travelo M to F, s’adressant à Steeven, le héros homosexuel du film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) ; « Magda Sterner tournait aussi autour de la quarantaine. Son chignon, ses yeux noirs et l’ovale de son visage lui donnaient l’allure d’une madone de Quattrocento. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 22) ; « Vous pensez que je suis folle, je suis juste sous l’emprise de mes hormones, je veux diriger l’empire des sens, être votre maîtresse à tous ! […] Oui, c’est ça dont on manque, de folie… de folles… Oui, c’est pour ça que moi je suis gay, voilà j’ai réussi à le prouver ! La folie, c’est la seule chose qui ne soit pas mondialisée. La folie c’est la véritable différence entre les gens, c’est la vérité. C’est quand on est fou qu’on est différent. La reine des folles, c’est moi ! Voilà ce qu’il nous faut : Une folle présidente ! » (le Comédien dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Film "The Rocky Horror Picture Show" de Jim Sharman

Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman


 

La Reine des fictions homo-érotiques prétend transgresser la différence des sexes et n’a que mépris pour les femmes « ordinaires », mères, mariées ou en couvent. C’est la raison pour laquelle elle se dit parfois lesbienne : cf. le film « Maciste contre la Reine des Amazones » (1973) de Jesus Franco, le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot (avec Marie-Antoinette la reine lesbianisée), etc. « Je mourrai célibataire ! » (Greta Garbo, dans un éclat de rire, dans le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian) ; « Si au moins ils partaient en colonie de temps en temps… Je sais pas être une mère formidable. Je veux être la marâtre de Blanche-Neige ! Je veux aimer à mi-temps. » (la mère dans le one-woman-show Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « La Reine était de race ogresse. Et elle avait les inclinaisons des hommes. » (cf. une réplique de la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier) ; « Je tire à boulet rouge sur tout ce qui bouge. Les handicapés. Les enfants. » (Doris, la reine télévisuelle lesbienne qui se définit elle-même comme une « peau de vache », dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; etc. Par exemple, dans le film « Les 101 Dalmatiens » de Walt Disney, Cruella d’Enfer est célibataire, a un look très androgyne, et se moque du statut de femme mariée de son ancienne camarade d’école Anita. Dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant, l’Infante lesbienne trouve les femmes (qu’elle idéalise en la personne d’Inès de Castro) trop « molles ».

 

La Reine chérie du héros homosexuel est même capable d’être cruelle et autoritaire comme les méchantes de Walt Disney (du genre Maléfice ou Cruella d’Enfer) : cf. le film « Diva Histeria » (2006) de Denis Gueguin, la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim (avec la fée Carabosse), le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le dessin Cruella de Vil (1984) de Keith Haring, la chanson « Killer Queen » du groupe Queen, le film « Barbarella » (1968) de Roger Vadim (avec le « Grand Tyran » c’est-à-dire la reine noire de la Planète Sorgho), le film « Willow » (1988) de Ron Howard, la comédie musicale Créatures (2008) d’Alexandre Bonstein et Lee Maddeford, le film « Séduction femme cruelle » (1985) de Monique Treut, Le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, les films « Kika » (1993) et « Carne Trémula » (En chair et en os », 1997) de Pedro Almodóvar (avec l’apparition de la méchante reine de Blanche-Neige de Disney), le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, le roman Le Visionnaire (1934) de Julien Green (avec la châtelaine cruelle et orgueilleuse), la pièce Agrippine (1654) de Cyrano de Bergerac, la chanson « Disco Queen » de La Palma dans la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon, le roman Une Reine de la nuit (1971) de Christian Giudicelli, le roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos (avec le personnage lesbien de la Marquise de Merteuil), le film « Prête à tout » (1995) de Gus Van Sant (avec Nicole Kidman), la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali (avec Jean-Luc, coiffé en Cruella), le film « Alice In Wonderland » (« Alice au Pays des Merveilles » (2010) de Tim Burton (avec la cruelle Reine rouge), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec Bijou, la « Reine des Rats », surnommée aussi la « Reine des Ombres »), la pièce musicale Tatouage (2009) d’Alfredo Arias (avec Nana, la Reine des Rats habillée d’une écharpe avec plein de rats cousus dessus), la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec la cantatrice Regina Morti), le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa (avec Suze déguisée en Cruella), le film « Mascarade » (2012) d’Alexis Langlois, etc.

 

« Marie-Ange, tu es Cruell… a. » (Marie-Ange parlant d’elle-même, dans la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet) ; « Je serai gentille comme une reine. […] Je suis la reine des requins. » (Cherry, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « La Reine des Rats arriva en haut de Notre-Dame couverte de bigoudis, criant hystériquement. » (le narrateur bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, pp. 98-99) ; « Ce n’est pas une princesse, c’est une véritable sorcière. » (Béatrice décrivant Aubépine, une sorte de fée Carabosse, dans le roman L’Hystéricon (2010) Christophe Bigot, p. 436) ; « Et voilà la fée Carabosse ! » (Benjamin, le héros homosexuel méprisant l’arrivée de la belle Isabelle, la femme qui se prépare à faire un enfant à son amant Pierre, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Y’a des baisers volés dans les trains de tsarines. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « J’irai à l’orient embrasser les tsarines et les bateliers. » (cf. la chanson « Alexis m’attend » de Philippe Lafontaine) ; etc.

 

Victoria Abril dans le film "Kika" de Pedro Almodovar

Victoria Abril dans le film « Kika » de Pedro Almodovar


 
 

Cyrille (le héros homo) – « Et n’oubliez pas que pour le monde, dorénavant, je suis Madame Dubonnet.

Hubert – Maître, quel honneur ! Je n’aurais jamais osé rêver d’un tel dénouement !

Cyrille – Tout arrive dans la vie, Hubert. Mais je serai une Madame Dubonnet insupportable, attendez-vous à subir une tyrannie féminine sans merci. »

(Copi, Une Visite inopportune, 1988)

 
 

Par exemple, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry pique des crises d’hystérie dignes de Cruella d’Enfer. Dans la pièce Wona, Księżniczka Burgunda (Yvonne, Princesse de Bourgogne, 1957) de Witold Gombrowicz, la Reine Marguerite se plait à admirer, horrifiée, sa « laideur » devant son miroir au moment de commettre un crime. Dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Lucie, l’un des héroïnes lesbiennes, endosse son costume de Cruella d’Enfer pour effrayer les enfants. Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, la puissante Élisabeth de Bataurie se transforme en femme-vampire. Dans la pièce La Cage aux folles (1975) de Jean Poiret, Zaza Napoli, le héros homosexuel, chante « I’m so glamourous, so dangerous… » et est comparée à la fée Carabosse. Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, Cyrille, le héros homosexuel, se conduit comme une Reine autoritaire et excédée : « Hubert, ma psyché ! » Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Hélène, la terrible première de couturier, mène la vie dure à la styliste Cecilia car elle brigue sa place. Cette compétition insurge Joséphine et l’assistant-couturier homosexuel Dallas : « C’est une vraie hyène. » (Jo) « La Reine des hyènes ! » acquiesce Dallas.

 

Cruella d'Enfer dans le film "Les 101 Dalmatiens" de Walt Disney

Cruella d’Enfer dans le film « Les 101 Dalmatiens » de Walt Disney


 

Je crois que les personnages homosexuels en panne d’identité cherchent appui sur une femme extraordinaire et forte comme la Reine pour compenser l’effondrement narcissique de leur personnalité. « Helena aimait ces impérieuses femmes. Ces capricieuses manigances où les hommes, enchantés par les traîtres drogues de l’amour, soumettaient leurs âmes aux pulsions tyranniques de leurs corps. Quand le sexe faible enchaînait le fort au diable de ses courbes. En vérité, elle idolâtrait les femmes machiavéliques, celles qui faisaient de leur beauté un pouvoir invincible, qui savaient que seule la femme, dotée d’un charme omnipotent, pouvait gouverner l’univers. Car qu’y a-t-il de plus puissant que le charme lui-même ? » (cf. un extrait d’une nouvelle, « L’Encre », écrite par un ami romancier homosexuel en 2003, p. 29) ; « Je tremble devant votre beauté et votre pouvoir. » (le Rat s’adressant à la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Vous avez vu comme elle est mauvaise. J’adore ! » (Yoann, le héros homosexuel, à propos de la méchante Solange, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc.

 

La vénération de la Reine médiatique est certainement un résidu d’un complexe d’Œdipe mal géré ou d’un désir incestuel fusionnel entre le héros homosexuel et sa propre mère biologique. « Tu te passionnes pour les mères des autres, les reines de France, leurs petits maris, et toute l’histoire du temps. » (Félix, l’un des héros homosexuels du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 205) Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, qualifie sa mère de « Reine ». Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel qualifie sa mère appelée Berthe de « Reine Berthe ».

 

L’intronisation homosexuelle de la Reine est beaucoup plus amèrement le signe d’une véritable misogynie. Le personnage homosexuel met les femmes sur un piédestal pour mieux les tenir à distance de sa vie. Par exemple, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (cf. l’épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Martin, le héros homosexuel barman qui vient de quitter femme et enfants pour partir en couple avec un homme, a créé un cocktail nommé « Christine Queen » en l’honneur de son ex-femme.

 
 

c) La femme monarque blessée, la reine du Carnaval intronisée puis incendiée :

Film "La Reine Margot" de Patrice Chéreau

Film « La Reine Margot » de Patrice Chéreau


 

La Reine devient une icône d’identification homosexuelle car elle incarne la victime d’un viol incomprise, la poignante diva Drama Queen (maltraitée et mal jugée par les paparazzis et par son Peuple). « Je ne suis pas un homme et je n’ai pas le droit d’être une femme. Je suis un jouet, on a ignoré que j’ai un cœur ! » (la Reine Gertrud dans le film « Hamlet » (1921) de Sven Gade) C’est le mélange de force et de faiblesse (à l’image du désir homosexuel, qui est un élan apparemment fort et puissant, mais qui ne dure pas et qui est lâche car il ne repose pas sur la différence des sexes) qui touche chez cette inébranlable ébranlée, qui la rend désirable esthétiquement et parfois érotiquement. Le motif de la Reine violée est récurrent dans les fictions homo-érotiques : cf. le roman Marie-Antoinette (1933) de Stefan Zweig, la pièce La Reine morte (1942) d’Henri de Montherlant, le film « La Reine des Neiges » (1957) de Lev Atamanov, le film « Sodome et Gomorrhe » (1961) de Robert Aldrich et Sergio Leone, la pièce La Reina Del Silencio (1911) de Ramón Gy de Silva, le film « La Reina Anónima » (1992) de Gonzalo Suárez, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder (avec Petra), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik (avec Cheo-Seon la reine putain), l’affiche du film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau (avec la robe blanche ensanglantée d’Isabelle Adjani), etc. Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, le père de Charlène (l’héroïne lesbienne) surnomme sa fille « Princesa » et la chatouille de manière excessive et déplacée. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ted, l’un des héros homos, est scotché à sa télé devant Games Of Thrones, et se dit fan de Daenerys Targaryen, « la princesse exilée » : « Je l’adore ».

 

 

 

Le héros homosexuel finit par excuser et par désirer (identitairement ou amoureusement) cette méchante Reine transgenres hystérique, un peu cinglée, qui le méprise et qui a été méprisée. « On n’en voyait de là que sa blancheur suprême, plutôt la pâleur maladive d’une reine violée. » (cf. un extrait d’une nouvelle, « L’Encre », écrite par un ami romancier homosexuel en 2003, p. 22) ; « Elle était toute sale… la nappe. » (Laurent Spielvogel feignant de parler de la Princesse Anne, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Dans le royaume des hommes je suis LA souillure, sur l’échiquier des dames, le pion en attente caché derrière une reine hautaine qui choisira seule le bon moment pour se déplacer. Là, aveugle et naïve j’irais buter contre un des cavaliers noirs… Pour l’instant, j’arrive à me dédoubler : je suis pion et joueuse à la fois. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 61) ; « Je ne savais même pas que je cherchais alors, mais, la voyant, reine en haillons, marquise hautaine, vieille petite fille ridée, elle, la Dame de Bois-Rouge, puisqu’il faut dire son nom, je suis restée fascinée au centre de sa toile et je n’en suis sortie qu’éreintée, pourfendue, achevée par ses coups de pioche dans le cœur. » (Émilie parlant de son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 129) ; « Le rôle de ma vie, c’est Marie-Antoinette. » (Charlène Duval, le travesti M to F, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; etc.

 

Il y a une forme de sincérité jusque-boutiste chez la Reine méchante qui la fait passer, aux yeux du héros homosexuel, pour une femme héroïque. Par exemple, le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot s’achève avec la mise à mort symbolique de la Reine, Amande, coiffée au poteau d’exécution par son groupe d’« amis », livrée à la vindicte populaire, et sauvée in extremis… car bien sûr, la jolie peste de l’histoire ne doit pas mourir ! Elle est éternelle ! « Mourad [l’un des héros homosexuels] jubilait. Amande était une peste, mais sa méchanceté avait une drôlerie sans équivalent. Il suffisait de la lancer sur une piste, et elle démarrait au quart de tour, brossant des portraits comme une virtuose, se dépensant sans compter. » (p. 83) ; « Il était un inconditionnel d’Amande. Elle était pour lui le condiment sans lequel l’atmosphère aurait affreusement manqué de saveur. » (idem, p. 415) ; etc. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane, la mère de Steve (le héros homosexuel), est présentée comme la Grande Méchante jalousée par son fils homo Steve. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), la langue de Laurent Spielvogel, le héros homosexuel, fourche : au lieu de dire l’expression « exécution des Bar Mitsvah », il dit « exécution des Miss ». Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, dans le salon familial, pendant le dîner, Jonas, le héros homo et ses parents regardent à la télé les informations relatant en 1997 la mort de la Princesse Lady Di.

 

Dans la chanson « Les Enfants de l’aube » de Bruno Bisaro, la voix narrative s’imagine en train de courir comme une reine en fuite : « Est-ce moi qui tangue comme une ombre sur les talons d’une reine en cavale ? » Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, s’émeut pour le « destin » tragique de Marie-Antoinette, « la reine infortunée, comme si, pour quelque raison, la malheureuse femme en appelait personnellement à elle » (p. 314). Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, la figure de Vincent McDoom interprète à sa sauce le rôle de Marie Stuart, la reine exécutée, dans une pièce.

 

La Reine adorée par le héros homo est une princesse régnante déclassée, qui a le malheur de vivre à un temps de vaches maigres où elle va être déchue de son autorité et de la gloire qui lui serait due par son rang et son sang. « Tu es la fille d’une époque où les femmes étaient des ânes, pour ne pas dire des ânesses ; je t’ai fait naître Princesse d’une Reine de la Belle Époque ! » (Solitaire s’adressant à sa fille lesbienne Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Tu t’es créé un monde pour être la reine. Mais réveille-toi. Tu ne l’es pas ! T’es juste une lycéenne comme toutes les autres. Tu vas tomber de ton piédestal. Pour une fois, c’est moi qui te regarderai de haut. » (Juna, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Kanojo, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Ce sont des princesses sans Royaume. Mais le seul endroit où on peut les retrouver, c’est Eurodisney. » (Samuel Laroque parlant des homos, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Marie-Antoinette, femme courageuse qui n’a jamais su s’intégrer. » (Patrick, le héros hétéro-bisexuel, présentateur télé s’entraînant pour bien articuler cette phrase, dans le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue) ; etc. Par exemple, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur homosexuel, organise des soirées déguisées spéciale « dessins animés de notre enfance » chez lui, et pour la plus récente, il s’est déguisé en Princesse Sarah. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny, le héros homosexuel, est qualifié par Abbey, une de ses amies, de « Reine du mélo ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, raconte comment il est sorti avec un certain Fabrice, un « escroc qui l’a ruiné après lui avoir fait vivre une vie de « princesse » : « Il s’est tiré avec la caisse. Plus rien. Une princesse déchue. » Plus tard, le spectateur découvre que Jeanfi n’a pas renoncé à vivre comme une reine, en côtoyant le monde du show-biz, de la télé et en se cherchant un appartement digne de son rang : « Une Princesse, c’est propriétaire. Pas locataire. »

 

Cependant, le personnage homosexuel ne pardonne pas à la Reine sa fausse force, la moindre défaillance (qui vient contredire sa divinité)… et parfois, il se décide donc à la tuer ou à l’incendier… comme un dernier geste d’« amour » qui ne sera au fond que la preuve d’une idolâtrie. L’acte régicide viendrait restaurer la Reine dans une nouvelle royauté, cette fois maculée de sang (la pureté de l’or soumise à l’épreuve du feu !) : « J’ai pas du tout envie d’être la Reine d’une île grecque. » (Europe dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Pourquoi est-ce que je la tue ? Il doit y avoir une raison mais je ne me l’explique pas. » (le Roi Ferrante parlant d’Inès de Castro, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant) ; « Cette salope de Margaret Thatcher ! » (Cliff, le vieux gay, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Je te tue, Madame ! Tu sais ce que je vais faire avec ta porcelaine de Limoges ? Je vais te lacérer les fesses et je vais te crever les yeux, ma petite patronne ! » (Goliatha, la domestique s’adressant à « L. », dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; etc. Il cherche à la détruire pour prouver qu’elle est immortelle et que son acte de destruction est vain. Par exemple, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat, la femme devient « la reine des putes » pour Rocco Siffredi. Dans la pièce L’Alligator, le Thé (1966) de Copi, Copi incarne un crocodile et Jérôme Savary une princesse. Dans son vidéo-clip de la chanson « Beyond My Control », Mylène Farmer passe sur le grill. Lors du concert Météor Tour du groupe Indochine à Paris Bercy le 16 septembre 2010, on nous montre sur les écrans géants une Miss Italy sur un bûcher embrasé.

 

La Reine homosexuelle meurt éternellement sur scène (comme Dalida), simule le sempiternel départ. Beaucoup de personnages homosexuels s’attachent à elle comme à une chimère, comme si elle incarnait leur seul espoir de rendre leurs amours impossibles possibles. « Elle danse et sans aucune retenue, sourit mais pense à partir pour vivre mais comme une reine, ou être une sirène. » (cf. la chanson « Leïla » de Lara Fabian) ; « La tradition veut que je ne meure jamais ! » (la Reine de la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; etc.

 

Enfin, la Reine (ou le héros homosexuel) fictionnelle a des raisons de se méfier de la glorification spontanée et sincère qu’organise son fan bisexuel ou hétéro-gay friendly autour d’elle ou/et de son homosexualité. Le couronnement des héros homosexuels est parfois une stratégie de l’homophobie gay friendly pour ridiculiser le héros homosexuel tout en (se) donnant l’impression de le révéler à lui-même par l’homosexualité et de le célébrer comme une Reine (exactement comme les machinations collégiennes pour faire élire le pauvre type de la classe comme délégué : le caressant foutage de gueule) : « On va les élire Reines du Bal de la Rentrée ! Longue vie aux Reines ! Longue vie aux Reines ! Longue vie aux Reines ! » (Shane, le héros homosexuel outant Amy et Karma, les deux meilleures amies hétérosexuelles, en les consacrant « Reines du Lycée » à leur insu, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « C’est le rêve de ta vie de te faire bien empaler, enculé efféminé, petite Reine de la Beauté du podium de ton quartier ! » (Fifi, le héros travesti M to F s’adressant à Pédé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Toutes les Premières Dames de France réunies en un seul homme ! » (Arnold, le héros homo se moquant du statut inconfortable et caché de son meilleur ami gay Georges qui prétend être en couple avec le futur président de la République qui ne l’assume pas, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Le p’tit Martin à sa maman est une Cendrillon ! » (Malik, le héros hétéro se moquant de Martin, le héros sur qui pèse une présomption d’homosexualité, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Prodigieuse confusion paradoxale de ce couronnement-humiliation dans la tête de ceux qui chaussent le diadème. Au fond, les personnages homosexuels devinent que c’est l’étiquette dorée et royale de « l’homosexuel » qui est homophobe, car elle réduit leur personne à une tendance sexuelle ou à une pratique amoureuse ambiguë. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Bernard, pour mépriser son pote gay efféminé, l’affuble du féminin dégradant et excessivement valorisant de « Queen ! ». Pas de meilleure illustration de l’insulte royale… ou plutôt de la royale insulte.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La Reine rose et gentille :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. Femme assise de Copi


 

La Reine est un rôle particulièrement apprécié dans la communauté homosexuelle. « Elle est sublime, l’Archiduchesse Sophie ! » (Guillaume, le héros bisexuel se mettant dans la peau de Sissi Impératrice, dans le film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) Je vous renvoie au documentaire « La Reine » (1968) de Frank Simon. Par exemple, Christopher Marlowe (1564-1593) fut au service secret de la Reine d’Angleterre. Dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2, il y a un tableau de la Reine Élisabeth II qui trône dans l’appartement du couple « marié » Pierre/Bertrand.

 

En argot, le mot « Queen » signifie homosexuel (le terme « drag-queen » est l’une de ses déclinaisons). Ce n’est pas par hasard si le groupe de Freddie Mercury a choisi de s’appeler Queen, et si l’une des plus célèbres boîtes homos parisiennes se nomme le Queen. Il y a régulièrement des concours de Reines et de Rois de Beauté, de « Miss travesties » ou de « Misters gays », organisés dans le monde interlope. Et les cérémonies actuelles de « mariages homos » sont des parodies sérieuses et sincères de ces sacres de Reines. Par ailleurs, la reine est la figurine de cartes à jouer préférée de beaucoup de personnes homosexuelles.

 

De nombreuses chanteuses et actrices encouragent les personnes homosexuelles à se prendre pour des reines : « Don’t be a drag, just be a queen. Don’t be a drag, just be a queen. » (cf. la chanson « Born This Way » de Lady Gaga) ; « Je suis la reine. Dans la nuit on me voit. Amours modernes, on ne se cache pas. » (cf. la chanson « La Reine » de Lorie)

 

Son Altesse Sir Elton John

Son Altesse Sir Elton John


 

Et ça « marche », visiblement. Par exemple, lors des représentations de la pièce Antoine et Cléopâtre (1606) de William Shakespeare, un comédien jouait Cléopâtre. Dans le film « Orlando » (1992) de Sally Potter, le comédien homosexuel Quentin Crisp s’est mis dans la peau de la Reine Elisabeth I. Le chanteur homosexuel Elton John se travestit en Marie-Antoinette. Il donna en octobre 1972 un concert de gala au Royal Variety Show de Londres pour la Reine d’Angleterre. Il chantera à la messe d’enterrement de Lady Di en 1998. Le comédien Samuel Laroque s’est véritablement déguisé en Marie-Antoinette dans le métro parisien. Denis d’Archangelo adore s’habiller en reine du music-hall. Lors des carnavals interlopes annuels de l’Élysée Montmartre à Paris, l’arrivée de la Reine travestie M to F fait l’objet de tout un cérémonial. Lors de la cérémonie de l’élection Miss France 2016, sur la chaîne TF1, le 19 décembre 2015, Jean-Paul Gaultier, le couturier homosexuel, président de cérémonie, débarque sur scène avec un diadème sur la tête avec l’inscription « Miss », en avouant devant les caméras qu’il réalise son « rêve de toujours ».

 

Quentin Crisp dans le film "Orlando" de Sallie Potter

Quentin Crisp dans le film « Orlando » de Sallie Potter


 

« Ces superbes costumes plaisaient aux homos qui avaient envie de se déguiser en Agnetha ou en Anni-Frid, les deux chanteuses d’ABBA. » (Patrick Lindner parlant de la chanson « Dancing Queen », dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Vous êtes une reine ! » (Robert, le coiffeur homosexuel attitré de l’animatrice Ménie Grégoire, dans le film documentaire « Ménie Grégoire : Une Voix sur les ondes » (2007) de Marie-Christine Gambart et Sophie Garnier, diffusé sur la chaîne France 5) ; etc. Rien d’étonnant que le dessin animé d’animation « Frozen » (« La Reine des Neiges », 2013) des Studios Disney, aient été suspectés de promouvoir l’homosexualité.

 

Film "La Reine des Neiges" de Walt Disney

Film « La Reine des Neiges » de Walt Disney


 

Souvent, ce sont les « filles à pédés » réelles (actrices ou chanteuses), ou bien les chanteurs transgenres et transsexuels, qui ont joué des rôles de reines dans leurs films ou leurs clips : Elisabeth Taylor, Isabelle Adjani, Annie Lennox, Madonna, Christina Aguilera, Britney Spears, Conchita Wurst, Dalida (ancienne Miss Égypte), etc. Je vous renvoie au vidéo-clip de la chanson « Remember The Time » de Michael Jackson, au vidéo-clip de la chanson « Walking On Broken Glass » d’Annie Lennox, au vidéo-clip de la chanson « What A Girl Wants » de Christina Aguilera, au vidéo-clip de la chanson « Vogue » de Madonna au MTV Music Awards 1990, à la tournée Aphrodite (2010) de Kylie Minogue, à la chanson « Diva » (1998) de l’homme transsexuel M to F Dana International (avec l’identification à la Reine Cléopâtre), à la chanson « La Reine » de Lorie, etc.

 

 

 

 

Et maintenant, même les reines attitrées jouent les gays friendly ou carrément les femmes lesbiennes (cf. la Reine suédoise Christine).

 

 

Socialement, le fait de s’identifier à la reine ou à la princesse est associé à un symptôme d’homosexualité.

 

 
 

b) La Reine sombre et despotique :

Ce que les personnes homosexuelles vénèrent chez le personnage de la Reine, c’est sa personnalité de femme à poigne, c’est l’impression que son inflexibilité (car il s’agit souvent d’une femme hiératique, un peu facho, incorrecte, sophistiquée, cinglée, courtisane, exerçant un pouvoir qui normalement ne serait réservé qu’aux hommes) devient éternité. « Ta mémé, c’est notre reine. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 21) De plus, la force de cette reine fantasmée, puisqu’elle n’est pas fondée sur le Réel ni sur la différence des sexes, a quelque chose d’indécidable, de dangereux, d’inquiétant. Elle sied donc aux individus qui veulent se rendre intéressants et intrigants à « peu » de frais. D’ailleurs, rien d’étonnant que ces derniers se qualifient de « queer », terme anglosaxon comme par hasard très proche de « queen », et qui signifie « bizarre ».

 

Comédie musicale Les Divas de l'obscur de Stéphane Druet

Comédie musicale Les Divas de l’obscur de Stéphane Druet


 

La Reine applaudit par la communauté homosexuelle est tellement forte qu’elle en est obligée de devenir méchante et violente (comme Cruella d’Enfer) pour être crédible. « J’ai de ma grand-mère une photo où elle est debout, la main sur la poignée de portière d’une limousine : habillée ostensiblement en femme, avec manteau croisé à col de fourrure, chapeau incliné sur l’œil, gants, collier de perles ; et, sous la voilette, quel air autoritaire, méchant ! […] Son cœur était-il capable d’amour ? […] Pour la fête des Rois chez le couturier Paul Poiret, en 1923, il fallait se costumer. Maurice Sachs, dans son livre ‘Au temps du Bœuf sur le toit’, sorte de journal des Années folles, a fait la liste des invités, parmi lesquels Mme Fernandez, en Marie Stuart. Ce choix peut paraître étrange ; pour une battante comme ma grand-mère, prendre les traits d’une reine vaincue et décapitée ! » (Dominique Fernandez parlant de sa grand-mère paternelle, dans la biographie Ramon (2008), pp. 87-89 puis p. 93) ; Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », est décrite comme une femme despotique : « Ton destin de souveraine est la volonté de Dieu. » (la voix-off s’adressant à Christine) ; « Elle a été élevée pour régner. » (la biographe Marie-Louise Rodén parlant de Christine, idem) ; etc. Par exemple, le metteur en scène Stéphane Druet m’a avoué que pour sa comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011), il s’était inspiré des Reines méchantes de Walt Disney. L’artiste performer lesbienne Louise de Ville a calqué son pseudonyme sur Cruella d’Enfer.
 

Christine de Suède incarne ce désir de toute-puissance royale : « Il n’y a que moi qui suis roi de Suède. » (Christine s’adressant à Pierre Chanut) ; etc. Le Comte Magnus la présente comme « une reine dangereuse » et cela la fait rire : « Ta reine nage comme un poisson, dévore comme une lionne et navigue comme un vicking. » Plus tard, quand Christine fait n’importe quoi de sa royauté, c’est fini de rire : « Les femmes ne devraient jamais régner. »

 

 

Je n’échappe pas à cette tendance. Quand j’avais 5 ans, je dessinais déjà sans arrêt des princesses et des reines couronnées : soit elles étaient vierges et innocentes (blondes, avec de très longs cheveux, des yeux bleus cristallins, un point à la place de la bouche), soit au contraire elles étaient cruelles et sanguinaires (avec des couronnes pointues, des yeux fardés de noir, des talons aiguilles, de longs ongles à la Jeanne Mas). Par exemple, dans le dessin animé Les Trois Mousquetaires, mon personnage préféré était la méchante et caressante Milady. J’avais, à l’âge de 8 ans, réalisé une bande dessinée qui s’intitulait Le Concours de Beauté, et qui racontait l’histoire du couronnement d’une grenouille nommée Yoplaie (comme les yaourts), maquillée comme une voiture volée et au caractère pimenté, menacée par une méchante sorcière que j’aimais tout autant (voire plus !).

 

La vénération de la Reine médiatique est certainement un résidu d’un complexe d’Œdipe mal géré ou d’un désir incestuel fusionnel entre l’individu homosexuel et sa propre mère biologique. Par exemple, la maman du dramaturge homosexuel Copi était consul d’Argentine en Irlande… et ensuite, ce dernier n’a fait qu’honorer mais aussi détruire par la parodie des reines, des princesses, pendant toute sa vie.

 
 

c) La femme monarque blessée, la reine du Carnaval intronisée puis incendiée :

Les personnes homosexuelles pratiquantes ont un rapport étrange à la femme politique médiatisée, à la Reine réelle. Un rapport d’attraction-répulsion qu’on peut facilement identifier comme de l’idolâtrie, ou si vous préférez, de la jalousie. Par exemple, le dramaturge argentin Copi (encore lui !) a été fasciné par la figure d’Evita, la femme politique morte à 32 ans et qui a connu un succès fulgurant : en 10 années seulement, elle est passée du statut de petite paysanne brune à la star hollywoodienne blonde. Il l’a ridiculisée et magnifiée iconographiquement (notamment à travers une pièce Eva Perón, qu’il a écrite en 1969) en la transformant en pute tyrannique fatale et sépulcrale, en « mélange de Mae West et de Staline ». Le poète Néstor Perlongher a fait de même avec la femme de Perón ou encore Lady Diana, en les massacrant poétiquement comme s’il s’agissait de zombies. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la comédienne transgenre F to M, sur scène, se met dans la peau d’une Reine Victoria transformée en nunuche homophobe : « Les femmes ne font pas ces choses-là. »

 

J’ai déjà vu dans les appartement de certains amis homos des affiches géantes de films à la gloire de la méchanceté féminine royale, tels que « The Devils Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel, « Frozen » (« La Reine des Neiges », 2013) de Walt Disney, « Enchanted » (« Il était une fois », 2007) de Kevin Lima, etc.

 

Lors de sa conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon organisée à la Mairie du IIIème arrondissement le 18 novembre 2010, le romancier Christophe Bigot défend son personnage de peste royale : « J’ai pas mal de tendresse pour Amande, le personnage de la garce dans l’Hystéricon. » L’une des phrases du roman marque cette étrange soutien homosexuel pour la Reine méchante : « Que ferait-on sans les Aubépine qui parsèment le plat pays de nos existences ? » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 439)

 

La Reine est davantage un costume de travelo que la femme régnante réelle. Elle est employée dans la communauté homosexuelle comme un masque que l’on s’applique à soi-même pour singer sa prétention à changer de sexe et à se prendre pour Dieu. Elle célèbre et détruit à la fois le ridicule de l’orgueil humain. « Le Camp, c’est une glorification du ‘personnage’. […] Ce que voit le Camp et ce qu’il apprécie c’est la force de la personnalité. » (cf. l’article « Le Style Camp » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), p. 439) ; « Pourquoi donc le jeune Adrien Baillon, le plus masculin des homos de Montmartre, viril au lit et casse-cou dans les rues, sodomite actif et criminel aguerri, railleur des tantes et frère de pogne de Mignon, répond-il de toujours au sobriquet de reine de ‘Notre-Dame-des-Fleurs’ ? » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 183) ; etc. C’est pourquoi, notamment au Gay Pride, la Reine apparaît souvent comme un objet ironique qui provoque féérie et risée collective. Elle est le vecteur de l’ironie kitsch & camp, l’incarnation « vivante » du « BON mauvais goût », de la sophistication féminine forcée, de la dépression sublimée de la Drama Queen (celle qui est violée par les paparazzis et ar son Peuple), de la frivolité soi-disant consciente de sa prétention et de sa naïveté : cf. l’article « Todo El Poder A Lady Di » (1982) de Néstor Perlongher. Elle est détruite autant qu’acclamée. Je vous renvoie à la ligne de vêtements de la styliste new-yorkaise Parisa Parnian (avec des logos tels que « Queer’n’Dirty ») ; ou encore à l’intérêt mi-distancé mi-sérieux du public homosexuel pour les revues de la presse people (Paris-Match, Gala, etc.) ; mais aussi à l’admiration homosexuelle mitigée pour la Première Dame de France bafouée (et illégitime), Valérie Trierweiler.

 

La Reine chérie par le public LGBT meurt éternellement sur scène (comme Dalida ou Mylène Farmer !), simule le sempiternel départ. Beaucoup de personnes homosexuelles s’attachent à elle comme à une chimère, comme si elle incarnait leur seul espoir de rendre leurs amours impossibles possibles. « Je crois que si les hymnes gays sont souvent interprétés par des femmes, c’est parce qu’on peut tout à fait s’identifier à elles, à leur position d’opprimées. Et opprimées, elles le sont toujours, malheureusement. C’est pour ça qu’on est enclin à s’identifier à une femme qui se défend, qui garde la tête haute. » (Barbie Breakout, dragqueen M to F, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Les chanteuses appréciées des gays, c’est des filles qui sont comme des garçons. Elles n’ont pas froid aux yeux. Elles sont fortes. » (Michel Gaubert, idem) ; etc.

 

 

Je pense que les personnes en panne d’identité cherchent appui sur une femme extraordinaire et forte comme la Reine cinématographique pour compenser l’effondrement narcissique de leur personnalité. Dans leur esprit, la Reine n’est pas une réalité sexuée : elle est plutôt l’androgyne, le fantasme machiste de toute-puissance pour masquer une peur existentielle ou un drame comme le viol et le désamour (= peines de cœur homosexuelles). « Un jour, à 12 ans, je feuilletais la revue Blanco Y Negro et regardais des photos de tableaux anciens, lorsque je fus surpris par l’image de la Reine Isabelle I. J’ai eu l’impression que cette reine était en réalité un homme. […] C’est ainsi que m’est venue l’idée qu’elle pouvait devenir le personnage principal d’une pièce de théâtre. » (Francisco Ors dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 280) ; « Je me fais l’effet d’être ‘die alte Marschallin’. » (Klaus Mann en référence à la « Vieille Maréchale » de l’opéra Le Chevalier de la Rose de Richard Strauss, dans son Journal : les Années d’exil, 1937-1949, p. 326) ; « Quelque part, t’es une reine et t’es répudiée. » (Manuela, l’homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; etc. Elles vénèrent en elle leur propre pulsion de mort : cf. la biographie romancée de l’exécution de Marie Stuart (1938) par Stefan Sweig, la chanson « Candle In The Wind » d’Elton John pour Lady Diana, etc.

 

Il faut bien comprendre que le lien non-causal entre Reine et homosexualité renvoie au ressenti ou à la réalité de la prostitution. Comme l’indique l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, étymologiquement, l’expression « fish queen », qui aux États-Unis pouvait être synonyme d’« homosexuel », provient en réalité d’une déformation du mot, « quean » désignant une prostituée (p. 271).

 

Les individus homosexuels ont des raisons de se méfier de la glorification spontanée et sincère qu’organise son fan bisexuel ou hétéro-gay friendly autour d’eux ou/et de leur homosexualité. Le couronnement actuel des personnes homosexuelles (en tant que reines dans les mass médias, en politique, dans les émissions de télé-réalité, dans certains groupes scolaires) est parfois une stratégie de l’homophobie gay friendly pour les ridiculiser tout en (se) donnant l’impression de les révéler à eux-mêmes par l’homosexualité et de les célébrer telles des souveraines gâtées (exactement comme les machinations collégiennes pour faire élire le pauvre type de la classe comme délégué : le caressant foutage de gueule). Prodigieuse confusion paradoxale de ce couronnement-humiliation dans la tête de ceux qui chaussent le diadème et qui se font outer. Au fond, c’est l’étiquette dorée et royale de « l’homosexuel » qui est homophobe, car elle réduit la personne à sa tendance sexuelle ou à sa pratique génitale et affective.

 

Un lycéen homo élu "Reine de beauté" par ses camarades

Un lycéen homo élu « Reine de beauté » par ses camarades en Californie


 

Pour finir, je crois que la communauté homosexuelle, en pointant du doigt ou en singeant la Reine bafouée éternelle, nous rappelle beaucoup plus constructivement l’existence d’une blessure plus que jamais ouverte dans le cœur de notre Humanité. D’abord et avant tout la blessure d’être encore séparés de notre Mère du Ciel et Reine de tous les Hommes qu’est la Vierge Marie. Mais aussi, d’un point de vue bassement terrestre, la blessure d’être de plus en plus déconnectés de notre Reine terrestre qu’est la différence des sexes. Je partirai de l’exemple tout bête de la Reine française Marie-Antoinette, l’épouse de Louis XVI, morte décapitée en 1793, mort qui a signé l’arrêt de la monarchie en France. Dans la mémoire collective française et mondiale, la Reine Marie-Antoinette, bien au-delà de la légende noire du « despotisme d’une monarchie dépravée » tressée par l’historiographie contemporaine héritée des Lumières, incarne ce tournant dramatique entre monde régi par Dieu et respectueux de la différence des sexes, et monde régi par la technique, le matérialisme et le libéralisme bisexuel asexualisant ; entre royauté de Droit divin et république laïcarde de droits individualistes. En somme, la Reine française Marie-Antoinette est la dernière représentante de la reconnaissance sociale de la différence des sexes, l’ultime vestige d’un monde encore humain et à l’écoute de Dieu. Les personnes homosexuelles essaient de la faire revivre dans la parodie. Mais une fois qu’elles essaieront de la faire revivre dans la foi, et pour le Réel qu’elle représentait, ça sera nettement moins glauque.

 

Madonna en Marie-Antoinette

Madonna en Marie-Antoinette


 
 

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Code n°157 – S’homosexualiser par le matriarcat

S'homosexualiser

S’homosexualiser par le matriarcat

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Les possibles conséquences désirantes (homosexuelles) d’une maternisation (portée par des femmes ou des hommes) de la société

 

Existe-t-il un lien entre homosexualité et féminisme agressif/pouvoir des mères dans notre société ? À en croire les créations et les discours de nombreuses personnes homosexuelles, oui… même si ce lien n’est pas causal, et qu’il ne s’agit pas du tout, à travers ce code, de condamner les femmes et les mères réelles, ni même leurs défenseurs. Pour moi, les vrais féministes sont ceux qui se battent pour que les femmes trouvent leur véritable place et identité dans le monde, et non ceux qui veulent en faire un équivalent exact des hommes, des tigresses toutes-puissantes au désir machiste (= des prostituées), des femmes phalliques qui n’ont plus besoin des membres de l’autre sexe.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mère possessive », « Matricide », « Inceste », « Mère gay friendly », « Substitut d’identité », « Symboles phalliques », « Femme-Araignée », « Actrice-Traîtresse », « Grand-mère », « Tante-objet ou Maman-objet », « Femme et homme en statues de cire », « Regard féminin », « Reine f», « Sirène », aux parties « Hamlet » et « Recherche du père avortée par la mère » dans le code « Parricide la bonne soupe », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

« Change de trottoir ! Le mien est piégé ! Si c’est trop tard, ne reste pas figé ! Sors du trou noir ! Je fais mon métier ! J’ai peur de rien ! Je suis une femme pressée ! » (Claire Litvine, dans la chanson « Une Femme pressée » du groupe L5)

 

Groupe L5

Groupe L5


 

L’influence symbolique que les femmes maternantes (et les hommes maternants ! car le matriarcat et le féminisme agressif, contrairement à l’idée reçue, ne sont pas réservés aux femmes, ni attribuables à toutes les femmes, loin s’en faut) peuvent jouer sur l’homosexualité est notamment observable à travers la place prépondérante que prend la figure maternelle dans la fantasmagorie homosexuelle, et dans les sociétés où grandissent les personnes homosexuelles. Le matriarcat progresse au sein de nos civilisations occidentales couveuses et de nos États-Providence (qui veulent nous éviter tout risque et les limites objectives du Réel), malgré le fait que les femmes réelles soient presque systématiquement présentées comme d’éternelles victimes des hommes, et qu’elles restent tout autant – si ce n’est plus – sous la menace des violences conjugales. Il suffit de nous pencher sur notre système juridique français pour constater que les femmes-mères ont de plus en plus les lois de leur côté : les pères modernes sont fréquemment mis sur le banc de touche, invités à devenir des mamans auxiliaires ou à fuir le domicile familial pour aller se suicider.

 

Du côté des statistiques sociologiques, dans un pays comme la France où actuellement 39% des mariages se terminent par un divorce (celui-ci étant demandé à 75% par les femmes), et où, dans 9 cas sur 10, l’enfant reste habiter seul chez sa mère, le père n’a pas d’autre choix que de partir (Michel Schneider, Big Mother (2002), p. 363). Le taux de suicide des pères séparés de leur(s) enfant(s) est six fois supérieur à la moyenne nationale, ce qui n’est évidemment pas un petit chiffre !

 

Il convient ici de bien distinguer la question de la féminisation des pouvoirs dans la société (qui n’est pas en soi problématique : bien au contraire) et celle de la maternisation des liens sociaux. Aujourd’hui, derrière un certain nombre de revendications d’égalité des femmes se cache la conquête d’une domination des mères, celles-ci étant d’ailleurs excessivement bienveillantes, assoiffées de toute-puissance et de vengeance envers les hommes et surtout les pères réels. Et ça, c’est un réel problème.

 

L’agression iconographique (et parfois réelle) des femmes envers les hommes a très probablement une influence sur l’orientation sexuelle de certains garçons et certaines filles, quand bien même les liens entre homosexualité et matriarcat/féminisme se trouvent toujours rangés dans le cadre de la coïncidence. Si les hommes gays ont eu peur d’emprunter le chemin de la différence sexuelle, ce n’est pas uniquement parce que les femmes ont pris une place prédominante relativement rapide dans nos sociétés occidentales en moins de cinq décennies : une certaine libération de la femme était et reste plus que jamais nécessaire. Mais c’est d’une part en termes de « maternalisme désexualisant » (Michel Schneider, « L’Indifférence au sexe provient de l’indifférence entre les sexes », cité dans la revue Philosophie magazine, « Hommes-Femmes : la Confusion des Genres », n°11, juillet/août 2007, p. 36) et d’infantilisation (dont sont capables même les hommes !) et non de féminisation du pouvoir social, et d’autre part en termes d’images de femmes phalliques irréelles, et donc de fantasme, qu’il faut envisager cette crainte de l’autre sexe.

 

« L’homosexuel » n’est pas le fils de sang de la femme forte iconographique, mais son fils d’idolâtrie, son enfant spéculaire. N’est-ce pas la femme phallique médiatique qui a initialement demandé aux hommes de décamper de son « trou noir » pour qu’ils la laissent faire son métier de prostituée, et d’aller « sur le trottoir d’en face », autrement dit de se faire homosexuels (cf. la chanson « Une Femme pressée » des L5) ? Dans l’ordre des symboles véhiculés par les media, les hommes ne sont plus ceux qui dominent les femmes ; ils sont en passe de devenir des mauviettes qui s’abaissent au statut d’objet de consommation à disposition du deuxième sexe. Cela peut traduire ou engendrer la réalité fantasmée de l’identité homosexuelle. Force est de constater que certaines femmes lesbiennes, en promouvant l’effacement progressif de la réalité du sexe par le concept flou de « genre », ouvrent la voie au transsexualisme et à l’homosexualité. Elles se félicitent parfois d’avoir permis socialement aux hommes de s’assouplir, de se questionner sur leur virilité, d’être moins machos… alors que l’absence de virilité de ces derniers est justement un concentré de machisme peinturluré de rose. En effet, les femmes qui veulent des hommes faibles ne désirent plus des hommes réels, ni même être femmes, puisque par nature, la première qualité qu’une femme attend d’un homme, c’est la force. En deuxième position vient la tendresse… mais seulement en deuxième (cf. la conférence « Le Célibat » de Denis Sonet, Paray-Le-Monial (France), session 2003). L’homme qui n’est que tendre avec elle lui parait mièvre. Celui qui n’est qu’une brute, elle ne l’aime pas non plus. Pour se faire reconnaître, il faut que l’homme vraiment aimant réunisse le paradoxe de la force tranquille, c’est-à-dire l’essence même de la sexuation des hommes. Au fond, seuls les hommes forts sont doux : les faibles deviennent violents. Leur brutalité trahit leur faiblesse. Les femmes qui veulent émasculer les hommes sont aussi machistes que les machos dont elles se croient éternellement victimes. Jacqueline Shaeffer a bien saisi cette énigme du féminin qui trouve sa victoire et son affirmation dans une forme d’abdication qui n’est pas sujétion mais reconnaissance d’une force masculine qui dépasse les femmes et les honore : « Que veut la femme ? Elle veut deux choses antagonistes : son moi hait la défaite, mais son sexe l’exige. Il veut la chute, la défaite, le ‘masculin’ de l’homme. C’est là le scandale du ‘féminin’. » (Jacqueline Schaeffer, Clés pour le féminin : femme, mère, amante et fille (1999), pp. 37-38) Chez l’homme droitier, la main droite agissante n’a pas de force sans la main gauche, discrètement agissante aussi. Ou, pour prendre un nouvel exemple, il n’y a pas de bon ministre des Affaires étrangères sans bon ministre de l’Intérieur. En quelque sorte, nous nous retrouvons avec les femmes face au mystère de l’action dans l’accueil. Il est souvent mal compris par beaucoup d’Hommes de notre temps puisque les valeurs du service, de l’accueil, et de l’obéissance à une autorité bienveillante sont dénigrées dans notre monde actuel. La prétention de la femme à être comme l’homme et à bénéficier des privilèges de la condition masculine, aussi paradoxal que cela puisse paraître, va dans ce sens de l’irrespect des femmes via la condamnation de l’autorité et de la force des hommes. La sexualité est une force de vie, mais une force quand même, à respecter en tant que telle. « Les violences sexuelles doivent être sanctionnées, mais la violence du sexe ne saurait être éradiquée. Il n’existe pas de sexualité sans violence et ceux qui rêvent du contraire oublient qu’ils ne seraient pas là si un jour, un homme, leur père, n’avait pas pris, avec une certaine violence, une femme, leur mère. Prendre, non au sens de violer son corps mais de désirer son désir. Le désir n’est pas une relation égalitaire accordant deux volontés en un contrat. Psychiquement, pour les hommes qu’il emporte dans la conquête sexuelle comme pour les femmes qui cherchent à le susciter, il comporte toujours une part d’agressivité, de ravalement de l’objet sexuel à côté de son idéalisation. » (Michel Schneider, op. cit., p. 99) ; « Oui, le sexe est dangereux, et le désir est une maladie mortellement transmissible. Est-ce une raison suffisante pour s’en détourner ? » (idem, p. 127)

 

B.D. "Le Monde fantastique des Gays" de Copi (Planche "Maman et Marc" )

B.D. « Le Monde fantastique des Gays » de Copi (Planche « Maman et Marc » )


 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La mère phallique ou l’entourage féminin du héros fait tout pour le rendre homosexuel :

 

On observe une emprise matriarcale sur le personnage homosexuel dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, la chanson « Une Femme pressée » du groupe L5, le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, le film « Les Damnés » (1969) de Luchino Visconti, la chanson « Seules les filles pleurent » de Lio, le film « Eve » (1949) de Joseph Mankiewicz, le film « Mors Hus » (1974) de Per Blom, le film « Les Frissons de l’angoisse » (1975) de Dario Argento, le film « Working Girls » (1986) de Lizzie Borden, le film « Le Livre de Jérémie » (2004) d’Asia Argento, le film « Girl King » (2001) d’Ileana Pietrobruno, le film « ¿ Por Que As Mulheres Devoram Os Machos ? » (1980) d’Alan Pak, le film « La Fête des mères » (1998) de Chris Van der Strappen, le film « Napolitaines » (1993) de Pappi Corsicato, le film « Singapore Sling » (1990) de Nikos Nikolaidis (avec la mère au pénis), le film « Ma vie est un enfer » (1991) de Josiane Balasko, la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec Marie, la mère de Jean-Luc, tout de mauve vêtue), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears (avec la mère de Fred), le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky (avec l’odieuse et écrasante mère de Nina), etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Isabelle, une des potentielles mères porteuses de Pierre (le héros homosexuel), souhaite formater complètement son futur fils, en le prénommant « Superman », en voulant pour lui le « meilleur », la « réussite », la « perfection »… et non le bonheur. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Camille, la mère gay friendly, maquille son propre fils Matthieu en femme. Puis, après sa mort, elle espionne le copain de son Matthieu, Franck, en le suivant partout. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Tom, le héros homosexuel, gravite dans des ambiances très féminines qui éjectent les pères et les maris, et qui l’empêchent d’être homme, d’être lui-même, en le confortant dans une pseudo homosexualité : que ce soit dans sa vie passée (avec sa grand-mère et sa mère, des femmes à poigne omniprésentes et machos) que dans sa vie présente (avec sa « fille à pédé » Cindy qui lui sert de couverture hétérosexuelle, ou encore avec son agent Graziella, qui le maintient dans une homosexualité tacite et une hétérosexualité officielle). Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, homosexuel, est maltraité par sa mère, qui lui parle très mal, qui le bat (« C’est toujours toi ma préférée, même si tu me bats. »). Celle-ci finit par le placer en hôpital psychiatrique à son insu. Cette femme féminise « son gars » quand il danse sur la chanson « On ne change pas » de Céline Dion. Elle le traite ironiquement de « pétasse ». La voisine de quartier, Kyla, apprend à Steve comment se raser la barbe : « Montre-moi. » lui demande-t-il. Steve n’est absolument pas aidé par les femmes de son entourage à devenir un homme adulte. Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, revient sur la genèse de son homosexualité : « Ça remonte à l’époque où je feuilletais les 3 Suisses de ma mère. » Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Mona est encouragée au lesbianisme par son acariâtre belle-mère, qui est odieuse avec elle parce qu’elle est stérile, qu’elle ne donne pas d’enfant à son fils. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, a été fortement influencé par la carrière de théâtre-amateur de sa mère, fan des planches. Elle lui demandait de jouer sa réplique au théâtre. Cette influence semble avoir été anxiogène : « C’est pathologique chez moi. C’est ma mère qui m’a refilé cette superstition, avec son théâtre ! » Dans le film « La Princesse et la Sirène » (2017) de Charlotte Audebram, une tante lesbienne raconte un conte à son petit neveu pour lui faire croire à son histoire d’amour interdite. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, la maman d’Oren, Hanna – exerce un mystérieux pouvoir divinatoire d’homosexualité sur Tomas, le héros homo : elle a compris énigmatiquement le lien érotique qui reliait son fils décédé Oren à Tomas. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, la maman de Nathan pousse son fils et Jonas, l’amant de ce dernier, dans les bras l’un de l’autre… notamment par le biais de la mère de Jonas (qu’elle invite chez elle) et par le biais de la cigarette (car elle fume comme un pompier : « Ta mère, elle sait aussi que tu fumes ? Ce sera notre petit secret, alors… » dit-elle à Jonas, comme si elle lui parlait d’homosexualité). Dans la série The Last of Us (épisode 3, 2023) de de Neil Druckmann et Craig Mazin, c’est la maman de Bill qui lui a appris le piano, et notamment des chansons au texte cryptogay de Linda Rondstadt.

 

Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Clémence, la mère bobo gay friendly de Jérémie, supporte très mal que son fils, qu’elle a toujours cru homosexuel, vire sa cuti avec une femme : « T’es pédé, mon chéri ! » Elle voudrait le forcer à se marier homosexuellement. Le père de Jérémie fait à son fils le même chantage : « T’as changé d’orientation ?!? Eh bien t’as perdu un père ! » lui balance-t-il avant de quitter la table.
 

Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Solange, la mère de Zoé et la belle-mère de Julien le héros bisexuel qui est devenu homosexuel suite à sa rupture avec Zoé, est accusée par son gendre Julien d’avoir provoqué la séparation entre lui et Zoé, et donc son homosexualité : « Voilà. C’est de votre faute si on est séparés. » (Julien) Zoé, sa fille, n’est pas non plus étrangère au virement de cuti de Julien : « L’énorme bêtise, elle l’a faite en me quittant. Elle m’a trop fait souffrir. Elle m’a largué sans aucun état d’âme. » Finalement, Zoé découvre que sa mère est responsable de l’homosexualisation de son ex-mari : « C’est à cause de ma mère que t’es devenu homo ?? »
 

Pièce La Casa De Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca

Pièce La Casa De Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca


 

L’opinion publique a déjà vent d’un lien fort entre maternité possessive et homosexualité, même si, pour se rassurer elle-même, elle fait souvent l’erreur de le causaliser par des raccourcis psychologiques faciles : « Moi, je suis sûre. C’est sa mère… » (la bouchère par rapport à l’homosexualité d’Abram, dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; « J’la sens bien castratrice, cette Catherine… » (Dominique parlant de la femme de Jérôme, soupçonné d’être gay, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos) ; « Ça aurait pu faire de moi un pédé ! » (Malik, le personnage hétéro, qui se décrit entouré d’une mère castratrice et de cinq tantes dès sa petite enfance, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Les femmes se sont tellement émancipées. » (le Dr Katzelblum, homosexuel, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Tu peux avoir une copine… ou un copain. » (Sam, la mère possessive de Rupert, son fils homo de 10 ans, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; etc.

 

Dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité, la mère du héros homosexuel rêve de changer le sexe de son fils ou de sa fille : « Chère maman, […] j’aimerais me souvenir de ton visage lorsque tu m’as vue pour la première fois. Ce n’est pas mes yeux que tu as regardés, non, tu as vite écarté mes jambes pour voir si un bout de chair pointait hors de mon corps à peine fait. » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 35) ; « Enfant d’un géniteur muet mais point sourd, d’une génitrice déguisée en eunuque. » (idem, p. 65) ; « J’aimerais que tu sois une femme. Tu n’iras pas à la rivière… » (la mère au fiancé, dans la pièce Bodas De Sangre (1932) de Federico García Lorca) ; « C’est moi qui t’ai mise au monde ! Je sais bien que tu as un trou à la place d’une banane et que c’est tout ton atout ! » (Solitaire s’adressant à sa fille Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; etc.

 

Dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut, la mère de Bill veut profiter de la castration de son chat pour faire par la même occasion castrer son fils. Dans la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, les trois fées travestissent Henri en Henriette. Dans le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, la mère de Julien exerce sur lui une action émasculante en l’habillant en fille. Dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet, la mère de Julien lui achète des poupées. Dans le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, Ernesto est déguisé en fille par sa mère. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros gay, dit avoir vécu son premier émoi homosexuel à 4 ans, quand sa mère l’a amené voir le ballet Casse-Noisette, et qu’il a été fasciné par le danseur. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, lorsqu’Henri a eu 8 ans, sa mère a voulu l’inscrire à un cours de danse classique. L’univers éthéré de la mère trouble, capte, et atrophie les sens du personnage homosexuel : « Tu te souviens des photographies de galas d’Opéra dans les revues de ta mère. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 160) ; « Ta chambre est une ode à la couleur mauve : des tapis aux abat-jour, des peintures aux statuettes, des draps aux alaises, le décor couvre chaque nuance du violet. » (idem, p. 169) ; « T’étais beau quand t’étais bébé. T’étais beau, t’avais l’air d’une petite fille. J’m’amusais bien avec toi : t’avais l’air d’une poupée. T’étais mignonne. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère s’adressant à lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.

 

Kylie Minogue

Kylie Minogue


 

C’est parfois dans l’interdit maternel (édicté sans amour et dans une rigide fidélité à la différence des sexes) que l’encouragement implicite à l’homosexualité vient. Par exemple, dans le film « Dolls » (2008) de Randy Caspersen, Thomas, un ado un peu secret, supporte mal que sa mère s’apprête à vendre les poupées qui ont accompagné son enfance… Dans le film « Maigret tend un piège » (1958) de Jean Delannoy, Marcel Maurin, l’homosexuel, vit sous la coupe d’une mère castratrice. Dans le roman La Máscara De Carne (1960) de Maxence van der Meersch, Manuel est entouré d’une mère et d’une sœur très masculines. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Mercy, la mère de Kena, l’héroïne lesbienne, est très inquisitrice, catholique de façade, et se met à fliquer sa fille… et elle devine son homosexualité avant cette dernière : « J’ai l’impression que tu as changé, Kena. ». Dans le film « Ma Vie avec Liberace » (2013) de Steven Soderbergh, Liberace, le pianiste virtuose, présente sa mère comme un tyran qui l’a homosexualisé et isolé : « Ma mère m’obligeait à jouer au piano tous les jours. Je n’avais aucun ami. »

 

Il arrive que cette maman encourage plus ouvertement son fils à s’homosexualiser, et se targue d’avoir participé à la « libération » que serait son coming out : « J’ai fini par accepter ton vice, mon chéri. Tu es la fille que j’aurais voulu avoir. » (la mère à « L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Aurais-tu peur de t’avouer le garçon que tu es vraiment ? Est-ce que je perdrais la raison parce que t’aimes un garçon ? » (cf. la chanson « Un Garçon » de Lorie) ; « Il n’y a plus d’hommes dans cette famille, il ne reste plus que mon frère, autant dire personne. Quand j’étais petite, […] il prenait soin de moi, comme une mère. » (Cécile dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 58) ; « Cette sourde inimitié de Fernand contre sa mère fait horreur ; et pourtant ! C’était d’elle qu’il avait reçu l’héritage de flamme, mais en même temps la tendresse jalouse de la mère avait rendu le fils impuissant à nourrir en lui ce feu inconnu. Pour ne pas le perdre, elle l’avait voulu infirme ; elle ne l’avait tenu que parce qu’elle l’avait démuni. Elle l’avait élevé dans une méfiance, dans un mépris imbécile touchant les femmes. » (François Mauriac, Génitrix (1928), pp. 72-73) ; « Pas de femmes ! Que ta petite maman ! » (la mère de Jeanjean, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Mi-fugue mi-raisin » (1994) de Fernando Colomo, la mère envahissante de Pablo veut à tout prix que son fils soit gay. Dans le film « The Family Stone » (« Esprit de famille », 2005) de Thomas Bezucha, Everet, le frère de Ben, le héros homo, avoue en pleine réunion de famille que sa maman « a essayé de rendre ses enfants tous gay » ; celle-ci riposte, avant de lui donner raison : « Mais enfin, de quoi tu parles ? Je n’ai jamais rien fait dans ce sens ! Non, ce qui est vrai, c’est que j’ai espéré, je dois dire, j’ai désespérément espéré que tous vous seriez gays, tous mes fils, et que comme ça vous ne me quitteriez jamais, et je m’en excuse auprès de mes filles. » Dans son one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, la grand-mère de Rodolphe a tout fait pour que son petit-fils Rodolphe devienne homo… et ça a marché : « Je suis soulagée ! Enfin un pédé dans la famille ! ». Et elle veut aussi que le dernier enfant de sa sœur, le petit Alexandre, suive les pas de son oncle (apparemment, Alexandre joue déjà à la majorette avec sa cape de Zorro…). Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Annella, la mère de Elio, fait tout pour pousser son jeune fils Elio de 17 ans dans les bras d’Oliver, qui a le double de son âge. « Tu l’aimes bien, hein, Oliver… » s’amuse-t-elle à lui dire, devinant ses sentiments naissants. Elle lui lit également un conte du XVIe siècle d’un prince qui avoue son amour interdit à une princesse… ce qui poussera Elio à oser déclarer sa flamme à Oliver tout de suite après. Elle organise même aux deux amants un séjour d’une semaine en vacances pour qu’ils ne se retrouvent que tous les deux. Hallucinant. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, La mère de Simon, le héros homo, est psychanalyste, féministe, et passe son temps à analyser son entourage. Une fois que son fils lui fait son coming out, elle lui avoue tacitement qu’elle l’a toujours su : « J’ai souvent voulu t’en parler, mais je ne voulais pas être indiscrète. » Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Dallas, l’assistant-couturier homosexuel de Cecilia, s’appelle en réalité Claude François. « Ma mère l’adorait. » À la fin, il mime avec Joséphine le coup de griffe de « Baracouda » de la chanson « Alexandrie-Alexandra ».

 

Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Phil, le héros homo, a rencontré Nicholas lorsqu’ils n’avaient que 8 ans… et Glass, la mère narcissique de Phil, juste après leur bousculade, incite déjà son fils à croire en leur idylle : « J’ai vu qu’il te plaisait. » Plus tard, à l’âge quasi adulte (17 ans), pendant la nuit, Phil vient dans la chambre de sa maman, la réveille pour lui demander conseil au sujet de son premier béguin pour un garçon de sa classe, Nicholas : « C’est juste que j’ai un rancard demain et j’arrive pas à dormir. Qu’est-ce que je dois faire ? » Glass l’invite à s’asseoir à ses côtés et dit à son fils d’accepter directement toutes les pratiques homos du premier coup : « Fais tout. » Mais elle lui donne aussi un avertissement faustique (l’interdit d’aimer) : « Mais ne lui demande pas s’il t’aime. Crois-moi, je m’y connais. » Phil remercie sa mère maquerelle : « Merci Mum. Tu m’as bien aidé. » Lorsque Phil présente en chair et en os son amant Nicholas à sa mère bobo, celle-ci est tout émoustillée : « Niveau bon goût, tu tiens de moi, c’est sûr ! » Et c’est limite si elle ne leur file pas des préservatifs… « Amusez-vous bien. Et ne vous déchaînez pas trop. » Par ailleurs, Glass, quand elle est tombée enceinte à l’âge de 16 ans, a quitté définitivement le père de Phil, laissant ce dernier amputé de sa relation filiale avec son père biologique. Cette mise à l’écart a certainement concouru à l’émergence d’un désir homosexuel chez le jeune homme : « Une femme avec deux enfants et pas de mari, ça faisait tache ici. Mais on gérait, même sans homme à la maison. Les copains nous interrogeaient sur notre père. Alors on demandait à Glass, qui disait un truc du genre ‘Un marin en voyage’. Ou bien ‘Un cow-boy dans un ranch’. Et plus tard, quand on ne gobait plus tout ça, ‘Je vous le dirai quand vous serez prêts’. Un jour, on a arrêté de demander, vu que ça ne servait à rien. Et aujourd’hui ? C’est normal de ne rien savoir sur notre père, le mystérieux numéro 3 de la liste. Pour moi, ça restait un vide étrange. Un trou noir. »
 

Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, raconte comment, pendant toute son adolescence et au début de sa vie d’adulte, lui et sa mère ont signé un pacte tacite pour s’imiter l’un l’autre (« … même si on a prétendu le contraire parce que ça nous arrangeait bien tous les deux. » révèlera Guillaume), pour s’installer dans la plainte et la douilletterie (« Maman, maman, maman, maman… j’ai un peu mal à la tête. » est la première phrase du film), et comment sa mère, par jalousie et pour garder son fils rien qu’à elle (« C’est elle qui a eu peur que j’aime une autre femme qu’elle. » avouera Guillaume à la fin du film, après avoir fait entrer une femme dans sa vie), lui a fait croire qu’il était homosexuel, qu’il n’avait rien d’un homme (elle le maltraite verbalement : « T’as toujours eu peur des chevaux. » ; « T’as jamais été sportif. » ; etc.), qu’il était devenu elle (« Pourquoi ma mère n’est-elle pas heureuse ? Pourtant, je suis une fille, comme elle. »), qu’il remplacerait son mari ou sa meilleure ami (par exemple, la mère appelle son fils « ma chérie »). La scène du coming out forcé (= outing) est assez parlante : Guillaume vient voir sa mère près de la piscine pour se faire consoler de son chagrin d’amour pour Jeremy (et non pour lui annoncer qu’il se sentirait homosexuel, étant donné qu’il ne se prend que pour une femme, et qu’il ne connaît même pas le mot « homo »). Et là, sa mère, maladroitement et voulant bien faire (ou faire « gay friendly »), lui colle agressivement l’étiquette de « l’homo » dont il aura du mal à se défaire par la suite : « Tu sais, y’en a plein qui vivent très heureux… » Et comme lui ne comprend pas le sous-entendu, elle se met à lui gueuler dessus et à lui demander de ne pas jouer à plus bête qu’il n’est : « Enfin, les pédés, les homos, quoi ! » Guillaume essaie de résister en vain à la prédiction de sa mère : « Mais je suis pas homo parce que je suis une fille attirée par un garçon. C’est on ne peut plus hétéro… »

 

Cette mère incestueuse qui homosexualise peut tout à fait être un homme : le matriarcat n’a pas de sexe ; c’est un désir machiste et sur-féminin à la fois. « J’ai 22 ans et je vis toujours chez mon père. En plus, il est persuadé que je suis une fille de 2 ans. Du coup bah… je m’appelle Sophie. » (Bill dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut) ; « Ça doit être mon père qui m’a fait ainsi ! Il était trop beau lui aussi ! Comme un gamin-papillon, j’étais fasciné par sa beauté d’homme solitaire. Peut-être que je m’y suis brûlé les ailes ! Je devrais jeter toutes ces photos que j’ai de lui ! Cesser de penser que j’aurais hérité de lui cette attirance pour les garçons. Un désir refoulé qu’il m’aurait transmis en quelque sorte. Et tout cela, parce qu’il nous prodiguait, à moi et à mon petit frère, la tendresse de la mère perdue. » (Adrien dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60) ; « C’est chose terrible, la sentimentalité d’une mère. Parole de Garbo. Et vraie calamité un père lui-même sirupeux tout lâche à l’heure de se coltiner ce primordial mensonge de l’amour maternel qui vous raconte la vie gentil conte de fée, de sa voix doué vous berce de l’illusion jusqu’à profond sommeil plein de rêves, et au réveil, ensorceleur encore, vous console de l’histoire pas vraie en vous minaudant de pires faussetés à l’oreille. » (le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 87) ; etc. Par exemple, dans la pièce Moi aussi, je voudrais avoir des traumas familiaux… comme tout le monde (2012) de Philippe Beheydt, Eddy, le « père » fictif d’Édouard, imagine pour son « fils » une relation homosexuelle avec Michael, un camarade de cour d’école.

 

Le matriarcat qui rend le héros principal homosexuel peut parfois être porté par la « fille à pédés », la meilleure amie, la tante, ou bien la courtisane post-pubère soucieuse de tester son pouvoir d’attraction sur les garçons : « Tu sais Bruno, ça ne me dérange pas que tu sois homosexuel ! » (Christiane, balançant arbitrairement dans la boîte Number One cette présomption à son ami Bruno, d’une part afin de prêcher le faux pour savoir le vrai, et d’autre part afin de se servir de la beauté physique de ce pote comme appât pour s’attirer un mec pour elle, dans la pièce Célibataires (2012) de Rodolphe Sand et David Talbot) ; « Ah non mais attends, j’suis pas gay ! » (Bernard, le personnage homo qui fera plus tard son coming out à sa meilleure amie Donatienne qui l’insiste régulièrement à cracher le morceau, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Si j’amenais un homme de Gomorrhe à Sodome… » (cf. la chanson « Ma robe » d’Élodie Frégé) ; « T’es ma fofolle à moi ! » (Alice à son meilleur ami homo Fred dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) ; « Cette fois, c’est toi qui te maquilles, les faux cils et les talons aiguilles. Faut qu’c’ait l’air de te plaire. » (cf. la chanson « Un Garçon facile » d’Élisa Tovati) ; « Je serais si heureuse si tu devenais un pédé ! » (Tante Ida à son neveu Gator, dans le film « Female Trouble » (1975) de John Waters) ; « T’es rien qu’un fils de pute. Et ta mère, elle fait le trottoir. » (une camarade de classe à Franck, un garçon qu’elle traite de pédé, dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Olivier jette quelques coups d’œil rapides vers son ami, il ne peut pas s’en empêcher. Au bout d’une demi-heure environ, il se rend compte qu’Alice l’observe. Depuis quand le regarde-t-elle ? A-t-elle compris quelque chose ? Les femmes sont plus rapides que les hommes pour décrypter les signes. Olivier se sent comme pris sur le fait, il n’ose plus fixer autre chose que ses feuilles de cours. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 92) ; « Tom et Jerry sont un couple gay. » (Veronika face à deux garçons qui la draguent elle et Nina en boîte, et qu’elle cherche à mettre mal à l’aise pour les mettre à l’épreuve de sa drague de femme fatale, dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky) ; « S’il ne le sait pas, moi, je le sais ! » (Sibylle par rapport à Nelligan Bougandrapeau, le présentateur télé homo, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « Votre virilité aurait-elle subi des dommages après moi ? » (Merteuil s’adressant à Valmont, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller) ; « En fait, en tant qu’homme, tu sers à rien. » (Ninon s’adressant à Stan, l’hétéro, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Le Secret d’Antonio » (2008) de Joselito Altarejos, Antonio, à 15 ans, tombe amoureux de son oncle Jonbert ; sa meilleure amie, Mike, est en faveur de son coming out. L’homosexualisation du héros gay par la Lolita allumeuse est parfois le signe d’une vexation féminine de ne pas séduire facilement tous les hommes… Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton, en tant qu’assistant à domicile de personnes âgées (ergothérapeuthe), va faire des ménages chez Olga, une grand-mère qui passe son temps devant la télé et l’initie aux jeux télévisés. Celle-ci veut absolument le caser avec une femme, et tente même de le séduire, en maintenant avec lui une relation fusionnelle (elle l’appelle « mon chéri »). Dans le film « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung, Kisuki est poussé au suicide parce que sa « première fois » avec Naoko, sa copine, se révèle désastreuse : cette femme lui fait croire à son impuissance sexuelle. Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, le héros homosexuel raconte qu’il a croisé une femme dans la rue qui l’a ignoré. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, se prend plusieurs fois des vents de la part des femmes fatales de son entourage (« Toi, tu danses comme une fille. Je ne veux pas danser avec une fille. » dira Pilar, la belle Andalouse qui décline l’invitation de Guillaume à danser avec lui), soit parce qu’elles ne le considèrent pas comme un homme, soit parce qu’elles le traitent d’homo (sa mère en premier lieu ; ses tantes en second), soit parce qu’elles le torturent (Ingeborg dans le centre de thalassothérapie). Dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Stella, l’héroïne lesbienne, traite Prentice de « Sissy », juste parce qu’il fait des mouvements de danse sur la plage. Dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage, le père de Jean-Charles dit qu’il est devenu homo parce qu’il a été envahi par les femmes. Dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, le narrateur est élevé par des femmes : sa mère, sa nanou, etc.

 

Pour en revenir à la mère, je pense qu’elle ne veut pas tant faire de son enfant une fille (s’il est né garçon) ou un garçon (si elle est née fille), un gay ou une lesbienne, qu’un être asexué (tout-puissant et désincarné), un objet sacré pouvant être vénéré, consommé, mutilé. « Tu aimes les bijoux, hein ? Prends ça aussi. Et le collier. Tiens, tiens, ne me remercie pas. […] Tu aimes l’argent, hein ? » (Evita à l’infirmière dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « L’idéal d’la féminité, c’est d’être née avec du blé ! C’est comm’ ça qu’elle’ pond’ des pédés. […] Ell’ font d’eux des efféminés. » (Cachafaz, le fils de la bourgeoise et donc de la bourgeoisie, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi)

 

Pièce Les Amazones, 3 ans après de Jean-Marie Chevret

Pièce Les Amazones, 3 ans après de Jean-Marie Chevret


 

C’est pourquoi on voit tellement de héros homosexuels qui ont une maman transsexuelle ou prostituée dans les fictions. Par exemple, dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, Marina, la « mère » de Fred, le héros homo, se trouve finalement être un homme transsexuel : « Fred, je suis ton père. » Dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, Anna, le personnage transsexuel M to F, materne Jake, l’homosexuel, comme une grand-mère : elle lui offre des chocolats, vient le visiter à l’hôpital, etc. Dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar, Esteban est le fils homosexuel d’un homme transsexuel. Idem dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, où Kevin, l’homosexuel de 17 ans, est le fils de Jenny, le chanteur trans. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Quentin, le héros homosexuel, a eu une relation avec une prostituée (Martine) avant de s’engager dans l’homosexualité. Dans le film « Little Gay Boy » (2013) d’Anthony Hickling, le héros homosexuel, Jean-Christophe, dont la mère est prostituée (de métier), découvre son homosexualité. Dans le film « Zodiac » (2012) de Konstantina Kotzamani, Peter, un jeune garçon de huit ans, est confié, après la mort subite et mystérieuse de sa mère, à un homme transsexuel M to F nommé Giofa vient prendre soin de lui, contre sa propre volonté.

 

La mère du personnage homosexuel – mais cela peut être aussi un frère ou un amant – oblige son fils à se prostituer (tout comme elle), à devenir hypersexué/asexué, à travailler pour elle tout en gardant ses distances (car ils sont en concurrence professionnelle directe !) : « Il [Maria-José] fut élevé par son frère aîné qui l’habillait en fille et le prostitua dès l’âge de six ans. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 30) ; « Change de trottoir, le mien est piégé ! Si c’est trop tard, ne reste pas figé ! Sors du trou noir ! Je fais mon métier ! J’ai peur de rien, je suis une femme pressée ! » (cf. la chanson « Une Femme pressée » du groupe L5) ; etc. Par exemple, dans le film « Miss Mona » (1986) de Medhi Charef, Mona engage Samir à se lancer dans la prostitution masculine. Dans le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, Rick s’homosexualise sous la pression d’une actrice porno qui le pousse dans les bras (ou plutôt dans le derrière !) d’un autre acteur. Dans la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, la boulangère laisse sa fille se prostituer sur le trottoir d’en face : « La rue Henri-Monnier était déserte […] Seule la jeune prostituée se tenait en face. » (p. 47) Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi, la mère offre une barrette, des bijoux, à sa fille Irina : elle l’aide à se travestir. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, Lisa maquille Laure (qu’elle pense être Michaël) en fille, en lui disant que ça lui va bien. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F explique qu’il est devenu femme-objet à cause de son meilleur ami Annonciade, travesti et prostitué aussi (« C’est grâce à elle que je suis devenue Miss Pointe-Rouge. ») et qu’il a relooké sa nièce « hideuse » Claire comme une pute pour qu’elle se fasse dépuceler sur un parking et « fasse son apprentissage de la sexualité ». Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, Irène la sœur de Bryan, le héros homo croyant, qui est une femme libérée et adultère, défend son frère autant que sa propre luxure : « Bryan, marche donc sur ce trottoir, et moi je vais sur celui d’en face. »

 

Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la prostituée, se voit courtisée par deux clients qui veulent coucher avec elle séparément. Mais elle fait tout pour les réunir pour un plan à trois :« Si vous voulez, on peut monter tous les trois. ». Au départ, le client 1 rechigne un peu, et finit par se laisser tenter : « Moi, ça me va… du moment qu’il ne me tripote pas. » Après avoir couché ensemble, les deux hommes prennent leur douche ensemble et se comparent leur bite. Rosa s’en amuse, et fait tout pour les homosexualiser : « Vous en avez fait, des folies ! J’espère que j’ai pas suscité une vocation. »
 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Le personnage homosexuel s’identifie à sa mère phallique, jadis abusée par les hommes, et qui revient, en amazone conquérante et victorieuse, se venger d’eux. Les « nouvelles femmes » (autrement dit les mères célibataires) débarquent ! Elles n’arrivent pas la fleur au fusil, et ne sont pas là pour faire de la couture : elles revendiquent une égalité identitaire avec les hommes. Et que ça saute ! « Les femmes détiennent le pouvoir ! » (cf. la chanson de Madame Mime, dans la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet) ; « Les pin-up jouent les machos, c’est la folie sous les flambeaux » (cf. la chanson « Soca-Party » de la Compagnie Créole) ; « Femme des années, mais femme jusqu’au bout des seins, ayant réussi l’amalgame de l’autorité et du charme… » (cf. la chanson « Être une femme » de Michel Sardou) ; « La plupart des femmes d’aujourd’hui sont devenues des hommes d’autrefois. Le pire, c’est qu’à ce train-là, les hommes d’aujourd’hui risquent de devenir des femmes d’autrefois. » (Dominique et Julie dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 45) ; « N’oubliez pas que pour le monde, dorénavant, je suis Madame Dubonnet. […] Je serai une Madame Dubonnet insupportable, attendez-vous à subir une tyrannie féminine sans merci. » (Cyrille s’adressant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Tu vas dans le sens de l’histoire, maman. Partout les femmes prennent le pouvoir. » (Laurent à sa mère Suzanne, dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon) ; « Quand une femme a décidé quelque chose, tout arrive. » (Anamika, l’héroïne lesbienne, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 85) ; « Je veux de vous. Je suis la société ! » (Tante Eva parlant à Anthony, son neveu homosexuel qui se sent rejeté par la société, et qu’elle essaie de caser avec d’autres hommes, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc.

 

Quand le personnage homosexuel décrit sa chère et douce maman, on a l’impression qu’il fait le portrait d’un macho ou de son propre père (cette fois féminisé) : « Ma mère, c’est Schwarzenegger dopé aux OGM ! » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Tu vas trouver sa bête mais j’étais sur le net, j’ai vu ta mère sur Chat Roulette, j’ai appuyé sur ‘next’, j’ai flashé sur sa tête, j’ai vu ta mère sur Chat Roulette. Entre deux quéquettes. […] Je l’ai vue et j’ai tout de suite compris que ma vie prenait un tournant. Je dois reconnaître un petit air de famille et se n’est pas si déplaisant. Bientôt, j’irai là où tu as passé neuf mois. Bientôt, tu m’appelleras Papa. […] Tu m’avais dit que toutes les mères étaient des princesses. La tienne est une reine. Je vais l’aimer comme ma fille, ou ma sœur, ou mon père. » (cf. la chanson « Chatroulette » de Max Boublil)

 

La mère devient le centre de la famille et prend la place du père : cf. la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (l’épisode 3 : « État secret »), le film « Pôv’ fille ! » (2003) de Jean-Luc Baraton et Patrick Maurin, le film « Ken Park » (2002) de Larry Clark, etc. Les rôles dans le couple hétéro ont été échangés par le héros homo, mais l’inversion n’a pas mis fin à la tyrannie pour autant : c’est juste le despote et son esclave qui ont échangé les masques. « Ma mère c’est mon père ; mon père c’est ma mère. » (une réplique du one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Je veux un couple comme toi et papa, où tu prends le dessus de suite ! » (Zize, le travesti M to F s’adressant à sa mère, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Je m’occupe de tout à la maison. On n’a pas besoin d’une fille. » (Laurent Spielvogel imitant sa maman qui rejette la petite copine d’un de ses fils, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Je l’empêcherai de te toucher. » (la maman de Davide, le héros homosexuel, lui parlant de son père, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; etc. Par exemple, dans le téléfilm « Prayers For Bobby » (« Bobby : seul contre tous, 2009) de Russell Mulcahy, la mère du héros gay fait totalement écran à son mari. Dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, le père de Gabriel (le héros homosexuel) n’a aucune autorité : « Elle a toujours tout régenté. » dira-t-il par rapport à sa femme. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, la mère de Joaquín est ultra-protectrice et diabolise le père devant son fils. Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le héros homosexuel, avoue que chez lui, pendant son enfance, c’est sa mère qui régentait tout. À cause de cela, son père a quitté le domicile familial. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Harge, le mari amoureux éconduit, est rejeté comme une merde par sa femme Carol, lesbienne, ainsi que par Abby, l’ex de sa femme. Il n’a que ses yeux pour pleurer.

 

Non seulement le protagoniste gay nous raconte que sa mère a pris la place de son père, mais en plus, on apprend qu’elle a tué son mari (cf. le film « Volver » (2005) de Pedro Almodóvar) et tous les associés à son sexe de « mâle ». Le personnage homosexuel a assisté au meurtre de l’homme par la femme phallique (cf. le film « Ronde de nuit » (2004) d’Edgardo Cozarinsky, le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon, etc.) : « Les voisines disaient qu’elle était devenue un homme. Elles avaient raison. Ma mère faisait sa révolution. Elle se libérait. Retrouvait sa jeunesse. Et pour cela, elle avait besoin de détruire notre monde, le centre de notre monde : mon père. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 34-35) ; « Ma mère m’a trop aimé. […] Maman me parlait toujours en mal de papa. » (cf. la chanson « Luca Era Gay » de Povia) ; « Elle s’est mise à insulter l’Innommable, comme d’habitude. » (Dany parlant de sa mère par rapport à son père, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; « Enlevez le micro des mains de mon idiot de mari. » (Tessa, la mère de Rachel l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « On fait jamais rien avec ton père, tu sais bien. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère s’adressant à lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Est-ce que je fais de la dépression, moi ? Pourtant, j’aurais de quoi, avec le mari que j’ai… » (idem) ; etc. Cet assassinat n’est pas dû à une détestation claire et directe de la gent masculine, mais au contraire à une idolâtrie, une jalousie, un fanatisme idolâtre : « Vous rêviez toutes de cet homme, et vous l’avez écartelé. » (Magdalena parlant du Prince démembré par ses groupies, dans la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet)

 

Ce n’est pas uniquement le père du héros homosexuel qui est tué par la mère. Le prochain sur la liste, c’est le héros lui-même. Elle ne le tue pas nécessairement physique : elle le châtre plutôt, le castre, le mutile, l’anesthésie, brise en lui tout désir. « Mais je garde le meilleur pour la fin, mon petit Yvon. Le produit de la dernière salve du pendu marque aussi la fin de ta propre carrière de don Juan. Grâce à ce cocktail à base de mandragore pilée, tu ne pourras plus nuire à la gent féminine. Je t’ai coupé le sifflet. C’est fini, les prouesses libertines. Tu resteras impuissant jusqu’à la fin de ta vie. Ça t’apprendra à préférer les fillettes remplies de vin aux vraies femmes de chair et de sang. » (Groucha à Yvon le « beauf », dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 267) ; « Tu m’as castré. » (Stéphane à sa copine Lili, dans la pièce Le Clan des joyeux désespérés (2011) de Karine de Mo) ; « Alors oui, j’avoue monsieur le juge : je lui ai vraiment cassé les… Ah oui mais récemment hein, des œufs sur le plat… des œufs brouillés !! C’est arrivé un soir, clak, ahhhh il a hurlé, oui… À force de répéter que j’étais castratrice, et bien voilà oui, je le suis réellement devenu. […] En lui arrachant la bite je l’ai aidé à se transformer en femme, depuis le temps qu’il en rêvait ! » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc, converti en homo, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Lui s’était, par accident, fait une irrémédiable mutilation dont on imagine la gravité, puisqu’il ne lui restait entre les jambes qu’un tout petit morceau sans rapport avec ce dont disposent même les plus indigents. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne parlant du patron du café, castré par sa femme, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 216) ; etc. La femme phallique rêve d’avoir un pénis, et est même prête à le couper à son fils pour se le coller sur elle. « Si ma baguette casse, que le grand crick me croque. » (cf. la chanson « L’Histoire d’une fée, c’est… » de Mylène Farmer)

 

Par exemple, dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, la mère de Romain empoisonne son fils gay (elle met une surdose de médicaments dans son café pour l’endormir et le tuer). Dans la pièce La Muerte De Mikel (1984) d’Imanol Uribe, la mère possessive de Mikel finit par assassiner son fils. Dans la comédie musicale Pacific Overtures (1976) de Stephen Sondheim, le spectateur entend une chanson racontant l’histoire d’une mère qui empoisonne son fils lentement et jusqu’à la mort. On retrouve la mère tueuse dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, dans la pièce Hamlet, Prince de Danemark (1602) de William Shakespeare, dans le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, etc. Dans la chanson « Bohemian Rhapsody » de Queen, Freddie Mercury chante que sa mère l’a tué : « Mama, just killed a man, put a gun against his head, pulled my trigger, now he’s dead. » Dans le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, la mère de Thomas décide de supprimer l’instance de son fils cloné quand celle-ci ne correspond pas au fils idéal souhaité et qu’elle lui désobéit.

 

Si le héros homosexuel survit à cette dictature maternelle mortifère, il y laisse en général son désir amoureux et génital pour les êtres du sexe « opposé ». À travers son homosexualité, et son engagement d’adulte en couple homo, il recherche quand même le confort douillet, infantilisant et déréalisant de la mère. Le matriarcat a vaincu, et se perpétue en lui, même si en apparence sa mère n’est plus présente au milieu des amants. Chacun des deux membres du couple homosexuel veut aimer et être aimé de l’autre comme il imagine qu’une mère aime passionnément son petit enfant : « J’avais éveillé sa fibre maternelle – c’est un trait de mon caractère, je semble produire cet effet-là chez tous les gens que je rencontre ! » (Jean-Marc décrivant son amant Gerry, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 100) La lourdeur du matriarcat semble concomitante à beaucoup de relations amoureuses homosexuelles racontées dans les fictions !

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

À force d’être entourées de femmes dans leur famille, certaines personnes homosexuelles ont pu, à leur contact, développer par réaction une homosexualité. « Aujourd’hui, toutes les femmes me font horreur, et, plus que toutes, celles qui me poursuivent de leur amour ; elles sont malheureusement très nombreuses. En revanche, j’aime ma mère et ma sœur, de tout mon cœur. » (lettre de Ernst Röhm, à 42 ans, le 25 février 1929)
 

Tout au long du XXème siècle, les mouvements féministes, en lutte contre le « patriarcat hétérosexiste », et les mouvements de libération homosexuelle ont marché côte à côte (je vous renvoie en France aux nombreux croisements entre le FHAR – Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire – et le MLF – Mouvement de Libération des Femmes)… à tel point qu’on suspecte encore les associations féministes d’être des « repères de lesbiennes ». Même si le féminisme n’implique pas forcément la défense de l’homosexualité, on voit bien qu’il est une passerelle idéale au lesbianisme, ou du moins à la bisexualité.

 

Mouvements féministes

Mouvements féministes


 

Sans forcément en avoir conscience, aujourd’hui, les personnes homosexuelles, en cautionnant leur homosexualité et le couple homo sous les drapeaux du féminisme et du matriarcat social, défendent en réalité une asexualité, une surféminité de femmes phalliques qui ne respecte pas les femmes réelles, un déni de la castration, et donc des limites du Réel. Par exemple, dans le documentaire « Mamá No Me Lo Dijo » (2003) de Maria Galindo, certaines femmes féministes et lesbiennes sont en attente de la castration des hommes ; dans le documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós, Beatriz Preciado exprime l’envie d’avoir un pénis.

 

En janvier 1958, Lacan soutient que la plupart des individus homosexuels ont connu l’inversion des identités et donc des rôles entre leur père et leur mère : « C’est la mère qui se trouve avoir fait loi au père au moment décisif. » (Jacques Lacan, « Les formations de l’inconscient », Le Séminaire V, 1998, p. 210) Et cela est confirmé par certains d’entre eux: « Je suis allé voir une psy qui a voulu me faire comprendre que je suis PD et que je considère plutôt les femmes comme des mamans ou comme un trophée. Voila la résultante. Dans mon cas, c’est la mère sur-protectrice qui a joué le rôle du père. Et les femmes qui m’ont le plus excitées étaient des femmes à poigne, fortes, des femmes qui me disent non qui me résistent, qui sont masculines dans leur façon de penser, des femmes qui renvoient de la perversité – oui c’est le mot ! – ou des femmes qui me renvoient l’image de père. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) Tout concorde pour montrer que l’homosexualité prend racine dans la politique parricide d’une mère cinématographique abusive, d’une hyène de films pornos… et parfois d’une mère biologique machiste réelle. « J’appartenais à ma mère, selon la logique matriarcale. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 14) ; « Éric est victime de la ‘revendication virile’ de sa mère, celle de posséder le pénis. Chez une femme, cette revendication est d’abord d’ordre narcissique : quand elle découvre qu’elle ne possède pas le pénis, les petites filles se sentent humiliées. La mère a tendance à ‘déviriliser’ son fils, comme si elle s’emparait de sa virilité pour son propre usage, pour devenir l’homme qu’elle n’est pas. » (Virginie Mouseler, Les Femmes et les homosexuels (1996), p. 38) ; « Je sais bien que je suis la mère d’un enfant anormal. » (Estelle, la mère de Stéphane, homosexuel, dans l’autobiographie Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014) de Paul Veyne, p. 239) ; « J’accuse aujourd’hui ma mère d’avoir fait de moi le monstre que je suis et de n’avoir pas su me retenir au bord de mon premier péché. Tout enfant, elle me considère comme une petite fille et me préfère à ma sœur, morte aujourd’hui. De mon père, j’ai le souvenir lointain d’un officier pâle, doux, presque timide, perpétuellement en butte aux sarcasmes de son épouse. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 75) ; « Au départ de presque toutes ces lamentables existences, il y a les mères. Les petites vies étriquées de ces êtres qui vivent à deux ou se contentent des sordides aventures d’urinoirs sont les résultats de la bonne éducation, les fruits de leçons trop bien suivies sur la crainte du péché, les dangers de la femme, tout ce qui fait la honte d’une religion mal comprise. Cette haine de la femme et cet excessif attachement à la mère, je les ai connus et je sais qu’ils peuvent, par instants, atteindre à la véritable névrose. Encore aujourd’hui, je ne suis pas tout à fait habitué à l’absence de ma mère et, lorsque je suis loin d’elle, je cherche à la joindre par téléphone et lui écris tous les jours. C’est elle, cependant, qui est en grande partie responsable de mon état misérable, par la façon dont elle m’a obligé à vivre constamment sous son sillage. L’opinion que je me suis formée sur les femmes, je la dois selon moi, à ma mère : elle avait un caractère si malheureux que j’en suis arrivé maintes fois à me dire que mon angoisse vient de la crainte de tomber sur une femme semblable à elle. » (idem, p. 104) ; « Le taux considérablement supérieur d’homosexualité masculine s’explique par le fait que ce sont essentiellement les femmes qui ont la garde des enfants, d’où la difficulté pour le garçon d’acquérir une identité masculine faute d’un modèle à admirer et imiter. » (Thomas Montfort, Sida, le vaccin de la vérité (1995), p. 21) ; etc.

 

Par exemple, dans l’émission 100% Politique de Patrick Buisson traitant du « communautarisme gay » sur la chaîne LCI en 2003, le romancier homosexuel Guillaume Dustan explique que l’homosexualité masculine vient du fait que les individus gays ont eu « peur de leur mère » : « Je pense que ma mère était beaucoup plus meurtrière à mon égard que mon père. Ma mère, elle voulait vraiment vraiment vraiment ma mort. »

 

L’action homosexualisante que peuvent avoir certaines mères vis à vis de leur fils ou de leur fille n’est pas tant une homosexualisation qu’une asexuation ou une inversion de sexes (ce n’est qu’après avoir été modifié dans son identité que la personne homosexuelle se posera la question de son désir sexuel) : « Je suis la dernière d’une fratrie de 3 enfants et seule fille. Ma mère m’a toujours considérée comme son ‘troisième fils’. Il en a résulté une garçonnisation volontaire de sa fille : elle m’habillait comme mes 2 frères, me faisait raser les cheveux à la tondeuse chez le coiffeur du village, disait à tout le monde que j’étais un ‘véritable garçon manqué’. Et ce travestissement de mon enveloppe corporelle était si réussi, que les gens qui ne me connaissaient pas me disaient ‘Bonjour mon garçon’. À chaque ‘bonjour garçon’, je sentais le couperet de la guillotine me tomber sur la nuque. J’avais honte de ce à quoi je ressemblais, mais je ne pouvais lutter car ma mère était violente avec moi si je tentais de me rebiffer. Alors, j’ai fini par adopter les codes des garçons : marcher comme un mec, parler comme mon père et mes frères, regarder les filles comme mon père et mes frères les regardaient, me battre avec les copains comme un vrai mâle. Il arrivait même que des filles de mon âge qui me voyaient pour la 1ère fois soient troublées par moi et tombent sous mon charme. Alors, je les séduisais. Ce travestissement a duré jusqu’à l’âge de 12 ans, âge où ma mère m’a mise à l’internat pour filles. Le jour de la rentrée, j’entends encore raisonner en moi la parole méchante et ironique dite avec un rictus moqueur ainsi qu’un léger pouffement de rire de la part du père d’une fille ‘tiens, y’a des garçons dans cet internat ?’. Là, je me suis dit ‘c’en est trop, je veux être une fille’. Quelque mois après, je suis tombée follement amoureuse de ma prof de français à l’internat. Belle femme douce, féminine et ferme. Tout l’opposé de ma mère. Et ça a été le point de départ d’une lutte tenace pour m’affranchir de la méchanceté de ma mère. Mais j’ai réussi à devenir une belle femme. Dans mon entourage, personne ne connaît mon combat et cet attrait si puissant pour les femmes. » (une amie lesbienne, Valérie, 31 ans, qui m’a écrit ce mail en 2012)

 

Par exemple, dans l’émission Infra-Rouge intitulée « Souffre-douleurs : ils se manifestent » diffusée sur la chaîne France 2 le 10 février 2015, le jeune Lucas Letellier, lycéen se disant « homosexuel », témoigne du harcèlement scolaire qu’il a subi, aux côtés de sa mère, une femme agressivement gay friendly, qui, derrière un soutien expansif, marque bien son territoire (et le fils ne s’en révolte même pas !) : « T’es toujours mon grand bébé quand même ! »
 

Autre exemple : la mère de Charles Trénet a empêché le mariage de son fils homosexuel avec la femme qu’il aimait, Monique Pointier. Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand Bonello est obsédé par le monde de la peinture : « Pourquoi cette attirance pour les musées ? Il ne l’a jamais su. » (la voix-off de la mère de Bertrand, parlant de son fils) Il rêve de fuir sa réalité pour pénétrer dans les toiles, et sa mère l’a initié à cette drogue : « C’était comme une maison de poupées. Un théâtre de marionnettes. On passait des heures devant les agneaux à deux têtes. Il était bouleversé. Nous étions en plein syndrome de Stendhal. Ivres de beauté. Il voulait vivre là. À côté. Et moi j’étais là, sans savoir quoi faire. C’est dans un musée que j’ai senti que mon fils était un homme. » (la voix-off de la mère de Bertrand)
 

L’idéal féminin de nombreuses personnes homosexuelles est une mère symbolique castratrice : « À Vienne, Gustave Klimt, à Paris, Regnault, le jeune prix de Rome ami de Mallarmé, Gustave Moreau dont c’est le cœur de la mythologie intime, à Londres Oscar Wilde et Aubrey Bearsley, en Allemagne von Stuck, en Belgique Delville, Toorop, Mellery ou Ferdinand Knopff : tous ont été obsédés par le thème de la femme destructrice. Ce ne sont qu’Hérodiades, Salomés et Judiths, que femmes thraces déchirant le corps d’Orphée ou contemplant rêveusement sa tête coupée. On retrouve, en costumes 1900, les mêmes redoutables et sataniques amazones dans les romans de l’époque : chez D’Annunzio (Il Triomfo Della Morte), chez Pierre Louÿs (La Femme et le pantin) ou Octave Mirbeau (Le Jardin des supplices). L’homme – ou ce qu’il en reste : la tête, belle, douloureuse et asexuée – est donc chaque fois la victime d’une femme et comme prédestiné à l’être par ses aspirations célestes et sa nature ambiguë. » (Françoise Cachin, « Monsieur Vénus et l’ange de Sodome : L’androgyne au temps de Gustave Moreau », Bisexualité et Différence des sexes (1973), pp. 84-85) ; « Ma mère était assez violente, peut-être plus que mon père, en réalité, et dans la seule confrontation qui, à ma connaissance, les opposa physiquement, ce fut elle qui le blessa, en lançant sur lui le bras du mixeur électrique qu’elle était en train d’utiliser pour préparer une soupe : le choc fut tel qu’il en eut deux côtes fêlées. Elle est assez fière de ce fait d’armes, d’ailleurs, puisqu’elle me l’a raconté comme on raconte un exploit sportif. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 81)

 

Il n’est pas exagéré de parler de meurtre symbolique du père ou de l’homme dans notre société. Cela n’a pas exactement à voir avec la question de la « masculinité » (ou même du « genre », cette nouvelle entourloupe idéologique trouvée par les Queer & Gender Studies pour maquiller ce meurtre castrateur de la « domination masculine » orchestrée par une société du « tout génital sans le sexuel » ; c’est pourquoi je ne suis pas complètement d’accord avec Élisabeth Badinter quand elle écrit dans son essai X Y de l’identité masculine (1992) que « les crises de la masculinité naissent dans les pays à la civilisation raffinée, où les femmes jouissent d’une plus grande liberté qu’ailleurs. », p. 25). Il s’agit plus d’une crise de la sexuation que de la masculinité. Cela dit, l’étude que mène Badinter est très pertinente par rapport au thème du parricide et de la misandrie : elle a relevé que dans les romans du XXème siècle, la figure de « l’homme qui pleure » était particulièrement récurrente. Cette tendance au massacre du cœur des hommes via l’humiliation des hommes-objets (= c’est le système des poupées vaudous) s’observe aussi dans les films et les publicités, où les hommes et les pères s’en prennent plein la figure, et sont montrés comme des gros bébés immatures. L’homosexualité sera la proposition sociale fleurie, la méthode douce, pour tuer le père à petit feu, l’air de rien. « Pour nous, les enfants, il y avait entre nos parents comme une cloison étanche. Pour moi, de onze à quinze ans, il y eut deux mondes sans communication possible. Le monde de la mère et le monde du père. Incompatibilité renforcée par la division politique : le monde de la mère gaulliste et le monde du père collabo. Mais la division politique restait secondaire par rapport à la coupure morale décidée par notre mère, veto originel et d’autant plus fort, d’autant plus paralysant qu’il n’était pas exprimé. Affreuse oppression du non-dit.[…] Je m’obligeais en moi-même à rester étranger à celui que ma mère me désapprouvait de continuer à reconnaître pour mon père. » (Dominique Fernandez, Ramon (2008), pp. 36-37) ; « J’avais intériorisé l’interdit maternel. […] Amoureux de mon père, je l’ai toujours été, je le reste. Ma mère, je l’ai admirée, je l’ai crainte, je ne l’ai pas aimée. Lui, c’était l’absent et c’était le failli, l’homme perdu, sans honneur. C’était le paria. » (idem, p. 45)

 

Par exemple, en me rendant à la projection d’un navet tel que « La Croisière » (2011) de Pascale Pouzadoux, je n’ai pas eu de mal à voir quelle mauvaise pente veulent nous faire prendre beaucoup de productions cinématographiques actuelles. Dans ce film, on ne nous montre que des hommes émasculés : entre les curés frustrés sur le point de se défroquer, les hommes qui reçoivent des bouchons de champagnes dans les couilles, les maris qui délaissent leur femme et oublient leur anniversaire, les types qui s’égarent à tout jamais dans les toilettes, les chefs qui démissionnent de leur poste (Alix dira au capitaine du bateau, Jean Benguigui, qui veut fuir son navire, qu’il « ne sert à rien »), les queutards menottés et réduits au silence, les mecs défigurés sur des civières… le tableau de la gent masculine n’est pas brillant ! Symboliquement, c’est le désir masculin tout entier qui est mis à mort. Et bien sûr, les femmes toutes-puissantes, avec plusieurs maris ou/et célibattantes, ont le dernier mot ! Le seul homme (Raphaël) qui va trouver grâce aux yeux de ces despotes femelles, et qui réussit à tirer son épingle du jeu dans le film, il sera dans l’obligation de se travestir. Mieux : de s’homosexualiser ! Hortense, au moment de tomber amoureuse de lui, conclura : « J’ai envie d’être homosexuelle… avec un homme. » On a là la démonstration par a + b d’une parfaite homosexualisation par le matriarcat !

 

Dans la pièce Desperate Housemen (2010) de Stéphane Murat, les comédiens évoquent la féminisation de la société et des « auteurs » littéraires actuels, tels que Marc Lévy ou Guillaume Musso, qui, pour leurs titres de romans, ne choisissent que des questionnements très féminins : Seras-tu là ?, Où es-tu ?, Que serais-je sans toi ?, Je reviens te chercher, etc.

 

On constate, chez les sujets homos, que l’influence maternelle dans l’affirmation future de leur homosexualité, est en général capitale. Par exemple, certains hommes gays ont été habillés dans leur enfance en fille par leur mère : c’est le cas de Gabriele D’Annunzio, Félix Youssoupov, Oscar Wilde, Federico García Lorca, André Gide, etc. « Lors de la naissance d’Oscar, lady Wilde n’a pas voulu accepter l’idée que le destin pût lui donner un autre garçon. Pour elle, ce second enfant est une fille et c’est en fille qu’elle l’élève : elle fait de lui sa compagne ; surtout, elle l’exhibe, le caresse, le guide comme une petite fille. Il n’a pas de jeux de garçon : ondulé, paré, parfumé et pur, il fait de la tapisserie. Pour lui, son père est laid, sale, débraillé, puant l’alcool. Quant à son frère Willie, il n’est qu’un vice incarné. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 75) ; « C’est ainsi qu’au plus secret de moi-même, dès mes premières années d’enfance, j’ai voulu imiter ma mère ; par instinct, mais aussi par orgueil, je me suis comporté en femme. » (idem, p. 80)

 

Le dressage castrateur ne se limite pas aux vêtements. Ce sont l’attitude, la gestuelle, la sociabilité, qui se coulent dans le moule maternaliste. « C’est elle qui souvent rappelait à l’ordre son fils lorsqu’il se servait de sa voix basse. » (Sandor Ferenczi concernant le cas d’une mère de fils homosexuel, « Le Rôle de l’homosexualité dans la pathologie de la paranoïa » (1911), cité dans l’ouvrage collectif L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 413)

 

Les mères des personnes homosexuelles sont autant celles qui habillent leur fils en fille que celles qui les force à incarner, par purisme sexiste, l’« éternel masculin », qui ne supportent pas le moindre écart de conduite appartenant soi-disant uniquement aux membres de l’autre sexe (ex : « Les garçons, ça ne pleure pas » ; « Les filles, c’est sensible et ça ne cherche pas la bagarre »), qui sacralisent la différence des sexes de manière rigide et bourgeoise : « Elle détestait particulièrement les chochottes. » (Frédéric Mitterrand en parlant de sa mère, dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), p. 89) ; « La plupart du temps ils me disaient ‘gonzesse’, et ‘gonzesse’ était de loin l’insulte la plus violente pour eux. […] Même ma mère disait d’elle ‘J’ai des couilles moi, je me laisse pas faire’. » (Eddy Bellegueule dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 30) ; etc. Et à ce titre, le jugement de Badinter « Les hommes sont plus homophobes que les femmes. » (Élisabeth Badinter, X Y de l’identité masculine (1992), p. 177) mériterait, à mon sens, d’être revu…

 

Pour continuer dans cette lancée, on observe que l’homosexualité est souvent le fruit d’une castration, d’une humiliation imposée par la maman. Par exemple, dans l’autobiographie d’Abdellah Taïa Une Mélancolie arabe (2008), Slimane, homosexuel, a été battu par sa mère, « une vieille femme autoritaire » (p. 106), durant son enfance. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, la mère de Chiron, le jeune héros homosexuel, se moque de lui et de sa « démarche » efféminée.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Cette mère incestueuse qui homosexualise, choie, et soumet, peut tout à fait être un homme, un père, ou tout simplement jouer à l’homme en s’homosexualisant. Par exemple, toujours dans Une Mélancolie arabe, Taïa se dit « protégé par un père tendre et une mère un peu sorcière. » (p. 31) Le matriarcat n’a pas de sexe ; c’est avant tout un désir machiste, incestueux, qui écoute tout mais qui n’entend rien. Qu’il soit appliqué par un homme ou femme, peu importe, finalement.

 

Il n’y a pas que les hommes réels qui pâtissent de la propagande des amazones phalliques. Le pire, c’est que ce sont aussi les femmes réelles qui sont victimes des revendications de ceux (les « féministes », les filles à pédés, les femmes lesbiennes, les mères vengeresses, les hommes et des femmes surprotecteurs) qui prétendent les défendre. Le sexisme pro-femmes ou pro-mères fait des dégâts collatéraux, et instille la misogynie dans les veines de nombreux êtres humains (futurs homosexuels ?) : « Durant ce temps, ma mère ne cesse de tisser autour de ma vie d’enfant un véritable cocon de tendresse mais se garde bien de m’élever en garçon. […] Je n’avais aucune pensée sexuelle à l’égard de l’autre sexe car, pour moi, un être féminin était neutre et je n’aurais su que faire avec lui ; toute femme, pour moi, à cette époque, était une mère. Je surpris néanmoins, un soir, à la campagne, une jeune fille qui se baignait dans un ruisseau, n’ayant pour tout vêtement que sa chemise. Je n’eus pas le courage de regarder bien longtemps et je m’enfuis chez moi pour conter, en toute sincérité mon aventure… à ma mère. C’était la première fois, au cours de mes douze années d’existence, qu’il m’avait été donné d’approcher une femme inconnue… surtout dans une tenue aussi sommaire. Ma mère me fit la morale et brossa pour moi un tel tableau physique et moral des femmes que je n’en dormis pas de la nuit : la femme, la jeune fille… êtres abjects, lâches, sans hygiène ; la nudité… quelle horreur !… surtout chez la femme, cet être perpétuellement maudit… C’est ainsi que, par suite des extraordinaires révélations de ma mère, le sexe féminin me fut à jamais interdit alors que cette même occasion aurait pu doucement me le révéler… […] Tout en me chérissant, ma mère me présentait les relations avec l’autre sexe comme un mal immoral. […] Hormis ma mère, la bonne et la cuisinière, je ne voyais jamais de femmes… et encore moins de petites filles. […] Si, dans une famille, la mère est la plus forte, les enfants se disent alors : ‘Je voudrais être une femme, pour dominer et conquérir avec ces mêmes armes.’ » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, parlant de ses premières années, à 9-12 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, pp. 76-78) ; « Mon père a eu une très mauvaise influence sur mon adolescence. Et ma sœur et moi, nous avons été élevées dans la haine du père. Par ma mère, d’ailleurs, qui nous a montées contre notre père. » (Germaine, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta)

 
S'HOMOSEXUALISER June
 

Le problème de cette agression féministe/maternante, c’est qu’elle s’annonce sous les hospices de la douceur, de la mode, de la sensibilité, de l’écoute « participative », de l’amour, de la sécurité. « Toute ma vie des femmes auront monté la garde autour de moi. » (Pascal Sevran, Le Privilège des Jonquilles, Journal IV (2006), p. 41) ; « Les garçons manqués […] sont d’authentiques casse-cou. Moi, bien au contraire, je dois rester tranquille dans mon coin et surtout ne pas remuer trop d’air parce qu’on craint toujours qu’il m’arrive un accident. […] Ma mère est inquiète […] Mon père n’est pas en reste. Quand on se promène, je ne peux pas accélérer un tant soit peu l’allure sans que je l’entende prophétiser derrière moi : ‘Tu vas tomber’, et je tombe, en effet, comme si j’avais à cœur de lui donner raison. […] On m’élève dans du coton comme si je risquais de me briser. On veille constamment à ce qu’il ne m’arrive rien de fâcheux. Et on ne cesse de me répéter que c’est parce qu’on aime beaucoup l’enfant gâtée que je suis qu’on agit ainsi. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 51-52) La mère d’enfant homosexuel n’est pas tant violente d’avoir été sciemment méchante que d’être sincère et trop aimante. C’est la violence troublante de l’inceste, celle qu’on n’attend pas étant donné sa proximité, sa familiarité, sa beauté. « La bonne mère est naturellement incestueuse et pédophile. » (Élisabeth Badinter, X Y de l’identité masculine (1992), p. 76) ; « Jocaste a-t-elle su et voulu vivre l’inceste avec son fils ? Les femmes d’aujourd’hui veulent-elles et savent-elles ce qu’elles font en prenant la première place auprès de leur enfant ? Ont-elles connaissance de ce qu’elles déclenchent ainsi chez leurs fils, chez leurs filles ? Ces femmes qui disent le plus naturellement du monde, en parlant de leur fils ‘il fait son Œdipe’, pensent-elles une minute ‘et moi je fais ma Jocaste’ ? Si Œdipe est considéré comme le modèle universel de l’homme, Jocaste ne peut-elle pas être tenue pour le mythe éternel de la femme-mère ? » (Christiane Olivier, Les Enfants de Jocaste (1980), p. 12) Une trop grande sollicitude maternelle peut engendrer plus tard une misanthropie, un rempli narcissique d’ordre sexuel (= l’homosexualité), chez le fils surprotégé : « Lorsque j’étais enfant, nous habitions un quartier appelé Marrac ; ce quartier était plein de maisons en construction dans les chantiers desquelles les enfants jouaient ; de grands trous étaient creusés dans la terre glaise pour servir de fondations aux maisons, et un jour que nous avions joué dans l’un de ces trous, tous les gosses remontèrent, sauf moi, qui ne le pus ; du sol, d’en haut, ils me narguaient : perdu ! seul ! regardé ! exclu ! (être exclu, ce n’est pas être dehors, c’est être seul dans le trou, enfermé à ciel ouvert : forclos) ; j’ai vu alors accourir ma mère ; elle me tira de là et m’emporta loin des enfants, contre eux. » (Roland Barthes, « Un Souvenir d’Enfance », Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 111)

 

Michel Schneider, dans son excellent essai La Confusion des sexes (2007), nous parle de la « politique maternaliste du non-sexe » (p. 23) que nos sociétés actuelles mettent insidieusement en place, du « maternalisme désexualisant » (idem, p. 27), celui qui nous prive de désir (du Désir) : « Les familles se structurent de plus en plus autour des femmes (en cas de séparation, l’enfant et la résidence sont presque toujours confiés à la mère). » (idem, p. 82) ; « Les mères feraient-elles des maîtres moins tyranniques que les pères ? Le pouvoir moderne serait-il moins absolu d’être exercé par des femmes ou par des hommes s’inspirant de ce qu’ils pensent être des vertus maternelles ? Mais d’où tire-t-on de l’Histoire l’idée que la politique serait une histoire d’amour, une affaire de cœur ? N’y a-t-il pas là dénégation du lien fondamental entre le pouvoir et la violence, entre la politique et la mort ? » (idem, p. 36) Éric Zemmour va le sens de Schneider quand il écrit que l’uniformisation des rapports femme-homme participe d’un même asexuation sociale à visage maternel : « Il n’y a plus d’hommes, il n’y a plus de femmes, rien que des êtres humains égaux, forcément égaux, mieux qu’égaux, identiques, indifférenciés, interchangeables. […] on suggère la supériorité évidente des ‘valeurs’ féminines, la douceur sur la force, le dialogue sur l’autorité, la paix sur la guerre, l’écoute sur l’ordre, la tolérance sur la violence, la précaution sur le risque. […] La société unanime somme les hommes de révéler la ‘féminité’ qui est en eux. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 10) ; « Le patriarcat, c’est l’accumulation des petits et grands secrets, pour se forger en dehors de la mère ; le matriarcat, c’est la transparence, la mise à mort de tous les secrets, la fusion placentaire. Comme dans tout régime totalitaire, le secret, voilà l’ennemi. L’homme finit par s’y résoudre. C’est lui qui doit guérir. Qui doit se transformer. Qui doit lier désir et sentiment, sexe et famille, pulsion et fidélité. C’est l’homme qui doit devenir une femme. » (idem, p. 47)

 

Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner, dans Le Nouveau désordre amoureux (1977), évoquent à juste titre le culte moderne non de la « Surfemme » mais plutôt du « Surhomme féminin » (p. 83). Ce n’est pas un hasard si, dans l’esprit et le discours d’un certain nombre de personnes homosexuelles, la mère est confondue avec la femme-objet macho (partiellement incarnée en la personne transsexuelle, la prostituée, ou la femme lesbienne) : « À la fête de l’Huma, j’étais à côté d’une transsexuelle, à la peau bleutée. Rapprochement inconscient avec ma mère. » (Annie Ernaux, Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), p. 42) ; « Lorsque j’ai eu 40 ans, elle m’a dit : ‘Maintenant, tu fais ce que tu veux, mais, surtout, ne dis rien à ton père, ne lui montre jamais que tu es comme ça, il va dire que c’est de ma faute, que je suis une prostituée. » (Brahim Naït-Balk citant sa mère, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), p. 89) ; « Je t’avais demandé ce que voulait dire le mot ‘pute’. Tu m’avais expliqué que c’était une femme qui se donnait aux hommes contre de l’argent. Et sans que j’insiste, tu as voulu préciser ce que signifiait puto, pute au masculin. Tu m’as dit que c’était de cette façon qu’un homme allait par plaisir avec un homme, mais qu’il devait payer. Je t’ai demandé pourquoi. Tu m’as dit que ces hommes-là étaient généreux. Je ne comprenais toujours pas. » (Alfredo Arias à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 161) ; « Tu me rappelais souvent que le premier mot que j’aie prononcé était ‘pute’. » (idem, p. 164) ; « Lito [une femme transsexuelle transformée en homme] avait fait converger toutes ses forces dans le but unique d’imiter sa mère. Dans l’intimité, il s’habillait comme elle. Il interprétait le répertoire lyrique qui avait fait la gloire de Katia. Elle acceptait volontiers cet hommage filial et le miroir qu’il lui tendait : elle se voyait plus jeune et, grâce à ce subterfuge, elle parvenait à se croire éternelle. » (Alfredo Arias, idem, p. 291) ; « J’avais seize ans quand ma grand-mère est venue voir ma première pièce représentée, avec les meilleures comédiens argentins. Une des vieilles comédiennes avait été sa maîtresse. » (Copi évoquant sa grand-mère lesbienne, dans l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » de Michel Cressole, le journal Libération du 15 décembre 1987) ; « Mamie Jeannine a divorcé lorsque mon père avait 3 ans. Elle a quitté son mari pour Jacques Larue, cet homme dont elle est tombée passionnément amoureuse. Mamie était d’une incroyable modernité ! À l’époque, ça ne se faisait pas de divorcer, ni de porter de pantalon, ou d’avoir les cheveux coupés court à la garçonne ! Mais mamie s’est toujours moquée du qu’en-dira-t-on. Elle était libre ! […] Avec mamie, on discute des heures, ‘on blague’, comme elle dit, et on rit. Des bavards invétérés ! Je l’ai convertie à la sitcom britannique hilarante ‘Absolutely Fabulous’. Une mamie branchée, croyez-moi ! D’une incroyable modernité. Parfois, on va au cinéma tous les deux. Je me souviens comme si c’était hier du jour où nous sommes allés ensemble au multiplex voir le film ‘Pourquoi pas moi’. Une comédie kitsch sur le coming out. […] Un nanar totalement oublié mais qui tient une place à part dans mon coeur tant il est lié à un moment crucial de ma vie. Mamie a adoré ! Évidemment, elle a tout compris, pas besoin de mettre des mots. Juste son regard, doux, malicieux et bienveillant, suffit à exprimer tout l’amour qu’elle me porte. Je sais qu’elle m’aime comme je suis. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, Éd. Broché, Paris, pp.36-39) ; etc.

 

L’homosexualité est bien un désir machiste peinturluré de rose, un rose souvent porté et défendu par les femmes, les mères, et les hommes faibles. « Ma mère m’a soupçonnée d’être lesbienne avant que je ne le sache moi-même. » (Lidwine, femme lesbienne de 50 ans, dans l’essai Se dire lesbienne (2010) de Natacha Chetcuti, p. 67) ; « Elle passait la soirée chez la voisine. Elle rentrait ivre avec la voisine, elles se faisaient des blagues lesbiennes ‘Je vais te bouffer la chatte ma salope’. » (Eddy Bellegueule à propos de sa mère, dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p.66). Et ce désir machiste n’est pas réellement sexué, puisqu’il concerne aussi les femmes lesbiennes, niées dans leur féminité et masculinisées, quelque part : « Nous autres voulons dans notre folie faire de la femme un instrument de pensée logique, nous lui apprenons tout ce qui est possible. Je trouve cela catastrophique. Nous masculinisons les femmes de telle sorte qu’à la longue la différence sexuelle et la polarité disparaissent, que nous voulions tant les masculiniser qu’avec le temps la différence entre les sexes, la polarité disparaîtra. Dès lors, le chemin qui mène à l’homosexualité n’est pas loin. Nous masculinisons également trop notre jeunesse. Il est catastrophique qu’un jeune soit raillé au-delà de la normale parce qu’il est amoureux d’une fille, que pour cette raison on ne le prenne pas au sérieux, qu’on le prenne pour un faible. ‘Il n’y a que des amitiés de garçon. Ce sont les hommes qui décident sur terre’, lui dit-on. L’étape suivante, c’est l’homosexualité. J’estime qu’il y a une trop forte masculinisation dans l’ensemble du mouvement[nazi], et que cette masculinisation contient le germe de l’homosexualité. » (Himmler, cité dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, pp. 260-263) ; « Je suis arrivée au pensionnat à l’âge de 14 ans. J’étais très naïve. Et je me suis retrouvée très tôt face à ces problèmes. Et j’ai été choquée. Il ne se passait que ça autour de moi, et je ne voulais pas le voir. Et j’en étais choquée. Depuis la surveillante qui couchait avec la surintendante, jusqu’aux élèves qui partageaient ma chambre, il n’y avait que ça autour de moi. » (Germaine, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 
 

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Code n°158 – Scatologie (sous-codes : Pipi / Caca)

scatologie

Scatologie

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

« Caca ?? Oh quelle horreur !!! ». C’est justement la réaction que je n’attends pas de vous, chers lecteurs, face à ce code pipi/caca, qu’on a tendance à dénigrer, à tourner en ridicule ou en blague graveleuse, à étouffer avec nos émotions, avant même d’avoir compris qu’il s’analysait. Parler de matière fécale n’est ni merdique, ni affreux, ni sale, ni suspect, ni « mal ». Le mot n’est pas la chose, ni même le goût de la chose.

 

Je définis souvent le désir homosexuel comme la peur d’être unique, donc la difficulté à accepter son propre corps… ou son corps propre (ça marche dans les deux sens !) c’est-à-dire non-sale. Avec l’omniprésence de la scatologie dans les fictions traitant d’homosexualité, on est au cœur de cette problématique de l’unité. La régression au stade infantile de l’analité, avant d’être jugée moralement « choquante », « ultra minoritaire » (comprendre « insensée » pour les gens de mauvaise foi), ou « intentionnelle » (comprendre « géniâââle » pour l’élite bobo), dit simplement chez la majorité des personnes homosexuelles – y compris celles qui sont très propres sur elles, qui se disent « hors-milieu », et qui haïssent la grossièreté ou la saleté ! – , un éloignement du Réel et du corps. Dites-vous une chose : au-delà des intentions et de l’humour, quand on se fait chier ou quand on fait chier ses personnages, c’est que vraiment, au bout du compte, on se fait beaucoup plus chier qu’on n’imagine ! La scatologie, ce n’est pas autre chose que l’expression voilée et innocemment désespérée de l’ennui.

 

Il existe dans l’usage de la scatologie une revendication légitime du droit à connaître les merdes de l’existence. Certaines personnes homosexuelles demandent en effet à la société surprotectrice qui les a gavées pourquoi, depuis leur enfance, elle leur a barré l’accès à la merde (mort, privations, risques, efforts, combats, interdits, rappel des limites et des manques, etc.), celui qui leur aurait permis de comprendre que la vie est plus forte que la mort, qu’elle a un sens, et que ce sens est beau. Arrivées à l’âge adulte, leur quête de la merde se fait alors plus autoritaire… et s’exprime parfois radicalement par le désir de la produire elles-mêmes et de la goûter ! (on appelle cela la coprophagie) Sans aller jusqu’à ces extrêmes, et quand leur esprit romantique impose la décence et le refus de la saleté, elles en restent généralement à la frontière du fantasme de merde légèrement actualisé (humour « pipi caca » ou « en dessous de la ceinture », saleté couplée paradoxalement à une scrupuleuse coquetterie, focalisation sur le porno, grossièreté langagière, dépendance au sexe et aux drogues, etc.).

 

À travers le traitement de la scatologie, les personnes homosexuelles désirent finalement montrer la merde qui se cache derrière le maquillage social (c’est pourquoi elles présentent souvent la blancheur comme perdue ou trompeuse), signaler que ce maquillage est lui-même de la merde, ou que la merde proprement dite n’est pas plus méprisable que celui-ci puisqu’elle peut embellir et dissimuler une réalité sociale jugée insupportable.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Blasphème », « Humour-poignard », « Éternelle jeunesse », « Haine de la beauté », « Adeptes des pratiques SM », « Chiens », « Train », « Obèses anorexiques », « Homosexualité noire et glorieuse », « Cannibalisme », « Vampirisme », « Mort », « Parodies de Mômes », « Artiste raté », à la partie « Chocolat » du code « Bonbons », et à la partie « Kitsch » du code « Fan de feuilletons », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) L’Éloge homosexuel mi-ironique ni-sérieux de la pisse et de la merde :

 

B.D. "P'tite Blan" de Blandine Lacour

B.D. « P’tite Blan » de Blandine Lacour


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, cela pourra surprendre, mais il y a énormément d’occurrences au pipi et au caca : cf. le film « Kakaphony » (2007) de Ricardo Rojstaczer, le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, le film « The Dead Man 2 : Return Of The Dead Man » (1994) d’Aryan Kaganof, la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval (avec la référence au caca), la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard (avec la référence au caca), le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (proposant un spectacle de Chantal Goya version scato, avec Mr Trouducou et Mr Vomi), le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec la référence à la pisse), la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, le film « Aids Conference Cocksucker » (2009) de Charles Lum (se déroulant dans des toilettes), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec le vomi), le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec le duo efféminé Sulky et Sulku), le one-woman-show Nana vend la mèche (2009) de Frédérique Quelven, la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon, la chanson « Piss Factory » de Patty Smith, la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre, le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « Urinal » (1988) de John Greyson, le film « O Fantasma » (2000) de João Pedro Rodrigues, le film « World And Time Enough » (1994) d’Éric Mueller, la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, les poèmes « Polvo », « (Estado y soledad) » et « Nelson Vive » de Néstor Perlongher, la chanson « Un Enfant de la pollution » de Ziggy dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec l’artiste faisant pipi sur sa toile), le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, la pièce Ubu Roi (1896) d’Alfred Jarry (avec le « Merdre ! » d’ouverture), la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg, le film « Je t’aime moi non plus » (1975) de Serge Gainsbourg (avec les éboueurs homosexuels Krassly et Padovan), le film « Les Nuits fauves » (1991) de Cyril Collard, le film « Gespenster » (2005) de Christian Petzold (avec l’éboueuse lesbienne), la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, la pièce Loretta Strong (1974) de Copi, la pièce Démocratie(s) (2010) d’Harold Pinter (avec des scènes de coprophagie), la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz (avec la merde de chien mise sur le paillasson suite à un PaCS), le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic (avec la scène de diarrhée de Rocco), la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet (avec les rouleaux de PQ marrons de Marcel), etc.

 

Film "O Fantasma" de João Pedro Rodrigues

Film « O Fantasma » de João Pedro Rodrigues


 

Il n’y a qu’à prêter l’oreille à ce que disent les héros homosexuels pour voir la place prédominante que prend la scatologie dans les créations artistiques homo-érotiques : « Ça sent le vomi, ici ! » (Jean, l’un des héros homosexuels de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Maintenant, avec tous les étrons qu’on déverse dedans, elle [« el Riachuelo », la rivière autour de laquelle est construite la ville de Buenos Aires] a une vraie couleur de merde. » (Luisito dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 225) ; « Chaos, chaos, ca, ca, ca, ca, ca… » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; « Je ne veux pas me laver. » (Irina dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « J’aime la salade, le caca, et le poisson. » (Érik Satie dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Elle a une bonne odeur, cette glaise. […] Il y a du plaisir à devenir de la bouillie. » (Luca, le héros homo du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 13) ; « Vous tenez à cette crasse. Elle fait partie de vous. » (le narrateur parlant de lui-même en se vouvoyant, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 172) ; « J’arrive escorté de mouches. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Des geysers de vomi et de merde… Qu’est-ce que je fous ici ? » (idem) ; « Je faisais caca. » (Benjamin, l’un des héros homosexuels, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Moi, la merde, justement, ça me connaît. » (André, homosexuel, dans l’épisode 369 de la série Demain Nous Appartient diffusé 2 janvier 2019) ; etc.

 

Certains personnages gays et lesbiens, alors qu’on ne s’y attend pas du tout, nous offrent des grands moments de poésie : « Si je ne lève pas le cul, je vais me faire caca dessus. » (Bernard, le héros homosexuel de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Attends : j’ai envie d’aller aux toilettes. » (l’un des héros de la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Je vais aux toilettes. » (Evita, l’héroïne de la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Oh, j’ai lâché un pet ! Pourvu qu’ils m’aient pas entendu ! […] Je vais me chier dessus. Je peux pas me retenir. » (un des personnages de la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi) ; « Sur vos tombes, j’irai cracher. Chacun, je les souillerai de mes déjections de pédé. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Excusez-moi, il faut que j’aille chier. Pardon… que je me repoudre le nez. » (la mère jouée par le travesti M to F David forgit, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; « Je vous couvre de caca ! » (Philippe, le héros homosexuel de la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, Smith, le héros homosexuel, marche sur une merde ; un peu plus tard, il fait à nouveau preuve de vulgarité scatologique (… et misogyne) : « J’ai envie de pisser comme une femme enceinte. » Dans le film « Como Esquecer ? » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, Antonia, l’ex de Julia, est traitée ironiquement de « poubellologue ». Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, la membre du jury Mlle Rebecca Lynn réclame sans cesse « sa pause caca » : « T’as aussi besoin de chier un bon coup. » conseille-t-elle à un de ses collègues. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, le puissant poison offert par Dargelos à Paul est une boule qui a exactement la forme d’un étron déféqué : « Tous se taisaient. Cette boule imposait le silence. Elle fascinait et répugnait, à la manière d’un œuf de serpent qu’on croit formé d’un seul reptile et où l’on découvre plusieurs têtes. Elle répandait une grande odeur de peste et de géranium. » Dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, le spectateur trouve son compte question scato : Prentice, le jeune auto-stoppeur, dans un show de danseur, doit pisser sur scène comme un geste « artistique » commandité par son chorégraphe ; et Dotty, l’héroïne lesbienne, chie dans le bidet du père de Prentice pour se venger de son soi-disant « machisme ». Dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau rentre dans la peau d’un homme-adulte, Jeanjean, qui déblatère ses délires scatologiques : il joue avec ses excréments et en fait des petits personnages (par exemple, il a sculpté un Louis XIV en caca). Un autre des personnages que joue Bénureau est un gars homosexuel qui, au moment de faire l’amour avec son amant, lâche une caisse : « Dans le canapé, j’ai fait un pet. » Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Marie-Ange chante la nécrophilie et la scatophilie. Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Max, le héros homo, décide de porter un rouleau de papier toilette autour du cou, en guise de collier. Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, c’est quand Michel, en couple avec Charlotte, et l’amant secret de Mélodie, se retrouve aux toilettes que le couple lesbien Charlotte/Mélodie se forme dans la cuisine. Et un peu plus tard, quand il flâne dans la rue, il marche dans une crotte de chien. Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, du cercueil du père de Vanessa, mais aussi de Vincent et Nicolas, les deux frères et amants homosexuels, surgit un gros pet : « Papa pète encore. C’est vrai qu’il a toujours aimé péter. » Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, c’est au moment où Thérèse « flashe » sur Carol dans le magasin de jouets où elle travaille, qu’elle se fait interrompre par une cliente qui lui demande : « Où sont les toilettes ? » pour sa jeune enfant. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), Kelly et Yorkie, les héroïnes lesbiennes, découvrent leur homosexualité dans les toilettes de la boîte. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques vante la « baise dans les chiottes » : « Que ça pue la pisse, franchement, on s’en tape ! ».

 

Sans en avoir trop conscience, le héros homosexuel affiche qu’il se prend pour de la merde : « Moi, si je me mets à nue, je peux faire une pub pour Action Contre la Faim. Avec des mouches autour des yeux. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014).
 

Par ailleurs, beaucoup plus trivialement, l’identification du héros homosexuel à une merde traduit une homophobie, en général exprimée entre personnes homos ou entre (futurs) amants : « Pauvre merde. » (Barthélémy Vallorta, le héros homo, s’adressant à son amant Hugo Quéméré, dans l’épisode 441 de la série Demain Nous Appartient diffusé sur TF1 le 12 avril 2019)
 
 

b) « Ceci est mon caca, livré pour vous. Ceci est ma pisse, versée pour vous. » (l’androgyne)

Dans les fictions homosexuelles, la merde est en général magnifiée en étant juxtaposée à la beauté plastique, au confort bourgeois, à la préciosité artistique, à l’humour camp. Et pour le coup, elle sera niée par un procédé stylistique très apprécié des créateurs homosexuels : l’inversion. « Eh oui ! Même Marilyn faisait caca. Ça casse le mythe. » (Lourdes, l’actrice obèse déguisée Marilyn Monroe, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « La Mylène, elle est pure ! Elle fait pas caca ! » (Tom, le fan de Mylène Farmer, dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil) ; « Son visage et ses beaux cheveux blonds étaient couverts d’excréments. » (cf. la description de la belle Truddy dans la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 33) ; « Suppôt de Satan ! Étron de Belzébuth ! » (le Père 2 s’adressant à son futur gendre, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; etc. Par exemple, dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, on assiste à une scène de diarrhée épique dans laquelle Saint-Loup, le couturier homosexuel pourtant très précieux et sophistiqué, pète et chie comme un gros porc dans ses latrines. Dans le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, on nous montre l’ange qui défèque. Dans le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar, la jolie chanteuse de cabaret, Yolanda, est filmée en train de chier dans les toilettes d’un appartement en bazar. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, tous les personnages misent sur leur apparence extérieures distinguée… pour finir par la détruire par la grossièreté : par exemple, Jules, l’écrivain homo dandy, se met à jurer comme un charretier, en gratifiant le public de gros mots ; Lucie, la diva-chanteuse gracieuse chante « Va chier !! ». Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Jonathan, le héros homo qui se dit pourtant ultra-maniaque, très sensible aux odeurs (il veut toujours avoir une haleine fraîche), se place en spectateur de latrines de son amant Matthieu qui prend sa douche à côté de lui (ce dernier lui fait la remarque qu’« il a fait caca rapidement »). Jonathan prie pour que, suite à son passage aux toilettes, « il n’y ait pas d’odeurs ».

 

Le caca et le pipi, à force d’être mentalement poétisés, finissent, grâce à la métaphore gastronomique filée du chocolat ou de la friandise, par perdre leur puanteur et leur caractère repoussant. Certains héros homosexuels prétendent même les ingérer et les boire avec délectation ! : « Ses lèvres – je veux dire son anus – [étaient] semblables à un beignet au chocolat » (la description de Majid, l’homme-pipi des toilettes publiques, dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 83) ; « En attendant que ça vienne, je triturais mon petit robinet, le recouvrant de la peau des pruneaux ou au contraire l’étirant comme une guimauve. » (le narrateur de la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 13) ; « Terrorisé, je m’imaginais prisonnier comme une guêpe dans la main d’un géant, Neptune coprophile régnant au fond de la fosse. » (idem, p. 11) ; « Sers-le-nous [le Rat] avec une sauce que tu feras avec ton urine et les excréments battus à la neige ! » (la Reine à la Princesse, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Vidvn, qui était de toute évidence ivre, criait pipi ! caca ! en riant et se soulageant sur Mimile qui suçait ses excréments et son urine. » (le rat Gouri, le narrateur du roman La Cité des Rats (1979), p. 110) ; « La jeune prostituée pissait sur le trottoir (pour ce faire, elle avait soulevé sa mini-jupe en lamé, elle n’avait même pas de caleçon, le petit caniche léchait son urine dans le caniveau). » (cf. la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, p. 51) ; « La grande Allemande était comme en état de ravissement. Elle sentait la chaleur de cette pisse de femme qui coulait sur sa bouche, et le goût aussi, puisqu’elle entrouvrait de temps en temps ses lèvres pour en boire un peu, avec sa langue, comme si elle lapait. Elle faisait aussi de petits mouvements de succion, en la reniflant comme une animale. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 108) ; etc. Par exemple, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, la mousse au chocolat que le couple homosexuel déguste est comparée à un saladier de merde.

 

Les excréments sont à ce point déshumanisés par l’art et les intentions qu’ils placent le personnage qui les a produits (souvent l’androgyne, le transsexuel, ou l’enfant asexué) en Créateur tout-puissant égalant Dieu, et ayant l’honneur de siéger sur le trône « sacré » des toilettes : cf. le roman Notre-Dame des Fleurs (1944) de Jean Genet (où scatologie et spiritualité sont catalysés par le personnage mi-prostituée mi-christique de « Divine »), le film « Pink Flamingos » (1972) de John Waters (avec le travesti « Divine » avalant des crottes de caniche), la nouvelle « Adiós A Mamá » (1981) de Reinaldo Arenas, le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, etc.

 

Les toilettes se transforment en sanctuaire : « Elle passa sa nuit sainte dans les latrines. » (cf. le poème « Les Premières communions » (1869-1872) d’Arthur Rimbaud) ; « Il croit qu’il est devenu Jésus-Christ et il trouve normal que les bonnes sœurs viennent le changer quand il pisse sur lui ou lui donner de la nourriture d’enfant à la petite cuillère. Il a les stigmates dans les mains et les pieds que les bonnes sœurs nettoient bien à fond avec de l’alcool et couvrent de gazes. » (le narrateur homo parlant de son amant Pietro, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 94) ; « Le trottoir, c’est mon Royaume ! Sur le trottoir, je suis née, la pissoire c’est mon Palais. » (Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Fut un temps, j’étais Dame Pipi. » (Marina, la mère du héros homosexuel Max, dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; etc.

 

Par exemple, dans la chanson « Toi jamais toujours » d’Étienne Daho, il est question d’une « pissotière sacrée ». Dans le roman La Cité des rats (1979) de Copi, le caniche et le fox-terrier pissent contre l’autel de la Sainte-Chapelle (p. 86). Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar explique à son amant Khalid que le pipi aurait des vertus curatives (il accélèrerait la cicatrisation des plaies) ; Khalid demande alors très sérieusement à Omar s’il peut pisser sur lui pour le guérir, et ce dernier accepte, comme un magnifique geste d’amour salvateur.

 
 

c) Pisse & Love :

Film "La Mauvaise Éducation" de Pedro Almodovar

Film « La mauvaise éducation » de Pedro Almodovar


 

Justement, venons-en à « l’amour » ! Parfois, la scatologie est présentée par les personnages homosexuels comme la manière idéale d’exprimer la sensualité homosexuelle, la beauté de l’union génitale entre semblables sexués, la fougue naturelle et violente des passions : « Nous sentions la sueur, nous sentions la pisse, nous sentions le foutre et la merde. » (Pretorius, le vampire homosexuel de la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Le petit François se mit à pisser sur le petit Ludovic. » (cf. la nouvelle « Une Langouste pour deux » (1978) de Copi, p. 81) ; « Par la passion et par le travail qu’elle avait fait entre mes fesses, mon endroit s’était éveillé à des chaleurs inattendues. N’ayant jamais été si bien traitée, cette voie se mit à me procurer des sensations aussi inconnues qu’étranges, proches de celles que j’éprouvais habituellement seulement avec mon ventre. […] Elle me mit dans les fesses son doigt le plus petit qu’elle avait préalablement mouillé. Je m’aperçus qu’en faisant cela elle comblait chez moi comme un manque, et que le travail qu’elle avait fait avec sa bouche appelait cet achèvement. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 67) ; « J’aime une femme pas lavée, plutôt sale même. Lorsqu’elle est lavée, tout son meilleur est parti. » (idem, p. 72) ; « Marie fut prise d’une envie pressante. La bonne ayant le même besoin, j’en fus prise à mon tour. J’ai remarqué que souvent lorsque qu’une commence toutes suivent. Nous restâmes assez groupées malgré la situation, et c’est presque côte à côte que nous dûmes nous satisfaire, en camarades, comme dans ma jeunesse quand, avec des filles de mon âge, nous le faisions sans malice. Riant de bon cœur, nous pissâmes, puis, soulagées, nous reprîmes notre route. » (Alexandra, Marie, et sa bonne, op. cit., p. 114) ; « La chasse d’eau, c’est mon éjaculation. Dès qu’un beau gosse me sort sa jolie queue molle et commence à la manipuler, je gicle. […] J’aime qu’on me frappe, qu’on me pisse dedans, qu’on me chie dessus, que le sperme asperge l’émail de mon palais. Surtout quand les mecs ont la chiasse. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 82) ; « Quant à moi, rien ne me fait jouir de la chasse comme un beau pet tonitruant émis à contretemps, suivi d’un long étron qu’on largue en plein milieu du trou dans un clapotement vif éclaboussant les fesses d’un conspirateur heureux de sa délivrance. » (idem, p. 86) ; « Majid rapplique et s’enferme avec moi. Il ouvre au maximum la fermeture éclair de son bleu sous lequel il ne porte aucun sous-vêtement. Il sort son tuyau, active sa pompe et me lèche consciencieusement toutes les coulures encore tièdes, en compressant sa queue brûlante contre le marbre froid de mes cloisons. » (la description de Majid, l’homme-pipi des toilettes publiques, op. cit., p. 83) ; « Je veux manger vos excréments. » (Valmont s’adressant à Merteuil, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc.

 

Il est courant qu’homosexualité et scatologie s’agencent symboliquement. Par exemple, dans la pièce Arlequin, valet de deux maîtres (2008) de Goldoni, le travestissement et le changement de sexe sont associés au caca. Dans le film « Les Meilleurs amis du monde » (2009) de Julien Rambaldi, la scène des toilettes laisse imaginer l’espace d’un instant une aventure homosexuelle entre Max (Marc Lavoine) et Jean-Claude (Pierre-François Martin-Laval) : « Fais pas ta chochotte ! » dit Max avant d’installer de force son ami sur la cuvette de ses nouvelles chiottes High Tech. Dans la pièce Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, le personnage de Cosette (joué par un comédien homme) affirme vouloir être proctologue plus tard. Dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, le jeune protagoniste aime regarder les ouvriers de la fabrique de tuiles se baigner dans la rivière ou pisser (p. 15) : cela provoque en lui un émoi homosexuel précoce.

 

Cependant, une fois passé le fantasme amoureux ou littéraire, l’engouement scatologique et urophile du héros homosexuel perd assez vite sa magie et se confronte à sa propre finitude : la merde ne se ravale pas et ne se recycle pas. En toile de fond, l’éloge inversante de la pisse et du caca indique chez lui une peur inconsciente de la castration et de la sexualité : « Il y avait seulement une espèce de blessure à la place, dont dégouttait du sang, comme si on venait de lui couper son tuyau. […] J’en conclus que les pédés sont une race inférieure de gens, qui n’ont pas de queue et qui sont obligés de se cacher pour pisser comme s’ils chiaient […] » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 85)

 
 

d) Les toilettes publiques : lieu privilégié du rencard homosexuel

Film "I Think I Do" de Brian Sloan

Film « I Think I Do » de Brian Sloan


 

Fréquemment dans les fictions, les rencontres amoureuses homosexuelles ont lieu aux toilettes communes, dans des endroits sordides comme les vespasiennes, les aires d’autoroute, les parkings, les parcs, les quais désertés, les backrooms, les cabines de saunas, les lieux publics du passage furtif : cf. le film « Vacationland » (2006) de Todd Verows, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (commençant précisément par une scène de pissotière), le roman Les Silences de Colonel Bramble (1918) d’André Maurois (également dans les pissotières), le one-woman-show Betty Speaks (2009) de Louise de Ville, le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (où Robbie, le héros homosexuel, rencontre un amant dans les toilettes), la B.D. Le Petit Lulu (2006) de Hugues Barthe (avec les rendez-vous anonymes dans une pissotière), le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore (avec la scène de drague gay dans les toilettes d’un parc), le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar (Ignacio et Enrique sont surpris dans les toilettes de leur pensionnat), le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (se déroulant dans les toilettes d’une gare), le film « Mauvaises fréquentations » (2000) d’Antonio Hens, le film « Taxi Zum Klo » (1980) de Frank Ripploh, le film « Love And Deaf » d’Adam Baran (ayant lieu dans des toilettes), le film « Honeypot » (2010) de Nghi Huynh (avec la scène dans une pissotière), le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent (se déroulant entièrement dans des toilettes d’un collège), le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche (Adèle se déclare pour la première fois à une fille dans les toilettes), le film « Fucking Different XXX » (2012) de Bruce LaBruce et Émilie Jouvet, etc. Dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, la première fois que Russell et Glen se rencontrent, c’est dans les toilettes d’une boîte gay. Dans le film « Atomes » (2012) d’Arnaud Dufeys, Hugo, éducateur de 34 ans à l’internat, voit son quotidien perturbé par Jules, un adolescent provocateur, avec qui il flirte dans les sanitaires communs. Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, Marc et Engel, pourtant en couple régulier, font l’amour dans les WC d’une discothèque homo.

 

Les toilettes publiques semblent être l’anti-chambre du paradis artificiel de la drague homosexuelle : « Pourquoi les femmes vont toujours aux toilettes par deux ? » (Casimir dans la pièce Casimir et Caroline (2009) d’Ödön von Horváth) ; « Tu me parles de misère, mais est-ce que tu connais la terre ? La terre de la pissotière, tu en connais l’odeur, ma mère ? » (Lou à Solitaire, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Tes pédés, c’est des pompes à chiottes ! Des pompes à chiottes ! T’entends ? » (Vincent à Emmanuel, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 178) ; « Qui donc restaurera la mémoire des vespasiennes ? » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 56) ; « Je vais faire la seule pissotière intéressante qui reste dans le quartier, place Saint-Sulpice. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 158) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, Catherine et Chloé se rencontrent dans les toilettes, avec le désespoir similaire d’être abandonnées par les hommes. Dans le film « Ellas Se Aman » (2008) de Laura Astorga Carrera, lorsque Estella et Rosario se retrouvent par hasard dans les toilettes de l’usine textile où elles travaillent, elles sont immédiatement prises pour des lesbiennes. Dans la toute première scène du film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye, les deux amants homosexuels se cherchent des toilettes pour pisser ensemble. Dans son roman L’Armée du salut (2006), le romancier marocain Abdellah Taïa décrit ce qu’il appelle « la sexualité poétique des pissotières ». Dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, José et Ander font la première fois violemment l’amour (par sodomie) dans les toilettes, un jour de mariage. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel raconte comment il a été en galère de papier toilettes à la piscine alors qu’il avait fini de chier : « Il s’en passe des choses aux toilettes. » Un peu plus tard, le délire scato se poursuit lorsqu’il a la courante en plein séjour à New York : « Quand on dit que les gays chient des paillettes, je peux vous dire que c’était pas le cas. »

 

Plus profondément, le fait que beaucoup de rencontres homosexuelles fictionnelles (et souvent réelles !) aient lieu dans les toilettes rappelle les nombreuses confluences qui existent entre la pratique homo et les vanités humaines, l’inutilité, la nullité (l’amour homo, concrètement, « fait chier »), la laideur, l’insalubrité, l’infidélité, le libertinage, la déchéance, la prostitution, voire le viol et l’inceste. « Suis-moi aux toilettes. Si tu veux une sucette, je veux être une traînée. » (Paul, l’un des héros homos du film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « La première fois que je l’ai fait, c’était pendant la grossesse de ma femme.  Il y avait une réunion de professeurs, à New York. Ma femme ne se sentant pas bien, j’y suis allé seul. Et dans le train, j’y ai pensé. J’y pensais, j’y pensais pendant tout le voyage. Et peu après mon arrivée, j’avais emballé un mec dans les toilettes de la gare. » (Hank, l’un des héros homos du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « L’endroit le plus sûr, paraît-il. » (Harold, le héros homo parlant des toilettes… pour planquer son « herbe », idem) ; « Sur les marches qui mènent aux chiottes de la gare du Nord, je rencontre H. Il a un air triste, sa tête retenue sur ses deux mains emballées dans deux gros gants de ski, assis sur les marches. Je passe deux fois devant lui. Une première fois en allant aux pissotières. De l’ouverture à la fermeture de la gare, y a des hommes, de tous âges, de toutes origines qui se branlent lamentablement, debout, dans l’odeur de pisse et de foutre, en matant en coin les bites des autres. On dirait des puceaux, aussi fébriles que surexcités. Venir ici me désespère autant que ça me réjouit. » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 59) ; « Je parie que dès que ça sent la merde, tu bandes. » (Mike, le héros homophobe s’adressant à Johnny, le héros gay, un peu avant de le poignarder, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; « Regarde-moi ce tas de merde. » (Grand-Guy désignant un homosexuel à terre qu’il vient de passer à tabac, dans le film « Le Français » (2015) de Diastème) ; « Je fais la chasse aux pigeons dans les toilettes des gares. » (Herbert, homosexuel, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « On l’a retrouvé dans les toilettes d’un bar à Londres. » (Hall parlant de son frère homo Arthur décédé, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la mère de Guillaume, une grande bourgeoise distinguée et vulgaire à ses heures, chie devant son fils. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Jean tabasse et tue ses clients dans les toilettes de la gare.

 

La scatolophilie homosexuelle est en réalité l’homophobie. Par exemple, dans l’épisode 2 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric, le héros homo, s’est sali l’arrière du pantalon de boue, et tout le monde se moque de lui : « On dirait qu’il a chié dans son froc. » (Otis, son meilleur ami). Dans l’épisode 4 de la saison 1, il exerce le métier de « promeneur de chiens » et se plaint de devoir ramasser les crottes des 6 chiens qu’il tient en laisse. Adam, son futur amant, l’humilie pour cela : « Tu sens pas comme une odeur de merde de chien ? » Dans l’épisode 6 de la saison 1, il dit qu’« il en a juste vraiment marre que tout le monde le traite comme une merde. »
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’Éloge homosexuel mi-ironique ni-sérieux de la pisse et de la merde :

Le rapprochement des membres de la communauté homosexuelle à la scatologie ne manquera pas de nous étonner, de nous amuser, voire de nous choquer tant elle paraît, à bien des égards, insultante, puante (c’est le cas de le dire !), et hallucinante. Car si je demande à n’importe quelle personne homo de mon entourage si elle aime le caca, il y a fort à parier qu’elle me rira au nez, et qu’elle niera son appétence pour la scatologie ! « La plupart des lieux de prédilection fréquentés par les homosexuels étaient urbains, civils, sophistiqués. Le scénariste américain Ben Hecht, à l’époque correspondant à Berlin pour une multitude de journaux des États-Unis, se souviendra longtemps d’y avoir croisé un groupe d’aviateurs, élégants, parfumés, monocle à l’œil, bourrés à l’héroïne ou à la cocaïne. Les hommes s’habillaient en femmes et les femmes en homme, travestis ou non. On pouvait fouetter ou se faire fouetter, sucer, inonder de pisse ou de merde, étrangler jusqu’à un fil de la mort. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 30) La régression au stade anal (phase du développement psychosexuel de l’enfant décrite par la psychanalyse, au moment où celui-ci apprend à être propre, à se maîtriser, et à connaître les limites de son corps) n’est pas spécifiquement homosexuelle – même si elle est assez marquée dans le désir homosexuel –, et prend des formes très diverses qui n’apparaissent pas d’emblée comme repoussantes ou sales (je pense à l’humour pipi-caca, aux « blagues de cul » répétées, à l’art pacotille du kitsch et du camp, à certaines pratiques sexuelles proches de la bestialité, au voyeurisme, au fétichisme, à l’exhibitionnisme, à l’addiction au sexe et aux drogues, etc.). Il y a mille et une manières d’être scato, d’être impur, et de se justifier d’aimer la merde… même si tout cela prend l’apparence anodine et rigolote du jeu ou de l’amour.

 

Par exemple, autour de moi, j’ai des amis homosexuels, maintenant adultes, qui m’ont avoué qu’ils ont fait pipi au lit jusqu’à l’âge de 10-12 ans. Je sais que ce ne sont pas des cas isolés : « Il m’arrivait de mouiller mon lit en éprouvant le sentiment agréable que je me trouvais aux W.-C. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 76)

 

Le goût adulte pour la scatologie peut être la conséquence d’une éducation parentale où le corps et la sexualité ont été montrés comme sales, honteux, impurs, interdits, inexistants : « On se bornait à m’inciter à la pudeur en me disant ‘cache tes fesses’. Il était donc englobé dans la région qui servait aux excrétions, et comme tel assimilé à un endroit peu ragoûtant, voire malpropre, même si je venais de me laver. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 108) Par exemple, l’écrivain cubain Reinaldo Arenas raconte qu’il a vu que sa grand-mère – dont il était très proche – faisait « pipi debout ».

 

Dans leur quotidien, certaines personnes homosexuelles ont réellement des pratiques scatologiques (je ne traiterai pas ici des rapports sexuels anaux, ni de la place importante de la sodomie, et donc de l’anus, dans les coïts homosexuels masculins comme féminins… mais j’aurais pu). C’est le cas de Malcolm Lowry, qui était un pétomane apparemment doué (cf. le documentaire « Le Volcan » (1976) de Donald Brittain). Hervé Guibert, quant à lui, se souciait beaucoup de la défécation. En soirée, le peintre espagnol Salvador Dalí choquait ses amis parce qu’il s’extasiait devant la taille des excréments qu’il laissait sur la cuvette de ses toilettes. Mario Mieli, Mathieu Lindon, ou John Waters, sont d’autres personnalités homosexuelles qui se sont intéressées de près à la coprophagie. Dans les peintures de Francis Bacon, les personnages sont parfois dépeints en train de déféquer. Dans les pièces de Copi, les protagonistes passent leur temps à dire des gros mots et à s’insulter de tous les noms d’oiseaux possibles inimaginables : « Salope ! », « Ordure ! », « Connasse ! », « Traînée ! », « Garce ! », « Enculé ! », « Sale pute ! » (exactement comme on peut l’entendre dans les conversations « piquantes et amicales » de certains cercles relationnels homosexuels). On sait aussi que la fascination urophile du cinéaste italien Pier Paolo Pasolini n’était pas que cinématographique. Parmi les « installations » des sculpteurs et artistes homosexuels, on trouve beaucoup de délires scatophiles : cf. les œuvres Naked Shit Pictures, Spit On Shit, et Sperm Eaters (1995) du couple homo Gilbert and George, L’Urinoir (1917) de Marcel Duchamp, les Piss Paintings (1978) d’Andy Warhol, la photo La Chimère trois (1999) d’Orion Delain, etc.

 
 

b) « Ceci est mon caca, livré pour vous. Ceci est ma pisse, versée pour vous. » (l’androgyne)

Dans les discours, la merde est en général magnifiée en étant juxtaposée à la beauté plastique, au confort bourgeois, à la préciosité artistique, à l’humour camp. Et pour le coup, elle sera souvent niée par un procédé stylistique très apprécié des créateurs homosexuels : l’inversion. « J’adore le Carnaval, les défilés, les carrosses, les chariots décorés. La seule chose qui me dérange, ce sont les types qui viennent pisser derrière nos arbres du trottoir. » (une des trois tantes bourgeoises d’Alfredo, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 111) Le mélange beauté/crasse (ou milieu bourgeois et pègre underground) est très prégnant par exemple dans les univers de Philippe Besson (je pense surtout à son roman Un Garçon d’Italie, en 2002), Bernard-Marie Koltès, Renaud Camus, Cyril Collard, Guy Hocquenghem, Patrcice Chéreau, Pedro Almodóvar, Rainer Werner Fassbinder, Pier Paolo Pasolini, Luchino Visconti, Manuel Puig, Hervé Guibert, etc.

 

Un certain nombre d’auteurs homosexuels, qu’on voit parfois jouer les grandes bourgeoises en temps normal, ont leurs « pétages de plombs » scatologiques à leurs heures : « On a reproché à Copi d’être un écrivain sale. » (cf. l’article « Copi sidéral » de Thierry Bayle, dans le journal Le Quotidien de Paris du 6 mars 1990) En bons néo-baroques qui se respectent, ils disent être « attentifs seulement au reste » (Tamara Kamenszain, citée dans l’essai Medusario (1996) de Roberto Echavarren, p. 489) et se gargarisent de mettre en valeur des cochonneries et des noirceurs qu’ils veulent « transgressives » et « anti-politiquement correctes » : « Nous sommes à l’âge des objets partiels, des briques et des restes. » (Gilles Deleuze, Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1972), p. 51) ; « Toute écriture est cette simulation, sperme et excrément. » (idem, p. 250) ; « L’important, c’est la crotte ! » (Harvey Milk pour une publicité sur les crottes de chiens, reconstituée dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant) Par exemple, dans le documentaire « Zucht Und Ordnung » (« Law And Order » (2012) de Jan Soldat, l’un des deux vieux interviewés demande subitement à pisser, au milieu d’une séance sadomasochiste.

 

Avec eux, on est proche du détournement de la naïveté des contes pour enfants. Le camp se mêle au kitsch ; le noir au rose. Cela ne semble pas les choquer de faire surgir la violence, l’humour trash, la scatologie, « l’homosexualité noire », au beau milieu d’un monde imaginaire immaculé, très enfantin, très bourgeois, très soigné. Mais au final, tous les auteurs que je connais qui passent insensiblement dans leurs écrits du raffinement esthétique à la merde, dans un sens comme dans l’autre, expriment sans le savoir la difficulté à habiter leur corps, à le considérer comme unique et beau.

 

Fait encore plus inconcevable : le caca et le pipi, à force d’être mentalement poétisés, finissent parfois par perdre leur puanteur et leur caractère repoussant aux yeux de certains individus, qui prétendent même les ingérer et les boire avec délectation ! Alors évidemment, on peut se dire que les vrais coprophages homosexuels sont une espèce ultra minoritaire, franchement malade, qui n’existe que sur les sites très spécialisés. Mais, pour avoir à ce jour réellement rencontré dans mon entourage amical homosexuel des hommes et des femmes qui ont des pratiques sexuelles privées franchement ahurissantes (sadomasos, scatologiques, voire zoophiles) alors que de l’extérieur on leur donnerait le Bon Dieu sans confession, je suis prêt à considérer comme possibles beaucoup plus de pratiques que mon imagination ne pourrait en concevoir !

 

Film "Salo ou les 120 journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini

Film « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pier Paolo Pasolini (la merde en sauce…)


 

La coprophagie, au-delà de la répugnance qu’elle peut logiquement et majoritairement nous inspirer, rejoint symboliquement le viol ou le fantasme de viol. C’est cet aspect qui m’intéresse. Le corps se nourrissant de ses propres déchets est comme « un inceste culinaire » (cf. l’article « Superstitions » de Noëlle de Chambrun et Ignacio Ramonet, dans la revue Le Monde diplomatique – Manière de voir, spéciale « Mauvais Genres », n°111, juin-juillet 2010, p. 16).

 

Sans aller jusqu’à l’extrême de bouffer de la merde, certaines personnes homosexuelles vont, par snobisme provocateur, ou bien dans un élan angéliste très sincère (et, pour le coup, limite inquiétant…), se mettre à croire en la qualité spirituelle et transcendantale du caca : « J’ai marché dans la merde, expliqua Luisito. Avec ces nouvelles nourritures en conserve, les clebs chient des étrons en forme de santons. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 272) Elles déshumanisent à un tel point les excréments par l’art et les intentions qu’elles se donnent l’illusion qu’ils les transformeront en Créateurs tout-puissants égalant Dieu, ayant l’honneur de siéger sur le trône « sacré » des toilettes. Par exemple, dans son article « El Deseo De Pie » (1986), le poète homosexuel argentin Néstor Perlongher dit très sérieusement éprouver un « désir de merde », une « ferveur coprophagique ». Et avec son pamphlet « El Síndrome De La Sala » (1988), il prétend montrer « l’illusion de cette infinie asepsie » sociale présente sous forme de « détergents, de savons en poudre, de crèmes de coiffeuse, d’eaux sanitaires, de cires, de désodorisants » (p. 64). Son extase scatophile se pare de militantisme antisocial et de ferveur mystique ! Par exemple, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, raconte ses aventures génitales « sans affection » vécues dans les toilettes et les backrooms. Il en parle comme une entrée au couvent : « Devant les urinoirs, la Foi déguisée en vices[…]se faire baiser aux toilettes ».

 
 

c) Derrière la merde, il y a… :

Leur foi aux vertus divines de la merde ne s’arrête pas là ! Certaines personnes homosexuelles pensent aussi que le caca va leur permettre d’aimer vraiment ! que l’échange de la saleté à deux sera pur et beau ! « L’excrément est un symbole de la terre et c’était sans aucun doute l’amour malveillant de la Terre Nourricière qui m’appelait. J’eus alors le pressentiment qu’il existe en ce monde une sorte de désir pareil à une douleur aiguë. Levant les yeux vers ce jeune homme sale, je me sentis suffoqué par le désir en pensant : ‘Je veux me changer en lui, je veux être lui. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque, 1971) ; « Salvador prenait soin de moi, mais la nuit, à la bougie, je recherchais dans les coutures de son pantalon les poux, nos familiers. Les poux nous habitaient. À nos vêtements ils donnaient une animation, une présence qui, disparues, font qu’ils sont morts. Nous aimions savoir – et sentir – pulluler les bêtes translucides qui, sans être apprivoisées, étaient si bien à nous que le pou d’un autre que de nous deux nous dégoûtait. […]. Les poux étaient précieux. Nous en avions à la fois honte et gloire. […] La misère nous érigeait. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), pp. 28-29)

 

Comme la merde est utilisée à des fins politiques ou amoureuses, elle bénéficie, pour un temps très éphémère, de la couverture des bonnes intentions (Pensons aux restsroom, qui sont le nom des toilettes dites « neutres »). Mais le prétentieux voile de la campagne pro-caca ne tarde pas à se déchirer et à montrer sa vanité. Dans son essai La Littérature sans estomac (2002), Pierre Jourde dénonce sans ambages la « littérature de latrines » dans la production littéraire contemporaine, dont les auteurs homosexuels et bisexuels sont souvent les indignes porte-drapeaux : « On vilipende d’imaginaires écoles du dégoûtant. Certains continuent à se demander si l’on peut tout dire. […] Le ‘tout’ en question, dont on fait si grand cas, s’avère à la lecture n’être qu’une anodine histoire de fesses dont il est aussi ridicule de s’extasier que de se gendarmer. Certains auteurs prétendus ‘sulfureux’, ainsi que les critiques et les éditeurs qui entretiennent cette réputation, ont l’air de vivre il y a 50 ans, ils se gargarisent d’audaces cacochymes, s’étonnent du courage qui consiste à briser des interdits pulvérisés depuis des lustres. » (p. 21)

 

Qu’il y ait soulagement objectif au moment de décharger la petite ou la grosse commission, ça, tout le monde en convient… surtout quand on a dû se retenir longtemps : l’arrivée sur la cuvette est vécue comme une libération ! Mais cependant, on constate quand même que la joie de la déjection de ce qui est mort ou usé ne sera jamais équivalente à la joie du don de vie, de ce qui se recycle (l’amour, les sentiments, le plaisir, l’enfant). Sûrement que ceux qui vivent le moment aux toilettes comme un orgasme, un acte sacré, une seconde naissance, ou un enfantement, confondent au final la mort avec la vie.

 

Plus profondément, le fait que beaucoup de rencontres homosexuelles aient lieu dans les toilettes rappelle les nombreuses confluences qui existent entre la pratique homo et les vanités humaines, l’inutilité, la nullité (l’amour homo, concrètement, « fait chier »), la laideur, l’insalubrité, l’infidélité, le libertinage, la déchéance, la prostitution, voire le viol et l’inceste. La scatologie, au-delà des intentions qu’on lui prête, exprime un grand mal-être (qui ne se règle pas en s’exprimant sous des formes totalitaires), un sentiment de ne pas exister et de ne pas aimer/être aimé.

 

Photo des Femens pissant sur la photo du président Viktor Ianoukovitch, devant l'ambassade d'Ukraine à Paris, le 1er décembre 2013

Photo des Femens pissant sur la photo du président Viktor Ianoukovitch, devant l’ambassade d’Ukraine à Paris, le 1er décembre 2013


 
 

d) Les toilettes publiques : lieu privilégié du rencard homosexuel

Mais revenons à nos étrons ! Et parlons, pour finir, de la place prépondérante qu’occupent les toilettes publiques dans le mode de vie sexuelle des communautaires LGBT. Contre toute attente, on constate que fréquemment, les rencontres amoureuses homosexuelles ont lieu précisément aux toilettes, ces lieux sociaux du passage furtif, du défouloir intime : « Coco draguait jour et nuit les garçons. Son terrain de chasse préféré, c’étaient les toilettes des gares. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 15) ; « Ces ‘tasses’ restent le lieu de prédilection des invertis. C’est là que se nouent les idylles, là que l’on s’échange les adresses de rendez-vous ; c’est là aussi qu’opèrent les faux frères, les truqueurs, les faux policiers : tout y est permis puisque, en général, les victimes, par crainte du scandale, ne portent pas plainte. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 24) ; « Les pédérastes hantent les urinoirs à la recherche des émotions défendues… » (idem, p. 98) ; « Je ne savais pas encore que les toilettes publiques – les ‘tasses’, en argot gay – sont l’un des cadres traditionnels de la drague homosexuelle. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 211) ; « Je vais être obligé d’avouer quelque chose d’un peu personnel. Moi, j’ai toujours été attiré par les pissotières, par ce contact, par ce qui se passe entre des corps étrangers qui se rencontrent au départ pour uriner, et au bout de quelques secondes, de quelques minutes, ça se transforme en autre chose. J’ai toujours trouvé ça très poétique, très entraînant, et je dois avouer que ça me rappelle la sexualité enfantine de groupe que j’ai eue avant l’âge de 12 ans. J’ai pris ma retraite sexuelle à l’âge de 12 ans. Entre l’âge de 12 et 22 ans, il s’est rien passé. Et cette fascination pour les pissotières rejoint un peu ça : ce côté gentil, bienveillant, ce côté étranger et tout d’un coup on se donne l’un à l’autre, pendant un p’tit moment, et complètement dans l’interdit… Malheureusement, il n’y a plus de pissotières à Paris. » (Abdellah Taïa, le romancier homosexuel marocain, à l’antenne de l’émission radiophonique Homo Micro sur Paris Plurielle, le 25 septembre 2006)

 

Dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), le pourtant très raffiné Jean-Michel Dunand a vécu sa première expérience homosexuelle dans des W.-C. publics du sanctuaire de Lourdes (France). Et par la suite, il a fréquenté la drôle de pègre bourgeoise draguant dans les toilettes : « Le lieu m’attire irrésistiblement. Je m’y rends, je jette un regard en coin, effrayé et concupiscent, à ces hommes qui viennent se soulager. » (p. 19) Il évoque « ce feu qui le pousse à retourner dans ces pissotières malodorantes ». (idem) : « J’avais compris que les toilettes publiques situées devant la gare d’Albertville étaient le lieu de rendez-vous des homosexuels de la ville. » (idem, p. 37)

 

Par ailleurs, on sait que l’écrivain polonais Witold Gombrowicz (1904-1969) a pratiqué le sexe dans les pissotières. Quant au chanteur George Michael, il est de notoriété publique qu’il a été arrêté en 1998 dans les toilettes publiques d’un parc de Beverly Hills, et condamné pour attentat à la pudeur sur la personne d’un policier (Pour se venger de ce scandale venu entacher sa carrière, il fera une parodie de l’épisode ubuesque dans le vidéo-clip de sa chanson « Outside »).

 

 

Il n’y a pas si longtemps, les vespasiennes étaient le nom des premières pissotières que la population homosexuelle urbaine plébiscitait (elles sont arrivée à Paris dans les années 1830) ; aujourd’hui, elles ont davantage laissé place aux toilettes des discothèques, aux backrooms, aux cabines de saunas, mais elles restent toujours des endroits d’homosociabilité. D’ailleurs, Pablo Fuentes a fait une étude sur la « Culture des pissotières ». Jean-Claude Aubry, le photographe, les a même immortalisées sur pellicule, sous forme de série ! Et quand ces urinoirs publics ont été supprimés en 1980 à Paris, certains de leurs visiteurs s’en sont plaints, comme c’est le cas de François Ricard : « Les personnes LGBTIQ ne se sentent pas chez elles ou sont mal acceptées dans les toilettes différentielles. […] La répression des fonctions corporelles peut provoquer des problèmes de santé physique et de la détresse émotive à long terme. » (cf. l’article « LGBTIQ » de François Ricard, Atelier du roman (2006), n°45, pp. 13-19).

 

Au bout du compte, l’attraction homosexuelle pour la scatophilie, qu’elle soit reconnue et surtout quand elle est inconsciente, fait déprimer et cauchemarder bien des personnes homosexuelles. C’est en réalité l’absence de la différence des sexes qui leur apparaît comme une grosse merde… symbolique et parfois réelle : « Je trouve qu’un homme sent mauvais et c’est crade. […] J’ai rêvé d’un jeune homo qui était excité à côté de moi, et par haine envers lui, je lui ai parlé en tant que pervers qu’il voulait mon doigt dans son cul en le traitant de salope, et je m’exécute avec mépris, et je ressors mon doigt plein de merde avec un profond dégoût de cette situation. […] Alors c’est ça ma vie que je dois vivre, c’est ça mon chemin de vie, vivre avec des types, ressortir mon sexe plein de merde, me faire défoncer le cul. C’est comme sentir un type juste après lui ressortir des toilettes. J’ai l’impression que c’est l’acte pervers malsain qui excite. C’est ça la beauté de cette vie, de ma vie. » (cf. le mail d’un ami homo Pierre-Adrien, 30 ans, reçu le juin 2014)

 
 

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