Archives de catégorie : Dictionnaire des Codes Homos

Code n°179 – Ville

ville

Ville

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ce n’est pas un hasard si le Pop Art, art machinique par définition, soit venu par les artistes homosexuels, ni que la ville, lieu réifiant, constitue l’espace vital privilégié de la communauté homosexuelle. Toutes les Gay Pride et les infrastructures d’accueil de la population LGBT se concentrent dans la grande ville, cet endroit où la famille est mise à l’épreuve sur la durée, où les célibataires sont rois. 70 à 86% des personnes homosexuelles vivent dans des métropoles de plus de 100 000 habitants (cf. l’essai Nouveaux Marketings de Jean-Paul Tréguer et Jean-Marc Segati, cité dans l’article « Y a-t-il une culture gay ? », sur la revue TÉLÉRAMA, n°2893, le 22 juin 2005, p. 16) Le désir homosexuel semble être le produit de la société matérialiste et individualiste dans laquelle les êtres humains, au nom de la recherche boulimique de la diversité, rejette les altérités fondamentales (la différence des sexes, la différences des espaces, la différence des générations, la différence entre Créateur et créatures) pour désirer narcissiquement devenir des machines à consommer et à être consommées. Il engage au matérialisme, à l’« être objet » ou « icône vivante » éclatée, aux prétentions d’invisibilité : « Il y a des conditionnements de vie sociale matérielle : la promiscuité par exemple. On sait que l’entassement des individus dans les villes ou dans les bidonvilles favorise le péché, parce qu’elle empêche la juste distance permettant d’être soi. » (le frère Samuel, dans l’ouvrage collectif Les Attaques du démon contre l’Église (2009), p. 56)

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Milieu homosexuel infernal », « Bobo », « Fan de feuilletons », « Promotion ‘canapédé’ », « Patrons de l’audiovisuel », « Ennemi de la Nature », « Prostitution », « « Plus que naturel » », « Collectionneur homo », à la partie « Automates » du code « Poupées », et à la partie « Désir d’être un objet » du code « Viol », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

« Quand on arrive en ville, tout le monde change de trottoir.

On n’a pas l’air virils, mais on fait peur à voir. » (Starmania)

 
 

a) Urbanité et homosexualité :

Panneaux publicitaires de "Bonne Année 2014" à Montpellier (France)

Panneaux publicitaires de Bonne Année 2014 à Montpellier (France)


 

Beaucoup de films et de romans choisissent la ville pour raconter les intrigues amoureuses homosexuelles : cf. le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « L.A. Zombie » (2010) de Bruce LaBruce (montrant les coïts masculins, même entre SDF), le film « A Trip To Paris » (2003) d’Eran Koblik Kedar, le film « Expelled To Eden » (2005) d’Eran Koblik Kedar, la chanson « Berlin » de Christophe Wilhem, le film « L’Attaque de la moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « Off World » (2009) de Mateo Guez (racontant l’histoire d’un riche Canadien face à la pauvreté des bidonvilles des Philippines), la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi (avec la mise en avant du couple Paris/Shanghai), le film « La Ville des silences » (1979) de Jean Marbœuf, le film « La Ville dont le prince est un enfant » (1996) de Christophe Malavoy, le film « La Ville » (1998) de Yousry Nasrallah, le film « Giallo Samba » (2003) de Cecilia Pagliarani, le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald, le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, le film « Metropolis » (1927) de Fritz Lang, la chanson « Quand on arrive en ville » de Johnny Rockfort et Sadia dans l’opéra-rock Starmania de Michel Berger, le film « Collateral » (2004) de Michael Mann, le roman Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto d’Halmar, les romans La Ciudad Del Amor et Las Ciudades Malditas (1922) d’Antonio de Hoyos, le roman Latin Moon In Manhattan (1990) de Jaime Manrique Ardila, le film « Bus Riley’s Back In The Town » (1965) d’Harvey Hart, le film « Dad And Dave Come To Town » (1938) de Ken G. Hal, le film « In The City » (2001) de Mike Hoolbloom, les films « Fucking City » (1982) et « Fraulein Berlin » (1983) de Lothar Lambert, le film « En La Ciudad » (2003) de Cesc Gay, le film « Let’s Love Hong Hong » (2002) de Ching Yau, le film « Positive Stories » (1996) de Ran Kotzer, la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé (avec la ville de New York), le film « Victor, Victoria » (1982) de Blake Edwards, le film « Hammam » (1996) de Ferzan Ozpetek, la chanson « New York City Nineteen Fifty » du Clergyman de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger, le film « West Side Story » (1961) de Robert Wise, le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin (se déroulant au cœur de New York), le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le film « La Maison vide » (2012) de Matthieu Hippeau, le film « Ne te retourne pas » (2013) de Sophia Liu et Benjamin Blot, le film « Barcelona (un Mapa) » (2007) de Ventura Pons, le film « Pasajero » (2010) de Miguel Gabaldón, le film « Temps de chien » (2011) de Viva Delorme, la nouvelle « Le Potager » (2010) d’Essobal Lenoir (jouant sur le choc culturel entre homos citadins et homos campagnards), le roman Jours de mûres et de papillons (2013) de Marie Evkine, la chanson « I’m Throwing My Arms Around Paris » de Morrissey, le film « La Princesse et la Sirène » (2017) de Charlotte Audebram, le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, la chanson « Je marche dans les villes » de Jean Guidoni, etc. Par exemple, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat se déroule dans une mégapole intercontinentale et multiclimatique constituée de sept villes. Dans le roman Philippe Sauveur (1924) de Ramon Fernandez, Philippe, le héros homosexuel, poursuit des jeunes militaires dans les bas-fonds de Londres.

 

En général, le personnage homosexuel semble être irrésistiblement happé par la ville. Elle serait l’espace de tous les possibles, un monde sans limites : « La capitale s’offre à moi. Je prends la résolution de tout tenter pendant mon séjour pour acquérir l’expérience dont je manque. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 31) ; « Je vais en ville. J’ai besoin de la ville. Besoin de vitrines qui tirent l’œil. Besoin de gens surtout. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 128) ; « Paris que j’adore. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 100) ; « C’était magique. La ville une féerie futuriste, un feu d’artifice géant où le bleu sidéral de la voûte céleste serait étoilé par les pétillements d’un champagne de fête. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 4) ; « Avoir des amis de province… quelle horreur ! » (David, un des personnages de la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher) ; « Il ne m’a fallu très longtemps pour comprendre que je n’étais pas à ma place au milieu de tout ça… et dès que j’en ai eu l’occasion, je suis parti pour la grande ville. » (Billy, le héros homosexuel du film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver) ; « J’viens d’un p’tit village du Nord. Pédophilie, ça vous dit quelque chose ? Moi, au milieu de tout ça, j’ai compris que j’étais très sensible. Trop sensible. » (Jeanfi, le steward homo dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « Là, c’est moi. Un gars de la campagne. Un peu plus gay que la normale, mais sinon le topo classique. » (Phil, le héros homo dans le film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa) ; « J’adooore ce modèle. Très citadin. » (Maurice, le styliste homosexuel, s’exprimant face à un modèle de vêtement, dans le film « Les Douze Coups de Minuit », « After The Ball » (2015) de Sean Garrity) ; « C’est grisant, ce moment où j’ai l’impression que la ville m’appartient. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Pars avec moi à New York. » (Lena s’adressant à son amante Lena Collins, dans l’épisode 85 « La Femme aux gardénias » (2017) de Joséphine Ange-gardien) ; « Je vis toujours en ville. » (Jonas, le héros homosexuel, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; « Je suis le genre de garçon qui est monté à Paris depuis la Meurthe-et-Moselle, et qui était prêt à gravir les échelons de l’échelle sociale. » (Jacques, le héros homo, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « J’adore les capitales étrangères. Surtout la nuit. » (Peter, le héros homo, dans le film « Peter von Kant » (2022) de François Ozon) ; « Crois-moi : tout est différente à Londres. » (la mère s’adressant à son fils homo Ritchie, alors qu’ils sont issus du Pays de Galles, dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies) ; etc.

 

Par exemple, dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel s’ennuie à la campagne, et fustige gentiment le Cantal, sa région natale, parce qu’il est « perdu au fond du trou du cul du monde » : « Ses montagnes, ses campagnes, ses paysans… » Ils présentent même les autochtones comme des adeptes du « cannibalisme » : « Les gens se bouffent entre eux. » Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit, l’héroïne lesbienne, habite et idolâtre New York. Dans le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker, Freddie vole sur la ville. Dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, on découvre la fascination de la voix narrative lesbienne pour la vie citadine, cristallisée par la servante Ourdhia (pp. 50-51). Dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault, Marco, le héros homosexuel jadis provincial, vit à Paris. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, quitte sa région marseillaise pour conquérir Paris. Dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa, le personnage de Suze est présenté comme une femme 100% citadine et parisienne, qui n’arrive pas à s’acclimater à la vie champêtre. « Ben et George n’accepteront jamais de vivre à la campagne. Je les imagine mal campagnards. » (Honey parlant du couple homo Ben/George laissé à la rue suite au licenciement de George, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs) Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca se justifie de devenir matérialiste et citadin du fait qu’il vient du Nord-pas-de-calais. Il quitte sa province pour venir à Paris et devenir acteur. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel s’empresse d’aller visiter New York. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi et son amant Tareq sont tous deux très citadins et attirés par les arts, le théâtre, l’écriture. Leevi a choisi de vivre à Paris pour cette raison. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Vincent, l’un des héros homos, a dû quitter son village pour vivre librement sa « sexualité » à Paris.

 

Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, le choc culturel entre hétérosexualité et homosexualité prend la forme du dilemme entre campagne et ville : Delphine, fille de la campagne, doit choisir entre son homosexualité, qu’elle a vécue au grand jour à Paris avec Carole « la fille de la ville », et l’invisibilité hétérosexuelle campagnarde. Elle semble avoir perdu son âme à Paris : « J’ai fait des choses que j’aurais jamais pensé faire. » Carole n’arrivera pas à l’arracher à sa vie champêtre : « Quand on s’est rencontrées, t’avais l’air d’aimer Paris, pourtant… » Carole, quant à elle, affirmera son homosexualité en même temps que son attachement citadin : « À moins d’être enlevée par des extra-terrestres, je me demande ce que je viens faire dans ce trou ! »
 

La ville est même parfois considérée comme une mère : cf. le film « Mamma Roma » (1962) de Pier Paolo Pasolini, le film « L’Annonciation Or The Conception Of A Little Gay Boy » (2011) d’Anthony Hickling, etc. « La ville sait que je vais naître en elle une seconde fois. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 181)

 

Film 'L’Annonciation Or The Conception Of A Little Gay Boy" d’Anthony Hickling

Film ‘L’Annonciation Or The Conception Of A Little Gay Boy » d’Anthony Hickling


 

Quand ses intentions bobos et la bonne conscience arrivent à le faire migrer vers la campagne, le héros homosexuel louche toujours sur la ville : « J’ai fait mes adieux à la ville. Pourtant, j’ai eu du mal à la quitter. » (l’un des personnages homosexuels de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « On est à Paris, une ville individualiste. » (Jonathan, le héros homosexuel de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc. Même dans la destruction iconoclaste, il s’y enchaîne encore en désir. Un rapport d’attraction-répulsion s’établit entre lui et la ville. Le désir d’exode vers la campagne se fait d’autant plus urgent et radical qu’il est douloureux et non-définitif : cf. le roman Quitter la ville (2000) de Christine Angot, la pièce La Fuite à cheval très loin de la ville (1976) de Bernard-Marie Koltès (ce titre est un trompe-l’œil car la pièce se passe pourtant dans une ville), le film « Far-West » (2002) de Pascal-Alex Vincent, la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen (avec Tom, le citadin homo superficiel), etc.

 

Par exemple, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homo très bobo parisien, qui finira, pour des raisons professionnelles et esthétiques, par habiter à la campagne, s’est pourtant au départ bien demander ce qui serait assez fort pour l’arracher à son mode de vie de consommateur-esthète citadin : « Qu’est-ce que j’irais foutre à la campagne ? » Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, les trois potes gays Nicolas, Rudolf et Gabriel ont vraiment du mal à quitter leurs petites habitudes de citadins parisiens, et multiplient les gaffes avec leur nouveau train de vie montagnard en Autriche.

 
 

b) L’espace du libertarisme sexuel :

Vidéo-clip de la chanson "California" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer


 

En général, le personnage homosexuel est attiré par l’espace urbain : « Je viens de la campagne, où tous les habitants me sont familiers, et j’ai toujours cette faim de la diversité et du nombre. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 215) ; « Les jeunes, ils se font chier à la campagne, oui. » (Rodolphe Sand imitant une femme hétéro mère porteuse, dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « J’envie toutes les femmes que je vois dans la ville. Je les envie. Elles sont heureuses. Elles rendent leurs maris heureux. Elles vivent une vie normale, heureuse. Ils sont libres ! » (Irena dans le film « Cat People », « La Féline » (1942) de Jacques Tourneur) ; « T’as quitté ta province coincée. […] À Paris tu as débarqué. » (cf. la chanson « Petit Pédé » de Renaud) ; etc.

 

Les grandes villes seraient forcément des lieux gay friendly, sans homophobie, où l’homosexualité pourrait se vivre sans poser de problème : « Imagine. Si plus de gays habitaient dans les p’tites villes… Mais évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. » (Jonas, un témoin homosexuel cherchant à attribuer l’homophobie aux comportements soi-disant ruraux et rustres de la campagne nord-américaine, après la mort de Matthew Shepard à Laramie, une petite localité du Wisconsin, dans la pièce Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman)

 

Le personnage homosexuel (en particulier « le gay » ; moins « la lesbienne ») est présenté comme le prototype du citadin, avec la panoplie des défauts qui l’accompagne : la superficialité, la « branchitude », la fièvre acheteuse, le goût du pouvoir, la culture branchouille, etc. (cf. la chanson « L’Enfant de la pollution » de Ziggy dans l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) : « Ahmed est cool. Le gars de la ville connaît tellement de choses : tous les chanteurs populaires, les derniers tubes et toutes les nouvelles danses en vogue dans les discothèques d’Alger, alors qu’à la campagne, on fronce les sourcils sur tout genre de déhanchement, surtout sur des musiques américaines. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 42-43)

 

Comportements homosexuels et urbanisme sont souvent associés fictionnellement : « Pédépolis : tout le monde est gay, même la police ! » (une réplique d’une chanson de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Allez, Cliff. On est à Berlin. Détends-toi. Sois toi-même. » (Bobby parlant à Cliff avant qu’ils s’embrassent, dans la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall) ; etc. Par exemple, dans sa poésie « Oda A Walt Whitman » (1940), Federico García Lorca parle des « maricas de las ciudades » (traduction : « les pédés des villes »). L’expression « les tapettes de la ville » est également employée dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, et montre que l’homosexuel appartient prioritairement au monde des grandes mégapoles mondiales.

 

La ville représente l’Eldorado du libertarisme bisexuel et du progrès matérialiste/sentimentaliste, donc de la vie homosexuelle, un mode d’existence choisi par ceux qui veulent l’actualiser sans en entendre explicitement parler, sans assumer la responsabilité de leurs actes. Par exemple, dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, les deux héroïnes lesbiennes Ati et Shirin cherchent à vivre leur amour lesbien en ville (« À Dubaï, tout est possible ») pour vivre leur amour en théorie « au grand jour »… mais en réalité dans la clandestinité, l’anonymat citadin, et l’éloignement de leurs proches. Dans le film « Two Brothers » (2001) de Richard Bell, celui des deux frères jumeaux qui est homo va explorer sa sexualité dans la « grande ville ». Dans le film « Des jeunes gens mödernes » (2011) de Jérôme de Missolz, Antoine, Aurélie, Mathieu, Riposte et Sabine sont montés à paris pour y organiser des séances de tatouage sauvage dans les soirées.

 
 

c) La ville comme métaphore de la violence réifiante du désir homosexuel :

Loin de redorer le blason du désir homosexuel, la ville le désigne indirectement comme un élan idolâtre et mortifère. Souvent dans les fictions homo-érotiques, elle est le lieu de la désunion conjugale, des amours compliquées voire infernales, de la prostitution, du viol : cf. le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, le roman L’Uruguayen (1972) de Copi (avec la thématique de la ville-fantôme après l’Apocalypse), le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer, le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre (abordant le thème de la prostitution), le film « L’Homme blessé » de Patrice Chéreau (avec tous les clichés de l’homosexualité sombre et urbaine), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « Roulette Toronto » (2010) de Courtney Trouble, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, etc. « J’ai vécu dans cette ville pendant quinze ans. Mes parents se disputaient souvent, pour des choses sans importance me semblait-il. Et ces petits désaccords prenaient parfois des proportions démesurées. Je détestais les voir ainsi s’entre-déchirer. » (Bryan, l’un des héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 18) ; « Y’a qu’des violeurs, y’a que des voleurs ! » (François en parlant de la ville, dans la pièce Frères du bled (2011) de Christophe Botti) ; « S’ils existaient, il y aurait des fantômes partout dans cette ville, partout dans toutes les villes. Et Glasgow ? Un meurtre à chaque coin de rue. » » (Petra, l’héroïne lesbienne parlant de Berlin à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 36) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (2011) de Peter Fleischmann, Abram, le héros homosexuel revient de la ville « où il a fait ses cochonneries ». Dans le film « Kick-Ass » (2009) de Matthew Vaughn, Dave est suspecté d’être gay après avoir été retrouvé nu suite à une agression urbaine. Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan est le jeune héros homosexuel « provincial » qui voulait conquérir Paris et suivre son amant Jacques… mais qui déchante : « Je ne sais plus si j’ai envie de vivre à Paris… d’être homo dans cette ville. » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, lorsque Frankie propose à son amant Walt de mettre un préservatif pour faire l’amour, ce dernier, angoissé par la psychose du Sida qui a envahie la ville de San Francisco, plonge dans la mélancolie : « Faut que je me barre de cette ville. » La Ville est ici symbole de mort, de cataclysme prioritairement homosexuel. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on assiste à l’errance nocturne urbaine de Davide, le jeune héros homosexuel, dans le monde de la prostitution homosexuelle de Catano.

 

Le héros homosexuel trouve dans le désordre libertin et la décadence urbaine une occasion de s’épancher sur ses fantasmes narcissiques d’artiste maudit à la dérive : « Je m’apprête à passer des formidables vacances à Rome, j’accepte même de jouer le romantisme indispensable dans cette vieille ville entre deux coïts rapides dans un coin sombre avant d’aller boire une bière avec son partenaire Piazza Navona et lui prêter dix mille lires que vous ne reverrez plus. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 22) La ville est donc le lieu idéal de la mélancolie chorégraphiée (façon vidéo-clip au ralenti), notamment la nuit (cf. je vous renvoie au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs (avec Erik, le personnage homosexuel, marchant à la fin comme une âme en peine dans New York), etc.

 

La ville où les personnages homosexuels ont élu domicile a tout du tombeau mortel ou de la prison dorée aux barreaux invisibles : « La galerie comportait les paravents d’un jardin d’hiver qui n’avait jamais vu le jour. Paul les traîna, les déplia et s’en fit des remparts, une sorte de ville chinoise. » (la voix-off de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Les villes avaient toujours eu leurs guetteurs, tapis dans l’ombre, prêts à tirer le meilleur parti de tout ce qui pouvait croiser leur chemin. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 54) ; « Je marche dans Babel et dans ses dédales, paumé dans le grand piège cannibal. » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Urbanité et homosexualité :

Film "Shortbus" de John Cameron Mitchell (Manhattan en carton-pâte)

Film « Shortbus » de John Cameron Mitchell (Manhattan en carton-pâte)


 

Il existe très souvent une histoire passionnelle entre les sujets homosexuels et la ville : « J’ai quitté Caen pour venir m’installer à Paris. » (Bruno Wiel, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Pour Sacha, être gay dans une région rurale est avant tout synonyme de solitude. » (Peter Gehardt, en voix-off, dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; « Au village, c’est la cata. Tout le monde se connaît, mais personne n’est au courant pour moi. S’ils savaient que je suis homo, j’crois qu’ils m’enverraient bouler, parce que l’homosexualité à la campagne, c’est considéré comme quelque chose de mal. » (Sacha, jeune Allemand homo, idem) ; « Regardez-moi donc ! claironnait la capitale allemande, fanfaronne jusque dans son désespoir. Je suis Babel, la Pécheresse, la ville monstueuse entre toutes les villes. Sodome et Gomorrhe tout ensemble n’étaient pas moitié aussi corrompues, moitié aussi misérables que moi ! » (Klaus Mann écrivant sur Berlin, la ville homosexuelle sodomite pendant les années 1920-1930, dans son Journal, p. 169) ; « La plupart des lieux de prédilection fréquentés par les homosexuels étaient urbains, civils, sophistiqués. Le scénariste américain Ben Hecht, à l’époque correspondant à Berlin pour une multitude de journaux des États-Unis, se souviendra longtemps d’y avoir croisé un groupe d’aviateurs, élégants, parfumés, monocle à l’œil, bourrés à l’héroïne ou à la cocaïne. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 30) ; « Dans un tract politique nazi du 16 septembre 1919, on pouvait lire ce slogan : ‘L’Allemagne est en train de devenir une ‘maison chaude’ pour les fantasmes et l’excitation sexuelle.’Cette formule correspondait à une réalité certaine. Des touristes du monde entier venaient à Berlin, parce qu’elle était surnommé ‘Sin City’… On pouvait même trouver des filles de 10-11 ans portant des habits de bébés qui se promenaient de minuit à l’aube en concurrence avec des blondes luxuriantes, nues dans leurs manteaux de fourrures. Ou avec des garçons habillés en poupées, poudrés, les yeux faits, et du rouge aux lèvres. Pas moins de deux mille prostitués mâles sillonnaient les rues de Berlin, tous listés par la police. » (idem, p. 31) ; « Le nombre d’homosexuels à Berlin est estimé à quelques cent mille par Hans von Treschkow, commissaire de police à Berlin, dans ses Mémoires. » (idem, p. 36) ; « C’est quelqu’un de malheureux dans son coin et qui va à la grande ville. C’est un chemin qu’on a fait tous. Toute la vidéo montrait que pour être heureux en tant qu’homo, il faut partir. » (Didier Lestrade parlant de la chanson « Smalltown Boy » de Bronski Beat, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) ; « Je ne m’acceptais pas (jusqu’à mes 20 ans) parce que j’habite un petit village. C’est une chose dont on ne parle jamais. On se cache. On a peur. » (René, témoin homo suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « À l’époque, plusieurs personnes m’avaient dit que New York était une ville plus tolérante, qu’on pouvait vivre son homosexualité. Donc j’ai décidé d’aller m’installer là-bas et de m’assumer tel que j’étais. » (Philip Bockman, vétéran gay évoquant le mois d’août 1966, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc. Certains artistes homosexuels la choisissent même comme pseudonyme (exemple : l’humoriste lesbienne Louise de Ville). Elle est l’espace du caméléon, celui qui veut vivre une double vie : « La vie urbaine est pour moi une image magnifiée de la vie tout court. Comme les grandes cités qui nous proposent une infinité de voies à explorer, nous sommes multiformes. » (Bertrand Delanoë, La Vie, passionnément (2004), p. 14)

 

La ville est le fer de lance de « l’ouverture » et de « l’amour »… Par exemple, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015, les caméras se braquent sur la réaction d’hostilité d’un père campagnard à l’égard de son fils homo Christophe qui a programmé une GPA avec son compagnon. Le papy est montré par les journalistes comme un « vieux con » dont la connerie serait dédouanée par le contexte géo-culturel et générationnel : « Vous pensez, Maurice, que c’est plus quelque chose de la ville, l’homosexualité ? » demande la journaliste. « Oui, parce qu’à la campagne, on se connaît davantage. » répond Maurice. Dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco, Gerard Koskovich décrit l’afflux de population homosexuelle vers la ville de San Francisco (États-Unis) en ces termes : « C’est ce qu’on appelle ‘la Grande Migration gay’. »
 

Par exemple, la romancière lesbienne Virginia Woolf parle de « la passion de sa vie, c’est-à-dire la cité de Londres » (Virginia Woolf dans une lettre à Ethel Smyth le 12 septembre 1940, citée par Cécile Wajsbrot) Dans son Journal (1992), le dramaturge Jean-Luc Lagarce passe son temps à se dédouaner de son statut hybride de provincial parisianiste : pour lui, ce qui ne vient pas de la capitale est « terriblement provincial », sa famille en première ligne.

 

Pour ma part, je me définis volontiers comme un citadin. Depuis que je suis arrivé à Paris, j’ai du mal à en partir ! Je ne pense pas pourtant être un consommateur né (plutôt le contraire !). Mais les villes ne me dépriment absolument pas. Leur saleté, les gens pressés ou désagréables, le bruit, la vie chère, le stress, les embouteillages, les métros bondés, tout ça m’amuse et m’attire. Je n’ai pas l’âme d’un campagnard. Dans une ville comme Paris, il y a une vie artistique, amicale, et spirituelle hors du commun. Paris renferme le meilleur comme le pire… donc quand même le meilleur !

 

La ville est le lieu d’homosociabilité par excellence : cf. l’autobiographie Quitter la ville (2000) de Christine Angot, le documentaire « London » (1993) de Patrick Keiller, etc. « La grande ville attire les gays. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 216) Les statistiques des sociologues concordent en ce point : « Les homosexuels interrogés en 1992 vivaient très majoritairement en région parisienne ou dans les villes de plus de 100 000 habitants (86%), ce qui confirme le lien entre homosexualité et migration géographique vers les villes. La concentration urbaine des homosexuels ne fait aucun doute puisqu’elle est statistiquement significative et tranche fortement avec la répartition géographique de la population française globale. 46% des homosexuels de l’enquête vivent en région parisienne, 40% dans des villes de plus de 100 000 habitants, 5% dans des villes de 20 000 à 100 000 et 9% dans des villes inférieures à 20 000). » (Alfred Spira, Rapport Spira Bajos, cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 539) ; « Les personnes homo-bisexuelles résident plus souvent dans les grandes agglomérations de plus de 100 000 habitants (59% versus 39% des femmes hétérosexuelles, 62% versus 38% des hommes hétérosexuels). » (Nathalie Bajos et Michel Bozon, Enquête sur la sexualité en France (2008), p. 257)

 

Dans son essai de sociologie urbaine Gay New York (1890-1940), George Chauncey décrit le « milieu homo » urbain des années 1890-1940 aux États-Unis, et analyse le pouvoir d’attraction de villes telles que New York ou Chicago auprès de la population LGBT. Actuellement, la ville de San Francisco aux États-Unis est, selon certains, une ville à 25% homosexuelle (cf. le quartier gay de Castro, le quartier lesbien de Mission).

 

Sur les sites de rencontres Internet, on entend beaucoup de frustration des personnes homosexuelles à ne pas bénéficier de la gamme de possibilités de rencontres qu’offrent les grandes métropoles.

 

La ville est présentée comme l’espace de tous les possibles, de l’émulation artistique, de la pluralité cosmopolite, parfois même du retour à l’enfance : « Cher Jorge Lavelli, Je te donne cette pièce en souvenir attendri de la ville de Buenos Aires qui a été, pour nous aussi, un peu le parc de notre enfance. C’est dans un coin de rue rose de cette ville que nous avons tué à coups de marteau dix-sept facteurs, un marchand de melons et la putain du coin avant d’aller comme des gosses scier les arbres des patios de San Telmo. » (cf. lettre de Copi à Jorge Lavelli, en préface de la pièce La Journée d’une rêveuse (1968), p. 7) ; « Je me suis beaucoup identifié à la chanson des Bronski Beat ‘Smalltown Boy’ parce que je venais moi-même d’une petite ville. » (Michael Michalsky interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Encore aujourd’hui, des homosexuels sont obligés de s’exiler en ville pour vivre leur homosexualité. » (Elton John dans le documentaire « Elton John, A Singular Man » (2015) de Christian Wagner, diffusée sur la chaîne ARTE le 9 janvier 2016) ; etc.

 
 

b) L’espace du libertarisme sexuel :

Pièce Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès

Pièce Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès


 

Loin de redorer le blason du désir homosexuel, la ville le désigne indirectement comme un élan idolâtre, superficiel et mortifère. Souvent, elle est le lieu de la désunion conjugale, des amours compliquées voire infernales, de la prostitution, du viol. Selon Philon d’Alexandrie (v. 20 av. J.-C. – 50 après J.-C.), l’homosexualité est un « vice » propre aux grandes villes.

 

Et il est clair que la ville, étant une zone d’activités en tous genres et de déplacements nombreux et furtifs, elle encouragent au voyeurisme, à la dispersion, aux sexualités plurielles et stériles telles que l’hétérosexualité, la bisexualité, l’homosexualité, et la transsexualité : « J’adorais déjà Paris. […] Je me retrouvai [en 1957], à l’âge de 16 ans, débarrassé des uns et des autres dans l’immense ville de Buenos Aires. Ayant appris quelques finesses de petit parisien, je me dédiai beaucoup à l’aventure sentimentale et au voyeurisme social. » (le dramaturge Copi à Paris en août 1984, cité dans la biographie Copi (1990) de Jorge Damonte, le frère de Copi, pp. 86-87) ; « Les mêmes mots, les mêmes rejets, les mêmes engouements se retrouvent chez les militants homosexuels et les féministes, au point que l’on peut parler d’alliance objective. Les rares hommes politiques qui assument ou revendiquent leur homosexualité sont aussi les féministes les plus ostentatoires. Il y a une rencontre sociologique, au cœur des grandes villes, entre homosexuels, militants ou pas, et femmes modernes, pour la plupart célibataires ou divorcées. Le cœur de cible de ce fameux électorat bobo. Mêmes revenus, mêmes modes de vie, même idéologie, ‘moderniste’, ‘tolérante’, multiculturelle. À Berlin, Hambourg et Paris, ces populations ont élu comme édiles trois maires homosexuels – et fiers de l’être – qui ont la conviction de porter un nouvel art de vivre, une nouvelle Renaissance. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), pp. 22-23)

 

Aux yeux de la société comme de la communauté interlope, les individus homosexuels sont présentés comme les prototypes des citadins, avec la panoplie des défauts qui les accompagnent : la superficialité, la « branchitude », la fièvre acheteuse, le goût du pouvoir, la culture branchouille, etc. Il n’y a qu’à voir comment beaucoup de personnes homosexuelles se déchainent sur lesdites « Maraisiennes » (cf. le portrait caustique de l’humoriste pourtant très citadin Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie, 2012) pour comprendre qu’elles se reprochent à elles-mêmes leur propre participation chronique à l’actualisation partielle du cliché du « citadin homosexuel snob et immature ».

 

D’ailleurs, à quelques rares occasions, certains sujets homosexuels ne cachent pas que c’est par opportunisme et désir de vivre une ascension sociale et médiatique fulgurante qu’ils ont rejoint la capitale : « La décision de quitter la ville où je suis né et où j’avais passé toute mon adolescence pour aller vivre à Paris, quand j’avais 20 ans, signifia pour moi un changement progressif de milieu social. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 22) ; « Dans ma vie, en suivant le parcours typique du gay qui va vers la ville, s’inscrit dans de nouveaux réseaux de sociabilité, fait l’apprentissage de lui-même comme gay en découvrant le monde gay et en s’inventant comme gay à partir de cette découverte. » (idem, p. 25) ; « Je pourrais dire que les livres de Simone de Beauvoir et le désir de vivre librement mon homosexualité furent les deux grandes raisons qui présidèrent à mon installation à Paris. » (idem, pp. 193-194) ; « Il fallait que je parte à Paris si je voulais que le vilain petit canard que j’étais se transforme en cygne. » (Patrick Blosch, témoin homosexuel du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s » organisé dans la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris, le samedi 10 octobre 2009).

 
 

c) La ville comme métaphore de la violence réifiante du désir homosexuel :

En toile de fond, dans les discours et les images employés, on comprend que l’attraction de la communauté homosexuelle vers la ville est amoureusement et narcissiquement abyssale. Chez beaucoup de personnes homosexuelles, la ville éveille des instincts de mort et de mélancolie esthétisés : « Le 8 décembre 1990, la neige, à gros flocons, blanchissait la ville. […] Je déambulais au milieu des passants qui se délectaient de vins chauds et achetaient des lampions pour les enfants. […] Le contraste entre le souvenir de ma précédente visite à Fourvière et ce que j’expérimentais ce soir-là, seul et désabusé, augmenta mon sentiment d’inutilité et de gâchis de mon existence. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 99) ; « Je ne voulais pas qu’on voie que je venais à peine d’être une nouvelle fois rejeté. Que je m’étais trompé. Je ne voulais pas me donner en spectacle. J’avais envie d’errer, de respirer la nuit seul, de traverser cette ville où, depuis que j’avais quitté le Maroc poursuivant des rêves cinématographiques, je me redécouvrais heureux et triste, debout et à terre. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 45) La ville, en tant que navire à la dérive, chatouille le romantisme névrotique de l’errant homosexuel et libertin : « Je les aime, parce qu’ils sont purs avec leur regard triste, mélancolique… leurs pas incertains, timides, perdus dans cette grande ville… s’attendrissant devant les aigles et les lions en cage… » (Jacques en parlant des soldats, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 220)

 

Par exemple, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, Luca, l’un des deux témoins du couple homosexuel portraituré, exprime le souhait qu’à sa mort, ses cendres soient dispersées dans le beau paysage de la ville de Rome qu’il contemple. Le poète homosexuel espagnol Federico García Lorca, quant à lui, restera marqué à vie par la ville de New York pendant la crise de 1929. Le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini dira dans toute son œuvre son attraction pour la pègre underground des grandes villes, celle qui lui ôtera la vie : « Pasolini est fasciné par les banlieues romaines, ce qu’il décrira comme ‘un traumatisme violent, une violente charge de vitalité, l’expérience d’un monde et même, en un certain sens, du monde’. » (cf. l’article « Pier Paolo Pasolini » de Francesco Gnérre, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 353)

 

Dans son article « Les Happenings : Art des confrontations radicales » (1968), Susan Sontag évoque « l’aspect sombre et chaotique » des Happenings, « la tendance [des artistes camp, pour la plupart homosexuels] à utiliser le bric-à-brac et les laissés-pour-compte de la civilisation urbaine. » (p. 411) : « L’expression de William Empton, ‘pastorale urbaine’, s’appliquerait très bien à une bonne partie du Camp. » (Susan Sontag, « Le Style Camp », L’Œuvre parle (1968), p. 427)

 

En somme, la ville est le lieu de la décadence sublimée (artistiquement et sentimentalement), de la déshumanisation bisexuelle asexualisante, donc de la haine de la sexualité, haine illustrée entre autres par la pratique de l’homosexualité. « Paris reste la capitale des efféminés. Tout comme le caractère du vrai Parisien est fait de race, de sensibilité, le vice notoire de Paris et du Parisien reste l’homosexualité. La trop grande présence de la femme, dans une ville toute entière dévouée à son culte, a fait, par répercussion, de ses représentations mâles, des êtres à l’instinct pédérastique plus ou moins développé. Paris reste malheureusement en tête, les statistiques le démontrent. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 16)

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko est aspiré frénétiquement par la grosse mégapole (Brazzaville, New York, Paris), même si paradoxalement il semble y vivre de grands drames (relations amoureuses sans lendemain, viol, prostitution, isolement, homophobie, etc.) : c’est vraiment la prison dorée : « Je ressentis le poids de l’absence des délices citadins. » (p. 16) ; « La grande ville était pour moi le temple de nos idées maquillées d’une magie extraordinaire. » (idem, p. 44) ; « Évidemment, de même que mes copains de Brazzaville, je retrouvais l’identique raisonnement. D’un continent à un autre, les vues d’esprit étaient donc les mêmes. » (idem, p. 102) ; « De Brazzaville à Goussainville, l’homosexualité était devenue l’ombre de moi-même : un véritable cheval de bataille, impliqué autoritairement dans ma vie de tous les jours. » (idem, p. 103) ; « New York me désespérait avec une grâce certaine où, la sereine langueur de la pollution piquée par le bruit et la chaleur, apportait un bonheur furtif et réparateur mais où, planaient irrémédiables, mon angoisse de vivre et l’attente de la mort. Damné jusqu’à la fin des temps, encombré de mes grandes jambes inutiles, j’étais seul, la nuit, plein de désirs inexaucés, sans savoir que mes seuls amis étaient les étoiles, émues, anonymes, de ma présence. » (idem, p. 118) ; « De Brazzaville à Paris, mes rapports sexuels définissaient donc une périlleuse échelle sociale très discutée. Le déshonneur n’existait plus, rien d’autre non plus. Poches pleines ou vides, les jours se suivaient intrinsèquement et ne se ressemblaient pas. » (idem, p. 123)

 
 

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Code n°180 – Viol

viol

Viol

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Et si le secret de l’homosexualité,

c’était « juste » le viol (au pire) ou la peur de la sexualité (au mieux) ?

 

« Est-ce que c’est vraiment une vraie question inné ou acquis ? Je trouve que c’est une question absurde. C’est une manière très violente d’essayer de savoir le vrai secret de l’homosexualité, comme si la sexualité avait un secret. Non. Le secret de la sexualité, c’est d’être heureux » prétend dogmatiquement l’essayiste-historien homosexuel Jean Le Bitoux au micro de l’émission Homo Micro du 13 février 2007, sur RFPP. On voit bien ici la politique de l’autruche menée par la grande majorité des personnes homosexuelles et leur société à propos du désir homosexuel. Alors pour commencer, si vous le voulez bien, je vais lâcher cette bombe: Et si le secret de l’homosexualité, c’était minoritairement le viol, et majoritairement le fantasme de viol ? Ne vous inquiétez pas. Au début, ça choque ; et une fois qu’on regarde les faits, on arrête de s’offusquer, on respire, on boit frais, et tout le flou artistique qui entourait le concept d’homosexualité se dissipe.

 

Comment ça ? On ne vous a pas mis au courant ? On ne vous a pas dit pourquoi il faut « un peu » arrêter d’applaudir au coming out des personnes homosexuelles comme on le fait, arrêter de banaliser l’amour homosexuel comme s’il était équivalent à n’importe quel type de relations humaines à deux sous prétexte qu’on l’appelle « Amour », arrêter de vouloir faire signer à une nation entière le « mariage gay » comme s’il allait de soi ? Moi qui ai amorcé depuis l’an 2000 une étude (qui n’en est qu’à ses balbutiements, en plus) sur les liens non-causaux entre désir homosexuel et viol, moi qui suis parfois le dépositaire de confidences d’amis homos ayant été abusés sexuellement dans leur enfance (j’en connais au moins 70, ce qui est énorme ! mais comme ces confidences sont soumises en général au secret amical ou médical – dans le cas des thérapeutes –, tous ceux qui « savent » ferment leur gueule !), je vous demande pour une fois de redescendre sur Terre et d’ouvrir bien grand vos oreilles au lieu de jouer aux hypocrites ou aux ignorants.

 

Mais pour qui se prennent-ils, tous ces anciens amis homosexuels qui me tournent actuellement le dos parce que je passe à la télé pour dénoncer les failles du Système propagandiste pro-gay ? Ils ont de la merde dans les yeux pour se planter ainsi de cible, c’est pas possible ! À quel jeu pervers jouent tous ces pseudos « intellectuels » homosexuels, confortablement assis sur leur fauteuil universitaire (salut Louis-George Tin ! salut Natacha Chetcuti !), derrière leurs stands associatifs LGBT, dans leur studio radiophonique, à la tribune d’honneur face aux caméras pour la défense des droits des homos et la lutte contre l’homophobie, et qui osent me juger comme « un dangereux homophobe » et me regarder d’un œil torve comme si j’étais un criminel, pour la simple et bonne raison que j’ose parler de ce lien (évident mais mal connu) entre viol et homosexualité, un lien dont personne ne parle, pas même les victimes concernées !?! On marche sur la tête !

 

Ce sont ces militants homosexuels qui font preuve d’une véritable homophobie ! puisqu’ils sont capables d’une violence inouïe pour préserver leurs images de marque et leurs utopies amoureuses personnelles, pour censurer ces réalités violentes dont une minorité d’entre eux a été victime, et pour désigner comme « homophobe » tout individu qui révèlera au grand jour leur petite comédie de la croisade contre l’homophobie. Honte sur eux ! Et honte à ceux qui me conseillent, face à mes recherches, de « parler d’autre chose que d’homosexualité » (parce que ce thème m’enfermerait et qu’on en fait vite le tour, parce que je parlerais au nom et à la place des autres) ! Honte à ceux qui me demandent de me taire parce que ce que je peux dire, « même si c’est juste, donne du grain à moudre » à ceux qui font l’amalgame entre homosexualité et pédophilie, ou homosexualité et criminalité ! Honte à ces censeurs qui me mettent un scotch sur la bouche et qui me haïssent parce que je donnerais une mauvaise image des couples homos, des cathos homos, et que je pousserais même des jeunes en quête d’une image positive de l’homosexualité au suicide ! Honte à ces chroniqueurs-radio qui ricanent derrière mon dos et gloussent à propos de mes « codes » qu’ils ne comprennent pas ! Honte à ces critiques qui disent que mes livres seraient mal écrits, qu’ils seraient trop universitaires, « à la limite de la probité intellectuelle », et que je me sers du thème sensationnaliste du viol pour faire parler de moi ! Honte à tous ces gens ! Leurs actes parlent contre eux ! C’est leur silence sur l’homosexualité qui tue véritablement nos frères homosexuels, et non ce que je dis sur le viol !

 

Leur faut-il un dessin pour qu’ils comprennent ? Ne voient-ils pas qu’ils se servent du Sida, de l’« Homophobie », du soi-disant « devoir de cohésion communautaire », ou de la course aux « droits des homos », comme des cache-misère pour nourrir leur propre homophobie intériorisée et continuer à haïr leurs « amis » homosexuels dans un parfait semblant de camaraderie ? Par leur désinvolture, leur mollesse, leur ignorance, leur relativisme, ils cultivent le déni et le mensonge. J’ai envie de hurler ! OUI, j’ai la haine ! Je suis en colère devant tant d’hypocrisie sociale sur le viol, hypocrisie qu’ils nourrissent en prétextant toujours que ce sont les autres les fautifs et eux les victimes !

 

En 2009, j’ai reçu un mail très long d’un pédopsychiatre qui est tombé par hasard sur le site de l’Araignée du Désert, et qui m’encourageait à continuer d’écrire sur le viol, à diffuser mon message, parce qu’il suit beaucoup de patients homosexuels ; et il m’assure que la plupart d’entre eux ont été violés ou ont subi des attouchements sexuels dans leur jeunesse. Quand je lis ce genre de témoignages, qui viennent à moi sans que j’aie eu à les réclamer, je respire, parce que le vent de censure sur la souffrance est tel dans la communauté homosexuelle actuelle qu’à certains moments, j’en arriverais à douter de moi-même, à me dire que j’y vais un peu trop fort en parlant du viol en lien avec l’homosexualité, même si j’ai toujours veillé à minoriser ce thème à une poignée de personnes homosexuelles pour ne pas le transformer en généralité sur « les » homos.

 

Ce n’est pas la première fois qu’un membre du personnel soignant m’interpelle vivement à ce sujet. Déjà, en 2010, dans un hôpital public de Paris, lors d’une prise de sang pendant laquelle j’avais sympathisé avec une infirmière spécialisée dans les maladies infectieuses (et qui, m’a-t-elle dit, voyait défiler une flopée de personnes homosexuelles dans son cabinet), m’a coupé la parole : « Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de patients homosexuels que je rencontre ici et qui me racontent leur viol ! C’est hallucinant ! » À chaque fois qu’on me confirme dans mes découvertes, je tombe des nues. J’ai beau y être préparé, je n’arrive jamais à m’y faire ! C’est quand même fou ! Je suis pris entre la révolte de devoir taire ces révélations par respect de la confidentialité, et l’immense joie de recevoir le cadeau de la confiance que je n’attendais absolument pas et qui m’est spécialement offert, même s’il concerne un sujet très grave. Alors au fur et à mesure que j’avance dans la vie, j’emmagasine les preuves d’amour, j’emmagasine… (dans mon coffret à araignées étincelantes)… et à un moment donné, je n’en peux plus de garder tous ces bijoux pour moi ! Il n’y a plus de place. Ça déborde ! J’en détiens, des secrets lourds, qui bien souvent sont ignorés du conjoint de ces mêmes amis (qui ne lui ont rien dit du viol qu’ils ont vécu !), au point que je passe parfois aux yeux de leur « moitié » pour un dangereux « briseur de couples » ou un « fouteur de merde » si je tente ne serait-ce que de soulever un peu le couvercle de leur tambouille conjugale explosive ! Mais je sais de quoi je parle, puisque j’ai entendu les choses de mes propres oreilles, vu en tête à tête des amis me parler du drame de leur vie (que parfois ils banalisent pour « aller de l’avant », pour « croire en l’amour homo quand même »). Et ça, ça ne s’oublie jamais. J’ai écrit d’ailleurs un article du Phil de l’Araignée sur ce site, intitulé « Ari-Baba et les 40 Violés », pour raconter en détail ce que mes 90 amis homosexuels violés m’avaient confié. Pour qu’on me croie. Pour sortir enfin du tabou. Car comme le dit le sociologue Daniel Welzer-Lang (qui est allé à la rencontre de groupes de parole où se trouvait une majorité de personnes gay, et qui est resté pourtant très discret sur la question de l’homosexualité), il existe une énorme chape de plomb sur les liens non-causaux entre désir homosexuel et peur, désir homosexuel et violence, désir homosexuel et souffrance : « À les écouter, il n’est pas abusif de parler de TABOU. Il ne s’agit pas seulement de honte. […] Comment expliquer que des hommes – qui pour certains ont lutté des années ensemble, revendiquant le droit de disposer de leur corps, de leurs désirs, des hommes qui, contrairement à d’autres mâles, ont pris l’habitude de se rencontrer pour parler d’eux, de leur vie la plus intime…– n’aient jamais parlé de ces scènes de viol entre eux ? Énoncent même qu’ils n’en ont jamais discuté avec leurs compagnons après plusieurs années de vie commune… Quel est le sens de ce tabou ? » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin, 1988) Il est temps que ça cesse. C’est pour tous mes amis homosexuels (présents et à venir) qui ont subi des violences et d’énormes drames (avant coming out, après coming out, et en général avant et après) que j’écris ces lignes. Pour qu’on ne vous oublie pas !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Coït homosexuel = viol », « Adeptes des pratiques SM », « Homosexuel homophobe », « Voleurs », « Violeur homosexuel », « Milieu homosexuel infernal », « Pédophilie », « Inceste », « Inceste entre frères », « Prostitution », « Oubli et amnésie », « Poupées », « Destruction des femmes », « Défense du tyran », « Entre-deux-guerres », « Amant diabolique », « Témoin silencieux d’un crime », « Déni » et « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Rentrons dans le vif du sujet, avec ce petit condensé du code « viol », dans lequel j’aborderai les grandes lignes de réflexion sur les liens entre désir homosexuel et viol. Pour commencer, on ne dit pas assez, dans la production intellectuelle consacrée à l’homosexualité, que quelques scientifiques se sont déjà penchés sur la question des liens entre viol et orientation homosexuelle : Stoller, Finkelhor, Johnson, Shrier, Dorais, Welzer-Lang, etc. Je vous indique plus particulièrement les témoignages de sujets homosexuels violés dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états(2007) de Pierre Verdrager, l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, ainsi, bien sûr, que Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, précédemment cité.

 
 

Liens entre désir homosexuel et viol :

uniquement de coïncidence

 

Tennessee Williams a livré ce qui me semble être une des clés de l’énigme homosexuelle à travers la réplique d’Élisabeth Taylor « Le prologue fut la clairière des chênes » prononcée dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (Catherine s’est/se serait fait violer dans une forêt, et souffre d’amnésie suite à l’événement qu’elle assimile à l’homosexualité de son cousin Sébastien). Je crois en effet que le désir homosexuel est né d’un viol fantasmé – et parfois réel –, et de la hantise désirante de son retour. Le récit d’adolescence de Frédéric Mitterrand concernant un de ses camarades en fournit un exemple éloquent : « Un jour, il fait semblant de vouloir me violer pour faire rire la compagnie ; […] je me relève, j’insulte les rieurs, et je m’enfuis. Je me joue sans conviction la comédie de la blessure irréparable mais je ne triche pas longtemps, je préfère admettre la vérité : j’aimerais tellement être seul avec lui et qu’il recommence. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise vie (2005), p. 193) Ensuite, le désir de viol a pu se faire acte en s’intériorisant durablement en orientation homosexuelle, à défaut de s’actualiser en viol génital.

 

Le mot « viol », dans le sens courant du terme, désigne des relations sexuelles imposées avec pénétration et punies par la loi comme un délit, ou bien des attouchements sexuels non mutuellement consentis par les deux personnes qui les pratiquent. Mais, à mon avis, le viol réel n’est pas réductible à la pénétration ni aux rapprochements corporels visiblement sauvages. Nous pouvons très bien violer ou être violés à distance, sans nécessairement que les corps se touchent. Par exemple, les images brutales et policées que nous montre le cinéma nous violent bien souvent dans la mesure où elles nous ôtent partiellement nos sens, notre liberté, et nous éloignent de la Réalité. À mon sens, le viol doit s’entendre également comme le fait d’être pris pour Dieu (et non une créature humaine), pour quelqu’un d’autre que soi, pour une photocopie, pour une moitié d’homme, pour un Homme invisible, pour un objet, pour un mythe.

 

Ce qui me fait établir des liens entre homosexualité et viol, ce sont d’abord les vécus des personnes homosexuelles (certaines ont été abusées dans leur enfance, et cela de manière numériquement peu significative), et surtout l’univers symbolique qu’elles développent dans leurs créations. Très rares sont les productions artistiques homo-érotiques où le parallèle entre viol et homosexualité n’est pas fait, où la femme violée cinématographique n’apparaît pas comme un modèle esthétique à imiter.

 
 

Plus qu’un viol réel, un fantasme

 

Il ne faut pas perdre de vue que le viol à l’état de désir n’est pas le viol réel, même s’il a pu être suscité par un viol réel ou un regard réifiant. Le terme de viol est fortement soumis à notre subjectivité, et parfois employé à outrance par les personnes homosexuelles. Certaines prouvent à travers leurs jeux d’acteurs grandiloquents que leur identification au viol a l’excès des fantasmes. « Je suis le viol génital. Je suis la violence pure » déclarent certains hommes transsexuels (Psychosis, dans le documentaire « God Save The Queens », La Nuit gay, diffusé sur la chaîne Canal + le 23 juin 1995. Son discours fait écho à la chanson « Travesti » de Sadia dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger : « Je suis le sexe démystifié, je suis la violence personnifiée. »). Il est par exemple fréquent d’entendre dans la bouche des femmes lesbiennes l’amalgame entre l’amour femme-homme et le viol (selon certaines, les hommes seraient tous des violeurs en puissance !).

 

On connaît mal l’origine de ce fantasme de viol. Il naît sûrement de l’ébahissement de l’Homme face à la découverte de sa liberté et de son unicité. Je reprendrai les termes de Jean-Paul Sartre pour décrire l’émergence de l’homosexualité : « On ne naît pas homosexuel ou normal : chacun devient l’un ou l’autre selon les accidents de son histoire et sa propre réaction à ces accidents. Je tiens que l’inversion n’est pas l’effet d’un choix prénatal, ni d’une malformation endocrinienne ni même le résultat passif et déterminé de complexes : c’est une issue qu’on découvre au moment d’étouffer. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr (1952), p. 94) Beaucoup de personnes homosexuelles ont cru très tôt – et continuent de croire à l’âge adulte – qu’elles doivent troquer leur réification déifiante (par la simulation de souffrances atroces ou d’euphorie extatique) contre leur liberté si elles veulent conserver l’amour des autres. Déjà petites, elles ont développé une passion secrète, existentielle même, pour le viol, ou plutôt l’image intérieure de ce qu’elles s’imaginaient être le viol, pour retenir toute l’attention de leur entourage (remémorons-nous les simulations de crises nerveuses d’André Gide, de Yukio Mishima, de Jean Cocteau, de Marcel Proust, etc.). Beaucoup se sont dites intérieurement que leur fantasme de viol, une fois représenté sur elles-mêmes, pouvait être une manière d’être reconnues et d’exister en tant que fétiche sacré. Elles recourent à un fantasme violent pour exister aux yeux d’autrui.

 

Le viol dont elles parlent est souvent une impression de viol née d’un fantasme de persécution : « J’étais convaincu que j’allais être violé, brutalisé, agressé sexuellement par un homme inconnu, d’une façon qui rappelle la réalité crue d’un viol. » (Rick Moody dans À la recherche du voile noir (2004) de Nelly Kaprièlian) Ce fantasme ressemble à l’enthousiasme qu’il est fréquent d’observer chez les jeunes enfants demandant aux adultes de leur entourage « de les attraper » et de les pourchasser, même si évidemment, ils désirent sans se le formuler explicitement que le viol reste uniquement sur le terrain du jeu et de la représentation.

 

Le désir de viol peut être aussi l’expression d’une peur de se reconnaître aimable, de sentir un regard désirant posé sur son corps érotisé : aux yeux du violeur comme du violé potentiels, tout ce qui est corporel ou lié à l’amour est considéré comme du viol, toutes les séparations nécessaires de l’existence (la coupure avec le sein de la mère – « Je dois quitter mon unité fusionnelle avec ma génitrice et sortir du ventre maternel pour vivre. » –, la reconnaissance de la différence des sexes – « Je ne serai jamais l’autre sexe. » –, le respect de la différence des espaces – « Je suis unique et je ne serai jamais les autres. ») sont vécues comme de cruelles injustices. La sexualité est mise à distance à travers l’expression d’une angoisse de viol qui parle du sexe sans le vivre. Le viol devient alors la création verbale de celui qui ne veut pas que sa souffrance soit démasquée. Comme l’écrit à juste titre Jacques Arènes, « dans le rapport à l’autre, la perte d’estime de soi peut être ressentie comme un vol ou un viol. Tout le monde semble témoin de notre humiliation. » (Jacques Arènes, Souci de soi, Oubli de soi (2002), p. 58) L’amour, mettant en lumière une réalité désagréable, concrète ou fantasmée, semble « faire violence » (quand bien même il ne la fasse pas), parce que sans son éclairage solaire, nous ne nous serions pas aperçus de l’existence de nos ombres portées. L’autre a découvert notre douleur d’exister, nos fragilités, notre homosexualité que nous voulions à tout prix cacher, et a fait irruption dans notre intimité honteuse. Comme il nous appelle à nous ouvrir au monde, et qu’il exerce une intrusion pour entrer en relation avec nous, nous pouvons croire qu’il nous viole. Le viol est parfois l’autre nom donné à la peur de ne pas être aimé, et à l’occasion que nous offrent les autres d’en sortir.

 

Quelquefois, ce que les personnes homosexuelles appellent « viol » est aussi tout simplement l’expression de la divergence entre leurs désirs et ceux des autres, divergence qu’elles traduisent en termes d’opposition brutale parce qu’elles veulent leur imposer leurs propres désirs. L’esprit adolescent qui crie au viol et au fascisme pour un oui pour non est celui qui se persuade qu’on lui a tout imposé, car en réalité c’est lui qui veut imposer sa volonté au reste du monde.

 
 

Le viol fantasmé, un avant-goût improbable du viol réel

 

Une chose est sûre : le viol ne provoque pas automatiquement l’homosexualité. Il existe entre eux des croisements qui ne relèvent pas de la causalité. L’homosexualité peut être tantôt le fruit d’un fantasme ne renvoyant à aucun viol réel, tantôt le fruit, et quelquefois l’arbre d’un viol réel. Je prends soin de souligner ce « quelquefois », parce que tout Homme est fondamentalement libre et qu’il n’est pas uniquement le produit de ce que les épreuves de la vie ont fait de lui, il ne reproduira pas forcément les agressions qu’il a subies. Cette capacité à s’adapter aux blessures de l’existence et à rebondir après les chocs, porte un nom : la résilience. L’attitude résiliente, qui passe par une nécessaire formulation des événements ou une analyse de leurs versions imagées, soutient qu’être traité injustement n’est rien, excepté si nous ruminons inlassablement les injustices dont nous avons/aurions pâti.

 

Si les liens entre désir homosexuel et viol restent assurément de coïncidence, et donc peu inquiétants, on peut se demander cependant dans quelle mesure le fait de les nier en diabolisant les liens de causalité cette fois (à travers notamment une fixation sur le viol uniquement génital), ne les encourage pas à s’actualiser imparfaitement dans la réalité concrète.

 

L’insistance sur la génitalité concernant le viol est due au phénomène de la sacralisation-déni du viol dans nos sociétés actuelles. L’opinion publique a été habituée à ne considérer le viol que sous l’angle du génital (autrement dit le plus spectaculaire et le plus paranoïaque), et plus rarement dans son sens figuré, psychologique et symbolique. C’est une manière pour elle de ne pas en parler et de cacher/nourrir ses propres frustrations sexuelles. Le viol, en même temps qu’il est nié ou banalisé par la société voyeuriste et frigide, est vu partout : dans les regards (le fameux « délit de regard » puni par certaines lois nord-américaines), les blagues potaches, les étreintes amicales, le moindre contact physique entre femmes et hommes, etc. C’est le désir sexuel lui-même qui est la cible d’une société qui ne voit les individus que par le génital, en oubliant paradoxalement les corps.

 

Le viol réel est toujours à entendre comme le viol génital, bien sûr, mais il est d’abord à envisager dans son sens symbolique, c’est-à-dire dans sa version fantasmatique non-actualisée : il signifie prioritairement l’intrusion violente du mythe, des objets, de l’image déréalisée, du fantasme, du paraître, dans la Réalité. Le passage du fantasme à la réalité concrète est toujours dramatique (il aboutit au meurtre, au viol, aux agressions, etc.). Mais le désir de viol, quant à lui, n’est pas nécessairement choquant, parce que non systématiquement actualisé : comme il agit davantage sur le terrain de l’imaginaire que de la réalité concrète, contrairement au viol génital, il peut être contré par la liberté humaine. Il constitue pourtant bien une bombe à retardement, mais il n’est pas de même nature que le viol génital. Il est plutôt synonyme de discours imposé du conteur, de kitsch, de douce captation de l’imaginaire par la fantaisie, de regard idolâtre qui dit « je vais te manger… », qui demande « dévore-moi ! transperce-moi ! ».

 

En effet, les regards aussi peuvent violer. Dès que nous observons une personne davantage comme un objet qu’en tant qu’Homme, en privilégiant son paraître à son être, nous lui faisons violence. Par exemple, Pedro Almodóvar montre bien que le drame initial de beaucoup de personnes homosexuelles est le fait d’avoir été considérées comme des objets. Dans son film « Tacones Lejanos » (« Talons aiguilles », 1991), Rebeca (Victoria Abril) est mise à prix, en boutade, par son beau-père dans un marché. Cet événement anodin aura des retombées dramatiques puisqu’une fois adulte, elle l’assassinera pour se venger. À partir du moment où quelqu’un veut nous faire image, y compris pour nous porter aux nues, il nous viole, et ce « viol symbolique » dont parle Pierre Bourdieu n’est pas moins réel que le viol génital avec contact forcé des corps. Jean-Paul Sartre, concernant Jean Genet, ne mâchait pas ses mots quand il écrivait dans Saint Genet (1952) que « Genet, sexuellement, est d’abord un enfant violé » : « Ce premier viol, ce fut le regard de l’autre, qui l’a surpris, pénétré, transformé pour toujours en objet. Qu’on m’entende : je ne dis pas que sa crise originelle ressemble à un viol, je dis qu’elle en est un. » (p. 96) Le regard du viol n’est pas toujours désagréable : il peut être, comme le décrit Marcel Jouhandeau dans Carnets de Don Juan (1947), « plus grave qu’une nuit d’amour » (p. 96). Ce n’est pas un hasard si les scènes de viol dans les œuvres homosexuelles se déroulent généralement pendant l’été, un soir de carnaval, à l’orée d’un bois, c’est-à-dire à un moment où le jeu l’emporte sur le respect de l’Homme, où le mythe, l’air de rien, contamine la réalité concrète, où la fête carnavalesque devient accidentellement sérieuse, où la conscience humaine est au repos.

 

Dans mon étude du désir homosexuel, je prends le viol d’abord dans son sens symbolique étant donné qu’il est un fantasme bien avant d’être parfois un fantasme actualisé. La conscience violée ou qui désire être violée, par réflexe de survie, se crée une fiction qui va occulter, dans le rose ou bien dans le noir, la réalité désagréable qu’elle a (peut-être) vécue. Parce qu’elle a probablement été utilisée, elle va se croire fétiche magique… même si concrètement ce sceptre est brisé. Comme, selon elle, elle a été cassée en deux, divisée en deux moitiés androgyniques, elle craint que la recherche de son unité agisse comme une rupture totale avec ce qu’elle est vraiment ; et paradoxalement, elle croit que la rupture totale avec elle-même va lui permettre de ne faire plus qu’Un. Le viol devient alors, dans son esprit, son unité. C’est ce qui fait dire à Neil, le héros homosexuel du film « Mysterious skin » (2004) de Gregg Araki, que le viol pédophile dont il a été victime dans sa jeunesse l’a rendu unique. En effet, en parlant de son violeur, il lui reconnaît la découverte de son unicité : « J’étais son seul amour, son seul trophée. J’étais unique. » Le viol a le pouvoir de donner à ses victimes une impression d’unité dans la réification et la contrefaçon d’amour (= je suis un fétiche donc je suis aimé), alors que pourtant, comme le montre la scène du viol pédophile de « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar durant laquelle le visage d’Ignacio se scinde en deux à l’écran, il cultive en elles ce désir de l’androgyne, les brise en deux, et leur annonce que sans lui elles ne valent rien.

 
 

Viol génital homo

et fracture sociale entre les femmes et les hommes

 

Il est clair que même si la majorité des personnes homosexuelles n’ont pas été concrètement « violées » dans le sens commun et légal du terme, certaines se sont cependant fait violer par un membre de leur famille, du même sexe qu’elles ou du sexe opposé avec lequel elles n’étaient pas consentantes. Dans les cas recensés, nous trouvons par exemple Virginia Woolf, Vincent McDoom, Lawrence d’Arabie, Manuel Puig, Jean Genet, Marc Batard, François Augiéras, Carolyn Kage, Miguel Frías Molina, Juan Soto, Aleister Crowley, David Wojnarowicz, etc. Cela transparaît par le traitement particulièrement réitéré du viol dans les fictions créées par des auteurs homosexuels. Demandez à n’importe quel psychiatre s’il a parmi ses patients homosexuels des victimes de violences sexuelles : bien qu’il ne soit pas de son ressort d’en faire une généralité, il lui est difficile de le nier. Mais nul besoin d’être spécialiste pour constater par exemple la forte représentativité des personnes homosexuelles lors des galas de charité organisés pour la lutte contre les violences sexuelles, ou bien pour écouter les confidences d’amis homosexuels qui ont été abusés dans leur adolescence. Lorsqu’on aborde la question du lien entre viol et homosexualité dans une assemblée, elle soulève généralement un tollé fascinant à voir. Puis, en fin de réunion, il arrive qu’une poignée d’individus vienne nous voir pour nous dire le bien que cela leur a fait de voir leur drame – ou leur fantasme de drame – enfin dévoilé !

 

Le désir de viol n’est pas proprement homosexuel : tout Homme possède, à différents degrés, des fantasmes de viol (surtout dans les moments où ça ne va pas), quelle que soit sa nature sexuée et son orientation sexuelle. Le désir du viol existe en chaque personne homosexuelle, non du fait de son homosexualité mais simplement de son humanité ; mais néanmoins il convient de rajouter que, compte tenu du fait qu’ensuite ce désir est généralement plus développé chez l’Homme blessé ou désirant être blessé que chez l’Homme moins agressé sexuellement ou au désir moins masochiste, et que les personnes homosexuelles sont dans leur majorité des individus qui ont vécu la différence des sexes comme une blessure, il semble important de dire que le désir de viol chez elles tendance à être plus particulièrement marqué.

 

Le désir de viol chez beaucoup de personnes homosexuelles procède très souvent d’une peur panique de la sexualité. Ce qui l’illustre le plus explicitement sont les scènes cinématographiques où sont montrés des enfants observant un viol ou bien un adulte forcé d’être témoin d’un coït violent entre une femme et homme. L’enfant-voyeur se retrouve face au sexe (qu’il croit) violé. Il symbolise ce tiers exclu du spectacle coïtal, ce dernier s’organisant souvent dans l’esprit de certaines personnes homosexuelles comme une image de guerre dans le pire des cas (Bruce Chatwin, par exemple, affirme concernant ses parents que son « enfance fut la guerre et le sentiment de la guerre »), au mieux comme un fantasme de viol fascinant. Les personnes homosexuelles ont rarement résolu leur complexe d’Œdipe, et en veulent à leurs parents (réels et surtout symboliques/télévisuels) de les avoir trahies, abandonnées. Elles ont pu les surprendre en train de faire l’amour sans amour, et sont reparties dégoûtées du sexe en croyant le connaître. « D’où naît l’angoisse devant la scène primitive ? De la démesure d’une sexualité incompréhensible à l’enfant, de l’excitation qui l’assaille, de ce que les parents s’en mêlent… L’exclusion de la scène signe l’amour trahi. Au commencement était la trahison. » (Dominique Scarfone, De la trahison, 1999) Leur désir homosexuel nous dit que les fantasmes de l’inceste et du viol n’ont pas été intégrés. Or, comme l’écrit Jacques André, « pour être vraiment libre et heureux dans sa vie amoureuse, il faut s’être familiarisé avec la représentation de l’inceste » (Jacques André, « Le Lit de Jocaste », Incestes (2001), p. 19) et la violence naturelle inhérente à toute sexualité humaine.

 

C’est sans doute la raison pour laquelle la majorité des personnes homosexuelles ont vécu généralement leur première rencontre génitale avec la personne aimée beaucoup plus tardivement que les individus dits « hétérosexuels ». Elles sont venues à la sexualité à reculons, « parce qu’il fallait bien », passant ainsi d’un état subi (= l’adolescence continente) à un autre (= le sexe à la chaîne). Il est assez frappant, quand on discute avec certaines femmes lesbiennes, de constater leur vision très violente de la rencontre génitale avec les hommes : elles pensent qu’elles vont « se faire prendre par le mâle » (Muriel Bonneville, Mi-ange, mi-démon (2006), p. 11). Fantasmatiquement, beaucoup de personnes homosexuelles voient leur mère souffrir pendant qu’elle est possédée par les hommes. « Pendant longtemps, j’ai été jaloux de ma mère à cause de mon grand-père ; dans mon imaginaire, je le voyais en train de la violer avec son sexe énorme ; je voulais intervenir ; et c’était impossible. » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1990), p. 31)

 

Il est probable que le viol que les personnes homosexuelles ont cru subir est celui de la séparation excessive entre les sexes, mais aussi celui de l’absence de séparation. Socialement, l’effacement progressif des espaces féminins et masculins va crescendo. La parité et la mixité sont des valeurs de plus en plus imposées – et donc menacées – dans nos civilisations, et le trouble pour celui qui essaie de se construire une identité sexuée et d’apprivoiser son corps de femme ou d’homme s’accentue. La définition sexuelle semble être laissée non plus à la Nature, à l’extérieur, à la société, à la famille, aux parents, mais à l’appréciation personnelle de l’individu qui risque, du coup, de ne plus savoir qui il est. De l’excès du partage des sexes connu dans les siècles antérieurs, nous sommes passés à un autre, tout aussi handicapant pour la réalisation de la rencontre entre femmes et hommes : le retrait de la démarcation.

 

Il est handicapant dans la mesure où la séparation temporaire, loin d’impliquer nécessairement la rupture, peut dans le meilleur des cas signifier « reconnaissance », « condition préalable à la relation », « espace d’échanges », « préparation de la rencontre ». Une société qui laisse ses membres se regrouper et se séparer selon les âges, les sexes, les religions, les cultures, les pays, les passions communes, les affinités, les convictions politiques, les liens familiaux, etc., est une collectivité humaine qui respire la démocratie. L’encouragement à la distinction entre les sexes n’a rien de militaire ni de « fasciste » : c’est l’empêcher à tout prix (sous couvert d’« égalité de droits » ou « des sexes » par exemple) qui devient totalitaire.

 

Les personnes homosexuelles, par ce qu’elles sont et désirent, expriment ce malaise social de l’indifférenciation des sexes. La plupart du temps, elles le justifient : certaines n’acceptent pas la distinction filles/garçons faite dans les écoles, les hôpitaux, au seuil des toilettes et des vestiaires, chez le coiffeur, dans les dictionnaires, etc., parce que pour elles, elle équivaut à la séparation totale entre les sexes, et plus fondamentalement à la remise en cause de leur désir d’être tous les sexes. Mais de temps en temps, inconsciemment, elles regrettent que l’effacement de cette frontière empêche les femmes et les hommes de se rencontrer.

 

Le désir homosexuel est l’indicateur de la blessure que la femme et l’homme s’infligent dans leur couple par l’image médiatique d’abord, et parfois dans la réalité concrète. L’homme est actuellement de plus en plus condamné à porter l’étiquette du « beauf bourrin » et ennuyeux ou du parfait prince charmant qu’il n’est pas. La femme, quant à elle, est réduite à l’image de tigresse « salope » ou de femme au foyer, blonde et soumise. L’un comme l’autre se réifient à l’image… si bien qu’au final, certaines femmes et certains hommes réels ne veulent plus se côtoyer simplement, et prétendent parfois s’autosuffire dans l’affirmation d’une homosexualité ou d’un isolement fier de lui-même. Beaucoup de femmes et d’hommes actuels s’enlisent dans le débat sexiste, ou esthétisent leur angoisse par rapport à la disparition des membres du sexe « opposé » en questionnement disco (« Où sont les Femmes ? ») n’indiquant pas un renoncement aux mythes télévisuels de l’hypervirilité ou de l’hyperféminité, mais au contraire une réinstauration de ceux-ci.

 

Certaines personnes homosexuelles illustrent en image que c’est en partie l’abandon des femmes par les hommes, ou l’abandon des hommes par les femmes, qui ont fait d’elles « des homos ». Il est indéniable, même si nous ne pouvons pas en faire une règle, qu’il y a énormément d’enfants de parents divorcés parmi les personnes homosexuelles, ou bien de jeunes adultes dont les géniteurs restent ensemble par convenance ou pour l’image. Il n’est pas très étonnant non plus que les militants gay les plus intransigeants sur la pureté homosexuelle soient aussi ceux qui ont un passé hétérosexuel particulièrement lourd. Ce conflit (fantasmé) entre leurs parents peut se traduire par une intériorisation identificatoire, un sentiment de bâtardise (largement mis en mots par Rosa Bonheur, Violette Leduc, Jean Genet, ou encore William Shakespeare), une affirmation officielle d’une identité homosexuelle factice qui est à l’image du clash entre leur père et leur mère. Le « Je souffre de votre (possible) désunion » se mute en « Papa et maman, je suis homo… et je garderai secret votre (désir de) divorce. »

 

Pour conclure, je dirais que les liens entre désir homosexuel et viol n’ont pas à être centrés sur les individus homosexuels ni même sur leurs couples. Le désir homosexuel est d’abord le signe social du manque d’amour, voire des viols, au sein de certains couples femme-hommes. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas le banaliser, mais au contraire le considérer comme un prodigieux moyen de dénonciation des dysfonctionnements des couples hétérosexuels, pour aider justement les hommes et les femmes à mieux se rencontrer.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

Dans les fictions homo-érotiques, il est extrêmement fréquent, même dans celles qui veulent donner une image positive de l’homosexualité, que le personnage homosexuel ait vécu le viol ou vive dans la crainte/désir de son retour :

 
 

a) Le viol réel :

Affiche Concert "N°5" de Mylène Farmer au Stade de France, en 2009

Affiche Concert « N°5 » de Mylène Farmer au Stade de France, en 2009, en tournante… pardon, en tournée


 

On retrouve le thème du viol dans la B.D. Du côté des violés (1977) de Copi, le film « Abuse » (1983) d’Arthur J. Bressan JR, le film « Mauvais genres » (2001) de Francis Girod (avec l’homo violé), le film « Prends-moi » (2005) d’Everett Lewis, le film « Violent » (1950) de Nicholas Ray, le roman L’Amant des morts (2008) de Mathieu Riboulet (où Jérôme se fait violer par son père), le film « La Source ou la fontaine de la jeune fille » (1960) d’Ingmar Bergman, le film « Comment le désir vient aux filles (Je suis frigide mais je me soigne) » (1972) de Max Pécas, le film « Les Mille et une nuit » (1974) de Pier Paolo Pasolini, le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, le film « Les Voleurs de chevaux » (2007) de Micha Wald, le film « Only The Brave » (1994) d’Ana Kokkinos, le film « Postcards From America » (1994) de Steve McLean, le film « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le film « Zatoïchi » (2003) de Takeshi Kitano (avec l’enfant violé), le film « L’Homme de cendres » (1986) de Nouri Bouzid (avec l’homo violé), le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed (avec l’homo qui a été violé par le domestique nubien noir), le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano (avec Roberto qui jadis a été violenté par son père), le roman La Cité des rats (1979) (avec le viol collectif de l’albatros), le film « Jin Nian Xia Tian » (« Fish and Elephant », 2001) de Yu Li, le film « Bénis soient ceux qui ont soif » (1997) de Carl Jorgen Kioning, le film « Mon Capitaine, un homme d’honneur » (1997) de Massimo Spano, le film « Stir » (1980) de Stephen Wallace, le film « La Capote qui tue » (1997) de Martin Walz, le film « Tianshi Xin » (1995) de Lee Fu, le film « Pixote, la loi du plus faible » (1980) d’Héctor Babenco, la série The L World (dans laquelle une des héroïnes lesbiennes est violée dans une fête foraine), le one-man-show Cet homme va trop loin (2011) de Jérémy Ferrari (avec le Père Vert, curé gay et pédophile, jadis violé par son père et par ses profs), le film « Birth 3 » (2010) d’Anthony Hickling (avec le viol dans un parking), la série Julie Lescaut (dans un des épisodes, une lesbienne y est violée), la chanson « Coming out » d’Alexis HK (« Je remercie toute l’équipe de la Gare Saint-Lazare… »), le film « Adieu ma concubine » (1993) de Chen Kaige (avec l’homo violé), le film « Bad Boys » (1983) de Rick Rosenthal, le film « Squat » (1999) de Jean-Daniel Cadinot, le film « Ghosts Of The Civil Dead » (1989) de John Hillcoat, le film « Scum » (1979) d’Alan Clarke, le film « Gutten Som Kunne Fly » (1993) de Svend Wam, le film « Le Quatrième homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Night Corridor » (2003) de Julian Lee (avec l’homo violé), le film « Cheap Killers » (1998) de Clarence Fok, le film « 2 by 4 » (1997) de Jimmy Smallhorne, le film « L’Été de Kikujiro » (1999) de Takeshi Kitano (avec l’enfant violé), le film « Khroustaliov, ma voiture ! » (1997) d’Alexei Guerman, le film « Hustler White » (1997) de Bruce LaBruce et Rick Castro (avec le viol collectif), le film « Out Back » (« Le Réveil dans la terreur », 1971) de Ted Kotcheff, le film « Cowboy Jesus » (1996) de Jamie Yerkes, le film « Olivier Olivier » (1991) d’Agnieszka Holland (avec Grégoire Colin violé), le film « Au-delà du bien et du mal » (1976) de Liliana Cavani, le film « Délivrance » (1971) de John Boorman, le film « Uroki V Kontse Vesnoy » (1989) d’Oleg Kavun, le roman Un Voyage au Mont Athos (1988) de François Augiéras, le film « Strange Fruit » (2004) de Kyle Schidkner, le film « Shinjuku Kurashakai » (« Les Affranchis de Shinjuku », 1995) de Takashi Miike, les films « Les Voleurs » (1996) et « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le film « Gigola » (2010) de Laure Charpentier, le film « Sexual Dependency » (2002) de Rodrigo Bellott, le film « Évadés » (1994) de Frank Darabont, le film « Multiple Maniacs » (1971) de John Waters, le film « El Topo » (1971) d’Alejandro Jodorowsk, le film « Fièvre à Colombus University » (1995) de John Singleton (avec la lesbienne violée), le film « Lonesome Cowboys » (1968) d’Andy Warhol, les films « Violence et Passion » (1974) et « Rocco et ses frères » (1961) de Luchino Visconti, le film « Sleepers » (1996) de Barry Levinson, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, le film « Verdict » (1974) d’André Cayatte, le film « The Mudge Boy » (2002) de Michael Burke, le film « American History X » (1998) de Tony Kaye, les pièces Roberto Zucco (1989), Quai Ouest (1985), et Dans la solitude d’un champ de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, le roman Boquitas Pintadas (Le plus beau tango du monde, 1972) de Manuel Puig, les films « Pepi, Luci, Bom Y Las Chicas Del Montón » (« Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier », 1980), « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) et « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, la nouvelle « Fiord » (1969) d’Osvaldo Lamborghini, le film « Raping ! » (1978) de Yasuharu Hasebe (avec le viol d’un homme par un gang de motards), le film « Le Jardin des délices » (1967) de Silvano Agosti, le roman Le Viol de Lucrèce (1946) de Benjamin Britten, le roman Querelle de Brest (1947) de Jean Genet, le film « Portier de nuit » (1973) de Liliana Cavani, le film « Les Valseuses » (1973) de Bertrand Blier, le roman Tout ce qui est à toi… (2000) de Sandra Scoppettone, le film « Violent Cop » (1989) de Takeshi Kitano, le roman Le Reflet d’une ombre (2004) de Jonathan Denis, le film « 5×2 » (2004) de François Ozon, le film « Reviens, Jimmy Dean, reviens » (1982) de Robert Altman, le film « Flying With One Wing » (2002) d’Asoka Handagama, le film « Multiple Maniacs » (1970) de John Waters, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar (avec Anamika, l’héroïne lesbienne violée dans un bus), le film « La Soif du mal » (1958) d’Orson Welles (avec le viol collectif), le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce (avec le viol « correctif » de la lesbienne), le film « Él Y Él » (1980) d’Eduardo Manzanos, le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg (avec Christian l’homosexuel violé), le roman Le Cœur volé (1871) d’Arthur Rimbaud, le film « Vito E Gli Altri » (1992) d’Antonio Capuano, le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, le film « Les Désarrois de l’élève Törless » (1966) de Volker Schlöndorff, le film « Le Viol du vampire » (1967) de Jean Rollin, le film « Visage pâle » (1985) de Claude Gagnon (avec le viol collectif), le film « Sin Destino » (1999) de Leopoldo Laborde (avec l’homo violé dans son enfance), le film « Toto Che Visse Due Volte » (1998) de Daniele Cripi et Franco Maresco (avec la scène du viol collectif de l’ange), le film « Acla » (1992) d’Aurelio Grimaldi, le film « Irréversible » (2001) de Gaspar Noé, la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson (avec Dick, l’homo violé par les penetrator homosexuels), le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec Jack violenté par son père), le film « Rachel Getting Married » (« Rachel se marie », 2009) de Jonathan Demme (avec le coiffeur homosexuel abusé), le film « Claude et Greta » (1970) de Max Pécas (Claude a été violée dans sa jeunesse), le film « Baise-moi » (2000) de Virginie Despentes (avec le viol de Manu), le film « Les Amants criminels » (1998) de François Ozon (Luc est violé par un ogre), le film « AAPJMW » (2009) de Antoine+Manuel, le film « Little Gay Boy, Christ Is Dead » (2012) d’Antony Hickling (avec le viol du puceau, Jean-Christophe, à Paris), etc.

 

 

Par exemple, dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Glass a été mise enceinte à 16 ans aux États-Unis et vit désormais en Allemagne. Son fils, Phil, le héros homo, est fruit de ce viol. Dans le roman Julia (1970) d’Ana Maria Moix, Julia, une femme lesbienne, a été violée dans son enfance par un ami de la famille. Dans le roman A Sodoma En Tren Cobijo (1933) d’Álvaro Retana, Burney et son ami César endorment Nemesio pour le violer dans sa chambre. Mylène Farmer se fait violer dans les vidéo-clips de ses chansons « Plus grandir », « Je te rends ton amour », et « L’Annonciation ». Le viol est déclencheur de l’amour homosexuel dans le film « Drefting Gravity » (1997) de John Keitel. Dans le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, Félicia se rappelle d’un souvenir d’enfance : son oncle, nu dans son bain, l’a forcé(e) à plonger la main dans l’eau pour masturber son sexe, et lui a fait promettre de garder le secret. Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, le Dr Labrosse, quand il était encore enfant de chœur, a été violé par le personnage qui joue le prêtre. Dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, Shirin, l’un des deux héroïnes lesbiennes, est forcée de voir un chauffeur de taxi (dans lequel elle est rentrée) se masturber avec son pied à elle. Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, le lesbianisme de Clara survient du viol (par les mecs : le musicien, les autres garçons de la colo qui l’agressent verbalement et physiquement), de la peur de la génitalité, de la violence de la pression de la drague entre ados. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, l’homosexualité d’Adèle naît de la pression sociale à « niquer », à « faire couple » à tout prix : les amies lycéennes d’Adèle la poussent littéralement dans les bras de Thomas, avec qui elle vivra un coït qui ne se passera pas bien. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, un automobiliste homophobe voit Éric, le héros homo, déguisé en travelo (« Enfoiré de gay ! »), le viole et le tabasse (c.f. épisode 5 de la saison 1). Et dans la chambre de Jackson (c.f. épisode 8 de la saison 1), les lesbiennes sont présentées comme des personnes violées et violentes : Jackson a un poster « Lesbians » où une poitrine de femme est touchée par plusieurs mains baladeuses.

 

Nombreux sont les personnages homosexuels qui utilisent le mot « viol » dans leurs répliques : « Le violoncelle, c’est plutôt gai/gay ! » (Camille dans son one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet) ; « Hélas ! Amour, que tu fus consterné lorsque tu vis ce temple profané. » (Voltaire, L’Anti-Giton, 1714) ; « Et bien moi, dans le poulailler, je me suis fait violer par Yves Lecoq ! » (Jean-Philippe, l’homosexuel de la pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez) ; « J’me suis fait violer ! » (Sébastien l’homosexuel dans la pièce Qui aime bien trahit bien !(2008) de Vincent Delboy) ; « T’as peut-être été violé. » (Corinne s’adressant au narrateur homosexuel, dans le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Ils ne pensaient qu’à eux-mêmes. Ils ne me voyaient pas. Ils me violaient. S’en rendaient-ils seulement compte ? C’était une routine pour eux. » (Hadda la servante noire violée, dans le roman Le Jour du Roi(2010) d’Abdellah Taïa, p. 202) ; « J’me fais violer tous les soirs par le même concombre. » (Albert dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Pawel lutta continuellement avec des sentiments de haine contre Smokrev, convaincu qu’il avait été volé et violé. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, parlant de l’homosexuel pervers Smokrev, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 308) ; « Ce que j’aurais fait à cette époque de ténèbres, d’autres me l’avaient fait. » (Pawel parlant du viol pédophile qu’il a subit par son mentor Goudron, idem, p. 441) ; « Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, n’ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins, le canevas banal de nos piteux destins, c’est que notre âme, hélas !, n’est pas assez hardie. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Le viol dont il est question est parfois le viol social subi à l’école, au collège ou au lycée. « Mon surnom, c’est Toupie, tu sais très bien. Avec tes potes, vous me faites tourner… » (Benjamin s’adressant à son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) On peut citer par exemple le viol de l’homosexuel Mourad dans les vestiaires par ses camarades, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo l’homo s’est fait casser la gueule en classe de CM1 sur la cour de récré. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (« Ne le dis à personne », 1998) de Francisco Lombardi, le jeune Joaquín à 8 ans et un autre de ses camarades scouts se violent mutuellement sous une tente, et se promettent de garder le silence. Dans le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló, Randy est victime d’un viol collectif au lycée militaire. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, le mathématicien homosexuel Alan Turing s’est fait maltraiter au collège par ses camarades de pensionnat. Ils l’ont même séquestré sous un plancher de bois clouté. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, est violenté par ses camarades parce qu’il ne sait pas se défendre et qu’il se fait traiter de « tapette » ou d’« homo ».

 

 

Mais le viol surgit surtout dans la sphère familiale. Certains héros gays ont été battus par leurs parents ou ont vu ces derniers se maltraiter. Par exemple, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay, Roger et ses frères sont les enfants du viol : « Comme les trois autres fois où tu m’as violée, tu m’as fait un autre petit ! » (Mari Lou, la mère de Roger, à son mari). Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, les deux protagonistes homos (Rovo, le semi-demeuré, et Abram, le héros principal) ont été maltraités. D’ailleurs, Barbara, la mère d’Abram, décrit inconsciemment les violences domestiques comme le terreau de l’homosexualité de son fils : « P’têt que j’aurais pas dû le battre comme ça. » Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin s’est fait frapper par son père quand il était petit ; et la description des coups est suffisamment chargée d’ambiguïté (et d’inceste !) pour présenter le viol comme le détonateur du désir homosexuel du héros : « J’aurais voulu être Superman pour l’éclater. Mais un soir, il s’en est pris à moi. J’étais en CP, j’avais ramené un bulletin de notes un peu moins bon que d’habitude. Il m’a mis tout nu, m’a allongé sur le lit… j’étais terrifié. Il a défait sa ceinture et a commencé à me frapper, sans tenir compte de mon âge, comme si j’étais un adulte ou un criminel. Mais le bulletin, ce n’était qu’un prétexte. Il trouvait que j’avais l’air efféminé. À six ans ! Il me traitait de petit pédé, qu’il allait faire de moi un homme. » (p. 422)

 

Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien, le héros homosexuel, se rend compte qu’il a été violé par sa belle-mère Solange : « Pourquoi vous m’avez violé ?? » La belle-mère ricane : « Violé… Tout de suite les grands mots… » Finalement, Solange se rabat sur Yoann, l’amant efféminé de Julien. Elle lui fonce dessus, et ce dernier, au départ, résiste : « Elle voulait me violer ! C’est elle ! C’est moi qui était en-dessous. » Puis finalement, pour une affaire d’héritage, Yoann accepte de faire un gosse à la quinquagénaire.
 

Le viol, c’est tout simplement l’autre nom donné au manque d’amour, de désir (entre parents et enfant par exemple ; ou entre les parents). « Je cache des vérités importantes depuis que j’ai 13 ans. » (Erik, le héros homosexuel dépucelé à 13 ans, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs) ; « J’ai toujours pensé que ce qui avait rendu Erika chaotique dans son comportement sentimental, c’est une enfance malheureuse. […] Et curieusement, elle ne semble pas avoir eu vraiment conscience de ce malheur. De son enfance, elle a toujours dit : ‘Ce n’était pas marrant, mais il y a pire.’ Évidemment, matériellement il y a pire. La première fois qu’elle a prétendu que sa mère la détestait, je ne l’ai évidemment pas crue. […] Pourtant, quand j’ai vu Elisabeth Westermann, j’ai su qu’Erika disait la vérité. Sa mère ne la détestait peut-être pas, mais elle lui manifestait une telle indifférence que cela revenait au même, ou pire. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 189) ; « Bon, d’accord, ton mari t’a violée. » (Zulma parlant à sa fille Alba dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) Le personnage homosexuel est souvent le témoin involontaire d’un viol entre un homme et une femme, et cette scène reste gravée en lui comme un traumatisme : « Stephen avait erré jusqu’à un vieux hangar où l’on rangeait les outils de jardinage et y vit Collins et le valet de pied qui semblaient se parler avec véhémence, avec tant de véhémence qu’ils ne l’entendirent point. Puis une véritable catastrophe survint, car Henry prit rudement Collins par les poignets, l’attira à lui, puis, la maintenant toujours rudement, l’embrassa à pleines lèvres. Stephen se sentit soudain la tête chaude et comme si elle était prise de vertige, puis une aveugle et incompréhensible rage l’envahit, elle voulut crier, mais la voix lui manqua complètement et elle ne put que bredouiller. Une seconde après, elle saisissait un pot de fleurs cassé et le lançait avec force dans la direction d’Henry. Il l’atteignit en plein figure, lui ouvrant la joue d’où le sang se mit à dégoutter lentement. Il était étourdi, essayant doucement la blessure, tandis que Collins regardait fixement Stephen sans parler. Aucun d’eux ne prononça une parole ; ils se sentaient trop coupables. Ils étaient aussi très étonnés. […] Stephen s’enfuit sauvagement, plus loin, toujours plus loin, n’importe comment, n’importe où, pourvu qu’elle cessât de les voir. Elle sanglota et courut en se couvrant les yeux, déchirant ses vêtements aux arbustes, déchirant ses bas et ses jambes quand elle s’accrochait aux branches qui l’arrêtaient. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), pp. 38-39) L’homosexuel croit qu’il est le résultat d’un viol. « Mon père viole Ourdhia, le couteau taillade son sexe, j’ai peur. » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 73) Par exemple, dans le roman La Cité des rats (1979) de Copi, le Diable des Rats apparaît à Gouri pour lui annoncer le secret de sa conception : « Je suis ton père que tu n’as pas connu ; j’ai violé ta pauvre souris blanche de mère vierge dans le caniveau de la rue de l’Ancienne-Comédie un soir de folie. » (p. 117) Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank, le héros homosexuel, dit qu’il s’est fait battre par ses parents quand il était petit : « Mon père me frappait au visage. » Il explique que le fait que ses parents le battent tous les deux, « ça consolidait leur mariage ».

 

En général, le viol que subit le personnage homo concerne d’abord le/son couple, et les relations sentimentales entre héros homosexuels. Il se rapporte tout autant aux relations femme-homme qu’aux relations homme-homme ou femme-femme. Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, R. raconte qu’il s’est fait violer par un certain Laurent, « un fils de pute qui voulait pas mourir seul et qui a violé ma jeunesse » (p. 71). Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Rinn, l’une des héroïnes lesbiennes, force son amie Suki à l’embrasser sur la bouche, par jeu et « pour s’entraîner ». Cela finit mal car elles sont surprises par Juna et Kanojo. Suki est inanimée suite au baiser. Un peu plus tard, Rinn crie au viol à cause des actes de ses amies : « J’ai pas demandé à être tripotée comme ça. C’est pas de ma faute ! Laissez-moi ! Je ne veux pas qu’on me touche ! » Je reparle plus longuement du viol au sein du couple homo dans mon étude des codes « Coït homosexuel = viol » et « Liaisons dangereuses », ainsi que de l’homophobie homosexuelle avec le code « Homosexuel homophobe » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Il est fréquent que le viol que le héros homosexuel connaît soit tout simplement la pratique homosexuelle et qu’il soit perpétré par ses pairs homosexuels : cf. le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló (avec le viol collectif sur Randy au lycée militaire), etc. « Selon le rituel de nos frères de Russie, nous allons te purifier. » (les Virilius, commando d’homosexuels refoulés s’adressant à Jean-Marc, l’infiltré homosexuel, qu’ils vont torturer, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis)

 

Enfin, le viol renvoie également à une violence dirigée vers soi-même, soit par la masturbation, soit par le suicide : « À l’avenir, je me violerai sur un tapis dans le pré. » (Anthony, l’un des hréos homosexuels du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Y yo / pillaba yo ! » (cf. le poème « Anales » de Néstor Perlongher); etc.
 
 

b) Le viol fantasmé (= craint et désiré) :

Comme on vient de le voir, la mention du viol ne repose pas toujours sur un viol réel. Il peut être l’expression d’une crainte de la sexualité en général et de la différence des sexes en particulier, parce que certaines personnes l’ont vue par accident abîmée (cf. je vous renvoie au chapitre « Peur de la sexualité » dans le code « Symboles phalliques » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa, l’héroïne lesbienne, en voyant arriver un homme vers elle alors qu’elle est au volant d’une voiture, croit d’abord qu’il s’agit d’un violeur, avant de découvrir que c’est un flic.

 

Vidéo-clip de la chanson "Mon coloc" de Max Boublil

Vidéo-clip de la chanson « Mon coloc » de Max Boublil


 

Le désir homosexuel du personnage homo semble survenir à la suite d’un viol ou d’une diabolisation paranoïaque de la sexualité, et des hommes en particulier (chez les héroïnes lesbiennes surtout) : « On hurle, on flâne, on regarde, on triche, on vole. Et ils violent. » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 9) ; « Les hommes, ils m’ont fait… j’étais toute petite en plus… ils m’ont fait… RIEN. » (Océane Rose Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Il [le mari de Rani] m’apparut en imagination, un type laid au visage grêlé et aux mains sales. Riant et la prenant à son corps défendant. Soulevant son sari pour l’envahir. Poussant un brusque gémissement avant de s’endormir. Exactement comme dans un film que j’avais vu à la télé. Je voulais le tuer. » (Anamika, l’héroïne lesbienne dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 58-59) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, par exemple, la paranoïa du viol chez Mahaut, la protagoniste lesbienne, la fait aller vers le lesbianisme (on la voit se faire accoster puis agresser par un homme sur les quais de Seine, et immédiatement après, croiser le regard de sa future promise). Dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017, Louison, l’héroïne lesbienne, est angoissée par sa première fois (sexuelle, et avec un mec). De son angoisse d’être dépucelée va naître la conviction qu’elle est vraiment homosexuelle. Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Suzanne traite tous les hommes de violeurs : « On ne peut pas m’objecter que mon expérience des hommes est courte : Gaston et quelques violeurs. » (pp. 84-85) D’ailleurs, quand sa meilleure amie, Anne, lui demande explicitement si elle a déjà été violée, Suzanne lui répond avec malice « Évidemment » (idem, p. 152). Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, une femme travesti en homme, « Virgo Fortis », est pourchassée par « des soldats qui veulent la violer ». En restant célibataire et en cherchant à échapper à son sexe, elle prétend « échapper au mariage-inceste-viol ». Dans le film « Drool » (2009) de Nancy Kissam, Anora devient lesbienne parce qu’elle est maltraitée par son mari. Dans le film « Corps à corps » (2010) Julien Ralanton, c’est le même scénario : l’héroïne arrive au lesbianisme après s’être fait violer par deux inconnus dans un coin de rue.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Le violence cachée du couple homosexuel, calqué sur celle du couple hétéro, est devinée et crainte par beaucoup de personnages homosexuels : « J’ai échappé au viol ! » (Mimil, au moment où Jeff lui fait des avances, dans la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob) ; « Je crois que mon coloc [homosexuel] va me violer. » (cf. la chanson « Mon Coloc » de Max Boublil) ; « Pas elle ! Elle va me violer !! » (Camille face à sa nouvelle camarade de cellule carcérale Caroline, avec qui elle formera finalement un couple après sa conversion au lesbianisme, dans le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet) ; etc. C’est parfois le regard réifiant ou un sourire violent (cf. la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) qui a symboliquement violé le personnage homosexuel : « À cause de ce regard sur moi, la virginité en moi se sent soudain violée. » (cf. une réplique de la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès) ; « T’as réagi comme si j’avais abusé de toi. » (Oliver rappelant à Elio la première fois où il lui a massé/touché l’épaule, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; etc.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Parfois, le spectateur ou le lecteur peut douter de la vraisemblance de ce viol, qui ressemble davantage à un bobard ou à un conte imaginaire inventé par le héros pour se faire plaindre, pour frémir et pour exister, qu’à un viol réel. « Je me bats contre une douleur fantôme qui me hante depuis des mois, des années. » (Muriel Bonneville, Mi-ange, mi-démon (2006), p. 7) ; « J’ai peur de devenir folle. Toutes les nuits je rêve qu’on me viole. » (cf. la chanson « Les Adieux d’un sex-symbol » de Stella Spotlight dans l’opéra-rock Starmania de Michel Berger).

 

C’est également la superstition populaire qui associe parfois l’homosexualité au viol. Par exemple, dans le film « Kick-Ass » (2009) de Matthew Vaughn, Dave est suspecté d’être gay après avoir été retrouvé nu suite à une agression urbaine. Cela dit, toute superstition trouve son explication sur un substrat de réalité (… réalité au moins désirante).

 

Le plus incroyable survient quand les héros homosexuels se mettent à transformer le viol en fantasme. Comme dit Genet, ils « bandent pour le crime ». Par exemple, dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le héros se découvre homo après avoir été violé, mais paradoxalement, définit son homosexualité comme « une perle intérieure ». Dans la chanson « Viole d’amour » du groupe Cassandre, le viol est à la fois avoué et dénié pour l’annonce de l’amour homosexuel futur (« Il a l’âge de ton père, c’est peut-être le tien, il t’a mis en enfer ce matin. Il a violé ton cœur […]. Mais oublie ce viol d’amour car moi je t’aime. »). Dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros homosexuel, couche à l’armée trois fois avec Octave, son violeur d’adolescence : « Je ressentais ce désir comme une sorte de revanche pour satisfaire égoïstement ma propre libido. » (p. 92) Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, le narrateur homosexuel se rend sur un drôle de site internet, « Syndromedestockholm.com », pour y retrouver et draguer son violeur : « Quand j’étais enfant, j’ai été violé. Franchement, c’était génial. Et ce site m’a permis de retrouver la trace de mon violeur. Et je suis drôlement content d’avoir retrouvé mon grand-père. » Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le camionneur (Jupiter) a déjà violé Lio, et s’en prend à la jeune Europe, qui ne se dérobe même pas : « Tu as compris qui j’étais ? Je t’enlève, Europe. Ta vie ne sera plus jamais comme avant. Je te kidnappe. » La jeune lycéenne, au lieu de se révolter, se laisse faire : « Tu me sauves. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca dit sa fascination pour Déborah, un piège-à-hommes : « C’était mon idole. » Et il se met à parodier la chanson de Nancy Sinatra « Bang-Bang » : « Vous étiez tous gendarmes et violeurs. Et je criais gang-bang. Et j’adorais gang-bang. »
 

Dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, la femme violée est considérée par l’héroïne lesbienne Jane comme une sœur jumelle : « Les filles qui se font violenter sont souvent hyper sexualisées. » (p. 55) ; « À partir de maintenant, Anna Mann était livrée à elle-même. Plus d’une fille sur deux était victime d’abus sexuels. C’était la façon dont tournait le monde et on n’y pouvait rien. » (idem, p. 89) ; « On aurait dit qu’elle se préparait pour un gang bang. » (idem, p. 99)
 

Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Mélodie, l’héroïne bisexuelle, est avocate… mais au lieu de défendre la justice, elle se sert de son pouvoir de magistrat pour couvrir le délit ou le crime. Par exemple, face à un contrôle de police où son ami Michel manque de souffler dans un ballon alors qu’il est alcoolisé au volant, elle fait preuve de persuasion avec un policier pour échapper in extremis au retrait de permis… et ça marche. Plus tard, Mélodie a en charge un pervers qu’elle prend en pitié, qu’elle parvient à défendre en plaidoirie, en faisant passer les attouchements sexuels qu’il a fait sur une femme pour un dérapage : « Il s’agit d’un geste d’amour qui a mal tourné. » Mais à la fin du film, elle se retrouve face à une récidive beaucoup plus grave du même violeur, puisque cette fois, il est passé au viol. Elle a donc couvert et laisser courir en liberté un agresseur multi-récidiviste. Face à ses amis qui s’étonnent qu’elle ait défendu l’injustifiable, elle joue d’abord l’indifférence professionnaliste (« Bien sûr que je vais le défendre. C’est mon métier. ») avant de fondre carrément en larmes, surprise par une culpabilité inconsciente qui déborde en elle (« Je n’en peux plus de toute cette merde. Je ne sais plus à quoi m’accrocher ! ») Tout le film montre que, au même moment qu’elle vit son homosexualité, Mélodie défend à plusieurs reprises le viol : il y a une corrélation constante entre plaidoirie du viol et justification de la banalité/beauté de l’amour bisexuel/asexué.
 

Parfois, le héros homosexuel considère le viol comme SA Vérité profonde : « Je ne désespérais pas de lui avouer, un jour, ‘ma’ vérité. » (Ednar dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 181) ; « J’veux être une brouette. » (Sarah, l’héroïne lesbienne, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Qu’on me viole, qu’on m’attrape, j’ai besoin d’un bon coup. » (cf. la chanson « L’Hymne à l’amour » de David Courtin) ; etc.

 

Certains personnages homos disent explicitement qu’ils désirent le viol (et posent la question qu’on n’attendait pas : « Que faire quand on trouve notre violeur beau ? ») : « De ma vie, je ne m’étais jamais fait baiser sans le vouloir. Je sais maintenant que tout peut arriver. Et que, même sans le vouloir, on peut aimer cela. » (Bjorn, l’un des héros homos du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 154) ; « Je ne veux pas qu’elle s’introduise. J’aime être contrainte. Je ne veux pas qu’elle m’introduise. Même si elle me dit qu’elle m’aime. » (SweetLipsMesss dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au 3e Festigay du Théâtre Côté-Cour, en 2009) ; « Tu pries pour que ton frère, comme toi, au même moment, soit blotti dans les bras d’un beau jeune homme plein de vigueur, et qui prendrait soin de toi comme d’une poupée. » (Félix à propos d’un soldat allié, Bob, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 132) ; « La façon dont elles l’avaient traité ne le choqua point ; il trouvait les deux vieux travelos adorables, il se mit à bander. » (le prince Koulotô désirant ses deux violeurs, dans la nouvelle « Les Vieux Travelos » (1978) de Copi, p. 90) ; « Nature du décès : j’me suis fait violer par trois beaux jeunes hommes. » (Lucienne dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « J’aimerais bien prendre un coup. » (Jules, le héros homosexuel dont la langue a fourché car il pensait dire à la serveuse « Je vais prendre un coup », dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « J’préfère encore me faire tripoter par un prêtre comme mes copains cathos quand ils vont au caté. » (Laurent Spielvogel à propos du rabbin à qui il va rendre visite, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Les garçons préfèrent toujours ceux qui les malmènent. » (idem) ; « Le jour, la nuit, surtout, j’aimerais qu’on me viole. Je mettrais ma parole tous les mâles sur mes genoux » (c.f. la chanson « Ah ! Si j’étais une fille ! » de Gabriello) ; etc.

 

L’excitation d’être violé et d’avoir été violé ressort chez tous les personnages homosexuels du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, par exemple : « Cody dit ‘Je m’a suis fait voler. Nourdine il a tout volé, l’argent et la caméra de New York University que j’avais empruntée. Oh my god, on habitait ensemble, et cette matin, je m’est levé et tout avait disparu dans l’appartement.’ Je l’accompagne pour porter plainte. Je lui dis ‘Ça te plaît, hein, que ce mec t’ait volé ? C’est la preuve que tu avais raison d’avoir peur. Maintenant ça te fait jouir d’avoir été une femme violée et volée, c’est comme si ton rêve magique d’être une femme avait été poussé au maximum.’ Cody, pris en faute, me regarde de travers. » (Mike, le narrateur homosexuel, s’adressant à son pote gay nord-américain Cody, p. 111) ; « Cody cherche des Arabes. Il est obnubilé, il dit ‘Je sens que je pourrais être une femme avec eux parce qu’ils se servent de ton corps comme celui d’une femelle, tu vois, comme si t’étais une objet de plaisir et que tu n’existais pas comme personne. » (Cody, idem, p. 91) ; « Tu crois que c’est comme les pédés qui cherchent à se faire violenter dans le SM, tu finis toujours par t’apercevoir à un moment ou un autre que ce qu’ils recherchent dans cette violence contrôlée (parce qu’elle est donnée dans un cadre sexuel strict) c’est de vivre ce qu’ils ont le sentiment de mériter en tant que pédé. Genre je suis pédé, je mérite de me faire tabasser, je me fais honte, steplé, tabasse-moi pour que je sois en concordance avec moi-même. Tu crois pas ? » (Polly, op. cit., p. 47) ; « Vianney consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… » (Mike racontant son « plan cul » avec un certain Vianney, op. cit., p. 84) ; « Polly [l’héroïne lesbienne] dit que le sida n’est pas une fatalité, que les pédés doivent arrêter de penser qu’ils le méritent. ‘C’est faux, c’est même archi-faux, affirme-t-elle, c’est comme quand vous pensez que vous méritez de vous faire agresser. Faut arrêter avec tout ça, on ne mérite pas le sida ni de se faire agresser quand on est pédé. Par contre, on peut se demander si cette propension des pédés à croire ça ne cache pas plutôt une forme d’auto-homophobie intériorisée.’ Elle a tort. » (Mike, op. cit., pp. 72-73) ; etc.

 

Dans la pièce Ma première fois (2012) de Ken Davenport, c’est quand sa copine lui résiste (« Arrête, lâche-moi ! ») qu’une des héroïnes lesbiennes se dit encore plus excitée (« Ça, ça me fait bander comme un cheval ! »). Dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, Lourdes demande à son public qu’il la fouette, la batte, et la viole. On retrouve le rêve d’être violé dans le film « Girls Will Be Girls » (2004) de Richard Day. Dans la pièce Tante Olga (2008) de Michel Heim, l’héroïne toute heureuse d’avoir été violée par « le Cosaque ». Dans la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt, Louna fait croire qu’elle a été violée pour exister aux yeux de ses amies. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, au moment où Omar arrive chez Marcel pour lui demander l’hospitalité (« Allez, ouvre, j’vais pas t’violer. »), ce dernier lui répond en boutade : « Ah… c’est dommage… » Dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier, face à son psy, décrit le cambriolage dont il aurait été l’objet, comme un viol (on découvre ensuite que ce vol était en réalité fictif, pur produit de son imagination, simplement pour le plaisir d’avoir à crier « Au viol ! ») : « Donc j’ai été violé !!!… mais bien sûr au sens figuré ! J’parle de mon appartement ! […] Ils n’ont rien volé. Mais ils auraient pu ! » Dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, il est fait référence à « l’obsession de violence » chez les personnages. Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, le Dr Labrosse fantasme de se faire violer par un jeune Sénégalais de 16-17 ans appelé « Babacar ». Dans le film « Strangers In A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, Bruno va essayer d’étrangler une vieille femme bourgeoise désirant connaître la sensation d’étouffement. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, tous les personnages homosexuels désirent le viol et finissent par défendre l’amant qui va les violer/assassiner : Franck, le héros, soutient Michel jusqu’au bout ; et Henri, après avoir couché avec Michel pour préserver Franck, avouera dans son dernier souffle : « J’ai eu ce que je cherchais. » Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel efféminé, attise, par sa provocation, la haine de ses agresseurs homophobes et met de l’huile sur le feu en les insultant. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, quand Emmanuel commence à violenter le jeune étudiant en histoire qu’il va finalement violer (« Tu veux pas que je te fasse mal, non ? »), ce dernier, après un court moment d’hésitation, lui répond sérieusement : « Ben… je sais pas…[…] Ça me gêne pas, la brutalité. » Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, semble être tout excité de vivre des situations mortelles même fantasmées : « Quelqu’un a fermé la porte. Mon Dieu ! Nous sommes piégés !!! »

 

L’évocation du viol fantasmé est une technique de drague : le libertin homosexuel joue la victime pour mieux approcher sa proie, l’apitoyer. « Je me suis cyniquement engouffrée dans la brèche qu’elle m’offrait, et je lui ai parlé de mes violeurs. Il était temps, finalement, que ces garçons servent à quelque chose, et dans ce cas précis à justifier mon dégoût des hommes. Du dégoût des hommes au goût des femmes, il n’y a qu’un pas. » (Suzanne par rapport à Agnès, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 225) ; « J’ai pris ce que tu m’as donné, de mon plein gré. Ce n’est pas de ta faute, Thérèse. » (Carol, l’héroïne lesbienne consolant son amante Thérèse en pleurs, culpabilisant d’avoir couché avec elle, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes)

 

Par exemple, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, Marcel fait croire à Frédéric qu’il s’est fait violer, pour l’attirer à lui : « Marcel rapplique en expliquant qu’il a rencontré, dans la rue, un couple de garçons, il y a de ça deux jours. Il les a suivis chez eux. Ils l’ont saoulé ou drogué. Il ne se souvient pas du reste de la soirée ou de la nuit. Il s’est réveillé sur un banc, dans une station de métro, alors qu’un policier l’a secoué pour le chasser. Il a mal partout, surtout au cul. Il croit avoir été violé. Ils lui ont aussi pris son portefeuille. » (p. 22) On apprend un peu plus loin qu’il s’agit d’un mensonge amoureux fondé sur la victimisation : « Peut-être par remords d’avoir abusé de la situation, il lui écrit pour tout avouer, d’abord que le récit de Toronto était tout à fait faux, qu’il n’avait jamais quitté Montréal, qu’il s’agissait d’une histoire inventée de toutes pièces pour le rendre plus intéressant à ses yeux. » (p. 23) Pourtant, cela n’empêche pas Marcel de récidiver avec un autre amant, Bertrand : « Ce courriel contrarie Marcel au point qu’il fait attendre sa réplique à son tour pendant toute une semaine. Il envoie alors un message dans lequel il reprend son histoire de fugue à Toronto, son viol et son vol, la même qu’il avait inventée pour Frédéric. » (p. 39) Il faut savoir que le viol est une technique de drague très employée par les personnages homosexuels des fictions pour se faire aimer.

 

Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, pour échapper au service militaire et à l’armée, invente tout un tas de sévices (il plaisante avec le calembour « Sévice militaire », d’ailleurs) qu’il a/aurait subis de la part de ses frères, ses camarades d’école (« Ils étaient 119 sur moi ! »), rapport qui se révèle dissuasif puisque le médecin militaire finit par l’exempter de son devoir d’État : « Il a imaginé des choses tellement immondes qu’il a écrit un rapport de 4 pages. »

 

Le plus curieux, c’est que parfois, le personnage homosexuel va se persuader d’avoir trouvé son unité dans la brisure du viol (réel) qu’il a subi. « Je plongeai dans la rivière. Baissant l’échine, je remontai un champ de vigne voisin, quand je sentis la masse de l’homme, comme un carapaçon de laine, me plaquer au sol en plein soleil. La chaleur de sa poigne se propagea jusqu’à mon cœur, et figea ma volonté. Il murmura à mon oreille les mots étrangers du manque et du désir. Il me lécha la nuque et le cou. Il écarta mes fesses et y colla ses joues râpeuses pour m’enduire de salive, tout en caressant mes hanches. J’avais plus que la chair de poule, mon corps tremblait tout entier comme si je n’étais plus qu’un cœur énorme, badoum, badoum… […] Quelque chose se tordait et craquait en moi. » (la voix narrative de la nouvelle « La Carapace » d’Essobal Lenoir, Le Mariage de Bertrand (2010), p. 15) ; « Je me sens si différent. Comme si avant, j’avais un corps mais j’étais pas dedans. » (Didier après son expérience homo, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Je n’aimais pas son haleine à l’odeur de bière et de cigarette. […] Quand j’ai été dans sa bouche, j’ai trouvé ça divin. J’ai oublié qui j’étais. » (le jeune Mathan parlant de sa première fois homosexuelle, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.

 

Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, le viol et le désir de viol sont tellement imbriqués que le spectateur ne sait plus si c’est du lard ou du cochon : « On m’a encore droguée au GHB ! J’attire cette drogue ! » (la mère) ; « Bien sûr qu’on a abusé de moi ! 30 fois selon l’urgentiste ! Il aurait manqué plus que ça ! » (idem). Tous les personnages vivent leur viol scabreux comme une renaissance et un moment de jouissance incroyable. Par exemple, la jeune lycéenne transgenre M to F Gwendoline a été violée par « deux tapettes » racailles (dont un certain Mounir) dans une cave, et déclare que pour toutes les filles, « le viol et la double pénètr’, c’est le minimum ! » : « Aaaah… les tournantes, c’était vraiment génial ! ». Elle présente le viol comme le coup de grâce qui lui rend sa sainteté et sa virginité (on entend résonner l’« Alleluia » de Haendel) : « Je réalise qui je suis et quel sera mon destin ! »

 
 

c) Le personnage homosexuel ou gay friendly aime pousser le cri du viol en imitant l’actrice terrorisée des films d’épouvante :

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Appel déguisé », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » » et « Clown blanc et Masques » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Ce qui m’a mis sur la piste des liens non-causaux entre désir homosexuel et viol, c’est l’insistance des artistes homosexuels à représenter et à s’identifier à l’actrice violée cinématographique.

 

La figure de la femme violée, notamment, revient très souvent, comme si les héros homosexuels (et leurs auteurs !) cherchaient à s’y identifier (cf. je vous renvoie surtout aux codes « Femme allongée », « Femme-Araignée » et « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey (avec la défloration de la petite Perla), le film « La Piel Que Habito » (2011) de Pedro Almodóvar (avec un père qui opère sa fille après qu’elle se soit fait violer), le film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau, le roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos, le film « Ascetic : Woman And Woman » (1976) de Kim Shu-hyeong, la pièce Baby Doll (1956) de Tennessee Williams (où Archie viole Mégane), le film « Club de femmes » (1936) de Jacques Deval (avec Juliette violée), la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy (où le Thénardier dit à sa femme qu’il « l’a violée un soir près de Versailles »), le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (Gabrielle, la femme violée amnésique), la chanson « Last Night » de Britney Spears, la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi (avec Solitaire, la femme violée et abandonnée), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec Dakota, la femme poursuivie par Ayrton), etc.

 

« Cette fille, Virginie, violée sur la place, et bien c’est moi. […] J’ai toujours été un peu joueuse avec les touristes… […] T’imagines ce que c’est, un viol ?? T’imagines pas ?? C’est l’inverse de donner la vie. On vous prend la vie. Un sentiment de mort. » (Léa, l’héroïne hétérosexuelle de la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Je suis sentimentale et parfois femme fatale. » (cf. la chanson « Je suis toutes les femmes » de Dalida) ; « Alejandro, please, just let me go ! » (Lady Gaga dans sa chanson « Alejandro ») ; « Je je suis si fragile qu’on me tienne la main ! » (cf. la chanson « Libertine » de Mylène Farmer) ; « Sauvez-moi ! Quand il me soulève et qu’il me prend la main, ma voix se dérègle ! » (cf. la chanson « Sauvez-moi ! » de Jeanne Mas) ; « Elle me montre la première page d’Ici-Paris : une imitatrice de Marilyn Monroe s’est pendue dans sa cellule dans la prison de Regina Celi à Rome : c’est Marilyn, la mienne ! » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 51) ; « Dorita se donna à lui [Silvano] pour la première fois la nuit des adieux, dans la salle de classe, sur le bureau de Silvano, tandis que la pluie fouettait les carreaux. Dorita était vierge. L’expérience fut douloureuse pour tous les deux. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 12) ; « Rien n’est plus émouvant qu’une belle femme qui souffre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 77) ; « C’était comme si certaines filles portaient une marque secrète que seuls les pervers pouvaient voir. Une fois qu’elles avaient été abusées, d’autres salauds parvenaient à le sentir d’une façon ou d’un autre, et ils les pistaient pour prendre leur tour. […]Pourquoi est-ce que tu cherches sans cesse des excuses à ces hommes ? Ils ont cherché à gagner ta confiance pour abuser de toi. Même le prêtre ; il a préféré ignorer quel âge tu avais. Tu ne fais pas du tout dix-sept ans. Au fond de son cœur, il savait que tu étais trop jeune. Tu ne le vois pas ? » (Jane, l’héroïne lesbienne s’adressant à la jeune Anna, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 242) ; « Encore une fois l’histoire d’une femme trompée. Une de plus… » (Atos Pezzini, homosexuel, parlant des Noces de Figaro, dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli) ; etc. Par exemple, à la fin du téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, on apprend que le requin d’entreprise qu’est devenue Élisabeth (Fanny Ardant) a été violé dans son adolescence. Dans le film « Incidences » (2012) d’Andromak, Anne a été victime d’un viol dès son plus jeune âge. Dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie, Armand, homo de 43 ans, empêche le viol d’une jeune femme, Curly, menacée par quatre jeunes hommes. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette, l’héroïne lesbienne, subit un viol d’intimité : son grand frère Adrien rentre dans sa chambre alors qu’elle se déshabille. Dans le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval s’identifie à Tina Turner, la femme battue par son mari. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Catherine, part dans la forêt et y croise un homme diabolique avec « une tête de fou, démoniaque, le sexe à l’air », qui la fait hurler. Tous les personnages de la pièce avouent leur fantasme de viol : « Les sales types, les voyoux comme Herbert, j’adore ça. » (Fabien, le jeune héros homosexuel)

 

Film "Cabaret" de Bob Fosse

Film « Cabaret » de Bob Fosse


 

On retrouve ce goût homosexuel pour le cri de la femme violée cinématographique dans le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse (avec Sally aimant hurler au passage des trains), les film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz ou bien « Reflection In A Goldeye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (Elizabeth Taylor y poussent des cris d’anthologie), le film « Passion » (1964) de Yasuzo Masumara (avec le personnage de Mitsuko), la chanson « And I Hate You » de Mélissa Mars, le poème « Cri écrit » (1925) de Jean Cocteau, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras (avec l’affiche géante d’une actrice de film d’épouvante sur le mur de la chambre), le film « Psycho » (« Psychose », 1960) d’Alfred Hitchcock (avec la scène de Marion sous la douche), le film « Girls Will Be Girls » (2004) de Richard Day (avec l’affiche « My Fair Evie »), le film « La Flor De Mi Secreto » (« La Fleur de mon secret », 1995) de Pedro Almodóvar (avec le concours télévisuel du meilleur cri d’effroi), le film « The Others » (« Les Autres », 2001) d’Alejandro Amenábar (avec Nicole Kidman, la femme violée hurlante), le film « Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! (1985) de Russ Meyer, le film « Office Lady Rape : Disgrace ! » (1990) d’Hisayasu Sato, le film « Sudden Fear » (1952) de David Miller (avec Joan Crawford), le film « Screaming Mimi » (1958) de Gerd Oswald, le film « La Plainte de l’Impératrice » (1990) de Pina Bausch, la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, les chansons « Fallait pas commencer » de Lio ou « Embrasse-moi Idiot » de Bill Baxter (avec les cris des choristes), la chanson « Me Persigue un Chulo » de Las Ketchup, etc. Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, la sonnerie de téléphone portable de Graziella, la présentatrice-télé, ce sont des cris continus de femme agressée.

 

Le viol ressemble alors davantage à une posture esthétique tragi-comique qu’à un viol réel : « Il ne me reste qu’à […] hurler qu’on m’a violé et que je vais tout répéter à mes très violents frérots. » (Vincent Garbo qui veut incriminer le prêtre qu’il a perverti, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 134) ; « Au secours ! Au viol ! » (le gode vibreur parlant, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Papa, ils ont violé mon cœur ! » (cf. la chanson « Libertine » de Mylène Farmer) ; « T’es tellement fou que tu pourrais tous nous violer ! » (Pénélope dans le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Ne râlez pas comme ça ! On dirait qu’on vous égorge ! » (une réplique de la pièce Loretta Strong (1974) de Copi) ; « Je suis absolument bouleversée, il vient de m’arriver une chose atroce ! Je me suis fait violer par mon chauffeur, c’est le mari de ma gouvernante, ce sont des gens terrifiants, elle s’habille en gitane pour me faire honte lors de mes réceptions. Elle surveille tous mes gestes, je l’ai surprise à me photographier dans ma baignoire ! Et son mari est un colosse qui m’a violée à deux reprises ! » (« L. » à Hugh dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, p. 13) ; « Quel enlèvement ? Vous avez avalé l’histoire de cette morveuse ? […] La simulation du viol est sa spécialité. » (le Gros en parlant de Graciela à Silvano, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, pp. 63-64. C’est moi qui souligne) ; « Jane pensait avoir rêvé de Greta, la mère d’Anna, qui reposait sous le plancher du deuxième étage, mais dans son rêve Greta se mélangait avec des putes d’Alban et la fille assassinée du film ; la façon dont ses yeux s’étaient écarquillés quand le couteau s’était enfoncé. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 79) ; etc. Dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, la voix narrative lesbienne exprime son envie de pousser le cri des petites filles aux garçons qui les poursuivent sur la cour d’école : « Que vous ne nous attrapiez pas ! »

 

Dans les romans de Thibaut de Saint-Pol, en général, transparaissent justement les fantasmes de persécution homosexuels. On voit que l’auteur, tout masculin qu’il soit, aime particulièrement jouer les Grandes Folles perdues fugitives, se mettre dans la peau de la Drama Queen aux prises avec un ignoble Méchant de dessin animé. C’est palpable dans À mon cœur défendant (2010), où son héroïne Madeleine est poursuivie par un Nazi… et c’est afffffreux : « Je dois quitter Paris au plus vite ! À n’importe quel prix. […] Désemparée, ne sachant pas où aller. […] Pour la première fois de ma vie, je sens la mort qui plane sur moi. Il faut fuir, et vite. » (pp. 20-21) ; « Je voudrais tellement lui dire ce qui m’est arrivé aujourd’hui ! Comment vais-je réussir à garder mon secret ? » (Idem, p. 22) ; « Je risque ma peau. Pour qui ? Pour quoi ? Je n’ai que vingt-quatre ans ! » (idem, p. 49) ; « Je suis la maîtresse d’un espion, d’un traître, d’un ennemi ! » (idem, p. 78) ; « Comment le sort a-t-il pu mettre un Boche sur ma route ? […] Comme je regrette ces nuits d’ivresse ! […] Je suis en danger. Où que j’aille, les nazis me rechercheront. » (idem, p. 78) ; « J’étouffe ! Je me revois dans les bras de cette brute. Grâce au ciel, j’ai échappé au pire. » (idem, p. 86) ; « Ai-je eu raison de fuir ? » (idem, p. 136) La vierge effarouchée s’exprime !

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, on retrouve cette même identification esthétisante au viol : je me suis amusé à relever toutes les fois où Lord Bigot a employé l’adjectif « atroce » (… et tous les autres adjectifs avec des « r » ou des « a » dedans, dont la communauté homosexuelle raffole : « affreux », « affligeant », « abominable », « désastreux », « glauque », « pathétique »…). D’ailleurs, ce n’est pas un hasard que dans ce même roman, l’identification à la femme violée soit si marquée (cf. le viol d’Irène par Trudel, ou encore le récit de Bathilde s’identifiant à lady Philippa) : « J’avais rêvé que j’observais le viol de lady Philippa par les vitraux brisés de la chapelle. En même temps, j’étais lady Philippa moi-même. » (p. 303)

 

Soit parce qu’ils ont vécu un viol réel, soit parce qu’ils ont au moins vécu un effondrement identitaire qui les angoisse et les appelle à vouloir être dominés et être quelqu’un d’autre ( = l’actrice violée sublimée par le cinéma et qui redevient forte en se vengeant), beaucoup de héros homosexuels cherchent à s’identifier et à se faire violer par la femme machiste phallique : « Je ferai comme une fille qui se défend. » (cf. la chanson « Le Grand Secret » d’Indochine) Je vous renvoie évidemment au code sur Catwoman dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

d) Le drame du personnage homosexuel est d’être pris pour un objet ou de désirer être un objet :

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Pygmalion » et « Poupées » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Je vous renvoie aussi au film « Showboy » (2002) de Christian Taylor et Lindy Heyman, au film « Adieu forain » (1998) de Daoud Aoulad-Syad, au film « Prends-moi » (2005) d’Everett Lewis, etc. Par exemple, dans le film « Les Mille et une nuit » (1974) de Pier Paolo Pasolini, Zoumourroud est vendue sur un marché aux esclaves. Idem pour Rebeca (Victoria Abril) dans le film « Tacones Lejanos » (« Talons aiguilles », 1991) de Pedro Almodóvar. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, Joaquín, le héros homosexuel, à 15 ans est traité de « poupée de porcelaine » par son père. Dans la pièce très autobiographique Mi Vida Después (2011) de Lola Arias, Vanina, l’héroïne lesbienne, dit avoir souffert d’être utilisée comme « faire-valoir » par son père militaire. On retrouve le thème de l’identification du « je » homosexuel à un fétiche immolé dans les chansons « Marchand de fleurs » des Valentins, « Le Brasier » d’Étienne Daho. Le personnage homosexuel exprime souvent son impression d’être réifié, ou son désir d’être consommé : « On se le passe de mains en mains, le Vincent, de bras en bras, tel un joujou Celluloïd, et personne alentour, jamais personne pour le sauver de cette inadmissible emprise sur son corps. » (cf. le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 39) ; « Tanguy s’était habitué à être ballotté par-ci, par-là… » (Michel del Castillo, Tanguy, (1957), p. 182) ; « Ne suis-je que fausse monnaie ? » (un personnage homosexuel de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Tu vas me faire le plaisir de t’endurcir, mon fils ! » (le Père 2 homo s’adressant à son fils homo Gatal, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Je ne suis pas un homme et je n’ai pas le droit d’être une femme. Je suis un jouet, on a ignoré que j’ai un cœur ! » (Reine Gertrud dans le film « Hamlet » (1921) de Sven Gade) ; « Me voilà objet. » (Julien dans la pièce Une rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henry) ; « Je suis de la terre glaise, on fait de moi ce que l’on veut, de la terre malléable à merci. Je ne sais pas ce que je suis. » (Cécile dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 42) ; « J’ai vraiment un corps de base. Si j’étais une voiture, je serais sans option. Mon père m’a eue en soldes. C’est un radin. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Je ne criais jamais, j’étais tellement heureuse d’être ton objet, d’exister. » (Cécile à son amante Chloé, idem, pp. 39-40) ; « J’adore qu’on profite de moi. […] Personne ne me force. » (Matthew Ferguson, le gigolo du film « Eclipse » (1995) de Jeremy Podeswa) ; « J’ai envie d’être l’outil de sa jouissance. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 65) ; « Je voudrais être un objet. » (Cyril dans la pièce Parce qu’il n’avait plus de désir (2007) de Lévy Blancard)

 

L’esthétisme artistique réifiant altère chez les héros homosexuels l’impression d’être violés et utilisés… alors que pourtant, c’est souvent le cas.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certaines personnes homosexuelles ont vécu réellement le viol génital :

Je vous renvoie à l’essai Une Vie violente (1959) de Pier Paolo Pasolini, à l’ami gay violé dans l’autobiographie Quitter la ville (2000) de Christine Angot, à l’essai L’Envers des cimes (1996) de l’alpiniste Marc Batard, au dossier de témoignages de sujets homosexuels violés dans la revue Histoires d’Elles (n°3, février 1978), aux témoignages de l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang et de l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, au documentaire « Viol : elles se manifestent » (2014) d’Andrea Rowling-Gaston (où plusieurs intervenantes sont lesbiennes). Je rappelle aussi qu’il y a eu une campagne féministe contre le viol en 1976 en France (et chacun sait combien les mouvements lesbien et féministe se télescopent).

 

Toile de Francis Bacon

Toile de Francis Bacon


 

Un certain nombre de personnes homosexuelles ont déjà pu être violées au sein de leur famille, par la violence d’un inceste, par le divorce des parents, par l’abandon amical ou familial, par le visionnement d’images porno qui a blessé en elles l’image de la différence des sexes, par un mariage malheureux : « La jeunesse du futur poète [Oscar Wilde] s’écoule, non pas dans le calme, mais dans les échos et les remous d’un scandale qui désagrège sa famille : la maîtresse de son père fait du chantage, intente un procès aux Wilde en prétendant avoir été endormie au chloroforme puis violée par sir William. Les amis de collège d’Oscar, qui suivent le procès dans les journaux, ne lui épargnent aucun détail… ‘Voilà donc où conduit ce grossier amour des hommes pour les femmes, à cette boue !’ écrira-t-il plus tard, en parlant de cette lamentable affaire. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 170) ; « À sept ans, ce garçonnet [Ednar] subit des attouchements sexuels de la part d’un collègue de travail de son père. Malheureusement, sachant que personne ne s’intéresserait à son problème, il ne put se confier. Man Éloi (Adesse), sa mère, ne détectait pas les soucis de son fils, ni à quel point il était martyrisé par son frère. Il ne put jamais trouver les mots pour exprimer son désarroi et sa souffrance. […] Et voilà qu’en plus de toutes ces difficultés, un autre drame s’ajouta à son calvaire. Une nouvelle tentative d’agression sexuelle perpétrée par Octave [23 ans], l’un des meilleurs copains de son frère Hugues. À onze ans, la vie d’Ednar commençait par une descente aux enfers, cet abîme qui déjà le convoitait en le livrant à la merci et à l’incompréhension des personnes censées l’aimer et le protéger. Affecté par ce sentiment de culpabilité, cet enfant ne put dévoiler les secrets trop lourds à porter dans son cœur. Jamais dans sa famille il n’osa avouer son malheur dans le sous-bois. Il en parla à demi mots à ses copains de classe, qui eux non plus n’avaient pas le droit de répéter ces choses-là aux grandes personnes. À l’époque, il n’était pas permis aux jeunes enfants de dénoncer les perversités ni les égarements des anciens. […] Ce traumatisme inavouable fut l’un des plus grands secrets de sa vie. Et lorsqu’il devint adulte lui-même, il évoqua cette mauvaise rencontre comme ‘l’incident’ qui n’aurait jamais dû être […]. Décidément, le malheur s’acharnait sur cet enfant ; l’adolescent venait d’avoir treize ans, lorsqu’il tomba dans un autre piège. Cette fois un ancien collègue de son père l’attira chez lui dans un guet-apens ; lorsqu’il comprit le but de l’invitation, il voulut s’enfuir. L’homme le retint ; il se débattit, parvint à se libérer et, enjambant la fenêtre, il s’enfuit et escalada le mur du cimetière voisin. Dans le crépuscule, il prit la poudre d’escampette pour échapper au viol. L’homme le poursuivit, en vain. Là non plus, il ne put se confier à un adulte et, pire, c’est lui qui culpabilisait. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son roman très autobiographique Un Fils différent (2011), où il raconte à travers son personnage Ednar les trois viols pédophiles qu’il a subis dans l’adolescence, pp. 12-14) ; « Mon cousin a profité de moi. Mon cousin avec qui il s’est passé des choses… très dures. C’était avec lui que j’ai perdu une partie de moi. Une fois mariée avec lui, il m’a fait payer le fait que j’aie été avec une fille avant. Il m’a séquestré. Il y a eu des coups. J’étais juste un corps. » (Amina, jeune femme de 20 ans, lesbienne, de culture musulmane, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Sexuellement, ça se passait de manière catastrophique. » (Irène, une femme lesbienne de 65 ans, jadis mariée avec un homme, idem) ; « Je pourrais également être prostitué – et même travesti, navré si cela vous choque. Violé à l’âge de 12 ans, j’ai grandi dans une famille où l’inceste était monnaie courante. Les hommes de mon enfance – à commencer par mon père – n’étaient pas à la hauteur. Pire, ils auraient dû me dégoûter d’être un homme. » (Père Jean-Philippe Chauveau, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 17) ; « Ces souffrances profondément déstabilisatrices ont souvent pour origine un passé de viols et de violences. » (Père Jean-Philippe parlant des personnes transsexuelles, idem, p. 233) ; « ‘J’aurais voulu naître femme. Rendez-moi mon vrai corps.’ Voilà ce que les transsexuels demandent aux médecins. Christopher, par exemple. J’avais un feeling spécial avec lui car ses parents étaient alcooliques et j’imaginais sans mal les sévices de son enfance. Il a commencé la prostitution à 14 ans, Porte Dauphine. Il s’est retrouvé ligoté et violé par plusieurs mecs en même temps. Un jour, il a décidé de se faire opérer pour devenir transsexuel. » (idem, p. 245) ; « La transsexualité ça a sauvé ma vie parce que ça m’a permis de rejeter un corps qui avait été violé. » (Sébastien/Victoria, homme trans M to F de 43 ans, dans le documentaire « Pédophilie, un silence de cathédrale » (2018) de Richard Puech) ; etc.

 

 

Pour ce qui est des cas de personnes homosexuelles violées connues, je vais tenter de vous en dresser la liste, même si elle est très incomplète (d’autant plus qu’entre le viol réellement effectif et le ressenti du viol, la frontière est ténue). Par exemple, le chanteur homo argentin Miguel Frías Molina a été abusé par un prêtre dans sa jeunesse. Frank Worthen a été violé et est homosexuel. À l’université, Andrew Comiskey contracte une maladie vénérienne et est victime d’un viol collectif à son domicile. Le romancier Juan Soto, à 12 ans, a été violé par un soldat italien. Le comédien homosexuel Jean Marais ou bien encore le philosophe Michel Foucault ont été abusés dans leur adolescence. Dans l’essai de Fernando Olmeda El Látigo Y La Pluma (2004), on peut lire le récit d’Isabel, une femme lesbienne violée. Dans le documentaire « Verzaubert » (1993) de Dorothee Van Diepenbroick, on nous montre une femme lesbienne qui a été violée par son beau-père. Le poète mystique anglais Aleister Crowley est abusé dans sa jeunesse par un ecclésiastique de Trinity College. Marc Batard, alpiniste homosexuel, a été violé par son oncle. L’écrivain français Jean Genet est violé dans le centre pénitentiaire où il est interné pendant son adolescence : il raconte cette expérience dans Le Journal du voleur, en 1949. Durant sa jeunesse, l’écrivain François Augiéras est violé par son oncle, puis par ses précepteurs. En avril 1871, Arthur Rimbaud se fait violer dès son arrivée à Paris par une bande de soldats de la Commune. L’acteur Vincent McDoom a été violé par son oncle. Virginia Woolf a été l’objet d’agressions sexuelles de la part de ses deux demi-frères, George et Gerald Duckworth. La première expérience de l’amour que le journaliste britannique J. R. Ackerley raconte dans Mon Père et moi (1968) est celle des menaces d’attouchements sexuels du responsable du dortoir auxquelles il résiste. S’en suit une autre expérience peu de temps après avec un camarade où cette fois, il réprime son dégoût et s’habitue peu à peu à trouver cela normal. En novembre 1917, Lawrence d’Arabie est capturé lors d’une opération de reconnaissance à Deraa. Dans Les Sept piliers de la sagesse (1916), il explique comment il est torturé et violé par un officier turc, puis par ses hommes : « Cette nuit, dans le Déraa, la citadelle même de mon intégrité personnelle a été irrévocablement perdue. » (Lawrence d’Arabie cité dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997) de Michel Larivière, p. 213) Dans son autobiographie Libre (2011), Jean-Michel Dunand relate comment il s’est fait toucher par un homme plus vieux que lui dans les toilettes publiques du sanctuaire de Lourdes. Dans le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta sur la chaîne Play Cuatro (juin 2011), un des intervenants, Vicente, a été violé par un prêtre à l’âge de 13 ans. Le témoignage Franck ou le sida vaincu par l’espérance (1987) de Daniel Ange, expose que Franck, homosexuel, a été violé étant enfant. À 12 ans, la photographe lesbienne Claude Cahun est victime d’une agression à caractère antisémite et sera retirée du lycée de Nantes. Dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, Mateo, homosexuel et séropositif, raconte qu’il a été violé à l’âge de 15 ans, dans un bar gay, par « un type qui avait mis une saloperie dans son verre ». Il dit qu’il ne se souvient plus de rien. Pour ce qui me concerne, j’ai été encerclé par la quasi totalité des garçons de ma classe de 5e au collège Jeanne d’Arc de Cholet (France) et me suis fait « gentiment » passer à tabac. Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, avoue avoir été « abusée ».

 

L’hypothèse du viol comme stimulus du désir homosexuel avait déjà été soulevée par Aristote dans Éthique de Nicomaque (-335). Plutarque fait également mention du viol concernant l’étiologie de l’homosexualité dans Dialogue sur l’amour (Ier siècle ap. J.-C.). Bien plus tard, Proudhon met à tort le lien entre homosexualité et viol sur le terrain de la causalité : « Sans aller jusqu’à la mort, je regrette que cette infamie qui commence à se propager parmi nous, soit traitée avec autant d’indulgence. Je voudrais qu’elle fût, dans tous les cas, assimilée au viol, et punie de vingt ans de réclusion. » (Proudhon, Amour et mariage, 1858)

 

À notre époque, on continue de parler du viol homosexuel, même si ces discours restent particulièrement méconnus et minoritaires. Par exemple, le chercheur américain David Finkelhor n’hésite pas à affirmer que les garçons agressés avant l’âge de 13 ans auraient quatre fois plus tendance que les autres à revivre des expériences homosexuelles (David Finkelhor, « Four Preconditions : A Model », dans Child Sexual Abuse : New Theory And Research, 1984). À la lumière de leur expérience clinique, les psychologues Johnson et Shrier constatent que beaucoup plus de garçons agressés par des hommes se désigneront plus tard comme homosexuels ou bisexuels – six à sept fois plus, en moyenne – que de garçons qui furent agressés par des femmes (R. L. Johnson et D. K. Shrier, « Sexual Victimisation Of Boys : Experience At An Adolescent Medecine Clinic », dans Journal Of Adolescent Health Care, n°6, 1985, pp. 372-376). Une thérapeute américaine, Susan Wachob (citée par E. Jansen, « Daddy Dearest », dans la revue Genre, n°21, septembre 1994, p. 37), fait remarquer que les garçons « pré-homosexuels » sont des victimes toutes désignées d’abus sexuels. Dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt, le réalisateur se dessine en train de se rendre dans une boîte gay appelé « Violence ». Et plus tard, il relève ceci : « D’après une étude publiée par l’Union Européenne, plus d’un quart d’entre nous ont été passés à tabac au moins une fois, et 29% ont vécu une agression sexuelle. »

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se sont retrouvées en situation de viol, comme l’explique Gore Vidal dans ses Mémoires (1995) : « Il y avait de dangereux hommes plus âgés, comme celui qui s’était assis à côté de moi au Keith’s Theater et avait posé sa main sur mon entrejambe. Je m’étais enfui. Tous les garçons que j’ai connus avaient eu une expérience similaire. » (p. 428) Et la question de l’activité ou de la passivité lors du coït n’est pas centrale. Je me souviens par exemple de ce jeune homme du Québec, qui a été abusé parce qu’il est tombé dans un guet-apens, et qui m’a écrit ces quelques lignes le 4 avril 2011 dernier (prouvant qu’on peut très bien être violé tout en se retrouvant en apparences dans la position de « l’actif ») : « La question sur l’homosexualité me secoue depuis plus de 14 ans aujourd’hui. Depuis bien longtemps, j’ai voulu comprendre cela. Je n’en savais pas grand-chose, jusqu’au moment ou par faiblesse, peur, – je ne sais pas comment le dire – je suis tombé, je dis bien, je suis tombé dans un piège. Une personne adulte, de plus de dix ans que moi, m’a introduit dans ce monde d’homosexualité. La personne m’a violé, bien que ce soit moi qui jouais le rôle de l’homme… »

 

Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, se maltraite lui-même en voulant devenir quelqu’un d’autre, en se droguant, en « affaiblissant son corps » (expression tirée du film) : il ne se nourrit plus, ne dort quasiment plus, s’impose des cours de danse classique qui lui détruisent les pieds et la santé, se coupe le sexe aux ciseaux. Sa prof-chorégraphe, Marie-Louise Wilderijckx, est témoin de cette maltraitance (« Je sais que tu souffres. […] Tu ne te facilites pas la tâche, hein ? Vraiment pas. »), que Lara s’impose beaucoup plus à lui-même qu’elle ne vient des autres… même si, à un moment donné, à une soirée « entre filles », il est encerclé par ses camarades féminines danseuses, chapeautées par la cruelle Loïs, qui le somment de se déshabiller devant elles et de leur montrer son sexe : « Montre ! Montre ! Montre ! », dans une scène d’une grande humiliation. À un moment donné, à une soirée « entre filles », il est encerclé par ses camarades féminines danseuses, chapeautées par la cruelle Loïs, qui le somment de se déshabiller devant elles et de leur montrer son sexe : « Montre ! Montre ! Montre ! », dans une scène d’une grande humiliation.
 

Le viol que certaines personnes homosexuelles ont vécu a pu être un viol social, une dictature vécue lors de leur cursus scolaire ou du climat social oppressant où elle ont évolué. « J’avais souffert d’abus dans mon enfance, de harcèlement scolaire, je n’avais pas une très bonne relation avec ma mère. » (Christine Bakke, ex-ex-lesbienne, interviewée à Denver, dans le Colorado, fin 2018, dans l’essai Dieu est amour (2019) de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, Éd. Flammarion, Paris, p. 79) ; « Copi, lui, reflète cette part obscure de la culture argentine : une violence qui n’a jamais été résolue. » (Alfredo Arias dans l’interview « Copi, ma part obscure » d’Hugues Le Tanneur, pour le journal Eden du 6 janvier 1999) ; « Enfant, Yves Saint Laurent a été maltraité par ses camarades d’Oran. Il se réfugiait dans les toilettes. » (Janie Samet dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; etc. Par exemple, dans son autobiographie Folies-fantômes (1997), Alfredo Arias raconte les bizutages qu’il a connus avec son compagnon Ernestino au collège militaire argentin : « Ils épiaient surtout les plus faibles : nous [Ernestino et moi] appartenions à ce lot. Ils se jetaient alors sur leurs proies, avec une réserve de tortures ‘inoffensives’, telles que le rasage des poils du pubis quand ils ne nous vidaient pas le contenu d’un tube de pâte dentifrice dans l’anus. Ou bien encore ils y introduisaient des craies et des bougies. Ces viols n’étaient pas considérés comme des crimes, mais comme des divertissements totalement acceptés. » (p. 190)

 

Et plus tard, à l’âge adulte, il arrive souvent que le viol que vivent les personnes homosexuelles se réactualise (à travers des rencontres « amoureuses » entre sujets dits « mûrs ») étant donné que la violence de l’épisode d’enfance n’a pas été reconnue par la victime. Ça n’en retire pas pour autant la brutalité de ce nouveau viol… même si celle-ci se pare de « responsabilité » et d’un drôle de ravissement. « ‘Tu m’appartiens désormais’, me dit-il. C’était des mots d’homme, des mots possessionnels et j’en avais la cognition. À seize ans, je n’étais plus le même. J’avais soudainement comme une impression de vide, ce vide qui semblait être ma mort et mon humiliation. […] Qu’étais-je devenu, pour un jour, une nuit, toute une vie ? […] Si je n’avais pas l’intention de ressembler à une fille, bien que certaines filles passent complètement inaperçues après un viol, c’est que cette situation de ‘Tel est pris, qui croyait prendre’, désignait un cauchemar marqué à jamais. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 70)

 

Il est temps que notre société reconnaisse aux hommes (et notamment aux personnes homosexuelles nées garçons) le statut de personne violée, quand tel est vraiment le cas. « Lorsque j’ai été invité au stage d’été, dont le thème était l’identité masculine, j’ai hésité à prendre mon magnétophone. La relecture des quelques notes prises sur le viol d’hommes, sur les rapports entre viol et homosexualité m’a amené à élaborer l’hypothèse que peut-être les homosexuels (ils étaient largement majoritaires dans ce stage prévu pour une rencontre d’homo-hétérosexuels) pourraient me donner des informations. […] Je recommençai l’expérience : sur les 8 hommes interrogés, 4 me décrivirent des scènes de viol où ils étaient acteurs, 3 en étaient victimes et 1 avait été agresseur. » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin (1988), pp. 181-182) ; « Je pourrais multiplier les traces discursives qui démontrent que le viol d’hommes existe hors des milieux carcéraux ou militaires. […] Les responsables du service de recherche du ministère de la Justice (Centre de sociologie du droit, CNRS) me disaient leur étonnement au vu des résultats d’une enquête récente de victimisation auprès de 11 000 personnes en France : pour 40 personnes déclarant avoir subi des agressions sexuelles, un quart étaient des hommes. » (idem, p. 190) ; « En 1977, lorsque les féministes engageaient la campagne contre le viol, quelques cas de viols d’hommes apparaissaient, très liés à cette mouvance sociale. » (idem, p. 180) ; « Il est généralement très difficile de savoir si l’orientation homosexuelle ou bisexuelle d’un jeune homme fut antérieure ou ultérieure à son agression, la plupart des abus survenant en bas âge. » (Michel Dorais, Ça arrive aussi aux garçons (1997), p. 110) ; « Sera-t-on étonné d’apprendre que les participants à cette étude ont révélé avoir eu des fantasmes de nature homosexuelle dans une proportion de deux cas sur trois, quelle que soit par ailleurs leur orientation sexuelle affirmée ? » (Michel Dorais, parlant de ses 30 études de cas de jeunes hommes abusés par un homme dans leur enfance/adolescence, idem, pp. 186-187) ; « Les recherches nord-américaines les plus récentes avancent que un garçon sur six serait victime d’abus sexuels. […] Parmi certains sous-groupes plus vulnérables de la population masculine, la proportion de victimes d’abus sexuels serait encore plus élevée. Une enquête menée par la même commission Badgley auprès de 229 jeunes prostitués indique pour un tiers de ces garçons, le premier rapport sexuel avait eu lieu lors d’une agression sexuelle. […] Les garçons d’orientation homosexuelle ou bisexuelle pourraient aussi être – ou avoir été – davantage sujets à des agressions sexuelles. D’après une enquête menée par le magazine gay ‘The Advocate’ (n°661-662, 23 août 1994) auprès de ses lecteurs (2500 questionnaires en retour), 21% des répondants considéraient en effet avoir été victimes d’abus sexuels avant l’âge de 16 ans. » (idem, pp. 31-32)

 

Et aux sceptiques qui me diront : « Ouais, mais ce que tu dis sur les homos, c’est pareil pour les hétéros… Tout hétéro a pu vivre ses premières expériences sexuelles comme un viol, car c’est toute la sexualité humaine qui est violente », je leur répondrais que le viol, même s’il n’est pas spécifiquement homosexuel, qu’il ne concerne qu’une minorité de personnes homosexuelles (moi même, je n’ai jamais été violé, au sens « sale » et « légal » du terme !), et qu’il ne sera jamais (et heureusement) « homosexualisable », est quand même plus présent et plus marqué dans les sphères bisexuelles qu’ailleurs. Ce n’est pas moi qui le sors de mon chapeau pour diabolisée l’union homosexuelle. C’est une tendance prouvée par les statistiques (même si le défaut des statistiques, c’est qu’elles encouragent à la causalité, alors que le lien entre désir homosexuel et viol n’est ni causal ni systématique) : « Les personnes ayant déjà eu des pratiques homo-bisexuelles ont beaucoup plus souvent que les autres subi des rapports sexuels contraints (tentatives ou rapports imposés) : 45,4% des femmes homo-bisexuelles contre 14,9% des femmes hétérosexuelles, 23,9% des hommes homo-bisexuels contre 3,9% des hommes hétérosexuels. » (Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 262) « Les attouchements sexuels sont rapportés par 12,9% des femmes et 4,1% des hommes. […] Ils surviennent très majoritairement pendant l’enfance ou l’adolescence : 50% des femmes concernées ont subi ces attouchements avant l’âge de 10 ans et 50% des hommes avant l’âge de 11 ans. Près de la moitié des attouchements ont été immédiatement suivis d’une tentative de rapport forcé ou d’un rapport forcé (50% pour les femmes, 44% pour les hommes). […] Au total, les femmes rapportent trois fois plus souvent que les hommes avoir été confrontées à une agression à caractère sexuel, qu’il s’agisse d’un attouchement, d’une tentative ou d’un rapport forcé : 20,4% des femmes et 6,8% des hommes de 18-69 ans. […] Parmi les personnes qui ont vécu ces agressions, 59% des femmes et 67% des hommes ont subi des premiers rapports forcés ou tentatives à moins de 18 ans. […] Chez les hommes, c’est dans le groupe âgé de 35 à 49 ans que les individus disent avoir subi le plus de rapports forcés avant la majorité (plus de 4% des hommes de cet âge, et 77% de ceux qui ont connu des rapports forcés. […] Les personnes qui ont eu des partenaires du même sexe déclarent beaucoup plus de rapports forcés que les personnes qui n’ont eu que des partenaires de l’autre sexe. Ainsi, 44 % des femmes ayant eu des rapports homosexuels dans leur vie déclarent avoir subi des rapports forcés ou des tentatives (contre 15% des hétérosexuelles), dont 31% avaient moins de 18 ans la première fois ; c’est le cas de 23% des hommes qui ont eu des rapports homosexuels (contre 4,5% des hétérosexuels), dont 15% avaient moins de 18 ans la première fois. » (idem, pp. 385-389) ; « Il est dérangeant de constater qu’alors que moins de 4% de garçons (en population générale) ont été victimes d’agressions sexuelles de la part d’hommes adultes, une étude majeure récente démontre que le taux de victimes d’agression sexuelle par des hommes adultes dans une population d’hommes homos et bisexuels était presque dix fois supérieure (35%). Il est également rapporté que 75% des hommes homosexuels ont eu une première expérience homosexuelle avant l’âge de 16 ans, contre 22% d’expérience hétérosexuelle précoce chez les hommes hétérosexuels. » (cf. l’article de Jeff Johnston)

 

Ce lien entre viol et homosexualité dérange évidemment la majorité des personnes homosexuelles pratiquantes, qui d’abord s’étonnent, avant de s’énerver parce qu’elles-mêmes ont la bêtise de le causaliser : « À croire que tous les gays italiens, ou presque, sont des jeunes gens abusés et violés, des prostitués ou des travestis, quand ce n’est pas les trois à la fois… » (Didier Roth-Bettoni en observant la production cinématographique homosexuelle en Italie, dans L’Homosexualité au cinéma (2007), p. 482)

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

On apprend parfois les viols de l’enfance de manière accidentelle, au détour d’une « banale » crise conjugale (vécue par une personne homosexuelle encore en transition avec son passé « hétérosexuel »), crise présentée comme une révélation « libérante » d’homosexualité. On parle à peine des antécédents violents de jeunesse : ils sont même enfermés dans des crochets qui les transforment en anecdotes ! : « Ça n’allait pas avec mon mari, je suis allée voir une conseillère conjugale car je me posais des questions sur moi. […] Elle m’a dit : ‘Est-ce que tu n’as pas pensé que tu pouvais être homosexuelle ?’ Et alors là, c’était comme si d’un seul coup, j’étais rincé et que d’un seul coup, je voyais clair. Donc à partir de ce moment-là, je voulu en parler à mon mari. Mais je n’y arrivais pas, je ne trouvais pas les mots. J’avais une ou deux amies à l’hôpital où je travaillais et avec elles je discutais de ce que j’avais subi étant jeune [Elle parle de violences sexuelles subies dans l’enfance]. » (Agathe, femme lesbienne de 48 ans, interviewée dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, pp. 67-68. C’est moi qui souligne) La reconnaissance de l’influence du viol dans l’apparition du désir homosexuel sera souvent zappée, au profit d’une glorification de l’amour homosexuel nouveau et d’une remise en cause du mariage femme-homme. Encore une fois, on préfère ne pas regarder la réalité en face.

 
 

b) Le viol fantasmé (= craint et désiré) :

La mention du viol chez les personnes homosexuelles ne repose pas toujours sur un viol réel. Il peut être l’expression d’une crainte de la sexualité en général et de la différence des sexes en particulier, parce que certaines personnes l’ont vue par accident abîmée (cf. je vous renvoie au chapitre « Peur de la sexualité » dans le code « Symboles phalliques » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Un jour, chez des amis, alors que les parents étaient fort occupés à deviser dans le fond du parc, je fus le témoin d’une véritable orgie enfantine, à laquelle, d’ailleurs, je ne pris aucune part, me sentant trop décontenancé à la vue des petites filles. Des frères, des sœurs, d’autres garçons se livraient à des expériences sexuelles très poussées et je garderai toujours en mémoire le spectacle de la sœur d’un de mes camarades ‘utilisée’ par quatre garçons à la suite… Cette scène (qui se renouvelait, d’ailleurs, paraît-il, à chacune des réunions familiales, à l’insu des parents, naturellement) fut interrompue, ce jour-là, par l’entrée intempestive de la mère de l’une des fillettes… Ce fut un beau scandale. Il y eut des scènes pénibles. Un procès faillit en résulter mais, au cours des interrogatoires, chacun se tira d’affaire par des mensonges. Cet épisode aux couleurs crues s’imprima profondément dans mon esprit et me fit, plus que jamais prendre en horreur les filles et les femmes. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 79)

 

Cependant, le rapport des sujets homosexuels pratiquants est d’attraction-répulsion. Une sorte de mélange (inextricable ?) entre peur et attirance. Il arrive que le viol réel et ses étapes préliminaires soient présentés par certaines personnes homosexuelles comme un conte de fée ou sous l’angle d’un jeu amico-artistico-amoureux, comme pour en édulcorer la violence (cf. je vous renvoie à la partie « Déni du viol » dans le code « Déni » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « Comment une vie bascule à travers une main qui s’aventure… Je suis devenue une vraie femme. » (Thérèse, 70 ans, parlant de sa toute première fois lesbienne, où une ancienne camarade de classe dévergondée l’a dépucelée, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) Par exemple, dans le documentaire « La Dany : la Diva du Parc Bolivar » (2010) de Julie Giles et Jim Giles, la Dany est un artiste de rue trans M to F de Medellín en Colombie : il improvise des shows avec des descriptions crues et comiques de kidnapping, viols, infidélités. Et dans le documentaire « Beauty And Brains » (2010) de Catherine Donaldson, on voit que les concours de beauté sont une manière pour certaines personnes transgenres du Népal de camoufler/vaincre les viols et les abus qu’elles ont réellement subis.

 

Entre désir et viol et passage à l’acte, la frontière est très floue. Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko, homosexuel, raconte comment il s’est fait violer à l’adolescence par son confesseur, un certain père Basile. Fait étonnant : le viol pédophile ne semble pas horrible à ses yeux : « Le temps nous enveloppa dans un tourbillon difficile à définir, celui de la léthargie du bonheur. J’avais fini par me dévoiler comme une fleur qui étale ses pétales en plein soleil. » (p. 34) ; « Dans son office où il me recevait les après-midi, il y avait non seulement de quoi manger et boire, mais également un piano où je m’amusais à jouer n’importe quoi et n’importe comment. » (idem, p. 35) ; « Je ressentais parfois du dépit d’être ainsi désacralisé, parce que le père Basile aidait des barrières à s’affranchir de leur idée de la réalité. » (idem, p. 36). La relation entre le violeur et le violé a même pris une tournure spirituelle : « Pour m’éviter de sombrer dans un chagrin qui risquait d’éveiller de nombreux souvenirs, il se contentait de marquer une priorité par des prières. […] Inconsciemment nos rapports se fortifiaient par le pouvoir infini de Dieu. » (idem, p. 38) Plus tard, dans ses relations homosexuelles adultes, la violence du viol sera amortie par les sentiments, le consentement mutuel et la satisfaction éphémère de la séduction : « Un sentiment de honte et de culpabilité vint adoucir cette douleur dans les derniers instants de doutes affreux, d’où jaillirent des idées d’orgueil féminin : Mon corps plaisait. » (idem, p. 68)

 

Concernant le désir violent, je crois que le fantasme de viol peut aussi faire violence, et dire un viol qui l’a précédé. « Il [Copi] était en train de répéter un monologue : les péripéties d’un astronaute perdu dans l’espace après avoir été violé par les rats de je ne sais quelle planète. » (Alfredo Arias, Folies-fantômes (1997), p. 12) Ce n’est pas pour rien si Jean-Paul Sartre écrit que l’imaginaire est l’autre nom du « mal » ! Dans son essai Homoparenté (2010), le psychanalyste Jean-Pierre nous explique à juste raison qu’il existe « une autre violence : le refus du réel » (p. 115)

 

Par exemple, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, le désir de viol, la sublimation de la violence, et la complicité paradoxale d’Eddy Bellegueule sont palpables, aussi bien quand il se fait violer par deux camarades de classe au collège, qu’ensuite quand il se fait sodomiser par ses cousins dans un hangar, puis à l’âge adulte lorsqu’il s’essaie (en vain) à l’hétérosexualité et qu’il décide d’assumer de pratiquer l’homosexualité avec des hommes censés le brutaliser pour lui donner la force masculine qu’il n’aurait pas : « Ils sont revenus. Ils appréciaient la quiétude du lieu où ils étaient assurés de me trouver sans prendre le risque d’être surpris par la surveillante. Ils m’y attendaient chaque jour. Chaque jour je revenais, comme un rendez-vous que nous aurions fixé, un contrat silencieux. […] Uniquement cette idée : ici, personne ne nous verrait, personne ne saurait. […] Dans le couloir, je les entendais s’approcher, comme les chiens qui peuvent reconnaître les pas de leur maître parmi mille autres, à des distances à peine imaginables pour un être humain. » (p. 38) ; « Le grand roux et l’autre au dos voûté me mettent un ultime coup. Ils partaient subitement. Aussitôt ils parlaient d’autre chose. » (p. 41) ; « Je ne sais pas si les garçons du couloir auraient qualifié leur comportement de violent. » (p. 42) ; « J’ai senti son sexe chaud contre mes fesses, puis en moi. Il me donnait des indications ‘Écarte’, ‘Lève un peu ton cul’. J’obéissais à toutes ses exigences avec cette impression de réaliser et de devenir enfin ce que j’étais. » (pp. 152-153) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. J’ai imaginé les deux garçons, le grand aux cheveux roux et le petit au dos voûté, me contraignant à toucher leur sexe, d’abord avec mes mains puis avec mes lèvres et enfin ma langue. J’ai rêvé qu’ils continuaient à me cracher au visage, les coups et les injures ‘pédé’, ‘tarlouze’ alors qu’ils introduisaient leur membre dans ma bouche, non pas un à un mais tous les deux en même temps, m’empêchant de respirer, me faisant vomir. Rien n’y faisait. Chaque contact de Sabrina avec ma peau me ramenait à la vérité de ce qui se passait, de son corps de femme que je détestais. » (p. 193) La morbidité à l’état brut.
 

Il est difficile d’isoler le viol fantasmé du viol réel. Celui qui désire le viol, on l’apprend en découvrant peu à peu son histoire, est bien souvent quelqu’un qui a connu le viol ou qui est proche d’en commettre un. Cependant, je me dois, au nom de notre inaliénable liberté humaine et de la probabilité du lien homosexualité/viol, d’aborder aussi le viol en tant que désir uniquement, ou subjectivité. « La violence, c’est d’abord ‘les violences’, physiques et symboliques, celles que l’on sent, que l’on voit et que l’on interprète comme telles. » (cf. l’article « Violence » de Sébastien Chauvin, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 422. C’est moi qui souligne) Par exemple, Diane de Margerie évoque le « désir d’agression » inhérent à la personnalité de Yukio Mishima (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 22). Dans l’affaire Matthew Shepard, l’adolescent homosexuel (séropositif) nord-américain sauvagement assassiné en 1998 dans le Wyoming, il a été prouvé l’élan d’attraction étrange et masochiste de Matthew envers ses deux agresseurs qu’il a essayé de draguer avant que ces derniers ne le battent à mort. En 1971, la féministe Susan Griffin frappe l’opinion publique en déclarant : « Je n’ai jamais pu me débarrasser de la peur du viol. » (Susan Griffin, « Rape : The All-American Crime », Remparts, septembre 1971) Aussi étrange que puisse paraître le syndrome de Stockholm (celui qui consiste à dire qu’une victime d’agression défend parfois son agresseur), un certain nombre de personnes homosexuelles ne sont pas réfractaires à l’idée de viol, voire recherchent le viol (entre peur et désir, la frontière est mince !) : « Je rêve d’être kidnappé, attaché, offert, je rêve d’être à la merci. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 55) ; « Pour moi, le viol, avant tout, a cette particularité : il est obsédant. J’y reviens tout le temps. […] J’imagine toujours pouvoir un jour en finir avec ça. […] Impossible. Il est fondateur. De ce que je suis en tant qu’écrivain, en tant que femme qui n’en est plus une. C’est en même temps ce qui me défigure, et ce qui me constitue. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), p. 53) ; « Les femmes préfèrent les salauds, nous aussi parfois. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 75) ; « Y avait-il chez moi une certaine attirance pour ce plaisir bestial et interdit ? […] J’avais aussi compris que j’y trouvais un plaisir malsain. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 58-61) ; « J’allais devenir célèbre en me faisant kidnapper. » (Brüno dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles) ; « Lola Sola se débat. Mais on comprend tout de suite qu’elle aime ça. Qu’elle aime un homme puissant. » (Alfredo Arias dans l’essai Folies-fantômes (1997), p. 253) ; « Par instants, je m’attendais à le voir me sauter dessus et me faire violer après m’avoir roué de coups… Rien de tout cela ne se produisit. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 101) ; « Une certaine proportion d’homosexuels sont dans une sublimation de la séropositivité ou revendiquent une séroconversion volontaire […]. La séropositivité permet d’annoncer son homosexualité, de faire en quelque sorte partie du ‘club’. » (Thomas Montfort, Sida, le vaccin de la vérité (1995), p. 30) ; « J’ai rêvé que je me faisais violer par des hommes et au final ils m’avaient tué. J’ai aussi rêvé que je suis avec un homme, j’ai eu une forte érection, mais dans le rêve, nous étions allongés corps contre corps. Il me serrait dans ses bras comme si c’était un père, comme si c’était l’énergie qui me manquait et pas le corps qui m’attirait. Ça me procurait une sécurité qui m’a mis en érection, qui me redonnait mon sexe dans toute sa force. J’ai aussi rêvé d’un jeune homo qui était excité à côté de moi, et par haine envers lui, je lui ai parlé comme s’il était un gars pervers qui voulait mon doigt dans son cul, en le traitant de salope. Et je m’exécute avec mépris, et je ressors mon doigt plein de merde avec un profond dégoût de cette situation. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Dans cette fascination du chef et de la force, il y avait beaucoup de féminité latente, une certaine forme d’homosexualité. Au fond, chez la plupart de ces intellectuels fascistes, je pense à Brasillach, à Abel Bonnard, à Laubreaux, à Bucard, il y avait le désir inconscient de se faire enculer par les S.S. » (Emmanuel Berl s’adressant à Patrick Modiano, cité dans la biographie Ramon (2008) de Dominique Fernandez, p. 140) ; etc.

 

Dans son Journal (1889-1939), André Gide définit l’homme inverti comme celui qui « dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé » (p. 671).

 

Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), le romancier Abdellah Taïa affiche sans complexe son soutien pourtant choquant au viol, quand il raconte ses premières expériences sexuelles avec les hommes qui l’ont violé : « Il croyait que j’avais peur. Ce qu’il me proposait m’allait très bien. […] Je me sentais bien, bizarrement bien, et je ne luttais pas contre ce bien-être. » (pp. 15-17) ; « Je ne dormais pas. J’attendais. Couché sur le ventre, j’essayais de retrouver dans ma tête des images du chef barbu de la bande qui, je devais me rendre à l’évidence, m’avait séquestré. » (idem, p. 18) ; « Je dois toutefois avouer que, même en plein enfer, une partie de moi était heureuse, aimait ça, ce machisme, cette dictature… Je me disais alors : ‘C’est ça l’amour, c’est ça l’amour… j’ai de la chance… Il faut tenir le coup… C’est ça l’amour…» (idem, p. 117.)

 

Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon décrit les lieux de drague communément fréquentés par la population homosexuelle comme la scène privilégiée – et malgré tout aimée, c’est ça le pire ! – du viol (autant homophobe qu’homosexuel) : « On est confronté dans ces lieux de drague, hélas, à de multiples formes de violence. On y croise des gens bizarres ou des demi-fous et il faut être sur ses gardes. Et surtout on s’expose à être l’objet d’agressions physiques par des voyous ou bien à des fréquents contrôles d’identité par la police, qui y pratique un véritable harcèlement. Cela a-t-il changé ? J’en doute. […] Les lieux gays sont hantés par l’histoire de cette violence : chaque allée, chaque banc, chaque espace à l’écart des regards portent inscrits en eux tout le passé, tout le présent, et sans doute le futur de ces attaques et des blessures physiques qu’elles laissèrent, laissent et laisseront derrière elles – sans parler des blessures psychiques. Mais rien n’y fait : malgré tout, c’est-à-dire malgré les expériences douloureuses que l’on a soi-même vécues ou celles vécues par d’autres et dont on a été le témoin ou dont on a entendu le récit, malgré la peur, on revient dans ces espaces de liberté. » (pp. 219-221)

 

Film "L'Amour violé" de Yannick Bellon

Film « L’Amour violé » de Yannick Bellon


 

Beaucoup de femmes lesbiennes ont un « passé hétéro » chargé, qu’elles préfèrent taire quand il s’agit de justifier de le mettre en lien avec la découverte de leur homosexualité, et grossir quand il s’agit de diaboliser la gent masculine. « Ma mère était inquiète pour moi, parce qu’elle savait que j’avais beaucoup souffert avec mon ancien amant, donc elle devait se dire que c’était de sa faute si j’étais devenue lesbienne. » (Lise, femme lesbienne de 30 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 103) Mais quand on creuse un peu, on découvre assez vite que leur dénonciation du viol ne se base pas sur la réalité, ni sur des preuves tangibles. Leur obsession pour le viol rejoint la paranoïa misandre (= anti-hommes). Par exemple, Susan Brownmiller et Andrea Dworkin affirment que le viol fait partie intégrante de la sexualité masculine (cf. citées dans l’essai X Y de l’identité masculine (1992) d’Élisabeth Badinter, p. 212) Puisque selon elles le patriarcat et ladite « domination masculine » sont des données universelles indiscutables, elles en viennent à penser que tous les hommes sont des violeurs potentiels ! « Tout homme est un violeur en puissance. » (cf. Manifeste de juin 1976, dans la revue Le Quotidien des femmes, n°10, vendredi 25 juin 1976, cité dans l’essai Les Lois de l’amour : Les politiques de la sexualité en France (1950-2002) (2002) de Janine Mossuz-Lavau, p. 240) ; « C’est pas de notre faute si on est violées. » (Anne Zelensky dans le documentaire « Debout ! : Une Histoire du Mouvement de Libération des Femmes 1970-1980 » (1999) de Carole Roussopoulos) ; « J’ai très vite renoncé à passer à l’acte parce que j’étais confrontée au regard de garçons imbus de leur supériorité et je sentais que je serais ‘baisée. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 82) ; « Je suis partie aux États-Unis avec un pote. Et un jour dans une boîte, j’ai failli me faire violer et là je me suis dit : ‘Non, je ne suis pas un homme, mais habillée comme cela ça ne me correspond pas, il y a quelque chose qui ne va pas.’ Et la séduction que j’exerçais à l’égard des hommes ne me plaisait pas, leur regard ne me plaisait pas. Pas parce qu’ils étaient libidineux, mais parce que je ne voulais pas cela avec les hommes. Pour moi, les hommes c’était mes frères. Alors, la seule fois où j’ai embrassé un homme (j’ai eu quelques flirts comme ça), j’avais l’impression d’une relation incestueuse, tu vois un truc tu touches avec la langue et tu as l’impression de ramasser des fraises, tu vois ? (rires). » (Gaëlle, une femme lesbienne de 37 ans, dans l’étude Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, pp. 80-81) ; « Je suis consciente de vivre dans une société où les femmes ont une place à part et où, du jour au lendemain, on peut m’attaquer, m’agresser, me violer, où je n’ai pas encore mon salaire comme mon collègue masculin. Donc je suis une femme et j’ai aussi la sensibilité d’une femme lesbienne. » (Lidwine, femme lesbienne de 50 ans, idem, p. 90) Comme l’explique très bien Tony Anatrella dans Le Règne de Narcisse (2005), « l’idéologie du gender consiste à informer toute femme du fait que la pénétration hétérosexuelle, étant un pouvoir de l’homme sur la femme, est une violation. » (p. 123)

 

Le problème majeur que pose cette obsession du viol chez beaucoup de femmes lesbiennes, c’est qu’au lieu d’aider à la reconnaissance du viol (et donc à la reconnaissance de la nature semi-aimante semi-violente du désir homosexuel) pour mieux y remédier, elle contribue à sa banalisation. Comme l’écrit à juste raison Michel Schneider dans La Confusion des sexes (2007), « si tout est viol, rien ne l’est. » (p. 48)

 

Le viol peut d’ailleurs être (non sans raison, même s’il ne s’agit pas ici de justifier la démarche, bien sûr ; je ne fais qu’expliquer) une présomption des personnes homophobes sur les personnes homosexuelles : il arrive par exemple qu’un homme macho, blessé dans sa virilité (bisexuel refoulé certainement), va se mettre à traiter la femme lesbienne de « mal baisée » ou l’homme gay de « vieux gars coincé » pour camoufler une blessure au niveau de sa propre sexualité (comme on peut le constater dans l’émission d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq Dans les yeux d’Olivier, du 12 avril 2011, sur France 2, où Jessica, lesbienne, se fait insulter par ses agresseurs en des termes certes injustifiés mais mine de rien particulièrement signifiants : « Sale gouine ! Tu t’es fait violer par ton père ! »). Ce qui est pervers dans l’histoire du lien entre homosexualité et viol, c’est que celui-ci est généralement occulté par la communauté homosexuelle, notamment parce qu’il est parfois employé comme justificatif et comme moteur de viols dits « correctifs » opérés par les agresseurs bisexuels/homophobes à l’encontre de leurs presque-jumeaux homosexuels qu’ils prétendent « corriger de leur déviance sexuelle ». Dans certains cas dramatiques, un viol se rajoute à l’autre, tout simplement parce que, que ce soit du côté homophobe comme du côté homosexuel (deux camps qui se font miroir et qui n’en forment qu’un, en réalité), le lien de coïncidence entre le désir homosexuel et le viol est à la fois ignoré et causalisé. On peut citer comme exemples de faits divers scabreux (et si rarement analysés !) les viols des individus transsexuels en Amérique du Sud (et ailleurs), ainsi que le tout récent viol « correctif » de la militante lesbienne de 24 ans Noxolo Nogwaza en Afrique du Sud, survenu en mai 2011. Comme le constate Jeanne Broyon et Anne Gintzburger dans leur reportage « Des Filles entre elles » (2010), « les lesbiennes agressées, c’est monnaie courante. » Et cela ne va pas aller en s’arrangeant si on ne fait que constater ce viol dans une victimisation qui transforme à tort la nation lesbienne en martyre de la « domination masculine/homophobe » !

 

Le viol est, pour certains militants LGBT, le trophée ou le fond de commerce qui permettra de se victimiser et donc de gagner tous les combats politiques et économiques (contre la prétendue « domination masculine ») : « Avant, on avait le Sida. Maintenant, on a des psychopathes ou des espions qui peuvent nous violer. » (Xav, l’un des héros homosexuels de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) Par exemple, dans le documentaire « Debout ! » (1999) de Carole Roussopoulos, on voit clairement que les femmes féministes, lesbiennes ou non, sont attirées par la « femme violée du bout du monde », afin de se servir d’elle comme « opportunité » pour prouver l’oppression machiste qui les domine/dominerait. : « Les femmes battues, c’était parfait ! Parce que si les femmes étaient battues, c’est bien parce qu’il y avait quelqu’un pour les battre. » (Annie Sugier)

 
 

c) Le cri de la femme violée :

La figure de la femme violée, notamment, revient très souvent, comme si les personnes homosexuelles cherchaient à s’y identifier : cf. la tournée de concerts Fatale (2011) de Britney Spears, etc. « Cette résurgence du thème de l’androgyne à la fin du XIXe siècle est peut-être le revers de l’obsession de la femme fatale. » (cf. l’article « Monsieur Vénus et l’ange de Sodome : L’androgyne au temps de Gustave Moreau » de Françoise Cachin, dans l’ouvrage collectif Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 90) ; « Tu n’étais pas contente de me voir pleurer, mais j’éprouvais une tendresse particulière pour la Princesse indienne de Patagonie. Le jour où on l’a fait prisonnière et où la sorcière de la tribu ennemie lui a arraché ses boucles d’oreilles, j’ai trouvé le monde injuste. J’aurais voulu pouvoir voler jusqu’à la Terre de Feu et la reprendre aux mains d’êtres aussi sauvages. Je sais : c’était un feuilleton radiophonique. Mais il me donnait un avant-goût des atrocités à venir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 157-158) ; etc. Comme je le montre abondamment dans mes travaux, même si bien sûr on ne peut pas dire que toutes les personnes homosexuelles ont été violées, en revanche on peut constater que le fantasme de viol est l’autre nom des désirs homosexuel et hétérosexuel : les icônes d’identification des personnes homosexuelles (pratiquantes ou sur le point de l’être) sont celles de la femme violée cinématographique (plus une chanteuse ou une actrice interprètera ce rôle sur les écrans, plus elle a des chances d’être choisie comme « icône gay ») ou du violeur Superman asexué (le cowboy et toutes les figures donjuanesques de l’Éternel Masculin).

 

Par exemple, dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton, Francis Bacon dit être fasciné par les bouches criantes des films d’épouvante. Michael Jackson, quant à lui, a esthétisé ses petits cris aigus en les intercalant dans beaucoup de ses chansons. Gore Vidal, dans ses Mémoires – Palimpseste (1995), raconte comment le cri de l’actrice de film d’épouvante l’habite éternellement : « À la fin de Fall River Legend d’Agnès de Mille, le hurlement de Norma Kaye, au moment où elle se lève au centre de la scène, la robe couverte du sang de ses parents, résonnera toujours dans ma tête comme un vrai cri. » (p. 198) Dans son autobiographie Le Livre pour enfants (2005), Christophe Honoré fait de même quand il parle d’Isabelle Adjani lors d’une émission de radio qu’ils doivent faire ensemble : « Elle m’offre une grimace hurlant la peur, l’angoisse et je la crois, je suis de son côté, dans l’effroi. » (p. 11)

 

Soit parce qu’elles ont vécu un viol réel, soit parce qu’elles ont au moins vécu un effondrement identitaire qui les angoisse et les appelle à vouloir être dominées et être quelqu’un d’autre ( = l’actrice violée sublimée par le cinéma et qui redevient forte en se vengeant), beaucoup de personnes homosexuelles cherchent à s’identifier et à se faire violer par la femme machiste phallique : « Je crois que si les hymnes gays sont souvent interprétés par des femmes, c’est parce qu’on peut tout à fait s’identifier à elles, à leur position d’opprimées. Et opprimées, elles le sont toujours, malheureusement. C’est pour ça qu’on est enclin à s’identifier à une femme qui se défend, qui garde la tête haute. » (Barbie Breakout, dragqueen, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « C’est des filles qui sont comme des garçons. Elles n’ont pas froid aux yeux. Elles sont fortes. » (Michel Gaubert, idem) ; « Les icônes gays ont souvent un destin tragique. Elles chantent des chansons impressionnantes, excessives, mais elles ont une existence difficiles parce qu’elles vivent constamment sous le regard du public. On entend sans cesse parler d’elles dans les médias. On sait que leur vie amoureuse est un fiasco. Ce sont des vies assez tragiques. Et c’est ce qui les rend attirantes à nos yeux. » (Steve Blame, idem) Par exemple, la chanteuse Madonna, qui est l’égérie gay mondiale le plus connue, a craché le morceau : elle a été violée à l’âge de 19 ans à New York. Idem, dernièrement, avec Lady Gaga, violée elle aussi à 19 ans. Le viol ou l’étiquette de victime justicière que le viol cinématographique ravit les personnes en panne d’identité et orgueilleuses. Je vous renvoie à la partie « Mélodrame » du code « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

d) Le drame intime des personnes homosexuelles est d’être prises pour des objets ou de désirer être objet :

Si on prend le temps d’écouter simplement les personnes homosexuelles, on lit très souvent dans leur propos l’histoire intime d’une exploitation, d’un viol, d’une instrumentalisation consentie : « C’est difficile pour moi d’avoir une vision saine de l’homosexualité. Les hommes que j’ai aimés m’ont toujours abandonné après s’être servis de moi. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 251) ; « Je suis un bouchon au fil de l’eau, un naufragé qui tente de s’agripper à une bouée de sauvetage, on peut faire de moi ce que l’on veut, je suis prêt à toutes les aventures. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise vie (2005), p. 154) ; « On a tous envie d’être objet. » (un témoin homosexuel cité dans Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, p. 55) ; « Des fantasmes de viol […], moi aussi j’en ai. » (Gilles, idem, p. 131) « Je pense aux photos que je laisse derrière moi. […] Ces photos que je réservais à qui ? Un photographe professionnel ? Oui, et qui me prendrait en main, je n’aurais pas le choix, me dénuderait, exposerait enfin mon corps mince, rose imberbe, ferait de moi un modèle offert et vicieux, une si jeune pute. Évidemment qu’on ne racontera pas au petit frère mon impressionnant potentiel pour devenir idole. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), pp. 51-52) ; « J’avais désormais une image. Une étiquette officielle. Un label. Le garçon efféminé. La petite femme. On allait passer sur moi. On allait chaque jour et de plus en plus abuser de moi. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 28) ; etc.

 

Je vous parlais un peu plus haut de cette étonnante impression d’unité et de « bonheur » que la victime d’un viol trouve dans sa réification sacralisante… même si elle ne s’aperçoit pas qu’elle a été traitée comme un trophée inerte brisé. On retrouve ce réenchantement du viol à travers les mots de Christophe Tison, écrivain racontant comment il en est arrivé à « aimer » son agresseur pédophile parce qu’il a été adoré/détruit par lui : « Didier m’accueillait comme si j’étais l’enfant-roi. » (Christophe Tison, Il m’aimait (2004), pp. 20-21) ; « Je ne me représentais que les plaisirs que ce séjour chez lui m’apportait. Cette liberté d’enfant-roi, d’enfant choisi et chéri. D’enfant qui se décompose et se morcelle doucement. (La peur tirait son fil et me décousait, et me décousait…) » (idem, pp. 49-50)

 

L’esthétisme artistique réifiant altère chez beaucoup de personnes homosexuelles l’impression d’être violées et utilisées… alors que pourtant, c’est souvent le cas.

 
 

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Code n°181 – Violeur homosexuel (sous-codes : Psychopathe homosexuel / Victime du grand viol reproduisant un autre viol)

violeur homosexuel

Violeur homosexuel

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Tous des violeurs ?

 
 

Sujet épineux qui ne manquera pas de choquer les gens qui se victimisent et qui diabolisent leurs ennemis ! Mais tant pis. Je ne suis pas là pour croire aux bonnes et mauvaises intentions, mais pour découvrir le Réel, reconnaître des faits (parfois dramatiques et violents) et défendre l’Amour en actes !

 

Ce n’est pas pour des prunes que dans tous mes écrits, je soutiens que le désir homosexuel est par nature le signe d’un viol parfois réel, ou en tous cas un fantasme de viol (dans le double sens de l’expression : fantasme de violer ou/et fantasme d’être violé)… même si, en disant cela, rien ni personne ne m’autorisé à penser que toutes les personnes homosexuelles sont des violeurs en puissance. Elles sont bien plus violées que violentes (cf. je vous renvoie au code « Viol » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels)… mais à force de croire qu’elles ne sont que violées, une part d’entre elles assouvit son plan secret de vengeance plus régulièrement que prévu !

 

Le visage du violeur homosexuel n’est pas nécessairement porté par celui qu’on attend. On se trompe en beauté si on pense que le violeur homosexuel ne peut être que l’individu adulte (à partir de la quarantaine, environ), masculin, bear ou butch, « actif » sexuellement, adepte des pratiques sado-maso, 100% méchant et malveillant. J’ai vu des hommes et des femmes homosexuels, en apparence innocents, conformes physiquement aux canons de la mode de leur sexuation biologique originelle, jeunes, jouant les fragiles, homosexuels dits « assumés », sincères et « amoureux », frapper quand on s’y attendait le moins ! N’oublions jamais que tout être humain est profondément libre, donc ni « victime à vie », ni « bourreau à vie »… Autant nous pouvons assurer que tout bourreau a été victime, autant on ne pourra jamais dire que toute victime sera plus tard bourreau… et heureusement ! (Merci la résilience !) Or ceux qui l’oublient, afin de diaboliser les violeurs et béatifier les victimes de viol, sont en général des gens qui violent aussi, qui suppriment la liberté humaine en causalisant/personnifiant le viol.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Destruction des femmes », « Milieu homosexuel infernal », « « Première fois » », « Duo totalitaire lesbienne/gay », « Pédophilie », « Cannibalisme », « Vampirisme », « Homosexualité noire et glorieuse », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Liaisons dangereuses », « Coït homosexuel = viol », « Milieu psychiatrique », « Viol », « Inceste », « Humour-poignard », « Douceur-poignard », « Parricide la bonne soupe », « Méchant pauvre », « Voleurs », « Personnage homosexuel empêchant l’union femme-homme », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Se prendre pour Dieu« , « Se prendre pour le diable », « Super-héros », « Couple criminel », « Homosexuels psychorigides », « Amant diabolique », « Androgynie bouffon/tyran », « Homosexuel homophobe », « Voyeur vu », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », à la partie « Voyeur » du code « Espion », et à la partie « Grands Hommes » du code « Défense du tyran », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

a) Le violeur homosexuel : légende ou réalité ?

VIOLEUR 1 psychose

Film « Psychose » d’Alfred Hitchcock


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, une rumeur causalisant le lien entre homosexualité et viol circule autour du héros homosexuel ou de l’homosexualité en général : « Ok, les gars… j’ai peut-être un p’tit problème de violence. » (Océane Rose-Marie parlant de son adolescence, dans son one-woman-show Châtons violents, 2015) ; « Tu sais ce qu’il a fait, monsieur ton fils ? Il a violé le Rovo. » (la Bouchère à Barbara, la mère d’Abram, le héros homosexuel qui a fait de la prison, dans le film « Jagdszenen Aus Niederbayern », « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; « Si je me fais violer, ce sera de votre faute. » (Patrik, le jeune adolescent hétérosexuel, en s’adressant à l’agent qui le laisse partir avec ses deux pères homosexuels adoptifs, dans le film « Patrik, 1.5 », « Les Joies de la famille » (2009) d’Ella Lemhagen) ; « T’es tellement fou que tu pourrais tous nous violer ! » (Pénélope au protagoniste principal du one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Je parie que toi et Peggy, vous faites des trucs aux gosses… » (Santiago s’adressant à Doris la lesbienne, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Peut-être qu’elle est folle, qu’elle va nous assassiner ! » (Fanny s’adressant à son mari Jean-Pierre par rapport à Catherine, l’héroïne lesbienne dont elle va tomber amoureuse, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Chaque homme tue celui qu’il aime. » (le maquereau de Davide le jeune héros homosexuel de 14 ans, pendant qu’il se désape avant de le violer, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Mais t’es qu’un connard de psychopathe ! » (Damien insultant Rémi qui lui a donné un coup de serpillère sur la tête en croyant assommer un rat, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Le psycho ! Le psycho !! » (Chanelle en panique au moment de voir l’ombre de Louison la lesbienne dans la grotte, dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017) ; « Tu l’as violée, c’est tout ! » (Marcel s’adressant à son « mari » Dominique par rapport à Mireille, dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet) ; « La victime est belle et le crime est si gay ! » (c.f. la chanson « Coeur de loup » de Philippe Lafontaine) ; etc.

 

Il n’y a pas que les personnages dits « hétéros » qui présentent les homosexuels fictionnels comme des « obsédés sexuels » et des « pervers ». La mauvaise réputation provient aussi et surtout des héros homos eux-mêmes, même si elle prend le visage sexiste de la misandrie (beaucoup d’héroïnes lesbiennes prennent les hommes gays pour des violeurs, parce qu’ils ont le malheur d’être nés « mâles »…), de la misogynie (beaucoup de héros gays voient les femmes comme des tigresses et des prédatrices sublimes), de la peur de la sexualité, de la phobie de la génitalité, de l’auto-parodie cynique, voire de l’effroi amoureux (cf. je vous renvoie aux codes « Liaisons dangereuses », « Viol », « Prostitution » et « Femme-Araignée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

« J’ai échappé au viol ! » (Mimil, le héros homosexuel parlant des avances de son ami Jeff, dans la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob) ; « Pas elle ! Elle va me violer !! » (Camille, l’héroïne lesbienne face à sa nouvelle camarade de cellule carcérale Caroline, avec qui elle formera finalement un couple après sa conversion au lesbianisme, dans le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet) ; « Pfu, vous êtes pareils tous les deux, Simon et toi, complètement obsédés. Je vais finir par croire que c’est un syndrome homosexuel… Non, en fait j’en suis convaincue ! Un jour, tu vas voir, j’en aurais marre que les pédés parlent que de cul, on dirait que chez vous, si y avait pas le cul, y aurait rien. Vous êtes complètement obsédés, tous. Bande de freaks ! » (Polly, l’héroïne lesbienne s’adressant à ses deux amis gays Simon et Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 25) ; « Coucher avec des filles, c’est un truc de pédés. » (cf. une réplique du film (2004) de Matthew Vaughn) ; « Il y a un tueur en liberté dans cette maison. Et vous avez le profil requis ! » (Giles Ralston s’adressant à Christopher Wren, le héros homosexuel, dans la pièce The Mousetrap, La Souricière (1952) d’Agatha Christie, mise en scène en 2015 par Stan Risoch) ; etc.

 

Quelquefois, le héros homosexuel voit en son amant un violeur : « Je n’avais jamais voulu voir la vraie nature de Jan. […] Maintenant que j’ai vu Jan menacer Gordon, depuis cet instant où il a braqué son automatique vers moi, je sais aussi comment leur empire, leur business s’est édifié… » (Bjorn à propos de son propre amant Jan, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 159) ; « Ton amant gay est un voleur et un assassin. » (Combs au héros homosexuel Price, dans le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis) ; « Non, je n’ai jamais été violé et abandonné comme par ce regard en une seconde et en pleine rue, subtil, sagace, sûr de son harpon et sans remords… Cet homme… s’est retourné tout d’un coup et, me dévoilant son visage d’Archange, m’adressa face à face ce message d’une langueur, d’une ferveur et à la fin d’une férocité qui n’avaient plus rien d’humain… » (Marcel Jouhandeau, Carnets de Don Juan (1947), p. 96)

 

Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, c’est au moment où les deux héroïnes (Ronit et Esti) se retrouvent toutes les deux dans un bosquet pour se dire leur amour que Ronit dit à Esti qu’elle « a l’air d’un tueur en série » (p. 139) Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Mélodie arrive chez son amante Charlotte avec une robe de soirée assez sexy. Elle qui passe ses journées à gérer des affaires de viol en cour d’assise, elle n’en revient pas de voir Charlotte se transformer en violeuse à son encontre, hors d’un contexte professionnel. « C’est un vrai appel au viol, ton truc… » s’en amuse au départ Charlotte, qui devient de plus en plus insistante (« En fait, t’as fait ça pour me rendre dingue ! »), au point d’inquiéter Mélodie : « Mais arrête ! ». Finalement, Mélodie se laisse faire : « Alors c’est que ça ? Faut que je te fuis pour que tu me rattrapes ? ». Dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Adam, le héros homosexuel, est présenté comme un psychopathe, un monstre (Aimee le surnomme « Bitzilla »). Éric, son futur amant, avertit Otis qu’ « Adam va le tuer dans sa propre maison ».

 

Par peur ou fantasme de donner crédit à cette croyance populaire au lien de causalité viol/homosexualité (pas totalement infondée non plus, car le désir homosexuel et les actes qu’il implique sont par nature semi-sincères semi-violents), certains personnages homosexuels prennent l’image du violeur homosexuel pour une vérité sur eux-mêmes, pour un ordre et un modèle. Ils intériorisent alors le fantasme de violer vraiment : « Je l’aurais violée sur-le-champ, si j’avais pu. » (Suzanne à propos de son amante Héloïse, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 305) ; « Déshabille-toi et j’arriverai. Comme l’homme du rêve… » (Léopold, le héros homosexuel s’adressant à son amant Franz qui vient de lui raconter le rêve incestueux et effrayant qu’il faisait étant jeune à propos de son beau-père, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je vais t’égorger, tu le sais, ça ? » (Guen, le héros homosexuel, parlant à Stan, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder, Holmes (très homosexualisé dans le film) s’amuse à passer pour le violeur de Gabrielle. Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, le protagoniste principal part à la recherche de son violeur (« Quand j’étais enfant, j’ai été violé. Franchement, c’était génial. Et ce site m’a permis de retrouver la trace de mon violeur. Et je suis drôlement content d’avoir retrouvé mon grand-père. ») et incite les membres du public à devenir violeurs eux-mêmes (notamment en répondant à un questionnaire sur le site fictionnel « syndromedestockholm.com » : « Quel genre de psychopathe êtes-vous ? »). Dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, il est fait référence à « l’obsession de violence » chez les personnages homosexuels. Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Dallas, l’assistant-couturier homo de la créatrice Cecilia, veut mettre hors d’état de nuire Hélène, la première d’atelier concurrençant Cecilia, et décrit sa stratégie arachnéenne pour s’en débarrasser proprement : « Je sais ! Je l’intimide avec mes ciseaux crantés, je la saucissonne à la dentelle de Calais, et je la planque dans un rouleau de taffetas noir. Tout ça avec des gants : pour ne pas laisser d’empreintes. »

 

Le violeur homosexuel commence par s’auto-persuader qu’il ne viole pas quand il essaie d’exercer son emprise psychologiquement sur son amant. « N’ayez crainte, je n’ai pas l’intention de vous violer, mais seulement de vous interroger. » (Cyrille, le héros homosexuel s’adressant au journaliste, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) Il fait souvent porter à sa victime son propre discours de l’évidence, une évidence en général infondée et qui n’est le signe que de son attachement à ses pulsions, à ses projections identitaires et amoureuses. Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, il est très souvent question de la défense de la « prédestination » dans les rencontres amoureuses. Celles-ci seraient déjà écrites d’avance, ne se choisiraient pas, et devraient obligatoirement se vivre. Ce film offre une vision totalement déterministe et peu libre de l’amour : « Il n’y a pas de hasards. » dit Emma à son amant Adèle qu’elle vampirise. Le violeur homosexuel voit des « signes » et des « confirmations » de ses désirs partout.

 
 

b) Le violeur homosexuel passe effectivement à l’action :

Dans certaines créations homo-érotiques, il arrive que le personnage homosexuel viole des femmes (cf. je vous renvoie avec insistance au code « Destruction des femmes » et à la partie « Prostituée tuée » du code « Prostitution », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2011) de Stéphane Druet (avec Pedro, le héros homosexuel, infligeant une séance de torture à Claudia avec sa guitare), le one-woman-show Betty Speaks (2009) de Louise de Ville (avec la figure lesbianisé d’Angelina Jolie en violeuse), le film « Frankenstein Junior » (1974) de Mel Brooks (avec Dracula, le vampire efféminé), le film « Hécate, maîtresse de la nuit » (1982) de Daniel Schmid (avec Julien, le jeune ambassadeur qui violente Clotilde), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec la violeuse lesbienne Lorelei), le film « Je suis une nymphomane » (1970) de Max Pécas, le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, le film « Kill Your Darlings » (2014) de John Krokidas, etc.

 

« Je te fends la chatte ! » (Venceslao parlant à Mechita dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi) ; « Comme j’utilise le mot ‘chatte’, j’passe par un violeur en puissance. » (Max dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; « Ayez pitié d’une pauvre femme par-dessus vieille ! J’allume la boule. Vous la voyez votre petite Delphine pendue ? Monsieur, me dit-elle, je me sens mal. Mes sels ! Je la gifle. Je l’attrape par les cheveux, lui cogne le front contre la boule de cristal, elle râle, elle s’affaisse sur sa chaise, elle a une grosse boule bleue sur le front, un filet de sang coule de son oreille. En bas on entend le bruit régulier de la caisse, je regarde par la fenêtre, le boulevard Magenta est toujours le même. La vieille continue de râler, je l’étrangle, elle meurt assise. Je me recoiffe de mon peigne de poche, j’enfile mon imperméable. » (le narrateur homosexuel parlant de Mme Audieu, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 89) ; « Il paraît que c’est un truc de pédés, d’homos refoulés, les mecs qui niquent des gonzesses dans tous les coins. » (Fred à son futur copain Greg, dans le film « Les Infidèles » (2011) de Jean Dujardin) ; etc.

 

VIOLEUR 2 Parle avec elle

Film « Hable Con Ella » de Pedro Almodovar


 

Par exemple, dans « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar, on découvre avec étonnement à la fin du film que l’infirmier homosexuel Benigno a violé la patiente dans le coma qu’il veillait pourtant jour et nuit à l’hôpital avec une sollicitude quasi maternelle. Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Didier, le héros homosexuel qui était jadis en couple avec sa copine Yvette, avoue qu’il « a eu le malheur de l’aimer à outrance ». Dans la pièce Le Choc d’Icare (2013) de Muriel Montossey, Romain, le héros homosexuel, séquestre Ariane. Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, Mr Alouette est le violeur de « Madame ». Dans le film « Maigret tend un piège » (1958) de Jean Delannoy, Marcel Maurin, le personnage homosexuel (doté d’une mère castratrice), tue des femmes. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Roberto, l’un des héros homosexuels, ne supportant pas d’être dragué par Alejandra, la maltraite violemment et la fout sous la douche ; plus tard, il dira à la jeune femme : « Moi, je t’aurais déjà tuée ! » Dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, Charlène accuse Jean-Louis, le héros homosexuel, de l’avoir violée. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Angelo, l’un des héros homos refoulés, après sa tentative de kidnapping de Carla Bruni dont il dit être fou amoureux, est activement recherché par la police. Dans le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, Bruno, le héros homosexuel, va essayer d’étrangler une vieille femme bourgeoise désirant connaître la sensation d’étouffement. Dans le film « I Love You Baby » (2001) d’Alfonso Albacete et David Menkes, Daniel montre à son amant Marcos la scène d’un film de merde où il a joué un petit rôle secondaire d’un homme cagoulé qui agresse une femme dans une ruelle urbaine ; il commente la scène en prenant un malin plaisir à rentrer dans la peau de son personnage (« Ici, c’est moi, cagoulé. […] T’as vu comme je sors mon couteau. […] Bouge pas, salope, ou je te bute ! »). Dans le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar, Angel (Antonio Banderas) suit en filature une fille dans une rue pendant la nuit et la viole sur le capot d’une voiture, en écoutant intérieurement la voix de son professeur de corrida : « Les filles, c’est comme les taureaux. Faut les choper quand elles s’y attendent le moins. » Dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, Stan, le personnage homosexuel, enfonce un tisonnier dans le sexe de la femme bourgeoise qu’il tue au moment de lui faire l’amour. Dans le roman Journal d’Adam (1978) de Knut Faldbakken, une femme est battue par le héros homosexuel. Dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, Paul Esménard tue Berthe par strangulation : « Il saisit le cou de Berthe dans ses doigts. Pendant une seconde, elle eut le temps de crier, mais d’une simple pression de pouce il la fit taire. […] Paul avança, posa la femme sur le lit et reconnut alors qu’elle était morte. Un peignoir blanc et mauve recouvrait son petit corps potelé qui semblait presque celui d’une enfant. » (pp. 115-116) Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, tous les personnages sont des violeurs : par exemple Bacchus a « abusé de plein de pauvres filles », les bacchantes se ruent sur Penthée et le dévorent, la naïade viole le bel Hermaphrodite, Jupiter viole Europe, etc. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent, le héros homosexuel sur le point de se marier avec Sophie, passe son temps à la frapper et à lui gueuler dessus. Il était tout aussi violent avec son ex-amant Stéphane : « Mes coups, parfois, je les retenais pas. Mes mots, oui. » Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Alban Mann traite sa propre fille de « pute » (p. 18), et finira par la tuer, comme il a assassiné sa femme Greta, elle-même prostituée « professionnelle ». Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah harcèle son amante Charlène, au point que celle-ci en vient au main et l’étouffe avec un coussin. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, le skinhead gay tente d’agresser sexuellement Jane la lesbienne : « Le rire de ce skinhead éméché résonna contre les murs, aigu et efféminé » (p. 95) Dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, Maryline, l’héroïne bisexuelle, est inculpée pour homicide involontaire sur son mari Gérard qui l’a violée et harcelée. Dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion, Seb et Loïc, couple homo, harcèlent leur meilleure amie Marie et l’empêchent d’être heureuse et d’avoir une vie amoureuse avec un homme, Charles. Dans l’épisode 5 « Circé » (saison 2) de la série Astrid et Raphaëlle (2020), Cécile Maignant se fait violer par le Dr Lavandier, un médecin super maniéré et efféminé.

 

Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, s’en prend aux femmes de son entourage, et surtout à sa mère, qu’il bat, tente de draguer, tripote à sa guise et embrasse de force sur la bouche : « T’aimes bien quand j’te chope comme ça, hein ? ». Celle-ci se rend compte que « Steve, c’est un violent. » Steve ne maltraite pas que sa maman : il tente de s’attaquer à Kyla, la voisine, mère au foyer qui se défend violemment : « Tu ne me touches plus ! »
 

Dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie, Armand, le héros de 43 ans, vit une relation pédophile avec Curly, une fillette de 16 ans alors qu’il était pourtant exclusivement homosexuel. Ils sont arrêtés par les flics sur un lieu de drague homosexuelle pour cause d’exhibitionnisme. Et lorsque Armand essaie de se valoir qu’il ne peut pas être pédophile puisqu’en temps normal il est homosexuel et seulement attiré par les hommes plus âgés que lui, le chef de la police lui laisse entendre que ce n’est absolument pas contradictoire, et que la pédophilie fait imparfaitement miroir à l’homosexualité et au goût incestuel de la vieillesse : « Le fait que vous aimiez les vieux m’incite à penser que vous aimez aussi les jeunes filles. » À la fin du film, la nature violente de l’amour exceptionnel qu’Armand porte à Curly se déclare. Lors de leur fugue amoureuse notamment, il la force à la sodomie, et Curly le prend très mal (« Arrête !!! T’es vraiment un connard ! […] Ça te fait quoi de me faire des coups comme ça ? »). Une fois que le père de la fillette retrouve le couple en cavale, Armand nie le viol : « Ça va, c’est bon, j’l’ai pas violée ! » Un peu plus tard, les amoureux prennent à nouveau la fuite. Curly se met à croire au grand Amour. Mais lassé de son idylle hétérosexuelle, Armand a un comportement très surprenant à l’égard de son amoureuse : à la fin du film, pour se débarrasser d’elle, il la ligote de force et l’abandonne dans la forêt. Il retourne à sa vie d’homo d’avant, en couchant avec des vieillards…

 

Dans la série 13 Reasons why (2018), Montgomery de la Cruz (alias Monty) viole Tyler avec un balai dans les toilettes dans le dernier épisode de la saison 2 (ce qui a fait grand bruit parmi les fans car la scène était extrêmement choquante). Dans l’épisode 5 de la saison 3, Winston fait une fellation en secret au même Monty à l’occasion d’une fête lycéenne et ce dernier finit par le tabasser quand son jeune amant lui demande s’ils peuvent se revoir en public : une fois arrêté pour le viol de Winston dans l’épisode 13 de la saison 3, Monty finit par avouer qu’il a une attirance pour les hommes face à son père au parloir de la prison.
 

Le viol des protagonistes féminines n’est pas uniquement le fait des héros homosexuels mâles. Il est aussi opéré parfois par des personnages lesbiens qui fantasment de se comporter en hommes violents : cf. le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan (avec Chloé, l’amante intrusive), le film « Haute Tension » (2003) d’Alexandre Aja (avec Cécile de France en lesbienne psychopathe), le film « Intrusion » (2003) d’Artemio Benki (avec l’auto-stoppeuse dangereuse), etc. Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, la bourgeoise, viole sa petite voisine de 14 ans : « J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. » (p. 57) Elle renouvelle l’expérience sur une cousine de son âge, adulte comme elle : « Je me rappelle qu’avant son départ, le matin, pratiquement contre sa volonté, par la faim que j’avais encore d’elle, je l’ai presque forcée, ainsi que le ferait un homme, allant au plus près du désir, comme un mari brutal. Moi qui pourtant ne voulait que sa tendresse. » (p. 72) L’héroïne lesbienne de ce roman ne s’intéresse pas à l’identité de ses amantes, mais plutôt à sa propre jouissance : « J’étais presque exclusivement intéressée par la fente des filles […] à tel point d’ailleurs que leurs visages ou leurs corps m’indiffèrent. » (p. 76) ; « Je me dis : ‘Il m’en faut une, et peu importe la figure qu’elle aura.’ » (p. 79) Elle prend également pour modèle un couple de femmes allemandes (amies de sa cousine) qui pratiquaient elles aussi le viol sur des vierges « hétérosexuelles » : « Ayant fait, si l’on peut dire, le tour des plaisirs les plus ordinaires, elles se mirent en tête que le viol tel que les hommes le pratiquent parfois leur permettrait une beaucoup plus grande liberté quant à leur choix. L’opportunité d’un voyage en Grèce les amena à passer à l’action. Elles voulaient absolument vivre cette sensation de puissance que l’on doit ressentir dans le viol, y prenant comme un plaisir supplémentaire du fait qu’il soit considéré partout comme un crime. » (p. 108) Son but est de voler l’amour et la tendresse à ses amantes, en faisant passer sa violence impatiente pour de la fougue belle, spontanée et accidentelle : « Sachant qu’elle allait partir, avec une énergie et une détermination qui m’étonnèrent moi-même, je me précipitai pour lui prendre un baiser. » (Alexandra face à une jeune religieuse, op. cit., p. 223) ; « Elle m’a prise à nouveau. » (Mathurine, la servante violée par son patron, « Monsieur », qu’elle féminise – « Madame, c’est Monsieur. » – dans la pièce Viol (2014) de Louis Lefèbvre) ; etc.

 

Au départ, comme certains héros homosexuels fictionnels n’assument pas l’existence du désir homosexuel en eux, il arrive qu’ils cherchent à se prouver à eux-mêmes ou à prouver à leur société leur hétérosexualité en couchant avec leur meilleure amie, en violant la « fille à pédés » ou la prostituée : cf. le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon (avec Paul se forçant à coucher avec Mousse, ou plutôt la forçant à coucher avec lui), le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve (où Vincent, le héros homo, fait l’amour avec Noémie, sa meilleure amie, pour savoir s’il est vraiment homo), le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure (avec Laurent qui se force à coucher avec Carole, sa meilleure amie, un soir d’ivresse, pour se prouver qu’il peut être « hétéro », et qui la viole pendant son sommeil), etc. Par exemple, dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, Marc, pour essayer de se persuader qu’il n’est pas homo, tente de violer sa femme Bettina, de la forcer à la sodomie.

 

VIOLEUR 3 Spiderman

Spiderman et Psyché


 

Le personnage homosexuel viole aussi des hommes, et très souvent des amants (cf. je vous renvoie avec insistance aux codes « Parricide la bonne soupe » et « Amant diabolique » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès, le film « J’ai pas sommeil » (1993) de Claire Denis (avec le tueur en série Thierry Paulin), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears (avec Fred, le violeur homosexuel), le film « Frisk » (1995) de Todd Verow (avec le psychopathe homosexuel), le film « Notre paradis » (2011) de Gaël Morel (avec un serial killer gay), la série britannique Hit & Miss (2012) d’Hettie McDonald (avec Mia, le tueur en série transsexuel M to F), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Emmanuel, le héros homosexuel qui a pour habitude de violer ses amants), le film « Du même sang » (2004) d’Arnault Labaronne, le roman Querelle de Brest (1947) de Jean Genet (avec les violeurs Nono et Querelle), le film « Le Dernier train du Katanga » (1967) de Jack Cardiff, le film « Furenchi Doressingu » (1997) d’Hisashi Saito, le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, le film « Speeters » (2000) de Paul Verhoeven (avec Eef, l’homosexuel refoulé et « casseur de pédés »), le film « Irréversible » (2002) de Gaspar Noé (avec le Ténia, violeur homosexuel), le film « Sixième Sens » (1986) de Michael Mann, le film « Toute nudité sera châtiée » (1973) d’Arnaldo Jabor, le film « Mad Max » (1979) de George Miller, le film « Midnight Express » (1978) d’Alan Parker, le film « Brubaker » (1980) de Stuart Rosenberg, le film « The Sweet Smell Of Death » (1995) de Wong Ying Git, le film « Gazoline » (2003) de Monica Strambini, le film « L’Épouvantail » (1973) de Jerry Schatzberg, le film « The Glass House » (1972) de Tom Gries, le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol (avec le personnage de Cyril), le film « Él Y Él » (1980) d’Eduardo Manzanos, la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti (avec le personnage de Louis), le film « Tremblement de terre » (1974) de Mark Robson, le film « Grégoire Moulin contre l’Humanité » (2002) d’Artus de Penguern (avec Jean-François, le violeur joué par Didier Bénureau), le film « Lonesome Cowboys » (1968) d’Andy Warhol, le film « Sans rémission » (1992) d’Edward James Olmos, le film « Chute libre » (1993) de Joel Schumacher, le film « Amours mortelles » (2001) de Damian Harris, le film « Moon 44 » (1990) de Roland Emmerich, le film « Lucifer-Sensommer : Gul Og Sort » (1990) de Roar Skolmen, le film « Cold Light Of Day » (1990) de Fhiona Louise, le film « All Night Long 2 » (1994) de Katsuya Matsumara, le film « Sac de nœuds » (1984) de Josiane Balasko, le film « Le Dénommé » (1988) de Jean-Claude Dague, le film « Okoge » (1992) de Nakajima Takehiro, le film « Huangjin Daotian » (1993) de Chou Tan, le film « Impasse des vertus » (1955) de Pierre Méré (avec le jeune pompiste truand), le film « Le Grand Pardon » (1984) d’Alexandre Arcady (avec le truand joué par Bernard Giraudeau et tué dans le lit de son amant), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin (avec Lacenaire, le criminel), le film « Cannibal » (2005) de Marian Dora, le film « My Night With Andrew Cunanan » (« Ma nuit avec Andrew Cunanan », 2012) de Devin Kordt-Thomas (sur un jeune tueur en série), etc.

 

Par exemple, dans le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló, Randy se fait violer et pisser dessus par un camarade de classe au lycée. Dans la pièce Hors-piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt, Francis, le seul personnage homosexuel de l’intrigue, tente de violer Stan, l’un des protagonistes hétéros, en profitant chez lui d’un état de faiblesse. Dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson, les « penetrators » homosexuels exercent des viols à la chaîne. Dans le film « Female Trouble » (1974) de John Waters, Divine joue le rôle d’un violeur homosexuel. Dans le roman Moravagine (1926) de Blaise Cendrars, le personnage de Moravagine incarne la figure du violeur homosexuel androgyne. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, le héros homosexuel, le jeune Joaquín, âgé seulement de 8 ans, impose le silence à son camarade qu’il a attouché sous la tente en camp scout : « S’il te plaît, ne le dis à personne. » Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le héros homosexuel finit par tuer l’homme qui l’a excité sous la douche à la piscine.

 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, le prédateur homo, sans doute client du bar Boys Paradise, emmène de force en voiture le couple Nathan-Jonas dans un établissement gay, La Dolce Vita qui en réalité n’existe pas, pour finalement ne pas les faire descendre et pour tuer Nathan en le frappant. Et pourtant, ce violeur n’avait pas l’air du tout dangereux puisqu’il écoutait à fond dans sa voiture « T’en va pas » d’Elsa, une chanson pour midinette. Nathan, quant à lui, n’avait pas le profil de la parfaite victime, puisqu’il mentait sur son viol, et manipulait Jonas comme un prédateur lui aussi : « T’y avais quand même pas cru à cette histoire de curé ? » (Nathan ayant fait croire à Jonas qu’il a été violé par un prêtre pédophile à 14 ans… pour cacher qu’il a été violé par un groupe de jeunes aux autos tamponneuses à l’âge de 9 ans). Survivant du drame qui a frappé son compagnon Nathan, dix-ans après, Jonas, pourtant chétif à l’adolescence, présente le même profil criminel. Il déclenche une baston au Boys. Et lorsqu’il pénètre dans un hôtel de luxe, L’Arthémis, le standardiste, Léonard, le prend pour un faux doux, un criminel armé, et préfère lui fouiller son sac : « Je sais pas. Je vérifie que t’aies pas d’arme, de couteau. J’en sais rien. Si je reviens et que tout le monde est mort, et que t’as buté tout le monde, on fait comment ? ».
 

« Y yo / pillaba yo » (cf. le poème « Anales » de Néstor Perlongher) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] avait erré jusqu’à un vieux hangar où l’on rangeait les outils de jardinage et y vit Collins et le valet de pied qui semblaient se parler avec véhémence, avec tant de véhémence qu’ils ne l’entendirent point. Puis une véritable catastrophe survint, car Henry prit rudement Collins par les poignets, l’attira à lui, puis, la maintenant toujours rudement, l’embrassa à pleines lèvres. Stephen se sentit soudain la tête chaude et comme si elle était prise de vertige, puis une aveugle et incompréhensible rage l’envahit, elle voulut crier, mais la voix lui manqua complètement et elle ne put que bredouiller. Une seconde après, elle saisissait un pot de fleurs cassé et le lançait avec force dans la direction d’Henry. Il l’atteignit en plein figure, lui ouvrant la joue d’où le sang se mit à dégoutter lentement. Il était étourdi, essayant doucement la blessure, tandis que Collins regardait fixement Stephen sans parler. Aucun d’eux ne prononça une parole ; ils se sentaient trop coupables. Ils étaient aussi très étonnés. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of LonelinessLe Puits de solitude (1928), pp. 38-39)

 

Hubert – « De toute façon vous m’aviez déshonoré bien avant d’avoir déshonoré ma famille. Quant à ma sœur Adeline, ne vous en formalisez pas, je l’avais déshonorée bien avant vous.

Cyrille (le héros homosexuel) – Vous êtes diabolique, Hubert. »

(Copi, Une Visite inopportune, 1988)

 

Certains personnages homosexuels violeurs s’en prennent à des êtres fragiles (cf. je vous renvoie aux codes « Pédophilie », « Vierge » et « Petits morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Tu violes des p’tits handicapés de 10 ans : le commun du p’tit pédé. » (Jonathan s’adressant cyniquement à son amant Frank, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Elle était d’une grande beauté, les larmes qu’elle versait donnaient à son visage une expression et un charme extraordinaires. J’avais l’envie presque irrépressible d’abuser d’elle. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne du romanLes Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 116), etc. Par exemple, dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, Veronika, comme un aigle prédateur, « déniaise » sa camarade de danse Nina, fébrile comme de la porcelaine. Dans le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg, le père de Christian est un homme impuissant avec les femmes, et qui a violé son fils (qui deviendra plus tard homosexuel). Dans le film « La Caduta Degli Dei » (« Les Damnés », 1969) de Luchino Visconti, Martin Essenbeck viole une fillette juive. Dans le film « Antibodies » (2005) de Christian Alvart, Jürgen Bartsch, 15 ans, assassine et viole des garçons encore plus jeunes que lui. Dans le roman Try (1994) de Dennis Cooper, un couple homosexuel composé de deux pères adoptifs violent leur petit Ziggy.

 

D’autres personnages homosexuels violent en se cherchant un partenaire sexuel plus « fort » qu’eux. Ils deviennent violeurs par omission en quelque sorte, par amant interposé, en se plaçant en victimes, parce qu’ils appellent leur pair « actif » à les pénétrer et qu’ils l’engagent à obéir à leur mise en scène de viol dont ils sont les héros « passifs » : « Pendant un apéro au Boobs’bourg, en attendant les autres, Cody m’avoue qu’à New York il met des petites annonces sur craiglist.org en se faisant passer pour une fille : ‘Comme ça, quand les hommes ils veulent ma chatte, je dis à eux je suis un pédé mais je peux te sucer bien ta bite à fond et avaler ton jus. Ça marche, quoi, les hommes ils ont envie d’une fille parce qu’ils pensent que c’est la seule chose qui les fait bander mais un jour où ils sont en manque ils goûtent à la bouche ou le cul d’un pédé et d’un coup ils se rendent compte que ce qui les fait bander c’est le sexe, et pas une fille, quoi. Je suis comme une sorte de terroriste queer comme j’oblige les hommes hétéros de se rendre compte que tout le monde est pédé, quoi, parce que tout le monde bande pour n’importe qui. » (Cody, le héros homosexuel nord-américain très efféminé du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 98-99) ; « Il consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… […] Je referme la porte et tout de suite nous portons nos mains sur le visages de l’autre, pour sentir le bandeau, pour être sûr que le contact est respecté. Il sourit, je sens sous mes doigts sa bouche tendue. Moi aussi je souris. On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on s’embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike, le narrateur homosexuel racontant son aventure avec un certain Vianney, op. cit., p. 84) Le viol n’est jamais effectué par une seule personne (= le bourreau), mais bien le produit d’une relation, d’un consentement mutuel, où la victime et son bourreau jouent tous les deux un rôle (même un rôle réduit parfois à celui d’objets qu’ils ne seront jamais) : « Dans le sexe, c’est surtout Claude qui parle, qui dit ‘Maintenant je suis un mec, je viens de te voir passer devant moi dans la rue, je te chope dans un coin sombre et je te baise comme la belle salope que tu es…’ Polly aime bien être passive, ça l’arrange que Claude veuille toujours être dominante. » (Mike parlant du couple lesbien Claude-Polly, op. cit., p. 74)

 

Dans son obsession pour le corps et la beauté de son amant, le personnage homosexuel montre parfois l’impatience cannibale du violeur, ses pulsions de possession : « Je veux sa bouche. Je veux son cul. Il est à moi ! » (Lennon parlant de Martin dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti)

 
 

c) Comment le héros homosexuel en arrive-t-il à passer à l’acte odieux ?

VIOLEUR 3 Lit

Film « Jeanne Dielman » de Chantal Akerman


 

Le violé devient parfois violeur. Par exemple, dans le roman Radcliffe (1963) de David Storey, Léonard Radcliffe, soumis au joug de son amant Vic, avoue son propre despotisme sous-jacent : « Le pire dans tout ça, c’est qu’une partie de moi l’aime et l’autre partie de moi ne lui sera jamais soumise. » D’ailleurs, à la fin de l’histoire, lui qui était jadis homosexuel soumis et passif, finit par tuer Vic et par devenir l’homosexuel actif et prédateur une fois incarcéré. Dans le roman Baise-moi (2002) de Virginie Despentes, Nadine et Manu, les deux héros transsexuels M to F violés, deviennent aussi violents que leurs agresseurs. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, se retrouve embarqué dans une série de meurtres en cascade parce qu’il a découvert l’ambiguïté homosexuelle du jeu de son premier amant, Dick, qu’il a tué accidentellement et par légitime défense. Il tue au moins trois hommes et se comporte comme un parfait manipulateur.

 

Dans les œuvres traitant d’homosexualité, il existe très souvent un ambigu rapport idolâtre d’attraction-répulsion, d’imitation (involontaire ?), d’amour, entre la victime et son agresseur. « De ma vie, je ne m’étais jamais fait baiser sans le vouloir. Je sais maintenant que tout peut arriver. Et que, même sans le vouloir, on peut aimer cela. » (Bjorn, l’un des personnages homosexuels, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 154) ; « J’adore qu’on profite de moi. […] Personne ne me force. » (Matthew Ferguson, le gigolo du film « Eclipse » (1995) de Jeremy Podeswa) ; « Je ne criais jamais, j’étais tellement heureuse d’être ton objet, d’exister. » (Cécile à son amante Chloé dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 39-40) ; « J’ai envie d’être l’outil de sa jouissance. » (la narratrice lesbienne parlant de son amante, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 65) ; « ’Tu désires l’abomination.’ Il ne pouvait y croire au début. Lui qui avait souffert des attentions de Goudron se transformait maintenant en Goudron ! Cela ne pouvait pas être vrai. Pourtant, c’était vrai ! » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, parlant de son élan homosexuel pour le jeune David, suite à l’attachement pédophile de Goudron, un écrivain bien plus âgé que lui et qui l’avait courtisé, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 177) ; « Ce que j’aurais fait à cette époque de ténèbres, d’autres me l’avaient fait. » (idem, p. 441) ; etc. Par exemple, dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, le Dr Labrosse fantasme de se faire violer par un jeune Sénégalais de 16-17 ans appelé « Babacar ». Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, plus Antionetta, la femme au foyer, rêve d’être violée par son voisin de pallier homosexuel Gabriele, plus elle joue la saint-nitouche persécutée qui se fait des gros films : « Allez-vous-en ! Allez-vous-en, je vous en supplie ! » Elle embrasse de force Gabriele sur la bouche quand celui-ci lui avoue qu’il est homosexuel. Vexé d’avoir été pris pour un macho qui allait satisfaire une femme mariée désireuse de « se faire sauter sur la terrasse » de l’immeuble, et aussi pour se venger de son double jeu, il finit par la violenter vraiment : « Je ne suis pas le Superman viril que tu attendais !! »

 

Le basculement de rôles violé/violeur est symbolisée d’une manière très particulière dans les fictions homo-érotiques. La victime homosexuelle d’un viol se voit généralement inculpée d’un meurtre qu’elle n’a pas voulu commettre et auquel elle a été poussée par son tortionnaire. Par « légitime défense », elle reproduit le viol : cf. le film « Légitime violence » (1982) de Serge Leroy, le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, les films « Dial M For Murder » (« Le Crime était presque parfait », 1954), « Torn Curtain » (« Le Rideau déchiré », 1966), « Psycho » (« Psychose », 1960), et « Marnie » (« Pas de printemps pour Marnie », 1964) d’Alfred Hitchcock, le film « Ossessione » (« Les Amants diaboliques », 1943) de Luchino Visconti, le film « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné, le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon, le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce, le film « Flying With One Wing » (2002) d’Asoka Handagama, le film « Le Roi et le clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « La Victime » (1961) de Basil Dearden, le film « Pouvoir intime » (1987) d’Yves Simoneau, l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli (avec Kamel), etc.

 

Par exemple, dans son roman Le Conformiste (1951), l’écrivain Alberto Moravia décrit l’évolution de Marcel, une jeune victime d’attouchements sexuels qui tue par accident son agresseur. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, pour se venger des attaques homophobes de Terell, un camarade de lycée, débarque en classe et lui casse une chaise sur le dos, laissant ce dernier inconscient. Il est embarqué par la police. Dans le film « Chaînes » (1928) de Wilhelm Dieterle, Franz tue sans le vouloir un inconnu qui dérangeait sa femme. Dans le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli, Théron est responsable d’un crime involontaire. Dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, Daventry a tué ses deux agresseurs en opérant un assassinat de légitime défense. Dans le roman Adrienne Mesurat (1927) de Julien Green, Adrienne tue son dictateur de père en le poussant accidentellement dans les escaliers. Dans le film « Prisonnier » (2004) d’Étienne Faure, le petit viol est presque excusé par l’existence d’un plus grand viol dont le protagoniste n’est pas responsable : en effet, Julien séquestre son amant Tom dans son grenier afin de le protéger de la police, « par amour ». Dans le film « Les Filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie, les deux amantes provoquent l’attaque cardiaque accidentelle du despotique botaniste. Dans le film « Les Diaboliques » (1955) d’Henri-Georges Clouzot, le couple de lesbiennes est à la fois victime et bourreau de l’homme qu’il veut éliminer. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo Nathan euthanasie son amant Sean, puis ensuite pleurer son geste.

 

Le héros homosexuel décide d’imiter son violeur, et de le violer à son tour, en baptisant leur relation d’« amoureuse ». Comme s’ils étaient tous les deux quitte ! Leur union serait « égalitaire dans la violence », ré-équilibrée par le viol : « Entre la baffe qu’elle m’a donnée et ce titre de transport que je n’ai pas payé, qui de nous deux est la débitrice ? » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 49)

 

Par exemple, dans le roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros homosexuel faisant son service militaire, décide volontairement de coucher trois fois avec Octave, son violeur d’adolescence, pour réparer une ancienne souillure par une domination inédite sur ce dernier : « Je ressentais ce désir comme une sorte de revanche pour satisfaire égoïstement ma propre libido. » (p. 92)

 

Et quand son amant ne lui a rien fait, le violeur homosexuel décide de le punir de sa fragilité, de sa complicité à se laisser dominer par lui. Le pire, c’est que dans toute sa schizophrénie, il trouve le moyen de s’auto-victimiser pour nier qu’il fait le mal. Il ne viole pas par gaieté de cœur, vous comprenez… Il fait ça par « sacrifice d’amour », parce que c’est sa victime qui le lui aurait demandé… : « Cette folle perverse rêve depuis des années d’être tuée, elle est à la recherche d’un assassin, voilà : elle l’a trouvé : c’est moi. » (le narrateur homosexuel parlant de Mme Audieu, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 110) ; « Tu m’as forcé à faire ça ! » (Steeve juste avant de poignarder mortellement Vincent, son amant d’un soir, dans le film « Cruising », « La Chasse » (1980) de William Friedkin) Ou bien il survalorise l’individu qu’il a violé, en lui inventant une liberté, une maturité, un consentement, un désir, une liberté et des sentiments qu’il n’a vraisemblablement pas (genre : « Il n’ose pas me le dire, mais je suis persuadé qu’il a aimé ça ! Je suis sûre qu’il est fou de moi… » ou « Il est très mûr pour son âge ; et puis en plus, il était d’accord ! ») : « Contre toute attente, la bergère se prit entièrement à ce qu’elles [= le couple lesbien violeur] faisaient et devint, selon ce que disaient les amies de ma cousine, une partenaire aussi réceptive qu’audacieuse. […] À leur grande surprise, elles la virent, alors qu’elles étaient déjà très loin, faire de gentils gestes de la main pour leur dire au revoir. […] Les deux amies considéraient par ailleurs leur action comme une initiation et nourrissaient le souhait caché que les autres femmes se convertissent, espérant ouvrir leur esprit, les libérer des conventions et des contraintes qui trop longtemps les avaient enfermées. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 108-110)

 

Par exemple, dans la pièce Ma première fois (2012) de Ken Davenport, l’héroïne lesbienne dit que les cris de résistance de sa copine (« Arrête, lâche-moi !!! ») quand elle la viole amplifient son désir et l’encouragent à poursuivre : « Ça, ça me fait bander comme un cheval ! » Elle finit par projeter sur son amante son propre désir/amour éjecté : « J’suis sûre qu’elle a adoré sa première fois même si elle prétend le contraire. »

 

La « correction » du violeur homosexuel se pare souvent des meilleures intentions (solidarité, lutte contre l’homophobie, défense de l’amour homosexuel, etc.). C’est la raison pour laquelle il ne se voit même pas déraper. Par exemple, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, les amants Georges et William tapent sur Pierre l’hétérosexuel, et essaient de l’approcher, de le provoquer physiquement (par rapport à une homosexualité supposée latente chez lui). Georges lui fout une baffe, et ça finit en bagarre que les lamentations théâtrales d’Adèle, la « fille à pédé » pleureuse internationale, viennent miraculeusement éteindre en jetant tout de même toute la faute sur la soi-disant « homophobie » de Pierre.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le violeur homosexuel : légende ou réalité ?

Dans nos civilisations contemporaines, une rumeur causalisant le lien entre homosexualité et viol circule autour des personnes homosexuelles ou de l’homosexualité en général. Il suffit d’écouter le mythe des violeurs d’enfants (les « enculeurs d’adolescents », comme diraient Jacques de Guillebon et Falk Van Gaver, dans leur article « Voie sans issue » de la revue Nouvelles de France, en août 2012) développés par quelques tribuns du FN, réac’ gauchistes et autres ecclésiastiques de la droite évangélique américaine : « Que faisons-nous contre ces hommes qui violent nos enfants ? » (le parlementaire David Baati dans le documentaire Ouganda : au nom de Dieu (2010) de Dominique Mesmin)

 

Il n’y a pas que les personnes hétérosexuelles qui présentent les personnes homosexuelles comme des « obsédés sexuels » et des « pervers ». La mauvaise réputation provient aussi et surtout des individus homos eux-mêmes, même si elle prend tantôt le visage sexiste de la misandrie (beaucoup de femmes lesbiennes prennent les hommes gays pour des violeurs, parce qu’ils ont le malheur d’être nés « mâles »…), tantôt celui de la misogynie (beaucoup d’hommes gays voient les femmes comme des tigresses et des prédatrices sublimes), tantôt celui de la peur de la sexualité, de la phobie de la génitalité, de l’effroi amoureux, voire de l’auto-parodie cynique. Je ne citerai à ce titre qu’un seul exemple parlant : l’ouvrage Trois milliards de pervers : grande encyclopédie des homosexualités (1973) de Félix Guattari et Guy Hocquenghem. Dans la programmation du festival de cinéma gay & queer Chéries-Chéris édition 2013 au Forum des Images de Paris, il y a une nuit consacrée aux « serial killers et killeuses ». Et je vous renvoie aux codes « Liaisons dangereuses », « Viol », « Prostitution » et « Femme-Araignée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

J’ai entendu par exemple des amis homosexuels/bisexuels qui m’ont avoué que lorsqu’ils avaient couché avec des femmes, ils avaient eu l’impression de les violer. On retrouve cette idée dans l’autobiographie Un Homo dans la cité (2009) de l’animateur radio homosexuel Brahim Naït-Balk : « Alors que j’avais déjà 25 ans et que j’étais toujours vierge, plus par désespoir que par désir j’ai répondu aux avances d’une collègue éducatrice. Elle me draguait depuis un moment et je la fuyais. Un soir de réveillon du jour de l’An, nous nous sommes retrouvés dans une chambre du foyer et je me suis lancé. C’était horrible, je me suis forcé à la pénétrer, sans préliminaires. J’ai eu l’impression de la violer. Tout de suite après, je l’ai fuie comme un voleur. » (pp. 40-41)

 

En amour homosexuel aussi, j’ai entendu à de nombreuses reprises mes amis me décrire en privé leur initiation sexuelle ou leur propre partenaire amoureux comme un violeur (cf. je vous renvoie aux codes « « Première fois » », « Viol » et « Amant diabolique » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Par peur ou fantasme de donner crédit à cette croyance populaire au lien de causalité viol/homosexualité (pas totalement infondée non plus, car le désir homosexuel et les actes qu’il implique sont par nature semi-sincères semi-violents), certains individus homosexuels prennent l’image du violeur homosexuel pour une vérité sur eux-mêmes, pour un ordre et un modèle. Ils intériorisent alors le fantasme de violer vraiment : « Pour moi, le viol, avant tout, a cette particularité : il est obsédant. J’y reviens tout le temps. […] J’imagine toujours pouvoir un jour en finir avec ça. […] Impossible. Il est fondateur. De ce que je suis en tant qu’écrivain, en tant que femme qui n’en est plus une. C’est en même temps ce qui me défigure, et ce qui me constitue. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), p. 53) ; « Étant donné qu’il m’arrivait de m’occuper d’enfants, j’étais obsédé par la crainte qu’ils me soupçonnent de pédophilie. C’était absurde, mais je ne pouvais m’empêcher d’y penser. » (Brahim Naït-Balk, l’animateur radio qui ne cache absolument pas son attirance pour les jeunes garçons, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), p. 65) ; « Je veux faire des films qui rendent les spectateurs fous, qui les poussent à commettre un meurtre. » (le réalisateur Hisayasu Sato) ; « J’y suis allé pour avoir du sexe avec les hommes. C’est la première chose que j’ai faite. Donc ce gars avec qui j’avais chatté un temps sur Internet était de Flint, dans le Michigan. C’est là-bas que j’ai perdu ma virginité. La capitale mondiale des assassinats, c’est de notoriété publique [rires] [. [ » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; etc. Par exemple, en 1971, la féministe Susan Griffin frappe l’opinion publique en déclarant qu’elle « n’a jamais pu se débarrasser de la peur du viol ».

 

Certains auteurs homosexuels, par leur sacralisation des méchants de dessins animés, des dictateurs et des Grands Hommes, montrent, certainement à leur insu, une fascination pour le violeur (cf. je vous renvoie aux codes « Se prendre pour Dieu », « Se prendre pour le diable », « Homosexualité noire et glorieuse », « Liaisons dangereuses », « Homosexuel homophobe », « Couple criminel », « Super-héros », et à la partie « Grands Hommes » du code « Défense du tyran », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Je suis un chasseur ! Pas un gratte-papier. J’aimerais être de ceux qui visitent les appartements des opposants politiques et s’emparent de leur contenu, des livres au courrier et aux meubles, et les envoient vers Berlin. » (Heinrich, figure par excellence du voleur/violeur, dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 103) Par exemple, dans son recueil de poésie Le Condamné à mort (1942), Jean Genet met le « tueur à la lourde braguette » sur un piédestal.

 
 

b) Le violeur homosexuel passe parfois effectivement à l’action :

Par malheur, il arrive que certains individus homosexuels violent vraiment. Par exemple, en 1869, l’affaire Zastrow fait la « une » des journaux. Carl Ernest Wilhelm von Zastrow (1821-1877), ancien militaire, peintre, est arrêté pour viol homosexuel. Je pense également à ce jeune violeur nantais de 18 ans (2 novembre 2016) qui ne s’attaquait qu’à des hommes. On trouve sur le garçon qui a été sa victime un anus si élargi qu’il ne peut plus retenir ses excréments. Le 5 juillet 1869, Zastrow, dans le box des accusés : « J’appartiens à ces malheureux qui à cause d’un défaut de leur nature ne ressentent aucune inclination pour le sexe féminin. J’ai souvent parlé de ça avec des hommes, qui alors m’ont traité froidement et inamicalement, de telle sorte que je me suis retrouvé seul au monde. » Le film « Darkroom – Tödliche Tropfen » (« Backroom – Drogue mortelle », 2019) de Rosa von Praunheim retrace la vie réelle de Lars, un serial killer homosexuel qui a tué cinq de ses amants, et qui avait défrayé la chronique en Allemagne en 2012. Le cas de l’Ougandais homo de 37 ans Emanuel G., qui a violé en septembre 2016 une femme dans la rue à Freising en Bavière, laisse également perplexe. Tout comme le meurtre de la petite Lola (12 ans) qu’une femme (Dahbia, 24 ans) a violée puis mise dans une malle après avoir obtenu son orgasme lesbien/pédophile, le 14 octobre 2022.

 

Cela peut commencer par la société toute entière et l’État, sous prétexte de lutte politique contre le monstre « Homophobie ». Je pense par exemple dans toutes les Gay Pride à la simulation de viol par l’exhibitionnisme agressif. Je pense aussi aux méthodes musclées et agressives d’associations comme Act Up, ou bien à des coups de folie isolés (Dernièrement, un certain Floyd Corkins, 28 ans, ancien bénévole homo au Centre LGBT de Washington, a ouvert le feu au siège d’une organisation chrétienne conservatrice, le 16 août 2012).

 

Le grand viol social peut-être précédé du petit viol homosexuel. Autre exemple : dans ce fait divers daté du 22 décembre 2016, on voit bien que l’agression homophobe s’origine sur le petit délit de larcin homosexuel.
 

Le viol se poursuit aussi sur des femmes (cf. je vous renvoie avec insistance au code « Destruction des femmes » et à la partie « Prostituée tuée » du code « Prostitution » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « Le garagiste [Nacho], agenouillé près d’Ernestito, demandait pardon, pardon pour ses péchés. Il avait tué la femme, la seule qui aurait pu l’éloigner de son secret, des hommes, de son désir des hommes. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 314) Ce viol est en général exercé par deux profils de personnes homosexuelles : soit les individus homosexuels refoulés, soit à l’opposé les individus homosexuels soi-disant « homosexuellement assumés ». Et là encore, le sexe de ces agresseurs homosexuels importe peu.

 

VIOLEUR 4 Favorites

« Favorites »


 

Au départ, comme certains individus homosexuels n’assument pas l’existence du désir homosexuel en eux, il arrive qu’ils cherchent à se prouver à eux-mêmes ou à prouver à leur société leur hétérosexualité en couchant avec leur meilleure amie, en violant la « fille à pédés » ou la prostituée. Le violeur endossera alors le déguisement du faux bisexuel ou de l’hétérosexuel surfait (pléonasme). Et pour ce qui est de l’individu homosexuel qui cherche à prouver à sa société qu’il est « 100% homosexuel » et que « ça se passe très bien », l’obstination à rester conforme à son masque du coming out ou à son étiquette de « parfait mec casé en couple homosexuel » a tendance à se traduire sur la durée par une agression vis à vis des femmes, des hommes mariés et des personnes homosexuelles en général.

 

Par exemple, dans le roman Manigances (2011) de Denis-Martin Chabot, il y a le personnage du « prédateur », Julien, à l’identité sexuelle trouble, qui viole les hommes qu’il rencontre, et qui leur laisse des séquelles (l’histoire est basée sur des faits réels). Autre exemple parlant, c’est celui de Jonathann Daval, le soi-disant gendre idéal, qui a assassiné et calciné sa femme Alexia en 2017 en France, en jouant ensuite le veuf épleuré pendant la Marche blanche et l’enterrement. Il se trouve que Jonathann est homosexuel et qu’il a refait sa vie avec un codétenu en prison… nouvelle qui ne ravit évidemment pas la presse gay qui hurle à l’amalgame « homophobe » entre monstruosité et homosexualité.

 

N’en déplaise à la communauté homosexuelle, les loups sont dans la bergerie (même s’ils passent leur temps à se dire « hors milieu » !). Certains hommes et certaines femmes homosexuels violent non seulement des femmes mais aussi des hommes, et particulièrement des amants de passe ou des compagnons de vie qu’ils harcèlent parfois pendant des mois (cf. je vous renvoie avec insistance aux codes « Milieu homosexuel infernal », « Parricide la bonne soupe », « Homosexuel homophobe », « Liaisons dangereuses » et  « Amant diabolique » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). On citera ici le nom d’hommes homosexuel serial killer, funestement passés à la postérité parce qu’ils tuaient successivement leurs compagnons d’un soir (ils sévissaient dans et à l’extérieur du « milieu gay » stricto sensu) : Jeffrey Dahmer, Andrew Cunanan, Gilles de Rais, Luis Alfredo Garavito, Randy Steven Kraft, Luka Magnotta (présenté comme le « premier web killer » de notre époque), etc. Allez faire un tour sur cette page pour ceux parmi vous qui veulent frémir…

 

Le violeur des personnes homosexuels, loin d’avoir une sexualité stable et non-homosexuelle, cache son homosexualité derrière la violence d’une hétérosexualité excessivement prouvée en actes, trop assurée et travaillée : « Je connais leur rapport tordu à leur propre sexualité. […] À moins qu’ils n’aient eu eux-mêmes des tendances homosexuelles qu’ils n’osaient s’avouer. […] Ce qui, pour moi, reste un mystère absolu, c’est pourquoi ces garçons, malgré leur haine féroce pour les homos, voulaient avoir des relations sexuelles avec un gay comme moi. » (Brahim Naït-Balk parlant de ses violeurs, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), pp. 78-81)

 

Certains individus homosexuels violeurs s’en prennent à des êtres fragiles (cf. je vous renvoie aux codes « Méchant pauvre », « Prostitution », « Pédophilie », « Vierge » et « Petits morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) et qui donnent par leur faiblesse l’illusion d’un consentement : je pense par exemple à ce fait-divers du couple lesbien de Verdun, ainsi qu’au témoignage d’Alfred, homosexuel, qui a « violé un tapin » et que relate cet acte dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang (cet ouvrage a beaucoup d’intérêt dans la mesure où l’auteur a eu l’intelligence de choisir d’interviewer non seulement des victimes masculines de viol mais aussi des agresseurs, jadis victimes).

 

Je vous signale au passage cet article destiné à ceux qui me soutiennent que l’homosexualité n’a rien à voir avec ce que nous vivons (crise, terrorisme, islamisme, transhumanisme, attentats d’Orlando ou de Nice, etc.), qu’ « il n’y a pas que ça dans la vie », et que le fait que j’en fasse le centre des débats sociétaux serait le signe de ma « monomanie narcissique homosexuelle »… D’aucun vont se servir de ce qu’ils identifient comme une bizarrerie paradoxale ou minoritaire, pour affirmer haut et fort qu’il faut encore plus faire son coming out et encore plus pratiquer son homosexualité. Quand tout le monde la réduit à un refoulement d’homosexualité, moi, je dis que l’homophobie est à la fois refoulement et surtout pratique et identité « assumées » d’homosexualité.
 

Pourquoi les personnes homosexuelles ont tellement de mal à reconnaître l’existence du lien non-causal entre homosexualité et pédophilie, par exemple ? Parce qu’il les renvoie parfois au douloureux (et enjolivé… par stratégie de survie !) souvenir de leur initiation au plaisir (homo)sexuel par leur violeur, qui s’est présenté à eux comme un guide, un père bienveillant, un amant protecteur.

 

Le violeur tient exactement le même refrain d’indifférence de la sacralisation du « consentement mutuel » et de l’absence de bien ou de mal : « Pour ma part, je me suis fait une règle de ne pas juger la sexualité des autres ; tant que ça se passe entre adultes conscients et consentants, je pense que rien de mal ne peut se faire. » (Voir sur ce lien)

 

D’autres personnes homosexuelles violent en se cherchant un partenaire sexuel plus « fort » qu’elles. Elles deviennent violeurs par omission en quelque sorte, par amant interposé, en se plaçant en victimes, parce qu’elles appellent leur pair « actif » à les pénétrer et qu’elles l’engagent à obéir à leur mise en scène de viol dont elles seraient les héros « passifs ». J’ai en tête plein de récits d’amis homosexuels qui ont forcé leur partenaire sexuel à les violer au lit parce que « ça les excitait ». « Je rêve d’être kidnappé, attaché, offert, je rêve d’être à la merci. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 55) Oui, détrompez-vous si vous doutez de ce que j’écris là. Le violeur homosexuel n’est pas forcément le « dominant » !

 

Le rôle du violeur homosexuel n’est pas nécessairement porté par celui qu’on attend. On se trompe en beauté si on pense que le violeur homosexuel ne peut être que l’individu adulte (à partir de la quarantaine, environ), masculin, bear ou butch, « actif » sexuellement, adepte des pratiques sado-maso, 100% méchant et malveillant. J’ai vu des hommes et des femmes homosexuels, en apparence innocents, conformes physiquement aux canons de la mode de leur sexuation biologique originelle, parfois jeunes et pimpants, jouant les fragiles, homosexuels dits « assumés », sincères et « amoureux », frapper quand on s’y attendait le moins ! N’oublions jamais que tout être humain est profondément libre, donc ni « victime à vie », ni « bourreau à vie »… Autant nous pouvons assurer que tout bourreau a été victime, autant on ne pourra jamais dire que toute victime sera plus tard bourreau… et heureusement ! (Merci la résilience !) Or ceux qui l’oublient, afin de diaboliser les violeurs et béatifier les victimes de viol, sont en général des gens qui violent aussi, qui suppriment la liberté humaine en causalisant/per le viol.

 

Pour vous donner un exemple très parlant, je me trouvais un jour aux studios de la radio RFPP à Paris, pour animer, comme chaque lundi, l’émission Homo Micro aux côtés de Brahim Naït-Balk et de quelques chroniqueurs. C’était le 20 décembre 2010. Fabien, le « chroniqueur santé » (jeune, beau gosse, raffiné, en couple assumé et discret, visiblement plutôt passif sexuellement), a avoué ouvertement à l’antenne que l’un de ses fantasmes sexuels secrets était de « violer une femme ». Quand il a prononcé cette phrase hallucinante (que personne n’a relevée, sauf moi évidemment… et Sylvain, le chroniqueur de la « revue de presse », qui m’a instantanément fixé droit dans les yeux, bouche bée, en étant sur le point de dire en me pointant du doigt : « C’est fou… Ce fantasme de viol chez les homos, c’est exactement ce qu’a décrit Philippe dans des émissions précédentes ! Avait-il finalement raison ?!? »). Je pense, connaissant Fabien, que ce n’était de sa part que l’expression d’un fantasme non-actualisé (j’ose espérer, et je n’en doute pas, car ce garçon est l’exemple même de la mesure et de l’homosexualité clean). Mais en revanche, ce fantasme doit être certainement actualisé par des personnalités moins équilibrées que Fabien, et de manière beaucoup plus répandue qu’on ne le croit dans la communauté homosexuelle. Ce n’est pas pour des prunes que j’écris noir sur blanc dans mes essais que le désir homosexuel est par nature le signe d’un viol parfois réel ou en tous cas un fantasme de viol (dans le double sens de l’expression : fantasme de violer ou/et fantasme de violer).

 

J’ai remarqué que les vrais violeurs homosexuels pouvaient être aussi bien sur-virils qu’hyper efféminés (Récemment, j’en ai croisés trois parmi mes connaissances homosexuelles lointaines – des hommes entre 25 et 35 ans – qui peuvent se montrer non seulement menteurs et langues de vipère, mais aussi menaçants et incontrôlables). Ils ont le visage crispé du sadomasochiste. Et je ne souhaite à personne de se retrouver nez à nez avec leur hystérie schizophrène inattendue…

 
 

c) Comment le sujet homosexuel en arrive-t-il à passer à l’acte odieux ?

VIOLEUR 5 Inconnu Nord

Film « Strangers On A Train » d’Alfred Hitchcock


 

Triste et désarçonnant constat : le violé devient parfois violeur. Par exemple, Diane de Margerie évoque le « désir d’agression » inhérent à la personnalité du romancier japonais Yukio Mishima (Correspondance 1945-1970 (1997), p. 22).

 

De récentes études canadiennes de criminologie prouvent qu’un des grands facteurs aggravants de récidive des viols est l’agression entre personnes de même sexe ; par exemple, les incarcérations en cas d’inceste ou de pédophilie entre personnes des sexes différents sont plus rarement répétées (sources données par le pédo-psychiatre Vincent Rouyer).

 

Force est de reconnaître qu’il existe très souvent un ambigu rapport idolâtre d’attraction-répulsion, d’imitation (involontaire ?), d’amour, entre la victime et son agresseur. Le désir d’être violeur a pu être précédé par le désir d’être violé (cf. je vous renvoie évidemment la partie « Désir de viol » du code « Viol » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) :

 

« Coco [travesti M to F], à la sortie de la gare, indiqua une pissotière.

– ‘Celle-là fonctionne très bien. Des mecs à perdre la tête. Maintenant, une fois sur deux, on te vole ou on te tue.

Mais on te viole d’abord au moins ? s’inquiéta Paquito.

Oui, parfois », le rassura Coco en souriant avec sa dentition canine impeccable. »

(Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 94)

 

Pourquoi ne parle-t-on quasiment jamais des violeurs homosexuels réels ? Parce qu’en cas d’agression, en général, le violeur, pour jouer au dur, cache son orientation bisexuelle ou homosexuelle qui le désignerait comme faible, blessé ou semblable à sa proie : « La plupart des agresseurs auraient tendance à se définir comme hétérosexuels exclusifs et s’avèreraient, de surcroît, homophobes » (p. 108) explique Michel Dorais dans son essai Ça arrive aussi aux garçons (1997). Et dans leur naïveté, la plupart de leurs victime croient leurs violeurs sur parole, validant intérieurement ainsi la possibilité de s’affirmer elles-mêmes homosexuelles par réaction d’opposition, par réflexe de survie : « La plupart des agresseurs sont décrits par leurs victimes comme étant ou s’affirmant d’orientation hétérosexuelle, quelquefois bisexuelle, très rarement homosexuelle. » (idem, p. 73)

 

Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, certaines personnes homosexuelles sont fascinées par leur violeur et justifient le viol : « Les violeurs, loin d’être des monstres ou des fous mus par une pulsion sexuelle irrépressible, sont des hommes normaux ayant parfaitement intégré les modèles érotiques. » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin (1988), p. 23) ; « Il croyait que j’avais peur. Ce qu’il me proposait m’allait très bien. […] Je me sentais bien, bizarrement bien, et je ne luttais pas contre ce bien-être. » (Abdellah Taïa parlant de son violeur, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), pp. 15-17) ; « J’aimais Chouaïb. À présent, je l’admirais. » (idem, p. 26) ; « Il ne faut pas punir J. » (Gilles justifiant son violeur, dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, p. 177) ; « J’ai été victime d’un viol à Marseille, tard dans la nuit. Je n’aime pas le simplisme d’un certain féminisme qui déclare que tout viol est une chose atterrante… Je serai même assez affreux pour dire que je l’ai bien vécu… C’est-à-dire que j’ai compris de quelle misère était fait cet Arabe qui m’a coincé dans un coin. C’est comme si c’était une mauvaise drague qui avait mal tourné. Je n’ai pas porté plainte contre lui. Non, j’ai causé avec lui. On est même allé boire un verre après (rire)… J’ai offert une bière à mon violeur. » (idem, pp. 182-183)

 

Il arrive que l’individu homosexuel cherche à imiter son violeur, et qu’il décide de le violer à son tour, en baptisant leur relation d’« amoureuse ». Comme s’ils étaient tous les deux quitte ! Leur union serait « égalitaire dans la violence », ré-équilibrée par le viol et une « bonne correction », en commémoration du passé : « Il fallait, à tout prix, que je me persuade, que j’étais l’homme au même titre que le père Basile [le prêtre pédophile qui l’a violé] ou mon initiateur et que, partant de ce principe, je pouvais jouer le rôle du preneur. » (Berthrand Nguyen Matoko, très longtemps strictement « passif » sexuellement, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 119) Il y a comme une conjuration trouvée dans la reproduction du viol : « Je suis arrivée au pensionnat à l’âge de 14 ans. J’étais très naïve. Et je me suis retrouvée très tôt face à ces problèmes. Et j’ai été choquée. Il ne se passait que ça autour de moi, et je ne voulais pas le voir. Et j’en étais choquée. Depuis la surveillante qui couchait avec la surintendante, jusqu’aux élèves qui partageaient ma chambre, il n’y avait que ça autour de moi. J’étais la seule à ne pas être informée et à ne pas trouver que c’était épouvantable. Je me suis d’autant plus braquée que je sentais confusément en moi une attirance. Mais je voulais absolument la nier. » (Germaine, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta)

 

On retrouve à ce titre la reproduction du schéma violeur/violé chez beaucoup de couples homosexuels existants (la tapette/le moustachu ou l’actif/le passif du côté des hommes gays ; la fem/la butch du côté des femmes lesbiennes) : « masculin = actif = violeur = pénétrer = appropriant = dominant ; féminin = passive = violée = dominée = trou = appropriée » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin (1988, p. 196)

 

Même si ce n’est absolument pas systématique, certaines personnes homosexuelles peuvent parfois reproduire le viol qu’elles ont jadis subi. Par exemple, dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, de nombreux témoignages (qui par ailleurs remettent en cause l’adage « Qui a été abusé abusera ») illustrent que des jeunes hommes jadis violés ont violé à leur tour : « Dès qu’ils sentent qu’ils peuvent être les plus forts, certains garçons victimes d’agressions physiques ou sexuelles vont tenter de rejouer la même scène traumatique à leur tour, en inversant les rôles. » (pp. 57-58) C’est parfois avec horreur que certains individus homosexuels découvrent qu’ils peuvent reproduire inconsciemment ce que pourtant ils ont détesté chez leur agresseur, comme c’est le cas de Denis, 31 ans, victime d’abus à l’âge de 8 ans, et qui a abusé de son petit cousin une fois arrivé à l’âge adulte : « D’avoir abusé de quelqu’un, c’est encore ça le plus gros, même aujourd’hui. Plus que l’abus que j’ai subi. » (Denis, idem, p. 160). Un autre témoin homosexuel, Paul parle d’« imaginer, fantasmer le viol, quand il prend quelqu’un en stop. Des fois. La discussion sur les dangers du stop… » (idem, p. 186).

 

À Liège (Belgique), en juillet 2012, Raphaël Wargnies, 35 ans, a assassiné à coups de marteau un homme dans un jardin public. Interpellé aussitôt, il a reconnu les faits, et a expliqué avoir été violé par un homosexuel dans le même parc un an plus tôt, à l’été 2011. Aux États-Unis, le 26 août 2015, Vester Flanagan, 41 ans, a tué la journaliste Alison Parker, 24 ans, et son caméraman Adam Ward, 27 ans, alors qu’ils intervenaient en direct dans le cadre d’une émission matinale de la chaîne WDBJ7. Flanagan a lui-même filmé la tuerie avant d’en poster des extraits sur les réseaux sociaux, en soutenant qu’il avait été discriminé en raison de sa couleur de peau et de son orientation homosexuelle. Poursuivi par la police, il s’est suicidé quelques heures plus tard.

 

Et quand son amant ne lui a rien fait, le violeur homosexuel décide parfois de le punir de sa/leur fragilité, de sa complicité à se laisser dominer par lui. Le pire, c’est que dans toute sa schizophrénie, il trouve souvent le moyen de s’auto-victimiser pour nier qu’il fait le mal. Il ne viole pas par gaieté de cœur, vous comprenez… Il fait ça par « sacrifice d’amour », parce que c’est sa victime qui le lui aurait demandé… Ou bien il survalorise l’individu qu’il a violé, en lui inventant une liberté, une maturité, un consentement, un désir, une liberté et des sentiments qu’il n’a vraisemblablement pas (genre : « Il n’ose pas me le dire, mais je suis persuadé qu’il a aimé ça ! Je suis sûre qu’il est fou de moi… » ou « Il est très mûr pour son âge ; et puis en plus, il était d’accord ! ») : « Les despotes n’exigent pas seulement qu’on leur obéisse corps et âme. Ils exigent aussi d’être aimés de ceux qu’ils brisent. » (Albert Le Dorze, La Politisation de l’ordre sexuel (2008), p. 160) L’enfer est pavé de bonnes intentions amoureuses. N’oublions jamais.

 
 

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Code n°182 – Voleurs

voleurs

Voleurs

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Entre voleur et violeur, qu’une lettre de différence…

 

C’est très curieux, cette propension des personnages fictionnels homosexuels à se définir comme des « voleurs » juste après avoir découvert en eux une homosexualité, ou bien suite à leur tout premier « passage à l’acte homosexuel ». En apparence, ils n’ont rien volé de matériel. Du moins, avec leur amant, ils essaient d’être un minimum honnêtes et gratuits… même si le vol – très proche phonétiquement du viol… et pour cause ! –  arrive aussi au sein de « l’amour » homosexuel dit « classique » (amants se laissant entretenir/corrompre l’un l’autre, vol dans le contexte trouble mais très répandu de la prostitution, consommation mutuelle légitimée par le cadre de la conjugale…). En fait, ils lui ont volé plus que cela : sa beauté, son corps, son âme, sa joie de vivre, sa liberté.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Coït homosexuel = viol », « Violeur homosexuel », « Viol », « Méchant pauvre », « Amour ambigu de l’étranger », « Prostitution », « Liaisons dangereuses », « Témoin silencieux d’un crime », « Substitut d’identité », « Espion », « Couple criminel », « Voyeur vu », « Homosexualité noire et glorieuse », et à la partie sur les gigolos tueurs du code « Homosexuel homophobe », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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FICTION

 

VOLEURS 1 ombre main

Film « Marnie » d’Alfred Hitchcock


 

On retrouve le vol dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques : cf. le film « Au voleur » (2009) de Sarah Leonor (avec Jacques Nolot notamment), le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, la pièce Betty Speaks (2009) de Louis de Ville, le film « Unveiled » (2007) d’Angelina Maccarone (avec Fariba, l’amante-voleuse iranienne), la nouvelle « Kleptophile » (2010) d’Essobal Lenoir, la B.D. En Italie, il n’y a que des vrais hommes (2008) de Luca de Santis et Sara Colaone, la chanson « Je t’aime comme je t’ai fait » de Frédéric François, la nouvelle « Le Cahier volé » (1978) de Régine Desforges, le film « Chop-Shop » (2009) de Ramin Bahrani, le roman Alí Babá Y Los Cuarenta Maricones (1993) de Nazario Luque (le terme « maricón » signifie « homo » en espagnol), le film « Dirty Love » (2009) de Michael Tringe, le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné (avec les vols de voitures organisés), le film « Ostia » (1970) de Sergio Citti, le film « Hold-up à Londres » (1960) de Basil Dearden, le film « Love Is The Devil » de John Maybury, le roman Voleurs (1948) de Yukio Mishima, le film « Deathwatch » (1966) de Vic Morrow, le film « Pouvoir intime » (1987) d’Yves Simoneau, la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy (avec Sébastien l’homosexuel menteur et voleur), le film « Rien ne va plus » (1979) de Jean-Michel Ribes, le film « Un petit cas de conscience » (2001) de Marie-Claude Treilhou, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Touki-Bouki » (1972) de Djibril Diop Mambéty, le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec le mystérieux vol de petite cuillère en or qui est un leitmotiv de l’intrigue), le film « La Victime » (1961) de Basil Dearden, le film « Imposters » (1979) de Mark Rappaport, le film « L’Enfer d’Ethan » (2004) de Quentin Lee, le film « Gonin » (1995) de Takashi Ishii, le film « Le Chat croque les diamants » (1968) de Bryan Forbes, le roman Les Tricheurs (1959) de Françoise d’Eaubonne, le film « Cop Image » (1994) d’Herman Yau, le film « La Malédiction de la Panthère rose » (1978) de Blake Edwards, la pièce 1h que de nous (2014) de Maxime Daniel et Muriel Renaud (avec Maxime, le héros homo, voleur de tableau), le film « Jeff » (1968) de Jean Herman, le roman Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide (avec le vol de livre dans la librairie), le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz (avec le prostitué qui détrousse son client), la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette (avec Diane la voleuse de colliers), le film « Les Tricheurs » (1958) de Marcel Carné, le film « La Vengeance d’un acteur » (1963) de Kon Ichikawa, le film « Le Magot » (1972) de Silvio Narizzano, le film « Le Canardeur » (1974) de Michael Cimino, le film « Yolanda et le Voleur » (1945) de Vicente Minnelli, le roman Les Gangsters (1988) d’Hervé Guibert, la pièce Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig (avec le vol de livre), le film « They Made Me A Fugitive » (1947) d’Alberto Cavalcanti, le film « Le Voleur de Bagdad » (1940) de Powell et Pressburger, le film « Premières Neiges » (1999) de Gaël Morel (avec le vol à l’étalage dans le supermarché), le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche, le film « Les Anges du péché » (1943) de Robert Bresson, le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le film « Taxiboy » (2001) de Veronica Chen, le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce, le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, le film « Les Voleurs de chevaux » (2007) de Micha Wald, le film « Shoot Me Angel » (1995) d’Amal Bedjaoui (avec la lesbienne qui fait du vol à la tire), le film « La Croix du Sud » (2003) de Pablo Reyero, le film « Contradictions » (2002) de Cyril Rota, le film « Best Men » (1997) de Tamra Davis, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec le vol de portefeuille au tout début du film), le film « Intrusion » (2003) d’Artémio Benki, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Le Garçon d’orage » (1997) de Jérôme Foulon, le film « Figli De Annibale » (1998) de Davide Ferrario, la chanson « L’Enfant de chœur et le Voleur » de Joan Baez, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec le vol de lettre), le film « Les Garçons » (1959) de Mauro Bolognini, le film « Tenue de soirée » (1986) de Bertrand Blier, le film « Long Island Expressway » (2001) de Michael Cuesta, le vidéo-clip de la chanson « Timebomb » de Kylie Minogue (qui vole le portable des passants) ; le film « Michael » (1924) de Carl Theodor Dreyer, le film « Chill Out » (1999) d’Andreas Struck, le film « Le Poison » (1945) de Billy Wilder, le film « Alles Moet Weg » (1996) de Jan Verheyen, le film « Alem Da Paixao » (1985) de Bruno Barreto, le film « Pasajes » (1995) de Daniel Calparsoro, le film « Le Troisième Homme » (1949) de Carol Reed, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Marnie » (« Pas de printemps pour Marnie », 1964) d’Alfred Hitchcock (avec Marnie – Tippi Hedren – la femme cleptomane… et violée), le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, le film « Gespenster » (2005) de Christian Petzold (avec la jolie voleuse), la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, le film « Une Après-midi de chien » (1975) de Sidney Lumet, le film « Mikael » (1923) de Carl Theodor Dreyer, le début du Journal (1) (1997) de Fabrice Neaud (commençant par un vol), le film « Parisian Love » (1925) de Louis Gasnier, le film « Avant le déluge » (1953) d’André Cayatte, le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland (avec le vol de voiture), le film « Le Prix à payer » (1997) de F. Gary Gray, le film « Trio » (1997) d’Hermine Huntgeburth, le film « Il était une fois dans l’Est » (1974) d’André Brassard (avec le vol de timbres), le film « Bowser Makes A Movie » (2005) de Toby Ross, etc.

 

VOLEURS 2 Roseaux sauvages

Film « Les Roseaux sauvages » d’André Téchinet


 

Il est étonnant de voir que dans certaines fictions homo-érotiques, le personnage homosexuel se définit comme un « voleur » pour ne pas employer le mot fatidique « homosexuel » : « Faire comprendre à Édouard que je ne suis pas un voleur, se disait-il, voilà le hic. » (Bernard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide, p. 98) ; « Non, mais, des fois… que vous me prendriez pour un voleur ?… » (idem, p. 102) ; « Il est peut-être venu nous cambrioler. » (Giles Ralston s’adressant à sa femme Mollie à propos de Christopher Wren, le héros homo, dans la pièce The Mousetrap, La Souricière (1952) d’Agatha Christie, mise en scène en 2015 par Stan Risoch) ; « Je peux pas toujours prendre sans donner. » (Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « Je viens de Harlem. J’pourrais vous voler… » (Arthur, le personnage homosexuel, s’adressant à Dorothy qui le drague, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « Je suis un VOLEUR ! Chuis pas un assassin ! » (Hugo, le cambrioleur gay de la série Demain Nous Appartient, dans l’épisode 274 diffusé le 22 août 2018 sur TF1) ; « Chaque jour vers l’enfer nous descendons d’un pas, sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange le sein martyrisé d’une antique catin, nous volons au passage un plaisir clandestin. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; etc. Dans le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, François s’imagine « être un voleur » après avoir vécu sa première expérience homosexuelle. Dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, Tanguy est traité par son père et sa belle-mère de « voleur » (p. 255). Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta accueille dans son appartement le temps d’une journée Gabriele, son voisin de pallier homosexuel. Ce dernier lui pique un bonbon quand elle a le dos tourné. Un peu plus tard, la concierge de l’immeuble, qui a vu Gabriele pénétrer dans la maison d’Antonietta, la met garde : « J’ai connu un voleur qui venait dans l’immeuble… » Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, après leur vol à l’étalage et de retour chez eux, Élisabeth et Paul, le frère et la sœur incestueux, s’entendent dire par leur gouvernante Mariette : « Quelle belle mine ! Vous êtes tout noirs ! » Dans le film « Let My People Go ! » (2011) de Mikael Buch, Ruben est qualifié de « voleur malgré lui » (cf. la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, du 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris). À la fin de son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon aborde la thématique des vols dans les hôtels : « Le cleptomane me fascine. » L’homosexualité et le vol sont fréquemment synonymes et mis sur le même plan (grammatical, sémantique, symbolique). Le personnage homosexuel semble craindre autant d’être pris la main dans le sac que d’être suspecté d’homosexualité. Dans la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1, Hugo, le héros homo de 25 ans, dit qu’il ne peut pas se passer de voler : « Le cambriolage, j’y suis accro ! » (c.f. l’épisode 260, diffusé le 2 août 2018). Il cambriole les luxueuses villas de Sète, en laissant à chaque forfait, un bouquet de fleurs en souvenir. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Rupert, le jeune héros homo de 10 ans, est arrêté pour vol de (ses propres !) lettres, lesquelles révèlent l’homosexualité de l’acteur John J. Donovan.

 
voleur dessin
 

Par exemple, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, en même temps qu’ils entament une relation amicale renforcée qui les fait passer pour homos, les deux adolescents Vlad et Joey se font comme par hasard suspecter de vol de livres en français dans leur bahut. On découvrira qu’en réalité, c’est Ben le grand-oncle homo de Joey, qui est l’auteur du larcin. Il se dénonce bien tard, après que le pauvre Joey se soit fait engueuler sévèrement par son père et presque suspecter d’homosexualité, le temps d’un dîner tendu.
 

Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), le Comte Smokrev, bourgeois homosexuel d’une grande perversité, vénère une sculpture, L’Hermès de Praxitèle, représentant un homme caressant un jeune homme. Il identifie d’ailleurs Pawel Tarnowski à celle-ci : « Savez-vous ce que vous êtes ? Vous êtes comme une belle et grande sculpture grecque. Un Hermès. Magnifique… mais froid comme la pierre. » (p. 302) Pawel finit par le voir comme un voleur : « Pawel lutta continuellement avec des sentiments de haine contre Smokrev, convaincu qu’il avait été volé et violé. » (Pawel Tarnowski, idem, p. 308)
 

Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, vole des fourchettes dans l’hôtel mexicain où il séjourne. Il demande malicieusement à son amant et guide Palomino : « Le vol est pire que le voyeurisme ? » Il finit par les rendre : les fourchettes lui fournissent « une excuse pour être arrêté ».
 

Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, dès que Rana, chauffeuse de taxi, découvre la transsexualité de sa passagère intersexe F to M Adineh, ainsi que l’argent dérobé qu’elle porte sur elle, elle l’accuse comme par hasard de vol : « T’es une voleuse ! » Plus tard, quand Rana héberge Adineh chez elle, Akram, la belle-mère de Rana prend Adineh pour un voleur : « Appelle le 110 ! Un voleur !! »
 

Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, dans la maison familiale bourgeoise des deux frères homosexuels Tommaso et Antonio, c’est l’obsession du cambriolage : les servantes, leurs parents et tous les habitants crient constamment « Au voleur ! » et vivent dans la hantise de son retour :« Le voleur est revenu ! »… sans s’imaginer que le voleur qui viendra frapper à la porte de leur famille s’appelle « double coming out ».
 

Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, chippe dans les magazins, s’en va des supermarchés avec des caddies. Il vole des cadeaux, et notamment un collier en bijou avec l’inscription « Mommy » dessus. Sa mère n’accepte pas ce présent (« Mon fils est un voleur. »), et son fils ne supporte ni de se voir inculpé ni de s’entendre défini ainsi (il nie, avec une mauvaise foi très violente : « Je l’ai pas volé !! »). On constate également que Steve ne se contente pas de dérober des objets : il s’attaque aussi aux personnes, et notamment à sa génitrice. « T’aimes bien quand je te chope comme ça, hein ? »
 

Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, un homme du village est flagellé pour avoir volé les vaches de Hermelinda… et ce vol est mis en parallèle avec le futur lynchage de Noé, le héros homo. Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Marie décrit le « milieu homo » comme « la secte des tricheurs ».
 

Cette réputation peut correspondre à une réalité cinématographique/littéraire. Dans les fictions traitant d’homosexualité, le personnage (homosexuel ou pas) pratique régulièrement des vols et a la main leste. « La servante a installé une crèche sur la table de la salle à manger, avec des petits personnages en plomb dont elle avait volé près d’un millier au supermarché. » (cf. la nouvelle « La Servante » (1978) de Copi, p. 68) ; « Les curieux commencent à s’agglomérer dans la boulangerie, je profite pour voler un pain au chocolat et m’éclipser. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 91) ; « Un jour je me suis décidé à voler le tricycle de ma petite voisine Lili. » (le Professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « À l’occasion, je pique aussi… à la machine. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « Tu t’es déjà fait voler ? » (Steeve s’adressant à Vincent juste avant de l’assassiner, dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin) ; etc.

 

Dans le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, Aílin, le personnage bisexuel, est une voleuse. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, dit qu’il s’amuse à « piquer des fruits » avec sa meilleure amie Katja. Quant à l’amant de Phil, il lui vole sa boule à neige en verre quand ils étaient adolescents. Dans le film « La Maison vide » (2012) de Matthieu Hippeau, Vincent, homosexuel, pénètre dans une maison vide pour la cambrioler. Dans le film « Pigalle » (1993) de Karim Dridi, Fifi, pickpocket aux désirs troubles, vit une passion amoureuse avec Divine, transsexuel. Dans la pièce Le Gang des potiches (2010) de Karine Dubernet, Nina la lesbienne, avant de faire partie du gang des potiches qui organise des hold-up, a exercé du piratage internet. Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Phillip est voleur de voitures. Dans le roman Le Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, Cyril est un dangereux pirate informatique. Dans le film « Circumstance » (2011) de Maryam Keshavarz, le couple lesbien Shirin/Atefeh vole un objet dans une voiture, puis après s’échange un baiser. Dans le film « Néa » (1976) de Nelly Kaplan, Sibylle Ashby vole dans la librairie genevoise d’Axel Thorpe. Dans le film « Masala Mama » (2010) de Michael Kam, le jeune fils d’un pauvre chiffonnier vole une B.D. de super-héros dans une épicerie indienne. Dans la pièce Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, Valjean vole un chandelier, un pain, des couverts de vaisselle. Dans le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler, Mary vole un bouquet de fleurs. Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971), Irina a volé une vache au Maroc. Dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, presque tous les personnages sont des voleurs : Arlette vole des bouteilles d’éther, la bonne de Silvano dérobe de l’argent dans la poche de la veste de son chef, les gamins du quartier de Paranà volent les fruits du jardin de Silvano (et même son épouvantail). Dans la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi, Mme Ada est la voleuse de diamants et des bijoux de la Couronne d’Angleterre. Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, le héros vole une saucisse à l’âne au café-épicerie, une cousette de luxe chez le teinturier, une pastèque au marché, une batterie et la roue d’une bicyclette dans la rue, un bidon de sardines, de la confiture de lait, et son détergent-mains-douces à doña Celestina. Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, la bonne vole les bas de soie de China. Dans La Pyramide ! (1975) de Copi, la Princesse vole l’arbre des Jésuites, la voiture du Rat, et tous les personnages de la pièce tentent en vain de voler la Vache sacrée. Dans le roman La Cité des Rats (1979), Emilio Draconi aurait, selon les journaux, « étranglé sa mère pour lui voler sa pension de divorcée » (p. 71). Dans le one-woman-show de Mado fait son show (2010) de Noëlle Perna, le personnage du gay dépressif vole du sparadrap à Mado la Niçoise. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Fabio vole son blouson à Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, qu’il cherche à draguer en pensant que c’est un homme. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire décrit « l’aplomb qu’il a depuis qu’il a commencé à voler » : « le fait d’être voleur, poète, assassin » semble lui donner des ailes ! Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Anne, la fille à pédés, avale un bracelet pour passer le contrôle de la bijouterie sans se faire repérer. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, chipe dans les supermarchés. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Jean et Henri, le couple homo criminel, détrousse un client-amant de Jean dans les toilettes de la gare. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, tous les personnages homosexuels volent dans les magasins : même Davide, le jeune héros gay, apprend vite, en piquant des disques. Meri, voyant un Davide réticent dans le supermarché, lui demande : « Pourquoi tu fais cette tête ? Tu n’as jamais volé ?? » Et pour le chef du gang gay des prostitués voleurs, Wonder, ça tombe sous le sens : « Pourquoi tu ne vas pas voler, comme tout le monde ? » Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François propose à son amant Thomas de « voyager cet été avec la carte bleue [de ce dernier] » et chante la chanson de Desireless « Voyage voyage ». Sans l’en avertir, il leur a acheté un voyage à Bali. Dans la série Demain nous appartient (2017) de Frédéric Chansel diffusée sur la chaîne TF1, les héros homosexuels lesbiens sont fréquemment voleurs ou suspectés de vol : Joachim reproche à Séverine, qui lui a fait un enfant dans le dos pour son couple lesbien, de lui avoir « volé sa paternité » ; quant à la jeune Sara, lesbienne, elle vole des moteurs de bateau.

 

Le vol est un acte qui rapproche l’Homme de la bestialité. Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, par exemple, le rat vole un timbre vert à la dame du tabac, une boucle d’oreille volée au super-market ; les abeilles volent des gouttes de nectar du saule. Dans le roman La Cité des Rats (1979), le perroquet vole les alliances des amiraux Smutchenko et Smith (p. 113), et les boutons de manchette de l’archevêque. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Nono et Stef ont braqué un supermarché… Vivi veut y retourner avec eux. Norbert aussi. Par ailleurs, le rapport sexuelle sado-maso entre Vivi et Norbert se transforme en simulation de hold-up.

 

Il est d’usage que le personnage homosexuel se qualifie fièrement de voleur. Il agit sans faire de distinction sociale ni de personne : qu’il soit riche ou pauvre, il déleste n’importe qui de plus fortuné ou de plus pauvre que lui. « Moi, le voleur, moi le traître. » (la voix narrative du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 111) ; « Petit voleur par nécessité, assassin par vocation, ma route est toute tracée. » (Lacenaire à Garance, dans le film « Les Enfants du Paradis » (1945) de Marcel Carné) ; « Je suis cleptomane. » (Marcel, un des héros homos de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Je suis un chasseur ! Pas un gratte-papier. J’aimerais être de ceux qui visitent les appartements des opposants politiques et s’emparent de leur contenu, des livres au courrier et aux meubles, et les envoient vers Berlin. » (Heinrich dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 103) ; « Ce saucisson, je l’ai volé aux domestiques. » (Micheline dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Va falloir que je vole une poule ! » (Largui dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Essaie de voler quelques légumes ! » (la Reine à la Princesse dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Mais un jour viendra, je n’escroquerai plus. » (Kévin dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte) Bob, le gourou de la cour des miracles du film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, déclare que « le vol est sa vocation ».

 

Il est curieux de voir que très souvent, le personnage homosexuel s’identifie au dieu des commerçants, des voyageurs, et des voleurs : le dieu Mercure (ou Hermès). « Un jet de semence issu de la verge du mari fusa en une parabole lactée au pied de la pauvre épouse, tel un Mercure ailé dont le message était transparent. » (cf. la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 61) ; « Hermès aux tendres pieds ! » (cf. le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet) ; « Il fixa des yeux une tache sur son buvard. […] C’était une tache d’une forme bizarre qui fait songer à l’ombre d’une main sans pouce. […] Cela ressemblait à une main de voleur, mais de voleur qui eût volé autre chose que de l’or. ‘Un voleur de vent’, murmura Fabien. Et plus haut il répéta : ‘Voleur de vent, voleur de vent. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 29) ; etc. Dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Jules, un des héros homos, avoue sa passion pour Mercure (Hermès) : « Je l’aime, ce dieu-là. Tu sais, c’est aussi le patron des marchands et des voleurs. » Dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, Érik Satie affirme qu’il a le projet d’écrire un nouveau ballet appelé Mercure. Le roman Heraclés (1955) de Juan Gil-Albert traite également d’homosexualité. À ce propos, pour la petite histoire mythique, il n’est pas anodin, concernant le lien entre homosexualité et viol, que le fils d’Hermès et d’Aphrodite se prénomme « Hermaphrodite » !

 

Hermès, le dieu d’amour aérien, « volant » dans tous les sens du verbe, apparaît dans le film « Victor Victoria » (1982) de Blake Edwards. Après la nuit d’amour avec Toddy le héros homosexuel, le jeune et beau Richard se lève discrètement du lit « conjugal » pour s’habiller et dérober quelques billets dans le portefeuille de son amant. Toddy se réveille juste à ce moment-là, et le voit faire sans résister :

Toddy – « C’est pour le taxi ?

Richard – Non, c’est pour régler des factures.

Toddy – Laisse-m’en pour le petit-déjeuner.

Richard – Toddy, tu me crois vénal ?

Toddy – Non. Sans scrupules.

Richard – Tu en as eu pour ton argent.

Toddy – On en a eu tous les deux pour mon argent.

Richard – Écoute, Toddy, si t’es pas content…

Toddy – Je ne le suis pas… Mais je citerai Shakespeare : ‘L’amour ne voit pas avec les yeux mais avec l’imagination… Aussi le dieu ailé est-il aveugle’. »

 

Le verbe « voler » prend un double sens : planer dans les airs et dérober un objet. Comme si on essayait inconsciemment de nous parler de la violence de l’irréel, de la violence potentielle des fantasmes. « Que les voleurs volent » (l’un des deux héros de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « Ce serait bien que mon nouveau voisin me fasse voler comme dans Titanic… » (Bernard, l’un des héros homos de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, quand le Vrai Facteur dit à Jeanne qu’il « va voler un peu », celle-ci lui répond « Chacun ses tendances ». On retrouve la polysémie du verbe « voler » dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi. Dans le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, on fait comprendre implicitement au spectateur qu’aller voler ensemble, c’est s’unir en amour homosexuel : « Ça te dirait de voler ? » (Medim à Manu) Dans le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine, l’amour homosexuel est toujours placé sous le signe du vol : la première fois que Bruno rencontre Fabrice, c’est dans une église, quand il l’aperçoit en train de voler des cierges ; plus tard, il le pourchasse avec insistance car Fabrice lui a volé son portefeuille. Et on finit par les voir tous les deux suspendus en l’air par une grue (cf. le titre du film).

 

Il arrive aussi que le personnage homosexuel soit qualifié de voleur. « Tu m’as appris à voler, à tuer. » (Scarlett au très homosexuel Baron Lovejoy de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Ça va pas, l’or est à moi ! Ah, la voleuse ! » (Loretta Strong à Linda dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Vous, les gouines, et les femmes toutes, qui venez mettre le nez dans les affaires du quartier, vous êtes des vrais gangsters ! […]Vous nous chantez des chansons pour met’ les pauvres à l’Hospice, les voleurs dans les prisons, les Arabes en Arabie et garder tout le pognon ! » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Vous êtes tous des voleurs ! » (Don Cristóbal dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, doña Celestina surnomme Raulito « la voleuse », en le féminisant ; et le couple homo Raulito et Cachafaz sont sans cesse traités de « pillos » (= coquins, voleurs) par leur entourage. Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Steven, le héros homo, fait de l’arnaque sa spécialité, au point que son ex-femme Deborah ironise : « Être homo et arnaquer les gens, ça va ensemble, ou… » Dans le film « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima, Kimpira traite Kai de « voleur ». Dans le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier, François est accusé de « vol » (autrement dit de plagiat) des articles de la revue Travelling. Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy efféminé avec son monocle, vole des cadres chez Marguerite.

 

Souvent, c’est plutôt le personnage travesti ou transsexuel, qui vole. « Gigi lui [Le prince Koulotô] prit le portefeuille dans sa poche intérieure; une liasse de billets de 500 francs roula sur le trottoir. Les deux vieux travelos se précipitèrent pour la ramasser, la mirent dans un de leurs sacs et coururent jusqu’à l’angle de la rue des Martyrs. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, pp. 88-89) ; « On les [les folles] invite chez Régine où elles voleront un manteau de vison et rosseront le videur. Et Marilyn règne sur tout ce monde. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 36) ; etc. Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, ce sont les deux travestis clochards Mimi et Fifi qui effectuent la plupart des larcins. Dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud, le vol semble être la spécialité de Marina, le personnage travesti : il vole le portable du gardien, puis son ordi, et chipe le briquet de François. Dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, Strella le trans, avec la complicité de son camarade gay Alex, vole des fringues chez Zara et des objets dans les grands magasins. Dans la comédie musicale Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stephan Druet, Zulma, la grand-mère travesti, vole à l’étalage pour sustenter son petit-fils transsexuel Roberto et sa fille Alba : « Je volais tout. » Dans le film Gun Hill Road (2011) de Rashaad Ernesto Green, les vols et les crimes du père, Enrique, font miroir à la transsexualité de son fils M to F Michael.

 

Il arrive par ailleurs que le personnage homosexuel se fasse voler un objet et soit victime d’un vol : « Mon mouchoir, on me l’a volé. » (Cherry dans la pièce La Star des Oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « J’ai jamais eu de chance avec les p’tits copains. J’ai toujours été spolié. […] Fabrice s’est tiré avec la caisse. Plus rien. Une princesse déchue. » (Jeanfi, le steward homo, racontant comment il est sorti avec un certain Fabrice, un « escroc qui l’a ruiné après lui avoir fait vivre une vie de « princesse » dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; etc. Dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silvano se fait piquer son revolver ; la tireuse de sorts se fait prendre ses poules ; Arlette se fait voler son sac au théâtre (… ce qui ne l’empêchera pas de voler à son tour). Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi, le dossier d’Irina Simpson est volé. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, se fait voler sa bicyclette. Dans la pièce Le Frigo (1983), « L. » se fait voler son chéquier par sa mère. Dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie, Armand, homo, s’est fait piquer 200 euros par 4 jeunes. Dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann, Anthony, le garçon d’hôtel, se venge du client qui a voulu le torturer sexuellement : il le vole, lui prend son code de carte : « J’pense que pour le prix, tu mérites au moins de te faire enculer. » Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Greg, le héros homo, s’est fait vider son compte en banque par Igor, son amant qui lui a piqué sa carte de crédit : « Qu’est-ce que tu veux… J’crois en la sincérité et la fidélité. »

 

Le vol est même parfois désigné comme le révélateur de l’homosexualité : par exemple, dans le film « Glee » (2009) de Ian Brennan, un jeune gay prénommé Trenton s’est vu obligé de faire son coming out au collège après que ses camarades lui aient volé son journal intime, sur lequel était inscrit le nom du garçon de qui il était amoureux.

 

Il s’agit parfois d’un vol qui n’a pas eu lieu mais qui est fantasmé par le personnage homosexuel, soit parce qu’il est craint, soit parce qu’il finit par être désiré et attendu. « Ferme la porte à clé, il y a tellement de voleurs à Buenos Aires… » (China à Rogelio dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Y’a des baisers volés dans les trains de tsarine. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Cody dit ‘Je m’a suis fait voler. Nourdine il a tout volé, l’argent et la caméra de New York University que j’avais empruntée. Oh my god, on habitait ensemble, et cette matin, je m’est levé et tout avait disparu dans l’appartement.’ Je l’accompagne pour porter plainte. Je lui dis ‘Ça te plaît, hein, que ce mec t’ait volé ? C’est la preuve que tu avais raison d’avoir peur. Maintenant ça te fait jouir d’avoir été une femme violée et volée, c’est comme si ton rêve magique d’être une femme avait été poussé au maximum.’ Cody, pris en faute, me regarde de travers. […] ‘Il a venu pour s’excuser […] ‘Il a été obligé de ma voler, mais il a dit désolé, quoi et on a fait l’amour ensemble. » (Mike le héros homosexuel racontant comment son pote gay nord-américain Cody a accepté de se faire détrousser par son amant de passage, Nourdine, et qu’il ose encore croire à la belle idylle malgré cela, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 111-112) ; « Méfie-toi, il est dans ta cuisine. Il te cambriole. » (Jérémy Lorca parlant d’un amant GrindR dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc. Par exemple, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, Marcel fait croire à ses amants successifs qu’il s’est fait violer et voler à Toronto par un couple de garçons. Dans le film « Once More (« Encore », 1987) de Paul Vecchiali, Louis, en enfilant une capote, a « l’impression de faire un hold-up ». Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, fait croire qu’il s’est fait voler 9000 livres alors qu’en réalité, c’est une manigance qu’il a échafaudée avec son complice Carter pour détourner l’argent de la police du Canton.

 

Le vol peut également être un acte fictionnel réel du fait d’avoir été d’abord fantasmé. Il agit comme une technique de drague, ou un moyen de s’embellir en poussant le cri esthétique du viol : « Au voleur ! Au voleur ! » (le Marquis dans la pièce Les Précieux Ridicules (2008) de Damien Poinsard et Guido Reyna) ; « Allez, hop, j’te kidnappe ! » (Sonia s’adressant à son amante Clara, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Il consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… » (Mike, le héros homo racontant son « plan cul » via un chat internet avec un certain Vianney, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Oui, je suis obligée de voler. » (David Forgit, le travesti M to F du one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; etc. Par exemple, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, Bruno a fait exprès de dérober son portefeuille à Pablo pour qu’il vienne le rechercher. Dans le film « New York, I Love You » (2009) de Mira Nair, Ben (Hayden Christensen) vole l’alliance de Gary (Andy Garcia), un homme marié. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe, le héros homosexuel, croit qu’il s’est fait cambrioler. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo, le héros homosexuel noir, fait d’abord croire (en boutade ?) qu’il va braquer son futur amant blanc Johnny, pour le tester et aussi illustrer que leur amour va transcender le racisme ambiant et les clichés de l’île des Bahamas : « Donne-moi ton porte-feuille ! » Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, l’amour est considéré par les deux amants Léo et Gabriel comme une marchandise, un objet qu’il serait possible de se dérober réciproquement : « Léo, si tu avais volé un baiser à quelqu’un, tu le lui rendrais ? » (Gabriel juste avant de recevoir le baiser qu’il avait donné sans crier gare à Léo auparavant)

 

VOLEURS 3 bougies

Film « Unveiled » d’Angelina Maccarone


 

Le vol (supposé ou réel) a lieu le plus souvent entre amants d’un même couple. « Il m’a tout volé. » (Tonia à propos de son amant Rosário dans le film « Morrer Como Um Hommen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues) ; « J’ai pris ce que tu m’as donné, de mon plein gré. Ce n’est pas de ta faute, Thérèse. » (Carol, l’héroïne lesbienne consolant son amante Thérèse en pleurs, culpabilisant d’avoir couché avec elle, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; etc. Dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, Louise avoue qu’elle volait ses porte-plume à Jeanne quand elles étaient petites. Dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi, Linda a volé l’anorak de Loretta Strong. Dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamedn, l’homo cultivé se fait assassiner puis cambrioler par un de ses amants. Dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville, le « Monsieur distingué » homo se fait voler une statuette par un jeune tapin qu’il a amené chez lui. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel vole de l’argent à son petit copain Omar. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin est arrêté par la police parce qu’il est pris pour un cambrioleur alors qu’il tentait de pénétrer discrètement dans la maison de son amant Bryan. L’amour homosexuel est en général annoncé par un vol d’objet. Autre exemple : le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch commence par le vol à l’étalage d’une carotte par Laura, l’héroïne lesbienne. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing a appelé la police pour cambriolage : en réalité, il s’est fait voler par un jeune amant, Murray, dans son domicile. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, vole dans la salle de bain de son amant de passage Walt une assiette en porcelaine accrochée au mur, assiette qui le fascine car elle représente un homme triste. Il finit par dénoncer son larcin : « Merci pour l’assiette avec le garçon triste. »

 

Le « milieu homosexuel » fictionnel est très souvent désigné comme un repaire de banditisme et de pickpockets : « On peut toujours se promener aux Tuileries, mais j’ai peur de me faire voler mon portefeuille. » (Hubert dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Dire qu’il y a des folles qui ont peur de draguer dans la rue et se font voler ou massacrer par des gigolos qu’ils ont dragué dans les boîtes de nuit ! » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) Dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Frédérick s’est fait voler sa montre dans un jardin public de drague homosexuelle qu’il fréquentait. Le vol homosexuel ne se fait pas que dans un sens. Cela peut être le client fortuné qui prend le rôle du voleur de son gigolo : « Redevenir gendarme, chasser le voleur, consoler la victime. Subitement, je voudrais pratiquer l’abus de pouvoir par personne ayant autorité. » (la voix narrative du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 44) Dans le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot, par exemple, un travelo reconnaît au guichet du cinéma porno un de ses anciens clients : « Jean ? C’est ça, hein, Jean ? Je te reconnais. Il m’a fauché mon fric. Au sex shop. Tu m’as fauché 1000 balles ! Que tu te fasses sauter, ça ne me dérange pas, mais que tu me fauches mon fric, ça, ça me dérange ! Non mais c’est vrai ! Ça se fait sauter et ça te fauche ton fric ! Ces mecs-là, ils viennent chez toi, ils te sucent, ils se font baiser comme des reines, et ça te fauche ton fric ?!? »

 

Au sein du couple homo fictionnel, ce n’est pas nécessairement un objet qui est volé. Cela peut être une identité ou une personne, autrement dit quelque chose d’unique et qui ne se possède pas. « Je suis amoureux de celui qui détient ma pièce perdue, et que je veux te voler. » (Denis s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Qu’est-ce que je vous ai fait ? […] Je vous ai peut-être volé un rôle sans le savoir. Ou un amant. » (la Comédienne à Vicky, avant de comprendre qu’elle est sa sœur jumelle, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « On va la prendre comme otage ! » (Fougère à propos de Leïla dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Il est à moi, cet Arabe. Voleuse ! » (Daphnée à Micheline dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Elle [Micheline] ne vient que pour nous piquer nos mecs ! » (Daphnée, idem) ; « Tu sais que tu as tué la femme de l’attaché culturel du Sénégal pour lui voler sa mouflette ! » (le chef des CRS à Mimile dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 70) ; « J’aimerais que Léonard m’autorise à vous enlever. » (Vita Sackville-West, lesbienne, s’adressant à son amante Virginia Woolf, à propos du mari de cette dernière, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc. Je pense aussi à l’enlèvement de Graciela dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi. Dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, les reines incas ont été volées par les Espagnols. Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, Daphnée a « volé » sa/leur fille à son mari John. Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, les lesbiennes essaient de rapter un enfant nommé Ali ; le Vicomte est également enlevé. Dans le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, on assiste également au vol de mari entre Libertine et sa rivale (Sophie Tellier). Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, une secte secrète opère une série d’enlèvements de personnes.

 

Il est intrigant de voir parfois que le voleur homosexuel, en enlevant l’identité ou l’objet des autres, en perd sa propre identité de voleur, la conscience de son acte/de l’acte qui lui est fait, et le but de son geste : l’objet volé n’a plus, à ses yeux, tellement d’importance, ou bien le vol devient un geste artistique banal (« l’art pour l’art ») : « Y yo/pillaba yo » (cf. le poème « Anales » de Néstor Perlongher ; traduction : « Et moi/C’était moi qui pillais ! ») ; « On avait volé le vélomoteur de Solange, mais elle s’en fichait. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 144) ; « Je lui ai volé ses journaux pendant qu’il faisait une sieste » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 43) ; « Le vendeur de journaux croit toujours que je lui ai volé ses journaux. » (idem, p. 44) ; « Pour lui je suis pour l’éternité (si j’ose dire) le mot ‘journaux’ ou bien celui qui lui a volé ses journaux (ce qui pour lui revient au même). » (idem, p. 44) « Ces vols n’avaient que le vol pour mobile. Il ne s’y mêlait ni lucre ni goût du fruit défendu. Il suffisait de mourir de peur. La règle interdisait la prise d’objets utiles. » (la voix-off de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) Dans le film « Un Fils » (2004) d’Amal Bedjaoui, Selim, le jeune prostitué, vole un sachet de poudre chez Max, un client plus âgé, sans même savoir ce qu’il va en faire. Le vol homosexuel des fictions ne semble pas motivé par une volonté de mal agir : il est la métaphore d’un désir inconscient, d’un mal déguisé en ami innocent, en amant ensorcelé et « ravi » (dans tous les sens du terme). Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, quand Stéphane, le quinquagénaire homosexuel, demande à Vincent son jeune amant trentenaire s’il lui est déjà arrivé de voler des objets, ce dernier lui répond, amusé : « Ben oui. Évidemment. Comme ça. Pour le frisson. »

 

VOLEURS 5 Gigolo rouge

Film « Un Fils » d’Amal Bedjaoui


 

L’objet volé entre les personnages homosexuels est lié très souvent à un contexte amoureux et conjugal. Le vol se rapporte « juste » à un baiser, une beauté, une parole, un désir, une liberté. C’est pour cette simple raison qu’on peut dire que le vol n’apparaît pas toujours comme un acte mauvais ou un délit à dénoncer absolument. « Vous êtes un voleur trop étrange. » (l’un des deux héros de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) Le vol peut prendre la force de l’amour passionnel, de la bonne intention diabolique qui subtilise l’âme : « Cette nuit, je te l’ai pris, ce baiser que tu n’as pas voulu me donner. […] Je suis encore troublé par ce baiser volé. » (Kévin à Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 207) ; « Mon cœur, tu l’as volé, et sans détour. » (Benji s’adressant à son amant Maxence qui lui a fait perdre sa virginité, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Les papous ne s’embrassent jamais, ils ont peur qu’on leur vole leur âme… Moi je me sens papou bizarrement certains matins… » (le comédien de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 92) ; « Le jeudi, j’ai fait quelque chose de mal. […] J’ai senti la culpabilité me brûler le visage tandis que je demandais la chose en question, et dans ma tête une petite voix disait : ‘Celle-là, elle n’est pas pour toi. […] Tu essaies de voler ce que tu ne désires même pas.’ Parce que tu t’y connais, en désir ? Ça, au moins, c’est notre domaine, pas le tien. Et pourquoi tu parles de voler ? Je l’ai trouvée la première. » (Ronit la lesbienne entend une voix maléfique avec qui elle dialogue, au moment où elle prétend voler le cœur d’Esti, une femme mariée, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 223-224) ; « Un désir se vole, mais il ne s’invente pas. » (l’un des deux héros de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « On lui a volé son âme ! » (Fifi et Mimi en parlant de Pédé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Cette fleur, il me l’a volée. » (l’ange chantant la perte de l’innocence quand il se fait sodomiser, dans le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto)

 

Parfois, dans les termes (mais aussi symboliquement !), le vol est frère du viol. Ces deux mots se ressemblent déjà au niveau de l’orthographe, et sont souvent juxtaposés par le héros homo : « Marcel envoie un message dans lequel il reprend son histoire de fugue à Toronto, son viol et son vol, la même qu’il avait inventée pour Frédéric. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 39) ; « Toutes ces lopettes allaient l’attaquer, lui voler son bébé ou le violer pendant qu’il dormait. » (cf. « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 30-31) ; « Vous êtes des voleurs ? Des violeurs ?!? » (le personnage de la mémé s’adressant au public, dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011) de Karine Dubernet) ; « Y’a qu’des violeurs, y’a qu’des voleurs ! » (François dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « La dernière fois, paraît que j’avais tué un vioque pour lui voler ses sous, la fois d’avant c’était un bambin pour le violer. » (Mimile parlant de ses passages en taule, dans le roman La Cité des Rats (1979), pp. 62-63)

 

Ce qui empêche le personnage homosexuel de comprendre qu’il y a eu objectivement vol, c’est que ce dernier prend la forme de l’échange, du consentement mutuel vécu en couple. Les deux parties semblent apparemment gagner quelque chose en même temps qu’elles en perdent chacune une autre, un cadeau qu’en plus elles n’ont ni donné ni reçu totalement librement. Par conséquent, l’échange est trop équitable, trop millimétré, les objets échangés trop quantitativement et financièrement gémellaires, pour être véritablement aimants : on est loin du don gratuit, abondant, surprenant, personnalisé, libre, naturel, reçu/donné dans le cadre de l’Amour vrai. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, les deux amants troquent comme ils aiment : « On échange ? Tu me prends un truc et je te prends un truc » (p. 11) suggère Kévin à Bryan. Ce dernier semble intérieurement ravi de la proposition : « L’idée était géniale ! J’allais posséder quelque chose de lui ! » (idem). Un peu plus tard dans le roman, les deux garçons ne se demandent toujours pas l’autorisation pour se voler réciproquement : Bryan pour blaguer, prétend avoir volé la moto de Kévin ; Kévin en retour lui dit qu’il lui a volé également sa sculpture d’ours fétiche (p. 72). Tout semble synchro, mais l’amour n’y est pas. Ce n’est pas parce qu’il y a commerce, ou deal consenti à deux, qu’il y a forcément liberté. Pareil pour la dissimulation de la violence du vol dans le mimétisme entre amants. Par exemple, dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, le jeune Juliette dérobe le roman La Dentellière (1974) de Pascal Lainé au supermarché, par « amour » pour sa prof de français qui aime aussi ce livre. Mais son geste n’est beau et risqué que dans le monde des intentions. Une fois confronté au réel, il s’agit d’un simple copiage égoïste et fanatique, un « film » intérieur que se fait l’adolescente avec son égérie.

Comme le personnage homo habille parfois ses pulsions sexuelles en sentiments, et qu’il pense qu’aimer c’est se soumettre et tout donner sans compter/s’engager, il lui arrive de qualifier de « voleur » son amant, qui en vient effectivement à le voler parfois, sans reconnaître que, par son manque d’exigence et son amour intéressé, il l’a aidé voire appelé au vol (parce qu’il a lui-même tenté de posséder son compagnon comme un objet !). Le vol fictionnel homosexuel est donc envisagé par certains héros gay comme une preuve d’amour… même s’ils concluront que « l’Amour est cruel ». Ces imbéciles ne lui retireront pas pour autant son statut d’« Amour ». Ils n’en démordront pas ! La victimisation est plus confortable…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

VOLEURS 7 Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Les coïncidences entre vol et homosexualité sont très nombreuses dans la réalité. Comme dans les fictions, l’adjectif substantivé de « voleur » peut parfois remplacer verbalement celui d’« homosexuel ». C’est en tout cas comme cela que le ressent un écrivain comme Jean Genet. Ce mot « voleur » résonne en lui telle une condamnation lumineuse, un outing odieux et essentiel à la fois : « Je crois que le mot de voleur me blessa profondément. » (Jean Genet dans un extrait non publié du Journal du Voleur, Magazine littéraire, n°313, Paris, septembre 1993, p. 16) Jean-Paul Sartre, tout au long de son Saint Genet (1952), revient précisément sur l’étiologie du lien entre vol et homosexualité : « La honte du petit Genet lui découvre l’éternité : il est voleur de naissance, il le demeurera jusqu’à sa mort. » (p. 28) Jean Genet ne nie pas que le voleur et l’homosexuel sont deux créatures qui fusionnent parfaitement d’un point de vue fantasmatique, et partiellement dans la réalité : « La trahison, le vol et l’homosexualité sont les sujets essentiels de ce livre. Un rapport existe entre eux, sinon apparent toujours, du moins me semble-t-il reconnaître une sorte d’échange vasculaire entre mon goût pour la trahison, le vol et mes amours. » (Jean Genet, Journal du Voleur (1949), cité dans l’étude La Longue Marche des Gays (2002) de Frédéric Martel, p. 100) Jean-Pierre Lauzel va dans ce sens quand il décrit, dans son essai L’Enfant voleur (1966), « la structure fondamentalement homosexuelle du vol d’enfant » (p. 118).

 

Il arrive aussi que certaines personnes homosexuelles se qualifient elles-mêmes de voleurs (je l’ai beaucoup entendu chez mes amis et interlocuteurs homos !) : « J’aime tricher, jouer, tout avoir sans faire de choix. Et alors ? » (Catherine, lesbienne, dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 175) ; « On cherche deux voleurs pour mettre à côté du bébé. » (Brüno à propos du couple gay, dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles) ; « Je suis dans une salle de cinéma. Je vais voir pour la première fois Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 109) ; « La présidente a la main leste. » (la Mère supérieure des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « C’est l’occasion qui fait le larron. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, parlant du caractère occasionnel, aléatoire et possible de l’expérience homosexuelle pour « les » hétéros, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « J’ai toujours l’impression qu’on va croire que j’ai volé l’identité de quelqu’un. » (Laura, homme M to F, passant le contrôle de l’aéroport, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, On lit une inscription « PICK-POCKET » sur les murs des docks où les hommes new-yorkais vivent clandestinement leurs ébats sexuels. Dans la pièce-biopic Pour l’amour de Simone (2017) d’Anne-Marie Philipe, il est raconté par Simone de Beauvoir elle-même qu’elle est sortie avec Nathalie, une voleuse d’étoffe à l’Uniprix du magasin parisien Le Printemps, et qui revendait plus cher après sa marchandise.

 

La mention du vol n’est pas toujours un jeu. C’est exactement ce que décrit Jean-Paul Sartre quand il parle des Bonnes (1947) de Jean Genet : « À leurs propres yeux, ce n’est qu’un jeu. Mais qu’une tache souille la robe, qu’une cendre la brûle, l’usage imaginaire s’achève en consommation réelle : elles emporteront la robe roulée en boule, elles la détruiront : les voilà voleuses. Genet passe avec la même fatalité du jeu au vol. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr (1952), p. 21) Giovanni Gandini raconte dans les années 1970 à Milan le vol de manteau (une fourrure de breitschwanz) effectué par Copi, le dramaturge argentin. Lacenaire, homme homosexuel immortalisé par Marcel Carné dans « Les Enfants du Paradis » (1945), fut un voleur qui vécut au XIXe siècle : il tuait et volait en province, en Italie, en Suisse. Félix Sierra exécute un vol avec un complice à San Juan de Vilasar (Barcelone) en août 1967 ; en parlant de ses rencontres dans le « milieu homosexuel », il dit ceci : « Ce sont eux qui m’ont incité à voler et à me prostituer ; je suis passé par toutes les pratiques propres à l’homosexualité. » (Félix Sierra, cité dans l’ouvrage collectif El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 186) D’autres personnes homosexuelles sont connues pour avoir été d’authentiques voleurs : Juan Soto, saint Augustin, Jean Genet, Jean Cocteau, etc. Jean Genet sera arrêté 8 fois entre 1938 et 1941 pour vol de livres, quand même ! Entre amants homosexuels, les vols sont extrêmement fréquents : « Dimanche 30 mars 1919. Ai oublié hier par fatigue de noter que ce jeune élégant qui ressemble à Hermès et qui m’avait fait une si forte impression il y a quelques semaines assistait à la conférence [au club] . Son visage, allié à sa légère silhouette de jeune homme, à par sa joliesse et sa folie quelque chose d’antique, de « divin ». Je ne sais comment il s’appelle, et ça n’a pas d’importance. » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 122)

 

VOLEURS 6 Genet

Jean Genet, adolescent

 

Autre exemple : dans ce fait divers daté du 22 décembre 2016, on voit bien que l’agression homophobe s’origine sur le petit délit de larcin homosexuel (vol du fromage de chèvre sur les étalages d’un supermarché).

 

Par ailleurs, de nombreux sujets homosexuels ne se gênent pas pour décrire le « milieu homosexuel » comme un repaire de bandits, ou bien un système prostitutif parfaitement bien organisé. « Parfois, il m’arrive de penser qu’ils [les homosexuels] sont tous une bande de gangsters… Parfois. » (José Mantero, « Doce Días De Febrero », dans l’ouvrage collectif Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 193) ; « Le lendemain, bien sûr, la disparition de quelques menus objets : portefeuilles, petits bronzes, etc., aurait dû nous donner l’éveil. Mais ce ne fut que huit jours plus tard, derrière les barreaux du commissariat central de Clermont, que nous eûmes le fin mot de l’aventure : nos éphèbes étaient de vulgaires voleurs. Arrêtés pour un cambriolage, ils avaient tout raconté, pensant ainsi améliorer leur cas (ils étaient tous mineurs). » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, racontant des « parties » libertines de ses cercles amicaux homosexuels avec des gigolos, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 100) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, Allen Ginsberg déclare être entouré dans sa vie de drogués et de voleurs. Le journal Le Parisien relate le 5 juillet 2016 l’arrestation d’un agresseur de 18 ans et voleur en série à Lyon, spécialisé dans l’agression au couteau de ses amants qu’il détroussait après avoir couché avec eux.

 

Le vol est un acte qui a lieu très souvent entre amants, au sein d’un couple homo. Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » (diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013), Jacques Vialatte, le romancier de 61 ans, raconte comment « il a fait l’assaut » de son premier amour homosexuel « tous les jours pendant un mois ».

 

Mais une fois noyé dans le quotidien, la proximité, et le sentiment, le vol entre amants homos semble invisible, tout comme dans certains couples femme-homme le mariage servira de prétexte discret au viol. « Arrivé chez ta mère, sentiras-tu encore sur tes lèvres le baiser que je t’ai donné comme un voleur ? Ah… voleurs tous les deux ! » (Pier Paolo Pasolini dans le documentaire « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada) ; « Slimane ne m’avait donc rendu que quelques pages de notre journal. Il avait gardé le reste pour lui, l’avait peut-être détruit. Brûlé. Tout ce que nous avions écrit ensemble, corps contre corps, mains jointes presque, il l’avait pris pour lui, volé pour lui. La mémoire écrite de notre histoire lui appartenait désormais. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 110) ; « Je ne sais pas d’où il a sorti les capotes, mais il nous les enfile en un clin d’œil et avec une dextérité de voleur à la tire. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 320) ; « Je fis la connaissance d’une sorte de gitan (c’est d’ailleurs moi qui l’abordai et l’enlevai, littéralement). Il était grand et je le trouvais beau, mais dans un triste état vestimentaire que venait encore renforcer une réticence marquée à l’égard de tous les principes d’hygiène élémentaire. Tandis que, comme l’aurait fait une ‘fille’, je l’invitais à monter dans ma voiture et à s’y installer avec son baluchon, je ne cessais de me répéter : ‘Tu es fou… Tout cela finira mal…’. […] Le lendemain, après m’avoir tapé de quatre mille francs et ‘emprunté’ ma montre, il disparut de lui-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108) ; etc.

 

Par exemple, dans le meurtre de Matthew Shepard, un étudiant américain, torturé et assassiné par deux jeunes gens, à l’âge de 21 ans, en raison de son homosexualité, le 12 octobre 1998 à Fort Collins (États-Unis), nous en avons une illustration. Il est étonnant, dans cette affaire, de voir d’une part l’ambiguïté sexuelle des deux agresseurs Aaron McKinney et Russell Henderson (qui se sont fait passer pour au couple homo auprès de Matthew, pour l’embarquer dans leur camionnette) et d’autre part le lien entre homosexualité et vol : en effet, les assassins s’étaient déjà attaqués avant à d’autres personnes non-homosexuelles mais riches pour leur dérober des objets ; et concernant la victime, elle attisait la jalousie et le désir d’Aaron (qui disait que « Matthew, c’était une pute pétée de tune ! », qu’il était toujours bien habillé). D’ailleurs, le soir du meurtre, ils lui ont piqué sa carte bancaire, ses fringues, ses chaussures, et avaient l’intention de le cambrioler.

 

Dans mon entourage amical, j’ai des amis, généralement âgés, ou bien des jeunes fortunés, qui prennent visiblement un plaisir inavouable à se faire voler : par exemple, ils se font vider leur compte en banque par leur petit copain du moment qui joue les assistés, ou bien ils sont prêts à satisfaire tous les caprices matériels et les folles dépenses de leur amant. Et que je te paye un voyage ! et un resto ! et des vêtements ! et que je te regarde avec un air énamouré ! Les amants ont parfois la malchance d’être riches tous les deux. Dans ce cas-là, ils se sortent mutuellement le grand jeu des cadeaux et des voyages tous les jours. Évidemment, comme c’est un donné pour un rendu, les vols-corruption sont très nombreux et portent le doux nom d’« équilibre ». C’est une « affaire qui tourne », comme on dit. Mais quelle lassitude lourde à porter sur la durée !

 

Un jour, un ami quinquagénaire à moi, qui se faisait mener en bourrique par un jeune amant qui l’exploitait, mais avec qui il n’arrivait pas à rompre le lien, m’écrivait en 2003 : « Y’a deux clandestins, y’a deux tricheurs dans cette relation…mais on n’est pas les seuls… »). C’est ce même ami qui, pour se venger de sa propre lâcheté et de sa complaisance dans la soumission, me soutenait qu’il n’y avait dans le « milieu homosexuel » que des « tricheurs, des voleurs, et des menteurs ». Seul le vrai voleur peut croire une chose pareille… On peut très bien être voleur en étant donateur !

 

Le vol est une action qui symbolise parfaitement le désir homosexuel dans la mesure où, à l’image du désir homosexuel qui est un fantasme de viol consenti, le vol est à la fois ce qui fait objectivement violence et qui ne peut pas être dénoncé parce qu’il est vécu dans une situation amoureuse qui laisse croire à sa victime qu’elle l’a un peu cherché, désiré, voire aimé. « C’est avenue Gabriel que pullulent les truqueurs avides d’innocents étrangers. Ces opportunistes profitent du ‘moment’ d’égarement sentimental du partenaire pour subtiliser portefeuille ou argent. Travail facile, car le volé se trouve généralement, ou croit se trouver dans une situation qui l’empêche de porter plainte. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 26) Étant donné la gravité de la pratique homosexuelle, les agresseurs ou voleurs des personnes homos actives avouent qu’il est « plus facile » (cf. le voleur de Bobigny, le 2 décembre 2016) de s’attaquer à elles qu’aux personnes non-homos.

 

En amour homosexuel, souvent, « rapt et ravissement se confondent » (Dominique Fernandez, L’Amour qui ose dire son nom (2000), p. 51). La lecture enchanteresse que beaucoup de personnes homosexuelles font de l’assemblage des corps entre semblables sexués n’efface pas la violence des fantasmes et des réalités qu’ils peuvent impliquer. En désir, bon nombre d’individus homosexuels veulent voler leur partenaire amoureux. « Lorsque je fais l’amour avec lui, je ne fais que reproduire un rite cannibale qui consiste à m’emparer de sa jeunesse, à me l’approprier et je me donne ainsi l’illusion de rattraper le temps perdu. Je lui vole cette fraîcheur que je n’ai pas eu le temps de savourer lorsque j’avais son âge. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 137) J’ai déjà entendu de mes propres oreilles certains amis homosexuels m’affirmer très sérieusement qu’ils couchaient avec de beaux garçons rien que pour leur « voler leur beauté » et se l’appliquer à eux-mêmes. Cette expression en dit long sur ce qu’est l’acte homosexuel dans son essence : un fantasme de vol motivé par un désir non pas seulement d’aimer l’autre pour ce qu’il est, mais aussi d’être lui et de se dérober à soi. C’est sûrement ce qui explique que dans beaucoup d’œuvres de fiction, les protagonistes gays se définissent comme des « voleurs » après avoir vécu leur première expérience homosexuelle, même s’ils n’ont objectivement dérober aucun objet.

 

Le choc du vol au sein du couple homo est amorti en partie parce que je crois que le vol est très souvent esthétisé en secret par les personnes homosexuelles, intérieurement appréhendé comme une œuvre d’art, un acte d’amour « stylé ». Dans les romans comme dans les films, le vol d’objet est desservi par tout un univers fantasmagorique qui le magnifie. Il faut bien comprendre que c’est le vol cinématographique (sublimé par une agile Cat’s Eyes, une Madonna dans son vidéo-clip « Die Another Day », un gentleman cambrioleur aux gants de velours comme Arsène Lupin, une Mélanie Doutey dans le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe, une James Bond Girls aérienne qui esquive les rayons X rouges, une Charlie’s Angel qui va voler des microfilms dans le bureau du Dr No, etc.) qui va ensuite donner le goût du vrai vol à des personnes homosensibles en panne d’identité et de désir. « La jeune voleuse sait exactement où elle doit se placer pour trouver la bonne bouche d’égout. […] Experte, elle arrive à entrer sans trop de difficultés au royaume des rats. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 164)

 

Par ailleurs, ce qualificatif de voleur renvoie en général chez les personnes homosexuelles à une peur (plus ou moins légitime) de la sexualité : « Alors que j’avais déjà 25 ans et que j’étais toujours vierge, plus par désespoir que par désir j’ai répondu aux avances d’une collègue éducatrice. Elle me draguait depuis un moment et je la fuyais. Un soir de réveillon du jour de l’An, nous nous sommes retrouvés dans une chambre du foyer et je me suis lancé. C’était horrible, je me suis forcé à la pénétrer, sans préliminaires. J’ai eu l’impression de la violer. Tout de suite après, je l’ai fuie comme un voleur. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 40-41)

 

Le vol est à la différence des espaces ce que le viol est à la différence des générations ou des sexes. C’est pour cela qu’ils sont pour moi si proches l’un de l’autre, aussi bien phonétiquement que symboliquement. « Partir comme des voleurs. C’était la seule solution. […] Il fallait arriver à voler. » (Christine Angot, Quitter la ville (2000), p. 99) ; « Celle-là fonctionne très bien. Des mecs à perdre la tête. Maintenant, une fois sur deux, on te vole ou on te tue. » (Coco indiquant une pissotière, dans l’autobiographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 94) En général, les personnes homosexuelles qui ont été violées ont aussi été volées. Il existe une forte corrélation entre vol et viol. Dans les deux cas, cela relève d’un refus (plus souvent que d’une incapacité) à voir l’autre comme une personne c’est à dire comme un possible autre soi-même.

 

C’est pourquoi, dans mon travail sur l’homosexualité, je continue de développer la thèse selon laquelle l’omniprésence du motif du voleur dans les œuvres de fiction parlant d’homosexualité nous révèle que le désir homosexuel est par nature un fantasme de viol, et parfois le signe d’un viol réel.

 

Enfin, pour conclure sur un sujet indirectement lié au vol, et très actuel dans le monde, j’aimerais qu’on aborde aussi les nouvelles lois qui mettent les personnes homosexuelles dans la position inconfortable et honteuse du voleur. On aura beau dire ce qu’on veut (cf. je vous renvoie au code « Petits morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), la permission légale donnée aux couples homosexuels d’exercer des PMA et GPA cautionne, en pratique, le vol d’enfants. D’ailleurs, lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris le 7 décembre 2011, Darren Rosenblum, qui avec son compagnon, a acheté sa petite fille pour qu’elle soit portée par une femme payée 5000 dollars pour l’enfantement, a tout à fait conscience d’avoir posé un acte honteux, même si par ailleurs il s’en justifie et banalise l’affaire. Après avoir habité à New York, il vit maintenant dans le quartier du Marais à Paris. Mais à l’écouter, on voit bien qu’il n’est pas fier de ce qu’il a fait. Il a avoué à l’auditoire qui l’écoutait qu’il rasait les murs : « J’ai un peu peur d’être maltraité par les gens au moment où je suis avec ma fille. »

 

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Code n°183 – Voyage (sous-codes : Nomadisme dans l’immobilité / Route)

Voyage le bon

Voyage

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ce n’est pas un hasard si les road movies sont choisis par beaucoup de réalisateurs gay friendly comme toiles de fond pour le récit des histoires d’amour homosexuel. Souvent, le personnage homosexuel se définit lui-même comme un voyageur, soit parce qu’en effet il ne tient pas en place et vit avec un sac à dos greffé sur le dos (n’entend-on pas parfois l’expression « être pédé comme un sac à dos » ?), soit parce qu’il éprouve ses évasions imaginaires intérieures comme des voyages réels. Il a la satisfaction d’être un dénicheur de terres inconnues, un explorateur audacieux qui verrait ce que les autres ne voient pas ; il défierait, par son destin de nomade-artiste, la maison et l’immobilisme « des hétéros ».

 

Mais quand le voyage et la figure du voyageur sont traités dans les œuvres artistiques parlant d’homosexualité, en général, ils ne recouvrent pas la réalité positive de l’évasion et de la rencontre concrète des peuples : ils symbolisent l’errance, l’abandon du Réel, la fuite de soi, la peur, le « nomadisme dans l’immobilité » (expression que j’emprunte à Gilles Deleuze), l’extase planante permise notamment par les drogues, la schizophrénie, une projection sentimentalo-fantasmato-spirituelle, la luxure (cf. le tourisme sexuel), et la mort, plutôt qu’un voyage où le cœur se déplace en même temps que le corps.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Femme étrangère », « Extase », « Fresques historiques », « Drogues », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Bobo », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Dilettante homo », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Planeur », « Amour ambigu de l’étranger », à la partie « Aventurier » du code « Super-héros », et à la partie « Mappemonde » du code « Homosexuels psychorigides », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le voyageur homosexuel globe-trotteur :

Film "Hannah Free" de Wendy Jo Carlton

Film « Hannah Free » de Wendy Jo Carlton


 

Régulièrement dans les fictions traitant d’homosexualité, le personnage homosexuel est un vagabond, vivant un destin d’éternel exilé ou d’électron libre : cf. le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, le roman La Voyageuse (1999) d’Andrea H. Japp, la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné (avec le personnage de Steve), le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, le film « La Fuga » (1964) de Paolo Spinola, le film « Road Movie » (2002) d’In-Shik Kim, le roman L’Exil (1929) d’Henry de Montherlant, le film « Extravagances » (1995) de Beeban Kidron, le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, le film « El Extraño Viaje » (1964) de Fernando Fernán Gómez, les films « The Living End » (1992) et « The Doom Generation » (1995) de Gregg Araki, le film « Mon voyage d’hiver » (2002) de Vincent Dieutre, le film « Homo Faber » (« Voyager », 1991) de Volker Schlöndorff, le roman Die Reise In Die Vergangenheit (Le Voyage dans le passé, 1929) de Stefan Sweig, la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (dont la trame narrative est un tour du monde), le roman Les nouveaux nouveaux mystères de Paris (2011) de Cécile Vargaftig (avec le voyage dans une machine à remonter le temps), le one-man-show Petit cours d’éducation sexuelle (2009) de Samuel Ganes, le film « Pusinky » (2007) de Karin Babinska, le film « Dans le village » (2009) de Patricia Godal, le film « Haijiao Tianya » (« Incidental Journey », 2001) de Jofei Chen, le film « Brown Bunny » (2004) de Vincent Gallo, le film « Gerry » (2002) de Gus Van Sant, la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner, le film « Blind Spot » (2001) de Stephan Woloszczuk, le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, le film « Another Country » (1984) de Marek Kanievska, le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig (se déroulant lors d’un voyage en bateau), le roman Mi Novia Y Mi Novio (1923) d’Álvaro Retana, le film « Il Giovane Normale » (1969) de Dino Risi, le roman Le Voyageur sur la terre (1924) de Julien Green, le roman Mon premier voyage (1937) de Jean Cocteau, la pièce Rêve d’Égypte (1907) et le roman La Vagabonde (1910) de Colette, le film « La Croix du Sud » (2003) de Pablo Reyero, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le film « Le Voyage au Kafiristan » (2001) de Fosco et Donatello Dubini, le roman Le Voyage secret (1949) de Marcel Jouhandeau, le roman L’Exilé de Capri (1959) de Roger Peyrefitte, le ballet Chant du compagnon errant (1971) de Maurice Béjart, le film « Plus fort que le diable » (1954) de John Huston, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le film « Clandestino Destino » (1987) de Jaime Humberto Hermosillo, le film « Saturn’s Return » (2001) de Wenona Byrne, le film « Boat Trip » (2003) de Mort Nathan, le roman Un Voyage ennuyeux (1949) de Yukio Mishima, le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol (avec Daniel, le globe-trotteur), le roman Yo No Tengo La Culpa De Haber Nacido Tan Sexy (1997) d’Eduardo Mendicutti, le film « Tueurs fous » (1972) de Boris Szulzinger, le film « PuPu No Monogatari » (1998) de Kensaku Watanabe, le film « Fast Trip, Long Drop » (1993) de Gregg Bordowitz, le film « Hubo Un Tiempo En Que Los Sueños Dieron Paso A Largas Noches De Insomnio » (1998) de Julián Hernández, le film « Butterfly Kiss » (1995) de Michael Winterbottom, la chanson « Cap Falcon » d’Étienne Daho, le film « Pasajero » (2010) de Miguel Gabaldón, le film « La Traversée » (2001) de Sébastien Lifshitz, le film « Holiday » (2005) d’Agathe Dreyfus et Aurélia Barbe, le film « Tourist » (2008) de Tor Iben, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, etc.

 

Film "My Own Private Idaho" de Gus Van Sant

Film « My Own Private Idaho » de Gus Van Sant


 

La route est un motif qui revient très souvent dans les œuvres homo-érotiques : cf. le film « L’Un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, le film « Saturn’s Return » (2001) de Wenona Byrne, le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume, le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, le film « Contact » (2002) de Kieran Galvin, le film « En route » (2004) de Jan Krüger, le film « Boys Don’t Cry » de Kimberly Peirce, le film « Mon copain Rachid » (1998) de Philippe Barassat, les films « Dream Kitchen » (1999) et « Chicken » (2001) de Barry Dignam, le film « Les Amants diaboliques » (1942) de Luchino Visconti, le film « Une Histoire sans importance » (1980) de Jacques Duron, le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, le film « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Browny Bunny » (2002) de Vincent Gallo, le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, le film « Happy Together » (1997) de Wong Far-Wai, le film « Muerte En La Carretera » (« Mort sur la route », 1977) de Pedro Almodóvar, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « La Route » (1934) de Sun Yu, le film « Läns Vägen » (« Along The Road », 2011) de Jerry Carlsson et Anette Gunnarsson (racontant l’amour impossible entre deux routiers camionneurs), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, etc.
 

En célibataire ou en couple, le héros homosexuel semble avoir le virus des voyages : « On a beaucoup voyagé ensemble. » (Konrad parlant de son amant disparu Heiko, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « J’adore ça les voyages. J’en ai fait ma vie. » (Jeanfi, le steward homo dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « On nous appelle les forains. La route est notre domicile. » (Bill et Étienne dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy) ; « C’est bien de voyager : ça ouvre l’esprit. » (la phrase « profonde » de Samir, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Il faut partir. Il est temps. Les plus beaux jours de ma vie, c’était l’an dernier, quand je me suis enfui de chez moi. Je ne savais pas où aller. Je continuais à avancer. Je n’ai jamais vu des jours si longs et si colorés. Mais je n’allais jamais assez loin. Je n’ai jamais vu la mer. Je veux marcher jusqu’en Afrique et traverser le désert. Je veux du soleil. » (Rimbaud dans le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland) ; « Irina, il faut te laver. Nous allons entreprendre un long voyage. » (Madame Garbo dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Je suis habituée à une vie de nomade. » (Helena s’adressant à sa future compagne Lisa, dans le film « Como Esquecer », « Comment t’oublier ? » (2010), de Malu de Martino) ; « Depuis toute petite je suis sur les routes. Dans l’errance. Je me suis habituée à cette vie sans lieu fixe, sans un cœur tendre, sans frère, sans sœur. Je suis ma propre mère. Mon propre frère. Ma propre sœur. Je suis la famille entière, éclatée, réunie. » (Hadda dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 199) ; « Je vais comme les gens de rien vers le destin. […] une brindille dans le vent, une goutte d’eau dans l’océan. […] Je vais par les chemins. Un peu bohème. Je ne m’attache à rien. » (cf. la chanson « Boulevard des rêves » de Stéphane Corbin) ; « Les deux amantes s’aimaient tant, elles qui avaient tellement de projets : maison de campagne, jardin, chalet, voyages. » (Lucie et Ginette, les deux lesbiennes du roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 28) ; « C’est un caméléon, un voyageur, un vagabond. » (cf. la chanson « Caméléon » de Véronique Rivière) ; « Je suis très souvent sur les routes. » (Léopold, le héros homosexuel de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Il ne se considérait pas comme un touriste, mais comme un voyageur. La différence tenait, entre autres, au facteur temps, expliquait-il. Alors que le touriste se hâte, en général, de rentrer chez lui au bout de quelques semaines ou de quelques mois, le voyageur, toujours étranger à ses lieux de séjour successifs, se déplace lentement, sur des périodes de plusieurs années, d’une contrée de la terre à une autre. » (le narrateur homosexuel du roman Un Thé au Sahara (1952) de Paul Bowles, p. 13) ; « Elle n’a jamais été capable de tenir en place plus de 10 minutes. » (Alain Richepin parlant de sa fille lesbienne à Romane sa fille dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien) ; « C’est dingue comme ce voyage nous apprend sur nous-mêmes. » (Cédric, homo, s’adressant à ses amis gay de son équipe de water-polo avec qui il part aux Gay Games en Croatie, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis, Price se définit comme un « voyageur », un touriste en Irak. Dans le film « To The Marriage Of True Minds » (« Au mariage de nos âmes loyales », 2010) d’Andrew Steggal, deux jeunes Irakiens embarquent illégalement sur un bateau qui les mène de Bagdad à Londres ; enfermés, Falah réconforte Hayder en lui murmurant en arabe les vers des sonnets amoureux de Shakespeare. Dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, Ambre et Helena se rencontrent en voyage humanitaire en Namibie. Dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose-Marie, Nathalie, la lesbienne, dit « sa passion pour les voyages ». Dans le film « Intrusion » (2003) d’Artémio Benki, les personnages sont des voyageurs invétérés : Klara raconte que dans son enfance elle déménageait tout le temps ; Florence, elle, est auto-stoppeuse. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, est l’archétype du bobo qui aime voyager parce que ça le rend esthétiquement beau : il travaille dans la mode et pour la télé, vit aux couleurs du Japon, mange dans les restos japonais, puis projette de vivre à la campagne. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire se donne pour métier « commis voyageur ». Dans le film « A Love You » (2015) de Paul Lefèvre, Manu et son pote Fred sont pris pour un couple de gays parce qu’ils font du stop ensemble. Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Hugo, le héros gay, s’identifie à un certain Monsieur Carroll, constructeur d’une gare éponyme, et de 150 ans son aîné, dont il découvre l’homosexualité savamment gardée secrète, sur des photos d’époque : « Carroll a parcouru le Monde avec cet homme. » (Hugo)
 

Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le voyage est considéré comme un rite d’initiation obligatoire pour se retrouver soi-même et pour vivre l’amour : « Le voyage est un face-à-face avec soi-même. » (Anna Ross, la conseillère d’orientation s’adressant à Johnny, le héros homosexuel) C’est pendant le voyage en bateau vers l’île des Bahamas que nos deux amants Johnny et Romeo vont d’ailleurs se rencontrer.

 

La direction prise par les personnages homos libertaires est en général atlantiste, donc vers l’Ouest (cf. la chanson « Go West » des Pet Shop Boys, la comédie musicale Il était une fois complètement à l’ouest (2016) des Caramels Fous, etc.). Par exemple, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Carol et Thérèse partent en voyage « vers l’Ouest » pour vivre follement leur amour, en quittant leur famille respective : « Je partirais bien toute seule. Juste quelques jours. » (Carol)

 
 

b) L’homosexualité contre la maison de l’hétérosexualité :

Généralement, l’homosexualité est associée au voyage, et mise en opposition à la vie conjugale dans le mariage, vie jugée ennuyeuse, et allégorisée par l’espace soi-disant « confiné » de la maison : « Qu’est-ce que papa et maman sont allés faire dans ce trou ? » (Riley par rapport à la ville gay de San Francisco, dans le film d’animation « Inside Out », « Vice-versa » (2015) de Peter Docter) ; « Ma maison, c’est la route ! » (Hedwig, le héros homosexuel du film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; « Elle revint sur ses pas, jusqu’à se retrouver devant chez elle. De nouveau, elle s’immobilisa. Prise d’une envie de partir en courant, comme si la maison risquait de l’avaler. » (Esti, l’héroïne lesbienne face à sa vie de femme mariée, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 84) ; « La première fois que je l’ai fait, c’était pendant la grossesse de ma femme.  Il y avait une réunion de professeurs, à New York. Ma femme ne se sentant pas bien, j’y suis allé seul. Et dans le train, j’y ai pensé. J’y pensais, j’y pensais pendant tout le voyage. Et peu après mon arrivée, j’avais emballé un mec dans les toilettes de la gare. » (Hank, le héros bisexuel parlant de son initiation à l’homosexualité, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin) ; « À la maison, c’est l’enfer. Et tellement bien avec toi. » (Phil s’adressant à son amant Nicholas, au lit, dans le film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa) ; etc. Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago, le peintre homo, invite en vain son petit copain Miguel à entreprendre « leur voyage », pour que ce dernier quitte sa vie rangée d’« hétéro ». Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Georges est un notaire, marié avec une femme, homosexuel caché, et sans cesse en voyage : William, son copain, ne supporte plus ses absences ; et c’est lorsque Georges va assumer pleinement son homosexualité qu’il quitte définitivement le domicile familial de sa femme. Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, Marc, l’homosexuel refoulé, a l’impression de « manquer d’air », d’« être à l’étroit » dans sa nouvelle maison avec sa femme enceinte Bettina ; et son amant Engel l’incite à partir : « T’as déjà pensé à te casser ? » Marc finit, face à sa mère, de donner raison à l’homosexualité : « Bettina avait raison : une foutue idée, cette maison. » Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon se moque de l’absurdité de la démarche de « Julie et Laurent », un couple hétéro lambda cherchant un appartement. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, on voit tout le temps Adèle dans les transports en commun, pile au moment où elle « se lesbianise ». À la fin du film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le voyage de Lukasz en train, en direction de là où habite Adam, signe la pratique et l’identité homosexuelles assumées. Dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago, Agathe tanne Fanchette pour qu’elles partent vivre leur amour secret dans un lieu complètement isolé du monde : « Il faut que nous partions ! Il faut que nous quittions la maison tout de suite ! » Dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, les deux protagonistes lesbiennes, au moment de découvrir leur amour, parlent sans arrêt de leur rêve de partir à Dubaï et de quitter l’enfer de Téhéran : « On se tire à l’étranger. » ; l’histoire termine par l’impossibilité du départ (« On pourrait partir. »), et donc de l’amour homosexuel : Shirin, une fois soumise à un mariage arrangé, ne pourra plus quitter la maison à laquelle Atefeh cherche à l’arracher. Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, au moment où Sandre tombe amoureux d’une femme, Charlotte, il affirme vouloir arrêter de vivoter, de voyager, pour aimer vraiment (ce changement semble le bouleverser : « Pour quelle raison est-ce que je veux arrêter de voyager ? »). Dans le film « Les Amants diaboliques » (1942) de Luchino Visconti, l’association entre homosexualité et voyage est clairement faite. Quand Giuseppe vient chercher Gino pour vivre avec lui et courir le monde, Gino se retrouve face à un cruel dilemme : doit-il choisir le vagabondage (l’homosexualité) ou la maison (l’« hétérosexualité ») ? La phrase « Je ne veux plus voyager ! » répétée à trois reprises avec violence par Gino signe son refus catégorique du mode de vie homosexuel. Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, l’acquisition d’une maison et les plans de construction sont montrés comme le summum de la soumission. Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Charlotte, Mélodie et Charles, le « couple à trois », n’arrêtent pas de voyager, sans être capables de se fixer, ni amoureusement ni géographiquement ni socialement. D’ailleurs, Charlotte et Michel se sont engagés dans l’achat d’une maison… et Charles regrette déjà : « Je sais pas si c’était le bon moment pour s’acheter une maison et de s’endetter sur 30 piges… » ; « J’ai l’impression qu’elle nous porte malheur, cette baraque. » Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine se voit menacée d’immobilisme hétérosexuel si elle ne va pas vivre son homosexualité à Paris : « T’as envie de rester ici toute ta vie ? » lui demande l’une de ses ex.

 

Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Ziki, l’héroïne lesbienne, dit vouloir échapper à sa « condition de femme kényane » et « voyager partout dans le monde ». Pour elle, le summum de l’esclavage, c’est d’être « une Kényane classique » et de « rester à la maison ».
 

Quand le héros homo confie à la personne qui l’intéresse sexuellement qu’il aime les voyages, dans sa bouche, c’est comme s’il lui faisait une énorme déclaration d’amour. Il le lui déclare avec un regard tellement transperçant (genre « Je viens de te dire un splendide ‘je t’aime’ ! Je te propose d’être mon compagnon de voyages. ») que sa proie se sens obligée de fuir son regard pour ne pas alimenter le feu de ce voyage qui ressemble à une demande en mariage ! « J’adorerais voyager. Aller avec quelqu’un dans plusieurs endroits du monde. » (Jonathan parlant à Matthieu pour le draguer, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « C’est notre histoire d’amour musicale. Nous l’écrivons scène après scène et notre amour grandit pendant ce voyage vers la liberté ! » (Adam et Steve dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Je ferais pour votre Majesté de bien plus longs voyages. » (Sidonie, l’héroïne lesbienne s’adressant à la reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Tu vois, moi, c’est comme si je voyageais dans un pays merveilleux. » (Sidonie, l’héroïne lesbienne face à la broderie pour la Reine Marie-Antoinette, idem) ; « J’ai toujours rêvé de me faire une nana. Mais c’est comme faire un voyage en Laponie ou en Norvège. C’est du rêve. Ça n’arrivera jamais. » (Une collègue hétéro de Rachel, l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Vous échapperiez-vous pour voyager avec moi ? » (Vita Sackville-West s’adressant à son amante Virginia Woolf, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc. Par exemple, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, Glen essaie de draguer Russell en parlant voyages.

 

Les histoires d’amour homosexuel fictionnelles semblent surtout reposer sur le goût commun des jolis voyages, et non sur un engagement durable : « Simon raconte avec pudeur que le matin-même, il est allé dans l’appartement de Gilberto détruire chacune de ses affaires. Il a déchiré les chemises de Gilberto, consciencieusement, les unes après les autres, il a brisé le joli cendrier chiné ensemble contre la table du salon (Gilberto ne fume pas). IL a aussi déchiqueté les billets d’avion des vacances qu’ils avaient passés ensemble en Hollande, et tout un tas de papiers officiels. Simon dit ‘J’ai déchiqueté ces billets parce que c’est une manière de lui dire qu’il ne peut rien garder, même pas le souvenir heureux de ce voyage.» (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 109)

 
 

c) Un vrai voyage ?

Quand bien même le corps du héros homo semble se mouvoir dans l’espace, son voyage ne semble pas habité par un vrai désir. On dirait que celui-ci s’est vidé de liberté et de Réel. « Moi, quand je déprime, je pars en voyage. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) Il s’agit du voyage bourgeois opéré par l’aristocrate qui trouve tout « trrrrès typique » et « trrrrès exotique » parce qu’il ne veut surtout pas bouger de son siège : « Oh, mes enfants, quel voyage ! » (Solitaire dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Ce fut un voyage épouvantable. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 88) ; etc.

 

La tribulation en question n’est pas un voyage dans le sens noble du terme, c’est-à-dire d’ouverture au monde et aux autres. Il mérite d’autres noms : « école buissonnière », « fuite », « fugue », « exil forcé », « errance », « vagabondage », « absorption de drogues », « déterritorialisation littéraire », « mort », « imaginaire », etc. « Ta vie passe forcément par la fuite. » (cf. la chanson « Small-town Boy » de Bronski Beat) ; « En tout cas, ce soir, c’est moi qui voyage. » (Catherine, l’héroïne lesbienne qui en réalité évoque ses « aventures » amoureuses, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Nous, les gays, on adore voyager ! On adore les visites cul…turelles. » (le narrateur homosexuel dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair) ; « Tu as disparu mystérieusement il y a un mois. Mon seul point de chute, c’est le rendez-vous que tu m’as fixé hier sur ton message. Dans une quinzaine de jours devant la cathédrale de Cologne, en Allemagne. Les lettres des villes clignotent, se figent en même temps que les horaires. Il faut que je choisisse vite, que je m’arrache d’ici. C’est mon tour. Que je mange des kilomètres et des kilomètres, que je change de territoire. Dans quinze jours je veux avoir un autre regard. Berlin. Je pourrais y rester, pousser plus loin en Europe avant de te rejoindre à Cologne. Je trace des lignes de fuites sur une carte imaginaire. Un flot de voyageurs déboule, se déploie dans le vaste hall. Tous ces gens qui arrivent, l’air concentré qu’ils ont tous, là et pas là en même temps. Pleins de leur mystère. L’urgence de déguerpir m’a cueilli ce matin à l’aube. Quel contraste avec la mollesse subie de ces dernières semaines, j’avais renoncé à pas mal de choses. Une femme me bouscule, puis un homme. Un autre flot de voyageurs déboule. Ils croisent ceux qui avancent à contre-sens, se dépêchent. C’est donc à ça que je vais ressembler quand je descendrai du train, sur le quai à Berlin : un homme/automate perdu, qui veut avoir l’air crédible dans son rôle de touriste, pour oublier qu’il est parti à force de tourner en rond à t’attendre, parce qu’il n’est pas capable d’inventer grand chose tout seul ? » (cf. l’incipit du narrateur homosexuel du roman Carnaval (2014) de Manuel Blanc) Par exemple, le voyage est qualifié d’« absence » dans le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard. Dans le roman Jours de mûres et de papillons (2014) de Marie Evkine, c’est une grande peine de cœur après une passion amoureuse vouée à la rupture qui motive le voyage en Italie, en Amérique, à Paris, de l’héroïne lesbienne. Il arrive d’ailleurs que la destination de ce voyage homosexuel soit parfois fictive. C’est comme la « Canary Bay » du groupe Indochine ou le pays imaginaire de Peter Pan : « Personne ne peut y aller. » Ce voyage ne rentre pas dans l’espace-temps réel : il va « plus loin que la nuit et le jour » (cf. la chanson « Voyage, voyage » de Desireless). Symboliquement, le personnage homosexuel met la tête dans un décor pour se donner l’illusion qu’il a un destin de nain « à la Amélie Poulain », ou bien feuillette un beau livre d’images qu’il voit défiler passivement devant lui. On le balade en gondole, comme le personnage figé d’Aschenbach dans le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti. Autres exemples : dans le film « Absences répétées » (1972) de Guy Gilles (titre ô combien signifiant), François décide de « faire un long voyage ». La pièce La Fuite à cheval très loin dans la ville (1976) de Bernard-Marie Koltès, qui a priori suggère le voyage par son intitulé, ne traite pas dans la trame narrative d’un voyage réel, puisque le narrateur ne quitte pas la ville : il s’agit d’une simple errance de la pensée. Dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, le « voyage » n’est que l’autre nom du transfert schizophrénique de personnalité, de l’extase pour se substituer aux autres. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel aveugle, rêve de partir loin, de déménager, de suivre un programme d’échange à l’étranger, mais on voit que son voyage n’est pas concret : il veut rejoindre un pays imaginaire que personne ne connaîtrait, là où « tu peux t’inventer ta propre personnalité ». Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, le héros homo, a abandonné sa famille brésilienne pour aller s’exiler en Allemagne, sans donner de nouvelles. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on assiste à l’errance nocturne de Davide, le jeune héros homosexuel, dans le monde de la prostitution homosexuelle de Catano. Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, les « déplacements à l’étranger » de Lola étaient en réalité des bobards pour masquer ses infidélités « extraconjugales » à Vera.

 

Le voyage dont il est question dans les fictions homosexuelles est plutôt une fuite de soi qu’un don de sa personne : « Moi, j’ai l’art de la fugue. » (Mimile dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 63) ; « Je suis en errance, passagère clandestine d’une vie qui n’est pas la mienne. » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 31) ; « Quand je pars avec lui tout au bout de la nuit, je ne sais plus qui je suis, si je suis moi ou lui. » (cf. la chanson « Mon Démon » du Teenager dans la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « J’ai voyagé de Mexico à Tokyo sans savoir dans quel pays j’étais. » (cf. la chanson « Disco Queen d’un soir » de la Palma dans le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon) ; « Je peux quitter n’importe qui, n’importe où. » (Hannah, lesbienne qui ne sait pas s’engager et qui s’auto-définit par l’infidélité, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini) ; etc. Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, c’est suite à sa rupture amoureuse avec son amant Pierre que Rudolf décide de tout larguer (appartement, job, amis) pour aller s’installer dans la montagne autrichienne : ses deux potes gays Nicolas et Gabriel, eux aussi dégoûtés de la vie, le suivent dans sa fuite en avant, dans ce voyage sans but. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, tous les personnages, en particuliers transsexuels, voyagent : que ce soit le voyage vers Kojoor en taxi entre Adineh l’héroïne transsexuelle F to M et Rana la femme mariée, ou encore l’exil d’Adineh en Allemagne pour se faire opérer et changer de sexe. Le père d’Adineh veut empêcher que sa fille parte et qu’elle « devienne une vagabonde qui vit à l’étranger ».

 

Le voyage homosexuel ressemble à la pulsion : « Instant présent tu es l’essence du voyage. » (cf. la chanson « Vertige » de Mylène Farmer) Il n’a pas de but ou de sens apparent : « Je suis un expert en routes. J’ai goûté des routes toute ma vie. Cette route-ci n’a pas de fin. Elle fait sans doute le tour du monde. » (Mike, le héros homosexuel du film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant) Il ne semble pas avoir d’assise sur le Réel : il est davantage dicté par l’imaginaire que par la réalité concrète : « Tout au fond de ma mémoire, je le sens se réveiller, l’ancestral désir de toi : c’est le désir de monter sur un beau tapis magique pour survoler toute l’Afrique dans un dessin-animé. » (Lou à Ahmed, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je visite le monde, je veux devenir voyageur, errer. […] Je découvre des pays, je les aime littéraires, je lis des livres… » (Louis dans la pièce Juste la fin du monde (1999) de Jean-Luc Lagarce) ; « Dans un voyage imaginé, j’ai glissé ma liberté entre les pages d’un cahier. » (cf. la chanson « Les Romantiques » dans la comédie musicale George Sand et les Romantiques (1992) de Catherine Lara) ; « Nous sommes constitués de choses molles et façonnables. Nous sommes des êtres poreux. Nous sommes des bouts de bois flotté, des pierres polies par les courants. Nous sommes des grands voyageurs. Il n’y a pas de petits déplacements. » (le narrateur du film « Anu » (2012) de Lola Peuch) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, les voix-off, quand elles abordent la thématique du voyage, se réfèrent toujours au monde virtuel d’Internet, à l’espace éthéré de la rêverie et de la sensation : « Le corps cassé. Toujours vivant. Je traverse l’été. » ; « Partir aussi est un art. » On retrouve le jargon queer du déplacement : il s’agit de « rêver la géographie », de reconstituer mentalement une « cartographie du souvenir ».

 

Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, les deux amantes lesbiennes, Marilyn et Mona, fuient leur quotidien respectif parce qu’elles sont soit malheureuses dans leur travail et dans leur couple, soit inculpées d’homicide involontaire (Mona a tué accidentellement sa belle-mère en lui administrant les mauvais médicaments). « Je suis partie. » déclare Mona en pleurs. « T’as eu raison. » lui répond Marilyn.
 
 

d) Le nomadisme dans l’immobilité :

Film "Priscilla folle du désert" de Stephan Elliott

Film « Priscilla folle du désert » de Stephan Elliott


 

En général, le voyage figuré dans les fictions homo-érotiques n’est pas réel : le personnage homosexuel effectue un voyage intérieur, et vit une forme de « nomadisme dans l’immobilité », en parcourant une contrée immatérielle qu’il a du mal à identifier : cf. le roman La Gare des faux départs (2002) d’Hugo Marsan, l’album « Voyages immobiles » d’Étienne Daho, le roman Le Vagabond solitaire (1960) de Jack Kerouac, la pièce Ici et ailleurs (1981) de Jean-Luc Lagarce, le film « Permanent Residence » (2009) de Danny Cheng Wan-Cheung, le film « La Princesse et la Sirène » (2017) de Charlotte Audebram, la chanson « J’veux voyager » d’Olympe, etc. « Solution en vue : l’immobilisme. » (la Comédienne à propos du mouvement gravitationnel des planètes, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Je me déplace lentement, presque immobilement. » (l’un des héros homosexuels de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « Moi je planais comme un dingue. […] Mais cette vie-là ça m’a fatigué vite. Je commence à m’arrêter de plus en plus souvent, dès que je vois une branche de libre. Et j’y trouve des gens qui me ressemblent, des camarades qui ont des muscles meurtris à force de voyager. Et je reste avec eux, piailler, sautiller, changer de branche quand le temps nous le concède. Alors il pleut souvent. Nos plumes deviennent grises. Alors, peu à peu, je viens chez vous. » (l’un des personnages de la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Il ne sait pas partir, il n’a jamais su. » (Jean-Louis Bory, La Peau des zèbres (1969), p. 460) ; « J’ai jamais pu partir. J’ai essayé dix fois. J’y suis pas arrivé. » (Stéphane s’adressant à son ex-amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Si j’avais une machine à remonter le temps, j’irais nulle part. » (Shirley Souagnon disant qu’à aucune époque elle aurait été acceptée telle qu’elle est, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, les jumeaux Quentin et Antoine s’en vont en voyage vers l’Espagne pour assister à l’enterrement de leur mère. Mais celui-ci se révèle être finalement un prétexte : « On va en Espagne à l’enterrement de notre maman. On ne l’a jamais connue. » Dans le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee, Hennis affirme que le plus long voyage qu’il a effectué dans sa vie est celui qui l’a conduit à la poignée de sa cafetière. Dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi, les deux amantes lesbiennes Ada et Cherry feignent d’aimer les voyages (Cherry, par exemple, exerce le métier d’hôtesse de l’air : « J’ai beaucoup voyagé, alors partout c’est chez moi. » ; Finalement, on découvre que ce ne sont que des mots : Ada déclare qu’« elle ne voyage jamais » et Cherry lui répond qu’« elle non plus »). Dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, les protagonistes cherchent une Alaska mythique où elles n’arriveront jamais. Dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa dit qu’elle « a beaucoup voyagé… énormément… en regardant sa télé ».

 

Le voyage homosexuel, bien qu’étant davantage un sur-place ennuyeux qu’un élan de vie accomplissant, donne parfois aux amants homosexuels fictionnels l’illusion temporaire de toute-puissance de l’éclatement narcissique : certains artistes homosexuels versent dans la carte postale et l’esthétisme cinématographique pour cristalliser leurs pulsions sexuelles éphémères en « voyage transportant » et romantique : « Nous demeurons longtemps, vraiment, dans cette immobilité. Nous sommes au centre de ma chambre, au centre du monde. Nous sommes immobiles et vivants. Nous sommes au plus près du vivant. » (Vincent à propos de son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 40) ; « Tu te rends compte de la chance qu’on a. On s’aime et on est en haut de la Tour Eiffel ! […] Nous ne sommes pas en haut de la Tour Eiffel mais dans la nacelle d’une montgolfière. Nous ne survolons pas Paris, nous dominons le monde. » (Kévin s’adressant à son amant Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, pp. 142-144) ; « Khalid était à moi. Il s’enfonçait dans ma bouche. Je continuais de voyager dans la sienne. Des voies. Des ruelles. De l’obscurité. Des lumières, rares. » (Omar, l’un des héros homosexuels du roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 141) ; « Tout n’est qu’une vaine mise en scène : tes faux départs sont toujours les mêmes. » (cf. la chanson « Pas de doute » de Mylène Farmer, où il est question de l’éjaculation précoce) ; « J’ai toujours pensé que fuir serait la plus belle des sorties. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc. Par exemple, dans le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, le voyage de Paul et sa découverte de la ville de New York ne se résument, dans les faits, qu’à un désinvolte tourisme sexuel. Dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, le travesti Zulma sous-entend dans le verbe « voyager » = « avoir des relations sexuelles ». Le « voyage » dans les créations homosexuelles s’apparente donc au vagabondage sexuel de l’individu volage et infidèle, à un prétexte excessivement poétisé pour une vulgaire partie de jambes en l’air ou pour l’exercice de la prostitution : cf. le film porno « Le Voyage à Venise » (1986) de Jean-Daniel Cadinot, le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie, etc. « Dis au voyageur qui est avec toi qu’il a laissé son sac à dos sur le canapé. » (Rodney s’adressant à Paul, son amant, à propos de George l’amant caché de Paul, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner)

 
 

e) Le dernier voyage :

Film "Una Noche" de Lucy Molloy

Film « Una Noche » de Lucy Molloy


 

Plus gravement, le voyage dont parlent les œuvres homosexuelles est très souvent synonyme de mort, de mensonge, et d’accident : cf. le film « Muerte En La Carretera » (1977) de Pedro Almodóvar, le film « Zombie L.A. » (2011) de Bruce LaBruce, le film « Thelma et Louise » (1991) de Ridley Scott, le film « Monster » (2004) de Patty Jenkins, le film « Collateral » (2004) de Michael Mann, la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman (fonctionnant sur le modèle de « Bonnie & Clyde »), le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec le couple lesbien Stella/Dotty en cavale et en fuite de la maison de retraite : Dotty ne survivra pas à ce voyage), le film « Una Noche » (2012) de Lucy Molloy (racontant un voyage de trois personnages recherchés par la police sur un radeau minuscule), la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Scène de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann (racontant une dramatique chasse à l’homme), le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard (où le « voyage » effectué par le héros homosexuel cloné n’est que le nom euphémisé de sa mort), etc. « Une robe noire… Il me faut une robe noire pour le voyage. » (Octavia dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Tu évoques les années de l’enfance, quand les autres à l’école se moquaient de toi, quand il fallait inventer l’histoire d’un père aventurier, voyageur, disparu ou mort au cours de je ne sais quel hasardeux combat […] » (Vincent à la figure de Proust, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 99) ; « Alors, Dieu, vous avez fait un bon voyage ? Pas trop d’encombrements dans les trous noirs ? » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Loin très loin du monde où rien ne meurt jamais, j’ai fait ce long ce doux voyage. » (cf. la chanson « Regrets » de Mylène Farmer) ; « Vois la pénombre qui éclaire mon visage. On s’est dit ‘ensemble si c’est là ton voyage’. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre » de Mylène Farmer) ; « Bon voyage. » (la mère de Franz, le héros homo, quand ce dernier lui annonce par téléphone qu’il vient de s’empoisonner, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez, la mort est définie par le personnage interprété par Julien Doré comme « le plus beau des voyages ». Dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, Paul, le héros homosexuel, voyage au camp de concentration d’Auschwitz. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, raconte son « affreux voyage » de Marseille à la capitale parisienne, pendant lequel sa voisine de train meurt de vieillesse. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François propose à son amant Thomas de « voyager cet été avec la carte bleue [de ce dernier] » et chante la chanson de Desireless « Voyage voyage ». Sans l’en avertir, il leur a acheté un voyage à Bali pour aller voler un enfant adoptable. Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018, Arthur, le héros homo, décrit son chemin du comptoir du bar aux toilettes comme le « voyage le plus long de sa vie »… et ce voyage est la mort étant donné que son cœur cesse de battre.

 

La fièvre voyageuse peut indiquer chez le héros homosexuel un viol ou une pression homophobe qu’il a subis. « Je pars en exil. » (Luca, le héros homosexuel, focalisé sur l’homophobie dont il se présente comme éternelle victime, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Un voyage onirique au cœur de l’inconscient et de ses mécanismes de défense, tel que le déni, ici, celui du viol dont Anne a été victime dès son plus jeune âge. À la recherche d’elle-même, mais aussi de l’autre, lui, qu’elle prend pour ce qu’elle croit être un ange. » (cf. un résumé du film « Incidences » (2012) d’Andromak) ; etc. Par exemple, dans le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló, Raidel raconte que son ami homosexuel Randy voulait devenir camionneur juste pour fuir sa réalité scolaire de maltraitance.

 

En conclusion, le « voyage » proposé par le désir homosexuel, à force d’être trop déconnecté du Réel, excessivement romantisé et esthétisé, finit par se transformer en cauchemar, en balade vide, en expédition dénuée de liberté et de désir. Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, les deux héros (Dany, homosexuel, et son grand frère hétéro Odysseas… nom mythique invitant au voyage) ont la bougeotte : ils cherchent à quitter leur Albanie natale pour rejoindre la Grèce (et le « succès », l’argent, leur père), fuient après avoir opéré des larcins et des tentatives de meurtre (suite à des agressions homophobes) ; et dans ses fantaisies, Dany se rêve toujours ailleurs que les lieux où il se trouve (il se voit dans un bateau de croisière sur la mer, veut partir vivre en Amérique).

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le voyageur homosexuel globe-trotteur :

Dessin caricatural de Paul Verlaine

Dessin caricatural de Paul Verlaine


 

La communauté homosexuelle est peuplée de pigeons voyageurs. Je vous renvoie à l’article « Copi le Voyageur » (1974) de Colette Godard, le docu-fiction « Love And Words » (2008) de Sylvie Ballyot (relatant un voyage au Yémen), l’autobiographie Mémoires d’un nomade (1972) de Paul Bowles, le documentaire « Too Much Pussy ! » (2010) d’Émilie Jouvet, le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz (avec la route filmée à travers un pare-brise), etc. Par exemple, le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer est intégralement tourné en caméra subjective, par un personnage qui marche, qui voyage. La biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert montre les voyages du « couple » Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, barbus, en scooter aux États-Unis, ou bien en virée au Maroc.

 

Il suffit de faire un tour sur les sites de rencontres Internet, d’observer l’étalage de photos de vacances et de clichés des nombreuses destinations exotiques qu’un certain nombre de personnes homosexuelles ont suivies, pour en avoir le cœur net. Cette frénésie homosexuelle pour les voyages s’explique en partie par leur train de vie (en général ennuyeux et oisif), par leur goût quasi obsessionnel pour l’esthétisme, par leur statut de célibataires, et par leur pouvoir d’achat globalement plus important que des couples femme-homme avec enfants à charge, qui ne peuvent pas se payer de voyages tous les ans. La grande majorité des personnes homosexuelles sacralisent les voyages (cf. les clubs de randonnée « gays », les croisières « gays », les agences de voyages « gays »…). On rencontre beaucoup de globe-trotteurs parmi les célébrités homosexuelles : pour ne citer qu’elles, Edmund White, Annemarie Schwarzenbach, Pierre Loti, Néstor Perlongher, Bruce Chatwin, Klaus Mann, Luis Cernuda, Edward Morgan Forster, Marguerite Yourcenar, Jean Cocteau (qui a même entrepris un tour du monde en 80 jours), etc. « Marguerite Yourcenar ne revendiquait d’autre patrie que celle de sa langue, et s’affirmait citoyenne du monde. […] Le voyage est au cœur de son œuvre. » (cf. l’article « Les Derniers Voyages » de Valérie Cadet, dans le Magazine littéraire, n°283, décembre 1990, p. 40)

 
 

b) L’homosexualité contre la maison de l’hétérosexualité :

Généralement, dans les discours, l’homosexualité est associée au voyage, et mise en opposition à la vie conjugale dans le mariage, vie jugée ennuyeuse, étriquée, cloisonnante, et allégorisée par l’espace soi-disant « confiné » de la maison : « Familles, je vous hais. Foyers clos ; portes refermées ; possession jalouse du bonheur. » (André Gide, Les Nourritures terrestres (1897), p. 76) Très tôt, un certain nombre de personnes homosexuelles n’ont pas eu de maison, c’est-à-dire de famille unie, ce qui les a parfois mises dans une situation d’errance propice à l’installation du désir homosexuel. C’est le cas de l’écrivain britannique Bruce Chatwin qui raconte que dans son enfance, il était ballotté de maison en maison, sans attache. « Nous étions livrés à nous-mêmes, abandonnés. Mon père était en mer, ma mère et moi allions d’un lieu à un autre. […] Les lieux de nos songes avaient plus de consistance que les voyages qui les séparaient. Les maisons étaient irréelles. J’ai toujours eu horreur d’habiter une maison. » (cf. l’article « Apuntes Biográficos » sur la vie de Bruce Chatwin, dans le site www.islaternura.com) Le divorce de ses parents, en plus de l’avoir écartelé, l’a transformé en électron libre. Une fois arrivé à l’âge adulte, sa perte de repères se traduira par une homosexualité et une passion obsessionnelle pour les voyages. « Le fait de voyager et d’aller au bout de la terre m’a permis de couper les ponts avec la famille et de revenir en me montrant au monde telle que je suis. » (une femme trentenaire lesbienne dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre)

 

c) Un vrai voyage ?

Le voyage dont il est question dans les discours des personnes homosexuelles est plutôt une fuite de soi schizophrénique qu’un don concret et unifié de sa personne. « Je me regarde dans cet appartement, comme si j’étais ailleurs. Ailleurs ! J’ai toujours vécu en quelque sorte ailleurs, pays que connaissent tous ceux pour qui c’est l’appel d’un monde au-delà des apparences. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, 13 juin 1981, p. 40) ; « Ne trouvant pas ma place dans cette société, je largue les amarres régulièrement. Je voyage. Quand la culture est différente, j’oublie. » (Jean-Pierre, homme homosexuel de 68 ans, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Personne à la maison ne comprenait cette volonté de partir qui m’animait en permanence. » (Ednar, le héros homosexuel du roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 70) ; « Qui n’a pas fait ce rêve de changer d’identité, d’être ailleurs ? […] Alors, l’étrange voyage commence […] en passant de corps en corps. […] Mes difficultés commencèrent quand j’essayai de mettre par écrit cette randonnée fantastique. […] Je fus vite arrêté par mon ignorance des êtres : mon tour du monde se révélait trop petit. » (Julien Green dans la préface de son roman Si j’étais vous (1947), à propos de la schizophrénie de son héros) ; « Ce film emmène le spectateur à travers le voyage physique et émotionnel qu’un jeune homme trans subit pendant sa transition. » (cf. un résumé du film « XWHY » (2012) de Jake Graf) ; « J’aimerais partir. Ne rien faire. Pour tout oublier. Devenir sage. » (Yves Saint-Laurent, déprimé par les drogues et ses frasques sexuelles, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; etc. Par exemple, l’artiste « performer » transgenre F to M Orlan considère son corps comme un média, un instrument de son désir de nomadisme.

 

Il ressemble à l’état vaporeux et éphémère que donne la pulsion ou le sentiment amoureux. Il n’a pas de but ou de sens précis. « J’étais maintenant un hayèm, un errant dans le désert, comme dans les poèmes d’Ibn Arabi. Vagabond. Sans le sens. Sans Dieu. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 92) Il repose davantage sur l’imaginaire et les fantasmes que sur le Réel. D’ailleurs, la déterritorialisation est l’un de leurs procédés stylistiques littéraires favoris des romanciers et dramaturges homosexuels. « La littérature du XXe siècle écrite par les homosexuels présente souvent le thème de l’exil, bien que ça ne soit que l’exil intérieur. » (Gregory Woods, Historia De La Literatura Gay (1998), p. 227) Par exemple, Alfred Jarry, lors de son discours prononcé à la première représentation d’Ubu Roi le 10 décembre 1896, affirmait que sa pièce se déroulait « en Pologne, c’est-à-dire Nulle Part ».

 

À l’heure actuelle, les promoteurs homosexuels du voyage, très nettement influencés par l’idéologie désincarnée et asexualisante de la Queer & Gender Theory nord-américaine, ne se réfèrent pas à des voyages réels : ils défendent plutôt des mouvements spatiaux artistiques, sensoriels, intellectuels proches des fantasmes violents anti-Réel : « Nous ne sommes pas instables, nous sommes mouvants. Aucune envie de s’ancrer, dérivons… » (Guy Hocquenghem dans la revue Recherches, mars 1973) ; « La vie est un voyage expérimental, effectué involontairement. » (l’écrivain Paul Bowles cité dans l’article « Apuntes Biográficos De Paul Bowles », sur le site www.islaternura.com); « Ma compagne, Sandrine, a 34 ans et elle ne veut plus attendre pour avoir un enfant. Moi, je n’envisageais pas vraiment d’être mère. Je décide alors de prendre ma caméra pour suivre ce parcours, notre parcours vers un enfant désiré mais aussi, pour moi, un chemin vers une maternité particulière qui ne m’a jamais semblé ‘naturelle’. Comment allons-nous faire ? Nos proches s’interrogent et nous aussi. Nous avons choisi l’insémination artificielle à l’étranger. Nous allons donc voyager, espérer et je vais profiter de ce temps pour trouver ma place de mère, car je vais devenir mère… sans porter notre enfant. » (Florence Mary, la réalisatrice du documentaire « Les Carpes remontent les fleuves avec courage et persévérance », 2012) ; etc.

 

Par exemple, dans son essai Théorie Queer et cultures populaires de Foucault à Cronenberg (2007), Teresa de Lauretis présente la pensée queer comme une idéologie du « déplacement » (p. 69), un « processus de déplacement » (idem, p. 19 et p. 88), une « traversée des frontières de la différence sexuelle » (idem, p. 91). En réalité, ce mouvement se dirige vers un « ailleurs » qui se trouve être plutôt un « nulle part » : « Le mouvement dont je parle est plutôt un mouvement qui part de l’espace représenté par/dans une représentation, par/dans un discours, par/dans un système sexe/genre et va vers un espace qui n’est pas représenté mais qui lui est implicite (invisible). » (idem, p. 92) Comme l’explique brillamment François Cusset dans son essai Queer Critics (2002), la Queer & Gender Theory, principalement portée par les membres bobos de la communauté homosexuelle, développe une conception floue, non-désirante, et donc non-libre, du voyage et de notre espace spacio-temporel réel : « Queer est plus généralement cet art même du déplacement, touristique ou zoophilique, stylistique ou corporel, l’art d’être où rien ne vous attend. » (p. 15)

 
 

d) Le nomadisme dans l’immobilité :

Au bout du compte, on découvre que le « puissant voyage » vanté par de nombreux sujets homosexuels se résume à une virée égocentrique (séduisante intellectuellement, ressemblant même à une masturbation) plutôt qu’altruiste, à un voyage de la pensée plutôt qu’à un voyage réel. Par exemple, pendant son concert Les Murmures du temps au théâtre parisien de L’île Saint-Louis Paul Rey en février 2011, le chanteur Stéphane Corbin dit avoir « un esprit voyageur ». Le désir homosexuel encourage l’individu qui s’y adonne à pratiquer le fameux « nomadisme dans l’immobilité » que prônent les farfelus Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur essai L’Anti-Œdipe (1972). D’ailleurs, dans son article « Deseo De Pie » (1986), le poète argentin Néstor Perlongher, fidèle disciple de Deleuze, se définit lui-même comme un « errant qui se désire sédentaire » (p. 108)

 

Le voyage homosexuel, bien qu’étant davantage un sur-place « tue l’ennui » qu’un élan de vie accomplissant, donne parfois aux personnes homosexuelles qui le chantent l’illusion temporaire de toute-puissance de l’éclatement narcissique : certaines versent même dans la carte postale et l’esthétisme cinématographique pour cristalliser leurs pulsions sexuelles éphémères en « voyage transportant » et romantique : « En 2004, j’ai entrepris un voyage inouï : j’ai décidé de passer du monde des hommes à celui des femmes. […] Une main invisible semblait abattre les uns après les autres les obstacles qui se trouvaient devant moi ; je n’étais pas sûre que cette main ne soit pas celle du démon. » (Patricia, femme lesbienne citée dans l’autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011) de Jean-Michel Dunand, p. 150) Par exemple, dans la biographie Copi (1990), Jorge Damonte affirme que son frère se définissait lui-même comme « voyageur et voyeur » (p. 81) : « Nos vies étaient des vies d’étrangers. Notre pays d’origine nous était interdit. Nous avons vécu des jeunesses nomades. » (p. 7) La conception du « voyage » défendue par la population interlope s’apparente donc au vagabondage sexuel de l’individu volage, à un prétexte excessivement poétisé pour une vulgaire partie de jambes en l’air ou pour l’exercice de la prostitution et de la drague : « À l’allure de ces contacts qui foisonnaient de partout, surgit ma rencontre avec un fils de riche monégasque qui m’initia aux joies du mannequinat et des voyages à l’étranger. Cette formule de voyages à l’étranger, appelée ‘Escort’ dans le milieu, n’était autre qu’un accompagnement auprès des hommes d’affaires dans leurs déplacements. Bien sûr, avec le sexe à l’appui ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 115) ; « Ces hommes, vautrés dans la culture, qui, à travers promenades et conversations érudites sur les pièces de théâtre, l’opéra, les musées ou les voyages, parlant le plus souvent deux à trois langues, vous font faire un marathon culturel en s’affirmant intellectuels et appartenant à une autre catégorie de gens. Entre eux et moi, l’argent s’imposait c’est vrai. Mais leurs convictions également. » (idem, p. 122) ; « Je n’avais pas beaucoup voyagé dans ma vie. Face à Karabiino, je me rendais compte que l’Humanité est une espèce qui m’était en grande partie inconnue. Ce garçon n’était pas comme moi. Ne pouvait pas avoir les mêmes origines que moi. Les mêmes racines. Impossible. Évidemment, je le savais, mais je ne pouvais pas m’empêcher de le remarquer, de me le répéter. Après tout, j’étais africain moi aussi, comme lui. Il avait l’air encore pur, encore frais, encore précieux, loin de la banalité des autres hommes. Ce garçon de 17 ans réinventait l’homme pour moi et révolutionnait du même coup l’idée que je me faisais de la grâce. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 72-73) ; etc.

 

À ce propos, j’ai remarqué que le voyage était un thème de prédilection de la grande majorité des communautaires homosexuels, une technique de drague facile et très courue chez les plus bobos d’entre eux… comme s’ils pensaient acheter notre cœur avec un simple billet d’avion. En général, quand un dragueur homosexuel nous dit qu’il aime les voyages, dans sa bouche, c’est comme s’il faisait une splendide déclaration d’amour, d’une sincérité et d’une originalité censées nous désarmer totalement. En plus, il nous avoue son amour des voyages avec un regard mielleux tellement sincère et cet air de ne pas y toucher si faussement pudique (genre « Je viens de te formuler un splendide ‘je t’aime’ en me définissant comme un féru des voyages : tu n’as pas vu ? ») qu’on se sent obligé soit d’éclater de rire, soit de fuir un peu ses yeux de crooner pour ne pas alimenter le feu de ce voyage qui ressemble à une mauvaise brochure publicitaire du Club Med.

 
 

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Code n°184 – Voyante extralucide (sous-code : Cartomancienne)

voyante

Voyante extralucide

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La voyante extralucide est le personnage chouchou de la communauté homo. Souvent, dans les fictions, le personnage homosexuel va la consulter, ou bien s’identifie à la cartomancienne qui lit les boules de cristal et le tarot. Le meilleur exemple à mes yeux, ce sont les clichés pris par Pierre et Gilles pour sublimer la comédienne Marie-France. La voyante peut prendre la figure la mère, mais elle est plus souvent l’actrice qui joue le rôle de la dangereuse Gitane par qui le scandale arrive, cette femme mystérieuse et étrangère qui trompe par amour parce qu’elle veut justement manipuler l’amour et le futur. La voyante, dans l’iconographie homosexuelle, est source de fantasme, et parle du désir homosexuel à voix basse. C’est pour cela qu’elle mérite d’être écoutée.

 

Marie-France par Pierre et Gilles

Marie-France par Pierre et Gilles


 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Carmen », « Magicien », « Regard féminin », « Se prendre pour Dieu », « Mère gay friendly », « Reine », « Attraction pour la ‘foi’ », « Fresques historiques », « Mort = Épouse », « Femme fellinienne géante et pantin », « Amant diabolique », « Destruction des femmes », à la partie « Amour sorcier » du code « Liaisons dangereuses » et à la partie « Carte » du code « Inversion », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel va consulter une voyante, ou bien s’y identifie :

Marnie dans la série True Blood

Marnie dans la série True Blood


 

On retrouve la voyante dans le film « Jeepers Creepers » (2001) de Victor Salva (avec la voyante noire), la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le roman Le Visionnaire (1934) de Julien Green, le roman Un Salon blanc et vieil or (2003) de Catherine Bourassin, le film « Hammam » (1996) de Ferzan Ozpetek (avec la voyante qui lit l’avenir dans le marc de café), le film « Tiresia » (2002) de Bertrand Bonello, le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin (la mère du héros gay Dominique a ses dons de voyance), la chanson « Noche de Tarot » de Marta Sánchez, la chanson « ExtraTerrestre » (2011) d’Arielle Dombasle en duo avec Philippe Katerine (où Dombasle dit qu’elle « est extralucide »), le film « Elena » (2010) de Nicole Conn (où Tyler Montague est le voyant, l’entremetteur entre Elena et Peyton), le film « Los Amantes Pasajeros » (« Les Amants passagers », 2013) de Pedro Almodóvar (avec la voyante provinciale), le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli (avec Félicité, la cartomancienne à barbe, appelée aussi « Nounou » ou encore « la Barbue »), etc. Par exemple, dans le téléfilm Under the Christmas Tree (Noël, toi et moi, 2021) de Lisa Rose Snow, les deux amantes lesbiennes Charlotte et Alma se rendent à une fête de Noël démoniaque où l’une est déguisée en démon et l’autre en ange, et toutes deux se rendent ensemble voir une cartomancienne qui leur tire les cartes et leur annonce un couple durable.

 

Florence Lee

Florence Lee


 

La voyante sert parfois de substitut au médecin… ou à Dieu. « C’est une voyante ! Elle a une boule de cristal sur une petite table ronde, un hibou empaillé sur une perche. » (le narrateur homosexuel à propos de Delphine Audieu dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 80) ; « Vous êtes psychiatre ou voyante ? » (le père d’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc. Dans le film « L’Homme que j’aime » (1997) de Stéphane Giusti, par exemple, lors d’une discussion à Act-Up Marseille, Martin, à qui un autre militant demande depuis combien de temps il n’a plus fait de bilan médical, répond : « Je préfère aller voir une voyante. » Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle, la sœur de William (le héros homosexuel), lit dans les tarots et fait appel à la voyance. « On va voir ce que disent les cartes… […] La nuit entre deux rondes, j’interroge les arcades du futur. » Voyant que ses prédictions se révèlent justes, Georges, l’amant de William, lui propose de se professionnaliser : « Vous n’en ferez jamais un métier, de la voyance ? »

 

Il n’est pas rare que certains personnages homosexuels se prennent eux-mêmes pour une voyante (c’est une manière pour eux de se croire irrésistibles)… même s’ils tournent de temps en temps leur orgueil mégalomaniaque en dérision. « Tu sais que je suis un peu voyante à mes heures. Je tire toujours les cartes. » (Jean-Luc, un des personnages homos de la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « L’horoscope, ça ne peut être que moi. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Joséphine est un peu voyante. » (Jerry, travesti en Daphnée, s’adressant à Alouette à propos de Joe travesti en Joséphine, dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder) ; « Je ne suis pas voyante mais vous ne rentrerez pas seul ce soir… » (Fripounet, le serveur efféminé de la boîte gay Chez Eva, draguant lourdement le héros hétéro Alexandre, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc. Dans la pièce Une heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat, Claire, qui a des visions, dit en blaguant : « Je ne suis pas du tout voyante. »

 

Quand cette voyante est homosexualisée et jouée par un homme, elle figure en général l’amant diabolique, séduisant et ensorceleur, qui envoûte le héros gay (cf. je vous renvoie à la partie « Amour sorcier » du code « Liaisons dangereuses » et au code « Amant diabolique » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Vous aimeriez savoir quelque chose sur votre avenir ? » (un devin, marchand d’encens, s’adressant à son futur « plan cul » Paul, dans le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari) ;

 

La voyante fictionnelle est souvent considérée comme une mère – spirituelle ou de sang – par le héros homosexuel, voire une prostituée : « Le don de la clairvoyance de votre mère est célèbre aux quatre coins du globe ! » (Monsieur Charlie s’adressant à Audric, dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Maman était une extralucide de première ! » (Audric, idem, p. 17) ; « Tu ne savais pas que je sais lire dans les tarots. » (la prostituée « Quarante » dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; etc. Le personnage gay serait l’héritier direct de la puissance du devin extralucide asexué. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Noémie joue la cartomancienne : l’âme de la mère de Kévin (le héros homosexuel) s’incorpore en elle et ce dernier se jette alors sur Noémie en hurlant « Maman !!! ». Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, par exemple, Chance, le héros homosexuel, associe sa mère décédée à une voyante. Et quand il rencontre le drag queen « Claire Voyante », celui-ci défend mordicus son titre de médium (« Voyante, je le suis. »), et somme le jeune homme, comme lors d’un lavage de cerveau, de croire en la « réalité » de ses dons paranormaux, de l’homosexualité, et de l’inversion de sexe : « Et n’oublie pas, Chance. C’est une illusion dont tu dois convaincre tout le monde. À commencer par toi-même. » Mais, au grand dam du personnage homo, sa voyante adorée est souvent une mère démissionnaire et distante, qui finit par trahir. « D’une autre voix qui rit, je l’entends dire : ‘Je ne suis pas ta mère. Je suis Hadda. Bientôt voyante. Bientôt sorcière. Je ne suis pas ta mère. » (Omar parlant de sa « mère » dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 146) ; « Je suis Hadda. Un peu sorcière. Un peu voyante. Malgré moi. » (Idem, p. 189) ; etc.

 

Film "Ghost" de Jerry Zucker

Film « Ghost » de de Jerry Zucker


 

Généralement, la voyante est un oiseau de mauvais augure. Par exemple, dans le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally, la gitane rencontrée par le couple de lesbiennes leur pronostique une vie courte. Dans le roman Boquitas Pintadas (Le Plus beau tango du monde, 1972) de Manuel Puig, Juan Carlos va consulter une voyante et celle-ci lui annonce de grands malheurs en amour. La voyante cinématographique des homosexuels fictionnels prédit souvent de terribles catastrophes, des ruptures, des changements soudains, un destin maudit, un succès fulgurant. Elle impose une vie où la liberté n’a plus sa place. Et comme beaucoup de personnages homosexuels rêvent d’un destin d’Iphigénie, se prennent pour des êtres maudits par l’Amour, vivent à l’affût des coups de foudre et des situations où l’instant prédomine, fait sa loi, et prive de désir, ils l’écoutent comme un prophète.

 

b) La femme-objet idéale du personnage homosexuel est une cartomancienne (souvent lesbienne/transsexuelle) :

 

Concernant la cartomancienne, je vous renvoie au film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, au film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, à la chanson « Mon Rêve » de Christine Bonnard (la femme en jaune) de la comédie musicale Non, je ne danse pas ! (2010) de Lydie Agaesse, au film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan (avec Diane, la mère), à la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet (avec Madame Mime et la Reine de Cœur jouant aux cartes ensemble), au film « Le Testament d’Orphée » (1959) de Jean Cocteau, au film « Ce que je sais d’elle… d’un simple regard » (2000) de Rodrigo Garcia (avec la cartomancienne Lilly), au téléfilm « Marie Besnard, l’empoisonneuse » (2006) de Christian Faure (avec Madame Beaujean), à la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron (avec Madame Lefontaine), le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (la mère d’Henri joue au cartes toute seule), etc. Dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, la mère de Dominique excelle dans l’art du tarot. Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (précédemment citée) de Christophe et Stéphane Botti, Audric croit au pouvoir des cartomanciennes. Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, « Rayon », le transsexuel M to F habillée en femme avec son fichu, propose à Ron de jouer aux cartes dans leur chambre d’hôpital. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Grace, la mère toxique de John le héros homosexuel, joue aux cartes. Dans la pièce L’Argent de la Vieille (2024) de Rodolfo Sonego, Amanda Lear campe le rôle d’une comtesse odieuse qui adore soumettre les gens à son pouvoir de joueuse virtuose de belote. Elle est souvent habillée en violet et dit que « les cartes ne mentent jamais ».

 

Le lien entre homosexualité et voyance est relativement présent dans les fictions traitant du désir homosexuel aussi parce que la voyante est le symbole de la féminité mystérieuse, inaccessible, toute-puissante, dangereuse (il y a de la misogynie dans l’adoration homosexuelle pour la voyante). Beaucoup de personnages gays et lesbiens s’identifient à cette gitane un peu macho, qui domine en amour, qui représente le summum de la séduction. Dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, par exemple, Kévin, le personnage homosexuel, tire les cartes à Pierre pour le draguer. Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, Mechita tire aussi les cartes à Venceslao. La cartomancienne est généralement la meneuse d’hommes, celle qui les manipule : je pense notamment au sublime personnage de peste d’Isabelle dans le film « Maverick » (1994) de Richard Donner (personnage joué par l’actrice lesbienne Jodie Foster, comme par hasard…) qui se conduit comme un cow-boy et fait tourner les hommes en bourrique ; on peut se remémorer également la Mylène Farmer androgyne qui joue aux cartes dans le salon de précieuses du clip « Libertine » ; on mentionnera par ailleurs le duo lesbien Chanel/Pierrette dans le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (ces deux femmes se retrouvent pour jouer aux cartes ensemble dans leur chambre).

 

Film "Maverick" de Richard Donner

Film « Maverick » de Richard Donner (Jodie Foster, icône lesbienne)


 

C’est pour cela que le héros homosexuel cherche parfois à l’assassiner : cf. le film « Curse Of The Queerwolf » (1988) de Mark Pirro, le roman Le Bal des folles (1977) de Copi (avec l’assassinat gore de Delphine Audieu), le film « The Cost Of Love » (2010) de Carl Medland (avec le travesti M to F déguisé en voyante et frappé), etc. « Ayez pitié d’une pauvre femme par-dessus vieille ! J’allume la boule. Vous la voyez votre petite Delphine pendue ? Monsieur, me dit-elle, je me sens mal. Mes sels ! Je la gifle. Je l’attrape par les cheveux, lui cogne le front contre la boule de cristal, elle râle, elle s’affaisse sur sa chaise, elle a une grosse boule bleue sur le front, un filet de sang coule de son oreille. En bas on entend le bruit régulier de la caisse, je regarde par la fenêtre, le boulevard Magenta est toujours le même. La vieille continue de râler, je l’étrangle, elle meurt assise. Je me recoiffe de mon peigne de poche, j’enfile mon imperméable. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 89)

 

La voyante est l’allégorie de la féminité fatale : celle qui subit le viol à distance, par personne interposée. « Oh mon Dieu ! Je vois une chose terrible !! oh mon Dieu… terrible malheur ! ». Elle s’évanouit, subit les souffrances du monde à distance. C’est une déesse violée, un pantin qui semble prêter son corps et son esprit à la vie des autres, qui n’existe pas pour elle-même. C’est un fétiche. Il n’y a qu’à voir tous les objets et les bijoux scintillants qui l’entourent pour le comprendre. Un déguisement de transgenre à elle toute seule !

 

Film "Reflets dans un oeil d'or" de John Huston

Film « Reflets dans un oeil d’or » de John Huston


 

Enfin, la voyante touche aussi le public homosexuel car elle l’introduit dans l’univers des fantômes, de l’invisible, de l’Homme invisible, et donc de l’androgyne. D’ailleurs, cette femme n’est pas réellement une femme : elle est plutôt figure d’inversion (transidentitaire). Le fait qu’elle soit très souvent cartomancienne dans les œuvres homos le prouvent : la voyante fait de la carte un miroir d’elle-même, une invertie en quelque sorte. Et puis, dans les œuvres homosexuelles, la voyante est souvent lesbienne/transsexuelle. On la voit généralement habillée en violet ou en mauve (la couleur du lesbianisme ou de la bisexualité) : cf. le film « Good Morning England » (2009) de Richard Curtis (avec la lesbienne mauve), la pièce Hors-Piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt (avec Francis, le héros homosexuel habillé en violet), le film « Potiche » (2010) de François Ozon (avec Suzanne, la femme en violet), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Léonor la lesbienne en violet), le film « Bettlejuice » (1988) de Tim Burton (avec le violet associé au lesbianisme), etc. « Comme à cette heure il fait encore un peu froid dans le petit salon, elle [Gabrielle] jette un châle mauve de velours chenille sur ses genoux. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 98) ; « Mamie, à la scholle, elle porte sa robe à dentelles violette. » (Laurent Spielvogel imitant dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc. Je pense à Élie Kakou jouant la voyante dans ses sketchs (avec son voile en tricot violet de Mme Sarfati) ; à la tante de Sonia (habillée de mauve) dans le film « Días De Boda » (2002) de Juan Pinzás ; à Elisabeth Taylor en Leonora (tout de violet vêtue) jouant au black-jack dans le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Secundo voit les yeux fermés « une femme habillée en mauve porte une robe avec des petits fleurs ». Même le personnage de Laurette surnommée « Miss Tarot » dans le film « Camping 2 » (2010) est habillée en violet (et Dieu sait s’il y a des références homo-érotiques dans les films de Fabien Onteniente !). Et pour finir, dans le récent Disney « La Princesse et la grenouille » (2009), je trouve le Dr Facilier, (celui qui joue le rôle du méchant marabout, et qui est d’ailleurs habillé en violet) particulièrement efféminé. La voyante se prend pour un homme : ce n’est pas un hasard si très souvent, les voyantes se font appeler « Madame Soleil ». (symboliquement, le soleil, contrairement à la lune, est figure de paternité)… Ce n’est pas non plus anodin que, dans le dessin animé de Disney « Robin des Bois » la scène de la voyance (où le Prince Jean se ridiculise une énième fois) soit aussi le seul moment où Robin des Bois se travestisse et joue la femme castratrice. Il y a un lien fort entre l’homosexualité et la voyante. Elle est la jumelle narcissique, l’autre moitié androgynique et cérébrale du héros homosexuel. Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Jolie lit dans les pensées de Silvano : « Elle le gifla. Il en resta bouche bée. Qu’est-ce que tu es en train de penser de moi, salaud ? demanda-t-elle. » (p. 91). Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Mike, le héros homosexuel, traite ironiquement de « voyante » sa meilleure amie lesbienne Polly : « Mademoiselle Polly Martin la voyante » (p. 119).

 

Le Dr Facilier dans "La Princesse et la Grenouille" de Walt Disney

Le Dr Facilier dans « La Princesse et la Grenouille » de Walt Disney


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Didier

 

Certaines personnes homosexuelles se sont exercées à la voyance et à l’astrologie (Didier Derlich, Aleister Crowley, Max Jacob, Alain Joseph Bellet, etc.). Il est à ce titre amusant de taper sur les moteurs de recherche Internet l’association de mots « voyance et homosexualité » pour découvrir combien le milieu de la voyance a trouvé son public homosexuel !

 

VOYANCE En secret

 

Les sites de médiums spécialisés dans la gestion des amours homosexuelles fleurissent ! D’ailleurs, il faut voir, dans les dialogues de chat des sites de rencontres homos, l’importance que prend la mention du signe zodiacal dans les questions posées… Et les astrologues, dont le fantasme et la peur (notamment par rapport à la sexualité) sont le fond de commerce, ont tendance à alimenter la croyance en l’identité homosexuelle et à la pratique homosexuelle.

 

VOYANTE Maghreb

 

Pour ce qui est des cas connus de rapprochements entre la communauté homosexuelle et les voyants, on sait que Truman Capote, durant son enfance à la Nouvelle-Orléans, est fasciné par Madame Fergunson, une voyante extralucide. La grand-mère de Reinaldo Arenas, Brigida, était voyante, et l’a fortement influencé. En France, le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, homosexuel, a une soeur, Aïcha, qui est voyante (elle se fait appeler « Madame Aessa »). Quand le chanteur Mika parle de sa grand-mère, il la décrit comme une charmeuse et une ensorceleuse qui arrive toujours à ses fins. Dans l’autobiographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias, il est question de Dolly, une cartomancienne. Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, on voit apparaître la figure de la voyante. Jean-Luc Lagarce dans son Journal dit qu’il va consulter une voyante cartomancienne. Paula Dumont, dans sa biographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), décrit les démêlés qu’elle a eus avec une voyante extralucide. Quant à Jean-Claude Brialy, dans son autobiographie Le Ruisseau des singes (2000), il illustre très bien ce lien entre désir homo et voyante : « Un jour, j’osai frapper à sa porte et lui demandai de me dire l’avenir. Elle posa son regard de danseuse orientale sur moi, sa main longue et blanche sur les tarots, et me prédit une carrière artistique et une réussite sans problème. » (p. 34) La voyante dont Abdellah Taïa parle dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) semble immatérielle, irréelle : « Elle était petite de taille, sans âge et portait des habits noirs. Elle était sans doute une mendiante et elle avait hérité d’un certain pouvoir. Elle savait faire. Elle savait toucher. […] Elle était entrée en moi, dans mon esprit, mon âme lui appartenait, elle la regardait avec douceur, avec brutalité. […] Et enfin, de sa main droite, elle a bouché mes narines. Plus d’air. Le grand sommeil. Le noir paisible. […] La dame en noir a lâché mon nez et de sa bouche a soufflé sur moi. » (pp. 93-94)

 

B.D. les 7 Boules de cristal de Hergé

B.D. Les 7 Boules de cristal de Hergé


 

Personnellement, je ne suis jamais allé voir une voyante (c’est ma religion qui ne me le conseille pas ;-))… preuve que ce que je dis sur les voyantes vis à vis des personnes homosexuelles est à prendre avec des pincettes, prioritairement dans son sens fantasmatique et non littéral (même si, dans mon entourage amical homosexuel, un certain nombre de personnes vont voir des voyantes, ou s’exercent à l’astrologie et au spiritisme, c’est un fait réel que j’ai l’occasion d’observer vraiment).

 

Ma toute première B.D. (avec le personnage de Rufus)

Ma toute première B.D. (avec le personnage de Rufus ; et la voyante à droite)


 

En revanche, quand j’avais 8 ans, j’ai dessiné une B.D. qui s’inspirait énormément des Cigares du Pharaon d’Hergé. Et il y avait dans mon histoire un personnage – dont le nom ne me revient pas – qui était quasiment plus important que le personnage masculin que j’avais initialement choisi pour héros, et qui ressemblait d’ailleurs à un bulldog : c’était la voyante extralucide. Je l’avais dessinée spontanément avec une toge mauve. À l’époque, j’avais été aussi très impressionné par le personnage de Mme Yamilah (habillée elle aussi en mauve) dans l’album de Tintin Les Sept Boules de Cristal : elle incarnait pour moi un fantasme identificatoire puissant. J’adorais la scène du music-hall où cette femme étrangère vit le viol à distance, annonce de manière esthétiquement belle un grand cataclysme en provoquant un scandale pas possible dans le théâtre. Oui, dans mon univers fantasmatique, j’ai aussi eu une aventure avec celle qui prédit la Bonne Aventure.

 

 

Pour finir ce chapitre, je proposerai bien une lecture sociale plus large pour expliquer ce curieux attrait des personnes homosexuelles pour ce cliché de la voyante. Il me semble en effet assez symptomatique que dans nos sociétés de plus en plus maternantes et féminisantes, cherchant à mettre à plat les limites du Réel ainsi que les règles de la Loi symbolique du Père, on fasse de plus en plus fait la louange des voyantes et de l’Intuition féminine en général. Ce mythe contemporain misandre de l’exceptionnelle « Intuition des femmes » est la nouvelle trouvaille des hommes et des femmes féministes. Il repose sur la croyance en un pouvoir particulier que possèderaient uniquement les femmes, les mères, et ceux qui, comme les personnes homosexuelles, auraient depuis la naissance une sensibilité « féminine », une finesse de perception, une acuité spéciale, pour déceler la Vérité, lire dans les âmes, avoir des rêves prémonitoires, comprendre avant tout le monde ce qui se passe au cœur de l’Homme (normal : elles ont fait des études en « psycho » et elles ont naturellement un « cœur de mère »…) Et je peux vous dire que beaucoup de personnes homosexuelles y croient, à cette blague ! « Mon fils était un héros. Moi, je le savais. Il est des dispositions que seule une mère perçoit. » (la psychiatre dans le roman, Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 220) ; « Quand il y a de l’amour, on peut tout comprendre. » (la mère de Paulo dans le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron) ; « On a sept vies quand on est une femme. » (cf. la chanson « Sept vies » de Tina Arena) ; « Las mujeres somos las de la intuición. » (cf. la chanson « Las De La Intuición » de Shakira) ; « C’est fou, les mères, on a un sixième sens ! » (Grany dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte) ; « Je dois avoir un sixième sens, comme maman ! » (le héros de la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Déjà que nous piquez tous les beaux mecs, laissez-moi au moins notre intuition. » (Alice dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) Dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau, Maya la lesbienne défend « l’intuition féminine ». Je vous renvoie également à la série française Clara Sheller de Renaud Bertrand (surtout l’épisode 2 de la première saison, en 2005, intitulé « Intuition féminine »). En me baladant au SIGL (Salon International Gay, Lesbien & friendly) organisé au Carrousel du Louvre de Paris, le 3 novembre 2007, je me suis rendu au stand de l’association des « parents d’homos », Contact, pour y croiser une femme que je connais assez bien, Christiane, puisqu’on la voit dans presque tous les plateaux-télé dès qu’il faut qu’une mère-courage témoigne du coming out de son fils. Amusé, je l’entendais jouer inconsciemment la féministe gay friendly : « Ce que femme veut… [Dieu le veut !] » Je n’ai rien dit. Je me disais juste en moi-même qu’à travers la bataille pour la reconnaissance de l’identité homosexuelle, certaines personnes (surtout des mères) en profitent bien pour prendre leur vengeance sur les hommes et s’annoncer en grandes prêtresses extralucides de la « tolérance » et de la « compréhension maternelle symbiotique ».

 
 

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Code n°185 – Voyeur vu

voyeur vu

Voyeur vu

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

Le voyeur vu… ou l’homophobie du désir homosexuel

 

Le désir homosexuel, au niveau de la sexualité, rejette la différence des sexes dès qu’il se pratique. Il expose donc la personne qui s’y adonne à vivre les illusions d’optique du narcissisme, le traumatisme des mirages de l’identité excessivement projetée ou de l’amour projeté hors de la sphère de conscience et de corporéité humaines. Elle devient son propre espion, son propre ennemi, son homophobe.

 

VOYEUR VU Antifas

 

Autrement dit, cette personne qui rejette chez elle et chez les autres la différence des sexes a tendance à plonger dans le nombrilisme à la fois extraverti et intériorisé, dans la paranoïa et l’exhibitionnisme. Elle a du mal à trouver une juste distance avec elle-même et avec les autres. La peur et la haine de soi jaillissent souvent en voyeurisme inconscient qui se laisse piéger lui-même par son propre jeu. C’est le propre de la psychose : « Dans une psychose, les transformations ‘en contraire’ sont très fréquentes, le désir de battre devient envie d’être battu, le désir de dévorer devient la peur d’être dévoré, le plaisir de regarder du schizophrène se transforme en peur d’être épié (c’est la direction de la pulsion qui est transformée et aucunement la représentation de l’objet). L’exhibitionnisme lui-même peut nous proposer une solution acceptable, car il y a sans doute dans le travesti l’identification avec l’objet qu’on aimerait regarder, satisfaisant ainsi d’une façon narcissique un voyeurisme ‘retourné’. » (Docteur Hans Werner, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 306)

 

C’est la raison pour laquelle, dans les fictions homo-érotiques, beaucoup de héros homosexuels vivent un violent retour de boomerang à cause de leur indiscrétion et de leur peur d’exister. Ils sont à la fois voyeur et voyant. Le voyeurisme est une activité qui dit un mal-être ou un effondrement identitaire caché (quand on est mal dans sa peau, on s’image que tout le monde est témoin de notre humiliation ! que tout le monde nous regarde), ou bien le fait qu’on désire être violé ou revivre un viol (oculaire ou physique) qu’on a réellement vécu.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Miroir », « Espion homo », « Poids des mots et des regards », « Regard féminin », « Lunettes d’or », « Homosexuel homophobe », « Amant modèle photographique », « Témoin silencieux d’un crime », « Main coupée », « Doubles schizophréniques », « Photographe », « Femme au balcon », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Passion pour les catastrophes », à la partie « Photo chiffonnée » du code « Actrice-Traîtresse », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Espionné :

VOYEUR VU Stores

 

Beaucoup de personnages homosexuels des fictions se sentent espionnés quand ils espionnent (cf. je vous renvoie au code capital « Poids des mots et des regards » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « J’arrive escorté de mouches. Je les reconnais : des mouches soviétiques espionnes. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Un Russe, messager de l’Enfer. » (idem) ; « Arrivé à cette page, il s’aperçut qu’il y avait quelqu’un qui le regardait. » (Copi, Un Livre blanc (2002), pp. 60-63)

 

VOYEUR VU Livre Blanc

Album « Le Livre blanc » de Copi


 

C’est parfois à raison, car on les observe vraiment. « Lâche-moi un peu. Arrête de m’espionner. » (Paul s’adressant à son amant Erik dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs) ; « Antoine éteignit la lumière, puis tenta de faire une mise au point sur la fenêtre d’en face. […] Il lâcha les jumelles. Il les ramassa et regarda de nouveau. Dans une pièce aux murs couverts de masques africains, Martine Van Decker, immobile, murmurait d’interminables borborygmes en l’observant. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 248. Dernière phrase du roman) ; « Je te rappelle qu’il y a un judas. Je te regarde depuis toute à l’heure. » (le compagnon s’adressant à Jérémy, surpris d’être observé, dans le one-man-show Bon à marier (2015) de Jérémy Lorca) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Gabriel, le héros gay, est espionné par sa mère, qui fouille dans son ordinateur portable. Dans le film « Zenne Dancer » (2012) de Caner Alper et Mehmet Binay, la famille d’Ahmet, très conservatrice, n’admet pas son homosexualité et engage un homme pour l’espionner.

 

Film "Vampire Diary" de Mark James & Phil O'Shea

Film « Vampire Diary » de Mark James & Phil O’Shea


 

Chez le héros, cette sensation d’être espionné est à la fois un sursaut de sa conscience et un sentiment infondé qui montre une schizophrénie narcissique ou une paranoïa. « Moi, j’aimerais beaucoup qu’il y ait des messieurs qui me suivent toute la journée. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) Par exemple, dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, le narrateur est espionné par sa mère Félicité, et lui rend la pareille : « Mais souvent aussi c’était son tour d’être épiée. » (p. 28) Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, réclame toute l’attention à lui tout seul : « Personne ne me regarde ! » Dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le « vous » narrateur agit comme une auto-hypnose. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Leopold croit qu’il a tué un de ses clients parce qu’il l’a poussé au suicide : « Franz, j’ai tué quelqu’un, un de mes clients s’est tué la cervelle. […] Je me sens comme si j’étais quelqu’un d’autre et que j’observais tout ce que je faisais […] comme si tout le monde savait que j’avais tué quelqu’un. » Dans le film « Dans le village » (2009) de Patricia Godal, la protagoniste vit avec « cette impression bizarre d’être observée ». Le voyeur vu est l’un des signes de la schizophrénie, c’est-à-dire un mélange entre voyeurisme et paranoïa. Le héros homosexuel, s’étant confondu avec son reflet dans le miroir ou bien avec l’objet de ses désirs, se croit espionné, et hurle donc à l’usurpation d’identité.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Au départ, le personnage homo faisait « son intéressante » en rentrant dans un rôle d’espionne espionnée, bref, en jouant « sa grande folle perdue » en danger ET dangereuse : « J’avais toujours le sentiment d’être épié. Pas par les autres. Par moi-même ! » (Jim, l’un des héros homosexuels, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Il est toujours sur le trottoir, il ne quitte pas les yeux de ma fenêtre et à chaque fois que j’écarte le rideau il me sourit. Je vais tout de même essayer de le larguer, je descends dans le hall de l’hôtel rasé de près et avec des lunettes noires, habillé d’un blouson en patchwork de satin que j’ai gardé depuis six ans, par hasard dans ma valise, je me suis coiffé bien en arrière avec les cheveux bien collés au crâne. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 107) ; « Il y a un espion dans la maison. […] C’est Laure la traîtresse. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, 130) ; « Oh l’espion ! J’étais surveillé, photographié, sans m’en apercevoir ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 115) ; « Je suis absolument bouleversée, il vient de m’arriver une chose atroce ! Je me suis fait violer par mon chauffeur, c’est le mari de ma gouvernante, ce sont des gens terrifiants, elle s’habille en gitane pour me faire honte lors de mes réceptions. Elle surveille tous mes gestes, je l’ai surprise à me photographier dans ma baignoire ! Et son mari est un colosse qui m’a violée à deux reprises ! » (« L. », le héros transgenre M to F s’adressant à Hugh dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Goliatha, le rat me regarde ! J’ai peur ! » (« L. » parlant à sa bonne, idem) ; « Vous avez vu ? Elle m’espionne ! » (la mère dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Elle me regardait avec des jumelles. » (le narrateur homosexuel parlant de son amant le Rouquin, dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 110) ; « Depuis trop longtemps j’ai toujours refusé qu’on me photographie. » (Vincent Garbo, le héros homosexuel pourtant narcissique à souhait, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 60) ; etc.

 

Dessin de Roger Payne

Dessin de Roger Payne


 

Le fait d’être vu en train d’espionner semble être source d’excitation sexuelle chez certains protagonistes homos. Une satisfaction donjuanesque. Par exemple, dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le voisin de cabine de douche du héros l’autorise à le regarder se masturber : « Tu peux regarder si tu veux… » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, découvre que son voisin de l’immeuble en face du sien, à San Francisco, l’espionne en cachette. Non seulement il ne résiste pas à cette intrusion oculaire, mais il l’entretient : il se désape et s’offre cul nu à lui. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance observe son futur copain – et voisin – Levi par la fenêtre, d’un immeuble à un autre, ou plutôt d’une maison à une autre, et Levi finit par voir qu’il est observé. Dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, la narratrice lesbienne, espionne et prend plaisir à être épiée. Elle décrit d’ailleurs cette même jouissance puérile chez toutes ses partenaires sexuelles : « Tout à ce qu’elles disaient, elles ne remarquèrent pas que je les observais. […] Elles refermèrent soigneusement la porte de côté derrière elles. J’avançai vers la vieille porte et cherchai un trou qui me permettrait de voir. Je les essayai tous. » (pp. 46-47) ; « Je ressens en sa compagnie des sensations qui me plaisent beaucoup. Elle m’habille, me déshabille, et je peux à loisir me montrer dans le plus simple appareil. Ce que j’aime le plus en ce moment, c’est de me présenter vêtue seulement en haut. Je me promène ainsi assez longtemps devant elle, feignant de chercher dans mes armoires des vêtements ou des objets dont, on s’en doute, je n’ai nul doute. Je l’observe du coin de l’œil pour voir si elle s’intéresse à moi et si mon manège éveille en elle quelque chose. D’abord, ses yeux se baissent à la vue de ma nudité, puis elle se met à regarder. À cet instant, bien qu’elle ne me touche pas, j’éprouve une sorte de plaisir. » (idem, p. 95) ; « J’aimais qu’elle me scrute ainsi. » (Alexandra parlant de sa bonne/amante, op. cit., p. 122) ; « À travers le miroir, on voyait bien la chambre et le lit. Au bout d’un moment, on vit la bonne entrer. Elle se mit à se déshabiller, puis, s’allongeant sur le lit langoureusement, bien en face de nous, se caressa tour à tour le bout des seins et le plus sensible. Je sentais que Marie était tétanisée par la peur que cela ne me déplaise. Dans un effort d’audace, pourtant, elle me prit par la taille. De l’autre côté du miroir, la bonne, se sachant observée, les cuisses bien écartées, faisait avec ses doigts des mouvements qui laissaient voir toute la profondeur de son intimité. Malgré l’état de peu de réceptivité dans lequel j’étais, j’en fus vite troublée. Ses poses étaient terriblement provocantes, et bientôt je sentis monter en moi une envie féroce de me satisfaire. Marie, dans le noir où nous étions, avait beaucoup plus d’assurance et me caressait presque. » (idem, p. 152) ; etc. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, l’un des plans cul de Erik, nommé Russ, aime que ses voisins de l’immeuble d’en face puissent le surprendre en train de niquer : « J’aime m’exhiber. » dit-il. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, lorsque Pascal, le héros homosexuel, fait l’amour avec un homme dans les fourrés, il n’est pas du tout molesté par un voyeur qui leur demande la permission de les mater (« Je peux pas rester ? ») pour se masturber et jouir du spectacle. Le partenaire de Pascal, halluciné, ne comprend d’ailleurs pas pourquoi Pascal se complait à ce type de viol visuel d’intimité (« Ça te gêne pas qu’on te regarde ??? »). Dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David et Philibert, au début du spectacle, sont observés par les voisins de l’immeuble d’en face ; et à la fin de la pièce, ils parodient des spectateurs qui les regardent comme des statues du Musée Grévin. Dans le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, l’héroïne observe par le trou de son mur sa voisine noire dans sa salle de bain ; la première fois que celle-ci se sait espionnée, elle hurle d’effroi. Mais au fur et à mesure que le voyeurisme se répète, la voisine se laisse faire avec complaisance et consentement lesbien. Dans le film « Shortbus » (2006) de John Cameron Mitchell, la scène finale montre que les deux amants homosexuels (Jamie et Jamie) se regardent l’un l’autre à la fenêtre dans des immeubles qui se font face, sans s’y attendre, et surtout sans parvenir à communiquer et à s’aimer vraiment. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, le couple Julien/Yoann est filmé en « sextape » par la belle-mère de Julien, Solange. Plein de photos ont été prises pour exercer un chantage. Ça n’a pas l’air de déplaire à Yoann, tout excité d’avoir été capté dans ses ébats intimes : « Elle nous a pris en photo !! » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Meri, le prostitué transsexuel M to F, dit qu’il « aime regarder ses clients dans les yeux pendant qu’il les excite » Dans les dessins érotiques de Roger Payne, très souvent le voyeur est aperçu par celui qui est maté en cachette.

 

Roger Payne (le voyeur vu dans le miroir par celui qui  jouissait de lui-même devant sa glace)

Roger Payne (le voyeur vu dans le miroir par celui qui jouissait précisément de lui-même devant sa glace)


 

Comme pour illustrer inconsciemment cette fusion entre le spectateur et l’acteur, certains couples homosexuels se filment pendant leur coït sexuel : cf. les films « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) et « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, « Saturn’s Return » (2000) de Wenona Byrne, le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, etc. « Sur un site de rencontre je discute avec P.-O. Je lui explique que je cherche un garçon qui accepterait que je filme notre rencontre. Il écrit qu’il accepterait. Je garde ma caméra numérique au poing. » (Mike, le narrateur homosexuel dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 56) ; « Ahh, qu’est-ce que ça rend sûr de soi de tenir une caméra, hein ? Et si moi je la prenais et que je te filmais ? » (P.-O. s’adressant à son Mike, op. cit., p. 57) ; « Je décide qu’on baisera là, pour le clignotement rouge sur nos peaux, sur la sienne surtout. Je tiens la caméra à bout de bras pour avoir un grand angle sur nous. » (Mike, op. cit., p. 57) ; etc.

 

Angela dans le film "Tesis" d'Alejandro Amenabar

Angela prise à son propre jeu, dans le film « Tesis » d’Alejandro Amenabar


 
 

b) L’arroseur arrosé :

Après avoir espionné, le voyeur finit par être observé à son tour, comme l’arroseur arrosé : cf. le film « La Fenêtre d’en face » (2002) de Ferzan Oztepek, le film « Robe d’été » (1996) de François Ozon (avec le personnage de Luc), la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron, la chanson « Vis-à-vis » d’Étienne Daho, le roman Detrás Del Rostro Que Nos Mira (1967) d’Héctor Biancotti, la chanson « Who’s Zoomin’ Who » d’Aretha Franklin, le film « Les Résultats du Bac » (1999) de Pascal Alex Vincent, le film « Feux croisés » (1947) d’Edward Dmytryck, le film « Les cinq sens » (1999) de Jeremy Podeswa, le film « Hubo Un Tiempo En Que Los Sueños Dieron Paso A Largas Noches De Insomnio » (1998) de Julián Hernández, le film « Watching You » (2000) de Stephanie Abramovich, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, le film « Le Troisième Œil » (1989) d’André Almuro, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, etc. Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, le concept de l’émission Stars chez eux dirigée par Graziella, la présentatrice télé psychopathe, c’est, « », de « piéger les stars qui croient piéger leur public ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, rentre de force dans une boîte échangiste et tombe sur une femme qui se fait pénétrer par des hommes, et qui l’oblige à prendre part à la sauterie : « Viens participer au lieu de regarder ! » Il finit par rentrer dans le jeu.

 

« J’ai lâché prise mon Dieu, ça vous étonne ? Prise à mon propre piège » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 105) ; « J’aime les scandales quand ils concernent les autres. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Pour la première fois une voyeuse se sentait regarder. » (idem, p. 141) ; « Ce à quoi je parviens le plus difficilement à croire c’est à ma propre réalité. Je m’échappe sans cesse et ne comprends pas bien, lorsque je me regarde agir, que celui que je vois agir soit le même que celui qui regarde, et qui s’étonne, et doute qu’il puisse être acteur et contemplateur à la fois. » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, p. 84) ; « Si le subtil lecteur pouvait porter son regard plus loin, au-delà de la place, jusqu’à la fenêtre de l’hôtel particulier rose, là-haut, il apercevrait Boléro de Ravel en train de cadrer Tarzan dans le viseur meurtrier de son fusil de chasse. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 104) ; « Sur le moment, il me semble qu’un tiers se tromperait à prétendre me désigner lequel, de mon reflet ou de moi, est l’original et lequel la copie. […] Moi Vincent Garbo regardant celui qui me regarde, la bénéfique utilité du miroir se retourne en maléfice : non seulement mon reflet a pour moi cessé d’être la preuve que je peux être vu, que je suis dans cette pièce et que je pourrais en sortir, mais il me persuade même carrément du contraire. Je ne serais pas du tout surpris de voir l’autre quitter le miroir et d’être obligé d’attendre qu’il y revienne pour pouvoir exister encore un peu. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 53) ; « Maintenant il va falloir faire davantage attention aux services secrets. » (Jean-Marc s’adressant à son amant Jean-Jacques… alors que c’est lui l’infiltré, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Pourquoi tu t’excuses ? C’est pas grave si tu me regardais. » (Arthur s’adressant à son futur amant Julien, dans le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann) ; « Je suis mon agent double. » (c.f. la chanson « Espionne » de Catherine Lara) ; etc.

 

Film "Salo ou les 120 journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini

Film « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pier Paolo Pasolini


 

Ce jeu miroitant des regards peut se terminer très mal pour le héros homosexuel (cf. je vous renvoie au code « Témoin silencieux d’un crime » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, un jeune chasseur est transformé en cerf pour avoir osé surprendre un homme transsexuel M to F dans une forêt. Dans le film « Rear Window » (« Fenêtre sur cour », 1954) d’Alfred Hitchcock, Cary Grant est témoin d’un meurtre qu’il a observé depuis sa fenêtre, et le tueur finit par lui rendre visite pour l’éliminer. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Rinn, l’une des héroïnes lesbiennes, force son amie Suki à l’embrasser sur la bouche, par jeu et « pour s’entraîner ». Cela finit mal car elles sont surprises par Juna et Kanojo. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Étienne, le héros homo, a eu l’indiscrétion de filmer le coït de son meilleur ami avec une fille : le couple coupera les ponts avec lui. Dans la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, Jenny, le héros transsexuel M to F, devient le voyeur vu alors qu’il espionnait ses voisins dans l’immeuble d’en face. Dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, Léni était espionne, mais va retourner sa veste en s’engageant dans la voie du contre-espionnage. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, Odetta est piégée par son propre voyeurisme puisqu’elle finit par être pétrifiée comme les photos qu’elle prend. Il arrive le même sort au professeur d’Angela dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, mort bouche-bée devant son écran de cinéma. Dans le film « Une Vue imprenable » (1993) d’Amal Bedjaoui, Alexandra et Léa s’observent aux jumelles d’un appartement à l’autre. Dans le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, Philippe filme et observe par la fenêtre les coïts de ses voisins homos… qui à la fin deviendront accidentellement voyeurs de leur voyeur. Dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, Charlie et Dean regardent depuis la rue un couple homo s’embrassant à sa fenêtre… et on découvre ensuite que ce couple n’est autre qu’eux-mêmes. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, tous les personnages homosexuels finissent par payer de leur vie le fait d’avoir été voyeur : « Il avait un drôle de truc dans l’œil. » dira Henri par rapport à Michel qui finira par le tuer. Dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, Ati et Shirin, les héroïnes lesbiennes qui se mataient entre elles et qui regardaient des émissions de télé-réalité, se retrouvent espionnées par des caméras de surveillance placées par le mari de l’une d’elles. Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie, l’héroïne lesbienne, est matée aux jumelles (d’un Happy Meal au Mc Do !) par Anne, la « fille à pédé », et finit par se sentir agressée : « J’en ai marre de tes conneries de gamine. » Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, après avoir vu la nudité violente d’un homme transsexuel M to F portant une chevelure de rousse, un jeune chasseur, traumatisé, tente de fuir en courant la forêt mais fait tomber son fusil et finit par se métamorphoser en cerf. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le fiancé de Gatal (le héros homo) fouille dans l’ordinateur de ce dernier, avant que Gatal ne découvre, avec vidéos caméra à l’appui, que ce dernier l’a trompé avec un autre homme dans un hôtel. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, les deux amantes Thérèse et Carol passent leur temps à s’observer l’une l’autre, à se photographier à l’insu de l’autre… et finalement, elles finissent par se faire espionner par Tommy dans un hôtel de passe.

 

Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton, le héros homo, regarde sur internet les agressions homophobes filmées : elles le vampirisent, le fascinent, l’obsèdent… et finalement, c’est ce qui va lui arriver à la fin du film. Avec son amant Vlad, il est témoin d’une agression mortelle homophobe dans la rue, pendant qu’ils sont en voiture. Pour élucider ce meurtre homophobe, Anton joue aux espion, secondé par son amant Vlad. Cet espionnage se retourne contre Vlad : « Je te filme avec les lunettes. Je vais te filmer. » (Anton) Et Vlad, lui aussi, met sur écoute Anton (notamment quand ce dernier est en train de dîner avec un potentiel suspect), ce qui lui fait vivre une angoisse terrible.
 

Tout le polar The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh est construit sur la paranoïa (qui se révèlera justifiée et soutenue par l’auteure elle-même) de l’héroïne lesbienne Jane. Cette femme a l’intuition d’un viol et d’un meurtre à propos d’une fille (la jeune Anna, 13 ans, abusée par son père, le Dr Mann) et de sa mère (Greta, ex-prostituée, assassinée par le Dr Mann aussi). Et elle vient d’emménager avec sa compagne Petra dans un immeuble qui fait face à une autre bâtisse qui recèle précisément le nœud de son intuition (le corps de Greta, planqué sous un plancher). Jane se sent donc constamment épiée, parce qu’elle-même épie ses voisins. Et elle manque, à la fin, de se faire violer et tué par Mann. Le piège de son voyeurisme s’est presque refermé sur elle : « Jane écarta les rideaux. Dehors, la cour était mal éclairée, mais elle distinguait le bâtiment qui s’élevait derrière, une version délabrée de leur propre immeuble, ses fenêtres vides enfoncées dans l’obscurité comme des orbites dans un crâne. ‘Pas très inspirant, comme vue. ’ dit Jane. ‘C’est normal, une dépendance derrière la maison ! Et comme cet immeuble est vide, on n’aura pas de vis-à-vis. ’ répond Petra. » (p. 16) ; « Il était étrange que les fenêtres aveugles et les balcons vides de l’immeuble l’aient mises mal à l’aise. Lorsqu’elle était petite, elle détestait les windaehingers : ces femmes qui se penchaient aux fenêtres des immeubles pour surveiller la rue en contrebas. Certains jours, vous aviez l’impression de ne plus pouvoir marcher droit tant leurs regards pesaient sur vous. La sensation d’être observée s’était logée en elle. Peut-être était-ce la façon dont l’enfant se manifestait ; elle avait parfois l’impression qu’il la surveillait avant de décider de naître. » (p. 26) ; « Jane ne pouvait se débarrasser de l’impression que quelqu’un l’observait en rigolant. » (p. 27) ; « Jane eut soudain la conviction que quelqu’un l’observait. » (p. 40) ; « affronter le froid et la sensation d’être observée par des yeux invisibles. » (p. 58) ; « Elle avait désormais l’impression que le bâtiment la regardait avec les yeux d’Alban. » (p. 138) ; « Une lumière brillait derrière les rideaux de dentelle du salon des Becker. Les rideaux bougèrent comme si quelqu’un en lissait les plis et s’écartait, mais Jane voyait encore sa silhouette, sombre et indistincte, qui l’observait depuis l’autre côté de la vitre. » (p. 224) ; « Tout ce que je vois c’est que vous fourrez votre nez dans quelque chose qui ne vous regarde pas. C’est peut-être de vous qu’Anna devrait se méfier. » (Maria, la prostituée, s’adressant à Jane, idem, p. 168) ; etc.
 

Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta accueille dans son appartement le temps d’une journée Gabriele, son voisin de pallier homosexuel habitant dans l’immeuble d’en face. Depuis la maison d’Antonietta, ce dernier regarde son appartement avec étonnement (« C’est étrange de me regarder de l’immeuble d’en face… »), comme s’il se retrouvait à la place de sa voyeuse qui lui a avoué qu’elle le scrutait incessamment et obsessionnellement depuis qu’elle l’avait découvert : « Ça fait depuis ce matin que je te regarde. » ; « Moi je regarderai ta fenêtre tous les jours. ».
 

Ce retour de bâton du voyeurisme symbolise l’homophobie (ou les contradictions) du désir homosexuel pratiqué, un désir qui est pour et contre lui-même, qui n’encourage pas le héros à assumer ses actes : « Delphine, c’est pas les autres qui te regardent. C’est toi qui te surveilles. T’es ton propre flic. » (Carole reprochant à Delphine de ne pas assumer leur « couple », dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; « Les jeunes hommes gays étaient condamnés à n’être qu’un spectacle et jamais un public. » (Manuel Vázquez Montalbán, Los Alegres Muchachos De Atzavará (1988), p. 180) ; « S’il ne le sait pas, moi, je le sais ! […] J’en vois partout parce qu’il y en a partout ! Ça sort des placards ! » (Sibylle par rapport à l’homosexualité de Nelligan Bougandrapeau, le héros homo, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « On est spectateurs de sa vie. » (Matthieu, l’un des héros homosexuels de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « L’intrigue va se nouer toute seule. C’est le crime l’important. Le coupable peut être n’importe qui. Il peut se trouver même dans le public. J’ai vu une comédie policière où le coupable était le machiniste du théâtre. » (l’Auteur dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai un mec à l’intérieur de moi qui me dit : ‘Il faut pas que t’aies un mec à l’intérieur de toi ! » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc. Par exemple, dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron, John, jeune homme de 15 ans, tombe amoureux d’un papy de 70 ans, Mr Carter. Il l’espionne avec ses jumelles, d’un immeuble à l’autre, et finit par essuyer son premier chagrin d’amour. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le héros homosexuel espionné par sa mère possessive puis espionnant passivement l’homme qui le fascine visuellement, Jean, finit par se prostituer dans les gares de Paris puis par assassiner l’objet de ses fantasmes une fois qu’il a pu enfin coucher avec. Dans le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler, Karen et Martha, deux responsables d’un établissement scolaire, se voient outées par Mary, une de leur élève-voyeuse : Martha voit son homosexualité découverte à son insu. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le père Adam (homosexuel encore refoulé, sauf à la fin) surprend Rudy se faire sodomiser par Adrian. Cette espionnage se retournera contre lui sous forme d’outing puisqu’Adrian écrira à la peinture rouge sur la porte de la maison d’Adam : « LE PRÊTRE EST UNE PÉDALE ! » Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le héros a eu honte d’avoir été vu en train de donner un baiser sur la bouche homosexuel par un vieux du vestiaire, et tue son camarade de douche pour se venger de ce regard extérieur qui a reflété la réalité de l’acte homo.

 

Dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, Jean-Marc est le héros homosexuel infiltré chez les Virilius, chargé de regarder ce qui s’y passe. « Je suis comme un espion industriel. » déclare-t-il. Mais il ne maîtrise pas tant que cela sa dissimulation puisqu’il tombe amoureux du chef de la bande : « Aujourd’hui je suis un caméléon qui a des problèmes de santé. On ne peut pas mélanger le rose parmi les bruns. » Pire : les Virilius découvrent que leur numéro 2 est un traître et ils le maltraitent en le tabassant/violant homosexuellement : « Maintenant, il va falloir faire davantage attention aux services secrets. » (Jean-Marc à Jean-Jacques) L’objet de son espionnage (son homosexualité), c’est lui-même qui se l’impose et qui le transforme en homophobie, en déni : « Je ne suis pas un infiltré gay ! Je ne suis pas un infiltré gay ! »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Espionné :

Film "Blokes" de Marialy Rivas

Film « Blokes » de Marialy Rivas


 

Beaucoup de personnes homosexuelles se sentent espionnées quand elles espionnent (cf. je vous renvoie au code capital « Poids des mots et des regards » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « Nous habitons un gros building. D’une fenêtre de l’appartement, je voyais un voisin se promener nu. Je me levais quand elle dormait pour l’observer, lui. » (Justin, marié, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 249)

 

Pedro Almodovar

Pedro Almodovar


 

Ce sentiment d’être espionné est parfois infondé, et montre une schizophrénie narcissique ou une paranoïa. Par exemple, dans son Journal. 1937-1949, Klaus Mann parle de son constant « délire de persécution » (p. 328). Beaucoup de personnes homosexuelles font « leurs intéressantes » en rentrant dans un rôle d’espionne espionnée, bref, en jouant « la grande folle perdue » qui cache mal sa complicité au viol oculaire qu’elle subit : « Elle est là, murmura-t-elle. Elle m’espionne. Elle est toujours là. » (la Chola parlant de sa voisine de palier, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 237)

 

Ce fantasme de persécution oculaire, c’est le syndrome classique de la star ou de la personne qui se prend pour une star : cf. la chanson « Flash » de Jeanne Mas, la chanson « Paparazzi » de Lady Gaga, le vidéo-clip de la chanson « Piece Of Me » de Britney Spears, le vidéo-clip de la chanson « Todos Me Miran » de Gloria Trevi, etc.

 

 

Il n’est pas étonnant que les émissions de télé-réalité (et spécialement Loft Story, Les Anges de la Télé-Réalité et Secret Story), où les participants jouent le jeu d’exhiber leur intimité et d’être matés, aient été plébiscitées et habitées par des personnes homosexuelles : Steevy Boulay (Loft Story 1), Thomas (le vainqueur de Loft Story 2), Benoît (le vainqueur de Secret Story 4), etc.

 
 

b) L’arroseur arrosé :

Film "Pornography: A Thriller" de David Kittredge

Film « Pornography: A Thriller » de David Kittredge


 

Le trop-plein de lucidité/de peur de certaines personnes homosexuelles par rapport aux comportements humains les transforme finalement en voyeurs-girouettes. « Sentir et se regarder sentir, pour lui, c’est tout un. » (Jean-Paul Sartre en parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 70) ; « L’espion et l’espionné ne font qu’un. » (idem, p. 89) ; etc. C’est le cas de Christopher Hugh Auden, par exemple : « Malgré sa grande capacité de perception, il manquait à Auden quelque chose en matière de relations humaines. Il planifiait trop les situations, il faisait en sorte que chacun devienne trop conscient d’être observé. […] Parfois, il donnait l’impression de mener un jeu intellectuel avec lui-même et avec les autres, si bien qu’à la longue, il restait finalement assez isolé. » (Stephen Spender, Un Mundo Dentro Del Mundo, « Poeta Entre Dos Países », sur le site www.islaternura.com. C’est moi qui traduis) Autres exemples. Dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, James Dean est qualifié par Ken Kendall d’« éternel spectateur » (p. 104), à l’affût de ce que vont voir et penser les autres de lui. Le rappeur gay Mykki Blanco (interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) dit qu’il essaie sur scène d’ « incarner à la fois le mac et la pute ».

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, par sincérité et auto-centrisme, ne se voient plus agir et tombent dans les pièges du voyeurisme, de la violence, de la paranoïa, de l’exhibitionnisme : « En me relisant aujourd’hui je trouve impardonnable de m’être dupé moi-même à ce point. » (Ann Scott citée dans la préface de Sandrine Mariette, Le Pire des mondes (2004), p. 7) ; « Gore Vidal était extrêmement mythomane. Il aimait se mettre en avant. » (Didier Roth-Bettoni dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel) ; etc.

 

Ce retour de bâton du voyeurisme symbolise l’homophobie (ou les contradictions) du désir homosexuel pratiqué, un désir qui est pour et contre lui-même : « Je me promène aux Champs. Je n’accoste personne, jamais. C’est les types qui viennent. Vous voyez bien quand un type vous regarde. Remarquez, on ne peut jamais savoir ; il y en a qui restent là à vous regarder pendant cinq minutes, et si vous leur parlez, ils disent : ‘Qu’est-ce que vous me voulez, ça va pas non ?’. Des refoulés. » (Pierre Benichou, Le Nouvel Observateur, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 44) ; « Et le jeune homme reste sur ses gardes, soupçonne qu’on le soupçonne, feint de feindre pour mieux dissimuler ; achète des livres traitant de l’amour hétérosexuel, prend des précautions avec ses amis, évite de confier son numéro de téléphone et ne reste pas indifférent au cours des entretiens où l’on démolit les pédérastes. Dans l’obligation personnelle d’avoir recours aux subterfuges, il sombre en général dans la dissimulation. » (Jean-Louis Chardans, op. cit., p. 12) ; « Je dérobais dans la chambre les vêtements de ma sœur que je mettais pour défiler, essayant tout ce qu’il était possible d’essayer : les jupes courtes, longues, à pois ou à rayures, les tee-shirts cintrés, décolletés, usés, troués, les brassières en dentelle ou rembourrées. Ces représentations dont j’étais l’unique spectateur me semblaient alors plus belles qu’il m’ait été donné de voir. J’aurais pleuré de joie tant je me trouvais beau. Mon cœur aurait pu exploser tant son rythme s’accélérait. Après le moment d’euphorie du défilé, essoufflé, je me sentais soudainement idiot, sali par les vêtements de fille que je portais, pas seulement idiot mais dégoûté par moi-même, assommé par ce sursaut de folie qui m’avait conduit à me travestir. » (Eddy Bellegueule dans l’autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 28-29) ; etc. Le « voyeur vu » montre que le désir homosexuel est intrinsèquement homophobe. Ce motif allégorique symbolise que l’homosexualité est de la haine de soi, de la honte, du manque de confiance, de l’humiliation et de l’agression externe… le tout sublimé par une idolâtrie visuelle.

 
 

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Code n°186 – Wagner

Wagner

Wagner

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

L’opéra "Der Ring Des Nibelungen" de Richard Wagner

L’opéra « Der Ring Des Nibelungen » de Richard Wagner (Rainbow?)


 

Je vous vous parler de Wagner, le dernier code de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, qui ne se terminera pas par la lettre Z comme on aurait pu l’attendre d’un lexique classique, mais bien par la lettre W ! Les œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité font souvent référence au compositeur allemand (1813-1883) et à son œuvre musicale romantique. À mon avis, pour une raison bien simples : la musique de Richard Wagner catalyse l’orgueil surdimensionné du désir homosexuel. Elle laisse croire que l’irréel et l’esthétique peuvent se substituer au Réel et à l’éthique (= l’Amour). Wagner donne aux petits-bourgeois homosexuels en mal de grand combat et de sacrifice pour leur idéaux, aux âmes d’artistes en panne d’identité et en recherche d’une élite du « bon goût », aux Hommes assoiffés d’absolu et d’exploits prométhéens jusqu’au-boutistes, un support assez solide et clinquant pour soutenir leur rêve secret de se prendre pour Dieu… et finalement de mourir.

 

(Ce code ne se propose absolument pas de prouver l’homosexualité de Wagner. Si vous avez compris le fonctionnement de mon Dictionnaire, je n’ai même pas besoin de vous le dire…)

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Musique comme instrument de torture », « Tout », « Se prendre pour Dieu », « Faux révolutionnaires », « Promotion « canapédé » », « Homosexuels psychorigides », « Défense du tyran », « Hitler gay », « Planeur », « Fresques historiques » et « Super-héros », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

On retrouve Wagner dans certaines œuvres homo-érotiques : cf. le film « Ludwig » (« Ludwig ou le Crépuscule des dieux », 1972) de Luchino Visconti, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, l’opéra Der Ring Des Nibelungen (L’Anneau du Nibelung, 1849-1876) de Patrice Chéreau (joué entre 1976 et 1980), le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky (avec Mona, l’héroïne lesbienne, interprétant du Wagner au violon), la pièce La Sonate des spectres (1907) d’August Strindberg, le film « Freaks » (« La Monstrueuse Parade », 1932) de Tod Browning (avec Tristan Und Isolde, 1865), le sketch « The Milkman Collector » des Monty Python (toujours avec un extrait de Tristan), les ballets Bacchanale (1939-1940) et Tristan fou (1944) de Salvador Dalí, la chanson « Jardin de Vienne » de Mylène Farmer (elle démarre avec un morceau de Tannhäuser, 1845), le drame Wagner, Tristan Und Isolde (2005) d’Olivier Py, la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec un extrait du Parsifale, 1877), la chanson « Entre nous et le sol » de Christophe Willem (avec l’homophonie de Lorelei dans la phrase « L’or est lààààà »), etc. Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, Stella tombe entre les griffes de Lorelei (Wagner, toujours Wagner…), la lesbienne prédatrice. Dans le film « Vacation ! » (2010) de Zach Clark, une des vacancières lesbiennes s’appelle Lorelei.

 

WAGNER Terre opéra

 

Parfois, le personnage homosexuel est fan de la musique de Wagner, et rêve de communier à un destin grandiose. Par exemple, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, le héros gay connaît bien Wagner : « Le commandant fit diffuser de la musique de Wagner. Tanguy était familier avec cette musique. » (p. 104) Dans le film d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau « L’Arbre et la Forêt » (2009) – que j’ai pourtant découvert après la première publication de mon Dictionnaire –, Frédérick, le héros homosexuel, écoute Wagner à fond chez lui, et toute l’intrigue est centrée sur sa passion pour le compositeur allemand.

 

Je pense aussi à Cyril, le personnage homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, qui rêverait de voir la cantatrice Regina Morti chanter des walkyries en terre étrangère : « Faites chanter-lui du Wagner pour les foules de sidatiques d’Afrique ! » ; ou encore au M. Alphand de la nouvelle « La Servante » (1978), toujours de Copi : « M. Alphand s’était calm ; il écoutait un disque de Wagner, assis dans le fauteuil de la bibliothèque. » (p. 73)

 

Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet, le personnage transsexuel M to F d’Ottavia la Blanca n’a pas l’air d’être très fan du compositeur : « Quand c’est du Wagner, c’est l’insomnie assurée. » Mais pourtant, Wagner est décrit tout de même comme un proche, car quand Alba demande à sa mère Zulma « Maman, c’est qui Wagner ? », celle-ci, pour couper court à la question embarrassante, lui rétorque : « Un voisin. » Dans le film « Les Yeux fermés » (2000) d’Olivier Py, Vincent le personnage homosexuel s’apprête à aller voir l’opéra Tristan Und Isolde, et s’entend dire de la part d’un homme qui ressemble à son père : « Ahhh… Wagner… Le Grand Homme !… quoique… Ça radote un petit peu, non ? » Vincent ne répond rien, sans doute parce qu’il n’est pas du tout d’accord avec la dernière remarque de son interlocuteur.

 

Il y a un lien entre homosexualité et musique wagnérienne, même s’il n’est quasiment jamais analysé ni conscientisé. « Ah ! Ce doit être tante Augusta. Il n’y a que la famille, ou les créanciers, pour sonner de si wagnérienne façon. » (Algernon dans la pièce The Importance To Being Earnest, L’Importance d’être Constant (1895) d’Oscar Wilde) ; « Wagner, plus jamais… » (c.f. la chanson « Le Lac des brumes » d’Hervé Vilard) ; etc. Tout au plus le héros homosexuel s’en étonne, comme par exemple le Marquis de Bradomín de Valle-Inclán dans le roman Sonata De Estío (1903) : « Seules deux choses sont toujours restées obscures pour moi : l’amour des éphèbes et la musique de cet Allemand qu’on appelle Wagner. »

 

Film "L'Arbre et la Forêt" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « L’Arbre et la Forêt » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

L’attraction homosexuelle pour l’art wagnérien traduit un goût pour la transcendance, un désir frustré de devenir un héros, une exaltation de la pureté poussée jusqu’au purisme, un désir de placer l’esthétisme avant l’éthique. Dans l’univers en grandes pompes de Wagner, il y a des héros prométhéens conquérants, des exploits opérés par des demi-dieux. Wagner, c’est le totalitarisme dans tout ce qu’il a d’horrible mais aussi d’exaltant, de beau. « Wagner, ça s’écoute pas en sourdine ! » dit le héros Frédérick dans le film précédemment cité « L’Arbre et la Forêt ». D’ailleurs, ce même Frédérick donne trois adjectifs très signifiants pour définir la musique de Wagner : pour lui, c’est « vierge, silencieux, infini » (Il parle de Walhalla). Quand Delphine, sa petite-fille, dit à son petit copain Rémy que son grand-père « adore écouter Wagner tout le temps » mais qu’« elle n’en peut plus de cette musique » parce qu’il la met trop fort – et surtout parce que cette mélodie obsédante cache deux lourds secrets qui sont encore inconnus à l’ensemble de la famille : l’homosexualité de Frédérick ET son lointain passage dans les camps nazis en tant que triangle rose –, Rémy lui répond juste que la mélomanie wagnérienne de son grand-père par alliance s’apparente au masochisme (« C’est pervers… »). Et quand Frédérick en personne s’obstine à défendre la musique de Wagner – LE symbole artistique de la tyrannie nazie par excellence – auprès de sa femme Marianne (« Y’a des choses très sages dans Wagner… »), celle-ci se permet de mettre un frein à son idéalisme : « … et pas mal de conneries aussi. »

 

Tableau "Chevauchée des Walkyries"

Tableau « Chevauchée des Walkyries »


 

Dans le roman de Vincent Petitet Les Nettoyeurs (2006), on trouve une définition très juste de cette adoration pour Wagner qui va jusqu’à consolider des empires commerciaux ultra-libéraux broyant les êtres humains : « L’art total […] Wagner voulait satisfaire la trinité du regard, de l’ouïe et de l’intellect. […] L’art total : un ensemble d’éléments qui concourent à une perfection esthétique, presque métaphysique. » (p. 45) ; « C’est là que tout a commencé, la fondation du cabinet, les premiers locaux, les premiers succès. Ne l’oubliez pas, monsieur de Linotte, nous sommes à la fois des héritiers et des conquérants… » (Monsieur de Binette à Antoine de Linotte lors de la visite des locaux du Cabinet Fersen, idem, p. 49) ; « L’ouverture des Maîtres chanteurs de Wagner retentit dans sa salle. Sur l’écran, Antoine reconnut le visage d’Andrew Fersen et les bureaux bostoniens. » (idem, p. 63) L’esthétisme wagnérien a l’apparence de l’Amour vrai, du « Progrès » humaniste, mais n’est en réalité qu’une publicité mensongère puante. C’est pour cette raison que le toc dégoulinant wagnérien, suintant de bonnes intentions et de sentimentalisme, donne parfois la nausée. « Saint Wagner le protégerait de toute vulgarité. Il resterait sentimental. » (Antoine, idem, p. 179)

 

Toujours dans le film « L’Arbre et la Forêt », chez Frédérick, le personnage homo, la passion wagnérienne est une forme de collaboration non assumée : il a connu l’enfer des camps où, dit-il, les Nazis « jouaient beaucoup Wagner » ; mais il rajoute qu’il ne veut pas laisser Wagner aux Allemands pour qu’ils se l’accaparent. « Quand j’écoute Wagner, je prends ma revanche sur les Nazis. » La belle affaire, n’est-ce pas !

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Le motif de « Wagner » a une portée symbolique certes forte dans le monde homosexuel, mais peu primordiale ou caractéristique (dans le sens de « non-essentielle/essentialisante »). Bien évidemment, ce code n’est pas à prendre au pied de la lettre, comme une vérité ou une généralité sur « les » homos (genre « Tous les homos aiment Wagner »). La preuve : moi, par exemple, je ne suis pas un grand connaisseur de Wagner, je n’ai pas d’appétence particulière pour sa musique, et j’y penserais à deux fois avant d’aller « me taper » cinq heures de spectacle d’affilée pour écouter un de ses interminables opéras ! En revanche, l’attraction pour Wagner chez certaines personnes homos nous dit quelque chose de signifiant sur la nature du désir homosexuel, et en cela, je suis intéressé malgré moi par son répertoire.

WAGNER Portrait

 

L’homosexualité de Wagner est supposée par certains. Par exemple, en 1908, Weindel et Fischer relatent leur rencontre avec un voyageur leur ayant assuré que « les Allemands savent qui a été l’amant de Wagner » (p. 66). « Wagner, quand il s’exprime à propos de List, n’imagine pas une amitié sans amour (in Kunstwerk der Zukunft). » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 73)

 

La musique de Wagner est faite pour les extrémistes de tout bord – exactement comme pour les grandes religions monothéistes quand elles sont mal comprises – car le compositeur allemand (le promoteur d’un « art total », comme il le disait lui-même) a créé des opéras grandioses, à taille presque surhumaine… ce qui choqua d’ailleurs son époque. Vous imaginez, vous, le festival scénique de L’Anneau du Nibelung (1849) qui durait quatre jours ! J’espère que le sac de couchage existait déjà ! Il y a dans cette folie des grandeurs du génie, certainement, ou bien beaucoup d’irréalisme. La musique se supplante à la vraie vie au point de lui faire écran ! Pas étonnant que les Nazis aient choisi les opéras de Wagner pour nourrir leurs rêves grandiloquents et mégalomaniaques de conquête (on diffusait même les walkyries dans les camps de concentration et d’extermination !). Pas étonnant non plus que les fanatiques de la musique de Wagner soient des gens souvent bordeline, lunaires, à la sexualité blessée (le roi homosexuel Louis II de Bavière, reconnu comme fou, en fournit un très bel exemple : il vouait littéralement un culte à la musique de Wagner, et les deux hommes se sont rencontrés à plusieurs reprises). C’est sans doute le caractère pathologique que cultive l’art wagnérien chez le mélomane fragile qui pousse le philosophe Nietzsche à la révolte humoristique : « Wagner est-il un être humain ? N’est-il pas plutôt une maladie ? » (Le Cas Wagner, 1889)

 

Louis II de Bavière

Louis II de Bavière


 

Un certain nombre de personnes homosexuelles adorent Richard Wagner (parfois jusqu’à la haine ! il mériterait, pour le coup, d’être rebaptisé « Richard Vagues-Nerfs ») : Pierre Louÿs, Luchino Visconti, Louis II de Bavière, Reynaldo Hahn, Marcel Proust, Barbette, Siméon Solomon, Félix Valloton, etc. Thomas Mann est l’auteur d’un essai entièrement consacré au compositeur allemand, Wagner et notre temps (1911-1950). Yukio Mishima accomplit le rituel du seppuku aux sons du « Liebestod » de Tristan et Isolde dans « Yukoku » (« Patriotisme », 1965), film de trente minutes longtemps interdit à la projection par la veuve de l’écrivain. Ce « Liebestod » avait déjà été utilisé en 1929 par Luis Buñuel et Salvador Dalí dans le film « Un Chien andalou » (1929). Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon raconte que l’acceptation progressive de son homosexualité coïncide avec sa découverte de Wagner : il écrit qu’il est allé « explorer avec une grande ferveur les biographies des compositeurs : Wagner, Mahler, Strauss, Britten, Berg… » (p. 214) Pierre Bergé a vendu le livret des Maîtres chanteurs de Nuremberg, corrigé et annoté par Richard Wagner lui-même, pour 124.690 euros lors d’une vente aux enchères chez Drouot à Paris le 28 juin 2017. Le chanteur Till Fechner a interprété Wagner dans l’opéra-bouffe René L’Énervé de Jean-Michel Ribes. Pour la petite histoire, on dit également que le fils de Richard Wagner, Siegfried Wagner, était homosexuel. Et des chercheurs vont jusqu’à souligner l’homosexualité latente du père. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans raconte que Richard Wagner a « pratiqué le travestissement avec insistance » : « Wagner travesti se cachait et seuls quelques rares intimes étaient au courant. ‘Il ne se réalisait complètement qu’en femme’ ont dit de lui ses historiens. Ce qu’il y avait d’un peu féminin dans sa sensibilité a été à l’origine de ce qu’on a pu nommer ‘le caractère androgyne’ de certaines de ses plus belles pages. » (pp. 305-306)

 

Certains individus homosexuels se mettent à défendre Wagner comme des automates. Quelquefois, ils devinent dans leur tête que c’est une musique moralement condamnable et critiquable (ne serait-ce qu’historiquement)… mais dans leur cœur, elle correspond à des fantasmes esthétiques de toute-puissance et de « mort héroïque » qui chatouillent leur épiderme, exactement comme lorsqu’on s’auto-convainc d’aimer des musiques déprimantes « à la Barbara » simplement parce qu’on les trouve « tristes et belles » : « Le théâtre de Wagner, ce n’est pas simplement une sorte de déclaration mythologique un peu rétrograde servant de support et d’accompagnement à la belle musique. Ce sont des drames importants qui ont un sens historique. » (cf. une phrase de Michel Foucault écrite en grand sur une pancarte de l’exposition « Richard Wagner : Visions d’artistes, d’Auguste Renoir à Anselm Kiefer » au Musée de la Musique, à Paris, en janvier 2008) Les douillets homosexuels dépressifs ne s’y sont pas trompés. Jean Le Bitoux, dans son essai Citoyen de seconde zone (2003), décrit bien Wagner comme le vernis kitsch qui va camoufler/flatter une sensiblerie : « Je vais voir Tannhäuser de Richard Wagner, transformé en ballet par Maurice Béjart. Je suis enthousiaste. Une nouvelle culture s’annonce. Cette posture de me rapprocher de moi-même en dorlotant mes terribles souffrances. » (p. 59)

 

Film "Les Damnés" de Luchino Visconti

Film « Les Damnés » de Luchino Visconti


 

C’est parce qu’elle dévoilerait au grand jour leur comédie de Drama Queen/de dandys prétentieux, ou bien leur attachement au totalitarisme et à la noblesse, que certains intellectuels homosexuels dissimulent leur goût pour Wagner, ou organisent carrément des autodafés en son honneur. C’est souvent dans l’opposition trop radicale que s’exprime chez quelques artistes homosexuels l’adoration cachée à Wagner (pensons à Werner Schroeter, Patrice Chéreau, Michel Foucault, qui détestaient Wagner). Ils savent que les walkyries sont aimées des bourgeois parvenus, et ça les agace autant que ça les attire. « Il déteste les Allemands. […] Déjà mélomane, il vomit le triomphalisme pangermanique de Wagner. » (Dominique Fernandez parlant de lui à la troisième personne du singulier, dans la biographie Ramon (2008), p. 18) ; « Et après cela ? Des scène de Persifal. J’ai beau résister à Wagner, il finit toujours par vous enchanter dans le sens fort du terme. Magicien et sorcier, séduction primitive et charme savant, voilà Wagner. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, mai 1981, p. 15) ; etc.

 

Pour moi, la musique de Wagner est typiquement celle des conquérants déçus (en amour, en amitié, existentiellement). Si la communauté homosexuelle l’a choisie, c’est par auto-mutilation bien plus que par narcissisme (même si le narcissisme apparaît comme la raison la plus évidente). Vraiment, je crois que c’est pour se punir elles-mêmes d’avoir gâché leurs grands idéaux d’amour et leurs talents dans une relation d’amour homosexuel certes « bien » mais pas « grande » que souvent les personnes homosexuelles protègent leur mélancolie et leur déception d’être médiocres dans le mouchoir en dentelle wagnérien. C’est à la fois touchant et grotesque, cette hypocrisie du bourgeois-bohème.

 

Opéra "Das Rheingold" de Richard Wagner

Opéra « Das Rheingold » de Richard Wagner

 
 

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