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Code n°39 – Couple homosexuel enfermé dans un cinéma

couple enfermé

Couple homosexuel enfermé dans un cinéma

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

L’ « amour » reposant surtout sur un film

 

Pour se persuader que l’union homosexuelle est d’une incroyable force, certaines personnes homosexuelles construisent de belles romances sur pellicule ou sur papier, en filmant des couples homosexuels plus vrais que nature, faisant du cerf-volant ensemble au milieu d’une jolie prairie, s’aspergeant d’eau dans un ruisseau, et vivant heureux à l’intérieur de leur cuisine Mobalpa avec leur labrador. D’ailleurs, plus ça va, et plus les cinéastes actuels arrivent à rendre les histoires d’amour homosexuel particulièrement crédibles, parce que justement pudiques et pas toujours mièvres (le film « Le Secret de Brockeback Mountain » (2006) d’Ang Lee, « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, ainsi que le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, pourraient obtenir à ce jour la palme de la vraisemblance bobo) … mais ils se tendent ainsi leurs propres pièges à eux-mêmes, donnant à croire qu’elles peuvent être transposées à l’identique dans la réalité concrète. Combien de personnes homosexuelles se laissent actuellement berner par leurs mises en scène policées et sympathiques de l’amour… et s’en mordent les doigts dans l’actualisation ratée ! Comme le souligne Wystan H. Auden par rapport à son propre ménage, « le problème dans cette affaire de l’amour est que l’un ou l’autre finit par se sentir mal à l’aise et coupable parce qu’il constate que les choses ne marchent pas telles qu’il les a lues » (cf. l’article « Entrevista A Wystan H. Auden » de Michael Newman, pour le journal Paris Review, 1974).

 

Beaucoup de sujets homosexuels finissent par réaliser inconsciemment que le cinéma ou la littérature les réunit davantage que la Réalité (constat de Roger Stéphane dans son autobiographie Parce que c’était lui (1952), pp. 85-86). Dans leurs créations artistiques, les amants fictionnels se font entre eux la remarque : « C’est comme si tous les films parlaient de nous. » (Berenguer à son amant Juan, dans le film « La Mala Educación », « La Mauvaise Éducation » (2003) de Pedro Almodóvar) Leurs histoires de cœur semblent reposer prioritairement sur la magie d’une carte postale ou d’un film : « C’est comme un film américain. Un putain de film américain… » déclare dans son dernier soupir le Jagger d’Eytan Fox à son amant Yossi (cf. le film « Yossi et Jagger », 2004). Nous retrouvons souvent dans l’iconographie homo-érotique le motif du couple homosexuel enfermé dans un cinéma, un supermarché, une expo, un concert, ou une cellule carcérale faisant office de salle obscure. Cette métaphore peut renvoyer à une certaine réalité fantasmée pas si rose que cela à vivre sur la durée. Un certain nombre de personnes homosexuelles abordent la souffrance que provoque chez elles le fossé d’incommunication existant entre deux spectateurs d’un même film, qui plus est quand ils sont liés par un désir homosexuel. Intellectuellement, elles ont tout à fait conscience de la vanité de ce rêve de communion exacte des perceptions, et se moquent de la naïveté de leur désir de substitution à l’être aimé. Mais l’ironie n’est pas que distance : elle est souffrance, et parfois justification de celle-ci, comme le traduit l’exaspération exprimée par Hervé Guibert dans son roman À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie face à la sensiblerie de son amant Bill lors de la projection du film « L’Empire du Soleil » (Hervé Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), pp. 193-194).

 

« Quand les lesbiennes se font leur cinéma » : c’est le slogan ô combien révélateur que s’est attribué le festival de cinéma lesbien Cineffable de Paris ! Comme une signature. Comme une illustration simple que le couple homosexuel est fondé sur une petite imposture, une confusion (pourtant intellectuellement toute bête à déjouer) entre la vraie vie et les salles obscures. À entendre certains personnages de fiction homos, voire même beaucoup de personnes homosexuelles réelles, leurs histoires d’amour se dérouleraient telle une jolie bobine de film, auraient la magie sacrée-sucrée des comédies romantiques ou des musicals nord-américains. Le couple homosexuel (surtout fictionnel, et parfois réel), d’abord rassuré de vivre dans le cocon cossu d’une chambre cinématographique peuplée de souvenirs, dans une vidéothèque où il refait « le monde sans le monde », finit par être envahi petit à petit par une impression désagréable : d’une part un décalage de perceptions entre les deux amants (qui se rendent compte amèrement que le cerveau de l’un n’est pas le cerveau de l’autre), et d’autre part une inaccoutumance au monde extérieur (monde qui sera pour le coup présenté comme désenchanté et sordide).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Substitut d’identité », « Peinture », « Pygmalion », « Bovarysme », « Fan de feuilletons », « Fusion », « Télévore et Cinévore », « Tomber amoureux des personnages de fiction ou du leader de la classe », « Différences culturelles », « Île », « Voyage », à la partie « Enfant dans la galerie d’art » du code « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », à la partie « Prison » et « Homosexualité de circonstance » du code « Entre-deux-guerres », à la partie « Mélomane » du code « Musique comme instrument de torture », à la partie « Filmer sa vie » du code « Amant narcissique », et à la partie « Cuculand » du code « Milieu homosexuel paradisiaque » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le cocon amoureux cinéma :

ENFERMÉ Mala Educacion

Film « La Mauvaise Éducation » de Pedro Almodovar


 

Très souvent dans les fictions traitant d’homosexualité, le couple homosexuel se retrouve enfermé dans le cocon chaleureux (et, sur la durée, étouffant) d’un cinéma, d’un supermarché, d’une expo, d’un concert, d’une télé : cf. le film « Premières Neiges » (1999) de Gaël Morel (avec Léa et Éric cloîtrés dans un supermarché), la chanson « Mon Fils » de Nicolas Bacchus, le film « A Safe Place » (1977) d’Amos Gutman, le film « Petite fièvre des 20 ans » (1993) de Ryosuké Hashiguchi (avec Tatsuru et Shin enfermés dans un bar), le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (avec Molina et Valentín dans leur cellule de prison qu’ils transforment en cinéma), le film « Scandaleusement célèbre » (2007) de Douglas McGrath (avec Truman Capote et Perry), la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer (avec Simone et Janine enfermées dans leur bureau), le film « Paradisco » (2002) de Stéphane Ly-Cuong (avec François et Nicolas), la pièce Le Cri de l’ôtruche (2007) de Claude Gisbert (avec Paul et Bob dans la prison), la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette (avec Diane et Isabelle dans la cellule), le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot (qui se déroule dans un cinéma porno), le film « Murmur Of Youth » (1997) de Lin Cheng-sheng, le roman Strangers On A Train (1950) de Patricia Highsmith, la pièce Deux Otages (1958) de Brendan Behan, le film « Infernal Affairs » (2003) d’Andrew Lau et Alan Mak (avec Lau et Yan assis l’un à côté de l’autre dans le magasin d’amplis), le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec Bruno et Guy dans le train), la chanson « Les Passagers » d’Étienne Daho, le roman Voyage avec deux enfants (1982) d’Hervé Guibert, le film « Sœurs de scène » (1964) de Xie Jin, le film « En direct sur Ed TV » (1998) de Ron Howard, le film « Amour et mort à Long Island » (1997) de Richard Kwietniowski, le film « Goodbye, Dragon Inn » (2003) de Tsai Ming-liang, etc.

 

Pièce Le Cri de l’ôtruche de Claude Gisbert

Pièce Le Cri de l’ôtruche de Claude Gisbert


 

Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., le couple Jonathan/Matthieu regarde pour la énième fois le film « Moulin Rouge ». Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, une maman et ses deux enfants sont enfermés dans un supermarché. Dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David et Philibert visitent le Musée du Louvre. Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc, le héros homosexuel, se voit offrir par la peintre Catherine Burroughs une toile représentant deux dames s’avançant de dos dans la mer. Dans le film « Heavenly Creatures » (« Créatures célestes », 1994) de Peter Jackson, Juliet et Pauline s’enferment dans un monde imaginaire et littéraire qui les coupe du monde. Dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, Pablo et Bruno nourrissent une passion commune pour la série télévisée Blind ; on les voit se draguer devant le petit écran ensemble : « Allons au cinéma. » Dans le film « To The Marriage Of True Minds » (« Au mariage de nos âmes loyales », 2010) d’Andrew Steggal, deux jeunes Irakiens, Hayder et Falah, ayant embarqués illégalement sur un bateau qui les mène de Bagdad à Londres, se murmurent en arabe les vers des sonnets amoureux de Shakespeare. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan reçoit de Kévin dix places de cinéma pour son anniversaire. Dans le film « Infidèles » (2010) de Claude Pérès, un réalisateur et un acteur s’enferment dans un appartement, seuls avec une caméra, toute une nuit, jusqu’au lever du jour, pour mettre à l’épreuve leurs désirs. Dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau raconte qu’il est allé voir avec son copain au cinéma un film de Fassbinder racontant une histoire homosexuelle. Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar et Khalid se racontent amoureusement leurs rêves et les films qu’ils ont vu ensemble (notamment « La Cité des femme » de Fellini) : « Dans la chambre noire, ce jour-là, c’est moi qui voulais parler. De mon rêve avec Hassan II. » (Omar, p. 72) Un peu plus tard, Omar propose à Khalid d’aller au cinéma voir le film d’épouvante, « Re-Animator ». Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim et Doyler regarde la mer comme s’ils se trouvaient devant une télé. Dans le roman Deux garçons (2014) de Philippe Mezescaze, deux adolescents, Hervé (Guibert) et Philippe, tombent amoureux pendant une scène de Caligula qu’ils doivent interpréter ensemble dans un cours de théâtre. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Noémie, la guichetière d’un cinéma porno, dit qu’elle cherche l’amour dans les salles de cinéma. Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, l’acteur jouant Thomas, le héros homosexuel, avoue au prologue qu’il sort avec le guichetier du théâtre où il joue.

 

Film "El Beso De La Mujer-Araña" d'Hector Babenco

Film « El Beso De La Mujer-Araña » d’Hector Babenco


 

Les amants homosexuels fictionnels semblent vivre une vraie cinéscénie, dans un espace clos et confiné qui s’anime grâce à leur imaginaire sentimental : « Les deux garçons [le couple Ahmed/Marcel] rêvent en couleur, en technicolor, en super son surround. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 53) ; « J’aimais bien aller au cinéma avec lui. Lorsqu’il y avait peu de spectateurs, c’était le seul endroit public où je pouvais discrètement lui prendre la main. » (Bryan parlant de son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 445) ; « La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement de deux enfants le triste et doux chuchotement. Leur front se penche, encore, alourdi par le rêve, sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève… » (cf. le poème « Les Étrennes des orphelins » (1869-1872) d’Arthur Rimbaud) ; « Quelques jours plus tard, je montrai à Sylvia les icônes du musée. » (Laura, l’héroïne lesbienne parlant de son amante Laura, dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 107) ; « L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose avec des coussins bleus. Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose dans chaque coin moelleux : tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace grimacer les ombres des soirs, ces monstruosités hargneuses, populace de démons noirs et de loups noirs. Puis tu te sentiras la joue égratignée… Un petit baiser, comme une folle araignée, te courra par le cou… Et tu me diras : ‘Cherche !’ en inclinant la tête, et nous prendrons du temps à trouver cette bête qui voyage beaucoup… » (cf. le poème « Rêve pour l’hiver » d’Arthur Rimbaud, écrit en wagon le 7 octobre 1870) ; « J’ai rencontré le Grand Amour. Comme dans les contes de fée. On s’est trouvés dans un plan à trois. Le coup de foudre. Il m’a fait un vrai festival de Cannes » ; « On regarde un film ? » (Arthur s’adressant à son amant Julien juste après leur déclaration, dans le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann) ; etc.

 

Ils se projettent complètement dans un univers cinématographique, et utilisent les films ou les œuvres d’art comme technique de drague pour se rapprocher l’un de l’autre : « Avec toi j’apprends à aimer être mièvre, à te regarder comme on regarde un film. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Ce n’est qu’un film après tout. On n’a qu’à dire que c’est infime. On n’a qu’à se dire qu’on s’en fout. On n’a qu’à dire que c’est plus doux si la vie ne tient qu’à un film entre nous. » (cf. la chanson « Ce n’est qu’un film » de Daran) ; « Il m’emmène voir La Jetée de Chris Marker à la Maison Européenne de la Photographie. Cette épreuve traversée ensemble nous rapproche, c’est ce que je me dis en laissant défiler les images noires et blanches devant nous. » (Mike par rapport à son « ex » Léo, dans le roman Des chiens (2012) de Mike Nietomertz, p. 115) ; « On se revoit plusieurs fois, on baise, on mange du poulet en regardant des épisodes de Daria dans son appartement foutoir du XIXeme. » (Mike, le héros, parlant de « T. », un amant de passage, dans le roman Des chiens (2012) de Mike Nietomertz, p. 125) ; « Depuis, on chante notre amour comme dans ‘les Parapluies de Cherbourg’. » (les protagonistes homos dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « J’aimerais aller au cinéma. » (Mr Alvarez s’adressant à Damien, après avoir découvert leur passion commune pour le travestissement transgenre, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Tu adores les films… et les étudiants sont sûrement mignons. » (Toph s’adressant à Zach, le prof en fac de cinéma, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Voyez comme la scénariste que je suis file la métaphore cinématographique. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 149) ; etc. Par exemple, dans le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, Tal dit que sa relation avec Meni se passe « comme dans un film ». Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas et François se sont fait une soirée plateau-télé. Plus tard, pour renouer après leur rupture, ils voient dans leur amour commun pour le dessin animé « Le Roi Lion » un signe qu’ils doivent se remettre ensemble : « Hier soir, j’avais le blues et j’ai voulu regarder le Roi Lion. » dit François. « C’est marrant… Moi aussi. » répond Thomas.

 

Les amants ne voient absolument pas où est le problème dans leur fuite du Réel : « Mais ici, nous sommes tous les deux enfermés, il n’y a aucune lutte, aucun combat à remporter sur personne, tu me suis ? […] Ceux qui nous oppriment sont hors de notre cellule, pas à l’intérieur. Ici, personne n’opprime personne. » (Valentín à son amant Molina, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, pp. 193-194)

 
 

b) Le deuxième effet Kiss-cool : le fossé d’incommunication entre amants

Film "La Mauvaise Éducation" de Pedro Almodovar

Film « La Mauvaise Éducation » de Pedro Almodovar


 

La magie cinématographique homosexuelle, en général, ne dure pas : « Je te préviens : le home-cinéma, c’est moi qui me le garde. » (Claude, l’un des héros gays, à son copain François, dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Tout cela n’a duré qu’un éclair : l’éclair du vendredi dans le hall de la gare (Austerlitz), pétrifiant Pierre et moi devant la carte postale. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 105) ; « Il était une fois deux enfants qui ne savaient pas où commençaient la vie, où finissait le cinéma. » (cf. la chanson « Le Cinéma » de la Diva, dans le spectacle musical La Légende de Jimmy de Michel Berger)

 

Elle finit par devenir pesante pour les deux membres du couple, même s’ils jouent encore pour un temps la comédie de l’amour : « Mon Dieu, qu’il fait chaud dans ce wagon. » (le couple lesbien Cherry et Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Nous sommes enfermés dans le théâtre ? » (la Comédienne à sa sœur jumelle Vicky Fantomas, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Ces années où nous nous tapions 40 ou 50 films en 10 jours, hagards, blafards, les yeux rouges, l’estomac bourré de cochonneries, le cerveau gelé, le fessier douloureux, morts d’épuisement mais heureux. » (Jean-Marc, le héros homo du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, pp. 50-51) ; « Appelle un taxi. Nous n’avons pas besoin de faire durer plus longtemps ce cinéma. » (Léopold s’adressant à son amant Franz, après 6 mois de vie commune, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « C’est fou : j’ai l’impression que c’étaient d’autres filles. » (Anna parlant à son amante Cassie de leur relation amoureuse virtuelle sur Internet, dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « Nous nous prenons peut-être pour une projection de ces stupides dessins animés cinématographiques qui leur déformèrent si lamentablement la pensée. » (Gouri, le rat homosexuel parlant des Américains et des Russes, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 108) ; etc.

 

Film "Hable Con Ella" de Pedro Almodovar

Film « Hable Con Ella » de Pedro Almodovar


 

Comme fatalement les amants homosexuels fictionnels se sont « fait des films » et éloignés du réel, ils découvrent très souvent qu’ils ne sont plus faits l’un pour l’autre, qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’onde comme l’avaient prédit leurs goûts et les comédies dramatiques du cinéma : « J’avais les larmes aux yeux et je vis qu’il était comme moi. Avions-nous la même sensibilité ? Comment le savoir ? » (Bryan parlant de son copain Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 51) ; « J’aimerais bien être à l’intérieur de ta tête. » (Danny s’adressant à son futur copain Chris, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Qu’est-ce qui se passe dans ta tête ? Quelquefois j’aimerais bien être dans ta tête. […] J’attendrais bien jusqu’à demain, debout ou sur un strapontin. Si tu m’expliques le début du film et la fin. Si j’prends une place pour ton cinoche, rien qu’une fois. Afficher complet ton cinoche, m’en veux pas qu’aussi j’en prenne plein la tête. Et c’est un fauteuil couchette que je verrai la fin du film avec toi. » (cf. la chanson « Ton Cinoche » d’Étienne Daho) ; « Elles étaient allées au Kino International. Petra lui avait assuré que le film serait en anglais, mais il était doublé en allemand, et Jane avait été incapable de suivre l’intrigue qui avait pris une qualité onirique, vaguement cauchemardesque. » (Jane, l’héroïne lesbienne en couple avec Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 76) ; « Je voulais juste te jouer de toi, juste comme on fait ici-bas, un peu comme ci, un peu comme ça, comme dans mes grands films, stars de cinéma, j’ai même pas pu faire mon cinéma. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, la voix narrative souffre du décalage de visions entre elle et la personne avec qui elle essaie de communier : « ‘Blutaud ne voit pas le même arbre que moi’, pensa-t-il en se souvenant d’un poète qu’il aimait. Et sans transition il se dit : ‘Mais Blutaud est plus heureux que moi. » (Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 27) Dans le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné, est filmé le décalage des perceptions entre Marie (Catherine Deneuve) et Alex (Daniel Auteuil) à l’Opéra. Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, on retrouve le choc de cultures entre une Petra cultivée, raffinée, et une Karin qui aime des films à l’eau de rose et qui n’a pas la finesse d’esprit de son amante. Dans la première scène du film « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar, Marco pleure face au spectacle de théâtre tragique auquel il assiste avec Benigno, alors que ce dernier reste de marbre. Dans le film « I Love You Baby » (2001) d’Alfonso Albacete et David Menkes, Daniel et Marcos, les deux amants, ne se comprennent absolument pas : quand ils vont voir un match de foot, l’un s’amuse pendant que l’autre s’emmerde prodigieusement ; et c’est l’inverse quand ils assistent à la représentation d’une pièce de théâtre. Leur couple ne survivra pas à ce qui n’était finalement pas qu’une divergence de goûts. Dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder, Watson adore le ballet du Lac des Cygnes alors qu’Holmes baille et s’ennuie à mourir. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, George (le mélomane et prof de piano) va voir avec son amant Ben un récital de piano. Ils ne vivent visiblement pas le concert de la même manière : George a été subjugué par la pianiste… alors que Ben semble être passé à côté : « Elle en faisait un peu trop. » Son avis froisse George : « Je ne suis pas comme toi. » Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques et Arthur, amants, se rencontrent pour la première fois au cinéma, pendant la projection du film « La Leçon de piano ». Même si leur jeu de drague prend, ils ne semblent pas d’accord sur la réception du film. Arthur ne l’apprécie pas (« Un peu ‘livre d’images’ pour moi. ») tandis que Jacques le défend (« C’est très bien, ce film. Vous êtes complètement con si vous ne vous en rendez pas compte. »).

 

L’intimité de la salle obscure, en plus de conduire à l’irréalité, n’aide pas les héros homosexuels à être adultes et responsables, à se respecter l’un l’autre, à être chastes : « Ce qu’on a fait au cinéma, ce n’est pas bien. » (les jeunes Enrique et Ignacio parlant de leur masturbation réciproque au cinéma Olympo face à un film des années 1950, dans le film « La Mala Educación », « La Mauvaise Éducation » (2003) de Pedro Almodóvar) ; « Je nous imaginais faisant l’amour dans des attitudes toujours plus osées, toujours plus obscènes, comme celles que j’avais vues dans un film pornographique. » (Éric, le héros homosexuel du romanL’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 146)

 

Le cinéma sert d’alibi esthétique facile pour justifier bien souvent la partie de jambes en l’air : « On a fait une expo, vu deux films, et on a fini par coucher ensemble. » (Matthieu en parlant de son amant Jody, avec qui il trompe son copain Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.)

 

Les amants se retrouvent plutôt autour d’un narcissisme de mort, devant des hommes-objets inertes qui s’animent sous leurs yeux dans des écrans cinématographiques sans profondeur et sans vie réelle. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, les deux futurs compagnons, Bryan et Kévin, se rencontrent pour la première fois au cimetière, face à la tombe-cinéma de Julien, l’homo du lycée qui s’est suicidé, et entameront une histoire d’amour qui finira dans un bain de sang pour eux aussi : « Nous étions là, figés devant ce cercueil que nous regardions en silence. » (p. 50) Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Franck et Henri passent leurs journées face au lac à se raconter leur vie ainsi que les conclusions d’enquête sur les crimes de l’île où ils draguent. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, suit en filature son ami Rettore dans un cinéma porno dans lequel ce dernier se prostitue. Il manque de se prostituer tous les deux à un même adulte. Plus tard, les héros homosexuels vont écouter des vinyles dans une chambre obscure chez un disquaire muet qui leur fait revivre la nostalgie des chanteuses italiennes des années 1960-1970. À la fin du film, on apprend la mort de Rettore : immédiatement, on imagine qu’il a été tué par son client.

 
 

Khalid – « On pleurera cet après-midi alors… tous les deux… en regardant ton film d’horreur…

Omar – Sur l’affiche, l’acteur principal porte des lunettes.

Khalid – Et alors ?

Omar – Comme toi, avant. »

(Abdellah Taïa, Le Jour du Roi (2010), p. 113)

 
 

En général dans les fictions traitant d’homosexualité, le cinéma encourage le couple homosexuel à la consommation anthropophagique, à la prostitution (gratuite), et même parfois au vol, au viol, et au crime. Par exemple, dans le film « Antes Que Anochezca » (« Avant la nuit », 2000) de Julian Schnabel, un automobiliste drague Reinaldo Arenas en lui proposant d’aller au cinéma avec lui. Dans la pièce Une Heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat, Joséphine et Claire sont enfermées dans une cave, et oscillent entre séduction et envie de s’entre-tuer. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, la mère de Micke, le héros homosexuel, tire une balle sur son mari dans une salle de cinéma où était projeté un western de John Wayne. Dans le film « Japan Japan » (2007) de Lior Shamriz, Imri drague dans les cinémas. Dans le film « La Mala Educación », « La Mauvaise Éducation » (2003) de Pedro Almodóvar, le cinéma sert pour Juan d’instrument de vengeance du viol pédophile. Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, le cinéma porno est le siège de la drague homo anonyme. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, les deux amants Gabriel et Léo vont au cinéma ensemble voir un film fantastique que Léo, à cause de sa cécité, ne parvient pas à voir, mais que Gabriel lui raconte en simultané (les scènes y sont tellement gore qu’ils sont morts de rire). Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, c’est au cinéma que les trois sœurs Minias sont accostées par Bacchus, qui les violera.

 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, les amants Nathan et Jonas décident d’aller au cinéma ensemble pour fêter leur union : « On s’fait un ciné, samedi, ou quoi ? » (Nathan). Ils ne choisissent pas le film le plus romantique : c’est le film d’horreur « Nowhere » de Gregg Araki. Et à l’issue de cette sortie cinéma, Nathan va être assassiné.
 


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le cocon amoureux cinéma :

Le 7ème Art occupe une grande place dans le cœur de la communauté homosexuelle (cf. je vous renvoie au code « Télévore et Cinévore » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, à Paris, rares sont les individus homos qui n’ont pas l’abonnement UGC illimité ! Et la communauté LGBT mondiale est une des seules minorités ethniques à s’être créé des festivals de cinéma spécifiquement homosexuels plusieurs fois dans l’année, dans toutes les grandes villes, partout dans le monde (le festival Out In Africa en Afrique du Sud, Fairy Tales à Alberta, Inside Out à Toronto, Reeling à Chicago, Diversa à Buenos Aires, Sundance à Salt Lake City (top bobo-bisexuel), et tant d’autres… La liste est longue !).

 

CINEFFABLE

 

Très souvent, les personnes homosexuelles mettent le cinéma au centre de leur couple. « Juste avant de partir il a dit : ‘Qu’est-ce que tu préfères, l’amour ou le cinéma ?’ Il ne m’a pas laissé le temps de répondre. Il devait savoir mieux que moi ma réponse. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 109) Je connais énormément d’amis gays dont les unions se sont formées pendant une projection cinéma, ou bien qui amènent leurs amants potentiels/confirmés au cinéma, les gavent d’expos, de salons de mangas, de vernissage d’expos, de parcs d’attraction, de télévision, de concerts, de voyages, etc. Par exemple, Marcel Proust a nourri ses amants aux images : il guidait son amant Lucien Daudet dans les galeries du Louvre.

 

Cette course aux loisirs et à l’art audiovisuel n’est pas simplement à voir comme une technique de drague ou un prétexte facile pour « baiser » : elle dit déjà une sincérité esthétisante, une frustration de ne pas pouvoir fonder une famille et créer (le surinvestissement sur les loisirs est un équilibre compensatoire trouvé par de nombreux couples formés de deux célibataires), un ennui et une fermeture à la vie impulsés par la structure conjugale homosexuelle elle-même, et surtout une confusion entre amour (éthique) et fiction (éthique), caractéristique du désir homosexuel.

 

En général, les amants homosexuels se persuadent qu’ils vivent une vraie cinéscénie ensemble, dans leur petit nid d’amour cinématographique douillet. « Je me souviens que, petit, le danseur espagnol jouait avec son cousin blond. Un petit malin, très musclé pour son âge. La mère du danseur espagnol les a trouvés enfermés dans la chambre à coucher. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 162) ; « Pour tuer le temps, pendant les heures de repos, nous [Ernestino et moi] nous retrouvions dans les endroits où nous étions libres de nous raconter inlassablement les films que nous avions vus le samedi et le dimanche. Nous répétions ainsi pendant la semaine la description d’une même scène, du visage de l’actrice. La lumière éclairait la chambre, quand la jeune héroïne, blonde, sortant de son école de bonnes sœurs, regagnait, hantée par le malheur, sa maison d’Adrogue. » (idem, p. 191) ; « Nous parlons souvent des séries télévisées que nous nous empressons de regarder le soir en rentrant chez nous. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 13) ; « Didier avait l’immense privilège de disposer une fois par semaine de la salle du Rex. Un des deux cinémas de la ville. Accrédité par le théâtre, il y organisait les séances d’une sorte de ciné-club et choisissait les films. Parfois, privilège immense, il les projetait rien que pour moi. […] J’adorais ces séances privées. » (Christophe Tison, Il m’aimait (2004), p. 47) Ils se rassurent eux-mêmes par leurs goûts, projettent les sentiments qu’ils éprouveraient l’un pour l’autre dans les univers cinématographiques, sur leurs écrans réels et symboliques. Ils pourraient dire, comme le slogan des cinémas UGC : « On partage plus que du cinéma. »

 

Par exemple, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), Paula Dumont raconte qu’elle va souvent au cinéma avec ses différentes amantes : « Nous sommes allées au cinéma dans une salle Art et Essai inconfortable à souhait et nous avons regardé le film main dans la main. C’était ‘David et Lisa’, une niaiserie. » (p. 21)

 

Certains couples homosexuels se forcent à rester ensemble pour l’image – sociale, mais surtout publicitaire et cinématographique – qu’ils donnent de l’amour homosexuel : « On ne va pas donner aux autres une image du couple homo qui se sépare sur un coup de tête, quand même… » (cf. le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre)

 

Personnellement, j’ai compris grâce au roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig l’universalité-singularité de mon désir homosexuel, puisque l’aventure cinématographique que le personnage homosexuel de Molina propose à son compagnon de cellule Valentín (Molina, la « grande folle » qui se définit lui-même comme la « femme-araignée », passe son temps à raconter des films en noir et blanc des années 1930 à son camarade de prison), c’est exactement ce que j’ai mis en scène pour mon frère jumeau Jean pendant 4 années entre l’âge de 6 ans et 10 ans (avant que nous ne dormions plus dans la même chambre) avec « Les Aventures de Jean », une sorte de conte oral improvisé et extensible à l’infini, dont Jean était le héros, et qui se construisait selon notre/mon imagination, soir après soir. Quand j’ai découvert en 2002 que le livre de Manuel Puig relatait un des événements-phare de mon enfance (moi aussi, j’ai transformé ma chambre gémellaire en salle de cinéma), je me suis dit intérieurement : « Y’a un truc… C’est pas possible… Et si le désir homosexuel se laissait décoder ? Et s’il existait un Universel homosexuel qui ne soit pas identitaire ni amoureux, mais uniquement désirant ? »

 
 

b) Le deuxième effet Kiss-cool : le fossé d’incommunication entre amants

La magie cinématographique homosexuelle, en général, ne dure pas. Elle finit par devenir pesante pour les deux membres du couple gay ou lesbien, même s’ils jouent encore pour un temps la comédie de l’amour. Comme fatalement ils se sont « fait des films » et éloignés du réel, ils découvrent très souvent qu’ils ne sont plus faits l’un pour l’autre, qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’onde comme l’avaient prédit leurs goûts et les comédies dramatiques du cinéma : « Nous décidâmes avec Bill d’aller voir au cinéma ‘L’Empire du soleil’, un navet palpitant qui raconte, à travers son amerloque ribambelle de stéréotypes, le struggle for life d’un enfant projeté dans le monde le plus dur qui soit : la guerre… […] Je sentais dans le noir les déglutitions de Bill en accord avec le pathétisme des images ou son relâchement, en me tournant parfois discrètement vers cette luisance trop accentuée de l’œil, de ce ressort de larmes contenues réfléchi par l’écran, qu’il marchait à bloc, et qu’il s’identifiait, peut-être pas au personnage enfantin, mais au message symbolique du film : que le malheur est le lot commun des hommes mais qu’avec la volonté on s’en sort toujours. Je savais que Bill malgré son intelligence est un extraordinaire spectateur naïf, à qui l’on peut à peu près faire gober n’importe quoi, mais cette naïveté pour l’heure me répugnait… » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), pp.193-194) ; « J’ai allumé la télévision. Sur Melody Hits, il y avait le clip de la chanson de Sabah. Karabiino [le domestique noir de l’hôtel] connaissait le tube mais ignorait tout de la chanteuse. Il s’est arrêté de travailler. Je l’ai invité à venir s’asseoir sur le lit à côté de moi. Et on a regardé le clip ensemble. C’était joyeux. Triste. Bouleversant. Loin de tout. Sabah [l’actrice] défiait encore et toujours le temps, la mort, c’était son dernier combat. J’avais soudain envie de pleurer, mais je ne savais pas pourquoi. Karabiino, lui, avait les yeux fixés sur l’écran. Était-il heureux ? Avait-il oublié pour un moment son malheur ? À quoi pensait-il ? Qui, au fond, était-il ? Je n’avais pas de réponses. Je n’en avais pas besoin. Karabiino était un garçon offert à mes yeux, à ma mémoire, parfaitement lisible et complètement mystérieux. Je savais un bout de son histoire, de son rêve. Mais là, à côté de moi, il était comme un petit prince, un petit roi. Un petit Sphinx. Insaisissable. Ailleurs. Ailleurs en permanence. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 76-77) Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, des spectateurs inconnus d’une salle de cinéma sont filmés de face lors d’une projection d’un film qu’on ne connaît pas. Plus tard, Celia, la conservatrice de musée, reproche à Bertrand de lui envahir son espace psychique : « Je ne vais pas passer ma vie dans votre tête. »

 

L’intimité de la salle obscure, en plus de conduire à l’irréalité, n’aide pas les amants, et plus largement les individus homosexuels, à être adultes et responsables, à se respecter, à être chastes : « Je repérai très rapidement l’existence de cinémas pornos. Les films projetés étaient destinés aux hétérosexuels. En 1984, il n’était pas envisageable qu’un cinéma gay ait pignon sur rue. Mais c’était l’occasion de voir des corps d’hommes nus et excités. L’abstinence maintenue à force de suractivité et de prières depuis le lycée vola en éclats : j’achetai un billet pour une séance. Les toilettes du cinéma étaient couvertes d’inscriptions identiques à celles des carrelettes des toilettes de la gare d’Albertville. Elles servaient de boîte aux lettres, de lieu de rendez-vous et les cabinets permettaient aux couples formés de passer à l’acte. J’y eus ma première véritable expérience sexuelle. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 47)

 

En général, le cinéma encourage le couple homosexuel à la consommation anthropophagique, à la prostitution (gratuite), et même parfois au vol, au viol, et au crime. « Sur le chemin, un cinéma populaire, Royal El-Guidida, s’est présenté devant moi. Sans réfléchir j’ai acheté un billet et j’y suis entré célébrer ma nouvelle vie, au milieu d’une salle remplie d’hommes de tous âges qui se donnaient les uns aux autres sans complexe, sans se cacher, non loin des agents de police qui surveillaient l’entrée. Retrouver ma première religion. Mon rêve de toujours. Le cinéma par la peau. La transgression naturelle. Les corps dans l’intensité sexuelle. Des va-et-vient entre la salle immense avec orchestre et balcon et les toilettes. Un film. Deux films. Des stars. Adil Imam. Yousra. Nour Cherif. Leïla Eloui. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 98-99) À ce titre, le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot donne bien à humer l’ambiance sordide, dangereuse, et pourtant totalement banale de ce « lieu de baise » qu’est le cinéma porno Le Merri à Paris (on y voit des viols collectifs, des descentes de flics, des prostitués prêts à tailler des pipes à n’importe quel spectateur, des sombres histoires de racket, etc.). D’ailleurs, beaucoup de cinémas (notamment des cinémas pornos hétéros) ont été et sont des lieux de drague homosexuelle (pensons, rien qu’en Espagne, aux cinémas Carretas, Alba, Postas, Europa,El Ideal, ou encore Pleyel de Madrid ; aux cinémas Paz,Valencia Cinema, et Aliatar de Valence ; Arenas, CataluñaLido de Barcelone ; en France, au Grand Rex de Paris). L’écrivain homosexuel espagnol Terenci Moix aime raconter que c’est au cinéma qu’il a perdu l’innocence sexuelle. « J’ai été arrêté au cinéma le Far-West uniquement parce que j’étais dans un cinéma homosexuel. » (Dominique, témoin homosexuel parlant de la répression policière dans les années 1970 en France, dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre)

 
 

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Code n°40 – Cour des miracles homosexuelle (sous-code : Choeurs de tragédie grecque)

cour des

Cour des miracles homosexuelle

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La nostalgie d’une royauté bafouée

 

COUR DES MIRACLES Bossu

Film d’animation « Le Bossu de Notre-Dame » de Walt Disney


 

Un certain nombre de personnes homosexuelles s’intéressent à la Cour des miracles du Moyen-Âge. Cette étrange passion homosexuelle se fait passer pour un grand élan de solidarité (= éloge du multiculturalisme, de la pauvreté), de militantisme (= éloge de la marginalité « dérangeant » le « Système ») ou bien artistique (= éloge de l’originalité). En réalité, elle cache un grand orgueil (celui de se rêver Christ à la place du Christ, de vivre une royauté égocentrée… par manque d’amis véritables), un fantasme d’irréalité transgressive et de fantaisie festive qui finissent par montrer toute leur vanité et leur horreur une fois confrontées au Réel, une haine de soi (= homophobie) maquillée d’autosuffisance et de rire.

 

Nous aurions tort de nous fier aux apparences. Au vrai pauvre, bien des personnes homosexuelles lui préfèrent son icône – souffrante ou euphorique – et son absence. Elles le transforment en image folklorique. Le nécessiteux qu’elles bercent sur leur sein n’est autre que la « romanichelle de luxe » (Esméralda dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo), le vagabond sublimé des poètes maudits, le « bon sauvage » étranger, « la transfiguration d’un état de misère » pour reprendre les termes d’un de mes amis romancier homosexuel. Elles dépeignent une pègre qui, au lieu d’être constituée de vrais pauvres, se compose plutôt de cercles d’intellectuels libertins – donc un peu d’elles-mêmes ! – s’amusant à imiter, par moquerie ou/et générosité, les images d’Épinal de pauvres qu’ils se fabriquent dans leur imaginaire pour se donner bonne conscience. Elle sert de prétexte à l’exhibition carnavalesque et au déni de la pauvreté. C’est la raison pour laquelle les motifs du cirque, des fêtes foraines, du chœur de tragédie grecque, et des cours des miracles, reviennent excessivement souvent dans les œuvres homosexuelles. Vêtus de haillons, les faux mendiants homosexuels se donnent en spectacle, en entonnant la litanie de la honte de l’Occidental narrant son malheur face au soi-disant malheur planétaire apocalyptique. Ils se glissent subtilement dans la foule colorée et masquée qu’ils ont eux-mêmes créée pour s’élever en chefs. « En attendant d’être des rois, mes amis et moi sommes les acteurs d’une version de la folie des grandeurs, … sous une pluie de confettis » chante Arnold Turboust dans sa chanson « Mes amis et moi ». Intellectuellement, l’esthétique de la folie du SDF-bouffon donquichottesque séduit beaucoup les auteurs homosexuels bobos : pour eux, le délire « transgressif » est davantage vecteur de Vérité que la Vérité même. Elle est en réalité l’expression de leur propre homophobie/misanthropie/athéisme.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Homosexualité noire et glorieuse », « Faux révolutionnaires », « Milieu homosexuel infernal », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Reine », « Folie », « Milieu psychiatrique », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Bobo », « Défense du tyran », « Homosexuels psychorigides », « Amour ambigu de l’étranger », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cirque », « Magicien », « Mariée », « Doubles schizophréniques », « Grand-mère », « Drogues », « Quatuor », « Voleurs », « Homosexuel homophobe », « Méchant pauvre », « Prostitution », « Putain béatifiée », « Humour-poignard », « Voyante extralucide », à la partie « Carnaval » du code « Clown blanc et Masques », et à la partie « Nain » du code « Amant modèle photographique », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La cour des miracles, une rêverie :


 

Dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques apparaît une pègre, une foule carnavalesque grimaçante et ricanante, un groupe de personnages atypiques et difformes (nains, drogués, trans, travestis, prostituées, femmes déguisées en mariées, escort boys, personnages siamois, vieillards, géants, etc.) entourant le héros homosexuel : cf. le film « Die Unendliche Geschichte » (« L’Histoire sans fin », 1984) de Wolfgang Petersen (avec la cour de la jeune reine), le vidéo-clip de la chanson « Le Brasier » d’Étienne Daho, le vidéo-clip de la chanson « Substitute For Love » de Madonna, le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le film « Antes Que Anochezca » (« Avant la nuit », 2000) de Julián Schnabel, le concert de Mika à Paris Bercy le 26 avril 2010 (et surtout la chanson « Big Girl »), le film « Totò Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresco, le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue, le film « Le Sang du Poète (1930) » de Jean Cocteau (entouré de gitans), le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, le film « Splendori E Miserie Di Madame Royale » (« Madame Royale », 1970) de Ugo Tognazzi, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le film « Jugatsu » (1990) de Takeshi Kitano, la nouvelle L’Encre (2003) d’un ami homosexuel angevin (avec la Cité des Laiderons), le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le film « Opera De Malandro » (1986) de Ruy Guerra, les films « Accattone » (1961), « Mamma Roma » (1962), et « La Ricotta » (1963) de Pier Paolo Pasolini, la pièce Quai Ouest (1985) de Patrice Chéreau, le roman Monsieur de Phocas (1901) de Jean Lorrain, la nouvelle « De La Melancolía De Las Perspectivas » (1983) d’Héctor Bianciotti (avec sa population bigarrée : des nains, des prostituées, des alcooliques, des mariées, etc.), le roman La Noche De Walpurgis (1910) d’Antonio de Hoyos (avec la cour des miracles de bourgeois homosexuels déguisés en pauvres), le film « A Rainha Diaba » (1975) de Antonio Carlos Fontoura, le film « Die Hure Und Der Hurensohn » (1982) de Dagmar Beiersdorf, le vidéo-clip de la chanson « Relax » du groupe Frankie Goes To Hollywood, le roman Los Alegres Muchachos De Atzavará (1988) de Manuel Vázquez Montalbán, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (avec les aborigènes et les trois drag-queen réunis autour d’un grand feu de joie), le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand (décrivant à la fin la « faune » homosexuelle dans toute sa diversité), le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, le film « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey, le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion (avec le chœur de pédales chantant « Alléluia »), etc. Par exemple, dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, Vincenzo est obsédé par le qu’en-dira-t-on à propos de l’homosexualité de son fils Antonio : dans les lieux publics, il est persuadé que tout le monde l’a identifiée et en rient sarcastiquement.

 

Film "The Rocky Horror Picture Show" de Jim Sharman

Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman


 

Se crée le mythe snobinard du « bonheur entre exclus » et de la « force jouissive » (jubilatooooire) de la transgression des codes sociaux : « Ici on est tous des frères dans la joie dans la misère… À la cour des miracles, mendiants et brigands dansent la même danse… » (cf. la chanson « À la cour des miracles » de la comédie musicale Notre-Dame de Paris de Luc Plamondon) ; « Les vieux nobles qu’elle recevait étaient des amis de son père, aussi laids qu’elle. Le vieux comte des Asturies était couvert de verrues et le duc de Castille, son parrain, était bossu. » (Copi dans sa nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978), p. 12) ; « On est tous des imbéciles, on est bien très bien débiles. » (cf. la chanson « On est tous des imbéciles » de Mylène Farmer) ; « Son visage se tordit tandis qu’il regardait le labyrinthe de livres. Littérature ! Littérature – les Olympiades des nains de jardin ! Bavardage des déments ! Il fit un pas vers l’avant et renversa une étagère de livres par terre. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 176) ; « Goudron organisait tant de salons et de soirées fréquentées par des centaines de personnes ridicules de toutes sortes. Il les collectionnait, vous savez. Et il y avait nom pour chacune. Cette courtisane communiste, Madame Kortovsky était ‘Le Ballon rouge’ et Francœur, l’éditeur catholique, était ‘La Mante religieuse’. Picasso était ‘Le Minotaure’ et vous ‘Le Prince noir’. » (le pervers Comte Smokrev s’adressant à Pawel Tarnowski, au sujet de son mécène homosexuel Goudron, idem, p. 308) ; etc. Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, le couple Khalid/Omar se rend à Douar Dbada, qui est une sorte de cour des miracles : « Ils sont un peu dangereux là-bas. […] En plus des prostituées, il y a des maquereaux, les dealers de drogue… Les fous… Des assassins aussi… Les voleurs d’enfants… » (p. 125) Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, la cour des miracles entourant l’héroïne est composée de dandys efféminées, de femmes-à-barbe, d’hommes travestis en nonnes, de nains, de Noirs, de « copines » transgenres, etc.

 

Au départ, le héros homosexuel prétend trouver dans cette cour des miracles multiculturelle et marginale un refuge à la soi-disant intolérance sociale par rapport à son homosexualité, une famille qui reconnaît enfin sa royauté et la primauté de ses désirs identitaires/amoureux profonds : « Peut-être que ce qui fut jadis la Cour des Miracles saurait le guérir de sa peur, l’aider à s’affirmer auprès des siens. » (Ahmed en parlant du quartier gay du Marais, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 52) ; « Tout est permis au bal de Savoy. » (Madeleine, dans la comédie musicale Ball Im Savoy, Bal au Savoy (1932) de Paul Abraham) ; etc. Par exemple, dans la bande dessinée La Foire aux Immortels (1992) d’Enki Bilal, Jean-Ferdinand Choublanc, « Gouverneur de la Cité autonome de Paris » est manifestement homosexuel et a réuni une cour d’adhérents autour son parti dont tous sans exception très fortement maquillés. Et Choublanc s’adresse à ses maquilleurs en les appelant « les filles » et à son intendant en l’appelant « chéri », intendant avec lequel il partage son bain. Dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, les deux compères Bill et Étienne sont décrits comme des « lutins farfelus et fantoches ». Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, suit un cortège carnavalesque mystique de squelettes mexicains masqués. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, le petit monde de la nuit de la ville italienne de Catano s’anime autour de la prostitution : les prostitués, les travelos, les sosies de Mary Poppins ou Marilyn Monroe, les macs, les gigolos, le vieux disquaire muet, etc.

 

La particularité de cette cour des miracles homosexuelle, c’est qu’elle est souvent prise d’hilarité (comme les hyènes… juste avant ou après de frapper violemment) : « Je cours, je cours. Sans respirer. Puis je tombe. Des gens rient. […] Autour de lui [Hassan II], un souk. Beaucoup de femmes. […] Elles rient de moi. Cela les amuse : moi qui tombe et sur le point de pleurer. Elles rient longtemps sans vraiment me regarder. » (Khalid, le protagoniste homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 10) ; « Tout le monde a ri. Tout le monde. Tous ces gens avec qui j’ai grandi. […]  Le pire, c’est que je ne les ai même pas détestés. » (Pauline, l’héroïne lesbienne racontant un spectacle public où elle a été la risée des gens de son village parce qu’elle a joué le premier rôle et s’est travestie en homme, dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau) ; « Parfois je la voyais au milieu d’autres hommes habillés. Allongée sur le dos, les jambes en l’air, avec pour toute parure ses talons aiguilles. Il y avait là des profs de la fac, des laborantins en blouse du département de chimie, quelques-uns des garçons au rire gras avec qui j’avais déjeuné au RU. Ils ne la caressaient pas. Ils se contentaient de la regarder, de la montrer du doigt et de rire. Et elle riait avec eux, dans cette posture humiliante. Dans d’autres rêves, elle se moquait de moi avec sa copine, pendant les cours de Gritchov. Je ne comprenais pas ce qu’il y avait de si comique dans ma tenue. » (Jason, le héros homosexuel décrivant Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 59) ; « La foule riait aux éclats, ils lançaient sur Truddy des pavés. » (Copi dans sa nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 40) ; « Tous nous ovationnèrent, pleurant et riant […] » (Gouri, le rat bisexuel du roman La Cité des Rats (1979), p. 94) ; « Les rires de la foule des hommes » (idem, p. 104) ; etc. Par exemple, dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, la cour homosexuelle de Bob (composée de drogués) passe insensiblement de l’agression au rire : ça passe ou ça casse. Dans sa chanson « À table » de Jann Halexander, le protagoniste homosexuel décrit « le rire déformant des visages » des membres d’une fête de famille.

 
 

b) La cour des miracles homosexuels, un cauchemar :

Film "Poltergay" de

Film « Poltergay » d’Éric Lavaine


 

Symboliquement, la cour des miracles homosexuelle ressemble à la voix d’une schizophrénie. Le héros homosexuel se sent entouré de nains et de clowns rieurs qui, après s’être amusés et après l’avoir intronisé, vont le momifier, le trahir et le brûler sur un char (cf. je vous renvoie au code « Méchant Pauvre » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. la chanson « L’Horloge » de Mylène Farmer, la chanson « Porno-graphique » de Mylène Farmer, la chanson « No More I Love You’s » d’Annie Lennox, la comédie musicale Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, les vidéo-clips des chansons « Sans contrefaçon », « Sans logique », « Désenchantée », « L’Âme-Stram-Gram » et « Optimistique-moi » de Mylène Farmer, etc. Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, lors d’une séance de karaoké, où Steve (le héros homosexuel) se ridiculise, la prestation vire à la vision d’enfer : il voit tous les clients du bar ricaner (au ralenti), puis en menace violemment un avec une bouteille de bière car il ne gère pas l’humiliation.

 

« Le fond de leur rire avait quelque chose de métallique. » (Pretorius, le héros homosexuel parlant des clients de l’Hôtel du Transylvania, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander)

 

 

La cour des miracles, c’est aussi le retour homophobe d’un désir homosexuel pratiqué (retour violent prêté uniquement à « la société »… mais qui n’est en réalité que la société des amants, que le monde de la prostitution et de la drogue) : cf. le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec la gare parisienne se transformant en cour des miracles), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec la cour homosexuelle gitane de Sébastien, qui finit par l’assassiner, en représailles), le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, l’opéra-rock Starmania de Michel Berger (avec le gang des Étoiles Noires), le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « Garçons d’Athènes » (1998) de Constantinos Giannaris, etc. « C’est une chose difficile que d’être homosexuel au pays des cow-boys. » (4 journalistes en chœur, et en direct du Wyoming, dans la pièce Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman) ; « Autour de moi, les hommes forment une ronde. […]  Le spectacle de la gare est immuable. Presque rituel. » (Léo, le héros homosexuel du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 213) ; « Vous n’avez jamais rencontré de vrais homosexuels. Ce sont des bossus qui riraient de votre mariage. » (le père de Claire, l’héroïne lesbienne, s’adressant à sa fille et à sa compagne Suzanne à propos de leur projet de « mariage pour tous », dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « C’est un petit monde. Vous devez tous vous connaître, non ? » (l’Inspecteur s’adressant à Franck, le héros homosexuel, pour enquêter sur les crimes homophobes de l’île qui est un lieu de drague gay hostile et impitoyable, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; etc.

 

Queen

Queen


 

Cette cour des miracles représente donc la conscience du viol, exprimée par le traditionnel chant du chœur de tragédie grecque qui annonce la mort prochaine (physique et déjà symbolique) du héros homosexuel : cf. le film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick (avec les trois femmes asiatiques), la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare (avec le chœur des sorcières), le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne (avec les trois drag-queen), le film « Anguished Love » (1987) de Pisan Akarasainee, le film « Puta de Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria (avec le cortège des pleureuses), le film « Les Sorcières » (1966) de Pier Paolo Pasolini et Luchino Visconti, les pièces de Federico García Lorca telles que La Savetière prodigieuse (1926) ou Doña Rosita la célibataire ou le langage des fleurs (1935), la chanson « Bohemian Rhapsody » du groupe Queen, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho, la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim (avec les trois bonnes fées travesties), les films « Pepi, Luci, Bom Y Otras Chicas Del Montón » (1980), « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) et « Mujer Al Borde De Un Ataque De Nervios » (« Femme au bord de la crise de nerfs », 1987) de Pedro Almodóvar, le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus (avec le chœur des femmes ouvrières galloises), etc. Par exemple, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, les chœurs des voisins – qui se fait appeler aussi « le chœur des âmes » – sont toujours les annonciateurs de mort ou de violence, et la symbolisation de la contemplation de l’horreur à distance. Ils annoncent le viol, et dans le même mouvement, le nient. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas, Gabriel et Rudolf, les trois héros gays sans avenir, forment le chœur montagnard de « Sissi », une cantatrice fantomatique transgenre M to F autrichienne.

 

« Au milieu d’un désordre phénoménal (les tables cassées parmi les bouteilles arrosées de confettis) […] À chaque fois que je laissais échapper un cri, l’assistance repartait d’un gros rire […]. Et ne songeons même pas à demander de l’aide aux esquimaux : pour cette peuplade, Glou-Glou Bzz représentait plus qu’une reine. » (le narrateur homosexuel se faisant trucider la bite, après le carnage de la reine du carnaval Glou-Glou Bzz, dans la nouvelle « La Mort d’un Phoque » (1983) de Copi, pp. 22-24) ; « Je ne fais jamais partie des chœurs. On a quand même son orgueil ! Les chœurs sont les seuls morceaux d’opéra que j’écoute de l’extérieur, en restant assis dans mon fauteuil, en ‘regardant’ dans ma tête un spectacle plutôt qu’en le vivant comme si j’étais un des protagonistes. J’aime écouter les chœurs, je n’aime pas les vivre. » (le narrateur homosexuel parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « Je ne savais plus si j’étais heureux de l’observer parce que je le trouvais émouvant dans son ridicule ou si je souffrais avec lui de chanter des choses idiotes dans une œuvre idiote, entouré d’idiots déguisés comme pour un carnaval de pauvres. J’aimais croire qu’il était conscient de la petitesse et de l’insignifiance de ce qui l’entourait sur ce plateau et que ce qu’il ressentait était la honte d’en faire partie. Le Prince Charmant existait donc et il était habillé en petit page d’opérette dans une mauvaise production d’opéra ! » (le narrateur homosexuel parlant du chanteur Wilfrid Pelletier, idem, p. 50) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La cour des miracles, une rêverie :

Quand j’étais enfant et adolescent, j’étais très attiré par l’univers moyen-âgeux de la Cour des miracles. Il m’arrivait d’en faire un jeu (par exemple, j’avais créé « Les Aventures de Jean », une mise en scène nocturne théâtralisée de personnages fictifs habitant l’univers de mon frère jumeau, Jean), et j’aimais ces univers clos avec des personnages étranges autant qu’inquiétants (le jeu du Cluedo, le jeu télévisé Fort Boyard, etc.).

 

Cette attraction pour les salons de précieuses, pour les bals masqués peuplés de Colombine, de voyantes extra-lucides, de brigands, de sorcières, de courtisanes, de nains, d’Esméralda et autres créatures extraordinaires, je pense la partager avec un certain nombre de personnes homosexuelles. Et il n’est pas étonnant que dans l’imaginaire collectif LGBTI, la « communauté homosexuelle » mondiale soit régulièrement décrite comme une pâle copie de la cour des miracles littéraire. Par exemple, lors de son entretien avec J. O’Higgins en 1982, le philosophe homosexuel Michel Foucault assimila les quartiers homosexuels des grandes villes nord-américaines comme San Francisco ou New York aux « cours médiévales, qui définissaient des règles très strictes de propriété dans le rituel de cour » (Michel Foucault, « Choix sexuel, Acte sexuel », Dits et écrits II, 1976-1988 (2001), p. 1150). Dans sa thèse « Avatares De Los Muchachos De La Noche » qui précède son recueil de poésies Austria-Hungría (1992), Néstor Perlongher évoque le monde extrêmement codifié de la nuit et de la prostitution masculine. Dans ses mémoires Coto Vedado (1985), Juan Goytisolo aborde « la réalité brutale de la cour des miracles espagnole » dans les quartiers homosexuels de Barcelone.

 

Beaucoup d’auteurs homosexuels se plaisent à chanter les louanges d’une cour des miracles interlope, d’une nation « élue » qui aurait le devoir d’annoncer au monde la grandeur transgressive de la marginalité, de la négation de la différence des sexes : John Cameron Mitchell, Pier Paolo Pasolini, Steven Cohen, Essobal Lenoir, Philippe Besson, Hervé Guibert, Federico Fellini, Jean Cocteau, Marcel Proust, Severo Sarduy, Osvaldo Lamborghini, Rancinan, etc. « Un gigantesque bidonville. Ernestito et moi adorions ces habitants grossiers, populaires, dangereux. Ils faisaient souvent partie de nos histoires, de nos fantaisies. Ils devenaient, à leur insu, les interprètes de nos feuilletons imaginaires. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 186)

 

Cette nation-pègre voulue par beaucoup de personnes homosexuelles/transsexuelles ressemble, dans les faits, à une cour royale de maison close, dans laquelle gravitent les maquereaux et leurs dandys escort-boys (leurs mignons) fêtant la jouissance libertine, la mixité sociale et intergénérationnelle : « À soixante-dix ans, Lito [une femme transsexuelle transformée en homme] continuait à mener une existence de play-boy. Toujours tiré à quatre épingles, il était le plus souvent escorté par une cour de jeunes gens aux casiers judiciaires chargés. Par on ne sait quel miracle, cette petite pègre l’adorait. Ils avaient l’élégance de prolonger son règne lorsque l’un d’eux devait s’éclipser quelques temps à l’ombre d’une cellule. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 291) On en trouve un exemple parlant avec la bande des Cockettes dans les années 1970 à San Francisco (États-Unis), groupe d’érotomanes et cocaïnomanes revendiqué : « On ne pensait qu’à faire la fête, à s’éclater. On ne se rendait pas compte qu’on créait quelque chose de magique. On vivait dans notre monde. On réalisait nos rêves et nos fantasmes. On se fichait de ce qui se passait à l’extérieur. Les Cockettes étaient très incestueuses. Tout le monde couchait avec tout le monde… sous LSD… » (Rumi, un survivant travesti M to F des Cockettes, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) Je vous renvoie également au documentaire « Paris Is Burning » (1980) de Jennie Livingston, sur la sous-culture du voguing dans les bas quartiers nord-américains, avec des concours de travestis noirs.

 

COUR DES MIRACLES Rois

Francky Goes To Hollywood


 

Plus gravement, il est possible d’entrevoir dans cette foule indiscernable de personnes gay friendly, hétéro, homo, bi, transgenre et transsexuelle, le phénomène (décrit magistralement par Philippe Muray) de possession hystérique collective, prenant l’étrange masque de l’euphorie carnavalesque agressivement plaintive : « Le Possédé. Comme tel, il souffre. Tout ce qui ne lui plaît pas le fait tellement saigner qu’il porte plainte ; mais il jouit encore tellement lorsqu’il porte plainte qu’il est incapable de se voir en train de porter plainte et de rire de lui-même. C’est ainsi qu’il est comique, d’un douloureux comique que plus personne n’ose nommer ainsi. C’est un comique de doléance, comme il y a un comique de répétition, et ce nouveau comique, absolument inconnu des anciennes littératures, est souvent très réussi. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 71) Ça sent la misère culture et affective à plein nez.

 
 

c) La cour des miracles homosexuels, un cauchemar :

La cour des miracles, symboliquement, c’est la voix de la schizophrénie. Par exemple, ce n’est pas un hasard si le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, dont la trame est l’homosexualité, commence par un débat sur l’obligation du pluralisme des langues. Cette question de la « prose babélique », de la pluralité du langage et des sexualités, a intéressé des chercheurs tels que Michel Foucault ou Nicolás Rosas. Il existe une correspondance entre le monde babélique/babylonien et le « milieu homosexuel ».

 

Dans le monde homosexuel actuel, je retrouve des actualisations incomplètes de la cour des miracles médiévale dans beaucoup de mouvements LGBTI : le milieu associatif homosexuel dans son ensemble (peuplé souvent de « cas sociaux »), les Gay Pride (avec les chars des Maghrébins, des daddies, des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, etc.), les discothèques et les bars (de plus en plus compartimentés en sous-catégories : les bears, les crevettes, les minets bodybuildés, les fem, les butch, les trans, les sadomasos, etc.) et surtout surtout les sites de rencontres internet (les fameux chat, hyper ritualisés et habités par des profils improbables de profonds mythomanes). Là, on a vraiment l’impression de rentrer dans un monde de fous, très codifié.

 

La cour des miracles, c’est aussi le retour homophobe d’un désir homosexuel pratiqué (retour prêté à « la société »… mais qui n’est en réalité que la société des amants ou le monde de la prostitution). Le libertinage donne une illusion de liberté et construit en réalité un ghetto doré, avec des nouvelles règles d’autant plus rigides et féroces qu’elles constituent des barreaux invisibles, tacites : la société homosexuelle est en effet fondée sur la double vie, la dissimulation, le mensonge, le paraître, l’anonymat, la pulsion sexuelle (…et ses caprices inattendus), un désir sexuel qui n’ose pas assumer son nom ni ses pratiques : « Outre la mauvaise réputation qu’avait la Savane la nuit, je lui rapportais en détail certaines agressions dont j’avais été témoin. Sur la place, je rencontrais toutes sortes d’individus ; les ‘branchés’ étaient une population très hétéroclite. On était du même bord, mais on ne se fréquentait pas. Sans doute par manque de confiance, beaucoup se méfiaient de leur propre clan et jouaient à cache-cache en permanence, se dénigrant et se méprisant mutuellement. Impensable pour un groupe déjà victime du malheur de sa propre différence ! C’est quand même surprenant et regrettable d’en arriver là. […] Cette histoire de clans est une fatalité pour la communauté et l’on ressentait une rivalité oppressante entre les groupes différents. En fait, chaque groupe entrait dans une catégorie bien distincte : les extravagants, les cancaniers, les très discrets et enfin les ‘leaders’, ceux qui incitaient à la prise de conscience contre les discriminations et l’homophobie dans la région d’outre-mer. Je trouvais bien dommage cette diversification au sein de la communauté. » (Ednar parlant des lieux de drague antillais, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 188-189) ; « Quant aux quais de la Seine, il y a belle lurette qu’ils abritent, en plus des traditionnels clochards, les idylles d’horribles couples. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 59) ; etc.

 

Enfin, la cour des miracles fictionnelle représente, une fois transposée dans le réel, la conscience du viol (un viol réel ou/et fantasmé), le chœur symbolique des garçons sauvages et adolescents qui annoncent la mort prochaine (physique et/ou psychique) de la personne homosexuelle. « Ils se sont rapprochés de moi en se masturbant. J’étais allongé sur le dos au milieu du lit bleu. J’ai fermé les yeux et j’ai essayé de m’imaginer encore une fois à la piscine, l’eau, le chlore, le plongeoir, la paix, le luxe. Un rêve impossible à l’époque. Je nageais mais dans la peur. Je tremblais, à l’intérieur. Je ne voyais plus les garçons sauvages mais je les sentais venir, se rapprocher de mon corps, le renifler et le lécher. Dans un instant le violenter, l’un après l’autre le saigner. Le marquer. Lui retirer une de ses dernières fiertés. Le briser. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 25) Pour ma part, j’ai vécu au collège cette petite descente aux enfers qu’a opérée sur moi la cour des miracles de mes camarades collégiens. En effet, tous les garçons de ma classe de 5e m’ont violenté sur la cour d’école du collège Jeanne d’Arc à Cholet, ceux-là mêmes qui m’avaient intronisé roi et délégué de classe en 6e, un an auparavant.

 

La cour des miracles est finalement la représentation fantasmagorique (et parfois l’actualisation concrète) de l’idolâtrie sociale. Un désir passionnel déçu. Elle sied donc parfaitement au désir homosexuel.

 
 

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Code n°41 – Curé gay

curé gay

Curé gay

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Montgomery Clift dans le film "La Loi du silence" d'Alfred Hitchcock

Montgomery Clift dans le film « La Loi du silence » d’Alfred Hitchcock


 

Les Oiseaux qui se cachent pour vomir, version gay… Avant que certains cathos se choquent ou que certains anti-cathos sautent de joie, je tiens à préciser que ce code va traiter du cliché du prêtre ou de la religieuse représenté(e) dans les fictions traitant d’homosexualité, comme « gay » (ou « lesbienne »). Je parle bien des clichés de l’homosexualité, pas d’abord de la réalité improbable de ces clichés (merci de bien comprendre le fonctionnement de mon Dictionnaire en lisant le mode d’emploi, avant de me faire dire ce que je ne dis pas ou de prendre au pied de la lettre les codes).

 

J’ai pour habitude de dire qu’il n’y a pas de cliché sans feu… et que, donc, s’il y a dans les fictions parlant d’homosexualité autant de prêtres homosexuels refoulés, pervers et pédophiles, et de bonnes sœurs lesbiennes frustrées, c’est qu’il y a un fond de vérité. Et pourtant… le cliché du « curé gay » fait presque exception à la règle !

 

Jésus porte le péché du monde sans être pour autant pêcheur. Il est donc logique que nos prêtres, qui ont revêtu le Christ, subissent le même sort que Lui. Ça ne veut pas dire que l’accusation d’homosexualité soit avérée pour eux, mais bien qu’ils sont habités par le Christ… et pour le coup, plus attaqués par le démon !

 

La délirante présomption d’homosexualité des prêtres (ou, ce qui revient au même, d’homophobie intériorisée) était déjà une accusation et une manœuvre courante des Nazis pour discréditer l’Église et ses serviteurs : « J’estime qu’il y a dans les couvents 90 ou 95 ou 100% d’homosexuels. […] Nous prouverons que l’Église, tant au niveau de ses dirigeants que de ses prêtres, constitue dans sa majeure partie une association érotique d’hommes, qui terrorise l’humanité depuis mille huit cents ans. » (Heinrich Himmler dans son discours du 18 février 1937, cité dans l’essai Le Triangle rose (1988) de Jean Boisson, p. 73)

 

Photomontage "Benetton" du Pape Benoit XVI collé aux lèvres de l'imam Mohamed Ahmed al-Tayeb

Photomontage « Benetton » du Pape Benoit XVI collé aux lèvres de l’imam Mohamed Ahmed al-Tayeb


 

J’en ai rencontrés, des prêtres homosexuels. Et même un nombre plus important que je n’aurais pu imaginer, j’avoue. Cependant, ma vision du phénomène n’est d’une part pas très représentative de l’ensemble du Clergé (car mon statut médiatique de « Catho homo » m’expose évidemment plus à recevoir prioritairement les confidences des curés touchés par l’homosexualité), et d’autre part, les prêtres homos restent une minorité (et de toute façon, la question de leur orientation sexuelle se pose à peine une fois passée leur ordination puisqu’ils font vœu de continence, qu’ils se sentent homos ou attirés par l’autre sexe ; ce qui pose uniquement problème, c’est quand ils passent à l’acte).

 

CURÉ GAY Panorama

 

Seule la réalité de terrain nous permet de comprendre que, de par leur recherche de pureté (recherche souvent fructueuse et épanouissante, quoi qu’en disent les médias qui prennent leurs mythes pornographiques pour des réalités), les célibataires consacrés attisent les sarcasmes et les jalousies, et que le clergé n’est pas – même au tiers, comme on l’entend parfois, comme qu’il s’agissait d’une statistique avérée – un « repère d’homosexuels ». En revanche, à l’extérieur de l’Église, on observe beaucoup de fascination mêlée de rancœur, de la part des personnes homos qui se rêvent « religieuses à la place des religieux », car les prêtres, par leur choix de vie radical, les renvoient forcément à leur inconstance et à leur détournement de l’Idéal d’Amour. Par conséquent, elles projettent souvent sur eux leurs propres fantasmes libertins de saints ratés.

 
 

N.B. : Je vous également aux codes « Attraction pour la « foi » », « Se prendre pour Dieu », « Putain béatifiée », « Pédophilie », « Viol », « Homosexuels psychorigides », « Homosexuel homophobe » et « Blasphème », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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FICTION

 

Le personnage homosexuel est un prêtre ou une religieuse :

 

Toile de Fernando Botero

Toile de Fernando Botero


 

Les curés gays ou les nonnes lesbiennes sont très nombreux dans les œuvres artistiques homosexuelles. J’ai dressé une liste non-exhaustive : cf. le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar (avec la Mère supérieure lesbienne), la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, la B.D. Muchacho (2006) d’Emmanuel Lepage (avec Gabriel de la Serna, séminariste homo), le film « Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot » (1965) de Jacques Rivette, le film « Lilies, les Feluettes » (1996) de John Greyson (avec l’évêque homosexuel), la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone (avec le prêtre gay et pédophile), le film « La Vie est un long fleuve tranquille » (1988) d’Étienne Chatiliez (avec Patrick Bouchitey en curé efféminé chantant « Jésus revient »), le film « The Devil’s Playground » (1976) de Fred Schepisi, le film « Les Loups de Kromer » (2003) de Will Gould (avec les dernières images du film montrant la queue de loup – signe d’homosexualité dans l’histoire – dépassant de la soutane du prêtre homophobe qui s’éloigne sur le chemin…), le film « Au nom du Père » (1972) de Marco Bellocchio, le roman L’Agneau carnivore (1975) d’Agustín Gómez Arcos, le film « The Boys Of St Vincent » (1992) de John N. Smith (avec les frères de l’orphelinat St Vincent), le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « In The House Of Brede » (1975) de George Schaefer, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (avec le pasteur Elvström), le film « La Cage aux Folles II » (1981) d’Édouard Molinaro, le film « La Nonne et les sept Pécheresses » (1972) de Sergio Garrone, le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi (avec le vicaire homo), le roman inachevé La Religieuse (1780) de Denis Diderot (avec les prêtres homosexuels chez le Comte de Mirabeau), le film « La Pire de toutes » (1990) de Maria Luisa Bemerg, le film « Mais ne nous délivrez pas du mal » (1970) de Joël Séria, la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, le roman Ser Gay No Es Un Pecado (1994) d’Óscar Hermes Villordo, la pièce Les Longues Vacances de Salazar (1997) de Manuel Martínez Medeiro (avec le cardinal Cerise, homosexuel frustré voulant revivre ses premiers homosexuels de pensionnat avec le dictateur Salazar), le film « Les jours et les nuits de China Blue » (1984) de Ken Russell, le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy (avec le père de Trennes, homosexuel refoulé), le film « Pianese Nunzio, 14 Anni A Maggio » (1996) d’Antonio Capuano (avec le père Alonso), le roman El Ángel descuidado (1965) d’Eduardo Mendicutti, le roman Los Nietos De San Ignacio (1916) de Joaquín Belda, le film « Le Nom de la Rose » (1986) de Jean-Jacques Annaud, le film « Conan le Barbare » (1981) de John Milius, le roman A.M.D.G. (1910) de Pérez de Ayala, le film « Butterfly » (2004) de Yan Yan Mak, le film « Couvent de la Bête sacrée » (1974) de Norifumi Suzuki (Mayumi, jeune femme libérée, décide de rentrer dans les ordres), le film « Extramuros » (1985) de Miguel Picazo, le film « Manuel Y Clemente » (1985) de Javier Palmero, le roman Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto d’Halmar, le film « Le Canardeur » (1974) de Michael Cimino, le roman Extramuros (1978) de Jesús Fernández, le film « Le Narcisse noir » (1947) de Michael Powell-Emeric Pressburger, le film « If… » (1968) de Lindsay Anderson, le film « Fantasmes » (1967) de Stanley Donen, le film « Jeunes filles au couvent » (1972) d’Eberhard Schroeder, le film « Storia Di Una Monaca Di Clausura » (1973) de Domenico Paolella, le film « Les Religieuses du Saint Archange » (1973) de Domenico Paolella, le film « Flavia la Défroquée » (1974) de Gianfranco Mingozzi, le film « Intérieur d’un couvent » (1976) de Walerian Borowczyk, le film « Lettres d’amour d’une Nonne portugaise » (1976) de Jess Franco, le film « Le Confessionnal » (1995) de Robert Lepage, le film « Wet And Rope » (1979) de Koyu Ohara, le film « Prêtre » (1994) d’Antonia Bird (avec le père Greg), le film « Un Printemps sous la neige » (1983) de Daniel Petrie, le film « Lilies » (1996) de John Greyson, le film « Het Sacrament » (1989) d’Hugo Claus, le film « Sister Emmanuelle » (1981) de Joseph Warren, le film « Quam Mirabilis » (1994) d’Alberto Rondalli, le film « Dominique Suor Sorriso » (2001) de Roger Deutsch, le film « Pecata Minuta » (1998) de Ramón Barea, le film « Les Destinées sentimentales » (1999) d’Olivier Assayas, le film « Split Wide Open » (1999) de Dev Benegal, la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener (avec Pierre le jeune prêtre homosexuel, en couple avec Pierre), la chanson « Ils en sont tous » (1949) de Robert Rocca, le one-man-show Cet homme va trop loin (2011) de Jérémy Ferrari (avec le Père Vert), la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, la chanson « Jesus Is Gay » de Gaël, le film « Une Chose très naturelle » (2010) de Christophe Larkin (avec David, l’ancien séminariste), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, la publicité étrangère « Love For All » pour la marque de vêtements Björn Borg (avec les deux prêtres mariés à l’Église par une femme pasteur), la comédie musicale Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy (avec le père François), le film « Souffle au cœur » (1971) de Louis Malle (avec le jésuite pédéraste), le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec Fefe, le curé gay), le film « Il y a des jours… et des lunes » (1989) de Claude Lelouch (où Francis Huster joue le rôle d’un prêtre en couple avec un antiquaire), la série Ainsi soient-ils de la chaîne Arte (2012) de David Elkaïm (avec des portraits de cinq séminaristes, très romancés et caricaturaux ; et l’un d’entre eux est évidemment homo), le roman Deux garçons, la mer (2013) de Jamie O’Neill (Jim, l’un des héros homos, se destine à la prêtrise), le film « In The Name Of » (2012) de Malgoska Szumokska (avec Adam, un jeune prêtre engagé et populaire, qui finit par se découvrir homo), la pièce L’Émule du Pape (2013) de Michel Heim (avec Tazzio, l’amant du Pape), le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi (avec le prêtre montré comme homosexuel refoulé), l’opéra King Arthur (2009) d’Hervé Niquet (avec les deux moinillons homosexuels), le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer (avec le pasteur Ralph, homophobe et secrètement homosexuel), la pièce Les Feluettes (2015) de Michel Marc Bouchard (avec Monseigneur Bilodeau), le film « Benedetta » (2021) de Paul Verhoeven, etc.

 

Séminaristes « nouvelle génération »

 

Les allusions à l’homosexualité latente des prêtres sont plus ou moins directes : « Un ecclésiastique, un abbé pédalait. Mon Dieu, qu’il pédalait, pédalait bien l’abbé. » (cf. la chanson « L’Abbé à l’harmonium » de Charles Trénet) ; « Les curés, ce sont des hommes comme les autres : des obsédés. » (Nana dans son one-woman-show Nana vend la mèche, 2009) ; « Drag-queen avec moins de paillettes = un curé. » (une réplique du one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Le pays a été sodomisé par la religion. » (Nasser dans le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears) ; « Je payais en toute hâte, empochai mon ticket et me jetai sur les portes du théâtre sans regarder vers la queue où, j’en étais convaincu, une dizaine d’homosexuels – dont un prêtre –, plus méchants les uns que les autres, riaient de ma déconvenue. » (le narrateur homosexuel à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 35) ; « J’préfère encore me faire tripoter par un prêtre comme mes copains cathos quand ils vont au caté. » (Laurent Spielvogel à propos du rabbin à qui il va rendre visite, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.
 

Par exemple, dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim, le jeune adolescent homosexuel, s’est fait attouché par un prêtre, le frère Pocycarpe (ce dernier lui a déboutonné sa chemise et caressé le torse). Cet abus donne raison aux suspicions anticléricales émises par Doyler, l’amant de Jim : « Ces curetons, c’est tous des pervers et des frustrés. Attention aux curés de tous les côtés ! ». Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, Géraldine, la femme de Nicolas le héros homosexuel, sort des propos hyper homophobes, et soupçonne Mgr Lanu le prêtre qui doit présider l’enterrement du père de Nicolas, d’être homosexuel : « Je pense qu’il est un peu huhuhu. C’est un pédé, quoi ! » Nicolas fait des jeux de mots salaces entre le nom de famille Lanu et l’anus, bien entendu. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca hallucine, avec l’application I-phone GrindR, de découvrir des homos partout autour de lui : « J’étais pas habitué, moi ! Je viens du Nord-pas-de-calais. À part le curé, y’avait personne ! » Dans le film « Tout mais pas ça » (« Se Dio vuole », 2015) d’Edoardo Falcone, Andrea, veut devenir prêtre, mais n’ose pas encore le dire à ses parents. Tommaso, son père anticlérical, voit Andrea partir en mobylette avec son pote Furio, et s’imagine déjà qu’ils couchent ensemble… alors qu’ils ne font que se rendre à des réunions d’enseignement chrétien animées par un prêtre. La prêtrise est mise sur le même plan que le coming out.

 

Cette réputation est parfois confirmée par le personnage homosexuel lui-même. « Ton père est différent des autres pères. » (le père travesti M to F, ancien curé et ancien évêque de Bruxelles, faisant son coming out à son fils Peter et parlant de lui à la troisième personne, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau ; il veut fonder l’Association des Travestis Évêques Belges, l’ATEB) On retrouve quelques héros homosexuels religieux vivant en couple homo, ou bien fréquentant les lieux de drague homosexuelle tels que les saunas ou les parcs. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, lors d’un de leurs premiers dîners, Pierre Bergé compare son futur amant Yves Saint-Laurent à un prêtre pour le dragouiller : « Quand vous êtes venus saluer [à la fin du défilé Dior], vous aviez l’air d’un séminariste. »… ce à quoi Yves lui fait cet aveu : « Je suis passé chez les curés, oui. » Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien, séminariste, se voit dans une situation et dans des actions qui ne lui ressemblent pas : « Et Adrien était là aussi [sur la Place Dauphine, lieu de prostitution]. Adrien faisait comme eux. Il était l’un d’eux. Il en éprouvait de la honte. Comment lui, le prêtre, pouvait-il être impliqué dans ce vil commerce des corps, côtoyer ces êtres en manque de chair, se mettre en chasse comme eux ? » (p. 27) Le personnage homosexuel fige l’acte schizophrénique en question esthétique pour ne pas agir selon sa conscience. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, le père d’Henri est prêtre. Et à la fin de la pièce, Edmond se marie avec le père Gilbert.

 

Dessin "Klostertraum" (1952) de Clovis Trouille (le bien nommé...)

Dessin « Klostertraum » (1952) de Clovis Trouille (le bien nommé…)


 

L’homosexualité de l’ecclésiastique est parfois une projection fantasmatique du héros/de l’auteur gay. « Le président se faisait sodomiser par le pape de l’Argentine. » (la voix narrative du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 56) ; « Un prêtre sur trois en est. » (Julien dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Si les jeunes imitaient leurs profs homos, il y aurait davantage de bonnes sœurs. » (Harvey Milk dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant) ; « Mais entrez donc Monseigneur. Toujours toujours, tu t’y frottes… typique. » (cf. la chanson « Bouchon rue de Liège » du Beau Claude) ; « Y’a deux semaines, j’ai postulé pour rentrer dans les ordres. » (Jarry dans son one-man-show Atypique, 2017); etc. Par exemple, dans la pièce Le Bossu de Notre-Dame (2010) d’Olivier Solivérès, le méchant Frollo est homosexualisé et comparé à Blanche-Neige. Dans le film « Madre Amadísima » (2010) de Pilar Tavora, l’un des personnages s’adresse à la photo du pape Benoît XVI en le suspectant d’être affilié à plein d’homos dans ses proches collaborateurs. Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, les papes sont tous féminisés : les comédiens nous parlent de « la Jean-Paul II, la Pie XII, la Paul VI, la Benoît XVI ». Dans la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays, le pape Benoît XVI est transformé en gay. Dans son one-man-show Anthony Kavanagh fait son coming out (2010), Kavanagh compare le pape à une « vieille drag-queen ». Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, lorsque la narratrice transgenre F to M se travestit en moine ermite, « un samedi soir, la veille de Pâques » ; et elle évoque « la Papesse Jeanne ». Dans les fictions traitant d’homosexualité, même Jésus est transformé en pédale : « Oh je n’ai fait que prendre exemple sur Jésus… mais si vous voyez… Jésus (elle mime une folle sur la croix – mime les clous, la couronne, la chaleur) » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Plus tard, Jésus-Christ est crucifié. Il aimait beaucoup les hommes. » (une phrase de la B.D. de Cuneo, dans la revue Triangul’Ère1 (1999) de Christophe Gendron, p. 130).

 

Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, dans la boîte gay Chez Eva, Adrien, le héros homo, pour se débarrasser d’Alexandre (l’hétérosexuel), fait croire à son pote sadomasochiste Bibiche que ce dernier est un « ex-séminariste grand amateur de flagellation » pour qu’il le maltraite physiquement… ce qui excite Bibiche encore plus. Et un peu plus tard, Fripounet, l’un des serveurs homos de la boîte, se montre aussi très entreprenant avec un prêtre puisqu’il n’hésite pas à le toucher. Il fantasme également sur le Christ : « Qu’il est beau, ce Jésus… ».
 

Parfois même, le personnage homosexuel est à l’origine de l’acte homosexuel du prêtre. Dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, par exemple, c’est le héros gay lui-même qui, juste pour braver l’interdit de la profanation, va pervertir un curé et le faire basculer dans l’homosexualité, en attribuant ensuite son acte aux séminaires : « Qu’est-ce qu’on leur apprend, bon Dieu, dans les écoles à curés ? […] Ce pauvre type s’est défroqué ! » (p. 134) On voit bien, à travers ce roman, que les curés en question sont en réalité des hommes homosexuels déguisés en curés pour s’amuser/faire scandale, et porter à confusion sur la véritable identité des prêtres. D’ailleurs, Vincent Garbot, une fois son infamie opérée, vole sa soutane au pauvre curé rongé de culpabilité, et la porte avec complaisance et narcissisme, comme un trophée : « Il faut dire que le noir de l’habit boutonné jusqu’au col me va comme un gant. » (idem, p. 135) Autre exemple : dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, deux hommes barbus déguisés en nonnes fréquentent le cabaret anar de Kyril. Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », a une liaison avec le cardinal Azzolino.

 

Film "Les Amitiés particulières" de Jean Delannoy

Film « Les Amitiés particulières » de Jean Delannoy


 

L’image caricaturale du curé pédé peut répondre à un fantasme (d’amour ou/et de viol) projeté : « Moi, c’que je veux, c’est violer le curé ! » (Camille dans la chanson finale du one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet) ; « Voilà la bonne sœur… ! » (Emory, homosexuel très efféminé, se moquant d’Alan, le héros homosexuel refoulé, dans le film « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « La religieuse était pleine de vie et, bien qu’elle ne fût pas jolie, je fus attirée par elle. […] J’étais insensiblement attirée et sous le charme de la sœur. […] Je concentrai mon esprit sur les pensées choquantes qui me traversaient l’esprit. Je l’imaginais déshabillée et en situation de me donner ce que j’aurais voulu d’elle sur l’instant. […] J’avais souvent pensé que dans les couvents, parmi ces femmes enfermées, certaines devaient entre elles trouver un peu de satisfaction… » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 221-223) ; « Était-elle en train de flirter ? […] Ils remontèrent le chemin blottis l’un contre l’autre comme des jeunes mariés hésitants. » (Jane, l’héroïne lesbienne à propos du jeune père Walter, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 48) ; etc. Dans le film « Le Cavalier noir » (1960) de Roy Baker, un prêtre s’oppose aux agissements d’un bandit de grand chemin qui sème la terreur sur son passage… et ce bandit tombe justement amoureux de son bienfaiteur en habit.

 

L’homosexualisation de l’homme clérical qui est en chemin de pureté est souvent le fruit d’une vexation féminine ou d’une jalousie homosexuelle de ne pas parvenir à le séduire ou à l’égaler. Pour faire fléchir un prêtre, certains personnages homosexuels vont prêcher le faux pour savoir le vrai : « Peut-être que t’es pédé d’ailleurs… » Par exemple, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, traite de « pédé » le beau père David dont elle est amoureuse, par jalousie et test, parce qu’il se refuse à elle.

 

En général, le sacerdoce n’est pas considéré par le héros homosexuel comme une vie, un engagement, une intériorité ouverte sur l’extérieur, mais uniquement comme un déguisement, une apparence, une extériorité tournée vers un égocentrisme, un bout de tissu : « Wanda passa son bras autour de la taille de Mary et elles s’éloignèrent en glissant, couple incongru, l’une vêtue aussi sombrement qu’un prêtre, l’autre dans sa robe de soirée de flou chiffon bleu. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 489) Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Omar se surnomme « Sœur Omar de la Perpétuelle Indulgence ». La parodie de religion, ce ne sont pas les prêtres réels, mais les personnages homosexuels eux-mêmes. Par exemple, dans la pièce L’Opération du Saint-Esprit (2007) de Michel Heim, Dieu est un bourgeois aristo homosexuel, Jésus une grande folle, Marie un travesti, et l’Esprit Saint le désir homosexuel.

 

On lit souvent chez le personnage homosexuel se prenant pour un curé un fantasme de sainteté inversé. Il cherche le salut et la pureté dans la perdition. L’homosexualité pratiquée lui apparaît comme une forme de sainteté inédite, originelle. Il rentre au bordel comme il rentrerait au couvent. « Pietro s’est décidé à changer définitivement de sexe, il veut devenir carmélite. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 146) Par exemple, dans la pièce Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, l’une des salles du sauna où se rend le protagoniste homo est appelée « la Chapelle Fistine » (jeu de mots entre le fist-fucking et la fameuse Chapelle Sixtine au Vatican). Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, les ecclésiastiques sont en réalité des imposteurs homosexuels déguisés en curés, « les folles habillées en abbesses » (p. 113) : « Mimile se souleva la soutane et nous montra son postérieur. » (p. 115) ; « Mimile vint nous rejoindre dans le lit de l’archevêque pour coucher avec nous. » (Gouri, p. 95) Tout cela sont des mises en scène libertines volontairement blasphématoires, peu réalistes, mais voulues authentiques, y compris dans la dérision et le sarcasme. « Je veux faire le prêtre. Je veux être une traînée ! » (Paul, héros homo chantant dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso)

 

Le personnage homosexuel, vexé d’avoir mal répondu à sa vocation à la sainteté, se venge sur les prêtres réels de son entourage. Pourtant, il se sentait originellement « appelé ». « Savais-tu qu’avant de devenir médecin, j’avais résolu d’entrer dans les ordres ? » (Randall dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 235) Dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011), Mr Folaste, qui voulait initialement devenir jésuite, « a fini pédophile, comme tous ces pédérastes ». Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel commence son spectacle par une blague sur les prêtres pédophiles qui, dans les magasins de vêtements Kiabi, « rentrent dans du 8 ans »… même si au départ, il annonce qu’il ne le fera pas : « Je ne ferai pas de vannes vulgaires sur les prêtres. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Autobiographie "Confidences dérangeantes d'un homme d'Église" de William Nasarre

Autobiographie de William Nasarre


 

Dans les faits, les prêtres « homosexuels pratiquants » ne manquent pas. Parmi les cas les plus connus, on retrouve André Baudry (ancien séminariste et fondateur d’Arcadie dans les années 1950 en France), Salvador Guasch, Antonio Roig, Ernesto Jiménez, Antonio Rocco, Vitaliano Della Sala, Franco Barbero (cf. le documentaire Les Règles du Vatican (2007) d’Alessandro Avellis), José Mantero, Hugues Pouyé (prêtre pendant 13 ans), Jean-Michel Dunand, etc. Dans le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta sur Play Cuatro, (2011), une sœur « défroquée », María-José Casillo, témoigne de sa souffrance d’être partie du couvent – et plus largement de l’Église catholique – parce qu’elle a connu l’amour lesbien avec une autre religieuse, et qu’elle a rompu ses vœux. Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Christian, le dandy quinquagénaire homosexuel, dit avoir aimé toucher (chez les Jésuites) le sexe des hommes plus âgés que lui. Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Bertrand N’Guyen Matoko raconte comment il s’est fait violer, adolescent, par son confesseur le père Basile.

 

Je vous renvoie également à l’autobiographie Confidences dérangeantes d’un homme d’Église (2006) de William Nasarre, au blog du père Jonathan sur Facebook (itinéraire d’un prêtre qui se dit ouvertement homosexuel, mais qui parle à visage caché), à tous ces films de « nunsploitation » (dont parle l’essayiste Didier Roth-Bettoni) dans lesquels des œuvres cinématographiques lient homosexualité et ordres religieux, au documentaire « Axel von Auerperg » (1973) de Rosa von Praunheim, au documentaire croate « Nuns in your Business ! » (2020) d’Ivana Marinić Kragić, etc.

 

Comme le reconnaît très honnêtement le prêtre catholique Xavier Thévenot, maintenant décédé, mais pionnier de la réflexion ecclésiale en matière d’homosexualité, dans son essai Homosexualités masculines et morale chrétienne (1985), « il n’est pas rare, quoique cela ne soit pas systématique (comme on l’a parfois affirmé), que l’homosexualité soit une des composantes de la prêtrise. » (p. 181) Par ailleurs, dans son essai Je vous appelle amis (2010), le maître de l’Ordre des dominicains Timothy Radcliffe explique qu’il y a parmi ses frères ordonnés un certain nombre d’individus homosexuels, mais que cela ne pose pas de problème ni de distinction fondamentale entre eux étant donné que l’exigence de la continence dans le célibat s’applique à tous, qu’ils soient homos ou non. Et on retrouve un certains nombres de religieux liés de près ou de loin aux associations et aux communautés comme la Fraternité Aelred, l’association David et Jonathan (D&J), le mouvement Devenir Un En Christ (DUEC), la Communion Béthanie, l’association Courage international, etc.

 

le Franciscain Father Mychal F. Judge

le Franciscain Father Mychal F. Judge


 

Certains prêtres ou séminaristes, en vivant une double vie parce qu’ils refusent de concilier leur obéissance à l’Église avec leurs penchants homosexuels, racontent parfois le rêve éveillé (un cauchemar schizophrénique) qu’ils vivent quand ils fréquentent les lieux de drague homosexuelle et qu’ils ne pratiquent pas ce qu’ils savent vrai : « En raison de mes horaires, différents de ceux des frères, j’avais les clés de la porte d’entrée du carmel. Je n’étais pas supposé disparaître le soir après le dîner. Mais je m’en arrogeais discrètement le droit et filais vers les lieux de rendez-vous homosexuels. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 49) ; « J’avais solutionné le problème en divisant ma vie en deux parties. Studieux et chaste au séminaire, je me dissipais pendant les vacances scolaires. J’avais découvert que les saunas servaient de lieux de rencontre et je les fréquentais de manière totalement compulsive. » (idem, p. 71)

 

Il est certain que la pratique homosexuelle guette tous les regroupements humains où la différence des sexes est absente ou méprisée/sacralisée, où la tentation de se prendre pour Dieu est fatalement plus forte (cf. je vous renvoie au code « Se prendre pour Dieu » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), les ordres religieux ne faisant pas exception à la règle. Ce fut le cas des Templiers au XIIe et XIIIe siècles : « Quelque opinion que l’on adopte sur la règle des Templiers et l’innocence primitive de l’Ordre, il n’est pas difficile d’arrêter un jugement sur les désordres de son dernier âge – désordres analogues à ceux des ordres religieux. Les Templiers, jugés, avouèrent leurs mœurs. L’Ordre du Temple fut, sur ordre de Philippe le Bel et du Pape Boniface VIII, anathémisé, aboli et ses membres suppliciés. » (l’historien Jules Michelet, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 130) L’histoire humaine regorge d’anecdotes démontrant une pratique réelle de l’homosexualité aux séminaires, au sein des couvents et des abbayes. « Dans les couvents [pendant la Renaissance française], on croit trouver des vierges, on tombe sur des lesbiennes. » (Louis-Georges Tin, L’Invention de la Culture hétérosexuelle (2008), p. 115) ; « Le Vatican compte une forte majorité d’homosexuels. Et je vais vous expliquer pourquoi. Dès ses débuts, le christianisme a exclu et fustigé les femmes, condamné la société et milité pour le célibat. » (Uta Ranke-Heinemann dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; « Au début, je croyais que ce n’était que des ragots, ces histoires d’orgies dans les locaux du séminaire. Mais la rumeur s’est confirmée. Le sexe était partout. On nous encourageait presque. On nous disait : ‘Si vous êtes homos, de nos jours, ce n’est plus un obstacle pour devenir prêtre’. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Les homosexuels étaient sur-représentés. Je dirais qu’ils formaient la moitié des séminaristes, voire un peu plus. » (Daniel Bühling, jeune prêtre défroqué, idem) ; etc.

 

Jean de Prévallier, professeur à l’Académie de Médecine de Paris (1715-1792), a écrit en 1780 des mots fatalistes sur la prêtrise, qui se présentent pourtant sous un jour « objectif » et « scientifique » : « Si l’on examine le chiffre brut des sodomistes que donnent les dossiers de la police, quant à la qualité de l’individu, on est frappé de la prédominance du clergé et de la domesticité. Toutefois, à notre époque, si l’on fait la comparaison entre la quantité des sodomistes de chaque catégorie, et la totalité des individus appartenant à cette catégorie, le clergé prend la première place. Quant à la continence que les moines, les prêtres, les religieux et les religieuses observent soi-disant, en vertu du privilège spécial conféré par les ordres sacrés, il y a longtemps que l’on sait positivement à quoi s’en tenir à cet égard par les désordres scandaleux d’un certain nombre d’entre eux. Il n’y a plus d’illusion possible, car il est avéré et reconnu par les casuistes mêmes que les plus chastes, ne résistant souvent le jour qu’au prix des plus violentes luttes de la chair, sont tourmentés la nuit par des hallucinations lubriques, des rêves libidineux, des images érotiques qui les amènent à des pollutions ou à la masturbation. Leur célibat n’est plus qu’un grossier trompe-l’œil pour les simples et les ignorants, cachant une nécessité indispensable au maintien de sa hiérarchie et de son autorité. Que peuvent faire ces jeunes hommes de vingt à vingt-cinq ans, souvent vigoureux et pleins de vie ? Un jour ou l’autre, contre leur gré dans la plupart des cas, la chair triomphe et le vice de Sodome s’installe en eux, malgré leur désir de rester purs… »

 

Dans son roman-documentaire La Maison battue par les vents (1996), le père Malachi Martin, qui a été un proche du Pape Jean XXIII puis de Paul VI, ouvre la Boîte de Pandore du Vatican et du clergé international : « La Maison des Saints Anges – nom de ce monastère – avait la réputation d’être un havre pour plusieurs membres de l’Ordre ayant une orientation homosexuelle. » (pp. 448-449); « La propagation de l’homosexualité active dans les séminaires d’Amérique du Nord comme dans l’ensemble du clergé. » (Pape Jean-Paul II, p. 370) ; « une homosexualité et une pédophilie cléricales apparemment devenues frénétiques ; les contours d’une profonde crise morale. » (p. 384) ; « Il existe un système de protection mutuelle qui va de la Chancellerie d’O’Cleary jusqu’au Collège des Cardinaux. Et beaucoup de types qui voudraient en sortir n’en ont pas le cran. Un groupe de prêtres homosexuels, vœux rompus, de vocations avortées et de trahison abyssale de la confiance que leurs congrégations avaient placée en eux. Ce club ecclésiastique pratiquant l’homosexualité et la pédophilie comprenait aussi le clergé de haut rang, jusqu’à des évêques auxiliaires et titulaires. Cela fonctionnait comme une mafia cléricale.[…] Innocent ou non, quiconque vendait la mèche était sûr de finir comme lui, isolé et enterré sous une avalanche de contre-accusations. » (Père Michael O’Reilly, p. 466 à 481) ; « Des évêques mutaient continuellement leurs jeunes amants de paroisse en paroisse » (p. 481) ; « nombre croissant d’ecclésiastiques activement homosexuels, de la complicité de certains évêques avec les pratiques en question et de la connivence que montraient vis-à-vis d’elles ceux qui n’y étaient pas directement impliqués. » (p. 484) ; « un réseau plus vaste qu’aucun de nous s’y attendait. » (p. 498) ; « l’homosexualité était un mode de vie ‘parfaitement acceptable’ » (p. 580) ; « Ce qui lui meurtrissait l’âme, c’était la malignité des Dominicains entre eux. D’une manière troublante, ses frères religieux de la Maison des Saints Anges constituaient un groupe d’hommes ayant choisi de vivre ensemble et excluant tout esprit qui leur était étranger. » (p. 472) ; « La documentation montrait que l’activité homosexuelle et le satanisme rituel avaient atteint un niveau organisationnel au sein du clergé américain, mais parce que les mêmes noms et les mêmes lieux revenaient dans chacune des deux séries de données. » (p. 532) ; « connexion de fait entre l’homosexualité pédophile et le satanisme ritualiste au sein du clergé » (p. 533) ; « Il apparaissait tout à coup comme incontestable que l’organisation catholique romaine comprenait désormais – pendant le pontificat de Jean-Paul II en cours – un contingent permanent de clercs qui adoraient Satan et qui aimaient ça, d’évêques et de prêtres qui sodomisaient des jeunes garçons et se sodomisaient entre eux, ainsi que des religieuses qui accomplissaient des ‘Rites noirs’ de la Wicca et qui entretenaient des relations lesbiennes à l’intérieur comme à l’extérieur de la vie conventuelle. […] Non seulement il s’accomplissait des rites et des actions sacrilèges aux Autels du Christ, mais cela se faisait avec la connivence ou, du moins, la permission tacite de certains Cardinaux, archevêques et évêques. La liste des prélats et des prêtres concernés avait de quoi causer un énorme choc à quiconque la découvrait. Au total, ces hommes ne formaient qu’une minorité comprise entre un et dix pour cent du clergé total. Mais parmi cette minorité, nombreux étaient ceux qui occupaient des positions incroyablement élevées par le rang et l’autorité au sein des chancelleries, séminaires et universités. De ces deux faits, le plus crucifiant pour le Pape slave était le pouvoir d’un tel réseau, si disproportionné eu égard au statut minoritaire de la mouvance en question dans les rangs de l’Église. L’influence prépondérante du réseau tenait d’une part aux alliances de ce dernier avec des groupes laïcs extérieurs à la sphère catholique romaine, d’autre part au nombre écrasant de professeurs des séminaires, des universités et des écoles catholiques affichant une opposition ouverte et comme allant de soi aux dogmes et enseignements moraux de l’Église. Mais il existait un troisième fait : C’était ce Souverain Pontife qui avait rendu une telle influence possible. Il avait vu la corruption. Mais sa décision avait été de ne pas excommunier les hérétiques. » (pp. 583-584)
 

Suite à la publication du document de 2005 du pape Benoît XVI (appelant à la prudence concernant les séminaristes qui présentaient des tendances homosexuelles profondément enracinées), j’ai su par exemple qu’aux Philippines, le frère prieur et supérieur d’une communauté religieuse que je connais a vu la moitié des séminaristes faire leur valise ! Et à force de m’entretenir avec certains prêtres et religieux, je sais que dans telle ou telle congrégation religieuse (Frères de saint Jean, Jésuites, Dominicains, etc.), dans tel ou tel média catho (revue, radio… Dans certaines radios en France, 40 % du personnel « en est », je peux l’attester !), dans tel ou tel diocèse, et même au Vatican (où il existe une petite « mafia rose » enserrant le Pape : véridique), la proportion des frères à avoir des tendances homosexuelles se retrouverait, à la louche, dans une fourchette de 1/3 à ½. Cette homosexualité dans le Clergé n’est pas à ignorer, car elle est croissante… même si elle est peu quantifiable et peu révélatrice d’une soi-disant « frustration ou homophobie ou homosexualité refoulée » qui serait générée par le célibat consacré.

 

Si on veut prouver que les prêtres sont aussi des hommes comme les autres, on y arrivera toujours ! Car ils le sont. Tous les Hommes sont pécheurs (… sauf Jésus et Marie). Le plus gênant dans ce discours de l’évidence, c’est que ceux qui se focalisent sur les défaillances des prêtres oublient pour le coup que la majorité d’entre eux sont non seulement humains mais surtout divinisés par le sacrement du sacerdoce, remplis par la grâce et la liberté du don entier de sa personne à Jésus et à son Église. Et là, en effet, c’est la question de la foi en Dieu qui rentre en ligne de compte, et qui fait que les incrédules (emprisonnés par leurs pulsions et jaloux de voir que les prêtres les contrôlent avec succès et joie) s’arrêtent en route, et les confiants continuent le chemin.

 

La mauvaise foi génère des caricatures de curés gays, provenant bien souvent de pseudo « catholiques pratiquants », ou même de prêtres défroqués, froissés de ne pas avoir suivi jusqu’au bout leurs idéaux, ou blessés par des gens d’Église peu charitables : « Le conflit entre Amour et Église, ce sont les évêques et les cardinaux qui l’ont causé, parce qu’ils sont tous des homosexuels refoulés. » (le père Franco Barbero dans le documentaire Les Règles du Vatican (2007) d’Alessandro Avellis) ; « Il y a bien des pédés asociaux, mais souvent ceux-là sont prêtres. » (cf. le blog du chanteur Nicolas Bacchus) ; « Si on faisait des statistiques dans le clergé catholique espagnol, certains diocèses présenteraient un pourcentage élevé d’homosexuels. » (José Mantero, ex-prêtre catholique, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 151) ; « C’est clair : ce sont des concubines notoires. » (Gustav, homosexuel, décrivant cyniquement deux religieuses italiennes qui ont répondu négativement à sa défense du DICO – le PaCS local – lors d’un micro-trottoir, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi) ; etc.

 

Certains vont tellement vite à homosexualiser tout le clergé qu’ils en arrivent, parfois avec une sincérité incroyable, à proposer des théories abracadabrantes sur l’homosexualité du Christ (en lien par exemple avec saint Jean, le disciple que Jésus « aimait », ou bien avec l’iconographie ambiguë du baiser de Judas). Par exemple, lors d’une interview publiée le 19 février 2010 dans le magazine Parade, le chanteur homosexuel Elton John affirme que « Jésus était un gay compatissant, super-intelligent ».

 

Il semblerait que beaucoup de personnes homosexuelles, croyantes mais non pratiquantes, et tellement persuadées qu’elles sont des fidèles plus authentiques que les vrais catholiques pratiquants parce qu’elles n’obéiraient pas « bêtement/scolairement » à l’Église comme des grenouilles de bénitier, se soient prises pour leurs propres caricatures : les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (ces hommes excessivement grimés en nonnes provocatrices lors des Gay Pride) en fournissent un bel exemple. Elles voient leur détournement des préceptes de l’Église comme une inversion révolutionnairement sainte. Parfois, ce sont les hommes homosexuels qui, en se déguisant en prêtres fréquentant les lieux de drague gay, alimentent eux-mêmes l’amalgame entre homosexualité et prêtrise : rappelons par exemple que le philosophe français Roland Barthes allait au club parisien Le Rocambole déguisé en ecclésiastique, juste pour porter préjudice à l’institution vaticane et mal agir en toute impunité. La parodie homosexuelle d’Église peut être très sérieuse, comme nous le constatons avec les hordes de FEMEN (seins nus, affichant des messages anticléricaux, portant le voile) lancée par Caroline Fourest, oubien dans le documentaire « Mamá No Me Lo Dijo » (2003) de Maria Galindo, où l’on voit des femmes lesbiennes déguisées en prêtres, célébrant des messes en plein air sur la place publique, et réclamant le mariage des prêtres ou l’ordination des femmes prêtres pour combattre le supposé « sexisme » de l’Institution vaticane.

 
CURÉ GAY Queen of homophobia
 

C’est par leurs provocations anticléricales collégiennes, ou leurs pastiches sincères de rites cultuels catholiques, qu’une grande majorité des personnes homosexuelles prouve que la perversion et l’obsession sexuelle ne viennent pas d’abord des prêtres mais de ceux qui les jalousent/ignorent/détruisent : « Dans ma prochaine nouvelle, j’me tape des curés dans la grotte de Lourdes ! » (l’écrivain Ron l’Infirmier dans l’émission Homo Micro de la radio RFPP, le 12 février 2007) ; « Évidemment, je ne vois pas le prêtre en charge de ma paroisse venir m’embrasser sur la bouche. Mais alors, qu’il laisse cela à celui qui en aurait envie parce que cela monterait naturellement de son être accordé à cet embrassement. » (Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 32) ; etc.

 

Est-il besoin de rappeler que l’idée des prêtres catholiques gays ou du séminaire comme « repaire d’homosexuels » étaient un des arguments fréquemment employés par les Nazis pour pourchasser les personnes homosexuelles et l’Église ? « J’estime qu’il y a dans les couvents 90 ou 95 ou 100% d’homosexuels. […] Nous prouverons que l’Église, tant au niveau de ses dirigeants que de ses prêtres, constitue dans sa majeure partie une association érotique d’hommes, qui terrorise l’humanité depuis mille huit cents ans. » (Heinrich Himmler dans son discours du 18 février 1937, cité dans l’essai Le Triangle rose (1988) de Jean Boisson, p. 73)

 

L’homosexualité attribuée aux curés prouve justement par défaut la ténacité, l’intégrité et la force exceptionnelles de la grande majorité des vrais prêtres. Plus on est dans la Vérité, plus on est attaqués. Et l’homosexualisation de ceux qui sont en chemin de pureté (homosexualisation prenant au départ la forme de la revendication du mariage des prêtres, de la cessation de leur voeu de célibat, ou du sacerdoce des femmes) est souvent le fruit d’une vexation féminine ou d’une jalousie homosexuelle de ne pas parvenir à les séduire ou à les égaler. Pour faire fléchir un prêtre, on va prêcher le faux pour savoir le vrai : « Peut-être que t’es pédé d’ailleurs… »

 

Cela ne veut pas pour autant dire que les hommes d’Église sont parfaits, n’ont pas leurs défaillances, et qu’ils ont tous une sexualité équilibrée. Cependant, ils doivent tendre à la perfection et être exemplaires, car ils sont davantage responsables que des laïcs du salut des autres âmes, ayant été ordonnés pour habiter le Christ. Les prêtres et religieuses, parce qu’ils sont sanctifiés et ont reçus des grâces en abondance, ont moins d’excuses de mal agir. Et il est urgent pour eux, s’ils se sont écartés en actes de leur engagement religieux (en pratiquant des actes homosexuels par exemple), de revenir à la Vérité. Car ils risquent gros : la Vie éternelle. Certains – et j’en connais beaucoup – sont en grand danger, je le dis honnêtement. En danger de mort. L’enfer est peuplé précisément de ces gens-là qui savent mais qui ne font pas, de ces croyants non pratiquants. D’ailleurs, le seul véritable croyant non pratiquant, c’est/c’était le diable.

 

"Coming out" de José Mantero en Espagne

« Coming out » de José Mantero en Espagne


 

Soyons lucides. Depuis ma récente visibilité médiatique en tant que catho homo continent, beaucoup de prêtres, de séminaristes, viennent se confier à moi, me parler de leurs pratiques homosexuelles clandestines (parfois, il arrive aussi qu’ils me draguent !). J’ai même entendu des témoignages d’amis séminaristes, vivant leur homosexualité dans le plus grand secret, alternant les phases de continence avec des moments d’orgie sexuelle sur les lieux de drague, qui m’avouaient qu’à l’intérieur de leur séminaire, certains de leurs camarades sortaient ensemble. Je sais qu’ils ne me mentent pas, car ils m’ont vidé leur sac avec une grande transparence, un véritable attachement à leur Église, et sans volonté de scandale. Tout cela sont des faits. Je n’invente rien de ce que je vous raconte, même si je suis tenu au secret de la « confession », et qu’au-delà de ces révélations, je n’en aime que davantage mon Église et son incarnation humaine. Je sais que malgré leur nombre important, ces prêtres « homos pratiquants » restent une MINORITÉ dans l’Église catholique (en revanche, ce que j’observe de plus en plus, c’est que ce sont les frères de sang des prêtres catholiques qui ont tendance à faire des coming out ! C’est mon cas puisque mon grand frère est prêtre, mais j’ai eu l’occasion de le constater dans la famille de beaucoup de jeunes prêtres ; dans les cas connus, le frère jumeau du cardinal Jean Daniélou). Parfois une minorité puissante, qui exerce des chantages dignes d’une mafia gay (je pense à l’inadmissible groupuscule d’ecclésiastiques homosexuels qui exerce actuellement un petit pouvoir à la Curie romaine). Mais cette réalité d’Église n’enlève rien à la force et l’authenticité du célibat continent de l’ensemble des consacrés. Tout le contraire. L’Église catholique, parce qu’Elle est grande et belle, et qu’Elle est globalement conduite par des hommes et de femmes droits qui font ce qu’ils disent, ne souffrira pas excessivement de ces croyants non pratiquants qui La trahissent. Cependant, c’est pour ces prêtres égarés (et parfois blessés dans leur affectivité, voire malades : eh oui, appelons un chat un chat !) que j’écris ce code : s’ils me lisent, qu’ils se convertissent au plus vite, qu’ils se purifient, qu’ils reviennent en actes à ce qu’ils savent. Calmement, fermement, rapidement, et dans la joie. Le fardeau de la continence concrètement vécue est plus léger que celui de l’intuition non-actée de la vérité de la continence.

 

Lors de son passage à l’émission On n’est pas couché de Laurent Ruquier sur la chaîne France 2 le 1er octobre 2011, la religieuse-sexologue québécoise Marie-Paul Ross disait que ce qui l’a poussée à écrire son essai Je voudrais vous parler d’amour et de sexe (2011), c’était la grande détresse dans le domaine de la sexualité qu’elle avait entrevue au contact de ses compagnons prêtres et moniales. Je me situe dans la même démarche, cette fois sur le sujet spécifique de l’homosexualité. C’est de l’intérieur que l’Église doit se sanctifier et devenir ce qu’Elle est. C’est par les actes – non pas qu’on est sauvés (car l’Amour n’est pas une question de mérite) mais – qu’on trouve le vrai bonheur.

 

Je finirai en proposant une porte de sortie à tous ces prêtres gays « pratiquants » qui se reconnaissent dans la lecture de ce code, qui savent très bien intellectuellement tout ce que j’écris, mais qui n’ont pas de lieu pour en parler. Un ami prêtre catholique solide, d’une discrétion absolue, et d’une profonde écoute, en tombant sur mes lignes, s’est spontanément proposé pour créer une sorte de « Conversion Info Service », et pour accueillir tout prêtre qui aurait besoin de parler avec un véritablement « frère de ministère » (que je ne suis pas ^^). Une seule adresse : jeveuxaimer@live.fr

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°42 – Défense du tyran (sous-codes : Grands Hommes / Fantasme pour les uniformes et les militaires)

Défense du

Défense du tyran

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Comment une victime peut-elle en arriver à défendre son bourreau ?

 

Défense du tyran (ou de celui qui est présenté et cru comme tel)

Défense du tyran (… ou de celui qui est présenté et cru comme tel)

 

L’amour de son bourreau qu’on appelle « Syndrome de Stockholm » ? ou bien le désir de viol qu’on surnomme poétiquement le désir homosexuel, cela vous dit quelque chose ? Si vous me regardez avec scepticisme et horreur, je vous engage déjà, avant de vous lancer dans la lecture de ce chapitre, dans la lecture des codes « Viol » et « Déni » parlant de cet incroyable désir de viol, dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Le traitement de la fusion (souvent complète dans les fictions, incomplète dans la réalité) entre la « victime » et le « bourreau » est plus approfondi dans le code « Androgynie Bouffon/Tyran », et surtout dans les codes « Homosexuels psychorigides » et « Hitler gay » (dans lesquels je traite des dictateurs homosexuels).

 

Quand les êtres humains n’arrivent pas à se retrouver sur un relatif pied d’égalité, ce qui arrive toujours un jour ou l’autre, chacun tient à l’égard des autres à la fois le rôle de bourreau et celui de victime. S’ils ne prennent pas conscience de ces deux masques qu’ils peuvent endosser du fait de leur liberté, et qu’ils choisissent de se vouloir éternellement victimes, ils ne se confesseront ni bourreaux ni finalement victimes, étant donné que leurs tendances de bourreaux leur interdiront d’élire pour destin une communion à celui de leurs victimes. C’est ce qui arrive à beaucoup de personnes homosexuelles, qui présentent les tyrans comme de gentils agneaux à prendre en pitié, et les victimes (qu’elles défendaient à l’origine) comme une impitoyable foule de monstres ricanants à ignorer/mépriser. Leur anti-conformisme de principe les amène à sacraliser ce qui est horrible, non parce qu’elles l’aiment vraiment, mais parce qu’elles s’imaginent que c’est diabolisé par les autres, donc désirable. La compassion homosexuelle pour le méchant, poussée à l’extrême, peut les conduire à la fascination des figures d’autorité qu’elles prétendent par ailleurs haïr. Dans leur adolescence, elles ont été très souvent éblouies par les leader de leur classe, ou bien par des grands hommes historiques (Louis XIV, Napoléon Bonaparte, Néron, Charles de Gaulle, etc.). Elles sont les premières à être profondément touchées par la blessure d’amour du mythique dictateur que tout le monde devrait éthiquement mépriser mais aussi saluer pour sa sincérité maladroite et blessée.

 

Comme les Hommes ne sont pas de la perfection dont elles avaient rêvée, elles préfèrent se rabattre sur celui qui est entier (quitte à ce que ce soit dans le mal !). Le mensonge sur la pureté est pour elles encore pire que la méchanceté affichée du tyran, qui, lui, a le mérite de jouer courageusement son rôle jusqu’au bout sans retourner sa veste. Elles vont donc très souvent vénérer/mépriser la trahison, en se montrant à elles-mêmes qu’elles peuvent héroïquement choisir pour modèle une personne qu’elles n’auraient (comme la « majorité ») a priori pas élu non plus, parce qu’elles se persuadent qu’elles se doivent d’être ouvertes, infidèles et anti-conformistes, y compris avec elles-mêmes ! Ainsi, à propos des nazis trahis en 1944 pendant la Libération par le peuple français qui avait auparavant collaboré avec eux, Jean Genet écrit en 1947 dans Pompes funèbres : « Ils ne furent pas seulement haïs mais vomis. Je les aime. » Certaines personnes homosexuelles assurent leur inconditionnel soutien aux célébrités réputées pourtant homophobes (Élisabeth Schwarzkopf, Brigitte Bardot, etc.), au souverain solitaire, ou bien, comme Jean Cocteau, au « gendarme incompris ».

 

Si les personnes homosexuelles sont tentées de soutenir le tyran et de s’y identifier, c’est bien parce qu’inconsciemment et en fantasmes, elles se reconnaissent dans les drames personnels qu’il a/aurait vécus (despotisme parental, solitude de cour d’école, non-reconnaissance des talents, profonde déception du monde, etc.). Elles savent très bien qu’avant de devenir ce qu’il est, il a été victime (à commencer de lui-même !). Malheureusement, elles gardent souvent une vision figée et révolue du dictateur quand il était encore beaucoup plus victime que bourreau, sans la connecter à ce qu’il est devenu par la suite : une version plus dommageable du bouc émissaire.

 

Généralement, le tyran incarne le mal qu’elles désirent mais qu’elles détestent assez pour ne pas l’imiter : le louvoiement avec le totalitarisme ou le terrorisme ne restera qu’un jeu ironique « second degré ». Par exemple, dans le roman À la recherche du temps perdu (1913-1927) de Marcel Proust, le baron Charlus se fait passer pour un espion allemand souhaitant passionnément la victoire de l’Allemagne, plus pour provoquer le chauvinisme ambiant que par conviction personnelle. Mais le problème, c’est que beaucoup de personnes homosexuelles ne maîtrisent pas autant leur jeu auto-parodique qu’elles le souhaiteraient, car elles ont pris le tyran en sincérité et en esthétique. C’est la raison pour laquelle elles vont parfois défendre concrètement les tyrans modernes. « Redevenir gendarme, chasser le voleur, consoler la victime. Subitement, je voudrais pratiquer l’abus de pouvoir par personne ayant autorité. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 44)

 

Le soutien mutuel entre homosexualité et dictature n’est pas toujours qu’une mise en scène sortie des cerveaux soucieux de cultiver l’amalgame entre homosexualité et monstruosité. Parfois, elle a été réalité. Comme le signale très justement Reinaldo Arenas, écrivain cubain incarcéré en tant qu’« homosexuel » dans les prisons de Fidel Castro, s’il y a bien une chose qui a développé la répression sexuelle à Cuba, ce fut précisément la libération homosexuelle : « Je crois franchement que les camps de concentration homosexuels et les policiers déguisés en jeunes hommes obséquieux pour débusquer et arrêter les homosexuels ne contribuèrent qu’à un développement de l’activité homosexuelle. » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1992), pp. 132-133)

 

L’amour entre le monarque et son mignon efféminé est historiquement connu (Edward II et Piers Gaveston, Louis XIII et son favori Charles Albert de Luynes, Hitler et Ernst Röhm ou bien Arno Breker, Napoléon Bonaparte et sa « Tante Urlurette » Cambacérès grâce à qui l’homosexualité ne fut jamais condamnée par le Code Civil, Pétain et sa « Guestapette » Abel Bonnar, Nelson Mandela et son chauffeur Cecil Williams, Louis II de Bavière et son mignon Ludwig, Staline et le frêle Arménien Mikoyan, etc.). Les tyrans qui ont le plus persécuté la communauté gay étaient particulièrement entourés de personnes homosexuelles. Dans le cercle politique proche de Fidel Castro, par exemple, Reinaldo Arenas atteste qu’il y a eu de nombreux hommes homosexuels (Armando Valladares, Alfredo Guevara, etc.). Rien que si nous regardons le gouvernement de Tony Blair en 1998, nous pouvions compter sur seize ministres quatre hommes homosexuels (Chris Smith, Ron Davies, Nick Brown, et Peter Mendelson), ce qui n’est pas une petite moyenne ! Beaucoup de personnes homosexuelles font partie de l’entourage proche des puissants. Fréquemment, homosexualité et Jet Set ne font qu’un. « Nous sommes un peu comme le Dom Juan de Molière : nous avons développé une morale progressiste, mais nous, nous sommes toujours du côté des maîtres. » (le metteur en scène Patrice Chéreau, cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 109)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles connaissent mieux que quiconque les mécanismes des systèmes dictatoriaux. Le seul problème, c’est qu’au lieu de les dénoncer, elles les adorent. Elles sont ces enfants des « démocraties » actuelles, qui, par manque de combats, cautionnent des systèmes répressifs qu’elles vomissent et pourtant attendent. « L’homo [dans le sens grec d’homme] democraticus entretient vis-à-vis du despotisme un rapport ambigu : il l’exècre mais regrette aussi sa disparition. À la limite, il semblerait presque inconsolable de ne pas être opprimé : alors, faute d’ennemis réels, il s’en forge des imaginaires ; il se délecte à l’idée qu’il vit peut-être vraiment sous une dictature, que le fascisme va lui tomber du ciel, perspective qui le remplit de crainte autant que d’espoir. » (Pascal Bruckner, La Tentation de l’innocence (1995), p. 135) Tout ce qui fait le décorum à paillettes dissimulant l’horreur du totalitarisme les époustoufle, les captive et les désarme. Par exemple, elles soutiennent artistiquement le kitsch, l’art totalitaire par excellence. Certaines se sont concrètement agenouillées devant les beaux soldats allemands, ce paquet cadeau doré de la dictature nazie – nombreux sont les intellectuels et les artistes homosexuels à avoir rempli les rangs des collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale –, et expriment parfois leur amour-répulsion pour le régime nazi, à la fois dans l’humour camp, mais aussi très sérieusement : « Je ne peux pas m’empêcher d’avoir pour Hitler une admiration pleine d’angoisse, de peur et de stupeur » déclarera André Gide dans son Journal, le 20 août 1940. Par exemple, au générique de son film « Passion » (1964), Yasuzo Masumara écrit le mot passion à côté d’une énorme croix gammée rouge : difficile d’être plus clair…

 

Dès que la corrélation entre homosexualité et totalitarisme est faite, cela provoque généralement un tollé dans la communauté homosexuelle. « Problème sociologique : pourquoi tant de pédérastes chez les collaborateurs ? » s’interroge Jean Guéhenno (cité dans l’article « Écrivains et collaboration » de Emmanuel Pierrat, sur le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 123). Certains intellectuels évacuent presque systématiquement le lien de coïncidence par le rejet pourtant justifié du lien de causalité. « Il est évident qu’il y avait des homosexuels parmi les nazis ou, inversement, des nazis parmi les homosexuels, mais cela ne signifie rien en soi. L’idée d’un lien intrinsèque entre adhésion au nazisme et orientation homosexuelle est si paradoxale… » (cf. l’article « Nazisme » de Michel Celse, op. cit., pp. 334-338) Ils s’imaginent qu’ils fuient l’extrémisme d’où ils viennent, en choisissant celui qui lui est opposé. En réalité, ils passent souvent d’un fondamentalisme à un autre, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Nous ne serons pas étonnés de lire André Gide écrire dans Morceaux choisis (1921) que « les extrêmes le touchent ».

 

Il y a quelque chose d’incompréhensible dans le soutien homosexuel au totalitarisme, une attitude de défense/déni comparable à celle du personnage de Molina dans le roman Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) face au film nazi « Destino », ou au refus de Manuel Puig de prendre connaissance du contenu du livre de Susan Sontag sur le campC’est comme si j’en avais peur, ou peur de prendre conscience de certaines choses dont j’ai seulement l’intuition, ou peur de ne pas être d’accord et de sentir qu’elle tripote des choses que j’aime », cf. l’interview « El Folletín Rescatado, Entrevista A Manuel Puig » (1972) d’Emir Rodríguez Monegal, dans Revista De La Universidad De México, vol. XXVII, n°2, octobre 1975, pp. 25-35) : une curieuse fascination qui refuse de se rendre intelligible. Cette attraction homosexuelle vers la dictature suit majoritairement une logique esthétique (Le fantasme de l’uniforme et des attributs physiques de l’hyper-virilité nazie dans la communauté homosexuelle est assez marqué) et une logique intentionnelle plus qu’une dialectique d’amour et de Réalité. Vous connaissez sûrement la fameuse citation de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête ». Quand les personnes homosexuelles ne prennent pas conscience de la nature totalitaire et idolâtre de leur désir homosexuel, parce qu’elles confondent l’humilité avec l’humiliation, la Vérité avec la sincérité, ou bien l’autorité avec l’autoritarisme, il arrive qu’elles cherchent à imiter en actes l’image du tyran qu’en intentions elles prétendent sincèrement combattre. Ainsi, une minorité d’entre elles peut passer insensiblement de la douceur à la violence, autrement dit de « pédale douce » à « pédale dure », comme l’a filmé Gabriel Aghion.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Don Juan », « Promotion ‘canapédé’ », « Viol », « Témoin silencieux d’un crime », « Déni », « Tomber amoureux des personnages de fiction ou du leader de la classe », « Super-héros », « Fresques historiques », « Reine », « Adeptes des pratiques SM », « Tout », « Patrons de l’audiovisuel », « Homosexuel homophobe », « Méchant Pauvre », « Androgynie Bouffon/Tyran », « Homosexuels psychorigides », « Douceur-poignard », « Hitler gay », à la partie « L’homo combatif face à l’homo lâche » du code « Faux révolutionnaires » et à la partie « Traître » du code « Homosexualité noire et glorieuse », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Tyran, je t’aime ! :

Le Capitaine Crochet de Disney

Le Capitaine Crochet de Disney


 

Bien souvent, dans les fictions traitant d’homosexualité, le personnage homosexuel défend à la surprise générale le tyran qu’il prétend haïr, et fait même parfois partie de l’entourage de ce dernier : cf. la pièce Lettre d’amour à Staline (2011) de Juan Mayorga, le roman Un Assassin est mon maître (1971) d’Henri de Montherlant, le film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau, la chanson « Mon Légionnaire » de Serge Gainsbourg, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le roman El Ángel Descuidado (2002) d’Eduardo Mendicutti, le film « L’Assassinat de Trotsky » (1970) de Joseph Losey (avec la sacralisation du traître), le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, le film « Sérénade au bourreau » (1951) de Jean Stelli, le film « Le Conformiste » (1970) de Bernardo Bertolucci, le film « Tendre voyou » (1966) de Jean Becker, le film « Bons baisers à lundi » (1974) de Michel Audiard, le film « Furyo » (1983) de Nagisa Oshima (où David Bowie et le Capitaine Yonoi mélangent des sentiments très ambivalents), le film « Mon capitaine, un homme d’honneur » (1995) de Massimo Spano, le film « Un Thé avec Mussolini » (1998) de Franco Zeffirelli, le tableau Le Bleu (1998) de Xavier Gicquel, le film « Broderskab » (« Brotherhood », 2009) de Nicolo Donato, la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener, le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie (Franck défend Michel, l’assassin, jusqu’au bout), le film « Free Fall » (2014) de Stephan Lacant, etc.

 

C’est surtout la beauté physique, la recherche d’une force masculine orgasmique, ou l’esthétisme de la contradiction, qui consolident le soutien ambigu du héros homosexuel à son despote. Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, pénètre dans la villa d’un richissime homme politique d’extrême droite, Lefteris Christopoulos, pour lui soutirer de l’argent, et aussi parce qu’il le trouve physiquement attirant. Il le force d’ailleurs, sous la menace d’un révolver, à se mettre torse nu pour vérifier s’il a le torse aussi poilu que son père fantasmé… : « Je m’endormais sur son torse. Il était hyper poilu. » Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, le romancier Prosper Mérimée célèbre en la figure transgressive de Lacenaire « un salaud littéraire », « la force de l’impétueux ». Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le Père 2 (homosexuel) de Gatal (son fils homo aussi) écoute de la musique militaire (fanfares) bien fort dans l’appartement. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, le prochain roman de Jacques, écrivain homo, traite de l’Incendiaire de Belfort.

 

Film "Festen" de Thomas Vinterberg

Film « Festen » de Thomas Vinterberg


 

Il n’est pas rare que les tyrans fictionnels et leurs « victimes » louvoient ensemble : « Y’a des baisers volés dans des trains de tsarines. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « La façon dont elles l’avaient traité ne le choqua point ; il trouvait les deux vieux travelos adorables, il se mit à bander. » (le Prince Koulotô se mettant à désirer ses violeurs, dans la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, p. 90) ; « On dit ‘la guerre ! la guerre !’… mais c’est surtout à la Libération qu’on en a bavé ! » (la femme collabo travesti M to F dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; « Je préfère coucher avec les pédés. Les Français, quoi ! » (Hanna s’adressant à son frère Donnadieu, dans le film « Je suis à vous tout de suite » (2015) de Baya Kasmi) ; « J’ai pris ce que tu m’as donné, de mon plein gré. Ce n’est pas de ta faute, Thérèse. » (Carol, l’héroïne lesbienne consolant son amante Thérèse en pleurs, culpabilisant d’avoir couché avec elle, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « En mode ‘tyrannie’ : j’adore ! » (Dallas, l’assistant de la couturière Cecilia qui vient de lui hurler dessus, dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien) ; etc. Par exemple, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros homo, couche trois fois à l’armée avec Octave, son violeur d’adolescence, comme pour se venger/justifier de sa propre culpabilité : « Je ressentais ce désir comme une sorte de revanche pour satisfaire égoïstement ma propre libido. » (p. 92) Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), le comédien raconte qu’il s’est rendu sur un site de rencontres fictif Syndromedestockholm.com pour retrouver son violeur, et le draguer ouvertement. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, lorsque le groupe LGBT de Mark propose à ses militants homosexuels de s’associer au mouvement des mineurs gallois, l’un d’eux refusent car il voit en ces ouvriers les homophobes de son adolescence : « Ces types-là me tabassaient sur le chemin du retour de l’école… » Dans le film « Aishite Imasu 1941 » (2004) de Joel Lamangan, le personnage homo séduit un commandant japonais. Dans le film « Après lui » (2007) de Gaël Morel, une mère tombe amoureuse de l’assassin de son fils. Dans le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg, Christian finit par excuser son père qui a jadis abusé de lui. Dans le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le protagoniste sort avec un de ses agresseurs. Dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, Tanguy tombe amoureux de Firmin, l’adolescent parricide. Dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet, Solange et Claire ont beau préméditer le meurtre de leur maîtresse, elles échoueront, et quelque part, elles la célèbrent dans l’iconoclastie. Dans le film « Hôtel du Nord » (1938) de Marcel Carné, Adrien le confiseur entretient une liaison avec un lieutenant. Le film « Haltéroflic » (1983) de Philippe Vallois retrace la passion sadomasochiste et amoureuse entre un flic et un athlète. Dans le roman Hawa (2010) de Mohamed Leftah, Zapata, le héros homosexuel, est séduit par un flic. Dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud, le gardien policier tombe sous le charme de Marina, le travesti, qui le drague avec insistance. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum a écrit plusieurs livres sur le « Syndrome de Stockholm », le « transfert émotionnel ».

 

Le fantasme de l’uniforme militaire, voire carrément des soldats non-agréés (les militaires parallèles, les bad boys, les skins et ladite « racaille »), est très marqué chez certains personnages homosexuels : ils s’abaissent devant l’ennemi comme devant une idole : « Je crois en un dieu semblable à un cadet militaire soumis à ma folie de pédale. » (le narrateur de la nouvelle « El Marqués De Sebregondi Llega Y Retrocede » (1988) d’Osvaldo Lamborghini) ; « J’aime les voyous. Tu ne le savais pas ? » (Doumé, un des héros homosexuels du roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 79) ; « Les sales types, les voyoux comme Herbert, j’adore ça. » (Fabien, le jeune héros homosexuel, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Je veux devenir un playboy professionnel […], j’entrerai dans l’armée. […] Ce sera que pour fréquenter l’école militaire. Pour m’entraîner et avoir un corps magnifique. Je veux dire un corps rude et robuste comme le vôtre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne s’adressant à Adit, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 206) ; « La police se ramollit. Pas de croix gammée au défilé. » (Mark, le chef LGBT regrettant ironiquement que la Gay Pride n’ait pas été attaquée par les forces de l’ordre britanniques, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « J’ai toujours trouvé les agents de police très attirants ! » (Christopher Wren, le héros homosexuel de la pièce The Mousetrap, La Souricière (1952) d’Agatha Christie, mise en scène en 2015 par Stan Risoch) ; « Oh tu sais, les gaillards musclés en uniforme, ça ne m’effraie pas exactement. » (André, homosexuel, dans l’épisode 367 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 31 décembre 2018 sur TF1) ; etc.

 

Par exemple, dans son poème Le Condamné à mort (1952), Jean Genet fantasme sur les « beaux soldats ». Dans le roman Philippe Sauveur (1924) de Ramon Fernandez, Philippe, le héros homosexuel, poursuit des jeunes militaires dans les bas-fonds de Londres. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Nounours, le peintre homo d’art contemporain, se marie avec le flic noir, à la toute fin. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, lors de ses fiançailles, Gatal jure fidélité à « son promis, qui sera son soldat pour la vie ». Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, quand un vieux voisin de résidence menace Mark, le jeune activiste gay, de faire venir un policier pour stopper les nuisances sonores de leurs « orgies », ce dernier s’exclame de manière lascive et provocatrice au passage : « J’espère bien ! » Juste après, à la Gay Pride à laquelle Mark assiste, est écrit en gros sur une banderole : « Il est vraiment hétéro ce flic ! ». Dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, Jean-Marc est attiré par le groupe de scouts paramilitaires des Virilius, et tombe amoureux de leur chef. Dans le film « Un Héros très discret » (1995) de Jacques Audiard, le Capitaine plaque tout pour suivre un bel Américain : « Il s’appelle Marlon, il a 20 ans, il vient de Virginie, il est beau comme un char d’assaut. Il me fait découvrir le jazz et le charme violent des armées victorieuses. Ah, Albert, l’amour, l’amour ! » Dans la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy, Sébastien dit être attiré par les militaires en entraînement. Dans son one-woman-show Betty speaks (2009), Louise de Ville rêve de se rendre à une « soirée pompières, policières, maîtresses nageuses ». Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael fait cyniquement remarquer à son pote efféminé et homo Emory que son terrain de prédilection est la musique militaire. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, certains personnages homos expriment leur attirance pour « les hommes en tenue militaire ». Dans le film « Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ » (1982) de Jean Yann, César (Michel Serrault) est moins sensible à la reine Cléopâtre qu’à ses gardes… Dans le film « Un Éléphant ça trompe énormément » (1976) d’Yves Robert, Daniel, le héros bisexuel, veut continuer de « siffler les militaires » même au moment de sortir avec une femme. Dans le film « Le Rebelle » (1980) de Gérard Blain, Beaufils exprime son goût de la marginalité et de la violence de la dénommée « racaille » : « Il n’y a que cela qui me fait bander. » Dans le film « Pas si grave » (2002) de Bernard Rapp, Leo est troublé par le beau policier espagnol qui, le soir venant, se travestit dans un cabaret. Dans la pièce Les Z’Héros de Branville (2009) de Jean-Christophe Moncys, Bertrand de la Morne s’acoquine sexuellement avec des militaires. Dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, Timofei, le héros hétérosexuel, au moment où il découvre son homosexualité, se met à avoir des hallucinations, et notamment au volant de sa voiture : il s’imagine le temps d’un instant qu’un agent de la circulation lui fait de l’œil. Dans le film « Poltergay » (2006) d’Éric Lavaine, quand Marc, le protagoniste principal, menace la bande de fantômes gays qui hante la maison où il a emménagé avec sa femme, d’appeler la police s’ils ne débarrassent pas le plancher immédiatement, le chef de la troupe, loin d’être apeuré par les menaces, s’en va avertir ses copains de la bonne nouvelle d’une manière provocativement sautillante et communicatrice : « Les gendarmes ?!? […] Les gendarmes !!! Les gendarmes !!! Les gendarmes !!! » Dans la pièce Cachafaz (1978) de Copi, les deux amant Raulito et Cachafaz montent une boucherie humaine rien qu’avec la chair des flics qu’ils tuent : « Un’ fois vidé et bien grillé, c’est délicieux un policier ! » (le chœur des voisins) Dans le film « Les filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie, pour se séduire, les deux héroïnes se déguisent en militaires lors de leurs jeux amoureux. Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur gay, dit son fantasme pour les flics en uniforme. Dans la comédie musicale Frankenstein Junior (2012) de Mel Brooks, Ziggy, le page homosexuel, drague le Gendarme à qui il colle aux basques. Dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau, la jeune Pauline, héroïne lesbienne, a choisi, pour son premier rôle théâtral, de rentrer dans la peau d’un homme en uniforme avec une cape. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, une femme travesti en homme, « Virgo Fortis », est pourchassée par « des soldats qui veulent la violer ». Ces mêmes militaires, la narratrice F to M s’identifiant à Virgo Fortis cherche ensuite à les imiter vestimentairement et comportementalement, donc à devenir physiquement ses « violeurs ». D’ailleurs, elle s’imagine en pleine guerre de Vendée, dans la peau d’un soldat royaliste. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, le héros homo allemand, est attiré par un beau soldat israélien en treillis dans un parc de Jérusalem.

 

Emprisonné par ses pulsions amoureuses et ses fantasmes esthétiques, focalisé sur les intentions plus que sur l’Amour en actes, le héros homosexuel en arrive parfois à acquitter le méchant de sa méchanceté, à l’innocenter en se disant que le « bien par le mal » ferait plus de bien que le Bien même, que la sincérité ou la beauté excusent tout ! « Je n’ai jamais laissé personne d’autre que toi me dévaster. » (Peyton, l’héroïne lesbienne, à sa compagne Elena, dans le film « Elena » (2011) de Nicole Conn) Il est touché par la blessure d’amour secrète et la maladresse destructrice de l’homme blessé, du dictateur, de la rose pleine d’épines du Petit Prince : « Je veux me délivrer de mon arrogance. » (Marie-Christine, la méchante reine, dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet) ; « Que ferait-on sans les Aubépine qui parsèment le plat pays de nos existences ? » (le narrateur homosexuel parlant d’Aubépine, la princesse méchante, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 439) ; etc. Par exemple, dans le téléfilm « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure, on retrouve un portrait – ambigu et presque ami – de Marie Besnard, la fameuse tueuse en série (1896-1980), présentée comme une valeureuse victime de la rumeur, et une digne servante de sa folie. Dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, Éric défend un cambrioleur. Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Georges, de gauche, est en couple avec Édouard, homme politique de droite de plus en plus médiatisé, et qui va refouler son homosexualité pour rentrer dans le rang. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Dick est responsable du suicide d’une femme, Silvana, qu’il a mis enceinte et qui s’est suicidée par noyade. Tom, le héros homosexuel amoureux de Dick, se dévoue pour servir d’écran : « Je suis prêt à dire que je suis le coupable. »

 

L’anti-conformisme de principe que le héros homosexuel adopte pour cacher son manque de désir, de liberté, et de personnalité, le fait parfois chérir la contradiction du dictateur, opter pour la trahison à ses propres idéaux de pureté (par purisme ! voilà le paradoxe) et pour la collaboration : « À tous les méchants. » (Lucie, la maîtresse de cérémonie macabre, rendant hommage en chanson, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « J’ai des fidèles ennemis. Parce que les gens ne me connaissent pas. » (Érik Satie dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Les lettres que vous lisez sont la preuve de son innocence. » (le rat Gouri prenant la défense du criminel Emilio Draconi, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 70) ; « Elle les aime autoritaires. » (Liam par rapport à Karma qu’il croit lesbienne mais qu’il drague quand même, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « La peinture qu’elle avait achetée se trouvait encore devant sa porte, mais Jane avait rechigné à se mettre au travail. Les mots seraient encore là même si elle appliquait une nouvelle couche de laque ; elle voulait que leur laideur reste gravée au fer rouge dans les souvenirs des Mann comme ils l’étaient dans les siens. La colère qu’elle avait pu ressentir vis-à-vis de la fille en rapport avec le graffiti avait disparu. Si c’était Anna qui avait dégradé sa porte, elle l’avait fait par désespoir et par peur de ce que les soupçons de Jane pourraient entrainer pour son père. Si c’était Mann, alors lui aussi était désespéré et effrayé. Cette idée la travaillait. » (Jane, l’héroïne lesbienne qui ne se décide pas à effacer le graffiti homophobe « Lesben Raus ! » qui figure à la peinture rouge sur le mur d’entrée de l’appartement qu’elle partage avec sa compagne Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 155) ; etc. Par exemple, dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Frédérick, le héros homosexuel, finit par aimer la musique de Wagner qui lui a été imposée dans les camps de concentration nazis : « Ils jouaient beaucoup Wagner aux camps. […] Quand j’écoute Wagner, je prends ma revanche sur les Nazis. » Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc se force à aller voir un navet cinématographique, non par plaisir, puisqu’il exècre « la misogynie, la veulerie, la vulgarité » de l’acteur Eddie Murphy, mais par anti-conformisme de principe : « Encore une fois pour changer le mal de place. » (p. 45) Dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, George, le héros homosexuel exerçant le métier de prof à la fac, défend l’antisémitisme des Nazis devant ses étudiants.

 
 

b) L’attirance pour les Grands Hommes et les monarques :

Très souvent, le héros homosexuel choisit pour modèle d’identification les grands personnages de l’Histoire, ayant un destin grandiose, wagnérien, mais aussi tragique : cf. la sculpture Napoléone d’Ange et Damnation, le roman Venus Bonaparte (1994) de Terenci Moix, le film « Uncut » (1997) de John Greyson (avec l’étudiant obsédé par l’ancien Premier ministre canadien Pierre Trudeau), le film « Les Rebelles du Dieu Néon » (1992) de Tsai Ming-liang (avec l’amour pour le chef de bande), le film « Adieu Bonaparte » (1984) de Youssef Chahine, le one-man-show Alex Lutz (2008) d’Alex Lutz (avec l’identification à Louis XIII), les romans Alexis ou le Traité du vain combat (1929) et Mémoires d’Adrien (1951) de Marguerite Yourcenar, la pièce Jules César (1599) de William Shakespeare, le roman Le Crépuscule des Bourbons (2012) de Philippe Gimet (avec les ébats du Duc de Richelieu et du jeune et beau Louis-Marie de Montédour-Trémainville), etc. « Tu as l’étoffe d’un homme politique. » (Jean-Marc parlant à son amant Jean-Jacques, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « J’aimerais savoir ce qui te rend aussi fort. […] J’ai besoin d’être un leader. » (Jean-Jacques à Jean-Marc, idem) ; « À un moment donné, elle [Stephen, l’héroïne lesbienne] avait beaucoup aimé qu’on lui fit la lecture ; elle aimait surtout les livres qui parlaient des héros ; mais à présent, de telles histoires stimulaient tellement son ambition qu’elle désirait intensément les vivre. Elle, Stephen, désirait maintenant être Guillaume Tell, ou Nelson, ou la charge de Balaklava tout entière. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 28) ; « La nuit, je restais éveillée dans mon lit, oubliant un moment la dure réalité de mes seize ans et de ma condition de faible femme dénuée de fortune, pour imaginer que j’étais l’homme des films. Je voulais la richesse, le pouvoir, la célébrité […]. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 24) ; « Après le repas, Ethan reste seul à la table du Samothrace. Il laisse son regard se perdre dans les fresques. Tout doucement, il s’imagine à la grande époque grecque, lorsque le sanctuaire des Grands Dieux était en activité sur l’île de Samothrace. Il se demande quelle place il aurait occupé dans cette société. Comme beaucoup de gens, il ne s’imagine pas en simple paysan travaillant la terre. Il aurait plutôt été de ceux qui gravitaient dans les hautes sphères du pouvoir. Sans doute aurait-il tenu le rôle de grand prêtre. […] Il s’imagine habillé comme dans les péplums, d’un minimum de tissu, tous muscles dehors et il serait entouré par des femmes aussi belles que les représentations d’Athéna. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 64) ; etc. Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Khalid est attiré par la figure fantasmée d’Hassan II : « Je suis devant lui. Je rêve. […] Il a du charme. Détermination. Cruauté. Tendresse. Tout est là. Je le reconnais. […] Il m’attire, il me domine. Je suis à lui. Il est le Roi. Le roi Hassan II. Il est beau. Je l’aime. Sans douter, je l’aime. On m’a appris à l’aimer. À dire son nom. À le crier. Il est beau. Il est important. Tellement beau, tellement important. » (p. 9) Dans le roman Deux Garçons (2014) de Philippe Mezescaze, Philippe, le héros homo, s’identifie à Caligula, et joue le rôle au théâtre. Dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, Jeanjean joue beaucoup avec ses excréments : il en fait des petits personnages, parmi lesquels un Louis XIV qu’il a façonné de ses mains. Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, se croit à la Cour de Sisi Impératrice et prend son père pour l’Empereur d’Autriche. Dans le film postiche « Servir et protéger » intégré dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Billy Stevens, le héros homosexuel, s’adresse à la statue du président Lincoln comme si elle était vivante. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Bram, le héros homo noir, se « déguise » en Barack O’Bama. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, au Musée Beaubourg, Arthur, le héros homo, scotche devant un tableau représentant un Napoléon stylisé. Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Hugo, le héros gay adulte, retrouve Patrick un ancien camarade de lycée (de 2 ans son aîné) dont il tombe amoureux : « Il est toujours aussi mignon. Voire encore plus qu’avant. Tout le monde adorait Patrick. En plus d’être super intelligent, il était ultra populaire et sûr de lui. Les profs disaient qu’ils seraient président. » (Hugo)

 

Le soutien aveugle du héros homosexuel au tyran résulte souvent d’un désir déçu d’héroïsme, d’un don de sa personne au mauvais maître. Il soutient un dieu bassement et uniquement mondain, télévisuel, historiquement médiatique, alors qu’il rêverait inconsciemment de suivre Jésus, le dieu divin et humain… mais son orgueil personnel l’empêche d’assumer sa soif de vraie grandeur.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Il était mince, il était beau, il sentait bon le sable chaud… :

DÉFENSE DU TYRAN Romero avec Trierveiler 3 sept 2014
 

Même si c’est désagréable de le reconnaître, bien souvent, on observe dans les rangs homosexuels une défense anti-conformiste (inconsciente ?) de celui que tous attaquent/attaqueraient : le tyran, le violeur, le dictateur. « Les femmes préfèrent les salauds, nous aussi parfois. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 75) ; « J’ai vu ses beaux yeux bleus, en effet, et j’ai fait comme tout le monde : j’ai oublié la démocratie. » (Philippe, le compagnon de Pascal Sevran, se mettant à défendre le beau dictateur de Syrie, op. cit., p. 90) ; « Philippe me tue. […] Ouf ! Sur ce ton-là nous nous retrouvons, Philippe et moi. Les dictateurs ont cela de bien qu’ils nous laissent des monuments grandioses et qu’ils sont très conservateurs. Oui, que Castro protège la ‘splendeur coloniale’ de La Havane et nous lui pardonnerons beaucoup. Philippe me tue. » (Pascal Sevran, op. cit., p. 199) ; « Je ne dormais pas. J’attendais. Couché sur le ventre, j’essayais de retrouver dans ma tête des images du chef barbu de la bande qui, je devais me rendre à l’évidence, m’avait séquestré. » (Abdellah Taïa racontant la scène de viol que lui a fait subir son cousin Chouaïb alors qu’il n’était qu’un adolescent, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 18) ; « Tout en lui rendant ses coups, tout en étant aussi malin et cruel que lui, je sentais bien dans mon cœur le faible que j’avais pour lui et je savais que je pouvais plus tard tomber sérieusement amoureux de lui. Le demander en mariage. Et être à lui. » (idem, p. 24) ; « J’aimais Chouaïb. À présent, je l’admirais. » (idem, p. 26) ; « Je dois toutefois avouer que, même en plein enfer, une partie de moi était heureuse, aimait ça, ce machisme, cette dictature… Je me disais alors : ‘C’est ça l’amour, c’est ça l’amour… j’ai de la chance… Il faut tenir le coup… C’est ça l’amour…’ » (Abdellah Taïa s’adressant à son ex-amant Slimane, avec qui il a vécu une longue liaison à l’âge adulte, op. cit., p. 117) ; « Dans cette fascination du chef et de la force, il y avait beaucoup de féminité latente, une certaine forme d’homosexualité. Au fond, chez la plupart de ces intellectuels fascistes, je pense à Brasillach, à Abel Bonnard, à Laubreaux, à Bucard, il y avait le désir inconscient de se faire enculer par les S.S. » (Emmanuel Berl s’adressant à Patrick Modiano, cité dans la biographie Ramon (2008) de Dominique Fernandez, p. 140) ; « Toute la vie de cet homme double a dû se jouer là, à Tiffauges. La grandeur guerrière et les déchirements entre les élans sexuels et mystiques. Qui lui jetterait la première pierre ? » (Julien Green à propos de Barbe Bleue, Gilles de Rais, dans son autobiographie L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, p. 33) ; etc.

 

Certaines personnes homosexuelles soutiennent à la surprise générale le tyran qu’elles prétendent haïr, et font même parfois partie de l’entourage de ce dernier. « Des questions qui n’ont peut-être pas de réponse. Comment expliquer que Proust, dont la mère est juive, ne semble pas gêner par l’antisémitisme de Léon Daudet ? Voilà quelque chose que j’ai du mal à comprendre. […] Comment comprendre l’indulgence de Proust pour Léon Daudet ? » (Pierre Dumayet cité dans l’article « Pierre Dumayet : Énigmes proustiennes » de Pierre-Marc de Biasi, sur la revue Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 37) ; « On s’étonne aujourd’hui de l’amitié de Barney pour D’Annunzio ou de son mépris pour la démocratie. » (cf. l’article « Natalie Barney » de Catherine Gonnard, sur le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 59) ; « Comme l’Italie était belle sous le fascisme. » (Pasolini, antifasciste pourtant, dans la première ligne d’un de ses Essais, cité dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2014) d’Andreas Pichler) ; « Même l’écrivain français Brazillach, en dépit de ses penchants homosexuels, et de sa sensibilité à l’homo-érotisme nazi, admirera Hitler pour les sacrifices de ses plus chers camarades sur l’autel de la raison d’État. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 217) ; etc. Par exemple, on ne comprend pas pourquoi Elton John chante « Stan » en duo avec le rappeur « homophobe » Eminem au Grammy Awards en 2001. Charles Trénet imite le Maréchal Pétain. Magnus Hirschfeld milite contre la guerre avant 1914 mais une fois celle-ci déclenchée, il vient aider des milliers d’homosexuels à être des « soldats normaux ». Muriel Robin, l’humoriste lesbienne, se met, au nom de la légitime défense, de la victimisation et d’un féminisme d’arrière-garde, à prendre le parti de Jacqueline Sauvage, la femme battue qui avait tué son mari violent en 2012 et à qui François Hollande avait accordé éhonteusement la grâce présidentielle totale : Robin a d’ailleurs repris le rôle dans le téléfilm « Jacqueline Sauvage : c’était lui ou moi » d’Yves Resnier diffusé en 2018 sur TF1.
 

Dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, on nous raconte la rencontre entre Nicolaus Sombart et son amant beaucoup plus âgé que lui Carl Schmitt, un bourreau nazi. En 1984, Nicolaus Sombart sait bien qu’on va lui reprocher de glorifier un complice des crimes nazis. Il se défend : « » (p. 273)

 

C’est surtout la beauté physique, la recherche d’une force masculine orgasmique, ou l’esthétisme de la contradiction, qui consolident le soutien ambigu des personnes homosexuelles à un despote. « Je regarde les hommes mais je n’ai pas l’impression que c’est leur corps qui m’attirent mais leur énergie. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) Nous semblons partir à la conquête d’une force caricaturale parce que nous avons douté ou méprisé notre force naturelle. Étonnant. Les écrits et fantasmes d’Eddy Bellegueule – l’écrivain gauchiste au look « facho de droite », passant dans les bras d’un tyran à l’autre – en sont une belle illustration. Je vous renvoie à cet article sur l’État islamique parodié pour des soirées gays.

 

Il n’est pas rare que les tyrans et leurs « victimes » homosexuelles louvoient ensemble : « Ils se promènent, à la recherche d’aventures, sur les quais de la Seine, tout en ayant leurs grandes et petites entrées chez les puissants de ce monde. » (Jean-Louis Chardans évoquant les individus homosexuels, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 20) ; « J’étais un efféminé qui méritait les coups. Je ne voulais pas que la surveillante me retrouve dans le même couloir, recroquevillé, le regard implorant – même si, je l’ai dit, la plupart du temps j’essayais, sans toujours y parvenir, de garder le sourire quand ils me frappaient. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 88) ; « C’était une victime qui s’offrait à ses bourreaux. Comme s’il avait quelque chose à expier. » (cf. la voix-off parlant des œuvres provocatrices de Pier Paolo Pasolini, qui toute sa vie a cherché à se faire des ennemis partout, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2014) d’Andreas Pichler) ; « Après dîner, nous faisons un enregistrement de L’École des femmes avec Jouvet. Cette pièce souvent si comique est proprement déchirante. Le vrai sujet est l’incompréhension humaine, Agnès victime et bourreau, ou précisément bourrelle de son bourreau. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, mars 1981, p. 19) ; « L’homosexuel fera tout ce qui est en son pouvoir pour renforcer la puissance du chef de horde dont il tentera de prolonger le plus longtemps possible la durée du gouvernement qui seule lui assure la survie. » (Michaël Kühnen, 2004, p. 6) ; etc. Par exemple, Élisabeth Schwarzkopf, réputée homophobe, est paradoxalement une icône gay. Pascal Sevran défend Brigitte Bardot dans l’émission 93, Faubourg Saint-Honoré (2004) de Thierry Ardisson. Alberto Cardín est l’auteur de l’article (au titre provocateur) « Apología De Anita Bryant » dans la revue Diwan (n°8, 1978) : rappelons qu’Anita Bryant est connue médiatiquement pour avoir tenu des propos ouvertement homophobes. Truman Capote tomba amoureux de Perry, un dangereux criminel dont il s’est amouraché après avoir lu un article de journal sur lui (cf. le film « Scandaleusement célèbre » (2007) de Douglas McGrath retrace leur curieuse relation). Jean-Luc Lagarce, dans son Journal (2008), prend la défense d’un terroriste incendiaire. Dans son autobiographie Parloir (2002), Christian Giudicelli prend le criminel Kamel sous son aile, et ne comprend pas sa propre attitude inconsciente de soumission : « Je me maudis d’avoir minimisé la faute de Kamel. Comment ai-je pu supposer qu’on allait l’oublier, qu’il n’aurait pas à payer ? […] J’ai agi en irresponsable. » (p. 47)

 

DÉFENSE army

Film « The Raspberry Reich » de Bruce LaBruce


 

On nous parle du fantasme esthétique homosexuel pour les fascismes de Mussolini ou de Franco dans l’essai The Image Of Man (1996) de Gregory L. Mosse. Il est observable dans des œuvres telles que les poèmes de Stefan George, le film « ¡ Harka ! » (1941) de Carlos Arévalo, le film « A Mí La Legión » (1942) de Juan de Orduña, le film « Raza » (1942) de J. L. Saenz de Heredia, etc. Terenci Moix, Rafael de León, et bien d’autres, aiment beaucoup de divas du franquisme (Lola Flores, Juanita Reina, Concha Piquer, etc.). La B.D. La Verdadera Historia del Superguerrero del Antifaz, La Superpura Condesita Y El Super Ali Kan (1971) de Nazario reprend le mythe d’un super-héros qui symbolisait la Phalange pendant le franquisme. Concernant les autres collaborations esthétiques entre les personnes homosexuelles et les régimes totalitaires, je vous renvoie par exemple à la sérigraphie Mao (1973) d’Andy Warhol. Marguerite Radclyffe Hall, une des femmes lesbiennes les plus connues au monde, se rapproche clairement du fascisme.

 

Le fantasme de l’uniforme militaire, voire carrément des soldats non-agréés (les militaires parallèles, les bad boys, les skins et ladite « racaille »), est très marqué chez les personnes homosexuelles (cf. les représentations de la force virile exacerbée, dans les dessins de Tom of Finland, de Roger Payne, les films de Bruce LaBruce, de Jacques Scandelari, etc.) : « Cette virilité fasciste ou communiste est un fantasme d’homosexuels, Gide à Moscou, Brasillach à Berlin. Ce dernier ne s’est jamais inquiété des déportations d’homosexuels allemands par les nazis. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 78) Elles s’abaissent devant l’ennemi comme devant l’idole de la violence conquérante : « Ces hooligans des beaux quartiers avaient une force, une originalité et une curiosité peu communes. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 194) ; « Sa prédilection le porte vers l’uniforme et les mauvais garçons, loufiats ou cambrioleurs. » (Roger Stéphane, Parce que c’était lui (2005), p. 33) ; « Il est mignon Kamel, il correspond au look qui m’attire : le look racaille. Les garçons de mon milieu m’ennuient. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), pp. 95-96) ; « Ah ! Les culs virils, ce fut ma perte ! Que de fantasmes faits chair : tous ces ‘képis blancs’ moulés dans leurs pantalons au pli impeccable, ces martiaux ‘paras’ sculptés par leurs treillis de combat… » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 79) ; « Je l’aimais, pour sa moustache, son blouson en cuir et pour ce vélomoteur, Peugeot 103, sur lequel il m’invitait chaque fois à monter. » (Abdellah Taïa à propos de son cousin Chouaïb dont il est amoureux, dans son autobiographique Une Mélancolie arabe (2008), p. 18) ; « Cette année, les cadets de cinquième année étaient d’une particulière beauté. Au moment d’aller à la douche, quand nous étions tous forcés de nous déshabiller, la beauté de leur corps athlétique imposait un silence presque religieux. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 194) ; « Lors du procès de Kuno von Moltke en 1907, un soldat nommé Bollhardt déclare à la barre que dans les régiments de Postdam, les relations sexuelles entre officiers et hommes du rang sont monnaie courante. Le tribunal est fasciné par le puissant sex-appeal que semble exercer l’uniforme des cuirassiers. Harden, quant à lui, déclare que ‘des régiments entiers de cavalerie étaient infestés d’homosexualité’. Des soldats allaient jusqu’à se prostituer eux-mêmes dans certains quartiers de Berlin, et même sur l’Avenue de la Victoire. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 52-53) ; « À l’âge de 15 ans, se souvient Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895), il eut sa première éjaculation nocturne. À cet âge, il aurait été séduit par un homme de trente ans. Il était très attiré par des soldats de 20 à 22 ans, dont il faisait le portrait en secret, ce qui suffisait à l’enflammer. Selon lui, l’homosexualité était prédominante dans l’armée allemande. » (idem, p. 79) ; « Nul doute que Ramon Fernandez n’ait fréquenté les bars britanniques explorés par les personnages de son livre Philippe Sauveur et croisé, au moins dans la brume, les figures sculpturales de soldats et de marins évoqués avec tant de complaisance. » (Dominique Fernandez à propos de son père homosexuel Ramon, dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, p. 54) ; etc. J. R. Ackerley est attiré par les hommes des classes sociales défavorisées, et en particulier ceux revêtant l’uniforme (cf. le roman The Prisoners Of War, 1923). L’écrivain allemande Christa Winsloe, profondément anti-militariste et anti-prussienne, écrit pourtant la pièce de théâtre Jeunes filles en uniforme (1931). Dans le film « Chantons sous l’Occupation » (1976), Jean-Louis Bory condamne chez les hommes homosexuels « le goût de la botte, du cuir, du métal, et les fameuses messes de Nuremberg ».

 

Il y a dans ce fantasme de militarisme une résurgence du viol ou d’un inceste inconscient, comme le montrent les propos des tantes d’Alfredo Arias concernant leur neveu homosexuel, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997) : « Quand notre neveu [Alfredo] a fait le lycée militaire, il croyait voir parfois, entre ces hommes en uniforme, les fantômes d’une femme qui apparaissait et disparaissait. Laquelle d’entre nous était-ce ? Qui de nous trois pouvait-ce être ? » (p. 148)

 

Dans la biographie Ramon (2008), Dominique Fernandez fait la prouesse de retracer la vie de son père qui « a été un collabo, des plus notoires ». Mais bizarrement, au jour des funérailles, il finit par soutenir ce dernier et par dire qu’il en est amoureux : « Une sorte de miracle transforme les funérailles du traître en acte de rédemption. » (p. 18) ; « Amoureux de mon père, je l’ai toujours été, je le reste. Ma mère, je l’ai admirée, je l’ai crainte, je ne l’ai pas aimée. Lui, c’était l’absent et c’était le failli, l’homme perdu, sans honneur. C’était le paria. » (idem, p. 45)
 

Emprisonnées par leurs pulsions amoureuses et leurs fantasmes esthétiques, focalisées sur les intentions plus que sur l’Amour en actes, un certain nombre de personnes homosexuelles en arrivent à acquitter le méchant de sa méchanceté, à l’innocenter en se disant que le « bien par le mal » ferait plus de bien que le Bien même, que la sincérité ou la beauté excusent tout ! « Manuel Puig écrit sur la trahison du cinéma qui, en nous faisant rêver de l’impossible, nous empêche parfois de vivre nos possibles. Il brosse le portrait réaliste et impitoyable d’une société qui pratique toutes les hypocrisies, y compris sexuelle, et dont le cinéma des années 1930 et 40 est l’un des principaux modèles de conduite. Il entretient un rapport douloureux avec le cinéma qu’il aime. Expression parfaite de son idéal esthétique fait de kitsch et de glamour, le cinéma américain tout comme son contemporain allemand est, avant tout, cinéma de propagande. » (Lionel Souquet, Le Kitsch de Manuel Puig (1996), p. 174)

 

Film "Lili Marlen" de Rainer Werner Fassbinder

Film « Lili Marlen » de Rainer Werner Fassbinder


 

Certaines personnes homosexuelles disent être touchées par la blessure d’amour secrète et la maladresse destructrice de l’homme blessé, du dictateur, de la rose pleine d’épines du Petit Prince. C’est exactement le cas de Charles Trénet, qui a défendu Marie Besnard, l’empoisonneuse, au moment de son procès retentissant. Autre exemple, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le réalisateur semble justifier le crime passionnel : Petra, dans sa folie d’amour possessif et destructeur, est prise en pitié. Dans le roman L’Autre (1971), Julien Green prend la défense de Karin, celle que tout le monde rejette parce qu’elle a pactisé avec l’ennemi allemand. Dans son film « Huit Femmes » (2002), le réalisateur François Ozon magnifie littéralement son personnage d’Augustine (Isabelle Huppert) qu’il rend touchante à force de la dépeindre détestable et capricieuse : « Vous pensez toutes que je vous déteste. C’est pas vrai. J’aime tout le monde. Mais personne ne comprend ma façon d’aimer. On croit que c’est de la haine ! »

 

Film "Huit femmes" de François Ozon

Film « Huit femmes » de François Ozon


 

L’anti-conformisme de principe que certaines personnes homosexuelles adoptent pour cacher leur manque de désir, de liberté, et de personnalité, les fait parfois chérir la contradiction du dictateur, opter pour la trahison à leurs propres idéaux de pureté (par purisme ! voilà le paradoxe) et pour la collaboration : Bola de Nieves n’a pas caché sa sympathie pour Mao Zedong et Fidel Castro ; en 1948, après son voyage aux États-Unis, Salvador Dalí revient en Espagne et se déclare en faveur de la politique de Franco ; Rafael de León se met également du côté de « Generalísimo ». Alfredo Nosteirín était à la fois homo et phalangiste ; Natalie Barney exprime une admiration sans bornes pour le « grand » Mussolini. « De temps en temps, par gentillesse, par ce côté qui est un peu lâche en moi parce que j’aime pas faire de la peine, il m’arrive d’être lâche. Et cette lâcheté peut m’amener à me conduire comme un petit salaud. C’est là que la question de ma dignité personnelle intervient. Mais c’est une affaire personnelle entre moi et moi. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976)

 

La défense des tyrans par la communauté homosexuelle s’explique par la fragilité qu’est le désir homosexuel, et encore plus par la violence que constitue la pratique homosexuelle. Il est en effet facile de manipuler des gens fragiles. Ils sont plus influençables, plus agressifs, plus impressionnants. Il n’y a qu’à voir comment, en 2012-2013, les personnes homosexuelles pratiquantes ont massivement soutenu François Hollande (le tyran mou) et le « mariage pour tous » (loi qui, concrètement, va à l’encontre de leur réalité, de leur spécificité, et du respect de leur personne, loi qui les instrumentalise et les conduit à poser des actes graves et irréversibles : PMA, GPA, adoption, réduction de sa personne à ses pulsions sexuelles, encouragement à la pratique homo et enfermement dans celle-ci, etc.). Elles se laissent instrumentaliser et soutiennent un système libéral socialiste qui les broient, sans chercher à se révolter.

 
 

b) L’attirance pour les Grands Hommes et les monarques :

Charles de Gaulle (statue près des Champs-Élysée, à Paris)

Charles de Gaulle (statue près du Grand Palais, à Paris)


 

Très souvent, les personnes homosexuelles choisissent pour modèle d’identification les grands personnages de l’Histoire humaine, ayant un destin grandiose, wagnérien, mais aussi tragique : « Depuis longtemps, j’avais en tête l’idée de réaliser un film sur la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes. […] J’étais fasciné par le destin des personnages. Par Marie-Antoinette, en premier lieu, choisie à 14 ans, sur catalogue, pour devenir la femme du roi de France. Puis par sa vie à Paris, son amour de l’art et de la culture, sa frivolité, ses aventures, le monde totalement irréel et déconnecté du peuple dans lequel elle vécut… Jusqu’à ce que la réalité la rattrape avec ce périple qui l’obligea, pour la première fois, à agir en femme responsable, à peine sortie du rêve et obligée d’affronter la réalité. On imagine ce que furent les deux jours que dura le voyage. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), pp. 374-375) ; « Je n’ai d’yeux que pour le pharaon. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 48) ; « Je trouvais le leader des étudiants d’une grande beauté. » (Jean Le Bitoux concernant mai 1968, dans son essai Citoyen de seconde zone (2003), p. 64) ; « Finalement, à travers toutes ces figures de mon passé, je vois le désir d’être avant tout une femme solide et indépendante, comme Elisabeth première, mais en moins vierge, ou Margaret Thatcher, mais en moins idiote, et en moins laide aussi j’espère. » (cf. l’article « De la virilité des lesbiennes » posté par « Septembre », une femme lesbienne, sur le site Yagg, le 16 janvier 2010) ; « J’aimais les histoires de chevalier, je m’imaginais Robin des Bois. […] J’ai souffert des autres pendant cette période. […] J’ai compris à quel point le monde est injuste. […] Au début du collège, avec mes cousins, nous avons fondé une armée dont j’étais bien sûr un des généraux (il n’y avait que des officiers ou presque dans notre armée). » (Bab El, dans son article « Tom Boy à l’affiche ») ; « Pour la fête des Rois chez le couturier Paul Poiret, en 1923, il fallait se costumer. Maurice Sachs, dans son livre ‘Au temps du Bœuf sur le toit’, sorte de journal des Années folles, a fait la liste des invités ! » (Dominique Fernandez dans la biographie Ramon (2008), pp. 88-89) ; etc.

 

Certains auteurs homosexuels aiment les Grands Hommes et la Jet Set : c’est le cas de Stephen Frears, Bola de Nieves, Truman Capote, Jean Cocteau, Andy Warhol, Alain Pacadis, Elton John, etc. Par exemple, le héros préféré d’Horatio Alger est Abraham Lincoln. Andy Warhol a fait une sérigraphie de Mao Zedong en 1973. Dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, Rosario Miranda raconte que lors du carnaval de son village natal, il se déguisa en pharaon, car il rêvait d’être un puissant monarque (p. 228). Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko est fasciné autant que rebuté par l’aura de son père, « proche du curé de son école, proche du directeur du centre de Louhoua ». Parmi les personnes homosexuelles, on compte un certain nombre de « biographes des stars » (Frédéric Mitterrand, Stéphane Bern, Michel Larivière, Jean-Claude Pascal, Cecil Beaton, Andy Warhol, etc.).

 

Stéphane Bern

Stéphane Bern


 

Dans le premier numéro du premier journal homosexuel en Allemagne Der Eigene, Adolf Brandt dédie le journal aux « individus forts » qui organisent leur vie selon leurs propres codes et refusent de se conformer à la morale des masses. Pendant la conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon (à la Mairie du IIIème arrondissement, le 18 novembre 2010), le romancier français Christophe Bigot avoue devant toute l’assistance son attraction pour les « grands personnages » historiques. Déjà, quand il se trouvait à l’école primaire, il endossait le rôle du juge impitoyable : « Je faisais le bourreau du Tribunal révolutionnaire sur la cour d’école. » Adolescent, il s’est identifié très tôt – avant de le dés-idéaliser à l’âge adulte – au procureur Camille Desmoulins, figure du romantisme avant l’heure pendant la Révolution Française : « Il est jeune, courageux, fougueux, c’est un amoureux. J’ai voué un culte à Camille Desmoulins pendant toute mon adolescence. […] C’est un homme violent qui désigne, à la vindicte populaire, les contre-révolutionnaires. » Desmoulins, c’est la figure du traître par excellence.

 

Ce choix de modèles d’identification « forts » est illustré par les témoignages d’hommes homosexuels récoltés par Xavier Thévenot dans l’essai Repères éthiques pour un monde nouveau (1982) : ces derniers disent apprécier entre autres le Général de Gaulle, Napoléon Bonaparte, Néron, etc. Dans mon entourage homosexuel, je connais un certain nombre d’amis, parfois historiens de formation, possédant dans leur bibliothèque une ribambelle de biographies d’hommes politiques charismatiques, ou bien votant pour l’extrême gauche/l’extrême droite (étant même, pour certains, favorables à la restauration de la monarchie ! Je parle par exemple des cathos tradis royalistes, soit légitimistes, soit orléannistes), et qui se sont parfois déguisés en Néron ou en Jules César quand ils étaient enfants. Dans le cas des individus homosexuels moins sophistiqués et moins dandys, le goût des Grands Hommes se reportera sur les stars de cinéma, les chanteurs, et les héros de dessins-animés… mais c’est la même idolâtrie pour l’héroïsme narcissique ! et la même preuve de la carence du référent paternel, du transfert de sa propre force virile.

 

Lors d’une visite guidée du cimetière du Père-Lachaise de Paris, que j’ai faite début février 2012, j’ai appris directement par le guide (lui-même homosexuel, et qui m’a avoué qu’il vit depuis 20 ans avec un homme qu’il a justement rencontré il y a 20 ans dans ces mêmes lieux !) que ce cimetière était un véritable lieu de drague homosexuelle, et que le « coin » le plus fréquenté des visiteurs homosexuels était (comme par hasard !) celui des Maréchaux d’Empire (les Généraux Masséna, Lefebvre, Foy, Caron de Beaumarchais, etc.) ! Cherchez la coïncidence…

 

Le soutien aveugle de l’individu homosexuel au tyran résulte souvent d’un désir déçu d’héroïsme, d’un don de sa personne au mauvais maître. Il soutient un dieu bassement et uniquement mondain, télévisuel, historiquement médiatique, alors qu’il rêverait inconsciemment de suivre Jésus, le dieu divin et humain… mais son orgueil personnel l’empêche d’assumer sa soif de vraie grandeur.

 
 

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Code n°43 – Déni (sous-codes : « Circulez, y’a rien à voir ! » / Silence / Paradoxes / Censure)

Déni

Déni

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

Sois un amoureux (gay ou pas) et tais-toi ! Voici le code exposant la mauvaise foi – manifeste et quasi généralisée – des personnes homosexuelles à propos de leur désir homosexuel. Il illustre de manière claire la censure imposée par les militants homosexuels et leurs suiveurs gays friendly jouant le jeu de l’homophobie sociale, broyant les cerveaux et les libertés, encourageant même parfois les suicides qu’ils prétendent pourtant neutraliser. Car je ne sais pas si on vous a mis au courant, mais l’individu homosexuel pratiquant se comporte comme un censeur, un délateur, un menteur, un dissimulateur, un hypocrite, et un trouillard invétéré.

 
DÉNI 1 Ciseaux
 

Il suffit de montrer aux membres de la communauté homosexuelle que leur désir homosexuel survient dans des contextes souffrants – et donc potentiellement violents quand cette souffrance est niée –, car tel est objectivement le cas, pour qu’ils montent au créneau, en hurlant agressivement qu’ils « ne souffrent jamais », que le malheur n’est pas qu’homosexuel ! La souffrance, c’est le grand interdit des discours sur l’homosexualité. En général, les personnes homosexuelles ne voudraient entendre que des paroles positives sur leur désir et leurs amours, être dorlotées dans leurs petites certitudes mièvres. Pour imposer leur censure concernant le viol ou le fantasme de viol, elles emploient toujours les mêmes stratégies de diversion : le déni pur et dur (j’entends par ce mot le refus de reconnaître une réalité), l’indignation, la menace, l’humour potache auto-parodique, le silence… Mais ces techniques du déni, au lieu d’atteindre leur but et de faire oublier le problème qu’elles sont censées occulter, en sont les meilleurs indicateurs. À force de trop cacher, on montre, et même on invite à regarder !

 

Je n’ai pas peur de dire haut et fort que la communauté homosexuelle telle qu’elle existe actuellement, et telle qu’elle a toujours existé (on ne refait pas le désir homosexuel…), est un système totalitaire, une dictature peu puissante mais non moins intolérante et intolérable. Même si les personnes homosexuelles s’annoncent comme une minorité progressiste, moderne, ouverte, aimante, diverse, transparente, et libérante, elles construisent, en défendant l’identité homosexuelle éternelle et l’« amour » homosexuel aveuglément, une terrible censure sur les drames vécus par notre Humanité, et a fortiori par elles-mêmes.

 

Et tant que cela ne changera pas, je dénoncerai – toute ma vie s’il le faut – cette propagande mortifère du silence, qu’on appelle à tort « amour », « respect », ou « révolution ». On pourra bien me mettre le scotch marqué « homophobe » sur la bouche, je continuerai de dire que les véritables personnes homophobes sont ces militants pseudo pro-gays, de lutter contre les injustices et les souffrances cachées, de défendre ma liberté et celle de mes amis homosexuels, d’appeler au refus du lavage de cerveau idéologique et du terrorisme « intellectuel » homosexuellement correct, de plaider la reconnaissance des faits et de la nature violente du désir homosexuel pour que la supériorité du Désir avec un « D » majuscule soit enfin découverte.

 
 

N.B. : Je vois également aux codes « Viol », « Violeur homosexuel », « Oubli et amnésie », « Homosexuel homophobe », « Appel déguisé », « Milieu homosexuel infernal », « Amoureux », « Clown blanc et Masques », « Humour-poignard », « Innocence », « Médecin tué », « Douceur-poignard », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Témoin silencieux d’un crime », « « Première fois » », « Faux intellectuels », « Maquillage », et à la partie « Divin Artiste » du code « Pygmalion » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Le déni du fantasme de viol

(et parfois du viol réel)

 
 

« À les écouter, il n’est pas abusif de parler de TABOU. Il ne s’agit pas seulement de honte. […] Comment expliquer que des hommes – qui pour certains ont lutté des années ensemble, revendiquant le droit de disposer de leur corps, de leurs désirs, des hommes qui, contrairement à d’autres mâles, ont pris l’habitude de se rencontrer pour parler d’eux, de leur vie la plus intime…– n’aient jamais parlé de ces scènes de viol entre eux ? Énoncent même qu’ils n’en ont jamais discuté avec leurs compagnons après plusieurs années de vie commune… Quel est le sens de ce tabou ? » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin, 1988)

 

Film "Et l'homme créa la femme" de Frank Oz

Film « Et l’homme créa la femme » de Frank Oz

 

Je n’avais pas trop d’a priori quand j’ai fait mes premières rencontres avec des personnes qui se définissaient clairement en tant qu’« homosexuelles ». J’étais convaincu que la souffrance n’avait rien de spécifiquement homosexuel. À ceux qui écrivaient qu’ils n’avaient « jamais vu d’homosexuel bien portant et heureux » (Wilhelm Stekel, Onanisme et Homosexualité, 1951), j’avais envie de répondre que je n’avais jamais vu de personnes hétéros bien portantes et pleinement heureuses non plus. L’homosexualisation du malheur comme le refus systématique d’homosexualisation de la souffrance, obéissant toutes deux à la comparaison/appropriation stérile des souffrances, étaient pour moi une seule et même expression du déni de la mort et de l’amour.

 

Mais j’ai découvert que beaucoup d’individus homosexuels, à force de croire que la souffrance était leur propriété privée ou au contraire une réalité qui ne les touchait jamais, désiraient et parfois se créaient leur propre blessure, bien souvent dans une lutte fiévreuse contre la victimisation et un sourire forcé.

 

La souffrance rejoint la vie de chacun, que nous soyons homosexuels, hétérosexuels, et plus largement humains. Aucun Homme n’est en mesure de faire de ses souffrances le ferment de son identité profonde, pas plus qu’il n’est habilité à dire qu’elles n’influent absolument pas sur sa personne et ses actions. Nous vivons tous avec des blessures, plus ou moins profondes selon les épreuves de notre existence et notre capacité à y faire face. Toute personne qui nie cette réalité-là pour lui-même ou pour les autres, s’expose à maquiller ses douleurs humaines et à les rendre beaucoup plus grandes, invisibles et mythiques, que s’il les avait soignées à temps.

 

Dans son essai Big Mother (2002), Michel Schneider décrit bien les ravages que peuvent opérer les réalités fantasmées dans nos existences lorsqu’elles ont l’aval de nos désirs de mort et de vie, et qu’elles obéissent plus à l’orgueil de nos bonnes intentions qu’à la reconnaissance humble de nos limites humaines : « En psychanalyse, est traumatique une effraction du réel dans l’imaginaire qui plonge le sujet dans l’incapacité de la symboliser. Ainsi, le viol ou l’acte pédophile sont des traumatismes, parce qu’ils font écho dans la réalité aux fantasmes inconscients de la victime, et parce qu’ils enfreignent la loi symbolique qui donne sens à la différence des sexes. » (p. 309) Beaucoup de personnes homosexuelles souffrent au fond de ne pas se sentir souffrantes dans une situation pénible, et faute d’avoir pu mettre des mots simples sur celle-ci.

 
 

A – LE REFUS DE LA RÉFLEXION SUR L’HOMOSEXUALITÉ :

 

A – a) Je ne souffre pas !

 

Pour la majorité des personnes homosexuelles, il est hors de question d’avouer qu’elles sont, au même titre que tous les Hommes, touchées par la douleur. Elles seraient à l’image de leurs super-héros : inébranlables, « inoxydables » (cf. le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitmann). Certaines personnes hétérosexuelles se choquent avec elles de simplement entendre qu’une personne homosexuelle puisse souffrir. À force de lui assigner un destin malheureux, tout un pan de la société voudrait transformer la communauté homosexuelle en race préservée du malheur.

 

Une des techniques les plus fréquemment employées socialement pour nier le fantasme de viol ou le viol réel est la sexualisation générique de celui-ci. Bien que les statistiques nous apprennent qu’au moins un garçon sur six – 16% de la population masculine générale, quand même – est victime de violences sexuelles avant l’âge de 18 ans (Denis René, « Les Abus sexuels et les hommes d’orientation homosexuelle », sur le site www.criphase.org/hommeetabus.pdf, consulté en août 2007), le viol commis à l’encontre des hommes reste un sujet totalement occulté par nos sociétés du Superman et par nos media (le terme « viol » sera au mieux remplacé par celui d’« attentat à la pudeur » dans le cas des abus au masculin…). Cet aveuglement fait aujourd’hui la grisaille des personnes gay qui se savent d’une certaine manière violées – par leurs propres fantasmes de viol au moins, et parfois dans les faits – mais qui s’interdisent de le penser parce qu’elles feraient soi-disant partie du « sexe fort ». Nous pouvons nous demander dans quelle mesure l’assignation sociale du viol à la femme exclusivement (étant entendu la femme cinématographique en priorité) ne joue pas justement le jeu du viol opéré sur les hommes, et a fortiori sur les femmes réelles.

 

Ceci étant, la communauté homosexuelle rentre complètement dans la mouvance du déni social du viol puisqu’elle fait très souvent barrage à toute réflexion sur le désir homosexuel. « C’est vrai que je me suis posé la question, de temps en temps, de me dire : ‘Si je n’avais pas été violée, est-ce que je serais homosexuelle ?’ Maintenant, je m’en fous. » (Catherine citée dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, p. 59) Comme on a maintes fois l’occasion de s’en rendre compte, la blessure homosexuelle, due surtout à un fantasme de viol, et parfois – plus rarement – à un viol réel, manque de simplicité pour se dire. Elle s’exprime indirectement à travers la schizophrénie – celle-ci est signe d’une extériorisation excessive de soi – et des codes symboliques qui dénoncent le viol tout en niant son existence. Le paradoxe réside dans le fait que beaucoup de personnes homosexuelles voient dans la mise en scène de la censure et de leur auto-censure un moyen de dire/occulter leur souffrance ou leur fantasme de souffrance, sans comprendre qu’ainsi, elles la cautionnent : soit elles l’exagéreront, soit elles la nieront en bloc, un peu à raison parce que le fantasme de viol n’est pas le viol réel, et un peu à tort (les fantasmes de viol peuvent parfois s’actualiser en actes réels et violents : cela dépend de notre liberté humaine). Comme l’Eva Perón (1969) de Copi, qui raconte comment elle s’est fait violer par l’épicier borgne de son quartier tout en revenant sur ses déclarations, il leur arrive de déclarer qu’elles n’ont jamais été abusées en se posant en victimes pour prendre la défense de leur (supposé) agresseur, ou même pour se substituer à lui : « Je ne sais pas pourquoi je te disais qu’il me touchait. Il me racontait sa vie. Et peu à peu je suis devenue comme lui, tu comprends, je n’y peux rien. »

 

Contre toute attente, beaucoup de personnes homosexuelles se mettent alors à cautionner le viol et l’inceste dont elles ont parfois fait l’objet, ou bien le désir de viol qu’elles ont ressenti, en affirmant qu’ils sont des affabulations. « Il est clair que la grande interdiction de l’inceste est une invention des intellectuels. » (Michel Foucault, « Choix sexuel, Acte sexuel », entretien avec J. O’Higgins en 1982, dans Dits et Écrits II (2001), p. 1154) Pour épargner à leur violeur l’inculpation, il arrive qu’elles essaient de se convaincre que lors du coït incestueux ou violent elles réagissaient trop, que finalement rien de terrible ne s’est réellement passé. Au moment de la violence sexuelle physique, elles ont pu éprouver un certain plaisir génital qu’elles ont interprété par la suite comme de l’amour, et ensuite comme de « l’amour pour les hommes ». Dans le film « Back Room » (1999) de Guillem Morales, par exemple, le jeune Ivan, puceau, se fait prendre par deux hommes dans les backroom d’une discothèque. Nous entendons en voix-off son monologue intérieur montrant qu’il essaie de se convaincre lui-même que ce qu’il est en train de vivre est banal et merveilleux : « Il faut que ça me plaise. Je l’ai voulu. » Une fois dépucelé, il minimise le traumatisme de l’expérience par la comparaison avec le catastrophique : « Je pensais que ce serait pire. » Cette réalité du viol ou du désir de viol est d’autant plus occultée que la victime se dit qu’elle « ne demandait que cela », en intériorisant ce que son agresseur a voulu faire du viol : un acte d’amour nécessaire et obligatoirement réciproque.

 

L’autocensure démarre par une mise aux oubliettes de la souffrance. Du passé souffrant, beaucoup de sujets homosexuels font table rase. Ils assurent qu’ils vont très bien et refusent qu’on pleure sur leur sort. « Nous ne voulons pas qu’on nous soigne, ni qu’on nous analyse, ni qu’on nous explique, ni qu’on nous tolère, ni qu’on nous comprenne. » (Néstor Perlongher, « El Sexo De Las Locas » (1983), p. 34) L’homosexualité ne constituerait pas une difficulté en soi. « On ne souffre pas ! » s’insurgent les militants homosexuels du FHAR sur RTL, le 10 mars 1971, à l’émission radiophonique de Ménie Grégoire qui tenta de mettre des mots sur « le douloureux problème de l’homosexualité ». Ce serait uniquement le fait que « les autres » en fassent un problème qui poserait finalement problème. Certaines personnes homosexuelles se plaisent à penser que l’idée du « bonheur homosexuel » insupporte leurs ennemis, et que leur haine est tout simplement surnaturelle et irrationnelle.

 

Elles sont capables de mobiliser une énergie assez phénoménale pour soutenir leur déni de souffrance. En moralisant leur propre blessure, il est fréquent qu’elles pathologisent ou contextualisent à l’excès le discours de leur interlocuteur, car pour elles, décrire objectivement un mal revient à le faire et à souhaiter qu’il se (re)produise. Nous avons du mal, quand nous souffrons, à laisser à l’autre la primeur de la découverte de notre blessure, parce qu’en nous prenant pour notre balafre – alors qu’elle nous est essentiellement extérieure, quand bien même elle nous colle dans certains cas durablement à la peau –, nous nous la cachons à nous-mêmes. La question « Souffres-tu ? » arrive alors bizarrement à nos oreilles comme l’interrogation lapidaire qu’elle n’a pas à être : « Tu as souffert ? Pourquoi ? Justifie ta souffrance anormale, Toi, le Malade ! »

 

C’est d’abord sur elles-mêmes que beaucoup de personnes homosexuelles opèrent une censure. Elles se persuadent que leur malaise par rapport à l’homosexualité est infondé, qu’elles se « prennent la tête » pour rien, qu’elles se posent trop de questions au sujet de leur sexualité, et donc qu’il leur faut chasser tout sentiment de culpabilité grâce à unepositive attitude faussement dynamique : « Si nous ressentons des sentiments négatifs à propos de notre sexualité, nous devons accroître notre confiance en nous. Cultivons-nous sur notre sexualité en lisant beaucoup. […] Des livres rassurants. » (Terry Sanderson, Gay Kâma Sûtra (2003), pp. 30-31) Dans certains films, les réalisateurs dressent le portrait de l’homosexualité coupable afin que l’ensemble des communautaires la conspuent et enregistrent docilement toutes les phrases injustifiées de l’auto-flagellation homosexuelle à ne surtout jamais répéter. La liste de propos répertoriés dans la catégorie « homosexualité non-assumée » (genre « Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? » ; « Je suis anormal… », « Se faire pénétrer, c’est mal : cela revient à devenir femme et à nier ma masculinité », etc.), d’une part est censée rassurer l’ensemble des personnes homosexuelles (« Tu vois, tu n’es pas le seul, nous sommes tous passés par cette phase d’auto-détestation. »), et d’autre part lui faire la leçon (« Parce que nous sommes passés par-là, tu dois nous écouter. Tu n’as pas à culpabiliser, est-ce clair ?! »). Beaucoup de personnes homosexuelles cherchent à chasser la voix de leur conscience que la communauté homosexuelle et la société baptisent hâtivement « haine de soi injustifiée » ou « culpabilité malsaine ». L’expression d’une résistance ou d’un doute par rapport à l’homosexualité est presque toujours identifiée comme un sentiment de culpabilité insensé, une difficulté à « s’assumer », une homophobie intériorisée, une perversion « satanique » (Simon dans la revue Têtu, n°68, juin 2002) venue exclusivement et originellement de l’extérieur, une puante marque d’orgueil trouvée dans un self control ascétique, une soumission de « honteuse » à un modèle politique oppressif ; alors que parfois il s’agit tout simplement d’une gêne saine et salutaire, d’un réveil de conscience, d’un juste amour de soi, ou d’une peur stimulée par une résistance vitale contre les tentatives d’abus et d’entrave à la liberté individuelle.

 

Je dirais même quand dans bien des cas, surtout quand il s’agit d’homosexualité, c’est le bannissement systématique de cette bonne gêne qui est vraiment perturbant, et non la gêne en elle-même. Beaucoup de personnes homosexuelles se matraquent à elles-mêmes « C’est pas de ta faute ! C’est pas de ta faute ! » (Sean Maguire dans le film « Will Hunting » (1997) de Gus Van Sant), parce que précisément elles s’infligent souvent la culpabilité de ne plus se reconnaître coupables pour des actes qui parfois la mériteraient. L’encouragement à renier ses erreurs n’a jamais été une preuve d’amour de soi. La phobie de la culpabilité demeure le plus sûr moyen d’expérimenter de vieux réveils de conscience inexpliqués et coûteux. Ce n’est pas pour rien si, par exemple, la scène d’aveux déchirés de Marthe dans le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler émeut autant certaines personnes homosexuelles encore aujourd’hui : « La répugnance et le dégoût d’elle-même qu’elle éprouve me bouleverse quand je revois le film. Et je pleure en me demandant pourquoi. Pourquoi est-ce que cela me bouleverse ?!? Ce n’est qu’un vieux film idiot… Les gens ne réagissent pas comme ça aujourd’hui… Mais je ne crois pas que ce soit le cas. Les gens éprouvent toujours un sentiment de culpabilité que je partage, même si on prétend assumer sa condition en s’écriant : ‘Je suis heureuse, bien dans ma peau, bisexuelle, homo’, on a beau dire ‘Je suis homo et fière de l’être’, on se pose toujours la question de savoir ‘Comment est-ce que je suis devenu comme je suis ?’. » (Susie Bright citée dans le documentaire « The Celluloïd Closet » (1981) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman) L’embarras des sujets homosexuels face à leur désir ou à leur couple dit une part de la culpabilité justifiée qu’engendrent certains actes homosexuels. Loin d’être inquiétante, cette juste culpabilité est salutaire : elle dit que la conscience personnelle s’anime et se révolte à bon droit. Les personnes homosexuelles devraient s’accrocher à leurs gênes intérieures : elles sont de l’or en barre, des signes que leur conscience est encore en vie et qu’elle les appelle à se réveiller !

 
 

A – b) L’effacement du passé :

 

Le déni homosexuel concernant la souffrance est particulièrement observable à travers le traitement de la mémoire opéré par la communauté homosexuelle. Beaucoup de ses membres refusent catégoriquement de poser un regard sur leur passé. Ils réécrivent souvent leur histoire personnelle sous forme de légende noire, comme si leur jeunesse « hétérosexuelle » n’avait été que mensonge. Le passé qu’ils ressuscitent est prioritairement mythique, sentimental, impersonnel et folklorique. J’en tiens pour preuve la passion qu’énormément d’artistes homos développent pour les grandes fresques historiques kitsch (la Rome et la Grèce antiques, la Guerre de Sécession nord-américaine, la Révolution française, le règne de Sissi Impératrice, etc.). La reconstitution des temps dits « anciens » sert en général à la contemplation narcissique et à la fuite de la Réalité. La majorité des personnes homosexuelles partent, comme Marcel Proust, « à la recherche du temps perdu », pour ne pas affronter ce qu’elles ont à vivre dans le présent. Le travail de réactivation de la mémoire tel qu’elles le conçoivent n’est pas un acte volontaire et libre : le passage de la dégustation de la madeleine de Proust le montre parfaitement (Marcel Proust, Du côté de chez Swann (1913), p. 51). Il est principalement impulsé par le culte de l’instant, la tristesse nostalgico-anachronique, et le désir d’isolement. Il a donc peu à voir avec la vraie mémoire, celle qui fait aimer l’Humanité, qui est partiellement intelligible et contrôlée par le Désir. Pour beaucoup d’entre elles, « l’histoire officielle est une hallucination » (Néstor Perlongher, cité par Miguel Ángel Zapata, « Néstor Perlongher : La Parodia Diluyente ») et la tradition se confond avec le « détritus » (Néstor Perlongher, cité dans l’article de William Rowe, « Notas Sobre La Poesía Latinoamericana Actual »).

 

L’expression « biographie homosexuelle » tiendrait-elle donc de l’antinomie ? Il faut croire que oui quand nous voyons combien de personnes homosexuelles tirent une croix sur leur passé et font barrage à tout travail de recherche sur leur existence. « Les albums de famille sont faits pour qu’on les ferme et les oublie au fond d’une armoire. » (p. 22) écrit Cathy Bernheim dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003). Nous trouvons des exemples parlants de cette autocensure parmi les célébrités homosexuelles, qui n’accueillent les biographes à bras ouverts qu’après avoir pris soin de brûler leurs journaux intimes et s’être assurées du silence inconditionnel de leurs proches. Adeptes du pseudonyme et de la dissimulation, un certain nombre d’artistes homosexuels défendent « l’œuvre sans auteur » – souvent sous l’excuse du refus des honneurs ou du vedettariat –, et l’interdiction – déclinée bien souvent en obligation – de l’emploi du « je ». Il s’agit pour eux de « désindividualiser » (Michel Foucault, « Préface » de l’essai L’Anti-Œdipe (1973) de Gilles Deleuze et Félix Guattari) au maximum les discours pour s’appuyer essentiellement sur le texte lui-même, en laissant de côté son contexte d’énonciation et l’orientation sexuelle de son auteur. « Nul sujet de s’exprime jamais dans nulle narration. » (Anne Garréta, Pas un jour (2002), p. 9) Ils revendiquent que leur identité est une non-identité, car ils confondent à tort l’identité avec l’image d’identité développée par un certain type de sociétés totalitaires (la froideur de la carte d’identité, des empreintes digitales, de la case à cocher dans un formulaire administratif, de la signature sur le registre d’état civil, etc.).

 

Paradoxalement, ils empêchent l’établissement du lien autobiographique homosexuel au nom précisément de leur supposée identité homosexuelle, c’est-à-dire d’un tyrannique étiquetage contemporain des sexualités qu’ils critiquent férocement par ailleurs. Dans un sens, ils n’ont pas tort. Il est évidemment absurde et dangereux d’arracher aux œuvres ce qu’elles ne disent pas, de violer une intimité et une vie privée, d’individualiser des discours à outrance, d’oublier que l’auteur qui se dit et qu’on dit « homo » n’est pas d’abord « un homosexuel » mais un Homme comme les autres, de tisser dogmatiquement des liens de causalité entre cryptographie et sexualité. L’histoire et la sexualité de l’auteur ne devraient pas interférer excessivement dans l’interprétation du sens plénier de l’œuvre en elle-même, ni être l’unique grille de lecture. Il est vrai qu’un écrit, à lui tout seul, se suffit presque à lui-même et délivre déjà du sens sans que nous ayons besoin de connaître par cœur tous les accidents de poussette de son papa.

 

Mais à rendre cette règle trop générale et à force d’interdire l’homotextualité, beaucoup d’auteurs homosexuels finissent à leur insu par « homosexualiser » vraiment leur création… car cet acharnement à ne pas être et à produire une écriture non-identitaire est finalement bien une signature homosexuelle ! En effet, le désir homosexuel désincarne plus qu’il n’humanise un discours. En faisant comme si l’auteur homosexuel et ses désirs n’existaient pas, ils divinisent une œuvre artistique qui reste avant tout un artefact humain, et négligent ainsi la richesse de la fantasmagorie commune développée par toutes les créations homosexuelles. Par exemple, comment considérer dans À la recherche du temps perdu (1913-1927) de Marcel Proust le couple Swann/Odette comme une simple relation entre une femme et un homme, et faire abstraction du désir homosexuel de la conscience qui l’a accouché ? Ou bien, si nous voulons ignorer que, chez Jean Cocteau, le mot « jeu » remplace presque toujours celui de « sexe » ou de « viol », comment comprendre les allusions discrètes à la masturbation et à l’inceste lorsque Paul déclare dans le roman Les Enfants terribles (1929) qu’« il s’est trop habitué à jouer seul » au moment où sa sœur lui propose de « jouer au jeu » avec elle ? Et comment reconnaître la voix de James Dean dans le film « Rebel Without Cause » (« La Fureur de vivre », 1955) de Nicholas Ray, plaquée sur une chanson oubliée des années 1980 telle que « Les Yeux de Laura » du groupe Goût de Luxe, en ignorant le lien d’homosexualité qui unit ces deux productions ? Sans l’étude des coïncidences et des codes homo-érotiques, nous passons à côté du sens des créations (je n’ai pas dit « sens plénier », car les réalités fantasmées ne sont pas notre Réalité profonde), et nous vidons une œuvre de son désir homosexuel, autrement dit de son humanité.

 
 

A – c) Tentative de destruction des images homo-érotiques :

 

Actuellement, la communauté homosexuelle – médiatique ou pas – fomente de discrets autodafés, en détruisant les œuvres homo-érotiques qu’elle avait jadis créées, pour ne nous montrer que des versions édulcorées et peu réalistes des couples homosexuels – que quelques années après elle reniera très certainement en ordonnant leur disparition –, au nom paradoxalement de la sauvegarde et de la construction du Patrimoine Culturel Homosexuel. Beaucoup de personnes homosexuelles s’en prennent aux images médiatiques de l’homosexualité car celles-ci les renvoient à leur désir homosexuel, et parfois aux réalités fantasmées désagréables qu’il a engendrées. Certains films et des pans entiers de la réflexion sur l’homosexualité menée à des époques dites « obscurantistes » sont en ce moment même mis à l’index parce qu’ils feraient partie de la production artistique de la honte homosexuelle (cela est tout à fait paradoxal, surtout à l’heure où des chercheurs inaugurent des centres d’archives homosexuel et des « Observatoires » partout en France, comme cela s’est déjà fait aux États-Unis). Mais leur guerre iconoclaste se destine également aux images de l’homosexualité d’aujourd’hui. Les célébrités homosexuelles, lorsqu’elles osent se rendre visibles, sont presque toutes systématiquement accusées de prosélytisme ou d’exhibitionnisme par les membres de leur propre communauté. Beaucoup de personnes homosexuelles dénoncent souvent les infrastructures et les moyens médiatiques mis en place pour exploiter leurs amours. Leur révolte contre tout ce qui entoure le désir homosexuel et à l’encontre du « ghetto marchand » en particulier peut s’entendre, mais ne résout absolument pas la question du désir homosexuel en lui-même. Elle les empêche même d’y répondre et montre qu’elles n’ont pas encore renoncé à certaines utopies d’amour, qu’elles restent trop dépendantes de leurs images, malgré le fait qu’elles soient persuadées du contraire puisqu’en intentions, elles croient les fuir. Si vous voulez en mettre certaines vraiment en colère, vous n’avez qu’à vous appuyer sur tout ce qui fait la culture homosexuelle dite « classique » en vue de décrire le désir homosexuel (Gay Pride, « Cage aux Folles », fleuristes, coiffeurs, antiquaires, Opéra, mère possessive, Mylène Farmer, musique techno, infidélité, Sida, backroom, etc.) : elles le transformeront presque systématiquement en « clichés réducteurs » pour ne pas l’analyser, ou pire, pour se donner un prétexte pour le copier en douce. Par exemple, ceux d’entre elles qui critiquent le plus violemment l’image « grande folle » sont bien souvent les personnalités narcissiques qui s’en approchent le plus. Le rapport idolâtre s’exprime à la fois par le mépris et par l’admiration dédramatisée – … et parfois imitatrice – de ce qui était a priori rejeté.

 

Refuser totalement le cliché, ou noyer son pouvoir d’actualisation dans l’artifice, c’est se condamner à y retomber sous d’autres formes. On ne bat pas l’image violente avec ses armes à elle. Ou alors on s’y enchaîne. Par exemple, à force de dire que la sportive lesbienne, le steward gay, la personne homosexuelle malade du Sida, etc., sont des « clichés », on finit par encourager justement ce passage du mythe à la réalité fantasmée, puisqu’on ne reconnaît pas des faits parfois larvés à l’état de désirs. Et c’est ainsi que nous pouvons observer que l’homosexualité chez les athlètes féminines est extrêmement courante (par exemple, l’équipe nationale féminine de handball française, jusqu’à une époque très récente, était presque uniquement composée de femmes lesbiennes) ; par ailleurs, faites le test d’interroger les hôtesses de l’air d’Air France : elles vous assureront qu’à peu près 70 % de leurs collègues masculins sont homosexuels ; enfin, au tout début de l’épidémie du Sida, en 1983, il est prouvé que 80% des individus infectés par le VIH étaient homosexuels (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 346). Concernant le dernier exemple, reconnaître le substrat de réalité fantasmée résidant dans l’image de « l’homosexuel malade du Sida » ne fait pas pour autant du Sida un « cancer gay », ni des personnes homosexuelles des sujets sidéens, ou en passe de le devenir : jusqu’à preuve du contraire, un virus ne choisit pas ses victimes selon leur orientation sexuelle. Et pourtant, cette image renvoie à une réalité qu’il faut prendre en compte pour respecter l’histoire de beaucoup de personnes homosexuelles. Tout comme un diplôme ne fait pas la valeur d’une personne – même s’il peut la dire –, l’image peut être signe d’un désir et parfois d’une réalité provoquée par ce désir. Il n’y a pas de cliché sans feu. Un lieu commun n’est pas insensé de ne pas renvoyer systématiquement à une réalité positive et justifiable : j’ai beau par exemple faire mémoire que certains Juifs ont été envoyés aux camps en tant que « sales Juifs », ou prendre conscience qu’objectivement une personne noire aura probablement plus de mal que moi à trouver du travail à cause de sa couleur de peau, cela ne remet en cause et ne justifie ni l’étiquette néfaste qui accompagne les Juifs et les Noirs, ni l’existence des réalités que cette dernière a parfois provoquée (l’antisémitisme, les camps de concentration, le racisme, etc.). Reconnaître l’existence d’un étiquetage négatif et en faire mémoire, ce n’est pas le justifier et stigmatiser davantage une personne. C’est au contraire reconnaître celle-ci telle qu’elle est, dans toute sa dimension, avec ce que l’étiquetage a parfois fait d’elle, et ce qu’il ne modifiera jamais de sa grandeur humaine. Détester son image, y compris une image insultante ou peu conforme à ce que nous sommes, c’est détester toute une part de nous-mêmes. Le désir homosexuel met en place des images particulières qu’il convient de respecter et de comprendre sans les moraliser pour les détruire, même si elles renvoient souvent à des événements peu glorieux – le viol notamment – ou carrément faux. Autrement, nous encourageons leurs actualisations violentes dans l’acte iconoclaste ou iconodule.

 

Entre l’image et la réalité fantasmée, c’est l’histoire volontairement/involontairement confuse de la poule et de l’œuf : nous ne saurons jamais vraiment dire qui a engendré l’autre… et pourtant, un désir humain a pu quand même agir. À force de fuir leurs clichés, certaines personnes homosexuelles les matérialisent en partie. Il n’est pas rare de croiser un certain nombre parmi elles qui s’alignent concrètement et toujours imparfaitement aux images sociales assignées à leur orientation sexuelle, en devenant par exemple des fans de Mylène Farmer, des artistes, des personnalités du monde de l’image, des fleuristes, des coiffeurs, des couturiers, des antiquaires, etc. Pourquoi le nier, si en effet c’est vrai ? Cela ne retire rien aux innombrables exceptions à ces images, autrement dit à toutes les personnes qui se disent « homosexuelles ». Nous n’avons aucune raison valable pour déchirer le cliché et refuser son influence, si le lien de coïncidence entre certains goûts et l’homosexualité existe réellement. Les sujets homosexuels resteront à jamais ce qu’ils sont : des Hommes libres et uniques. Mais ils sont aussi ce que leurs images ont fait d’eux.

 

On est même en droit de se demander dans quelle mesure l’effet actualisateur de la simulation de destruction des images de l’homosexualité n’est pas plus ou moins deviné puis recherché par bon nombre de personnes homosexuelles. C’est exactement le syndrome de la star qui, en feignant de refuser les paparazzis, leur fait comprendre qu’ils doivent se ruer sur elle. Attaquer l’image néfaste et les injustices qu’elle a instaurées dans la réalité concrète, sous le prétexte que celles-ci ne devraient pas exister, incite à nier que l’image puisse influer sur les existences, et donc à encourager son influence. Beaucoup d’individus homosexuels se réjouissent/s’offusquent intérieurement de voir l’étrange correspondance travaillée de leurs goûts et de leurs fantasmes avec leurs frères communautaires, même si ce plaisir/dégoût dans la ressemblance a majoritairement la force du non-dit. Une fois dévoilé et retiré de la causalité, il montre toute sa médiocrité… donc il est dit « homophobe », « trop généralisateur » et « stéréotypé ». Elles ne méconnaissent pas les points communs qu’elles partagent ensemble : ils leur indiquent où se trouvent leurs viviers, et leurs probables jumeaux de désirs et d’actes. Et le cliché homo, en même temps qu’elles le conspuent quand il viendrait des « hétéros », ne leur est absolument pas inconnu ni désagréable lorsqu’il dessert leurs propres intérêts. Par exemple, pas une personne homosexuelle n’ignore qu’en allant à une représentation de théâtre lyrique, à une association féministe, à un concert de Mylène Farmer, à une expo d’art moderne, sur certains chat Internet, dans un bar réputé gay friendly, ou à l’Opéra, elle a plus de chances de rencontrer d’autres personnes homosexuelles comme elle que dans un stade de foot, un garage automobile ou dans les « téci » de la banlieue parisienne, même s’il existe des exceptions partout. Certains milieux sociaux et corps de métiers sont plus connotés homosocialement que d’autres : au moins dans les mentalités, et ensuite dans la réalité. L’attaque des images de l’homosexualité par la majorité des personnes homosexuelles est donc à la fois subie et stratégique.

 
 

A – d) La phobie de la Vérité :

 

L’autocensure de beaucoup de personnes homosexuelles passe essentiellement par un refus de la réflexion intellectuelle et scientifique sur le désir homosexuel. Car si l’opinion publique apprend qu’il est possible de détecter les coïncidences du désir homosexuel de manière partiellement logique et rationnelle, cela confirmerait l’idée selon laquelle l’homosexualité peut être réveillée par un contexte plus ou moins identifiable, donc désacralisée et mise à distance. En général, elles préfèrent remplacer l’explication rationnelle de leur désir sexuel par une lecture poétisante de celui-ci, imposant le relativisme intellectuel comme unique religion : selon elles, la Vérité unique n’existerait pas car il n’y aurait que « des » vérités parcellaires et non-fondamentales. Ceux qu’elles choisissent pour ennemis ont d’ailleurs tous un lien avec la recherche de la Vérité (les intellectuels humanistes, les religieux, les journalistes, les politiciens, les savants, etc.). Elles soutiennent souvent que la raison ne doit surtout pas guider leurs choix d’amour, que « l’intelligence est leur pire ennemi » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky). Dès que quelqu’un commence à les faire réfléchir et à les bousculer dans leurs préjugés, il « polémique », « rentre trop dans le débat », ou est suspecté de « juger ». Elles préfèrent les témoignages « je » non étayés et émotionnels que la confrontation des points de vue pour une recherche collective et raisonnée de la Vérité.

 

DÉNI 2 Tous Ego

« L’amour est universel. Qui sommes-nous pour le juger? »


 

Ce sont précisément les notions de jugement et de Vérité qui sont l’objet de tous leurs fantasmes et de leur hantise. « Le goût camp refuse l’axe bipolaire du jugement esthétique habituel : bon-mauvais. » (cf. l’article « Le Style Camp » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), p. 440) Complètement galvaudé par la société actuelle et les media qui ont détourné des phrases bibliques sans les comprendre (« Ne juge pas ton prochain et tu ne seras pas jugé », « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre », etc.), le verbe « juger » est presque uniquement compris dans son sens péjoratif, c’est-à-dire de « condamner », de « traîner en procès », alors qu’il peut également signifier beaucoup plus positivement « discerner », « évaluer », « penser », « dénoncer les actes puis relever les personnes après ». Si le jugement des personnes est à bannir, il est en revanche très bon et nécessaire de juger des actes et des idées, surtout quand ces derniers créent des injustices. Le jugement de valeur, les préférences hiérarchisantes, la morale (non-moralisante !), les priorités éthiques, etc., n’ont jamais, jusqu’à preuve du contraire, constitué un danger pour la santé humaine. Bien au contraire ! Comme le révèle à juste titre Anthony de Mello dans Une Minute d’humour (1999), « il y a un défaut que le bon juge a en commun avec le mauvais juge : il juge. » (p. 149) Et ce point commun partagé avec le mauvais juge, il faut que les Hommes l’assument, le portent sans honte, sans s’excuser de penser et de contredire ce qui heurte leur conscience. Sinon, la raison humaine est mise en péril. La « jugement-phobie » (excusez le néologisme, mais je n’ai pas trouvé de mot plus approprié…), qui se veut ouverture et respect de la pensée, agit en réalité comme une atteinte à la création et à l’intelligence humaine. Un certain nombre de personnes homosexuelles se laissent gagner par cette « jugement-phobie » puisqu’elles ont tendance à transformer le doute en un dieu absolu qui désavoue ce qu’il était censé leur apporter, à savoir la Vérité. Et quand quelqu’un s’engage dans la recherche de la Vérité, elles s’arrangent pour lui faire comprendre qu’il s’enlise sur le terrain des certitudes afin de le faire passer pour un grossier et orgueilleux personnage, et pour masquer ce qu’il essaie de leur dire et qui les dérange. À les entendre, il vaudrait mieux ne prétendre à rien du tout, dans la simulation d’innocence absolue et la fausse humilité, que d’imaginer que les Hommes peuvent s’apporter les uns aux autres et trouver ensemble des horizons de sens communs pour essayer de vivre humblement le bonheur.

 

Par leur croyance haineuse en la vérité des modèles qu’elles rejettent, elles arrivent à dire que c’est la Vérité qui est mensonge, et le mensonge qui est plus vrai que ce qui leur serait imposé comme vrai. « Pour qu’une chose semble vraie, disait Jean Cocteau, il ne faut pas qu’elle soit vraie. » Étant donné que toute vérité n’est jamais totalement à l’abri de la récupération, elles finissent souvent par trouver la Vérité dangereuse et gênante. Par exemple, si un intellectuel leur fait une critique fondée à propos des caprices du désir homosexuel et de leurs conséquences fâcheuses sur la réalité concrète, certaines reconnaîtront mollement qu’il a « peut-être raison », mais lui conseilleront de se taire parce que ses prises de positions « rejoignent de manière inopportune certains arguments de la rhétorique homophobe » (cf. l’article « Ghetto » de Michael Sibalis, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 196). Mais empêcher la recherche de la Vérité au nom de la récupération/déformation homophobe, n’est-ce pas donner finalement le dernier mot aux ennemis de la Vérité et aux « homophobes » ? Elles reprochent au fond à la parcelle de Vérité d’être trop vraie et trop faible, de se laisser caresser par les Hommes. Elles décident donc de placer la Vérité ailleurs, sur un terrain où la liberté humaine ne pourra pas la dénaturer, c’est-à-dire du côté de la mort, du « Cosmos », ou du despotisme. Elles parlent alors, comme Michel Foucault, de « régime de vérité ». « Par vérité je ne veux pas dire l’ensemble des choses vraies qu’il y a à découvrir ou à faire accepter, mais l’ensemble des règles selon lesquelles on démêle le vrai du faux et on attache au vrai des effets spécifiques de pouvoir. » (Michel Foucault, Dits et écrits I (2001), pp. 545-546) Elles ont finalement amalgamé la Vérité avec les instances humaines qui se sont emparées dogmatiquement de la définition du vrai, le contenu avec l’enveloppe, pour donner inconsciemment raison à l’enveloppe : « Toutes ces revendications de la personne humaine, de l’existence sont abstraites : c’est-à-dire coupées du monde scientifique et technique qui, lui, est notre monde réel. » (idem) Elles arrivent au paradoxe de croire que la Vérité ne se trouve que dans ce qui leur est montré comme « anti-Vérité » et ce qui brise, selon elle, « le mythe de la Vérité vraie ». La croyance selon laquelle la Vérité est uniquement contextuelle, sensitive, fragmentaire, et individuelle, nie qu’elle affirme par-là que la Vérité n’existe pas. En effet, elle fait de ces poncifs une Vérité unique et possédable, donc une anti-Vérité, puisque la Vérité, par définition ne se possède pas. C’est tout à fait sage, en effet, de postuler que la recherche de la Vérité est la remise en question permanente de la perception de cette Vérité. Mais le doute doit aussi nous faire dire que la Vérité existe et qu’il est juste de la rechercher. Sinon, à quoi bon douter ? À mon avis, le comble de l’orgueil, ce n’est pas seulement de croire que la Vérité se possède et que nous pourrions l’incarner ; c’est aussi de penser que nous ne sommes pas faits pour la Vérité et que la Vérité ne s’incarne jamais, c’est la suffisance que procure la démission à la Vérité, car il faut finalement beaucoup d’humilité, et donc de justesse, pour s’estimer digne de partir à la recherche de la Vérité en sachant que nous serons quoi qu’il arrive toujours à côté et en dessous d’Elle, et que c’est Elle qui vient à nous, par bribes.

 

Aussi bizarre que cela puisse paraître, ce rejet brutal de l’existence du vrai et du faux, et donc le refus du choix entre l’un et l’autre, s’accompagne souvent de l’élection du mal, car seul le mal promeut l’indécision. Mal agir, ce n’est pas uniquement décider de suivre délibérément le mal, contrairement à l’idée communément admise ; c’est aussi « faire en laissant faire », promouvoir le non-choix entre le mal et le Bien parce que nous voulons suivre les deux, c’est l’immobilisme mortifère suscité par la saisissante découverte de notre libre arbitre. Le mal nous suggère de faire comme l’âne adolescent qui, en voyant qu’il a la possibilité de boire à la fontaine située à sa droite ou bien de manger les fruits du pommier à sa gauche, décide de crever de faim et de soif sur place parce que la perspective du choix le paralyse.

 

Notre société matérialiste actuelle, qui veut nous éviter de faire des choix en nous assénant qu’ils sont tous possibles, s’affaire précisément à gommer toute frontière entre le Bien et le mal. Et l’Homme moderne obéit souvent à la lettre au commandement du rejet du jugement de valeur et de la morale en croyant penser par lui-même en ne prononçant pas les mots interdits « Vrai », « faux », « Bien », « mal », « Dieu », « diable », « pardon », « culpabilité », « vie », « mort », « péché », etc. En général, il n’aime pas apprendre que le Bien et le mal existent, car cette démarche lui montre qu’il peut être libre s’il pose un choix entre les deux et qu’il privilégie la vie. Or, comme il a de plus en plus à tendance à s’éviter des choix entiers qui le rendraient responsable de ses actes, il réduit le Bien comme le mal à des abstractions effrayantes pouvant toutes deux s’incarner en personnes humaines clairement identifiables. En refusant de reconnaître l’existence du Bien et du mal, il se condamne sans s’en rendre compte à une lecture manichéenne du monde exprimée sous la forme du déni : il croit vivre « par-delà le Bien et le mal ».

 

Quand je parle de manichéisme ici, je ne me réfère pas uniquement au sens social actuel du terme, qui me paraît spectaculairement réduit : le manichéisme n’est pas que la création paranoïaque d’un axe séparant clairement un Bien et un mal jugés humainement personnifiés ; il se situe aussi dans la négation de cet axe ou de l’existence du Bien comme du mal. Le manichéisme historique est un mouvement religieux syncrétique dans lequel le Bien et le mal sont posés comme des forces égales (= des moitiés androgyniques identiques) et radicalement opposées que l’on pourrait posséder comme des objets ou incarner soi-même en les niant. L’individu manichéen croit au Bien mais aussi au mal personnifiés à vie en l’Homme. Or le mal n’a jamais pu s’incarner éternellement en l’Homme comme l’a fait le Bien. En ce sens, cela relève de l’anachronisme et du non-sens d’affirmer par exemple que l’Église catholique est fille ou mère du manichéisme. D’une part, d’un point de vue historique, le manichéisme est apparu postérieurement et en opposition au christianisme, au IIIème siècle après J.-C. : l’Église catholique a de tout temps dénoncé le manichéisme comme une secte. Et d’autre part, même si dans son discours le christianisme parle de « Bien », de « mal », de « péché » et de « tentation », et qu’elle considère que Dieu et le diable existent, elle n’envisage absolument pas le Bien comme une possession, ne croit pas en l’incarnation durable du mal, et avance que la force du Bien est supérieure à celle du mal. Tout le contraire, donc, de la pensée manichéenne !

 

Certains penseurs de renom se confondent encore dans les termes quand ils projettent sur les religions leurs propres fantasmes manichéens. Ils prennent tout discours sur le Bien et le mal pour un discours manichéen qui s’accaparerait ces deux forces, alors que la reconnaissance de l’existence du Bien et du mal – qui sont des réalités visibles et concrètement à l’œuvre dans notre monde – pour tendre vers le Bien, n’a jamais impliqué la promulgation doctrinale d’une « frontière nettement discernable » (Milan Kundera, L’Art du roman (1986), p. 17) entre Bien et mal, ni la prétention à la possession de la Vérité unique universelle. Comme l’énonce à juste titre Michel Foucault, ce n’est pas parler du mal qui fait le mal : c’est précisément de ne pas en parler bien qui implique que nous soyons tentés de séparer hâtivement l’Humanité en moutons blancs d’un côté et en moutons noirs de l’autre. « Tous les gens qui disent qu’il ne faut pas penser en termes de bien et de mal pensent eux-mêmes profondément en termes de bien et de mal. […] Il n’est pas possible de ne pas penser en termes de bien et de mal. Mais il faut à chaque instant dire : mais si c’était le contraire ou si ce n’était pas ça, ou si la ligne passait ailleurs… » (Michel Foucault, « Radioscopie de Michel Foucault », entretien avec Jacques Chancel en 1975) Les membres d’une société sont bien obligés, pour co-habiter ensemble, de se faire une idée de ce qui est bon ou mauvais pour l’Homme et son épanouissement, et de reconnaître que le Bien et le mal existent, pour risquer une parole de vie et tracer (au crayon à papier !) des lignes de conduite donnant des repères aux individus plus fragiles, en tenant toujours compte des réalités parfois complexes et toujours singulières de chacun.

 

Le manichéisme historique a encore laissé des traces dans nos civilisations actuelles (la traditionnelle confusion entre péché et défaillance, la croyance en l’existence réelle des gentils et des méchants cinématographiques, l’idée répandue selon laquelle Hitler était le diable en personne, ou que tout chercheur et défenseur de la Vérité unique et universelle est un monstre d’orgueil, le démontrent bien !), traces d’autant plus tenaces qu’il est appliqué sans être nommé explicitement en tant que tel puisqu’il se déclare intentionnellement contre lui-même. Les nouveaux manichéens passent en effet leurs temps à se présenter comme des défenseurs de l’anti-manichéisme ! Ils se pensent à l’abri du manichéisme, mais poussent des hauts cris (manichéistes !) à chaque fois qu’ils entendent parler explicitement de « Bien » ou de « mal », ou prêtent attention à ceux qu’ils ont définis comme les représentants humains de ceux-ci. Ils considèrent sans se l’avouer que le Bien et le mal sont des choses qu’ils peuvent devenir par contagion. Le signe montrant qu’ils se situent dans la moralisation manichéenne et non la morale, c’est la dénégation de leurs propres actes qu’ils ne souhaitent pas juger en leur âme et conscience, qu’ils voudraient banals, ni bons ni mauvais. Le « Il ne faut pas faire parce que c’est mal » devient fréquemment dans leurs discours « Je ne fais pas ». Ils ont tendance à confondre les faits avec les opinions, le constat avec le moralisme. Ils se persuadent que tout est permis, et que rien ne les guide … surtout pas le mal, évidemment. « Si j’ai pu faire du mal (dans ma vie), c’est tout à fait inconsciemment. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2007), p. 9) La vision du monde connue actuellement comme manichéenne et qui stipule que « le Bien se trouve ici et le mal là » est souvent remplacée chez eux par une fable équivalente : « Rien n’est tout blanc, rien n’est tout noir parce que tout est un peu des deux à la fois et que rien n’a à être prioritairement ni bon ni mauvais : c’est à moi de décider où se trouve le bien et le mal pour mon existence. » (Adam et Ève devant l’Arbre de la connaissance du Bien et du mal tiennent exactement le même discours : c’est cela, le péché « originel », à proprement parler) Mais en contre-partie, les manichéens des temps modernes, qui en général ne vivent que pour le plaisir et l’argent (ou le refus affiché de l’argent), se construisent leur propre morale maison sous la forme du binarisme moralisant, laissant de côté la morale humaniste, celle qui ne résout pas les problèmes de la vie par des « oui » ou des « non » catégoriques, des « pour » ou des « contre » schématiques, mais par des « comment », une observation au cas par cas, la nuance, le compromis, le doute, et une espérance tournée vers le meilleur possible. L’antagonisme « équilibrant » – en réalité une philosophie de vie pseudo humaniste s’appuyant sur une pensée bouddhiste mal comprise (par exemple l’équilibre dit « nécessaire » et « indispensable » entre le « yin » et le « yang » ; ou bien encore la croyance non moins absurde que le mal est comme la face pile du Bien, et même la raison d’être du Bien) est le propre de la pensée manichéenne contemporaine.

 

Les nouveaux manichéens ne saisissent pas qu’en se plaçant constamment en « justes » milieux dans une confortable neutralité jugée seule vraie, ils font déjà preuve d’un dogmatisme qui ne s’assume pas lui-même : ils se créent mentalement un bon et un mauvais à fuir à tout prix comme des pestes parce qu’ils désirent inconsciemment les déifier derrière un neutralisme bien-pensant. Ils conçoivent non plus le Bien et le mal en termes de forces extérieures à eux et incarnées par les autres – cette image du manichéen classique, au contraire, les répugne plus qu’autre chose –, mais cette fois sous forme de forces intérieures ayant le pouvoir de s’incarner dans l’individu même, et donc en eux (et c’est cela, vivre le véritable enfer : croire qu’on est le diable en personne). Leur manichéisme place l’Homme en unique énonciateur silencieux du Bien et du mal pour lui et pour les autres, et traduit chez l’être humain qui en adopte la doctrine muette un désir et un sentiment d’incarner cette créature qui condense Dieu et le diable et qui passe de l’un à l’autre sans se définir : l’androgyne.

 
 

A – e) L’interdiction du discours sur la sexualité :

 

Dans la communauté homosexuelle, le rejet du discours sur le vrai se manifeste surtout par l’interdiction du discours éthique sur la sexualité. La majorité des personnes homosexuelles et de leurs sympathisants pense que la sexualité adulte relève uniquement de la sphère de l’intime et du « Couple », et qu’elle n’a pas à être guidée par une autre instance que la conscience individuelle. « Seules les relations à deux peuvent être dans le vrai. Tout ce qu’il y a d’important dans une vie se passe toujours entre deux personnes. » (Marie-Laure Delorme, « Philippe Besson : autour d’un secret » dans le Magazine littéraire, n°423, septembre 2003, p. 69). Leur demande du « droit à l’indifférence » concernant leurs pratiques et leurs préférences sexuelles énonce qu’aucun discours sur la sexualité ne doit pas être posé – celui qui enfreint cette règle d’or sera jugé « réactionnaire » et « coincé » –, même si paradoxalement, à d’autres moments, elle s’exprimera par une obligation du déballage de la vie génitale, et un regret que le thème de la sexualité soit encore trop « tabou » dans la société (mais où sont les préservatifs pour que nous commencions à réfléchir et à « parler vrai » ?…).

 

Pour invalider tout discours sur le sexe, certaines personnes homosexuelles s’appuient sur l’argument de l’expérience – principalement génitale. Il est intarissable, et se résume ainsi : seul celui qui aurait quantitativement pratiqué la totalité des pratiques sexuelles édictées par la doxahomosexuelle et hétérosexuelle aurait le droit de parler de la sexualité en connaissance de cause : autant dire personne, vu la longueur de la liste… Cela part souvent d’un bon sentiment. Leur devise est de dire qu’il faut essayer pour voir et se découvrir en vérité, que toute expérience sexuelle – comprendre « génitale » ou « amoureusement corporelle » –, à partir du moment où elle est faite en accord avec soi-même et avec l’être aimé, est forcément épanouissante et irréprochable. Selon elles, l’important dans les actes sexuels, ce serait l’amour que nous y mettons, et non les faits en eux-mêmes. Autrement dit, dans l’exposé des prophètes hédonistes de « l’expérience », c’est la réelle expérience, celle qui s’appuie sur les faits et leurs horizons de sens (c’est-à-dire sur la Réalité), qui est dénigrée. Les libertins homosexuels ont quitté l’empirisme pour rejoindre l’expérimentalisme déshumanisé, suivant à la lettre l’algèbre du besoin qui exige que la baisse de qualité dans les rapports génitaux soit compensée par le nombre de rapports génitaux. Ils chantent la sacro-sainte « Expérience » quand ils n’en tiennent déjà plus compte, puisque la véritable expérience n’est pas d’abord quantitative mais qualitative : nous pouvons multiplier toutes les expériences que nous voudrons tout au long de notre vie, si nous n’en tirons pas les enseignements qui s’imposent, nous serons moins mûrs que celui qui aura consenti à privilégier certaines expériences par rapport à d’autres, quitte à en vivre moins, pour être heureux. C’est le rapport aux expériences de vie, et non leur nombre, qui fait la véritable expérience qui force le respect.

 

L’interdiction posée sur la réflexion de la sexualité s’étend bien évidemment à l’homosexualité. Beaucoup de personnes homosexuelles s’enjoignent entre elles à ne pas se poser de questions par rapport à leur propre orientation sexuelle. Ces encouragements/avertissements, souvent très bien intentionnés, visent à éviter l’auto-flagellation et la tourmente de la masturbation intellectuelle. En matière de sexualité, il s’agirait de ne plus faire intervenir sa cervelle, de « se lâcher ». « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas » est la seule maxime intellectualisante que certains sujets homosexuels semblent avoir retenue de leurs cours de philo du lycée. Comme, pour eux, la raison s’oppose d’office au corps – car ils confondent la raison avec son idéologie desséchante, le rationalisme –, ils refusent toute logique qui ne s’appuie pas uniquement sur l’expérience sensuelle et génitale.

 
 

B – L’ÉVENTAIL DES TECHNIQUES DU DÉNI HOMOSEXUEL :

 

B – a) L’opposition plus ou moins frontale :

 
 

Afin de faire barrage à la réflexion sur le désir homosexuel, une autre technique de censure est parfois mise en place : celle de l’opposition de principe, déguisée en recherche scrupuleuse de la nuance. Certains penseurs homosexuels marquent une nette préférence pour le flou, le non-dit, la réponse anti-conventionnelle et non-relationnelle. Aux questions qu’ils pensent fermées, ils répondent par la fougue langagière. Aux questions soi-disant ouvertes, ils répliquent avec concision ou à côté. La seule règle est l’inversion. Il s’agit de ne jamais paraître sûr ou dogmatique – même s’ils le seront dans l’application radicalisée de cette règle –, de ne jamais correspondre au supposé désir de l’autre. Pas d’enthousiasme suspect, pas de violence, pas de « faire plaisir », pas de consensus : de la mesure dans l’anti-conformisme. Beaucoup d’intellectuels homosexuels vivent dans l’illusion d’une « objectivité dans la neutralité ». Et quelques temps après, ils se retournent de leur siège où ils avaient feint de s’assoupir, et découvrent avec surprise l’hypocrisie de l’apolitisme, de la pensée laïciste et de l’anti-fascisme moralisant, car la neutralité est déjà un présupposé idéologique qui n’est pas neutre.

 

Certains personnes homosexuelles jouent sur les mots afin de laisser agir la mauvaise foi : en intentions, par purisme et goût du vrai ; en désir, par une volonté de ne jamais trouver un terrain d’entente avec leur interlocuteur. L’énervement de ce dernier, s’il arrive enfin, leur apporte l’assurance que leur malhonnêteté intellectuelle est une vérité ultra-gênante à entendre, et dont elles peuvent être fières en toute sérénité. Le postulat de base est de ne pas se choquer, même et surtout quand elles en ont le plus envie. Elles préfèrent observer un faux calme exaspéré et vainqueur plutôt que de prendre le risque de passer pour des hystériques qui nient tout en bloc ou qui victimisent à l’excès. Le but de l’exercice n’est pas vraiment d’écouter ce que dit l’autre mais de détecter dans son discours les indices qui montrent à la face du monde qu’elles ne seront jamais aussi bêtes et agressives que lui. En outre, leur paix travaillée ne manque pas d’exciter certains de leurs farouches opposants : à ce moment-là, dans une indignation silencieuse et contenue, elles les surveillent du haut de leur observatoire (pensez à la création, le 9 octobre 1998 en France, de « l’Observatoire du PaCS » pendant la promulgation de la loi), en marquant scrupuleusement et d’une main tremblante sur leurs carnets les paroles abjectes dites sous le coup de la colère qu’elles ont en partie attisée, pour ensuite ressortir calmement leurs notes aux moments opportuns. Elles préfèrent jouer les victimes sans voix, sous le choc, abasourdies par la violence inhumaine dont elles feraient l’objet, pour préparer discrètement leur vengeance, plutôt que d’observer les faits.

 

De même, quand l’un de leurs camarades se risque à tendre des ponts entre elles, en évoquant au détour d’une conversation des coïncidences observables concrètement dans les vécus d’une majorité de personnes homosexuelles (comme par exemple le fait qu’en général les sujets homosexuels ne gardent pas un souvenir impérissable de leur passage au collège, ou bien qu’ils n’ont pas des situations familiales et amoureuses des plus simples), elles accueillent souvent ces constats connus de tous par des réactions de surprise molle (« Oooh… tu crois ? … Comme tu y vas… »), des assentiments timides et moralisants (« Mouaih… peut-être. C’est un point de vue… Mais tout ça, c’est à cause de la société »), ou par un optimisme dénégateur (« Non. Je ne vois pas trop où tu veux en venir. Ne crois-tu pas que tu noircis un peu le tableau, que tu généralises trop ? ») ne permettant pas de déboucher vers un possible débat de fond. Paradoxalement, en s’interdisant tout débordement émotionnel, bon nombre de personnes homosexuelles veulent se persuader que les autres sont absolument choqués par ce qu’elles vivent, afin de dévaluer ce qu’ils pensent et l’importance de leurs propres actions. Décrire un tort reviendrait, selon elles, à extrapoler, à cacher une honte personnelle, et même à créer ou grossir soi-même l’offense que l’on commente. Mais la plupart du temps, elles se croient plus choquantes qu’elles ne le sont véritablement. Ceux qu’elles rêvent « bien-pensants scandalisés pour leurs fausses insolences » en ont vu d’autres. S’ils réagissent à ce qui n’est choquant que pour elles, c’est uniquement parce qu’ils ne veulent pas accorder à la bassesse du déni ou de l’exagération des souffrances l’importance qu’elles lui prêtent : ils se rient de leur prétention. La dédramatisation intérieurement euphorique joue finalement le jeu de la dramatisation excessive : l’Homme passionné, parce qu’il connaît ses excès, se protège dans la neutralité relativiste. Puisque tout devrait logiquement le choquer face à une violence objective, il décide que rien ne le choquera, pour sauver la face. Il fait semblant de ne jamais s’emporter, de ne pas jouer le jeu de ce qu’il croit être de l’intégrisme, et s’expose alors à reporter sa retenue sous forme d’excès d’humeur souvent assez brutaux et inattendus à des moments où il s’y attend le moins.

 

L’autre procédé que beaucoup de personnes homosexuelles emploient pour invalider le débat sur le sens du désir homosexuel est la mise en scène de la tristesse. Elles font mine de ne pas s’intéresser à ce qu’elles racontent, de regarder le monde avec des lunettes noires, d’endurer une déprime inexplicable et insurmontable. Elles érigent la mélancolie en caractère, en nature profonde et innée. « Dans un paysage détruit, je vois toute la beauté du monde. Alors que quelqu’un d’autre dira qu’il la voit dans un arbre qui fleurit, moi, définitivement, je préfère l’arbre calciné. Pourquoi ? Je ne sais pas. » (Mylène Farmer citée dans la revue Studio, décembre 1993) La post-modernité en a convaincu plus d’unes que la culture humaine n’avait rien à leur apprendre et qu’il fallait annoncer cette Bonne Nouvelle de la négativité à tout le monde sur un ton égaré et grandiloquent. Elles se dévalorisent pour décourager les autres de venir les bousculer, pour prouver la toute-puissance de la mort sur la vie. Elles se présentent comme des cas désespérés, incurables, et s’acharnent à réduire à néant tous les efforts que les autres mettront en place pour les aider. « Tout ce que vous direz sera peut-être très juste, mais je le sais déjà : pour les autres, ça marche sûrement très bien, mais pour moi, ça ne marchera pas. » Leur ténacité dans le découragement ne fait que confirmer à leurs yeux la force de l’abattement qu’elles désirent voir gagner en elles. Le négativisme apporte l’orgueil éphémère du narcissisme, l’illusion de l’existence d’une réalité révélée à elles seules : une sorte de vérité mortelle annonçant que la Vérité n’existe pas, que la vie n’est qu’apparence, que l’amour unique ne vaut rien et ne dure pas, etc., etc. Le regard nihiliste ne se sait pas toujours ennemi de la Vérité puisque au contraire il prétend agir en son nom et débusquer les faux-semblants dans un purisme déshumanisé. Il croit être réaliste en défendant sa désespérance par les images violentes médiatiques, en s’orientant prioritairement vers le négatif et la mise en évidence des réalités fantasmées que les « idéalistes » n’auraient pas vues. Pour beaucoup de personnes homosexuelles, il s’agit de guérir les autres de ce terrible mal que sont les idéaux d’amour et de perfection. La Vie, ce n’est pas tout rose… donc ce sera surtout noir. Point final.

 

Dans un registre similaire, beaucoup de personnes homosexuelles noient tout essai d’explication du désir homosexuel dans l’argument esthétique vaporeux. Elles reprennent la bonne vieille rengaine de « l’ineffabilité de l’art » pour ne pas avoir à rendre compte de leurs agissements. Ce qui est artistique ne se dirait pas avec des mots, n’aurait pas besoin de se justifier. Grâce à l’art, elles mettent à l’abri leurs œuvres de l’interprétation en dressant des barbelés dorés tout autour. « L’art est une propriété privée, la plus privée que l’homme ne se soit jamais accordée. » (Witold Gombrowicz, Journal 1957-1960 (1976), pp. 218-219) Elles posent la suppression de la parole éthique en matière d’art comme obligatoire. Dégager une interprétation ou un horizon de sens, souligner l’absence de contenu universel ou de beauté d’un ouvrage, c’est sombrer dans un obscurantisme « fasciste ». « En art, il ne devrait y avoir aucune référence au bien et au mal » affirme Walt Whitman (cité par Jean-Philippe Renouard dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 501). Et Marcel Proust de rajouter : « Je suis totalement incapable de comprendre qu’une quelconque œuvre d’art puisse être critiquée d’un point de vue moral. Le domaine de l’art et celui de l’éthique sont entièrement distincts. » (idem) À leur avis, à partir du moment où est appliqué à n’importe quelle action ou création le statut d’objet culturel, celle-ci devient inattaquable, sacrée. Pas touche à mon œuvre d’art ! Certains artistes homosexuels présentent l’art comme un processus sans but, mais qui s’accomplit magiquement comme tel, sans qu’ils soient responsables de leurs idées. En réalité, ils programment et innocentent un accidentel qu’ils ont bien souvent prémédité. Si nous prenons le cas précis de la poésie de Paul Verlaine, nous nous rendons vite compte que celle-ci n’est pas si irrationnelle et si anti-conventionnelle que son auteur la rêvait : Paul Valéry voyait, non sans raison, en Verlaine un faux naïf, un « zutiste » travaillé, un « primitif organisé » (Jean-Michel Maulpoix, « Poétique de la chanson grise », dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 43). L’écriture automatique de beaucoup d’écrivains homosexuels se veut gage d’authenticité non-programmée. En fin de compte, ils dosent la réapparition agile du hasard à travers les calculs précis de la pensée. Ils orchestrent ce qui ne s’orchestre pas – l’improvisation – pour ne pas s’expliquer à eux-mêmes le pourquoi de leur mise en scène. Ils simulent le non-contrôle pour cacher qu’ils ont tout prémédité dans le ratage… sauf le fait qu’ils ne s’en rendent pas compte !

 

Beaucoup de personnes homosexuelles font passer leur homosexualité pour une question impossible, donc puissante. Elles convertissent le paradoxe en essence profonde. Cela n’a pas beaucoup de sens puisque se définir par le paradoxe revient précisément à ne pas se définir du tout : une contradiction n’est ni une essence ni une vérité objective. Mais dans le monde schizoïde, le non-sens poétique semble produire du surnaturel vraisemblable. Certains individus homosexuels célèbrent la pureté des paradoxes par l’usage de l’oxymore, figure de style très appréciée des précieux et des romantiques, et confrontent leur interlocuteur à une logique qui nie, affirme et demande, tout cela dans un même mouvement rhétorique. Tout est tout, rien n’est rien, rien n’est tout, tout est rien, je m’en fous, pourquoi tu dis ça ? Moins direct et adulte que la négation, qui est l’acte clairement posé de l’énonciation d’un « non » impliquant une prise en compte de l’existence de ce qui est refusé, le paradoxe, par le flou qu’il impose, déroute davantage, et peut donner à celui qui en use une impression d’éphémère victoire. Bon nombre d’intellectuels homosexuels croient en l’abdication majestueuse de la pensée. C’est vrai qu’après un exposé où ils défendent, attaquent, nient qu’ils défendent et qu’ils attaquent, l’abandon dramaturgique semble boucler la boucle avec la propreté rassurante de la neutralité esthétisante. Afin d’éviter de s’expliquer, il leur arrive de simuler le besoin de recueillement, la coûteuse introspection impossible. Ils singent alors la fausse timidité de la folle perdue, la « difficulté de l’homosexuel à s’exprimer » décrite parodiquement par Copi. Le retrait se veut acte de modestie. En réalité, le prix qu’il en coûte est tellement exhibé que, dans ces cas-là, il eût été plus humble de ne pas être humble…

 

À d’autres moments, ils simulent le délire, par dérision mais aussi par peur ou désir de devenir vraiment fous. À l’image, ils cultivent l’ambiguïté du psychopathe et la présomption de démence, en chantant des comptines par exemple, ou en s’identifiant à l’ermite mis à l’écart de la société, mais qui malgré les apparences, dirait au monde les plus profondes vérités : en général, le mythe du vieux marin, du « libre penseur » bohème, du sage étranger et pauvre, etc., les séduit intellectuellement beaucoup. Ils aiment ce qu’ils appellent « la littérature de la folie », l’écriture indécidable où on ne distingue plus bien si leurs auteurs ont réellement toute leur tête ou s’ils simulent la folie sous l’effet de drogues ou d’une vérité transcendante offerte uniquement aux simples d’esprit.

 

Dans l’ensemble, la critique médiatique actuelle se laisse lamentablement convaincre par « l’énigme homosexuelle ». Nous entendons certains journalistes jouer les miraculés récemment convertis par les génies homosexuels. Ils applaudissent à ce qu’ils ne comprennent pas, et se satisfont de conclusions insipides sur les œuvres artistiques des auteurs gay : « Son casse-tête esthétique est un problème à résoudre, mais en réalité il n’a pas de véritable solution. » (Raúl E. Romero, « António Botto, Un Poeta Órfico… », sur le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003) Même les parodistes qui se moquent du « non-sens » de leurs créations – je pense en particulier au trio comique français les Inconnus, qui a tourné en ridicule le répertoire musical de Mylène Farmer et du groupe Indochine en soulignant sa pauvreté sémantique – ne le remettent pas pour autant en cause. On finit par s’habituer à ne pas les comprendre. Peu à peu, l’opinion publique transforme l’étrangeté homosexuelle en caractère divin recevable. Et pourtant, si elle s’arrêtait un tant soit peu sur les codes homosexuels, elle verrait que, même si le plat de la production artistique homosexuelle reste toujours difficilement comestible et intelligible, il n’en est pas pour autant si mystérieux et puissant qu’il n’y paraît. Rien n’y est vraiment caché, malgré ce que leurs auteurs veulent (se) faire croire par l’impression de chaos qu’ils composent. Leur bazar artistique est inconsciemment organisé et décodable. Ils s’évertuent parfois eux-mêmes à nous le dire. Il nous suffit juste de les prendre un peu au sérieux, tout en laissant les symboles dans le monde des fantasmes. La notion de « mystère artistique homosexuel » est certes une mascarade, mais une mascarade signifiante quand même, donc à problématiser.

 
 

B – b) Le déni par la tragi-comédie :

 

Une fois que les personnes homosexuelles ont vu que leur monde avait compris leur petite comédie de l’indignation silencieuse ou du faux mystère, il leur arrive parfois de laisser tomber pour un temps le jeu du déni frontal, et de s’esclaffer de rire pour montrer à leur interlocuteur qu’elles ne sont pas aussi folles – ou qu’elles sont bien plus folles ! – qu’il ne le croit.

 

On remarque que beaucoup d’entre elles cherchent à ne pas prendre leur fantasme de viol au sérieux. Mais en faisant diversion pour évacuer sa violence, elles l’actualisent par un rire dénégateur, inapproprié aux drames qu’il soulève. Derrière la répétitive blague potache, le calembour scatologique ou cassant, est souvent exprimée une envie d’auto-destruction, une frustration d’amour inavouée, un enchaînement aux media, une fausse exorcisation de la peur de la sexualité, une bêtise qui se présente comme de l’esprit, un manque d’amour de soi transformant l’audace en vulgarité, la parodie en égoïsme, le besoin des autres en cynisme agressif. Humour et désir de mort ne s’opposent pas toujours, et bon nombre de sujets homosexuels en fournissent la preuve à travers leurs recours à l’humour camp. Ils ont tendance à ne savoir rire d’eux qu’entre eux et aux dépens des autres, dans l’auto-parodie excessive. À cause du regard malveillant et complexé qu’ils se portent, ils peuvent devenir extrêmement susceptibles. Dès que l’humour vient de l’extérieur, ils demandent souvent à ce qu’il cesse. « Du côté des médias, on souhaiterait une diminution des blagues sur les ‘folles […] On peut imaginer les ravages qui s’ensuivent sur un jeune en questionnement. » (Michel Dorais, Mort ou Fif (2001), p. 113) Les « blagues à pédés », les petites attaques ou railleries, les boutades sur les hommes efféminés, plus bêtes que méchantes, résonnent souvent comme de véritables insultes quand ils leur donnent le poids qu’elles n’auraient jamais eu s’ils ne les avaient pas eux-mêmes cautionnées. Alors que l’humour aimant nous aide à rigoler sainement de nous-mêmes, et qu’il ne fait pas rire aux dépens de l’autre mais avec l’autre (… même s’il prend parfois le risque de le bousculer dans une simulation de destruction : l’humour qui ne dérange pas les meubles n’a pas grand intérêt…), c’est comme si, pour un certain nombre de personnes homosexuelles, la simulation de destruction par le rire passait par l’actualisation incontrôlée de cette destruction puisque l’amour de soi n’est pas assez présent et qu’en désir, la Réalité n’est pas toujours respectée. Or, si l’humour aimant permet d’approcher une réalité désagréable pour la rendre moins abrupte et plus humaine, jamais il ne la nie, ni ne l’édulcore. Il ne cherche pas à gommer constamment la frontière entre sérieux et non-sérieux. C’est bien souvent le contraire que fait l’humour employé par la majorité des sujets homosexuels : même si la dédramatisation qu’il propose est bien intentionnée et semble a priori lutter contre la morosité ambiante, il apporte une avalanche de frivolité inappropriée à des situations qui, sans être dramatiques, ne sont pas légères. Il n’est jamais interdit de démystifier la souffrance par l’humour. Mais il y a un temps pour tout : un pour rigoler, un pour être sérieux, un pour être sérieux tout en rigolant, un autre pour rire quand il ne faut pas… et le délire s’éternise souvent beaucoup trop chez certains sujets homosexuels pour qu’ils se respectent réellement eux-mêmes. Quand la légèreté humoristique n’a pas sa place dans un contexte où la souffrance humaine n’est pas reconnue et dénoncée, il agit involontairement comme un glaçon.

 

En découvrant l’échec de leur entreprise de dérision, la plupart des personnes homosexuelles vont inconsciemment retourner la carte psychique du comique et sombrer dans le tragique singé de la Drama Queen, toujours pour nier leur véritable souffrance. C’est rassurant d’un certain côté (nous les voyons parfois aux bords du suicide en début de soirée… puis danser sur les tables à la fin : leur tristesse a duré le temps d’une averse), et inquiétant d’un autre (qui nous assure, par exemple, qu’un sujet homosexuel suicidaire ne va jamais, les jours de profond spleen, mordre précipitamment à l’hameçon de sa théâtralité et passer à l’acte irréparable ?). C’est parce que la détresse homosexuelle ne se dit pas souvent simplement et sans se styliser à l’excès, que nous devrions lui prêter encore plus d’attention, la trouver touchante. La mise en scène mélodramatique que beaucoup de personnes homosexuelles composent est signifiante, même si elle paraît à première vue théâtrale, fausse, et forcément un peu risible puisqu’elle mime exactement les simulations de crises d’abandon de la femme fatale télévisuelle. « Ènième coup de téléphone de François P., qui m’énerve considérablement : il dit qu’il m’aime, et qu’il ne m’appellera plus jamais, car il va se tuer demain, je n’ai même pas envie de le croire ou de ne pas le croire, je reste indifférent, tout juste agacé : qu’il fasse ce qu’il veut, je ne le connais pas. » (Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (2001), p. 23) La « c-homo-édie », pourrions-nous l’appeler, par la lassitude/indifférence qu’elle engendre chez la majorité des personnes homosexuelles qui la jouent pourtant chroniquement, et qui la trouve navrante à force de croire qu’elles la connaissent par cœur, n’est pas assez analysée en termes de nature du désir homosexuel qui, je le crois, est par essence tragi-comique, et cause beaucoup plus de maux invisibles qu’il n’y paraît. Du coup, ceux qui la rejettent la déifient fréquemment, et sont tentés de l’actualiser parfois. Beaucoup de personnes homosexuelles figent leur appel de détresse, souvent justifié, en mouvement esthétique surchargé de pathos cinématographique, pour occulter leur souffrance réelle, qui, une fois ignorée à force d’être esthétisée, peut s’aggraver. Dans le malheur, elles ont tendance à se prendre narcissiquement trop au sérieux ou pas assez au sérieux, si bien que leurs proches hésitent à les écouter, et perdent patience à essayer de démêler chez elles d’un côté ce qui fait partie du fantasme de souffrance, et, de l’autre, ce qui est de l’ordre de la souffrance véritable.

 
 

C – CIRCULEZ ! (…Y’A QUELQUE CHOSE À VOIR) :

 

C – a) L’agression consciente et inconsciente :

 
 

À force de ne pas être prises assez au sérieux, de ne pas pouvoir se formuler leur propre mal-être, mais aussi pour empêcher toute analyse du désir homosexuel, beaucoup de personnes homosexuelles deviennent inquiétantes, et s’affairent à intimider leur interlocuteur. L’une de leurs techniques du déni du viol est la réaction indignée censée « masquer l’objet d’indignation par l’indignation elle-même » (Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs (2002), p. 17), et effrayer celui qui est tenté, à cause de leurs réactions outrées, de penser qu’il a dit une énormité et qu’il vaut mieux qu’il se taise. Il leur arrive souvent de mimer l’attitude scandalisée qu’elles attendent/redoutent chez les autres pour la devancer et l’avorter. Se choquer en singeant la répression de ses propres sentiments ou en donnant à sa voix un ton hurlant, c’est non seulement montrer le visage innocent du clown blanc offusqué, mais c’est aussi faire un acte communautaire fédérateur : elles ont l’impression de lutter contre le diable homophobe en disant « c’est ignoble… » ensemble, en s’entrechoquant les unes aux autres sur les horreurs dont on les affublerait, pour imposer collectivement une censure.

 

La demande de silence peut aussi prendre un caractère excessivement impérieux : elles ordonnent à leur entourage de se taire comme elles se l’imposent à elles-mêmes. L’approche de l’homosexualité est d’office présentée comme minée. Pour la petite anecdote personnelle, en ouvrant au hasard ma toute première revue Têtu que j’avais eu le « courage », à l’époque, d’acheter dans un bureau de tabac, j’étais tombé nez à nez sur une publicité de parfum avec la photo d’un méchant piranha ouvrant son effrayante gueule dentée, accompagnée d’une phrase qui conseillait ceci : « N’essayez pas de comprendre. » (cf. la revue Têtu, n°63, janvier 2002, p. 7) J’avais adoré ! C’est exactement le même avertissement que l’on retrouve à l’entrée des livres de Manuel Puig (Malédiction éternelle à qui lira ces pages !, 1980), des films de Jim Sharman (« Vous entrez à vos risques et périls !! » lit-on dans le film « The Rocky Horror Picture Show », 1975), des chansons homo-érotiques de Mylène Farmer (« N’ouvre pas la porte, tu sais le piège… », cf. la chanson « Regrets »), des romans de Renaud Camus (Ne lisez pas ce livre !, 1997), dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska (« Le Seigneur est tout près. Garde le silence. » indique l’écriteau que lit Michal après avoir surpris Adam et Lukacz ensemble), etc. Via l’ironique menace camp et des images parfois difficilement supportables à regarder, certains réalisateurs homosexuels cherchent à ce que leur spectateur reste prisonnier de ses émotions, ne puisse pas accéder au double-sens de leurs œuvres, et littéralement qu’il se pétrifie comme le marbre. Ce goût pour la terreur folklorique n’est pas à mettre uniquement du côté de l’intention malfaisante, de l’envie de choquer, ou de la morbidité. Il a trait d’une part au plaisir enfantin d’avoir peur et de faire peur (comme chez les enfants maquillés en tigres pendant les kermesses scolaires), et d’autre part à la projection inconsciente d’un désir schizophrénique (homosexuel ou hétérosexuel) vécu comme monstrueux, sûrement parce qu’il l’est en partie du fait de son hybridité. Beaucoup de personnes homosexuelles vont alors projeter sur les autres leur propre souffrance dans sa version grimaçante cinématographique, en cherchant fiévreusement sur le visage de ces derniers des confirmations que leur monstrueux désir de viol qu’elles croient incarner est bien réel et personnifié en elles, ou alors beaucoup trop monstrueux pour qu’elles rentrent dans son jeu. Ceci est particulièrement observable dans les œuvres de fiction homo-érotiques – et parfois dans les discours : il n’est pas inhabituel d’entendre les personnes homosexuelles prendre plaisir à jouer les femmes outrées en prononçant au quotidien des expressions telles que « c’est horrible », « c’est affreux », « c’est atrrroce », etc. L’expressionnisme tragique qu’elles mettent en scène se veut très théâtral et distancé, mais je crois qu’il est aussi dénué de toute dramaturgie, pour la bonne et simple raison qu’il est en partie inconsciemment produit : leurs personnages jouent les Emma Bovary devant leur miroir, répétant inlassablement qu’ils ont un amant, précisément parce que la conscience qui les a créés met en image une peur qu’elle n’a pas conscientisée. L’affolement iconographique est un prétexte à l’auto-contemplation, à la jouissance de s’imaginer grimaçant devant son miroir, qui confirme à certaines personnes homosexuelles l’efficacité de leur désir de viol et de leurs sentiments d’horreur sur elles-mêmes. En règle générale, il ne permet pas une libération de la parole, ni même une réflexion constructive sur les aspects violents du désir homosexuel.

 
 

C – b) Un appel maquillé :

 
 

Chez certaines personnes homosexuelles, le déni du fantasme de viol – et parfois du viol réel – passe également par la provocation tapageuse, une totale indiscrétion, une demande pugnace qui laisse entendre l’inverse de la forme violente qu’elle prend : « Tu me veux ? Je te défie. Essaie seulement de m’abattre. Vous voulez m’abattre ? Venez donc ! » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) L’appel-déni s’exprime alors par un questionnement moralisant agressif et désespéré, celui qui n’attend apparemment pas de réponse, un peu sur le modèle de la conclusion finale du plaidoyer pro-gay de Steven Carter devant l’assemblée de son lycée dans le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore : « Il s’agit d’amour. Alors de quoi est-ce que tout le monde a si peur ?!? » L’agacement sert bien souvent de prétexte à la contemplation narcissique de soi dans le malheur ou la révolte singée : par exemple, bon nombre de personnes homosexuelles aiment à dire que « tout les énerve ou les agace », qu’elles « en ont assez ».

 

Leur provocation, exprimée par des mots durs et disproportionnés par rapport aux faits critiqués, résonne comme une invitation maladroite à leur arracher le secret de leur propre mutisme : leur désir de viol – et parfois leur viol réel. N’oublions pas que le mot « monstre » vient du verbe latin monstrare qui signifie « montrer ». Leur présentation agressive d’elles-mêmes est tellement chargée de bonnes intentions que bien souvent, elles en oublient sa violence. « Je n’outrage pas les gens, déclare par exemple le provocant Steven Cohen, je viens révéler le caractère outrageux des mécanismes qui les oppriment. » (cf. l’article « Steven Cohen, corps à corps », sur le site http://www.humanite.presse.fr, consulté en juin 2005) Certaines personnes homosexuelles pensent réellement que le mensonge ou les masques disent la Vérité, que le mal est bon. « La méchanceté m’intéressait dans la mesure où elle était vraie. » (Marcel Jouhandeau, Éloge de l’imprudence, 1931) Elles réclament la reconnaissance de la vertu pédagogique du mal. Par exemple, Érik Rémès affirme que « les extrêmes peuvent servir de révélateur pour les autres » (cf. l’article « Érik Rémès, Écrivain » de Julien Grunberg, sur le site www.e-llico.com, consulté en juin 2005). L’idée de la pédagogie inversée semble capitale pour comprendre leur appel par l’agression. Elles disent aux autres qu’elles vont faire l’inverse de ce qu’elles attendent vraiment d’eux, pour que ces derniers les imitent dans l’inversion, et donc fassent mieux qu’elles, soient les vrais révolutionnaires qu’elles n’ont pas eu la force d’être. Elles font passer cette manœuvre pour de la charité, car elles-mêmes croient sincèrement faire acte de bienveillance par l’erreur.

 

Leur discours hermétique et peu avenant, susurré en messes basses ou perdu dans la fureur d’un carnaval textuel, ne prend pas le lecteur en compte et le rebute dans un premier temps. Mais attention : tout cela est aussi une mise en scène de provocation, une copie du discours totalitaire, une mascarade pédagogique. Leur menace a valeur de double test : si nous réagissons au quart de tour en les prenant au sérieux, nous avouerons, selon certains artistes, notre culpabilité et notre fermeture d’esprit ; si au contraire ils voient que nous prenons un peu de distance par rapport aux images violentes qu’ils nous proposent, que nous avons atteint un certain degré d’insensibilité, et que nous comprenons leur pédagogie du contre-exemple – celle qui dit : « Je fais l’erreur pour que vous ne la fassiez pas » –, ils nous flattent, nous offrent la carte de leur club, nous proposent de passer, comme Osvaldo Lamborghini dans El Fiord (1969), au viol collectif iconographique, en laissant parfois une porte discrètement entrouverte aux exercices pratiques…

 

Contrairement aux apparences, l’initiation proposée dans leurs écrits ne rime pas qu’avec perversion. Parfois, elle est une volonté d’accompagnement, de complicité, de sacrifice, et un appel. L’allusion, lieu de la confidence et de la proposition indécente, devient une invitation à la création artistique et aux plaisirs homosexuels, provocation d’ailleurs qui ne restera en général que dans le cadre du jeu et qui finira par un « … De toute façon, tout ça, c’était pour de rire… » si le lecteur n’y répond pas, même si elle avait dessiné la probabilité d’un « peut-être » plus sérieux. L’agressivité, reposant davantage sur des univers de représentation que sur la Réalité, s’épuise parfois en abandon laconique à la mélancolie, et s’exprime alors avec l’humour cynique de celui qui devine la vanité de sa position grotesque de figurant « monstrueux » de parc d’attractions duquel ne dépendra ni le bonheur, ni le malheur des personnes qui monteront à bord de son train-fantôme. Beaucoup d’écrivains homosexuels poussent le lecteur à bout pour tester jusqu’où il est capable d’aller pour les aimer. Celui-ci peut entendre, en lisant leur prose, un appel agressif dissonant qui n’emploie pas les moyens que son but requiert, qui cherche l’autre en feignant de ne pas le chercher.

 

On a reproché à des Hervé Guibert ou des Guillaume Dustan l’exhibitionnisme violent, au lieu de voir dans leur impudeur un mime des mécanismes d’exclusion dont les personnes homosexuelles sont parfois victimes. À mon avis, tout a un sens, et à plus forte raison l’agressivité. Dans ce que profère l’autre, il y a toujours une part de Vérité, même s’il me l’exprime méchamment et que sa volonté est justement d’évacuer la Vérité. Y compris en me jetant une pierre ou en m’agressant verbalement, il me dit quelque chose de la beauté de l’Homme sans même le savoir, car la grâce de son humanité de lui appartient pas, et dépasse sa cruauté. C’est pourquoi la Gay Pride et la visibilité tapageuse des personnes homosexuelles n’ont absolument pas à nous choquer : elles sont juste temporairement dignes d’intérêt, et fondamentalement secondaires et inutiles. Nous devrions nous laisser toucher par les appels au secours de certains individus homosexuels, souvent camouflés dans un discours stéréotypé et lapidaire, qui ne se donnent pas les moyens de leur plainte, qui s’auto-sabordent par le cynisme et l’ironie. Ils attendent une parole, une réaction de notre part. On retrouve cette demande malhabile chez l’Eva Perón (1969) de Copi qui, derrière la farce agressive, s’adresse à notre indifférence laxiste face à l’homosexualité : « Je suis devenue folle, folle, comme la fois où j’ai fait donner une voiture de course à chaque putain que vous m’avez laissé faire. Folle. Et ni toi ni lui ne m’avez dit de m’arrêter. […] Quand j’allais dans les bidonvilles […] et que je rentrais comme une folle toute nue en taxi montrant le cul par la fenêtre, vous m’avez laissé faire. Comme si j’étais déjà morte, comme si je n’étais plus qu’un souvenir d’une morte. » Il y a dans l’attitude de provocation de nombreuses personnes homosexuelles un acte d’illustration visant à exposer aux autres ce qu’ils leur laissent impunément faire, un miroir brisé qui se veut le reflet de la lâcheté sociale. Au fond, elles regrettent amèrement le silence de leurs proches concernant leur situation souvent dramatique. « Mes parents n’entendent pas mon murmure. Mes chuchotements ne parviennent pas jusqu’à leurs oreilles. Ils n’entendaient déjà pas mes cris, il y a des années de cela. » (Luca dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 168) Face au mutisme social, elles se demandent quelles personnes seront vraiment capables de se laisser toucher par leurs appels. Elles font tout pour dissimuler leur souffrance, mais paradoxalement, elles regrettent que les autres ne la perçoivent pas, et leur reprocheront parfois d’y être indifférents !

 
 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

Le personnage homosexuel exige le silence et le secret autour de son homosexualité, et parfois du viol qu’il a subi :

 
 

a) Le silence sur le viol :

 
 

Film "Mommy" (2014) de Xavier Dolan

Film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan


 

Dans les fictions homosexuelles, le déni du viol (pas uniquement homosexuel) peut d’abord venir des personnages entourant le héros homosexuel, et le forçant au silence. « Si t’en parles, je te tue. » (Sarah s’adressant à son amante Charlène, par rapport à l’existence de sa mère alcoolique, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Il faut nier, nier et encore nier ! » (Hugues s’adressant à son amant Fabien, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Légendes triviales, ma chère enfant, me répondit lady Swanson. Il ne faut pas croire les domestiques. […] Cette histoire de viol dans une chapelle ne tient pas debout. » (Bathilde cherchant à connaître les détails du viol de lady Philippa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 302) ; « Après, ce fut plus facile. On s’améliore avec la pratique. » (Hank, banalisant ses histoires de cul homosexuelles, alors que sa première a été très éprouvante, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « À partir de maintenant, Anna Mann était livrée à elle-même. Plus d’une fille sur deux était victime d’abus sexuels. C’était la façon dont tournait le monde et on n’y pouvait rien. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 89) ; « En tout cas, y’a pas viol. » (Jarry en voyant la photo de la fille moche de « Inquiète », dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « On ne parle pas de ces choses-là. » (Oliver s’adressant à son jeune amant Elio qui ose briser la glace en lui déclarant ses sentiments homos, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; « On n’en parlera plus , ok ? » (André, homo, s’adressant à son pote gay Adrien, par rapport à sa séropositivité, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc. Ces censeurs sont d’ailleurs secrètement homosexuels aussi. Par exemple, dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (« Ne le dis à personne », 1998) de Francisco Lombardi, le jeune Joaquín, à 8 ans, tripote un de ses camarades sous une toile de tente scout, et lui demande instamment de taire ce qu’ils viennent de faire : « S’il te plaît, ne le dis à personne. » Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan raconte à son futur amant Jonas qu’il a été abusé dès la classe de CM1 dans son école catholique de Saint Cyprien par un prêtre, et lui confie ce secret, en le menaçant de l’égorger si jamais il en parle à d’autres : « Tu sais garder un secret ? De toute façon, si tu parles… » (on découvrira que la balafre que Nathan porte sur sa joue ne vient pas d’un coup de calice donné en représailles par le prêtre, mais d’un lynchage collectif qu’il a subi aux autos tamponneuses à l’âge de 9 ans dans un parc d’attractions appelé Magic World). Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, le médecin qui va opérer la narratrice transgenre F to M pour son changement de sexe se montre particulièrement cruel, despotique et infantilisant : « Il va falloir perdre cette habitude de s’excuser ou de remercier tout le temps. ‘Masque neutre’, vous vous rappelez ? Ça va venir. Une déconstruction, ça prend du temps. » Certains films cachent et abordent la Seconde Guerre mondiale sur fond d’homosexualité et de secret : cf. le film « Sekret » (2012) de Prezemyslaw Wodcieszek, le film « Bent » (1997) de Sean Mathias, le film « L’Arbre et la Forêt » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, la chanson « Ce secret » de Nicolas Maury, etc.

 

Le problème, c’est qu’ensuite, ce même héros cautionne bien souvent l’appareil social de censure, au point de proclamer fièrement qu’il ne connaît pas la souffrance : « Je n’ai jamais souffert. » (Scott dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary) ; « Après les grands secrets de mes six, dix et treize ans, à ma vie s’ajoutait maintenant le ‘péché’ qui n’aurait jamais dû être. » (Ednar, le héros homosexuel, abordant les trois viols pédophiles puis sa première expérience homosexuelle qu’il a vécus, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 20) ; « Je n’avais pas osé lui raconter les agressions sexuelles dont j’avais été victime afin qu’elle ne se sente pas coupable. » (Ednar à propos de sa mère, idem, p. 59) ; « Nous sommes très fragiles. Nous tombons. Nous échouons. Mais est-ce que c’est plus grave que ça ? » (le narrateur de la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust) ; « La question est toujours la même : qu’y a-t-il derrière ce rideau ? » (Molly en voix-off dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson) ; « Je me suis sans cesse répété que ce n’était pas la bonne voie. Je peux pas. » (Sergueï Eisenstein, homosexuel, feignant la résistance à la sodomie qu’il va « subir » par son amant Palomino, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc. Il reprend à son compte et intériorise le diktat social de l’enfouissement de sa blessure homosexuelle. Il est blessé mais affirme ne pas en souffrir. Par exemple, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, n’arrête pas de répéter que la violence procure de la satisfaction, mais que l’acte de violence en lui-même est insignifiant.

 
 

Comédienne – Fais voir ? Mon Dieu ! Tu t’es presque sectionné le petit doigt ! Ça te fait mal ?

Auteur – Ça ne me fait pas mal mais ça pisse le sang !

(Copi, La Nuit de Madame Lucienne, 1986)

 
 
DÉNI 3 Bleu
 

Il se force à banaliser et à taire le viol qu’il a subi, ou le fantasme de viol qu’il ressent en lui-même (cf. le roman Une douleur normale (2013) de Walter Siti). « Non non, rien… Je me suis cassée un talon. » (Octavia, le transsexuel M to F, s’inventant une excuse pour cacher qu’il a été battu, dans la comédie musicale Se Dice De Mí (2010) de Stéphan Druet) ; « Toi qui n’as pas vu l’autre côté, de ma mémoire aux portes condamnées, j’ai tout enfoui les trésors du passé, les années blessées. » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « Ne donnez pas trop tôt ni un nom ni un genre à cette violence. » (l’un des deux héros homosexuels de la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès) ; « Cette perdition n’est pas pénible. Je l’ai cherchée. » (Leo dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 78) ; « Ce n’est qu’une blessure superficielle, ce n’est rien. » (Luc à Daphnée dans la pièce La Tour de la Défense (1981) de Copi) ; « Se faire mal en se disant que juste après, juste après, qu’on ne le regrettera sûrement pas. » (cf. la chanson « Marilyn » du groupe Indochine) ; « Entre 20 et 30 ans, je n’avais cessé de me dire que j’étais trop exigeant en amour. » (Michael dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 84) ; « J’ai décidé d’effacer tout ça, de faire comme s’il ne s’était rien passé, et si, par hasard, Héloïse me refaisait des avances, de lui dire : ‘Non, c’est hors de question.’ Car il me paraissait qu’elle m’avait violée, finalement. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 290) ; « C’est comme quand on était petits et qu’on allait acheter du Cinzano pour maman chez un épicier qui était borgne, je crois, tu t’en souviens ? Il me faisait passer dans l’arrière-boutique et il me touchait, tu t’en souviens, et ensuite on se partageait l’argent du Cinzano ? Il était arrivé au bout de quelque chose d’atroce, ce type, quelque chose d’atroce, atroce. Il ne m’a jamais touchée. Il ne faisait que me parler. Je ne sais pas pourquoi je te disais qu’il me touchait ; il me racontait sa vie. Et peu à peu je suis devenue comme lui, tu comprends, je n’y peux rien. » (Evita niant le viol infligé par l’épicier Cinzano, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Elle entendit les pleurs d’un bébé dans l’arrière-boutique, essaya d’alerter la boulangère, mais pas un mot ne sortait de sa bouche, elle était devenue muette. » (Mme Pignou dans la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, p. 49) ; « Que l’un des vôtres se soient fait assassiner, ça ne vous émeut pas plus que ça ??? Vous avez une drôle de façon de vous aimez. » (l’Inspecteur face au mutisme de Franck, le héros homo qui couvre son amant Michel, le tueur du lieu de drague homosexuel, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; « Mes coups, parfois, je les retenais pas. Mes mots, oui. » (Vincent s’adressant à son amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « J’crois pas que ça mérite tant d’intérêt que ça, ce qui se passe dans notre dos » (Arnaud, le héros homo se référant à la sodomie, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Tous les pédés me parlent de leur culpabilité héritée de je ne sais quel abus dans leur enfance. Laisse ton enfance tranquille ! » (Arthur, homosexuel) « Qui te parle de son enfance maltraitée ? » (Jacques, son amant, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Reviens, Jimmy Dean, reviens » (1982) de Robert Altman, quand les amies de Joanne, l’homme transsexuel M to F, l’interrogent sur son opération de changement de sexe, il répond évasivement qu’il « le regrette parfois », lorsqu’il « y pense ». Dans sa chanson « Retour à toi », Étienne Daho se décrit comme un homme « qui réduit au silence le fracas de l’enfance ». Dans le film « Incidences » (2012) d’Andromak, Anne a été victime d’un viol dès son plus jeune âge, mais, par mécanisme d’auto-défense, elle le nie. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Léa s’est fait violer, mais se fait passer pour une certaine « Virginie » et parle d’elle à la troisième personne : « Virginie a gardé secret le nom du coupable. »

 

Dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, la jeune Anna défendra jusqu’à la mort son père qui la viole secrètement. Tous les personnages sauf la narratrice lesbienne, Jane, qui a pris en pitié la fillette de treize ans et qui s’est donnée pour tache de dénoncer le viol que la femme du Docteur Alban Mann et leur fille Anna ont subi, s’attellent à masquer le crime. « Tu prends cette histoire trop au sérieux. […] Chut. […] Je vais te faire couler un bon bain chaud. » (Petra, l’amante de Jane, p. 99) ; « Tu réfléchis constamment. C’est peut-être ça le problème. Tu devrais peut-être débrancher ton cerveau de temps en temps. Regarder la télé, te relaxer. » (idem, p. 120) ; « Tout ce que je vois c’est que vous fourrez votre nez dans quelque chose qui ne vous regarde pas. C’est peut-être de vous qu’Anna devrait se méfier. » (Maria, la prostituée, p. 168) ; etc. Jane s’étonne même qu’Anna ne se révolte pas contre son père : « C’était comme si certaines filles portaient une marque secrète que seuls les pervers pouvaient voir. Une fois qu’elles avaient été abusées, d’autres salauds parvenaient à le sentir d’une façon ou d’un autre, et ils les pistaient pour prendre leur tour. […]Pourquoi est-ce que tu cherches sans cesse des excuses à ces hommes ? Ils ont cherché à gagner ta confiance pour abuser de toi. Même le prêtre ; il a préféré ignorer quel âge tu avais. Tu ne fais pas du tout dix-sept ans. Au fond de son cœur, il savait que tu étais trop jeune. Tu ne le vois pas ? » (p. 242)
 

Le viol, en éclatant le personnage homosexuel, lui donne paradoxalement une impression d’unité : « Je ferme les yeux sur nos dernières nuits. Qui nous sépare ? Qui nous unit ? » (cf. la chanson « J’attends » de Mylène Farmer) C’est le déni qui donne l’illusion que les morceaux sont recollés.

 

Dans les fictions homo-érotiques, l’initiation – violente et peu libre – à l’acte homo se fait souvent sous le sceau du secret. Par exemple, dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet, de retour de vacances, Antoine annonce à Julien qu’il a quelque chose à lui montrer : « Je lui ai emboîté le pas. Antoine m’a entraîné jusqu’aux toilettes où il m’a brusquement poussé. J’ai demandé : ‘Pourquoi ?’. ‘Tu verras. C’est un secret’. Alors je me suis avancé sans broncher et Antoine a refermé la porte derrière lui. Et puis là… oh, la, la, la, la, j’en tremble rien qu’à l’écrire mais Antoine qui s’est immobilisé devant moi, m’a plaqué violemment contre le mur, s’est collé à ma poitrine jusqu’à presque m’étouffer, et d’un geste langoureux, il a posé sa bouche contre ma bouche, et tout en se penchant délicatement près de mon oreille, il m’a soufflé : ‘Je t’aime.’ J’ai failli m’évanouir à cet instant. J’étais transporté aux anges, renversé, ébranlé. » (Julien) Cela marche aussi avec le coming out auprès des parents. Par exemple, dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien, pour mettre son père devant le fait accompli de son homosexualité, Romane, l’héroïne lesbienne, demande à Yindee sa copine de l’embrasser sur la bouche.

 
 

b) Le silence « innocent » et béat :

 

Il est énormément question du secret dans les fictions homo-érotiques : cf. le film « Une Histoire sans importance » (1980) de Jacques Duron, le film « Le Secret d’Antonio » (2008) de Joselito Altarejos, les pièces La Reina Del Silencio (1911) et Sirenas Mudas (1915) de Ramón Gy de Silva, le film « Circumstances » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, la chanson « Secret » de Madonna, le film « La Ville des silences » (1979) de Jean Marbœuf, le film « Choses secrètes » (2002) de Jean-Claude Brisseau, le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, la B.D. Humour secret (1965) de Copi, la chanson « Le Grand Secret » du groupe Indochine, le film « Le Secret du Chevalier d’Éon » (1959) de Jacqueline Audry, la chanson « Parler tout bas » d’Alizée, la chanson « Nobody Knows » de Mylène Farmer, le roman Le Secret d’Ugolin (2000) de Béatrice d’Alemagna, le roman Le Secret de l’Hippocampe (2003) de Gaëtan Chagnon, la chanson « Comme c’est curieux » des Valentins, le tableau Secreto Eterno (1987) de Julio Galán, le film « La Flor De Mi Secreto » (« La Fleur de mon secret », 1995) de Pedro Almodóvar, le film « Le Silence » (1962) d’Ingmar Bergman, le film « Les Silencieuses » (1998) de Valeri Todorovski, le film « A Question Of Silence » (1983) de Marleen Gorris, le film « Silence » (1995) de Colette Cullen, « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill, le roman Les Yeux silencieux (2003) de Michel Giliberti, le film « Passé sous silence » (2003) de James Mérendino, le film « El Jardín Secreto » (1984) de Carlos Suárez, la chanson « Silence » de Lara Fabian, le film « Un Secret » (2007) de Claude Miller, le film « The Secret Diaries Of Miss Anne Lister » (2010) de James Kent, le roman Les Silences de Colonel Bramble (1964) d’André Maurois, le roman Le Contenu du silence (2012) de Lucía Etxebarría, la chanson « Mes Silences » de Claire Keim, la chanson « Mon Secret » de Suzy Solidor, etc.

 

Le personnage homosexuel cultive autour de lui le mystère : « J’ai jamais su me présenter moi-même. » (Stella, l’héroïne lesbienne du film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald) ; « Je suis un secret. » (la narratrice du roman Poupée Bella (2004) de Nina Bouraoui, p. 9) ; « Les secrets, c’est ma spécialité. » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; « Puisqu’il faut choisir, à mots doux je peux le dire. Sans contrefaçon, je suis un garçon. » (cf. la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer) ; « C’est un détail inextricable impénétrable. C’est un détail… C’est un détail… C’est un détail… » (cf. la chanson « Mon Maquis » d’Alizée) ; « Je ne sais plus parler à personne. Ma langue est incompréhensible. » (la voix narrative de la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Ma philosophie est de la fermer, de ne jamais avoir d’avis, et d’avoir toujours tort. On me frappe la joue gauche, je tends la droite. Que voulez-vous… rien ne m’affecte. Je suis un philosophe, extrêmement philosophe. » (cf. la chanson « Les Philosophes » d’Arnold Turboust) ; « J’ai moi-même un secret… qui devrait pas être un secret. » (Marina, le père transsexuel M to F de Fred, le héros homo, dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « Comment puis-je leur dire ce secret que j’ai sur le cœur depuis que je suis tout petit ? que je suis différent ? » (Chris, le héros homo de la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « Silence. Je disparais. Je m’éclipse. Je m’évanouis. » (Catherine, l’héroïne lesbienne de la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « C’était un bel homme, James. Pourquoi ça n’aurait pas été une belle femme ? » (la narratrice transgenre F to M se met dans la peau de James, une femme qui s’est fait passée pour un homme toute sa vie, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; « Pourquoi je me sens si coupable ? » (Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, ayant a vécu à Carthage sa première expérience homosexuelle avec un homme anonyme, dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm, épisode 3 de la saison 1) ; « Je me connais, moi. Il n’y a pas de secret. Parce qu’il n’y a rien. Juste moi. » (Narcisse dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Je n’ai ni tête ni pensée. Et je pense ? » (le narrateur de la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust) ; « Le secret, le secret, toujours le secret ! » (Fabien, homosexuel, s’adressant à son amant Hugues qui n’assume pas leur couple, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « J’ai une vie parfaitement normale. Sauf que j’ai un énorme secret de ouf. » (Simon, le héros homosexuel parlant de son homosexualité, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; etc.

 

Dans les fictions homo-érotiques, le silence est présenté comme quelque chose de positif, de relaxant, voire de courageux : cf. le film « Les Galons du silence » (1994) de Jeffrey A. Bleckner, le film « Everything Goes » (1974) de Tom DeSimone, le film « Relax… It’s Just Sex » (1998) de J. P. Castellaneta, la chanson « Relax » du groupe Franckie Goes To Hollywood (où il est conseillé de se détendre au moment de se faire enculer…), le film « Relax » (1990) de Chris Newby, le film « Mystère Alexina » (1984) de René Féret, etc. Le calme demandé ressemble en réalité à une anesthésie infantilisante, à une fausse paix, à une autocensure, à une méthode Coué (de dépressif ou de pervers). « Il faut que tu te détendes, Clara. » (Sonia annonçant à sa future amante Clara sa bisexualité, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Non, je crois pas. À mon avis tu te plantes. » (Simon, le héros gay faisant preuve de mauvaise foi face à Polly qui lui laisse entendre que l’homosexualité est une sexualité régressive, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 19) ; « Je me souviens d’avoir pensé à Horace et son ‘Carpe Diem’. » (Denis s’adressant à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Ce n’est pas une situation que nous subissons. C’est une situation qui tous les deux nous ressemble. » (idem) ; « On est d’accord, c’est notre secret. » (OSS 117 dans le film « OSS 117 : Rio ne répond plus » (2009) de Michel Hazanavicius) ; « Te poses pas de questions. T’es fait pour les garçons. Je veux du jazz. » (Philippe s’adressant à Bernard dans la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier) ; « Quand j’étais petit, je ne me posais pas autant de questions. » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Détends-toi. Ce mec a l’air pas mal, il est sexy et sûrement intelligent, alors détends-toi, profite, ne te pose pas trop de questions. Arrête de flipper. » (Polly, l’héroïne lesbienne encourageant son ami gay Mike à sortir avec un certain « Léo » qu’ils ne connaissent ni l’un ni l’autre, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 94) ; « Quel est ton secret ? » (Marc, le héros homo interrogeant son futur amant Sieger, dans le film « Jongens », « Boys » (2013) de Mischa Kamp) ; « Laisse-toi guider par tes envies. Faut pas réfléchir. » (Bernd, le mari de Marie – l’héroïne lesbienne – s’adressant à sa mère, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann) ; etc.

 

Par exemple, tout le message du film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou tourne autour de l’idée que « l’amour n’a pas de langage (parce que la langue de l’amour serait universellement muette) » et que « l’amour n’a pas de sexe ». Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, un des messages forts, c’est que celui qui ne sait rien en sait plus que celui qui sait (on le voit avec le personnage de Joan Clarke, cette femme néophyte et apparemment sans formation scientifique, qui se retrouve propulsée au rang de grande espionne).
 

Le héros homosexuel confère au déni du viol et de souffrance, ou bien au silence, une valeur quasi sacrée : « Elle, c’est María José et lui, José María.[…] Quelque chose de profondément religieux. Que l’on ne peut confesser. » (Luisa Valenzuela, « Leyenda De La Criatura Autosuficiente », Donde Viven Las Águilas, 1983, p. 68) ; « Il ne s’agit pas de comprendre ; il s’agit de croire. » (Maria Casarès dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) ; « Nous, nous ne disons toujours rien. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 22) ; « Depuis notre très beau silence au milieu du salon devant la foule attentive, j’ai l’ardent désir de savoir la direction que va prendre cette histoire qui s’écrit. » (idem, p. 29) ; « Vous reprenez, et j’ai peur, lorsque je vous entends reprendre, ainsi, un discours qui s’est suffi à lui-même, qui est assez. » (idem, p. 77) ; « Tant que je le pourrai, je ne parlerai pas. Je fais ce serment du mutisme, pour que tout demeure d’une pureté absolue, d’une blancheur intacte. » (idem, p. 103) ; « Ce sont des silences religieux, je veux dire : des silences comme ceux des églises. Nous avons la ferveur des communiants, leur gravité. » (idem, p. 119) ; « Les histoires de cœur ont vocation à demeurer secrètes, que c’est dans le secret qu’elles s’épanouissent le mieux à ce qu’on prétend. Le secret, bien sûr, est une forme de pudeur, une manière de timidité. Il est ce silence qui nous protège du regard des autres dont on ignore, par avance, s’il sera bienveillant, neutre ou malveillant. » (idem, p. 144) ; « Tu crois que ce genre de choses s’explique ? Non, ça ne s’explique pas. C’est au-delà des mots, Jean-Pierre. » (Fanny parlant à son mari Jean-Pierre de son nouvel amour lesbien pour Catherine, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; etc.

 

La dimension religieuse du silence peut aller de pair avec la sacralisation idolâtre de l’art-amour : le secret est élevé – et donc mis à distance – comme s’il trônait sur un piédestal. « Le but principal de l’homme, en art, n’est pas de communiquer. » (une réplique de la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche) ; « Silence, le silence, c’est le mieux. » (Esti, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 263) ; etc.

 
 

c) Le silence effrayant, amusé, ou basé sur le paradoxe :

 

Parfois, le personnage homosexuel se divertit de ses messes basses, quitte à singer sa difficulté à parler, ou quitte à menacer son interlocuteur : cf. la chanson « Petits Secrets » (2007) de Christophe Moulin, le roman Maldición Eterna A Quien Lea Estas Páginas (Malédiction éternelle pour qui lira ces pages, 1980) de Manuel Puig, le film « De Eso No Se Habla » (1994) de Maria Luisa Bemerg, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi, le film « Don’t Ask, I Won’t Tell » (2000) d’April Wilson (clin d’œil à la phrase de Bill Clinton sur l’homosexualité dans l’armée nord-américaine), la chanson « Don’t Tell Me » de Madonna, le roman Zéro Commentaire (2011) de Florence Hinckel, le film « Ne te retourne pas » (2013) de Sophia Liu et Benjamin Blot, le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann, etc.

 

Dans un premier temps, le censure se déroule dans l’amusement du tour de passe-passe de magicien. « Un sourire, un geste, il n’est déjà plus là ! » (cf. la dernière phrase de la chanson « Il ne dira pas » d’Étienne Daho) ; « Les secrets, j’en ai des tas. » (Ismaël dans le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré) ; « J’ai rien à dire. (Gros blanc) Il m’arrive jamais rien. (Nouvelle pause). Je sais, c’est chiant… » (le héros homosexuel du one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Je demande ‘La vérité c’est que tu te sens femme, Cody ? Tu en as toujours rêvé, pas vrai ?’ Il répond de sa voix déformée ‘On va danser, darling ?» (Mike le narrateur gay à son pote homo nord-américain Cody, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 103) ; « Aaaah… les tournantes, c’était vraiment génial ! » (Gwendoline, lycéenne transgenre M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; etc. Par exemple, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, quand Ben et George reviennent ensemble sur le pourquoi de leur union amoureuse sans forme, George conclut : « Parfois, il vaut mieux ne pas savoir. »

 

Le jeu des devinettes est lancé ! Je vous renvoie à toutes les œuvres artistiques à thématique homosexuelle où les questions sans réponse fleurissent : cf. la chanson « Cherchez le garçon » du groupe Taxi-girl, la chanson « Qui est qui ? » de Barbara dans son spectacle Lily Passion (1984), la chanson « Où sont les femmes ? » de Patrick Juvet, la chanson « Lui ou toi » d’Alizée, la chanson « Chercher la femme » de Coccinelle, la chanson « À pile ou face » de Corinne Charby (reprise par Emmanuelle Béart dans le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon), la chanson « Rebelle » de Cindy dans la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon, la chanson « Le Talisman » d’Étienne Daho, la chanson « Qui est qui ? » de Marie-France, le film « Elle ou lui ? » (1994) d’Alessandro Benvenuti, le film « Who’s The Man ? » (1993) de Ted Demme, etc. On retrouve les créations du « peut-être » et du doute sulfureux dans le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee, le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar (le protagoniste chante « Quizás »), le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar (avec le boléro final « Lo Dudo » de los Panchos), la chanson « If » d’Étienne Daho, le film « If… » (1968) de Lindsay Anderson, le film « Quasi Quasi » (2001) de Gianlucca Fumagalli, la chanson « Perhaps » dans le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq, la chanson « Perhaps » de Geri Halliwell, la chanson « Are You Boy Or Girl ? » dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, etc. « Peut-être… peut-être que tout changera. » (Tassos, la vieille folle qui minaude au micro de son music-hall, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras)

 

Puis peu à peu, la drôlerie du déni laisse place à l’agacement et à la menace ludique. « Il ne me reste qu’à […] hurler qu’on m’a violé et que je vais tout répéter à mes très violents frérots. » (Vincent Garbo souhaitant incriminer le prêtre qu’il a perverti, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 134) ; « J’en ai marre de ne pas oser. J’en ai assez de garder mon secret. […] Et moi, j’ai la trouille. » (Martin, le héros parlant du Sida – que tous prennent pour son homosexualité au départ – dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Beaucoup d’auteurs homosexuels choisissent des univers folkloriquement monstrueux, sombres et camp, pour intimider l’enquêteur indiscret : cf. le roman Les Caves du Vatican (1914) d’André Gide, les films « Laberinto De Pasiones » (« Labyrinthe des passions », 1982) et « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar, le film « Ténèbres » (1982) de Dario Argento, le film « Leçons de ténèbres » (1999) de Vincent Dieutre, le poème « El Cadáver » de Néstor Perlongher (où l’auditeur est conduit dans un couloir textuel souterrain le menant à la dépouille d’Eva Perón), etc.

 

Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien, le héros homosexuel, se rend compte qu’il a été violé par sa belle-mère Solange : « Pourquoi vous m’avez violé ?? » La belle-mère ricane : « Violé… Tout de suite les grands mots… » Finalement, Solange se rabat sur Yoann, l’amant efféminé de Julien. Elle lui fonce dessus, et ce dernier, au départ, résiste : « Elle voulait me violer ! C’est elle ! C’est moi qui était en-dessous. » Puis finalement, pour une affaire d’héritage, Yoann accepte de faire un gosse à la quinquagénaire.
 

À l’entrée d’un certain nombres d’œuvres homosexuelles, on a droit à la même injonction : « Circulez ! Y’a rien à voir ! » En général, un écriteau prévient le spectateur qu’il avance en terrain ultra-dangereux. « N’ouvre pas la porte, tu sais le piège… » (cf. la chanson « Regrets » de Mylène Farmer) ; « Prenez bien garde aux Brésiliennes. » (Charlène Duval parlant des travestis dans son one-woman-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Ne le dites pas : Tristana, c’est moi ! » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Si j’étais vous… Lecteurs, ne dites jamais cela. » (une phrase de la quatrième de couverture du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green) ; « Le frigidaire qui parle, il y a quelqu’un à l’intérieur ? Oh non, c’est dégoûtant, pas ça ! Je ne sais pas mais c’est horrible ! Je le referme ! » (Loretta Strong dans la pièce éponyme (1978) de Copi) ; « Notre demeure est fortement isolée. Oui, cela vous rappelle sans doute quelque chose. Agatha Christie. Chateaubriand. Daphné Du Maurier ou Scooby-Doo. Peu importe qui ou quoi. Si vous frissonnez agréablement et éprouvez le désir de mettre un gros pull ou de faire un feu de cheminée, c’est que vous êtes dans la bonne direction. » (cf. la première page du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 13) ; « On n’a pas de problèmes ici. » (le Maître de Cérémonie dans la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall) ; « LE PRÊTRE EST UNE PÉDALE ! » (cf. l’inscription peinte en rouge et en gros sur la porte de la maison du père Adam, dans le film « W imie… », « Aime… et fais ce que tu veux » (2014) de Malgorzata Szumowska) ; « Attention au pédé agressif. Sobre, il est dangereux… Saoul, il est mortel. » (Harold, le doucereux homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande », (1970) de William Friedkin) ; « On est au Parc d’attractions et je suis Madame Godzilla. » (l’infirmière d’hôpital s’adressant à Rana, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc. Par exemple, dans le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, un écriteau à l’entrée du château hanté nous annonce la couleur : « Vous entrez à vos risques et périls !! » Dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, le narrateur, après avoir tué son éditeur, place une inscription « Don’t disturb » sur la porte pour maquiller son crime. (p. 90)

 

La mise en garde mi-grave mi-drôle du personnage homosexuel fait penser à la comédie sérieuse de certains hommes transsexuels stoïques, ou des figurants inquiétants de fêtes foraines invitant de manière très ambiguë les badauds à pénétrer dans leur train-fantôme : cf. la pièce Amour, gore et beauté (2009) de Marc Saez (où dès le départ, le spectateur est accueilli par des comédiens fardés comme des acteurs de film d’épouvante), la chanson « L’Attraction » d’Emmanuel Moire (« Approchez, venez découvrir l’attraction nouvelle, celle qui va bientôt ouvrir si vous voulez d’elle. Approchez, venez visiter l’attraction soudaine. Vous allez sans doute l’aimer, elle vaut toutes les peines. Entrez donc vous asseoir, approchez-vous pour voir. »), le film « Prenez garde à la sainte putain » (1971) de Rainer Werner Fassbinder, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, la photographie Que me veux-tu ? (1928) de Claude Cahun, etc.

 

Comme il constate que son déni terrorisant attise encore plus la curiosité de la foule, le personnage homosexuel trouve une autre stratégie pour faire oublier son viol : il fait preuve de chantage aux sentiments et surjoue le débordement d’émotions. « Give me time… Do you really want to hurt me ? Do you really want to make me cry ? » (cf. la chanson « Do You Really Want To Hurt Me ? » du groupe Culture Club) ; « Je vous prie de me croire. Je n’ai pas de secret ! » (Irena en larmes face au psychiatre, dans le film « Cat People », « La Féline » (1942), de Jacques Tourneur) ; « Promettez-moi que vous ne serez pas méchant avec moi dans votre gazette. On a propagé de telles insanités à propos de mon soi-disant mauvais caractère ! Il paraît que j’ai l’habitude de gifler mes partenaires. » (Cyrille dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, pp 19-20) ; etc.

 

L’autre caprice qu’interprète le personnage homosexuel pour ne pas avoir à révéler son viol, c’est celui du paradoxe (cf. le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore) : « Stratégie oblique oblige. » (cf. la chanson « Mes Amis et moi » d’Arnold Turboust ») ; « Soyez vous-même, réveillez vos sens ! Ne dites jamais la première chose qui vous vient par la tête, c’est toujours de la fatalité, un réflexe… Soyez naturel, dites la deuxième ! » (une réplique de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Ma vie est une tragicomédie : elle est remplie de paradoxes. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc.

 

Il dit tout et son contraire pour ne pas avoir à se positionner et à ouvrir la bouche : « Je n’ai jamais su quelle est la part de réel et d’imaginaire dans ce récit. » (Copi-Traducteur dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 121) ; « Je milite quotidiennement pour le droit à se contredire soi-même, à changer d’avis, à se mentir, à inventer des mots, à les dire en feu d’artifice… dans le sens que l’on veut… Personne ne me dicte rien à moi… Je pourrais très bien faire de la politique. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « La règle, c’est qu’il n’y a pas de règles. » (Juna, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « De ce paradoxe, je suis complice. » (cf. la chanson « Sans logique » de Mylène Farmer) ; « Ici on acquiesce presque toujours en partant de l’erreur, c’est ironique et amusant. » (Julio Cortázar, « La Barca », Alguien Que Anda Por Ahí (1978), p. 148) ; etc. Il tourne autour du pot, plus ou moins consciemment. « Je veux raconter des histoires. On ne saura pas si elles sont fausses ou si elles sont vraies. » (Loïc, le héros homo, à la fin du film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier) ; « La vérité est mensonge. Le mensonge est vérité. » (Hyo-Shin dans le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong) ; « Je suis une femme, je suis un homme, je suis tout, je ne suis rien. » (la voix narrative du roman Poupée Bella (2004) de Nina Bouraoui, p. 9) ; « Tristana prête à tout, pour rien, pour tout. » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Ma mère dansait. Triste. Heureuse. Au début de sa vie. Avant mon père. » (Omar, le héros homo du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 92) ; etc.

 
 

d) Le silence impérieux et ennemi de la Vérité :

 

Bien souvent, le déni se radicalise en ordre : cf. le roman Ne le dis à personne (1994) de Jaime Bayly, le film « Cause toujours » (2008) d’Anne Crémieux, la chanson « Shut Up ! » de Mylène Farmer, le film « Top Secret » (1952) de Mario Zampi, le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco J. Lombardi, le film « Me Da Igual » (1999) de David Gordon, le film « Dormez, je le veux ! » (1997) d’Irène Jouannet, le film « Leave Me Alone » (2004) de Danny Pang, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi (avec Irina se coupant la langue), le film « Love And Deaf » d’Adam Baran (avec l’appel à fermer sa gueule), la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage (avec le héros transsexuel M to F Jean-Charles/Jessica, spécialiste des mensonges) ; etc. Par exemple, dans le roman Les Illusions perdues (1837-1843) d’Honoré de Balzac, Lucien reçoit de Vautrin (l’un des premiers héros romanesques homosexuels déclarés) « la loi des lois : le secret ! ». Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, pendant le jeu télévisé Questions pour un champion, Julien Lepers pose la question de la définition de l’« omerta », la fameuse « Loi du silence ».

 

Le personnage homosexuel montre clairement son opposition à la Vérité, réalité qu’il présente comme un « concept » abstrait et inaccessible… parce qu’au fond il vit encore dans l’illusion de La posséder et de La garder pour lui : « J’ai horreur qu’on me pose des questions. » (Ada, l’héroïne lesbienne de la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « C’est arrivé. C’est tout. » (Carole, l’héroïne lesbienne avouant qu’elle est sortie avec Delphine, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; « Tant que je pourrai, je ne parlerai pas. » (la figure de Marcel Proust dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 86) ; « Je ne veux pas de fantasmes, pas de peurs inutiles. Et j’exige le secret. » (Thomas dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 45) ; « Je me demande combien de mutilations seront nécessaires pour débusquer la vérité, combien d’examens il lui faudra subir pour espérer savoir enfin ce qui lui arrive. […] Je songe que la vérité pourrait nous faire regretter notre ignorance. » (Lucas, idem, p. 38) ; « N’avons-nous pas souvent été blessés par ceux qui ‘ne font que dire la vérité’ ? Les pensées véritables ne doivent pas toutes être dites. […] Nous ne devrions pas nous précipiter pour ouvrir grand les portes et autoriser la lumière à éclairer des lieux discrets. Car ceux qui ont vu les mystères cachés nous parlent de beauté, mais aussi de douleur. Et il est préférable que certaines choses demeurent invisibles, que certains mots ne soient pas prononcés. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), pp. 99-100) ; « J’ai horreur de la Vérité. » (Mathilde dans la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès) ; « La Vérité habite le fond d’un puits insondable. » (Sébastien, le héros homo cité dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « Discuter ? À quoi bon ? » (Chris, le héros homosexuel, à propos de son père, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « J’ai pas de goût. Pas d’avis. » (François dans le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier) ; « Personne ne peut me comprendre. » (Franz, le héros homosexuel de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « T’inquiète pas. Je sais ce que je fais. » (Romane, l’héroïne lesbienne s’adressant à son père qui s’inquiète de son engagement dans l’homosexualité, dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien) ; etc.

 

En bon relativiste, le héros homosexuel éclate/éparpille la Vérité en une multiplicité de subjectivités, de « petites vérités individualistes », de points de vue incritiquables et tolérables : « Il y a autant de vérités que d’êtres humains. » (Yves Navarre, Portrait de Julien devant la fenêtre (1979), p. 82) ; « D’ailleurs, rien n’est grave. » (Vincent, le héros homo du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 30) ; « Le bien, le mal n’existent pas dans le bonheur, dans le malheur. Les hommes sont des animaux, les femmes sont des animales. » (Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ;etc. Et généralement, cette vérité parcellaire nie l’existence même de la Vérité unique : « La Vérité, y’en a pas. » (idem, p. 102) ; « Qui sur terre a le droit de nous condamner, de nous dire ce qui est bien et ce qui est mal ? » (Kévin s’adressant à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 323) ; etc.

 

Le personnage homosexuel se met souvent à mépriser les discours sur le vrai : il dit que ce n’est que du blabla, de l’intellectualisme, que « ça le saoule » : « Si chaque fois qu’en bavardages, nous nous laissons dériver, je crois bien que d’héritage, mon silence est meurtrier. » (cf. la chanson « Sans logique » de Mylène Farmer) ; « Les discours trop prolixes, que de la rhétorique ! » (cf. la chanson « Fuck Them All » de Mylène Farmer) ; « Quand se déshabituera-t-on de tout expliquer ? » (Brigitte Bladou interprétant le rôle du compositeur Satie, dans le one-woman-show Érik Satie… Qui aime bien Satie bien, 2009) ; « Il est agréable, de temps en temps, de ne plus penser. » (Didier, le héros hétéro, au moment de passer à l’acte homo, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Tu réfléchis constamment. C’est peut-être ça le problème. Tu devrais peut-être débrancher ton cerveau de temps en temps. Regarder la télé, te relaxer. ’ Jane sourit, se rappelant combien de fois Petra lui avait dit qu’elle gaspillait son intelligence en travaillant dans une librairie. » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 120) ; etc. Énormément de héros homosexuels mentent effrontément. Par exemple, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank, le héros homosexuel, passe son temps à mentir à son psy ; et son compagnon fait de même : « On obtient la vérité qu’en mentant. »

 

Paradoxalement, même si le héros homo nie l’existence de la Vérité, il va faire de son fantasme identitaire/amoureux sa « Vérité profonde ». Une Vérité indiscutable. Par exemple, dans l’épisode 85 « La Femme aux gardénias » (2017) de la série Joséphine Ange-gardien, Albertine, l’héroïne lesbienne, a une liaison avec Lena, une chanteuse noire de jazz, alors qu’elle s’apprête à se marier avec Henri, pour faire un mariage de façade. Lena lui fait un procès au mensonge et à l’esclavage idéologique : « J’épouse Henri pour qu’on soit libres de vivre comme on l’entend. » (Albertine s’adressant à son amante Lena) « En mentant toute ta vie ? En faisant semblant d’être une autre ? » (Lena) « Mais c’est comme ça. J’ai pas le choix. » (Albertine) « Et moi, tu crois que ça m’a pas demandé du courage pour en arriver là ? Est-ce que tu as vu la couleur de ma peau ? Tu penses que c’est facile pour moi ? » (Lena) « Tout ce que je veux, c’est qu’on soit heureuses. » (Albertine)
 

Généralement, ce refus catégorique de la Vérité a pour corollaire la mauvaise foi, l’indifférence, le déni pur et simple, la simulation de déprime : « Ne fais pas attention à moi… » (cf. le poème « Herida… » de Néstor Perlongher) ; « Tu ne pourras rien changer. Côté sombre, c’est mon ombre. » (cf. la chanson « Et tournoie… » de Mylène Farmer) ; « De toute façon, vous ne pouvez rien pour moi. Au-dessus de moi, il y a tout le poids de mon éducation. » (une patiente lesbienne à sa psy dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Peut-être suis-je nympho… Je ne veux pas savoir. » (la voix narrative lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 96) ; « De mes batailles, PaCS et marmaille, ça ne te regarde pas. » (Tania la lesbienne dans la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « Laissez-vous vivre notre histoire : on vous emmerde. » (les amants Matthieu et Jonathan s’adressant au public, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « De toutes façons, tu le sais. » (une amie lycéenne parlant de manière très ambiguë d’homosexualité à son amie Adèle, comme un secret de polichinelle qu’elle lui impose pour la tester, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; etc. Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le doute est présenté comme le plus grand des dangers terrestres par le père 2, l’un des protagonistes homos.

 
 

e) L’autocensure anti-identitaire :

 

C’est surtout contre lui-même que le héros homosexuel dirige sa politique de censure. Il se force à ne pas s’écouter et à étouffer ses idéaux profonds : « La véritable vie d’un être n’est véritablement pas celle qu’il a menée. » (cf. le slogan écrit par Steven, le héros homo, sur le journal de son lycée, dans le film « Get Real », « Comme un garçon » (1998), de Simon Shore) ; « Je voulais des enfants, mais j’ai appris à ne jamais y penser. » (Bernadette, le personnage transsexuel M to F du film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot) ; etc.

 

Il se nie lui-même, par le travestissement, en se coupant de ses racines, ou en vivant une double vie faite de mensonge et de sincérité : « Je suis un homme sans histoire. » (le héros du ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « Je ne crois pas que le passé compte, murmure Simon, après on va rentrer dans des trucs psychologiques, le gourou Freud, tout ça, c’est une secte pour moi. » (Simon le protagoniste homo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 33) ; « Qui entre dans l’Histoire entre dans le noir. » (cf. la chanson « Appelle mon numéro » de Mylène Farmer) ; « Faut-il vraiment chercher à fouiller dans le tiroir des morts ? demanda Jason. Les secrets de nos ancêtres nous appartiennent-ils ? » (Jason, le personnage homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 235) ; « Je me suis métamorphosée, j’ai déchiré la chrysalide à pleines dents, je n’ai fait qu’une bouchée de mon ancien moi, j’ai mué comme un serpent. » (l’héroïne lesbienne du roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 42) ; « Pas de passé, pas d’avenir. » (Johnny Rockfort dans la chanson « Banlieue Nord » de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Je ne suis pas ce que je suis. » (Iago dans la pièce Othello (1604) de William Shakespeare) ; « La discrétion sur ma vie privée était une chose strictement personnelle qu’il fallait protéger. Cette stratégie d’ailleurs avait admirablement bien fonctionné durant toute ma carrière. » (Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 171) ; « Tu ne penses jamais à mettre le passé dans une cave ? » (Tom s’adressant à son amant Peter, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; etc.

 

Dans certaines œuvres homosexuelles, le personnage homosexuel décide même de changer de nom : dans le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent, par exemple, Éric, de retour au village de son enfance, demande à ceux qui l’ont connu petit de l’appeler « Ricky » (ça fait plus fashion…) ; dans le film « Comme un frère » (2005) de Bernard Alapetite et Cyril Legann, Sébastien change de nom et se fait rebaptiser « Zack » ; dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, Molina, le protagoniste homosexuel, veut que Valentín l’appelle « Carmen » ; dans le film « Je préfère qu’on reste amis » (2005) d’Éric Toledano et Olivier Nakache, Claude a pour pseudonyme « Johnny Dep » ; dans le film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka, le héros homosexuel demande à être appelé « X » (difficile de faire plus anonyme…) ; dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, Érik Satie se surnomme « Érika Satie » ; dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, les potes de Joe l’intègrent officiellement à leur club LGBT en jetant aux oubliettes son véritable prénom, et en l’adoubant avec un pseudonyme officiel, « Bromley » ; dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Romain, l’amant d’Alexis, se fait appeler « Zoltan » comme nom de scène (il est acteur de théâtre contemporain)… et en plus, il ne s’appelle même pas Romain à la base, mais Gilbert ! ; dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, homosexuel, est vendeur dans un magasin de vêtements féminins et fait croire qu’il s’appelle « Steeve » ; etc. « Je me suis converti en pseudonyme. » (Harry dans le film « Los Abrazos Rotos », « Étreintes brisées » (2009) de Pedro Almodóvar) Je vous renvoie également au roman Ne m’appelez plus Julien (2003) de Jimmy Sueur, et au film « Le Dénommé » (1988) de Jean-Claude Dague.

 

En général, le héros homosexuel tente de détruire sa propre identité, et donc sa relation à l’autre. Comme dirait le poète Eduardo Milán dans son poème « Errar », « Dire ‘tu’ et ‘je’, c’est entrer au cirque » (Roberto Echavarren, José Kozer, Jacobo Sefamí, Medusario (1996), p. 252). « Je ne voulais pas être photographiée. Ensuite j’ai détruit les rares photos que je n’ai pas pu éviter. » (Fédora par rapport aux photos de son adolescence, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 241) Par exemple, dans le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » de Cassandre, le journal intime est détruit. Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, Goliatha a brûlé les papiers d’identité de sa maîtresse « L. ». Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi, le dossier d’identité d’Irina disparaît. Dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, Gabrielle creuse un trou noir dans son jardin pour y enterrer ses journaux intimes : « Elle jette dans le trou ses cahiers toilés, ses carnets intimes, des lettres de Marc. Elle jette ses années de jeune fille, de femme, de mère… » (p. 124)

 

Avec certains personnages transsexuels, on assiste même à un suicide symbolique : « Miri n’existe plus !!! » (Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi)

 
 

f) Le chemin vers la réflexion sur le désir homosexuel est souvent condamné, au profit de la glorification aveugle de l’amour homo :

 

Très souvent, le déni identitaire des protagonistes homosexuels s’accompagne du déni du désir homosexuel, donc d’une homophobie. « C’est comme un cache-sexe, ce mot ‘gay’. » (Gérard, le héros homo de la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; « Mais non !! Je ne suis pas gay !! » (Jules, le héros homo de la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « J’éprouvais une sorte de terreur à l’idée que mon entourage ou, pis, mon mari puissent connaître mon secret… » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 69) ; « Je sais que nous sommes pareilles et partageons le même secret. » (idem, p. 209) ; « Tout le monde a un secret. Tu es pédé par exemple et nous n’en avons jamais parlé. » (la Comédienne s’adressant à l’Auteur, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; etc. Par exemple, dans la pièce Les Z’héros de Branville (2009) de Jean-Christophe Moncys, Gérard évoque « ce terrible secret » qu’est son « attirance pour les jeunes hommes ».

 

Le personnage – gay ou lesbien – impose un interdit sur la définition même de l’homosexualité : « Quant à savoir pourquoi je suis comme ça ? Je mourrai sans avoir trouvé ne fût-ce que l’ombre d’une explication. » (Suzanne à propos de son homosexualité, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 85) ; « Je ne suis pas homo… ni hétéro, ni bi… J’suis sexuel. » (Laurent dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « L’histoire de ce film est une histoire que j’offre aux homos et aux hétéros pour nous aider tous à comprendre ce qu’il y a derrière ces deux mots, et découvrir qu’il n’y a peut-être rien à comprendre. » (Billy, le héros homo du film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver); « Ne cherchez pas l’erreur que vous auriez commise. Vous n’y êtes pour rien. » (un homo anonyme de 16 ans parlant de son homosexualité à son père, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Trop fière et trop entière, encore. Il fallait m’accepter comme j’étais, un point c’est tout. » (idem, p. 92) ; « Je ne peux pas changer ce que je suis. » (Johnny, le héros homo s’adressant au révérend Ritchie, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; « C’est comme ça et puis c’est tout ! » (Damien par rapport à son homosexualité, dans la pièce Les Deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Nul n’a le droit en vérité de me blâmer, de me juger. Et je précise que c’est bien la Nature qui est seule responsable si je suis un homme oh ! comme ils disent. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « Mourad répondit que ça suffisait comme ça, d’être une bête curieuse, un objet d’étude ou de pitié. Il n’y avait rien à expliquer. La seule chose qu’on pouvait faire, c’était constater le phénomène, et l’accepter en tant que tel. » (Mourad, l’un des deux héros homos du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 352) ; « De toute façon, comme je l’ai déjà dit, je ne possédais aucun argument pour défendre ma sexualité. » (Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 201) ; « En amour, il n’y a pas de règles. » (Harold, l’un des héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Victor aime les hommes. Vous pouvez rien y changer. Et lui non plus, d’ailleurs. » (Serge, l’amant de Victor, s’adressant au père de ce dernier Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc. Par exemple, dans le film « Love And Words », aux yeux de la traductrice, « le désir n’a pas besoin d’être exposé ». Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, la vieille Gwen a une question innocente à poser aux lesbiennes qui viennent d’arriver dans son village, car elle n’y connaît rien à l’homosexualité : elle se fait rembarrer par tout le monde.

 

On remarque quasi systématiquement que la censure imposée par rapport au désir homosexuel est d’abord une auto-censure. Il s’agit de partir en croisade contre toutes les images et les « clichés » qui sont le reflet d’une pratique qui ne veut pas être identifiée. « L’archétype du pédé, un cliché sans visage. » (cf. une réplique de la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « C’est des clichés, tout ça. » (Vincent s’adressant à son ex-compagnon Stéphane, qu’il a trompé en n’assumant pas du tout son acte d’infidélité qu’il présente comme « cliché », dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « On dit que les homos font n’importe quoi. Bonjour le cliché ! » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc. Il arrive même que le personnage homosexuel parle de lui à la troisième personne, pour nier la responsabilité de ses actes et son identité profonde : « Il ne dira pas, non, il ne dira pas que pour cet amour il a ce désir-là. Il ne dira pas, non, il ne dira pas que dans ses bras la nuit il pleure. » (cf. la chanson « Il ne dira pas » d’Étienne Daho) ; etc. Par exemple, dans le film « Cherchez Hortense » (2012) de Pascal Bonitzer, Claude Rich, qui a couché avec des hommes, refuse de se définir comme homosexuel : « Ça fait de moi un homosexuel ? » Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry emploie le langage des signes pour dire son homosexualité, et couronne le processus d’autocensure en disant : « Je suis homosexuel. Je ne l’ai pas choisi. […] Je suis une énigme. Je viens de nulle part. »

 

Il arrive que le héros homo efface aussi les preuves compromettantes de ses actes amoureux homo-génitaux : « Elle conclut en évoquant une encre sympathique, utilisée parfois pour la diplomatie ou les affaires quand elles réclament une certaine discrétion et à laquelle nous pourrions avoir recours. Cette encre est d’un emploi très facile : il suffit de chauffer un peu le papier, dans un petit poêlon par exemple, pour que l’écriture apparaisse. Elle mettra l’écrit le plus important au dos, sur la partie restée vierge. Et elle me demande, une fois lue, de brûler la lettre aussitôt. » (Alexandra, la narratrice parlant de sa cousine lesbienne avec qui elle a couchée, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 77)

 

Paradoxalement, le déni de la nature violente du désir homosexuel est souvent contre-investi dans une glorification de l’amour homosexuel, glorification tout aussi dénégatrice du Réel d’ailleurs : « Ce n’est pas un acte scandaleux, celui que nous commettons. Il ne faut pas raisonner ainsi. Ce serait raisonner faux. Et c’est inutile. […] Nous devrons tout garder secret si nous voulons préserver cette chose en nous. J’accepte d’emblée cette idée du secret qui m’enchante. » (Vincent en parlant de lui et de son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 47) ; « Nul besoin de mots pour exprimer notre bonheur : le silence déployait autour de nous son voile nuptial nous livrant ainsi au gré de nos désirs. » (Ednar en parlant de son amant Dylan, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 38-39) ; « Déshabillez-vous, s’il vous plaît. Ne posez pas de questions. […] Silence ! Tu te tais ! » (Monsieur Chateigner, un client maltraitant Anthony son jeune garçon d’hôtel afin de le forcer à coucher avec lui, dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann) ; « Parce que la Réalité frappe, parce que le silence entre les mots disent davantage que les mots. Ça ne peut pas être péché que d’aimer. Jamais je ne goûterai le regret, plutôt se haïr, se rendre, mourir à la guerre sainte. Ça suffit ! Et alors ? La foi sèchera mes larmes. Sûrement que le soleil s’éteint et que Lucifer me guide, et je serai une ombre comme la Tour de Babel… et ton amour, Père rappelle-toi !! L’Église promulgue que je suis une pédale de merde, si c’est ça mon péché, je suis coupable, comme une infâme Inquisition. Mais je n’ai tué personne. Je ne douterai, je ne douterai pas de moi. Non. Je ne douterai pas de moi. » (cf. la chanson « Madre Amadísima » de Haze et Gala Evora) ; etc.

 

C’est l’amour homosexuel que le personnage homosexuel va présenter comme un flou artistique à applaudir mais à ne surtout jamais éclaircir : « Arrête de vouloir comprendre. J’aime Loïc. Un point c’est tout. » (Guillaume dans la pièce Les Amazones, 3 ans après… (2007) de Jean-Marie Chevret) ; « C’est entre elle et moi, ça ne regarde personne d’autre. » (cf. la chanson « Entre elle et moi » des Valentins) ; « J’aime une femme et ce n’est pas discutable. » (Marion à sa fille Justine dans le téléfilm « La Surprise » (2007) d’Alain Tasma) ; « Je suis comme je suis, un point c’est tout. » (Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 397) ; « Je ne m’interroge plus sur mon homosexualité. Je la vis. » (Robbie dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; etc.

 

Le héros homosexuel, pour se conforter dans sa propre certitude identitaire et amoureuse, se contente de s’auto-citer, dans une tautologie presque risible tellement elle est systématique et peu argumentée : « On y est pour rien Bryan, on est né comme ça, on n’a pas choisi. » (Kévin parlant à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 323) ; « Je suis comme je suis, tu ne me referas pas. » (Bryan à sa mère, idem, p. 336) ; « On est comme on est. La terre est ronde, personne ne se demande pourquoi. Elle est ronde, c’est tout. Pour nous c’est pareil, on est comme on est ! […] On s’aimait déjà et on était déterminés. Il ne manquait plus que l’occasion… On aurait fini par la trouver. » (Bryan, idem, p. 361) ; « Et n’oublie pas, Chance. C’est une illusion dont tu dois convaincre tout le monde. À commencer par toi-même. » (le drag-queen « Claire Voyante » au héros Chance à propos de son homosexualité, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau) ; « Tu es comme ça ou tu ne l’es pas. » (Thierry par rapport à son homosexualité, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « C’est avec les femmes seulement que je puis avoir du plaisir, et quoi que je fasse, rien n’y changera. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 73) ; « J’suis pédé et je le serai toujours. » (Jules, le héros homo de la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « On ne choisit pas qui on est. » (Nina s’adressant en pleurs à George par rapport à l’homosexualité de ce dernier, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; etc.

 

Les remarques extérieures sur son homosexualité sont parfois accueillies par le héros gay dans une tiédeur et une mauvaise foi saisissantes. Par exemple, dans le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron, la mère de Paulo tient à son fils un discours assez jugeant mais cependant réaliste sur les amours homosexuelles : « Vous recherchez tous la même chose. Autre chose que les autres. Vous ne savez pas quoi et vous ne le trouvez pas. Vos aventures ne durent jamais longtemps. Vous passez de l’une à l’autre, et vous vous abandonnez chaque fois entièrement. Et quand c’est fini, c’est dur, c’est éprouvant. Vous n’osez pas en parler. Vous savez en sourire mais on sent que c’est pas facile. » Paulo lui répond, grisé : « On ne peut pas généraliser comme ça. » (qui résonne comme un « … Même pas vrai d’abord… »). Sa mère s’énerve : « Non mais regarde-toi ! ». Paulo s’engouffre alors dans un silence contrarié et boudeur.

 

Le personnage homosexuel s’auto-persuade qu’il est heureux en amour, alors que sa situation est loin d’être idéale : « J’suis heureuse maintenant. J’suis vraiment heureuse. » (Camille, la lesbienne enfermée dans une prison où elle vit une relation lesbienne, dans le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet) ; « Je sens mon cœur contre ton poitrail. […] Je sens le battement qui s’accélère juste un peu. Je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur. » (Vincent à son amant Arthur dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 40) ; etc. C’est même bien souvent son amant qui lui fait du chantage et le réduit à l’omerta. Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Jean force Henri au silence par rapport à ses vols en l’embrassant sur la bouche de force. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo arrive à amadouer et à contrôler son futur amant Johnny en insistant sur l’abandon et le « lâcher-prise »

 

Le héros homosexuel essaie parfois de faire passer sa soumission silencieuse à son amant pour de la confiance ou un merveilleux sacrifice d’amour : « Je veux qu’il sache que ça ne me dérange pas. » (Michael s’obligeant à ne pas être blessé par les multiples infidélités de son amant Ben, dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 78) ; « Ce n’est pas vrai. En fait, je suis assez heureux. » (Franz niant son insatisfaction de couple avec son amant tyrannique, Franz, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; etc. En plus, c’est en embrassant ou en se faisant embrasser sur la bouche par son partenaire qu’il l’empêche ou est empêché de parler, que le non-dit s’approfondit… et que finalement l’homophobie de l’acte homosexuel qui émerge : « Il n’y a pas de mal, je t’assure. » (Sven embrassant Éric, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 96) ; « Toi et moi, on ne s’est jamais rencontrés, ok ? On ne se connaît pas. » (Zach s’adressant à Danny suite à la nuit de sexe qu’ils ont vécue ensemble sans même prendre le temps de se connaître, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; etc.

 

Le personnage homosexuel veut donner à son autocensure l’apparence de l’amour, de la nature : « De tout temps, j’ai toujours eu envie d’avouer mon homosexualité, mais je ne trouvais pas d’explications pour dire pourquoi j’étais homosexuel. Je suis homosexuel, cela ne se justifie pas, et c’est très bien ainsi. D’ailleurs, on ne s’excuse pas de ce qu’on est naturellement. » (Ednar, le héros homosexuel, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 116) ; « Le véritable je t’aime n’est pas sonore. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien. Mais l’amour infini me montera dans l’âme. Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, par la Nature, – heureux comme avec une femme. » (cf. le poème « Sensation » d’Arthur Rimbaud, mars 1870) ; « Je vis avec un homme. Ça ne devrait pas faire toute une histoire. Pas de remous, pas la moindre vague. À peine une chanson. […] Je vis avec un homme et je ne demande à personne de suivre mon modèle. Je ne demande pas qu’on me comprenne ni qu’on trouve ça normal. Seulement de vivre au grand jour avec celui que j’aime. » (cf. la chanson « Avec un homme » de Stéphane Corbin) ; etc.

 

Alors généralement, il prend son air énamouré, en faisant comprendre à son entourage que, justement, ce dernier « ne peut PAS le comprendre » : « Certaines choses sont au-delà des mots. » (une réplique du film « Amour toujours » (1995) de Gabriel de Monteynard) ; « Cette histoire qui nous réunit, elle n’est pas intelligible. Tu aurais beau la raconter avec les mots les plus simples, personne ne la comprendrait. À quoi bon parler ? » (Leo s’adressant à son amant Luca, dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 108) ; « Si un jour il me faut répondre à des questions sur ce qui me reliait à lui, je relaterai cet épisode du jeune homme, et du regard qui a suivi. Mais, bien sûr, personne ne comprendra. Ils emploieront des mots simples, des mots de tous les jours, pour parler de nous. Mais ce ne seront pas les mots qui conviennent. Non pas qu’il soit besoin de mots compliqués ou de formules alambiquées, mais il s’agit de viser juste, de ne pas se tromper. Eux se tromperont. Ils racontent une histoire et nous en aurons vécue une autre. » (idem) ; « Voilà, ça vient de se produire devant nos yeux, cet homme de quarante-cinq ans et ce garçon de seize viennent de se rejoindre, sans un mot, sans un geste. Il n’est presque rien arrivé. Nous aurions pu ne pas le voir, passer à côté et, pourtant, c’est bien là, ce lien spécial, ça s’est fait, ça s’est construit, c’est saisissant. » (Philippe Besson, En l’absence des hommes (2001), p. 22)

 

On ne peut que constater le lien entre silence et narcissisme orgueilleux : « Le silence me rend presque belle. » (Lise dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) Et pourtant, il n’y a pas de quoi tirer une quelconque fierté du mensonge…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Beaucoup de personnes homosexuelles exigent le silence et le secret autour de leur homosexualité, et parfois du viol qu’elles ont subi :

 
 

a) Le silence sur le viol :

 

Dans énormément de témoignages de personnes homosexuelles, le déni du viol (pas uniquement homosexuel) est clair (cf. à ce sujet, je vous renvoie à cet article très intéressant ; et bien évidemment au code « Viol » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Elles ont souvent intégré le discours de leurs violeurs ou des personnes qui les ont fait souffrir : « Ce qui est arrivé, oublie-le. Je ne tiens pas à ce que cela se sache et encore moins à ce que tu le prennes comme la naissance d’un amour véritable. Vous êtes ‘toutes’ les mêmes. » (un ex-amant parlant à Berthrand Nguyen Matoko du viol qu’ils se sont fait subir, dans l’autobiographie de ce dernier, Le Flamant noir (2004), p. 72) ; « Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 13) ; « La masturbation paraît bénigne quand se posent des problèmes de viols et de relations homosexuelles. Sur ce point, c’est l’omerta, la loi du silence. » (Père Jean-Philippe Chauveau à propos du milieu carcéral, dans son autobiographie Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 289) ; etc.

 

Elles reprennent à leur compte et intériorisent le diktat social de l’enfouissement de leur blessure. « Même lorsqu’à la fin j’eus mal, je n’ai rien dit, comme si j’avais déjà compris que tout cela devait rester secret. (Cette chose qui n’avait pas de nom.) » (Christophe Tison, Il m’aimait (2004), p. 14) ; « Il ne faut pas punir J. » (Gilles justifiant son violeur, dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, op. cit., p. 177) ; « Je ne jugeais pas ce comportement abominable. […] Ce secret m’accompagna pendant longtemps. Ce qu’il y avait de merveilleux dans celui-ci, c’était ces moments de plaisir charnel qui se liaient facilement au travail qui lui avait été confié. » (Berthrand Nguyen Matoko, parlant d’un viol qu’il a subi, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 36) ; « Cette expérience m’était à tel point incroyable que, je préférais me taire, craignant sans doute de passer pour un être anormal et déséquilibré. Mais rien ne pouvait jamais m’ôter l’absolue certitude, que je n’avais pas rêvé ni été victime d’une hallucination. J’étais la victime et le témoin, c’est sûr, la cible d’un amour impossible. » (idem, p. 70) ; « J’étais très naïf et idiot, m’attachant à l’argent, et à une sorte de défi qui m’empêchait de dénoncer ma propre honte. » (Berthrand Nguyen Matoko par rapport au cercle vicieux de la prostitution, op. cit., pp. 113-114) ; « J’ai continué à participer aux réunions du groupe de parole d’hommes de Lyon. […] À plusieurs reprises, certains ont essayé de faire naître un débat sur le viol dans nos réunions. À chaque fois, les échanges se centrèrent autour du viol symbolique, du corps imaginaire… Les hommes ne parlaient pas d’eux, mais dissertaient sur le concept de viol. » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin (1988), p. 184) ; « Le viol est une affaire d’hommes contre les femmes ? La discussion sur le viol est difficile chez les hommes, la prescription de rôles tendant à faire apparaître un discours où le corps est absent, une expression désincarnée. » (idem, p. 188) ; « Patrick m’a dit, en entretien, qu’il a déjà été violé par un homme, mais je ne me reconnais pas le droit de le dire. Dépositaire de secrets en tant qu’ethnographe, ce n’est pas la première fois que je vis cette situation. » (idem, p. 185) ; « Curieusement, chez les hommes du stage d’été, notamment chez les hommes se déclarant homosexuels exclusifs, seul un homme mentionnera le désir homosexuel comme une des causes possibles de ces agressions. » (idem, pp. 178-179) ; « La majorité d’entre nous a déjà subi des discriminations. Dans tous les pays d’Europe la loi interdit les discriminations liées à l’orientation sexuelle. Dans ce cas, pourquoi aussi peu de victimes se défendent-elles ? » (Peter Gehardt, ironique, dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; etc.

 

Lors de son concert au Sentier des Halles le 20 novembre 2011, le chanteur Hervé Nahel fait allusion à « ce silence qui pèse trop lourd depuis l’enfance ». Pendant l’interview publique que j’ai soumise à l’écrivain Jean-Claude Janvier-Modeste aux Troisièmes Rencontres Culturelles de Tjenbé Rèd le 11 octobre 2011 au Théâtre du Temps à Paris, l’auteur a nié catégoriquement une quelconque influence des trois viols pédophiles qu’il a vécus pendant son enfance sur son homosexualité d’adulte. Hallucinant.

 

DÉNI 6 copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Elles se forcent à banaliser et à taire le viol qu’elles ont subi, ou le fantasme de viol qu’elles ressentent en elles-mêmes. « On n’a jamais vu une femme en violer une autre. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 108) ; « Je n’aurai jamais été fidèle, même si, quand je faisais l’amour, j’étais tout donné à la personne. Je ne me suis jamais attaché. Et je n’en ai jamais souffert. » (le papy fermier homosexuel dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « J’ai déjà été violé trois fois, sans violences particulières, c’est pas forcément important… tu acceptes… […] J’en n’ai jamais parlé, même pas à L. (X années de vie commune). C’est pas banal. Il y a de la honte. C’est pas loin de la mort. C’était pas spécialement désagréable, en dehors de l’image que l’on a de soi. […] J’ai pas l’impression de m’être fait violer, ça aurait pu dériver… Il y avait un potentiel de violence possible, c’était une époque où moi, j’étais proche de la mort. […] C’est pas loin de nous, le viol. Le viol, c’est la violence et le reste. Chaque rapport est plus ou moins bien négocié, marqué par ces histoires-là. Ainsi, lors de… [un voyage avec des amis communs] … c’était une histoire en partie homosexuelle. Eh bien moi, je veux pas… et c’est en lien. » (Richard, homme homosexuel violé, cité dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, pp. 185-186) ; « Malgré les problèmes qu’elle m’a posés, je crois que mon orientation sexuelle serait la même, qu’il y ait eu abus sexuel ou non. » (Justin, 34 ans, homosexuel, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 252) ; « Ils sont revenus. Ils appréciaient la quiétude du lieu où ils étaient assurés de me trouver sans prendre le risque d’être surpris par la surveillante. Ils m’y attendaient chaque jour. Chaque jour je revenais, comme un rendez-vous que nous aurions fixé, un contrat silencieux. […] Uniquement cette idée : ici, personne ne nous verrait, personne ne saurait. […] Dans le couloir, je les entendais s’approcher, comme les chiens qui peuvent reconnaître les pas de leur maître parmi mille autres, à des distances à peine imaginables pour un être humain. » (Eddy Bellegueule parlant de ses deux agresseurs au collège, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 38) ; « Le grand roux et l’autre au dos voûté me mettent un ultime coup. Ils partaient subitement. Aussitôt ils parlaient d’autre chose. » (idem, p. 41) ; « Je ne sais pas si les garçons du couloir auraient qualifié leur comportement de violent. » (idem, p. 42) ; « J’étais un efféminé qui méritait les coups. Je ne voulais pas que la surveillante me retrouve dans le même couloir, recroquevillé, le regard implorant – même si, je l’ai dit, la plupart du temps j’essayais, sans toujours y parvenir, de garder le sourire quand ils me frappaient. » (idem, p. 88) ; « J’ai senti son sexe chaud contre mes fesses, puis en moi. Il me donnait des indications ‘Écarte’, ‘Lève un peu ton cul’. J’obéissais à toutes ses exigences avec cette impression de réaliser et de devenir enfin ce que j’étais. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, idem, pp. 152-153) ; « Ce n’est pas un trouble. C’est une construction singulière de l’identité. » (Dr Agnès Condat, pendant le débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; etc.

 

Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, ne semble avoir aucune intériorité : il a du mal à parler, est très introverti, ne peut pas dire ce qu’il ressent, n’a aucun avis sur rien. Il répète sans arrêt « Je ne sais pas ». Quand il est triste ou bien souffre, il a du mal à pleurer (« Je ne sais pas pourquoi je pleure. Les hormones… »), à extérioriser ses émotions ; quand il sourit, c’est très crispé. Il semble être « sans-désir », et ne sait pas qui l’attire amoureusement (a-t-il une libido ? On ne dirait pas). Son psychologue, en entretiens réguliers, essaie de le faire parler, et fait le constat qu’à tous les patients transgenres qu’il suit, il doit « tirer les vers du nez » tellement c’est difficile d’en tirer quelque chose et tellement la souffrance n’arrive pas à sortir. Il finit même par tenter de se couper le sexe aux ciseaux. Et le pire, c’est qu’il finit par déclarer à son papa bobo (Mathias) que ce qu’il vit, ce n’est « que du bonheur ». Il présente l’opération de réassignation de sexe comme la panacée. Il ne supporte pas que son propre père s’inquiète pour lui et lui pose des questions, lui demande comment ça va. Ce dernier finit par s’énerver de la censure filiale : « Je te demande comment ça va parce que tu ne me dis jamais rien ! ». À un moment donné, à une soirée « entre filles », il est encerclé par ses camarades féminines danseuses, chapeautées par la cruelle Loïs, qui le somment de se déshabiller devant elles et de leur montrer son sexe : « Montre ! Montre ! Montre ! », dans une scène d’une grande humiliation. Il ne parlera pas de ce viol collectif à son père par la suite, et s’enfermera dans le déni jusqu’au bout.
 

Le viol, en brisant certaines personnes homosexuelles, leur donne paradoxalement une impression d’unité. C’est le déni qui fournit temporairement l’illusion que les morceaux sont recollés. « Yves explique que lui aussi a été violé. Il l’a accepté en tant ‘qu’acte qui m’ouvrait des portes’. […] Pour Yves, c’est à ‘une époque innocente, une ouverture’, dont il a tiré profit par la suite. ‘Je découvrais le monde sexuel, je ne m’y attendais pas, j’étais pas éveillé : 14 ans, une situation où j’étais en dépendance, en voyage, l’autre avait la bourse…[…] quelqu’un du spectacle, il avait une aura, il existait une fascination, une séduction… […] Il n’y a pas eu de consentement, mais ça a été pour moi un rite initiatique. Le mec avec qui j’ai eu des soucis, je le considérais un peu comme mon père… » (Yves, homme homosexuel violé, cité dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, pp. 185-186)

 

Le déni du viol peut laisser place à la rêverie béate : « Nous fîmes un détour par le collège de son enfance. […] Nous fûmes reçus par le proviseur qui se souvenait de Didier et qui nous permit de visiter l’internat. Je vis qu’il voulait surtout me montrer le dortoir. Des dizaines de petits lits blancs étaient alignés dans une immense salle sombre. Il me désigna le sien puis la petite chambre du surveillant, près de la porte. Il fit des allusions à ce qui se passait la nuit dans ces dortoirs. Je compris alors, sans qu’il le dise clairement, qu’il avait subi ici la même chose que moi. Mais étrangement, il était enjoué et avait l’air de trouver que c’était un bon souvenir. » (Christophe Tison parlant de Didier, l’homme qui a abusé de lui, dans son autobiographie Il m’aimait (2004), p. 59)

 

Si la réflexion sur le désir homosexuel est souvent empêchée, celle sur les liens de coïncidence entre le désir homosexuel et le viol l’est encore plus ! : « L’abus sexuel n’a rien à voir avec les identités ou les orientations sexuelles, affirmées ou présumées, des protagonistes, mais plutôt avec le contexte de relation. » (Michel Dorais, Ça arrive aussi aux garçons (1997), p. 19) ; « Les malaises entourant les abus sexuels au masculin ne sont pas pour amenuiser la confusion des garçons. Certains n’arrivent que difficilement à dissocier abus sexuel et initiation (homo)sexuelle. Un garçon qui se perçoit comme étant d’orientation homosexuelle ou bisexuelle a donc plus de difficulté encore à divulguer les abus qu’il a subis. D’une part, parce qu’il craindra qu’on ne lui reproche d’avoir recherché ces contacts, puisque les relations entre hommes, il est censé aimer ça ; d’autre part, parce qu’il craindra d’accabler injustement un aîné qui l’a, d’une certaine façon, initié sexuellement et qui lui a permis, le cas échéant, de découvrir la ‘vraie nature’ de son orientation sexuelle. » (Michel Dorais, Ça arrive aussi aux garçons (1997), pp. 145-146) ; « Comment faut-il prendre les livres de Marcela Iacub ? […] Le pas vers la banalisation du viol est vite franchi en avançant que les victimes dramatisent de manière exagérée le vécu. » (Rennie Yotova, Écrire le viol (2007), p. 88) ; etc. Par exemple, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), Natacha Chetcuti reste très allusive quant à l’« association d’un éventuel désir homosexuel avec les violences sexuelles subies dans l’enfance et dans l’adolescence. » (p. 69)

 
 

b) Le silence « innocent » et béat :

 

Il est énormément question du secret dans les discours des personnes homosexuelles ou des personnalités auxquelles elles s’identifient : « On me reproche toujours mon prétendu silence, mais le silence est ma nature profonde. » (Mylène Farmer dans la revue Paris Match, n°2741, le 6 décembre 2001) Je vous renvoie par exemple au documentaire « Le Silence de Lesbos » (1996) de Guylaine Guidez, à l’album « La Pudeur » d’Oshen, et à cette soudaine mode bobo pour l’éloge de la pudeur.

 

Elles cultivent le mystère autour d’elles : « Ne serait-il pas temps que je cesse aussi de parler ? » (la phrase de conclusion d’un exposé de Michel Foucault dans son essai Dits et écrits I, 1954-1988 (2001), p. 996) ; « On peut affronter un pouvoir par attaque ou par défense : mais le retrait, c’est ce qu’il y a de moins assimilable par une société. » (Roland Barthes, Grain de voix, 1981) ; « Il ne faut pas essayer de comprendre. » (Barbie Breakout, un homme dragqueen interviewé sur le succès d’Helen Fisher auprès du public gay, dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Je ne pense pas que Copi remue seulement de la boue, car il exprime des pensées profondes sur l’amour, la mort et les limites du désir. […] Il fait entendre une voix plus profonde. » (Alfredo Arias dans l’article « Alfredo Arias sur les escaliers du désir » de Marion Thébaud, dans le journal Le Figaro, publié le 8 janvier 1990) ; « Y’a pas de secret. Personne ne comprend. » (Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, parlant de la transidentité, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; « J’aime pas dire que je suis trans. Ça ne regarde personne. » (Laura, homme M to F, idem) ; etc.

 

Par exemple, Roland Barthes, justement, définit lui-même son œuvre comme une « feinte indécidable » (Roland Barthes, « Lucidité », dans son essai Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 111). Sa démarche littéraire consiste à « s’avancer masqué en montrant son masque du doigt. » (idem, p. 61) Le chanteur Étienne Daho reprend exactement la même image dans sa chanson « Retour à toi » en s’identifiant à cet « étranger qui avance masqué en attendant sa chance ». Le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini qualifie son cinéma de « mystère médiéval insoluble ». Quand on lui demande des détails sur son passé, le poète argentin Néstor Perlongher répond ironiquement qu’il ne « veut pas révéler de secrets » (Néstor Perlongher, « 69 preguntas A Néstor Perlongher », cité dans le recueil d’articles Prosa Plebeya (1997), p. 20).

 

Le silence est présenté par beaucoup de personnes homosexuelles comme quelque chose de positif, de relaxant, voire de courageux. Il ressemble en réalité à une anesthésie, à une fausse paix, à une autocensure, à la méthode Coué (le « Je vais bien, tout va bien » du dépressif ou du pervers), à l’infantilisation : « Tout va bien se passer. » (Caroline Fourest par rapport au « mariage gay », dans l’émission Mots croisés d’Yves Calvi, sur le thème « Homos, mariés et parents ? », diffusée sur la chaîne France 2 le 17 septembre 2012) ; « J’aime la vie avec passion, j’en ai saisi toutes les opportunités au moment où elles se présentaient, je ne regrette rien de ce que j’ai vécu et j’espère avoir encore de belles années devant moi. » (cf. les dernières lignes de l’introduction de l’autobiographie Mauvais genre (2009) de Paula Dumont, p. 12) ; « Il me rendait triste. Jamais j’ai été aussi triste de ma vie. Et paradoxalement, j’ai jamais été aussi heureux de ma vie. » (André par rapport à son amant Laurent, avec qui il a vécu pendant 10 ans, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « On a marché. On ne s’est pas dit grand-chose. C’était bien. Merveilleusement bien. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 48) ; « Tu m’abandonnais. Tu partais. Dix minutes après, je courais après toi dans les rues du 18e arrondissement. Rue de Clignancourt. Boulevard de Barbès. Rue Doudeauville. Rue… Et le petit pont. Et le petit banc. Tu étais là. Tu m’attendais là. Assis sur le petit banc. Je te rejoignais. Et on regardait ensemble les trains de la gare du Nord passer. Dans le silence. » (Abdellah Taïa écrivant à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 120) ; « Tu es l’homme le plus compliqué de la terre, tu le sais bien. » (Laurent s’adressant à son amant André pour le faire taire, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Bon, évitons de la jouer mélodramatique. » (André parlant à Laurent, et s’auto-censurant, idem) ; « Ce qui vous arrive n’arrive pas. Ce qui se passe n’est pas en train de se passer. » (Celia, la conservatrice de musées séduisant Bertrand, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc. Par exemple, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la comédienne transgenre F to M achève son spectacle barbu et en se mettant des boucles d’oreilles de diva, avec un « Et alors ? » qui lui fait quitter la salle. Fin en jus de boudin.

 

Certaines personnes homosexuelles confèrent au déni du viol ou à leur silence vis à vis de leur souffrance une valeur presque sacrée : « Je vais de métamorphoses en métamorphoses, de masques en masques, avec l’arrière-pensée d’épuiser tous mes doubles jusqu’à me rencontrer un jour seul, face-à-face, démasqué, devant mon âme éternelle. » (François Augiéras, Une Adolescence au temps du Maréchal et de multiples aventures, 1968) ; « La poésie n’est pas communication… Le poète fait des vers qui ne se comprennent pas. » (cf. l’article « Poesía Y Éxtasis » (1990) de Néstor Perlongher, dans le recueil d’articles Prosa Plebeya (1997) de Néstor Perlongher, p. 149) ; « Ici les femmes sont debout, parfois perdues, bousculées par la vie, mais toujours au cœur des films. Ces lesbiennes existent pour et par elles-mêmes. Elles ne servent pas de faire-valoir à un autre personnage, elles ne questionnent pas leur orientation sexuelle, elles sont femmes, elles sont lesbiennes mais ça ne suffit pas à faire un film, et c’est cet au-delà, ce plus, cet autre chose qui m’a plu. » (Marie Labory dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 10) ; « Le clown, il peut tout être. Le clown, il est au-delà. » (la femme transsexuelle F to M interviewée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) ; etc.

 

Beaucoup de critiques rentrent dans leur jeu en nous faisant croire au mythe du « Génie homosexuel » irrationnel, dont le silence est « génial » : cf. l’essai Ojo De Loca No Se Equivoca (2002) de Leopoldo Alas. « C’est sûr, il existe un Mystère Farmer… » (cf. la phrase de conclusion de la biographie de Mathias Goudeau Mylène Farmer, le Mystère (2003), p. 5) ; « Il n’y a pas de limites dans ce que Waters peut filmer. » (Didier Roth-Bettoni, L’Homosexualité au cinéma (2007), p. 303) ; « On ne sait pas si le groupe le plus célèbre de l’histoire de la pop aurait atteint le succès si un regard homosexuel ne s’était pas posé sur lui. » (cf. l’article « Brian Epstein » à propos du manager homosexuel des Beatles, dans l’essai Para Enterdernos (1999) d’Alberto Mira, p. 265) ; « Sans égard aucun pour l’authenticité, pour la vérité ou une quelconque intériorité, Warhol est l’artiste du pur invisible. » (cf. l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 495) ; « Un film d’animation qui oscille entre une histoire concrète et l’expression abstraite d’émotions complexes mises en images. Car parfois, face à de telles préoccupations, les mots ne suffisent plus. » (cf. le descriptif du court-métrage « Casse-Tête » (2009) de Dana Bubakova, dans la brochure du 16ème Festival Chéries/Chéris au Forum des Images de Paris, du 12 au 21 novembre 2010) ; etc.

 

Par exemple, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz est qualifié par la revue Variety comme « le film le plus bizarre qui ait jamais été fait par un studio américain ». Dans le reportage « Vies et morts de Andy Warhol » (2005) de Jean-Michel Vecchiet, Andy Warhol est même comparé au Christ. Dans son essai Folles de France (2008), Jean-Yves Le Talec présente le camp comme une « énergie » incroyable, une « force » inintelligible (p. 120). Dans l’émission « Autour de Jean Cocteau » (2004), Noël Simsolo et Dominique Païni se mettent d’accord pour penser que le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville est un « mystère » : ils font de Jean Cocteau un ange, un prophète dont on ne peut pas comprendre le message « transcendant ». Tamara Kamenszain dit du poète homosexuel Néstor Perlongher qu’« il incarne un point d’interrogation auquel on ne peut répondre », un mystère complet (cf. l’article Poemas Completos (1997) de Tamara Kamenszain, dans le recueil d’articles Poemas Completos (1997) de Néstor Perlongher, p. 367).

 

Le silence sur l’homosexualité prend la forme du soi-disant universalisme souriant entre hétérosexualité et homosexualité (cf. l’autobiographie Everybody’s Autobiography (1937) de Gertrude Stein), universalisme particulièrement prôné dans les films actuels venus des États-Unis. Sur la base du film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2004) de Frank Oz, une amie intellectuelle, fine analyste de la société nord-américaine actuelle, me décrivait avec grande justesse la censure imposée par les gens « hétéros gays friendly » à l’encontre des personnes homosexuelles : « Les Américains n’aiment pas les homos qui souffrent ; un homo ne peut être que ‘gay’ ( = gai, joyeux, de bonne humeur) – c’est d’ailleurs probablement pour cette raison que le mot a été choisi pour signifier homosexuel. C’est à ce niveau que se situe un autre basculement dans une homophobie aussi insidieuse que réelle : comme il symbolise la vie sexuelle rêvée des Américains (libre, volage, préoccupé de son look, de sa forme physique et de son hygiène, amusant, frivole, riche), l’homo n’a pas droit à la souffrance. Elle lui est interdite. C’est que, si la personne homosexuelle souffre, c’est tout le modèle de pensée américain libertin-libertaire qui s’effondre. »

 

En plus de la culture du mystère, c’est surtout la bonne intention sentimentaliste (« l’amour », « le désir d’enfant », « la sincérité », « l’optimisme » et « le refus de la culpabilité) qui vont servir de censure. Par exemple, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015, Bruno et Christophe, en « couple », se sont lancés dans l’achat d’un enfant avec une mère porteuse aux Etats-Unis, mais se rendent compte que l’opération (qui leur coûtera 100 000 euros au total) s’avère onéreuse, complexe et surtout violente. À un moment, les protagonistes de cette farce sérieuse craquent, ans s’avouer les véritables raisons du craquage. « Pourquoi tu pleures Christophe ? » demande la journaliste en voix-off. Christophe se force à cacher son véritable remord pour le travestir en optimisme forcé : « Parce que je suis très heureux. Et que dans notre pays, on ne nous laisse pas vivre cette joie-là. » (Christophe) Plus tard, la culpabilité revient et est refoulée tout aussi vite qu’elle fut lancinante : « On n’aurait pas dû. » dit Bruno ; « C’est fait. » lui rétorque sèchement son amant Christophe.
 

Concernant la transsexualité et la réalité de la « réassignation de sexe », on a à faire à une véritable propagande du bonheur : « Cette transition est la source d’un vrai bonheur. » (la voix-off par rapport à Jackie, homme M to F qui s’appelle initialement Jacques, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) Il y a un déni total des suicides, de l’isolement des personnes transgenres, des risques d’embolies, de cancers, de dépendance aux drogues, de l’exploitation et de la corruption, de la prostitution, des ratages d’opérations. La haine du corps, les problèmes du passé, les viols qui motivent l’opération, sont cachés. Les personnes transgenres deviennent les consommateurs de leur propre mal-être, les dindons de la farce, la manne pour les coiffeurs et les chirurgiens : on voit tous les professionnels exploiter leur dépression. Les transgenres sont entourés de fausse amitié. Au lieu du discours « L’important c’est ton bonheur et que tu trouves l’amour » dirigé aux personnes homosexuelles, avec les transgenres, on leur dit « L’important, c’est que tu te sentes bien, que tu sois bien dans ta tête et dans ton corps/ta peau. »
 
 

c) Le silence effrayant, amusé, ou basé sur le paradoxe :

 

DÉNI 4 Rocky

Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman


 

Je vous renvoie au documentaire « Sex Change : Shock ! Horror ! Probe ! » (1989) de Jane Jackson, au livre de photographies de Christian Girard (avec notamment une photo « Attention chien méchant »), etc.

 

Parfois, les personnes homosexuelles se divertissent de leurs messes basses, en invoquant l’excuse de l’humour cynique queer : « Si toutes les filles qui ont été abusées sexuellement dans leur enfance devenaient lesbiennes, ce serait vraiment la fête pour moi ! » (l’humoriste lesbienne Océane Rose-Marie, dans l’émission Dans les yeux d’Olivier, « Les Femmes entre elles », d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq, traitant de l’homosexualité féminine et diffusée le 12 avril 2011 sur la chaîne France 2) ; « Je ne pense pas qu’on puisse comprendre la sexualité. De quoi s’agit-il ? Cela demeure un mystère, et c’est pourquoi c’est excitant. » (Robert Mapplethorpe cité dans l’essai Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 322) ; « Lèche-moi tranquille » (cf. un jeu de mots potache dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) ; « Je veux scandaliser les purs, les petits enfants, les vieillards par ma nudité, ma voix rauque, le réflexe évident du désir. » (Claude Cahun, Aveux non avenus, 1930) ; « Choquant ? Pour les homophobes. » (cf. une affiche de Journée Mondiale contre l’Homophobie, en France) ; « On a passé un temps à convaincre les gens de ne pas chercher de messages dans nos chansons. On n’a rien à dire. C’est une chanson idiote qui est faite pour s’amuser. On cherchait un truc nouveau et amusant. On venait de faire ‘YMCA’ et ‘Macho Man’. Et on voulait se marrer à faire autre chose. Et on s’est dit ‘Pourquoi pas la marine ?’. Parce que l’armée nous aurait botté le cul ! (rires) » (les Village People à propos de leur chanson « In The Navy », dans le documentaire « Sex’n’Pop, Part IV » (2004) de Christian Bettges) ; « Le ‘camp’ est un esthétisme qui ne se prend en aucun cas pour une épiphanie de la vérité. » (cf. l’article « Camp, homosexualité, cinéma » de Patrick Lavallé, dans l’essai CinémAction : Cinémas homosexuels (1983), p. 14) ; « La transgression, c’est toujours quelque chose qui m’intéresse. Dans la vie. Dans mon travail. Et c’est quelque chose que j’aime dans la culture gay en général. C’est de vraiment twister les choses, de les rendre différentes. Et en fin de compte qu’arriver à coder quelque chose, je trouve que c’est assez drôle. » (Michel Gaubert interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc.

 

Par exemple, dans l’essai L’Homosexualité au cinéma (2007) de Didier Roth-Bettoni, à chaque fois qu’il est fait référence au camp ou au queer, le discours s’oriente vers une hilarité forcée et qui n’interprète rien. L’autocensure homosexuelle vient fréquemment dans les écrits par le recours à la satire (cf. Gertrude Stein, Djuna Barnes, Michèle Causse, etc.). Dans son essai Para Enterdernos (1999), Alberto Mira tourne en ridicule le cliché qui associe désir homosexuel et nazisme pour ne pas l’analyser : « En plus, tout le monde sait que les nazis étaient homosexuels, n’est-ce pas ? » (p. 116)

 

La censure du viol se présente de temps à autre sous le masque du jeu relativiste : « Mes mentors me firent découvrir une réalité nouvelle, […] une conception ludique du sexe et, en général, de la vie. » (cf. l’article « Misión Cumplida » de Leopoldo Alas, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 151) ; « Un film ou une revue pornographiques n’ont jamais tué personne. » (Senta Berger dans le documentaire « 68, Faites l’amour et recommencez ! » (2008) de Sabine Stadtmueller) ; etc.

 

Le déni d’actes prend alors la forme de la confidentialité ludique ! Par exemple, dans les flyer de certains speed-dating lesbiens (= rendez-vous galants « improvisés »), organisés par le site www.lesbianspeedating.com, le ton est donné : la nouvelle bourgeoisie se retrouve dans un secret très bien gardé : « Lesbian Speed Dating : Rendez-vous chic pour femmes urbaines. Speed dating réservé exclusivement aux femmes. Discrétion assurée. L’endroit sera divulgué 24 h avant l’événement… »

 

L’« humour » en question sert de cache au viol ou au libertinage, comme une défense (cf. je vous renvoie au code « Humour-poignard » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ce génie pour la découverte de formes absurdes, tragi-comiques de l’art théâtral fonctionnait comme une sorte de baume qui cicatrisait les blessures causées par ces rencontres violentes. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 16) ; « J’ai été victime d’un viol à Marseille, tard dans la nuit. Je n’aime pas le simplisme d’un certain féminisme qui déclare que tout viol est une chose atterrante… Je serai même assez affreux pour dire que je l’ai bien vécu… C’est-à-dire que j’ai compris de quelle misère était fait cet Arabe qui m’a coincé dans un coin. C’est comme si c’était une mauvaise drague qui avait mal tourné. Je n’ai pas porté plainte contre lui. Non, j’ai causé avec lui. On est même allé boire un verre après (rire)… J’ai offert une bière à mon violeur. » (Gilles, homme homosexuel violé, cité dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, pp. 182-183) ; « Mais maintenant que tu as parlé… je me suis retrouvé dans une situation un peu bizarre, mais que je ne pourrais pas taxer de viol. Je me suis réveillé en train de me faire masturber par un mec alors que je dormais… Je l’ai envoyé chier et ça s’est arrêté là. C’est marrant maintenant… Je n’aurais pas mis ça, à l’époque, dans le cadre du viol… et pourtant c’est de cet ordre-là. » (un témoin homosexuel cité dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, p. 201) ; etc.

 

Puis peu à peu, la drôlerie du déni laisse place à l’agacement et à la menace ludique. Beaucoup d’auteurs homosexuels décident d’intimider l’enquêteur indiscret de leur souffrance : « On ne devrait pas prendre au pied de la lettre les détails qu’il nous offre sur sa vie et les situations qu’il décrits dans ses romans ‘autobiographiques’ : en général ce ne sont que les preuves d’une volonté de se créer une image qui change selon les époques et ses intérêts personnels. […] Quasiment rien chez Retana n’est symbolique. » (Alberto Mira au sujet de l’arrogant dandy Álvaro Retana, dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), pp. 156-158)

 

Manuel Puig, le romancier argentin, refuse de prendre connaissance du contenu du livre de Susan Sontag sur le camp : « C’est comme si j’en avais peur, ou peur de prendre conscience de certaines choses dont j’ai seulement l’intuition, ou peur de ne pas être d’accord et de sentir qu’elle tripote des choses que j’aime » confiera-t-il à Emir Rodríguez Monegal (cf. l’article « El Folletín Rescatado, Entrevista A Manuel Puig » (1972), dans Revista De La Universidad De México, vol. XXVII, n°2, octobre 1975, pp. 25-35)

 

Dès le début de la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi (mise en scène par Cyrille Laïk et Suzanne Llabador à l’Auditorium du Conservatoire du 19e arrondissement Jacques Ibert le mardi 9 mars 2010), la comédienne qui jouera Irina nous prévient que nous allons assister à un spectacle qui n’est qu’une « énorme blague ».

 

De la part de nombreux créateurs homosexuels, on a droit à la même injonction : « Circulez ! Y’a rien à voir ! » : « À la fin de ce film, je pense que vous n’aurez rien à en dire. Je crois que ça se passera de commentaires… » (cf. les mots prononcés par la compagnie italienne Motus juste avant la projection du film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma », « Salò ou les 120 journées de Sodome » (1975) de Pier Paolo Pasolini, et entendus à Rennes au cinéma le TNB en avril 2004) ; « Le monde se fissure, et le mystère s’épaissit… » (cf. la phrase de conclusion du documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Si le film que vous allez voir vous paraît énigmatique et incohérent, il en est de même de la vie. Il est répétitif comme la vie, sujet à de multiples interprétations. L’auteur déclare n’avoir pas voulu jouer avec les symboles, du moins sciemment. Peut-être que l’explication de ‘L’Ange exterminateur’ est que, rationnellement, il n’y en a pas. » (cf. l’avertissement écrit par Luis Buñuel juste avant la première projection de son film « L’Ange exterminateur » au Mexique en 1962, cité dans le mémoire La Imagen-Pulsión En ‘El Ángel Exterminador (2002-2004) de Caroline Chétail, p. 5) ; « Je déteste l’introspection. Pourquoi jeter en pâture ce qui est au tréfonds de nous ? Cela tient généralement de la poubelle. La forme dramatique se suffit à elle-même. […] Mon spectacle ne propose aucun symbole érotique. » (Copi par rapport à sa pièce Frigo, dans l’article « Au Festival d’Automne : Copi sur le ring » publié dans le journal Le Figaro du 8 octobre 1983) ; etc.

 

Par exemple, pour leur exposition Un Monde parfait (2006), les photographes Pierre et Gilles avaient installé un avertissement sur la porte d’entrée de la Galerie Gérard de Noirmont qui indiquait ceci : « Attention ! Des œuvres peuvent choquer un public sensible ». Juste avant la projection du film « Trannymals Go To Court » (2007) de Dylan Vade, Jihan Ferjan demande aux spectateurs de ne pas remettre en question l’« identité transsexuelle ».

 

Comme elles constatent que leur déni terrorisant attise encore plus la curiosité de la foule, certaines personnes homosexuelles trouvent une autre stratégie pour faire oublier leur viol ou leur souffrance : elles font preuve de chantage aux sentiments, jouent la carte du cynisme et de l’indifférence à elles-mêmes, surjouent le débordement d’émotions. « Je voudrais que vous me fassiez un petit peu confiance quand je dis que je n’attache pas à ce que je dis ou à ce que je fais une importance très grande. » (Michel Foucault, « Radioscopie de Michel Foucault », entretien avec J. Chancel en 1975, dans l’essai Dits et écrits I, 1954-1988 (2001), p. 1668)

 

L’autre stratégie que mettent en place certaines personnes homosexuelles pour ne pas avoir à révéler leur (fantasme de) viol, c’est celui du paradoxe : « Ce qui emporte tout, c’est la saveur du paradoxe. » (Roland Barthes dans son essai Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 93) ; « Si, plutôt que d’admettre avec complaisance sa citoyenneté dans la doxa, la pensée pratiquait méchamment le biais du paradoxe ? » (Michel Foucault, Dits et écrits I, 1954-1988 (2001), p. 956) ; « Manuel Puig joue avec toutes les formes d’inversions et affirme par la négation. » (Lionel Souquet, Le Kitsch de Manuel Puig (1996), p. 88) ; « Est-ce que la contradiction est une valeur artistique, un espace ? » (le journaliste homosexuel posant des questions creuses et peu assurées à Bertrand Bonello, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc. Dans son article « Poesía Y Paradoja » sur l’essai Historia De La Literatura Gay (1998), Gregory Woods sacralise la figure des poètes gay qui « usent du paradoxe comme d’une arme et d’un bouclier contre un monde qui place l’hétérosexualité comme unique sexualité naturelle et saine. » (p. 389)

 

Elles disent tout et son contraire pour ne pas avoir à se positionner et à ouvrir la bouche : « Je suis un pessimiste optimiste » (Jean Cocteau cité par l’article « Le Journal de l’inconnu » de Gérard de Cortanze, dans Magazine littéraire, n°423, septembre 2003, p. 55) ; « Je suis un menteur qui dit toujours la vérité. » (toujours Jean Cocteau, cette fois en épigraphe de Portraits Souvenir) ; « Saint Laurent était capable de creuser de la profondeur derrière la couleur des choses, si profond à force d’être superficiel. » (Pierre Bergé à propos de son couple avec Yves Saint Laurent, dans la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 54) ; « L’erreur seule enseigne la vérité. » (Jean Genet, cité dans l’article « Physique de Genet » de Philippe Sollers, sur le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 42) ; « Je ne voulais pas qu’on voie que je venais à peine d’être une nouvelle fois rejeté. Que je m’étais trompé. Je ne voulais pas me donner en spectacle. J’avais envie d’errer, de respirer la nuit seul, de traverser cette ville où, depuis que j’avais quitté le Maroc poursuivant des rêves cinématographiques, je me redécouvrais heureux et triste, debout et à terre. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 45) ; etc.

 

Par exemple, le poète espagnol Luis Cernuda pratique l’« affirmation de l’utilité par l’inutilité. » (Armando López Castro, Luis Cernuda En Su Sombra (2003), p. 28) Dans son essai Performance, Género Y Transgénero (2000), Roberto Echavarren tient pour réelle et naturelle « une légèreté de l’esprit qui n’était pas programmée mais qui pourtant se produit grâce à la versatilité des milieux, la technique et l’habitude. Ce qui paraissait auparavant inadmissible et incompréhensible, opaque, acquiert sa propre possibilité et certitude. » (p. 315)

 

Quelqu’un qui est très fort pour simuler narcissiquement le désintérêt à soi-même, c’est l’acteur bobo Laurent Delpit. Juste avant la projection du docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider lors du 18e Festival Chéries-Chéris d’octobre 2012 au Forum des Images de Paris, il a déclaré que ce film « racontait une histoire toute simple », alors qu’à l’évidence l’idylle amoureuse vécue par les deux protagonistes est super compliquée. Et pendant sa brève interview, il a passé son temps à esquiver les questions, en faisant passer son discours laconique pour de la timidité : « Je ne suis pas certain que mon point de vue soit très utile. »

 

L’homme paradoxal adore et hait les paradoxes (sinon, il ne serait pas paradoxal !) : « Formations réactives : une doxa (une opinion courante) est posée, insupportable ; pour m’en dégager, je postule un paradoxe ; puis ce paradoxe s’empoisse, devient lui-même concrétion nouvelle, nouvelle doxa, et il me faut aller plus loin vers un nouveau paradoxe. » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 71) ; « Le vrai jeu n’est pas de masquer le sujet, mais de masquer le jeu lui-même. » (idem, p. 127)

 
 

d) Le silence impérieux et ennemi de la Vérité :

 

Bien souvent, après avoir plané, le déni homosexuel se radicalise en ordre. Un certain lobby LGBT isole, particularise, contextualise et personnifie à outrance des faits violents pour empêcher les conclusions gênantes à son sujet. Par exemple, afin de nier le lien de coïncidence entre nazisme et désir homosexuel, est avancé l’argument relativiste du danger de la généralisation : « Tous ces parcours n’en restent pas moins relativement individuels, ou plutôt individualisables. » (cf. l’article « Écrivains et collaboration » d’Emmanuel Pierrat dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, pp.123-124) ; « Tout individu doit jouir de sa vérité, de sa nature, de sa liberté. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles montrent clairement leur opposition à la Vérité, réalité qu’elles présentent comme un « concept » abstrait et inaccessible… parce qu’au fond elles vivent encore de l’illusion de La posséder et de La garder pour elles : « On ne peut pas être baroque sans tomber dans la spirale de l’interrogation. » (Tamara Kamenszain, Historias De Amor (1995), p. 122) ; « Je ne voulais pas faire un film sur le ‘pourquoi elle fait ça ?’ : c’est juste un film d’action. Pas un film psychologique. » (Céline Sciamma, pendant l’avant-première de son film « Tomboy », au Cinéma Gaumont Opéra Premier à Paris le 14 avril 2011) ; « On ne sait jamais rien. » (Denis, le héros homosexuel du docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « C’est le mensonge qui me vient naturellement quand je fais mes livres. La vérité devait se loger ailleurs, emprunter une autre forme. » (Philippe Besson interviewé dans la revue Têtu, n°202, septembre 2014) ; etc.

 

En bons relativistes, elles éclatent la Vérité en une multiplicité de subjectivités, de « petites vérités individualistes » qu’on ne pourrait plus relier entre elles, de points de vue incritiquables et « tolérables » : « N’allez pas prendre au pied de la lettre mon ‘Art poétique’ de Jadis et Naguère, qui n’est qu’une chanson après tout. Je n’aurai pas fait de théorie. C’est peut-être naïf ce que je dis là, mais la naïveté me paraît être un des plus chers attributs du poète, dont il doit se prévaloir à défaut d’autres. » (Paul Verlaine en 1890, cité par Jean-Michel Maulpoix dans l’article « Poétique de la chanson grise », sur le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 43) ; « La réalité, c’est une somme des points de vue subjectifs sur la réalité. » (Christophe Bigot, lors de sa conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon, à la Mairie du IIIème arrondissement le 18 novembre 2010) ; etc. Par exemple, dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand se targue d’être « sans préjugés ».

 

Le jugement des actes est confondu avec le jugement des personnes. « Nous vous étonnez pas de ne pas entendre la Communion Béthanie s’exprimer sur des sujets de société : ouverture du mariage aux personnes de même sexe, homoparentalité. Ce n’est pas sa vocation d’en débattre, non pas par désintérêt, mais par fidélité à notre mission contemplative qui consiste à assurer l’urgence de la primauté de la prière. […] Nous misons sur l’accueil inconditionnel des personnes, en nous abstenant de tout jugement sur leur choix de vie, dans le respect de leur parcours. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 154) ; « Des préjugés qu’on croyait disparus ressurgissent. » (la voix-off à propos des premières années Sida, dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se mettent souvent à mépriser les discours sur le vrai : elles disent que les « interprétations » ou la réflexivité d’une œuvre ne sont que du blabla, de l’intellectualisme, que « ça les saoule ». Par exemple, les interprètes de la pièce Une Visite inopportune de Copi, jouée au Théâtre de la Colline en 1988, diront en conclusion : « Le spectateur prendra la pièce comme il l’entend. ».

 

Généralement, ce refus catégorique de la Vérité a pour corollaire la mauvaise foi, l’indifférence, le déni pur et simple, le mensonge, la censure : « Qu’on le veuille ou non, le mariage homosexuel, il faut qu’il arrive. C’est évident. » (Patrick Pelloux dans l’émission Des clics et des claques du 27 septembre 2011 sur la radio Europe 1) ; « C’est difficile d’expliquer la sensibilité ‘camp’ : ils y en a qui l’ont, d’autres qui ne l’ont pas. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 537) ; « Je ne pense pas qu’un débat contradictoire ait de l’intérêt pour les questions d’homoparentalité. » (Dominique Boren, co-président de l’APGL, dans l’émission Débat de midi de Thomas Chauvineau sur la radio France Inter, le lundi 16 juillet 2012) ; etc.

 

Ce qui est inquiétant, ce sont les nombreux dénis de Réel (à cause des bonnes intentions) qui poussent carrément les personnes homosexuelles à mentir. Nous pouvons le voir dans les cas de coming out, de formation de « couples » homosexuels improbables, et même lors des débats récents sur l’adoption, l’homoparentalité, la PMA et la GPA : « Qui est-ce qui vous a dit qu’il y avait une différence d’âges ? » (Xavier, 67 ans, parlant du « couple » qu’il forme avec son copain Guillaume, 30 ans, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne)

 

Par exemple, lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA » donnée à Sciences-Po Paris le 7 décembre 2011, Darren Rosenblum, qui a obtenu une petite fille par GPA, est totalement dans le déni de Réalité : « Je me sentais enceinte. » dira-t-il devant tout son auditoire (et même pas pour de rire, en plus !) Ils ont joué, son copain et lui, à la loterie avec « leur » enfant puisqu’ensemble, ils ont cherché à se cacher (et à cacher, pour le coup, à « leur » fille) quel est le spermatozoïde qui a fécondé l’ovule. « On ne voulait pas savoir qui était le père biologique. On sait maintenant qui est le père biologique, mais on garde le secret. »

 
 

e) L’autocensure anti-identitaire :

 

C’est surtout contre elles-mêmes que les personnes homosexuelles dirigent leur politique de censure. Elles se forcent à ne pas s’écouter, et à étouffer leurs idéaux profonds. Elles se nient plus ou moins ouvertement en se coupant de leurs racines, en cherchant à effacer leur passé, et en vivant une double vie faite de mensonges sincères : « Marcel Carné s’est toujours plu à cacher sa vie privée. » (Edward Baron Turk, Marcel Carné et l’âge d’or du cinéma français 1929-1945, 2002) ; « En fait, je suis discret sur ce sujet, c’est qu’il relève de la vie intime, qu’il ne regarde que moi et, surtout, qu’il n’y a pas grand-chose à en dire ! » (Jean-Claude Brialy à propos de son homosexualité, Le Ruisseau des Singes, Éd. Robert Laffont, Paris, 2000, p. 414) ; « Mon passé se dissout, je fais place au silence. » (Paul Éluard cité dans l’autobiographie On m’a volé ma vérité (2001) de Jean-Luc Romero, p. 27) ; « Le secret, c’est le passé. » (Tennessee Williams cité dans le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003) ; « Rosario Miranda n’aime pas revoir les albums de photos anciennes, parce qu’il a horreur de se voir habillé en homme. » (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 228) ; « Marguerite Yourcenar ‘entre’ – ce qui est encore assez rare pour un auteur vivant – dans la Bibliothèque de la Pléiade. Elle pose des conditions assez inadmissibles, si l’on s’en tient à l’esprit des volumes de la Pléiade, mais Gallimard ne lui refuse plus rien : elle impose que l’édition ne comporte aucun appareil critique autre que ses préfaces et postfaces personnelles. On reconnaît là la volonté qu’on a vu cent fois à l’œuvre chez Marguerite Yourcenar : tout contrôler et ne pas permettre que l’on juge son travail, ses retouches, ses corrections. » (cf. l’article « Chronologie » de Josyane Savigneau, dans le Magazine littéraire, n°283, décembre 1990, p. 26) ; « Elle était presque autodestructrice avec ceux qui essayaient d’écrire sur sa vie ou sur son œuvre. » (la biographe de la sculptrice Louise Bourgeois, dans le film documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) d’Amei Wallach et Marion Cajori) ; « J’ai envie d’effacer toute ma vie d’avant. » (Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; « Partout où il passe, il efface son prénom. » (la voix-off, idem) ; etc.

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles (Lucien Daudet, Philippe Jullian, Pierre Loti, etc.) aiment/aimeraient changer de nom, soit pour la fantaisie du pseudonyme, soit par haine de soi et de ses origines. « Je détestais mon prénom. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 34) Marcel Proust, par exemple, demandait instamment à ses amis de ne pas l’appeler par son nom propre qui lui semblait peu euphonique, pour ne pas dire carrément catastrophique. À l’adolescence, Yukio Mishima décida de changer de nom (il s’appelait à l’origine Kimitake Hiraoka). Radclyffe Hall, la première femme lesbienne véritablement médiatisée, portait monocle et cravate, et se faisait appeler « John ». Les travestis ont presque tous la manie du pseudonyme. Álvaro Retana écrit ses premiers textes en 1911 dans le journal El Heraldo de Madrid sous le pseudonyme de « Claudina Regnier ». Federico García Lorca refusait qu’on enregistre sa voix. « Federico est un être anhistorique. » (Francisco García Lorca, Federico Y Su Mundo (1980), p. 137) Marcelle Auclair, dans Enfances et mort de García Lorca (1968), nous raconte qu’il mentait constamment sur son âge (p. 35). Virginia Woolf détestait qu’on la photographie et piqua une grosse colère lorsque Victoria Ocampo introduisit chez elle, en 1939, Gisèle Freud. Pierre et Gilles ne dévoilent jamais leur nom de famille, ni leur âge. C’est la date de la rencontre qui fait office d’acte de naissance : 1976. En épitaphe à son autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Roland Barthes écrit : « Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman. » D’ailleurs, il ne dit pas « je » mais parle de lui à la troisième personne… comme la caricature d’Alain Delon !

 

Beaucoup d’auteurs homosexuels (Thibaut de Saint Pol, Wystan Hugh Auden, Oscar Wilde, Marcel Proust, etc.) refusent l’emploi du « je » dans leur écriture. Michel Foucault défend une « œuvre sans auteur, sans personne derrière » (Michel Foucault, Dits et écrits I, 1954-1988 (2001), p. 689). Manuel Puig entraîne le lecteur sur le « chemin de l’impersonnel » (José Amícola, Manuel Puig Y La Tela Que Atrapa Al Lector (1992), p. 28). Allen Ginsberg affirme qu’il ne désire pas être quelqu’un, ni même Allen Ginsberg. Jaime Gil de Biedma se dresse contre lui-même en écrivant « Contra Jaime Gil De Biedma » (1968), poème dans lequel son double schizophrénique casse l’identité du poète. Jean Cocteau pense que « Victor Hugo était fou parce qu’il disait qu’il était Victor Hugo ». Le premier roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis (qui s’appelle pourtant bien Eddy Bellegueule dans la vraie vie) est une déclaration ouverte de suicide avec soi-même et son passé prolétaire (le nouveau pseudonyme choisi est d’une bourgeoisie on ne peut plus redondante !) : « De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. » (cf. la première phrase du roman, p. 13) L’auteur avoue lui-même en interview qu’il a souhaité à travers son livre « rompre avec ce qu’on avait fait de lui pour se réinventer ». Philippe Besson, dans ses romans, utilise la troisième personne du singulier pour marquer encore plus son refus de la recherche du « lien autobiographique » dans ses écrits (l’adjectif possessif de son roman Son Frère, publié en 2001, est à ce titre assez évocateur de cette autocensure). Roberto Echavarren appelle au « dépassement des différences et des identités », à la « destruction du visage » (Roberto Echavarren, Performance, Género Y Transgénero (2000), pp. 20-24 ; p. 190) : « Il ne s’agit pas de trouver l’identité de celui qui écrit, parce que l’écriture, nomade, singularise des devenirs transversaux à n’importe quelle identité. » (Roberto Echavarren, « Lo Que Está En El aire », 1998, sur le site www.lamaga.com.ar, consulté en janvier 2004) Néstor Perlongher défend « un désir de ne plus être, un désir de rupture avec l’identité » (Néstor Perlongher, « Poesía Y Éxtasis » (1990), dans le recueil Prosa Plebeya (1997), pp. 150-151). Tennessee Williams emploie souvent ce que la théorie gay littéraire a appelé la « stratégie Albertine » (en référence au personnage de Proust) qui consiste à changer le sexe du regard désirant ou de l’objet de désir pour occulter l’orientation sexuelle de l’auteur ou d’un de ses personnages. Juan Goytisolo s’attaque à la notion de Réalité et d’individualité. Il s’agit pour lui de « refuser l’identité, (de) recommencer à zéro » (Nicole Réda-Euvremer, La Littérature espagnole au XXe siècle (1998), p. 57). Bien souvent, les personnes homosexuelles confondent l’identité avec la carte d’identité (cf. les premières images du film « Happy Together » (1997) de Wong Far-Wai, le roman Pièces d’identité (1966) de Juan Goytisolo, etc.). « Quand je pense au mot ‘identité’ me viennent à l’esprit les mots ‘empreintes digitales’, ‘carte d’identité’ et toutes ces choses paranoïaques. » (Néstor Perlongher, « El Deseo De Unas Islas » (1982), dans le recueil Prosa Plebeya (1997), p. 185) L’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti regorge d’aphorismes queer (lexique de l’auto-« construction », de la déconstruction identitaire).

 

« Vous pouvez tout raconter, mais à condition de ne pas dire ‘je’. » (cf. les propos de Marcel Proust rapportés par André Gide dans son Journal, 1887-1925) ; « Comment se nommer alors que les seuls mots pour le faire sont inadéquats ? » (Line Chamberland, Mémoires lesbiennes, citée dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 5) ; « Il y a quelque paradoxe à traiter Marcel Proust sous l’angle de la biographie, lui qui fonda, apparemment, sa théorie ‘contre Sainte-Beuve’ sur le refus de l’explication de l’œuvre par les épisodes et les incidents de la vie de l’auteur. » (cf. la première phrase de l’introduction au dossier consacré à Marcel Proust, dans le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 16) ; « Je, moi, me, mon, ma, mes… ou tout est dans tout, ou rien ne vaut la peine qu’on en parle. » (Marguerite Yourcenar, Les Yeux ouverts (1980), entretiens avec M. Galey, p. 218) ; « Pour Cernuda, l’idéal serait d’être inconnu, sans identité. » (Armando López Castro, Luis Cernuda En Su Sombra (2003), p. 35) ; « Masculin ? Féminin ? Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. » (la photographe lesbienne Claude Cahun, citée dans l’exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries à Paris en juin 2011) ; « Je me pose des questions, moi qui ai toujours crié sur les toits n’avoir aucun problème d’identité. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 16) ; etc.

 

DÉNI 5 copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Michel Foucault est un farouche opposant à la nomination de l’identité personnelle : « Si j’ai choisi l’anonymat, ce n’est donc pas pour critiquer tel ou tel, ce que je ne fais jamais. C’est une manière de m’adresser plus directement à l’éventuel lecteur, le seul personnage ici qui m’intéresse : ‘Puisque tu ne sais pas qui je suis, tu n’auras pas la tentation de chercher les raisons pour lesquelles je dis ce que tu lis ; laisse-toi aller à te dire tout simplement : c’est vrai, c’est faux. Ça me plaît, ça ne me plaît pas. Un point, c’est tout.» (Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988 (2001), p. 925) En partant du principe que « l’individu est le produit du pouvoir », il s’agit de « désindividualiser » au maximum le discours (idem, p. 136). « J’essaie de répondre sans me référer à la conscience, obscure ou explicite, des sujets parlants ; sans rapporter les faits de discours à la volonté de leurs auteurs ; sans invoquer cette intention de dire qui est toujours en excès de richesse par rapport à ce qui est dit. » (Michel Foucault, Dits et écrits I, 1954-1988 (2001), p. 709) ; « Il faut penser la pensée comme irrégularité intensive. Dissolution du Moi. » (Michel Foucault, Dits et écrits I, 1954-1988 (2001), p. 957)

 

En général, les auteurs homosexuels (homosexuellement pratiquants) se placent hypocritement hors de leur texte ou de leurs créations, tels des Dei ex machina qui n’ont rien contrôlé : « L’idéal c’est de donner l’impression que la pièce n’a jamais été écrite. » (Jérémy Patinier, Les Hommes aussi parlent d’amour (2011), p. 25) ; « Lorsque j’écris un roman […], il s’écrit presque tout seul, après quoi je l’oublie, car je ne garde pas en mémoire mes romans. » (le dramaturge Copi, dans l’article « Copi : ‘Je suis un auteur argentin même si j’écris en français.’ : Entretien avec Raquel Linenberg », dans le journal La Quinzaine littéraire du 16 janvier 1988) ; etc.

 

Certains artistes gays contemporains (Renaud Camus, Guillaume Dustan, Érik Rémès, Cy Jung, etc.) inventent la « biographie sexuelle », l’autre pendant de la « littérature sans auteur » (le roman Tricks (1979) de Renaud Camus pourrait ici faire figure d’archétype). L’exhibition obligatoire, l’être-pour-le-sexe et le refus de la vie privée, que ces écrivains s’imposent, sont une autre forme d’autocensure identitaire, puisque cette fois, la voie narrative se regarde de trop près pour se voir en vérité et pour se donner réellement. « L’introversion comme l’extraversion est souvent la face cachée qui couvre le même drame. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, en épitaphe de son autobiographie Un Fils différent (2011), p. 9) Parfois, l’utilisation systématique et vindicative du « je » (par exemple, Christine Angot, pendant la 6e Nuit Blanche de Paris à la Librairie Les Cahiers de Colette, le 6 octobre 2007, défendra le « je » – « Je’, c’est l’attaquant. » – parce que précisément elle n’a pas grand chose à lui faire dire…) masque une autocensure qui s’ignore.

 

En général, les personnes homosexuelles tentent de détruire leur propre identité, et donc leur relation à l’autre. Par exemple, Pierre Loti détruisit ses journaux intimes. Jean Genet s’est toujours opposé à l’idée d’une biographie et il avait fait promettre à ses amis de garder le silence sur lui. Michel Foucault a caché son Sida : l’écrivain Jean-Paul Aron le lui reprochera (« C’était un silence de honte, pas d’intellectuel. »). Marcel Jouhandeau brûla ses journaux intimes : « C’était moi-même que je détruisais. Mais je le voulais. » (Marcel Jouhandeau, dans l’émission Apostrophe diffusée le 22 décembre 1978 sur la chaîne Antenne 2) Céleste Albaret, la dévouée gouvernante de Marcel Proust, fit disparaître sur ordre de ce dernier trente-deux de ses carnets. Avant de s’être assurée du silence de ses proches et d’avoir un droit de regard sur les livres actuels qui parlent d’elle, Mylène Farmer s’est d’abord farouchement opposée aux biographes (Bernard Violet, Jean-Claude Perrier, Jacques Cheminade, … ; elle fait retirer de la vente la biographie de Patrick Milo en 1989). Maintenant, les biographies sur elle peuvent pleuvoir et sont même tacitement encouragées par un effacement très étudié. « Je suis à la lettre une vieille recette de star : je n’explique rien, vous devinez tout, et j’entretiens le mystère… » (Mylène Farmer citée dans la biographie Mylène Farmer (2004) de Bernard Violet, sur le site www.fnac.com, consulté en juin 2005) Même quand certains sujets homosexuels écrivent concrètement leurs mémoires, ils disent qu’ils rédigent des fictions : « Je ne considère pas du tout l’entreprise générale de ce livre comme une autobiographie. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 98)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, en voulant fuir l’identité à la fois en tant que concept et en tant que réalité, s’identifient à l’actrice iconoclaste qui refuse son image médiatique de « fille trop sage comme une image » (cf. Madonna, Bette Midler, Mélissa Mars, Liza Minnelli, etc.) et qui passe le plus clair de sa carrière à massacrer le star system où elle veut pourtant rester à tout prix.

 

Les actrices anti-matérialistes ou les chanteuses insolentes qui « ne veulent pas être des stars » (cf. le spectacle musical Une Étoile et moi (2009) d’Isabelle Georges et de Frédéric Steenbrink, le roman Mi Novia Y Mi Novio (1923) d’Álvaro Retana, les chansons « Mes Rêves » d’Isa Ferrer, « My Love Don’t Cost A Thing » de Jennifer López, « J’envoie valser » de Zazie, « I Don’t Wonna Be A Star » de Corona, « I Outta Love » d’Anastacia, « Une Femme » d’Anggun, « Overprotected » de Britney Spears, « Substitute For Love » de Madonna, la publicité du parfum « J’adore : L’Absolu » de Christian Dior, etc.) sont souvent des icônes gay : « Je veux qu’on sache que je n’ai jamais été à l’initiative d’un fan-club. Je n’adhère pas au culte de ma personnalité. » (Mylène Farmer interviewée dans la revue Paris Match, n°2741, le 6 décembre 2001) Yolanda (le vrai prénom de Dalida) détestait son image, et disait qu’il fallait « tuer Dalida » (cf. le documentaire « Dalida » (2004) de Jean-Pierre Devillers et Éric Beaufils) : « Je veux être libre de moi-même. » (l’actrice interprétant la chanteuse Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) Marilyn Monroe, en voulant détruire la star qui était en elle, s’est suicidée.

 

Les personnages créés par les auteurs homosexuels imitent souvent ces actrices iconoclastes : « Je me moque de la presse. » (Orphée dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) ; « Je ne veux pas être une star. Vous ne comprenez pas. Je ne suis pas une star ! » (Élie Kakou dans son one-man-show Élie Kakou au Point Virgule, 1992) Pensons à Sarah Morton, la fameuse romancière du film « Swimming Pool » (2002) de François Ozon, qui refuse de se faire reconnaître dans le métro, ou bien à Guy, le célèbre tennisman du film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, qui ne veut plus être repéré dans les trains. Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Luc souffre d’être confondu dans la rue avec son personnage de « zozoteux » dans la série B où il joue à la télévision.

 
 

f) Le chemin vers la réflexion sur le désir homosexuel est souvent condamné, au profit de la glorification aveugle de l’amour homo :

 

Très souvent, le déni identitaire s’accompagne du déni du désir homosexuel. La plupart des personnes homosexuelles – gays ou lesbiennes – et leurs suiveurs imposent un interdit sur la définition même de l’homosexualité, et font finalement preuve d’une grande homophobie : « Ça n’intéresse que moi et pas les autres. » (Fabrice à propos de son homosexualité, dans le documentaire « Les Garçons de la piscine » (2009) de Louis Dupont) ; « Choix ou destin, accident ou style de vie, l’homosexualité est plurielle. Toute proposition qui vise à l’unifier et à la réifier, mène à l’impasse. » (Élisabeth Badinter, X Y de l’identité masculine (1992), p. 169) ; « C’est un film où la question de l’homosexualité ne se pose pas, et c’est là le principal attribut de sa modernité. » (Didier Roth-Bettoni concernant le film « My Beautiful Laundrette » de Stephen Frears, dans son essai L’Homosexualité au cinéma (2007), p. 549) ; « Autre chose dont il faut se défier, c’est la tendance à ramener la question de l’homosexualité au problème du ‘Qui suis-je ? Quel est le secret de mon désir ?’. Peut-être vaudrait-il mieux se demander : ‘Quelles relations peuvent être, à travers l’homosexualité, établies, inventées, multipliées, modulées ?’ Le problème n’est pas de découvrir en soi la vérité de son sexe, mais c’est plutôt désormais de sa sexualité pour arriver à des multiplicités de relations. » (Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie », 1981, dans l’essai Dits et écrits II, 1976-1988 (2001), p. 982) ; « L’homosexualité est toujours éclatée et conflictuelle. » (Didier Éribon, Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003), p. 12) ; « Il n’existe pas de dénominateur commun essentiel et permanent qui unisse les homosexuels entre eux […], ils n’ont, en soi, rien en commun, aucun lien interne qui les rende ‘semblables’ entre eux. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 19) ; « Le cinéma des homosexuels ne peut pas – ne devrait pas – se réduire à un cinéma homosexuel ! […] Terence Davies un cinéaste de l’indicible. » (cf. la critique du film « The Long Day Closes », « Une longue journée qui s’achève » (1991) de Terence Davies par Pierre Philippe dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris en octobre 2013, p. 85) ; « Je ne me suis pas dit : je vais traiter l’homosexualité parce que c’est quelque chose qui m’intéresse. Pour tout dire, ça ne m’intéresse pas davantage que l’hétérosexualité. Ce qui m’intéresse, c’est la sexualité. J’ai fait attention en écrivant le scénario de ne pas traiter de l’homosexualité, mais plutôt de la sexualité. Je ne comprends pas pourquoi on met un préfixe à la sexualité. […] Il était donc hors de question de tomber dans ‘Je vais faire un film sur…’. » (le cinéaste Jean-Claude Guiguet à propos de son film « Les Passagers » (1999) au magazine Ex-Æquo en mai 1999) ; « L’homosexualité est une chose importante, mais les homosexuels ne sont pas très intéressants. » (Jean-Christophe Bouvet dans l’essai Le Cinéma français et l’homosexualité (2008) d’Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni, p. 240) ; « Je ne parle pas d’homosexualité, je parle de sexualité différente. » (le cinéaste Jacques Nolot au Magazine Sub, pendant le tournage de son film « La Chatte à deux têtes » en 2001) ; « Patrice Chéreau et André Téchiné sont tout sauf des ‘cinéastes gays’. » (Anne Delabre, Didier Roth-Bettoni, Le Cinéma français et l’Homosexualité (2008), p. 226) ; « Je ne pensais pas devoir décrire mon protagoniste en tant qu’homosexuel ou hétérosexuel. Pour moi, il est queer. Dominik n’a pas besoin de se décrire. » (Jan Komasa, le réalisateur du film « Sala Samobójców », « Suicide Room », 2011) de Jan Komasa) ; « Je suis né comme ça. Je suppose. Je ne me pose pas la question. » (le papy fermier homosexuel dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « C’était un garçon charmant, affectueux, mais sa discrétion excessive m’agaçait, et pour cause ; c’était un Antillais ‘pures sucres’. Rarement dans la journée nous sortions ensemble. Il avait toujours cette crainte de tomber sur une connaissance et de devoir se justifier. Le plus embêtant était que ce garçon n’avait jamais l’esprit tranquille par rapport à cette homosexualité qui le perturbait. […] À la longue, je ne supportais plus ses jérémiades ; malgré tous mes efforts, je finis par lâcher prise. En vivant si mal son homosexualité, Hugo se mettait de fait dans la catégorie des homosexuels limite homophobes. En effet, il n’est pas rare de rencontrer ce genre de personne dans la communauté ; c’est même fréquent aux Antilles. » (Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, racontant sa rencontre avec Hugo dans un club privé, pp. 177-178) ; « Quand j’ai découvert cette homosexualité, je ne me suis pas posé de question. » (Laurent Kerusoré, l’acteur homo du série Plus belle la vie, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Love And Words » (2007) de Sylvie Ballyot, selon la Traductrice (voix-off), « le désir n’a pas besoin d’être exposé ».

 

Certains réalisateurs homosexuels, qui jadis avaient défendu leur visibilité homosexuelle, se mettent à cracher sur les prix gays qui leur sont décernés. C’est le cas par exemple de Xavier Dolan. Et le pire, c’est qu’ils font passer leur attitude homosexuellement correcte (car toute personne homosexuelle fait cela : la marque de fabrique du désir homosexuel, c’est de se renier tout en s’annonçant et en se pratiquant) pour anti-homosexuellement correcte, pour universelle et pour non-conventionnelle.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles pratiquantes, pour ne pas reconnaître la violence et la responsabilité des actes que leur fait poser leur désir homosexuel, partent en croisade iconoclaste contre les clichés utilisés par ce dernier pour se dire : « Une image peut mentir plus que 1000 mots. » (cf. l’article « Orgullo De Informar » Fernando Olmeda, dans l’ouvrage collectif Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 143) ; « Les clichés ont la vie dure ! » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 256) ; « Les clichés ont la vie dure ! » (Didier Roth-Bettoni, L’Homosexualité au cinéma (2007), p. 335) ; « Durant les débats télévisés, pourquoi un prêtre pour parler d’homosexualité ? Qu’est-ce qui légitime sa prise de parole ? De même, pourquoi un psychiatre ? Pourquoi une telle focalisation sur la ‘mère d’homosexuel’ ? […] Sa présence est une concession au stéréotype psychanalytique associant l’homosexualité à une fixation à la mère. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 425) ; « La 17e édition a la couleur de l’audace, de la créativité, et défend une cinéphilie LGBT rigoureuse et plus que jamais au-delà des clichés. » (Pascale Ourbih, président transsexuel M to F, ayant rédigé l’éditorial de la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris) ; « Les stéréotypes sont très vivaces, même s’ils ne s’expriment pas directement. […] Ils sont encore vivants. » (Florence Tamagne pendant la conférence-débat « L’Homosexualité, un genre à part ? » organisée au Grand Auditorium de la Bibliothèque François Mitterrand le 20 janvier 2009) ; « Free Fall‘ parvient à échapper à tous les clichés. » (cf. la critique du film « Free Fall » (2013) de Stephen Lacant dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 26) ; « Contrairement à la majeure partie des séries dans lesquelles on croise des personnages gays, il n’est pas question ici de coming out, d’acceptation de sa sexualité ou du regard de la société sur l’homosexualité. Non, dans la série Looking, les personnages sont juste homos et on n’en fait pas une affaire d’État. […] L’homosexualité est traitée comme un détail et non l’essentiel des thématiques. Elle est loin des caricatures. » (cf. l’article « Looking sur HBO » dans le Nouvel Observateur, consulté en octobre 2014) ; « Mon travail, c’est de permettre aux élèves de surmonter leurs préjugés. » (Tristan, le prof d’anglais hétéro, dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel) ; etc. Par exemple, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, diffusée le 3 avril 1969, Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, s’en prend à « la série de clichés » sur « les » homos, et prône « l’absence de préjugés… pour mieux justifier une pratique homo qui n’en porte pas le nom. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, « un hétéro et un homo se découvrent amoureux. Sans clichés, ni préjugés, il franchiront toutes les étapes avec beaucoup d’humour ».

 

On remarque que la censure imposée par rapport au désir homosexuel est d’abord une auto-censure. « Tatoué comme une bête à l’abattoir, je revêtais désormais une beauté étrange et maladive dans le grand silence de mon secret […]. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant à la fois de son viol et de son homosexualité, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 70) Je vous renvoie à ce propos au titre du documentaire « Je suis homo : et alors ? » diffusé 13 février 2007 sur la chaîne Arte.

 

Par exemple, en septembre 2013, Pierre Palmade, l’humoriste français, juste après avoir dit à la radio MFM et sur Facebook que son homosexualité le rendait « triste », a dit qu’il cherchait à « banaliser l’homosexualité » et que les causes de la communauté homosexuelle l’indifféraient (« Qu’ils se démerdent ! »).

 

Une des marques les plus tangibles de cette auto-censure homosexuelle ET homophobe, c’est l’usage de l’expression « homo mais pas gay ». En effet, beaucoup de personnes homosexuelles font hypocritement la fausse distinction entre l’adjectif « homo » et l’adjectif « gay », comme s’il y avait deux « milieux » homos : un chaste et un dépravé, un authentique et l’autre communautariste : « Je suis de sensibilité homosexuelle. » (l’écrivain Ron l’Infirmier dans l’émission Homo Micro diffusée le 12 février 2007 sur Radio Paris Plurielle) Tout pour ne pas regarder leur désir homosexuel en face et les actes violents qu’il leur fait poser.

 

Il arrive même que les personnes homosexuelles parlent d’elles-mêmes à la troisième personne du singulier : « Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, regardez seulement la surface : de mes peintures, de mes films et de moi, et me voilà. Il n’y a rien derrière. » (Andy Warhol cité par l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 495) ; « Vous me demandez si je préfère être appelé ‘lui’ ou ‘elle’, et je réponds que vous faites comme vous voulez, ça m’est égal. » (l’acteur Akihiro Miwa jouant dans le film « Miwa : à la recherche du lézard noir » (2010) de Pascal-Alex Vincent, et s’exprimant sur la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris) ; etc.

 

L’effacement du passé, de l’identité ou de l’homosexualité est régulièrement justifié par la victimisation, ou bien la diabolisation des temps anciens. « Si les homosexuels désirent le mariage, c’est qu’après tout ils reviennent d’une longue infamie, de siècles d’infamie, et qu’ils ont envie de rayer cette infamie, et qu’ils ont envie d’être reconnus. […] Et je comprends moi que des homosexuels, pour effacer cette infamie, veulent accéder à ce sacrement parce que ça les rend semblable au reste de la société. » (Pierre Bergé dans l’émission Culture et Dépendances diffusée le 9 juin 2004 sur la chaîne France 3)

 

L’argument de l’homophobie permet de ne pas se poser de question : « C’est aujourd’hui l’homophobie que l’on questionne plutôt que l’homosexualité. » (Jean-Yves Le Talec, Folles de France (2008), p. 77) ; « Le meilleur moyen de combattre l’homophobie, n’est-ce pas de la soumettre sans fin à la question ? » (cf. la préface d’Éric Fassin, dans l’essai Pour en finir avec l’homophobie (2005) de Julien Picquart, p. 11) ; « La persistance, dans l’imaginaire commun, de l’idée d’un lien intrinsèque entre adhésion au nazisme et orientation homosexuelle est si paradoxale qu’elle exige qu’on en interroge la genèse. Il est, tout d’abord, évident qu’il y avait des homosexuels parmi les nazis ou, inversement, des nazis parmi les homosexuels, mais cela ne signifie rien en soi. […] Aussi le paradoxe de l’identification entre nazi et homosexuel doit-il se comprendre selon une logique homophobe primaire. » (cf. l’article « Nazisme » de Michel Celse, dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, pp. 334-338) ; « C’est le résultat catastrophique de la souffrance causée par l’homophobie. » (Ednar, le héros homosexuel, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 65) ; etc.

 

Le chemin vers la réflexion sur le désir homosexuel est souvent condamné : John Woo s’est toujours défendu d’une lecture homosexuelle de ses créations : « Toutes ces manifestations érotiques homosexuelles sont inconscientes. » (John Woo cité dans l’essai L’Homosexualité au cinéma (2007) de Didier Roth-Bettoni, p. 658) Le réalisateur Bruce LaBruce ne soutient pas une communauté homosexuelle qu’il juge parfois inutile, et ne considère pas la politique identitaire comme une solution pour le cinéma gay. Roland Barthes dissimule son homosexualité derrière l’appellation « Déesse H ». Selon Miguel García-Posada, il ne faut pas faire de lecture « gay » des ouvrages écrits par des artistes homosexuels. Lors de la présentation de son roman Le Contenu du silence (2012), organisée à la Galerie Dazelle à Paris le 12 juin 2012, l’écrivaine bisexuelle Lucía Etxebarría refuse systématiquement d’expliquer son écrit et passe son temps à dire que tout est une question de points de vue ; elle n’apprécie pas qu’on trouve le moindre didactisme dans ses romans. La réalisatrice Chantal Akerman refuse d’être estampillée « cinéaste lesbienne ». Gaël Morel refuse que ses films délivrent un quelconque message, qu’ils soient « didactiques », qu’ils prétendent à quelque chose, surtout concernant l’homosexualité : « L’homosexualité, c’est un fait, mais en tant que sujet de film, je trouve ça profondément ennuyeux. » (Gaël Morel pendant la rencontre-dédicace à la Librairie Les Mots à la Bouche à Paris, le 16 septembre 2008, pour la sortie du film « New Wave ») Quand on demande au réalisateur Claude Pérès ses informations biographiques, il refuse d’en donner, considérant que ce qu’il y a à savoir se trouve uniquement dans son travail cinématographique. À la question « Que faites-vous dans la vie ? », il répond : « J’écris des trucs et je filme des trucs. »

 

« Whitman récuse avec véhémence toute possibilité d’une lecture gay de ses poèmes. » (cf. l’article « Walt Whitman » de Jean-Paul Rocchi, dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 499) ; « Les romans d’Eduardo Mendecutti appartiennent davantage à la culture homosexuelle que les films de John Huston, parce qu’ils reflètent de manière plus précise certaines facettes de l’homosexualité dans notre culture. » (Alberto Mira, Para Enterdernos (1999), p. 25) ; etc.

 

La communauté homosexuelle, à certains moments, s’organisent pour créer une autocensure de sa propre production afin que le monde « extérieur » ne découvre pas le pot aux roses. Par exemple, il faut six mois de formation avant d’être autorisé à consulter les Archives des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence après l’admission dans la « congrégation ». On peut penser par ailleurs aux manifestations musclées d’opposition à la sortie du film « Cruising (La Chasse) » (1980) de William Friedkin, ainsi qu’à la mise à l’index de certains ouvrages homo-érotiques. Par exemple, est discrètement retiré de la chronologie de l’essai The Celluloïd Closet (1987) de Vito Russo le roman Reflection In A Goldeneye (Reflets dans un œil d’or, 1941) de Carson McCullers (cf. Gregory Woods, Historia De La Literatura Gay (1998), p. 234). Dans « Sex Revelations » (2000) de Jane Anderson, le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler est montré du doigt comme le « Film de la Honte lesbienne » à éviter.

 

Par exemple, pendant la projection du court-métrage « Corps-à-corps » au Festival Chéries-Chéris en octobre 2010 au Forum des Images de Paris, l’assistance majoritairement lesbienne reprochait à Julien Ralanto, le réalisateur, d’avoir abordé le lien entre désir lesbien et viol… et en réalité d’être simplement un homme : des femmes agressives lui demandaient « de quel droit il s’était accaparé ‘leur’ thème et ‘leur’ sexualité ».

 

Le malaise homophobe et la dissimulation des personnes homosexuelles pratiquantes viennent surtout du fait que ces dernières sont, en actes, complices de leur propre mensonge/censure : « Et le jeune homme reste sur ses gardes, soupçonne qu’on le soupçonne, feint de feindre pour mieux dissimuler ; achète des livres traitant de l’amour hétérosexuel, prend des précautions avec ses amis, évite de confier son numéro de téléphone et ne reste pas indifférent au cours des entretiens où l’on démolit les pédérastes. Dans l’obligation personnelle d’avoir recours aux subterfuges, il sombre en général dans la dissimulation. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 12)

 

Paradoxalement, le déni de la nature violente du désir homosexuel est souvent contre-investi dans une glorification de l’amour homosexuel, glorification tout aussi dénégatrice du Réel d’ailleurs : « Tais-toi et baisons. » (Laurent à son amant André dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « J’ai pas vraiment envie d’en parler. C’est un film d’amour, voilà. Souvent, mes films ne traitent pas directement d’homosexualité. » (François Zabaleta juste avant la projection de son film « Le Cimetière des mots usés » (2011), au 17e Festival Chéries-Chéris d’octobre 2011 au Forum des Images) ; « Est-ce que c’est vraiment une vraie question inné ou acquis ? Je trouve que c’est une question absurde. [Chercher à y répondre], c’est une manière très violente d’essayer de savoir le vrai secret de l’homosexualité, comme si la sexualité avait un secret. Non. Le secret de la sexualité, c’est d’être heureux. » (Jean Le Bitoux dans l’émission Homo Micro du 13 février 2007, sur Radio Paris Plurielle) ; « Je voulais faire un film qui ne pose même pas la question de l’homosexualité. Je voulais montrer une homosexualité épanouie, sans surenchère, naturelle. » (Sébastien Lifshitz à propos de son film « Presque rien » (1999) dans l’essai Le Cinéma français et l’homosexualité (2008) d’Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni, p. 231) ; etc.

 

C’est le fantasme homosexuel que les personnes homosexuelles ont tendance à présenter comme un flou artistique à applaudir mais à ne surtout jamais éclaircir. Elles tiennent un discours éthéré sur « l’Amour » ou le consentement pour imposer leur censure sur l’homosexualité (ce discours dit peu ou prou ceci : « Du moment qu’il y a de l’Amour du point de vue des amants, il n’y a rien à redire. ») : « Pour ma part, je me suis fait une règle de ne pas juger la sexualité des autres ; tant que ça se passe entre adultes conscients et consentants, je pense que rien de mal ne peut se faire. » (cf. article sur le blog Chroniques ardoriennes, http://meneldil-palantir-talmayar.blogspot.fr/2012/09/s-jetais-dieu-en-les-voyant-prier-je.html?spref=tw)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, pour se conforter dans leurs propres certitudes identitaires et amoureuses, se contentent de s’auto-citer, dans une tautologie presque risible tellement elle est systématique et peu argumentée : « Je suis comme je suis. » (Marie-Paul Belle, dans l’émission Dans les yeux d’Olivier, « Les Femmes entre elles », d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq, traitant de l’homosexualité féminine et diffusée le 12 avril 2011 sur la chaîne France 2) ; « On est né comme on est. » (Stéphanie, une femme lesbienne) ; « Je suis comme je suis. » (Steve Blame en conclusion du documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Je suis comme ça et jamais je ne changerai. » (Armand de Fluvià par rapport à son « identité homosexuelle », cité dans l’ouvrage collectif Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 84) ; « Je suis homosexuel. Un point c’est tout. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 119) ; « On naît homo. On ne le choisit pas. Un point c’est tout. » (Philippe Robin-Volclair pendant l’intermède de son spectacle de marionnettes L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde, 2008) ; « Je ne sais pas si je suis né homosexuel et je ne veux pas me poser cette question. Je suis homosexuel, un point c’est tout. » (Jean-Luc Romero, On m’a volé ma vérité (2001), p. 28) ; « Ne me demandez pas comment ni pourquoi je suis devenu homosexuel, parce que je n’en sais rien et, en plus, je m’en fous. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), pp. 71-72) ; « C’est comme ça et puis c’est tout ! Y’a des gens qui t’écrivent des théories. Moi, ça ne m’intéresse pas. » (Denis dans le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre) ; « Je ne me torture plus l’esprit avec des questions sans réponse, comme : ‘Pourquoi suis-je homosexuel ? […] Cette question est maintenant obsolète. Cela ne m’intéresse plus. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 110-111) ; « Au début, c’est pas évident. Mais je suis gay. C’est comme ça. J’trouve ça bête de se prendre la tête avec ça. Pourquoi est-ce que chacun de nous ne pourrait pas être comme il est, tout simplement ? » (Sacha, jeune Allemand homo, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; etc.

 

Elles s’auto-persuadent qu’elles sont heureuses en amour, alors que leur situation est loin d’être idéale : « Nous avons fait l’autruche. Nous ne voulions pas, nous ne pouvions pas, à cause d’une maladie, briser nos rêves. » (Alain Sanzio abordant le déni français du Sida, dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 366)

 

La grande majorité des personnes homosexuelles veulent donner à leur autocensure l’apparence de l’amour, de la nature. Alors généralement, elles prennent leur air de victime énamourée, en faisant comprendre à leur entourage que, justement, « il ne peut PAS le comprendre » : « Personne ne comprendra comment je peux écrire cela, mais ce week-end fut le plus beau de ma vie. Sébastien, lui, le sait. Je le sais. Cette raison-là nous appartient. C’est la force de l’amour que nous venions de découvrir. » (Gaël-Laurent Tilium au moment de la découverte de la séropositivité de son copain, dans son autobiographie Recto/Verso (2007), p. 239) ; « L’homosexualité ne m’intéresse pas comme sujet de cinéma. Ce qui m’intéresse, c’est l’intimité des personnages. » (Gaël Morel dans l’article « Gaël et son clan », entretien avec Cyril Legann, dans la revue Illico, 10 juin 2004) ; etc. Par exemple, dans son journal intime Le Cahier vert, Journal, 1961-1989 (1991), Jocelyn François raconte l’amour « incompréhensible à autrui » qu’elle éprouve pour sa compagne. (Jocelyn François citée dans l’essai Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 198)

 

On ne peut que constater finalement le lien entre silence et narcissisme orgueilleux : « À mon sens, le couple lesbien, quel qu’il soit et par essence, ne correspond pas à la norme hétérosexuelle, ne la détourne pas forcément non plus, ne se définit pas forcément ‘par rapport à’… » (le témoignage d’une femme lesbienne, dans l’essai Attirances : lesbiennes fems, lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 15) Et pourtant, il n’y a pas de quoi tirer une quelconque fierté du mensonge ou de l’« égoïsme à deux »…

 
 

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Code n°44 – Désert (sous-codes : Sable / Cendres)

Désert

Désert

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Les anti-Moïse

 

Vidéo-clip de la chanson "Désenchantée" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer


 

Au moment de se retrouver lui-même au désert, face au Réel, face à ses pères, dans la concrète solitude de sa singularité, le personnage homosexuel (et souvent l’individu homosexuel) est pris en général de panique, lui, l’angoissé de lui-même. Le désert, qui idéalement devrait être le lieu du repos, du sevrage de nos anciennes addictions, de la purification, du chemin de la Résurrection pascale, apparaît dans les fictions traitant d’homosexualité comme un abîme terrible.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Manège », « Mort », « Homme invisible », « Eau », « Fusion », « Faux révolutionnaires », « Clown blanc et Masques », « Aube », « Focalisation sur le péché », « Lunettes d’or », « Ennemi de la Nature », « Voyage », « Vampirisme », « Vent », « Solitude », « Icare », « Île », « Jardins synthétiques », à la partie « Haine de la Réalité » du code « Planeur », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) Le désert ou l’errance :

DÉSERT jaune

 

Il est souvent question du désert dans les fictions homo-érotiques. Le personnage homosexuel se dirige vers un désert (réel ou mental) : cf. la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès, le roman Et le désert (1989) d’Andrea H. Japp, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, le roman Le Monde désert (1927) de Pierre Jean Jouve, le roman Un Thé au Sahara (1949) de Paul Bowles, le film « Gerry » (2002) de Gus Van Sant, le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, le film « Whity » (1970) de Rainer Werner Fassbinder, la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora, le roman Déserts… (1982) de Julien Cendres, le film « Du sang dans le désert » (1957) d’Anthony Mann, le film « Cent mille dollars au soleil » (1963) d’Henri Verneuil, le film « Beau Travail » (1999) de Claire Denis (avec la mort dans le désert), le film « Sun Kissed » (2009) de Patrick McGuinn, le film « Lawrence d’Arabie » (1962) de David Lean, le film « Les Châtaigniers du désert » (2009) de Caroline Huppert, le film « Yossi » (2012) d’Eytan Fox, le film « Joshua Tree 1951 : A Portrait of James Dean » (2012) de Matthew Mishory, le film « The Desert Song » (« Le Chant du désert », 1929) de Roy Del Ruth, le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le poème « Le Premier Paradis, Odette… »), le film « Edipo Re » (« Œdipe-Roi », 1967) de Pier Paolo Pasolini, le film « Thelma et Louise » (1991) de Ridley Scott, le roman Le Monde désert (1927) de Pierre-Jean Jouve, le roman Le Désert mauve (1987) de Nicole Brossard, etc. Par exemple, dans la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd, Arnold Wilcox, un des héros homosexuels, feuillette une encyclopédie sur les animaux du désert.

 

« C’est le désert. On est marqués par le désert. » (cf. une réplique des personnages de la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Je connais bien le désert ! » (cf. une réplique de la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Tentons la traversée du désert ! » (le Jésuite, idem) ; « Je suis sèche comme le désert d’Arizona. » (Jessica, le héros transsexuel M to F, dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; « Je vais me promener sur les dunes avec mon chien Lambetta. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 12) ; « J’veux juste m’enfuir dans un désert et creuse un trou dans une dune. » (Hubert, le héros homosexuel s’adressant à sa mère qu’il cherche à fuir, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Tu resteras dans l’oasis que je vais te faire construire au beau milieu du désert vivre une vie de chimères ! » (Ahmed s’adressant à Lou, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Mon Dieu. J’arrive du désert de Gobi. Je suis en plein jetlag. » (Nathalie Rhéa dans le one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « C’est comme le désert, mais version campagne. » (Vincent s’adressant à Moussa à propos du film « Le Secret de Brokeback Mountain », dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent) ; etc.

 

Le désert peut être sacralisé par les protagonistes homosexuels car il est vu comme un espace du silence, de l’acorporéité, du confort dans la victimisation : « Sacré, le désert. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Elle s’asseyait au bord de mon lit […] et me racontait avec un accent étranger le curieux récit du désert. […] Oui, l’ivresse du désert existe, Ourdhia l’a rencontrée. » (la narratrice lesbienne parlant de sa grand-mère, dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, pp. 52-54) ; « S’il le faut, je traverserai le désert sur un genou pour assurer ton bonheur. » (le Père 1 s’adressant à son futur gendre de manière despotique, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Je veux marcher jusqu’en Afrique et traverser le désert. » (Rimbaud s’adressant à son amant Verlaine, dans le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland) ; « Je fis une station devant chaque cinéma que je croisai : le Princess, le Palace, le Cinéma de Paris, le Loew’s, le York, pour réchauffer mes pieds autant que pour regarder les affiches. Au York, Sophia Loren et Charlton Heston s’embrassaient passionnément devant un panorama de désert sec et torride, les chanceux ! » (le narrateur homosexuel du roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 31) ; « Le désert était bien là. Mon cabinet de toilette étouffait sous un bloc généreux de sable : la dune. » (la narratrice lesbienne dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 53) ; etc.
 
 

b) Le sable, métaphore du désir :

Film "Sun Kissed" de Patrick McGuinn

Film « Sun Kissed » de Patrick McGuinn

 

Dans la fantasmagorie homosexuelle, on retrouve souvent la mention du sable en tant que métaphore (métonymique) du désir : cf. la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo, le poème « L’Île au trésor » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, le film « Love Letter In The Sand » (1988) d’Hisayasu Sato, le film « Sand » (2011) de Julie Carlier, le roman Les Dollars des sables (2006) de Jean-Noël Pancrazi (avec l’usage récurrent du point virgule), le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, « Sous le sable » (2000) de François Ozon, le roman Une Poignée de sable (1971) de Christian Giudicelli, le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, la chanson « The One » d’Elton John, le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec le sablier), le poème « Les Fantômes du désir » de Luis Cernuda, le film « Grains de sable » (1995) de Ryosuke Hashiguchi, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le roman Poudre d’or (1993) d’Yves Navarre, le film « Boys In The Sand » (1971) de Wakefield Poole, le film « Lang Tao Sha » (1936) de Wu Yonggang, le film « De sable et de sang » (1987) de Jeanne Labrune, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, etc. « Poussière poudre d’or. » (le narrateur dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet) Par exemple, dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi, il est question de « poussières d’or » (p. 123). Dans le livre Papa, c’est quoi un homosexuel ? (2007) d’Anna Boulanger, l’homosexuel est qualifié d’« amateur de terre jaune ». Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, s’unit à son amant Kevin sur la plage… et son sperme dans la main se mêle au sable.

 

Régulièrement, le héros homosexuel se prend pour le sable, donc pour son propre désir, son propre amour (narcissique, plein de mirages et de réverbérations) : « J’ai mis le sable et tu as mis l’eau. D’un grain de sable et d’une larme, nous avons fait un couple. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’égrènerai le sable, le sable incandescent : mon rosaire d’amour ! » (cf. le poème « À Gilles R*** » de Denis Daniel, dans l’autobiographie Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 57) ; « Mais qui étions-nous quand nous nous sommes rencontrés ? Deux histoires, deux sabliers peut-être, impénétrables. Deux sabliers qui allaient s’inverser comme un miroir. […] Une histoire rêvée, fantasmée […] On descend vers soi, comme le sable, comme le fleuve. » (Adrien, le narrateur homosexuel parlant de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 138) ; « Maintenant, je me trouve au milieu d’un désert de sable surplombé par un mont également désert. […] Par pudeur j’ai jeté deux poignées de sable sur son sexe entrouvert. » (le narrateur homosexuel du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, pp. 26-27) ; « Essaie de prendre une poignée de sable dans ta main. » (Mathilde s’adressant à son meilleur ami homo Guillaume, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; etc. Par exemple, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, Pablo demande à son futur amant Bruno « Si tu étais un minéral, que serais-tu ? » ; il lui répond « le sable » ; et lui, « de l’eau ». Dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier, le Comédien et son amant accumulent des « objets comme des collections de sable, témoins de nos escales dans le monde amoureux ».
 
 

Cachafaz – « Ell’ te plaît pas molle, ma bite ?

Raulito – J’aimerais mieux de l’eau bénite ou traverser le Sahara ! »

(Copi, Cachafaz, 1993)
 
 
 

c) Le sable de mort : la cendre

Dans les fictions homo-érotiques, le désert et le sable sont davantage une épreuve ou l’endroit d’un viol (incestueux parfois) qu’un lieu ou un facteur de vie. « Pour un désert, c’est un désert ! » (le vieux Largui traversant le désert pour aller jusqu’aux chutes d’Iguazú dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Je maudis ce désert où nos corps sont jetés. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 109) ; « 17 ans, 17 carêmes. » (cf. la chanson « La Chanson de Jérémy » de Bruno Bisaro) ; « Qui a mis du sable dans la tête à maman ? » (Corinne dans le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Le sablier se vide et se remplit de sang. » (la narratrice lesbienne dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 92) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis, le désert est clairement montré comme le théâtre de la mort. Dans le film « Il Decameron » (1971) de Pier Paolo Pasolini, on retrouve le personnage de « l’homme du désert », défini comme un « saint à l’envers », diabolique. Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, Gouri et Rakä ne veulent pas revenir dans le monde du Réel et souhaitent faire demi-tour, rester dans « l’immense désert de sable » (p. 148) de la Cité des Rats… mais la porte qui sépare ce désert de la Réalité s’est refermée derrière eux et le retour est pour eux impossible. Dans le roman Le Sang du désert (2012) d’Alicia Garspar de Alba, Ivon, l’héroïne lesbienne, souffre de l’homophobie de sa mère : sa mère biologique tout comme sa mère géographique puisque l’intrigue se passe le long de la frontière mexicano-américaine. Dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, les protagonistes cherchent un Alaska mythique où elles n’arriveront jamais. Dans le film « The Return Of Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty, au cœur d’une humanité dissoute, quatre jeunes femmes survivent dans le désert de l’Arizona et leurs désirs s’apprivoisent dans un cimetière d’avions. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Tom, le chanteur gay, a réalisé un clip dans un désert où il dit s’être pris pour Dieu, pour un Noé face à la menace de Déluge. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il leur prescrit 40 séances pour transformer les deux jeunes hommes en couple homo assumé.
 

Le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz démarre sur des images de deux motards (les deux amants Konrad et Heiko) qui roulent de manière complètement désordonnée et incontrôlée dans le sable d’une plage ; Heiko va ensuite se noyer dans une baignade de « couple ». La thématique du visage de l’amant narcissique disparu apparaissant sur le sable est soulignée par le play-back de la chanson « Aline » (de Christophe) par Konrad et Donato son partenaire de substitution.

 

Comme le sable n’est ni connecté au Réel, ni connecté à l’Amour vrai, ni à la personne du héros homosexuel, ce dernier finit par s’en venger, par le voir comme un sable de mort : « Il faut faire attention au virus des steppes. » (Garbo dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi) ; « J’ai du sable dans la gorge, qui demande à être arrosé, du sable sous les paupières, me grattant jusqu’au sang. Je m’effrite de partout, en paillettes de mica, en granulés sableux. Je ne peux plus parler. » (Yvon en parlant de Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 264) ; « La valise, elle était pleine de sable ! Maintenant, je traîne. Ma valise. » (le Fils dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Je suis comme l’on est au désert. Rien de ce qui m’intéresse n’est là, et je n’ai plus le cœur de provoquer ces instants qui pourtant m’étaient tout. Hier, il faisait ce grand froid qui gèle tous les échanges. Aucune visite. Mes rêves seuls me tiennent encore compagnie. Ils sont peuplés de ces Grecques qui avaient à l’époque toutes les facilités pour vivre des relations maintenant interdites, et la nuit je participe à tout ce que mon imagination peut inventer. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 73-74) ; « Le goût familier et oublié des cendres brûlées lui revint dans la bouche. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 223) ; « Quand la danse cessera, trop tard, tout prendra un goût de cendres. » (cf. la chanson « City Of Love » de Mylène Farmer) ; etc. Par exemple, à la toute fin de la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, la dernière Reine inca, le Jésuite, la Princesse, et la Vache sacrée « moururent empoisonnés sous le soleil brûlant au beau milieu du désert ». Dans la chanson « J’veux pas être jeune » de Nicolas Bacchus, le narrateur homosexuel et son amant se retrouvent « jusqu’au jardin désert qu’ils n’avaient pas cherché ». Dans le film « Ma Mère » (2004) de Christophe Honoré, le sable est associé à l’envahissement mortifère et incestueux entre une mère abusive et son fils Pierre. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, le cadavre d’Herbert est retrouvé sur un tas de sable près du château d’eau. Plus tard, Hugues compare « le sable sur le parquet » à une flaque de sang.

 

Le désert, dans l’idée, est même parfois envisagé comme un Jardin d’Éden inversé, un enfer hétérosexuel : « Dieu nous a donnés ce désert tout entier, car il nous préfère. » (Ève parlant du désert hétérosexuel par rapport au Jardin d’Éden habité par les homos, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso)
 

Film "Teorema" de Pier Paolo Pasolini

Film « Teorema » de Pier Paolo Pasolini

 

Régulièrement, le héros homosexuel ne veut pas aller au désert, se fige à ses portes, ou s’arrête à la pancarte d’entrée « DÉSERT » car il a peur d’y découvrir la Réalité, ses limites, sa finitude, la déception de l’amour homosexuel : cf. la fin du vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer, la fin du film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le cri d’effroi de l’Homme prisonnier dans le désert), l’arrêt au désert tropical du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (face à un « paradis qui semble vide »), la chanson « Qu’est-ce que ça peut faire ? » de Benjamin Biolay, le film « La Prisonnière du désert » (1956) de John Ford, etc. « Pourquoi n’es-tu pas venu au désert ? » (cf. une réplique de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « T’es en train de te demander ce que tu fous dans le désert… Qu’est-ce que j’avais besoin de t’entraîner… » (Maurice s’adressant à Abdallah dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Sa vie était devant ses yeux, désert morne. Comment avait-il pu, sans mourir de soif, traverser tout ce sable ? » (Fernand dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, p. 76) ; « On peut voyager longtemps dans le désert à condition qu’on ait un point d’attache quelque part. » (le héros homosexuel dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; etc.

 

Le sable de mort, c’est bien sûr l’autre nom de la cendre : cf. le roman Un Goût de cendres (2004) de Jean-Paul Tapie, le film « De soie et de cendres » (2003) de Jacques Otmezguine, le film « Les Cendres du temps » (1997) de Wong Kar-wai, le film « L’Homme de cendres » (1986) de Nouri Bouzid, le roman Cenizas (1974) d’Eduardo Mendicutti, la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue (se déroulant pendant le Mercredi des Cendres), la chanson « Rise Like A Phenix » de Conchita Wurst, etc. Par exemple, dans le roman Der Tod In Venedig (La Mort à Venise, 1912) de Thomas Mann, le nom d’Aschenbach (le héros homosexuel, est composé littéralement de deux mots : Bach, qui signifie Ruisseau et Asche qui signifie Cendre. Dans le film « Seul le feu » (2013) de Christophe Pellet, Thomas, en visitant le Père Lachaise, souhaite être incinéré. Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Richard conserve les cendres de son amant Kai chez lui. Dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, Radmilo disperse les cendres de son bien-aimé Mirko. À la fin du docu-fiction « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, les militants homos d’Act-Up font irruption dans une soirée cocktail bourgeoise, pour y disperser les cendres de Sean, leur pote homo mort du Sida.

 

Il est souvent fait mention de Cendrillon dans les fictions homo-érotiques : cf. la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon, la chanson Cinderella de Britney Spears, la chanson « Cendrillon » de Stéphane Corbin, le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity, etc. « Je m’étais juré de pas coucher le premier soir ! Mais que voulez-vous ? J’avais rencontré mon Prince Charmant ! Je me sentais comme Cendrillon ! Elle avait trouvé chaussure à son pied et moi… » (Raphaël Beaumont dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) ; « Le p’tit Martin à sa maman est une Cendrillon ! » (Malik, le héros hétérosexuel charriant Martin, le héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel est traité par Brad, le méchant du film, de « Cendrillon ». Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric le héros homo adore les bals : « Lui, pour le coup, a un vrai complexe de Cendrillon. » (Otis, le meilleur ami hétéro d’Éric, dans l’épisode 7 de la saison 1).

 

Même si au départ la cendre prend un sens résurrectionnel (celui du Phénix qui renaît de ses cendres, qui se relève plus fort après la grande traversée du désert), elle se réfère avant tout à la vacuité de l’existence, de l’« amour » et des pratiques du héros homosexuel : « Je souhaite renaître tel un Phoénix de mes propres cendriers. » (Océane Rose-Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Fais attention aux traces de doigts et à la cendre. » (Bernard s’adressant à Donald, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « De nouveau un dimanche d’une écrasante chaleur estivale, de nouveau mes regrets, ma tendresse, mes inquiétudes, mes interrogations de vous, vers vous, pour vous. De nouveau des mots, des phrases que je ne peux réprimer, des pensées nostalgiques : traces dérisoires, cendres laissées par le grand brasier qui m’enflamme depuis notre rencontre […]. » (Émilie s’adressant à Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 25) ; « Pourquoi n’avais-je sur les livres que le goût triste de la cendre ? » (Jacques, le quinquagénaire s’adressant au jeune Mathant de 19 ans, au lendemain de leur nuit d’amour, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 
 

a) Le désert ou l’errance :

Vidéo-clip de la chanson "Say You'll Be There" des Spice Girls

Vidéo-clip de la chanson « Say You’ll Be There » des Spice Girls

 

J’aime le désert car il me transporte directement vers la transcendance de Dieu. Et je suis très attaché, chez les saints, à Jean-Baptiste et à saint Antoine de Padoue. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si mon blog s’appelle L’Araignée du Désert, certainement. Je ne suis pas le seul auteur homosexuel a développé un attachement pour le désert (que j’ai visité pour la première fois au Liban en avril 2013). Par exemple, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, l’article de Boti García Rodrigo fait de temps en temps référence au désert. Certaines personnes homosexuelles ont célébré le désert et y ont vécu : Arthur Rimbaud, Lawrence d’Arabie, Paul Bowles, Jack Kerouac, Yves Saint-Laurent, Jean Sénac, Pier Paolo Pasolini, etc. D’autres en ont parlé, ou bien y ont été identifiées : cf. la lettre De Profundis (1897) d’Oscar Wilde, l’essai Le Prophète dans le désert (1997) de David Coad (dédié à Patrick White), etc. Elles se présentent quelquefois comme des grands voyageurs du désert, des touaregs : « À cette époque-là, c’était un peu le désert. Je buvais beaucoup. J’étais à sec. » (Pierre parlant de sa rencontre avec Yann, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « À nouveau un grand désert. Mais un grand désert blanc. » (Pierre évoquant son voyage en Terre Adélie, idem) ; etc.

 
 

b) Le sable, métaphore du désir :

Le sable, dans l’inconscient collectif et humain, se réfère très souvent au désir. Et comme le désir homosexuel est inclus dans les désirs humains (divisants), il est logique que certains créateurs homosexuels en parlent, de manière souvent inconsciente : cf. la photo L’Arène (1926) de Claude Cahun (classée comme par hasard dans la section « Métaphores du désir » de l’Exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries à Paris en juin 2011). « C’est tellement sensuel, le sable ! » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 172) Par exemple, dans l’essai De Sodoma A Chueca (2007) d’Alberto Mira, il est dit que Federico García Lorca défend un « théâtre sous le sable » (p. 272). Dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, Madeleine lit un livre qui intrigue Jacques : « C’est une vieille dame qui s’adresse à un homme, un témoin silencieux, qui la suit depuis toujours. Elle est enterrée dans une dune de sable jusqu’à la taille. Elle a un sac. Ça me fait penser à toi et à moi. » Jacques s’en amuse : « Tu vois que ça fait du bien de s’enterrer dans le sable. C’est très bon pour les rhumatismes. L’été dernier, tu ne m’as pas permis de te recouvrir de sable. Tu as eu tort. » (p. 265) Je vous renvoie également à mon mémoire de DEA intitulé Le Sablier de Néstor Perlongher, que j’ai rédigé à Rennes à propos du recueil poétique Austria-Hungría, en 2003. J’y développe toute une nouvelle cosmogonie désirante autour du sablier, et en particulier du sable comme métonymie du Désir.
 

Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, la culture homosexuelle est présentée littéralement comme un désert.
 
 

c) Le sable de mort : la cendre

Vidéo-clip de la chanson "Lonely Lisa" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer

 

En général, le désert et le sable dont parlent (ou que vivent) les personnes homosexuelles ne sont pas positifs car ils ne sont reliés ni au Réel (la différence des sexes) ni à Dieu (la différence Créateur/créatures). Ils constituent une fuite de soi et des autres. Ou bien elles cherchent à l’éviter pour éviter d’avoir à se poser la question de leur identité profonde et du Sens de leur existence. La majorité des personnes homosexuelles n’ont pas pris le temps de se poser pour interroger leurs désirs profonds. Et seul le désert permet cela.
 

« Le monde s’est mis alors à trembler autour de moi. La terre s’ouvrait sous mes pieds. L’abîme. J’y suis tombé. Le cycle de la mort aveugle, que j’avais déjà croisé enfant, jeune homme, recommençait. C’était le désert. Le désert et la panique. […] J’avais peur, peur, peur… Peur de partir. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 93) ; « Il [Adrien, le héros homosexuel] considérait d’ailleurs la fidélité sous un jour nouveau. La sexualité masculine conservait toujours quelque chose d’animal. Ni la tendresse ni l’amour – ce que transmettent les femmes – ne parvenaient totalement à dompter la puissance d’un désir brut, primitif, captivant. Ce désir de pénétrer et d’envahir la différence de l’autre ; de ne pas laisser la proie s’échapper. Car c’est elle, la proie, qui donne l’impression d’exister mieux. Elle est comme une extension de soi, un poids ajouté au sien. Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. Tous finalement refusent leur solitude, leur finitude, leur désert. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 51) ; « Chacun de nous est un désert. Une œuvre est toujours un cri dans le désert. » (François Mauriac) ; etc.
 

Il n’y a qu’à voir comment la majorité des personnes homosexuelles diabolisent le célibat, voient mon choix de continence (donc de renoncement par rapport aux plaisirs génitaux) comme un bagne et un désert aride que j’imposerais à tout individu homo (alors qu’en réalité, je n’impose absolument pas la continence comme un modèle imposé : je la propose juste en tant que « meilleur pour les personnes homos qui ne peuvent pas se marier avec une personne du sexe complémentaire », et toujours dans le respect de la liberté de chacun), pour comprendre l’aversion homosexuelle pour le repos du désert.
 

Certaines personnes homosexuelles préfèrent s’appesantir sur leur état de cendres, et s’identifient parfois à Cendrillon : « Tu fais la souillon, tu fais la Cendrillon. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla). Par exemple, dans l’émission de télé-crochet The Voice 4 diffusée sur la chaîne TF1 le 24 janvier 2015, le chanteur homosexuel Mika se met en boutade dans la peau de Cendrillon agressée par ses deux sœurs (et rivales-coachs Jennifer et Zazie) : « Elles sont comme deux sorcières toutes en noir. Vous êtes comme les deux sœurs dans Cendrillon ! »
 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 
 

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Code n°45 – Désir désordonné (sous-codes : Blessure / Sauvage / Albator)

Désir désordonné

Désir désordonné

 

 

« Je suis un mutant, un nouvel homme, je ne possède même pas mes désirs, je me parfume aux oxydes de carbone, et j’ai peur de savoir comment je vais finir. » (Francis Cabrel, « Ma place dans le trafic »)

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

L’Église catho serait la seule à dire que les actes homos sont intrinsèquement désordonnés ? Pas du tout. Les personnes homos l’ont dit avant Elle !

 

Qu’est-ce que le désir homosexuel et quel est son sens ? Voilà pour moi la vraie question qui vaille le coup en matière d’homosexualité. Le reste (l’identité homo, l’amour homo, la communauté homo, la culture homo) se légitime beaucoup moins, et ne trouve sa raison d’être que parce que le désir homosexuel existe ; c’est bien la seule chose dans l’homosexualité dont on soit sûr qu’elle existe, d’ailleurs. Par conséquent, si un phénomène est présent, y compris « en suspension », il peut s’étudier en tant que réalité (désirante, fantasmatique, symbolique). Je suis un des rares qui pensent que le désir homosexuel, même s’il ne s’essentialise pas en espèce (« les » homosexuels) ni en amour éternel (l’« amour homosexuel »), a quand même une nature et ses caractéristiques propres… qu’il partage bien souvent avec le désir hétérosexuel.

 

N’étant pas fondé sur les quatre rocs du Réel que sont la différence des sexes, la différence des générations, la différence des espaces et la différence entre Créateur et créatures, il était à prévoir que ce désir homosexuel – qui rejette clairement la différence de sexes (et un peu moins les deux autres différences) –, s’il est pratiqué, ne trouve pas son canal, ait du mal à s’incarner, et s’éparpille dans tous les sens, pour s’actualiser de manière désordonnée et partielle dans les réalité humaines et relationnelles. Quand l’Église catholique dit que les actes homosexuels sont « intrinsèquement désordonnés », Elle a plus que jamais raison, quand bien même, vue de loin, cette expression ecclésiale résonne comme « intrinsèquement homophobe », car certains ne cherchent pas à la comprendre.

 

Le désir homosexuel est l’expression du climat fortement anti-naturaliste de nos sociétés actuelles qui encouragent l’individu à s’éloigner du Réel pour rejoindre les paradis virtuels, à vider ses actes de leur portée symbolique, et à dissocier l’être du faire, le corps de l’esprit, les actes de leurs sens. Même si la schizophrénie n’est pas l’apanage du désir homosexuel, je crois que celui-ci fait partie, avec le désir hétérosexuel, des plus puissantes forces humaines écartelantes qui existent. Si j’avais à en donner une seule définition, je pourrais dire que le désir homosexuel tend davantage à la désunion réifiante de l’être qu’il habite qu’il ne veille à son unité humanisante. C’est la raison pour laquelle bon nombre de personnes homosexuelles l’associent inconsciemment ou volontairement à la schizophrénie.

 

Souvent, dans leurs discours, elles ne dissocient pas le désirant du désiré ; elles croient qu’elles ne doivent leur existence qu’à elles-mêmes et qu’elles sont leurs désirs. « Ce que nous désirons, c’est qu’on nous désire. » (Néstor Perlongher, « El Sexo De Las Locas » (1983), p. 34) En somme, elles adoptent une conception unilatérale et égocentrique du Désir : « Le désir ignore l’échange, il ne connaît que le vol et le don » (p. 219) écrivent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur Anti-Œdipe (1972/1973). Il n’est plus lié à l’unité ni à la vie puisqu’elles le comparent narcissiquement à la schizophrénie ou à elles-mêmes.

 

« L’homosexuel » est, comme dirait Hugo Marsan, l’allégorie d’un « désir fantôme ». Il correspond à la créature littéraire nommée l’androgyne, décrite pour la première fois par Platon dans son Banquet (380 av. J.-C.), ou à l’être imaginaire créé par la science il y a un peu plus d’un siècle, en 1869. Quand cette créature habite l’Homme, parce que celui-ci désire s’y identifier, elle le blesse et le divise. C’est là sa particularité. L’androgyne est l’autre nom de la souffrance. C’est pourquoi Patrice Chéreau et Hervé Guibert, dans leur grande intuition, ont donné à la personne homosexuelle le nom cinématographique d’« Homme blessé ».

 

Tout mon travail sur le désir homosexuel m’a déjà permis de dégager 7 caractéristiques principales du désir homosexuel, qui montrent par le bon sens (et non des arguments religieux) que l’intuition de l’Église catholique sur la nature désordonnée, fragile, et violente du désir homosexuel, est inspirée et avérée. À mon avis, le désir homosexuel :

1 – est un désir de viol (et parfois le signe d’un viol réel)

2 – traduit un éloignement du Réel (surtout par rapport aux 4 « rocs » du Réel cités ci-dessus)

3 – est un désir d’être objet

4 – dit une peur d’être unique (… donc d’être aimé/d’aimer)

5 – est un désir de se prendre pour Dieu (on revient à la haine de soi)

6 – est un désir idolâtre (c’est-à-dire pour et contre lui-même : il mériterait de s’appeler « homophobie » ou « absence de désir »)

7 – est un désir de fusion-rupture (sincère mais non vrai, amoureux mais non aimant, identique au désir hétérosexuel et tout aussi violent que lui ; moins fort que le Désir du couple femme-homme aimant)

 

Ces 7 points sont le fruit de toutes mes études d’« homosexologue ». C’est mon E = MC2 à moi, la formule de ma Bombe « H » (« Homosexualité ») ! Et il n’y a pas de copyrights. Vous pouvez les récupérer et les ré-utiliser à loisir, car ils vous seront très utiles et éclairants. Ils illustrent bien pourquoi il y a désordre dans le désir homosexuel, et que celui-ci n’est que le voyant rose d’un désordre social beaucoup plus étendu dans les couples hétérosexuels.

 

Pour compléter ma réflexion sur le désir homosexuel, je vous encourage fortement à lire ce qui se passe côté complexité, cette fois du point de vue du couple homosexuel et de l’amour homosexuel (et non plus simplement sur un plan individuel, ou du point de vue du désir homosexuel, comme je vais vous l’expliquer ici), avec les codes « Manège », « Appel déguisé », « Liaisons dangereuses », et avec la partie sur la « Schizophrénie » de mon code « Doubles schizophréniques » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Liaisons dangereuses », « Se prendre pour Dieu », « Doubles schizophréniques », « Milieu psychiatrique », « Appel déguisé », « Déni », « Androgynie Bouffon / Tyran », « Viol », « Moitié », « Amant diabolique », « Amant narcissique », à la partie « Diable au corps » du code « Ennemi de la Nature » et à la partie « Fatigue d’aimer » et « Ennui » du code « Manège », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

Le désir homosexuel (tout comme le désir hétérosexuel) est le signe d’un désir divisant et schizophrénique, d’une blessure.

 
 

a) Tout désir est considéré par le héros homosexuel comme un dieu auquel il faut se soumettre :

DÉSORDONNÉ Nicolas Dutriez

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, une grande place est laissée au désir : cf. le film « L’Heure du désir » (1954) d’Egil Holmsen, le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche, le film « I Want What I Want » (1971) de John Dexter, le film « Nincsen Nekem Vagyam Semmi » (« C’est ce que je veux et rien d’autre », 2000) de Kornel Mundruczo, le recueil de poèmes La Realidad Y El Deseo (La Réalité et le Désir, 1936) de Luis Cernuda, le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du Désir », 1986) de Pedro Almodóvar, la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar (avec Stéphane, le héros homosexuel, travaillant dans la « Compagnie du Désir », qui monte des spectacles pour enfants), le film « Basic Instinct » (1992) de Paul Verhoeven, le film « À mon seul désir » (2023) de Lucie Borleteau, etc.

 

Mais quel type de désir le héros homosexuel défend-il ? Des grands désirs (amour vrai, amitié, engagement de couple, fidélité, rêves, promesses, don entier de soi aux autres, abandon de sa personne, actions de charité concrètes pour les autres, obéissance et service, combats pour la vie, liberté audacieuse encadrée par la raison, Dieu, etc.) ou bien des petits désirs (fantasmes, passion, imaginaire, sentiments, état amoureux, sincérité, envies, goûts, pulsions, instincts, bonnes intentions, plaisirs éphémères des sens, bien-être, etc.) ? Dans son cas, on se situe davantage dans les petits désirs, ceux qui anesthésient la révolte de ne pas donner un sens plus profond à sa vie, ceux qui compensent le manque des grands désirs, ceux qui ne favorisent pas l’unité et la conscience mais au contraire qui accentuent le désordre. L’élan homosexuel du héros ressemble davantage à une absence de désir (ou à un manque de confiance en soi) qu’à un désir, en fait : « Je sais pas ce que je veux. […] Je sais qu’aimer toute une vie, c’est tellement rare ! » (Didier, le héros bisexuel après sa nuit d’« amour » avec Bernard, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Je l’aime et je ne l’ai pas choisi. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto) ; « Je m’étais profondément attaché à lui et ne cherchais pas à savoir jusqu’où irait notre relation. » (Ednar par rapport à son amant Grégoire, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 143) ; « C’est vrai que je ne suis pas tout à fait sûr de savoir ce que je recherche. » (Benji, l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Je ne sais pas à quoi ça rime de défendre les droits gays, mais je le fais pour les autres. » (Mark, le chef LGBT du film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Je ne sais pas ce que je veux. Je n’ai jamais su dire non. » (Thérèse, l’héroïne lesbienne, s’adressant en pleurs à son amante Carol, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Moi qui avais déjà si peu d’affinité avec ma propre existence… » (Jean-Claude Janvier-Modeste, Un Fils différent (2011), p. 133) ; « Ednar ne vivait que pour survivre. Il avait tant morflé dans sa jeunesse, qu’il avait fini par se détester lui-même car il ne s’était jamais senti réellement bien dans sa peau. » (idem, p. 141) ; « J’étais une épave. Je me sentais vraiment mal. » (Emory, le héros homo efféminé évoquant son adolescence, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc.

 

En général, le personnage homosexuel parle du désir comme d’une formidable énergie – à consommer la plupart du temps égoïstement (ou à la rigueur à deux, avec son partenaire temporaire) –, d’une puissance euphorisante, d’un désordre jouissif irréprochable… même s’il est bien en peine après de justifier par les mots pourquoi chez lui une telle fascination pour l’éclatement, mis à part en sentimentalisant, en esthétisant, ou en politisant à l’extrême son idolâtrie. D’un air éthéré ou malicieux, après avoir idolâtré l’ordre, il prône arbitrairement « l’ordre du désordre », la « révolution de l’inversion », la « vérité » des improvisations et des errances d’un désir capricieux pseudo inattendu : « L’ordre, c’est la beauté. » (Rudolf, l’un des héros gays du film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Le Nouvel Ordre a triomphé. Tous les homos, les maudits, sont pourchassés. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « L’ordre n’était pas toujours un masque. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh) ; « J’ai eu finalement pas mal de temps pour m’habituer au désordre. » (le héros homosexuel de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « L’ordre est la vertu des médiocres. » (Gabriele, le héros homosexuel du film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977), d’Ettore Scola) ; « Un Junkie, c’est quelqu’un qui aime beaucoup le désordre. » (Pablo dans le film « La Ley Del Deseo », « La Loi du désir » (1987), de Pedro Almodóvar) ; « La première chose qui frappa Stephen dans l’appartement de Valérie fut son splendide et vaste désordre. […] Rien ne se trouvait là où il aurait dû être, et la plupart des choses se trouvaient là où elles n’auraient pas dû se trouver. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of LonelinessLe Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 321) ; « Jason revoyait avec une épouvante émue la blessure de Mourad. Mais face au spectacle de sa tour d’ivoire en ruine, il n’éprouvait pas que de la douleur. Il ressentait aussi une extase inconnue. Une sorte de soulagement paradoxal, très doux, en même temps qu’enivrant. Le désordre avait aussi ses grâces. » (Jason découvrant son homosexualité et son amour pour Mourad, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 245) ; « La règle, c’est qu’il n’y a pas de règles. » (Juna, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc.

 

Chez le personnage homosexuel s’opèrent deux mouvements apparemment opposés. D’un côté, il va dire qu’il possède parfaitement ses désirs (ce sera le culte de la subjectivité volontariste et individualiste) et que ces derniers ordonnent au Réel : « Une personne est d’autant plus authentique qu’elle ressemble à ce qu’elle a toujours rêvé d’être intensément. » (le transsexuel Agrado dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar) ; « J’étais désirer-être. » (cf. le poème « Incurable » (1996) de David Huerta, p. 121) ; « Ne jamais rien sacrifier à sa propre cohérence. » (Adèle, la « fille à pédé », dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « J’vis ma vie comme je le ressens ! » (Dany dans le film « Sexe, gombo et beurre » (2007) de Mahamat-Saleh Haroun) ; « Qu’on soit homo, hétéro, bi, mono, l’essentiel est de vivre ma vie comme on le souhaite. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « L’esprit fort est le roi. Il règne ainsi sur la matière. » (cf. la chanson « Méfie-toi » de Mylène Farmer) ; etc. Mais d’autre part, comme il constate que ses désirs ne sont pas des ordres, et qu’il n’est pas Dieu, il se transforme en marionnette passive de ses petits désirs. Il se livre pieds et poings liés à la pulsion : « Depuis cette nuit-là, elles [Gabrielle et Émilie] s’écrivent, s’interrogent sans relâche sur la nature de leur sentiment, sur ce fol élan réciproque que rien ne laissait prévoir. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 12) ; « C’est arrivé comme ça. […] Ça arrive par surprise. » (Marie avouant qu’elle est tombée amoureuse d’Aysla, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann) ; « C’est incroyable, la force de ça. » (Claude en parlant de son désir de draguer, dans le film « Déclin de l’Empire américain » (1985) de Denys Arcand) ; « Comment exprimer le plaisir de parler au gré de nos désirs ? » (c.f. la chanson « La Parole » de Charpini et Brancato) ; « Je suis totalement gouvernée par mon désir. C’est embêtant. » (Lola, l’héroïne lesbienne en couple avec Vera… mais aussi Nina, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Ne penses-tu pas que l’objet du désir ne prend pas trop de place dans notre vie ? » (Vera s’adressant à Lola, idem) ; « C’est le désir. Ça ne se contrôle pas. » (David Miller dans le film « La Vanité » (2015) de Lionel Baier) ; « Vénus a allumé dans le corps d’Hyppomène et d’Atalante un désir auquel il leur était impossible de résister. » (Orphée dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Très souvent dans ma vie, ce que je prévois n’arrive jamais. C’est toujours au moment où je m’y attends le moins que tout bascule dans l’horreur. Quand je crois au bonheur, le temps et les événements, qui nous ignorent, en décident autrement et rien ne se passe comme prévu. Mais inversement, de sinistres soirées selon mes prévisions, finirent en feux d’artifices. » (Bryan, l’un des héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 27) ;« Et puis un jour, l’autre moitié de moi s’est réveillée. On ne peut rien faire contre ça. » (Martin, le héros homosexuel s’adressant à son ex-femme Christine, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « Je suis épatée, émerveillée par mes désirs, subjuguée au point que je deviens docile à la toute puissance du fantasme. » (la voix narrative du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 30) ; « Le courant est en train de m’emporter. » (Santiago à son amant Miguel, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León) ; « Je me suis laissé entraîner par la marée. » (idem) ; « Fallait-il […] que je me livre à la force ? Je vais me livrer, impuissant pour ma part, à cette force. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 37) ; « C’est bizarre : On a cette chose en soi et on ne la combat pas, car on l’ignore. » (Martha, l’une des deux héroïnes lesbiennes, à Karen, dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » de William Wyler) ; « Sur le moment, je perdais le contrôle. Et après, je me rendais compte de ce que j’avais fait. » (Vincent, le héros homosexuel ayant des accès de violence avec son ex-compagnon Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Ce que tu ressens en ce moment, c’est cette force qu’on ne peut pas arrêter. » (Heck, le mari malheureux de Rachel, découvrant avec impuissance l’homosexualité de sa femme Rachel, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; etc. Par exemple, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, Emmanuel a « la manie du rangement des désordonnés profonds » (p. 152). Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le jeune héros homosexuel Vincent recouche sans trop de conviction avec son ex-amant Stéphane, de 20 ans son aîné… et leur nuit de sexe laisse place à l’incertitude : « Tu crois qu’on sera heureux un jour ? » « Ces choses-là se décident sans nous, j’en ai bien peur. » lui rétorque Stéphane (c’est la dernière réplique de la pièce, qui montre combien le désir homosexuel fuit le Désir).

 

« Pawel cherche la source de cette douleur. Essaie de la comprendre. L’homme que je cherche est en moi. Quel est cet homme ? Est-ce l’icône de mon père perdu ? Est-ce donc cela la source de la blessure primitive : la sensation laissée par l’absence du père.[…]Même si la racine de cet amour est bonne, comme l’est la racine de tout autre amour humain, son tronc et ses branches ont été courbés. Je ne sais pas pourquoi je suis attiré par ce désir déréglé. J’en souffre. Mais je refuse d’appeler l’arbre courbé un arbre droit. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, repoussant son élan physique et sentimental envers le jeune David, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 419) ; « Ce désir n’est pas bon, chuchota Pawel. Mais où puis-je aller pour y échapper ? » (Pawel après avoir vu David nu, idem, p. 472) ; « Il y a une partie bonne et l’autre partie est une blessure infligée par le sitra ahra. » (Pawel parlant de son élan homosexuel, idem, p. 477)
 

Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018), Julia devient, très jeune, une femme pasteur évangélique promotionnant l’ordre (son grand slogan, c’est « Mets ta maison en ordre ! »). Elle insiste sur ce concept car en réalité, elle subit le grand désordre chez elle puisque son père la viol : « La maison de Julia est dans un désordre indescriptible. » dit-elle. L’ordre dont il est question est donc, en filigrane, le viol.
 
 

b) Le désir homosexuel entraîne le héros homosexuel dans le désordre :

La soumission du personnage homosexuel à ses petits désirs est souvent marquée par un trouble qui fendille l’identité et l’amour, une impression d’être son propre esclave, de ne pas être maître de sa vie ni libre, de ne pas être unifié. Ce n’est pas un hasard si le lexique du désordre revient comme un leitmotiv dans les œuvres homosexuelles : cf. le roman El Desorden (1965) de Terenci Moix, le film « Le Désordre » (1961) de Franco Brusati, le roman Mes désirs font désordre (2003) de Nicolas Dutriez, le film « Vierge, ascendant désordres » (2004) d’Erwan Chuberre, le film « Les Enfants du désordre » (1989) de Yannick Bellon, le roman Dans le désordre (2012) de Claude Régy et Stéphane Lambert, la nouvelle « Désordre » (1929) de Thomas Mann, le roman Le Désordre du Temple (2011) d’Antoine Blocier, le film « Désordres » (2013) d’Étienne Faure, le film « Les Pâtres du désordre » (1968) de Nico Papatakis, la prestation de SweetLipsMesss lors de la scène ouverte Côté Filles au troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris (avril 2009), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le roman Désordres (2017) de Jonathan Gillot, la chanson « Veux-tu danser ? » de Michel Rivard, etc. « Mon Dieu, quel désordre ! Je n’arrive plus à m’y retrouver ! » (Jeanne dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Jamie était une piètre ménagère, et très désordonnée ; si elle faisait la cuisine, elle mettait tout sens dessus dessous. » (Jamie, une des protagonistes lesbiennes, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 462) ; « J’ai jamais vu un mec qui avait l’air aussi propre sur lui et qui était autant bordélique. » (Polly, l’héroïne lesbienne par rapport à son meilleur ami gay Simon, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 13) ; « Ordre et discipline. » (Jarry parlant du tatouage de Jean-Claude, le commissaire de police, dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Tu es censé être un chien ordonné. » (Citron parlant tout seul à son chien, dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) ; « C’est le bordel dans ma vie. Il faut que je mette un peu d’ordre. » (Julien, le héros bisexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Tu crées la pagaille autour de toi. » (sir Harold Nicolson) « Je ne suis pas dans la pagaille ! » (Vita Sackville-West, lesbienne, répondant à son mari, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « Les bombes à retardement servent à semer le désordre. » (Tommaso, le héros homosexuel parlant de sa grand-mère décédée et insoumise, dans le film « Mine Vaganti », « Le Premier qui l’a dit » (2010) de Ferzan Ozpetek) ; « Toi et moi, on a des choses à mettre en ordre tous les deux. » (Rosa s’adressant à Julien dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; « Occupe-toi d’abord du désordre de la nuit… » (Marie insinuant à son mari Alexandre qu’il lui aurait caché ses tendances homosexuelles, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; « L’Amour est un désordre. » (c.f. la chanson « Monsieur Vénus » de Juliette) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony MacMurrough, en caressant les cheveux ébourrifés de son jeune prostitué Doyler, qualifie ce dernier de « désordonné… vraiment… ». Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, a déclenché une baston dans un club gay The Boys qu’il fréquente habituellement. Les flics venus l’arrêter déroulent son passif délictueux : « Apparemment, c’est pas la première fois que tu fous le bordel au Boys… ». Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel finlandais, dit qu’il a quitté son pays pour vivre librement son homosexualité loin de sa famille à Paris, mais décrit sa vie parisienne comme « agitée ».
 

Le désir homosexuel incite à l’éclatement symbolique du corps et du cœur : cf. le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, le film « Les Corps ouverts » (1998) de Sébastien Lifshitz, etc. « Jésus veut que j’aie une vie ordonnée. » (Tom, homosexuel croyant, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Mon corps est moins pur que mon âme, je le disperse et je l’offre. » (Max Jacob dans le film « Monsieur Max » (2007) de Gabriel Aghion) ; « Cette femme a dû commettre beaucoup de désordre dans le cœur des hommes. » (Stan par rapport à la femme au collier de perles, dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé) ; « Au milieu, il y a cette publicité qui me fait froid dans le dos, où l’on voit une jeune femme se désagréger. Je touche Chloé pour vérifier qu’il ne lui manque rien. […] Je voudrais tant qu’elle se rassemble, cesse de s’éparpiller, de partir en miettes. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 64) ; « Nous devrions faire le bilan de nos déviations » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Dans les fictions, en général, l’élan homosexuel n’est pas facteur d’ordre ni d’unité. Par exemple dans Le Banquet (380 av. J.-C.) de Platon, concernant le désir homosexuel, il est justement question d’un « amour désordonné ». Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, les premières images filmées sont celles d’une chambre (la chambre du protagoniste homosexuel Matthieu) en complet désordre. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M est définie en tant que « Gender Identity Desorder » par son médecin. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui ne s’était jamais posé la question de remettre en cause son homosexualité, voit sa vie chamboulée par l’amour d’une femme : on le voit essayer de partager en deux une carcasse de poulet… comme pour illustrer le déchirement qu’est le désir bisexuel.

 

Le désir homosexuel porte en germe la rupture plus que l’unité, d’une part au cœur de l’individu qui le ressent, et d’autre part dans le couple homosexuel : « L’amour, si tu savais, c’est du désordre. » (Franck dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Partout, je sens ton odeur, ton désordre. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 158) ; « Nous sommes deux femmes qu’un désir de partage rassemble. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p 41) Le désir homosexuel ne semble pas favoriser la correspondance et la simultanéité des désirs de chacun des deux amants du couple : « Les gestes que tu attends de moi ne répondent pas à ce que nous attendons de nous. » (Pierre dans le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 186) ; « Ce qui me rend heureux te rend triste. » (une réplique du film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; « C’est quand même vachement déstabilisant. » (Damien évoquant ses expériences homosexuelles, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Je ne suis même pas homo. Il y a deux ans, j’ai juste aimé follement l’homme de la vie de l’ancienne femme de la mienne. Depuis, tout est rentré dans l’ordre. » (Rémi parlant son histoire avec l’hétéro Damien, le copain de son ex Marie, idem) ; etc.

 

Le héros homosexuel a tendance à décrire son penchant homosexuel comme un désir compliqué, difficile à gérer : cf. le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le film « Cap Tourmente » (1993) de Gérard Ciccoritti, le film « Contradictions » (2002) de Cyril Rota, le roman Le Cœur entre deux chaises (2012) de Frédéric Monceau, le film « The Love Paradox » (2000) de Clifton Ko, le roman Los Ambiguos (1922) d’Álvaro Retana, la chanson « L’Inconstant » d’Étienne Daho, les films « Désirs volés » (1997) et « Le Désir en ballade » (1989) de Jean-Daniel Cadinot, le roman Le Désir fantôme (1999) d’Hugo Marsan, etc. « Je suis trop compliquée. » (Peyton, l’héroïne lesbienne parlant à son amante Elena, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Avec toi, je me sens mal. Je mens. Je me sens dure. Tu me donnes le mauvais rôle. » (Sarah s’adressant à son amante Charlène, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Si au moins je me comprenais moi-même. » (Charlotte, l’héroïne lesbienne du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; « Vous, vous êtes plutôt compliqué. » (Antonietta s’adressant à son ami homosexuel Gabriele, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « C’est diablement déplaisant pour moi [de vous désirer]. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

Il fait vivre des « humeurs vagabondes » (cf. la chanson « L’Adorer » d’Étienne Daho) et entraîne le personnage homosexuel dans l’espace fluctuant de la non-identité, de la dualité : « L’ambiguïté, c’est ton truc. » (Clara à son meilleur ami homo JP, dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, l’épisode 1 « À la recherche du prince charmant ») ; « En fait, je ne sais pas trop comment je suis. Je ressens des trucs bizarres. » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’aime les filles et les garçons, j’aime tout ce qui est bon. Je suis bi… zarrement faite. » (Anne Cadilhac, Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] était parfois hypersensible et souffrait en conséquence. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 62) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le héros homosexuel, parlant de lui-même à la deuxième personne du pluriel, fait référence à « une force confuse » (p. 12 puis p. 46) ; « Il y a cette voix en vous qui vous oblige. Comment leur parler de la voix ? […] Comment leur faire entendre que c’est votre nature ? » (idem, p. 135) Dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, la voix narrative pose la question de l’impossibilité de l’union entre les amantes homosexuelles, en se demandant quelle est la nature paradoxale de la force de séparation qui les régit, et qui est pourtant censée les unir : « Mais qui tire en arrière ?!? Quel homme ? Quel enfant mort-né ? Quel bouffon ? » Dans le film « Bulldog In The Whitehouse » (« Bulldog à la Maison Blanche », 2008) de Todd Verow, le président des Etats-Unis bute face à la même énigme : Pourquoi le désir homosexuel est pour et contre lui-même ??? « Depuis que je suis petit, on me dit qu’aimer un homme c’est mal. Mais on ne m’a jamais dit pourquoi. Vous pouvez me le dire ? Bobby dit qu’il n’y a rien de mal à ça… que tout le monde a besoin d’aimer quelqu’un, et que son sexe n’a pas d’importance. Alors pourquoi je ne peux pas l’aimer ? » Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros homosexuel, se dit « torturé » (p. 393) : « J’ai l’esprit tortueux. » (idem, p. 328) ; « J’ai toujours envie de te voir et d’être à tes côtés mais dès que tu t’approches de moi, je n’ai qu’une envie : celle de fuir, de t’ignorer, de passer près de toi sans te voir. Comment peut-on être aussi compliqué ? Pourquoi mon esprit me commande-t-il le contraire de ce que mon corps réclame ? Pourquoi ai-je peur de toi ? » (Bryan à son amant Kévin, idem, p. 210) Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Emma, l’une des héroïnes lesbiennes, se qualifie « d’un peu bizarre » comme fille.

 

D’une certaine manière, le désir homosexuel se place contre l’ordre naturel, social, et divin… et le personnage homosexuel le devine, bien souvent dans la révolte : « Dieu, qui a créé le ciel et la terre, aurait pu décréter qu’un frère et une sœur pouvaient se marier, que deux femmes pouvaient procréer ensemble. Dans Sa façon d’ordonner le monde, Il aurait pu donner à ceux qui sont les plus proches la possibilité de s’accoupler. Il aurait ainsi offert à Ses créations un bien-être plus grand. Pour quelle raison, alors, ne l’a-t-Il pas fait ? » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 174) On retrouve dans son discours des réminiscences du péché originel : « Ses yeux étaient immenses, ses cheveux tombaient en désordre sur ses épaules. La peau de son ventre faisait des plis, rentrait en elle-même. Je me suis rendu compte que nous étions nues. » (Ronit, l’héroïne lesbienne décrivant sa copine Esti après leur nuit d’amour, idem, p. 243)

 

Le désir homosexuel écartèle parce qu’il opère un double mouvement de vie et de mort : « Je ferme les yeux sur nos dernières nuits. Qui nous sépare ? Qui nous unit ? » (cf. la chanson « J’attends » de Mylène Farmer) ; « T’es déchirée ? Déjà ? » (Bernard, le héros homosexuel s’adressant au transsexuel M to F Géraldine dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; etc. Dans son poème « Unidad En Ella », l’écrivain espagnol Vicente Aleixandre nous parle justement de la dualité des désirs homosexuel et hétérosexuel, qui sont un seul et même « désir d’amour ou de mort ».

 

C’est la raison pour laquelle le désir homosexuel est souvent défini/représenté dans les fictions par une blessure, une cicatrice, une balafre : cf. le roman La Vie blessée (1989) d’Hugo Marsan, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, le film « La Brèche de Roland » (2000) d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, la chanson « Escargot » d’Éric Mie, le film « Fracture du myocarde » (1990) de Jacques Fansten, la chanson « Point de suture » de Mylène Farmer, le film « Torn Curtain » (« Le Rideau déchiré », 1966) d’Alfred Hitchcock, le roman De Perlas Y Cicatrices (1998) de Pedro Lemebel, le film « Les Souffrances » (2001) de Louis Dupont, le roman Blessés (2005) de Percival Everett, le film « Riparo » de Marco Simon Puccioni, le film « Les Blessures assassines » (2000) de Jean-Pierre Denis (avec les sœurs incestueuses), le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser (la grande plaie dans la cuisse de Jan, le héros homo), le roman L’Âge blessé (1998) de Nina Bouraoui, le film « Blessure » (2011) de Johan Vancauwenbergh, la série britannique Beautiful People (2009) de Jonathan Harvey (avec l’épisode « Ma première balafre », en anglais « How I Got My Gash »), le film « Separata » (2013) de Miguel Lafuente, le roman Blessés (2013) de Percival Everett, la chanson « La Blessure » d’Emmanuel Moire, etc.

 

Nathan dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier


 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan, l’un des héros homosexuels, porte une cicatrice sur la joue. Elle intrigue son amant Jonas : « Il a une cicatrice qui va de là à là. » révèle-t-il à ses parents, de retour du collège. Et elle semble être la marque de l’homosexualité de Nathan, puisque la maman gay friendly de ce dernier l’aime beaucoup et tente de la faire aimer aussi à Jonas : « Tu sais que je l’adore, ta cicatrice, mon chéri. Elle te donne plein de charme. C’est pas Jonas qui dira le contraire. Hein, Jonas ? » Pour expliquer cette balafre, Nathan fait croire à son amant qu’il a été abusé dès la classe de CM1 dans son école catholique de Saint Cyprien par un prêtre, qui l’aurait forcé à lui faire une fellation et qu’il aurait mordu au sexe… et ce prêtre, en représailles, lui aurait donné un coup de calice coupant au visage : « Du coup, il a pris la coupe qui était posée sur l’autel. Schlaaa… Il m’a fait ça. » On découvrira que l’entaille que Nathan porte sur sa joue ne vient pas du coup de calice, mais d’un lynchage collectif qu’il a subi aux autos tamponneuses à l’âge de 9 ans dans un parc d’attractions appelé Magic World. En effet, il s’est fait tamponner par une meute de voitures qui l’a chargé, au point que Nathan a été éjecté de sa voiture et s’est fait défigurer : « Et schlaaack ! La joue coupée en deux, sur la barrière de protection. » dira la maman de Nathan. La balafre de Nathan signera son arrêt de mort puisqu’à la fin, le prédateur homo qui tue le jeune homme dans sa voiture le flatte d’abord de manière perverse par rapport à celle-ci : « Elle est mignonne la petite cicatrice… »
 

« Je passe par toute la gamme de la souffrance. Tant de malheur. » (Vera dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « L’enfant sent en lui qu’il est porteur d’une minuscule fissure. C’est une chance et une souffrance. » (Damien, le travesti M to F parlant de lui-même par une métaphore, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai recollé mes morceaux. » (Mr Alvarez, qui dit avoir retrouver son unité en se travestissant en femme, idem ; il va quand même voir ensuite avec son nouvel ami – transgenre comme lui – Damien un film expérimental nommé « Éclat de viande »…) ; « Oui, tu as des cicatrices mais ce n’est pas grave. Ta vie serait plus simple si tu arrêtais de te torturer. » (Michael, le héros homo se moquant de son colocataire gay aussi, Harold, passant des heures devant sa glace à se mettre des crèmes, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Mais il n’oubliera jamais cette cicatrice que tu lui as faite. » (Michael s’adressant à Alan par rapport à Justin, idem) ; « Alors Didier, pour toi, est-ce qu’on peut refermer une cicatrice ? » (le présentateur télé s’adressant à Didier, l’un des héros homos, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « J’aime la cicatrice. » (le jeune Mathan, homosexuel, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « C’est l’attirance de deux femmes avec la même blessure. » (Klaus parlant des deux personnages lesbiens d’Helena et Sigrid dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas) ; « Toutes les cicatrices se rouvrent. » (Junn, la mère de Kai le héros homosexuel, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « La différence, c’est que toi tu n’es pas stigmatisée. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Tous les hommes sont des ignobles soldats allemands avec une cicatrice dans la lèvre. » (Alfonsina, l’ouvreuse dans un ciné porno, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Tu rouvres cette vieille blessure. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West revenant amoureusement à la charge, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

DÉSORDONNÉ Albator gay

 

Par exemple, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan, le héros homosexuel de 19 ans, dit avoir un lien secret avec Albator. Dans la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon et dans le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, le pirate Albator est le personnage préféré du héros homosexuel. Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Polly, l’héroïne lesbienne ressemble au fameux pirate : « Elle rejette en arrière la mèche qui vient lécher son visage d’Albator moderne comme au ralenti et j’ai peur qu’elle veuille que l’on fasse l’amour ensemble. » (p. 14) Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Franck chante « Albator » au chat de Matthieu, nommé Stelly (Stelly était d’ailleurs la protégée d’Albator). Dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, Torturé par son homosexualité, Zachary, le jeune héros homosexuel, se dessine le même éclair sur le front que David Bowie. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1985) de Copi, Vicky Fantomas est une femme avec une cicatrice sur la joue gauche, avec une attelle à la jambe ; elle a été victime d’un attentat au drugstore (et peut-être qu’elle-même portait la bombe). Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca ne comprend pas pourquoi il souffre (« Sur mon poitrail, aucune cicatrice. ») et pourtant, il se sent coupable de quelque chose. Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Yvette évoque l’existence d’un type surnommé « Dédé la Balafre » : « On l’appelle Dédé. Et parfois, on lui dit ‘La Balafre’. » Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, les deux héroïnes principales, à savoir Jane (lesbienne en couple avec Petra) et la jeune Anna (13 ans), ont la même éraflure sur le visage, à cause d’un lanceur de pierres qui a sévi autour de leur immeuble : « joue éraflée » (p. 33) ; « Jane se sentit un peu dépassée. Il était possible que la fille et elle aient été victimes du même lanceur de pierres. » ( p. 44) ; « Jane songea une nouvelle fois à Anna, à l’ecchymose au-dessus de son œil qui reflétait presque la sienne. » (p. 54) ; « Vous avez une coupure sur le visage. » (un flic s’adressant à Jane, idem, p. 147) ; etc. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homo, s’exerce au décryptage graphologique de l’écriture de l’homme qu’il aime, Dick : « C’est une blessure. » dont les lettres de Dick seraient signe. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, c’est au moment où Oliver sort avec le jeune Elio que sa plaie sur l’aine gauche se réouvre : « Je crois que ça s’infecte. » Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, au moment où il ressent une attirance pour son camarade Kevin, lui découvre sur la joue une petite plaie. Je vous renvoie bien évidemment au code de la « Moitié » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Il est signifiant que beaucoup de personnages homosexuels s’auto-proclament blessés de la vie, déchirés au niveau du désir et de l’amour, entre leur conscience et leurs actes sexuels : « Nous, les écorchés du cœur » (Louis II de Bavière dans la pièce Le Roi Lune (2007) de Thierry Debroux) ; « Je suis déchiré. » (Malcolm, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « Ici, les gens sont atypiques, on dit qu’ils sont fous, déments, déviants, cinglés, moi je crois qu’ils sont plutôt fêlés. C’est comme une blessure, c’est comme une coupure. » (Cécile à propos des habitants de l’hôpital psychiatrique où est internée son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 76) ; « Je ne suis pas mort… mais je suis séparé. » (Antonin Artaud, « Les Nouvelles révélations de l’être », 1937) ; « Au-delà de son orientation sexuelle, il percevait chez lui une fragilité. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 111) ; « Tu vas craquer. Tu es déjà plein de fissures. » (Georges à Zaza dans la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « l’homme blessé » (dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « De l’alcool ! Du coton ! Des ciseaux ! Du sparadrap ! Ça m’a l’air très mauvais cette blessure ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « C’est vrai qu’elle n’a rien, Fougère. C’est une petite blessure qu’elle a. C’est du cirque. » (Joséphine dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Je ne sais pas quoi penser de tout ça… Vraiment pas. Tout ce que je sais… Tout ce qu’on m’a appris… dit que c’est mal. Pourtant, l’autre soir, j’étais bien. C’est vrai. Je suis complètement paumé. J’ai l’impression d’être déchiré de l’intérieur. » (Seth dit à son amant David, dans le film « And Then Came Summer » (2001) de Jeff London) ; etc.

 

Le personnage homosexuel ne parle pas forcément d’une blessure. Il se cantonne à la définir comme un mal-être invisible, une faiblesse, une fragilité, une défaillance : « Je ne peux pas vous guérir. Votre tourment n’est pas dû à la maladie. » (Dr Apsey, le psy du héros homosexuel Frank, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Je suis trop fragile et beaucoup trop désirable. » (le transsexuel Roberto/Octavia La Blanca dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Je je suis si fragile qu’on me tienne la main. » (cf. chanson « Libertine » de Mylène Farmer) ; « J’ai besoin qu’on me tienne la main. Je suis fatiguée. […] J’me sens tellement seule, fragile, et provisoire. » (Charlène Duval lors de son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « J’aime les garçons un peu fragiles. » (un protagoniste homo dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « J’avais oublié combien elle était fragile. Sur le moment, j’ai été incapable de penser à autre chose ; appuyée contre moi, elle reposait entre mes bras et sur ma poitrine, et je la sentais à peine tant elle était légère. » (Ronit par rapport à son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 142) ; « Il est tellement sensible. » (Marie-Muriel parlant de son fils aîné homosexuel Matthieu-Alexandre, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « Je suis un garçon très sensible et attentionné. » (Max, idem) ; « Nous sommes très fragiles. Nous tombons. Nous échouons. Mais est-ce que c’est plus grave que ça ? » (le narrateur de la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust) ; « Tu préfères avoir un visage couvert de furoncles ou un mari un peu trop sensible ? » (Solange s’adressant à sa fille Zoé marié à un homme bisexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Je suis fragile, moi. J’ai eu les oreillons petit. » (Yoann, le héros homosexuel, idem) ; « Mon fils est un garçon fragile. Il ne faut pas le tourmenter. » (la mère d’Adrien s’adressant à Anna par rapport à son fils homo, dans le film « Frantz » (2016) de François Ozon) ; « T’es un peu fragile, toi… » (Léonard s’adressant à Jonas, le héros homosexuel, après avoir bu de l’alcool ensemble, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; « Ton ami est un garçon très émotif. » (Jean s’adressant à son fils Otis par rapport à son camarade homo Adam, dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « T’es tendre et fragile pour me rendre docile. » (c.f. la chanson « Pas un garçon » d’Emmanuelle Mottaz) ; etc. Par exemple, dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, Maryline, l’héroïne bisexuelle, décrit Gérard son mari violent et qui l’a violée comme « un être beaucoup plus sensible qu’on ne le croit ».

 

Parfois, le héros homosexuel se dit torturé par un désir incompréhensible, malveillant, mystérieusement insatisfaisant : cf. le film « Me Siento Extraña » (1977) d’Enrique Marti, le film « Petite fièvre des 20 ans » (1993) de Ryosuke Hashiguchi, etc. Dans le film « Un Tramway nommé Désir » (1950) d’Élia Kazan, par exemple, Blanche associe le désir homosexuel à un « désir brutal » allant aussi rapidement qu’un tramway. Dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le protagoniste parle de son désir « qui s’apparente à la mort ». Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis, le héros homosexuel, évoque une « brûlure froide ». L’émoi homosexuel fait parfois souffrir : « J’ai ressenti un flux. Comme un coup de poing. Avec un peu de tristesse. » (Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Le désir est à la racine de tous les maux. » (une réplique du film « Fire » (2004) de Deepa Mehta) ; « De temps en temps, ses yeux s’emplissaient de larmes à cause de son douloureux désir. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 205)

 

Le désir homosexuel, de par sa nature d’élan désunifiant, peut avoir une parenté avec la schizophrénie : il arrive que le personnage homosexuel « s’absente sur place », ne connecte plus ses actes avec son cœur ou sa conscience : « Je le vois bien que vous êtes là. Mais moi, est-ce que je suis là, moi ? Voilà le problème. » (Jeanne au Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Aujourd’hui je ne sais pas ce qu’il m’arrive. » (idem) Le vent du désordre homosexuel donne parfois l’impression d’unité dans l’écartèlement, car il apporte quelques petites compensations (la tendresse, la compagnie et la fin de la solitude, le bien-être sensitif et érotique, etc.) : « M. Fruges sentit un souffle chaud sur son oreille […] Alors des douleurs le poignirent aux jointures de ses membres, comme si on l’eût écartelé, mais cette torture cessa d’un seul coup pour être suivie d’une curieuse sensation de bien-être répandue dans toutes parties de son corps. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 143) ; etc.

 

Mais au final, le désir homosexuel est présenté comme un désir sauvage, violent, passionnel, qui rend incontrôlable une personne qui, en temps normal, est plutôt équilibrée : cf. le film « Wilde Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, le roman Alexis O El Significado Del Comportamiento Uraño (1932) d’Alberto Nin Frías, le roman Chanson sauvage (1918-1921) de Claude Cahun, le film « Relatos Salvajes » (« Les Nouveaux Sauvages », 2015) de Damián Szifron, le roman Les Garçons sauvages (1971) de William S. Burroughs, le roman Sauvage (2011) de Nina Bouraoui, le film « The Wild Dogs » (2002) de Thom Fitzgerald, la chanson « Walk On The Wild Side » de Lou Reed, le film « Le Messie sauvage » (1972) de Ken Russell, le film « Wild » (2015) de Troye Sivan, le film « Sauvage » (2019) Camille Vidal Naquet, etc. « J’ai des impatiences et des amuseries d’enfant sauvage. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 9) ; « Tu as l’air d’un sauvage de Bornéo. » (la mère de Idgie, s’adressant à sa fille lesbienne, dans le film « Fried Green Tomatoes », « Beignets de tomates vertes » (1991) de John Avnet) ; « Vous êtes des bêtes sauvages ! » (Lucie s’adressant à Martine, Michèle et Jules, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « J’suis une sauvage ! » (cf. la chanson « And I Hate You » de Mélissa Mars) ; « J’avoue : je me suis trompée ! J’ai dépensé des millions à te vouloir excentrique, bien élevée en liberté, en même temps sauvage et chic, cultivée et anarchique ! » (Solitaire à sa fille lesbienne Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Quand je dis que je ne suis pas fiable, je suis lucide. » (Cécile, l’héroïne lesbienne du roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 142) ; « C’est un maniaque du désordre, celui qui a fait ça. » (Omar en parlant de l’agresseur homosexuel/homophobe de Xav dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « S’il y en a qui connaît l’animal qui est en moi, c’est bien toi, non ? » (Pierre s’adressant à son amant Benjamin dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Tu es irréel et moi animal. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 212) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Luther, l’un des héros homosexuels, a pour parfum Eau Sauvage de Dior. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, le skinhead efféminé est décrit comme « un Peter Pan sauvage » (p. 95). Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, la mère de Steve le héros homo porte le parfum Eau Sauvage de Christian Dior.

 

Le désir désordonné tourmente, met le personnage homosexuel dans tous ses états. « Il vous est apparu si désemparé. […] Qu’est-ce qui peut bien l’avoir conduit à cet état ? » (la voix narrative du roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 191) ; « Ils [« les pédés »] sont flous, excessifs, durs. » (les quatre personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « C’est comme un mal en moi qui m’effraie qui me tord. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Je suis super mal en ce moment. » (Clara, perdue dans sa sexualité et son orientation sexuelle, et qui commence à coucher avec n’importe qui et à faire n’importe quoi, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; etc. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros homosexuel, décrit sa transformation en Jean-qui-rit/Jean-qui pleure sous l’effet désordonné de l’amour homo : « Des moments sublimes où régnaient en moi une joie et une confusion absolue. Des instants d’angoisse qui basculaient toujours de façons inattendues en allant de la panique à d’intenses moments de bonheur. À chaque fois, je rentrais la tête dans les étoiles, partagé par des envies successives de rire ou de pleurer, parfois les deux ! » (p. 360) Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, vivait une relation amoureuse cachée avec Charles, un homme décrit comme un alcoolique suicidaire : « Cet homme vivait dans une grande souffrance ».

 

Film "Les Enfants du désordre" de Yannick Bellon

Film « Les Enfants du désordre » de Yannick Bellon


 

Le désir homosexuel apparaît comme un désir effréné, compulsif, difficilement contrôlable, peu libre et libérant : « Les pédés sur le net ne pensent qu’au cul. » (Nono dans la pièce « Copains navrants » (2011) de Patrick Hernandez) ; « Fatalement, Grégoire savait tout cela [= mes infidélités], mais il misait sur le temps qui, selon lui, me ferait émerger du désordre de ma vie sentimentale. » (Ednar parlant de son amant, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 144) ; « En somme, le plus difficile dans notre histoire amoureuse était de pouvoir maîtriser mon irrésistible instabilité qui perturbait notre couple après quatre années de vie commune. » (idem, p. 155) ; « Je m’approchai et lui présentai ma boîte à capotes aux emballages bariolés. Pour vivre dans l’indépendance et le désordre, ne fallait-il pas user de cette monnaie-là ? » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 59) ; « Il y a quelque chose en moi qui me dévore C’est une rage sans limite. Je n’ai aucune explication pour ça. » (João, le héros homosexuel du film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz) Par exemple, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos, François, l’homosexuel, dit qu’il a pour habitude d’« assouvir tous ses fantasmes » : il fonctionne au carburant de l’envie, comme s’il était le pantin de ses pulsions.

 

Dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, à travers le discours de la narratrice lesbienne, Alexandra, on voit tout à fait la voracité et le manque de liberté impulsés par la force désirante homosexuelle : « Je ne suis pas avertie et connais peu des forces étranges qui se manifestent quelquefois en moi. Elles me submergent d’un désir si soudain que mon ventre me réclame le soulagement qu’il lui faut. […] À certains moments, mon vice est le maître de tout. » (p. 28) ; « Je veux trouver par moi-même ce qu’il me faut, ne dépendre de rien d’autre que de mon propre désir. » (idem, p. 38) ; « J’eus des chaleurs et des poussées d’une intensité terrible. J’avais besoin d’un soulagement rapide. Trop nerveuse pour me maîtriser, en pleine crise, j’étais à l’affût du moindre sourire me permettant d’espérer le corps d’une femme qui, comme moi, serait dans cette quasi douleur du manque de chair et prête à s’offrir sur l’instant. […] Jusqu’où me mènerait cette force si exigeante ? » (idem, p. 44) ; « À ce moment, il m’apparut que seule la force – ou plutôt le chantage – me permettrait d’obtenir ce que maintenant j’en voulais : du plaisir. » (idem, p. 49) ; « Ma mauvaise nature m’avait appris que mon plaisir était plus grand quand il était pris sans prudence, à l’instant où il se présentait. Voilà maintenant que je pensais contre la réalité, m’imaginant comme une femme qui vivrait avec une autre femme, dans, si j’ose dire, la sécurité d’un couple. […] Il me fallait assouvir cette faim que j’avais du féminin. D’autant que je prenais conscience que seul le corps, chez les femmes, m’intéressait. Je ne me sentais pas capable d’aimer vraiment. Mon désir se manifestait dès que le corps d’une autre me paraissait accessible, me souciant seulement du plaisir que j’en espérais. On ne peut pas appeler cela de l’amour. En société, j’imaginais les femmes qui m’entouraient déshabillées et offertes, et très vite, dans un état presque halluciné, je leur prêtais des postures ou des situations que je n’ose décrire, même dans mon carnet… Ma cruauté, dans ces instants, me préparait à l’idée qu’un jour je n’aurais plus vraiment de limite et que mon ‘vice’ m’avalerait entièrement. Je combinais et raisonnais de plus en plus en fonction de lui, sentant bien que, quand j’étais dans ces étranges dispositions, en crise, comme on dirait, c’était lui qui déterminait tout ce que je pensais et faisais. J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. » (idem, pp. 56-57) ; « Je suis préoccupée car je sais que ces moments où il ne se passe rien sur le plan qui m’intéresse font monter en moi, dans l’ombre, des désirs trop forts et trop soudains qui me pousseront à agir, sans que je puisse résister. » (idem, p. 75) ; « Cette bizarre disposition qui me pousse résolument vers les femmes n’entraîne-t-elle pas celles qui m’entourent, comme une mauvaise herbe prendrait possession d’un jardin auparavant bien ordonné ? Une sorte de maladie qui se propagerait, pervertissant les esprits et les corps, mais aussi ouvrant les cœurs et révélant les âmes ? » (idem, p. 97-98) ; « Je compris que les amies allemandes de ma cousine étaient mues par une force invisible qui exigeait que le plaisir qu’elles prenaient des femmes se répandît, si possible, dans l’univers entier, et que pour parvenir elles comptaient beaucoup sur la contagion. » (idem, p. 110) ; « Lorsque dans sa lettre j’ai lu le mot « envie », j’ai eu instantanément une forte poussée de désir. » (idem, p. 131) ; etc.

 

Le désordre dont il est question dans les œuvres homosexuelles est bien souvent synonyme de « viol » consenti, de débauche délectable : « Nos cent rats de la soldatesque dormaient en désordre. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 147) ; « Alors, le silence revient dans la chambre de mon enfance. Je regarde les volets fermés sur la fenêtre ouverte […] et le lit où nous nous trouvons étendus, dans le désordre des draps de famille, ceux où figurent les initiales des noms du père et de la mère, comme des armoiries ridicules. Je regarde ce tout petit monde qui n’est pas à notre mesure, ce lieu étrange où je n’imaginais pas perdre ma virginité, cet espace incertain où nous tanguons délicieusement. » (Vincent en parlant de son couple avec Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 68) ; « Le jeudi, j’ai fait quelque chose de mal. […] J’ai senti la culpabilité me brûler le visage tandis que je demandais la chose en question, et dans ma tête une petite voix disait : ‘Celle-là, elle n’est pas pour toi. […] Tu essaies de voler ce que tu ne désires même pas.’ Parce que tu t’y connais, en désir ? Ça, au moins, c’est notre domaine, pas le tien. Et pourquoi tu parles de voler ? Je l’ai trouvée la première. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, entend une voix maléfique avec qui elle dialogue, au moment où elle prétend voler le cœur d’Esti, une femme mariée, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 223-224) ; etc. Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, il est question du « corps en désordre » (p. 151) d’Arlette. Dans le nouvelle « La Mort d’un phoque » (1983) de Copi, le narrateur se fait trucider la bite « au milieu d’un désordre phénoménal (les tables cassées parmi les bouteilles arrosées de confettis) » (p. 22)

 

Le héros homosexuel va même jusqu’à dire que son désir homosexuel est démoniaque et qu’il faut s’en méfier parce que lui-même ne le maîtrise pas. C’est son « doux démon », en quelque sorte : cf. la chanson « Protect Me From What I Want » du groupe Placebo, la pièce Sortilegio (1942) de Gregorio Martínez Sierra, la chanson « Mon démon » du Teenager de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger, la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer, etc. « Le serpent aussi donnait des ordres de l’ordre de l’ordre, si j’ose dire. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 107) ; « Je me bats contre une douleur fantôme qui me hante depuis des mois, des années. » (Muriel Bonneville, Mi-ange, mi-démon (2006), p. 7) ; « Longtemps, Adrien avait cru ce penchant, ce mauvais penchant, surmontable. Dieu serait plus fort que son désir. Il saurait même dissiper, extirper jusqu’à sa racine ce mal profond. Il avait bien fini par comprendre, de guerre lasse, que la blessure resterait longtemps. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 25) ; « À n’en pas douter, quelque chose a été profondément bouleversé en moi et je ne suis plus celle que j’étais avant de poser le pied sur votre île. Aurais-je bu un philtre à mon insu ? » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 143) ; « Laisse-toi cueillir âme sœur exquise, à la marge limite banquise, le désordre des sens, le démon qui te pique, comme la nature chimique de mon attachement à toi. » (cf. la chanson « Les Fleurs de l’interdit » d’Étienne Daho) ; etc. À la fin de son roman Le diable au corps (1923), l’écrivain français Raymond Radiguet, évoque la présence d’un « homme désordonné ».

 

Le désir homosexuel entraîne parfois le héros homosexuel (et son amant fictionnel) dans des sentiers escarpés inattendus et désagréables : « Et bien tu peux lui dire de ma part qu’il [le désir] nous a fait un sale coup. » (Arnaud à son amant Mario, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) Par exemple, dans la chanson « Réveiller le Monde » de Mylène Farmer, il est question du « souffle démon ».

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Tout désir est considéré comme un dieu auquel il faut se soumettre :

Beaucoup de personnes homosexuelles laissent une grande place au désir dans leurs discours et leurs vies. Actuellement, elles ont d’ailleurs tendance de le rebaptiser « droit » (« désir » et « droit » commencent par la même lettre : ça doit être pour ça…). Selon une certaine pensée homosexuelle et féministe, le corps humain n’aurait pas d’importance. Nous serions davantage des anges que des humains. Nous ne serions que des émotions, des sensations, des êtres désincarnés, de purs esprits : « Le désir n’a pas de genre biologique. » (Stéphanie Arc) ; « Le sexe anatomique n’a pas d’importance. C’est l’individu qui compte. La Nature ne dit rien du désir. » (Michèle Ferrand) ; « Vous ne croyez pas que l’Amour est plus important que la biologie ? » (Jean-Marc Morandini face à Albéric Dumont, dans la matinale d’Europe 1, mardi 16 septembre 2014) ; etc. C’est la raison et la (non-)volonté plus que les corps qui dirigeraient le Monde. « Queer est plus généralement cet art même du déplacement, touristique ou zoophilique, stylistique ou corporel, l’art d’être où rien ne vous attend. » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 15)

 

Mais de quel « désir » parlent-elles, au juste ? Des grands désirs (amour vrai, amitié, engagement de couple, fidélité, rêves, promesses, don entier de soi aux autres, abandon de sa personne, actions de charité concrètes pour les autres, obéissance et service, combats pour la vie, liberté audacieuse encadrée par la raison, Dieu, etc.) ou bien des petits désirs (fantasmes, passion, imaginaire, sentiments, état amoureux, sincérité, envies, goûts, pulsions, instincts, bonnes intentions, plaisirs éphémères des sens, bien-être, etc.) ? Dans le cas des sujets homosexuels, on se situe malheureusement davantage dans les petits désirs, ceux qui anesthésient la révolte de ne pas donner un sens plus profond à sa vie, ceux qui compensent le manque des grands désirs, ceux qui ne favorisent pas l’unité et la conscience, mais au contraire qui accentuent le désordre. « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. J’ai imaginé les deux garçons, le grand aux cheveux roux et le petit au dos voûté, me contraignant à toucher leur sexe, d’abord avec mes mains puis avec mes lèvres et enfin ma langue. J’ai rêvé qu’ils continuaient à me cracher au visage, les coups et les injures ‘pédé’, ‘tarlouze’ alors qu’ils introduisaient leur membre dans ma bouche, non pas un à un mais tous les deux en même temps, m’empêchant de respirer, me faisant vomir. Rien n’y faisait. Chaque contact de Sabrina avec ma peau me ramenait à la vérité de ce qui se passait, de son corps de femme que je détestais. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 193) L’élan homosexuel est davantage un manque de désir qu’un désir, en fait : « Plus j’avançais, plus je me rendais compte que rien ne me prédisposerait d’une facilité dans mes rapports avec les autres garçons. Ces rapports effectivement, contribuaient à m’instruire que je rentrais dans une société dont le grand principe est le refoulement. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 74) ; « Le transsexuel est généralement un individu sans volonté. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 342) ; « Qu’est-ce que je veux au juste ? Je ne peux pas lui répondre, je ne le sais plus moi-même. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 337) ; « Que de fois tu m’as dit qu’il valait mieux faire la liste de ce que j’aime, plutôt que celle – interminable – de ce que je n’aime pas ! » (Denis Daniel, Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 65) ; etc.

 

En général, le désir désordonné – ils diront « amoureux », « improvisé », « artistique », « révolutionnaire » – est considéré comme un dieu : « Copi défend le plus grand des désordres, et c’est cette anarchie antisociale et festive, qui se branle de tout, que l’on devrait revendiquer. » (Marcial Di Fonzo Bo dans l’article « Le plus Bo des Argentins » de Franck Sourd, sur le journal Les Inrockuptibles du 30 mars 2005) ; « Je suis pour l’ordre. Vive l’ordre ! … Évidemment, l’ordre le plus raffiné est celui qui fait la plus grande place au désordre ! » (Renaud Camus dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic) ; « Contre la droite et l’ordre moral : nos désirs font désordre. » (cf. un tract LCR que j’ai vu à la Gay Pride de Paris en 2008) ; « Il est de l’ordre en forme de désordre. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain) ; « Tout le bazar indispensable aux happenings de Mirna. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 282) ; « C’était un peu n’importe quoi dans tous les sens. » (Philippe Morillon parlant des soirées orgiaques de la boîte gay du Palace dans les années 1980, dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », défend auprès de Descartes les vertus de « l’amour déréglé » homosexuel. Ernst Röhm, dès 1928, écrit ses Mémoires d’un traître et confie : « Étant immature et mauvais, je suis plus en faveur de la guerre et du désordre que de l’ordre bourgeois bien élevé. […] J’affirme d’emblée que je ne fais pas partie des braves gens et que je n’ai aucune envie de leur ressembler. » (p. 267 et p. 362)
 

DÉSORDONNÉ 1 LCR

 

Est souvent exprimé par les personnes homosexuelles le désir d’être le Désir, ou bien une déification des désirs personnels au détriment des désirs collectifs. Par exemple, Michel Foucault souhaite privilégier « le lien du désir à la réalité » et non celui de la Réalité au désir (Michel Foucault, « Préface » de L’Anti-Œdipe, dans l’essai Dits et Écrits II, 1976-1988 (2001), p. 136). Dans son article « Avatares De Los Muchachos De La Noche » (1989), le poète argentin Néstor Perlongher se prend pour son désir : « Dérive du Moi, dérive du désir. » (pp. 46-47) L’identification à son désir traduit une conception égocentrique de l’amour, qui ne fonctionnerait qu’en circuit fermé : « Nous ne voulons pas qu’on nous pourchasse, ni qu’on nous arrête, ni qu’on nous discrimine, ni qu’on nous tue, ni qu’on nous soigne, ni qu’on nous analyse, ni qu’on nous explique, ni qu’on nous tolère, ni qu’on nous comprenne : ce que nous voulons, c’est qu’on nous désire. » (Néstor Perlongher, « El Sexo De Las Locas » (1983), p. 34) Se cache en toile de fond de cette auto-sacralisation orgueilleuse un mépris de soi : par exemple, dans son essai King Kong Théorie (2006), Virginie Despentes se définit comme une personne « plus désirante que désirable » (p. 11).

 

 

En général, les personnes homosexuelles parlent du désir comme d’une formidable énergie – à consommer la plupart du temps égoïstement (ou à la rigueur à deux, avec son partenaire temporaire) –, d’une puissance euphorisante, d’un désordre jouissif irréprochable… même si elles sont bien en peine après de justifier par les mots pourquoi chez elles une telle fascination pour l’éclatement, mis à part en sentimentalisant, en esthétisant, ou en politisant à l’extrême leur idolâtrie pour Eros. « Je me rendais compte, moi, que c’était toute ma personne, tout mon désir refoulé depuis toujours, qui m’entraînait dans cette situation. Je brûlais d’excitation. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 152) D’un air éthéré ou malicieux, elles prônent arbitrairement « l’ordre du désordre », la « révolution de l’inversion », la « vérité » des improvisations et des errances d’un désir capricieux pseudo inattendu : « Le désordre est le principe anti-social par excellence. » (cf. l’article « Apologie du désordre » de Mohamed Belmorma, publié dans la revue Minorités.org, 9 juillet 2011) ; « Les choses sont venues dans le désordre. » (Pierre Bergé parlant à la fois de sa relation avec Yves Saint-Laurent, et de la progression de ses collections, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; etc. Le romancier Érik Rémès dit avoir « un problème très infantile vis-à-vis de la loi, de l’ordre » (cf. l’article « Érik Rémès, écrivain » de Julien Grunberg, sur le site www.e-llico.com consulté en juin 2005).

 

Dans les discours, est très souvent confondu le désir libre avec le consentement (« Le désir justifie tout, pourvu qu’il soit partagé. » déclare par exemple Cathy Bernheim dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003), p. 191). Or, ce sont deux choses bien distinctes. La réciprocité et la liberté apparente que semble comprendre le consentement mutuel ne sont que poudre aux yeux pour ne pas se regarder mal agir. Car se mettre d’accord pour poser une action amoureuse et sexuelle à deux, même si on se dit adultes vaccinés, sincères, amoureux, et apparemment conscients des actes qu’ils posent, n’est pas une garantie de bien agir, ni une assurance d’agir librement. Pour prendre des exemples précis, une prostituée et son client peuvent très bien se mettre d’accord « sur le papier » pour respecter une parfaite transparence dans la consommation mutuelle : l’acte qu’ils poseront restera une exploitation ; pareil pour le cas des couples homosexuels où chacun des deux partenaires va voir ailleurs : quand bien même ils estiment qu’ils ont le droit de s’être infidèles à partir du moment où ils se le disent (certains voient même cette franchise comme une nouvelle preuve d’amour qui va renforcer leur couple déjà à l’article de la mort ! un comble…), la violence de l’infidélité reste inchangée. Ce n’est pas les intentions, la franchise, le consentement, la transparence, la sincérité, qui font la justesse d’un acte ; c’est aussi l’acte en lui-même. En sacralisant leurs petits désirs au détriment de la reconnaissance des actes, beaucoup de personnes homosexuelles signent à leur insu l’arrêt de mort du vrai Désir, et s’exposent à se soumettre à la pulsion, aux fantasmes amoureux, aux affres de la passion sentimentale éphémère, à l’absence de liberté. Elles se rendent compte qu’elles posent des choix sans conscience et sans liberté : « C’est mes choix et je ne les ai pas choisis. » (la phrase d’Amina, une jeune femme lesbienne de 20 ans, venant conclure le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014)

 

C’est comme si, chez elles, s’opéraient deux mouvements apparemment opposés. D’un côté, elles vont dire qu’elles possèdent parfaitement leurs désirs et que ces derniers ordonnent au Réel. Mais d’autre part, comme elles constatent que leurs désirs ne sont pas des ordres, et qu’elles ne sont pas Dieu, elles se transforment, pour noyer leur orgueil ou leur déception, en marionnettes passives de leurs petits désirs. Elles se livrent pieds et poings liés à leurs instincts, comme subjuguées par leur propre orgueil : « Le désir rend souvent aveugle et nous sommes des proies tellement faciles ! » (Denis Daniel, Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 119) ; « C’est, je pense, l’intérieur qui commande. » (Pierrot, le papy fermier de 83 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Chacun peut être ce qu’il veut. » (Victoria Broackes interviewée dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc.

 
 

b) Le désir homosexuel : un désir intrinsèquement désordonné :

En réalité, les personnes homosexuelles ne maîtrisent pas autant qu’elles le disent leur désir. En effet, elles veulent s’en rendre les objets d’avoir trop cherché à posséder leur(s) objet(s) de désir. Naît souvent de ce rapport idolâtre et passionnel au désir un trouble, une impression d’être son propre esclave (ou, ce qui revient au même, esclave de ses pulsions). « Tel un jeu de Yo-Yo, je désespérais et reprenais courage en face de ce mal de vivre. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 57) ; « Aveuglé par cette impression de m’être arraché à un mal qui jusque-là m’avait semblé incurable, j’oubliai quelque temps la résistance du corps. Je n’avais pas envisagé qu’il ne suffisait pas de vouloir changer, de mentir sur soi, pour que le mensonge devienne vérité. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 174) ; « Je peux pas me contrôler. » (Yves Saint-Laurent parlant de ses pulsions sexuelles et de son addiction à la drogue, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « Je ne savais pas encore que quelque chose en moi ne tournait pas rond. » (Rilene, femme lesbienne dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Je sentais déjà au fond de moi que quelque chose ne tournait pas rond. » (le dessinateur homo Ralf König, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Ce n’est pas un hasard si le lexique du désordre revient comme une marotte dans leurs discours : cf. le documentaire « Zucht Und Ordnung » (« Law And Order », 2012) de Jan Soldat), l’essai Gender Trouble (Trouble dans le genre, 1990) de Judith Butler, la biographie Désordres : Lettre à un père (2012) d’Elsa Montensi (où la fille écrit à son père homosexuel), au documentaire « Çürük – The Pink Report » (2010) d’Ulrike Böhnisch, à l’essai Disorders (2020) de Joseph Sciambra ; etc. « Qu’est-ce que l’homosexualité dans une famille, comment y réagit-on, quelles conséquences ce désordre entraîne-t-il ? » (cf. l’interview de Franco Brusati par Claude Beylie, dans la revue L’Avant-Scène Cinéma, n°277, 1er décembre 1981) Je vous renvoie au nom de la maison d’édition Laurence Viallet – Désordres (Musardine) publiant des auteurs homosexuels, à l’essai La Famille en désordre (2002) d’Élisabeth Roudinesco, etc. Dans leur essai Le Cinéma français et l’homosexualité (2008), Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni définissent le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau comme un « film des désordres du désir » (p. 227). Dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, le compositeur homosexuel Érik Satie est surnommé « l’Ange du Bazar ». Dans l’avant-propos des Cahiers (1919) de Vaslav Nijinski, Christian Dumais-Lvowski aborde la question des « désordres intérieurs » du célèbre danseur étoile homosexuel.

 

DÉSORDONNÉ Désordres Cocteau

 

En règle générale, même si ce n’est pas toujours très conscient, il est fait référence à un désir homosexuel compliqué, difficile à gérer, peu viable, qui fragilise et rend paradoxal celui qui le ressent durablement : « On constate que l’homosexualité fait problème à l’homosexuel, alors même que le coming-out est devenu chose courante. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 198) ; « Si le mot ‘paradoxe’ devait être incarné, il prendrait alors inévitablement l’apparence de Stéphane. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 48) ; « Tu es l’homme le plus compliqué de la terre, tu le sais bien. » (Laurent en parlant de manière infantilisante à son amant André, frustré de son indifférence, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 86) ; « Plusieurs fois, je tentai le diable, courant les rues, les squares, le soir, à la recherche d’âmes sœurs. J’eus en quelques semaines plusieurs expériences homosexuelles fort diverses, brèves ou compliquées. J’en ressortis affreusement blasé et dégoûté. Je me disais à moi-même : ‘S’agit-il véritablement d’inhibitions ou était-ce une disposition effectivement invertie ? » (idem, p. 111) ; etc. Selon les mots de Bernard Grasset, Marcel Proust était « l’homme le plus compliqué de Paris » (cf. l’article « Proust au miroir de sa correspondance » de Luc Fraisse, dans le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 32). Dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel, il est question de la permanente « intranquillité » qui habite Stefan Sweig. Je vous renvoie également à l’article de Didier Lestrade intitulé « La Folle compliquée », publié sur Minorités le 10 juillet 2011.

 

Dans son documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011), Patricia Mortagne demande à son père de 67 ans (qui a fait un coming out tardif) : « Si tu avais pu ne pas vivre ton homosexualité, tu l’aurais fait ? » ; et ce dernier lui fournit une réponse paradoxale : « Sûrement : ça perturbe énormément, quand même. »

 

Le désir homosexuel n’est pas de tout repos : « Depuis l’âge de 16 ans, je savais que j’étais vraiment attirée par les femmes, je le savais, je le sentais ce truc-là. C’était assez paradoxal, parce que la première connaissance que j’ai eue de l’homosexualité, j’étais plutôt prête à la rejeter, à l’éviter. » (Laura, une femme lesbienne de 49 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 52) ; « Moi je me dis, je viens d’un milieu plutôt intello, alternatif, où a priori, c’était possible d’assumer ça plutôt facilement, et en fait je me suis grave pris la tête pendant dix ans et je ne sais pas pourquoi. » (Louise, femme lesbienne de 31 ans, idem, p. 54) Par exemple, dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), Jean-Michel Dunand se définit comme un « adolescent bouillonnant de vie et meurtri par ses contradictions ». (p. 19)

 

Il n’est jamais simple, au niveau du désir sexuel, de s’éloigner du corps, et en particulier du corps humain sexué. Cela implique parfois des douleurs physiques, mais surtout une perte de joie, une tourmente intérieure, comme le montrent ces propos : « Travailler pour me retrouver pratiquement à découvert chaque mois, personne pour m’aider, peur de pas pouvoir tenir le coup dans ma solitude, et plus ce gros problème d’homosexualité qui me ronge au plus haut lieu dans mon corps, jusqu’à des maux de têtes, diarrhées quotidiennes, sorte de dégoût et de fatalisme. Voila ma situation actuelle. […] Alors je me dis que je dois accepter d’être homo mais je ne trouve pas attirant le corps d’un homme, mais que si j’ai cette vision c’est que émotivement inconsciemment j’ai envie d’aller vers ça et que j’ai dû faire un déni d’homosexualité dans l’enfance et que ça m’a complètement fragmenté dans ma vie. Beaucoup de psys expliquent ceci aussi car aller contre sa propre nature qui est en premier lieu notre sexualité, ben c’est la destruction assurée dans toute notre vie et notre être. […] Dès que ma mère a appris qu’elle était enceinte de moi elle a hésité à me garder. Vient ensuite la naissance où l’accouchement fut une boucherie tant pour elle en perfusion de sang et moi avec l’oreille déchirée, je suis arrivé dès le départ dans la souffrance. […] Maintenant je ne suis même plus attiré par quelques corps que ce soit, comme si j’étais un asexué sans âme, comme si la tristesse avait pris possession de tout mon être. […] Une fois, seul en leur présence, je trouve de la tristesse, du vide, un sentiment de malaise – c’est inexplicable – mélangé à un système de pensée de perversité et d’égoïsme (moi-je). Je me sens mal a l’aise à leurs cotés. Comme si c’était la mort, l’extinction. Je me rends compte en les observant qu’ils sont malheureux intérieurement. Même s’ils sont passés du cotés homosexuel, ils sont restés toujours tristes en eux mêmes. Pas qu’on ne les comprenne pas, même si ça peut en faire partie, mais comme si il y a un problème d’incarnation dans la matière. » (cf. le mail d’un ami Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014)

 

Je crois en effet que le désir homosexuel incite à l’éclatement symbolique du corps et du cœur : « Je ne suis pas contradictoire, je suis dispersé. » (Roland Barthes, « La Personne divisée », dans l’essai autobiographique Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 127) Dans l’émission Radioscopie sur France Inter le 6 mai 1976, Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, avoue qu’il a toujours été amoureux dans toutes ses relations, mais q’il s’agissait d’un « amour assez dispersé ». Soit dit en passant, on entend souvent dans le discours des personnes homosexuelles le désir de « s’éclater » dans les fêtes, dans la consommation de drogues, dans les passions amoureuses. Les verbes « tomber amoureux » ou « adorer » l’emportent sur celui d’« aimer (s’engager) ». On reste dans le registre de la passion amoureuse, aussi puissante qu’éphémère et déstructurante.

 

Le philosophe Roland Barthes en cours

Le philosophe Roland Barthes en cours


 

Le désir homosexuel (tout comme le désir hétérosexuel) est le signe d’un élan divisant, d’une blessure identitaire et affective : cf. la photo Andy Warhol avec cicatrices (1969) de Fischer.

 

Parfois, les personnes homosexuelles se décrivent comme un pirate avec une cicatrice, et s’identifient aux visages coupés. « Mireya [l’héroïne de la série La Vie désespérée de Mireya, la Blonde de Pompeya] taillade le visage du Morocho, son homme, avec une bouteille de vin Mendoza qu’elle a cassée sur le comptoir en étain du café El Riachuelo. Mireya court désespérée dans la rue. Il pleut des cordes. La blonde s’appuie contre un réverbère et pleure à chaudes larmes. Ses pleurs se mélangent aux gouttes de pluie. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 247) ; « Sur le front de Slimane, il y a quatre rides. Au bout de son nez, il y a comme une petite fissure. Slimane dit que sa grand-mère Maryam a la même. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 104) ; etc. Par exemple, elles disent leur passion pour le manga japonais Albator et ce personnage est parfois utilisé comme pseudonyme sur les sites de rencontres Internet.

 

L’action de se couper le visage n’est pas à prendre dans son sens littéral, mais à mon avis, à interpréter comme un refus d’accepter son identité humaine, et plus largement la réalité de la sexualité. Pour certaines personnes homosexuelles, la découverte de la différence des sexes a parfois été bêtement vécue comme un coup de hache, une séparation définitive de l’Amour (femme/homme, mais aussi créature/Créateur). C’est le cas de l’écrivain Jean Genet, par exemple. « Il ne meurt pas. La conscience reflue, Genet renaît de ses cendres ; la tante-fille, coupée en deux par le couteau d’abattoir, se recolle. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 133)

 

De par sa nature de force désunifiante, le désir homosexuel peut même avoir une parenté avec la schizophrénie (cf. je vous renvoie au code « Doubles schizophréniques » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Je ne me ferai pas que des amis en énonçant cela (je rappelle, pour la petite histoire, que l’Association Psychiatrique Américaine – APA – décida en 1973 aux États-Unis de rayer l’homosexualité de sa liste des « désordres mentaux »), mais tant pis : c’est de l’observation de terrain. Il arrive que certaines personnes homosexuelles « s’absentent sur place », présentent des traits de bipolarité psychiques, ou, sans aller jusqu’à ses extrêmes pathologiques, soient simplement lunatiques et bien atteintes par la névrose. Il suffit de faire un tour sur les sites de rencontres homos sur Internet pour constater que les trois quarts de la population interlope adoptent des attitudes névrotiques qui laissent perplexe… À force de discuter avec les internautes, on se demande même si ces forums sociaux ne sont pas des hôpitaux psychiatriques non-agréés, des ersatz de groupes de thérapie collective, des nids de névrosés, ou des mouroirs du désir, tant les « dials » n’ont très souvent ni queue ni tête, et qu’on ressort de ce Salon de l’Illétrisme généralisé en finissant par croire que « les gays et les lesbiennes sont tous chelous ». De même, les lieux de drague et de désir homos constituent pour la plupart des espaces du viol consenti et organisé, où se développent des blessures et des désordres plus ou moins visibles : « Les lieux gays sont hantés par l’histoire de cette violence : chaque allée, chaque banc, chaque espace à l’écart des regards portent inscrits en eux tout le passé, tout le présent, et sans doute le futur de ces attaques et des blessures physiques qu’elles laissèrent, laissent et laisseront derrière elles – sans parler des blessures psychiques. Mais rien n’y fait : malgré tout, c’est-à-dire malgré les expériences douloureuses que l’on a soi-même vécues ou celles vécues par d’autres et dont on a été le témoin ou dont on a entendu le récit, malgré la peur, on revient dans ces espaces de liberté. » (Didier Éribon à propos des parcs et de jardins, dans son autobiographie Retour à Reims (2010), p. 221) Les lieux d’homosociabilité disent en général les errances et le caractère désordonné du désir homosexuel.

 

Dans son essai Le Règne de Narcisse (2005), Tony Anatrella identifie chez les sujets homosexuels un symptôme de dépression, d’effondrement de la personnalité ou de la volonté : « Celui-ci [le sujet homosexuel] se manifeste par des comportements incohérents, capricieux, autoritaires et instables. Ainsi un rendez-vous prévu la veille est refusé le lendemain matin. » (p. 64) Ce n’est pas faux que de le dire.

 

En 1932, Freud démontre bien, dans son étude « Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité » que, souvent, le sujet se convertit à l’attirance des personnes de même sexe que lui à la suite d’une meurtrissure narcissique. D’ailleurs, certaines personnes homosexuelles osent, à de rares occasions, montrer leur plaie existentielle, même si leur aveu reste encore très codé et symbolique : « Je porte désormais une alliance. J’y ai fait graver un signe qui symbolise une fracture. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 144) ; « De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. […] Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître. » (Eddy Bellegueule dans son roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 13) ; « À la vérité, nous sommes tous plus ou moins victimes, à la base, d’une blessure d’amour, du véritable amour humain. Blessure que, dans la plupart des cas, nos mères ne surent pas soigner. Notre nature de faibles nous a conduits à négliger à notre tour cette plaie que nous avions le devoir de panser. Ainsi négligée (disons le mot : entretenue), la blessure est devenue un ulcère chronique et le mal affreux ne cesse d’en suinter, comme un pus d’amour perverti, fétide, et nauséabond. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 92) ; « Pendant de longs jours, j’eus l’impression d’être guéri : la vision ignoble de ce garçon, que je croyais viril, les images de cet homme singeant la femme en présence d’un autre homme tout aussi efféminé, tout cela endormait en moi toute velléité de recommencer. Toutes mes aventures, je les avais eues ou menées sous le signe de cette domination : en un mot, je ne m’étais jamais vu moi-même. Sensible et féminin, désirant d’impossibles caresses, j’eus alors la révélation que l’on n’est pas fait pour cela ; je sus qu’il y avait, en cet individu, quelque chose de détruit, comme en moi-même. Une sorte de timidité sexuelle faisait de nous ‘les invertis’, des monstres, des malades. Ainsi, il m’arrivait parfois de ne pas croire à ma propre homosexualité. » (idem, p. 110)

 

Certaines personnes homosexuelles dévoilent leur fragilité, leur sensibilité à fleur de peau… même si immédiatement après, elles jouent les fières : c.f. le one-man-show Sensiblement viril (2019) d’Alex Ramirès.
 

Par exemple, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), l’écrivaine lesbienne Paula Dumont se désarme devant son lecteur, se met à nu en disant que ses aventures amoureuses lesbiennes sont révélatrices chez elle d’une « grande fragilité dans le domaine sentimental » (pp. 114-115) ; « Si mon homosexualité consiste à chercher à combler la carence affective dont j’ai souffert quand j’étais petite, je me demande aujourd’hui s’il ne vaut pas mieux renoncer à la quête, vouée d’avance à l’échec, d’une compagne susceptible de panser les blessures de la petite fille que j’ai été il y a plus de cinquante ans. Car la gamine en souffrance sera de toute manière toujours là, à gémir sur ses plaies… »

 

Certaines personnes homosexuelles disent être torturées par un élan malveillant. Il est même parfois défini comme un désir sauvage, violent, passionnel, qui rend incontrôlable une personne qui, en temps normal, est plutôt équilibrée. Par exemple, dans l’excellent article « El Pez Doncella » de Manuel Rivas, publié dans le journal El País le 18 octobre 1998, l’Ève masculinisé, dans le nouvel ordre anthropologique imposé par la post-modernité, donne naissance à un drôle d’Adam, un « homme sauvage » homosexuel. Le désir homosexuel, dans la mesure où il tend vers l’asexuation, rejoint le monde animal, bestial, minéral, barbare (je vous renvoie au documentaire « Mortel désir » (1992) de Mario Dufour). Le peintre Paul Gauguin, par exemple, avait déjà souligné « le côté androgyne du sauvage, le peu de différence de sexe [qu’il y a] chez les animaux. ». Il n’est pas le seul. Certains auteurs homosexuels associent le désir homosexuel à la sauvagerie : « L’homosexuel demeure un loup, libre et fier, farouchement indépendant et sans doute encore sauvage, et rien ne l’oblige à se faire chien, animal domestique, embourgeoisé et de bonne compagnie. » (Dominique Fernandez, Le Loup et le Chien, 1999) ; « Concha était belle comme un félin sauvage, sans âge, puissant, toujours prêt à bondir. » (Arias en parlant du trans Concha Bonita dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 30) ; « Mon maître d’école fit remarquer à mes parents que je souffrais d’un manque d’affection et de tendresse qui démontrait à ses yeux, l’évolution d’une personnalité renfermée, amère, et presque sauvage. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 21) ; « Ce qui me plaisait plutôt, c’était de ressembler à Philomène dans sa féminité. En effet, sa façon de marcher, de s’habiller ou de se tenir, dégageait un moment de magie qui me séduisait. Je la comparais de surcroît à une fleur sauvage, poussée au milieu d’une plate-forme cultivée. » (idem, p. 48) ; etc.

 

Certaines personnes homosexuelles vont même jusqu’à dire que leur désir homosexuel est démoniaque (parfois parce qu’il a été considéré comme tel par autrui) : cf. je vous renvoie à la partie « Diable au corps » du code « Ennemi de la Nature » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels. « Je sentais chaque centimètre de mon corps me distendre et m’étirer. Indéfiniment. De me sentir possédé, je me mis à pleurer. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 69) ; « La prière de délivrance ne m’apporta aucun répit et eut pour seul effet de convaincre mes condisciples que le diable avait son mot à dire dans l’hystérie dont j’avais fait preuve. On me proposa de renouveler ce type de prière. Dès qu’on m’imposait les mains, je criais, mes gestes étaient désordonnés, mon corps agité de soubresauts. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 88) ; « J’ai grandi caché dans mon secret. Longtemps je me suis blotti en lui comme s’il me protégeait d’une menace indistincte. Il a fini par faire partie de moi. […] Un poison me rongeait […] Le vrai nom de ce venin, l’homosexualité, je n’en avais aucune idée. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 13) ; « J’étais dans l’horreur de ma propre confusion. Je la voyais bien. Je la comprenais parfaitement. Je marchais avec elle en silence, en bataille, jamais en paix. Je n’y pouvais rien, j’étais dominé par cette force supérieure, invisible, inconnue, et qui m’entraînait vers le chaos intime. Je voyais de temps en temps en moi l’image de ma sœur Lattéfa qu’on disait possédée. Qui l’était. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 86)

 

L’écrivain français André Gide définit justement « l’inverti » comme celui qui « dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé ». (André Gide, Journal, 1889-1939, p. 671) En réalité, ce n’est pas le désir homosexuel qui est diabolique, mais uniquement la liberté que l’on emploie pour l’actualiser et s’y adonner. Pour le dire autrement, ce n’est pas tant le désir homosexuel qui est désordonné que le rapport idolâtre, réifiant et essentialisant à ce désir homosensible.

 

D’une certaine manière, le désir homosexuel, s’il est figé en espèce ou en amour éternel, se place contre l’ordre naturel, social, et divin… et les personnes homosexuelles le devinent, bien souvent dans la révolte : « Rien au monde n’était insolite : les étoiles sur la manche d’un général, les cours de Bourse, la cueillette des olives, le style judiciaire, le marché du grain, les parterres de fleurs… Rien. Cet ordre, redoutable, redouté, dont tous les détails étaient en connexion exacte avaient un sens : mon exil. C’est dans l’ombre, sournoisement, que jusqu’alors j’avais agi contre lui. Aujourd’hui, j’osais y toucher, montrer que j’y touchais en insultant ceux qui le composent. » (Jean Genet, Le Journal du Voleur (1949), p. 206) Il est cependant fort probable que le désordre homosexuel soit le parfait miroir d’un désordre social qui se fait passer pour « ordre » ( = l’hétérosexualité), mais qui, dans son durcissement, cache mal sa fragilité et son désordre interne. En effet, les opposants au désir homosexuel, dans leur empressement à ranger l’homosexualité dans la catégorie des désordres sociaux à éradiquer comme une mauvaise herbe, s’inculpent eux-mêmes à leur insu. Par exemple, actuellement, l’armée turque considère l’homosexualité comme un « désordre mental » et réforme les jeunes hommes gays du service militaire (cf. le documentaire Çürük – The Pink Report (2010) d’Ulricke Böhnisch) Certains promoteurs de l’éducation-guérison des personnes homosexuelles, considérant que le désordre du désir homosexuel peut être redressé et désappris, diabolisent beaucoup trop la nature désordonnée des penchants homosexuels – en tressant un scénario-catastrophe d’extinction de race humaine, ou bien en cultivant le binarisme manichéen simpliste entre civilisation et barbarie – pour ne pas prouver leur propre désordre. « Imaginons quelques instants le chaos dans lequel plongerait l’humanité si la moitié féminine de la population du monde se refusait à la moitié masculine. Ne serait-ce pas là un désordre fondamental pour la population masculine du monde entier ? C’est un tel désordre que vit la population GEI face à la population hétérosexuelle qui se refuse à elle. » (Chekib Tijani parlant des personnes homosexuelles, dans son essai 700 millions de GEIS (2010), p. 68) Il n’y a que l’amour et le respect des personnes qui finalement ordonnent le désordre, l’assouplissent, le consolident et jouent avec comme de la terre molle et malaxée. Les obsédés de l’ordre hétérosexuel (soi-disant « naturel ») et du désordre homosexuel, en voulant éradiquer la glaise homosexuelle, avortent pour le coup leur projet de sculpture humaine vivante, et se privent de leur propre matière première. Ils font au bout du compte la même erreur que la majorité des personnes homosexuelles : ils réduisent celles-ci à leur désir homosexuel, créent une espèce homosexuelle qui n’existe pas (même si c’est en termes de « construction culturelle » à démanteler, de « pathologie guérissable », de parfaite antithèse d’une hétérosexualité dite « naturelle »,  qu’ils la présentent), et entretiennent les désordres humains observables dans tous les couples homosexuels ET hétérosexuels.

 

Le désir homosexuel, en tant que tel, est un désir désordonné dans le sens non pas moralisant et figé du terme « désordre » (« désordonné » ne veut pas dire « mauvais »), mais plutôt dans son sens évolutif, transitionnel (transitionnel jusqu’à un certain point : toujours dans le cadre des possibles humains et humanisés), libre. Il est désordonné parce que « primitif », « informe », « peu développé », « adolescent », « non encore abouti », « non encore modelé et façonné », « perfectible ». Dans la Bible, et spécialement la Genèse, le tohu-bohu – désignant un état de grand désordre avant la Création du monde – n’est pas quelque chose de négatif, ni de diabolique, ni de mauvais (d’ailleurs, en soi, le mal n’existe pas : on ne peut parler que d’absence du bien). Le tohu-bohu est le désordre avant l’arrivée et l’Ordre de Dieu. Le désordre est chronologiquement originel, enfantin, flasque, mais du point de vue de l’Éternité et de l’essence, il n’est pas originel. Seul le Bien est l’alpha et l’oméga de la vie, est essentiel et premier. Le désordre homosexuel s’inscrit donc dans une perspective d’évolution et de chemin vers l’ordre. Comme le tas de terre glaise qui n’a pas été encore travaillé et embelli par les mains du Sculpteur. Le désir homosexuel, s’il est compris, est la matière première utile d’une belle œuvre à venir.

 

Enfin, pour parachever le tableau du désir homosexuel en tant que désir divisé contre lui-même, il faut se méfier de son apparente douceur qu’il affiche comme « fragile ». On voit bien, même dans les faits réels, que cette fragilité d’apparat présentée par bon nombre de personnes homosexuelles comme une identité à respecter, est un alibi doucereux et hypocrite pour se justifier d’être encore plus violent qu’à l’habitude. On a pu le constater lorsque l’humoriste lesbienne Muriel Robin, pour présenter son autobiographie intitulée Fragile lors de l’émission On n’est pas couchés de Laurent Ruquier diffusée le 20 octobre 2018 sur la chaîne France 2, s’est comportée de manière absolument odieuse face au jeune chroniqueur homo Charles Consigny, à propos d’un désaccord sur la GPA (Gestation Pour Autrui). Qui a cru que les gens qui mettaient en avant leur « fragilité » étaient doux ? Ils sont les seuls à le croire !
 

 
 

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Code n°46 – Destruction des femmes (sous-codes : Misogynie homosexuelle / Femme-singe / Femme-pute)

Destruction des

Destruction des femmes

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Les personnes homosexuelles : meilleurs ami(e)s des femmes ??? C’est une blague ou quoi ?

 

Tout est dans cette phrase : « Cette femme, j’ai aimé la haïr. » (Heinrich dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 198) En règle générale, les personnes homosexuelles pensent sincèrement aimer la femme par la haine. Quand on comprendra qu’elles entretiennent avec la femme réelle – qu’elles confondent avec la femme cinématographique – une haine jalouse, on aura touché à une des plus grandes clés de l’énigme de l’homosexualité !

 

C’est en me baladant (par hasard ?) au Centre Pompidou de Paris en avril 2005, à l’exposition consacrée au réalisateur homosexuel allemand Rainer Werner Fassbinder, que la misogynie du désir homosexuel m’est apparue dans toute son horreur, toute sa banalité aussi. En effet, dans un pauvre coin du sous-sol du Centre, déserté des visiteurs, était projeté sur un écran géant une succession de toutes les nombreuses scènes des films de Fassbinder où les femmes sont giflées, battues, humiliées, écrasées par des voitures, tuées, à quatre pattes… le tout diffusé sans son, dans un silence glaçant, qui passerait presque inaperçu. Je croyais rêver. Qui avait fait ce montage ? Et surtout, pourquoi un réalisateur tel que Fassbinder, qui a toujours aimé mettre les femmes au centre de sa vie et de son cinéma, en donna une image aussi désastreuse ? Je touchais là à un des grands paradoxes du désir homosexuel : adorer (quelqu’un qui n’est pas Dieu) n’est pas aimer, mais en fin de compte souhaiter détruire. Et j’ai trouvé un élément de réponse à ce paradoxe de la vénération homosexuelle de la femme dans mon propre rapport aux femmes réelles et cinématographiques, et dans le rapport des personnes homosexuelles elles-mêmes à la gent féminine. Je me suis dit qu’il n’y avait pas d’amour dans tout cela : il y avait surtout de l’idolâtrie. Une fascination identificatoire inconsciente, qui ressemble à de l’Amour ou à de la rêverie, mais qui est en réalité du fanatisme destructeur. Pour nier cette violence en germe, la société s’amuse à faire croire au mythe d’un légendaire copinage entre les garçons « sensibles » et les filles. Mais avons-nous de la merde dans les yeux pour croire encore à cette fausse idylle amicale ?

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Bergère », « Prostitution », « Matricide », « Violeur homosexuel », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « FAP la « fille à pédé(s) » », « Personnage homosexuel empêchant l’union femme-homme », « Actrice-Traîtresse », « Poupées », « Sirène », « Duo totalitaire lesbienne/gay » et « Carmen », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

La faute impardonnable

 

Film "Reflets dans un œil d’or" de John Huston

Film « Reflets dans un œil d’or » de John Huston


 

Comme la femme réelle (non-hétérosexuelle et non-homosexuelle) ne correspond évidemment ni à son image parfaite de victime blonde ni à celle de tigresse machiavélique toute-puissante, elle finit par apparaître comme une traîtresse décevante aux yeux de beaucoup de personnes homosexuelles qui pensaient s’être mis en quatre pour la mettre sur un beau podium. « C’est ça que je n’aime pas chez la femme : c’est cette fragilité. » (Alain dans le reportage « Jeune homme à louer » (1992) de Mireille Dumas) ; « L’imperfection du féminin est la plus grande des fautes. » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; etc. La femme-objet, qui leur avait promis de ne jamais collaborer avec l’ennemi bourgeois capitaliste et patriarcal, de rester éternellement vierge, n’a pas tenu ses promesses. Mais plus que pour son indécence, elle est fautive de ne pas parvenir à être universelle ni totalement réelle, de ne pas devenir celui qui désire s’y identifier. Elle incarne un rêve collectif impossible que beaucoup de personnes homosexuelles ont elles-mêmes construit ou contribué à fomenter : c’est là son seul crime… mais il est énorme ! Beaucoup de personnes homosexuelles décident alors de se venger des simples femmes « mortelles » qui les entourent et de prendre leur distance avec elles. La plupart du temps, l’ensemble des femmes réelles paient pour la trahison d’une poignée d’actrices opportunistes et lâches. Dans les créations homosexuelles, ce sont souvent les personnages impuissants et homosexuels qui finissent par violer leur idole féminine ou leur meilleure amie.

 
 

La misogynie homosexuelle inattendue

 

Planche "Sida" dans la B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

Planche « Sida » dans la B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi


 

Actuellement, les media et la communauté homosexuelle se plaisent à nous faire croire que les personnes homosexuelles sont les meilleurs amis des femmes (cf. l’article « George Cukor, l’homme qui aimait les femmes… (jusqu’à un certain point !) », sur le site suivant). Rien n’est plus faux ! Certains hommes gay, connus pour être doux comme des agneaux avec les filles (ils passaient parfois leur temps en leur compagnie depuis la cour d’école), ou les « hommes de compagnie » des vieilles bourgeoises, se prennent volontiers pour l’antithèse des « machos ». Mais il suffirait qu’ils se penchent un peu sur leurs propres discours, créations artistiques et fantasmagorie pour changer d’avis ! Il y a parmi eux énormément de misogynes qui à la fois s’ignorent et qui revendiquent ouvertement leur aversion pour les femmes.

 

Ne nous y trompons pas. Beaucoup de personnes homosexuelles n’ont pas compris la femme réelle, et veulent régler leurs comptes avec celle qui leur aurait imposé un « martyr d’amour à dix-huit ans » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane, 1869-1872) parce qu’elles ont eu le malheur de la sacraliser dans leur jeunesse. Elles n’ont majoritairement perçu que l’enveloppe émotionnelle, sentimentale, plastique ou scientifique, de la femme, celle qui ne donne pas envie de percer plus loin le mystère féminin. Elles célèbrent une femme idéale qui n’est pas la femme réelle. La femme de chair et de sang, elles la transforment en « spectre du sex-appeal » (comme dirait Salvador Dalí), en caricature de petite fille modèle ou de matrone autoritaire, en monstre sacré intouchable avec qui elles pourraient maintenir une relation platonique à distance. Mais au fond, elles passent à côté.

 

Certaines psychanalystes féministes actuelles qui annoncent que l’arrivée des personnes homosexuelles et des femmes aux commandes du monde audiovisuel et professionnel va « préserver l’image de douceur de la femme » (Loïs Bonner dans le documentaire « Pin-Up Obsession » (2004) d’Olivier Megaton) se voilent complètement la face, surtout quand nous prenons conscience que la plupart des membres de la communauté homosexuelle, en collaboration avec des individus machistes et hétérosexuels (Russ Meyer, John Waters, et bien d’autres), ont contribué à construire et à intérioriser des images insultantes ou déréalisées de la gent féminine. Les personnes homosexuelles sont héritières, et parfois conceptrices, de la culture de l’image violente de la femme née après la Seconde Guerre mondiale (cf. je vous renvoie à l’important documentaire d’Olivier Megaton, « Pin-Up Obsession », diffusé sur la chaîne ARTE le 21 novembre 2004, et qui retrace l’inquiétante histoire de la vision de la femme dans nos médias).

 

Le paradoxe se situe dans le fait que la misogynie homosexuelle passe par la glorification de la femme imagée. Au cinéma par exemple, certains réalisateurs homosexuels ont parfois le don de la sublimer, de la rendre magnifique, de capter finement la psychologie et la sensibilité féminines. Et pourtant, c’est précisément parce qu’ils prétendent résoudre comme une équation esthétique ou émotive celle qui restera pour eux un mystère corporel et symbolique tant qu’ils se déroberont à elle qu’ils passent précisément à côté de son identité profonde. Catherine Breillat a tout à fait raison de parler du « regard intégriste sur la femme » (« Entretien… avec Catherine Breillat » (2004) de Gaillac-Morgue) porté par la majorité des individus homosexuels, car tel est le cas, y compris dans l’idéalisation.

 

Par leur imitation de la femme glamour, beaucoup de personnes homosexuelles ne rendent pas hommage à la femme réelle puisqu’elles la réduisent à une poupée Barbie, à une chanteuse sophistiquée de music-hall, ou à une actrice de films X. Le travestissement (chez les hommes gay) ou le refus radical du travestissement féminin (chez les femmes lesbiennes, et même chez les personnes transsexuelles : pour se dire travesti, il faut déjà avoir conscience d’être déguisé ; or, comme pour certaines, le déguisement est leur être profond, elles ne pensent pas se travestir (Vincent McDoom dans le magazine Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, p. 52) !) se veulent un chant à la femme. En réalité, il s’agit pour elles d’être « plus que femme », d’imiter la bombe sexuelle ultra-siliconée ou la grande actrice hollywoodienne. Au bout du compte, la surféminité est conquise par un dépassement du féminin, une caricature de femme-objet, ou (pour le cas lesbien) un rejet viscéral du « féminin d’accessoire » se traduisant par son absorption inconsciente par une sur-virilité d’apparat.

 

La passion homosexuelle pour la femme cache en réalité un sublime mépris. Plus les actrices connaissent un destin tragique, un succès foudroyant et éphémère, une réputation de pestes, plus elles ont de chances de devenir des icônes gay. Nous ne sentons pas d’amour entre les personnes homosexuelles et la femme médiatique. C’est bien plus fort et plus vil que cela. On va jusqu’à la folie passionnelle du fan prêt à défigurer sa star pour s’approprier le droit d’être le seul à la violer iconographiquement. Les artistes homosexuels qui toute leur vie ont le plus célébré la femme sont aussi ceux qui l’ont le plus maltraitée, au moins à l’écran, et parfois concrètement. C’est une triste réalité qu’il faut bien reconnaître.

 

Il arrive aussi que les femmes lesbiennes s’attaquent énormément aux femmes. Je peux vous assurer qu’on rencontre beaucoup plus de femmes machistes et misogynes dans les rangs lesbiens que parmi les femmes et les hommes dits « hétérosexuels ». Ces femmes si heureuses d’être « plus que des hétérosexuelles » méprisent très souvent les femmes mariées, bisexuelles, ou trop conformes aux canons de la beauté féminine définis par les media. Elles associent en général leur beauté de femmes à la superficialité, la maternité au summum de la soumission, l’engagement dans le mariage à un emprisonnement et un viol, la réalité de leur nature spécifique de femmes à une simple étiquette culturelle ou à un destin anatomique aliénant. Il n’est pas rare d’en entendre certaines – celles qui paradoxalement se battent pour l’homoparentalité ou le mariage gay – mépriser les femmes enceintes (Anne Hurtelle dans l’émission Ça se discute, sur la chaîne France 2, le 18 février 2004) en les traitant par exemple de « poules pondeuses » (véridique).

 

Croire que les femmes ne peuvent pas être machistes est précisément une attitude machiste. Le machisme, au fond, n’est que le mépris ou la célébration excessive de la faiblesse humaine : il n’a pas, comme certains se plaisent à le croire, de sexe ni d’orientation sexuelle prédéfinis. Beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas la femme réelle, même si elles prétendent la défendre par une image victimisante. En voulant tirer la couverture à elles sous prétexte qu’elles seraient femmes (… éternellement spoliées et fières de l’être), elles oublient que le machisme est également l’affirmation d’une homosexualité féminine assumée. Cathy Bernheim, dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003), a tout dit quand elle écrit qu’« elle doit être un peu macho quelque part, au niveau du désir » (p. 132). Le lesbianisme semble être majoritairement une obéissance docile aux codes du machisme et du matriarcat, tout comme l’homosexualité masculine. Que certaines femmes lesbiennes ne s’étonnent pas que tout comportement ou apparence relevant du masculin social violent soit souvent perçu comme symptôme de lesbianisme. Les plus bisexuelles d’entre elles sont généralement les premières à affirmer que les hommes dits « hétérosexuels » sont en général bien plus doux avec elles que ne le sont leurs camarades lesbiennes, les premières aussi à dénoncer leur misogynie et leur haine d’elles-mêmes traduite en misanthropie (Marguerite Yourcenar, Le Coup de grâce (1938), citée dans la biographie Marguerite Yourcenar (1990) de Josyane Savigneau, p. 144).

 
 

La misogynie enrubannée de rose

 

Au lieu d’avouer frontalement aux femmes réelles qu’elles les rejettent via les femmes médiatiques et qu’elles les considèrent comme des putains, les personnes homosexuelles s’y prennent généralement de manière plus clean, avec des gants de velours. L’éjection se pare des meilleures intentions. L’excuse n° 1, en théorie très valable, trouvée par bon nombre d’hommes gay pour ne pas aller vers les femmes réelles, c’est l’évitement des souffrances : « Si je vais vers une femme, elle souffrira, et moi aussi. » Mais cette souffrance est bien souvent écrite avant qu’elle n’arrive. Certains supportent mal d’entendre Serge Lama chanter que « les amitiés particulières, c’est quand les filles nous font peur ». Mais il n’a pourtant pas tort. Beaucoup d’entre eux sont tétanisés par la femme, et camouflent leur peur par la fausse proximité et l’idolâtrie sincère ou singée. Ils envisagent, à tort mais non sans bons motifs, l’union sexuelle avec la femme comme l’inceste diabolique qu’elle n’est pas, puisqu’ils ont pour la plupart mis leur mère à la place de la femme.

 

Pour convaincre les femmes réelles de ne pas insister en matière d’amour, ils jouent les pestiférés homosexuels, inconsciemment troublés par une maladie incurable qui les dépasse. « Juan-Carlos oserait-il proposer le mariage à une femme s’il connaissait la gravité de son mal ? » (Manuel Puig, Boquitas Pintadas, Le Plus beau tango du monde (1972), p. 120) Ils pensent que les obus de Madonna ou de Dolly Parton les perforeront, que le passage à l’acte sexuel les fera disparaître – au moins symboliquement –, c’est-à-dire qu’il leur fera oublier qui ils sont, les rendra éternellement malheureux parce qu’ils vont commettre un meurtre et voir dans le visage de leur femme pénétrée par eux l’expression de la femme cinématographique violée. « Richard avait un grand respect du corps des femmes. Presque trop. Il avait toujours peur de faire mal. » (la compagne de Tanguy dans le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume) Ils trouvent cette peur de la sexualité anormale et révélatrice d’une identité minoritaire normale – l’homosexualité –, alors que pourtant, aucun homme ne s’aventure sans crainte dans le sexe de la femme, qu’il soit homosexuel ou dit « hétéro ». La sexualité nous met en face de nos richesses et de nos propres morts : ce n’est ni dramatique ni anodin.

 

La misogynie homosexuelle prend parfois une forme plus subtile : celle de la sincérité, de la « mixité de circonstance », celle de la camaraderie temporaire, de l’amitié adolescente en apparence désintéressée… mais en réalité, très intéressée (cf. je vous renvoie au code « FAP la « fille à pédés » » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) et qui cache une grosse misère affective, et du côté de la dénommée « fille à pédés » ( = FAP) et de celui de l’individu homosexuel.

 

L’hypocrisie de l’intégration forcée de la différence des sexes dans un cadre (= le couple homosexuel) qui la rejette trouve son climax dans la simulation de mixité femme-homme au sein de la communauté homosexuelle. J’aborde très largement le rejet des femmes lesbiennes par les hommes gay dans le code « Duo totalitaire gay/lesbien » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La misogynie homosexuelle en mots :

Film "Teorema" de Pier Paolo Pasolini

Film « Teorema » de Pier Paolo Pasolini (et la bonne enterrée vivante…)


 

On retrouve le personnage homosexuel haïssant la femme dans énormément de productions artistiques homo-érotiques : cf. la pièce Hamlet, Prince de Danemark (1602) de William Shakespeare (avec la légendaire misogynie du héros), le film « Reflection In A Golden Eye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec Weldon, l’ours mal léché, méprisant Leonora), la chanson « Cette fille est une erreur » du groupe Taxi Girl, le roman Les Jeunes Filles (1936) d’Henri de Montherlant, le film « Le Petit César » (1930) de Mervyn LeRoy (avec le personnage de Rico), le film « L’Aurore » (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau, le film « Amours particulières » (1969) de Gérard Trembaciewicz, le film « Lonesome Cowboys » (1968) d’Andy Warhol, le film « Je vous hais petites filles » (2008) de Yann Gonzalez, la chanson « Henri, pourquoi n’aimes-tu pas les femmes ? » de Dranem, etc.

 

Le héros homosexuel se désigne lui-même comme misogyne, ou bien est traité de misogyne par un autre personnage : « Nous, les lopes, misogynes et misanthropes » (les quatre comédiens de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « C’est un avantage d’être pédé : au moins, on n’a pas à supporter ces connasses ! » (le Dr Labrosse parlant des femmes, dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Elles sont idiotes ! » (Étienne et Bill s’adressant à deux de leurs partenaires féminines, dans le film « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy) ; « À l’exception de Cossima, vous avez méprisé les femmes. » (Wagner à Nietzsche, dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « Pédale misogyne, va ! » (Daphnée à Luc dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Misogyne en plus… Enfin, ça, c’est pas un scoop… » (Frédérique, l’héroïne lesbienne à son camarade gay Romuald, dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « Son histoire était un concentré de tous les préjugés les plus misogynes. Les filles y étaient présentées comme des caricatures de femelles. Des goules anthropophages, lubriques et frigides à la fois. » (la voix narrative à propos de l’histoire racontée par Jason le héros homosexuel, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 65) ; « Je me méfie des femmes. Comme toi. » (Harge, le héros hétérosexuel, s’adressant à sa femme Carol, l’héroïne lesbienne, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; etc.

 

L’homosexualité est parfois montrée comme la cause ou la conséquence directe de la misogynie ou de la misandrie (haine des hommes) : « À cause d’une femme, il en veut à toute ! » (Jean-Luc parlant de son amant Romuald, dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) Par exemple, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, le couple d’amants gay se forme sur la base d’un plan de vengeance contre l’inconstance amoureuse des femmes. Dans la pièce Lettre d’amour à Staline (2011) de Juan Mayorga, l’écrivain Boulgakov, sous l’emprise d’un Staline homosexuel, rejette sa femme Boulgakova, et ne ressent plus rien au lit avec elle : « Tu te sens coupable d’être avec moi plutôt qu’avec elle… » dira Staline, satisfait. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, la misogynie de Georges, l’homme marié bisexuel, va s’accroître à mesure qu’il choisit de devenir un homosexuel exclusif : « Les femmes sont de plus en plus insupportables. » Il se met à rêver d’un monde sans femmes, puis s’en excuse à peine : « On ne peut pas s’empêcher d’espérer l’impossible. C’est humain. »

 

Chez le héros homosexuel, l’aversion pour la gent féminine se manifeste par le désintérêt : cf. la pièce A Woman Of No Importance (Une Femme sans importance, 1894) d’Oscar Wilde, le film « On est toujours trop bon avec les femmes » (1970) de Michel Boisrond, le film « A Mí, Las Mujeres, Ni Fu Ni Fa » (« Les femmes, ni chaud ni froid », 1972) de Mariano Ozores, etc. « Une femme sur les bras ? Qu’est-ce que j’en ferais ? » (Serge dans le film « L’Invité de la onzième heure » (1945) de Maurice Cloche) ; « Le pouvoir et les femmes ne m’intéressent pas. » (Thibaut de Saint Pol, Pavillon noir (2007), p. 13) ; « Faut pas croire. C’est bien, une femme. Ça tient compagnie. Mais après, ça peut devenir très chiant, une femme, quand ça s’y met. » (le héros homosexuel dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé) ; « Sacré boulet, cette Wendy… » (Clark dans la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès) ; « La meilleure femme ne vaut pas un bon cheval. » (une réplique du film « Le Banni » (1941) d’Howard Hawks et Howard Hughes) ; « Les femmes se sont tellement émancipées. » (le Dr Katzelblum, homosexuel, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Pour moi, on ne peut pas faire confiance à une femme. » (Arnaud, homo, idem) ; « Si seulement elles avaient le sens de l’humour… » (le Dr Katzelblum, idem) ; « Aaaaah les femmes… Y’a toujours quelque chose de dérangé dans ces machines compliquées. » (Monsieur de Rênal, le mari efféminé de Louise, dans la comédie musicale Le Rouge et le Noir (2016) d’Alexandre Bonstein) ; « Quelle machine compliquée que la femme. » (idem) ; etc. Par exemple, dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, quand Joe demande à son ami Jerry lui annonçant qu’il va se marier avec un homme « Pourquoi un homme en épouserait un autre ? », Jerry lui répond du tac au tac : « Pour être tranquille. »

 

Mais bien souvent, l’indifférence laisse place au mépris et à l’insulte claire et nette : « Je parle à vous, femmes traîtresses ! » (Cachafaz à ses voisines, dans la pièce éponyme (1993) de Copi) ; « Ô femelles ennemies ! » (Jean-Luc, le héros homosexuel de la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « Une dame ici ?!? Ce ne peut être que ma belle-sœur. Dites-lui que j’ai détesté sa robe de chambre et que je n’ai pas l’intention de les recevoir. » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je ne veux pas mourir assassiné par une femme. J’ai passé ma vie à fuir les femmes ! » (idem) ; « Les vraies femmes ?!? Ça va pas ! Quelle horreur !!! » (Pedro dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet) ; « Il en faut du courage pour supporter les gonzesses ! Moi j’ai encore du mal ! Ah moi j’assume, je déteste les femmes. » (la bourgeoise de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Sacré monstre ! » (Ignace à propos de sa future belle-fille, dans la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz) ; « Putain de femelles. C’est toujours aux gars de se taper le boulot ! » (l’amant de Gary dans le film « À la recherche de M. Goodbar » (1977) de Richard Brooks) ; « Aaaah les femmes… J’aurais dû épouser un âne ! […] Voyez-vous cher ami, les femmes, c’est pervers. » (Didier s’adressant à son amant Bernard, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Putain de meufs ! » (Matthieu, le héros homosexuel du film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser) ; « Donatienne est en cuisine. Après tout, c’est une femme. » (Bernard, le héros homo parlant de sa meilleure amie, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Y’a tant de femmes ! Y’a tellement de femmes ! Pourquoi l’a-t-il épousé ? » (Cal – interprété par James Dean – parlant de son frère, dans le film « East Of Eden », « À l’Est d’Éden » (1955) d’Elia Kazan) ; « Moi ?!? Être une femme ?!? Oh quelle horreur ! » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « C’est toutes des sacs à foutre, les bonnes femmes ! » (Simoney dans le film « Cruising », « La Chasse » (1980) de William Friedkin) ; « J’ai envie de pisser comme une femme enceinte. » (Smith, le héros homosexuel, dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki) ; « Vous êtes connes comme des bourriques ! » (Bacchus s’adressant aux trois sœurs Minias, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Une fille moche, ça va sans dire… » (Rodolphe Sand parlant de Rosetta, dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Voici ce qui se passe quand on laisse sortir les femmes de la cuisine ! » (Jean-Jacques, l’un des héros homosexuels refoulés de la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Elle va se taire, la pintade ! » (Ruzy, le héros homosexuel s’adressant à Marilyn, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « Tu ferais mieux de rentrer chez toi faire tes lessives ! » (Marjan et sa pote s’adressant à Rana, chauffeur de taxi femme, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant, l’Infante lesbienne trouve la femme – qu’elle idéalise en la personne d’Inès de Castro – trop « molle ». Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Simon, le héros homo, est « très exigeant avec les filles », selon les dires de sa meilleure amie Leah. Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, après avoir adulé l’actrice Sibylle, Dorian Gray la méprise suite à une représentation décevante : « Tu as tout gâché. Tu es vaine et stupide. » Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Jonathan, l’un des héros homosexuels, insulte une femme dans le public de « vieille conne ! » simplement parce qu’il la fait rire. Dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, Jean-Paul, le héros homosexuel (rentrant un instant dans la peau de Léonard de Vinci) dit à Catherine (interprétant Mona Lisa) qu’elle est « du caca ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, qualifie les femmes de « bombonnes de merde » : « Les femmes, tu les déplaces, elles se constipent. »

 

Dans le film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev est misogyne et ignoble avec les femmes, en particulier avec son amie Clara Saint qui semble pourtant amoureuse de lui. Il lui demande d’« arrêter de poser des questions idiotes ». Il refait le même procès en « idiotie » à Xenia, sa prof de danse. Plus tard, avec le plus grand sérieux, il insulte Clara en plein restaurant : « Fuck you ! ». La jeune femme n’est pas rancunière puisqu’après l’avoir emmené dans des clubs de danseuses dénudées, elle l’absout de toutes les crasses et de tous les coups bas qu’il lui a fait subir : « Je te pardonne d’être le plus égoïste des hommes. » dit-elle.
 

Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi et Damien se rencontrent dans une laverie. À priori chacun est hétéro, mais les femmes dont ils parlent sont soit invisibles (Marie, la copine de Damien, et l’ex de Rémi), soit transsexuelles (Vanina). Elles sont tellement dématérialisées que Rémi finit par tomber amoureux de Damien. « Marie ne m’a pas remplacé par un con. Elle a toujours bon goût. » La femme est éjectée du triangle amoureux, après avoir été flattée et exploitée. « J’arrête. Toutes des chieuses ! » (Rémi justifiant son célibat) Les deux hommes découvrent de la lingerie féminine (culotte et soutien-gorge) oublié dans une des machines à laver de la laverie. Au départ, ils singent l’excitation, mais très vite, les dessous affriolants suscitent chez Damien (pourtant en couple avec une femme) le plus grand des dégoûts : « C’est une pute !! Salope !! »
 

Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, ne mâche pas ses mots quant à la gente féminine : « Elles sont vivaces, ces p’tites bêtes. » ; « J’ai été obligé de laisser Cécile étendue sur le sol. C’est pas grave, c’est qu’une fille. On s’en fiche. » ; « Il y a une fille dans mon lit !! Qu’est-ce que je vais faire avec ça ?? J’espère qu’elle ne va pas me toucher, la vicieuse ! Je ne suis pas un sex-toy, Mademoiselle ! » ; « C’est mal fichu, une fille. Il manque l’essentiel ! » ; « C’est pas drôle d’être homo. Y’en a marre, je deviens hétéro. Comment ça marche, une fille ? Ça mange quoi ? Ça boit quoi ? Faut arroser combien de fois par jour ? »
 

Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud, l’un des héros homos, a des démêlés professionnels avec une collègue de boulot qui l’emmerde. Benjamin, l’amant d’Arnaud, surenchérit : « La peste ! » ; « C’est une sale petite peste de pute de connasse de merde ! » Plus tard, quand Arnaud découvre que Benjamin a eu, dans son parcours amoureux, une aventure avec une femme, lui pique une crise de jalousie : « Quoi ?!? Tu t’es tapé une meuf pour de vrai ?!? Mais c’est dégueulasse !! C’était une lesbienne, c’est ça ?!? »
 

Les femmes sont présentées comme des godiches, des bourgeoises sans cervelle, ou bien des caricatures de féminité fatale/violée, dans des créations telles que le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Girls Will Be Girls » (2004) de Richard Day, la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, la pièce Les Homos préfèrent les blondes (2007) d’Eleni Laiou et Franck Le Hen, le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, le film « Boat Trip » (2003) de Mort Nathan, le roman El Día Que Murió Marilyn (1969) de Terenci Moix, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, on assiste à une parodie de la chanson « Être femme » de Nicole Croisille, transformée pour l’occasion en « Être infâme », qui en dit long sur ce que pensent les concepteurs de la pièce sur l’essence féminine…

 

Dans la bouche de beaucoup de personnages homosexuels, la féminité est associée à la violence, à la jalousie, à l’hystérie, au caprice, à la médisance, au danger sexuel, à l’animalité. Par exemple, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, méprise les femmes enceintes, comparées à des « cachalots » ou à des vaches qui « mettent bas », et montre la jalousie comme une caractéristique typiquement femelle : « Toutes les femmes du mariage étaient jalouses. » Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Nounours, l’un des héros homos, est un artiste d’art contemporain qui peint des vagins en forme de nénuphars roses… et tout le monde trouve ça moche et ignoble.

 
 

b) Toutes des guenons !

Film "Cabaret" de Bob Fosse

Film « Cabaret » de Bob Fosse


 

Il arrive même au héros homosexuel de comparer les femmes à des êtres laids, des cruches décervelées, et même des singes ! : « Ce qui rend les femmes bêtes, c’est d’avoir la cervelle en trop. » (le travesti M to F Charlène Duval, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Tous les deux, si on les écoute, toutes les filles sont moches, seuls les mecs sont des tops models ! » (la mère de Bryan parlant de son fils et du petit copain de ce dernier, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 410) ; « Je préfèrerais coucher avec un chimpanzé plutôt qu’avec Martine. » (Jules le héros homosexuel s’adressant à Martine, la prostituée, dans la pièce Les Sex friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Regarde ces jambes de guenon. J’ai même pas eu le temps de m’épiler. » (Gwendo, la « fille à pédés », dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Elles étaient allées chez Jacques Desinges. » (Zize, le travesti M to F décrivant les belles jeunes femmes en compétition au concours de Beauté avec lui, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « On dit à la Comédie Française qu’on choisit toujours des filles de concierge qu’on habille en singe… » (l’efféminé Villedieu – Jean-Claude Brialy – dans le film « Le Juge et l’Assassin » (1976) de Bertrand Tavernier) ; etc.

 

Très souvent dans les fictions homosexuelles, la féminité est liée à un animal, la guenon : cf. la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec le singe en peluche de Léonore, l’héroïne lesbienne), le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec la référence à « une vieille rombière fagotée comme une guenon »), le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall (avec Mme Blackeney comparée à un singe, p. 367), le roman Le Singe et la Sirène (2001) de Nicolas Dumontheuil et Éliane Angéli, la chanson « Where’s My Girl… And Where’s My Monkey ? » d’Étienne Daho, la chanson « Adelaïde » d’Arnold Turboust (« De temps en temps, je vous observe quand votre singe vous promenez. »), le vidéo-clip de la chanson « Land Of Confusion » du groupe Genesis, la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès, le film « The Monkey’s Mask » (2001) de Samantha Lang, le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol (où la khôlleuse est comparée à une « guenon »), le film « Dans la peau de John Malkovich » (1999) de Spike Jonze, le roman Autopsie d’un petit singe (1998) d’Andrea H. Japp, le film « Rebel Without A Cause » (« La Fureur de vivre », 1955) de Nicholas Ray (avec la scène de Natalie Wood qui, au moment de sortir son miroir de poche pour se refaire une beauté, se fait comparer à un singe), la pièce L’Autre monde, ou les états et empires de la lune (vers 1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec la femme-guenon), le film « All Men Are Apes » (1965) de Joseph P. Mawra, le film « B. Monkey » (1998) de Michael Radford, la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse (avec le Maître de cérémonie, très efféminé, mimant un mariage avec une guenon en robe de mariée), le roman La Journée de la guenon et le patient (2012) de Mario Bellatin, le film « La Forme de l’eau » (« The Shape of Water », 2018) de Guillermo del Toro, etc.

 

Aussi surprenant et insultant que cela puisse paraître, la femme-singe est un archétype de la fantasmagorie homosexuelle : « cette singe d’Élise » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 202) ; « À son tour, Leyla gesticulait contre mon flanc en manquant de me faire tomber. Singe qui singe sa guenon, agacée, je l’envoyais rouler sur le parquet. » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 130) ; « C’est pas à une vieille guenon qu’on apprend à faire la grimace… » (Grany dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte) ; « On avait dit ‘Pas celle avec le singe’. » (Patrick Bruel quand Michèle Laroque le menace de dévoiler sa sex-tape avec la marionnette Jean-Marc, dans Mission Enfoirés 2017); etc.

 

Par exemple, dans la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz, Yvonne, la femme-objet blonde, est imitée en macaque ; un peu plus tard, elle est qualifiée de « guenon ». Dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, Nietzsche traite Salomé de « petit singe » ; par la suite, Élisabeth la nomme « singe rachitique » ; Goebbels renchérira : « On représente la femme sous la forme d’un gorille. » Dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau, Lola est traitée de « vieille guenon ». Dans le roman L’imposture (1927), Jules, le jardinier-masseur homosexuel, ancien légionnaire est mis en scène par Georges Bernanos. Il sert le critique littéraire obèse Henri Guérou que vient visiter M. Pernichon. Une fillette fait irruption dans la pièce et il la chasse. Puis en parlant de son maître, il lui dit : « … Et il faut que ça se laisse détruire par des femelles, des garces – respect de vous monsieur – et qui n’ont pas l’âge, des vrais singes ! Dieu sait ce qu’il en consomme, et de pas ordinaires ! … » Dans la pièce Elles s’aiment depuis 20 ans de Pierre Palmade et Michèle Laroque, Mathilde racontant à son amante Isabelle son rêve, avec « une majorette avec une tête de babouin ».

 

Cette animalisation de la femme est parfois une vengeance secrète réservée à une incestueuse famille, réelle ou symbolique : « Mal à l’aise, ta mère te fait penser aux femelles orangs-outans qui, même après la mort de leur bébé, continuent de le transporter d’arbre en arbre, de mimer l’allaitement, de le choyer comme si de rien n’était. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 170) Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le Père 1, homosexuel, se présente comme le « Gorille de feu son père », en prenant ainsi le place et le rôle de la femme soumise auprès de son « mari » le Père 2.

 

Sinon, la métaphore du singe associée à la féminité peut tout à fait être une image triviale et potache du sexe génital des femmes. Par exemple, dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afailal et Yannick Schiavone, dès le début de l’histoire, Sana, l’héroïne lesbienne, parle d’un singe qu’elle a vu en songe : « J’ai rêvé d’un singe. » Sa ex-compagne, Noémie, qui essaie de revenir subtilement à elle, joue sur la même corde sensible : « Sana, je dois te parler. Je sais que toi aussi, tu as rêvé du p’tit singe… »

 

Dans l’expression « femme singe », il y a « femme singée ». On voit que la femme-singe correspond tout simplement à la femme-objet, à la femme-potiche (parfois valorisée) : « Ça me faisait plaisir de la voir habillée comme moi à côté de moi, comme un singe, à la tribune officielle. Pauvre Fanny. » (Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « À quinze ans, mon père m’a échangée à un Marocain contre un singe. » (Arlette dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 105) ; « Le doute vous habite… Vous vous attendiez à Demis Roussos dans le rôle de Dieu ? Et vous vous retrouvez avec Anna Nicole Smith/Lolo Ferrari/La Cicciolina… De toute façon, je vais décevoir toutes vos attentes » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’étais une esclave dans mon propre foyer, un animal en cage. Un singe que l’on donnait en spectacle dans la rue. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 132) ; « Je les regardais s’engouffrer tous dans l’escalier qui menait au balcon, lorsque je reconnus Perrette Hallery de dos… accompagné d’une magnifique femme en manteau de poil de singe, rousse à mourir sous son chapeau à voilette, la peau laiteuse et la démarche assurée. Le cliché de la belle Irlandaise, Maureen O’Hara descendue de l’écran pour insuffler un peu de splendeur à l’ennuyeuse vie nocturne de Montréal, la Beauté visitant les Affreux. […] La fourrure de singe épousait chacun de ses mouvements et lui donnait un côté ‘flapper’ qui attirait bien des regards admiratifs. Les hommes ne regrettaient plus d’être là, tout à coup. » (le narrateur homo décrivant la belle Maureen O’Hara, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; etc.

 

La femme-singe, c’est quelquefois aussi le personnage homosexuel ou bien travelo : « Moi, c’est Chita mais je suis épilée. » (Francis, le héros homosexuel de la pièce Hors-piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt) ; « Qu’est-ce qu’elle est monstrueuse, cette fille, oh la la, et comme elle s’habille ! Tu es un singe, mon pauvre vieux ! Ça se voit à cent mètres que tu es un travelo ! » (Daphnée à Micheline dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Alors, elle, resplendissante, monterait et redescendrait la Butte, comme une pute enveloppée de Chanel à la lumière de la lune, toute seule avec son destin, singe, guenon ou femme cruelle, souvenir d’un Carnaval solitaire de fille à bite ou d’homme sans apparat ! » (Fifi à propos de Lou dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Et si je mettais une cape en singe noir ? Le singe noir et le cygne blanc c’est très intéressant ensemble. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Eh ! vous, commença-t-il, la bouche pleine, que diriez-vous de certaine jeune demoiselle à la chasse ? Que diriez-vous d’une grosse jambe de chaque côté de son cheval, comme un singe sur une branche. » (Roger critiquant l’héroïne lesbienne Stephen, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 69) Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, le père de Laure la traite affectueusement de « petit singe ». Dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, Idgie, l’héroïne lesbienne, se fait traiter de singe par Julien quand elle n’a que 7 ans : « On dirait une vraie guenon ! ». Cela la blesse profondément, même si elle ravale son orgueil en jouant au « p’tit mec ».

 
 

c) Toutes des putes !

Les femmes réelles ont le malheur d’être fragiles, de ne pas être des Superwomen… ce qui attise chez le héros homosexuel une déception et une méfiance croissantes. Par exemple, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, le juge Kappus, secrètement homosexuel, décrit Lucile (avec qui il est marié) comme une femme « trop douce pour que cela ne vire pas au mensonge. » (p. 118)

 

Film "Remember Me In Red" d'Hector Ceballos

Film « Remember Me In Red » d’Hector Ceballos


 

Dans les fictions homo-érotiques, la femme, jadis désincarnée en vierge, finit, parce qu’elle est incarnée, par être traitée de prostituée, de femme impure, de putain, par le héros homosexuel : « T’as l’air d’une pute. Cache-moi ces mamelles. » (Alba à Claudia sa servante, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Les femmes sont toutes des putes. » (Franck, le personnage homosexuel de la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Tu vas la fermer, salope !!!! » (Romain Carnard, le coiffeur homosexuel, à la concertiste Isabelle, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « Toutes les femmes sont des salopes. » (Raphaël, le héros homosexuel de la pièce Open Bed (2008) de David Serrano et Roberto Santiago) ; « Toutes les femmes sont des putes. » (Willie, le héros homosexuel du roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 103) ; « Tu es toujours habillée comme une pute ! » (Louis à son « mari » Marie-Gabrielle, dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Les filles ?… Vous voulez dire des putains. » (Marie Besnard dans le téléfilm « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure) ; « C’est que des catins ! » (les héros de la pièce Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou) ; « Nathalie, c’est une pute ! » (Stéphane, le héros homosexuel de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Et il paraît qu’il y en a qui s’en serve comme un ventriloque. » (Samuel Laroque parlant du vagin des femmes, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Toutes des putes. Même maman ! » (Gwendoline dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « Je suis sûr qu’elle a laissé un parfum de pute sur l’oreiller ! » (Benjamin, en parlant avec ressentiment d’Isabelle à son amant Pierre, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « T’es habillée comme une pute. » (Jean-Pierre s’adressant à sa femme Fanny – qui va se lesbianiser –, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Ça fait pute. » (Seb, homosexuel, s’adressant à sa meilleure amie Marie à propos de sa tenue, dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Miko Nietomertz, Polly, la meilleure amie lesbienne de Simon, l’un des héros homosexuels, est dépeinte comme une femme embauchée dans un peep-show ; et on voit clairement que dans l’esprit de Cody, le héros homosexuel nord-américain hyper maniéré, être une femme se limite à être violé : « Il a venu pour s’excuser […] Il a été obligé de ma voler, mais il a dit désolé, quoi et on a fait l’amour ensemble. » (p. 112).
 

Dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet, le couple « marié » Dominique et Marcel rivalise de misogynie. D’ailleurs, Raymond, le fils de Marcel, le leur fait remarquer : « Ah bravo ! Au rayon Misogynes, vous vous placez large ! » Par exemple, ils traitent de « salope » leur amante commune.

 

Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Pierre, le héros homosexuel, envisage les femmes comme des objets, des faire-valoir ou des mères porteuses (il organise une « Soirée Génitrices » chez lui), exactement comme le font les personnages hétéros : « J’ai adoré me taper des femmes plus belles que les leurs. Juste pour faire chier mes copains hétéros. » Il veut un enfant et surtout pas une fille : « Déjà, si tu prévoies de me faire une fille, tu pars mal. […] Si c’est une fille, on la noie. » (Pierre, le héros homosexuel, à sa meilleure amie Sylvie qui désire porter un enfant de lui par tous les moyens) Et Isabelle, l’étrangère hétérosexuelle de l’histoire, se définit elle-même comme « une salope » qui ne peut pas se satisfaire d’un seul homme et qui peut coucher et faire des enfants à n’importe quel homme-objet qui saura la valoriser matériellement.

 

Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Viviane se fait traiter de « grosse pute ». Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) Abdellatif Kechiche, Emma insulte sans s’arrêter sa copine Adèle de « sale pute », de « traînée », de « prostituée », une fois qu’elle a découvert ses fidélités hétérosexuelles. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny traite « gentiment » sa meilleure amie Abbey de « pute ». Dans le one-man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, une mère traite sa fille Kimberley de « petite pute ». Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Alejandra est traitée de pute par Raúl, l’irascible héros homosexuel. Dans la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays, les filles sont définies comme « des pétasses » et des « putes ». Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xavier, l’un des héros homosexuels, traite les femmes de « grosses poufs », de « grognasses ». Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1971) de Rainer Werner Fassbinder, Petra qualifie sa copine de putain : « Tu n’es qu’une misérable petite putain… » Dans la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès, Clark rebaptise sa bien-aimée Lili Jane « Lillipute ». Dans le film « Crocodile Dundee II » (1988) de John Cornell, la femme est traitée de « pute » par le personnage homosexuel. Dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, comme Marie, la « fille à pédés », a été « infidèle » à son meilleur ami homo Loïc (elle a osé sortir avec un autre homme que lui !), ce dernier la traite de « pute ». Dans le film « Eating Out » (2004) de Q. Allan Brocka, Gwen, la FAP, se fait également insulter de « pute » par son copain gay Joey. Dans la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, Bernard qualifie France de « pute » parce qu’elle sort avec une femme. Dans la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, Damien, l’homosexuel, traite sa meilleure amie de « garce ». Dans la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, Damien injurie Amélie de « salope » parce qu’elle a osé coucher avec son frère Samuel. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Cindy, la « fille à pédé » dont Tom, le héros homo, se sert comme couverture hétérosexuelle, est maltraitée et méprisée par l’ensemble de la famille de Tom ; par exemple, la mamie de Tom parle d’elle comme « la traînée qui pose dans les magazines avec mon petit-fils ». Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le pasteur Ralph traite sa femme de « salope » parce qu’ils ont chopé une maladie vénérienne et qu’il n’assume pas sa propre pratique homosexuelle extra-conjugale. Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Léo, le héros homosexuel, traite sa sœur lesbienne Garance de « pute ». Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Alban Mann traite sa propre fille de « pute » (p. 18), et finira par la tuer, comme il a assassiné sa femme Greta, elle-même prostituée « professionnelle ».

 
 

d) Toutes des diablesses !

Chez le personnage homosexuel, le dégoût des femmes semble presque épidermique : « J’étais terrorisé. Elle était tout près de moi. Elle n’était plus la même jeune femme qui m’avait abordé. Plus elle parlait, plus elle devenait une autre. Avec une autre voix. Un autre âge. Elle était collée à moi. Je sentais son odeur. Je reconnaissais cette odeur. Il fallait fuir. C’était l’odeur de la mort. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa (2010), p. 47) ; « Tu sais bien que les femmes, nues ou pas, ça m’écœure. » (François, le héros homosexuel, à Marc, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos) ; « Elle me répète qu’elle m’aime et je joue avec elle comme un petit animal effrayé. Ses baisers me donnent la nausée. La manière dont elle s’est jetée dans mon lit, dont elle s’est couchée contre moi, sans que je lui demande rien, me dégoûte. […] Son insouciance, sa beauté me répugnent. » (Heinrich parlant de Madeleine, dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 65) ; « Ce sont de vraies femmes, chéri. Regarde. Vomis au besoin mais ne les touche pas. L’homme naît d’elles, de ces grossiers objets de reproduction. » (Louis XIII dans le film « Les Diables » (1971) de Ken Russell) ; « Dans toute femme, il y a une Ève malveillante qui sommeille. » (Rodin, l’un des héros homosexuels de la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « La femme est l’avenir des pommes. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Cette femme diabolique […] qu’est-ce que je la déteste ! » (le narrateur parlant de Marilyn, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 97) ; etc.

 

La femme-serpent, la femme-ventouse, ou la femme-pieuvre fait son apparition dans l’imaginaire fantasmatique homosexuel : « Quand je quittais la scène, elles m’attendaient en coulisse par grappes ! Parfois elles montaient par le trou du souffleur ! » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « La grosse Carole, pute géante à bras tentaculaires, est entourée de nabots besogneux, tous occupés à ses aises. Ils sont fourmis naines à côté d’elle. » (Vincent Garbot dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 8) ; etc. Par exemple, dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel essaie de se débarrasser de « cette inconnue dont les bras serpentaient autour de la taille de son Didier » (p. 22). Dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, il est question des « tentacules de Marilyn » (p. 100).

 

Dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, par exemple, l’ensemble des femmes passe au crible du regard sexiste et asexualisant du héros Antoine : « Martine Van Decker puait. Martine était une énigme pour tous. Ses collègues la surnommaient ‘l’erreur de casting’. Antoine se dit qu’il vaudrait mieux l’éviter à l’avenir, surtout le matin, à cause de son haleine. » (pp. 58-59) ; « Magda Sterner arborait une saharienne rouge munie de quatre poches et ceinturée d’une série d’anneaux métalliques. […] Elle avait quelque chose de froid, d’asexué. » (idem, p. 74) ; « Magda, intimidante dans son fourreau rouge sang » (idem, p. 75) ; « Magda dans sa combinaison rouge, le fouet à la main, faisant tinter sa ceinture métallique. Une dominatrice, sans doute. Une dangereuse perverse cérébrale. » (idem, p. 76) ; « Magda faillit s’étrangler avec la fumée de cigarette. Elle toussait comme une truie. » (idem, p. 82) ; « Magda s’arrachait un poil du nez quand Antoine frappa à sa porte. » (idem, p. 142) ; « la ceinture en python agressive » (idem, p. 142) ; « Magda portait un masque oriental rouge sang aux traits grossiers, épouvantables. Des yeux furieux, révulsés. Des dents tranchantes comme des couteaux. » (idem, p. 243)

 

Dans beaucoup d’œuvres homosexuelles, la féminité est présentée comme diabolique, monstrueuse : cf. le film « The Devil Wairs Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel (avec l’odieuse Miranda), les films « La Diablesse en collant rose » (1959) de George Cukor, le film « Les Diables » (1971) de Ken Russell, le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau (avec le proviseur Madame Smelker qui est un vrai monstre qui pue), la chanson « L’Enfer et moi » d’Amandine Bourgeois, etc. Je vous renvoie à la partie sur les femmes habillées en rouge dans le code « Carmen » de ce Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

La beauté de la femme n’est pas envisagée comme une force fragile, mais bien comme une arme redoutable, qui soumet et assigne un cruel destin. Pour beaucoup de héros homosexuels, une vraie femme belle est une femme jalouse, fuyante, dangereuse, peste, voleuse, bavarde, bruyante, intrusive, curieuse, parlant pour ne rien dire ou pour médire, séductrice, maléfique, manipulatrice (cf. le film « Un Mariage de rêve » (2009) de Stephan Elliot) : « Sa sœur cadette, la duchesse de Malaga, était réputée être la plus belle femme d’Espagne et avait fait tourner la tête à plusieurs couronnes jusqu’au moment où, à sa majorité, elle dût décider entre trois jeunes rois et qu’elle déclara tout simplement qu’elle entrait dans les Ordres. » (Copi, nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978), p. 9) ; « Vous, les gouines, et les femmes toutes, qui venez mettre le nez dans les affaires du quartier, vous êtes des vrais gangsters ! […] Vous nous chantez des chansons pour met’ les pauvres à l’Hospice, les voleurs dans les prisons, les Arabes en Arabie et garder tout le pognon ! » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Et puis les femmes avaient des cris trop stridents, alors nous sommes partis. » (cf. la dernière phrase de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 74) ; « Pour imaginer au mieux l’état d’esprit du type écrivant, il faut se figurer une immonde et très grossière Salope. Vincent Garbo se propose de la nommer Carole. Carole la Monstrueuse. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 8) ; « Avec sa bouche d’anthropophage rouge carrosserie, ses cheveux façon perruque en nylon du Crazy Horse, elle aurait pu jouer dans une parodie porno de films de vampires. » (Jason, le héros homosexuel décrivant Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 56) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, le père homosexuel d’Henri (le héros qui feint l’homosexualité) traite Elsa, la copine de son fils, de « folle » : elle serait « une de ces tordues » qui va détourner son fils du « droit chemin de l’homosexualité ».

 

Pour le dramaturge argentin Copi, une femme, ça cancane, forcément ! (cf. le titre de la nouvelle « Les Potins de la femme assise », 1978) Ça tue aussi ! « T’as jamais rencontré une femme de ta vie, toi ? Une vraie femme, de celles qui te font cher jusqu’à la mort ? » (Daphnée dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi)

 

La femme est jugée maudite, quand bien même cette malédiction la rende soi-disant belle, désirable, forte : « Dalida, l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire, le monstre à deux têtes, Luigi, Lucien, Richard, pris dans un lien inextricable. » (cf. la pièce Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) Par exemple, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018, Crunch, l’un des personnages homos, a cogné sa femme en lui faisant l’amour parce qu’il a vu en elle le visage du diable.

 
 

e) La misogynie en actes (Toutes des martyres !) :

Une telle vision de la femme n’est pas sans conséquence dans le comportement du héros homosexuel. La misogynie se traduit en actes. D’abord une distance : les femmes sont mises à distance, abandonnée. Par exemple, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, Paul, le héros homosexuel, abandonne Mousse. Dans le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, Lena se fait pousser dans les escaliers. Dans le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier, François brutalise Catherine et simule qu’il tire un coup de feu sur sa copine Christine. Dans le film « Il Compleanno » (2009) de Marco Filiberti, Francesca, la femme de Mateo, se fait écraser par une voiture après qu’elle ait découvert son mari au lit avec un homme. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), la langue de Laurent Spielvogel, le héros homosexuel, fourche : au lieu de dire l’expression « exécution des Bar Mitsvah », il dit « exécution des Miss ».

 

Film "The Gay Bed & Breakfast of Terror" de Jaymes Thompson

Film « The Gay Bed & Breakfast of Terror » de Jaymes Thompson


 

L’homosexuel fictionnel entraîne la FAP à la mort (cf. la tante d’Angelo dans le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault ; Marie qui se suicide après que Loïc l’ait espionnée et isolée des prétendants masculins avec qui elle aurait pu faire sa vie, dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, Amira Casar qui tente de se suicider dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat, etc.). Par exemple, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas a viré sa cuti et avoue avoir « une ex suicidaire ».

 

Ensuite, le personnage homosexuel passe au viol, notamment en détruisant, par le passage à l’acte sexuel, le lien d’amitié qui l’unissait à la femme. « Ça fait combien de temps que tu la supportes, l’autre folle ? » (Philippe, le personnage homosexuel de la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier) Par exemple, dans le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, Vincent, le héros homo, brise la virginité de sa meilleure amie Noémie, avant de se résigner à une homosexualité exclusive. Dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, Éric, le personnage homosexuel, embrasse sa meilleure amie Maggie avant de la laisser tomber. Dans le film « Eating Out » (2004) de Q. Allan Brocka, Joey a couché avec sa meilleure amie Gwen pour tester s’il était gay. Dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, Marianne, la FAP, est utilisée sexuellement puis jetée par Nicolas, le héros homo. Dans la pièce Son mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, Daniel couche avec Nina pour découvrir qu’il est finalement gay. Dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, Carole sert de couverture sociale à son meilleur ami Laurent qui ne s’assume pas en tant qu’homosexuel ; ensuite, il la force plus ou moins à coucher avec lui pour tester sa propre « hétérosexualité », puis a une « panne » au lit. Dans la pièce Pas folle, le gay ! (2006) de Gianni Corvi, Fred teste son hétérosexualité avec sa meilleure amie avant de se découvrir « 100% homo ».

 

Très souvent, le personnage homosexuel impuissant finit par violer son idole féminine ou sa meilleure amie FAP (qui lui aura préalablement servie d’appât à mecs), pour se venger de sa faiblesse et de sa virilité blessée, ou bien parce que la femme convoitée ne se laisse pas posséder. « Toutes ces femmes dont il avait envie (bien que ce désir en soi lui fît horreur), jamais il ne pourrait les obtenir au moment même où il les voulait, c’est-à-dire tout de suite, car il faudrait d’abord trouver le moyen de leur être présenté, puis leur parler avec adresse, alors que dans son cœur il les méprisait. » (Emmanuel Fruges dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 169) ; « Mon plan consistait à passer une nuit avec toi. Cette nuit-là, je t’aurais baisée jusqu’à te fendre en deux. » (Victor à Helena, dans le film « Carne Trémula », « En chair et en os » (1997) de Pedro Almodóvar) ; etc. Par exemple, dans la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy, Sébastien l’homosexuel trahit sa meilleure amie Stéphanie parce qu’il lui avoue finalement qu’il veut la posséder pour lui tout seul.

 

J’étudie plus largement le thème du « Violeur homosexuel » dans le code du même nom, sur mon Dictionnaire des Codes homosexuels. La misogynie peut aller jusqu’à l’envie de meurtre ou le meurtre : « Vous ne savez pas le mal dont vous êtes capables. » (Amira Casar en parlant des hommes homosexuels, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat) ; « J’t’attendais pour te violer. » (« JP », le héros homosexuel, en boutade à son amie Clara, dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, l’épisode 2 « Intuition féminine »)

 

Par exemple, dans le film « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar Benigno, l’infirmier homosexuel, viole sa patiente Alicia, qu’il a soignée pourtant apparemment avec sollicitude, et veillée comme une idole. Dans le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, Bruno tue la femme de Guy. Dans le film « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar, le flic impuissant viole Gloria sous la douche. Dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, João bat et défigure sa star-fétiche Victoria. Dans le film « Reflections In A Golden Eye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, Williams, le héros homosexuel, viole Leonora. Dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, Bosco tente de violer Angela. Dans le film « Psycho » (« Psychose », 1960) d’Alfred Hitchcock, Norman Bates tue Marion après l’avoir désirée et observée à travers les murs. Dans le film « Scandale aux Champs-Élysées » (1948) de Roger Blanc, Étienne assassine plusieurs femmes. Dans la pièce La Muerte De Mikel (1984) d’Imanol Uribe, Mikel l’homosexuel mord le clitoris de Begoña pendant son sommeil. Dans le film « J’ai pas sommeil » (1993) de Claire Denis, un homo psychopathe tue des vieilles dames. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel, le personnage homosexuel, maltraite physiquement les femmes.

 

Film "Matador" de Pedro Almodovar

Film « Matador » de Pedro Almodovar


 

Dans les fictions homo-érotiques, on nous offre régulièrement des descriptions explicites de gestes de maltraitance opérés sur les femmes : « Ayez pitié d’une pauvre femme par-dessus vieille ! J’allume la boule. Vous la voyez votre petite Delphine pendue ? Monsieur, me dit-elle, je me sens mal. Mes sels ! Je la gifle. Je l’attrape par les cheveux, lui cogne le front contre la boule de cristal, elle râle, elle s’affaisse sur sa chaise, elle a une grosse boule bleue sur le front, un filet de sang coule de son oreille. En bas on entend le bruit régulier de la caisse, je regarde par la fenêtre, le boulevard Magenta est toujours le même. La vieille continue de râler, je l’étrangle, elle meurt assise. Je me recoiffe de mon peigne de poche, j’enfile mon imperméable. » (le narrateur homosexuel assassinant la voyante extra-lucide Mme Audieu, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 89) ; « Delphine est morte ! crie l’une, Madame Audieu est morte ! crie l’autre. L’une pendue, l’autre étranglée. » (idem, p. 91) ; « Qu’est-ce que je regrette de ne pas m’être débarrassé d’elle au début, ça aurait été facile de l’empoisonner au Pim’s lui mettant de l’arsenic dans son verre de vodka-orange, qui m’aurait soupçonné ? […] Aïe, ma mère, pourquoi m’as-tu fait si misogyne ! » (idem, p. 87) ; « Mimile ramasse une pierre et frappa la Reine des Hommes sur la tête jusqu’à ce que le sang inonde ses cheveux blancs et qu’elle roule par terre. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 65) ; « Son visage et ses beaux cheveux blonds étaient couverts d’excréments. » (le narrateur décrivant la belle Truddy, dans la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 33) ; « Il a poignardé Suzanne York. » (Stephany présentant Jonathan, homosexuel, à son ami Joe, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; etc.

 

Le héros homosexuel réserve bien souvent à la femme qu’il met en scène les pires sévices. Par exemple, dans le roman Vincent Garbot (2010) de Quentin Lamotta, le héros balance de l’acide chlorhydrique sur l’une de ses camarades de classe, Sophie, qu’il défigure (p. 64), et fait sa fête à Adrienne (« J’ai résolu de faire mourir Adrienne Toiture. Elle mourut culbutée par une auto. », p. 125). Dans le film « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, Dutrouz découpe en morceaux « Lola Lola » qu’il met dans une malle. Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Álvaro choisit une drôle de manière de déclarer son amour à Octavia : il la frappe, la fait tomber, l’écrase contre les murs, la maltraite sauvagement ; Pedro fait de même, en ruant de coups Claudia avec sa guitare. Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, Sofia est la femme-tronc qui ressemble à un tableau de Picasso après un tragique accident de moto que son mari, qui a survécu, lui a infligé. Dans la mise en scène en 2010 de Florian Pautasso et Maya Peillon de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le personnage de Daphnée se fait particulièrement maltraiter physiquement par les héros homosexuels : Jean la jette par terre, Luc lui hurle dessus, etc. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afailal et Yannick Schiavone, les femmes sont souvent maltraitées verbalement et physiquement, y compris celles qui sont adulées : par exemple la vendeuse du resto japonais qui se fait insulter, la mère de Kévin (« Lâche-moi, la vieille !!! » râle Angelo en pointant son arme à feu sur elle), la figure de Carla Bruni harcelée, etc. Dans le film « Dressed To Kill » (« Pulsions », 1980) de Brian de Palma, un homme transsexuel M to F qui se déguise en blonde, tue des femmes blondes à la lame de rasoir pour leur ravir leur personne et leur sexe. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin), dans les vitrines du magasin de Joe, couturier homosexuel, les mannequins féminins ont les bras en croix, sont crucifiés comme des pin-up.

 

Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homo, joue au départ l’affliction, le veuve endeuillée, par rapport à son ex-femme (« La femme de ma vie s’est tuée dans un accident d’avion il y a 7 ans. »), pour ensuite révéler la vraie nature de sa relation : « Je la haïssais. C’est une grosse merde. » Par ailleurs, il se comporte très mal avec les trois femmes qui l’entourent : il gifle Michèle, domine sexuellement Lucie, et traite Martine de « morue » : « Vous êtes des bêtes sauvages ! »

 

Le héros homosexuel reproche finalement à la femme tout ce qu’il lui fait… et qu’il ne devrait se reprocher qu’à lui-même…

 
 

f) D’où vient cette misogynie homosexuelle ?

Cela peut paraître complètement fou que tant de héros homosexuels, qu’on persuade d’être les meilleurs amis des femmes (et qui finissent par le croire !), soient aussi ignobles avec leur entourage féminin. Les motifs rationnels semblent même leur échapper ! « Pourquoi est-ce que je la tue ? Il doit y avoir une raison mais je ne me l’explique pas. » (le roi Ferrante parlant d’Inès de Castro, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant)

 

Comment expliquer cette décharge de haine ?

 

La raison la plus évidente, mais aussi la plus insuffisante si on ne l’explique pas, c’est la peur de la sexualité. La misogynie du personnage homosexuel traduit certainement chez lui une angoisse (qui se déclinera parfois plus tard en révulsion) de la différence des sexes : « J’étais lâche avec les femmes. Et j’vais vous dire une chose : les femmes m’emmerdent ! » (Érik Satie dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « J’te fais peur ? Tu voudrais me tenir dans tes bras pourtant. » (Chloé à Martin, le héros que tout le monde prend pour un gay, dans la pièce Scène d’été pour jeunes gens en maillot (2012) de Christophe Botti) ; « En fait, ils n’ont jamais compris ce qu’on était. Ils ont peur de nous comme les enfants ont peur du noir. En réalité, c’est qu’ils ont peur qu’elles ne leur appartiennent pas […] Sous prétexte de protéger les femmes d’elles-mêmes, pour conjurer le sort. » (Amira Casar en parlant des hommes homosexuels, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat) ; « Les amitiés particulières, c’est quand les filles nous font peur. » (cf. la chanson « Les Amitiés particulières » de Serge Lama) ; « Richard avait un grand respect du corps des femmes. Presque trop. Il avait toujours peur de faire mal. » (la compagne de Tanguy dans le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume) ; « J’espère qu’on aura un garçon, murmura-t-elle. Les filles sont trop vulnérables. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte s’adressant à sa compagne Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 101) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder, Sherlock Holmes dit qu’il « se méfie des femmes ». D’ailleurs, la misogynie du héros homosexuel est toujours le signe d’un irrespect des femmes beaucoup plus global, social, hétérosexuel. Dans le film « Boygames » (2012) d’Anna Österlund Nolskog, deux meilleurs amis, John et Nicolas, âgés de 15 ans, sont intéressés par les filles mais redoutent la première expérience sexuelle, alors ils décident de s’entraîner d’abord entre eux.

 

Mais nous pouvons également lier la misogynie homosexuelle à l’inceste. Car en effet, elle est un mécanisme instinctif de résistance que le personnage homosexuel met en place pour gérer/étouffer tant bien que mal un inceste opéré par une mère abusive, une star de télévision indécente, une femme intrusive. Par exemple, dans le film « Maigret tend un piège » (1958) de Jean Delannoy, Marcel Maurin, homosexuel, tue des femmes car il est doté d’une mère castratrice.

 

Il est possible que la misogynie homosexuelle vienne aussi de l’excès de proximité du héros homosexuel avec les femmes de son entourage, y compris celles qu’ils présentent comme ses amies d’enfance ou ses « meilleures amies ». La fusion précoce et incestueuse avec le monde féminin, notamment dans l’enfance, entraîne en général une rupture progressive à l’âge adulte, une distance, un agacement : « Non que les études de lettres lui déplussent, ni la compagnie des filles, qui avaient toujours constitué la majeure partie de ses relations et amitiés ; mais l’absence de tout visage masculin sur qui poser son regard pendant les cours finissait par lui peser, et lui donnait parfois quelque accès de misogynie […]. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 47)

 

En outre, je crois que la misogynie homosexuelle repose surtout sur le rapport réifiant et idolâtre (qu’on pourrait appeler aisément « fanatisme ») qui s’instaure entre les femmes et le personnage homosexuel. Aux femmes réelles, celui-ci leur préfère les femmes-objets, ces poupées qu’il peut manipuler, et vider du mystère qui lui fait tellement peur : « Jamais les femmes ordinaires ne donnent l’essor de notre imagination. Elles ne sortent pas de leur siècle. Aucune magie ne les transfigure. Rien en elles qui ne puisse pénétrer. Pas une qui soit mystérieuse. Toutes, elles ont le même sourire stéréotypé et les belles manières du jour. Elles sont claires et banales. Mais les actrices ! Oh ! Combien les actrices sont différentes ! » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1983) d’Oscar Wilde, pp. 72-73) ; « Je n’aime Lucile que lorsqu’elle se tait. » (le juge Kappus, homosexuel planqué, parlant de sa propre femme, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 60) ; « Une actrice = une pute, c’est bien ce que je dis. » (Benjamin parlant à son amant Pierre, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade)

 

Film "Soudain l'été dernier" de Joseph L. Mankiewicz

Film « Soudain l’été dernier » de Joseph L. Mankiewicz


 

Dans les fictions, il n’est pas rare que le héros homosexuel se serve de la femme comme un objet. Par exemple, dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, Catherine est utilisée explicitement comme un « appât » par son cousin homosexuel Sébastien qui veut attirer à lui les prétendants. C’est aussi le cas des FAP des films suivants : « Le Bon Coup » (2005) d’Arnault Labaronne, « Boychick » (2001) de Glenn Gaylord, « Les Monstres » (1963) de Dino Risi, « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq, « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy (où Maxence tombe amoureux de son « idéal féminin » pour que de la femme qu’il aime), etc. Dans la pièce Les Amazones, 3 ans après… (2007) de Jean-Marie Chevret, Martine sert de couverture à Loïc. Dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier utilise sa cousine-FAP comme faire-valoir : « Tu es mon public ! » lui dit-il.

 

C’est cette confusion dans le cœur du héros homo entre femme réelle et femme-objet qui nous fait dire que l’acte de destruction de la femme n’est pas tant une démarche misogyne qu’une démarche iconoclaste. « Moi, Dalida, je l’ai éclatée, je l’ai fracassée. » (la figure d’Élie Kakou, homosexuel, dans le one-woman-show Sandrine Alexi imite les stars (2001) de Sandrine Alexi) Il y a comme un double mouvement d’adoration/destruction. Par exemple, dans le roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana, Rafaelito déteste les femmes alors qu’il passe son temps à les imiter.

 

Le personnage homosexuel se venge en réalité de sa propre prétention à se prendre pour un objet, pour un mythe : cf. le film « El Asesino De Muñecas » (« L’Assassin de poupées », 1975) de Michael Skaife, le film « Le Refroidisseur de dames » (1968) de Jack Smight, etc.

 

La femme-objet est livrée, comme la Reine du Carnaval, aux flammes et à la risée générale, pour, en intentions, prouver qu’elle est bien humaine et immortelle, et intellectuellement, pour prouver qu’elle n’est qu’un objet méprisable qui a capturé l’espace psychique désirant du héros : « Les filles, ça te prend la tête, ça ne te la rend plus. » (Lennon, le héros homosexuel de la pièce Scène d’été pour jeunes gens en maillot (2012) de Christophe Botti) ; « Je hais les majorettes. » (Madame H., travesti M to F, dans son one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des transpédégouines, 2007) ; « Nous pendouillerons Cher. » (les protagonistes homos parlant de la chanteuse Cher, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; «  Catherine D. est en chantier. » (l’humoriste Philippe Mistral se moquant de Deneuve, dans son one-man-show Changez d’air, 2011) ; « Moi, Dalida, je l’ai éclatée, je l’ai fracassée. » (la figure d’Élie Kakou s’adressant à sa star fétiche, dans le one-woman-show Sandrine Alexi imite les stars (2011) de Sandrine Alexi) ; « Jolie, crinière au vent, ses dessous dépassant de l’ouverture du fourreau pailleté, boitant sur une seule chaussure, traînant d’une main le renard, de l’autre son sac, elle le suivit sans rien dire. […] Son maquillage dégoulinait. Jolie de Parma, celle qui l’avait tant ému au cinéma ! réalisa-t-il tout d’un coup. Hier encore, vous étiez mon idole, mon idéal de femme. » (Silvano, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, pp. 22-23) ; « Chaque invité, après avoir déposé son cadeau dans le vagin flétri de la reine Rancie, devait s’agenouiller pour baiser l’anus royal, lequel avait mauvaise haleine. » (cf. la nouvelle « L’Apocalypse des gérontes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 127)

 

Le mythe de la séduction féminine est mis à plat et sacralisé dans la noirceur camp. Par exemple, dans la nouvelle « La Mort d’un phoque » (1983) de Copi, Glou-Glou Bzz est une femme qui « sentait fort la morue et le gin » (p. 20). Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, les épouses des rats mâles Gouri et Rakä, Iris et Carina, sont particulièrement pénibles : elles se comportent en vraies harpies, geignent tout le temps, ont mauvais caractère, se plaignent de migraine, tombent enceintes, et font chier tout le monde (p. 137).

 

La destruction du mythe de l’Éternel Féminin trouve in extremis ses lettres de noblesse dans la figure non moins misogyne de la Diva Camp horrorifique ou du personnage de l’affreux transsexuel gothique. Par exemple, dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, le Coryphée est un homme travesti avec une perruque tombante, une canne, un maquillage coulant, un déguisement féminisé volontairement rebelle et raté. Dans la comédie musicale Le Cabaret des hommes perdus (2006) de Christian Siméon, la grande diva interprétée par Denis D’Archangelo est fortement handicapée, bardée de prothèses à la jambe, et se déplace avec une béquille… un peu comme Sarah Bernhardt avec sa jambe de bois. Dans sa pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011), Jérémy Patinier a choisi de faire jouer une Marilyn Monroe – appelée « Lourdes » – version hippopotame de « Fantasia » : « Eh oui ! Même Marilyn faisait caca. Ça casse le mythe ! » déclare la comédienne bien en chair, qui suppliera à son public qu’il la viole (« Fouettez-moi, battez-moi ! »). Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1985) de Copi, Vicky Fantomas est une femme avec une cicatrice sur la joue gauche, et une attelle à la jambe : elle a été victime d’un attentat au drugstore (peut-être qu’elle-même portait la bombe). La féminité détruite est l’icône identificatoire préférée des personnes homosexuelles misogynes.

 

La femme détruite et incarnée par le héros homosexuel est en fait un personnage, un rôle, et non la vraie femme sexuée. C’est un androgyne interlope que tous peuvent incorporer (il suffit de le désirer et de le singer) : « Je suis bisexuelle. Bisexuée. Je porte les deux sexes. J’ai été envoyé par des extra-terrestres. […] N’oubliez jamais ça : en chacun d’entre vous sommeille une mémé comme moi. » (Mémé Huguette, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « Oui, moi aussi, je suis comme vous. Je suis une pute. Je suis une pute. Comme vous. » (Jules, le héros homosexuel s’adressant à ses deux comparses Michèle et Martine – l’une est actrice, l’autre est prostituée de profession – dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) La femme-salope est au fond un fantasme asexué et hypersexué. C’est pourquoi la misogynie homosexuelle peut tout à fait prendre la forme de l’homophobie dans certains cas. Par exemple, dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, Engel traite tout le temps son futur amant Marc, initialement hétérosexuel, de « gonzesse » pour le dévaloriser et le faire basculer dans l’homosexualité.

 

Finalement, on voit que le héros homosexuel hait la femme de l’avoir trop aimée, de l’avoir transformée en fantasme hypersexué et asexué : « Elle que j’ai eu le malheur d’aimer à outrance. » (Didier, le héros homosexuel, par rapport à son ex-copine Yvette, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Il me respecte. Presque trop… […] Je ne veux pas anticiper… mais j’ai très peur pour ma féminité. » (Catherine par rapport à son mari homo Jean-Paul, dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor) ; etc. Il l’a traitée comme une déesse et comme une merde, l’a détruite pour prouver qu’elle était toute-puissante, l’a adulée puis massacrée… mais pas aimée telle qu’elle est : fragile, accessible, humaine, aimante.

 

Derrière ce lynchage verbal/physique misogyne se cache justement la jalousie du personnage homosexuel qui reproche aux femmes de ne pas être lui. « J’aimerais être une femme parfois. Je suis jaloux de tes orgasmes. J’vois bien que l’intensité du plaisir est plus forte chez toi. J’ai entendu dire que la femme jouissait huit plus que l’homme. » (Jupiter s’adressant à Junon, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré)

 
 

g) La misogynie des femmes lesbiennes envers les femmes : si si, elle existe ! On PEUT être contre soi-même

Nous aurions tort de penser que la misogynie a un sexe. La haine des femmes, on a maintes fois l’occasion de le vérifier dans les fictions traitant d’homosexualité, est exprimée autant par les personnages masculins gays que par les héroïnes lesbiennes. Le même rapport idolâtre – et donc jalousement destructeur – avec les femmes réelles, confondues avec les femmes-objets, est observable côté lesbien ! « J’en ai marre de ces femmes ! Où est le revolver ? » (Leïla dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « C’est des vraies salopes, ces femmes ! » (Fougère, op. cit.) ; « J’en ai marre de toutes ces femmes ! » (la psy dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Il faut avoir beaucoup de patience avec les femmes, n’est-ce pas ? et ne jamais croire un seul mot de ce qu’elles vous disent. » (la voix narrative lesbienne du roman La Dame à la Louve (1904) de Renée Vivien, p. 22) ; « Je lui ai arraché les yeux pour m’en faire un bilboquet. » (Doris, l’héroïne lesbienne parlant de sa rivale Truddy, l’actrice blonde, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; etc. Par exemple, dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Heïdi, l’héroïne lesbienne, traite toutes les femmes de « dindes ». Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Fanny, l’héroïne lesbienne, aurait préféré un chihuahua plutôt qu’une femme comme colocataire.

 

Dans les phrases misogynes des héroïnes féministes (et parfois lesbiennes), pourtant en théorie pro-femmes, l’agression plaintive se mêle au constat fataliste… et on ne sait pas trop démêler les deux : elles se plaignent et pourtant donnent raison, dans la citation mimétique/ironique de leurs « ennemis les hommes », à leurs fantasmes auto-dévalorisants : « On est toutes des salopes pour les hommes ! » (Léa dans la pièce Scène d’été pour jeunes gens en maillot (2012) de Christophe Botti) ; « J’oublie que je ne suis qu’un ventre reproducteur. » (la voix narrative du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 142)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La misogynie homosexuelle en mots :

À de nombreuses reprises (même si cela est très inconscient), l’homosexualité est montrée comme un moteur privilégié de la misogynie ou de la misandrie (haine des hommes : je traite plus amplement de celle-ci dans le code « Parricide la bonne soupe » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ce drame a pour base la haine de la femme… » (Jean-Louis Chardans parlant de l’homosexualité, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 72) Et pour cause ! Si, sur la photo des manif’ des années 1970, nous voyons la communauté homosexuelle et les féministes marcher main dans la main, la réalité de leur association est beaucoup moins chantante (l’a-t-elle vraiment été un jour, d’ailleurs ?). Comme l’exprime crument mais lucidement Éric Zemmour dans son essai Le Premier Sexe (2006) : « Au fil du temps, les femmes sont devenues les otages des homosexuels. Elles ont lié leur sort à celui de leurs ennemis. » (p. 24)

 

La misogynie est une pratique courante dans la communauté homosexuelle. Elle a été exprimée ouvertement par des personnalités telles que César Lácar, Thomas Bernhard, Kitchener, Marcel Jouhandeau, Oscar Wilde, William Shakespeare, Henri de Montherlant, Sade, Pierre de Coubertin – qui refuse les « Olympiades femelles », selon sa propre formulation –, Yukio Mishima, André Gide, le Marquis de Vauvenargues, Jean Cocteau, John Shear, etc. « J’espère que vous êtes comme moi. J’ai horreur des femmes. Je n’aime que les garçons. » (Oscar Wilde à André Gide, cité dans l’article « L’Immoraliste et le ‘King of Life’ » de Claude Martin, sur le Magazine littéraire, n°343, mai 1996, p. 38) ; « Je méprisais les filles : comment pouvait-on comparer les corps doux, mous et bulbeux de ces créatures bêtes et inconsistantes à la beauté musculaire du corps masculin ? Leur place était au harem d’où elles n’auraient jamais dû sortir ; le vrai amour, l’amour sur un pied d’égalité et avec une compréhension mutuelle, se donnait uniquement entre hommes. » (J. R. Ackerley, Mon Père et moi, 1968) ; « C’est horrible ce que je vais dire, mais je pense que la femme est inférieure à l’homme. Elle n’a pas la même intensité. Le yin et le yang, tout ça… » (Guillaume Dustan, l’écrivain homosexuel, dans l’émission de Patrick Buisson traitant du « communautarisme gay », sur la chaîne LCI en 2003) ; « Ce qui est rejeté, c’est le genre féminin dans sa globalité. » (Sébastien Carpentier, lors de sa conférence au Centre LGBT de Paris, à l’occasion de la sortie de son essai sociologique Délinquance juvénile et discrimination sexuelle en janvier 2012) ; « J’ai horreur de moi parlant à une femme. » (Drieu La Rochelle) ; « Malheur à l’homme qui succombe à la femme ! Malheur à la civilisation qui se livre aux femmes ! … Les femmes rêvent toujours de posséder l’homme en entier. Cette trappe vers le néant, qui se cache derrière chacune d’elle, réclame sa victime… L’homme de la confrérie ne peut sombrer car il engage le meilleur de lui-même dans l’homme. » (Hans Blüher cité dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, p. 145) ; « Je suis persuadé d’être homosexuel. J’ai fréquenté de nombreuses femmes. Sans plaisir particulier, il est. Cela m’a valu trois chaudes-pisses que j’ai considérées par la suite comme le châtiment de la nature pour des relations contre-nature. Aujourd’hui, toutes les femmes me font horreur, et, plus que toutes, celles qui me poursuivent de leur amour ; elles sont malheureusement très nombreuses. En revanche, j’aime ma mère et ma sœur, de tout mon cœur. » (lettre de Ernst Röhm, à 42 ans, le 25 février 1929) ; « Les femmes ne devraient jamais régner. » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; etc. Par exemple, Serge de Diaghilev (1872-1929), le fondateur des fameux Ballets russes, interdisait à ses danseurs de sortir avec des femmes : « Pas de femme ! Pas de femmes : La fatigue sacrée de la danse doit chasser les tentations mauvaises. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 197)

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles (il suffit de les écouter, ou qu’elles prêtent elles-mêmes attention à ce qu’elles racontent) considèrent les femmes comme des godiches, des bourgeoises sans cervelle, ou bien des caricatures de féminité fatale/violée… tout cela pour les mettre concrètement à distance, et mentalement sur un piédestal. « Le corps des femmes ne m’excite guère plus que n’importe quel autre objet de première nécessité et d’usage quotidien. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « Si j’aimais les femmes, j’en verrais davantage. » (idem) Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on apprend que Yves Saint-Laurent, le couturier, a viré comme une malpropre son ancienne mannequin-égérie, Victoire : « Tu n’es belle que sophistiquée. […] Avec des cheveux comme ça, on dirait une souillon. Tu es d’une vulgarité, ma pauvre, c’est effarant. […] Laissez-la partir. Son style, ce qu’elle est, c’est déjà dépassé. » Les paradoxes inattendus de l’idolâtrie/jalousie…

 
 

b) Toutes des guenons !

Il arrive même que les femmes soient comparées à des êtres laids, des cruches décervelées, et même des singes ! « Les femmes valent moins que des guenons. » disait le cinéaste homosexuel français Michel Simon.

 

DESTRUCTION Singe

 

Aussi surprenant et insultant que cela puisse paraître, la femme-singe est un archétype de la fantasmagorie homosexuelle. Elle peut renvoyer au reflet narcissique monstrueusement déformé par l’eau, par exemple : cf. l’autobiographie Le Ruisseau des singes (2000) de Jean-Claude Brialy. C’est une interprétation possible.

 

Cette animalisation de la femme est parfois aussi une vengeance secrète réservée à une incestueuse famille, réelle ou symbolique, où la différence des sexes n’a pas été respectée (le père a exploité la mère comme une guenon, ou bien a été considéré comme un singe par la mère) : « Le soir, j’étais souvent réveillé par un bruit métallique, un grincement qui augmentait peu à peu. Je croyais qu’un tramway s’était arrêté en face de chez nous et qu’il ne parvenait plus à démarrer. Le conducteur essayait en vain et son véhicule avançait et reculait de quelques mètres, dans un rythme qui devenait effréné, frénétique. C’était comme si voyageaient dans le tramway un singe et son dompteur. Je pouvais entendre les cris hystériques du singe, la voix rauque du dompteur, qui dialoguaient. D’abord ils se disputaient, ensuite ils élevaient la voix, ce n’étaient plus des mots : c’étaient des râles, des soupirs. Il y avait aussi les hurlements du singe très aigus. L’étonnant, c’est que tout s’arrêtait d’un coup. On n’entendait jamais le tramway repartir. D’ailleurs, il n’y avait pas de tramway qui passait devant chez nous. L’eau coulait dans la salle de bains. Au bout de quelques années, tu m’as dit : ‘C’étaient tes parents.’ » (Alfredo à sa grand-mère dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, pp. 153-154)

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

La figure de la femme-singe peut même être une analogie injurieuse recherchée par les personnes homosexuelles elles-mêmes ! Par exemple, le documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) de Marion Cajori et Amei Wallach nous montre justement les féministes du mouvement Guerilla’s Girls déguisées en femmes-macaques au Musée Guggenheim.

 

En outre, beaucoup d’individus homosexuels ou gay friendly, soucieux de défendre la normalité « naturelle » de leur désir et de leurs actes amoureux, comparent les comportements homosexuels à ceux des singes, entre autres les bonobos : « On a observé un comportement homosexuel chez 13 espèces appartenant à 5 ordres de Mammifères (Beach, 1968). En voici quelques exemples. Il se produit chez la truie, la vache, la chienne, la chatte, la lionne et les femmes du singe Rhesus et du Chimpanzé. » (cf. l’article « Les Facteurs neuro-hormonaux » de Claude Aron, dans l’ouvrage collectif Bisexualité et différence des sexes (1973), pp. 161-162)

 

Certaines icônes de la communauté homosexuelle ont, de leur vivant, aimé s’entourer de singes : on peut penser à Mylène Farmer et ses chimpanzés, à Joséphine Baker l’amie des singes (le singe Binki fut l’un de ses nombreux protégés), etc.

 

Dans l’expression « femme singe », il faut surtout reconnaître qu’il y a « femme singée », caricaturée, cinématographique, hypersexuée. On voit que la résurgence symbolique de la femme-singe correspond tout simplement à la femme-objet, à la femme-potiche, à l’individu homosexuel, travesti, transsexuel : « La fille qui enseigne le dessin est un vrai singe : le visage couvert de poils. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 133) ; « Tola levait la jambe, marchait à quatre pattes pour imiter un singe, puis sortit brutalement une poupée en tissu qui reproduisait grossièrement sa silhouette. » (idem, pp. 305-306) ; « Entre-temps, Tola avait entrepris son final, enveloppée dans une étole de vison. Elle aimait toujours présenter ses légendaires fourrures. » (p. 307) ; « La deuxième partie du programme montrait la vie quotidienne chez les Ricardo, une famille de chimpanzés. » (idem) Par exemple, dans la biographie La Véritable Joséphine Baker (2000) d’Emmanuel Bonini, Joséphine Baker est comparée à un « singe qui aurait fait de la gymnastique suédoise » (p. 45).

 
 

c) Toutes des putes !

Les femmes réelles ont le malheur d’être fragiles, de ne pas être des Superwomen… ce qui attise chez un certain nombre de personnes homosexuelles une déception et une méfiance croissantes à leur égard. La femme, jadis désincarnée en vierge, finit, parce qu’elle est incarnée, par être traitée de prostituée, de femme impure, de putain : « Sale pute. » (Christophe Honoré à propos de Fanny, la femme avec qui il vient de coucher, dans l’autobiographie Le Livre pour enfants (2005), p. 30) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. J’ai imaginé les deux garçons, le grand aux cheveux roux et le petit au dos voûté, me contraignant à toucher leur sexe, d’abord avec mes mains puis avec mes lèvres et enfin ma langue. J’ai rêvé qu’ils continuaient à me cracher au visage, les coups et les injures ‘pédé’, ‘tarlouze’ alors qu’ils introduisaient leur membre dans ma bouche, non pas un à un mais tous les deux en même temps, m’empêchant de respirer, me faisant vomir. Rien n’y faisait. Chaque contact de Sabrina avec ma peau me ramenait à la vérité de ce qui se passait, de son corps de femme que je détestais. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 193) ; etc.

 
 

d) Toutes des diablesses !

Chez beaucoup de personnes homosexuelles (surtout gays, mais pas uniquement), le dégoût des femmes semble presque épidermique : « J’avais vite compris que Liane était une fille extrêmement jalouse : une vraie tigresse cette nana ! Sa paranoïa m’excédait ; j’étais constamment épié et cela m’exaspérait. » (Ednar, le personnage homosexuel ayant tenté de sortir avec une femme, dans le roman semi autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 157) Je l’ai beaucoup observé et entendu chez mes amis homosexuels, hommes et femmes confondus.

 

Pour ma part, ce dégoût physique pour les femmes, je ne le méprise pas… Au contraire. Je ne le justifie pas, mais je le comprends complètement puisque je le ressens aussi en moi, de manière inexplicable, dans mon corps et dans mon cœur. Il me dépasse pour l’instant. Comme une blessure énigmatique, invisible mais réelle. Les femmes, même si je les trouve belles, ne sont pas, à mes yeux, désirables. Je les trouve sensuelles à distance, à partir du moment où elles ne me touchent pas et n’éprouvent pas de sentiments amoureux à mon encontre. Dès qu’elles s’approchent ou jouent la séduction, je débande, me glace. Et leurs tentatives de proximité excessive m’exaspèrent, me dégoûtent, et surtout me laissent complètement indifférent. C’est très étrange. Je vois les femmes, c’est vrai (et c’est terrible) comme des êtres collants, ventouse, un peu pieuvre, et j’en suis le premier navré, car l’effet repoussoir, même si je me refuse à le définir comme uniquement physiologique, a pourtant tout l’air d’être naturel et imposé par des lois antérieures à ma conscience de mon attrait physique pour les hommes.

 

Pour revenir aux personnes homosexuelles en général, j’ai l’impression que, de leur point de vue, La beauté de la femme n’est pas envisagée comme une force fragile, mais bien comme une arme redoutable, qui soumet et assigne un cruel destin. Pour beaucoup d’entre elles, une vraie femme belle est une femme jalouse, fuyante, dangereuse, peste, voleuse, bavarde, bruyante, intrusive, curieuse, parlant pour ne rien dire ou pour médire, séductrice, maléfique, manipulatrice. Par exemple, dans son roman L’Hystéricon (2010), Christophe Bigot se centre souvent sur les femmes manipulatrices, diaboliques, capricieuses, inaccessibles.

 

Dans l’esprit d’un certain nombre de personnes homosexuelles, la féminité se réduit à la possessivité de la mère cinématographique étouffante : une femme, ça cancane, forcément ! ça jalouse ! ça tue aussi ! La femme est jugée maudite, quand bien même cette malédiction la rende soi-disant belle, désirable, forte.

 

Par exemple, Marc Cherry, le créateur homosexuel de la série Desperate Housewives (2004-2012), en même temps qu’il propose des portraits diversifiés de (sa vision de) l’émancipation de la femme, caricature très négativement les femmes en croqueuses d’hommes, en bourgeoises réactionnaires, en femmes hystériques, etc. D’ailleurs, en ses fonds, l’idée originale de la série s’appuie sur un fait divers glauque, où la féminité est dangereuse : Marc Cherry explique en effet qu’il s’est inspiré en 2002 de l’infanticide qu’une femme, Andrea Yates, a opéré sur ses cinq enfants qu’elle a noyés dans une baignoire…

 
 

e) La misogynie en actes (Toutes des martyres !) :

DESTRUCTION Menottes

Film « Mathilda Paradeiser » de Lisa Aschan


 

Une telle vision de la femme n’est pas sans conséquence dans le comportement des personnes homosexuelles. La misogynie se traduit en actes. D’abord une distance : les femmes sont laissées de côté en amour, et, par une logique compensatoire, on leur décerne quand même le trophée précaire et aléatoire de « meilleures amies ».

 

La misogynie peut aller jusqu’à l’envie de meurtre, ou carrément l’assassinat : « Je hais les femmes, il n’y a que des esprits malins qui tirent de ce dégoût de quoi me faire plusieurs crimes… » (le Marquis de Vauvenargues, Maximes posthumes, 1746) ; « Je l’ai frappée. Je l’ai saisie par les cheveux et j’ai claqué sa tête contre la tôle du car du collège qui stationnait là, avec violence, comme le grand roux et le petit au dos voûté dans le couloir de la bibliothèque. Beaucoup d’enfants nous voyaient. Ils riaient et m’encourageaient, ‘Vas-y défonce-la, défonce-lui la gueule.’ Amélie qui pleurait me suppliait d’arrêter. » (Eddy Bellegueule, le garçon homosexuel efféminé, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 106) ; etc. On connaît les violences conjugales que des Paul Verlaine ou des Nijinski ont infligé à leur femme. « Nijinski avait déjà frappé sa femme, allant même jusqu’à la pousser violemment dans l’escalier de la villa. » (Christian Dumais-Lvowski, dans l’avant-propos de Vaslav Nijinski, Cahiers (1919), p. 11) Je vous renvoie à mon étude plus approfondie du meurtre de la femme dans les codes « Matricide », « Violeur homosexuel », et la partie sur la « Prostituée tuée » dans le code « Prostitution », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Finalement, on se rend compte que les personnes homosexuelles misogynes reprochent à la femme tout ce qu’elles lui font (iconographiquement/concrètement)… et qu’elles ne devraient se reprocher qu’à elles-mêmes…

 
 

f) D’où vient cette misogynie homosexuelle ?

Cela peut paraître complètement fou que tant d’individus homosexuels, qu’on persuade d’être les meilleurs amis des femmes (et qui finissent par le croire !), soient aussi ignobles avec leur entourage féminin. Les motifs rationnels semblent même leur échapper !

 

Comment expliquer cette décharge de haine ?

 

Il est important de souligner, avant de commencer mon listing d’hypothèses, que, même si elle est très marquée dans les rangs homosexuels, la misogynie n’est évidemment pas exclusivement homosexuelle. D’un point de vue extérieur, à bien des égards, ce code pourrait sembler un peu impitoyable et accablant pour l’ensemble des personnes homosexuelles. Mais à leur décharge, j’aimerais dire qu’il ne faudrait pas leur jeter trop vite la pierre : d’une part, leur misogynie est toujours le signe d’un irrespect des femmes beaucoup plus global, social, hétérosexuel ; d’autre part, elle est bien souvent un mécanisme instinctif de résistance (une résistance bien légitime) mis en place pour gérer/étouffer tant bien que mal un inceste opéré par une mère abusive, une star de télévision indécente, une femme intrusive : « Au départ de presque toutes ces lamentables existences, il y a les mères. Les petites vies étriquées de ces êtres qui vivent à deux ou se contentent des sordides aventures d’urinoirs sont les résultats de la bonne éducation, les fruits de leçons trop bien suivies sur la crainte du péché, les dangers de la femme, tout ce qui fait la honte d’une religion mal comprise. Cette haine de la femme et cet excessif attachement à la mère, je les ai connus et je sais qu’ils peuvent, par instants, atteindre à la véritable névrose. Encore aujourd’hui, je ne suis pas tout à fait habitué à l’absence de ma mère et, lorsque je suis loin d’elle, je cherche à la joindre par téléphone et lui écrits tous les jours. C’est elle, cependant, qui est en grande partie responsable de mon état misérable, par la façon dont elle m’a obligé à vivre constamment dans son sillage. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 104) ; « La fixation haineuse ou crainte vis-à-vis de sa mère devient, par suite du sentiment de culpabilité, de l’amour et le malade transfère la haine qu’il avait pour sa mère sur les femmes dont, en réalité, il a peur. L’impression de domination, acceptée de sa mère, devient, devant les femmes, un sentiment de révolte, de haine et de dégoût. Très souvent même, d’angoisse. Ces observations expliquent l’exécration des homosexuels à l’égard des femmes. Bien des observateurs ont remarqué qu’une grande partie des homosexuels avait été élevée dans des pouponnières ou au contact exclusif des femmes. Devenus par le caractère des femmes, ils en sont des rivaux et, tout naturellement se comportent comme tels. » (Jean-Louis Chardans, op. cit., p. 107) ; etc.

 

La raison la plus évidente de l’existence de la misogynie proprement homosexuelle, mais aussi la plus insuffisante si on ne s’en tient qu’à elle seule, c’est la peur de la sexualité, angoisse qui se déclinera parfois plus tard en révulsion : « Je faisais croire que j’étais branché sur les filles ! En réalité, elles me faisaient très peur. Dès qu’elles étaient trop proches, je reculais. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 29-30) ; « Sur le plan de l’amitié, je m’entends très bien avec les femmes. Je les considère comme des êtres précieux, intouchables, c’est le cas de le dire en ce qui me concerne. Un je-ne-sais-quoi en elles me fait peur, je ne sais pas comment m’y prendre et je sens bien que je ne les rendrai pas heureuses, et que je ne serai pas à la hauteur. » (idem, p. 41) ; « Une fille, après tout, ça ne sert à rien et ça ne fait que se plaindre. D’un autre côté, elle me fait peur. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 9) ; « J’ai eu quelques relations sexuelles avec des filles. J’ai essayé avec une fille vers 22 ans : je n’ai pas réussi à être en érection donc pas de pénétration. À 28 ans, je sors à la mer avec une fille. Le premier soir, c’est la panne assurée. Ensuite en réessayant avec elle et en me disant que j’étais un homme, j’ai réussi à être en érection correcte et à me dépuceler. Mais pas une érection pleine, comme si la douceur d’une femme m’effrayais, y’avait un jugement, une pression de performance et de fragilité accompagnée d’insécurité pour ma part. Comme si mon énergie est une énergie féminine. Mon énergie masculine est quasiment inexistante, et deux énergies féminines ne peuvent s’unir. Je suis sorti il y a un mois avec une fille mais elle n’a pas aimé ma manière de faire l’amour. Comme si je l’avais violée dans son être. Elle me disait que y’a eu aucune douceur comparé aux autres garçons et que je ne pensais qu’à moi. Comme si le fait de la sauter était primordial. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; etc.

 

La misogynie homosexuelle dit surtout un rejet de la différence des sexes dans son ensemble, de la sexuation, et du Réel, bref, une misanthropie et une haine de soi reportée sur les autres : « J’aime pas les filles. J’aime que les garçons. » (Pascal lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », organisé le samedi 10 octobre 2009, à la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris) ; « Misogynie ? Mettons que je sois très sensible à un certain côté étroit et borné, superficiel et pesamment matériel tout ensemble, chez la plupart des femmes. […] Le mot misanthropie me semblerait plus juste, dans le découragement qu’il implique vis-à-vis des êtres humains quel que soit leur sexe, et souvent sans s’excepter soi-même. » (Marguerite Yourcenar, Le Coup de grâce, 1938) ; « Pour Michel Ange, la femme était contre nature. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 185)

 

La misogynie homosexuelle est aussi une rébellion (mal gérée) face aux menaces de réification, aux privations de liberté, aux viols, aux lois du marché capitaliste : « Après, toutes les nanas, je les prenais pour des choses bizarres, elles avaient des choses que je trouvais superflues, des passions complètement débiles : le vernis à ongle. » (Gaëlle, femme lesbienne de 37 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 57)

 

L’exclusion des femmes dit également une conscience identitaire déplacée, un orgueil mal placé, une jalousie inavouée : « Quand les hommes critiquent les femmes, cela vient souvent de leur dépit de n’avoir pas la possibilité d’être eux-mêmes une femme. » (cf. l’article « Le Complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, dans l’ouvrage collectif Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 444) ; « La jalousie des hommes à l’égard des femmes n’est ni plus rare, ni moins profonde que celle des femmes à l’égard des hommes, mais elle est moins bien reconnue et comprise. » (Mélanie Klein, Joan Riviere, L’Amour et la haine (1936) ; « On reconnaît les homosexuels masculins au mépris qu’ils professent pour la femme en général (très souvent en proportion de leur manque de virilité propre). » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 260) ; « Je ne suis pas née dans le bon corps et j’ai toujours su que j’étais une femme. Je n’étais pas dans le bon corps. J’étais jalouse des filles. » (Kellie Maloney, homme transsexuel M to F, et ex-manager de Lennox Lewis, interviewé dans cet article de la revue Têtu) ; etc.

 

Il est possible que la misogynie homosexuelle vienne de l’excès de proximité avec les femmes, y compris celles qui sont présentées comme des amies d’enfance, des « meilleures amies », d’adorables substituts maternels. La fusion précoce et incestueuse avec le monde féminin, notamment dans l’enfance, entraîne en général une rupture progressive à l’âge adulte, une distance, un agacement, une déception. Les femmes ont eu le malheur d’être fragiles, de ne pas être des despotes, et certains individus homosexuels ne le leur ont pas pardonné : « C’est ça que je n’aime pas chez la femme : c’est cette fragilité. » (Alain, un témoin homosexuel dans le reportage « Jeune homme à louer » (1992) de Mireille Dumas) Par exemple, dans la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, on érige en déesses les « scums », à savoir la nouvelle race de « femmes indépendantes, arrogantes, dominantes, violentes, qui s’estiment faites pour régner sur l’univers » ; en revanche, « les gentilles fillettes, passives, soumises, ternes, cultivées, dépendantes, au ‘caractère mâle’, mariées, connes » sont mises plus bas que terre.

 

En outre, je crois que la misogynie homosexuelle repose surtout sur le rapport réifiant et idolâtre – qu’on pourrait appeler aisément « fanatique » – qui s’instaure entre les femmes et le sujet homosexuel. Aux femmes réelles, celui-ci leur préfère en général les femmes-objets, ces poupées qu’il peut manipuler, et vider du mystère qui lui fait tellement peur. Si l’on en vient à rejeter la femme, c’est surtout parce que l’on fait la confusion (non intellectuelle… encore que… mais surtout la confusion dans l’intimité du cœur) entre fiction et réalité, entre intentions et actes : « Il nous faut d’abord tuer le mythe de la femme. » écrit par exemple Monique Wittig dans son pamphlet La Pensée Straight (1979-1992).

 

En effet, la misogynie homosexuelle se traduit paradoxalement par une sacralisation de la femme et une tentative de réification de celle-ci. Un certain nombre de créateurs homosexuels prouvent d’ailleurs régulièrement qu’ils tentent de transformer les femmes en bibelots pour les garder pour eux seuls : « La mode et la décoration restent leurs deux plus grands fiefs : ce sont eux qui, par haine de la femme, la coiffent en éphèbe, la vêtent en sac de pralines ou en cylindre de drap et la couronnent de n’importe quel échafaudage de paille ou de feutre. Dans ces ‘créations’, au travers de ces élucubrations, que chaque femme est obligée d’interpréter considérablement si elle ne veut pas perdre le sommeil à sa propre vue, on perçoit la jalousie du pédéraste devant cette créature qu’il voudrait intensément imiter. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 20) ; « La nature féminine se transforme sous le crayon des créateurs de mode. […] Ils entraînent l’humanité consentante vers des corps de femmes sans seins ni fesses, sans rondeur ni douceur, des corps de mec, longs et secs. Ce sont leurs fantasmes que les créateurs de mode imposent à l’humanité, leurs fantasmes d’homosexuels (puisque l’énorme majorité d’entre eux le sont), qui rêvent davantage sur le corps d’un garçon que sur celui d’une femme. […] Aujourd’hui, les jeunes filles, toujours au bord de l’anorexie, se fabriquent un corps de garçonnet pour plaire à des créateurs homosexuels qui n’aiment pas les femmes, qui les considèrent comme de simples ‘portemanteaux’, et les terrorisent pour quelques grammes de trop. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), pp. 19-20)

 

Aux femmes réelles, beaucoup de personnes homosexuelles leur préfèrent les femmes-objets, ces femmes dont elles peuvent se servir, puis jeter une fois usées, des hommes à la féminité caricaturale et forcée : « Des transsexuelles me prirent sous leur coupe, persuadées qu’elles avaient la solution à mon chagrin. Amour divin, amour profane, nous entretenions les sentiers d’une relation juste et sensible. Mais, ces ébats qui ne me procuraient aucun plaisir, ne faisaient qu’aggraver le trouble existant de la scène de violence vécue avec mon frère. Cette scène qui me hantait et réveillait ces horribles douleurs au ventre. Et puis pour moi, c’était des filles ; et les filles, franchement, ne m’attiraient pas. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 119) ; « Plus le temps passe, plus je trouve Natacha collante. Je suis juste content d’être avec elle quand nous allons en boîte et que tout le monde la regarde avec envie. […] Natacha, la blonde pulpeuse à robe blanche, […] c’est juste un faire-valoir. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 111) ; « J’avais des couvertures. J’avais beaucoup de filles qui venaient à la maison. » (Denis, un témoin homosexuel, dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, p. 68) La femme est utilisée comme une couverture, un appât, une « bonne copine » qui tient compagnie : on ne lui donne pas de rôle valorisant. « Laura, c’est ma copine la dodue qui vient me voir, elle est gentille. » (Kamel dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 67) ; « C’est ma voisine Ariane. Elle est folle. » (André à son amant Laurent, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc. L’expression « Fag-Hag », traduction de « fille à pédés » en anglais, si on la traduit littéralement, signifie « vieille sorcière de pédales », ce qui n’est évidemment pas très flatteur… L’union entre le sujet homosexuel et la FAP est souvent une union de misère(s) fondée sur des échecs amoureux successifs, une union d’intérêts individuels, une fascination pour le viol : « Le monde de mon enfance était un monde peuplé de femmes abandonnées. » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1992), p. 20)

 

Plus une femme est médiatisée, connaît un destin tragique, un succès fulgurant et malheureux, plus elle a des chances d’être élue une icône gay ! Cela se vérifie presque à tous les coups. Les femmes auréolées par les personnes homosexuelles se sont parfois fait avorter ou ont subi des fausses couches, ont vécu l’inceste ou le viol, se sont fait battre (Dalida, Marilyn Monroe, Mylène Farmer, Maria Callas, Édith Piaf, Judy Garland, Whitney Youston, etc.), bref, représentent la féminité fatale. Il y a clairement dans la misogynie homosexuelle l’expression d’un fantasme de viol (qui dit, dans certains cas, l’expérience d’un viol réel) : d’ailleurs, que ce soit dans les films de Josef von Sternberg, les pièces de Copi, ou les intrigues de Tennessee Williams, le thème de prédilection est la femme violée.

 

Le paradoxe de la misogynie homosexuelle repose sur une forme d’inversion, un tour de passe-passe, une substitution entre désirs et Réalité : on assiste à la destruction/disparition de la femme réelle par la glorification de la femme-objet. Plus que le féminisme (qui reconnaît les spécificités des femmes sans les opposer systématiquement à celles des hommes), c’est la femme en tant que « caractère », « personnage », « personnalité », donc en tant que fantasme individualiste, qui est célébrée par la population homosexuelle.

 

C’est cette confusion dans le cœur des personnes homosexuelles entre femme réelle et femme-objet qui me fait dire que l’acte de destruction de la femme n’est pas tant une démarche misogyne qu’une démarche iconoclaste. Il y a comme un double mouvement d’adoration/destruction : la femme-objet est livrée, telle la Reine du Carnaval, aux flammes et à la risée générale, pour, en intentions, prouver qu’elle est bien humaine et immortelle, et intellectuellement, pour prouver qu’elle n’est qu’un objet méprisable qui a capturé leur espace psychique désirant. Par exemple, lors du concert Météor Tour du groupe Indochine à Paris Bercy le 16 septembre 2010, on nous montre sur les écrans géants une Miss Italy sur un bûcher embrasé. Dans son film « Serial Mother » (1994), John Waters s’amuse à détruire le mythe de la mère au foyer bien sous tous rapports. Certains groupes musicaux homosexuels se baptisent de nom dédiés précisément au meurtre de la femme-objet : le groupe lesbien français Barbieturix, le groupe nord-américain Destroy All Blondes (créé par le cinéaste Gus Van Sant), etc. En quelque sorte, le sujet homosexuel semble se venger sur sa poupée fétiche de sa propre prétention à se prendre pour un objet, pour un mythe.

 

Film "Salò ou les 120 Journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini

Film « Salò ou les 120 Journées de Sodome » de Pier Paolo Pasolini


 

Le plus paradoxal dans la relation des personnes homosexuelles aux femmes, c’est que ce sont les créateurs qui ont le mieux construit le mythe de l’Éternel Féminin et qui se sont entourées des plus belles femmes du monde, qui ont aussi le plus méprisé les femmes réelles, et ont finalement le plus cherché à les détruire à l’écran ! Par exemple, en 1966, Francis Bacon détruit iconographiquement Isabel Rawsthorne, une belle femme qu’il aime pourtant beaucoup. Le poète argentin Néstor Perlongher, de son côté, va cultiver tout au long de son œuvre son étiquette d’« unique poète à avoir osé violer poétiquement Eva Perón », une femme que néanmoins il adore et qui restera la passion de sa vie. Dans ses films, le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini est capable de transformer les femmes en divas magnifiques… ou en chiens coprophages et en prostituées (cf. les films « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » « Salò ou les 120 Journées de Sodome » en 1975, « Teorema » « Théorème » en 1968, etc.). Russ Meyer est un bon exemple de ces créateurs homosexuels et pères de la « femme libérée » : il a transformé la femme en tigresse, en poupée gonflable, en star du porno, en femme-amazone « pour machos un peu malades… car lui-même est un peu comme ça » (cf. le documentaire « Pin-Up Obsession » (2004) d’Olivier Megaton). Je vous renvoie à ses films « Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! » (1985) et « Beyond The Valley Of The Dolls » (1969). Federico García Lorca, qui dans toute son œuvre élève la femme au panthéon des anges stériles et des matrones toutes-puissantes, fait quand même dire à ses personnages féminins : « Maudites soient les femmes ! » (Magdalena à la scène 4 de l’Acte III, dans la pièce La Casa De Bernarda Alba, La Maison de Bernarda Alba, en 1936). Ses héroïnes sont toutes condamnées à vivre mal mariées, et à être seules. Marcel Jouhandeau aime beaucoup les femmes (il a beaucoup honorer sa mère, ou bien encore Élise, et Véronique Pincengrain) et les traite pourtant de « monstres » (cf. l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 22 décembre 1978). George Cukor est présenté comme « l’homme qui aimait les femmes » (cf. l’article « George Cukor, l’homme qui aimait les femmes… (jusqu’à un certain point !) », sur le site suivant). Seulement voilà : comment les dépeint-il ? Comme des caricatures de féminité ! (On pensera à Judy Holliday dans le film « The Women » en 1939, à Ingrid Bergman dans le film « Hantise » en 1944). Il les associe purement et simplement à des créatures diaboliques (cf. les films « La Diablesse en collant rose » (1959), « La Femme aux deux visages » (1941), « No More Ladies » (1935), etc.). Quant au réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder, il passe pour un amoureux de la femme (il a immortalisé Lola, Lili Marleen, Veronica Voss, Petra von Kant, etc.) alors qu’il leur réserve un traitement particulièrement odieux à l’écran : il n’y en a pas une actrice fassbindérienne qui ne se fasse pas gifler ou battre dans ses films (cf. l’exposition Rainer Werner Fassbinder au Centre National Pompidou, à Paris, en avril-juin 2005). L’image de la femme est à nouveau mise à mal par un autre réalisateur homo qui est pourtant connu pour être un ami des femmes : Werner Schroeter. Par exemple, son film « Willow Springs » (1973) reprend le thème du danger féminin : un cercle de femmes tenant une auberge rouge tue tous les voyageurs masculins qui s’y arrêtent. Jetons maintenant un œil sur la filmographie de Pedro Almodóvar, le réalisateur espagnol souvent présenté comme le pygmalion majuscule des stars féminines du cinéma ibérique : ses actrices sont brûlées au quatrième degré par une tasse de café renversée (cf. le film « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? », « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » en 1984), soumises ou putains (cf. les films « Pepi, Luci, Bom Y Otras Chicas Del Montón » en 1980, « Entre Tinieblas » « Dans les ténèbres » en 1983, « Mujer Al Borde De Una Crisis De Nervios » « Femme au bord de la crise de nerfs » en 1988, etc.), théâtrales et meurtrières (cf. les films « Todo Sobre Mi Madre » « Tout sur ma mère » en 1998, « Tacones Lejanos » « Talons aiguilles » en 1991, « Matador » en 1985, « Volver » en 2005, etc.). Dans un registre similaire, même s’il ne s’agit pas du tout de la même époque, le peintre français Gustave Moreau (1826-1898) traite les femmes de « folles, perverses et diaboliques » dans son Journal, alors que paradoxalement il a sublimé sur ses toiles les plus grandes héroïnes des mythologies humaines (Salomé, Hélène de Troie, Cléopâtre, Hérodiade, Andromède, Léda, etc.). Le portrait que le réalisateur français François Ozon dresse de la féminité dans son film « Huit Femmes » (2002) n’est pas plus tendre. On a l’impression qu’il sacralise la femme : en réalité, ses héroïnes ne sont que des caricatures de féminité. Il dépeint la soi-disant capacité des femmes à broder des tas d’histoires mesquines autour d’un homme et d’un crime qui n’existent pas. Toutes les attitudes étiquetées « négativement féminines » y sont : le romantisme naïf, la nunucherie, la moralisation, la superstition, les commérages, la jalousie paranoïaque, le cynisme, les coups bas, le respect hypocrite des traditions, la tempérance lâche, l’espièglerie, la manipulation froide, la séduction courtisane, etc. D’ailleurs, ses huit femmes finissent par conduire l’unique homme de l’histoire au suicide. Dans son one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008), Jérôme Commandeur ne se gêne pas pour détruire les (caricatures des) femmes (réelles/médiatiques) qui l’entourent, et qui composent pourtant l’essentiel de son spectacle : il traite par exemple son personnage de Pénélope de « buffle ». Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ! (2012), l’humoriste Samuel Laroque n’y va pas de main morte avec les femmes : à la fois il semble visiblement adorer ses actrices et ses chanteuses préférées, et pourtant il les détruit, tout en niant son fantasme de transfert d’identité (« Moi ?!? Être une femme ?!? Oh quelle horreur ! ») ; par exemple, il traite la bourgeoise Liliane Bettencourt d’« Horreur de Loréale » (cf. jeu de mots avec l’aurore boréale), ridiculise le vagin des femmes (« Et il paraît qu’il y en a qui s’en serve comme un ventriloque ! »), singe Mylène Farmer ou encore Chantal Goya. Bref, il vénère les femmes dans la destruction/dans la simulation de destruction. Ses meurtres misogynes ne seront principalement qu’iconographiques et symboliques. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013), le travesti M to F David Forgit défonce la présentatrice télé Sophie Davant, « cette perruche peroxydée », sans cacher sa propre jalousie. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel passe son temps à détruire les femmes (réelles et fictionnelles) par l’imitation caricaturale : mère possessive, tante, actrices, chanteuses…

 

C’est plus le mythe de la femme (la femme-objet en l’occurrence) qui est massacré que la femme réelle. Mais le problème de la majorité des personnes homosexuelles est que la différence entre les deux femmes n’est pas souvent faite ! … si bien que leur misogynie est probable, prioritairement iconographique, sans pour autant devenir automatique ou effective.

 

Cette confusion inconsciente entre les femmes-objets hétérosexuelles et les femmes réelles, c’est en réalité le fruit d’une inversion entre les bonnes intentions et les actes. Parfois, on peut lire de la part de certains membres de la communauté homosexuelle une défense des pratiques qui concrètement ne respectent pas les femmes, même si en théorie elle se fait au nom de leurs droits et de leur liberté : l’avortement (cf. le documentaire « Regarde, elle a les yeux grand ouverts » (1978) de Yann Lemasson), la sodomie pratiquée sur les femmes (« La sodomie peut apporter du plaisir à une femme » soutiennent Daniel Borillo et Dominique Colas dans leur essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005), p. 169), la prostitution (Alberto Mira, Roland Barthes, et tant d’autres, osent présenter la prostitution comme un acte libre et d’émancipation de la femme), etc.

 

La misogynie homosexuelle se pare souvent des meilleures intentions : c’est pour cela qu’elle est efficace, et invisible aux yeux de celui qui la pratique. Par exemple, lors de sa conférence « L’Homoparentalité aux USA » à Sciences Po Paris, le 7 décembre 2011, Darren Rosemblum, qui, avec son compagnon, a fait appel à une mère porteuse en GPA (Gestation Pour Autrui) pour « obtenir » sa petite fille, joue la proximité avec la mère à qui ils ont payé/volé le bébé : « On est devenus très très proches de la femme qui a porté notre enfant. » La proximité va jusqu’à l’identification et la substitution à cette génitrice : « Je me sentais enceinte. » On voit bien ici que les deux parties – le couple gay d’un côté, la mère porteuse de l’autre – s’utilisent mutuellement sans scrupules. D’ailleurs, Darren Rosemblum avoue bien tard que la femme qui a accepté de collaborer avec eux lui a dit explicitement que ce qu’ils venaient de faire ensemble était de « l’exploitation mutuelle ».

 

La femme détruite et incarnée par certaines personnes homosexuelles est en fait un personnage, un rôle, et non la vraie femme sexuée. C’est un androgyne interlope que tous peuvent incorporer (il suffit de le désirer et de le singer). La femme-salope est au fond un fantasme asexué et hypersexué. Beaucoup de comédiens homosexuels (souvent travestis) traitent de « salopes » ou de « copines » non pas toutes les femmes mais tous les gens (et notamment les hommes) qui désirent se prendre pour la femme-objet cinématographique. Signe provocateur (et presque tendre) de connivence fraternelle de fantasmes schizophréniques, de folie, d’orgueil mégalomaniaque assumé. Par exemple, dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013), le travesti M to F David Forgit s’en va en laissant un message mi-agressif mi-communionnelle destiné à son public : « Mes sœurs salopes ». Dans son spectacle Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval nous convie précisément à passer un petit moment « entre copines », en féminisant parodiquement son public (principalement mâle et homosexuel).

 

Film "Liebe Ist Kälter Als Der Tod" de Rainer Werner Fassbinder

Film « Liebe Ist Kälter Als Der Tod » de Rainer Werner Fassbinder


 

Si les individus homosexuels mesuraient que ce n’est pas contre les femmes aimant vraiment leur mari (qu’ils appellent à tort « hétérosexuelles »), mais bien contre les femmes-objets hétérosexuelles sans désir (pléonasme), donc bisexuelles voire homosexuelles, que leur misogynie se déchaîne, ils seraient sûrement moins inconsciemment misogynes !

 

C’est la féminité forcée, singée, en gros le travestissement sexué, qui est haï et qui est facteur de haine.

 

Planche "Le Miroir" de la B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

Planche « Le Miroir » de la B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi


 

Quand on lit les mots d’une écrivaine comme Paula Dumont dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), on décèle bien que la haine de la bisexualité, ou la lutte contre « l’homophobie intériorisée », font écran, dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles, à leur propre misogynie : « Nous autres, les goudous à cent pour cent, c’est à ça qu’on est bonnes, elles viennent se faire baisouiller un moment, et tout à coup, elles reprennent leurs esprits et elles nous proposent d’être leurs amies ! […] Ces femmes nous méprisent. Elles se servent de nous quand elles sont en manque et le premier argument leur suffit pour tirer l’échelle quand elles ont eu ce qu’elles voulaient. » (p. 123) La misogynie homosexuelle vient prouver nettement quelque chose d’ahurissant aux yeux des personnes homosexuelles : que leur désir homosexuel est par nature misogyne et homophobe : « Paradoxalement, son homophobie affichée rimait avec sa misogynie. » (Ednar parlant de son grand frère homophobe, dans le roman semi autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 34) Toutes les haines humaines sont liées, je le dis bien.

 

En fin de compte, la misogynie – d’autant plus quand elle est homosexuelle – me révolte. Car elle se fait sous couvert d’esthétisme et de recherche de beau, de lutte contre l’hétérosexisme, d’« affirmation de soi » et de l’« Amour », de droit d’exister, d’authenticité, de victimisation, de résistance héroïque et légitime à « l’envahisseur hétérosexuel »… alors qu’elle marche pourtant au diapason des diktats hétérosexuels du machisme ! J’ai pour le prouver un très bel exemple : ma dernière soirée à la boîte gay et lesbienne Le Tango à Paris, une discothèque que je vous invite d’ailleurs à boycotter, même si elle reste, vue de l’intérieur, un petit paradis de convivialité interlope, où on peut danser sur des chansons rétros et actuelles très sympas. L’illusion d’amitié et d’amour à l’intérieur est inversement proportionnelle à la dictature extérieure qui la permet. Vous allez vite comprendre pourquoi je dis cela. C’était le 20 janvier 2008. Je fêtais l’anniversaire d’une amie, Eva, en compagnie de ses amis, et nous avions « naturellement » décidé de faire la deuxième partie de soirée en discothèque. Nous formions un groupe de dix personnes, dont trois garçons homos (moi + un couple), et sept filles (plusieurs très bisexuelles). En tout cas une bande particulièrement gay friendly et habituée à fréquenter les lieux d’homosociabilité, les locaux associatifs, les Gay Pride. C’était le début de soirée. Nous étions rue au Maire. Et le videur a refusé que nous rentrions dans la boîte. Pour nous prouver le bien fondé de son scepticisme, il a demandé aux filles de mon groupe de s’embrasser sur la bouche pour « prouver qu’elles étaient bien lesbiennes ». Magnifique… Les filles n’ont pas obtempéré. Par conséquent, nous avons été obligés de débarrasser le plancher. Scénario regrettable mais peu grave, et très classique si l’on suit la « logique » exclusive du monde de la nuit, me direz-vous… Et pourtant, derrière la banalité de l’incident, nous avons trouvé, mes amis et moi, la réaction de ce gérant du Tango d’une grande violence. Et elle l’était. Sinon, nous n’aurions jamais pété un pareil scandale à l’entrée de la boîte, et Eva ne serait pas allée prévenir les flics (qui ont été bien impuissants pour réparer l’injustice, d’ailleurs…). Les raisons de notre expulsion invoquées par le videur – avec qui j’ai échangé sur l’instant, puis après par mail – étaient les suivantes (d’ailleurs, elles se succédaient les unes après les autres sans lien, tellement aucune ne tenait debout !) : d’abord, la boîte était soi-disant pleine et ne pouvait pas nous accueillir (gros bobard puisqu’on était arrivés à une heure tout à fait normale si l’on s’en réfère aux habitudes du lieu ; d’ailleurs, tous les mecs qui faisaient la queue derrière nous sont rentrés ! Ça alors… cette boîte, c’est comme le sac de voyage de Mary Poppins !) ; ensuite, selon notre cerbère, il était hors de question que notre groupe puisse rentrer (« Pour vous, c’est mort » nous a-t-il sorti froidement, après avoir réussi à décourager le groupe de 6 filles qui nous devançait, et qui ont quitté la file d’attente sans discuter). Puis, suite à mon mail dénonçant les faits – un mail largement diffusé à mes contacts Internet, et qui était arrivé entre les mains de notre cher videur, j’ai reçu d’autres justifications encore plus bidons quelques jours après sur ma boîte mail : comme quoi d’une part mon groupe se devait de respecter la spécificité identitaire « gay et lesbienne » de la boîte (spécificité qu’en plus je ne remets pas du tout en cause, bien au contraire ! L’étiquette « boîte gay et lesbienne » a sa raison d’être. Je m’oppose uniquement à ce que cette spécificité devienne totalement excluante !), et d’autre part à chaque fois qu’il y aurait des problèmes et que notre cher videur aurait fait l’objet d’insultes homophobes pendant les soirées, cela viendrait majoritairement des « femmes hétérosexuelles » ! (je demande à voir ça…) Si encore, il m’avait dit que les agressions qu’il a subies venaient « des hétéros » (tous sexes confondus), j’aurais encore pu le croire… mais là, sa focalisation sur les femmes hétérosexuelles m’a estomaqué ! Si l’on suit sa logique jusqu’au bout, ce videur n’a pas de problème avec les hommes, y compris ceux qui sont « hétéros ». Tiens tiens, comme par hasard… En réalité, il n’a de problème qu’avec les êtres qu’il ne pourra jamais « détourner » ni baiser, et qui ne le font pas fantasmer sexuellement. Logique sexiste s’il en est ! Étant donné qu’il m’a parlé d’actions que je ne peux pas vérifier (je n’étais pas là quand « les hétérosexuelles » l’ont/l’auraient agressé), et que lui même n’a même pas pris le temps de décrire ces méfaits, je me suis retrouvé bien désarmé pour lui prouver ses mensonges. Mais j’ai juste compris que cet homme, bien plus qu’hétérophobe, était au fond misogyne. Dans son mail de réponse, il a enrobé sa mauvaise foi de fleurs et de jolies formules polies, mais au final, il n’a jamais formulé la moindre excuse. Je n’ai même pas pris la peine de lui répondre. Cette affaire m’a dissuadé de ne jamais plus mettre les pieds dans cette boîte où pourtant j’aime beaucoup danser. Quelques mois après, cependant, nos chemins se sont à nouveau croisés sans que nous le programmions. J’allais à une pièce de théâtre, et j’ai reconnu avant d’entrer un pote dans la foule. Il attendait patiemment trois autres amis à lui. Quand j’ai vu débarquer les amis en question, le videur du Tango en tête, on n’a pas eu le temps de s’éviter : il a fallu tous les deux qu’on se salue oralement. Et j’ai compris qu’il m’avait tout de suite identifié. Il a fait semblant de ne pas me reconnaître, et on n’a pas eu d’autre choix que de se retrouver placés à deux mètres de distance l’un de l’autre dans la petite salle de spectacle où nous allions voir le one-man-show. Le plus amusant, c’est qu’avant le lever de rideau, je l’entendais très distinctement dire à ses amis « qu’au bout du compte, c’était un garçon blasé, vraiment blasé ». C’était presque touchant tellement il avait fait exprès de parler bien fort pour que je puisse l’entendre de loin, et qu’il n’y avait rajouté aucune ironie ou provocation. Blasé… Oui, tu l’as dit, Bouffi… Blasé.

 
 

g) La misogynie des femmes lesbiennes envers les femmes : si si, elle existe ! On PEUT être contre soi-même

Nous aurions tort de penser que la misogynie a un sexe. La haine des femmes, on a maintes fois l’occasion de le vérifier dans les discours et les attitudes, est exprimée autant par les hommes gay que par les femmes lesbiennes. Le même rapport idolâtre – et donc jalousement destructeur – avec les femmes réelles, confondues avec les femmes-objets, est observable côté lesbien ! « Je hais les femmes d’ici ! Je hais les femmes d’ici ! Je hais les femmes d’ici ! » (Martha Jane Canary, alias « Calamity Jane », à sa fille Janey Hickok, dans Lettres à sa fille, 1877-1902) ; « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. […] Nous étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134) ; etc.

 

Beaucoup de femmes lesbiennes adoptent une vision catastrophiste de la condition féminine (vie de couple et de famille, maternité, coït sexuel, appartenance à un mari, rôle social soi-disant pré-défini, taches ménagères, etc.) : « Elles ont subi la double malédiction biblique : leurs désirs les ont portées vers leurs mecs et elles ont enfanté dans la douleur. Moi, j’ai échappé à cette malédiction. […] Bref, la moitié de l’humanité, celle qui a le pouvoir de donner la vie, reléguée au statut de bête de somme, voire de morceau de viande. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 17)

 

On peut d’ailleurs interpréter le rejet d’endosser l’image et l’apparence des femmes réelles – et je parle ici des images bien éloignées des poncifs marchands et déshumanisants de la mode – comme une misogynie lesbienne voilée (et très tenace !). L’anticapitalisme sert de mauvais alibi, dans ce cas précis, pour nier sa propre sexuation. D’ailleurs, les femmes lesbiennes se travestissant en homme (ex : la comtesse de Morny, Colette, et tant d’autres), « les Jules », « les Butch » ou « les camionneuses » comme on les appelle usuellement, les dragkings, ne sont pas spécialement connues pour leur sympathie envers la gent féminine. C’est le moins que l’on puisse dire…

 

La misogynie de ces « femmes qui (soi-disant) aiment les femmes » étonnera certainement. Et pourtant, il n’y a qu’à observer la violence prédominante dans les rapports relationnels sapphistes (et pas seulement de drague ; déjà simplement amicaux) pour mesurer combien la misogynie lesbienne est forte. Les femmes bisexuelles, qui sont à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de ces cercles, sont les premières à le constater : « J’ai eu beaucoup plus de problèmes avec les femmes qu’avec les hommes. Les mecs m’ont toujours accepté à 85% avec mon penchant pour les filles. Les filles ne m’ont pas accepté à 85% avec mon penchant pour les mecs. » (Christine, femme bisexuelle qui s’est fait huer par le public de l’émission Ça se discute, sur la chaîne France 2, le 18 février 2004)

 

Fait curieux et en apparence paradoxal : dans les phrases misogynes des femmes lesbiennes, pourtant en théorie féministes et pro-femmes, l’agression plaintive se mêle au constat fataliste… et on ne sait pas trop démêler les deux. Elles se plaignent et pourtant donnent raison, dans la citation mimétique/ironique de leurs « ennemis les hommes », à leurs fantasmes auto-dévalorisants : « Les femmes seront toujours à côté de l’espace public. » (cf. propos de Michèle Riot-Sarcey, pour la sortie de son essai De la différence des sexes, à la Librairie Violette & Co de Paris, le 2 février 2011) Par exemple, dans son essai King Kong Théorie (2006), la très féministe Virginie Despentes énonce que le commun des femmes est « une imbécile quelconque » (p. 121). Mais comment faire comprendre que la victimisation excessive des femmes, loin de rendre service aux vraies femmes et d’exprimer un amour sain, est l’instrument idéal de la misogynie inconsciente ?

 

Par exemple, dans le documentaire « Debout ! » (1999) de Carole Roussopoulos, on voit clairement que les femmes féministes, lesbiennes ou non, sont attirées par la « femme violée du bout du monde », afin de se servir d’elle comme « opportunité » pour prouver l’oppression machiste qui les domine/dominerait. Dès qu’un fait d’actualité concernant le malheur des femmes se présente (par exemple les mères célibataires dans les hôpitaux, les femmes qui veulent se faire avorter, les femmes talibanes, etc.), le MLF accoure vers ses victimes pour les instrumentaliser à leurs fins : « Les femmes battues, c’était parfait ! Parce que si les femmes étaient battues, c’est bien parce qu’il y avait quelqu’un pour les battre. » (Annie Sugier)

 

Dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), Paula Dumont dénonce ce « monde misogyne où toutes les femmes sont emprisonnées » p. 116), tout en se montrant agressivement solidaire à ses semblables sexuées : « Je tiens à mon genre, je mesure ce qu’il m’a coûté et ce dont je lui suis redevable. » (p. 116) ; « Aujourd’hui, je considère que j’ai eu de la chance d’être ce que je suis, femme et homosexuelle. Que soient donc bénis mon genre, qui n’est mauvais que pour les imbéciles, et mon amour des femmes. Amen. » (p. 117). Celle qui demanda à sa maman pourquoi elle n’était pas dotée d’un pénis comme les garçons, et qui s’habillera en cow-boy à l’âge adulte, défend, comme par amnésie, qu’elle n’a jamais détesté son identité sexuée de femme, et jalousé les hommes : « En aucune façon j’aurais voulu être un homme. » (p. 117) Quel incroyable fossé entre intentions et actions !

 

Le rapport des femmes lesbiennes à la femme lesbienne proche de la femme-objet ou de la beauté est souvent idolâtre, c’est-à-dire destructeur dans la convoitise. « Être fem n’a jamais été une expérience simple, ni dans les anciens bars lesbiens des années 1950, ni maintenant. Les fems étaient profondément chéries mais aussi dévalorisées. » (Joan Nestle parlant des femmes féminines – lesdites fem – , dans Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 26) Il apparaît donc clair aux femmes lesbiennes défendant les femmes et leur amour des femmes qu’elles ne peuvent pas être misogynes ni contre elles-mêmes, alors que pourtant, beaucoup de faits et paroles montrent l’excès destructeur et misogynes de leurs bonnes intentions !

 
 

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Code n°47 – Différences culturelles

 

Différences culturelles

Différences culturelles

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

L’orgueil érotisé du petit Génie

 

La difficulté à rentrer en relation avec les autres, à trouver sa place dans la société, à rester soi-même tout en se mélangeant aux êtres humains, n’est pas propre aux personnes homosexuelles. Elle est humaine et universelle, bien entendu. Cependant, chez elles, l’adaptation au monde, le rapport au phénomène de groupe, l’assimilation sereine et amicale aux sphères collectives, ont eu tendance à se faire dans la douleur, la violence et la rupture. L’adaptation excessive aux regards de l’entourage et l’oubli de leur propre regard négatif sur eux-mêmes vont encourager beaucoup d’individus homosexuels à affirmer l’existence d’une différence radicale par rapport aux autres.

 
CULTURELLES 2 Dubernet
 

En plus de se baser sur le corps (cf. je vous renvoie au code « Différences physiques » du Dictionnaire des Codes homosexuels), cette différence dite « naturelle et fondamentale » est d’ordre social, culturel et intellectuel. Très jeunes, certains sujets homosexuels vivent le choc des cultures avec leur entourage comme une véritable épreuve, puis un moyen de sortir du lot. Il n’est pas très étonnant qu’il y ait parmi les personnes homosexuelles un certain nombre de petits surdoués ou d’individus blessés dans leur amour propre parce que dans leur cursus scolaire, ils ont senti que leurs talents avaient été fortement dévalués ou ignorés. Beaucoup d’entre elles ont l’impression qu’elles ne sont radicalement pas sur la même longueur d’onde que les autres, qu’ils ne pourront jamais les comprendre totalement. Le fossé avec le reste de l’Humanité « hétérosexuelle » se creuse au fil des ans, et se fixe parfois en orientation sexuelle. L’homosexualité est envisagée à l’âge adulte comme une solution bien pratique pour camoufler par l’identitaire leur problème d’intégration sociale sans le régler vraiment à la racine.

 

Affirmer « Je suis différent », ainsi que le font beaucoup de personnes homosexuelles, n’est pas faux en soi, étant donné que tout Homme est unique et donc fondamentalement différent des autres. Mais le problème peut se situer dans les conséquences fâcheuses que la reconnaissance de leur différence jugée « exceptionnelle » ou « minable » peut entraîner sur leur rapport aux autres : mépris, isolement, exclusion, orgueil mal placé. « Je croyais que j’étais un petit garçon singulier et les autres garçons étaient jaloux de moi, parce qu’ils étaient, eux, on ne peut plus ordinaires. » (Luc, le héros homo du roman Frère (2001) de Ted Van Lieshout, p. 128)

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Différences physiques », « « Je suis différent » », « Bobo », « Poids des mots et des regards », « Se prendre pour Dieu », « Milieu homosexuel infernal », « Homosexualité noire et glorieuse », « Haine de la famille », « Petits Morveux », « Promotion « canapédé » », « Bovarysme », « Faux intellectuels » et « Solitude », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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FICTION

 

Très souvent dans les fictions traitant d’homosexualité, le personnage homosexuel a le sentiment de ne pas être du même monde que les autres : cf. le film « Le Feu follet » (1963) de Louis Malle, le film « Un Élève doué » (1998) de Bryan Singer, le film « Whole New Thing » (2005) d’Amnon Buchbinder, le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore (avec la distance prise par rapport aux camarades de classe « footeux » et dragueurs de filles), le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto (avec l’éloignement du monde adolescent), le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve (avec le choc culturel au lycée), le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce, le film « Will Hunting » (1997) de Gus Van Sant (avec l’élève surdoué), le film « La Meilleure façon de marcher » (1976) de Claude Miller (où le personnage homosexuel s’isole dans les livres pour ne pas affronter ses camarades de colonie de vacances), le film « Les Loups de Kromer » (2003) de Will Gould (avec la thématique du rejet social des homos en tant qu’espèce culturelle à part), le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson (avec Léo, le marginal social), le film d’animation « Shark Tale » (« Le Gang des Requins », 2004) d’Eric Bergeron (avec Lenny, le petit requin trouillard et complexé), les chansons « L’Innamoramento » et « Lonely Lisa » de Mylène Farmer, la chanson « Toujours debout » d’Emmanuel Moire (évoquant l’isolement sur la cour d’école face aux rituels de drague), etc.

 

L’impression d’être différent commence toujours par une dévalorisation de soi. « J’étais une épave. Je me sentais vraiment mal. » (Emory, le héros gay efféminé, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) Le personnage homo se compare à l’excès aux autres et se sent minable par rapport à eux : « Parfois, je crois que je suis fou. Je ne vois pas les choses comme les autres. » (Kenny dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford) ; « Stephen était un désastre social. Aux ‘garden parties’, c’était toujours un échec, elle semblait mal à l’aise et peu aimable. […] Ou elle ne disait mot ou elle bavardait trop librement. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe, p. 100) ; « Mes semblables me dépriment, je ne sais pas être comme eux. » (Denis Lachaud, J’apprends l’allemand (1998), p. 133) ; « Avec des si, je n’aurais jamais eu l’étiquette du mouton noir. » (cf. la chanson « Paradis imaginé » de Monis) ; « Sa différence le poussait à chercher l’anonymat, loin du mépris quotidien des Antillais. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son roman autobiographique Un Fils différent (2011), p. 65) ; « À l’école, les garçons se moquaient de moi parce que j’écoutais des trucs de filles. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « Je ne sais pas jouer les nanas cools » (Laurel s’adressant à son amante Stacie, dans le film « Freeheld », « Free Love » (2015) de Peter Sollett) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, Antoine est jugé de la tête aux pieds par ses collègues à cause de sa tenue vestimentaire. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, est la risée des gars de sa classe : il vit l’isolement à cause du rejet social de sa cécité.Dans le vidéo-clip de la chanson « College Boy » d’Indochine (réalisé par Xavier Dolan), le personnage principal, homosexuel, est lynché dans son lycée, dans sa famille, puis finit par se faire crucifier par ses camarades de classe. Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, Tom, l’un des héros homos, est un handicapé social : « La vérité, c’est que je ne suis pas très à l’aise… sauf avec les animaux. Je ne suis pas très à l’aise dans ma propre peau. » Dans la série Demain nous appartient diffusé en 2017 sur la chaîne TF1, Étienne, l’interne homo à l’hôpital de Sète, était pendant l’adolescence l’ancien camarade de classe de Victoire Lazzari, le souffre-douleur du lycée, surnommé « Bouboule » par ses camarades. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Rupert, le jeune héros homo de 10 ans, est maltraité à l’école à cause de son homosexualité : « Au collège, j’ai découvert la méchanceté ordinaire des garçons de mon âge. ».

 

 

Ce sentiment de différence repose sur les goûts, sur les fantasmes de peur ou d’identité inexistantes, et non sur des faits et des réalités objectifs : « Si j’étais comme les gens avec qui j’ai grandi, je regarderais le catch en buvant des bières en canette. J’amènerais ma copine sur un parking pour lui tripoter les seins. J’aime être différent. Parce que je vaux mieux. » (Paul, l’un des héros homos du film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Tu aurais pu être né en Bavière, en Basse-Saxe ou en Rhénanie, t’engager dans les Jeunesses avec tous les copains, te sentir très tôt un peu différent, caresser le torse imberbe de Franz sous les douches, le retrouver la nuit tombée dans sa couchette, devenir officier, ne jamais porter de triangle rose ou violet, être promu commandant, exterminer des homosexuels, coucher avec des garçons. Mais tu es né en France, tu es né juif, tu voulais être chimiste et rejoindre de Gaulle. » (Félix, l’un des héros homos du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 110) ; etc.

 

Il aura suffi que le personnage homosexuel n’ait pas été invité aux « boom » de son collège, qu’il n’ait pas été bon en sport, qu’il se soit dirigé davantage vers les arts et les livres que vers le foot, l’alcool, et les filles, qu’il ne corresponde pas à l’archétype caricatural de masculinité ou de féminité qu’il a vu au cinéma, pour vite s’écarter des groupes et se réfugier dans son propre monde. Par exemple, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Stéphane pense être « en retard par rapport aux autres » en matière d’amour, de flirts, et de sexualité. Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien se décrit comme « l’adolescent qui s’endort dans la honte de ne ressembler à aucun des siens » (p. 42). Dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien, Romane, l’héroïne lesbienne, a eu une scolarité très tourmentée : elle a été renvoyée de plusieurs lycées, elle a fait plusieurs fugues. Quand le personnage homosexuel évoque son cursus scolaire, il ne manque pas de cynisme : « Le collège… Les plus belles années de notre vie… » (Allan dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson)

 

Le sentiment de différence culturelle commence d’abord avec la famille. Le personnage homosexuel ne s’identifie pas à ses parents ni aux membres de son entourage proche : « Je suis née un 24 décembre, dans une famille de blaireaux incultes. » (Karine Dubernet dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « Notre Mère Nature m’a fait porter un sacré coup… en me faisant naître dans une petite ville de l’Indiana. » (Billy dans le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver) ; « C’est l’enfer. » (Nathan, le héros homosexuel racontant son calvaire, dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel) ; etc. Dans la pièce Chroniques des Temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le héros homosexuel a des propos lapidaires à l’égard de la « beaufitude » de ses géniteurs et de leur prétendue « débilité pavillonnaire » (il parle de « ses cons de parents »). Dans le film « Pièce montée » (2010) de Denys Granier-Deferre, Marie, la lesbienne excentrique, cultive cyniquement/avec élégance son statut d’outsider : par exemple, le jour du mariage de son frère, elle porte un grand chapeau original et une robe transparente (on lui voit même la culotte), se définit comme le vilain petit canard de la famille, et joue à fond le jeu de la provocation homosexuelle.

 

Le sentiment de différence homosexuelle peut provenir également de la nationalité. « Tu es tellement, tellement, tellement différent. Et j’ai très peur de ce qui peut t’arriver. » (le père d’Éric le héros homo racontant sa difficulté d’intégration sociale en tant que Noir aux Etats-Unis, dans l’épisode 7 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn). Par exemple, dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti, François et Serge, Algériens de naissance et de culture, souffrent d’être des « étrangers » dans leur terre d’adoption, la France. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca, homosexuel, raconte son arrivée à Paris, dans un foyer de jeunes travailleurs où il a quelques difficultés à s’afficher gay : « Les garçons du foyer étaient un peu différents de moi. » Ce sont parfois les membres de son entourage qui font au héros gay sentir cette différence. « Ils se moquaient toujours de moi. Sûrement à cause de l’accent. » (Heïdi, la lesbienne dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali)

 

CULTURELLES 1 Corde

Film « La Corde » d’Alfred Hitchcock


 

La honte culturelle de soi se transforme très souvent en mépris hautain. Le complexe de supériorité procède en général d’un gros complexe d’infériorité. « En classe, je ne fus pas très attentive. Je me sentais supérieure à tous mes camarades. » (Anamika dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 37) ; « À la sagai, je m’étais sentie plus intelligente que les collègues de mon père, et je me sentais systématiquement plus en avance que la plupart des personnes de mon entourage. » (idem, p. 181) ; « Ce que tu regrettes ton adolescence… » (Anton s’adressant ironiquement à son amant Vlad, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « L’adolescence, c’est une période terrible. » (Hall dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Hubert, le jeune héros gay, traite ses camarades lycéens de haut, et dit textuellement qu’il fait partie d’« une classe de crétins ». Dans le film « La Corde » (1943) d’Alfred Hitchcock, les deux amants homosexuels sont persuadés de leur avance intellectuelle par rapport à leurs pairs. On retrouve le même scénario dans le film « Le Génie du mal » (1959) de Richard Fleischer. Dans la série nord-américaine United States Of Tara, le thème de l’homosexualité est mis en lien avec la différence intellectuelle : Marshall, le petit surdoué, l’enfant parfait de l’école, se trouve être l’homo de l’intrigue. Dans le film « James » (2008) de Connor Clements, le jeune James tombe amoureux de son professeur M. Sutherland et se sent en décalage avec ses camarades d’école du point de vue intellectuel. Dans le film « Un beau jour, un coiffeur… » (2004) de Gilles Bindi, la volonté d’isolement est marquée par le mépris : le héros homosexuel, un jeune prof de philo se considérant plus intelligent que les autres, exprime son dégoût des fêtes, des « djeunes », des « cools », et s’estime bien loin des préoccupations des gens de son âge. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros gay, considère qu’il a par rapport aux autres un « esprit supérieur », même s’il porte en lui un fort complexe d’infériorité et qu’il s’est fait « jeter » par ses amis au lycée. Dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le jeune et beau Garbo n’a que mépris pour sa société, ses semblables scolaires (qu’il qualifie de « crétins larbins »), et ses éducateurs : « Dès son début, la vie ne lui fut que risettes, grimaces, faux-semblants et tartuferies d’andouilles. » (p. 16) ; « Toute Société n’est qu’une Immonde et Insatiable Salope. » (idem, p. 17) ; « Je tiens les enseignants pour gens facilement puérils, rarement déniaisés de l’enfance et jamais sortis de l’école, seulement grimpés sur l’estrade. » (p. 44) ; « J’ai toujours vécu à l’école comme tout seul en résistance dans le maquis. […] Vincent Garbo, enfant comme adolescent, a toujours été doué d’une intelligence largement suffisante à bluffer le système […]. » (Vincent Garbo parlant de lui à la troisième personne, idem, p. 72) ; « Tu n’as jamais aimé l’école. T’étais un vieil enfant trop sage qui faisait semblant de faire son âge parmi les loups sans élégance. » (c.f. chanson « À quoi ça tient » de Romain Didier) ; etc.

 

Derrière le fantasme de différence culturelle se cache un perfectionnisme frisant la mégalomanie et le purisme : « J’ai essayé d’être le meilleur homme possible. » (Steven dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa) ; « Un amour passionné des belles-lettres me distinguait de tous les autres potaches. » (le narrateur homo du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 8) ; « Tu n’as jamais aimé l’école, l’odeur du cuir, les heures de colle, les résumés d’histoire de France. T’étais un vieil enfant trop sage qui f’sait semblant de faire son âge parmi les loups sans élégance. »

(c.f. la chanson « À quoi ça tient » de Romain Didier) ; etc.
 

Le sentiment de différence a pu être instillé par une idéalisation parentale excessive ou bien une surprotection incestueuse : « Regarde : tu es beau, intelligent, bon élève. Tes parents vivent dans le mythe d’un fils parfait. » (Chris à Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 112) Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, Abram reproche à sa mère de l’avoir trop couvé et de l’avoir coupé des enfants de son âge (je vous renvoie à tout le chapitre sur les phobies et la douilletterie dans le code « Différences physiques » du Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

CULTURELLES 3 Lacernaire

Lacenaire dans « Les Enfants du Paradis » de Marcel Carné


 

Le héros homosexuel va jusqu’à suspecter ses semblables d’homophobie et de jalousie parce qu’il établit une fausse distance culturelle avec eux, une distance bien souvent jalouse/méprisante, justement : il garde ses talents pour lui, et attise donc les convoitises. « Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres. Ils ne m’ont pas pardonné. Ils voulaient que je sois comme eux. » (Lacenaire parlant à Garance, dans le film « Les Enfants du Paradis » (1943-1945) de Marcel Carné) ; « Je croyais que j’étais un petit garçon singulier et les autres garçons étaient jaloux de moi, parce qu’ils étaient, eux, on ne peut plus ordinaires. » (Luc dans le roman Frère (2001) de Ted Van Lieshout, p. 128) ; « Il jalousa les autres garçons pétants de santé qui marchaient, couraient, dansaient et faisaient l’amour, lui qui ne pourrait jamais rien faire de cela, sauf, et c’était peut-être son seul réconfort, avoir des relations sexuelles, car cette partie de son corps n’avait pas été affectée : son pénis bandait, et il lui arrivait très souvent d’en jouir. » (Marcel, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 17)

 

Paradoxalement, le goût de la différence culturelle, poussée à l’extrême, conduit à son rejet, au sectarisme communautariste entre marginaux et à l’homophobie homosexuelle (cf. je vous renvoie au code « Milieu homosexuel infernal » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Outre la mauvaise réputation qu’avait la Savane la nuit, je rapportais en détail à ma mère certaines agressions dont j’avais été témoin. Sur la place, je rencontrais toutes sortes d’individus ; les ‘branchés’ étaient une population très hétéroclite. On était du même bord, mais on ne se fréquentait pas. Sans doute par manque de confiance, beaucoup se méfiaient de leur propre clan et jouaient à cache-cache en permanence, se dénigrant et se méprisant mutuellement. Impensable pour un groupe déjà victime du malheur de sa propre différence ! C’est quand même surprenant et regrettable d’en arriver là. […] Cette histoire de clans est une fatalité pour la communauté et l’on ressentait une rivalité oppressante entre les groupes différents. En fait, chaque groupe entrait dans une catégorie bien distincte : les extravagants, les cancaniers, les très discrets et enfin les ‘leaders’, ceux qui incitaient à la prise de conscience contre les discriminations et l’homophobie dans la région d’outre-mer. Je trouvais bien dommage cette diversification au sein de la communauté. » (Ednar parlant des lieux de drague antillais homosexuels, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 188-189)

 

Eh oui ! Il arrive toujours un jour où « l’autre » qu’on ne cherche pas à devenir ou qu’on fuit, c’est nous !

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

CULTUREL Tennessee Williams

Tennessee Williams


 

Dans la réalité concrète, beaucoup de personnes homos se sentent différentes des autres êtres humains, intellectuellement parlant, et cultivent d’ailleurs cette différence, si bien qu’on ne sait plus trop si celle-ci est objective ou bien artificielle, si ce sont les autres qui ont commencé à en faire une essence/un problème ou bien elles. Ce qui est sûr, c’est qu’elles vivent les rapports sociaux comme un choc violent, un fossé de perceptions. Elles ne se sentent pas sur la même longueur d’onde que le commun des mortels : « C’est cette absence de vérité, de justesse entre mon regard et celui des autres qui me laisse si solitaire. » (Jean-Luc Lagarce dans son Journal, 2008) ; « J’ai pas très bien vécu l’école. Ensuite, j’avais beaucoup de mal à m’entendre avec les gens. Y’a certaines personnes qui qualifiaient ma personnalité de bizarre. Je préfère être différent mais unique, on va dire, qu’être comme tout le monde et n’avoir rien à raconter. » (le chanteur belge Loïc Nottet dans le magnéto de l’émission Danse avec les stars sur la chaîne TF1, le 9 décembre 2015) ; etc.

 

Le sentiment de différence culturelle commence d’abord avec la famille. Il arrive que le sujet homosexuel ne s’identifie ni à son papa ni à sa maman, et que ces derniers – ou bien son statut social – lui fassent honte : « Quand j’étais petite, mes parents, qui avaient juste de quoi ne pas mourir de faim, avaient laissé en friche ce qui relevait de l’esthétique, en particulier dans le domaine vestimentaire. On ne portait que des vêtements bon marché, on se les passait des uns aux autres entre cousins, on rapetissait et ravaudait. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 175) ; « Mon caractère, ma façon d’être, de me vêtir me différenciaient des autres élèves. J’étais grand pour mon âge et, grâce à mes parents, à ma mère surtout, j’étais toujours vêtu avec recherche ; l’éducation que j’avais reçue faisait de moi, je l’avoue, un garçon assez précieux mais, à seize ans, bien des jeunes gens ressemblent à des filles. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 82) ; « Ce milieu ouvrier dans lequel j’ai vécu, et cette misère ouvrière qui se lit dans la physionomie des habitations à l’arrière-plan, dans les intérieurs, les vêtements, les corps eux-mêmes. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), pp. 19-20) ; « Pourquoi, moi qui ai tant éprouvé la honte sociale, la honte du milieu d’où je venais quand, une fois installé à Paris, des gens qui venaient de milieux sociaux si différents du mien, à qui je mentais plus ou moins sur mes origines de classe, ou devant lesquels je me sentais profondément gêné d’avouer ces origines, pourquoi donc n’ai-je jamais eu l’idée d’aborder ce problème dans un livre ou un article ? » (idem, p. 21) Dans ses essais (La Place (1983), Une Femme (1987), et La Honte (1997)), Annie Ernaux a beaucoup écrit sur la « distance de classe » qui la séparait de ses propres parents.

 

Le sentiment de différence homosexuelle peut venir de la nationalité, du décalage de cultures ou d’éducations : « Être lesbienne, c’est être toujours étrangère dans les cadres où je suis. Je suis étrangère à la culture anglaise ; bien sûr c’est ma langue, mais ce n’est pas ma langue maternelle. » (Patricia Duncker citée dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 178) ; « Je dis souvent que j’appartenais à 4 identités normalement incompatibles : je venais du Sud, juif, gay et pauvre. » (Perry Brass, vétéran gay, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc. Patrick White a souffert à l’école anglaise de ton statut de « colon » et de « provincial » aux vues de ses compatriotes londoniens, ainsi que du fossé culturel avec ses camarades écoliers ; il disait lui-même que le niveau intellectuel de leurs conversations le navrait. Les camarades de classe de Jean Genet se moquaient de lui et le rejetaient parce qu’il était un « enfant trouvé » : « J’ai su très jeune que je n’étais pas français, que je n’appartenais pas au village » écrit-il dans L’Ennemi déclaré (1910-1944). Dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, on voit que Rudolf Noureev, le danseur et chorégraphe homo russe, a fait une fixette sur ses origines paysannes : « Bien sûr, moi, je suis un plouc d’Oufa ! » (région provinciale de Russie) s’indigne-t-il face à ceux qui veulent le garder pour eux dans sa mère-patrie russe. Il fera de son complexe social un moteur d’ascension sociale pour devenir chef de ballet à Paris.

 

Au fond, le ressenti homosexuel d’une supposée « différence radicale avec les autres » repose sur les goûts, sur les fantasmes de peur ou d’identité inexistantes, et non sur des faits et des réalités objectifs : « Tous les blocages sont dans ma tête. » (Christian, le dandy homosexuel de 50 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Je n’avais qu’un désir : c’est d’être différent de mes camarades. Je ne voulais surtout pas être comme les autres enfants. Non non non. » (Karl Lagerfeld dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; etc.

 

Film "Tanguy" d'Étienne Chatiliez

Film « Tanguy » d’Étienne Chatiliez


 

Le fossé entre les personnes homosexuelles et le reste de l’Humanité s’est creusé en général au collège, dans une indifférence/isolement savamment et lentement travaillés. « C’est un bon sujet, un enfant respectueux et tendre, plus faible et plus petit que ses camarades mais plus intelligent : il tient sans effort la tête de la classe. Bref, sage comme une image. » (Jean-Paul Sartre en parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 14) ; « Le lycée fut pour moi une effroyable et sinistre expérience. […] Je voulais toujours être pianiste et mes parents ne m’obligeaient pas à aller à l’école tous les jours. J’y allais juste assez pour rester au niveau de ma classe. Maintenant, des années plus tard, mes professeurs sont extrêmement perplexes à l’idée que quelqu’un d’aussi négligent que moi ait pu devenir un auteur à succès. La vérité est que je ne crois guère à l’école. » (Carson McCullers, citée dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 43) ; « Face à mes bouffées de stress matinales, ma mère avait fini par s’inquiéter et appeler le médecin. Il avait été décidé que je prendrais des gouttes plusieurs fois par jour pour me calmer. Ma mère répondait, quand la question lui était posée, que j’étais nerveux depuis toujours. Peut-être même hyperactif. C’était l’école, elle ne comprenait pas pourquoi j’accordais tant d’importance à ça. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 64) ; « Retarder artificiellement le moment de l’arrivée dans la cour de l’établissement puis dans le couloir. » (idem, p. 66) ; « Jamais je ne parvins à complètement m’intégrer aux cercles de garçons. Nombreuses étaient les soirées où ma présence était soigneusement évitée, les parties de football auxquelles on ne me proposait pas de participer. » (idem, p. 121) ; « J’étais plutôt rejeté. » (Jean-Paul Gaultier, le couturier racontant qu’adolescent, il venait trouver refuge chez sa grand-mère pour échapper à l’ambiance pesante à l’école et au collège) ; « Dès la maternelle, collé au instit, pendant la récré j’étais en échec scolaire, un élève très sensible instable, ayant peur de tout et du regard des autres. J’ai redoublé le CP et j’ai eu la colère de voir mes camarades passer d’un niveau alors que moi je restais dans la même classe, j’étais le rejeté, l’exclu de mes frères et sœurs qui ne comprenaient pas pourquoi je n’étais pas avec eux et ils me regardaient tous. » (cf. le mail d’un ami, Pierre-Adrien, 30 ans, juin 2014) ; etc. Par exemple, le chanteur Mika raconte comment ses camarades se foutaient de ses manières.

 

Comme par réflexe de survie, la honte de soi/des autres a tendance à se transformer en mépris hautain. Le complexe de supériorité procède souvent d’un fort complexe d’infériorité : « Je savais que j’étais intelligent, que j’avais du talent. » (un témoin homo de l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 91) ; « J’affichais une distance méprisante vis-à-vis des autres élèves avec qui je ne discutais jamais. » (Jean Le Bitoux se décrivant à la fac, dans son essai Citoyen de seconde zone (2003), p. 56) ; « Il m’est impossible d’oublier tous ces camarades de classe, ces dégénérés qui se complaisent désormais dans une médiocrité vulgaire. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 7) ; « Il me fascine. […] Je me rends compte très rapidement qu’il est aussi doué que moi en classe et aussi médiocre en foot. » (l’auteur, parlant d’un autre de ses camarades de qui il tombe amoureux car il est à part, comme lui, idem, p. 11) ; « Ah ! Si seulement j’avais pu être mauvais élève, juste un peu, pour faire comme les autres. » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), p. 34) ; « Je m’estimais différent, et pourquoi pas, mieux que les autres. » (Berthrand Nguyen Matoko à propos de son collège à Brazzaville, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 46) ; etc.

 

La souffrance identitaire des personnes homosexuelles provient très souvent d’un sentiment de différence-isolement : peu importe finalement le support ou le prétexte de ce sentiment (orientation sexuelle, statut social, nationalité, religion, intellect, pauvreté ou richesse matérielle, culture…). « Au bout du compte, j’aurai davantage souffert de la haine homophobe de la part de personnes partageant mes origines que du racisme antiarabe. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 8) ; « Il faut dire que Sweig a du mal, en public comme en privé. » (la voix-off dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel) ; etc.

 

Ce sentiment de différence culturelle se construit non seulement sur une rupture radicale avec les autres mais aussi – ce qui revient au même – sur une relation fusionnelle (voire homosexuelle), comme l’illustrent ces lignes étonnantes de l’autobiographie Une Mélancolie arabe(2008) d’Abdellah Taïa : « J’étais comme eux, absolument comme eux. On faisait la nouiba : chacun se donnait à l’autre. On baissait nos pantalons et on faisait l’amour en groupe. J’étais moi-même avec eux. Moi-même et différent. Je les adorais, oui, oui. Je restais avec eux même quand ils m’insultaient, me traitaient d’efféminé, de zamel, de pédé passif. » (p. 13) Il existe un rapport d’attraction-répulsion étrange entre la personne homosexuelle et son entourage bisexuel/adolescent. Comme si le désir homosexuel indiquait la présence d’une rupture relationnelle due à une jalousie narcissique, nourrie par les deux « camps » (hétéro et homo).

 

Je me souviens, pour ma part, que je me suis souvent senti dévalué dans mes capacités intellectuelles et artistiques pendant mon cursus scolaire. Il faut dire paradoxalement que je le cherchais bien ! J’avais un rapport blessé aux groupes et à la collectivité en général, et je marquais la distance pour faire mon intéressant/pour ne pas affronter les gars de mon âge. Je montrais quand même suffisamment de talents à mes camarades pour leur laisser deviner ma singularité et ma richesse de caractère, pour attiser leur curiosité – au collège, j’ai quand même été élu délégué de classe en sixième – mais comme par ailleurs je ne partageais pas assez mes trésors et mon amitié (vu que je m’isolais, que je ne me liais pas assez aux garçons de ma classe, que je me sentais différent de mes semblables culturellement parlant, et que je faisais cavalier seul), cette curiosité s’est mutée très vite en incompréhension, en jalousie, en sarcasme homophobe : la même classe qui m’avait élu chef un an auparavant m’a rejeté massivement en cinquième. Ils se sont mis inconsciemment en tête de dénoncer ma peur, ma misanthropie, mon isolement, mon « originalité suspecte ». Je crois en effet qu’ils étaient jaloux sans le savoir, mais aussi qu’ils cherchaient maladroitement à me connaître ; et comme je ne me donnais pas et que je ne me laissais pas connaître, ils se sont vengés aveuglément. L’homosexualité contient ce secret d’avarice et de peur, qu’on vous arrache parce qu’on a décidé de ne pas lâcher l’affaire avec vous. L’homophobie est le signe violent d’une profonde déception que la rencontre collective et amicale – qui promettait d’être riche – n’ait pas pu se faire.

 
 

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Code n°48 – Différences physiques

différences physiques

Différences physiques

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

Homosexualité : Le corps mal porté

 

La question tabou qui habite toute personne homosexuelle par rapport à l’homosexualité, et qui suit une croyance populaire relativement tenace et homophobe, c’est : Devient-on gay/lesbienne parce qu’on est laid(e) et qu’on n’a pas su plaire ? (sous-entendu : L’amour homosexuel est-il positif, vraiment libre, ou bien naturellement mauvais à la racine ?).

 

Cela vaut le coup de s’arrêter sur cette question, non pour y répondre et la justifier… mais pour la reformuler autrement:

 

Et si nous parlions de la haine de soi comme probable terrain porteur de l’homosexualité ? Et si nous abordions chez les personnes homosexuelles la question du mépris de son corps et de son sexe de naissance, un mépris « naturalisé » sous forme d’orientation sexuelle éternelle qui définirait un individu dans son entier pour éviter de se poser des questions et noyer le poisson ? Et si nous parlions ENFIN du lien entre corps biologique et désir (ou plutôt « manque de désir » dans le cas homosexuel) ?

 

Bizarrement, nos contemporains, en applaudissant à l’« identité homosexuelle », en validant/justifiant le désir homosexuel comme un désir d’amour, comme un signe de réconciliation extraordinaire avec son MOI profond, n’ont pas compris que le masque collé sur le visage des personnes homosexuelles n’était pas leur vraie peau, mais juste un cache-misère non pas d’une tête objectivement affreuse derrière, mais d’une honte existentielle et d’un manque d’amour de soi/des autres, encouragé par une société matérialiste violente qui privilégie la beauté plastique à la beauté du coeur, qui veut nous transformer en objets de consommation.

 

Film "La Piel Que Habito" de Pedro Almodóvar

Film « La Piel Que Habito » de Pedro Almodóvar


 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Haine de la beauté », « Différences culturelles », « Homosexualité noire et glorieuse », « Extase », « « Je suis différent » », à la partie « Diable au corps » du code « Ennemi de la Nature », à la partie « Foot » du code « Solitude », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Ce n’est pas la laideur qui rend les personnes homosexuelles. C’est le sentiment de laideur

 

Nous entendons toujours le même croyance absurde de la part des membres de la communauté homosexuelle : la conscience – parfois précoce – d’être fondamentalement différents des autres (cf. je vous renvoie avec insistance aux codes « « Je suis différent » » et « Différences culturelles » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Cette différence homosexuelle dite « naturelle », « objective », « corporelle », qui ne serait pas le fruit d’un choix mais bien une donnée biologique voire génétique, repose en réalité sur des dissemblances physiques ressenties comme minoritaires, écartantes/écartées socialement, et qui deviennent ensuite, selon ce qu’en font l’entourage et la personne qui les porte, une « identité » intégrée mentalement et sexuellement. Cela peut provenir de la taille, de l’obésité, de la dentition, d’une voix suraiguë, de la maigreur, d’un handicap quelconque, d’une couleur de peau rejetée, d’un physique génériquement opposé au sexe biologique ou aux estampes des garçons et des filles télévisuels, d’un complexe de se savoir fragile, limité, ou insignifiant (la croyance et l’identification à l’Homme invisible rôdent…), etc. Difficile de ne pas faire le lien entre des physiques honteux d’eux-mêmes et l’affirmation d’une homosexualité. Cependant, ce lien n’est pas de causalité, mais de coïncidence, c’est-à-dire qu’il a été instauré davantage par le fantasme ou l’impression subjective que par la Réalité. L’homosexualité n’est pas une question de physique particulier – il n’y a pas de « corps homosexuel » (contrairement à ce que proclament certains militants homosexuels radicaux) – mais de rapport idolâtre à son corps et aux images médiatiques des corps sexués.

 

Pour moi, cette « différence physique homosexuelle » n’est ni vraiment innée ni vraiment acquise, ni totalement biologique ni à l’inverse totalement culturelle : elle est surtout symbolique, désirante, relationnelle ; elle a trait à un manque d’amour, à notre liberté fondamentale permise par notre unicité, unicité matérialisée entre autres par notre incarnation. Elle se joue dans les rapports de désir – des rapports souvent violents et peu pacifiés dans le cas du désir homosexuel – entre l’individu et son propre corps, et entre l’individu et le corps social.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles ne se considèrent pas comme rentrant dans les canons de beauté mondialisés, ne sont pas, pour reprendre les mots de Pierre Loti, « leur genre », c’est-à-dire conformes au reflet projectivement valorisé d’elles-mêmes. La plupart d’entre elles n’ont pas cru en leur physique, n’ont pas désiré habiter leur corps sexué, ont refusé – puis adulé – le sport. Que cela soit à juste titre ou non n’est pas la question : la beauté d’une personne n’est pas mesurable à la plastique de son corps. Ce n’est pas tant le corps réel que la démarche, la manière de se tenir, un regard fuyant, une carcasse physique mal portée, la posture ou la stature chétive exprimant un « excusez-moi d’exister » qui indiquent une homosexualité. À l’âge adulte, il arrive que certaines personnes homosexuelles fassent payer leur sentiment de laideur physique aux autres en jouant les monstres qu’elles croient être, en accentuant leurs traits prétendument horribles par une humeur massacrante et une fierté provocatrice. « Verlaine vécut le drame de se croire tel : mal-né, environné sans fin de l’épouvante qu’il suscitait. » (cf. l’article « Poétiquement correct » d’Alain Borer, dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 40) Ou alors au contraire, elles se découvrent belles à vingt ans. Après des années de galère au collège et au lycée, l’heure de la vengeance esthétique sonne et la métamorphose est parfois spectaculaire. Elle ne dit pas pour autant une réconciliation avec soi-même : le narcissisme est souvent une auto-déclaration de haine déguisée.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

Dans certaines œuvres de fiction traitant d’homosexualité, le personnage homosexuel dit qu’il n’aime pas son corps. Je vous renvoie notamment au film « Les Complexés » (1965) de Franco Rossi, au film « Odio Mi Cuerpo » (« Je hais mon corps », 1975) de Leon Klimovsky, au film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec Harvey évoquant ses grandes oreilles), à la chanson « Dieu a-t-il les oreilles décollées et le Front National » de Nicolas Bacchus, à la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, à la chanson « Qu’est-ce que t’es belle » de Marc Lavoine et Catherine Ringer, à la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti (avec Chloé, l’hétéro rejetée à l’école parce qu’elle est rousse), etc.

 

Rosi de Palma dans le film "Kika" de Pedro Almodovar

Rosi de Palma dans le film « Kika » de Pedro Almodovar


 

En général, le héros homosexuel ne se trouve pas beau. Écoutez sa litanie de la dévalorisation de soi : « Je ne suis pas mignonne. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je suis petit, gringalet, moche. » (Marcel dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « J’aime pas trop ma mâchoire. » (le premier amant de Nathan s’adressant à ce dernier, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo) ; « Je suis maigrelet, maigre et laid. » (Ernst décrivant son adolescence, dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, p. 120) ; « Je suis d’une laideur ridicule. » (Emmanuel Fruges dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 193) ; « J’étais horriblement laid. » (Dzav parlant de lui quand il était enfant, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « J’ai toujours su que je n’étais pas une enfant comme les autres. J’étais assez vilaine, bien sûr, vous n’en serez pas surpris. Grosse et terne, déjà. Et comme si ça ne suffisait pas, j’étais malade. Hémophilie sévère, m’avait-on dit un jour, sans plus de précision. […] Une barrière me séparait de mes camarades. Je n’avais pas le droit de shooter comme eux dans un ballon, ni de courir comme une folle dans la cour. » (Corinne dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 214) ; « Ednar ne vivait que pour survivre. Il avait tant morflé dans sa jeunesse, qu’il avait fini par se détester lui-même car il ne s’était jamais senti réellement bien dans sa peau. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son roman très autobiographique Un Fils différent (2011), p. 141) ; « Je suis moche, juif, pédé. Je fume de l’herbe pour avoir le courage de me regarder en face. » (Harold, l’un des héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Jane avait détesté la puberté, l’intrusion du sang et des seins, les messes basses entre filles et les invitations des hommes qui les suivaient en voiture en roulant au pas. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 29) ; « J’ai vraiment un corps de base. Si j’étais une voiture, je serais sans option. Mon père m’a eue en soldes. C’est un radin. Moi, si je me mets à nue, je peux faire une pub pour Action Contre la Faim. Avec des mouches autour des yeux. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « J’ai un corps lourd, pas attirant. J’ai la physionomie d’un clown. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « C’est là ton problème : avoir cru qu’une femme ne pourrait pas être attiré par ton corps. » (Palomino, l’amant d’Eisenstein, idem) ; « À l’époque, je pensais que j’étais horrible. Ils me traitaient comme un chien galeux. » (Jean-Marie, homosexuel parlant de ses camarades scolaires, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « J’étais très maigre. Très seul. Tout le temps. On me surnommait le Corbeau blanc. » (Rudolf Noureev, dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Vianney organise via internet un « plan cul » avec Mike, mais lui demande de venir chez lui qu’à la stricte condition d’arriver « les yeux bandés » : « Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante. » (p. 84) Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand se désigne lui-même comme un « thon ». Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel commence son spectacle en disant qu’il était Superman et qu’il s’est transformé en nabot homosexuel : « L’homme du futur, plus fort et plus résistant, s’est transformé en nain efféminé. » Le comédien tourne en dérision sa petite taille, et dit qu’il aurait aimé être grand, blond aux yeux bleus : « 1m66, ça fait marrer. »

 

Cependant, ce sentiment paranoïaque d’être différent peut se fonder chez le héros homosexuel sur un substrat de réel : un handicap ou une difformité perçue comme minoritaire socialement parlant : « Je pense à mon corps maigre, à mon grand nez pointu. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 39) ; « Sir Philip regardait Stephen lorsqu’elle jouait avec les chiens dans le jardin, il observait la curieuse impression de force qui se dégageait de ses mouvements, la ligne allongée de ses membres – elle était grande pour son âge – et l’équilibre de sa tête sur ses épaules plus larges qu’elles n’auraient dû l’être. » (le père décrivant sa fille lesbienne Stephen, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 36) ; « Cette boule-là, c’était la confirmation que j’étais pas comme les autres. » (Gérard, l’un des héros homosexuels, racontant qu’à 16 ans il a eu peur d’une ex-croissance, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Willy était toujours malade. » (Éa parlant de Willy, le gamin transgenre M to F qui se prend pour une fille, dans le film « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael) ; « J’étais un enfant à la santé fragile. » (Willy, idem) ; etc. Physiquement, le personnage homosexuel n’est pas toujours « gâté » par la Nature : on peut penser à Devotee, l’homosexuel privé de bras et de jambes dans le film « Devotee » (2008) de Rémi Lange. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, est aveugle de naissance et n’a aucune idée de sa beauté plastique.

 

Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, raconte que quand il était petit, il était dyslexique et prenait des cours de rattrapage tous les samedis. Il marchait les pieds en canard et avait les oreilles décollées. Il louchait, ce qui l’obligeait à porter des lunettes. Il était appelé « Nanard, le vilain p’tit Canard » par ses camarades. Un tel traumatisme lui a, selon lui, bloqué la parole et lui donnait l’air d’« un autiste ». Et une fois arrivé à l’âge adulte, il complexe d’avoir une petite bite. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Adam, le héros homosexuel, est complexé par la taille de son sexe anatomique. Il va même faire un coming out pour assumer ce dernier, et descendre son pantalon devant tous les camarades de son lycée à la cantine.

 

On découvre peu à peu que le problème soi-disant « physique » du personnage homosexuel sort du cadre strictement naturel et privé du corps individuel, et concerne en fait une réalité relationnelle, désirante, sociale, un manque (ou un trop-plein) d’amour qui n’a rien à voir en soi avec son corps objectif : « À cette date, Olivier était un garçon très maigre, avec un appareil dentaire et des lunettes, timide et solitaire. Il était le souffre-douleur de la classe tout entière. » (Olivier, le personnage homo du roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, pp. 69-70) ; « Je me croyais malingre, mal bâti, rachitique, principalement parce que je ne plaisais pas aux filles. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 20) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Presque célèbre (2010) de Thomas VDB, Freddie Mercury a les « dents en avant parce qu’il suce des bites ».

 

Le héros homosexuel semble avoir des problèmes physiques (phobies, allergies, maladies bénignes…) liés davantage au psychique qu’à son corps extérieur… même si ce dernier finit par être le signe visible de son traumatisme interne. « Je suis fragile, moi. J’ai eu les oreillons petit. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) Par exemple, dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, Zac est asthmatique ; dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Scott est neurasthénique ; dans le film « Elle ou lui ? » (1994) d’Alessandro Benvenuti, Leo est victime d’allergies ; dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, fait des crises de tachycardie dans les dortoirs du collège ; etc. Le personnage homosexuel est généralement cru et encouragé dans sa douilletterie, dans sa simulation de maladie : « On lui avait recommandé de ne pas courir : le docteur Caronade […] interdisait à Fabien tout exercice violent. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 19) ; « Je suis allergique au pollen. » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; etc. Trop dorloté, le personnage homosexuel est aussi trop peu reconnu dans sa peur d’exister : « Ta scarlatine à dix ans, tu n’avais pas eu des tas de misères auxquelles les médecins ne comprenaient rien ! et puis ta bronchite chronique l’année de ton volontariat… » (la mère dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, pp. 29-30)

 

Film "All Over Me" (réalisatrice anonyme)

Film « All Over Me » (réalisatrice anonyme)


 

Ce n’est pas tant le corps visible que le corps invisible, fantasmé, insignifiant, non-désiré, qui tourmente le personnage homosexuel : « Je crois que mon plus gros problème est d’être jeune et beau. C’est mon plus gros problème parce que j’ai jamais été jeune et beau. Oh bien sûr j’ai été beau, et Dieu merci j’ai été jeune, mais les deux en même temps jamais. De toute façon, ça ne se remarquait pas. » (Arnold, le héros homosexuel du film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Vous auriez tant voulu être beau. […] Vous êtes quelconque… […] Quelques centimètres vous manquent. » (la voix narrative s’adressant à elle-même, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 123) ; etc.

 

C’est le corps trop désiré d’une vedette, une projection narcissique sur grand écran ou sur magazine, qui lui fait dévaluer son propre corps, par comparaison. « J’aurais aimé beaucoup de choses. J’aurais aimé être beau. » (Éric Caravaca dans le film « Dedans » (1996) de Marion Vernoux) ; « La seule chose que j’ai toujours voulue est d’être beau. » (Albert dans le roman Mademoiselle de Maupin (1835) de Théophile Gautier); « Il n’était pas aussi beau qu’il l’aurait voulu. » (Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 35) ; « J’ai longtemps voulu être admiré, pensa M. Fruges. J’ai enragé de ma laideur.’ » (idem, p. 168) ; « De toute façon, je vois pas pourquoi j’me fais chier. Chuis pas normale. » (Marie, l’héroïne lesbienne par rapport à sa musculature, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma) ; etc.

 

On découvre que l’impression de vilenie vient du refus de se reconnaître unique, d’accepter ses limites corporelles : « Solitaire dans mon photomaton, j’suis pas belle. » (cf. la chanson « Amélie m’a dit » d’Alizée) Le héros homo n’aime pas son corps parce qu’au fond il dévalorise les autres ou au contraire les idéalise : « Malcolm est même trop beau pour moi, moi qui n’ai jamais eu aucune assurance sur mon physique. » (Adrien dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60)

 

Le héros homosexuel est souvent attiré par ce dont il croit manquer corporellement (poils, muscles, poitrine, minceur, etc.), par un inaccessible corporel. Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, le jeune Dany, homosexuel au corps glabre, est attiré par les hommes très poilus du torse.

 

L’impression d’être « négativement différent physiquement » peut aller jusqu’à la négation de sa propre sexuation : « Vous savez, Collins, je dois être un garçon parce que je sens exactement comme si j’en étais un, je me sens semblable au jeune Nelson de l’image, là-haut. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, à Collins, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 28) Le personnage homosexuel non seulement se trouve moche, mais en plus, peut avoir tendance à associer cette soi-disant laideur à son homosexualité pour ne pas remettre en cause le mépris qu’il se porte. « C’est laid, les gays. […] J’suis gay. » (les quatre personnages homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel)

 

Le personnage homo n’est pas « objectivement » moche. Quand il se croit « quelconque », son insignifiance ne vient pas, en réalité, de son physique, mais de son attitude à ne pas se rendre aimable. Son impression de laideur est juste obsessionnelle : comme il ne correspondra jamais complètement au « reflet projectivement valorisé de lui-même » que ses fantasmes ont construit, son purisme esthétique lui fera dire qu’il est incurablement affreux : « Quand je me regarde dans la glace, je ne me trouve pas magnifique. » (Frank l’homo dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) En somme, il ne sera jamais satisfait de lui parce que dans sa tête, il a décidé de ne pas l’être. Le mécontentement est une posture narcissique de principe chez lui : il serait magnifique qu’il n’en fera pas moins la gueule aux soirées. C’est tellement niais, de sourire ! C’est tellement con, la bonté ! Et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, pour cet esthète, c’est tellement laid, la vraie beauté ! Seul le mépris ou l’indifférence trouve physiquement grâce à ses yeux.

 

Au lieu de se reconnaître tel qu’il est, il arrive qu’il pousse l’orgueil jusqu’à s’enlaidir exprès, et se présenter comme un ignoble monstre : « Ces derniers temps, mon corps a poussé dans tous les sens, mon visage est devenu un tableau de bord de supersonique, tous les matins je découvre de nouveaux boutons. Je suis repoussant, un spécimen au bestiaire de l’horreur. » (Ernst décrivant son adolescence, dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, p. 112) ; « À cause des blessures que j’ai reçues à la guerre du Pacifique, mon aspect physique est tel que tout le monde est révulsé à ma vue, au point de vomir ou même de s’évanouir. » (Garnet Montrose dans le romanJe suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 10) ; etc.

 

Il y a parfois chez ce personnage homosexuel une forme de complaisance dans la paresse (une paresse qui a l’air éthique puisqu’elle se pare d’une sagesse stoïcienne : à quoi bon se fagoter comme il faut et se soigner physiquement puisque tout n’est qu’apparences et que tout passe ?), d’abandon complice à la laideur, d’héroïsme trouvé dans le fait de se laisser vaincre par le temps et la mort, de démarche militante à s’éloigner des poncifs physiques définis par la mode.

 

Dans l’extrême inverse, certains héros homosexuels redisent autrement leur haine du corps en devenant cette fois de vraies beautés à l’âge adulte. Il est rare que le personnage homosexuel revienne sur son passé ingrat (= un gras), sur la genèse de sa métamorphose corporelle, mais cela arrive quand même. Par exemple, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, un des clients du sauna avoue qu’il était obèse dans son adolescence, une « taille XXL, large comme une baleine » : « J’ai pas toujours été l’Adonis sculptural que vous avez devant les yeux. » Il nous fait comprendre que lui et ses compagnons au corps parfait sont en fait très mal dans leur peau, non d’être enfin parvenus à tailler leur corps selon leur convenance, mais parce qu’ils sont restés nombrilistes.

 

Ce n’est pas parce que le personnage homosexuel se dirige docilement vers les salles de sport qu’il aime pour autant son enveloppe corporelle. N’oublions pas que ce qui l’a motivé à la travailler, ce n’est pas l’amour de son corps : son corps ne sera que l’instrument d’une vengeance dirigée contre… son propre corps d’enfant ! C’est pourquoi le protagoniste homo peut tout à fait adopter le comportement apparemment contradictoire de Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall : elle commence par dire « Je déteste toutes ces sortes de sports pour les filles. » (p. 78), puis se lance quand même tête baissée dans l’escrime et l’équitation : « La passion de Stephen pour la culture physique s’accrut et envahit la salle d’étude. » (idem, p. 79) Se considérer comme un objet d’adoration, cela ressemble à une démarche d’amour et de réconciliation avec soi-même, pour se sentir mieux dans sa peau : c’est en réalité une nouvelle forme de détestation de soi.

 

Beaucoup de personnages homosexuels, pour masquer leur haine d’eux-mêmes dans le narcissisme, versent dans l’homosexualisation de leur corps (ils parlent d’un « corps homosexuel »), autrement dit dans une forme d’eugénisme positif qui réduit les êtres humains à leurs fantasmes asexués de toute-puissance et à leurs pulsions sexuelles. Par exemple, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2009), Océane Rose Marie explique que « LA lesbienne aurait l’index plus haut que l’annulaire ». Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Ziki et Kena s’amusent à s’habiller de vêtements féminins inhabituels pour Kena la garçonne : « Je te l’ai dit : mon corps est allergique aux robes. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

Montgomery Clift dans le film "Freud" de John Huston

Montgomery Clift dans le film « Freud » de John Huston


 

Force est de reconnaître qu’il existe un lien de coïncidence (très connu par les personnes intéressées, mais si peu montré au grand jour, forcément…) entre laideur physique et homosexualité, entre complexes physiques et désir homosexuel. « Attends, Sonia, elle peut pas être lesbienne. Elle est trop belle. Tous les garçons, ils craquent sur elle. » (Clara, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa meilleure amie Zoé qui lui annonce que la belle Sonia est également lesbienne, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) Si les personnes homosexuelles n’avaient pas une sombre affaire de vengeance à régler avec leur propre corps/passé, jamais elles ne se sentiraient le besoin urgent d’aller se refaire une musculature de rêve dans les salles de sport ni une garde-robes impeccable et fashion pour être au goût du jour ; jamais certains artistes comme Océane Rose-Marie (qui, lors de son one-man-show La Lesbienne invisible (2009), part en guerre contre le « préjugé tenace » de la mocheté homosexuelle : « Je tiens à préciser que ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles. » ; traduction = « On peut être homo ET désirable ; si si, je vous assure, c’est possible ! » ou « L’homosexualité n’est pas une identité et un amour par défaut, motivée par un complexe, une peur, ou une souffrance »), ou encore des revues telles que Têtu (nous proposant des modèles gays « canons » pour leur couverture), ne s’insurgeraient autant contre la « fallacieuse réputation » de laideron-mal-dans-ses-baskets, de pauvre-type-incasable-et-pas-cool, de garçon manqué « pas baisable/mal baisée » ou de tapette quelconque sur la cour du collège, qui collerait à la peau de tout individu homosexuel (… en réalité, une réputation majoritairement colportée et pérennisée par les personnes homosexuelles elles-mêmes !).

 

Beaucoup de personnes homosexuelles disent explicitement ne pas aimer leur physique : « Je suis né le 30 mars 1933. […] J’étais très laid, un véritable petit singe. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 22) ; « Dès que ma mère a appris qu’elle était enceinte de moi, elle a hésité à me garder. Viens ensuite la naissance où l’accouchement fut une boucherie tant pour elle en perfusion de sang que pour moi avec l’oreille déchiré, je suis arrivé dès le départ dans la souffrance. […] À l’âge de 6 mois, méningite à haemophilus, les médecins ne savaient pas si j’allais en ressortir vivant, seul un groupe de prière a intercédé en ma faveur auprès du ciel pour que j’en ressorte indemne. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « J’étais si complexé par mon corps malingre. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 251) ; « Ce que j’ai trouvé difficile, c’est ma féminité, ma fragilité physique. » (un témoin gay dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 47) ; « Je hais mon visage. » (le peintre britannique Francis Bacon dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton) ; « J’ai été pendant l’enfance un vrai garçon manqué avant de me transformer à la puberté en une godiche timide, puis en boudin coincé vers vingt ans. » (cf. l’article « À trois brasses du bonheur » de Sophie Courtial-Destembert, cité dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 56) ; « Je me trouvais grosse et inacceptable. » (Louise Bourgeois parlant de son adolescence, dans le film documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) d’Amei Wallach et Marion Cajori) ; « J’étais maigre, ils avaient dû estimer ma capacité à me défendre faible, presque nulle. […] Quand j’ai commencé à m’exprimer, à apprendre le langage, ma voix a spontanément pris des intonations féminines. Elle était plus aiguë que celle des autres garçons. Chaque fois que je prenais la parole mes mains s’agitaient frénétiquement, dans tous les sens, se tordaient, brassaient l’air. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 16 puis p. 27) ; « Certains universitaires homosexuels, alors honnis et secrets, m’accordaient pleinement leur confiance et leur société, qui était instructive ; car, marginalisés par leur ‘vice’ comme moi par ma difformité, ils avaient spécialement développé leur culture, leur originalité ou leur talent ; ils faisaient généralement d’excellents professeurs. Passant moi-même pour un peu excentrique aux yeux du vulgaire, je me sentais comme normal en leur société. » (Paul Veyne, atteint d’une difformité physique à la tête, dans son autobiographie Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 159) ; « J’ai été mal dans ma peau jusqu’à l’âge de 20 ans. Je me trouvais moche, je ne plaisais pas. J’ai vite compris qu’il fallait que je séduise par autre chose que mon physique. J’avais l’humour caustique, un peu anglais. J’étais vieux à 20 ans et jeune à 40, l’âge où j’ai commencé à déboutonner mon corset. » (Stéphane Bern, Paris Match, août 2015) ; « Tu nais, coiffée de la tête jusqu’aux genoux, toute velue. » (la voix-off de Christine s’adressant à elle-même par le tutoiement, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « J’espère ne pas devoir faire les cours de natation. » (Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; « Je me sentais pas du tout bien dans ma peau. » (Lucas Carreno, femme F to M, pendant le débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; etc.

 

Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Christian, le dandy homosexuel de 50 ans, raconte son appréhension des salles d’éducation physique et sa peur des scènes de douches collectives dans les vestiaires. « C’est extrêmement difficile à vivre. J’ose à peine regarder les autres. Quand c’était intime, j’étais dans le malaise. »

 

Dans l’émission Radioscopie sur France Inter, le 6 mai 1976, quand Jacques Chancel demande à Jean-Louis Bory si « physiquement il se plaît », Bory lui répond spontanément : « Ah nan ! Devant ma glace, je ne me ferais pas ! » Il trouve qu’il a le pif énorme de son grand-père. Et il se rappelle avoir sorti une phrase qui avait blessé sa mère : « Tu aurais pu faire un effort avec papa pour me réussir physiquement parlant. »
 

La romancière lesbienne Carson McCullers est « cette adolescente trop grande et embarrassée d’elle-même se vivant comme ‘anormale’. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 198) Edmund White adolescent se sentait un Sissy Boy qui n’arrivait pas à « parler viril », à « paraître viril » (Edmund White, Un Jeune Américain (1984), p. 9). Marc Batard se décrit lui-même comme « le petit bâtard aux grandes oreilles » (Marcel Batard, sur le site www.e-llico.com, consulté en juin 2005). Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld ont porté, quand ils étaient tout petits, les cheveux longs. Jean Le Bitoux souffre pendant son adolescence de sa petite taille : « Je ne grandissais plus depuis des années. Je fus dix ans durant le plus petit de ma classe. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 30) Pierre Loti ne supportait pas de ne mesurer qu’1,62 m… et c’est pour cela qu’il portait souvent des souliers à ressort ou à semelle compensée. James Dean, le gringalet solitaire, vivait mal sa petite taille et sa mauvaise vue (il gardait même ses lunettes au lit !). Le comédien Fabien Tucci a un cheveu sur la langue. Federico García Lorca zozotait et refusait qu’on enregistre sa voix lors des interviews. Le dramaturge Copi « a une voix de viole de gambe » (cf. la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 67). Suzy Solidor complexa de sa voix étonnamment grave, Tennessee Williams de ses jambes paralysées, Cy Jung de sa cécité de personne albinos (« Bigleuse à 8 ans. Maboule à 18 » écrit-elle dans Tu vois ce que je veux dire, 2003), Montgomery Clift de ses grandes oreilles ; Frida Kahlo de sa pilosité et de son corps accidenté ; Harry Glenn Milstead (Divine) de son obésité, Gastón Baquero ou James Baldwin de leur peau noire ; Truman Capote de sa petite taille et de sa voix suraiguë ; Violette Leduc, Paul Verlaine, ou Érik Satie, de leur physique prétendument disgracieux ; le chorégraphe Mehdi Kerkouche, de sa petite taille et de son efféminement. Par exemple, dans l’émission de speed-datings Et si on se rencontrait… sur M6 (diffusée le 2 mai 2022), Enrique, un Vénézuelien homo de 38 ans, de son propre aveu, a été obèse et a les oreilles décollées. Par ailleurs, j’ai très clairement en tête cette photo d’Andy Warhol (1958) de Duane Michals, où l’on voit justement le plasticien se cachant le visage avec les mains pour ne pas être vu : pour moi, c’est la photo de la haine de soi par excellence.

 

Andy Warhol par Duane Michals

Andy Warhol par Duane Michals


 

Ce qui est pervers dans cette histoire de la haine homosexuelle de son physique, c’est qu’elle peut parfois reposer sur un substrat de réalité, sur une difformité ou une laideur presque « objective » : une maladie, un handicap, un visage disgracieux, on ne les invente pas ! Cela s’impose à certains individus. Mais c’est à nous, êtres humains, de distinguer, parmi les contingences humaines, ce qui relève de notre liberté, et ce qui nous est imposé. Dans toutes les situations, y compris celles où notre marge de manœuvre est limitée, nous avons à comprendre que rien n’est une fatalité, pas même notre corps. Si on ne peut pas le changer, notre liberté s’exprime au moins dans notre manière d’y consentir ou de « vivre avec » le mieux possible. Il y a toujours une décision qui se joue en chacun de nous d’aimer notre corps ou de le rejeter. Et c’est vrai qu’on remarque chez les personnes homosexuelles une tendance au rejet plus qu’à l’acceptation. On le constate à leur posture et à leur démarche corporelle. « Physiquement, il ressemblait un peu à ses dessins : un être immatériel, un peu funambule, qui marchait à tâtons. » (Alfredo Arias en parlant de son ami Copi, dans l’article « Copi, ma part obscure » d’Hugues Le Tanneur, dans le journal Éden du 12 janvier 1999)

 

La haine de son corps est la marque d’une peur/misanthropie enfantine, d’un désir de se couper de ses semblables/de se fuir soi-même… et comme on somatise parfois, ce qui au départ n’était pas naturel peut donner l’apparence « naturelle » de la maladie ou de la phobie : « Je m’inventais des maladies pour rester à la maison. Mon père était au travail et je me sentais bien dans ce cocon auprès d’elle [ma mère]. Au point que j’allais devenir phobique de l’école. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 18) ; « J’ai commencé à me détacher de ma mère. J’ai cessé de faire le malade. » (idem, p. 27) ; « Par souci de ma santé fragile et aussi pour éviter que je n’apprisse de vilaines choses, ma grand-mère m’avait interdit de jouer avec les garçons du voisinage. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 31) ; « Mon enfance fut maladive. On me diagnostiqua une maladie à l’époque où je ne connaissais pas encore l’existence de l’asthme. À cause de l’asthme, j’allais à l’école de manière sporadique. » (Patrick White cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « J’ai toujours vécu tellement protégé, quasiment sans sortir de chez moi. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 78) ; « Par la suite, elle surveilla mon alimentation avec une telle affectueuse tyrannie que les repas de famille devinrent pour moi une véritable supplice de Tantale. » (Denis Daniel en parlant de sa mère, dans son autobiographie Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 17) ; « Jusque là, ma famille m’avait volontairement soustrait à l’épreuve d’éducation physique avec l’aide d’un tas de certificats médicaux. » (idem, p. 24) ; « Tu connais, chère amie, mes goûts avérés ou plutôt mes dégoûts et mes allergies ! » (idem, p. 65) ; « Une véritable peur de la vie résulta de sa façon de nous élever, mon frère et moi. […] Au début de ma tendre enfance, je n’ai été privé que d’une chose : jouer avec d’autres enfants. Ma mère prétendait que j’avais une santé fragile et me gardait constamment auprès d’elle. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 76) ; « J’étais asthmatique et de terribles crises m’assaillaient parfois, me poussant dans un état plus proche de la mort que de la vie. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 61) ; etc.

 

Dans la série des douillets homosexuels faussement/vraiment malades, jugés « naturellement différents » alors que leur corps n’avait bien souvent que la forme de leurs fantasmes, de leurs peurs inavouées, et de leur dégoût d’eux-mêmes inconscient, on retrouve par exemple le peintre Francis Bacon, qui, étant petit, souffrait d’asthme et dû suivre des cours particuliers. Couvé par sa mère, Andy Warhol avait peur d’aller à l’école et simulait des maladies telles que la scarlatine, les allergies, ou les crises nerveuses pour arriver à ses fins. Malcolm Lowry, quant à lui, était un adolescent douillet et fragile. Jean Cocteau faisait croire à de fausses appendicites, scarlatines, rubéoles, pour ne pas se rendre au collège, et sa mère cédait à tous ses caprices. Afin d’éviter les rigueurs de l’internat au lycée, Paul Verlaine fut placé sur décision de sa mère dans l’Institution Landry. Tennessee Williams ne pouvait pas faire de sport comme les autres parce qu’à 11 ans, il se retrouva avec les jambes paralysées. José Lezama Lima, Marcel Proust, et Raúl Gómez Jattin, n’ont pas été épargnés par les attaques d’asthme qui les écartaient des jeux des enfants de leur âge. Federico García Lorca, qui faillit mourir du typhus à 14 ans, n’aimait pas le collège, et prétextait son handicap aux jambes qui le rendait boiteux pour ne pas faire de sport. Montgomery Clift était allergique à la laine. André Gide simulait des crises nerveuses pendant lesquelles il hurlait : « Oh ! Je souffre tellement ! Je souffre tellement ! ». Durant sa vie d’adulte, Pierre Louÿs se croyait tuberculeux et se donnait peu d’années à vivre.

 

Ce que beaucoup de personnes homosexuelles ont du mal à intégrer, c’est que cette haine de leur corps, même si elle peut s’expliquer scientifiquement et visuellement, n’a rien de profondément objectif, fondé, justifié : c’est dans leur cœur et leur regard que le problème de la « laideur/différence » physique homosexuelle se joue ; pas ailleurs. « On me dit que je suis mignon, mais je ne me plais pas. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 51) ; « Elle ne s’aimait pas et son corps, me semble-t-il, encore moins que le reste. Je pourrais écrire un florilège des expressions négatives dont elle se servait pour parler d’elle dans ses lettres : ‘une petite boulotte inculte’, ‘je me sens figée comme une vieille huile rance’, ‘tu vas serrer dans tes bras une bûche larmoyante’, ‘je tire au-dessus de ma tête le couvercle de ma poubelle’. Comment pouvait-elle se mépriser ainsi ? » (Paula Dumont par rapport à son amante Catherine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 170) Elles se focalisent sur un détail pour transformer ce dernier en énormité qu’il n’est pas : « Tout a commencé par le nez. J’avais un gros nez et personne ne voulait de moi. » (Harold Lang, cité dans l’autobiographie Palimpseste – Mémoires (1995) de Gore Vidal, p. 202) Le sentiment de laideur ne s’appuie pas sur la réalité, mais sur une jalousie par rapport aux modèles fantasmatiques médiatiques : « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet cité dans la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99) ; « Je n’étais pas mon genre. » (Pierre Loti, cité dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 301) ; « De cette période, je sais également que j’enviais ma sœur. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, parlant de la beauté de sa sœur, dans le roman Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 75) ; etc. La dévalorisation de son corps vient surtout du rêve narcissique déçu de ressembler à ses héros cinématographiques : « On se demande pourquoi on a souvent tendance à oublier les héros de notre enfance tels que Robin des Bois, Spock et l’incontournable Superman auxquels on voulait ressembler, que ce soit pour leur physique ou leur témérité. Alors assumons, messieurs ! » (cf. l’article « Megging, Messieurs ! » de Monique Neubourg, dans la revue Sensitif, n°44, mars 2010, p. 54) Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, quand on demande à Yves Saint-Laurent quel est le don de la Nature qu’il aurait aimé avoir et qu’il n’a pas, il répond : « la force physique ».

 

Carson McCullers

Carson McCullers


 

C’est un rapport blessé/méfiant au corps qui peut indiquer une homosexualité : « À 8 ans, Gide entre à l’École Alsacienne. Il a peur de la plupart des autres enfants mais s’attache passionnément à deux garçons en particuliers. Ils ont en commun d’être pâles, fragiles et délicats, comme Gide lui-même. » (Virginie Mouseler, Les Femmes et les homosexuels (1996), p. 28). Qu’on le veuille ou non, il existe un lien entre désir homosexuel et misanthropie/haine de soi. « Il n’aimera jamais le sport. Il n’aura jamais confiance dans son corps. » (Jean-Paul Sartre à propos de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 15) ; « Je ne me supporte plus moi-même. » (Nancy, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; « J’ai quatorze ans. Je ne suis pas très grand, plutôt frêle car je prends bien soin d’éviter les clubs de sport et je multiplie les excuses pour être dispensé des cours d’éducation physique au collège. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 18) ; « On voyait bien que Violette Morris n’était pas bien dans sa peau. Elle s’était coupée les seins. Elle avait des seins énormes. » (Marie-Jo Bonnet lors de sa Conférence « Violette Morris, histoire d’une scandaleuse », donnée le 10 octobre 2011 au Centre LGBT de Paris)

 

Violette Morris

Violette Morris


 

La volonté homosexuelle d’en finir avec son corps sexué peut aussi, malheureusement, résulter d’un manque d’amour et d’amitié dans la vie des personnes homosexuelles : « Jamais personne ne me dit que je suis belle. » (la femme transsexuelle F to M, portraiturée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)

 

La honte originelle de son corps est tellement injustifiée et honteuse à révéler que certaines personnes homosexuelles ont trouvé la parade pour l’innocenter : elles la naturalisent, et créent une « espèce » anthropologique homosexuelle. L’expression « corps homosexuel » revient à différentes reprises : chez Monique Wittig (Le Corps lesbien en 1973), Jean Danet, Gregory Woods, Sylvain Ferez (Le Corps homosexuel en-jeu en 2007), Camilla Storgaard (et ses « corps queer »), etc. L’argument naturaliste du « corps homosexuel » ou de la supposée « laideur qui rendrait naturellement homo », même s’il est homophobe et fallacieux (ce n’est pas notre corps qui commande nos désirs ni notre manière de le regarder avec bienveillance), arrange bien des personnes homosexuelles qui ne veulent surtout pas faire état de leur rapport souffrant/complexé à leur propre corps, qui ne sont pas enchantées de découvrir leur liberté et leur responsabilité dans le mépris de leur personne, qui ne souhaitent pas que l’on fasse la correspondance entre leur honte existentielle et un probable viol qu’elles ont/auraient subi dans l’enfance (et dans lequel leur corps est fatalement impliqué). Elles finissent par se rendre compte que le désir homosexuel n’est pas une réalité objectivable comme d’autres réalités corporelles : « La différence entre être homosexuel et être Noir, c’est qu’être Noir, ça n’a pas à s’annoncer : ça se voit. L’homosexualité, ça ne se voit pas forcément. » (Lionel, témoin homosexuel interviewé dans l’émission-radio Je t’aime pareil d’Harry Eliezer, spéciale « Papa, maman, les copains, chéri(e)… je suis homo », diffusée le 10 juillet 2010 sur France Inter) Par exemple, dans son film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014), le réalisateur homosexuel Daniel Ribeiro a choisi de mettre sur le même plan l’homosexualité et la cécité. C’est forcément touchant pour l’homosexualité (en plus de la mettre à l’abri du jugement moral), mais c’est quand même faux et abusif : la cécité n’est pas, contrairement à l’homosexualité, de l’ordre du désir, mais est principalement de l’ordre corporel.

 

La série gay friendly "Uggly Betty"

La série gay friendly « Betty La Fea » (« Ugly Betty »)


 

C’est généralement à travers l’art que la honte homosexuelle de son corps passe le plus inaperçue, trouve sa plus belle justification/cachette. Par exemple, la communauté homosexuelle a tendance à se choisir comme représentantes des chanteuses ou actrices à l’anatomie atypique (Juliette, Marianne James, Anne Roumanov, Chantal Ladesou, Rossy de Palma, Sylvie Joly, Valérie Lemercier, Lady Gaga, Brigitte Fontaine, Catherine Ringer, Juliette, etc. ; rien d’étonnant que la série télévisée Ugly Betty soit aussi homo-érotique !). Les créateurs homosexuels aiment mettre en scène des personnages socialement rejetés pour leur physique, au faciès peu publicitaire, voire carrément monstrueux : je pense à Tracy l’héroïne obèse de la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, au Roi Jean le premier monarque sourd dans le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie, à l’Elephant Man (1980) de David Lynch, à Norma la femme défigurée du film « La Piel Que Habito » (2011) de Pedro Almodóvar, à la lilliputienne Jacqueline Mignot dans la nouvelle « La Césarienne » (1983) de Copi (« Elle était fort complexée vis-à-vis des autres femmes socialistes de sa génération », p. 65), à la Duchesse d’Albe dans la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi (« Sa laideur jetait un froid autour d’elle. », p. 12), etc. Finalement, ils semblent vénérer davantage des spectres immatériels et des esprits de morts exposés dans un Musée des Horreurs, que des corps vivants, existants, et nous ouvrant à l’universelle incarnation.

 

Un peu comme chez certains gothiques qui prennent plaisir à s’enlaidir et à se tatouer de partout pour masquer leur mal-être corporel, certaines personnes homosexuelles font mine de rentrer volontairement dans le jeu de leur soi-disant « disgrâce congénitale ». Cela pourrait s’appeler l’inversion du stigmate en orgueil paradoxal : « Au lycée, son intégration n’est pas facilitée par son apparence physique. En quelques mois, elle est devenue une adolescente longue et maigre, qui ne tardera pas à atteindre, prématurément, sa haute taille d’adulte, 1,75 m. Ce ne fut sans doute pas très facile à vivre, mais la jeune fille en tire un sentiment accru de singularité. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 44) ; « Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là. […] Je me suis toujours sentie moche, je m’en accommode d’autant mieux que ça m’a sauvée d’une vie de merde à me coltiner des mecs gentils qui ne m’auraient jamais emmenée plus loin que la ligne bleue des Vosges. » (Virginie Despentes à propos des femmes séduisantes, dans son essai King Kong Théorie (2006), p. 10) À l’âge adulte, il arrive que certaines personnes homosexuelles fassent payer leur sentiment de laideur physique aux autres en imitant les monstres qu’elles croient être, en accentuant leurs traits prétendument horribles par une humeur massacrante et une fierté provocatrice. « Verlaine vécut le drame de se croire tel : mal-né, environné sans fin de l’épouvante qu’il suscitait. » (cf. l’article « Poétiquement « correct » d’Alain Borer, dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 40) Alain Pacadis, après avoir eu honte de son physique, a entretenu l’image qu’il s’en faisait en devenant « crasseux, alcoolique et drogué, avec l’œil globuleux, le cheveux amidonné de gras, la démarche courbée par une scoliose soigneusement entretenue. » (cf. l’article « Alain Pacadis » de Didier Éribon, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 349) Drôle de manière de prendre le pouvoir sur sa propre haine de soi… Parfois même, certaines célébrités homosexuelles se vengent de s’être crues aimées uniquement pour leur plastique : Marlon Brando, par exemple, se laissa complètement aller à la fin de sa vie, en devenant obèse et hideux. D’autres même se suicident parce qu’elles ne supportent pas de vieillir et de s’enlaidir. Ils opèrent un acte iconoclaste sur leur propre personne… comme s’ils se doutaient d’être vraiment faits de chair et de sang.

 

Je vous propose de passer outre cette comédie homosexuelle de la dévaluation/adoration de soi dans la destruction de son corps, pour aller à l’essentiel de mon propos : pour moi, la mocheté physique homosexuelle n’existe pas. Pas une seule personne homosexuelle n’est laide, en réalité. Vous m’entendez : pas une ! En revanche, je crois que beaucoup d’entre elles ne se rendent pas désirables (… et certaines vont même jusqu’à se rendre trop belles plastiquement pour se rendre inaccessibles et indésirables !) Je pense en particulier à ces nombreuses femmes lesbiennes qui, par paranoïa du viol/de la sexualité (paranoïa qu’elles n’avoueront pour la plupart jamais), s’enlèvent tout sex-appeal pour décourager les garçons de les draguer ; je pense à ces hommes gays qui s’abandonnent vestimentairement et physiquement parlant – ne me regardez pas comme ça, s’il vous plaît… – pour ne surtout pas « faire mec » et plaire ; ou bien à ces dandys qui affichent une arrogance et une sophistication tellement parfaites esthétiquement qu’ils sont très peu avenants, même physiquement.

 

C’est le rapport au corps qui est souvent laid chez les personnes homosexuelles ; non leur corps réel. En fin de compte, elles sont complètement à côté de la plaque quand elles parlent en mal de leur corps. Si elles devaient mépriser quelque chose dans cette affaire, cela devrait être uniquement leur manière de se comporter gestuellement et de se tenir, leur démarche parfois superficielle et hautaine/honteuse, leur manque d’amour d’elles-mêmes, leur relation haineuse/blessée/envieuse à leur propre corps et aux corps des autres en général.

 

Parfois, elles aiment trop leur physique pour l’aimer vraiment tel qu’il est (c’est à dire comme une matière sacrée et fragile à la fois), et s’en servent pour s’isoler des autres : « Mon caractère, ma façon d’être, de me vêtir me différenciaient des autres élèves. J’étais grand pour mon âge et, grâce à mes parents, à ma mère surtout, j’étais toujours vêtu avec recherche ; l’éducation que j’avais reçue faisait de moi, je l’avoue, un garçon assez précieux mais, à seize ans, bien des jeunes gens ressemblent à des filles. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 82)

 

On a du mal à soupçonner cette haine de soi chez l’individu homosexuel bien fait, bien apprêté, très musclé, suffisant, fier de ses attributs physiques, narcissique à souhait, et sûr de son pouvoir de séduction donjuanesque. Qui, par exemple, ira voir dans l’assurance violente de l’acteur porno une auto-flagellation, une dévalorisation avilissante ? Et pourtant… se traiter comme un objet, n’est-ce pas autre chose que se détruire et s’enlaidir le cœur (et donc le corps) ?

 
 

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