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Code n°79 – Frère, fils, père, amant, maître, Dieu

frère, fils, amant

Frère, fils, père, amant, maître, Dieu

 

NOTICE EXPLICATIVE

 
 

La relation « amoureuse » homosexuelle : pas ajustée

 

Film "I Think I Do" (1997) de Brian Sloan

Film « I Think I Do » (1997) de Brian Sloan


 

À première vue, le couple homosexuel ressemble à un grand feu d’artifice. On y découvre une infinité de désirs, y compris des désirs non-amoureux. Éros, Philia, et Agapê semblent s’être donnés rendez-vous pour fusionner ensemble, pour fêter la plénitude de l’androgyne. Le problème, c’est que dans cette énorme salade composée, on les a perdus en route ! On ne les retrouve plus que par bribes, car à la base, on n’a pas voulu les distinguer (le noeud du problème et là : on n’a pas cherché à les dissocier, à les définir, pour mieux les unir : tout s’est joué au niveau du refus du désir, de la liberté !). C’est pourquoi la relation homosexuelle est un « magma » informe qui n’a pas d’identité claire ni le goût extraordinaire qu’on attendrait de l’Amour vrai. Elle n’aide pas ceux qui la composent à se positionner pour vraiment se sentir à leur place, pour vraiment se sentir aimés. Comme elle a trait à un peu à tous les types de liens sociaux possibles (fraternité, amitié, spiritualité, paternité, camaraderie, etc.), la personne aimée dans le cadre conjugal homosexuel est amenée à porter les nombreux et inconfortables masques du frère, du fils, du père, du « bon copain », du maître, du Dieu, qui ne lui reviennent pas exactement, qui sont trop grands ou trop petits pour sa taille, et qui ne lui donnent pas une identité fixe assez solide pour un engagement durable et une confiance partagée à deux. Il est aisé de prétendre aimer sincèrement quelqu’un, sans prendre le temps de se pencher sur les raisons profondes de notre attachement à lui. L’amant peut servir de prétexte pour régler précipitamment toutes les blessures d’enfance que nous ne voulons pas affronter. Au départ, l’amour que nous lui portons prend l’apparence d’un enthousiasmant « best-of d’amour(s) »… avant de se transformer, au fil du temps, en épouvantable (ou ennuyeuse !) pieuvre à six têtes.

 

Comment peut-on qualifier le couple homo ? Quelle place y occupe le partenaire amoureux ? Est-il aimé pour qui il est vraiment, ou est-il juste un « bon copain », un compagnon de vie, un frère, un substitut paternel ou filial, quelqu’un qu’on « aime bien » mais qu’on n’aime pas pleinement, quelqu’un qu’on aime trop parce qu’on l’« adore » ? Toute personne homosexuelle en couple serait en droit de demander à son compagnon : « Tu me dis que tu es mon frère, mon fils, mon père, mon amant, mon maître, mon Dieu… mais qui suis-je vraiment dans l’histoire ? Suis-je unique ? M’aimes-tu vraiment ? Es-tu unique pour moi ? Qu’est-ce qui me rend plus spécial à tes yeux qu’un autre ? Qu’est-ce que nous attendons de nous ? Que faisons-nous ensemble, au juste ? Arrête de m’infantiliser ! Je ne suis pas ton père ! Qu’est-ce qui nous différencie de simples colocs’… à part le sexe ? »

 

N.B. : je vous renvoie également aux codes « Inceste », « Amant modèle photographique », « Poupées », « Inceste entre frères », « Infirmière », « Mère possessive », « Cannibalisme », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Pygmalion », et à la partie sur l’« amitié » dans le code « Solitude », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

En remettant en question la valeur de l’amour homosexuel tel que je le fais, je m’expose probablement aux foudres de certaines personnes homosexuelles qui prétendent – le plus sincèrement du monde ! – qu’elles aiment profondément leur partenaire ou qu’elles ont vraiment connu le « Grand Amour », souvent au prix de nombreux sacrifices qui suffisent à prouver la force surhumaine de leurs sentiments. Mais je continue de penser que la majorité d’entre elles confondent l’amour avec l’impression d’amour qui se dégage de différents types de liens (entre deux frères, deux amis, un élève et son maître, une personne malade et son visiteur, un acteur et son public, un père et son fils, etc.) qui peuvent assurément offrir des instants de complicité « forts » mais qui ne sont pas d’ordre purement aimant.

 

Étant donné que l’union conjugale homosexuelle n’est pas procréatrice mais réellement fantasmée (dans le sens de « réalité fantasmée » que j’emploie dans mon livre, à savoir une réalité forcée, où priment les fantasmes), l’identité des amants au sein du couple homosexuel devient fatalement floue. Quand certains sujets homosexuels essaient de parler de leur relation d’amour, nous ne savons jamais trop s’ils se réfèrent à une union paternelle, fraternelle, amoureuse, amicale, gémellaire, féodale, religieuse, ou autre. Ils définissent leur partenaire comme un père, un fils, un grand frère protecteur, un bon ami, un frère jumeau, un confident, un fidèle serviteur, un maître, un roi, un demi-dieu, mais ils ne sont convaincus par aucun de ces qualificatifs.

 

Dans un premier temps, comme le lien homosexuel touche un peu à tous les types de liens humains possibles, il ressemble à une étourdissante salade composée renfermant le meilleur. Nous pourrions dire que c’est un « best-of d’amour(s) » ! Mais à vouloir tout mettre dans cette salade, et surtout des éléments qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, elle finit par ne plus avoir de goût. Plus les jours et les mois se succèdent, et moins les partenaires homosexuels se surprennent… ou plutôt si : ils se découvrent, mais dans le mauvais sens. Tous deux portent tellement de masques à la fois qu’ils sont amenés à se demander qui ils sont véritablement pour l’autre et pour eux-mêmes. « Mon copain m’assure qu’il m’aime… mais m’aime-t-il vraiment d’amour, ou comme un simple ami, un substitut paternel, un tendre frère, ou un dieu tout-puissant, que je ne suis à l’évidence pas ? » À la longue, leur questionnement peut devenir très vite obsédant puisqu’il met en lumière une angoissante absence de projet de vie, et un refus mutuel de l’acceptation libérante de leur inaliénable unicité. « Je reste avec l’autre parce que je n’ai pas la force de le quitter et de m’aimer seul » pourraient s’avouer intérieurement à elles-mêmes beaucoup de personnes homosexuelles !

 

L’amalgame entre amour et amitié par exemple est beaucoup plus dramatique que ce que nos sociétés actuelles le pensent : l’un et l’autre se détruisent quand nous les faisons fusionner ensemble. Certaines personnes homosexuelles camouflent leur gêne de cette confusion dans le cynisme dédramatisant. « Je fais l’amour de temps en temps comme on va à la piscine, rongée de culpabilité à mon tour parce que je n’aime ma partenaire que d’amitié. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 174) Elles savent implicitement que le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour équivaut souvent au massacre de l’amour aussi. Une fois qu’elles et leur compagnon sont unis par le sexe, elles se rendent compte qu’il est difficile de faire machine arrière et de s’avouer qu’ils se seraient davantage respectés s’ils étaient restés simplement amis, s’ils n’avaient pas grillé bêtement les étapes. La promesse des corps n’obéit pas à nos croyances en la banalité du passage de l’amour à l’amitié, ni les actes sexuels à nos intentions de les atténuer.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se retrouvent prises à leur propre jeu de la séduction. Ce n’est pas qu’elles n’aiment pas leur partenaire. Elles « l’apprécient beaucoup », « l’aiment bien », éprouvent une « profonde affection pour lui », le considèrent comme un petit frère qu’on cajole, comme un « bon copain », un parrain, un confident qui avec le temps finira par devenir par la force des choses indispensable. Elles l’aiment … oui, c’est certain… mais pas d’amour. Et c’est là tout le problème. Leur union sentimentale, ce n’est pas rien, et pourtant, ça ne suffit pas : elle ne les comble pas un minimum comme l’Amour vrai comble un maximum. Elles savent au fond qu’elles auraient très bien pu choisir avec leur partenaire « amoureux » l’option amicale qui les compromette moins et qui leur apporte tout autant (si ce n’est plus !), qu’elle aurait trouvé dans l’amitié les mêmes avantages que ceux qu’elles expérimentent dans l’amour homosexuel… excepté la jouissance génitale, les « je t’aime » à lire sur le portable, les croissants chauds servis au lit le dimanche matin, et le nounours à blottir contre soi la nuit, … bref, tout ce qui, sans l’amour véritable, ne fait partie que des « à-côtés » détestables de la passion amoureuse éphémère.

 

Dans la majorité des couples homosexuels qui nous entourent, on se demande quelle drôle de relation « amoureuse » il est en train de se vivre. Les amants homosexuels n’ont pas pour autant l’impression de s’enfoncer dans un mensonge flagrant puisqu’ils sont souvent tous les deux très sincères au départ et vivent quand même ensemble des moments authentiques ponctuels qui leur font oublier les désagréments persistants de l’amalgame des sentiments humains amoureux, amicaux ou filiaux, ces derniers étant en temps normal liés sans s’équivaloir. Mais au final, certains décrivent leur couple comme un « nous » dépassant et étouffant le duo. « ‘Nous’, c’est cette entité autosuffisante, cette famille pas si facile à définir. Maris, amants, amis, frangins, tout à la fois ? » (Élisabeth Lebovici, « Gilbert and George », dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 222) Les amants homosexuels forment une famille à deux en quelque sorte, mais cloisonnée sur elle-même. Pour cette raison, il n’est pas étonnant de voir arriver l’asphyxie chez bon nombre d’entre eux.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

Le personnage homosexuel ne sait pas qualifier la nature de sa relation amoureuse homosexuelle autrement que comme un fourre-tout sans beaucoup de goût :

 
 

a) Mon amant homosexuel est mon frère :

Beaucoup de personnages homosexuels considèrent leur amoureux comme leur frère (…et plus si affinités) : « Es-tu un frère ? Es-tu un rêve ? À des milliers d’âmes anonymes. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre » de Mylène Farmer) ; « Vous êtes plus qu’un frère. » (Bernard s’adressant à son futur amant Didier, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Cyril et Sébastien Ceglia) ; « Je recherche mon frère, mon jumeau. » (Paul, le héros homosexuel du film « Seeing Heaven » (2011) de Ian Powell) ; « Si Hall meurt, je meurs. » (Arthur, le personnage homosexuel, parlant de son frère, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc. C’est le cas par exemple dans le film « Comme un frère » (2005) de Bernard Alapetite et Cyril Legann, dans la photo Comme des frères (1982) de Jean-Claude Lagrèze, etc. (J’évoque plus largement le cas des frères de sang qui couchent ensemble, à travers un autre code, celui de l’« inceste entre frères » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.) Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit et Esti veulent mélanger leur sang : « On pourrait devenir des sœurs de sang. […] Si on mélange notre sang, on sera sœurs pour toujours. » (pp. 214-215) Georges et Alexandre, les deux protagonistes homosexuels du film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, font de même. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, afin d’être au chevet de son copain Bryan à l’hôpital, Kévin se fait passer pour son frère. Un peu plus tard, quand Bryan sort de sa convalescence, l’effusion que son amant lui réserve au moment des retrouvailles n’étonne pas le lecteur : « Bryan, mon frère, j’ai envie de t’embrasser ! » (p. 233) Dans le film « Rose et noir » (2009) de Gérard Jugnot, quand on demande à Saint Loup et Casta quelle est la nature de leur relation, Casta répond par une entourloupe : « La vérité, c’est que nous sommes frères. » Mais la surenchère de Saint Loup (« On peut dire ça comme ça… ») laisse planer l’équivoque homosexuelle. En tombant sur certaines descriptions amoureuses de l’amant homo, on est surpris de voir qu’il est comparé maintes et maintes fois à un frère : « Rosário, je l’aime comme mon frère, comme mon petit ami. » (Tonia dans le film « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « Nous sommes comme des frères. » (Malik à son amant Bilal dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « Aujourd’hui, votre fils a plus besoin d’un frère. » (le héros homo évoquant son homosexualité à son père qu’il vouvoie et à qui il adresse une lettre à la troisième personne, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy)

 

Par exemple, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Arielle, la « fille à pédé », confond le frère de son meilleur ami Antoine, Gérard, avec un de ses amants : « T’as un nouveau prétendant ? » « Non, c’est mon frère. » répond-il. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, drague 18 ans après avoir perdu son amant de jeunesse Nathan, le frère de ce dernier, Léonard. Une façon pour lui de conjurer le sort et de retrouver Nathan. Dans le film « Knock at the Cabin » (2023) de Night Shyamalan, pour voler Wen, leur future « enfant » obtenue par GPA dans une clinique asiatique, Eric fait passer son « mari » Andrew pour « son frère » et le faire rentrer dans la salle d’accouchement comme si lui était le vrai peur de la gamine.
 
 

b) Mon amant homosexuel est mon fils :

Capture d’écran 2013-08-27 à 11.16.28

Film « Rue des Roses » de Patrick Fabre


 

Dans certaines œuvres de fiction traitant d’homosexualité, l’amant est considéré comme un fils. Je vous renvoie au roman Todos Los Parques No Son Un Paraíso (1978) d’Antonio Roig (avec la relation ambiguë entre Roig et Ronald), au poème « La Portée de quelques notes » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, au film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec une relation infantilisante et très mal vécue par les deux amants), au film « Rue des Roses » (2012) de Patrick Fabre (Mehdi est en couple avec un homme plus jeune, Axel), à la chanson « Quatre Vies » d’Emmanuel Moire, à la pièce Un cœur de père (2013) de Christophe Botti, etc. Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Joe accueille Roy comme un « fils prodigue ». Dans le film « Corps à Cœur » (1978) de Paul Vecchiali, Louis, un garagiste âgé, fait une déclaration d’amour inattendue à son employé Pierrot : « Je me disais que je t’aimais comme un fils. Je t’aimais. Mais pas comme un fils. Toi tu ne te rendais compte de rien. » Dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval, Fred traite son amant Max comme un môme, et lui chante la comptine de « La Petite automobile ». Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra et sa servante Marlène maintiennent une relation infantilisante : la première envoie la seconde faire des dessins. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien traite son amant Yoann comme un petit enfant qu’il amène au Parc Astérix. Et Yoann s’excite toujours autant d’y être emmené. Dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, Marie, l’amante d’Hannah, traite pour rire sa partenaire de « petit bébé » parce que celle-ci (24 ans) est plus jeune qu’elle : « Je me sens comme une pédophile… » dit-elle après l’avoir embrassée. Dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Frédérique traite sa copine Heïdi de « bébé »… et la différence d’âges de 10 ans entre elles n’aide pas, il faut le reconnaître. Et quand leur ami homo Jean-Luc parle d’avoir un enfant, il s’annonce déjà comme une mère possessive : « Je me connais, je serai une vraie maman poule. » Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William sort avec un homme marié, Georges, qui a le double de son âge, et qui l’infantilise en l’appelant « Sugar ». Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Petra traite son amante Jane de « bébé ». Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien traite son amant Yoann comme un petit enfant qu’il amène au Parc Astérix. Et Yoann s’excite toujours autant d’y être emmené.

 

FRÈRE 1

Film « Taxi Zum Klo » de Frank Ripploh


 

Le personnage homosexuel décrit son amant comme son propre « bébé d’amour » : « Mathilde s’extrait de mon ventre. » (la voix narrative parlant de son amoureuse, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 91) ; « Oh ! Pascal, Pascal !… J’ai pas de fils. Mais c’est un comme toi que j’aurais voulu. Un exactement comme toi. » (Pierre au jeune Pascal dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 253) ; « J’veux baiser qu’avec toi, ça s’dit pas. Et un bébé comme toi, ça s’prête pas. » (cf. la chanson « Caribbean Sea » d’Étienne Daho) ; « Mais de toi je ferai ce que je voudrai. » (Bruno s’adressant à son « fils » et amant Jérémie, parodiant Niagara, dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand) ; « Je serai de loin ta mère, comme ta mère. » (Khalid s’adressant à son amant Omar, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 150) ; « Chéri ! C’est maman ! » (Benjamin parlant à son amant Pierre dès qu’il arrive dans leur appart, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Ça va, bébé, t’as passé une bonne journée ? » (Arnaud s’adressant à son amant Benjamin, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Je suis sûr que t’étais l’enfant parfait. » (Bryan s’adressant amoureusement à son amant Tom, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Tiens compagnie à papa. » (un client s’adressant perversement à David, le jeune homosexuel de 14 ans, dans le cinéma porno, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; etc.

 

L’amant est aimé par le héros homosexuel comme ce dernier imagine qu’une mère aime son fils : « Et maintenant… on ouvre le petit paquet secret… celui que je tenais caché… avec quelque chose de très bon… pour accompagner le thé… du cake ! » (Molina à son amant Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 185) ; « On n’aime plus sa maman ? » (Franck à son « fils/meilleur pote » Matthieu, en lui fonçant dessus pour rire, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) ; « J’éprouve même ce que j’imagine être le sentiment d’une mère pour son enfant… Moi qui n’en aurai jamais. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 14) ; « Lui [Édouard, le copain de Georges], il cherche une mère… Ça tombe bien. » (Arnold parlant de Georges, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; etc. Le personnage homosexuel englue son amant d’une sollicitude très maternelle : « Je le forçais à sortir avec un sparadrap sur le nombril que je vérifiais quand il rentrait et je ne le laissais jamais sortir seul le soir. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 41) ; « J’aime Perón comme s’il était mon fils. » (la mère d’Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Mourad venait d’entrer dans la cuisine. Il souriait de joie en entendant son petit Jason si plein d’énergie pris d’un nouvel accès d’autoritarisme. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 333) ; « J’aime les hommes qui aiment leur mère. » (Léopold s’adressant à son amant Franz, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je me suis toujours demandé pourquoi elle m’aimait. J’ai vaguement pensé que j’étais un substitut maternel, comme on dit. Cette idée ne me plaît guère, mais il n’est pas mauvais de la regarder en face. » (Suzanne en parlant de sa compagne Héloïse, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 78) ; « Lola, viens ici. Je ne t’autorise pas à faire ce genre de caprice. » (Vera l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Lola, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Ça va ! Je suis pas ta mère ! » (Lola s’adressant à son amante Nina, idem) ; « Tu ne sais jamais rien. J’en ai assez de te materner, Nina. » (idem) ; etc. Par exemple, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine, l’héroïne lesbienne explique à son amante Carole que c’est en jouant au papa et à la maman sur la cour d’école qu’elle a vécu sa première expérience lesbienne : « On jouait au papa et à la maman. Comme y’avait pas assez de papas, j’ai fait le papa. » Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en psychothérapie Benjamin/Arnaud et essaie de les aider à s’assumer en tant que couple homo. Il s’y prend de manière progressive, par des petits exercices pratiques. Et notamment, il tente de leur faire la main de l’autre : « Finalement, c’est pas très dur. C’est comme prendre un enfant par la main. »

 

Souvent, l’attrait du personnage homosexuel pour les amants qui ont l’âge d’être son fils, mais qui ne se laissent pas manipuler comme des bébés, font place chez lui à l’amertume et au mépris jeuniste : « Je ne suis pas ton ‘petit Jan’. » (Jan résistant à la drague de son ami Matthieu, dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser) ; « Je m’étais fait l’illusion de retrouver en vous ma propre jeunesse, mais rien en vous ne me séduit. Il y a trente ans je vous aurais peut-être trouvé désirable, et encore je ne suis pas sûr de cela, et puis vous n’étiez qu’un nouveau-né. » (Cyrille au Journaliste dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., le couple Matthieu (28 ans) et Jonathan (23 ans) parlent, en plaisantant, de leur soi-disant « grande différence d’âges ». Et plus tard, ils s’infantilisent l’un l’autre sans s’en rendre compte : « Il est trop mignon quand il fait des dodos. » (Jonathan) Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, la relation amoureuse entre le très vieux et autoritaire Raúl et le très jeune Roberto commence à révolter mollement le second : « Je ne suis pas ton fils. »

 
 

c) Mon amant homosexuel est un simple ami :

Je reprends de manière beaucoup plus complète la confusion entre amitié et amour homosexuel dans mon code « solitude » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Cela dit, on peut quand même faire mention de quelques œuvres de fiction traitant du mélange entre amitié et amour homosexuel : cf. le film « Les Amis » (1970) de Gérard Blain, le film « I Am Not What You Want » (2001) de Kit Hung, le film « Mon Ami, mes amants » (2002) de Jean-Daniel Cadinot, la chanson « Amis, amants » du groupe What For, etc. Par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik décrit son amant Paul comme son « meilleur ami ».

 

Entre les personnages de fiction homosexuels, il est parfois question de sex friends, de « potes de baise » : « Elle était avec ses copines… enfin, ses exs… enfin, ses potes… enfin, ces autres gouines branchées. » (Océane Rose Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Entre amants, entre amours, entre amis. » (cf. une réplique de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je ne peux plus continuer avec Jo. Il ne se passe plus rien. On est passés d’une relation fusionnelle à une relation fraternelle. » (Matthieu parlant de la relation d’un an qu’il vit avec Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc. On ne sait pas trop si les héros entre eux sont amis ou amants… ou les deux. Par exemple, dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Henri présente son « mari » Dominique comme son frère… alors que c’est juste son meilleur ami.

 
 

d) Mon amant homosexuel est mon père :

L’amant homosexuel recherche un amant protecteur et paternel : cf. la chanson « Aime-moi comme ton enfant » de Catherine Lara, le roman Julia (1970) d’Ana María Moix, le film « L’Isola Di Arturo » (« L’Île des amours interdites », 1961) de Damiano Damiani, le film « Charlotte dite ‘Charlie’ » (2003) de Caroline Huppert (où Charlie est troublée en massant la mère de sa copine Babou), etc. Je vous renvoie au code de l’« inceste » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels. Par exemple, dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Tareq, le héros homosexuel, raconte que sa première fois homosexuelle, à l’âge de 17 ans, il l’a vécue avec un homme plus âgé que lui : « Je cherchais sûrement une figure paternelle. »

 

Dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, Sébastien appelle son amant Paul « mon papounet ». Dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Alex et Mitchell simulent une relation neveu/oncle. Dans le roman Deux femmes (1975) de Harry Muslisch, Laura soupçonne son amante Sylvia de ne pas avouer son homosexualité à sa maman parce qu’elle a aussi l’âge d’être sa mère : « Inconsciemment, tu lui tiens peut-être rancune d’être tombée amoureuse d’une femme qui lui ressemble. » (p. 60) Sylvia réagit ironiquement : « Ah bon, tu es ma mère, alors ? » Ce à quoi Laura lui rétorque dans une attitude de provocation vexée : « À cela près que je ne m’occupe pas de ton père. En tout cas je suis aussi une femme, et toi tu es une petite garce. » Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, une patiente lesbienne reçoit un beau diamant de la part de Lili, sa compagne lesbienne de 73 ans, à l’occasion de « leur » un an de vie ensemble : « C’est pour ça que Lili, c’est mon deuxième papa. » Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Russell appelle sincèrement son amant Glenn (du même âge) « Dad » ; et quand il lui annonce qu’il est orphelin, il lui propose à son tour de lui servir de substitut paternel : « Et si je faisais semblant d’être ton père… » Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte joue au petit enfant dont la vie s’est arrêtée à la mort de son parrain. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, drague ouvertement Samuel (joué par Omar Sy) et se faisant passer pour un enfant à protéger : « Tu m’adoptes ? »

 

Le personnage homosexuel s’adresse à son amant comme s’il était son père, ou bien est considéré par les gens de l’extérieur comme le fils de son petit ami : « N’oublie pas de me ré-enfanter. » (Daniel s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Désolé papa. » (Jack, 22 ans, à son amant Paul, du même âge, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Je ne sais pas si Harvey a deviné qu’on formait un couple : il se peut qu’il se soit trompé et nous ait pris pour père et fils. » (Michael en parlant de son couple avec Ben, dans le romanMichael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 80) ; « Et c’était cela la seule différence. C’était qu’une autre silhouette, un autre visage, se détachaient de l’arrière-plan pour se préciser aux côtés de son père… Pierre Gravepierre ! » (Pascal à propos de son amant Pierre, dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 131) ; « Physiquement, j’aime mieux qu’ils soient plus mûrs, je recherche plutôt un papa. » (Bjorn dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, pp. 159-160) ; « Douze ans de plus que moi… Il pourrait être mon père. » (Damien par rapport à son amant Norman, dans la pièce Les Deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Je suis dans ton ventre, je suis un fœtus, je m’oublie. » (Alice à son amante Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Salut Christine. Tiens, t’es venue avec ta mère ? » (Nathalie Lovighi sortant une blague acerbe à une amie lesbienne lors d’une soirée, dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au 3e Festigay de Paris en 2009) ; « Mon père… J’ai épousé mon père. Putain d’Œdipe… » (Marilyn, la videuse lesbienne de la boîte Le Gouine, parlant de sa compagne, dans le one-woman-show Paris j’adore ! (2010) de Charlotte des Georges) ; « Fermant les yeux, elle essaya de reconstituer le visage paternel, son beau visage qui parfois semblait inquiet ; mais l’image fut lente à se former et s’effaça aussitôt, car les morts doivent souvent faire place aux vivants. Ce fut l’image d’Angela Crossby qui subsistait tandis que Stephen était assise ans le vieux fauteuil de son père. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 186) ; « La voisine prit le nouveau-né dans ses bras, ouvrit son corsage, mettant à nu un sein bien rond d’où, tout gonflé comme il était, le lait sortait déjà. Elle le guida vers la petite bouche qui instantanément se mit à téter. Je m’imaginais tétant ce joli sein, et me renouvelai la promesse que je m’étais faite : posséder un corps féminin et en avoir tous les plaisirs possibles. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 27) ; etc.

 

L’amant est aimé par le héros homosexuel comme ce dernier imagine qu’un fils aime sa mère : « Tu crois qu’il est comme ma belle-mère ? » (Zize, travesti M to F, parlant de son mari à sa mère, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « C’est drôle, ça ne fait pas un mois qu’on se connaît et je te dis des choses que je n’ai jamais dites à personne, à part à ma mère ! » (Kévin à Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 100) ; « Aujourd’hui, après, quelques jours d’interruption ayant expédié au mieux mes obligations, j’ai enfin eu le temps de me faire cajoler par la bonne. J’ai acheté toutes sortes de produits sans regarder à la dépense, notamment une poudre parfumée que l’on indique en cas d’irritation de la peau chez les bébés. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 98) ; « Je t’aime. Je t’aime autant que ma mère ; peut-être même plus… Je t’aime. » (Tanguy à Gunther, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 89) ; « Valentín… je crois que depuis mon enfance, je ne me suis jamais senti aussi content. Depuis le temps où maman m’achetait un jouet, ou quelque chose comme ça. » (Molina après sa nuit d’amour avec Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 210) ; « Il [Adrien] avait aussi un immense besoin d’être aimé. Il y avait en lui un enfant qui cherchait à être protégé, consolé, un enfant qui requérait un amour total. […] Il était bien conscient que cet amour-là ressemblait à l’amour perdu de la mère. » (Adrien parlant de son jeune amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 40). Dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, Bonnard propose à son copain Dzav d’être sa mère.

 

Ce rapport incestueux avec l’amant apparaît au final comme une illusion : « Le téléphone sonne. Son cœur s’illumine à l’idée que Ginette ait finalement pensé à elle. Mais ce n’est que sa mère. » (Lucie dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 31) ; « T’es pas ma mère : t’es ma copine. » (Rosário à son amant trans Tonia dans le film « Morrer Como Um Homen », « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « L’homosexualité est une infantilisation. » (le père de Claire s’adressant à sa fille et à la compagne de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Le personnage homosexuel finit parfois par punir les amants mûrs qu’il s’est choisi comme pères de substitution, en affublant de qualificatifs âgistes ces prétendus « vicieux qui veulent jouer le rôle de sa mère » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 161). Forcément : n’étant pas son père réel, ils finissent fatalement dans son esprit par être des imposteurs !

 
 

e) Mon amant homosexuel est mon maître et mon Dieu :

Dans certains créations artistiques, le personnage homosexuel déifie son amoureux : cf. le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler (où un fan se laisse soumettre par sa rock star), le film « In The House Of Brede » (1975) de George Schaefer, le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, le film « Je t’aime, je t’adore » (2002) de Manuel Blanc, la chanson « Monsieur Amour » de Colette Mars, la chanson « Mon Secret » de Suzy Solidor, la chanson « Amen-moi » de Bilal Hassani ; etc. « Gérard et moi, c’était une allégeance absolue. » (Guillaume dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Excuse-moi. J’avais oublié que t’es un dieu. » (Bart s’adressant amoureusement à Hugo, dans l’épisode 268 de la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1 le 13 août 2018) ; « Je t’aime comme un fou, comme un soldat, comme une star de cinéma. » (Philippe s’adressant à Gabriel – et parodiant Lara Fabian – dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; « À cet instant je me sentis comme sainte Véronique, tant mon émotion était grande. » (Alexandra, la narratrice lesbienne, en train d’essuyer les sécrétions vaginales de sa jeune voisine, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 53) ; « Je voudrais le suivre où il ira. Il est ma vie. Je suis son Roi. Pour tout vous dire, je l’ai juste rêvé. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto) ; etc. L’amant est considéré comme un ange ou un demi-dieu : « Tu es un ange merveilleux. » (Pietrino à son amant Fefe dans le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « C’était bien le jour de Khalid. » (Omar, qui voit son amant comme un roi, comme le substitut d’Hassan II, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 90) Dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, David, l’amant homosexuel, est comparé à Dieu : « J’ai passé des semaines dans les bras du Bon Dieu. » (p. 12) Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago compare la toile qu’il a peinte de son amant Miguel au « Corps du Christ ». Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, appelle sa nurse Collins « sa déesse » (p. 29). Dans l’épisode 365 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 27 décembre 2018, André, le héros homosexuel, dit qu’il est sorti avec un bel Allemand, Otto, « beau comme un dieu grec ».

 

L’amour entre amants homos prend la forme de la relation entre un fidèle et son dieu : « Qu’en est-il de l’existence de Dieu ? Et de Mathilde ? » (la voix narrative dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 103) ; « J’ai subitement envie de la vouvoyer. J’ignore d’où me vient cette aspiration à la distance. […] Je vous en prie, madame. » (idem, p. 90) ; « Tu es celui que j’aime… comme Dieu. » (Pierre à son amant Julien, dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Elle est dure avec moi, je vous jure. Je lui lave les pieds comme si elle était Jésus et elle m’engueule, elle me parle mal. » (Polly parlant de son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 115) ; « Je t’idéalisais, je te consommais puis je t’ignorerai. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc. Par exemple, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur appelle son amant Jacques « mon ange ».

 

À ce propos, on observe très souvent dans les fictions homosexuelles que le verbe « aimer » est remplacé par celui d’« adorer » (qui signifie « vouloir être semblable à ») : « Comme les dieux qu’on adore adorer, j’adorais adorer. » (cf. la chanson « L’adorer » d’Étienne Daho) ; « Je t’embrasse et t’adore. » (Chris à Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 121) ; « Je veux que le monde entier sache combien je vous adore. » (Stephen à Angela dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 196) ; « Je vous adore, vous et vos naïfs stratagèmes… » (Émilie parlant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 58) ; « J’t’adore. » (Erika s’adressant à son amante Jézabel, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Je reconnais t’avoir adoré passionnément. » (Basile s’adressant à son amant Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « J’l’adore, c’est vrai. » (Yoann, le héros homosexuel, parlant de son amant bisexuel Julien, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Il l’aime et il l’adore. » (cf. la chanson « Insondables » de Mylène Farmer) ; « Je l’adore. Et tu l’adoreras aussi. » (Vita Sackville-West, lesbienne, s’adressant à sir Harold Nicolson à propos de Virginia Woolf, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

Cette adoration possessive n’est pas toujours comprise du héros homosexuel, qui voit dans l’attachement amoureux excessif de son partenaire une attitude déplacée et immature. Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, par exemple, Cachafaz n’apprécie pas de « se faire idolâtrer par un pédé ». Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Dan veut que son amant Gerry, avec qui il vit depuis une vingtaine d’années, « comprenne une fois pour toute qu’il n’est pas Superman » (p. 237).

 
 

f) Mon amant homosexuel est un peu tout et rien à la fois :

Le personnage homosexuel adopte une vision extra-large de son amoureux : il serait à la fois son frère, son ami, son « pote », son père, son voisin, son parrain, son cousin, son double, son confident, son roi, son Dieu. Dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, par exemple, Félix rencontre tout au long de son voyage des inconnus qui deviennent tour à tour les membres/les amants de sa symbolique famille parallèle élargie. Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, Rubén, un client de 40 ans appelle Eloy son jeune prostitué (au look christique) « mon amour, mon petit » ; ils découvrent qu’ils ont le même nom de famille ; et un peu plus tard Eloy révèle à son client qu’il vient d’une famille de 8 enfants, et qu’il a toujours aimé les douches serrés comme des sardines avec ses frangins en caleçon… et que ça aurait inconsciemment stimulé son homosexualité !

 

FRÈRE 2

 

Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, entretient une relation de séduction avec son grand-frère Ody, son parrain homo Tassos, ses amis de passage (qui parfois l’entretiennent financièrement et sont en général plus âgés que lui), son pote Stefanos (compagnon fashion victim rencontré aux toilettes), son père biologique Lefteris disparu puis retrouvé sous la forme d’un homme politique d’extrême-droite qui doit selon lui correspondre aux critères pileux de ses fantasmes de magazines. Ody laisse entendre à la fin que leur père biologique à lui et à Dany n’est peut-être même pas Lefteris. Dans le film « Vacationland » (2006) de Todd Verows, le héros homo embrasse son amant qui finit par changer de visage et prendre la forme d’un businessman puis d’un grand-père. Dans le film « Ma vie avec Liberace » (2013) de Steven Soderbergh dresse le portrait de Liberace, un pianiste virtuose absolument tyrannique autant que doucereux avec ses amants qu’il infantilise et exploite en les traitant tôt comme des dieux (il dira « Mon Sauveur !!! » ou bien « Je suis un peu toute ta famille. » à son amant Scott) tantôt comme des diables qui lui ont pourri la vie.

 

La relation entre amants est en général ludiquement/amoureusement indéfinie : « J’ai une infinie tendresse pour toi. Qui durera toute la vie. » (Emma s’adressant à Adèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Jonatán, mon père et mon roi, mon frère et mon amant. » (cf. la nouvelle « Jonatán » (2000) de Blas Matamoro) ; « Mon amour pour vous n’est pas celui qu’on porte à une amie, à une mère. Sinon, aurais-je un tel désir de vous bercer dans mes bras ? » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 176) ; « Il est le maître, le frère, mon jumeau. » (Julien Brévaille à propos de son amant Loche, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 65) ; « Mary n’aurait aucune place dans son cœur, dans sa vie, pour un enfant, si elle venait à Stephen. Elles seraient tout l’une pour l’autre si elles demeuraient dans cette parenté sans limites : père, mère, ami, amant, tout… étonnante plénitude ! Et Mary, l’enfant, l’amie, la bien-aimée. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 393) ; « Tandis qu’elle tenait la jeune fille dans ses bras, Stephen sentait qu’en vérité elle était toutes choses pour Mary : père, mère, amie et amant, et Mary toutes choses pour elle : l’enfant, l’amie, la bien-aimée. » (idem, p. 412) ; « Il s’appelle Robert Edwards. Il a vingt-trois ans. Il a soixante-dix-neuf ans. […] Il est ton père, ton frère, ton ami : tu le connais depuis toujours. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 232) ; « Croyez-en le vieux bonhomme désabusé que je suis devenu, et qui vous aime comme un père, un frère, un ami. » (la figure de Proust à son amant Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 183) ; « Sachez que je vous aime tout entière. […] Je vous aime femme, mère, amie, amante. » (Émilie à Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 107) ; « Ma Dame, aujourd’hui, je suis votre enfant. Consolez-moi. Aujourd’hui, je suis votre amie. Écoutez-moi. Aujourd’hui, je suis votre sœur. Gardez-moi. Aujourd’hui, je suis votre amante. Aimez-moi. Aujourd’hui, je suis à vos pieds. Sauvez-moi. » (idem, p. 156) ; « Le papa, c’est toujours Dieu. » (Thierry le héros homo, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « À toi mon frère que j’ai aimé comme un père. » (Didier Bénureau dans son concert Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Je peux pas encore aller la voir à l’hôpital, parce que je suis pas de sa famille. (En pleurant) Tu te rends compte, je ne peux pas aller voir ma femme à l’hôpital parce que je ne suis pas de sa famille, mais je suis TOUTE sa famille à moi toute seule ! Putain, je-suis-pas-sa-fa-mille ! Ils se foutent de ma gueule, moi je veux la voir, j’en ai rien à foutre que je sois pas mariée, j’ai bien le droit de voir ma femme, je dors avec elle toutes les nuits. » (Polly parlant de son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 115) ; « Dany, quand tu dis que tu m’aimes, tu m’aimes un peu comme un pote, c’est ça ? Alors comme un frangin ? Comme un cousin, donc ? Comme deux mecs en prison ? » (Billy Stevens, le personnage homo du faux film « Servir et protéger » s’adressant à son futur amant Dany en pleine guerre du Vietnam, en faisant mine de ne pas comprendre les sentiments que son camarade de tranchée qu’il porte sur le dos lui exprime, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Je suis voleur. Vous êtes Roi. Autrement dit, nous sommes deux frères. » (cf. le poème ironique que Lacenaire adresse au Roi, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « On dirait ma sœur. » (Benjamin parlant de son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Dans le roman L’Agneau carnivore (1945) de Agustín Gómez-Arcos, le protagoniste définit son amoureux comme « son frère amour, son seul dieu ». Dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017, Louison est grillée pour son homosexualité par des photos prises sur téléphone portable à une soirée, où elle enlace – à la base amicalement – sa meilleure amie Clara. C’est la confusion des sentiments : « Clara, c’était ma meilleure amie. C’était comme une sœur. » Louison finit par faire un vrai coming out.

 

Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne de 20 ans, se pose la question de rajouter à la liaison qu’elle a déjà avec Linde une mère de famille, et celle qu’elle maintient par ailleurs avec Rani sa domestique, une troisième relation amoureuse avec Sheela, une de ses camarades de classe : « J’avais l’esprit ailleurs, occupé à peser le pour et le contre afin de savoir si je devais avoir une relation amoureuse de plus, avec quelqu’un de mon âge, une jeune fille sans mari ni fils. Une jeune fille qui n’était ni ma domestique ni mon aînée. Une personne qui était plus ou moins mon égale. » (p. 64) Finalement, son cœur recherche non seulement des relations lesbiennes avec des personnes de chair et de sang, mais plus fondamentalement une union lesbienne divine : « L’exposé fut donné par une fille de terminale, qui parla de l’image de la déesse-mère dans la civilisation Harappan. Je songeai à Linde à chaque fois qu’elle disait ‘déesse-mère’. » (idem, p. 232)

 

Dans l’épisode 432 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 1er avril 2019, Barthélémy Vallorta dit à son amant Hugo Quéméré qu’il est pour lui à la fois « son chevalier servant, son ami, son amant».
 

 

Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), le libraire Pawel Tarnowski, homosexuel continent, repousse son élan physique et sentimental envers le jeune David : « Pawel cherche la source de cette douleur. Essaie de la comprendre. L’homme que je cherche est en moi. Quel est cet homme ? Est-ce l’icône de mon père perdu ? Est-ce donc cela la source de la blessure primitive : la sensation laissée par l’absence du père.[…]Il jeta un coup d’œil au sol. Le garçon y dormait immobile. Pendant un long moment, Pawel le tint dans son esprit comme un père tient un enfant de deux ans sur ses genoux. Puis, il se tourna et s’endormit. » (pp. 362-363) Le dialogue final (p. 476) entre David et lui montre bien le lien trop riche et trop diversifié qui les unit. David essaie de définir le regard que Pawel pose sur lui : « C’était le regard que posait parfois mon père sur moi. Est-ce que je suis comme un fils pour vous, Pawel ? » Pawel lui répond : « Oui, un peu comme un fils. » David rajoute : « Et un ami ? » Pawel de lui répondre : « Oui, ça aussi. » David prolonge, en prêchant le faux pour savoir le vrai : « Mais un jeune ami qui dit des choses puériles. » Pawel tente de s’en sortir sans rien révéler de ses sentiments amoureux mal ajustés : « C’est le cas parfois. Mais je vois l’homme que tu es en train de devenir. Un homme bon qui marchera avec moi le long de la Vistule lorsque cette guerre sera finie, qui me racontera des choses sages et corrigera ma pauvre philosophie. » Père, fils, ami, maître. On a la totale !
 

Mais au bout d’un moment, fatigué de cette dispersion ou de son amant multi-visages, le personnage homosexuel se demande à quoi il joue, qui il aime, et quelle est sa véritable place dans sa relation amoureuse avec l’amant trouble : « Is it my brother ? Is it a friend of mine ? » (cf. la chanson « Who Is It ? » de Michael Jackson) ; « Que sommes-nous ? Un couple ? » (Julien à son amant, dans la pièce Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henry) ; « J’ai voulu que tu sois toutes les femmes à la fois : amie, amante, sœur, mère, j’ai voulu m’abandonner dans une seule femme. […] Je t’aime je t’admire je t’adore, je te tue. » (Alice à Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Et toi, qui es-tu ? Si je suis de la famille, qui es-tu ? Mon frère ou ma sœur ? » (Kévin à son amant Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 159) ; « Quand on nous voit ainsi tous les deux, je me demande souvent ce que les gens pense de nous : voilà deux frères, deux amis ou deux amants ? » (Bryan à Kévin, idem, p. 423) ; « Dans les escaliers, je demande ‘Mais nous deux, on est quoi ? Des amants ? Un couple ?’ Il me regarde en levant les yeux au ciel. » (Mike à son amant Léo dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 100) ; « Je veux un tatouage, symbole de l’Amour. C’est juste un tatouage. Même si tu choisis le même que ton père, ça ne fera pas revenir ton frère. » (Jade, l’héroïne lesbienne du film « Spider Lilies » (2007) de Zero Chou) ; etc.

 

On comprend que le héros, en cherchant à donner différents masques inappropriés à son amant, pèche par narcissisme : « Je pensais que… Je t’ai aimé comme un frère, comme un fils, parce que je croyais que tu étais comme moi. » (Valcárcel à Herrera, dans le film « ¡ Harka ! » (1941) de Carlos Arévalo) ; « J’vois bien que je te demande quelque chose que tu peux pas me donner. » (Christophe à son amant Boris, dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Je l’aime pour ce qu’il ne sera jamais. » (Julien Brévaille à propos de son amant Loche, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 157) ; « Il y a une phrase dans son album : ‘L’homme doit être mari, père, soldat.’ Moi, je ne suis ni mari, ni père, ni soldat. » (Gabriele, le héros homo, s’adressant à son amie Antonietta, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; etc.

 

C’est alors que le vertige arrive : « Khalid, ami, frère, double de moi, traître, traître qui faisait le fier seul… » (Omar dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 91) Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc se fait plaquer par son amant Mathieu, beaucoup plus jeune que lui, après plusieurs années de vie commune. « Mais pourquoi me sentais-je encore responsable de ce trop bel acteur qui avait pris trop de place dans ma vie pendant sept ans et de qui j’avais été séparé depuis près de quinze ans ? Encore le rôle du père, du mentor, du Pygmalion que j’avais joué auprès de lui pendant si longtemps ? » (p. 43) ; « J’avais quand même vécu tout ce temps avec un gars de quinze ans mon cadet ! Au commencement, ce n’était pas très grave, j’en avais 39, lui 24, mais j’avais prédit dans un moment de découragement […] qu’un jour je serais un monsieur de 50 ans et lui un toujours jeune homme de 35… et c’est exactement ce qui s’était produit. » (idem, p. 228)

 

Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, occupe toutes les identités qu’il veut vis à vis des hommes qu’il essaie de séduire. Par exemple, Dick, l’homme dont il est amoureux, lui demande une imitation : « Fais-moi une imitation. » Et Tom imite la voix du père de Dick, et la ressemblance est tellement frappante que Dick dit « C’est éblouissant. » et se tourne vers sa compagne en désignant humoristiquement Tom comme son père : « Marge, je te présente mon père. » Plus tard, Tom, en s’écrivant à lui-même et en faisant parler Dick (qu’il a assassiné), qualifie leur relation ambiguë de toutes les catégories : « Je t’écris à toi, le frère que je n’ai jamais eu. Mon seul véritable ami. Tu es un peu mon fils. » ; « Tu es le frère que je voulais avoir. » Tom finira par assassiner son dieu humain qu’il idolâtre. Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin (mis en scène par Élise Vigier en 2018), Jimmy a vécu en couple avec Arthur pendant 14 années, et pleure son absence : « Il me manque mon ami. Il me manque mon amoureux. Il me manque mon frère. » Quant aux sentiments de Hall, le frère d’Arthur, à l’égard d’Arthur, ils oscillent entre adoration, amour conjugal, narcissisme et idolâtrie aussi : « L’adoration est-elle un blasphème ou la promesse de la Gloire éternelle ?[…] Arthur est mon âme. La prunelle de mes yeux. » Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, ne sait pas quelle place il occupe dans le cœur de son « amant » Nicholas : souvenir d’enfance ? plan cul ? petit copain ? troisième roue du carrosse ? Grand Seigneur ? (« T’habites un château de contes de fées. » lui fait la remarque Nicholas) Impossible de répondre. Face à son amie Tereza, Phil ne sait même pas lui dire « s’il a un copain » ou pas : « Je ne sais rien de lui. J’ai l’impression de ne pas le connaître. » Et effectivement, le « couple » finira par imploser.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

La majorité des personnes homosexuelles ne savent pas qualifier la nature de leur relation amoureuse homosexuelle autrement que comme un fourre-tout sans beaucoup de goût :

 
 

a) Mon amant homosexuel est mon frère :

Je vous renvoie à l’essai Comme un frère, comme un amant (1993) de Georges-Michel Sarotte. Parfois, la relation qui se vit entre deux personnes homos d’un même couple est plus fraternelle qu’aimante : « Dans leurs lettres, Annemarie Schwarzenbach et Carson McCullers disent s’aimer ‘comme des frères’. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 98) ; « L’aspect physique excepté, nous ressemblions à des frères, des jumeaux inséparables. Entre nous, il s’agissait d’une histoire de famille, pas du compagnonnage des petites amours. Moins épuisé, je ne doute pas que Claude aurait répondu à l’infirmière curieuse : ‘Ce monsieur qui vient me voir tous les jours, c’est moi. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 20)

 
« Roissy, terminal 2. Une agent de sécurité vérifie nos passeports. […] Elle remarque que nous avons le même nom. Beaugrand-Gérin. ‘- Vous êtes frères ? Vous vous ressemblez !’ Je lance un regard amusé à Ghislain. ‘- Non. Nous sommes mariés !’ Le visage de la femme-colosse s’empourpre d’un sourire gêné. ‘- Oh. Pardon…’. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, où ce dernier raconte qu’il va cherche avec son « mari » leur enfant acheté par GPA aux États-Unis, Éd. Broché, Paris, p. 10).
 

b) Mon amant homosexuel est mon fils :

Quelquefois, l’amant homosexuel est considéré, par celui qui prétend l’aimer, comme le fils que leur couple n’accueillera pas. S’instaure alors dans le binôme homosexuel un processus d’infantilisation incestueuse (qui n’a pas forcément à voir avec la différence d’âges entre les partenaires, d’ailleurs : deux personnes du même âge peuvent tout à fait s’infantiliser l’une l’autre sans qu’intervienne le fossé des générations). « Je me sentais bien. L’étonnement, l’espoir, m’occupaient tour à tour pendant nos rencontres. Son âge ne devint plus alors le handicap qui parfois, me frustrait en sa compagnie. […] tel le culte paternel. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 124-125) Par exemple, Peter Pears dit de son compagnon Benjamin Britten qu’il « lui était dévoué comme un petit enfant passionné et proche » (cf. « Apuntes biográficos » de Benjamin Britten, sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, Xavier sort avec Guillaume « qui pourrait être son fils ».

 

FRÈRE 3

Lord Douglas et Oscar Wilde


 

En ce qui concerne le phénomène d’imitation du lien parent/enfant, Sigmund Freud décrit les sujets homosexuels comme des êtres qui ont tendance à se lancer à la poursuite d’objets de désir qui leur ressemblent afin de pouvoir « les aimer comme leur mère les a aimés ». Et on observe en effet que la relation mère/fils (ou plutôt l’image que certaines homosexuelles s’en font : à la fois une idéalisation excessive, et un modèle impérieux/oppressant) est très souvent transposée dans la relation amoureuse homosexuelle. L’amant est aimé par la personne homosexuelle comme cette dernière imagine qu’une mère chérit son fils : « Je suis arrivé à t’aimer si fort (plus que tout au monde) que je me suis donné l’ordre de ne t’aimer que comme un papa. » (cf. une lettre de Jean Cocteau à Jean Marais, citée dans l’article « Jean Marais » d’Arnaud Lerch, le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 312) ; « Ce que je cherche, c’est le droit d’aimer, non pas pour la seule jouissance physique, mais pour le droit de tenir quelqu’un dans me bras. […] Je réclame cela parce que je n’ai pas de fils. » (Havelock Ellis, L’Inversion sexuelle (1909), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 367) ; « Il va dans le noir de son passé égyptien et, comme ma mère, j’ai envie de prier pour lui, de le soutenir, de loin, de près. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Karim, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 65)

 

Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013, quand le romancier Jacques Vialatte a vécu sa première grande histoire avec un homme et qu’il signale qu’elle a duré 9 mois, la présentatrice Sophie Davant sort une boutade qui fait rire tout le monde, mais qui reste un beau lapsus : « Le temps d’une grossesse, quoi… » (… même si, dans son esprit, elle parlait certainement de la nouvelle naissance que constituerait le coming out ou la rencontre de « l’amour » homosexuel). Dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre, Patrick raconte comment un jour, pour mentir à un de ses collègues sur son homosexualité, il s’est senti obligé de faire passer son « conjoint » pour son fils afin de justifier son absence et de se rendre à l’hôpital assister son amant. Il s’en veut encore de sa lâcheté homophobe.

 

Dans les relations amoureuses que Magnus Hirschfeld, homosexuel notoire, a entretenues en Allemagne dans les années 1920-30, on observe presque toujours un décalage générationnel et paternaliste : « Le secrétaire de l’Institut est un certain Karl Giese. C’est l’amant préféré de Hirschfeld, de 30 ans plus jeune que lui (il a donc 21 ans en 1919). Il ne distingue par une nature hautement sensible. Il sert Hirschfeld dans tous les détails de la vie domestique. Il l’appelle « papa », comme beaucoup de gens à l’Institut à cause de son rôle paternel. Ou encore Oncle Hirschfeld. Un autre amant est très attaché au maître de céans ; il se surnomme Tante Magnesia. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 112) ; « C’est là que Magnus Hirschfeld rencontre Li Shiu Tong, surnommé Tao Li, un jeune étudiant en médecine qui devient son compagnon. L’écart d’âge entre les deux est de 40 ans. Tao Li a donc 25 ans au début de leur liaison. Liaison hors du commun, homosexuelle, interraciale, intergénérationnelle. En outre, elle n’est pas monogame, puisque Hirschfeld garde sa relation avec Karl Giese. Ce ménage à trois ne vivra pas sans problème. Hirschfeld entretient financièrement ses deux amants. » (idem, p. 113)
 
 

c) Mon amant homosexuel est un simple ami :

J’aborde de manière très détaillée dans le code « solitude » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels le fréquent mélange qui est fait dans les sphères relationnelles homosexuelles entre amitié et amour… à tel point que je dis que l’amitié est la grande oubliée/ennemie de la communauté homosexuelle, puisque la drague monopolise la grande majorité des rapports interpersonnels entre individus homos. Dès qu’ils s’entendent bien, les sujets homosexuels ont tendance à passer très vite à la vitesse supérieure, et à ne pas se laisser le temps de l’amitié ; ils deviennent parfois amis, mais ce sera après avoir couché ensemble. Et quand ils sont en couple, étant donné que l’amour qu’ils vivent n’est pas trépidant, il semble qu’il n’y ait que la génitalité qui les empêche de dire ouvertement qu’ils ne sont que « de simples amis et pas plus »… alors que c’est bien souvent le cas : y compris quand le feeling est bon entre eux, ils ne sont pas plus que de bons amis. Ils se rendent compte que, mis à part les moments de sexe et de sensualité clairement conjugaux, mis à part l’officialisation sociale de leur statut de « couple », rien ne les distingue d’un duo formé de deux meilleurs amis ; et après leur rupture, si elle arrive un jour, ils comprennent très vite qu’ils auraient mieux fait d’en rester à l’amitié plutôt que de chercher à simuler l’amour fou. Ils vivaient côte à côte, certes, mais objectivement, au niveau de la force de leur lien, rien ne les distinguait de deux colocataires ou de deux amis… « Nous n’existions plus ensemble. […] Bien pis, nous nous détruisions. […] Quel était le bon sens de cette forme d’amour ? Un amour-amitié ou un amour-passion. Certes, je ne voulais pas m’enfermer dans une définition. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa relation qui bat de l’aile avec son amant Yoro, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 140)

 

Cet « amour d’amitié » (détournement du beau Philia grec ou thomiste), cette « amitié forcée » (et du coup dénaturée), ces « amitiés particulières » (nom donné traditionnellement aux couples homos, et qui me paraît si révélateur !), font dire à certains penseurs que la notion de « couple homosexuel » est discutable, voire inappropriée pour deux personnes du même sexe qui décident de composer un ménage. Dans son essai Le Règne de Narcisse (2005), Tony Anatrella préfère le terme de « duo » à celui de « couple » pour qualifier une union entre deux hommes ou entre deux femmes. Et Chekib Tijani, l’auteur du très contesté essai 700 millions de GEIS (2010), va jusqu’à mettre le couple homosexuel sur le compte de la simple camaraderie travestie en « amour » : « Un gei [c’est ainsi que Tijani définit l’individu homo] qui est en relation avec un autre gei n’a pas le sentiment de vivre en couple, ce sont deux ‘copines’. » (p. 63)

 
 

d) Mon amant homosexuel est mon père :

Parfois, l’amant homosexuel est vraiment considéré comme un père de substitution par les personnes homosexuelles : « Rech. son père de substitu. » (cf. une petite annonce lue dans la revue Têtu, n° 127, novembre 2007, p. 200) ; « Aujourd’hui, c’est le 19 juin, la fête des Pères, et comme tu es mon Miam, mon papa Miam, je ne t’oublie pas. » (Julien à son amant Pascal Sevran, dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 169)

 

FRÈRES 5

 

Si vous regardez les photos de Virginia Woolf avec Violet Dickinson, il est assez frappant de voir leur posture et leurs attitudes : on dirait que la première est une petite fille fragile se réfugiant sous les jupes de sa maman. Woolf semble avoir reproduit le même schéma avec ses autres amantes : « J’aime être avec elle, j’aime sa splendeur. […] Il y a sa maturité et sa poitrine épanouie : le fait qu’elle navigue, toutes voiles dehors, en haute mer, alors que je me contente de caboter le long des côtes ; son aptitude, je veux dire, à prendre la parole devant n’importe quel auditoire, à représenter son pays… à surveiller l’argenterie, les domestiques, et les chows-chows, sa maternité aussi… bref, le fait qu’elle est (ce que je n’ai jamais été) une vraie femme. » (Virginia Woolf en parlant de Vita Sackville-West dans son Journal, le 15 septembre 1922)

 

FRÈRES 4

 

Dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), Paula Dumont parle d’un couple d’amies lesbiennes à elle, Martine et Huguette, dans lequel s’est instauré un rapport de fille/mère très prononcé : elle évoque chez Martine « son besoin de trouver une mère poule qui la protège » (p. 117). Dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy de l’émission Tel Quel diffusée sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012, Charlotte appelle son amante Marion « bébé ». Dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, on nous raconte la rencontre entre Nicolaus Sombart et son amant beaucoup plus âgé que lui Carl Schmitt. « Est-ce pour cette raison qu’il a cherché en Schmitt, son amant beaucoup plus âgé que lui, un père de substitution ? Il aurait pu être son fils. » (p. 273)

 

Souvent, l’amant est aimé par la personne homosexuelle comme cette dernière imagine qu’un fils aime sa mère : « J’aimerais être nourri par vous, c’est-à-dire que j’aimerais être nourri par vous comme par ma mère. » (un patient homo dans l’article « Le Complexe de féminité chez l’homme » (1973) de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 442) ; « C’était une relation maternelle entre elles deux. » (Marie-Jo Bonnet parlant de la relation « amoureuse » entre Yvonne de Bray et Violette Moriss, lors de sa conférence « Violette Moriss, histoire d’une scandaleuse » le 10 octobre 2011 au Centre LGBT de Paris) ; « Je t’ai protégé de tout, probablement trop. » (Pierre Bergé s’adressant à Yves Saint-Laurent, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc.

 

Cette configuration relationnelle particulière est explosive. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans parle des couples lesbiens et des fréquentes « associations d’une partenaire jeune et d’une autre plus âgée » (pp. 48-49) : « Dans un cas, la personnalité de la jeune femme est étouffée, jusqu’à la rendre incapable ‘éprouver les sentiments naturels d’amour et le désir d’un foyer normal ; dans l’autre, si elle parvient à s’arracher à l’emprise de la plus âgée, elle laisse dans la vie de celle-ci un vide qui ne pourra jamais être comblé. »

 
 

e) Mon amant homosexuel est mon maître et mon Dieu :

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles, si on prête un peu l’oreille, on a l’occasion d’entendre que le verbe « aimer » est régulièrement remplacé par le verbe « adorer ». La relation d’homme à homme (ou de femme à femme) est souvent envisagée comme une relation d’Homme à Dieu : « J’aimais vraiment Alfred. Ce n’est pas assez dire que je l’aimais, je l’adorais. » (Marcel Proust en parlant d’Alfred Agostinelli, son amant qui se tua en avion, cité dans l’article « Chronologie » de Jean-Yves Tadié, dans la revue Magazine littéraire, n°350, Paris, janvier 1997, p. 22) ; « C’est une famille qui s’aime. Non. Qui ne s’aime pas ; qui s’adore. » (un amie de Francesca, parlant de la « famille recomposée » du couple lesbien Francesca-Olga + Florence l’enfant obtenue par PMA, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy de l’émission Tel Quel diffuséesur la chaîne France 4 le 14 mai 2012) ; « Tout au fond de moi, je suis figée d’amour. Paralysée par l’adoration. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 45) ; « Ernestito tomba à genoux devant Nacho comme il aurait pu le faire devant un saint d’une religion inconnue. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 260) ; « Mon corps était devenu ton corps. Mais tu voulais encore et encore plus. Quoi, plus ? Je ne savais plus quoi te donner… Tu exigeais que je sois là pour toi, tout le temps. Je l’ai fait. Avec plaisir. Avec amour. Avec dévotion, je t’aimais. Je t’adorais. J’ai quitté les autres, ma vie, mon chemin dans Paris, mes projets, pour toi. » (Abdellah Taïa s’adressant à son « ex » Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe, 2008) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 
 

f) Mon amant homosexuel est un peu tout et rien à la fois :

La relation entre amants homosexuels est en général ludiquement/amoureusement indéfinie : « Adieu aux baisers de mon tonton, pardon, de mon parrain. » (Kamel en parlant à/de son amant Christian, dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 164) ; « Manolo a toujours été mon père, mon frère, mon compagnon, mon mari, toute ma vie. » (Juan Rodríguez parlant de son copain décédé, Manolo, dans le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta sur la chaîne Play Cuatro, juin 2011) ; « Hubert fut mon ami, mon amant, le grand frère bienveillant qui m’a tant manqué lorsque j’étais enfant, et, qui sait ?, le père qui a disparu, qui sermonne et protège. » (Jean-Luc Romero, On m’a volé ma vérité (2001), p. 40) ; « Je pense à lui comme le grand frère qui m’a manqué, comme l’ami protecteur qui aurait pu m’aider. » (Kim Pérez Fernández-Figares, homme transsexuel, à propos de son amant Philippe, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 254) ; « La recherche d’un ami, d’un héritier spirituel, d’un compagnon et amant choisi à la fois pour sa beauté, son talent et sa distinction l’obsède. » (Michel Larivière parlant de l’écrivain français Robert de Montesquiou, dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997), p. 252) ; « Les hommes que j’érotisais ressemblaient à mon père, à mon frère surtout. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (2008) de Michel Dorais, p. 249) ; « J’ai fini par adopter les codes des garçons : marcher comme un mec, parler comme mon père et mes frères, regarder les filles comme mon père et mes frères les regardaient, me battre avec les copains comme un vrai mâle. » (une amie lesbienne, Stéphanie, 31 ans, en 2012) ; « Pierre est un compagnon. Et il est devenu un partenaire avec le PaCS. Et ensuite il sera mon mari. » (Bertrand dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « Comment t’appeler ? Frère de sang ? Frère de lait ? Copain, ami, amour ? » (c.f. la chanson « Copain ami amour » de Dave) ; etc.

 

Au départ, ça a l’air « fort », ce lien amoureux qui s’étire à foison dans l’envolée lyrique (« Tu es mon Tout, mon Roi, ma Lune, mon Ciel étoilé… »), qui semble exprimer une profonde plénitude. En réalité, quand on regarde les faits et ce que vivent véritablement les amants homosexuels, on se rend compte qu’il existe une forme de compromis incestueux, d’arrangement qui ressemble à de l’amour parce qu’en apparence il contente les deux membres du couple, mais qui au final est une paix bancale : « Martine, qui cherchait désespérément la mère qui l’avait abandonnée à trois jours, m’avait rencontrée fort à propos. Sous cet angle, nous étions complémentaires, moi qui jouais le rôle de l’adulte sérieuse et responsable et elle qui était perpétuellement en quête de protection. » (Paula Dumont dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 231) ; « Je voudrais rapporter le cas, que j’ai pu observer récemment, d’un jeune homme, fiancé à une jeune femme de la façon la plus bourgeoise, et qui tombe amoureux d’un homme plus âgé que lui, qu’il prend de son propre aveu d’abord pour modèle, puis pour maître et enfin pour amant. Cet amant lui-même, bien que ‘purement homosexuel’, me racontera plus tard que, nullement attiré par mon malade au départ, il n’avait été intéressé que par la présence de sa fiancée et la situation triangulaire créée lors d’un dîner. Lorsque le malade, jaloux de son amant, abandonna pour lui sa fiancée, cet amant se désintéressa complètement de lui. Interrogé par moi sur les raisons de ce revirement, il me dit : ‘L’homosexualité, croyez-moi, c’est vouloir être ce que l’autre est.’ » (Jean-Michel Oughourlian cité dans l’essai Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) de René Girard, pp. 469-470) ; etc. En fait, ce n’est pas parce qu’il y a consentement mutuel pour s’exploiter l’un l’autre, ou pour jouer vis à vis de son partenaire un rôle qui ne nous revient pas mais qui anesthésie pour un temps les problèmes, que l’exploitation et la comédie disparaissent et cessent d’entretenir le couple homosexuel dans le mensonge identitaire. Bien au contraire ! La barque se charge petit à petit.

 

FRÈRE 6

Christopher Isherwood et Don Bachardy


 

Bien souvent, sans même qu’elle puisse en parler directement à son partenaire, la personne homosexuelle se demande quelle est sa place dans son couple, quel rôle elle joue, quelle importance elle a aux yeux de son « chéri ». Cela peut engendrer en elle un questionnement très obsédant (j’ai connu personnellement ces bouffées d’angoisse quand je me voyais infantilisé ou traité de « petit écureuil » ou de « Titi » par certains de mes ex-amants !), mais aussi très libérant si elle se pose les bonnes questions. Elle peut mesurer qu’en donnant différents masques inappropriés à son amant, elle est entrée dans une comédie amoureuse qui flatte deux narcissismes, mais qui ne permet à aucun des deux partenaires du couple homo de se sentir pleinement à sa place : « Bien élevé. Énarque. Suffisamment jeune. Suffisant riche. Suffisamment beau. Supérieur. C’est pour ça qu’avant j’avais choisi Quentin. Supérieur, il l’était dans tous les domaines, enfin c’était ce qui me semblait à l’époque. Il avait 26 ans, moi 23. Il était beau. Il savait ce qu’il y avait de meilleur. Il suffisait de le suivre. Le seul problème c’est que Quentin avait si peur des gens qu’il se sentait obligé de les détruire. Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) ; « Aux côtés d’hommes, je m’ennuie très rapidement. Même en présence d’homosexuels. Je les considère comme des pères ou frères. Je dois coucher avec des hommes qui n’affrontent pas la vie. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, en revenant sur les fonctionnements complexes de leur couple, parle de ce décalage engendré par l’accumulation de rôles, et qui surcharge la structure conjugale homosexuelle sur la durée, au point de la rendre soit impossible et non-viable, soit hyper compliquée et lourde-dingue : « J’ai tenu comme j’ai pu. J’ai arrêté de travailler. Je suis devenu une petite femme. Ta conception de la femme. Je suis devenu Saâd, ton copain d’enfance. Je suis devenu une sculpture entre tes mains. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 117) Dans l’essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, Catherine est très ambiguë et torturée avec son amante Paula, alors que pourtant elle se veut d’une grande sincérité et d’une totale franchise. On a l’impression qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut. À la fois elle revient chroniquement vers Paula pour lui dire qu’elle l’aime d’amour (« C’est une forme d’amour, tu es de ma famille. », p. 167), mais elle refuse de lui appartenir et ne veut pas s’engager parce qu’elle ne se sent pas exactement amoureuse (« Ce que j’éprouve et éprouverai toujours pour toi, c’est de la tendresse », p. 184) Si elle fait un pas, c’est pour mieux reculer de trois pas ensuite. À quel jeu joue-t-elle ? Au fond, ce n’est pas tant qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut, ni qu’elle serait vraiment compliquée par nature ; il y a chez elle comme un mécanisme vital de résistance à l’entreprise homosexuelle de travestissement de l’amour, un juste rejet du contrat préétabli de la félicité homosexuelle tendu par une personne en face qui la couve du regard et qui prétend l’aimer à condition qu’elle endosse la pile très pesante de masques qui ne lui vont pas : le masque de la sœur, de la bonne copine, de la mère de substitution, de la sœur, de la fille, de la maîtresse, de la déesse, de la star, de l’amie.

 

Cette indécision de l’amant homosexuel qui se dérobe, qui glisse des doigts comme un savon, et qui fait vivre les montagnes russes émotionnelles à son compagnon qui veut le faire rentrer dans son jeu de rôles incestueux/amoureux pour mieux le posséder, semble insupportable, égoïste, insensée. Mais au fond, elle vaut de l’or, car elle nous rappelle qu’on ne peut pas tricher longtemps en Amour, et que le désir homosexuel est un désir tellement « touche-à-tout d’Humanité » qu’il finit par ne plus toucher grand-chose ni grand monde.

 
 

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Code n° 80 – Fresques historiques (sous-codes : Antiquaire homo / Scarlett O’Hara / Temps / Instant / Futurisme)

fresques his

Fresques historiques

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

L’espace-temps sentimentalisé et déréalisé

 

Sketch "Les Antiquaires" de Michel Serrault et Jean Poiret

Sketch « Les Antiquaires » de Michel Serrault et Jean Poiret


 

Quand on ne s’aime pas assez soi-même, qu’on s’éloigne de sa réalité sexuée et de la différence des sexes qui nous fonde, il n’est pas étonnant que l’on fuie dans le même mouvement la différence des espaces… et celle qui lui est concomitante : la différence des temps (passé, présent, futur) ! Ce code « Fresques historiques » se propose justement d’analyser le curieux rapport des personnes homosexuelles au temps (je dis « curieux » car il est de type idolâtre, c’est-à-dire d’adoration-répulsion-déni). Elles ont tendance à remplacer le trio (de l’Éternité !) passé-présent-futur par leur caricature passéisme-instant-futurisme (passéisme qui prendra souvent la forme du conservatisme de l’antiquaire : nous étudierons d’ailleurs la figure de l’antiquaire homosexuel). Autrement dit elles tendent à s’enfermer dans un passé mythique imaginaire pour mieux nier leurs véritables racines et histoires ; à se noyer dans la consommation pour mieux nier leur réalité quotidienne – au nom pourtant d’un hédonisme qui paradoxalement met la dégustation de « l’instant présent » au centre, le fameux Carpe Diem du bobo… – ; à s’annuler toutes perspectives d’avenir durable et heureux par une promotion pourtant obsessionnelle du progrès et par une fuite constante en avant (= « ça ira mieux demain, on ne sait pas de quoi demain sera fait, je suis en perpétuelles déconstruction et reconstruction, j’ai toute la vie devant moi pour m’éclater. »). Les époques convoitées par le public homosexuel ont souvent trait avec les civilisations héliocentriques (culte solaire), telles que la Grèce Antique, les Incas ou l’Égypte Ancienne.

 

Stéphane Bern à la Cour de Versailles

Stéphane Bern à la Cour de Versailles (Pas l’air tarte… ^^)


 

Le déni homosexuel concernant le Réel et Ses limites est particulièrement observable à travers le traitement de la mémoire opéré par la communauté homosexuelle. Beaucoup de ses membres refusent catégoriquement de poser un regard sur leur passé. Ils réécrivent souvent leur histoire personnelle sous forme de légende noire, comme si leur jeunesse « hétérosexuelle » n’avait été que mensonge, ou au contraire idyllique. Le passé qu’ils ressuscitent est prioritairement mythique, sentimental, impersonnel et folklorique. J’en tiens pour preuve la passion qu’énormément d’artistes homos développent pour les grandes fresques historiques kitsch (la Rome et la Grèce antiques, la Guerre de Sécession nord-américaine avec Scarlett O’Hara, la Révolution française, le règne de Sissi Impératrice, etc.). La reconstitution des temps dits « anciens » sert en général à la contemplation narcissique et à la fuite de la Réalité. La majorité des personnes homosexuelles partent, comme Marcel Proust, « à la recherche du temps perdu », mais en réalité pour ne pas affronter ce qu’elles ont à vivre dans le présent. Le travail de réactivation de la mémoire tel qu’elles le conçoivent n’est pas un acte volontaire et libre : le passage de la dégustation de la madeleine de Proust le montre parfaitement. Il est principalement impulsé par le culte de l’instant, la tristesse nostalgico-anachronique, et le désir d’isolement social. Il a donc peu à voir avec la vraie mémoire, celle qui fait aimer l’Humanité, qui est partiellement intelligible et contrôlée par le Désir. Pour beaucoup d’entre elles, « l’histoire officielle est une hallucination » (le poète argentin Néstor Perlongher, dans l’article « Néstor Perlongher : La Parodia Diluyente » de Miguel Ángel Zapata) et la tradition se confond avec le « détritus » (idem).

 

Il n’y a que l’instant, le ressenti sensoriel immédiat et l’imaginaire qui, en théorie, sont capables d’abolir le Temps. Mais ceci n’est vrai que si ceux-ci ne tiennent pas compte de l’Incarnation concrète du Temps dans laquelle ils s’inscrivent pourtant nécessairement.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Déni », « Faux intellectuels », « Artiste raté », « Peinture », « Pygmalion », « Wagner », « Parricide la bonne soupe », « Télévore et Cinévore », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Oubli et Amnésie », « Parodies de Mômes », « Fan de feuilletons », « Collectionneur homo », « Faux Révolutionnaires », « Jardins synthétiques », « Se prendre pour Dieu », « Animaux empaillés », « Poupées », « Planeur », « Entre-deux-guerres », « Reine », « Voyage », « Femme au balcon », « Bobo », « Grand-Mère », « Éternelle jeunesse », « Bovarysme », « Médecin tué », « Différences culturelles », « Conteur homo », « Voyante extra-lucide », à la partie « Cuculand » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », à la partie « Stars vieillissantes » du code « Actrice-Traîtresse », à la partie « Extra-terrestre » du code « « Plus que naturel » », à la partie « Décorateur homo » du code « Maquillage », à la partie « Fixette sur un amant perdu et déifié » du code « Clonage », à la partie « Grands Hommes » du code « Défense du tyran », et à la partie « Travestissement » du code « Substitut d’identité » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le passé désincarné, idéalisé ET méprisé :

Vidéo-clip de la chanson "Remember The Time" de Michael Jackson

Vidéo-clip de la chanson « Remember The Time » de Michael Jackson


 

Dans la fantasmagorie homosexuelle, le personnage homosexuel adopte souvent une conception mythologique, hachée et sentimentaliste du Temps. Il rentre (ou s’imagine rentrer) dans un espace-temps totalement littéraire et folklorique, comme s’il était dans la Machine à remonter le Temps : cf. le roman Le Parcours du rêve au souvenir (1895) de Robert de Montesquiou, le film « Le Nom de la Rose » (1986) de Jean-Jacques Annaud, le vidéo-clip de la chanson « It’s A Sin » du groupe Pet Shop Boys, la chanson « Sadness » du groupe Enigma, la comédie musicale Graal de Catherine Lara, le vidéo-clip de la chanson « Vogue » de Madonna façon « Cour sous Louis XIV » dans le MTV Show en 1990, la chanson « Le Boulevard des rêves » de Stéphane Corbin, la publicité Pepsi (2002) de Britney Spears, la tournée Aphrodite (2011) de Kylie Minogue, le vidéo-clip des chansons « Remember The Time » et « Black Or White » de Michael Jackson, le recueil Poèmes saturniens (1866) de Paul Verlaine, Les Chevaliers de la Table ronde (1933) de Jean Cocteau, les chansons « Libertine », « Pourvu qu’elles soient douces », et « Jardin de Vienne » de Mylène Farmer, le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo (avec l’attirance pour la culture gréco-latine), les tableaux et les textes modernistes du XIXe siècle, le vidéo-clip de la chanson « Sobreviveré » de Mónica Naranjo, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Games That Lovers Play » (1971) de Malcolm Leigh, le film « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey (avec l’Égyptien efféminé), le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, le film « Le Grand Blond avec une chaussure noire » (1972) d’Yves Robert, les tableaux Les Hardlanders de Thierry Brunello, les photos Statue Series (1983) et Athena (1988) de Robert Mapplethorpe, le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly (avec le décor gréco-romain de la boîte gay Le Guet-Apens de Pedro), le film « Maurice » (1987) de James Ivory (avec Clive, le fan de Grèce antique), les films « In & Out » (1997) et « Joyeuses funérailles » (2007) de Frank Oz, le roman Le Chant d’Achille (2014) de Madeline Miller (revisitant l’Iliade et la Guerre de Troie en se concentrant sur une histoire d’amour entre Achille et Patrocle), la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi (sur fond de nostalgie rétro années 1930 à Paris), le roman Les Nouveaux nouveaux Mystères de Paris (2011) de Cécile Vargaftig (qui est un voyage dans une machine à remonter le temps), le roman Reise In Die Vergangenheit (Le Voyage dans le passé, 1929) de Stefan Sweig, etc.

 

 

Beaucoup de personnages homosexuels sont en quête non pas de la véritable histoire mais d’un super-primitivisme (une préhistoire forcée et construite par la panmythologie) qui va leur permettre de se rendre créateurs de leur propre existence (cf. le noachisme antéchristique). Par exemple, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Guillaume, le héros homosexuel, voit la préhistoire comme une « multitude d’accouplements » bisexuels. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino Oliver, le personnage homo, est expert en Grèce Antique et en archéologie. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf écrit en 1929 une autobiographie, Orlando, où elle se met dans la peau d’un homme du XVIe siècle qui change de sexe.
 

Quand le héros homosexuel se tourne vers le passé, ce n’est pas tant pour l’honorer dans sa réalité que pour l’édulcorer, le noyer dans la nostalgie, le passéisme, les larmes, la reconstitution folklorique en carton-pâte ou bas-relief, la culpabilité, l’orgueil narcissique : « J’aimerais pouvoir remonter le temps. » (Delphine, l’héroïne lesbienne, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; « Je réalise que ce n’est pas la vie qui est importante – mais les souvenirs. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 194) ; « Pourquoi cette attirance pour les musées ? Il ne l’a jamais su. » (la voix-off de la mère de Bertrand, parlant de son fils, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; « Mon frère est un sentimental, il s’accroche aux souvenirs comme le caramel à la casserole ! » (un des héros de la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 15) ; « Toi Sodome, moi, Gomorrhe. Hein, Sodomette ? » (Jézabel, l’héroïne bisexuelle s’adressant à son pote gay Greg, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Mon émerveillement ne faisait que commencer. Les salles, ornées de fresques grandioses, auraient mérité la visite à elles seules. » (Éric, le narrateur homo parlant de la Villa Borghese, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 20) ; « Après le repas, Ethan reste seul à la table du Samothrace. Il laisse son regard se perdre dans les fresques. Tout doucement, il s’imagine à la grande époque grecque, lorsque le sanctuaire des Grands Dieux était en activité sur l’île de Samothrace. Il se demande quelle place il aurait occupé dans cette société. Comme beaucoup de gens, il ne s’imagine pas en simple paysan travaillant la terre. Il aurait plutôt été de ceux qui gravitaient dans les hautes sphères du pouvoir. Sans doute aurait-il tenu le rôle de grand prêtre. […] Il s’imagine habillé comme dans les péplums, d’un minimum de tissu, tous muscles dehors et il serait entouré par des femmes aussi belles que les représentations d’Athéna. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 64) ; « La fresque la plus imposante du lieu [le café Samothrace] représente la Grand-Mère. Elle est mise en scène de la manière la plus traditionnelle qui soit : assise, avec un lion à ses côtés. Son nom secret, dévoilé uniquement aux initiés, est Axieros et elle est la maîtresse toute puissante du monde sauvage. » (idem, p. 54) ; « Ahmed tourne le regard vers la Seine et l’île de la Cité, avec la Cathédrale Notre-Dame. Il se demande s’il y a encore un Quasimodo qui y vit, prêt à tout par amour pour lui. Il s’imagine en un grand Tzigane ténébreux et sensuel, dansant sur le parvis, mais en pleurs parce que son beau Phébus l’a laissé pour épouser un autre garçon, Fleur-de-Lys, alors qu’il est lui-même poursuivi par Frollo, un prêtre déterminé à en faire son amant secret. Dans ses fantasmes, l’Algérien adapte sans gêne les grands classiques français à sa guise ! » (Ahmed, le héros homosexuel du roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 52) ; « Les débris avaient été poussés dans les coins, quelques cartes postales et des photographies de magazines avaient été punaisées sur les murs. Une fresque d’amateur s’épanouissait sur l’un d’eux. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 239) ; « Si j’avais une machine à remonter le temps, j’irais nulle part. » (Shirley Souagnon disant qu’à toutes les époques elle aurait été persécutée, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Il y a trop de personnes appartenant à mon passé que je n’ai plus jamais envie de voir pour que j’aie un compte Facebook. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 191) ; etc. Par exemple, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2009), Océane Rose-Marie décrit la déco mérovingienne chez Chrysanthème, une de ses amies lesbiennes. Dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm (dans l’épisode 3 de la saison 1), Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, a dirigé des fouilles archéologiques à Carthage pour le musée du Louvre… et c’est là-bas qu’il a connu sa première expérience homosexuelle. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ted, l’un des héros homos, est scotché à sa télé devant Games Of Thrones, et se dit fan de Daenerys Targaryen, « la princesse exilée » : « Je l’adore ». Il se déguise même avec des costumes péplum chez lui.

 

La délicieuse peste Scarlett O'Hara dans le film "Gone With The Wind"

La délicieuse peste Scarlett O’Hara dans le film « Gone With The Wind »


 

En bonne Drama Queen qui se respecte, le personnage homosexuel s’identifie parfois à la Scarlett O’Hara du film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming et à l’époque de la Guerre de Sécession nord-américaine : cf. le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault, le film « Saved By The Belles » (2003) de Ziad Touma, le film « Sylvia Scarlett » (1935) de George Cukor, la chanson « Scarlet Woman » du groupe Taxi Girl, le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, le vidéo-clip de la chanson « Un point c’est toi » de Zazie, le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon, le roman Tiempos Mejores (1972) d’Eduardo Mendicutti, le film « Scarlet Diva » (2000) d’Asia Argento, le film « A Bit Of Scarlet » (1996) d’Andrea Weiss, la chanson « It’s All Coming Back To Me » de Céline Dion, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (avec « Scarlett », la chienne de Julie), la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec le Petit Chaperon Rouge en Scarlett), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (où Patrick Laviosa joue au piano « Autant en emporte le vent »), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec Madeleine O’Hara, la femme rousse violée), etc. « J’ai regardé ‘Gone With The Wind’ à 7 heures du matin. » (Jean-Marc, le narrateur homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 204) Par exemple, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, Émilie, l’amante secrète de Gabrielle, compare la résidence (« Bois-Rouge ») de cette dernière à « Tara, la propriété de Scarlett O’Hara, dans ‘Autant en emporte le vent’. Cela ne lui avait pas déplu, à elle [Gabrielle], d’être comparée à Scarlett de façon indirecte… » (p. 50) Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, propose à Mme Schmidt, une passagère à mobilité réduite, une occupation : « Tu verras, c’est génial, y’a le film ‘Autant en emporte le vent’. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca rentre dans la peau d’une actrice vieillissante qui fait des publicités, Marie-Astrid : « Dans ‘Autant en emporte le vent’, en 1939, c’est moi qui faisais le vent. »

 

Le protagoniste a tendance à se réfugier dans un monde de dînettes digne des petites filles modèles de la Comtesse de Ségur. On retrouve la passion pour l’époque de l’impératrice Sissi chez le personnage de JP dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, ainsi que le goût pour la mythologie bavaroise « à la Heïdi » à travers l’intérêt de beaucoup de personnes homosexuelles pour le film « The Sounds Of Music » (« La Mélodie du bonheur », 1965) de Robert Wise (cf. la chanson « So Lang’ Man Traüme Noch Leben Kann » du groupe Münchener Freiheit, le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, etc.). « Moi, j’étais de plain-pied avec les héroïnes de la comtesse de Ségur. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 39) ; « Bonsoir, Fairwell, Aufwiedersehen, goodbye… » (le diable et l’ange chantant la « Mélodie du bonheur » à Maxence dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; etc.

 

 

Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque célèbre les chanteuses de son enfance (Dorothée, Chantal Goya, Mylène farmer, etc.) et les dessins animés (Candy, les Schtroumpfs). Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur homosexuel, organise des soirées revival années 1980, et débarque déguisé en Princesse Sarah.

 

Notre héros homosexuel se met en mode « J’écris mes mémoires, à la lumière de la bougie (… à 19 ans, au XXIe siècle) », et s’imagine à des époques qu’il n’a même pas connues : « Je suis né à Paris à la fin du siècle dernier… Curieuse phrase et cette impression d’ancien combattant qui va raconter sa guerre ! Finalement, ça me va bien. Je ne l’ai pas toujours été. Je n’en avais pas très envie. Combattant. Je le suis devenu contraint et forcé le jour où j’ai décidé que je ne me laisserai plus faire, ni influencer ni modeler comme je ne voulais pas, comme je ne pouvais pas. » (le jeune Bryan, 16 ans, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 18)

 

C’est l’attrait passéiste qui semble le moteur de la formation du couple homosexuel fictionnel. Par exemple, à la toute fin du film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo et Gabriel, une fois en couple, font un exposé en classe sur l’Histoire de Spartes et la relation entre soldats. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah demande une aide aux devoirs d’histoire à sa future amante Charlène.

 

Film "Maurice" de James Ivory

Film « Maurice » de James Ivory


 

C’est un peu ridicule, ce jeu de rôle sincère. Certains héros homosexuels finissent par s’en rendre compte. Par exemple, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, Glen, pour se moquer du mobilier archaïque de l’appartement de son amant Russell, ironise : « T’as braqué un vide-grenier ? »

 
 

b) L’antiquaire homosexuel :

Cet enfermement immature et irréaliste dans des passés picturaux ou cinématographique ressort et est rappelé par un personnage bien connu de l’inconscient collectif au sujet de l’homosexualité : dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques apparaît la figure de l’antiquaire homosexuel : cf. le film « Les Arnaud » (1967) de Léon Joannon (avec Josseron l’antiquaire homo), la chanson « La Grande Zoa » de Régine, le film « L’Innocent » (1976) de Luchino Visconti, le film « Il y a des jours… et des lunes » (1989) de Claude Lelouch (avec Francis Huster en prêtre en couple avec un antiquaire), le film « Le Troisième Sexe » (1959) de Veit Harlan (avec le personnage de Boris), le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « Blacula » (1972) de William Crain, le film « Cent francs l’amour » (1985) de Jacques Richard, le film « Paradis perdu » (1939) d’Abel Gance, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Via Margutta » (1959) de Mario Camerini, le film « Professeur » (1972) de Valerio Zurlini, le film « L’Oiseau au plumage de cristal » (1968) de Dario Argento, le film « Diaboliquement vôtre » (1967) de Julien Duvivier (avec l’antiquaire joué par Claude Piéplu), le film « Gang Anderson » (1971) de Sidney Lumet (avec Martin Balsam), le film « Spéciale Première » (1974) de Billy Wilder, le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, le film « J’en suis » (1996) de Claude Fournier, le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (avec la mention d’un antiquaire homo), le film « Mon meilleur ami » (2006) de Patrice Leconte (avec le marchand d’art joué par Daniel Auteuil), le film « Faustrecht Der Freiheit » (« Le Droit du plus fort », 1975) de Rainer Werner Fassbinder (avec l’antiquaire homo Max), le roman Oh ! Boy ! (2000) de Marie-Aude Murail, le roman La Ligne de beauté (2008) d’Alan Hollinghurst (où Nick, le héros gay, est fils d’un antiquaire), le roman Le Malfaiteur (1948) de Julien Green, etc.

 

« C’est des enculés antiquaires ! » (Fifi en parlant des homos, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Elle doit me prendre pour un antiquaire, elle me dit que les seules folles qu’elle a comme clientes sont plus ou moins brocanteuses Porte-Clignancourt. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 87) ; « Moi, je voulais être antiquaire. Avec rien que de l’ancien. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je suis devenu antiquaire. Nous sommes, avec mon compagnon Raymond, spécialisés dans le Charles X. » (Laurent Spielvogel imitant André, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « On peut la retrouver rue des saint pères. Décorateur et antiquaire. » (cf. la chanson « La Grande Zoa » de Régine) ; etc.

 

S’il n’est pas antiquaire, le héros homosexuel en a au moins l’ambition : cf. la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec Vivi qui fait les brocantes), le film « Une Femme un jour » (1977) de Léonard Keigel (avec la brocanteuse Nicky), le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec le duo d’experts artistiques Sulky et Sulku), etc. « J’adore les antiquités. » (Thomas dans la pièce L’Anniversaire (2007) de Jules Vallauri) ; « J’adore les antiquités. » (un des personnages homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; etc.

 

FRESQUES Emory

Michael et Emory dans le film « The Boys In The Band » de William Friedkin


 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, l’un des héros homosexuels – le plus maniéré –, est antiquaire… mais il a apparemment un problème avec la différence des temps : « Le dernier bouquin que j’ai commencé à lire, c’était en 1912.»

 
 

c) Le Présent réduit à la pulsion de l’instant :

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Le héros homosexuel ne vit pas davantage au présent, qu’il délaisse au profit de l’instant, de la sensation immédiate, de la pulsion : cf. le ballet Alas (2008) de Nacho Duato (avec l’insistance sur l’instant), la chanson « L’Instant X » de Mylène Farmer, la chanson « Vertige » de Mylène Farmer, le roman Un Instant d’éternité (1988) d’Edgar Morgan Forster, etc. « J’avais de la difficulté à vivre le moment présent […]. Vivre rétrospectivement a toujours été l’un de mes plus graves défauts. […] Déjà, enfant, ma mère me reprochait d’être trop impatient. » (Jean-Marc, le narrateur homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 59) ; « Instant présent, tu es l’essence du voyage. » (cf. la chanson « Vertige » de Mylène Farmer) ; « Lorsqu’on s’y attend le moins, traverser Paris en courant, sur la seule magie d’un instant, du message clair de tes yeux. » (cf. la chanson « au Jack au mois d’avril » d’Étienne Daho) ; « Je choisissais les plus beaux et vivais une intense aventure de dix secondes avec chacun. » (le narrateur homo parlant du jeu des regards à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; « Il faut profiter de l’instant présent. » (Evelyn, la veuve gay friendly du film « Indian Palace » (2012) de de John Madden) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny et Romeo, en sortant ensemble, sont, selon la définition du premier, rentrés dans un rêve (« Il n’y a pas de notion de temps dans les rêves. ») puisque Roméo lui dira peu après : « On a perdu la notion du temps. »

 

Derrière l’éloge de l’instant, qui a l’air positif et enchanteur, se profile la croyance désenchantée en la vacuité de l’existence, en l’impermanence de l’amour : « Pas de passé, pas d’avenir. Pas de passé, pas d’avenir. » (cf. Johnny Rockfort dans la chanson « Banlieue Nord » de l’opéra-rock Starmania) ; « L’agitation du café retombe un peu, étrangement. On dirait, tout à coup, que la pudeur reprend ses droits dans une sorte d’assourdissement des conversations. […] Mon regard s’évade. Vous demandez : à quoi pensez-vous ? Je réponds : précisément, à rien. Je regarde ce monde autour de nous, ce monde singulier des gens dans les cafés, ce monde qui est un instant, une réunion du hasard. Je pense que nous n’aurons plus jamais la compagnie qui est la nôtre en ce moment, que ceux qui sont ici, dans ce lieu, ne se connaissent pas entre eux, qu’ils se trouvent ensemble par coïncidence, qu’ils se disperseront sans éprouver un sentiment de perte, qu’ils ne se reverront pas, que cette assistance n’existe que le temps de boire un café, lire un journal, rédiger du courrier, raconter une enfance. Et c’est une idée qui m’intéresse, sans que je sache expliquer pourquoi. » (Vincent s’adressant à son amant Marcel Proust dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 59)

 

Souvent, le héros homosexuel individualise le temps en propriété privée, en possession individualiste fugace, en mixture confuse entre passé/présent/futur célébrant l’éclat de l’Instant et de la Sensation immédiate : « De l’art dans chaque souvenir. […] Tout s’est rassemblé. Comme un musée de mon histoire, un art contemporain. » (le comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’ai eu un rêve. Le passé et le présent se confondaient. » (Maria, l’héroïne lesbienne dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas) ; etc. Par exemple, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, Vincent, le héros homosexuel établit son propre calendrier et se croit « en l’an 17 de son temps » (p. 63). Dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus fusionnent le monde de la Seconde Guerre mondiale et l’ère du numérique internet.

 
 

d) Le Futur réduit à une projection fantasmatique :

L’accueil que réserve le héros homosexuel au futur n’est pas meilleur que celui offert au passé et au présent… car sa fuite en avant se vit dans la rupture avec un passé diabolisé ou dans l’absence de conscience du Réel : « Je tuerai le passé. Lorsqu’il sera mort, je serai libre. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Je ne crois pas que le passé compte, murmure Simon, après on va rentrer dans des trucs psychologiques, le gourou Freud, tout ça, c’est une secte pour moi. » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 33) ; « Dans l’rétro ma vie qui s’anamorphose. » (cf. la chanson « California » de Mylène Farmer) ; « Ma mémoire aux portes condamnées, j’ai tout enfoui les trésors du passé. Les années blessées. Comprends-tu qu’il me faudra cesser… » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « La robe rouge du passé t’enserre, t’étouffe. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Qu’est-ce que je vous ai fait ? Parce que j’ai dû vous infliger quelque humiliation dans le passé dont je ne me souviens pas ou qui m’a échappé. » (la Comédienne s’adressant à sa sœur Vicky dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M noircit le tableau de son passé, évoque « le souvenir de l’enfermement dans lequel elle a passé son enfance ».

 

Le héros homosexuel désire tout simplement l’abolition du Temps : « Peut-être nous nous trouvions dans un temps passé ou futur que jamais mémoire d’homme n’avait enregistré (c’était là mon souhait secret). » (Gouri, le narrateur homosexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 125) ; « It’s too late. I’m in love. » (Charlène s’adressant à son amante Sarah au moment de l’embrasser, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; etc.

 

On entend souvent dans les chansons homo-érotiques qu’« il est trop tard » (cf. les chansons « La Veuve noire », « L’Horloge », « Allan » et « City Of Love » de Mylène Farmer ; « C’est trop tard » d’Alizée), parce que bon nombre de personnages homosexuels voient le Temps comme un ennemi (cf. Je vous renvoie à la partie sur la peur-panique de vieillir dans le code « Éternelle jeunesse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Beaucoup de films et de romans à thématique homo-érotique choisissent un cadre futuriste pour traiter d’homosexualité : cf. le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, la trilogie « Dead Or Live » (1999-2002) de Takashi Miike, le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le film « Metropolis » (1927) de Fritz Lang, le film « Le Cinquième Élément » (1997) de Luc Besson, le film « Papa, il faut que j’te parle… » (2000) de Philippe Becq et Jacques Descomps, le film « Amidonnée » (2001) de Cath Le Couteur, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario, le film « Fresh Kill » (1994) de Shu Lea Cheang, le film « Clandestino Destino » (1987) de Jaime Humberto Hermosillo, le film « Dandy Dust » (1998) d’Hans A. Scheirl, le film « Tigerstreifenbaby Warter Auf Tarzan » (1998) de Rudolf Thome, le film « Hey, Happy ! » [2001) de Noam Gunick, le film « Priscilla, folle du désert » (1994) de Stephan Elliott, le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, etc. Par exemple, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria va voir au cinéma un film de science-fiction dans lequel Jo-Ann, sa jeune et future partenaire de théâtre (avec qui elle jouera un couple lesbien), interprète une super-héroïne aux pouvoirs destructeurs.

 

Ce n’est pas hasard si les œuvres de science-fiction abordent souvent le sujet de l’homosexualité : cf. la pièce La Revolución (1972) d’Isaac Chocrón, le film « G.O.R.A. » (2003) d’Omer Faruk Sorak, le roman Venus Plus X (1960) de Theodore Sturgeon, le roman The Crooked Man (1955) de Charles Beaumont, la nouvelle The Crime And Glory Of Commander Suzdal (1964) de Cordwainer Smith, le roman La Main gauche de la nuit (1969) d’Ursula K. LeGuin, le roman When It Changed (1969) de Joanna Russ, le roman Dhalgren (1976) de Samuel R. Delany, les romans 334 (1976) et On Wings Of Songs (1979) de Thomas M. Disch, le film « Barbarella » (1968) de Roger Vadim, le film « Space Thing » (1968) de B. Ron Elliott, le film « Nowhere » (1997) de Gregg Araki, « (T) Raumschiff Surprise-Periode 1 » (2004) de Michael Herbig, etc.

 

Le déni de la réalité temporelle passé/présent/futur se résout presque systématiquement dans l’idéologie progressiste de la post-modernité transhumaniste, et concrètement dans la violence, avec toujours la fausse dichotomie « passé/futur » orchestrée par bons nombres de personnages homosexuels ou gays friendly. Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener s’opposent le progressisme « amoureux » (avec le couple Claire/Suzanne) et le conservatisme un peu caricatural du père de Claire (qualifié de « vieux schnock » par ses adversaires féminines lesbiennes : il s’écrit avec force face à l’homosexualité et toutes les lois qui l’accompagnent « Cette société du futur, je n’en veux pas ! »).

 

Les amants homos fictionnels effacent le passé de l’un et de l’autre, et regrettent de s’être précipités dans l’acte homosexuel, acte qui les extrait du Réel, et donc du Temps, en leur donnant l’impression d’être allés trop vite ou trop lentement, d’avoir été catapultés dans le passé ou le futur. « À chaque fois c’est pareil, ça marche et j’ai l’impression que je serais heureuse jusqu’à la fin de ma vie, et au bout de six mois, ça y est, on s’engueule pour un rien, on se parle mal, et surtout on se fait la gueule comme ça, tssss. […] J’ai perdu du temps, j’ai perdu du temps. » (Polly par rapport à son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 76-77) Par exemple, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard, le héros homosexuel, sent que depuis son coming out, le temps (= sa liberté, finalement) s’est accélérée et a été annulée : « Je veux ma vie d’avant !! » proteste-t-il contre son futur amant, Peter, qui s’amuse de l’irréversibilité de la situation de son copain qui dessert ses propres intérêt : « Ça, autant y renoncer. »
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le passé désincarné, idéalisé ET méprisé :

Parmi les personnes homosexuelles, il y a pléthore de passéistes, de nostalgiques et d’amoureux des civilisations passées. Je vous renvoie à l’essai Pier Paolo Pasolini et l’Antiquité (1997) d’Olivier Bohler, à l’essai Corydon (1924) d’André Gide, à la fascination pour l’hellénisme et l’Égypte chez Terenci Moix, à la passion de Yukio Mishima pour le Japon impérialiste des samouraïs, etc. « Je suis employée pour les Musées nationaux au service de restauration des œuvres anciennes. » (cf. l’article « À trois brasses du bonheur » de Sophie Courtial-Destembert, dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 57) ; « J’aimais les looks avec les catogans en cheveux blancs. » (Karl Lagerfeld dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; etc.

 

Illustrations Grèce Antique du dessinateur d'érotisme gay Roger Payne

Illustrations Grèce Antique du dessinateur d’érotisme gay Roger Payne


 

Énormément de films homo-érotiques sont construits sur la nostalgie musicale bobo-kitsch ou la reconstitution « historique » : cf. le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, le film « Priscilla folle du désert » (1994) de Stephan Elliott, le film « Muriel » (1994) de P.J. Hogan, le film « C.R.A.Z.Y » (2005) de Jean-Marc Vallée (avec les chansons d’Aznavour), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Aznavour en musique de fond), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Tacones Lejanos » (« Talons Aiguilles », 1991) de Pedro Almodóvar, le film « Lili Marleen » (1981) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Les Mille et une nuits » (1974) de Pier Paolo Pasolini, le film « La Belle et la Bête » (1946) de Jean Cocteau, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, etc.

 

Par exemple, dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic, Renaud Camus avoue son « amour du désuet », du kitsch littéraire vieillot. Beaucoup de personnes homosexuelles sont attirées par les cultures gréco-latines : Olivier Delorme, Raúl Gómez Jattin, Jean Cocteau, Oscar Wilde, Marguerite Yourcenar, Julien Green, Benjamin Britten, Friedrich Hölderlin, Pierre de Coubertin, Gustav Wyneken, John Addington Symonds, Jacques de Ricaumont, Siméon Solomon, Joan Joachim Winckelmann, Érik Satie, Sappho, Pier Paolo Pasolini, etc. En bouche d’un certain nombre de théoriciens queer ou d’esthètes bourgeois, la Grèce Antique est encore la terre-symbole d’un idéal pédérastique chantée par Jean Lorrain, Fersen, André Gide, et bien d’autres. Christian Isermayer, un historien d’art, était homo. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, l’équipe historique de water-polo gay des Crevettes pailletées s’est déguisée en Égyptiens antiques.

 

FRESQUES Statues

La plastique « parfaite » des statues grecques


 

Dans son autobiographie L’Amant pur (2013), David Plante raconte qu’il est un jeune écrivain américain amoureux d’une Grèce de chimères classico-érotiques. Dans son spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013), Alexandre Vallès chante son amour impossible en effleurant des bas-reliefs égyptiens : « Tu es la beauté incarnée, partie à tout jamais. »

 

Ludovic Le Floch et ses hommes-taureaux

Ludovic Le Floch et ses hommes-taureaux


 

Il est étonnant de voir toutes les personnes homosexuelles qui sont soit profs d’histoire-géo, soit grands collectionneurs, soit fanas des grandes épopées et des personnages qui ont marqué l’historiographie mondiale. Par exemple, dans le documentaire « Ma Vie (séro)positive » de Florence Reynel (diffusée le 2 avril 2012 sur la chaîne France 4), Vincent, homme homosexuel de 28 ans, rêve d’être archéologue et prof d’histoire.

 

L’anachronisme an-historique et la fuite vers les contrées lointaines est le propre du romantisme échevelé et, à notre époque si bisexuelle, de la boboïtude, particulièrement branchée vers l’esthétique seventies chavirée (cf. les films avec Julianne Moore tels que « Far From Heaven », « Loin du Paradis » (2002) de Todd Haynes, ou encore « A Single Man » (2010) de Tom Ford). Le plus grave, c’est que cet anachronisme a souvent une prétention commémorative et réaliste. Par exemple, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », est catapultée à l’époque moderne, dans laquelle elle marche dans une fête foraine. Les historiens menteurs nous annoncent avec aplomb et sincérité que la biographie qu’ils ont tordue est fidèle aux faits.

 

 

En bonnes Drama Queen qui se respectent, certaines personnes homosexuelles s’identifient parfois à la Scarlett O’Hara du film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming et à l’époque de la Guerre de Sécession nord-américaine. Par exemple, le réalisateur homosexuel Georg Cukor a créé de toute pièce le personnage de Scarlett. On retrouve la passion pour l’époque de l’impératrice Sissi dans le film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (inutile de souligner qu’aux États-Unis, l’un des qualificatifs signifiant « pédé » est « sissy »…), ainsi que le goût pour la mythologie bavaroise « à la Heïdi » à travers l’intérêt de beaucoup de personnes homosexuelles pour le film « The Sounds Of Music » (« La Mélodie du bonheur », 1965) de Robert Wise : cf. le documentaire « Les Refrains du nazisme » (2003) d’Olivier Axer et Suzanne Benze, la pièce autobiographique Ébauche d’un portrait (2008) de Jean-Luc Lagarce, les goûts du chanteur Jean-Sébastien Lavoie dans l’émission À la recherche de la Nouvelle Star en 2003, etc. Je suis moi-même grand fan du film « La Mélodie du bonheur ».

 

 

Quand l’individu homosexuel se tourne vers le passé, ce n’est pas tant pour l’honorer dans sa réalité que pour l’édulcorer, le noyer dans la nostalgie, le passéisme, les larmes, la reconstitution folklorique en carton-pâte ou bas-relief, la culpabilité, l’orgueil narcissique : « Tu aimais aller à la mosquée de temps en temps. Tu disais que tu aimais la gymnastique de la prière, être au milieu des inconnus en prière, dans la parole simple et directe avec Dieu. Dès qu’on s’est rencontrés, tu as arrêté de le faire. Tu n’osais plus. Notre lien est sacrilège aux yeux de l’islam. Tu n’arrivais pas à te débarrasser de ce sentiment. Je n’ai pas essayé de te faire changer d’avis. Moi-même je vivais dans cette contradiction. Moi-même j’avais besoin de croire. Je voulais croire. On a fini par trouver une solution. Je t’ai emmené à l’église Saint-Bernard et on a regardé les autres prier. Les églises, ce n’était pas nous à l’origine, cela ne représentait rien dans notre mémoire spirituelle. Rien ne nous attachait à elles et, pourtant, nous y sommes retournés plusieurs fois et nous avons fini par y découvrir une nouvelle spiritualité. Nous l’avons inventée ensemble, cette religion, cette foi, cette chapelle, ce coin sombre et lumineux, ce temps en dehors du temps. Ce christianisme non loin de Barbès. » (Abdellah Taïa par rapport à son amant Slimane, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 118) ; « La première fois que je me suis intéressé aux vampires, ça a été à 14 ans. Toutes les minorités se retrouvent dans le personnage du vampire. C’est le symbole du marginal de toutes les époques. Je crois que je suis né au siècle dernier. » (le romancier homosexuel Tony Mark, lors de la Soirée spéciale « Vampirisme et Homosexualité » au Centre LGBT de Paris, le 12 mars 2012) ; « Je vivais partout sauf à Montréal, à toutes les époques sauf à la mienne, dans toutes les couches de la société sauf dans celle où j’étais né (les imprimeurs sont une denrée plus que rare à l’opéra) ; je hurlais à m’en péter les cordes vocales mes amours malheureuses et je suppose que ça me consolait de mes amours inexistantes. » (Michel Tremblay évoquant son arrivée dans la vie adulte à 18 ans et sa passion pour l’opéra, dans son roman autobiographique La Nuit des princes charmants (1995), p. 38) ; etc.

 

Par exemple, lors de la conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon, à la Mairie du IIIe arrondissement le 18 novembre 2010, le romancier Christophe Bigot s’identifie à la Révolution française et à la figure très ambiguë de Camille Desmoulins. Autre exemple : le chanteur Stéphane Corbin dit que son album Les Murmures du temps (2011) a été « créé pour la nuit, dans l’esprit amoureux, à écouter des chansons nostalgiques », pour « faire revivre chacune des personnes, chacun des instants » ; il s’imagine dans la peau d’un centenaire. Adolf Brandt fonde en 1903 la Gemeinschaft Der Eigenen que l’on peut traduire par Communauté des propriétaires de soi. Laquelle se réclame ouvertement de l’idéal de la Grèce antique. Il ne s’agit pas tant, pour les personnes LGBT pratiquant leur homosexualité, d’allier le temps à l’Éternité (Celle qui reconnaît la finitude des choses humaines, Celle qui reconnaît la mort et la victoire de la vie sur celle-ci) mais plutôt de la réduire à l’immortalité (celle qui nie le Réel et les contingences humaines) : cf. le documentaire « Act-Up – On ne tue pas que le temps » (1996) de Christian Poveda.

 

Ça plane bien, en apparence… Mais qui s’éloigne du Temps et du Réel s’éloigne aussi des autres et de sa propre Humanité : « Pendant quelques années, cependant, je me suis sentie un peu en marge. Ni homme, ni femme, la figure de l’androgyne me fascinait mais je ne voyais pas comment concilier ma soi-disant virilité avec ce qui faisait de moi une femme, d’autant que j’étais censée être hétérosexuelle. Un jour, je me suis découverte lesbienne, et rétrospectivement je crois que l’union s’est faite en moi. […] Pour autant, je ne suis rien d’autre qu’une fille, une vraie, et qui en a dans le bonnet. Finalement, à travers toutes ces figures de mon passé, je vois le désir d’être avant tout une femme solide et indépendante, comme Elisabeth Première, mais en moins vierge, ou Margaret Thatcher, mais en moins idiote, et en moins laide aussi j’espère. » (cf. l’article « De la virilité des lesbiennes » posté par la journaliste lesbienne Septembre dans www.yagg.com 16 janvier 2010)

 

Les personnes homosexuelles pratiquant leur homosexualité, même si elles se vantent de ressusciter l’Histoire, sont au contraire Ses fossoyeurs. Elles vénèrent un passé qui n’existe que dans les livres et dans ce que l’époque platonicienne irréaliste a forgé avec la complicité de l’ère rationnaliste, sentimentaliste et individualiste des Lumières : « Le goût du Camp pour le passé est devenu sentimental à l’extrême. » (cf. l’article « Le Style Camp » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), p. 430) ; « J’ai toujours préféré la mythologie à l’Histoire parce que l’Histoire est faite de vérités qui deviennent à la longue du mensonge, et que la mythologie est faite de mensonges qui deviennent à la longue des vérités. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; etc.

 
 

b) L’antiquaire homosexuel :


 

Cet enfermement immature et irréaliste dans des passés picturaux ou cinématographique ressort et est rappelé par un métier bien connu de l’inconscient collectif au sujet de l’homosexualité. On trouve dans la communauté homosexuelle un certain nombre d’antiquaires : Robert Ness, Jacques-Kléber Aubier, Jean-Nérée Ronfort (retrouvé chez lui par son compagnon en 2012, et assassiné par trois prostitués roumains), etc. Par exemple, « Mademoiselle Az » est une antiquaire connue d’Évelyne Rochedereux (Évelyne Rochedereux, « Hommage aux camionneuses », citée dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 49). Yvonne Brémond d’Ars était également antiquaire. Jean-Luc Lagarce, dans sa pièce autobiographique Ébauche d’un portrait (2008), raconte sa liaison avec un antiquaire collectionneur. Les diverses résidences de Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent sont des salons des antiquaires. Pour ma part, j’ai rencontré pas mal d’antiquaires homosexuels, beaucoup exerçant à Paris ; et même des antiquaires lesbiennes vendant des libres sur les quais de Seine… ou en rase campagne !

 

L’antiquaire homosexuel a en effet un côté snob ou bobo qui l’oblige à se penser « hors milieu gay » et à migrer vers des bourgades provinciales pittoresques s’il n’a pas les moyens de vivre dans les beaux quartiers citadins tel que Montmartre. Je pense par exemple au petit village Percheron de La Perrière (Normandie, France), investi depuis les années 1990 par de nombreux antiquaires du Marais arrivés sur les lieux dans le sillage de la styliste Chantal Thomas.

 

« Les seuls homos qu’il y avait, c’était l’antiquaire du coin. » (Yann, un des témoins homos parlant de sa difficulté à trouver des référents ouvertement homosexuels à son époque, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Passée l’École Nationale des Beaux-Arts, Jean-Luc, devenu antiquaire, s’était installé à Clermont-Ferrand et avait ouvert, rue du Chevalier-Français, la classique boutique vert-noir à la devanture soigneusement vernissée : Antiquités-Décoration. […] Présentations, car le jeune antiquaire n’est pas seul : comme chaque soir, vers les six heures, un cénacle charmant se forme, par affinités, dans l’arrière-boutique de la rue du Chevalier-Français. L’élite intellectuelle de Clermont est là : un sculpteur célèbre, un tailleur, un fils de magistrat, un autre antiquaire. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, décrit dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 73) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. Très vite, grâce au premier argent si généreusement laissé par mon attaché d’ambassade, je me fis un nom dans la hiérarchie des antiquaires. […] Beaucoup d’hommes de tous âges venaient chez moi, par goût des objets d’art ou dans l’espoir d’une aventure. » (Jean-Luc, op. cit., pp. 86-88) ; etc.

 
 

c) Le Présent réduit à la pulsion de l’instant :

Les personnes homosexuelles pratiquant leur homosexualité ne vivent pas davantage au présent, qu’elles délaissent au profit de l’instant, de la sensation immédiate, de la pulsion. Derrière l’éloge de l’instant, qui a l’air positif et enchanteur, se profile la croyance désenchantée en la vacuité de l’existence, en l’impermanence de l’amour : « J’aurais pu naître à n’importe quelle époque, j’aurais été bien nulle part. » (Shirley Souagnon, humoriste lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux (Suisse), sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012)

 

Notre réalité corporelle spatio-temporelle est noyée par beaucoup de créateurs homosexuels dans l’art, le sentiment et le progrès, comme l’explique parfaitement la philosophe Susan Sontag : « Le Happening touche le spectateur en l’entourant d’une trame d’éléments de surprise, asymétriques, sans péripétie et sans dénouement ; il s’agit là de l’irrationalité du rêve, plutôt que de la logique habituelle de l’art. Les Happenings, comme les rêves, ignorent la notions du temps. N’utilisant ni l’intrigue, ni la chaine rationnelle du discours, ils ne connaissent pas le passé. Comme l’indique leur dénomination – Happenings (Choses qui arrivent) – tout s’y passe dans le présent. » (cf. l’article « Les Happenings : Art des confrontations radicales » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), p. 406)

 
 

d) Le Futur réduit à une projection fantasmatique :

L’accueil que réservent certains individus homosexuels au futur n’est pas meilleur que celui offert au passé et au présent… car leur fuite en avant se vit dans la rupture avec un passé diabolisé ou dans l’absence de conscience du Réel : « Dans le grand parc solitaire et glacé, deux spectres ont évoqué le passé… » (Paul Verlaine s’adressant à son amant Arthur Rimbaud, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 30) ; « Vous savez, cher Marcel, je dois les excuser, ces Argentins. Malgré tout, ils m’ont donné un foyer. Loin, très loin de ce passé horrible. Grâce à ces Indiens, j’ai pu survivre. C’est pour cette raison profonde que je suis prête à leur pardonner leur exubérance, leur exotisme. À dire vrai, ils ont quand même un peu de charme. » (Madeleine s’adressant à la photo de Marcel Proust dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 247) ; « La philosophie de Michel Foucault, son scepticisme, son relativisme ont pour point de départ un constat historique : le passé de l’humanité est un gigantesque cimetière de vérités mortes, d’attitudes et de normes changeantes, différentes d’une époque à l’autre, toujours dépassées à l’époque suivante. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 210) ; etc.

 

Pourtant, les apparences sont trompeuses car ils semblent chanter l’avenir et le progrès à tue-tête dans leurs créations et leurs discours. Je vous renvoie au journal mensuel homosexuel Futur (1952-1955). Par exemple Louis II de Bavière est connu pour avoir des projets grandiloquentes et mégalomaniaques : il fait construire des châteaux futuristes. Michael Jackson, Thierry Mugler, Andy Warhol, Yves Saint-Laurent se sont essayés au futurisme. « J’ai toujours rêvé de visiter les châteaux de Louis II de Bavière. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne)

 

Il est assez symptomatique qu’une chanteuse comme Mylène Farmer (l’icône gay française par excellence) célèbre le futur (jusque dans ses concerts High Tech et ses clips) tout en disant à chaque fois qu’il n’existe pas et qu’il vient toujours à manquer (cf. le titre de sa tournée 2013, « Timeless », ainsi que ses messages millénaristes). D’ailleurs, toutes les icônes gays jouent à être des prêtresses de l’espace : Jane Fonda, les Spice Girls, Björk, Mylène Farmer, Lady Gaga, Britney Spears, Madonna, etc.

 

De plus en plus avec les nouvelles législations mondiales fondées sur les « identités » sexuelles et les sentiments amoureux (« Union civile », « mariage pour tous », adoption, etc.), les personnes homosexuelles se font les chantres du progressisme égalitariste (qu’elles incarneraient, bien évidemment, par leur désir homosexuel et l’affichage de ce dernier). Elles – et leurs suiveurs politiques qui les instrumentalisent – font ainsi du passé table rase, justifiant leur démarche iconoclaste et mémoricide par l’idéologie de la modernité : « Nous ne sommes plus au XVe siècle. » (Nicolas Gougain par rapport à sa défense du « mariage gay », dans l’émission Mots croisés d’Yves Calvi, sur le thème « Homos, mariés et parents ? », diffusée sur la chaîne France 2, le 17 septembre 2012) ; « On n’est plus au XIXe siècle. » (une manifestante pro-mariage-gay et pro-égalité, dans le documentaire « Les lendemains tristes du mariage gay » (2013) de Matthias Barbier) ; « C’est un progrès indéniable. » (cf. le discours d’Erwann Binet, rapporteur officiel de la loi du « mariage pour tous » en France, à l’Assemblée Nationale, en avril 2013) ; etc.

 

Le déni de la réalité temporelle passé/présent/futur se résout presque systématiquement dans l’idéologie progressiste de la post-modernité transhumaniste, et concrètement dans la violence, avec toujours la fausse dichotomie « passé/futur » orchestrée par bons nombres de personnes homosexuelles ou gays friendly : « Ne nous y trompons pas : le postmodernisme n’a pas de grand dessein : son unique but est de déconstruire ce qui fut construit avant lui ; de fragmenter, d’éparpiller, d’émietter en une infinité d’individus qui ne sont plus guère en relations, mais seulement en communication. » (le Père Verlinde, « Les Attaques du démon provenant de l’extérieur de l’Église », dans les Attaques du démon contre l’Église (2009), p.189)

 
 

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Code n°81 – Funambulisme et somnambulisme (sous-code : Trapéziste homo)

funambule

Funambulisme et somnambulisme

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Inconfort existentiel et désirant

Film "Les Équilibristes" de Nico Papatakis

Film « Les Équilibristes » de Nico Papatakis


 

Il arrive que dans les fictions traitant d’homosexualité il y ait des personnages (homos ou non) exerçant le métier de funambule dans un cirque, ou s’improvisant équilibristes le long d’un muret, ou se levant la nuit pour prononcer tout haut ce que leur « conscience diurne » a censuré. Je vous épargnerai le laïus symboliste à deux balles du funambule qui serait l’allégorie de l’« admirable » inconfort de la condition humaine : la figure de l’artiste marginal, « révolutionnaire », asexué et bisexuel, entre Ciel et Terre, pris en deux eaux (homme ou femme ? être humain ou Dieu ?), non-positionné, désengagé, est suffisamment rebattue et applaudie comme modèle social, pour mériter d’être notre unique objet d’attention. En revanche, ce qui m’intéresse davantage, c’est le sens dépolitisé et déromantisé de ces scènes aériennes de funambulisme/somnambulisme. Car si les personnages homosexuels se sentent obligés de sortir de la mêlée pour voltiger dans les airs ou s’avancer dans la nuit quand personne ne les attend, c’est bien qu’ils ont quelque chose à fuir, qu’ils ont un fait violent, censuré, et pourtant réel, à annoncer : le viol ou le fantasme de viol de leur papa littéraire.

 

Parce qu’une part d’elles-mêmes désirent vivre à côté de leurs réalités, il existe souvent dans l’esprit des personnes homosexuelles un rapport douloureux au décalage (ressenti pourtant par tout être humain) entre le monde vécu et le monde perçu, qui fait qu’elles pensent que la vie est un songe, une gigantesque mascarade. Les œuvres homosexuelles traitent régulièrement des morts-vivants, en lien avec le funambulisme et le somnambulisme. En général, leurs scènes de rêve éveillé révèlent une réalité très noire qui énonce que la Réalité n’existe pas. C’est la raison pour laquelle bon nombre d’artistes homosexuels se revendiquent d’un symbolisme ou d’un surréalisme nihiliste.

 

Les personnes homosexuelles s’identifient souvent à ce peuple de zombies, marchant sans but, dans la nuit, téléguidés par leurs pulsions sur un lieu de drague. La somnolence métaphorique qui les gagne témoigne de leur révolte inconsciente et impuissante face à un désir de viol (ou un viol réel) qui aurait dû les choquer. De façon réitérée dans les fictions, l’état de semi-sommeil du somnambule est à la fois synonyme de moment de vérité, et de viol.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Icare », « Folie », « Planeur », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Aigle noir », « Sommeil », « Clown blanc et Masques », « Femme-Araignée », « Voleurs », « Extase », « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau », « Cirque », « Femme au balcon », « Magicien », « Corrida amoureuse », « Boxe », « Cour des miracles », « Morts-vivants », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Prostitution » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) L’acrobate funambule :

 

FUNAMBULISME Carte

 

Quelquefois, au détour d’une œuvre artistique traitant d’homosexualité, on aperçoit un funambule (qui peut être homosexuel d’ailleurs) : cf. la pièce Les Caprices de Marianne (1833) d’Alfred de Musset (avec la figure romantique d’Octave), le film « La Cage aux Folles II » (1981) d’Édouard Molinaro, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron (avec Paulo), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le spectacle Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, le film « Les Équilibristes » (1991) de Nico Papatakis, la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer, le film « When Night Is Falling » (1995) de Patricia Rozema (avec Petra l’acrobate lesbienne), le vidéo-clip de la chanson « It’s Ok To Be Gay » de Tomboy (avec la fée Clochette en funambule sur le lit de l’enfant futur gay), le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser (avec Jan, l’un des deux héros gays, jouant au funambule en bords de mer), la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias (avec les cigognes funambules), le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec l’équilibriste), etc.

 

Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Miguel prend en photo Santiago en train de faire le funambule sur leur plage secrète. Dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan, le héros homo, définit tout homosexuel comme « une espère de grosse feignasse qui marche sur un fil ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Optimistique-moi" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer


 

Ce funambule marche sur un fil et risque à tout moment de perdre l’équilibre et de tomber : cf. le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot, le vidéo-clip de la chanson « No Big Deal » de Lara Fabian, etc. Il symbolise la marginalité de l’homosexualité – une condition qui suspend l’être entre deux mondes – ainsi que le risque mortel que fait vivre le désir homosexuel. « J’étais sur un fil… et je suis tombée. » (Maryline, l’héroïne bisexuelle, dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas). Par exemple, dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, Uloomji, le futur amant de Timofei, tombe sous les roues de voiture de ce dernier après un numéro de funambule raté sur un mur. Dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, Luca, le héros homosexuel, a glissé sur une rampe et fait une chute mortelle dans l’Arno parce qu’il a joué à l’équilibriste : « J’avançais dans la ville, comme un somnambule. […] J’ai marché le long du parapet, à la manière d’un funambule. » (pp. 220-221) ; « Fasciné par les lointaines galaxies, je somnambulais sous un ciel noir que voilaient peu à peu les laiteuses brumes de l’aube. […] La nuit finissante transformait cette fenêtre en miroir, et c’était en soi-même qu’il semblait dangereux de se pencher. » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 63-64) ; etc.

 
 

b) Le somnambule :

FUNAMBULISME Kang

B.D. « Kang » de Copi


 

Dans la fantasmagorie homosexuelle, en lien étroit avec le funambulisme, il est question aussi de somnambulisme : cf. l’opéra La Somnambule (1831) de Vincenzo Bellini, le poème « Romance Sonámbulo » dans le recueil Romancero Gitano (1928) de Federico García Lorca, le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim (avec Anne-Lise la somnambule), le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (avec Élise la somnambule), le film « Los Amantes Pasajeros » (« Les Amants passagers », 2013) de Pedro Almodóvar (avec le coït avec une somnambule), le roman Die Schlafwandler (Les Somnambules, 1931) d’Hermann Broch, le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta (avec le personnage de David), le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, etc. Le héros homosexuel (ou un proche de son entourage) avance et se déplace pendant la nuit sans avoir conscience de son mystérieux voyage.

 

Roman Les Somnambules d'Ophélie Femmarty

Roman Les Somnambules d’Ophélie Pemmarty


 

Par exemple, dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephane Druet, la Reine de Cœur est somnambule. Dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Marianne est la femme somnambule qui parle toute seule dans le couloir, et qui au fond exprime inconsciemment l’homosexualité latente de son mari Frédérick. Dans le téléfilm nord-américain The Christmas House (Duel à Noël chez les Mitchell, 2022) de Rich Newey, Brandon, le héros homosexuel, avoue que lorsqu’il était petit, il était somnambule.

 

En général, le personnage somnambule laisse libre court à son inconscient et dévoile pendant sa promenade nocturne la terrible réalité d’un traumatisme (un viol ou un crime) qu’il a vu ou qu’il a jadis vécu. « Somnambule j’ai trop couru dans le noir des grandes forêts. » (cf. la chanson « En rouge et noir » de Jeanne Mas) ; « Elle marche comme une somnambule. » (Molina, le héros homosexuel parlant de Léni, la femme collabo, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, pp. 43-44) ; « Une fille comme moi, une fille comme il y en a mille, ça avance sur un fil en regardant devant soi. Volez-lui son cœur. » (cf. la chanson « Une Fille comme moi » de Priscilla) ; « T’es somnambule ou quoi ? » (Mariela s’adressant à son mari Miguel, qu’elle retrouve endormi dans la cuisine, et qui commence à s’homosexualiser sans qu’elle ne le sache, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León) ; etc.

 

Dans beaucoup de films homo-érotiques (« Du même sang » (2007) d’Arnaud Labaronne, « Les Nuits fauves » (1992) de Cyril Collard, « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, « Les Yeux fermés » (2000) d’Olivier Py, « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, etc.) et de créations théâtrales (cf. le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) décrivent les rituels de baise homosexuelle dans les backrooms, les parcs, les jardins publics et surtout les quais portuaires, comme une chorégraphie de somnambules qui se flairent comme des chiens. « Je me perds entre les buissons, je croise des garçons auxquels je n’ai pas envie d’agripper ma solitude. Regards fermés, gestes lents, comme des funambules suicidaires. Ils font l’amour debout, le jeans baissé sur les chevilles. Sur leur visage un air triste d’avoir abandonné le combat. » (Simon arpentant les lieux de drague homosexuels, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 14-15) ; « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’enfer. […] Onze mille cierges, alcool et barbiturique. Je flotte dans les rues comme sous analgésique. Mon costume souillé de larmes et de suie, de la rue des Saints Pères à Soho tu me poursuis. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) ; etc.

 

Dans la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare, c’est au moment de sa promenade somnambulique que Lady Macbeth cafte le meurtre qu’a opéré son mari Macbeth. Elle regarde ses mains blanches tachées du sang invisible du viol.

 

Pièce Macbeth de William Shakespeare

Pièce Macbeth de William Shakespeare


 

Couramment, le funambulisme et le somnambulisme sont associés à la folie, à un désir et un viol incestueux (cf. le vidéo-clip de la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer, la chanson « Les Pieds dans la lune » des Valentins, le film « Reflection In A Goldeneye » (1967) de John Huston, etc.). « Je déambule, je fais des bulles, je somnambule. » (cf. la chanson « Papa m’aime pas » de Mélissa Mars) ; « Sauras-tu me regarder ? Mais tu ignores mes signes, toi, mon cruel funambule. Alors je crache ces lignes, fracassé et somnambule. » (cf. le père d’Étienne Daho dans la chanson de ce dernier « Boulevard des Capucines ») ; « Vous pouvez coucher dans le lit. Moi, je peux dormir assise. » (Mme Simpson à Irina, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Sans ça, je pourrais piquer une crise de somnambulisme. » (« L. », le héros transgenre M to F, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le roman Le bois, la nuit (1936) de Djuna Barnes, Robin Vote, jeune Américaine à l’allure androgyne, somnambule hantée par une légère folie, fascine son entourage.

 
 

c) Le trapéziste homosexuel ou objet de fantasme homosexuel :

Film "Trapèze" (1956) de Carol Reed

Film « Trapèze » (1956) de Carol Reed (avec Tony Curtis)


 

Le personnage homosexuel des fictions homo-érotiques est parfois trapéziste, ou bien est attiré par un trapéziste athlétique et aérien : cf. la chanson « Le Trapéziste » de Jean Guidoni, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory (avec les laveurs de carreaux), le vidéo-clip de la chanson « À contre-courant » d’Alizée, le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (avec les oiseaux-trapézistes), le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Leperen (avec le laveur de carreaux), le roman Hablar Desde El Trapecio (1995) de Leopoldo Alas, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le roman El Mismo Mar De todos Los Veranos (1978) d’Esther Tusquets, le roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá, le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, le film « Victor, Victoria » (1982) de Blake Edwards (avec Richard di Nardo, l’amant homosexuel de Toddy), le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin (avec des images hommes aériens sautant d’un building à un autre, et figurant les vicissitudes et la rupture prochaine de la relation amoureuse lesbienne), etc.

 

FUNAMBULISME trapeze artist

 

Le motif du trapéziste renvoie à la dangerosité de l’idolâtrie homosexuelle pour les corps mis à mort ou en risque : « Plus je grandissais, plus je me suis dit que je deviendrai gay.’ dit Will à sa mère. À cela, cette dernière ne put que bredouiller : ‘Mais pourquoi ?’ Il lui répondit : ‘Parce que je veux jouir de moi-même. » (cf. dialogue du film « The Trapeze Artist » (2012) de Will Davis) ; « Je sais pas. J’suis pas trapéziste. » (Frédérique, l’héroïne lesbienne de la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « La Caille évoquait l’atmosphère empestée de la Gaîté-Rochechouart, où pour la première fois, il avait vu Bambou exécuter la voltige au trapèze. Un athlète le lançait ensuite en l’air, le recevait sur ses biceps, lui faisait faire trois grands sauts périlleux, avant de l’empoigner par un anneau de sa ceinture, et le présenter, vivant soleil, aux applaudissements du public. Il avait suffit d’un regard de la Caille pour découvrir chez cet acrobate, un personnage dont la souplesse n’était rien moins qu’équivoque. Mais que de temps passé ! » (Francis Carco, Jésus la Caille, 1914) ; « Mon grand-père le clown s’est suicidé en cours de spectacle. Il s’est pendu au trapèze, tout le monde croyait à un numéro comique ! Il a eu quinze minutes d’applaudissements avant qu’on s’aperçoive qu’il était mort ! » (le Machiniste dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; etc.

 

Les frères Ming et Rui au Teatro Zinzanni

Les frères Ming et Rui au Teatro Zinzanni


 

Par exemple, dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, la psychiatre lesbienne rêve qu’elle chute en trapèze… qu’on peut interpréter comme l’inceste familial ou une mauvaise gestion du complexe œdipien : « Je refais le rêve du cirque. Si… tu sais bien… le numéro de trapèze. Mon père, ma mère et moi… » (la psy)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

 

Une fois transposé dans le Réel, on voit qu’il existe des croisements esthétiques et désirants entre somnambulisme/funambulisme/trapézisme et homosexualité : cf. l’article « Le Numéro de Barbette » (1926) de Jean Cocteau, l’exposition « Des Jouets et des Hommes » (2011) au Grand Palais de Paris, etc. Par exemple, en 2014, le chanteur Stéphane Corbin a créé, avec 177 artistes, un collectif « contre l’homophobie », et qui s’appelle comme par hasard Les Funambules. Autre exemple. En d’autres endroits de son Journal, Thomas Mann, homosexuel, fait part de ses émotions homoérotiques, y compris vis-à-vis de son propre fils homo. « Vendredi 20 septembre 1919. Hier soir, j’ai remarqué de la lumière à travers la porte vitrée fermée de l’appartement des enfants, et comme je devais de toute façon réveiller Katia [sa femme] , qui s’était enfermée en me laissant dehors, nous avons fait une enquête. Il s’est avéré qu’Eissi était étendu dans son lit, incroyablement découvert et toutes lumières de la chambre allumées. Jeux pubertaires ou tendances à des actes de somnambulisme que nous avions déjà remarqués au Tegernsee ? Peut-être les deux à la fois. Quelle forme prendra la vie de ce garçon ? Quelqu’un comme moi ne « devrait » évidemment pas mettre d’enfants au monde. » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 121)

 

FUNAMBULISME Boston ce-somnambule-en-slip-sous_6ne2p_30g4mr

 

Par exemple, à Boston (États-Unis), en 2013, une sculpture de Tony Matelli a fait scandale dans le Campus de Wellesley College, car elle représentait un homme somnambule en slip et faisait peur aux étudiants. Elle a fait l’objet de pétitions pour son retrait.

 

Abdallah

Abdallah


 

Les personnes homosexuelles sont parfois de vrais trapézistes : Barbette, Abdallah Bentaga (l’amant de Jean Genet), ou encore Miss Urania, Will Davis, étaient homosexuels. Pendant ses concerts, Jean Guidoni joue au funambule (La Boule Noire, Paris, avril 2007).

 

Will Davis

Will Davis


 

Dans son spectacle Mugler Follies (2002), le couturier Thierry Mugler met en scène une femme dont le rêve est de devenir funambule.

 

Spectacle Mugler Follies de Thierry Mugler

Spectacle Mugler Follies de Thierry Mugler


 

Plus qu’un motif esthétique, l’association entre somnambulisme/funambulisme/trapézisme et le désir homosexuel illustre la dangerosité de la croyance et de la pratique homosexuelles, ainsi que la coïncidence entre homosexualité et viol/violence/inceste.

 

Commentaire dans le site Au Balcon

Commentaire dans le site Au Balcon


 

« Je voudrais te demander pardon. Je sais que tu ne me pardonneras jamais. Tu me l’as dit à l’époque, très fermement. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Mon désir de perfection me hante. C’est désagréable, j’en conviens. En plus, je t’ai fait peur dans la pénombre de la chambre que nous partagions. Tu as ouvert les yeux. On pouvait lire ton étonnement. Mais ça me prenait comme ça, de me réveiller vers deux ou trois heures du matin, comme un somnambule. J’allais jusqu’à l’armoire où se trouvaient tes vêtements que je revêtais, à moitié endormi. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère chez qu’il allait visiter la nuit, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 160) ; « Comme un magicien, il nous donnait l’illusion de flotter au-dessus d’une foule de cadavres. » (Romala Nijinski, la femme du célèbre danseur bisexuel Nijinski, dans sa biographie Nijinski, 1934) ; etc.

 

Gay Circus Charles Knie

Gay Circus Charles Knie


 

Les personnes homosexuelles, sans en prendre vraiment conscience, nous présentent la fébrilité de leurs « amours » qui ne tiennent qu’à un fil et sur un équilibre incertain. « Funambules aux yeux ouverts » (Christophe Aveline, L’Infidélité : La relation homosexuelle en question (2009), p. 23) ; « Les amants [homosexuels] sont des équilibristes qui se tiennent par la main, s’assistent mutuellement. C’est un jeu entre la vie et la mort du couple qui tient sur un fil. » (idem, p. 55)

 
 

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Code n°82 – Fusion (sous-code : Polysémie de l’adverbe « contre » ; Feu)

fusion

Fusion

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Pour percevoir que la chaleur du désir de fusion (typiquement hétérosexuel et homosexuel) avec l’être aimé est finalement bien glaciale et violente, il nous suffit de nous émerveiller de la beauté de notre unicité, et de comprendre que dans la vie, la fusion précède et génère toujours une rupture : une rupture de vie quand on essaie d’accueillir la différence des sexes comme un trésor (la plus belle rupture de vie, c’est la coupure du cordon ombilical), une rupture brutale à plus ou moins long terme quand la différence des sexes est crainte et rejetée.

 

Le désir homosexuel est un élan de fusion, à la fois réchauffant et étouffant, une force d’union mais surtout de rupture. Je vais vous l’illustrer en particulier à travers la présence réitiérée de la polysémie de l’adverbe « contre » dans les fictions et les discours homosexuels (exemple : je suis contre toi/collé à toi ; je suis contre toi/opposé à toi).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Moitié », « Amant narcissique », « Vampirisme », « Amoureux », « Désir désordonné », « Clonage », « Eau », « Substitut d’identité », « Île », « Extase », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Viol », « Pygmalion », et « Cannibalisme », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Le fantasme humain de la gémellité et de l’uniformité

 

FUSION Soleil

 

Pour allégoriser un désir de fusion amoureuse avec soi-même qui existait chez l’Homme bien avant qu’Il ne le conceptualise, Platon a imaginé dans son Banquet (-380 av. J.-C.) une race de créatures séparées par les dieux en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle : les androgynes. L’androgyne est l’être imaginaire idéal, affranchi des contraintes du temps et de l’espace, vivant du fantasme de retrouver la plénitude de la totalité originelle en lui-même, aspirant au retour au jardin d’Éden, maudissant la sexualité qui l’a coupé littéralement en deux.

 

Aujourd’hui, les androgynes existent toujours en fantasme dans la tête de nos contemporains (on le voit clairement dans le monde de la publicité, avec ces hommes-objets et ces femmes-objets coupés en deux, ou bien fusionnant ensemble dans les films pornos)… mais sans le savoir, on les appelle différemment. On les a baptisés « l’homosexuel » (en 1869) et « l’hétérosexuel » (en 1870). « L’homosexuel » comme « l’hétérosexuel », ces deux créatures scientifiques ne renvoyant pas à des êtres humains réels, sont des jumeaux, historiquement mais aussi symboliquement parlant, puisqu’ils traduisent une conception androgynique du couple amoureux : les couples « hétérosexuels » comme « homosexuels » se veulent formés de deux moitiés séparées l’une de l’autre, et censées, selon la mythologie scientifique, cinématographique ou sentimentaliste (le prince charmant et la princesse), se compléter parfaitement dans la fusion (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel = l’hétérosexuel » et « Moitié » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont prisonnières du mythe du bonheur dans la ressemblance parfaite. En adoptant une conception fusionnelle et conflictuelle de l’amour, elles se lancent à la recherche de leur moitié androgynique (par exemple, Alfred Jarry, a inventé le concept d’« adolphisme » qui n’est pas la communion de deux êtres différents fusionnant en Un, pas même de deux jumeaux, mais l’union des deux moitiés d’un même Moi). Elles envisagent de créer un couple neuf où chacun de ses membres trouverait à travers l’autre son miroir parfait dans lequel il se sentirait à la fois créé et Créateur. Par amour, elles promettent à leur partenaire d’être identiques à lui/elles (n’oublions pas que le mot homosexualité est composé du terme grec homo qui veut dire « même »), mais paradoxalement, elles n’en supportent pas l’idée et s’interdisent de penser qu’elles sont fantasmatiquement superficielles comme les miroirs. En refusant de se reproduire avec/par l’autre à travers la parentalité naturelle, parce qu’elles considèrent que le miroir leur permet de s’engendrer toutes seules sans l’aide de personne, elles décident que leur création se fera dans la copie parfaite (= l’image dans le miroir), et non plus dans l’original « imparfait » (= l’enfant).

 

Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. Mais celle-ci ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.

 

Ainsi, elles se retrouvent souvent devant une situation délicate par rapport à leur amant : à la fois elles l’aiment tel qu’il est, mais aussi comme un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisé, … donc elles ne peuvent l’aimer vraiment pour lui-même. « Nous nous regardons. Nous cherchons l’un dans le regard de l’autre celui qu’on aime, celui à qui on parle chaque jour au téléphone depuis plusieurs jours, celui à qui on envoie des petits cadeaux guimauves. […] Je dis ‘Je t’aime Vianney’, parce que c’est la dernière fois que je le lui dirais, et pendant une seconde, dans ma tête, c’est le souvenir du garçon que j’aime qui me revient. Ce garçon qui est tellement Vianney et pas du tout lui dans une adéquation à laquelle je n’arrive pas à me faire. » (Mike, le héros homo du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 87) Certes, aucun amour humain, même entre une femme et un homme qui s’aiment profondément, n’est dénué de convoitise et de narcissisme : au sein d’une union, on aime toujours l’autre un peu pour soi, on essaie toujours de se réparer un peu à travers lui (… et ceux qui prétendent le contraire ne sont pas dans le donner-recevoir de toute relation humaine). Mais force est de constater que l’amour homosexuel tend à enfermer le sujet sur lui-même ou à l’y ramener par le truchement d’un corps semblable. L’élan égocentrique du désir homosexuel est visible dans de nombreux couples homosexuels : on a souvent l’étrange impression que ces derniers se composent de deux solitudes qui ne n’existent pas chacune pour elle-même, vivant l’une à côté de l’autre sans être véritablement unies, exactement comme dans le couple hétérosexuel ou dans les échantillons de figurines Barbie et Ken exposées en rang d’oignons sous cellophane dans les supermarchés.

 

Sigmund Freud a été bien inspiré de souligner la composante narcissique du choix d’objet sexuel dans le désir homosexuel (il a juste oublié de l’appliquer aussi aux couples hétérosexuels en dissociant clairement le couple hétérosexuel du couple femme-homme désirant). La sexualité homosexuelle est à double face, à l’image du miroir. Mylène Farmer ne chante-t-elle pas dans sa chanson « Pourvu qu’elles soient douces », que le nec plus ultra dans le paysage homosexuel, « c’est d’aimer des deux côtés » ? Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé. La preuve en est que dans les œuvres homosexuelles, les personnages gays se font souvent leur propre déclaration d’amour devant la glace, et que l’amant est souvent associé au reflet dans le miroir. De surcroît, ce dernier n’est généralement pas un gentil écran plat : il a tendance à user de la menace et à sectionner son partenaire amoureux.

 

Les histoires d’amour homosexuel se construisent généralement sur un malentendu existentiel puisqu’elles réunissent deux personnes qui individuellement et originellement ont voulu être quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes (un dieu, une star de cinéma, une moitié d’Homme, un garçon quand elles sont nées filles, une fille quand elles sont nées garçons, etc.), et qui du coup désirent se substituer l’une à l’autre, ou ne faire qu’Un ensemble. « Je voulais me glisser dans son corps comme dans un pyjama. » (le juge Kappus parlant de son amant Julien, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 92) Elles ne se sont pas suffisamment tolérées elles-mêmes telles qu’elles étaient, en corps, en cœur et en esprit, pour ensuite être en mesure de s’accueillir mutuellement en vérité. La non-acceptation de soi, et la nécessaire épreuve douloureuse de ses limites qu’elle supprime, peut empêcher ensuite de bien aimer. Comme l’écrit très justement François Varillon, « l’amour ne se consomme pas dans l’absorption, ou fusion, de deux en un […]. Il veut à la fois la distinction et l’unité, l’altérité et l’identité. Dans la condition humaine, ce vœu profond : être non seulement uni à l’autre mais un-avec lui tout en restant soi, est incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance au royaume de l’amour. » (François Varillon, L’Humilité de Dieu (1974), p. 106) De manière presque générale, on peut affirmer à propos des unions amoureuses homosexuelles que la volonté de se substituer à l’autre a précédé le désir d’amour que la personne homosexuelle a ressenti pour son amant. « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet, cité dans la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’intéressent à leur amant non pas tant pour lui-même que pour combler leur propre vide existentiel. « Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) La jalousie apparaît alors comme l’expression détournée de l’adoration. Dans le couple homosexuel, nous assistons à ce que nous pourrions appeler une identification par absorption, comme l’exprime Olivier dans le reportage « Une Vie ordinaire » (2002) de Serge Moati : « Paradoxalement, je crois que j’étais un homme quand j’étais avec un homme. Je devenais un homme par rebonds, par personne interposée. » Certaines personnes homosexuelles vont se dérober à elles-mêmes sous le prétexte de l’union d’amour avec leur amant-paravent. « Je peux être caché derrière lui pour vivre sa vie. » (Laurent à propos de son amant bisexuel Jean-Jacques, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut)

 

Dans l’esprit de nombre d’entre elles, elles fusionneront avec leur amant, même si rationnellement, elles ont tout à fait pris conscience qu’elles n’y parviendront pas (la plupart d’entre elles savent encore faire la différence entre la réalité concrète et la science-fiction !). Elles parlent souvent de l’union corporelle fusionnelle avec leur amant(e), car l’amour homosexuel est à la fois un amour pour la personne aimée sans cette personne… ou sans soi-même.

 

Certaines personnes homosexuelles pensent avoir compris intellectuellement le piège du mythe de l’unité fusionnelle dans le couple, de la « solitude à deux sur une île » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 33), mais elles se voilent la face en attribuant ce piège uniquement aux couples femme-homme (qu’elles appellent à tort « hétérosexuels ») ou à l’institution du mariage. C’est ainsi qu’elles le réactualisent souvent dans les unions des semblables sexués. À en croire certains amants homosexuels, ils ont « toujours tout fait ensemble » (Mehdi et Christophe, « Pacsés… un jour mariés ? », dans le magazine Psychologies, juin 2004, n°231, p. 77), prétendent vivre une « relation fusionnelle » (Juliette et Sophie, op. cit., p. 76) depuis qu’ils se connaissent : ça a été « tout de suite, la fusion. » (David, 35 ans, en parlant de sa rencontre avec son copain Adrien, 24 ans, dans le recueil de témoignages Le Livre des Rencontres (2002) collectés par Michel Field et Julie Cléau, p. 144) Le fantasme de fusion est le propre des désirs homosexuel et hétérosexuel. Selon la promesse androgynique, tout Homme est censé rechercher sa « moitié » pour former un Tout autosuffisant avec elle.

 
 

Le désir fou de se substituer à l’amant réifié

 

Le désir de fusion, même s’il s’habille des meilleures intentions (la communion, le don total de soi, l’orgasme, la beauté de la symbiose passionnelle, le plaisir des sens, etc.), est en réalité un oubli de soi et de son partenaire, un désir de disparaître et de se fondre/se lover en l’autre, et j’irai même jusqu’à dire une tentative de viol. Car l’extase exige la fusion destructrice et la rupture radicale avec soi-même, la substitution ou la superposition forcées aux autres.

 

Le rapprochement homosexuel des corps se transforme en conflit à l’insu des amants homosexuels eux-mêmes. Nous le remarquons par exemple dans la polysémie de l’adverbe « contre », très utilisée par certains auteurs homosexuels (l’expression « être contre quelqu’un » peut signifier à la fois être « collé à lui » et « en opposition »).

 

L’humain a pressenti depuis longtemps déjà que la haine se trouve tout autant dans la dissymétrie foncière que dans la ressemblance « parfaite », la symétrie déshumanisée, l’écho, la rencontre policée et sans relief des semblables, l’uniformité, la plénitude orgueilleuse. Rien que l’expression « œil pour œil, dent pour dent » suffit à le démontrer. Il faut parfois pour des jumeaux ou des amants homosexuels beaucoup de temps avant de réaliser que l’amour « sans limites » qu’ils se vouent et qui leur apparaît irréprochable dans l’instant n’est pas si ajusté que cela. C’est sur la durée et avec un relatif éloignement qu’ils peuvent comprendre qu’un autre type de relation, moins fusionnelle mais non moins belle, est possible entre eux, sans pour autant gâcher les richesses objectives qu’offrent la gémellité ou l’homosexualité. La vraie rencontre humaine n’est délicieuse que dans la juste distance, celle qui sépare sans rompre, qui unit sans confondre. C’est le principal message de vie que les jumeaux et les personnes homosexuelles nous délivrent, bien souvent à leur insu.

 

La différence entre le désir de fusion destructeur et le désir d’Amour, c’est que le premier vise la fusion à travers l’effacement des corps et la substitution à l’autre – il dit « Je t’aime donc je suis toi » –, alors que le second cherche avec douceur la communion en sachant qu’elle sera incomplète tout en restant partiellement possible grâce à l’accueil d’un tiers. Le désir d’Amour respecte le mystère et la solitude des corps tout en prétendant goûter à la fusion. Au fond, il n’y a d’union d’Amour que dans la résistance à l’assimilation. La distance n’est pas seulement un mal nécessaire pour échapper aux méandres de l’amour platonique, mais une donnée inhérente à tout processus de différenciation sans laquelle il n’y aurait pas de soi distinct de l’autre, et donc d’amour véritable et incarné. L’amour ne peut être reconnu que dans un rapport de déliaison. Il faut un peu de déliaison pour qu’il y ait véritable liaison : c’est cela, la subtilité de l’union amoureuse authentique. Aimer quelqu’un, c’est le rendre autonome, lui laisser son espace de liberté, et lui donner les moyens de nous abandonner pour mieux le retrouver. Comme nous aimons trop l’autre pour le retenir, nous prenons le risque de le perdre. Et ce risque mesuré, c’est l’Amour.

 

En ce sens, l’excès de ressemblance dans le couple homosexuel, qui a rejeté la différence des sexes, peut être ferment de violence (cf. je vous renvoie aux codes « Clonage », « Cannibalisme », « Substitut d’identité », et « Vampirisme », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). L’accouplement sexuel entre deux clones est « l’impensable absolu » écrit Jacques André, le signe d’une irréelle synthèse du même avec le même, la « conjugaison entre l’incestueux et le totalitaire » (Jacques André, « L’Empire du même », dans l’essai Mères et filles, les menaces de l’identique (2003), p. 12). Dans les faits, le couple homosexuel ne parvient pas à la communion parfaite des semblables puisqu’il n’est pas concrètement composé de deux clones ; mais en désir, il y tend. Il reprend le « ne faire qu’Un tout en restant deux » de l’Amour vrai à son compte pour le détourner en « ne faire qu’Un à deux », et convertit le principe de respect de la différence, consubstantiel à l’amour, en une diversité évasive ou en un « égoïsme à deux » qui nie la différence par la schizophrénie et le mythe passionnel de la symétrie. « La symétrie, affirme Héctor Bianciotti, c’est l’amour, parce que c’est toujours deux en un. » (Héctor Bianciotti, « De La Melancolía De Las Perspectivas », 1983)

 

La fusion et la rupture sont deux phénomènes concomitants. On ne l’observe d’ailleurs pas uniquement chez les couples homosexuels : tout couple fusionnel finit par rompre… et initialement, on découvre dans l’histoire de chacun des partenaires qu’il s’est en général formé sur un terrain fissuré, sur la base de ruptures personnelles, familiales, amicales, sociales, non-assumées. Souvent, nous ne prenons pas soin d’analyser le désir homosexuel en relation avec une rupture ou la croyance infondée d’une rupture pensée comme définitive. Or, ce sont les personnes homosexuelles ou leurs personnages qui nous rappellent à l’ordre, comme Sonia dans le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, en parlant de sa relation amoureuse avec Chéyenne en ces termes : « C’est une fusion qui nous a séparées. »

 

Le désir amoureux de rupture et de fusion mène un jeu d’attraction-répulsion destructeur, appelé pulsion de mort. Je te rejette parce que j’étouffe, je m’attache à toi et me fonds en toi parce que je désire disparaître, nous nous détruisons à deux dans le fantasme de fusion parce que nous désirons nous manger.

 
 

Le déni homosexuel de la violence du désir de fusion

 

L’excessive identification projective sur l’entourage – « l’être-pour-les-autres » – et sur l’être aimé fait souvent souffrir, et pourtant, semble banale à celui qui l’opère car dans l’instant, elle peut flatter son Ego : « On est là tous à se déchirer et on est tous très bien, à tenir compte des autres, à se mettre dans la peau des autres. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 487)

 

Pour l’esprit bisexuel qui sépare unité et rupture de manière aussi radicale, du fait que pour lui elles se confondent, les unités comme les ruptures partielles de l’existence humaine seront vécues comme des véritables mutilations, des séparations abruptes, des viols. C’est ce qui fait le drame de l’individu qui vit du rêve de l’androgyne : il craint que la recherche de son unité agisse comme une rupture totale avec lui-même ; et paradoxalement, il croit que la rupture totale avec lui-même va lui permettre de ne faire plus qu’Un. Le viol devient alors, dans son esprit, son unité. C’est ce qui fait dire à Neil, le héros homosexuel du film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, que le viol pédophile dont il a été victime dans sa jeunesse l’a rendu unique. En effet, en parlant de son violeur, il lui reconnaît la découverte de son unicité : « J’étais son seul amour, son seul trophée. J’étais unique. » Le viol a le pouvoir de donner à ses victimes une impression d’unité dans la réification et la contrefaçon d’amour, alors que pourtant, comme le montre la scène du viol pédophile de « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar durant laquelle le visage d’Ignacio se scinde en deux à l’écran, il cultive en elles ce désir de l’androgyne, les brise en deux, et leur annonce que sans lui elles ne valent rien.

 

L’unité que le viol ou le désir de viol impose aux personnes homosexuelles est une unité des extrêmes, écartelante mais pas toujours désagréable. Le passage du fantasme à la réalité fantasmée à travers le viol peut donner une impression de diversité offerte par la fausse profondeur du miroir, comme l’exprime Pietro en s’adressant à son violeur dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini en ces termes : « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. En te parlant, je prends conscience de ma diversité. »

 

Bien sûr, à une ou deux exceptions près, nul amour humain n’est parfait (sauf celui de la Sainte Famille) : à tout couple il manquera des choses. Et l’engagement d’Amour vrai est un perpétuel ajustement, un « vouloir rester » plus qu’un « aimer en actes » 100% garanti. Mais dans le couple femme-homme qui s’aime, ce manque (appelé différence des sexes) permet au Désir de se glisser entre les deux partenaires. Dans le couple homosexuel, il s’immisce plus difficilement tant la fusion/division est désirée en son sein.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Film "La Vie d'Adèle" d'Abdellatif Kechiche

Film « La Vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche


 

Dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité, il est souvent question de la fusion : cf. le film « L’Un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, le roman Je vis où je m’attache (1978) d’Yves Navarre, le film « Átame » (« Attache-moi ! », 1989) de Pedro Almodóvar, le vidéo-clip de la chanson « Shut Up ! » de Mylène Farmer (avec la fin dans la fusion mortelle du couple d’amants transpercé par la flèche de Cupidon), le film « Bouche à bouche » (1995) de Manuel Gómez Pereira, la chanson « En nage indienne » d’Étienne Daho (« Serre-moi, si ton corps se fait plus léger, nous pourrons remonter. »), le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, le roman Deux larmes dans un peu d’eau de Mathieu Riboulet (racontant l’histoire de deux jumelles, dont l’une meurt à la naissance), le film « L’Âge atomique » (2012) d’Héléna Klotz, le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, la chanson « Chaleur humaine » de Christine & the Queens, le film « Corpo Elétrico » (2018) de Marcelo Caetano, etc. Par exemple, dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, le héros, Fusion Man est précisément homo.

 

 

Parfois, la recherche de fusion amoureuse apparaît chez le héros homosexuel comme la résurgence d’un manque de détachement avec ses propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Ma famille est beaucoup dans la fusion. » (le protagoniste homosexuel dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Il a un trouble de l’attachement. » (Diane parlant de son fils homosexuel Steve, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan)

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, a depuis sa naissance, une forte tendance à faire ventouse avec les membres de son entourage de qui elle s’entiche. D’abord, quand elle était petite, elle collait toujours aux basques de sa nurse, Collins, dont elle était secrètement amoureuse : « Ne soyez pas toujours dans mes jambes, voyons, Miss Stephen. Ne me suivez pas partout et ne m’observez pas sans cesse. Je déteste être surveillée. » (p. 38) Ensuite, et pendant toute sa vie, Stephen sera un pot de colle dès qu’elle éprouvera des sentiments amoureux pour une femme : « Tout leur semblait fondu et ne faire qu’un, comme toutes deux ne faisaient qu’un à présent. » (Stephen par rapport à sa compagne Mary, op. cit., p. 416) ; « étrange et torturante fusion avec Mary » (idem, p. 485)

 

FUSION deux femmes serrées

 

Souvent, le personnage homosexuel vit dans le fantasme de fusionner avec son amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître lui-même : « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, pp. 330-331) ; « On ne peut pas rester deux jours sans se voir. » (idem, p. 367) ; « Tu crois qu’on est enchâssés ? » (Schmidt s’adressant à son pote Jenko, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Je vais t’envelopper dans la chaude intimité de mon désir. » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Si demain tu veux t’enchaîner toi aussi, tu n’hésites pas. » (Jean-Jacques s’adressant à son futur amant Jean-Marc, en lui tendant des menottes, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Prétorius, j’ai fait de vous un vampire. » (Dracula à Prétorius dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « C’est un moment fort où se réveille l’eau qui dort, un moment clair où je me confonds à ta chair. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Nous sommes une, elle venue à moi. La greffe est intégrale. » (la narratrice lesbienne parlant de sa compagne Mathilde, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 64) ; « J’aimerais plonger en elle, la tête la première et qu’elle se fonde en moi, jusqu’aux pieds, en dedans. » (idem, p. 66) ; « Je veux que ça sorte de nous. Je veux que ça sorte de moi… Je te veux en moi. » (Charlie s’adressant à son amant Chris, dans film « Urbania » (2004) de Jon Shear) ; « Notre fusion » (la voix narrative à sa bien-aimée, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Ses mains encore dans mes cheveux. Ses yeux sérieux que je regarde de tout près bien qu’il fasse trop sombre maintenant pour y distinguer quoi que ce soit d’autre qu’un fugitif éclat de lumière. Alors une brusque exhalation de tout le corps – comme en ont les fleurs, par à-coups – venue on ne sait d’où, on ne sait de qui (peut-être à la fois de nous deux) nous inclut lentement dans le même remous, nous relie aux mêmes vibrations, comme si l’air entre nous les vêtements et jusqu’à la peau même tout avait disparu, abolissant jusqu’à la conscience claire d’être soi devant l’autre… » (Mireille Best, Hymne aux murènes (1986), p. 143) ; « Je l’ai rejoint dans le petit lit vert. Cela ne l’a pas réveillé. Il avait l’habitude. De moi. De mon corps. De nous. Deux. Un. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman dans Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) ; « Union, fusion, bonheur, ailleurs qu’avec moi, étaient donc possibles. Vraiment ? Pour lui ? Pour moi ? » (idem, p. 84) ; « Dès les premiers mots, j’ai su ce que nous venions de vivre intensément ensemble, cet échange, cette fusion, cette transformation, ce pacte, cette forêt noire […]. » (idem, p. 165) ; « Au début, c’est la fusion. » (Matthieu décrivant les habituelles positions de couples homos sur les canapés les premiers temps de leur formation, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « On reste ainsi, comme soudées l’une à l’autre. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 18) ; « Sans calcul, nous nous laissâmes aller, et bientôt, dans une complétude presque parfaite, chacune répondit à la douceur de l’autre, comme si nous ne faisions qu’une. » (idem, p. 63) ; « Quand je te regarde, c’est comme si je me remplissais de toi. » (Anna s’adressant à son amante Cassie dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « J’avais l’impression d’arriver plus à l’intérieur de Pierre que par tous les culs et les chattes du monde. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 40) ; « Jane rêvait d’Anna. Elles étaient seules dans le noir, les doux cheveux de la fille retombaient sur le visage de Jane. Elle eut l’impression d’être au lit avec elle et se mit à paniquer ; ce n’était pas ce qu’elle voulait, tout allait de travers. Les lèvres de la fille se posèrent sur les siennes et elles s’embrassèrent, la langue d’Anna frémissante et insistante. Jane comprit à nouveau ce qu’elle était en train de faire et tenta de la repousser mais quelque force supérieure les collait l’une à l’autre. Elle sentait le poids du corps de la fille, la douceur de ses seins, et elle se tortilla pour se dégager, tentant désespérément de s’échapper, mais elle avait beau se tourner dans toutes les directions, elle était piégée. Elle repoussa Anna de toutes ses forces, mais sans résultat, elles étaient verrouillées l’une à l’autre, et brusquement Jane comprit ce qui les retenait là. Elles étaient scellées, l’une au-dessus de l’autre, sous le plancher de l’immeuble de derrière. » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos d’une gamine mineure, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 222) ; « C’est normal que tu sois triste : deux oignons [allégorie de deux ex de Jérémy] qui se frottent, ça fait pleurer. » (le père de Jérémy Lorca consolant son fils gay, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, Frédéric Delamont recherche « un amour presque parfait, une véritable fusion », où « l’un sans l’autre, on n’est rien ». Dans son one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008), Jérôme Commandeur dit que « les pédés collent entre eux ». Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Jean-Pierre décrit le couple Fanny/Catherine comme le « Club Sandwich », la rencontre spontané du ying et du yang. De par son métier, Catherine travaille sur des matières déformables : elle déclare qu’elle rêve d’une fusion entre les corps humains qui se déformeraient par la seule action du contact des peaux. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, à la question posée à Rachel l’héroïne lesbienne « Comment on sait qu’on a trouvé l’amour ? », celle-ci répond : « On se sent juste à l’abri, au chaud. » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, l’amour lesbien, et le désir tout court, sont mis sous le signe de la fusion embrasante : « Ne joue pas avec le feu. » conseille sir Harold Nicolson à sa femme Vita Sackville-West, lesbienne, à propos de Virginia Woolf. Quand les deux femmes couchent ensemble, on voit en toile de fond le feu de cheminée. Et au début du film, Virginia conseille à Duncan de ne pas se laisser dévorer par son désir sexuel vis-à-vis de Vanessa : « Le sens-tu couler en fusion au-dedans de toi ? »

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille infernal : « On sera tous purifiés par l’eau chaude. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’adressant à son amant Palomino, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Je risque l’auto-combustion. » (Kai au contact du pied de son amant Richard sur son poitrail, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Cette nuit, ils ne font pas l’amour. Cette nuit, ils ne se défoncent pas. Plancher, sur le lit, les draps trempés. Il grelotte, il suffoque. Le thermomètre indique quarante de fièvre. Javier veille son ami. Passe la main sur son visage, le calme lorsqu’il s’agite trop, porte les verres d’eau, maintient le gant de toilette imbibé d’eau froide sur son front, caresse sa chevelure, sa nuque, lui raconte un tas d’histoires sans intérêt pour l’apaiser, le serre dans ses bras, embrasse sa joue en feu, l’aide à ingurgiter aspirine sur aspirine. Le jeune homme ne semble pas vraiment réagir. Les seules fois où il se lève, c’est pour se précipiter aux toilettes et vomir. Il refuse que le capitaine l’y accompagne, tire la chasse avant de sortir et revient se coucher illico. Javier est tenté un moment de l’emmener aux urgences, mais son amant l’en dissuade. Demain, il ira voir quelqu’un, promis. En attendant, il veut juste se reposer. S’il te plaît, mon amour. » (Antoine Chainas, Une Histoire d’amour radioactive, 2010) ; etc. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale. « On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike, le héros homo, rencontrant pour la première fois un internaute, Vianney, et l’accueillant chez lui les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Vianney part très vite. Je sens à nouveau le souffle de son corps, chaud cette fois, qui s’éloigne de moi et qui, en s’arrachant à moi, m’enlève une partie de moi-même que je viens à peine de retrouver et dont je dois déjà me détacher. » (idem, p. 86) ; « La même chose se renouvelait chaque jour : près de lui je brûlais de souffrance et loin de lui, mon cœur se glaçait. » (Stefan Zweig, La Confusion des sentiments (1928), p. 71) ; « ce bourreau à qui, malgré tout, j’étais attaché avec amour, que je haïssais en l’amant et que j’aimais en le haïssant. » (idem, p. 92) ; « En m’endormant, je rêvai que Linde et moi étions des particules tournant l’une autour de l’autre, se transformant brusquement en ondes, marées et courants. Mr Garg avait fait un commentaire à propos du dualisme que je n’avais pas noté. Si l’on croise un âne avec une jument, avait-il expliqué, on obtient une mule. La mule est-elle une ânesse ou une jument ? » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 31) ; « Ton regard… tes yeux. […] J’ai besoin de m’y perdre, de m’y noyer. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 317) ; « Ça brûle tellement le monde qu’on se jette en parallèle, ça brûle tellement qu’on cherche à se fondre. » (l’Actrice dans la pièce N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Que se passe-t-il quand une force qu’on ne peut pas arrêter rencontre un objet qu’on ne peut pas bouger ? » (Hache, la petite sœur de Rachel l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Avec lui, j’étais comme un papillon attiré par la flamme de la bougie. » (Fabien à propos de son attitude avec son amant Herbert, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Nous devrions tous baiser. Femmes, hommes, animaux, tous en même temps. Que nous finissions tous ensemble, et que le monde explose, et nous mourrons comme ça, heureux. » (Hernán s’adressant à Fede à qui il propose un plan à trois avec son partenaire régulier, dans le film « El Tercero » (2014) de Rodrigo Guerrero) ; « C’est toi qui enflammes mon cœur. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu) ; etc.

 

Comme vous pouvez l’entendre dans mon podcast sur les goûts musicaux lesbiens (ingrédient n° 16 sur le feu), dans les fictions homo-érotiques, et parfois les discours, il est fascinant de voir que les lesbiennes ont souvent le feu au corps : feu de la passion dévorante et possessive ; métaphore du désir homosexuel lesbien qui met en surchauffe, aussi. On l’entend dans leurs chansons et dans celles qui traitent d’elles : « Close to my fire » (2013) de Joe Bonamassa, « Sapho et Sophie » (1990) d’Alain Chamfort, « Radiate » (2018) de Jeanne Added, « La Grenade » (2017) de Clara Luciani, « Just need your love » (2016) de Hyphen Hyphen, « On brûlera » (2017) de Pomme, « Learn to live » et « Lash out » (2019) d’Alice Merton, « Combustible » (2018) de Cœur de Pirate, la toute fin de la chanson « Deux ils, deux elles » (2013) de Lara Fabian (avec le craquage d’allumette), « Feu de bois » (2018) et « Démons » (2021) d’Angèle, la fin du vidéo-clip de la chanson « Oui ou non » (2019) d’Angèle (finissant en enfer après son accident de voiture), « Pleurs de fumoir » (2022) de Hoshi, l’album Chaleur humaine (2014) de Christine and the Queens, etc. On le voit dans leurs films : « Fille de Feu » (1932) de John Francis Dillon, « Opalo de Fuego » (1980) de Jesús Franco, « Feu follet » (2022) de João Pedro Rodrigues , « The Firefly » (2015) de Ana Maria Hermida, « Gasoline » (2001) de Monica Lisa Stambrini, « Bonfire » (2018) de Lou Morin, « Fire » (1996) de Deepa Mehta (film lesbien indien), « Portrait de la jeune fille en feu » (2019) de Céline Sciamma, la série Chicago Fire (2012) de Michael Brandt et Derek Haas, « Foxfire » (2013) de Laurent Cantet, etc. On le lit dans leurs romans : Tout feu tout femme (2019) de Julio Lezzie, Smoke and Fire (2014) de Julie Cannon, Forbidden Fires (1996) de Margaret Anderson, Embrase-moi (2021) de Kyrian Malone, The Forge (1924) et The Unlit Lamp (La Flamme vaincue, 1924) de Marguerite Radclyffe Hall, etc.. On l’observe au théâtre : les ateliers lesbiens « Comme nous brûlons » de la Mutinerie à Paris. Côté militant, dans les premières Gay Prides londoniennes, certaines lesbiennes portaient des badges et des pancartes les désignant comme incendiaires : « Lesbian ignite » (textuellement, « Lesbienne, mets le feu ! »). Il y a 2000 ans, saint Paul parlait déjà du désir homosexuel comme un feu dévorant : (Rm 1, 18 ; 26-27) : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et contre toute injustice des hommes qui, par leur injustice, font obstacle à la vérité. […] C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement. » Et si, très inconsciemment, les lesbiennes nous prévenaient du feu des enfers et étaient les gardiennes-avertisseurs de la pratique homosexuelle ?
 

 

Lors de la Soirée Slam poétique « Les Grandes Histoires » du 7 décembre 2022 à la Matreselva (Paris), la slameuse lesbienne nommée Palma a sorti inconsciemment lors de son passage récité une référence entre lesbianisme et feu : « On se fait insulter comme un vrai couple de femmes, sans oublier jamais que ce qui compte c’est notre flamme. » Éminemment autobiographique.
 

 

 

Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, rien que le titre suggère la fusion des deux amants Thomas et François. Mais ce n’est pas tout : leurs rapprochements corporels amoureux sont mis sous le signe de la chaleur. Par exemple, ils improvisent chez eux une « Soirée feu-de-bois-peau-de-bête » Plus tard, on apprend que lors d’un dîner en amoureux dans un resto, François a brûlé au troisième degré Thomas en lui renversant des moules bouillantes dessus. Enfin, après une nouvelle dispute, François s’emporte : « Je te brûle ton marche-pied de la salle de bain ! » Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan, le héros homosexuel, raconte que, quand il avait 19 ans, il a été pris dans une tempête de neige alors qu’il se trouvait en voiture avec son amant Arnaud. Ils ont été rendus invisibles. Nathan s’est imaginé un accident dans lequel une voiture se serait encastrée dans la leur, et que leurs corps calcinés auraient été ensuite retrouvés sans vie, constitueraient les funestes carcasses noircies d’une homosexualité vécue dans l’ombre et stigmatisée socialement.
 

Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, l’un des héros homosexuels, rentre, on ne sait trop pourquoi, à l’intérieur d’un collège désert, et pénètre dans une des salles de classe où il répète ce qu’il lit sur les murs : « Physique nucléaire… Physique nucléaire… » Dans le film lesbien archi cucul « Elena » (2010) de Nicole Conn, Tyler Montague, le commentateur « psy » (branché développement personnel, avec un zeste de spiritualité), expose sa théorie quasi irrationnelle de la « flamme jumelle » : il considère en effet que les amants (homos, hétéros, peu importe ! il suffit d’être « amoureux » !) sont comme deux flammes qui ne vont en former qu’une seule, sans même avoir maîtrisé consciemment leur symbiose : « En amour, un plus un font… un. Nous avons rarement l’occasion de voir tout l’art de l’amour. Mais ce que nous désirons tous : être aimés… d’un amour total, heathcliffien, unique, fusionnel. » Ce gourou gay friendly fait d’ailleurs tout pour que le couple lesbien Peyton-Elena se forme « naturellement ». Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, la théorie du ying et du yang sert à justifier la supposée attraction homosexuelle entre les deux amis Schmidt et Jenko. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, une sorte de pasteur célèbre le mariage de Ben et Georges : il parle de l’amour comme d’une « énergie ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud, l’un des héros homos, croit, en amour et en matière de sexualité, au « principe de pressions réciproques », en s’appuyant sur un scientifique, Steinmann. Dans l’épisode 8 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, la formation du couple homo Éric/Adam est chimique et se forme en cours de chimie (sur un cours sur les valves pulmonaires et le cœur-organe !).

 

Au tout début du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Michel explique à Mélodie que pour ne pas perdre un savon qui s’amenuise dangereusement vers sa fin, il faut le faire fusionner avec un gros savon neuf… et cette « fusion », en plus d’être écolo, se veut une illustration scientifique des rapports humains amoureux aussi (que lui, Mélodie et Charlotte vont vivre dans le triolisme). En parlant des deux morceaux de savon, il dit ceci : « Ça les rassemble et les unit en un seul individu. »
 

Le désir homosexuel fonctionne par associations mentales abolissant la différence des sexes, mais aussi la différence des générations et celle des espaces : « J’imaginais le corps de Linde et la carte du pays fusionnant les limites entre plusieurs États afin qu’ils se chevauchent. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 57) Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent (30 ans) ne supporte tellement plus la fusion amoureuse avec Stéphane (50 ans) qu’il le bat régulièrement et finit par quitter : « On était l’un sur l’autre. C’était étouffant ! » Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, la relation d’« amour » entre Charlotte et Mélodie fait yo-yo : « J’comprends pas pourquoi tu ne me quittes pas. (Mélodie à Charlotte). Charlotte n’est pas prête à tout quitter ni à renoncer à sa relation hétéro avec Michel, pour suivre Mélodie, ce qui fait que cette dernière a l’impression de compter pour du beurre. Et c’est quand Mélodie s’éloigne que Charlotte revient à la charge. Mélodie en perd son latin : « Alors c’est que ça ? Faut que je te fuis pour que tu me rattrapes ? »

. Par exemple, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Hugo, le héros gay, embrasse pour la première fois Patrick, en regardant une aurore boréale. Le couple y voit un signe qu’ils sont « deux âmes-sœurs qui se retrouvent » et qui se seraient connues avant même leur naissance terrestre, dans d’autres vies…
 

Film "Mel & Jenny" de Nana Neul

Film « Mel & Jenny » de Nana Neul


 

De manière générale, la juste distance entre les amants homosexuels fictionnels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) Étant toujours forcée, la fusion contient logiquement sa part de menace qui lui est consubstantielle : « C’était étrange, ta dépendance. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, très possessif, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « C’est vrai que c’est pas simple, une greffe. Faut faire attention au phénomène de rejet. » (Thierry, le héros homosexuel s’adressant à son amant Martin, par rapport à sa propre intégration dans la famille de Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; « Toujours trop long à m’attacher et si long à me détacher. » (cf. la chanson « Au Jack au mois d’avril » d’Étienne Daho) ; « Lâche, c’est plus fort que toi, tu nous fais mal, ne t’éloigne pas de mes bras. » (cf. la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer) ; « Pas de ça chez moi ! Je te rends ton baiser ! » (Nathalie s’adressant à Tatiana dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa) ; « Elle m’a parlé de Sarah qui alternait les promesses et les refus, qui la repoussait et revenait la chercher quand Jane, découragée, renonçait. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 65) ; « J’ai juste envie de vomir à chaque fois que tu me touches. » (Édouard s’adressant à son amant Georges, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Vous n’êtes pas un peu serrés tous les deux ? » (le père de Chris s’adressant à son fils et à Ruzy l’amant de ce dernier, sans comprendre encore qu’ils sont en couple, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « J’étouffais. » (Aurora parlant de sa dernière relation lesbienne, dans le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio) ; « Moi qui nous croyais soudés… » (Georges s’adressant à son amant William, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Je brûle pour toi jusqu’à l’asphyxie. » (William s’adressant à Georges, idem) ; « Je vous trouve envahissante. Votre appétit m’étouffe. » (Fanny s’adressant à son amante Catherine, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Tu as pris toute la place. J’avais un tout petit bout de lit. » (Vlad, l’un des héros homosexuels, s’adressant au matin à son amant Anton dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier dit à son amant qu’il l’« étouffe ». Dans le film « Harakiri Children » (2008) d’Ivan Livakovic, deux hommes tombent amoureux et se retrouvent totalement isolés du monde… mais leur « nid d’amour » se révèlera être un véritable champ de bataille. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, le « couple » Gabriel et Philippe est en perpétuelle tension entre rupture et fusion : Gabriel est un chien fou très absorbant, tandis que Philippe est au contraire très distant, nonchalant et n’assume pas leur union ; et dès que les engueulades menacent la cohésion de leur tout, Gabriel se met toujours à promettre un PaCS pour rabibocher fiévreusement et artificiellement les choses. Même souci de « colle amoureuse qui colle mal », et où l’un des partenaires du couple est plus à fond que l’autre, avec le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider… alors que pourtant, tout semblait tenir sur la photo instantanée : « Nos deux cœurs sont collés ensemble. » (Laurent s’adressant à André) Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel ne veut pas rester « scotché » à son amant Franck (« Si on commence comme ça, dans une semaine, on en aura marre l’un de l’autre. ») alors que Franck veut plus de proximité et d’engagement (« Ça ne va pas m’amuser longtemps. »). Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, Alfredo et Carlos passent par toutes les phases de l’élastique tendu et détendu de la passion : attraction, processus de séduction et rejet… Dans le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, après leur engueulade, Michel plaque son copain Jean-Yves à cause de sa possessivité ou de son propre refus de s’engager : « Il commençait à s’attacher, alors… » Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, la relation amoureuse qui s’instaure entre Alfredo et Carlos est un processus complexe d’attraction, de séduction et de rejet. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, à maintes reprises, les crises d’étouffement physique de Charlène, l’héroïne lesbienne, coïncident avec les vissicitudes douloureuses de sa passion amoureuse pour Sarah. À la fin, Charlène finit par étouffer son amante avec un coussin tellement elle est odieuse. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian est en couple avec John, mais ça semble compliqué : John a toujours refusé de « s’engager »… et c’est au moment où Ian décide de partir au Mexique que John se met à lui dire qu’il est « l’homme de sa vie ».

 

Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Polly, l’héroïne lesbienne, tombe de haut quand la relation fusionnelle qu’elle a partagée depuis quelques mois avec sa compagne Claude, se solde par une rupture impromptue : « Putain, mais je comprends pas. On est tellement dans la fusion, avec Claude, elle m’a fait un vieux plan parano. » (p. 75) Son pote homo Simon s’énerve brutalement contre sa naïveté : « Non mais t’es dans la fusion, toi, Polly, et tu crois encore aux contes de fées lesbiennes. Franchement, il te faudrait quoi ? Que la merveilleuse princesse endormie te tombe dans les bras et qu’elle soit ta copie conforme, pas de soucis, pas d’angoisse, deux jumelles incestueuses qui sont le reflet l’une de l’autre, la parfaite copie ? » (p. 76)

 

Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Ils souffrent de vivre une relation sans forme, sécuritaire, sans avoir la force de rompre : « On ne peut pas quitter Adar. » avoue Antoine, « J’arrive pas à l’abandonner. » Louis, le frère hétéro volage d’Antoine, relève l’hypocrisie immature de ce fonctionnement de couple : « Tu sais, l’amour et la pitié, ça fait pas bon ménage. »
 

La fusion amoureuse homosexuelle n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’une refus de la solitude et de la liberté… d’une instrumentalisation mutuelle : « Tu comprends pas que je suis trop lâche pour te mettre dehors ?!? » (JP à son petit copain Ben, dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, épisode 3 « État secret ») ; « Quand tu t’y mets, t’es une sang-sue. Et c’est d’un ennui mortel. Je te jure que t’es d’un ennui mortel. » (Dick s’adressant à Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; « On s’aime beaucoup mais on s’empêche de vivre. » (Nathalie à son amante Louise, dans le film « La Répétition » (2001) de Catherine Corsini) ; « Je retrouve ta chair. Je passe d’un monde à l’autre. Cela n’est pas si difficile. D’abord, tu me prends dans tes bras. Tu as ce geste immédiat, instinctif de rechercher mon contact, d’être comme moi, d’imprimer ton corps sur le mien, d’atteindre ce moment où ils sont en symbiose, où leurs épousailles les transforment en un seul objet. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 63) ; « Je ne peux plus continuer avec Jo. Il ne se passe plus rien. On est passés d’une relation fusionnelle à une relation fraternelle. » (Matthieu parlant de la relation d’un an qu’il vit avec Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « S’aimer : résistance, dissonance. » (cf. la chanson « Love Song » de Mylène Farmer) ; etc. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Pierre Bergé se voit reprocher par les amis ou la famille de Yves Saint-Laurent d’étouffer ce dernier : « Tu peux pas isoler Yves comme ça. Yves a des amis ! » (Loulou)

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé dans les œuvres homo-érotiques ; le personnage homosexuel se sent à la fois « tout contre » son partenaire, et « contre lui » : cf. le roman Tout contre Léo (2004) de Christophe Honoré, le film « Saturno Contro » (2007) de Ferzan Oztepek, la chanson « Mujer Contra Mujer » (« Une Femme avec une femme ») du groupe Mecano, la chanson « Amoureuse » de Véronique Sanson (« Quand je me serre tout contre lui, quand je sens que j’entre dans sa vie, je prie pour que le destin m’en sorte, je prie pour que le diable m’emporte. »), la chanson « Les Uns contre les autres » de Marie-Jeanne dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho (« Tu es le soleil contre moi. »), la chanson « L’un contre l’autre » d’Élisa Tovati (« On était si bien l’un contre l’autre. Qu’est-ce qui nous a poussés l’un contre l’autre avec le temps ? »), le film « La Belle Image » (1950) de Claude Heymann, le film « Le Corps de mon ennemi » (1976) d’Henri Verneuil, le film « Contracorriente » (2009) de Javier Fuentes-León, le film « Peau contre peau » (1991) de François Ozon, le film « Grégoire Moulin contre l’humanité » (2011) d’Artus de Penguern, la chanson « À contre-courant » d’Alizée, etc.

 

L’adverbe polysémique « contre » symbolise un amour homosexuel à la fois rassurant et destructeur : « J’ai rêvé en m’endormant, hier soir, que je te chantais une chanson douce, une chanson française, et que nous nous endormions près d’une cascade en pleine nature, à la belle étoile, l’un contre l’autre – l’un dans l’autre… » (Chris s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 119-120) ; « Je me pose tout contre lui. » (Kevin en parlant de Joe, dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton) ; « Je la serrai contre moi. Jamais encore je n’avais été si proche de ce qui, chez elle, m’échappait et m’attirait. » (Laura en parlant de son amante Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 85) ; etc.

 

Les amants homosexuels sont très souvent en conflit parce qu’ils se placent systématiquement l’un contre l’autre, dans tous les sens du terme : « Depuis longtemps, nous n’avions pas été ainsi : corps contre corps. » (Kévin et Bryan, les héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 284) ; « Kévin pleurait toujours. Je le pris dans mes bras et le serai très fort contre ma poitrine. Nous étions face à face, corps contre corps, les yeux dans les yeux. Ce moment-là, je l’avais trop désiré. Encore une fois l’impression de rêver ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, op. cit., p. 317) ; « On continua de parler, dans la pénombre de ma chambre, dans la chaleur de mon lit, l’un contre l’autre. » (Kévin et Bryan, op. cit., p. 326) ; « Elle [Harriet] peut s’amuser à vous jeter contre moi. » (Auguste à Théo dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon) ; « Prends-moi dans tes bras, sans réfléchir, corps à corps, bouche contre bouche. » (Vincent à son amant Arthur dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 36-37) ; « Je me souviens de nous, marchant dans la rue, l’un contre l’autre, deux contre tous, à contresens. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Et j’ai compris. Khalid était mon ennemi. J’étais son ennemi. C’était écrit. Rien ne pouvait plus changer cette fatalité. J’ai fermé les yeux, moi aussi. Pour mieux me préparer au dernier combat. Le dernier round. Le dernier chapitre. L’un contre l’autre. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 163) ; « Ronit scruta l’obscurité, penchée vers la droite. Le mouvement la rapprocha d’Esti, elle se retrouva collée à elle, son flanc contre le sien. Elle fit la moue, perplexe. » (Ronit et Esti, les héroïnes lesbiennes, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 137) ; etc.

 

Par exemple, dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa raconte qu’elle préfère vivre seule et qu’elle a l’impression d’être contre le cul d’un cheval : elle rajoute que contre un corps, elle ne sait même pas où mettre ses jambes. Dans la chanson « Quelle heure est-il ? » de Bilal Hassani, l’étreinte vire à l’étouffement : « Je me sens serré dans tes bras. Des bras que je ne connais pas. Je me sens serré, s’il te plaît. Je suis trop serré contre toi. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles désirant être pratiquantes, il est souvent question de la fusion, une fusion très proche du narcissisme, d’ailleurs : « Je ne me rappelle pas comment, ni pourquoi, mon union avec Jimmie s’est faite sur le sol carrelé blanc de la salle de bains de Merrywood. […] Nous étions là, ventre contre ventre, en train de ne former plus qu’un. […] Nous nous sommes donc simplement enlacés, reconstituant ainsi le mâle originel que Zeus avait divisé. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 47) ; « À deux, nos âmes fusionnent, nos cœurs se fondent l’un dans l’autre. » (Felice Newman, Les Plaisirs de l’amour lesbien, 2003) ; « Il y a souvent dans les amours dites ‘marginales’ cette impression de pulvérisation, quelque chose qui se délite, qui s’émiette, qui laisse en effet insatisfait. Parfois une impression de tristesse douloureuse. Il y a la lassitude, l’incuriosité. Alors ça ! Le nombre de couples, homos ou hétéros, qui ne font pas assez durer leur musique parce que l’un ou l’autre n’est pas assez curieux de l’autre, ou qu’il ne l’aime pas assez pour accepter de passer derrière l’autre… » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko déclare qu’il a ressenti très tôt « des sentiments de fusions et d’effusions proches de son attirance envers les garçons » (p. 96).

 

Sans faire trop de psychologie de comptoir, on peut quand même voir dans la recherche de fusion amoureuse une résurgence d’un manque de détachement de certaines personnes homosexuelles avec leurs propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Schreber restait secrètement un petit enfant qui désirait être l’unique possesseur de la mère – possession rendue possible uniquement par son identification à elle, primitive et magique – une fusion symbolique et magique. » (White cité dans l’article « Faits et hypothèses » de Robert J. Stoller, sur Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217) ; « Le sens de la réalité leur échappe parce qu’ils ont fait pour ainsi dire l’économie de l’étape oedipienne et que la séparation entre Moi et non-Moi n’existe pas pour eux. Leur vision du monde est de type fusionnel. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 97)

 

Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013, on nous fait croire que la relation incestuelle, « fusionnelle » et de copinage entre le père homosexuel et sa fille biologique pourrait très bien se substituer à l’union conjugale passée du père et de la mère biologiques, par l’entremise magique du coming out (ils discutent « mecs » ensemble, peuvent faire du shopping et se conseiller vestimentairement). La séparation ou la rupture conjugale femme-homme est maquillée et surinvestie en fusion filiale, « grâce » à l’homosexualité.

 

À l’âge adulte, beaucoup d’entre elles vivent dans le fantasme de fusionner avec leur amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître elles-mêmes : « Il devient plus qu’un simple corps et se transforme en une extension de mon être. Je n’existe qu’à travers lui. Qu’en lui. Je n’ai plus de vie propre, je fusionne avec lui. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 54) ; « Il se fascine sur l’Autre et fuit sa propre conscience de soi. » (Jean-Paul Sartre parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 169) ; etc.

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale : « Antoine aime être auprès de Bruno. Il aime sa chaleur. Il en a besoin. Mais il arrive un moment où il faut se détacher et le corps n’obéit pas… » (cf. résumé du film « Chaleur humaine » (2012) de Christophe Predari dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 58) ; « Je crois que mon coloc veut me serrer. » (cf. la chanson « Mon Coloc » de Max Boublil) ; « Vous avez réussi à absorber ma vie entière. » (Oscar Wilde à son amant Lord Douglas, dans sa lettre De Profundis, 1897) ; « J’attends Slimane. Je suis Slimane. Tellement habité par lui. Respirant exactement comme lui. Dans Le Petit Robert, je cherche à le comprendre davantage. À me rapprocher encore plus de ce qu’il est. De ce qu’il fait quand il part au travail. Être là où je ne peux être avec lui. ‘FONDERIE : Atelier où l’on coule du métal en fusion pour fabriquer certains objets. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 107) ; « Disciple de Messmer ou adepte du mesmérisme, Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) croyait beaucoup au magnétisme et pour lui le courant érotico-magnétique était concentré dans l’organe sexuel masculin. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 79) ; etc.

 

Par exemple, pendant les trois longues heures du film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le spectateur n’a droit qu’à des gros plans très resserrés sur les visages des héros… quand ce ne sont pas des plans carrément flous d’être trop proches, ni des scènes filmées en caméra subjective. Il n’y a pas d’espace : ni entre les personnages (qui passent leur temps à s’embrasser), ni entre le réalisateur et ce/ceux qu’il filme. Cela montre bien que « La Vie d’Adèle », même dans sa forme, est un film égocentrique, narcissique, fusionnel et oppressant.

 

Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) suppose dans ses écrits que « le plaisir de l’homosexuel est supérieur au déplaisir de son partenaire – comme si, encore une fois, ils pouvaient être mesurés et comparés -, et que donc, la somme des deux étant positive, cette relation est justifiée. Nul besoin de dire qu’on est là sur une pente glissante extrêmement dangereuse, où l’on peut justifier toutes sortes de mise en esclavage d’une minorité par une majorité au nom du « bien commun ». Nul besoin non plus d’insister sur les germes de totalitarisme que contient cet utilitarisme sexuel ». (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 86)
 

La présence physique, et le rapprochement des corps ne sont pas systématiquement synonymes du rapprochement des cœurs. Parfois, ils peuvent même être un mirage occultant l’absence d’amour, l’incroyable isolement qui se vit dans le couple homosexuel : « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. Nous avions essayé de nous tenir chaud, de nous réconforter l’une à l’autre, mais la solitude était toujours là et ce n’était pas la vie. Martine et moi étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Souvent, la juste distance entre les amants homosexuels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) ; parfois même des viols : Vladimir Marinov nous parle à juste raison de cette « tension entre liaison et déliaison excessives » impulsée par les désirs dispersants tels que les désirs homosexuel ou hétérosexuel, qui ne sont que des variantes de la pulsion de mort. « La pulsion de mort n’est pas plus associée à un mouvement de déliaison outrancier qu’à un mouvement de liaison excessif ; les deux mouvements, poussés à l’extrême, peuvent devenir destructeurs ; de fait, ils sont complètementaires et inséparables. » (cf. l’article « Le Narcissisme dans les troubles de conduites alimentaires » de Vladimir Marinov, dans l’essai Anorexie, addictions et fragilités narcissiques (2001), p. 59) Dans les couples hétérosexuels comme homosexuels, il y a peu de place pour le Désir tant la fusion en leur sein est désirée : « Il n’y a pas de désir entre nous. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 334) ; « Dans le rapport homosexuel, il va y avoir un rapport de forces qui va s’établir… un rapport de forces qu’il faut essayer d’éviter. Mais entre deux hommes ou entre deux femmes, à cause du conditionnement qui nous entoure, il y a un rapport d’autorité, de domination, de possession qui essaie de s’exercer. Et c’est là qu’il faut suffisamment d’amour pour éviter ce rapport de possesseur à possédé. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Pensons également au nom de scène choisi par la chanteuse/le chanteur français(e) Desireless, ainsi qu’au titre de la pièce Parce qu’il n’avait plus de désir (2007) de Lévy Blancard. La fusion recherchée n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’un refus de sa propre solitude et liberté : cf. le magazine des sexualités gays qui s’intitule Prends-moi, l’essai Comme un seul homme (2012) d’Emmanuel Pierrat, etc. Je vous renvoie aux codes « Viol », « Pygmalion » et « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Ce qui est vrai en amour homosexuel (= cette violence de la fusion désirée) l’est aussi pour le rapport de beaucoup de personnes homosexuelles vis à vis du monde qui les entoure. On observe un manque de distance, un manque de chasteté, un manque de maturité, qui confinent à l’orgueil de se prendre pour Dieu et de s’auto-suffire : « Je suis vivant. Le monde n’est pas seulement une chose posée là, extérieure à moi-même. J’y participe, il m’est offert, mais ce n’est plus ma vie. Je suis la vie. » (« C. » en épitaphe dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 6) ; « Tu l’as dit toi-même. Je ne sais pas couper les liens que j’ai avec les autres. » (Xavier, homosexuel, s’adressant à sa fille, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne) ; « L’idée, c’est qu’on soit tous les deux le père biologique. Ce serait des jumeaux avec la même mère biologique et le sperme de nous deux. » (Christophe à propos de Bruno, son compagnon, avec qui il programme une GPA avec mère porteuse, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015) ; etc.

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Film "En chair et en os" de Pedro Almodovar

Film « En chair et en os » de Pedro Almodovar


 

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé par les personnes homosexuelles ; elles se sentent à la fois « tout contre » leur partenaire, et « contre lui ». L’adverbe polysémique « contre » symbolise en général un amour homosexuel rassurant et destructeur : « Le chanteur est arrivé : la foule s’est agitée, elle s’est compressée en direction de la scène. Le corps de l’homme s’est retrouvé poussé contre le mien, et à chaque mouvement de foule nos corps entraient en friction. Nous étions de plus en plus serrés l’un contre l’autre. Il souriait, gêné et amusé, le corps irradiant l’odeur de la sueur. J’ai perçu son changement d’état, son sexe se dresser progressivement et cogner le bas de mon dos. » (Eddy Bellegueule dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 177) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. » (idem, p. 193) ; « Je haïssais Chouaïb. Il ne m’attirait plus. Mais je voulais rester ainsi pour toujours, nu, collé à lui tout aussi nu, peau contre peau, vivant dans le chaos de cette guerre intime, sexuelle. » (Abdellah Taïa à propos de son cousin Chouaïb dont il est amoureux, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 23) ; « Je ne pouvais pas dormir. Excité par mes souvenirs encore tout frais de nous deux la veille du retour à Paris, intensément dans le désir et les sentiments bruts, silencieux, loin, puis proches, corps contre corps. » (Abdellah Taïa à propos de Javier, op. cit., pp. 39-40) ; « Slimane ne m’avait donc rendu que quelques pages de notre journal. Il avait gardé le reste pour lui, l’avait peut-être détruit. Brûlé. Tout ce que nous avions écrit ensemble, corps contre corps, mains jointes presque, il l’avait pris pour lui, volé pour lui.  La mémoire écrite de notre histoire lui appartenait désormais. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, op. cit., p. 110) ; « Slimane, je n’arrive plus à t’appeler cher Slimane, tellement je suis en colère. Contre toi. Contre moi. Contre cette injustice que tu m’imposes. Contre l’amour qui n’a plus aucun sens aujourd’hui pour moi et qui, pourtant, est encore là, au fond de mon cœur. Contre cette censure que tu te permets d’exercer dans notre ‘Journal amoureux’. » (idem, p. 112) ; « On s’oublie le long du corps de l’autre, de sa douceur et sa chaleur. On s’oublie réellement, je veux dire, on ne sait plus très bien où l’on et, on agit avec instinct, les yeux mi-clos, le cerveau éteint. C’est bon et vain à la fois. […] On devient deux corps étrangers posés l’un contre l’autre, encore chauds, encore endoloris par endroit. On est presque surpris par cette indélicatesse de l’autre de s’être laissé aller si promptement à ses instincts les plus vils. La recherche égoïste et rageuse du plaisir à l’encontre de l’autre. Je filme. Il me regarde avec étrangeté, sans ses lunettes écailles. Dans son regard, il n’y a ni douceur ni tendresse, juste un étonnement, un questionnement. Je murmure : ‘Quand on ouvre les yeux, on doit se souvenir contre qui on s’est échoué.’ » (Mike à son amant d’un soir, « P.-O. », dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 57-58) ; « Je flairais un brin d’allégresse, lorsque la sensation de ses doigts pour me pousser à danser contre lui pénétrait sur ma chair, créant une vive douleur. Cependant, je désirais cette souffrance pour reprendre conscience de mon corps, comme emporté loin de moi par la vague de plaisir. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 66) ; etc. Par exemple, en 1875, Heinrich Marx s’exprime à propos de l’acte sexuel entre un homme et un Uraniste : « Puisque l’Uraniste a un corps principalement charnu et tendre, en serrant les cuisses l’une contre l’autre, il offre une place pulpeuse à la place des organes féminins, qui est capable de s’adapter à l’organe d’amour de l’homme. Pendant la jouissance, comme dans l’amour ordinaire, l’homme et l’Uraniste sentent passer un courant magnétique. »

 

Entre fusion et confusion, il n’y a qu’une seule syllabe de différence ! (… et pas n’importe laquelle !). Enfin, pour la petite histoire, je ne crois pas que Fire Island soit un lieu de villégiature homo par hasard…

 
 

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Code n°83 – Grand-Mère

grand-mère

Grand-Mère

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Mémé-pédé

 

Tantôt jumelle, tantôt amant homosexuel, tantôt déesse, tantôt diablesse, il est évident que la grand-mère du héros homosexuel ou celle dont parlent de nombreux sujets homosexuels n’est pas la véritable grand-mère biologique que nous avons tous … même si les fantasmes s’appuient toujours sur un substrat de sang ou de réel pour asseoir leur vraisemblance. Elle est plutôt cet androgyne tout-puissant qui habite les esprits en plein effondrement identitaire ou désirant. Elle est cette femme-objet vieillissante (cf. je vous renvoie bien sûr à la partie « Star vieillissante » du code « Actrice-Traîtresse », aux codes « Tante-objet ou Mère-objet », « Bergère » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) créée par une société matérialiste qui asexualise, homosexualise, prostitue tout le monde. C’est mémé-pédé. Big Gay Grandmother !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Bobo », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Matricide », « Tante-objet ou Maman-objet », « Folie », « Voyante extralucide », « Destruction des femmes », « Mère possessive », « Mère gay friendly », « Inceste », « Doubles schizophréniques », « Reine », et à la partie « Star vieillissante et cruelle » du code « Actrice-Traîtresse », dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

Mamie chérie !

Mamie chérie ! Film « Vier Minuten » d’Hannah Herzsprung

 

On voit apparaître souvent la grand-mère dans les fictions homo-érotiques : cf. le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer (avec une femme âgée qui est une enfant), le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust (avec la « grand-mère très lettrée » du narrateur homosexuel), la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron (où la grand-mère est une figure d’indépendance), le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron (avec Grany), le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally (avec la grand-mère qui devine l’homosexualité de sa petite-fille avant tout le monde), le film « Serial Noceurs » (2005) de David Dobkin, le film « Les Petits-Fils » (2003) d’Ilan Duan Cohen, le film « Une voix d’homme » (2001) de Martial Fougeron, le film « Une grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, le roman À ta place (2006) de Karine Reysset (avec la grand-mère de Cécile), la grand-mère du film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman (avec la grand-mère ancienne artiste de cabaret), le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec Mamy, la grand-mère délurée), le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron (avec la grand-mère excentrique), le film « Im Sommer Sitzen Die Alten » (2009) de Beate Kunath, le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras (avec Mamie Alma, la grand-mère de Dany et Ody), etc.

 

Film "Le temps qui reste" de François Ozon

Film « Le temps qui reste » de François Ozon


 

Beaucoup de héros homos sont de bons p’tits fillots à leur mamie : cf. le film « Grandma’s Boy » (2006) de Nicholaus Goossen, etc. « Tiens, voilà la vieille qui passe là-bas. Tiens, voilà la vieille qui sort du grand bois. Ah ! Quelle merveille, La vieille, la vieille. Ah ! Quelle merveille, cette vieille-là… » (cf. la chanson « La Vieille » de Charles Trénet) ; « Comme disait ma grand-mère, à force de croquer la vie à pleine dent, on en perd son dentier. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Tous les week-end je gardais ma grand-mère. » (Jarry parlant du baby-sitting, dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Comme disait ma grand-mère, c’est dans les vieux box qu’on fait les meilleures confiotes ! » (Fred, le trans M to F, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; « Il serait pas un petit peu gay, ton mec ? ll a un chat, il kiffe les vieilles, il aime bien le shopping. » (Sonia s’adressant à sa pote Joëlle par rapport à Philippe le mari de celle-ci, dans le film « L’Embarras du choix » (2016) d’Éric Lavaine) ; etc. À les entendre, ils vivent avec elle. « Ah beh d’abord, y’a ma grand-mère que j’adore. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne). Par exemple, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau dédie une chanson « pour la maman de sa maman » : « À Mémé qui m’aimait tout autant. » Dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron, Mister Carter (70 ans) dit à John (15 ans) qui est amoureux de lui que le fait qu’un jeune homme tombe amoureux d’une femme beaucoup plus âgée que lui, c’est un truc de « Sissi » (= « de pédés »). Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo, l’un des héros homosexuels, va à l’anniversaire de sa grand-mère de 80 ans qu’il chérit tant. Dans le roman Deux Garçons (2014) de Philippe Mezescaze, Philippe, pour fuir la folie de sa mère, arrive à La Rochelle et s’installe chez sa grand-mère. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, maquille sa propre mère dans la salle de bain et lui redonne soi-disant sa féminité. « Ta grand-mère était très douée. » le complimente-t-elle. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, le héros homo allemand, a été élevé par sa grand-mère : « J’ai grandi avec ma grand-mère. ». Celle-ci a même supplanté sa propre mère : « Je n’ai pas de mère. ». Tomas attribue à sa grand-mère sa vocation de pâtissier puisqu’elle cuisinait des gâteaux aussi.

 

Film "Chicken" de Tikka Masala

Film « Chicken » de Tikka Masala


 

En général, cette mamie compose une personnalité haute en couleurs, extravagante, vaguement artiste et intellectuelle, femme du monde, vieille France, facho, extrême droite et odieuse : cf. le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Mamita, la grand-mère insupportable, bourgeoise et raciste sans s’en rendre compte : « Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel. Ils sont trop gâtés et puis c’est tout. »), le sketch de la « Belle-mère » de Didier Bénureau (avec la grand-mère qui passe des coups de fil compulsifs pour insulter la famille de sa fille Patricia), le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte (avec l’affreuse Grany), le one-man-show Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le film « Entre Tineblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar (avec la vieille Marquise grippe-sous), etc. Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, la grand-mère de Steve, le héros homosexuel, disait de lui qu’il n’était « pas commode ».

 

 

Dans les fictions homo-érotiques, la grand-mère est détruite/salie autant que valorisée. Le héros homosexuel la massacre pour prouver par son acte iconoclaste que SA mamie est toute-puissante et immortelle : cf. la chanson « Susan Boyle » de Max Boublil, le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec l’enterrement de la grand-mère), le poème « Abuela Oriental » de Witold Gombrowicz (avec la grand-mère profanée), etc. « Dans la famille Maboule, je voudrais la grand-mère. » (Micka jouant au Jeu de 7 Familles dans le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent) ; « La grand-mère est morte… » (Quentin Lamotta, Le Crabaudeur (2000), p. 71) Et dans le cas où il ne la tue pas, il s’imagine quand même, à sa mort, qu’il l’a tuée : « J’ai tué ma mémé !!! » (Marcel, un des héros homosexuels de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, lors de l’enterrement de sa grand-mère) ; « Grand-mère est morte. Grand-mère est morte. » (Lucie dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Quelques heures plus tard, Françoise put une dernière fois et sans les faire souffrir peigner ces beaux cheveux [ceux de la grand-mère morte] qui grisonnaient seulement et jusqu’ici avaient semblé être moins âgés qu’elle. Mais maintenant, au contraire, ils étaient seuls à imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune d’où avaient disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que, depuis tant d’années, lui avait ajoutés la souffrance. Comme au temps lointain où ses parents lui avaient choisi un époux, elle avait les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d’une chaste espérance, d’un rêve de bonheur, même d’une innocente gaieté, que les années avaient peu à peu détruits. La vie en se retirant venait d’emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand’mère. Sur ce lit funèbre, la mort, comme le sculpteur du moyen âge, l’avait couchée sous l’apparence d’une jeune fille. » (le narrateur homosexuel dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust p. 336) ; « Moi si j’étais demoiselle, c’est fou ce que je serais… vieux ! » (c.f. la chanson « Si j’étais demoiselle » d’Adrien Lamy) ; etc. Dans Du côté de Guermantes justement, le héros est vivement affecté par la disparition de sa grand-mère Bathilde, puis, peu à peu, emporté par le tourbillon des mondanités, il ne pense plus que très rarement à elle. Il prend alors parfois conscience de cet oubli et en éprouve de vifs remords. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François dénigre la grand-mère de son compagnon Thomas : il la compare à Élisabeth II sur un fauteuil roulant. Thomas se montre particulièrement susceptible : « Manque pas de respect à ma grand-mère. »

 

Pièce Quand les belles-mères s'emmêlent

Pièce Quand les belles-mères s’emmêlent


 

Dans les chansons « La Matriarche » et « À table » de Jann Halexander, la famille fête les 80 ans de la grand-mère, une femme âgée dont on se moque comme un animal de foire, qu’on expose « pour la galerie », qu’on massacre (« Mamie, on te descend. ») est considérée comme une sœur de martyre : « On n’a pas besoin de dire qu’on vous aime […] Grand-mère, Grand-mère, ne désespère pas! On est deux à haïr ces repas, On n’en peut plus de la famille. »

 

Le héros homosexuel a des raisons de lui en vouloir. Sa grand-mère le gave depuis tout petit d’images, de télé, de parures, d’objets, de gadgets, d’irréalité, d’illusions identitaires et amoureuses, et le maintient dans l’enfance, dans la douilletterie. Par exemple, dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel regarde la télé avec sa grand-mère (p. 12). Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton, en tant qu’assistant à domicile de personnes âgées (ergothérapeute), va faire des ménages chez Olga, une grand-mère qui passe son temps devant la télé et l’initie aux jeux télévisés. Celle-ci veut absolument le caser avec une femme, et tente même de le séduire, en maintenant avec lui une relation fusionnelle (elle l’appelle « mon chéri »). Dans le film « L’Homme d’à côté » (2001) d’Alexandros Loukos, Alkis, le héros homo, affirme subir tous les après-midi un feuilleton grec débile, Elvira, que sa grand-mère suit assidûment. Mais ce qu’il ne dit qu’à demi-mot après, c’est que cela lui plaît : « À force d’être scotché devant la télé, je devenais une Elvira ! » Dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard, le jeune Corentin est obligé de se farcir Derrick, Dallas, Plus belle la vie avec sa grand-mère Mamita. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, la grand-mère d’Étienne a provoqué une indigestion de dragées au point de rendre son petit-fils malade (et ça la fait beaucoup rire…). Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, l’un des héros homosexuel, aime la musique classique, et c’est sa grand-mère qui l’a initié à l’amour du classique… et qui inconsciemment le conduira à croire en ses sentiments homosexuels orientés vers le Prince charmant.

 

 

L’influence intrusive de la grand-mère dépasse le simple terrain des goûts pour aller jusqu’à l’intimité et la sexualité. En effet, mamie homosexualise son petit-fils soit en banalisant et en sacralisant l’homosexualité, soit en étant paradoxalement hyper homophobe et facho (ce qui est perçu tout autant comme une injonction par le héros homo) : cf. le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec la voisine de pallier mécontente), le vidéo-clip de la chanson « Too Funky » de George Michael (s’achevant par les plaintes de la vieille), le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec Mathilde – interprétée par Patachou – la grand-mère croqueuse d’hommes, libertaire et gay friendly), le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand (avec le personnage d’Hélène, hyper « open »), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec la grand-mère de Malik) ; etc. « Tu te rends compte ! Dire que je suis lesbienne ! [Imagine]… ma grand-mère ! » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’crois qu’elle aime pas les autres dames, mamie. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Si ça ne tenait qu’à moi, ces pédérastes seraient directement fusillés. » (la grand-mère de Bobby, dans le téléfilm « Bobby seul contre tous », « Prayers for Bobby » (2009) de Russel Mulcahy) ; etc. Par exemple, dans le film « Une femme sans tête » (20) de Lucrecia Martel, la grand-mère haït les gars maniérés. Dans le film « Tatie Danielle » (1990) d’Étienne Chatiliez, la grande-tante ne voit pas d’un bon œil les efféminements suspects de son petit-neveu Jean-Marie qu’elle surnomme méchamment « Jeanne-Marie ». Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Mémé Huguette crache sur « les pédés » : « Les pédés… Il faut toujours qu’ils se croient plus intelligents que les autres ! »

 

Film "Tatie Danielle" d'Étienne Chatiliez

Film « Tatie Danielle » d’Étienne Chatiliez


 

Mamie-gâteau, au contraire, peut se montrer très conciliante avec l’homosexualité de son petit-fils, et la travailler chez lui. Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, le couple homosexuel Robbie et Ilan loge chez la grand-mère. Dans le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, la grand-mère de Méral (l’héroïne transgenre F to M), sur son lit de mort, reconnaît le travestissement de sa petite fille comme vrai, le valide comme beau. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, c’est une grand-mère qui préside la cour des miracles homosexuelle de Bob. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, la mémère Berniece qui, au départ, était homophobe, organise le jour du mariage mais aussi du coming out de son fils Howard, une sorte de cercle d’alcooliques anonymes improvisé dans l’église avec toutes ses amies mamies qui vont déballer tous leurs secrets.

 

Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, la grand-mère d’Antonio et de Tommaso, les deux frères homos, a tout de la femme soumise-insoumise, qui s’est mariée par devoir, mais qui ensuite envoie tous ses carcans ballader avec l’âge : elle mange sucré, ne se médicamente pas toujours, boit plus que de raison, et finit même par se suicider en se goinfrant de gâteaux. Elle est présentée dans ce film gay friendly comme la conscience visionnaire, la sagesse incarnée qui valide la « justesse » de l’homosexualité de ses petits-fils : « Antonio me l’a dit. Mais je l’aurais compris sans ça. » dit-elle à Tommaso qui lui demande si elle savais pour l’homosexualité d’Antonio.
 

Dans les œuvres homo-érotiques, la grand-mère est souvent incestueuse, incarne le fantasme de viol (celle qui est violée ou/et qui viole) : cf. le film « Mémés Cannibales » (1988) d’Emmanuel Kervyn, le film « Cachorro » (2004) de Miguel Albaladejo (avec la figure de la grand-mère despotique), etc. « Mme Hammer grande bourgeoisie se parfume à l’eucalyptus. Maman reptile, charmante épouse, invite femmes à prendre le thé. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Je raccroche : grand-mère nous espionne. » (Stella, la « fille à pédé(s) » s’adressant à son ami gay Gabriel, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson) ; « On viole ta grand-mère dans le métro. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Ma tante rangeait derrière mon oncle, ma grand-mère derrière mon grand-père. D’un côté, j’en étais indignée. Mais de l’autre, j’aimais être un petit prince. Quand je serais grande j’aurais un harem plein de femmes. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 168) ; « Ma grand-mère est terrible. Elle fichait des fétus de paille dans le cul des guêpes pour les faire mourir. » (cf. les premières lignes de la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 11) ; « Cette méchante enfant tient de sa grand-mère. » (Karen, l’héroïne lesbienne parlant de la petite Mary, son maître-chanteur d’homosexualité, dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) ; « Quand mes lèvres la touchèrent, les mains de ma grand-mère s’agitèrent, elle fut parcourue tout entière d’un long frisson, soit réflexe, soit que certaines tendresses aient leur hyperesthésie qui reconnaît à travers le voile de l’inconscience ce qu’elles n’ont presque pas besoin des sens pour chérir. Tout d’un coup ma grand’mère se dressa à demi, fit un effort violent, comme quelqu’un qui défend sa vie. Françoise ne put résister à cette vue et éclata en sanglots. Me rappelant ce que le médecin avait dit, je voulus la faire sortir de la chambre. A ce moment, ma grand’mère ouvrit les yeux. Je me précipitai sur Françoise pour cacher ses pleurs, pendant que mes parents parleraient à la malade. Le bruit de l’oxygène s’était tu, le médecin s’éloigna du lit. Ma grand-mère était morte. (le narrateur homosexuel dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust p. 334) ; « Tu t’es tapé la vieille ??? » (Yoann découvrant que son amant Julien a couché avec sa belle-mère Solange, la cougar, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Quand j’étais petite, ma grand-mère avait inventé une enfant virtuelle, Olivia [qu’elle pouvait gâter et féliciter à l’envie quand moi je n’étais pas sage, pour me servir de leçon] Qu’est-ce que je détestais Olivia… J’ai fini par détester ma grand-mère aussi. Quand elle est morte, je n’ai eu aucun chagrin. » (Vera, l’héroïne lesbienne machiavélique dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la grand-mère « Babou » cache le secret de l’inceste maternel et interrompt son petit-fils bisexuel Guillaume qui commençait à le formuler : « Si je ressemble à maman, c’est parce que… » Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel et sa grand-mère juive qu’il imite s’adressant à lui, ont une relation très fusionnelle : « Maintenant je te tiens. Je ne te lâche plus. » Leur lien semble intéressé et matérialiste : « Tu aimais bien venir me voir quand t’étais petit. Tu venais pour mes robes, j’ai compris. » (la grand-mère)

 

La grand-mère transforme son petit-fils (futur homosexuel) en pute. C’est à cause d’elle que ce dernier rejoint le monde de la pratique homosexuelle et de la prostitution. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la grand-mère est clairement une figure d’inversion (de la différence des sexes – par l’homosexualité – et de la différence des espaces – par la prostitution) pour le héros bisexuel (en plus d’être une idole : « Ah beh d’abord, y’a ma grand-mère que j’adore. ») : la grand-mère Babou traite son petit-fils Guillaume de « Pupute » au lieu de dire « Pupuce » parce qu’elle met inconsciemment des mots à la place des autres.

 

Souvent dans les fictions parlant d’homosexualité, la grand-mère a tout de l’actrice séductrice et de la mère maquerelle qui exerce une influence soi-disant « délicieusement mauvaise ». Elle a d’ailleurs un nom de maquerelle ou de prostituée : par exemple « Poulouloulasse » dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi.

 

La grand-mère est jumelle d’orientation sexuelle puisque son petit-fils sous-entend qu’elle est lesbienne, ou bien elle-même le lui avoue : cf. le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, le film « Sex Revelations » (2000) de Jane Anderson, Martha Coolidge, et Anne Heche, la pièce Quand les belles-mères s’emmêlent (2014) d’Olivier Schmidt, Yvette Leglaire, Cédric Portella et Martine Superstar, etc. Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Catherine S. Burroughs est une vieille bourgeoise lesbienne réunissant autour d’elle le tout Key West gay. Dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, la grand-mère de Max vit en collocation avec une autre vieille dame. Le copain de Max, Fred, lui demande tout de suite : « Elle est lesbienne ? » « Mais non » lui répond Max. Dans le film « La Comunidad » (2000) d’Alex de la Iglesia, Julia traite deux vieilles visiteuses d’appartement (potentielles acheteuses) de « momies lesbiennes » en leur imaginant des positions sexuelles en forme de ciseaux, tout ça pour les virer précipitamment de chez elle. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, la grand-mère de Tom, Marie-Anne, est une vieille bique au caractère bien trempé, qui est armée d’un fusil de chasse, une femme intraitable, très branchée internet, indépendante, qui danse la country, qui a eu une relation extra-conjugale pendant la Guerre. Graziella, le présentatrice-télé, la surnomme ironiquement « John Wayne », et conseille à son petit-fils de l’imiter : « Prends exemple sur ta grand-mère : un vrai bonhomme. » Elle a tout de l’homme machiste dans un corps de femme, donc symboliquement du gay. D’ailleurs, à la fin, elle est qualifiée (toujours par Graziella) de « cougar qui se tape un gigolo gay ».

 

Il est même possible, dans certains cas, que la grand-mère fictionnelle soit le nom caché de l’amant homosexuel du héros. Par exemple, dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand, le héros homosexuel, a une proximité corporelle amoureuse avec sa grand-mère : « Je lui ai léché les aisselles. » Et celle-ci a tout fait pour que son petit-fils soit homosexuel : « Je suis soulagé ! Enfin un pédé dans la famille ! On a repris espoir au moment où tu as commencé à te maquiller ! » Elle a l’air également lesbienne : « Auto-reverse ! Comme mamie ! »
 

Elle est le reflet spéculaire narcissique du sujet homosexuel, une projection fantasmatique. Un miroir plutôt dark, abyssal, même s’il apparaît rose aux yeux du petit-fils. « Je fais toujours un bon café. Comme grand-mère. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Dans la famille Mer [on entend « Mère »], je voudrais la grand-mère. » (Laure, la petite fille transgenre F to M s’adressant à son père pendant le Jeu des 7 familles, dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma) ; « On se ressemble. » (Laura, la grand-mère-copine à son petit-fils Romain, dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon,) ; « Qui se ressemble s’assemble ! » (la grand-mère d’Étienne, le héros homo du film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau ; « Ses beaux yeux sont fermés. J’ose pas demander qu’on les ouvre. Et je le regretterai après le trop-tard : c’était ses yeux que je voulais voir. » (le jeune narrateur regardant la grand-mère morte, dans le  roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 71) ; « Le professeur tempêtait toujours pendant que je regardais sur le palier ma grand-mère qui était perdue. Chaque personne est bien seule. Nous repartîmes vers la maison. » (le narrateur homosexuel apprenant que sa grand-mère est condamnée par la maladie, dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust) ; « Je passais prendre la bouillotte et embrasser grand-mère, que je surprenais souvent à moitié déshabillée, danseuse obèse et déchue, environnée de tout un Niagara de dentelles, de chairs gélatineuses qui moutonnaient à l’infini par la grâce du double reflet de l’armoire à glaces et de la psyché. Ces miroirs étaient le seul luxe en ce logis. » (le narrateur homosexuel décrivant sa grand-mère dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 12) ; etc. Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie, le héros homosexuel, et sa grand-mère s’imitent mutuellement : ils prennent la même position dans le bar.

 

Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, le héros homo, s’identifie totalement à sa grand-mère : il a un tableau d’elle chez lui, va se recueillir sur sa tombe, et en fait même l’héroïne féminine de son futur roman s’exprimant à la première personne du singulier, à l’image d’une jumelle narcissique : « Elle marche d’un pas régulier, calme et décidé à la fois. Elle regarde la vallée. Son village est minuscule vu d’ici. Elle décide de tout quitter : sa famille, son village, son pays. C’est agréable d’être seule. Pour la première fois de sa vie, elle est vraiment seule. Elle regarde les passants dans la rue. Leurs mouvements sont beaux. Brusquement, elle pleure. »

 

Cette grand-mère fictionnelle n’est pas la grand-mère biologique. Elle est plutôt un concept asexué, un androgyne venu de l’Espace ou du cinéma : « C’est fou ce que vous ressemblez à ma grand-mère maternelle… » (le jeune homosexuel Kevin de 17 ans s’adressant à Jenny le chanteur transsexuel M to F, dans la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte) ; « La fresque la plus imposante du lieu [le café Samothrace] représente la Grand-Mère. Elle est mise en scène de la manière la plus traditionnelle qui soit : assise, avec un lion à ses côtés. Son nom secret, dévoilé uniquement aux initiés, est Axieros et elle est la maîtresse toute puissante du monde sauvage. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 54) ; « Ange de ma grand’mère, ange de mon berceau, ne devinez-vous pas que je deviens oiseau ? » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane, (1924), p. 200) ; « Antoine avait rencontré Eva, mais l’affaire n’était pas conclue. Cette grand-mère à la campagne semblait être un obstacle majeur à la signature de leur contrat physique. Antoine se demanda quelle tête pouvait avoir la grand-mère, c’était peut-être un grand-père, un jeune grand-père, plus jeune que grand-père, même. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 190) Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Mémé Huguette n’est pas tellement une grand-mère, mais plutôt une caricature d’hyper-féminité massacrée et massacrante (elle se définit d’ailleurs comme une « sorcière »), une voix de la conscience qui surgit d’outre-tombe et passe de corps en corps (« N’oubliez jamais ça : En chacun de nous sommeille une mémé comme moi. »), l’Androgyne agressif et capricieux, le retour du refoulé (asexué et caractérisé par la violence) : « Je suis bisexuelle. Bisexuée. Je porte les deux sexes. J’ai été envoyée par des extra-terrestres. » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Oliver fait des massages à son jeune amant Elio, massages ésotériques au pied que lui a appris sa grand-mère. Elio lui parle aussi de sa grand-mère et la définit comme une « drôle de sorcière ».

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, Colette n’est pas la grand-mère de sang du héros homosexuel Jason, mais la grand-mère symbolique qui l’entraîne vers la frivolité : « De la superficialité, bon sang de bonsoir ! De la souplesse ! » (p. 462)

 

Dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust, la grand-mère du narrateur homosexuel perd toute matérialité. C’est à la fois une déesse et un monstre : « Et penchée sur le lit, les jambes fléchissantes, à demi agenouillée, comme si, à force d’humilité, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionné d’elle-même, elle inclinait vers ma grand-mère toute sa vie dans son visage comme, dans un ciboire qu’elle lui tendait, décoré en reliefs de fossettes et de plissements si passionnés, si désolés et si doux qu’on ne savait pas s’ils y étaient creusés par le ciseau d’un baiser, d’un sanglot ou d’un sourire. Ma grand-mère essayait, elle aussi, de tendre vers maman son visage. Il avait tellement changé que sans doute, si elle eût eu la force de sortir, on ne l’eût reconnue qu’à la plume de son chapeau. Ses traits, comme dans des séances de modelage, semblaient s’appliquer, dans un effort qui la détournait de tout le reste, à se conformer à certain modèle que nous ne connaissions pas. Ce travail de statuaire touchait à sa fin et, si la figure de ma grand’mère avait diminué, elle avait également durci. Les veines qui la traversaient semblaient celles, non pas d’un marbre, mais d’une pierre plus rugueuse. Toujours penchée en avant par la difficulté de respirer, en même temps que repliée sur elle-même par la fatigue, sa figure fruste, réduite, atrocement expressive, semblait, dans une sculpture primitive, presque préhistorique, la figure rude, violâtre, rousse, désespérée de quelque sauvage gardienne de tombeau. Mais toute l’œuvre n’était pas accomplie. Ensuite, il faudrait la briser, et puis, dans ce tombeau — qu’on avait si péniblement gardé, avec cette dure contraction — descendre. » ; « Quand, quelques heures après, j’entrai chez ma grand-mère, attachés à sa nuque, à ses tempes, à ses oreilles, les petits serpents noirs se tordaient dans sa chevelure ensanglantée, comme dans celle de Méduse. Mais dans son visage pâle et pacifié, entièrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeux d’autrefois (peut-être encore plus surchargés d’intelligence qu’ils n’étaient avant sa maladie, parce que, comme elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c’est à ses yeux seuls qu’elle confiait sa pensée, la pensée qui tantôt tient en nous une place immense, nous offrant des trésors insoupçonnés, tantôt semble réduite à rien, puis peut renaître comme par génération spontanée par quelques gouttes de sang qu’on tire), ses yeux, doux et liquides comme de l’huile, sur lesquels le feu rallumé qui brûlait éclairait devant la malade l’univers reconquis. Son calme n’était plus la sagesse du désespoir mais de l’espérance. Elle comprenait qu’elle allait mieux, voulait être prudente, ne pas remuer, et me fit seulement le don d’un beau sourire pour que je susse qu’elle se sentait mieux, et me pressa légèrement la main. » La grand-mère est la pâte à modeler à travers laquelle le narrateur peut exprimer sa créativité et ses fantasmes de mort : « Nous entrâmes dans la chambre. Courbée en demi-cercle sur le lit, un autre être que ma grand-mère, une espèce de bête qui se serait affublée de ses cheveux et couchée dans ses draps, haletait, geignait, de ses convulsions secouait les couvertures. Les paupières étaient closes et c’est parce qu’elles fermaient mal plutôt que parce qu’elles s’ouvraient qu’elle laissaient voir un coin de prunelle, voilé, chassieux, reflétant l’obscurité d’une vision organique et d’une souffrance interne. Toute cette agitation ne s’adressait pas à nous qu’elle ne voyait pas, ni ne connaissait. Mais si ce n’était plus qu’une bête qui remuait là, ma grand-mère où était-elle? On reconnaissait pourtant la forme de son nez, sans proportion maintenant avec le reste de la figure, mais au coin duquel un grain de beauté restait attaché, sa main qui écartait les couvertures d’un geste qui eût autrefois signifié que ces couvertures la gênaient et qui maintenant ne signifiait rien. » (chapitre premier)

 

Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel fait de sa grand-mère l’archétype universel de la féminité à la fois éternellement grandiose et monstrueuse, à détruire : « Mamie Suzanne : on en a tous une comme elle.[…] C’est mamie-gâteau, celle qui nous berçait avec des comptines. » Il a grandi au milieu des photos de sa grand-mère : « Toutes ses photos épinglées dans le salon ». Cette femme est en réalité la vedette médiatique : « J’étais speakerine dans les années 1950 à la télé. » C’est elle qui l’a initié à l’homosexualité : « Je crois que c’est elle qui a inventé le concept de cougar. » La mamie en question se voit confier par son petit-fils le zizi dont il ne veut plus : « Tiens ! Ton morceau ! » lui dit-il en ouvrant sa braguette. Le portrait de la matriarche se délabre pourtant très vite : Mamie Suzanne se montre agressive, alcoolique, humiliante. Elle a poussé son petit-fils dans l’eau d’un lac et a failli le noyer, quand il était petit. En riant méchamment, elle raconte qu’elle l’a fait également tomber lors d’une fête de famille, et qu’il s’est ouvert le menton. Jefferey finit par se venger de sa grand-mère adorée : « ‘Sacrée salope’. Ce qui me fait revenir à Mamie Suzanne ! » Au bout du compte, il sacralise le monstre : « Mamie Suzanne, elle restera toujours, elle vous fera chier jusqu’au bout. »
 

La grand-mère des fictions homo-érotiques est en général un costume de travelo à elle seule, un pass pour la transgression de la différence des générations, des espaces et des sexes via la réification, pour le déni de sa condition humaine : cf. la pièce Mon beau-père est une princesse (2014) de Didier Bénureau. « Regarde, maman ! Il [le Jésuite] allait se tirer avec les joyaux de la momie de grand-mère ! » (la Princesse s’adressant à sa mère la Reine, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Nos grand-mères se fardaient pour tâcher de causer brillamment. Dans ce temps-là le rouge et l’esprit allaient de pair. Mais que cela est loin de nous ! » (Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, p. 68) ; etc. Par exemple, dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011), Karine Dubernet imite sa grand-mère, Simone, une femme-tigresse avec une fourrure de panthère.

 

Il n’est pas rare que la mamie des créations homosexuelles soit une forme de cerbère à trois visages générationnels différents (la fille/la mère/la grand-mère), toutes des femmes violées puis prostituées : cf. le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Laurent imitant sa mère puis sa grand-mère), etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, on voit se succéder trois personnages féminins interprétés par le même comédien : d’abord la mère (prostituée au Bois de Boulogne), puis Mémé Huguette (d’extrême droite, islamophobe, réac’, anti-racailles, ancienne collabo pendant la Seconde Guerre mondiale, ultra catho… et prostituée !) et enfin Gwendoline (collégienne en classe de 6e, et déjà prostituée puisqu’elle se fait pénétrer et sodomiser avec plaisir dans des tournantes). Ce spectacle est l’étalage de trois schizophrénies. Même cas de figure avec le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, dans lequel Guillaume, le héros bisexuel, commence par imiter sa mère, puis sa grand-mère et ses tantes, puis les jeunes filles dans la piscine, pour se forger une identité postiche.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Finalement, la grand-mère conduit parfois son petit-fils homosexuel vers la mort. Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, on apprend que le frigo de « L. », le héros transgenre M to F, est un cadeau de son arrière-grand-mère, autrement dit une femme sans âge, d’outre-tombe.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

La grand-mère est LA grande DIVA de la communauté homosexuelle, la chouchoute toutes générations confondues : « Ta mémé, c’est notre reine. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 21) ; « La grand-mère qui m’a adopté. » (c.f. la chanson « L’Ossau » de Sébastien Delage) ; etc. Je pense par exemple aux grands-mères et arrière-grands-mères du présentateur Olivier Minne.

 

Beaucoup de personnes homos sont de bons p’tits fillots à leur mamie. À les entendre, c’est le grand Amour… « Lorsque ma grand-mère est morte, il y a 6 ans, j’ai eu le sentiment que je ne m’en consolerais jamais. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 27) ; « J’aimais une vieille dame de 63 ans qui sentait la verveine et le citron. Je l’adorais. Je dormais avec elle, je me blottissais contre elle dans le noir. Elle me disait souvent : ‘Prends la chaise, ma chérie, et grimpe jusqu’au tiroir du haut du bureau’ – et j’y trouvais quelque chose de bon. Un petit gâteau, ou parfois, pour mes délices, des kumquats. Mon premier amour fut ma grand-mère, que j’appelais Mommy. » (l’écrivaine lesbienne Carson McCullers, citée dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 27) ; « Quoiqu’il fût sexuellement attiré par les jeunes gens, sur le plan des émotions comme de l’intelligence, c’étaient les femmes plus âgées, belles et cultivées, souvent les mères de ses amours, qui le séduisaient. » (Gabriel Josipovici concernant Marcel Proust, « Jean-Yves Tadié », dans Magazine littéraire, n°350, Paris, janvier 1997, p. 29) ; « Ma famille maternelle est au courant parce que je suis très proche d’eux, ma mère, ma tante et ma grand mère qui sont définitivement les femmes de ma vie. » (Maxime, « Mister gay » de juillet 2014 pour la revue Têtu) ; « J’ai de ma grand-mère une photo où elle est debout, la main sur la poignée de portière d’une limousine : habillée ostensiblement en femme, avec manteau croisé à col de fourrure, chapeau incliné sur l’œil, gants, collier de perles ; et, sous la voilette, quel air autoritaire, méchant ! […] Son cœur était-il capable d’amour ? […] Pour la fête des Rois chez le couturier Paul Poiret, en 1923, il fallait se costumer. Maurice Sachs, dans son livre ‘Au temps du Bœuf sur le toit’, sorte de journal des Années folles, a fait la liste des invités, parmi lesquels Mme Fernandez, en Marie Stuart. Ce choix peut paraître étrange ; pour une battante comme ma grand-mère, prendre les traits d’une reine vaincue et décapitée ! » (Dominique Fernandez parlant de sa grand-mère paternelle, dans la biographie Ramon (2008), pp. 87-89 puis p. 93) ; « Je préfère qu’elle ne sache pas mon existence et qu’elle soit en vie, plutôt qu’elle meure sous le choc émotionnel. » (Iris, homme M to F, initialement appelé Gabriel, et cachant sa « transition » sexuelle à sa grand-mère, comme s’il était sa propre mamie et que c’était sa vie contre la sienne, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc. Par exemple, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, Catherine, une femme lesbienne de 32 ans parle de « sa grand-mère qu’elle adorait, qui était la mère de sa mère et qui l’avait un peu élevée. » (p. 106).

 

Film "Drôle de Félix" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Drôle de Félix » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Certaines ont grandi dans une ambiance de petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, entourés de leurs mères réelles mais surtout symboliques (les tantes, les cousines, les nourrices, les grands-mères, les sœurs, les voisines, les institutrices, les actrices, etc.). « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours aimé les vieilles dames. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 308) Par exemple, Marcel Proust, lorsqu’il dut remplir un questionnaire à l’école, écrivit ceci : « Mon plus grand malheur serait de ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère ». Il adorait sa grand-maman, une femme un peu fantasque et originale.

 

Quant au dramaturge homosexuel argentin Copi, il était très attaché à sa grand-mère maternelle (Salvadora Medina Onrubia). Une fois adulte, il passera ses dimanches à jouer à la canasta avec elle et ses amies de 80 ans. C’est elle qui lui donnera son surnom « Copi », d’ailleurs (à cause de la mèche de cheveux au sommet de sa tête : « copo » en espagnol signifie « flocon »).

 

Le couturier homosexuel Jean-Paul Gaultier porte aux nues sa grand-mère à qui il prétend tout devoir. Comme il était « plutôt rejeté » à l’école, il dit « qu’elle lui a donné confiance ». Chez sa grand-mère, il regardait la télé, s’émancipait et quittait l’enfer scolaire. Elle est devenue très vite sa Muse : « Elle a été le moteur. Elle était au centre. Ce que je faisais chez ma grand-mère, c’est la liberté. » (cf. le reportage au Journal Télévisé de la chaîne TF1, le 27 janvier 2014)

 

 

Pour ma part, j’ai très peu connu mes deux grands-mères, car elles sont toutes les deux mortes lorsque j’étais petit, et parce qu’elles étaient très éloignées géographiquement de moi (l’un était en Espagne, l’autre en Dordogne)… donc il va m’être difficile de partir dans une longue dissertation. L’image que j’en garde, ce sont celles de femmes fortes, inflexibles et acariâtres, que je n’ai vues que dans leur période où elles avaient été obligées, à cause de la vieillesse et de la maladie, de devenir des agneaux.

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la grand-mère est détruite autant que valorisée par les personnes homosexuelles : « La féminité outrancière d’une catégorie d’homosexuels – ceux qui se désignent eux-mêmes comme folles – met en scène la figure enviée mais détestée de la mère. » (Michel Schneider, Big Mother (2002), p. 247) ; « J’avais juste une envie de lui fracasser la tête contre le mur. » (Irène, une femme lesbienne de 65 ans jadis mariée avec un homme, parlant à sa vieille propriétaire homophobe, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « J’ai toujours kiffé les vieilles en fait ! Ma première best friend aurait 109 ans aujourd’hui… Elle est partie trop tôt malheureusement (94 ans). Du coup, je ronge mon frein avec la pisseuse Danielle Schwartz que je kif… Une vieille et un pédé ? Et pourquoi pas l’Élysée dans 3 ans ?!? » (David Forgit, sur Facebook le 21 avril 2019) ; etc. Par exemple, le chanteur Mika décrit sa mère comme une ensorceleuse qui obtient tout ce qu’elle veut, qui arrive toujours à ses fins, la reine de l’artifice (… avec des dentelles et les formes qui embrument le jugement). Il se prend pour elle : « Je deviens ma grand-mère. » (cf. émission du 16 avril 2016). Certaines personnes homosexuelles massacrent iconographiquement la grand-mère lors de leurs spectacles de travestis ou pendant des Gay Pride, pour prouver par leur acte iconoclaste que leur mamie est toute-puissante et immortelle (cf. le titre de la vidéo « Jean-Paul Gaultier déshabille sa grand-mère »).

 

BBjane Hudson

BBjane Hudson


 

Une grande partie des personnes homosexuelles ont des raisons de lui en vouloir. Elle les a gavées depuis toutes petites d’images son petit-fils d’images, de télé, de parures, d’objets, de gadgets, d’irréalité, d’illusions identitaires et amoureuses, et les maintient dans l’enfance, dans la douilletterie : « Ma grand-mère nous emmenait à l’Éden. Elle était passionnée de cinéma et connaissait le nom de tous les acteurs. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 34) ; « Mishima, lui, a été très tôt sous la tutelle d’une grand-mère tyrannique, malade, au caractère fantasque et baroque, violemment présente avec son goût prononcé pour la mise en scène et le théâtre kabuki. » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 12) ; « J’ai tellement insisté [pour aller voir le spectacle de magie de Fou Man Chou] que ma grand-mère a dû enfiler sa robe à volants, ses mitaines de dentelle, son petit chapeau et ses chaussures à talons. Nous avons pris le train. Pour moi, c’était comme si nous étions partis pour toujours. Légers, sans valise, à la gare centrale. Elle m’a acheté des bonbons. Comme ça, la panoplie nécessaire aux rêves était complète. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 150) ; « Ce spectacle de Fou Man Chou est resté inscrit dans ma mémoire, m’accompagnant toute ma vie, comme l’expression de l’esprit et de la bonté de ma grand-mère. » (idem, p. 151) ; « Tu n’étais pas contente de me voir pleurer, mais j’éprouvais une tendresse particulière pour la Princesse indienne de Patagonie. Le jour où on l’a fait prisonnière et où la sorcière de la tribu ennemie lui a arraché ses boucles d’oreilles, j’ai trouvé le monde injuste. J’aurais voulu pouvoir voler jusqu’à la Terre de Feu et la reprendre aux mains d’êtres aussi sauvages. Je sais : c’était un feuilleton radiophonique. Mais il me donnait un avant-goût des atrocités à venir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, op. cit., pp. 157-158) ; « Mamie Jeannine a divorcé lorsque mon père avait 3 ans. Elle a quitté son mari pour Jacques Larue, cet homme dont elle est tombée passionnément amoureuse. Mamie était d’une incroyable modernité ! À l’époque, ça ne se faisait pas de divorcer, ni de porter de pantalon, ou d’avoir les cheveux coupés court à la garçonne ! Mais mamie s’est toujours moquée du qu’en-dira-t-on. Elle était libre ! […] Avec mamie, on discute des heures, ‘on blague’, comme elle dit, et on rit. Des bavards invétérés ! Je l’ai convertie à la sitcom britannique hilarante ‘Absolutely Fabulous’. Une mamie branchée, croyez-moi ! D’une incroyable modernité. Parfois, on va au cinéma tous les deux. Je me souviens comme si c’était hier du jour où nous sommes allés ensemble au multiplex voir le film ‘Pourquoi pas moi’. Une comédie kitsch sur le coming out. […] Un nanar totalement oublié mais qui tient une place à part dans mon coeur tant il est lié à un moment crucial de ma vie. Mamie a adoré ! Évidemment, elle a tout compris, pas besoin de mettre des mots. Juste son regard, doux, malicieux et bienveillant, suffit à exprimer tout l’amour qu’elle me porte. Je sais qu’elle m’aime comme je suis. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, Éd. Broché, Paris, pp.36-39) ; etc.

 

La grand-mère est incestueuse, incarne le fantasme de viol (celle qui est violée ou/et qui viole) : « Je me sentais étouffer entre ma mère, mes sœurs, la voisine, l’amie de la famille qui était également notre professeur de piano, et ma grand-mère qui passait tous ses dimanches à la maison pour des après-midi de couture. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 29) ; « L’histoire dramatique de ses mère et grand-mère a déterminé beaucoup de choses dans la vie de Rosa Bonheur. D’abord la bâtardise. » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 213) ; « Enfant, je partageais ma chambre avec ma grand-mère maternelle. Une fois qu’elle avait marié ses quatre filles et son fils, elle s’était réfugiée chez nous. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 149) ; « C’est vrai, je suis un fantôme très sensuel. J’aime caresser les êtres chers. C’est vrai, j’aime caresser les jambes de mes filles, leurs seins. Je me permets même de caresser le sexe de mon fils. Un fantôme peut accéder aux désirs les profonds, n’est-ce pas ? » (la grand-mère d’Alfredo Arias s’adressant à son lui, op. cit., p. 164) Le petit-fils homosexuel a parfois été d’accord avec cet abus puisqu’il a consenti mollement à dormir dans le même lit qu’elle, à s’habiller comme elle, à être son substitut marital : « Je voudrais te demander pardon. Je sais que tu ne me pardonneras jamais. Tu me l’as dit à l’époque, très fermement. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Mon désir de perfection me hante. C’est désagréable, j’en conviens. En plus, je t’ai fait peur dans la pénombre de la chambre que nous partagions. Tu as ouvert les yeux. On pouvait lire ton étonnement. Mais ça me prenait comme ça, de me réveiller vers deux ou trois heures du matin, comme un somnambule. J’allais jusqu’à l’armoire où se trouvaient tes vêtements que je revêtais, à moitié endormi. » (Alfredo à sa grand-mère, op. cit., p. 160)

 

La grand-mère a quelquefois transformé son petit-fils (futur homosexuel) en pute : « Tu me rappelais souvent que le premier mot que j’aie prononcé était ‘pute’. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 164) C’est à cause d’elle que son petit-fils rejoint le monde de la pratique homosexuelle et de la prostitution : « Je t’avais demandé ce que voulait dire le mot ‘pute’. Tu m’avais expliqué que c’était une femme qui se donnait aux hommes contre de l’argent. Et sans que j’insiste, tu as voulu préciser ce que signifiait puto, pute au masculin. Tu m’as dit que c’était de cette façon qu’un homme allait par plaisir avec un homme, mais qu’il devait payer. Je t’ai demandé pourquoi. Tu m’as dit que ces hommes-là étaient généreux. Je ne comprenais toujours pas. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, op. cit., p. 161) ; « Là, tu donnais ta version de Carmen Miranda, la chanteuse brésilienne, si petite, si nerveuse. Tu l’imitais à la perfection. » (la grand-mère s’adressant à son petit-fils Alfredo, op. cit., p. 159).

 

Il arrive que certaines mamies de certains sujets homosexuels aient tout de l’actrice séductrice ou de la mère maquerelle qui exerce une influence soi-disant « délicieusement mauvaise » : « Ma grand-mère, un bon écrivain de théâtre, riait comme une folle quand je lui lisais mes pièces. Elle voyait en son petit-fils une méchanceté qui lui était propre […] une certaine méchanceté pour critiquer les autres. ». (cf. l’article « Entretien de Copi avec Michel Cressole : un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur », dans le journal Libération du 15 décembre 1987) Elle a même quelque chose d’antéchristique et du démon : « Votre grand-mère à des aptitudes similaires. » (Thierry Ardisson s’adressant à Nicolas Fraisse, magnétiseur homosexuel et capable de décorporation, dans l’émission Salut les terriens ! de la chaîne C8 diffusée le 25 mars 2017).

 

Ce sont les incarnations partielles de la « femme libérée », de la collabo, de la traîtresse par excellence : « J’ai repensé à cette femme étrange qu’était ma grand-mère. […] Sans doute n’avait-elle jamais oublié cette journée d’épouvante, les cris, les coups peut-être. Et les semaines qui suivirent, le temps que ses cheveux repoussent. […] Elle voulait être une femme libre, elle aimait sortir le soir, elle s’adonnait aux plaisirs, à la sexualité, elle passait d’un homme à l’autre, sans avoir trop l’intention de s’attacher, de se fixer bien longtemps. Ses enfants étaient sans doute pour elle un embarras, et la maternité un destin subi plutôt qu’un choix de vie. À l’époque, la contraception n’avait pas cours. Et l’avortement pouvait conduire en prison. Ce qui lui arriva d’ailleurs après la guerre : elle fut condamnée à une peine de prison pour avoir avorté. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 75)

 

Il est fort possible que certaines personnes homosexuelles aient été en contact avec ces matrones ancestrales malheureuses (ou trop bien installées) dans leur place de femmes mariées et de mères, voulant dompter les hommes pour se substituer à eux, ou bien cherchant à les castrer. Par exemple, le romancier homosexuel cubain Reinaldo Arenas était très proche de sa grand-mère qui faisait, selon lui, « pipi debout », et qui était « une sorcière ». Yukio Mishima, quant à lui, a subi le despotisme d’une grand-mère excentrique très exigeante, lui ayant prodigué une éducation particulièrement anxiogène.

 

Certaines grands-mères, même, prennent plaisir à homosexualiser leur petit-enfant pour se venger de leurs propres échecs amoureux ou mauvaises expériences de la différence des sexes. En ce moment, on voit fleurir çà et là dans les mass médias des femmes présentées comme des « Mamies Courage », qui encouragent leur petit-fils ou leur petite-fille sur la voie du coming out, du mariage gay, de « l’homoparentalité ». « S’il y a besoin d’une grand-mère pour ces enfants, je me porte volontaire. » (Kathy la mère de Veronica, la mère porteuse pour le couple homo Bruno/Christophe, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015)

 

 

Certaines fois, la grand-mère est carrément jumelle d’orientation sexuelle avec son petit-fils puisque ce dernier sous-entend qu’elle est lesbienne, ou bien elle-même le lui a révélé : cf. le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz. « Un jour, tu seras sur une île antique où les femmes ont été libres de s’aimer entre elles. » (la grand-mère s’adressant à son petit-fils Alfredo Arias, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997), p. 160) Par exemple, la grand-mère de Copi était lesbienne : « J’avais 16 ans quand elle est venue voir ma première pièce représentée, avec les meilleures comédiens argentins. Une des vieilles comédiennes avait été sa maîtresse. » (cf. l’article « Entretien de Copi avec Michel Cressole : un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur », dans le journal Libération du 15 décembre 1987) D’ailleurs, elle a écrit des pièces où « des lesbiennes trompent leurs maris dans les années 1920-40 ».

 

Thérèse, grand-mère lesbienne, dans le documentaire "Les Invisibles" de Sébastien Lifshitz

Thérèse, grand-mère lesbienne, dans le documentaire « Les Invisibles » de Sébastien Lifshitz


 

Néanmoins, avant que ce code ne fasse peur aux vraies grands-mères qui le parcourraient trop rapidement, il est important que vous lisiez ce qui suit. La grand-mère dont nous parlons dans ce Dictionnaire est davantage une construction mentale des personnes homosexuelles, le modèle-pantin que leur imaginaire déforme à loisir, que la grand-mère de sang : « C’est notre côté vieilles taties. » (une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « Il mettait très bien en scène les dames âgées. » (Jean Cocteau parlant de son amant Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain) ; etc. C’est pour cela qu’elle finit, avec le temps, par se transformer petit à petit, dans les discours et les représentations mentales, en sorcière diabolique ou en déesse immaculée : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pour la première fois après l’accident. Nous étions à notre porte, sur la terrasse. Elle est rentrée comme une folle dans le poulailler et, pour se venger de sa tragédie, elle a égorgé, une à une, toutes les poules qui essayaient de s’envoler avec terreur. J’ai compris l’absurdité d’avoir des ailes sans pouvoir voler. Elle a fini par saisir le coq qu’elle a achevé avec les dents. Un nuage laissa filtrer les rayons d’une lune grise qui illumina le terrible visage monstrueux, ensanglanté par le sang du coq. Quelque temps après, elle est repartie. Elle a disparu dans la nature. Peut-être a-t-elle cherché dans la jungle la compassion des bêtes […]. Ce poulailler devint ma scène : il avait été le décor d’une véritable tragédie, je pouvais donc l’habiter de mes fantaisies. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167) ; « Cette nuit j’ai fait un rêve : dans ma chambre je regardais un miroir et n’y voyais que ma tête ; j’avais sur la tête une coiffure féminine, quelque chose comme un chapeau ou plutôt un fichu, comme les vieilles femmes en portent à la maison, chez nous ; j’avais un visage rond, joli, qui me plaisait bien ; j’avais des cheveux sombres, mais mon visage n’était pas aussi passionné que celui de ma grand-mère. » (cf. le témoignage d’un homme homosexuel dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 437) ; etc.

 

La grand-mère dont il est question est en réalité le reflet spéculaire narcissique du sujet homosexuel, une projection fantasmatique, une moitié androgynique/schizophrénique. Un miroir plutôt dark, abyssal, même s’il apparaît rose aux yeux du petit-fils : « Sur le front de Slimane, il y a quatre rides. Au bout de son nez, il y a comme une petite fissure. Slimane dit que sa grand-mère Maryam a la même. » (Abdellah Taïa parlant de son ex-amant, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 104) ; « À côté des maisons anglaises construites par la compagnie des chemins de fer anglais, il y a longtemps, s’étendait une mare de pétrole noir ou d’huile noire, déchet de locomotives. Nous aimions nous en approcher ensemble, et nous contempler dans ce miroir noir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 156-157) ; « Ma grand-mère – et ça, ça fait partie de mon hérédité – à l’époque de la Commune, était communarde, bien sûr. Je rougierais d’avoir des parents qui n’étaient pas communards. Elle s’est fait flaquer une fessée à 15-16 ans par les Versaillais parce qu’elle avait crié ‘Vive la Commune !’. J’ai par conséquent dans mon sang une grisette qui s’était fait déculotter par les Versaillais parce qu’elle avait crié ‘Vive la Commune !’. Et ça j’y tiens ! Et elle vit en moi ! » (Jean-Louis Bory parlant de son insoumise grand-mère au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Grand-mère Gay Pride

Grand-mère Gay Pride


 

La grand-mère est en général un costume de travelo à elle seule, un pass pour la transgression de la différence des générations, des espaces et des sexes via la réification, pour le déni de sa condition humaine : « Elle est une synthèse de toutes les stars vieillissantes. » (Jean-Philippe, travesti M to F, concernant son personnage de Charlène Duval, cité par David Lelait, « Charlène Duval », sur le site www.e-llico.com, consulté en juillet 2005) Elle est un rôle plus qu’une réalité. Elle est un fantasme et un désir homosexuel/hétérosexuel plus qu’un être de chair et de sang. Par exemple, le fameux transformiste Michou fut élevé par sa grand-mère Élise, avec qui il a une relation très forte ; il donnera sa vie aux personnes âgées de l’arrondissement de Montmartre et passe son temps à les imiter/détruire « tendrement » (cf. le journal Direct Matin, n°904, le 17 juin 2011, p. 12).

 

 

Là où on rigole un peu moins, c’est que cette grand-mère (un peu réelle mais surtout cinématographique et fantasmatique) conduit parfois son petit-fils homosexuel vers la mort (une mort au moins psychique et désirante dans un premier temps) : « Dans un rêve ancien, ma grand-mère me plongeait un poignard dans le cœur. Le sang coulait à flots, je criai si fort que je me réveillai. » (cf. le témoignage d’un homme bisexuel dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 440) ; « Slimane aime sa mère, bien sûr. Mais sa grand-mère, il la vénère. Celui lui pose problème encore. » (Abdellah Taïa parlant de son ex-amant, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 105)

 
 

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Code n°84 – Haine de la beauté (sous-code : Beauté du diable)

haine de la beauté

Haine de la beauté

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

 

Victimes de la beauté plastique et corporelle

donc fatalement ennemies

de la Beauté plus profonde

 
 

On entend souvent dire que les personnes homosexuelles auraient une sensibilité particulière pour l’art, une acuité plus accrue pour créer et apprécier la Beauté que n’importe qui. Elles seraient nées esthètes (mélomanes, épicuriennes, stylistes, etc.) sans le vouloir, comme par magie ! Cette idée reçue a la peau dure, et me semble en réalité un énorme canular que la société a orchestré pour les asservir tout en les flattant démagogiquement, et pour les réduire au silence à propos des violences qu’elle leur a infligées. Un « Va dessiner » qui résonne comme un souriant « Dégage ». Ce n’est pas parce qu’on adore la Beauté qu’on L’aime, et qu’on ne La dénature pas/détruit pas. L’idolâtrie cache toujours une haine jalouse. Et les personnes homosexuelles, parce qu’elles ont voulu/veulent posséder la Beauté comme un objet avec lequel elles pourraient magiquement fusionner afin de s’oublier elles-mêmes, n’ont pas une relation chaste à Celle-ci. Leur manque de distance par rapport à la Beauté (se) traduit en général (par) la création de kitsch et de camp (des arts de mauvaise qualité, il faut le dire), et par la croyance de la toute-puissance de la mort, de la méchanceté, et de l’artifice.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Différences physiques », « Maquillage », « Pygmalion », « Reine », « Amant diabolique », « Scatologie », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Adeptes des pratiques SM », « Actrice-traîtresse », « Homosexualité noire et glorieuse », « Se prendre pour le diable », « Défense du tyran », « Femme fellinienne géante et pantin », « Artiste raté », à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », à la partie « Vomi » du code « Obèses anorexiques », et la partie « Kitsch » du code « Fan de feuilletons », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

La passion destructrice pour la Beauté

HAINE 1 Bête

Film « La Belle et la Bête » de Jean Cocteau


 

Il est difficile d’expliquer pourquoi bon nombre de personnes homosexuelles, connues pour être les rois des esthètes, sont attirées par le bas de gamme kitsch, l’idiotie, et le laid. L’une des raisons que j’invoquerai, c’est leur rapport fanatique à la Beauté. Dans leurs rêves asexués, parce qu’elles ne se sont fiées qu’à un certain type de beauté (la moins intéressante, la plus évidente et superficielle, à savoir la beauté plastique défendue par les magazines de mode), pour délaisser la vraie Beauté (la Beauté grave de la Croix et de la Résurrection), elles s’imaginent naïvement que le beau est forcément bon, innocent, et tout-puissant. Elles confondent l’esthétique avec l’éthique au point qu’elles se disent qu’elles aiment d’amour ce qu’elles trouvent visuellement beau.

 

Mais un beau jour, pendant qu’elles berçaient la Beauté en orgueilleuses mamans, elles ont découvert avec amertume le divorce parfois possible entre esthétique et éthique : ce qui est beau peut aussi faire le mal ; leur actrice hollywoodienne a desservi les systèmes politiques les plus abjectes ; et la vraie Beauté, parce qu’Elle aiment tous les Hommes et qu’Elle se laisse toucher, a consenti à se rendre potentiellement faible et instrumentalisable. Et ça, elles ne l’ont pas digéré : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. […] Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié ! » (le début du roman Une Saison en enfer (1869-1872) d’Arthur Rimbaud)

 

Depuis, certaines fuient la beauté comme la peste. « La beauté est trop amère, je suis un homme blessé » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 71). Finalement, elles reprochent à la Beauté d’être belle, forte et fragile à la fois, foncièrement bonne, et de n’être que cela. Parfois, elles regrettent qu’Elle ne se laisse pas dénaturer, même si Elle se laisse exploiter. Elles la voudraient objet magique soumis à leur volonté, instrument de pouvoir et de séduction, bijou qu’elles pourraient conserver dans leurs coffres, ou engendrer par l’art.

 

Paradoxalement, à la conviction qu’elles peuvent prendre la Beauté dans leurs mains et La créer elles-mêmes, va se superposer, du fait de leur échec, la conviction que la Beauté n’existe pas ou qu’Elle est inaccessible, inintelligible, diabolique, laide, dangereuse. Elles se vengent de leur propre naïveté en mêlant les extrêmes esthétiques, le très beau et le très laid. Comme Sylvano Bussotti, Hervé Guibert, Manuel Puig, et bien d’autres, elles passent insensiblement de la scatologie au raffinement glamour, du conte enfantin au gore. Le chœur des sorcières shakespearien dans Macbeth (1606) énonce le curieux credo esthético-éthique de la communauté homosexuelle : « Le hideux est beau, le beau est hideux. » Fini la beauté fade ! Maintenant, c’est la fascination pour la laideur, la monstruosité, la vieillesse ou la méchanceté qui gagne à leurs yeux une relative dignité, qui se pare de lucidité.

 

Tandis qu’elles continuent de croire que « tout est beau » (Andy Warhol, cité sur le site http://www.st-ambroise.org) avec des cœurs dans les yeux, certaines personnes homosexuelles établissent une frontière étanche entre beauté et bonté, et se servent de l’excuse de l’art pour instaurer un lien entre Beauté, Amour et mort. Elles vont ainsi trouver particulièrement belle non pas la mort en elle-même mais la représentation de la mort, la mise en scène du risque (notamment à travers la corrida, la boxe, le cirque, l’art gothique). Elles partent du principe que la Beauté est quelque chose qui ne durera jamais, que c’est la mort qu’elles admirent en Elle. Elles se passionnent, comme Luis Cernuda, pour « la splendeur de la fugacité et la beauté éphémère ». Elles croient que seule l’irruption subite de la mort dans la beauté arrivera à concilier la Réalité et leurs désirs.

 

C’est pourquoi elles peuvent trouver le mal beau. Elles sont esthétiquement attirées par les méchantes de dessins animés (Vampirella ou Cruella fait l’unanimité quand il s’agit pour certaines de se déguiser à l’occasion d’un bal masqué ou d’Halloween). Cette attraction pour la « beauté du diable » n’est pas très évidente à expliquer – en effet, comment peut-on fêter la Beauté par sa presque-négation ? –, mais force est de constater qu’elle est une réalité de leur désir. L’Homme qui amalgame l’éthique avec l’esthétique, et surtout qui fait passer l’esthétique avant l’éthique – alors que pourtant, l’esthétique obéit à l’éthique, comme la beauté obéit à la Réalité –, ne fait attention qu’à ce qu’il veut en oubliant la manière dont il le veut, est tenté de faire de l’échelle de ses désirs (j’aime/j’aime pas) son échelle de valeurs (c’est bien/c’est mal) ou de goûts (c’est beau/c’est laid). Et il souffre de placer ses désirs avant ce qu’il sait bien ou mal, de cette désunion entre ce qu’il veut et ce qu’il est, ce qu’il voit « beau » et ce qui devrait être dans l’idéal. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’une éthique humaniste préside à sa passion pour la beauté et pour la laideur. Tout ce qu’il produit, même de laid, il le fait au nom de la beauté (donc pour lui de l’amour !). La destruction de la beauté, venant de certaines personnes homosexuelles, n’est par conséquent pas sciemment exécutée : en aucun cas elle ne doit être rangée du côté de la perversion morale.

 
 

Le désir de mort décliné en goût de la merde : le kitsch et le camp « queer »

Pour une majorité de sujets homosexuels (mais on pourrait dire de même pour leurs alter-ego hétérosexuels), la merde, c’est un peu comme la madeleine de Proust : un fétiche du désir. La scatologie et le goût de la pisse s’étalent dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques, et concernent également la personne homosexuelle lambda, même si celle-ci préfère les attribuer uniquement aux artistes étiquetés « atypiques » ou aux soi-disant « détraqués du ‘milieu’ » (cf. je développe beaucoup plus le thème dans le code « Scatologie » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Sans aller jusqu’à ces extrêmes, et quand leur esprit romantique impose la décence et le refus de la saleté, certaines personnes homosexuelles en restent généralement à la frontière du fantasme de merde légèrement actualisé (humour « pipi caca » ou « en-dessous de la ceinture », saleté couplée paradoxalement à une scrupuleuse coquetterie, focalisation sur le sexe, grossièreté langagière, etc.).

 

La régression au stade anal, bien avant de mériter d’être jugée odieuse ou gamine, doit à mon avis être comprise comme une difficulté d’avoir un corps « propre », au double sens du terme : non sale et à soi. Il existe dans l’usage de la scatologie une revendication légitime du droit à reconnaître les merdes de l’existence. Certaines personnes homosexuelles demandent en effet à la société sur-protectrice qui les a gavées pourquoi, depuis leur enfance, elle leur a barré l’accès à la merde (laideur, difformités, mort, privations, risques, efforts, combats, interdits, rappel des limites et des manques, etc.), celui qui leur aurait permis de comprendre que la Vie est plus forte que la mort. Arrivées à l’âge adulte, leur quête de la merde se fait alors plus autoritaire… et s’exprime parfois radicalement par le désir de la produire elles-mêmes et de la goûter ! Elles désirent montrer la merde qui se cache derrière le maquillage social (c’est pourquoi elles présentent souvent la blancheur comme perdue ou trompeuse), signaler que ce maquillage est lui-même de la merde, ou que la merde proprement dite n’est pas plus méprisable que celui-ci puisqu’elle peut embellir et dissimuler une réalité sociale jugée insupportable.

 

Pour dire une sexualité insatisfaisante et un rapport au monde décorporalisé, beaucoup de personnes homosexuelles élaborent une esthétique du mauvais goût appelée « kitsch ». Ce dernier procède de ce que j’appellerai un « baroque narcissique ». Bon nombre d’artistes homosexuels actuels ont tendance à se revendiquer du baroque pour conspuer le classicisme qu’ils jugent « mauvais » et d’arrière-garde. Ils s’éloignent à mon avis du vrai baroque, le « baroque humaniste », celui du métissage universel, prôné par Alejo Carpentier. Le baroque humaniste, contrairement au baroque narcissique, n’est pas un courant artistique créé pour s’opposer au classicisme et instaurer une élite néo-baroque, mais bien une maison universelle censée abriter aussi les soi-disant auteurs « classiques » : « Le baroque doit se voir comme une constante humaine. » (Alejo Carpentier, Razón De Ser (1980), pp. 38-65)

 

Le kitsch fait partie du baroque narcissique étant donné qu’il mêle l’amour du beau et de la merde, de la démocratie et du totalitarisme. Tous les régimes politiques, religieux, artistiques, qui jadis se sont caractérisés par leur volonté de détruire l’Homme et sa liberté, en sont les plus gros producteurs. Comme le souligne José Amícola dans son essai Manuel Puig Y La Tela De Araña Que Atrapa Al Lector (1992), « le kitsch relie tous les éléments les plus réactionnaires sous une forme artistique » (p. 127).

 

Nos sociétés actuelles attribuent à cet art « tape-à-l’œil » ou « pacotille » une légèreté qu’il n’a pourtant pas, puisque le kitsch est l’attrait pour le maquillage des systèmes despotiques. S’appuyant généralement sur le folklore et le divertissement bon marché pour amortir sa réelle violence, il est le vernis esthétique appliqué par les dictatures quand celles-ci cherchent à occulter l’absence totale de culture. Milan Kundera lui a probablement donné la meilleure définition qui soit : « Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde. […] Il est un paravent qui dissimule la mort. » (Milan Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être (1984), pp. 357-367) Les défenseurs du kitsch se proposent de sauver ce qui est destiné à la poubelle, à la fois pour dire que tout est artistique et que rien ne l’est si l’élite bourgeoise qui définit le bon du mauvais goût ne décide pas d’y investir son argent et son idéal de vie.

 

La différence entre le kitsch et l’art de qualité a l’air très mince. Sur la photo instantanée, ils semblent quasiment identiques. C’est sur la durée que le kitsch jaunit, car il privilégie l’image (autrement dit l’intention) à la Réalité. Le kitsch surgit de ce qui est humain et du regard amer que portent les Hommes sur leurs propres actes (pensez aux réactions que nous pouvons parfois avoir face aux photos de mariés exposées dans les magasins des photographes, condamnées au kitsch ou sauvées de lui selon notre clémence et notre paix intérieure). Tout est kitsch. On pourrait même dire qu’il y a du « kitsch presque objectif », selon la formule de l’éminent Jean-François Frackowiak, celui qui touche à la naïveté, à l’innocence touchante, à la bonté : il suscitera parfois le même rejet que les « bons sentiments ». Mais une chose devient « plus kitsch que les autres » quand l’Homme rentre à l’excès dans le paraître, le narcissisme, ou la jalousie.

 

Le kitsch est étroitement lié à la haine de la contrefaçon matérialiste, exprimée paradoxalement par un surinvestissement dans le paraître. En ce sens, « les filles et les garçons sans contrefaçon », autrement dit les personnes homosexuelles, méritent tout à fait leur titre d’« enfants du kitsch ». Ce n’est pas sans raison que Severo Sarduy allie homosexualité et kitsch quand il qualifie le mouvement artistique néo-baroque de « kitsch, camp et gay ». On retrouve le kitsch dans la naïveté paradisiaque des photos-peintures de Pierre et Gilles, dans l’accoutrement outrancier de Marianne James en cantatrice allemande, chez les artistes du Pop Art, dans les décors psychédéliques de Pedro Almodóvar, dans le dépouillement grunge et misanthrope du bobo underground, dans les « mises en scène-masturbation-intellectuelle » de Marcial Di Fonzo Bo, ou bien encore dans l’esthétique de Jean-Paul Gaultier. Les personnes homosexuelles sont souvent des grands amateurs de cet épate-bourgeois facile qu’est le kitsch. Arthur Rimbaud, par exemple, avoue sa passion pour les « peintures idiotes » et les « refrains niais » ; Paul Verlaine revendique les « images d’un sou » et les bibelots d’une culture de masse en désuétude (Daniel Grojnowski, « Sentes buissonnières », dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 45). Beaucoup de sujets homosexuels se désignent eux-mêmes comme des consommateurs incultes, des « enfants gâtés du capitalisme » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 114), des « dandys déliquescents » (Jérôme Dahan dans la revue Platine, n°11, avril/mai 1994, p. 13) assumant avec fierté des goûts minables qui n’iraient pas avec leur rang. Leurs personnages (et parfois eux-mêmes) regardent les mauvais feuilletons de début d’après-midi pour mamies-gâteau, adulent les chanteurs-paillettes, et se montrent assez peu cultivés derrière leurs faux airs de premiers de la classe. Leurs goûts oscillent entre les extrêmes : elles peuvent aimer à la fois la mauvaise variet’ musicale et l’opéra classique, se forcer à consommer ce qui leur est présenté comme « de qualité » ou de se laisser aller à apprécier de la merde commerciale. Dans les deux cas, c’est souvent le paraître qui l’emporte sur le goût. Le kitsch attire l’œil et lui seulement, alors que l’art se prétend plus cérébral et veut aussi parler davantage au cœur.

 

Incroyable mais pourtant vrai : ce qui plaît à beaucoup de personnes homosexuelles dans la culture camelote, c’est (excusez l’expression, mais je n’ai pas d’autres mots) qu’on les prend pour des connes. Elles se rendent compte de l’hypocrisie sadique et souriante des médias ou du monde bourgeois, mais elles aiment ce culot-là. Il les fascine et les attire : on ose « se foutre de la gueule » de personnes aussi intelligentes et importantes qu’elles, apparemment en toute innocence, dans l’indifférence générale… et elles trouvent cela scotchant ! Elles développent une réelle passion pour la nullité, pour la bêtise télévisuelle, mais pas n’importe laquelle : la bêtise très sincère, qui se prend au sérieux, qui n’a pas conscience d’elle-même, qui est énoncée par la bimbo blonde ou la bourgeoise ultra-sophistiquée qui souhaitent réellement le bonheur de l’Humanité tout entière (et des bébés phoques !). Qui, je vous le demande, a bien pu favoriser le surprenant come-back de Chantal Goya dans les années 1990 ? Qui attaque et défend encore les stars oubliées, si ce n’est la communauté homosexuelle ? Il s’agit de renverser certaines valeurs en remettant à la mode ce qui a été effacé. Ce n’est pas compliqué : à partir du moment où en apparence et à l’image on leur veut du bien, les personnes homosexuelles adorent qu’on les berce d’hypocrisie, qu’on leur fasse avaler des couleuvres qu’elles engloutissent volontairement pour montrer à l’infantilisation qui elle est, qu’on les traite comme des débiles ou des gamins qu’elles ne sont plus. Car elles prennent un malin plaisir à contenter ceux qu’elles détestent, en pensant se venger d’eux en leur obéissant exagérément.

 

Certes, elles adorent qu’on les prenne pour des connes, mais attention : elles seules se donnent le droit de l’avouer. En règle générale, elles gardent le secret sur leur passion. La dévoiler reviendrait à montrer au grand jour leur goût secret pour la soumission et l’infantilisation, et donc leur retirerait tout le prestige d’avoir été les seules à avoir su déceler le « second degré » du totalitarisme, ou le « bon goût du mauvais goût ».

 

Ne nous trompons pas. Le kitsch homosexuel n’est pas uniquement réductible au folklore Gay Pride, ni même à la surcharge que nous observons dans l’appartement d’un Renato de Cage aux Folles : il peut être au contraire assez minimaliste et dépouillé. C’est alors l’excès de dépouillement qui évoque le charme ronflant du kitsch. Le rapport de distance des personnes homosexuelles avec le kitsch oscille entre proximité et rupture absolues. En général, elles aiment que leurs goûts de daube ne soient pas pris totalement au sérieux, que leur fausse distance par rapport à leur attrait pour la merde et le totalitarisme culturel soit tenue secrète. Elles vont alors se construire un écran cynique à leur passion du kitsch, appelé « camp ».

 

Ce courant « artistique » découle naturellement du rose du kitsch : il n’est que sa face cachée, noire et agressive. On compte beaucoup de représentants du camp parmi les personnes homosexuelles. Ceux-ci rêveraient que la frontière entre le kitsch et le camp soit infinie. En réalité, elle est dérisoire : ce sont encore une fois les deux marionnettes d’une même conscience qui simulent le duel, car finalement, le kitsch et le camp se rejoignent totalement dans les extrêmes, dans l’inversion.

 

La distinction entre eux serait d’abord chronologique : le camp est historiquement un néo-kitsch apparu dans les années 1960. Par ailleurs, le kitsch et le camp divergeraient quant à l’intention : le camp constituerait une forme de kitsch consciemment produit (contrairement au kitsch qui serait « naïf », « populaire », « bête », « commercial »), un « kitsch second degré », ou plus radicalement un « anti-kitsch ». La différence se ferait aussi dans la thématique : le camp se vengerait du kitsch par un goût de la laideur davantage marqué (pornographie, scatologie, films d’épouvante, drogues, apolitisme ou militantisme anti-« système », nihilisme seventies, etc.), un irrespect systématique pour tout ce qui est commun, un rejet de la naïveté, un humour beaucoup plus trash et décalé, ou une totale « neutralité ». En ce sens, un homme tel que Frédéric Sanchez, qui s’habille « classique », en noir, pour ne pas rentrer dans les « clichés homos », qui affirme haut et fort que « ni Sheila ni Dalida ne donneront de la voix dans son mange-disque », qu’« il déteste le kitsch » et qu’il est un « anti-DJay » (cf. l’article « Frédéric Sanchez, Illustrateur sonore », sur le site www.e-llico.com, consulté en juin 2005), est le prototype de l’Homme camp, donc kitsch, car l’anti-kitsch est aussi une attitude kitsch. « L’essence du Camp, c’est ça, non ? Ridiculiser, essayer de détruire quelque chose qu’on aime, pour démontrer que c’est indestructible » fait remarquer à juste raison Emir Rodríguez Monegal (dans son article « El Folletín Rescatado, Entrevista A Manuel Puig » (1972), Revista De La Universidad de México, vol. XXVII, n°2, octobre 1975, pp. 25-35). Rien n’est totalement kitsch en soi, et tout est fatalement kitsch puisque tout ce qui est humain est kitsch. Se révolter contre l’humain, c’est être à nouveau humain. Le camp est contre lui-même et contre le kitsch, c’est-à-dire qu’il se nie et s’adore. Il gomme ses origines, fait un « kitsch du kitsch » en croyant s’en éloigner, croit qu’il ne copie pas parce que précisément il copie dans l’inversion. Voilà son paradoxe. La meilleure façon d’échapper au kitsch totalitaire, c’est finalement de ne pas le fuir à tout prix, de tolérer d’être un peu kitsch par la force des choses, non parce que nous l’aurions désiré mais à cause de notre (amour de la) condition humaine. Sinon, nous nous condamnons à y retomber sous une forme plus masquée en créant un kitsch ironiquement intentionné, totalitaire en somme.

 

Ce n’est pas par hasard que le monde intellectuel voit en général le kitsch et le camp comme des sous-genres artistiques gémellaires puisque ces derniers sont une atteinte à l’intelligence humaine alors qu’ils se prétendent justement « géniaux de subtilité (ou de nullité) », l’un par le rêve sucré, l’autre par l’horreur gore. La dictature du camp est celle qui se place en grande ordonnatrice du bon et du mauvais goût. Ses promoteurs homosexuels pensent qu’ils peuvent se permettre, parce qu’ils possèdent à eux seuls la définition du bon goût, de franchir de temps en temps la frontière d’un mauvais goût qui auraient aussi la saveur d’un inédit et transcendant « bon goût » réservé à leur élite bobo. Pour eux, il y a un « mauvais ‘mauvais goût’ » et un bon « mauvais goût » (le « mauvais goût sain » comme dirait le Prétextat Tach d’Amélie Nothomb, dans le roman Hygiène de l’assassin, 1992) dont eux seuls connaîtraient la recette.

 

Du coup, ils ne voient pas qu’ils font de la merde à force de dire qu’ils la font. Ils se présentent comme des artistes d’avant-garde, ceux qui « sentent » le beau dans la laideur, qui trouvent, à l’image des décadents de la fin du XIXe siècle, la rédemption dans la médiocrité. Ils se plaisent à croire – sûrement parce que la société les y a aidé – que les personnes homosexuelles sont de grands créateurs. D’un point de vue uniquement quantitatif, c’est indéniable. Mais qualitativement, il y a de quoi nuancer… (cf. je vous renvoie au code « Artiste raté » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels)

 

Les personnes homosexuelles, comme tout être humain, ont à apprendre à aimer la Beauté et à découvrir qu’Elle les aime. Car elles ne L’aiment pas assez, c’est une évidence !

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La beauté plastique désincarnée, élue déesse innocente et toute-puissante de la communauté homosexuelle :

 
 

À force d’étudier des œuvres de fictions traitant d’homosexualité, on constate très vite qu’il existe un antécédent lourd entre Beauté et homosexualité (cf. le roman Marcos, Amador De La Belleza (1913) d’Alberto Nin Frías, le film « Une Grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, le film « The Pretty Boys » (2011) d’Everett Lewis, le film « O Beautiful » (2002) d’Alan Brown, le roman Toutes les filles son belles à vingt ans (2014) d’Andromak, le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald, etc.). La Beauté est le lieu d’une blessure secrète… la blessure de l’idolâtrie. Beaucoup de héros homosexuels semblent obnubilés par la Beauté : « Je vous avais dit : j’aime le beau et je mourrai beau. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Manifestement, il a tout pour lui : beau, intelligent. » (Guillaume, le héros homosexuel, par rapport à Grégory le petit copain de Gérard, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Il est beau. » (Elio parlant d’Oliver, son amant, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; « Le cœur de l’homme est touché par la beauté, si infime soit-elle, de la taille d’une fourmi ou d’une araignée. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 259) ; « Et oui, Dieu était une femme… allez y touchez, touchez… Je comprends, vous êtes impressionnés… Moi, aussi, à chaque fois que je me regarde dans une glace… Ça me fait pareil… C’est tellement beau. J’comprends que vous ayez tous les yeux fixés sur moi. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 22) ; etc. Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, c’est grâce à l’adjectif « guapa » (« belle » en espagnol) que Mariela devine l’homosexualité de son mari Miguel. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, l’un des personnages homosexuels, a scotché, pendant son adolescence, sur un beau garçon ; et, les yeux fixés dans le vide, comme ensorcelé, il n’arrive pas à se défaire de son souvenir : « Il est absolument beau. » Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel insiste pour que ses neveux soient des tops models : « On a envie que nos neveux soient cultivés. Et surtout beaux. Oui, c’est très important pour nous, les gays. »

 

Certains personnages homosexuels sont d’ailleurs connus pour être les incarnations vivantes de la beauté (cf. je vous renvoie au code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), et donnent aux homosexuels la réputation d’être les hommes les plus beaux de la Terre : « Déjà que vous nous piquez tous les beaux mecs, laissez-moi au moins notre intuition ! » (Alice à son meilleur ami homo Fred, dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) ; « Je veux être beau. Je veux qu’on me désire et que tout le monde ait envie de coucher avec moi. » (Pierre, le héros homosexuel de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Salut ma beauté ! » (Ninon, la lesbienne claquant la bise à son pote homo Guen, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc. Par exemple, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Martin, « l’homo » présumé, a la réputation d’être beau. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo raconte à son amant Rémi une métaphore de leur couple : celle d’un canard jaune (Rémi), plus beau que les autres, qui tombe amoureux d’un lézard (lui, en l’occurrence), et ensemble ils font du trempoline pour sauter jusqu’aux étoiles. D’ailleurs, Léo présente Rémi comme un garçon qui se distingue par sa beauté : « Toi, t’es jaune, mais beaucoup plus beau que les autres. »

 

Mais de quelle beauté/Beauté parle-t-on au juste ? Celle avec un petit « b » (la beauté visuelle, plastique, réifiée, esthétique, inconsciente, présentée comme immortelle, mais qui est figée, éphémère et mortelle) ou celle avec un grand « B » (la Beauté intérieure, éternelle, libre, consciente d’Elle-même, résurrectionnelle, celle qui comprend et dépasse la mort, la vieillesse, la maladie, la haine) ? Il semblerait que le héros homosexuel les ait fait fusionner au profit de la « petite » beauté… même si, en intentions, c’est moins clair. En général, il choisit le camp de la beauté plastique et superficielle : « Moi qui suis chrétien, je trouve ça beau d’aimer les corps : ‘aimer la chair, c’est aimer l’Homme’. » (Chris parlant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 127) ; « Je choisissais les plus beaux et vivais une intense aventure de dix secondes avec chacun. » (le narrateur homo parlant du jeu des regards à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; « À 18 ans, j’allais me faire des soins en institut de beauté. » (le protagoniste homosexuel dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (le narrateur homo de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 22) ; « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 81) ; « Il rêvait d’être un acteur célèbre, adulé. Il se voyait beau comme Matt Damon, Brad Pitt ou Johnny Depp, s’imaginant baraqué, avec des jambes hypermusclées qui lui permettraient de bondir et de courir après des bandits pour les arrêter. Il remporterait un oscar ou deux, ferait la une de tous les journaux et serait poursuivi par des paparazzis. Il voulait tant qu’on l’aime… » (Marcel, l’un des héros homos du roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 18)

 

Très souvent dans les fictions, la Beauté est associée à l’innocence absolue, tellement absolue qu’Elle ne laisserait plus de place à la conscience, à la liberté humaine, et finalement au désir : « La vraie beauté n’en a jamais conscience. » (cf. la chanson « Vis-à-vis » d’Étienne Daho) ; « Tu sais pas encore que t’es vraiment beau. Ça te rend si séduisant. » (Jacques, le héros homosexuel quinquagénaire s’adressant à son jeune amant Mathan de 19 ans, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Les privilèges de la beauté sont immenses. Elle agit même sur ceux qui ne la constatent pas. » (Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Sa beauté indiscutable se passait de l’intelligence. L’élégance avec laquelle elle portait un corsage entièrement brodé de diamants sous une hermine et une toque en plumes d’oiseau de paradis pour monter les escaliers de l’Opéra, la faisait paraître d’un naturel parfait chez les figurants de la jet society. » (cf. la description de María-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 32) ; « Ralph était merveilleusement beau, et la parfaite beauté physique a souvent l’étrange effet de spiritualiser la passion qu’elle inspire. » (Ramon Fernandez, Philippe Sauveur, 1924) ; etc. Par exemple dans le roman L’Amour en relief (1982) de Guy Hocquenghem, la Beauté est figurée par un jeune Tunisien aveugle qui ne devine rien de la grâce qu’il dégage. Même scénario avec le personnage de Rob, l’homosexuel aveugle à l’intrigant et innocent éclat, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, ou encore avec le personnage de Léo dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro.

 

À entendre le héros homosexuel idolâtre et esthète, la « Beauté » serait inviolable, intouchable, à l’abri de la critique, toute-puissante, virginale, incapable d’être dénaturée par l’Homme. Elle serait la Présence céleste descendue Elle-même sur certains objets « artistiques » ! « La Beauté est une des formes du Génie. Que dis-je? Elle surpasse même le Génie, n’ayant pas comme lui à se démontrer. » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, p. 41) ; « Que la beauté soit toujours dans nos vies.» (Romeo détournant l’écriteau « Que la beauté vive en cette demeure » qu’il lit dans la maison de peintre qu’habite son futur amant Johnny, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc.

 

Le personnage homosexuel ne croit pas en l’Incarnation divine, mais plutôt en la Matérialisation divine. Au fond, il n’aime pas la Beauté réelle, quotidienne, incarnée, relationnelle, tachetée d’imperfections. Il adule la beauté plastique. Autrement dit, il est médusé devant la beauté comme il l’est face à une œuvre d’art. Dans son esprit, l’Éthique fusionne avec l’esthétique (il pense que ce qu’il trouve beau, il l’aime d’amour), l’Amour se confond avec l’art (… ou, ce qui revient au même, se dissocie totalement de l’art et de la Beauté) : « J’aimais tout de lui, ses tableaux, ses vêtements… Tout ce qui le concernait me fascinait. Il n’y avait pas une seule ombre au tableau. Il était drôle, généreux et toujours plus beau ! » (Bryan par rapport à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 16) ; « Aimer un garçon, ça ne veut rien dire. Ce n’est pas pour ça qu’on est homo. D’ailleurs, je ne l’aimais pas. Je le trouvais beau, c’est tout ! » (idem, p. 32) ; « Kévin avait raison, nous fîmes plein de choses ensemble. À commencer par la peinture, nous y consacrions tous nos mercredis après-midi… puis tous nos week-ends… puis n’importe quand ! C’était un fabuleux prétexte pour nous retrouver. Comme promis, il fut très patient même si, au début, il prenait un peu trop au sérieux son rôle de professeur. Je n’en avais jamais eu d’aussi beau. Pour la première fois de ma vie, j’étais amoureux de mon prof. » (idem, p. 82) ; « Cette fichue peinture à la fois nous réunissait et nous séparait » (idem, p. 82) ; « Quoi que maman dise, elle était belle, cette infirmière : je l’aime. » (cf. la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer) ; « Tu es belle. Je t’aime. » (Petra à son amante Karin, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je regardais les beaux objets fractals illustrant le volume et voyais Sheela, Linde et Rani dans l’un d’eux. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 64-65) ; etc.

 

Parfois, le protagoniste homosexuel préfère sa beauté à lui-même, à sa personne, ou aux autres : « Ce nouveau Narcisse s’éprendra de sa propre beauté. » (la conteuse à propos de Dorian Gray, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mise en scène par Imago en 2012) ; « Je choisis mes amis pour leur beauté. » (Lord Henry, idem)

 

Il a tendance à ne pas lier la Beauté à l’Humanité incarnée, sexuée, réelle, libre dans son chemin vers la mort-vaincue-ensuite-par-la-Vie. Il parle plutôt d’une beauté aérienne, minérale, dévitalisée, inaccessible, fétichisée : « Puis lui vint la conviction que cette femme était belle : elle ressemblait à une fleur étrange qui aurait poussé dans l’obscurité, quelque fleur rare, quelque fleur pâle sans tache ni imperfection. » (Stephen, l’héroïne lesbienne à propos d’Angela Crossby, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 173) Cette beauté abstraite a la fadeur « idyllique » de l’androgynie angélique (dans le double sens d’« androgyne » : une « moitié d’être humain », ou bien un « ange asexué, ni homme ni femme ») : « À ce moment, elle ne connaissait rien d’autre que la beauté et Collins, et les deux ne faisaient qu’un seul être, qui étaient Stephen. » (Stephen, l’héroïne lesbienne parlant d’elle-même, op. cit., p. 26) ; « Faisons à nous deux un héros de roman. […] J’irai dans l’ombre à ton côté. Je serai l’esprit. Tu seras la beauté. » (Cyrano à Christian dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Arlette était la fille la plus belle que Silvano eût rencontrée à Paris, elle avait l’air d’un éphèbe. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 104) ; « Plus beau que jamais, il ressemblait à un ange… à mon ange. » (Ednar à propos de son amant Dylan, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 37)

 

Tout en considérant la Beauté comme inviolable par les autres, le héros homosexuel, parce qu’il se croit aussi divin qu’Elle, va tenter de L’approcher, de La posséder, de la mettre en boîte ou sous verre : « Hillary pose devant ce photographe qui s’applique pour immortaliser la beauté de la jeune femme. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Je les regardais s’engouffrer tous dans l’escalier qui menait au balcon, lorsque je reconnus Perrette Hallery de dos… accompagné d’une magnifique femme en manteau de poil de singe, rousse à mourir sous son chapeau à voilette, la peau laiteuse et la démarche assurée. Le cliché de la belle Irlandaise, Maureen O’Hara descendue de l’écran pour insuffler un peu de splendeur à l’ennuyeuse vie nocturne de Montréal, la Beauté visitant les Affreux. […] La fourrure de singe épousait chacun de ses mouvements et lui donnait un côté ‘flapper’ qui attirait bien des regards admiratifs. Les hommes ne regrettaient plus d’être là, tout à coup. » (le narrateur homo observant son futur amant accompagnant sa jolie maman rousse à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; etc. Par exemple, dans le film « Death In Venice », « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le débat entre le musicien homosexuel Von Aschenbach et son ami Alfred tourne précisément autour de la prétention homosexuelle à la création de la Beauté. Bien évidemment, c’est Aschenbach qui défend le pouvoir absolu du créateur sur Elle, contrairement à son acolyte qui ne pense pas que la Beauté vienne uniquement de l’artiste et de ses sens (« La beauté, fruit du labeur… Quelle illusion ! »).

 

Le goût de la beauté plastique entraîne le héros homosexuel vers le purisme, la maniaquerie, l’orgueil du Pygmalion (qui exploite et consomme son amant, qui se prend pour Dieu), la grâce mortelle des objets (un objet, c’est froid et inerte comme la mort, rappelons-le), et pour le coup, son fanatisme possessif/fétichiste le détourne de la pureté, de l’Amour vrai, et du monde vivant : « Seul Jioseppe Campi est capable d’imiter la beauté ! » (Campi, le sculpteur déifié du roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, p. 12) ; « Je remarque toutes les fautes de goût de cet appartement. […] Je cherche la place que tu vas prendre entre tous ces meubles. » (le héros de la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des personnages homos aime faire venir dans son appartement parisien des gigolos « banlieusards » qu’il considère comme de jolis bibelots, des « beautés exotiques ».

 

Le rapport passionnel du héros homo à la beauté plastique est potentiellement violent et déshumanisé, car il possède de fortes accointances avec l’inceste (inceste avec un proche parent, ou même plus simplement avec une mère symbolique telle que l’actrice), avec le manque de chasteté et de distance par rapport à l’objet de désir. Dans les œuvres homosexuelles, à chaque fois qu’il est question de Beauté, l’inceste ou le viol rôdent très souvent dans les parages ! (cf. le film « Belle Maman » (1998) de Gabriel Aghion) : « Il y a des centaines de photos de maman. Elle était si belle… Il ne fallait pas la toucher tant elle était si belle… » (Thomas, dans le bâti Lars Norén (2011) d’Antonia Malinova) ; « Regarde : tu es beau, intelligent, bon élève. Tes parents vivent dans le mythe d’un fils parfait. » (Chris à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 112) ; « Aujourd’hui, c’est moi l’homme. Un homme pour mon père. Beau et fort pour mon père. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 35) ; « C’était l’heure matinale où sortait le jeune et beau papa du huitième, dont il était justement dommage qu’il fût papa, ou plus exactement qu’il eût commis cette faute de goût avec une maman. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 70) ; « La beauté de sa mère était toujours une révélation pour elle ; elle [Stephen] la surprenait chaque fois qu’elle la voyait ; c’était l’une de ces choses singulièrement intolérables, comme le parfum des reines-des-prés sous les haies. […] Anna disait parfois : ‘Qu’avez-vous donc, Stephen ? Pour l’amour de Dieu, chérie, cessez de me dévisager ainsi !’ Et Stephen se sentait rougir de honte et de confusion parce qu’Anna avait surpris sa contemplation. » (Stephen, l’héroïne lesbienne à propos de sa propre mère, Anna Molloy, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 49) ; « Ma mère était belle. Sa beauté était sans doute sa liberté. Les voisines la jalousaient. La maudissaient. Elles avaient raison. Ma mère était belle mais je ne le voyais pas. Ma mère était jeune. Elle était ma grande sœur. C’est le rapport qu’elle a imposé entre nous. » (Stephen, op. cit., p. 36) ; « Sa mère était tellement parfaite que tout ce qui lui advenait devait à son tour être parfait… […] Elle avait été la belle Anna Molloy, très admirée, très aimée et sans cesse courtisée. » (idem, pp. 112-113) ; « Mes deux cousins, ces deux beaux mecs de mon âge que j’avais repérés au cimetière » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 409) ; « Non ! Mais t’es beau, t’es bien foutu… T’es bourré de talent. Tout ce que tu tentes te réussit, […] tu séduis qui tu veux. » (le père de Bryan à son fils homosexuel, op. cit., p. 412) ; « Il passa de plus en plus de temps devant son écran, se créant tout un univers de rêve. Il avait ainsi un père qui ne l’eut pas abandonné et une mère qui ne chercha pas tant à le contrôler en voulant trop le protéger. Son oncle n’hésiterait pas à lui offrir son corps et sa beauté, car Marcel adulait son oncle, homme séduisant toujours entouré de beaux mecs aussi attirants que lui. Il lui arriva souvent de se branler en rêvant à ce type au charme irrésistible qui dormait dans la chambre d’à côté, ou en train de lui faire l’amour. » (Marcel par rapport à son oncle Alain, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 19) ; « Ça doit être mon père qui m’a fait ainsi [= homosexuel] ! Il était trop beau lui aussi ! Comme un gamin-papillon, j’étais fasciné par sa beauté d’homme solitaire. Peut-être que je m’y suis brûlé les ailes ! Je devrais jeter toutes ces photos que j’ai de lui ! Cesser de penser que j’aurais hérité de lui cette attirance pour les garçons. Un désir refoulé qu’il m’aurait transmis en quelque sorte. Et tout cela, parce qu’il nous prodiguait, à moi et à mon petit frère, la tendresse de la mère perdue. » (Adrien parlant de son jeune amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60)

 
 

b) À force d’être trop désincarnée dans l’idolâtrie, la Beauté apparaît décevante, voire monstrueuse et diabolique :

La découverte progressive que la vraie Beauté ne se possède pas (sinon, on La fait mourir et Elle pourrit dans nos coffres : n’oublions pas qu’Elle n’est belle qu’à la condition d’être vivante et libre !) engendre chez le héros homosexuel une auto-dévalorisation de soi, une comparaison excessive avec l’amant fantasmé pour ses atouts physiques, un désir de fusion frustrant et potentiellement obsédant, une suspicion croissante par rapport à la beauté plastique/à la vraie Beauté : « Mais pourquoi la Beauté n’est-elle pas contagieuse ? » (Helena dans la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare) ; « Je sais qu’on peut tout pardonner, sauf la beauté et le talent. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; « Beaucoup trop jolies pour être honnêtes. Beaucoup trop. » (cf. la chanson « Beaucoup trop jolies » de Véronique Rivière) ; « Tu réjouis mon œil et embellis mon âme. Je ne peux m’empêcher de te regarder. Tu me fascines. Tu es beau, tu es trop beau. Chaque détail de toi me chavire. On dirait que tu as été fait pour ça. Pour me séduire. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 211) ; « En plus, t’as toutes les qualités que je n’ai pas. […] T’es beau, t’es nature, t’es droit et fidèle. Tu dis toujours la vérité. Moi, je fais tout le contraire. » (Kévin à Bryan, op. cit., p. 325) ; « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (Bryan à Kévin, op. cit., pp. 330-331) ; etc.

 

La beauté physique n’étant pas à la hauteur des espérances du héros homosexuel, ce dernier dévalue à la fois la beauté et la Beauté : « J’ai misé trop haut sur l’échelle de la beauté. » (Zach, le héros homosexuel, après s’être pris un vent par Nate, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « La beauté se détraque. » (Charlène Duval lors de son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Le laboratoire du corps humain transforme toute la beauté du monde en dégoût. » (Jérémy Patinier, La Fesse cachée (2011), p. 98) ; « La Nature est injuste ! La Beauté est injuste ! Et bien le corps aussi ! » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Mais pourquoi toute ma vie ai-je été esclave de la beauté ? » (Jacques, le héros homo quinquagénaire, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « J’ai bien trop su salir le beau que tu mettais dans nos nous. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc. Comme son attrait pour les belles choses a un goût amer d’inceste ou de possession (prostitution ?), la beauté finit par laisser de marbre et par provoquer le dégoût : « Elle me répète qu’elle m’aime et je joue avec elle comme un petit animal effrayé. Ses baisers me donnent la nausée. La manière dont elle s’est jetée dans mon lit, dont elle s’est couchée contre moi, sans que je lui demande rien, me dégoûte. […] Son insouciance, sa beauté me répugnent. » (Heinrich en parlant de Madeleine, dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 65) ; « Il n’y a rien de plus monstrueux que la beauté d’une strip-teaseuse. » (l’Auteur dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi)

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Harold, l’un des héros homosexuels, crie sa douleur de ne pas être né aussi beau qu’il le voudrait, et sa vengeance contre la beauté des autres : « Il a une beauté naturelle peu naturelle. » (dit-il par rapport au beau gosse décérébré Tex) ; « La beauté est superficielle !… Et c’est éphémère. Si éphémère. » Il écorche, au passage, la beauté de son colocataire Michael, gay lui aussi : « Michael est le charme… désincarné. » Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy anarchiste efféminé, scande qu’il ne veut « plus de religion ! » et déclare la mort de l’art : « Merde à la beauté ! »

 

Dans l’esprit du héros homosexuel, la beauté est liée à la mort, s’annonce comme une catastrophe : cf. le roman El Amargo Don De La Belleza (1996) de Terenci Moix, le film « Fatal Beauty » (1987) de Tom Holland, le vidéo-clip de la chanson « Beau Malheur » d’Emmanuel Moire, le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson (avec le concours de beauté détruit par un violent orage en 1974), le film « Smukke Dreng » (« Beau garçon », 1993) de Carsten Sønder (où la beauté est liée à la prostitution), la chanson « Beau » de Lou (parlant du suicide d’un homosexuel), etc. « Tu es tragiquement beau. » (Mike à « M. », dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 39) ; « Moi, le premier jour, je me suis dit : ‘Tiens, il est beau !’ Le lendemain aussi… Le troisième je te cherchais partout, et le quatrième tu me manquais déjà. Ensuite, tu m’as pourri la vie ! » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 112) ; « Kévin se faisait draguer aux mariages, moi je repérais les beaux mecs dans les cimetières. On faisait une sacrée paire ! » (idem, p. 409) ; « La beauté peut blesser aussi profondément qu’un glaive à deux tranchants. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 137) ; « La beauté est le début de la terreur. » (une réplique prononcée dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger) ; « Une figure admirable, c’est pire que tout. » (l’héroïne de la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau) ; « Rhabille-toi où je vais mourir. (Anthony, le héros homosexuel s’adressant à son jeune filleul nu, Jim, aussi homosexuel, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc.

 

Dans la chanson « L’Adorer » d’Étienne Daho, par exemple, il est question de « l’infidèle à la beauté assassine ». Dans la pièce Confessions d’un Vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Prétorius décrit le « visage beau et terrifiant » d’un inconnu qu’il a rencontré. Pendant le concert du groupe Indochine Météor Tour à Bercy le 16 septembre 2010, sont intercalées sur écrans géants des scènes de guerre avec des images de majorettes, de reine de beauté. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homosexuels, n’a qu’une ambition dans la vie : « Mourir jeune et joli. »

 

La Beauté, comme la Vérité (cf. « Y’a que la Vérité qui blesse ! ») ferait mal : « N’avons-nous pas souvent été blessés par ceux qui ‘ne font que dire la vérité’ ? Les pensées véritables ne doivent pas toutes être dites. […] Nous ne devrions pas nous précipiter pour ouvrir grand les portes et autoriser la lumière à éclairer des lieux discrets. Car ceux qui ont vu les mystères cachés nous parlent de beauté, mais aussi de douleur. Et il est préférable que certaines choses demeurent invisibles, que certains mots ne soient pas prononcés. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), pp. 99-100) ; « Quand on se réveille, je propose que l’on retire nos bandeaux, mais Vianney trouve ça prématuré. Il geint ‘Pas cette fois, s’il-te-plaît…’ Avant qu’il ne parte, je lui raconte l’histoire de La Symphonie Pastorale de Gide. Vianney dit que c’est triste, cette fille aveugle à qui on fait croire que le monde est beau, et qui, quand elle recouvre la vue, s’aperçoit qu’on lui a menti. » (Mike racontant son « plan cul » avec un certain Vianney, un garçon laid qu’il accueille chez lui alors qu’il a les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 85-86) ; etc.

 

Dans beaucoup d’œuvres de fiction homo-érotiques, la beauté n’est pas présentée comme un atout, une valeur positive et humaine. Tout le contraire ! C’est plutôt un handicap, un cadeau empoisonné qui assigne un sombre destin. « Il y a des moments, je voudrais être laid, ne plus séduire, ne plus être désiré. » (Malcolm dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « Vous devez fatiguer de vous faire dire que vous êtes beau. » (Amanda s’adressant au héros homosexuel Nelligan, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; etc. Par exemple, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le personnage du Don Juan homosexuel, Vincent Garbo, est « irrémédiablement affligé d’une beauté plus proche d’une inhumaine perfection que de l’harmonie d’un beau dans la nature toujours composé de quelques baveux détails » (p. 39). La Beauté est considérée comme un danger mortel et diabolique, qui soumet et asservit à la fois celui qui La porte et son adulateur. Ce dernier perd tous ses moyens, ne semble avoir aucune résistance face à Elle : « La chasse d’eau, c’est mon éjaculation. Dès qu’un beau gosse me sort sa jolie queue molle et commence à la manipuler, je gicle. » (le personnage du « chiotte public », dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 82) ; « Je suis devant lui. Je rêve. […] Il a du charme. Détermination. Cruauté. Tendresse. Tout est là. Je le reconnais. […] Il m’attire, il me domine. Je suis à lui. Il est le Roi. Le roi Hassan II. Il est beau. Je l’aime. Sans douter, je l’aime. On m’a appris à l’aimer. À dire son nom. À le crier. Il est beau. Il est important. Tellement beau, tellement important. » (Khalid, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 9) ; « Et s’il y avait de la divinité dans tout ça, c’était dans la beauté elle-même. C’était à la beauté même qu’il fallait rendre un culte. » (idem, p. 78) ; « Je t’ai vu descendre du ciel, un matin d’hiver. Je t’ai vu seul, sombre et silencieux. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 453) ; « Je tremble devant votre beauté et votre pouvoir. » (le Rat à la Reine, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Agnès me plaisait parce qu’elle était belle et que mon point faible, à moi, c’est la beauté des femmes. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, pp. 222-223) ; « Et puis, il est si beau ! » (Adrien, excusant toutes les infidélités de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 45) ; « Putain, ce salaud, plus il est dégueulasse, plus il est beau. » (Doumé à propos de son amant Willie, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 157) ; « Quand la porte s’est ouverte, je suis resté planté devant elle comme une grosse merde. Elle portait une robe noire moulante et décolletée, qui faisait ressortir sa peau laiteuse, ses seins pareils à deux blocs de beurre frais. Aux pieds, elle avait des mules en soie noire, avec un liseré genre plumes d’autruche de la même couleur. Elle avait des ongles vernis eux aussi de la même couleur, enfin si on considère que le noir est une couleur, aussi bien ceux des mains que ceux des pieds, comme j’ai pu m’en rendre compte quand elle a négligemment fait glisser sa mule gauche pour caresser son mollet droit avec ses orteils. Sa tenue, ça faisait limite pute du quartier rouge à Amsterdam, sauf que sur elle c’était superclasse, je sais pas comment vous dire, elle était superbelle, et superflippante. Je m’assois sur le tabouret en ébène. Elle m’apporte un verre avec une substance un peu trouble dedans, genre sirop d’orgeat ou de gingembre, vous voyez ce que je veux dire ? Je lui demande ce que c’est. Elle me dit de deviner. Je goûte. Un machin indescriptible. Amer, mais avec une note de citron, de sucre, et un arrière-goût un peu fade aussi, limite farineux, sauf que la farine ça a pas de goût, alors je dirais limite lacté, mais plus comme du lait en poudre que comme du vrai lait. Je lui dis que je ne devine pas. Et alors là, véridique, elle me fait : ‘C’est un philtre d’amour.[…] les auréoles des seins qui pointent sous le tissu, qui ont l’air de vouloir le transpercer […] Elle me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo. » (Yvon en parlant de Groucha dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 262-264) ; « Corinne, assise à ses pieds, observait Jason, incrédule. Avec son maillot de bain qui représentait des têtes de mort sur fond noir, il ressemblait vraiment à un messager des dieux de l’enfer. ‘Encore une beauté d’archange, songeait-elle. » (Corinne, op. cit., p. 83)

 

Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), la beauté est considérée comme dangereuse, comme une occasion de tomber. Pawel Tarnowski, homosexuel continent, parlant de Goudron, l’écrivain plus âgé que lui et qui a tenté de le pervertir dans sa jeunesse, évoque la faiblesse de ce dernier pour sa beauté juvénile : « L’écrivain qui ne cherchait qu’une aventure amoureuse, ne l’aurait pas regardé deux fois s’il n’avait pas été séduisant. » (p. 173) Plus tard dans le roman, le Comte Smokrev, libertin et pédophile, ayant reconnu chez Pawel la même faiblesse homosexuelle pour la jeunesse qu’il éprouve lui-même, tente de le mettre à l’épreuve par rapport au jeune David, que Pawel a pris sous son aile : « Nous apprécions tous les deux… la beauté. [Il jeta un regard subtil à David de l’autre côté de la pièce.] Il représente un danger pour vous. » (Smokrev, p. 483)
 

On observe chez beaucoup de héros homosexuels vieillissants un mépris croissant pour la Beauté, et pour leurs pairs homosexuels plus jeunes et plus beaux qu’eux, mépris qu’ils ont du mal à s’approprier tant par ailleurs ils connaissent leurs fantasmes de jeunesse et leur célébration du jeune éphèbe gay. Le jeunisme, étant un mouvement idolâtre (puisqu’il fête la beauté de magazine en croyant honorer la vraie Beauté), s’accompagne bizarrement d’un mépris des petits minets homosexuels : « Sans passer pour des imbéciles, ils n’étaient pas, pour la plupart, des intellectuels. […] Ils fréquentaient plus volontiers les salles de musculation que les salles de lecture. […] Ils ne différaient pas, en cela, de beaucoup de gays de leur âge. […] C’étaient tous de charmants égoïstes, comme on l’est à cet âge, et un peu plus encore quand on est beau et gay. » (Jean-Paul Tapie, Dix Petits Phoques (2003), pp. 134-140) Le héros homosexuel, tandis qu’il essaie de s’attirer les faveurs des petits jeunes qu’ils idéalisent dans l’angélisme, se venge de sa faiblesse sur la nouvelle jeunesse homosexuelle, en la qualifiant très fréquemment de « superficielle », d’« arrogante », de « lâche », de « naïve », d’« ingrate », d’« inexpérimentée », etc.

 
 

c) Une obsession/déception de la beauté plastique qui va jusqu’à la violence et la destruction :

HAINE 2 Francis Bacon

Tableau « A Terrible Beauty » de Francis Bacon


 

La déception du héros homosexuel par rapport à la beauté s’accompagne en général d’un mouvement incontrôlé de destruction ou de viol, visant paradoxalement non pas à détruire la beauté mais à la restaurer/à la transformer en Beauté par la laideur et l’agression.

 

On voit en effet le personnage homosexuel fictionnel perdre la boule uniquement parce qu’il ne se remet pas de la beauté qu’il contemple : « Tu es beau, calme, irrésistible, mais pas de doute : envahissant. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 210) ; « Il est même trop beau pour moi, moi qui n’ai jamais eu aucune assurance sur mon physique. » (Adrien en parlant de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60) ; « Tu es beau, tu es trop beau, c’est inhumain ! » (Bryan à son copain Kévin, op. cit., p. 300) ; « Comment fais-tu ? T’es trop beau. T’es infernal. » (idem, p. 317) Le roman Le Pavillon d’or (1956) de Yukio Mishima raconte justement comment un moine, rendu fou par la perfection d’un temple, devient incendiaire : « Je voudrais tordre le cou à celui en qui j’ai cru si fort, celui en qui mes lectures savent bien que j’ai cru : le dieu du Beau. » (p. 73) ; etc. Dans la comédie Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, la beauté est réduite à un trophée diabolique (= le prince charmant) que l’ensemble des divas cherchent à posséder, se disputent, et finissent par détruire dans un emballement collectif incompréhensible : une fois qu’elles l’ont écartelé, elles regrettent amèrement d’avoir « tuer la Beauté même ». Dans la poésie Le Condamné à mort (1942), Jean Genet tient un double discours quant à la beauté : à la fois il l’adore (« La beauté, toujours je l’ai servie ! ») et il la hait (« Mutile la beauté ! »). Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca se montre particulièrement impitoyable face à ses prétendants amoureux si seulement ils ont le malheur de ne pas correspondre à ses critères physiques.

 

Le héros homosexuel jalouse la Beauté et veut La violer : « Promettez-moi d’apprendre à salir la beauté, mon ami. » (Jacques s’adressant à son ex-amant Mathieu, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « J’ai remarqué qu’Antoine, il est beaucoup plus musclé que moi. […] Il est drôlement bien foutu. » (Julien parlant de son voisin de pupitre, le bel Antoine, dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet) ; « Cette perfection avec laquelle tu m’humilies… je me souviens avoir eu envie de te profaner, de te faire payer ta beauté. » (Denis à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Ô beauté, ô splendeur, bonté ! Puissé-je ne vous avoir jamais rencontrées !… Mon sort est de vous annihiler, je suis voué à votre destruction… Je vous ai en mon pouvoir, et je veux vous détruire. » (Claggart dans l’opéra Billy Budd (1951) de Benjamin Britten) ; « C’est le rêve de ta vie de te faire bien empaler, enculé efféminé, petite Reine de la Beauté du podium de ton quartier. » (Fifi d’adressant à Pédé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Nous étions deux filles. Vous étiez la plus belle à l’orphelinat. Quand on nous passait en revue vous étiez toujours la préférée des parents d’adoption. » (Vicky à la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai été beaucoup plus belle que vous. » (idem) ; « Je ne sais pas quand, ni où, mais je sais que je te baiserai. J’en fais la promesse sur la tombe de ton pote. T’es trop beau ! Je n’y suis pour rien si tu me fais bander ! » (Laurent parlant à Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 459) ; etc. Dans le film « Nettoyage à sec » (1997) d’Anne Fontaine, par exemple, Jean-Marie se fait sodomiser par le beau et provoquant Loïc dans le sous-sol de son pressing, avant de lui coller le fer à repasser brûlant sur la figure et de le tuer en le jetant violemment par terre. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, est dessinatrice et détruit ses croquis et ses toiles.

 

Ce que le héros homosexuel reproche à la Beauté, c’est au fond le mal qu’il Lui fait en cherchant à la posséder pour lui seul, c’est l’espoir démesuré et égocentrique qu’il mise sur Elle. « Nous avons été cruels et nous avons été splendides. » (Dorian Gray à son amant Basile, suite à la mort de Sybille qui s’est suicidée parce que Dorian l’a répudiée, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mis en scène par Imago en 2012) Par exemple, dans les fictions homo-érotiques, quand le nom de la « Beauté » est applaudi, c’est généralement une diversion pour occulter de sombres pratiques ou un mensonge identitaire : cf. le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton (avec le sauna et sa magnifique déco gréco-latine), le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot (avec le personnage homo de Marcel, surfant sur des sites Internet homos, et mentant sur ses attributs physiques, pour draguer : il se décrit « comme étant beau, grand et découpé. » p. 19)

 

C’est parce qu’il atténue la brutalité et la réalité du viol par l’esthétique, par la « Beauté », que le héros homosexuel se met parfois à désirer le viol. Il lui arrive de trouver le diable beau : cf. la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec le dandy esthète homosexuel et cruel, le baron Lovejoy), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, le film « Dirty Love » (2009) de Michael Tringe, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, etc. Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, au moment où Mike, le narrateur homosexuel, apprend par son amant d’un soir qu’ils ont baisé sans capote alors que ce dernier lui avoue après-coup qu’en fait il est malade du Sida, que l’état de beauté est décrété : « Je trouve R. très beau, d’une beauté troublante. Toujours à quatre pattes dans la lumière tamisée de la chambre, sur la couette blanche, avec cette odeur de merde qui flotte dans l’air et dans le fond de nos bouches ce goût amer d’amour triste, comme s’il n’y avait plus que nous au monde. » (pp. 71-72)

 

Le protagoniste homosexuel sacralise le viol ou la souffrance en estampe magnifique, en beauté désirable (cf. la chanson « Les Liens d’Éros » d’Étienne Daho) : « Nature du décès : j’me suis fait violer par trois beaux jeunes hommes. » (Lucienne dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « Rien n’est plus émouvant qu’une belle femme qui souffre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 77) ; « Tu avais le visage dévasté par le chagrin. Que tu étais beau ! » (Bryan face à son amant Kévin en deuil pour lui, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 462) ; « J’aime trop pétrir ses fesses de coureur, me coller à son dos cambré de statue. Je le renverse dans le lit : il m’est livré. Il est à moi. Alors je sais que son sexe m’appartient. Je le saisis d’un coup, son sexe bandé et chaud dont il est si fier, son gros membre de beau garçon. J’avale son gland rose, son bourgeon gonflé prêt à donner sa sève. Je le sens si bien quand il me prend, bien large et vigoureux. J’aime qu’il me déchire, qu’il m’éventre tout entier du bas en haut. Enfin, je suis si terriblement heureux quand je danse empalé sur lui. » (le narrateur du roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc, p. 97) ; « Tu pries pour que ton frère, comme toi, au même moment, soit blotti dans les bras d’un beau jeune homme plein de vigueur, et qui prendrait soin de toi comme d’une poupée. » (Félix à propos d’un soldat allié, Bob, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 132) ; « ‘Maintenant, je suis Nelson. Je suis au milieu de la bataille de Trafalgar… J’ai reçu des balles dans les genoux !’ Pourtant, c’était réellement beau de souffrir. » (Stephen, l’héroïne lesbienne se mettant mentalement dans la peau d’un héros, dans le roman Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 32) ; « Hugues n’était vraiment pas mal, dans le genre austère. Mourad lui trouvait un petit quelque chose de Corto Maltese. Le côté baroudeur, pirate des mers du Sud. Il avait sûrement une belle cicatrice de guerrier quelque part. » (Mourad, l’un des personnages homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 82) ; etc. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xav est obsédé par un « homme défiguré, avec une cicatrice », mais persiste à le trouver charmant : « Il a la gueule coupée en deux, comme dans mon rêve. Mais il est quand même beau ! »

 

HAINE 3 Divine

Divine


 

Il est fréquent que le héros homosexuel s’identifie à la femme cinématographique qui use de sa beauté comme d’une arme redoutable qui manipule les hommes : « Sa sœur cadette, la duchesse de Malaga, était réputée être la plus belle femme d’Espagne et avait fait tourner la tête à plusieurs couronnes jusqu’au moment où, à sa majorité, elle dût décider entre trois jeunes rois et qu’elle déclara tout simplement qu’elle entrait dans les Ordres. » (cf. la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 9) La beauté fatale, en tant qu’instrument de vengeance et de pouvoir maléfique, est généralement enviée, désirée par le personnage homosexuel : « À présent, les choses vont changer Alba. Je suis belle et je veux que ça se sache. » (Claudia à sa compagne Alba dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Je m’imaginais une jeune fille très belle, très intelligente, très perverse. » (l’Auteur en parlant de l’héroïne qu’il a créée, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’étais Marlon Brando. Un vieil homme qui avait de la classe et de la cruauté. Un vieil homme irrésistible, généreux, impitoyable, sanguinaire. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 168) ; « Le sourire éthéré dont s’auréola le visage de l’ange me fit soupçonner quelque chose de pas catholique. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 114) ; « Pour tirer par la queue le beau diable qui se débattait derrière moi » (idem, p. 116) ; « Il lui fallait se conforter dans l’idée décevante que les gens beaux […] sont généralement méchants. » (Corinne dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 79) ; « Le cynisme, c’est l’humour des gens qui sont beaux. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, la beauté cristallise la violence de la jalousie : Dorian Gray, par sa beauté, inspire la « terreur » à Lord Henry ; et il est captif de sa propre image : « Je suis jaloux du portrait que tu as fait de moi ! » (Dorian à son amant-peintre Basile, idem)

 

Parfois, dans le discours du héros homosexuel, l’adverbe « atrocement » ou « affreusement » est prononcé avec une telle jouissance frétillante qu’il pourrait être remplacé par « joliment » : « Il [Mourad, un des deux personnages homosexuels] était un inconditionnel d’Amande. Elle était pour lui le condiment sans lequel l’atmosphère aurait affreusement manqué de saveur. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 415) ; « Mourad jubilait. Amande était une peste, mais sa méchanceté avait une drôlerie sans équivalent. Il suffisait de la lancer sur une piste, et elle démarrait au quart de tour, brossant des portraits comme une virtuose, se dépensant sans compter. » (idem, p. 83) ; « La lumière de la lune se suffisait à elle-même, et les éléments du décor se recomposaient harmonieusement, lui révélant, sans plus de raison ni avec moins d’évidence, que l’horreur du monde a pour revers son inexprimable beauté. » (Jason, l’autre héros homo du même roman, p. 246) ; etc.

 

Le héros homosexuel se rend parfois compte que la beauté plastique est le ressort classique employé par tout système totalitaire humain… mais il est quand même prêt à mordre à cet hameçon facile comme si c’était du pain béni : « J’ai toujours été écœurée par le militarisme, et la tradition prussienne est ce qu’il y a de pire. Sa mécanique humaine est effrayante. Pourtant, ils sont beaux ces jeunes hommes dans leurs uniformes. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 49) Par exemple, dans le film « Un Héros très discret » (1995) de Jacques Audiard, le Capitaine plaque tout pour suivre un bel Américain : « Il s’appelle Marlon, il a 20 ans, il vient de Virginie, il est beau comme un char d’assaut. Il me fait découvrir le jazz et le charme violent des armées victorieuses. Ah, Albert, l’amour, l’amour ! »

 
 

d) Le mélange sacralisé du beau et du laid :

Dans son désir de substitution à la Beauté, le héros homosexuel essaie de troquer la Beauté contre la laideur (comprendre, dans son esprit, « contre lui-même ») ou contre la cruauté. Pour cela, il use majoritairement de l’inversion. « Tout cela rappelait Malcolm et portait Adrien à chercher l’amour des Noirs. Il s’interrogeait souvent sur les raisons secrètes du désir de cette beauté-là. Un désir de puissance, de virilité ? D’inverser l’ordre de l’Histoire ? D’aimer l’absolument autre ? Peut-être tout cela à la fois. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), pp. 34-35) ; « Moi, je faisais la Belle et Dalida la Bête. » (la figure momifiée de Catherine Deneuve dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque) ; « Vos gueules, les moches ! […] Nous, les belles… » (Gwendoline, la lycéenne transgenre M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « Excusez-moi, il faut que j’aille chier. Pardon… que je me repoudre le nez. » (la mère, autre personnage transgenre M to F, idem) ; « Avant, ça sentait le vomi. Maintenant, le vomi à la rose. » (Michael, l’un des héros homosexuels du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc. En effet, il va très souvent présenter la Beauté comme laide, et le laideur comme belle. Et cette profession de foi artistique constitue, selon lui, le summum de la Beauté (… et pour les lecteurs avertis que nous sommes appelés à être, elle est dans le fond le summum du déni du fantasme de viol, et parfois du viol réel).

 

Par exemple, dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, un Festival de la Laideur est inauguré. Dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, la scatologie surgit au beau milieu de la soirée d’anniversaire très habillée. Dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, le couturier homosexuel Saint Loup, passé maître des diaprures et du raffinement, offre pourtant une scène de diarrhée dantesque. La pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier s’affaire à détruire les archétypes de la beauté physique… pour en imposer d’autres tout aussi rigides ! : ceux des rondeurs, des différences anatomiques « rejetées », des complexes, de la laideur, etc. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Lucie, la diva-chanteuse de cabaret, censée être gracieuse, chante des chants grossiers (« Va chier !! »). Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand arrive en tutu sur scène alors qu’il est bien grassouillet. Dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque, la Schtroumpfette fait des films d’épouvante.

 

Dans la croyance de l’artiste homo bobo, le beau surgirait de la merde, la poésie déborderait des latrines et se trouverait au cœur des backroom : « Comme dans un conte de fées, l’ogre se transforma en un prince de légende […] dont on peinait à croire qu’il était issu de cet œuf pourri. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 117) ; « Les hauts murs du musée vomissaient massivement des chapelets de chairs marmoréennes, de musculeuses cuisses de facture classique, figées dans leur éternité. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Au Musée » (2010) d’Essobal Lenoir 2010, p. 107) ; « J’essaie même pas d’embellir. Tout est moche, de toutes façons. » (Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Pour apprécier la beauté, il faut connaître la laideur. » (Leevi, le héros homosexuel, dans le film « A Moment in the Reeds », « Entre les roseaux » (2019) de Mikko Makela) ; etc.

 

Le héros homosexuel célèbre le très beau et le très moche comme le plus raffiné, le plus jubilatoire, le plus rare (et parfois le plus drôle) des mélanges : cf. le film « Belle Salope » (2010) de Philippe Roger, la pièce Amour, gore et beauté (2009) de Marc Saez, la chanson « Ugly/Pretty » de Christine & the Queens, etc. « Pourtant, qu’il est beau d’être moche ! » (cf. la chanson « Jolie à tout prix » du concert Tirez sur la pianiste (2011) d’Anne Cadilhac) ; « Tu es très belle avec ton poncho qui sent l’âne. » (Océane Rose Marie à son amie Bérénice, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Ahmed tourne le regard vers la Seine et l’île de la Cité, avec la Cathédrale Notre-Dame. Il se demande s’il y a encore un Quasimodo qui y vit, prêt à tout par amour pour lui. Il s’imagine en un grand Tzigane ténébreux et sensuel, dansant sur le parvis, mais en pleurs parce que son beau Phébus l’a laissé pour épouser un autre garçon, Fleur-de-Lys, alors qu’il est lui-même poursuivi par Frollo, un prêtre déterminé à en faire son amant secret. Dans ses fantasmes, l’Algérien adapte sans gêne les grands classiques français à sa guise ! » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 52) ; « Quant à moi, rien ne me fait jouir de la chasse comme un beau pet tonitruant émis à contretemps, suivi d’un long étron qu’on largue en plein milieu du trou dans un clapotement vif éclaboussant les fesses d’un conspirateur heureux de sa délivrance. » (le personnage du « chiotte public », dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 86) ; « Dites non au bonheur, dites non à la beauté ! » (le héros travesti du one-man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Les créatures du dortoir, lasses que leur beauté fût un sinistre drame, vouèrent un culte à la laideur. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 53) ; « Vestale de la Beauté monstrueuse » (Warda dans le roman Hawa (2011) de Mohamed Leftah) ; « Le trottoir, c’est mon Royaume ! Sur le trottoir, je suis née, la pissoire c’est mon Palais. » (Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’observe la saleté de la gare de Florence, cette saleté que les gens laissent derrière eux, celle que les courants d’air transportent. Je respire les odeurs de friture, d’urine, de combustible mélangées. Je vois l’épaisse couche grise qui recouvre tout, qui finit par se déposer sur les peaux. […] Il est malsain, sans doute, ce goût pour la laideur ordinaire. » (Leo dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 21) ; « Il [Florencio] alla s’asseoir sur le bord du divan, luttant contre la nausée que l’odeur du vomi lui donnait. » (cf. la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 19) ; « Iris urinait contre une roue de la voiture pendant que Carina poudrait de poivre ses moustaches en bavardant avec elle. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 44) ; « Est-ce que tu vas t’arrêter ? Parler de sperme, franchement… Tu te crois dans un salon mondain, enfin ? » (Luc à son amant Jean, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Mimi chia, elle avait mal au ventre après toutes ces émotions. Les eunuques la parfumèrent d’encens. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978), p. 95) ; « Son visage et ses beaux cheveux blonds étaient couverts d’excréments. » (cf. la description de la « jolie » Truddy, dans la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 33) ; « Madame est bonne ! Madame nous adore. Elle nous aime comme ses fauteuils… comme son bidet, plutôt comme le siège en faïence rose de ses latrines. Et nous, nous ne pouvons pas nous aimer… la crasse n’aime pas la crasse. » (Solange et Claire dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet) ; « Toi, Saïd, mon fils unique, tu épouses la plus laide femme du pays d’à côté et de tous les pays d’alentours […]. Mais surtout, tu n’aurais pas le courage de… la traiter en femme moche. Tu vas vers elle à contre-coeur : vomis sur elle. » (la mère s’adressant à son fils, dans la pièce Les Paravents (1966) de Jean Genet) ; etc.

 

L’inversion entre le beau et le laid, même si le héros homo ne la conscientise pas ainsi, dit sa déception de lui-même et du monde, son refus d’aller chercher la Beauté au-delà du paraître et des objets, et enfin son plan de vengeance dirigé contre la beauté plastique et contre son propre attachement crispé à celle-ci. En effet, il considère qu’une personne belle physiquement ne peut pas être homosexuelles, même si parfois il lui arrive de rire de ce raccourci. « Attends, Sonia, elle peut pas être lesbienne. Elle est trop belle. Tous les garçons, ils craquent sur elle. » (Clara, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa meilleure amie Zoé qui lui annonce que Sonia est lesbienne dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) Beaucoup de personnages homosexuels, y compris dans l’opposition, nient et finalement cautionnent à leur intuition le lien qui existe entre homosexualité et laideur. Par exemple, l’humoriste Océane Rose-Marie, lors de son one-man-show La Lesbienne invisible (2009), part en guerre contre le « préjugé tenace » de la mocheté homosexuelle : « Je tiens à préciser que ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles. » Et en effet, ce n’est pas la laideur mais le sentiment de laideur qui semble, dans les fictions comme dans la réalité, moteur du désir homosexuel. Mais certains esprits homophobes le laissent croire, sans doute parce que cela correspond à une croyance et un ressenti intime du personnage homo. Par exemple, dans l’épisode 259 de la série Demain Nous Appartient, diffusé sur TF1 le 1er août 2018, le méchant Don Juan Raphaël dit à Sandrine, l’héroïne lesbienne, qu’il ne serait jamais sorti avec elle parce qu’elle serait « trop moche », et que c’est à cause de sa laideur qu’elle n’a pu s’offrir que des femmes à l’âge adulte.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La beauté plastique désincarnée, élue déesse innocente et toute-puissante de la communauté homosexuelle :

À force d’entendre le discours des personnes homosexuelles, on constate très vite qu’il y a chez elles un lourd antécédent entre Beauté et homosexualité. La Beauté est le lieu d’une blessure secrète… la blessure de l’idolâtrie : « La seule règle de vie qui semble légitime, c’est le souci de la beauté. » (Pierre Louÿs dans le documentaire « Pierre Louÿs : 1870-1925 » (2000) de Pierre Dumayet et de Robert Bober) ; « J’ai une théorie. Les Alexandre sont tous beaux. » (l’écrivain Ron l’Infirmier dans l’émission Homo Micro le 12 février 2007) ; « Nous aimons les belles choses. Et la majorité des homos aiment les belles choses. D’ailleurs, la mode est lancée par les homosexuels. » (Bernard et Antoine, en couple depuis 35 ans, mais avec infidélité consentie, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc. Sans doute aussi la blessure de l’inceste : « La beauté masculine dans ce qu’elle peut avoir de plus fin. » (Dominique Fernandez en parlant de son père qui l’a abandonné, dans la biographie Ramon (2008), p. 13)

 

Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans insiste sur « l’attrait de la beauté angélique des éphèbes » (p. 346) chez beaucoup de personnes homosexuelles.

 

Par exemple, l’ancien ministre de la culture français, Jack Lang, est imité, non sans raison, par le comique Laurent Gerra comme un idolâtre de la beauté masculine (il répète sans arrêt : « Quel bel homme ! »).

 

Certains hommes homosexuels sont d’ailleurs connus pour être les incarnations vivantes de la beauté (cf. le code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), et donnent aux homosexuels la réputation d’être des mecs plus beaux que la normale (exemple : James Dean, Marlon Brando, Ricky Martin, George Michael, Zakary Quinto, etc.)… contrairement aux femmes lesbiennes qui seraient soi-disant devenues « lesbiennes parce que trop moches ». Dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2008), l’humoriste Océane Rose-Marie joue justement à moquer et à s’insurger contre ce cliché fallacieux mais tenace sur les femmes lesbiennes : « Ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles ! »

 

Mais de quelle beauté/Beauté parle-t-on au juste ? Celle avec un petit « b » (la beauté visuelle, plastique, réifiée, esthétique, inconsciente, présentée comme immortelle, mais qui est figée et mortelle) ou celle avec un grand « B » (la Beauté intérieure, éternelle, libre, consciente d’Elle-même, résurrectionnelle, celle qui comprend et dépasse la mort, la vieillesse, la maladie, la haine) ? Il semblerait que l’individu homosexuel, globalement, les ait fait fusionner au profit de la « petite » beauté… même si, en intentions, c’est moins clair. En général, il choisit le camp de la beauté plastique et superficielle : « Dans sa jeunesse, ma tante est une belle jeune femme, très douce, très tendre et très élégante, de vieilles photos l’attestent. Allez savoir si ce n’est pas là que j’ai pris, très tôt, mon goût marqué pour les très belles femmes douces, charmantes, élégantes ? » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), pp. 19-20) ; « Moi. Petit. Adolescent des années 80. […] Je n’ai qu’une seule idée en tête. Une obsession. Une actrice égyptienne ; mythique, belle, plus belle que belle. Souad Hosni. Une réalité. Ma réalité. Je suis pressé d’aller dans mon autre vie, imaginaire, vraie, entrer en communion avec elle, chercher en elle mon âme inconnue. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 10)

 

Très souvent dans le discours des personnes homosexuelles, la Beauté est associée à l’innocence absolue, tellement absolue qu’Elle ne laisserait plus tellement de la place à la conscience, à la liberté humaine, et finalement au désir : « La vie est une orgie de beauté et d’expériences. » (José Pascual cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 147) ; « Tu aimais la beauté, Yves. » (Pierre Bergé s’adressant dans un hommage post-mortem à son amant Yves Saint-Laurent, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc. La « Beauté » serait inviolable, intouchable, à l’abri de la critique, toute-puissante, virginale, incapable d’être dénaturée par l’Homme. Elle serait la Présence céleste descendue Elle-même sur certains objets « artistiques » ! La grande majorité des membres de la communauté homosexuelle ne croient pas en l’Incarnation divine, mais plutôt en la Matérialisation divine. Au fond, ils n’aiment pas la Beauté réelle, quotidienne, incarnée, relationnelle, tachetée d’imperfections. Ils adulent la beauté plastique. Autrement dit, ils sont médusés devant la beauté comme ils le sont face à une œuvre d’art. Dans leur esprit, l’Éthique fusionne avec l’esthétique (ils pensent que ce qu’ils trouvent beau, ils l’aiment d’amour), l’Amour se confond avec l’art (… ou, ce qui revient au même, se dissocie totalement de l’art et de la Beauté). Ils ont tendance à ne pas lier la Beauté à l’Humanité incarnée, sexuée, réelle, libre dans son chemin vers la mort-vaincue-ensuite-par-la-Vie. Ils parlent plutôt d’une beauté aérienne, minérale, dévitalisée, inaccessible, fétichisée : « C’est tellement beau que ça en devient irréel. » (Francine en parlant de « ses » jumelles qu’elle aurait eues avec sa compagne Karen, le jour de la naissance à la maternité, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) Le beau serait dans l’impossible, dans les airs. Par exemple, dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, quand Jacques demande à Madeleine qu’est-ce qu’elle est en train de lire, elle lui répond : « C’est une pièce de théâtre. Un long monologue. C’est beau. Insaisissable. » (p. 265)

 

Tout en considérant la Beauté comme inviolable par les autres, certains individus homosexuels vont tenter de L’approcher, de La posséder, de La mettre en boîte ou sous verre, parce qu’ils se croient aussi divins qu’Elle : « Quel malheur que je ne sache ni dessiner ni sculpter. Autrement, je ferais volontiers ton portrait ou ton buste, pour éterniser ta beauté. » (Ernesto s’adressant à Nacho, dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 257) Le goût de la beauté plastique les entraîne souvent vers le purisme, la maniaquerie, l’orgueil du Pygmalion (qui exploite et consomme son amant, qui se prend pour Dieu), la grâce mortelle des objets (un objet, c’est froid et inerte comme la mort, rappelons-le), et pour le coup, leur fanatisme possessif/fétichiste les détourne de la pureté, de l’Amour vrai, et du monde vivant. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, il est étonnant de découvrir la beauté « objective » et clinquante des appartements de Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent… mais de constater qu’elle vidée de joie et d’âme car elle est purement narcissique et matérialiste.

 

Leur rapport passionnel à la beauté plastique est potentiellement violent et déshumanisé, car il possède de fortes accointances avec l’inceste (inceste avec un proche parent, ou même plus simplement avec une mère symbolique telle que l’actrice), avec le manque de chasteté et de distance par rapport à l’objet de désir. Dans leur discours, à chaque fois qu’il est question de Beauté, l’inceste ou le viol rôdent très souvent dans les parages ! « Tatoué comme une bête à l’abattoir, je revêtais désormais une beauté étrange et maladive dans le grand silence de mon secret […]» (Berthrand Nguyen Matoko évoquant le viol consenti qu’il vient de vivre, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 70)

 

Par exemple, dans le documentaire « Beauty And Brains » (2010) de Catherine Donaldson, on voit que les concours de beauté sont une manière pour certaines personnes transgenres du Népal de camoufler/vaincre les viols et les abus qu’elles ont subis.

 

Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte comment sa grand-mère, pour préserver les idéaux de beauté de son petit-fils, camoufle l’acte de prostitution qu’ils observent ensemble dans une rue par une supposée relation filiale « belle » entre un père et son fils : « Je crois que tu as menti, ce soir d’été. On est descendus sur la terrasse pour sentir la fraîcheur de la nuit et on a entendu une voiture s’arrêter. On s’est déplacés silencieusement pour espionner. On a vu le beau garçon, l’athlète qui faisait de délicats dessins de fleurs. Il faisait chaud. Il était presque nu dans la voiture. Sa peau brillait, recouverte d’une fine pellicule de sueur. Le conducteur de la voiture était un homme plus âgé, aux cheveux blancs. Ils se sont embrassés sur la bouche. Et tu m’as dit que c’était son père. » dit Alfredo à sa mamie ; ce à quoi elle lui répond : « C’est vrai, un père qui aime profondément son fils. » (p. 165)

 
 

b) À force d’être trop désincarnée dans l’idolâtrie, la Beauté apparaît décevante, voire monstrueuse et diabolique :

HAINE 4 Grimace

Photo par Shawn Shawhan


 

L’attachement excessif à la beauté plastique humaine entraîne fatalement chez certaines personnes homosexuelles une déception du Réel vivant, et une angoisse du temps qui passe : « Je pensais que l’amour protégeait du malheur. Que la beauté, la candeur, la jeunesse protégeaient de tout. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 237) ; « J’imaginais Lole couchée dans le petit lit, regardant le plafond et les murs où étaient accrochées les photos et les affiches de sa fille Clara, chanteuse folklorique argentine. Elle devait regretter la beauté de Clara, la beauté radieuse de ces photos. Elle devait serrer les poings pour retenir ses larmes. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 71) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. […] Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 

La beauté physique n’étant pas à la hauteur de leurs espérances, elles dévaluent à la fois la beauté et la Beauté : « Un beau visage, c’est le commencement de la souffrance. » (Julien Green dans l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 20 mai 1983) ; « Plus tard, à l’approche de la première lumière qui annonce le grand jour, je me retrouvais dans sa chambre sans trop savoir pourquoi. Sa forte ombre qui tournait autour de moi bourdonnait des mots incompréhensibles, tel un chanteur aux mâchoires serrées. […] La sensation de beauté qui m’avait ébloui la veille, laissa la place à un visage banalement masculin, pas nécessairement très beau mais sexy, avec un air d’ivresse dans les yeux. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 66-67) ; etc. Comme leur attrait pour les belles choses a un goût amer d’inceste ou de possession, la beauté finit par les laisser de marbre et par provoquer le dégoût. Dans leur esprit, la Beauté est liée à la mort, s’annonce sous la forme d’une catastrophe. Tout comme la Vérité (cf. « Y’a que la Vérité qui blesse ! »), Elle ferait mal.

 

Elle n’est pas présentée comme un atout, une valeur positive et humaine. Tout le contraire ! Elle serait plutôt un cadeau empoisonné, qui assigne un sombre destin : le destin de la star suicidaire. Beaucoup d’individus homosexuels La considèrent comme un danger mortel et diabolique, qui soumet et asservit à la fois celui qui La porte et son adulateur. Ce dernier perdrait tous ses moyens, ne semble avoir aucune résistance face à Elle : « Genet n’aime que l’apparence, ne se soumet qu’à l’apparence, laquelle est à la fois le Mal, l’Autre et la Beauté. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 122) ; « Je ne suis pas innocente. J’ai toujours succombé à la beauté. J’écris pour dire ce ravissement-là. » (la romancière Nina Bouraoui dans l’émission Culture et Dépendances, sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004) ; « L’infernale beauté de Tarik Ramadan […] Sa beauté est infernale. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), pp. 10-11) ; « J’ai vu ses beaux yeux bleus, en effet, et j’ai fait comme tout le monde : j’ai oublié la démocratie. » (Philippe à propos du beau dictateur de Syrie, idem, p. 90) ; « Ce jour-là, une envie de meurtre flottait comme un parfum vénéneux chez Concha Bonita. Elle dormait tranquillement sans soupçonner combien ceux qui l’entouraient souhaitaient la voir disparaître à jamais. Ses cheveux dessinaient des arabesques sur l’oreiller argenté. Ses traits étaient parfaitement harmonieux. Elle avait victorieusement résisté aux années. Concha était belle comme un félin sauvage, sans âge, puissant, toujours prêt à bondir. » (Alfredo Arias en parlant de l’homme transsexuel M to F Concha Bonita, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 30) ; « Sa beauté me détruit. » (Christophe Honoré en évoquant Sébastien, un camarade de classe, dans son autobiographie Le Livre pour enfants (2005), p. 74) ; « Estelle avait un fils, Stéphane, né d’un premier mariage malheureux, et ce fils venait de partir à Paris où il voulait faire, disait-il, des études de théâtre. Il était beau et séduisant, avait la beauté du diable, ne laissait personne indifférent ; il suscitait tantôt un malaise immédiat, tantôt un vif intérêt. Il aimait et sentait la musique er les beaux-arts, il dessinait, il jouait de plus d’un instrument. Or, un jour de la même année 1983, Estelle, devant témoin, apprend, de la bouche même de son fils, avec les détails les plus crus, que ce fils, délibérément (il était hétéro), s’était engagé comme prostitué homo dans un ‘sauna’ à Paris. C’était par ‘perversion’, en un sens technique de ce mot, que Stéphane en personne employait en me parlant de lui-même. Celui qui se souille ainsi le fait pour souiller par là un monde hostile, pour défier la censure maternelle et, avant tout, pour châtier son père qui l’avait abandonné. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 233) ; « Le dark coexiste avec la beauté d’une manière parfaite. » (le chanteur homosexuel Mika dans l’émission The Voice 5 sur la chaîne TF1 le 5 mars 2016) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand est obsédé par le monde de la peinture, et c’est sa mère qui l’a initié à cette drogue : « On passait des heures devant les agneaux à deux têtes. Il était bouleversé. Nous étions en plein syndrome de Stendhal. Ivres de beauté. » (la voix-off de la maman) Mais curieusement, pendant tout le reportage, le passionné de peinture va se mettre en quête du motif de la monstruosité dans les œuvres picturales qu’il observe, au point d’en faire son sujet d’étude : il veut « un truc qui soit à la fois beau, à la fois pas beau ».
 

À l’intérieur même du « milieu homo » (et plus largement dans notre société, qui paradoxalement est obsédée par la beauté médiatique pour mieux délaisser et détruire les vrais Beautés des gens dits « ordinaires »), on observe un mépris croissant des individus homosexuels « âgés » pour leurs pairs plus jeunes et plus beaux, mépris qu’ils ont du mal à s’approprier tant par ailleurs ils connaissent leurs fantasmes de jeunesse et leur célébration du jeune éphèbe. Le jeunisme, étant un mouvement idolâtre (puisqu’il célèbre la beauté de magazine en croyant célébrer la vraie Beauté), s’accompagne bizarrement d’un mépris des petits minets, qualifiés très fréquemment de « superficiels », d’« arrogants », de « lâches », de « naïfs », d’« ingrats », d’« inexpérimentés », etc.

 
 

c) Une obsession/déception de la beauté plastique qui va jusqu’à la violence et la destruction :

La déception des personnes homosexuelles par rapport à la beauté s’accompagne en général d’un mouvement incontrôlé de destruction ou de viol, visant paradoxalement non pas à détruire la beauté mais à la restaurer/à la transformer en Beauté par la laideur et l’agression. Ce qu’on idolâtre, on veut le détruire, comme le montrent ces paroles de l’homme transsexuel Humberto Capelli, qui chante en théorie la beauté du sexe… pour mieux détruire concrètement le sien : « Le sexe est si beau, si frais, si merveilleux. » (cf. l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 251)

 

Par exemple, le one-woman-show transgenre Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, proposant un spectacle travesti détruisant la beauté féminine et masculine, est comme par hasard l’initiative et la création d’un groupe « artistique » qui a choisi de s’appeler « Embellie radicale ».
 

On voit même certaines personnes homosexuelles perdre la boule uniquement parce qu’elles ne se remettent pas de la beauté qu’elles contemplent : elles jalousent la Beauté et veulent La violer. Comme le souligne à juste raison Diane de Margerie à propos de l’écrivain japonais Yukio Mishima, « Chez lui, on trouve le désir de profaner et de tuer la beauté parce qu’elle est trop belle » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 21)

 

Ce qu’elles reprochent à la Beauté, c’est au fond le mal qu’elles Lui font en cherchant à La posséder pour elles seules, c’est l’espoir démesuré et égocentrique qu’elles misent sur Elle. Par exemple, quand le nom de la « Beauté » est applaudi, c’est généralement une diversion pour occulter de sombres pratiques (prostitution, « plans cul » d’un soir, luxure, consommation des corps, etc.) ou un mensonge identitaire.

 

C’est parce qu’elles atténuent la brutalité et la réalité du viol par l’esthétique, par la « Beauté », qu’elles se mettent parfois à désirer le viol. Par exemple, il leur arrive de trouver le diable beau.

 

Elles sacralisent le viol ou la souffrance en estampe magnifique, en beauté désirable : « Héba, la demi-sœur, est celle qui m’a le plus touché. Je pourrais même dire que, quelque part, je suis tombé amoureux d’elle. Dans une Égypte qui voile de plus en plus ses femmes, Héba était libre, avec sincérité et conviction. Elle était belle comme une star de cinéma, comme Mervat Amine, dont j’avais aimé tant de films, surtout les comédies romantiques. Elle fumait avec élégance et sans provocation. Elle était habillée en permanence en noir, ce qui donnait encore plus de charme à sa silhouette très allongée. […] Les hommes étaient subjugués, ils la mangeaient des yeux mais n’osaient pas lui manquer de respect. Elle passait, et tout le monde se posait cette question : Mais qui est cette femme ? C’était une star. Et pas que pour moi. C’était une femme-mystère avec un peu de tristesse dans les yeux. Un être exceptionnel autour duquel on pourrait construire un film, écrire un roman, un recueil de poésie. […] En présence d’une femme qui n’a rien oublié du passé et de ses blessures, qui n’a pas encore tourné la page et qui était dans cette douleur, devant nous, simple, sans manières artificielles. Digne. Belle. Belle. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 69-71) Par exemple, dans son roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), Marguerite Radclyffe Hall célèbre « la tristesse de toute beauté » (p. 251)

 

Il est fréquent que les personnes homosexuelles s’identifient à la femme cinématographique qui use de sa beauté comme d’une arme redoutable qui manipule les hommes, à celle par qui le scandale arrive : « Mes tantes paternelles étaient au nombre de trois. Elles étaient toutes les trois célibataires. […] Il semble que l’aînée, la plus belle, ait souffert d’une déception amoureuse et qu’elle ait dans son désespoir décidé de vivre recluse et d’entraîner ses frères et sœurs dans un même renoncement. Les femmes ont suivi. Les hommes se sont échappés. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 105) ; « Mon ami artiste avait esquissé l’aînée, la belle, celle qui avait provoqué le drame. » (idem, p. 112) La beauté fatale, en tant qu’instrument de vengeance et de pouvoir maléfique, est généralement enviée, désirée par la communauté LGBT. Parfois, dans la bouche de certaines personnes homosexuelles, l’adverbe « atrocement » ou « affreusement » est prononcé avec une telle jouissance frétillante qu’il pourrait être remplacé par « joliment ».

 

Même si elles se rendent parfois compte que la beauté plastique est le ressort classique employé par tout système totalitaire humain… elles sont quand même prêtes à mordre à cet hameçon facile comme si c’était du pain béni : « Cette année, les cadets de cinquième année étaient d’une particulière beauté. Au moment d’aller à la douche, quand nous étions tous forcés de nous déshabiller, la beauté de leur corps athlétique imposait un silence presque religieux. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 194)

 

L’obsession des personnes homosexuelles pour la beauté plastique, et donc pour un vernis kitsch dissimulant la mort, dévoile des pratiques et des viols qu’elles ont pu vivre. Par exemple, dans le documentaire « Beauty And Brains » (2010) de Catherine Donaldson, on nous montre que les concours de beauté sont une manière pour certaines personnes transgenres du Népal de camoufler/vaincre les viols et les abus qu’elles ont subis par le passé. Autre exemple : pendant le concert Météor Tour du groupe Indochine (à Paris Bercy, le 16 septembre 2010), des images de guerre sont intercalées à des documents d’archives sur les majorettes et les reines de beauté de la Seconde Guerre mondiale. Il existe une corrélation non-causale entre la glorification de la beauté plastique et les guerres : il est temps que nous nous en rendions compte !

 
 

d) Le mélange sacralisé du beau et du laid :

La soumission (inconsciemment devinée) à la beauté plastique, et au cortège de mauvaises actions qu’elle implique, est généralement illustrée/camouflée par un écran kitsch & camp, ces deux courants artistiques plaçant l’inversion destructrice sur un piédestal. En effet, de nombreux individus homosexuels vont présenter le beau comme laid, et le laid comme beau ; et cette profession de foi artistique constitue, selon eux, le summum de la Beauté (… et pour les lecteurs avertis que nous sommes appelés à être, elle est dans le fond le summum du déni du fantasme de viol, et parfois du viol réel).

 

HAINE 5 couple lesbien

 

Dans les œuvres homosexuelles, surtout celles écrites par des artistes homos dandys, ou par ceux qui se revendiquent héritiers du Marquis de Sade, le beau et le laid sont sans cesse mêlés : je vous renvoie par exemple au roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana, à la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, etc. Dans le film « Salò O Le 120 Gionate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, on passe insensiblement du raffinement précieux (avec notamment le discours caressant des conteuses) à l’horreur totale (les scènes de torture).

 

Par exemple, dans la pièce Orphée (1926) de Jean Cocteau, la phrase que le cheval dicte à Orphée, c’est « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers et Orphée la trouve extraordinaire, magnifique… » Quand on décompose les initiales, ça fait « M.E.R.D.E.».

 

Dans le recueil de nouvelles Le Mariage de Bertrand (2010) d’Essobal Lenoir, on est proche du détournement de la naïveté des contes pour enfants. On a du « trash », de la scatologie, au beau milieu de la reconstitution d’un monde imaginaire pourtant très enfantin et poétisé. Par exemple, dans la nouvelle « La Carapace », on assiste à la description d’un gamin qui a du mal à faire caca, et qui a des délires scatologiques, mais cette poussée s’emballe en envolées lyriques, en délires scatologiques. Dans la nouvelle « Kleptophile » (2010) du même auteur, au rayon parfumerie d’un grand magasin, la description des produits cosmétiques est associée à la sueur, à la bestialité, au mensonge.

 

Dans la croyance de l’artiste homo bobo, le beau surgirait de la merde, la poésie déborderait des latrines et se trouverait au cœur des backroom. Par exemple, Sylvano Bussoti combine dans son univers l’extrême beauté (je rappelle qu’il est décorateur, dessinateur, illustrateur, calligraphe) et l’extrême laideur (il montre un goût prononcé pour la scatologie et le sadomasochisme). De même, le romancier Hervé Guibert a commencé sa carrière en écrivant des contes pour enfants… pour finir par des écrits extrêmement sombres, parfois scatologiques. Manuel Puig, quant à lui, oscille insensiblement du raffinement glamour au pipi caca, des paillettes à la laideur camp : « Dans les dorures et les diaprures, la scatologie fait irruption. On croit rêver, et l’on se réveille en se tenant les tripes. » (Albert Bensoussan dans son prologue au roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 3) Chez Jean Cocteau, le beau et le laid se côtoient aussi très souvent (cf. le film « La Belle et la Bête », 1945). Derek Jarman, le réalisateur britannique, se passionne à la fois pour le théâtre élisabéthain… et pour l’esthétique de Ken Russel, l’humour punk kitsch !

 

La haine de la Beauté vient paradoxalement du bourgeois esthète homosexuel : pensons aux contes d’horreur macabre sensationnaliste El Monstruo (1915), El Árbol Genealógico et El Caso Clínico d’Antonio de Hoyos. Ils sont nombreux, ces auteurs nés dans des milieux sociaux plutôt aisés (Paul Verlaine, Alexandre Delmar, Philippe Besson, etc.), qui dans leurs romans, se plaisent à placer leur personnage homosexuel dans des décors et des contextes sordides qu’ils n’ont jamais connus personnellement, pour donner plus de réalisme et d’impact à leur désir d’authentifier l’amour homosexuel.

 

Beaucoup d’individus homos célèbrent le très beau et le très moche comme le plus raffiné, le plus jubilatoire, le plus rare (et parfois le plus drôle) des mélanges. « Visconti pouvait aussi bien être distingué, élégant et aristocrate que tigre sauvage rugissant des insanités. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 279) Ils ont un amour du beau qui va jusqu’à l’affreux : « Le Camp n’a que des prétentions esthétiques. […] Le dernier mot du Camp : affreux à en être beau ! » (Susan Sontag, « Le Style Camp », L’Œuvre parle (1968), pp. 442-450) ; « Je suis pas jolie. Mais je suis marrante. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla).

 

Tous les auteurs homos que je connais qui passent du raffinement esthétique à la merde, ou inversement, expriment la difficulté à habiter leur corps, à le considérer comme unique et beau. Ils adoptent un discours de grande bourgeoise libertine, de Sœur de la Perpétuelle Indulgence au milieu d’un sauna, mais ils n’assument pas tant que cela de parler à visage découvert. Ce sont des révolutionnaires trouillards.

 

L’inversion entre le beau et le laid, même s’ils ne la conscientisent pas ainsi, dit leur déception d’eux-mêmes et du monde, leur refus d’aller chercher la Beauté au-delà du paraître et des objets, et enfin leur plan de vengeance dirigé contre la beauté plastique et contre leur propre attachement crispé à celle-ci.

 
 

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Code n°85 – Haine de la famille (sous-codes : Idéalisation jalouse des couples femme-homme / Hétérophobie / Mariage cata)

Haine de la famille

Haine de la famille

 

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Familiophobes et familiolâtres, assurément. Hétérophobes, oui (mais à raison!)

 

Les personnes homosexuelles pratiquantes : amies de la famille réelle ?? C’est une plaisanterie ou quoi ?? Amies sincères des familles symboliques, des familles élargies, des familles éclatées, des familles recomposées, des familles télévisuelles, des familles artistiques, des familles amicales, des familles adoptives, des familles « ouvertes », des familles avec 3-4 « parents », des familles sans parents (ou sans enfants !), des familles sentimentales, des familles avec très peu de lien de sang et de désir, des familles irréelles, ça, ASSURÉMENT ! Mais amies de la famille réelle, très peu ! En revanche, si elles sont hétérophobes, elles ont raison de l’être. Malheureusement, beaucoup ont confondu la famille hétérosexuelle avec toutes les familles de la Terre, donc elles ne mesurent pas combien elles ont raison de lutter contre l’hétérosexualité ! 

 
FAMILLE 3 Ribambelle
 

Pour avoir la confirmation de leur haine des familles, il n’y a qu’à écouter et voir agir la grande majorité des personnes homosexuelles avec leur propre famille (les rapports sont généralement explosifs ou inexistants), et ensuite l’égoïsme larmoyant et agressivement sincère avec lequel certaines réclament maintenant le « droit au mariage » et le « droit à l’enfant » (alors qu’il y a quelques années de cela, quand la mode du militantisme LGBT n’était pas du tout au mariage ni à l’adoption, il ne fallait surtout pas leur parler de ces « symboles de bourgeoisie réactionnaires » qu’étaient pour elles le couple, les enfants, l’institution du mariage, la famille !). Certes, les sentiments de haine, ou tout simplement les besoins de distance/rupture, concernant le milieu familial proche, sont humains, et non spécifiques aux seules personnes homos : tout Homme ressent, à différents degrés et moments de sa vie, la nécessité de couper le cordon avec son père, sa mère, ses frères, et de vivre pour lui-même. La relation au père/Père, tout particulièrement, est quasi universellement compliquée et problématique. Cela dit, sans généraliser à tous les individus homosexuels, la haine de la famille est particulièrement marquée dans le désir homosexuel et au sein la communauté homo. Et on comprend pourquoi ! Beaucoup d’individus homosensibles ont connu/connaissent des conflits dans leur propre famille, un manque d’amour et de reconnaissance, le rejet, le divorce des parents, et parfois même le viol et l’inceste. Dans cette histoire de la « familiophobie » homosexuelle, ce sont bien les couples femme-homme désunis qui ont commencé !

 

Ça, c’est pour la face noire. Mais si les personnes homosexuelles retournaient positivement la médaille de leur dégoût de la famille, elles auraient le formidable pouvoir de dénoncer les manquements d’amour des familles (hétérosexuelles uniquement ; je ne parle pas des familles aimantes ici), les viols, les divorces, les fautes de respect dans les rapports parents-enfants ou bien femme-mari, de la société toute entière. Cette haine homosexuelle de la famille n’est pas à diaboliser (pour jeter la faute sur les personnes homosexuelles) ni à neutraliser : elle est à convertir en défense de la famille réelle et aimante intégrant la différence des sexes et l’ouverture à la vie par l’accueil des enfants.

 
 

En général, les membres de la communauté homosexuelle n’apprécient pas qu’on vienne analyser ce cliché homo de la « haine de la famille », car il est le signe en elles d’une blessure profonde, qu’elles ne veulent pas décrypter ni raviver. « Les homosexuels aiment leur famille. C’est plus souvent la famille qui rejette l’homosexuel que l’inverse. » (Hugo sur le site http://homophobie.free.fr, consulté en octobre 2003) On entend par exemple un écrivain comme François Reynaert (auteur, entre autres, de l’essai Nos Amis les hétéros, en 2004) s’insurger à l’émission Culture et Dépendances (sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004) contre le raccourcissement soi-disant « injuste » du fameux adage d’André Gide « Familles, je vous hais. » (la phrase complète, c’est « Familles, je vous hais. Foyers clos ; portes refermées ; possession jalouse du bonheur. »)… alors que le fait d’avoir tronqué cette phrase ne change rien au sens global de la diatribe. On apprend juste, quand on la lit en entier, que c’est sur la réalité même du bonheur conjugal que les personnes homosexuelles sont souvent à côté de la plaque…

 

Je vous encourage fortement à compléter la lecture de ce code par celle des codes « L’homosexuel = L’hétérosexuel » et « Femme et homme en statues de cire » présents dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels, car ils lui sont très proches, et ils explicitent le concept d’hétérosexualité, si mal compris de nos contemporains.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Petits morveux », « Mariée », « Orphelins », « Ombre », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Femme et homme en statues de cire », « Inceste », « Matricide » et « Parricide la bonne soupe », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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FICTION

 

a) La famille hétérosexuelle est sacralisée comme une union ultra-heureuse à imiter, avant d’être méprisée :

 

FAMILLE 2 squelettes

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, on constate dans un premier temps que la famille est observée comme un objet qu’elle n’est pas (car les vraies familles, elles, sont vivantes ; je rappelle) : « Nicolas suivit jusqu’au dernier soupçon leurs trois paires de fesses, comme un fragment de la réalité pure. » (Nicolas décrivant un trio hétérosexuel Papa-Maman-Enfant formant une « famille appuyée contre le métal blanc », dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 117) ; « Alors, le silence revient dans la chambre de mon enfance. Je regarde les volets fermés sur la fenêtre ouverte. Je regarde le liseré rouge de la tapisserie, les photographies sur le mur, la reproduction d’une toile du Greco, les meubles du siècle dernier, qui proviennent de l’ancienne demeure des aïeux disparus, l’imposant miroir au-dessus de la cheminée de marbre, un fauteuil dont l’étoffe est usée, et le lit où nous nous trouvons étendus, dans le désordre des draps de famille, ceux où figurent les initiales des noms du père et de la mère, comme des armoiries ridicules. Je regarde ce tout petit monde qui n’est pas à notre mesure, ce lieu étrange où je n’imaginais pas perdre ma virginité, cet espace incertain où nous tanguons délicieusement. » (Vincent en parlant de lui et de son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 68) ; etc. Par exemple, dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, avant que Marc ne se découvre homo, la famille hétéro de Marc et Bettina est toujours filmée au caméscope. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, la famille de Monsieur Genaro est intégralement représentée en figurines de plâtre confectionnée par Noé, le héros homosexuel.

 

Film "Tanguy" d'Étienne Chatiliez

Film « Tanguy » d’Étienne Chatiliez


 

La famille n’apparaît plus comme humaine. Elle est dépersonnifiée, vidée d’âme, voire bestialisée, comme le seraient des mammifères exposés sous vitrine dans un Muséum d’Histoire Naturelle (le Musée de l’Homme !) : cf. le film « Les Majorettes de l’Espace » (1996) de David Fourier, le vidéo-clip de la chanson « Au commencement » d’Étienne Daho, etc. « Dans la répartition des lots, j’ai été gâtée ! » (Zize, le travesti M to F parlant ironiquement de sa famille, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) Par exemple, dans le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, par exemple, les personnes attirées par les membres du sexe « opposé » sont qualifiées de « reproducteurs ». Dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, toutes les familles des héros homos sont odieuses, cruelles et inhumaines.

 

Bizarrement, la famille est à la fois décrite par le personnage homosexuel comme un cauchemar vivant et un idéal figé : « Nos familles ne sont que des herbiers. » (le juge Xavier Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 57) ; « Ça doit être ça l’idéal. » (idem, p. 109) ; « Ma famille est beaucoup dans la fusion. » (Laurent Gérard dans son one-man-show Gérard comme le prénom, 2011) ; « Ma famille… cette chaîne de membres et de vagins. » (Merteuil dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller) ; « Mieux vaut ne pas participer. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, parlant de la « Course de relais de l’Équipe Famille », dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Lust » (2000) de Dag Johan Haugerud, les membres de la famille, allongés et endormis, sont passés au crible de la lampe-torche tenue par les deux amants homosexuels faisant des commentaires désobligeants à propos de chacun d’eux, à voix basse : les proches parents sont étudiés comme des dossiers, comme des « cas sociaux » ou « cliniques ». Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la Cour de Justice jugeant Mimile se compose exclusivement de sa propre famille : les pères d’un côté, les mères de l’autre, le grand-père trônant en juge avec son marteau (p. 80). Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel caricature les discussions entre ses collègues de boulot hétéros : « Ils devraient être en train de parler du dernier biberon qu’ils avaient acheté à leur gosse. » Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, n’a que mépris pour les familles de son quartier, même si au départ, il les idéalise façon diaporama idyllique : « Et ça, c’est les familles du voisinage. Et leurs maisons. Et leurs jardins. Et leurs vies auxquelles Glass, ma mère, refuse de se conformer. » À la fin du film, il décide de tirer une croix sur ces clichés-sur-pattes : « Ces gens et leurs petites vies, je m’en fous, pour la première fois. »

 

Dans beaucoup de films homosexuels, la famille est réduite à un cliché photographique kitsch exposé sur une armoire poussiéreuse, ou à une séance photos pathétique et peu conviviale : cf. le film « Les Parents terribles » (1948) de Jean Cocteau, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (avec, lors du mariage, la photo de groupe virant au cauchemar), le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, le film « Loin du Paradis » (2002) de Todd Haynes (avec le mari infidèle jouant au parfait père de famille dans l’atelier du photographe), le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, etc.

 

Dans son incroyable naïveté, le personnage homosexuel des fictions a tendance à croire ce que lui dit la pub ou les contes de fées, sur les relations femme-homme, même à l’âge adulte. Selon lui, les hétérosexuels vivent le bonheur parfait de l’image d’Épinal cinématographique. Je vous renvoie au film « Chez les heureux du monde » (2001) de Terence Davies, par exemple. Dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, Cécile la lesbienne est persuadée que sa copine Chloé, qui finit sa vie aux bras d’un homme et d’un bébé, goûte la vraie « félicité » (p. 143). Pour le héros de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, les couples femme-homme vivent un « bonheur parfait ». Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro Léo demande à sa grand-mère de lui raconter sa première rencontre avec son grand-père… pour y projeter ses propres rêves de prince charmant, version homosexuelle. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Mathilde et son ami homo Guillaume ont idéalisé la famille avant de la jalouser : « Ça [le désir de Guillaume de se confronter à son amour de jeunesse Michael, maintenant marié] te donne une idée d’être exclu du bonheur de l’autre. » Mathilde décrit la famille (de Michael) comme « l’enfer du quotidien ordinaire » : « Tout vaut mieux que cet inexorable modèle. » Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, homosexuel allemand, déclare qu’il ne veut pas d’enfants ni fonder de famille : « Non, je ne veux pas d’enfants. ». On le voit manger tout seul dans son appartement à Jérusalem et regarder sans envie une famille dans l’appartement d’en face en train de dîner.

 

La famille pub artificielle

La famille pub artificielle


 

« Vous êtes toutes tellement heureuses… » (Petra, l’héroïne lesbienne, à toutes les femmes de son entourage, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Lorsque j’avais une douzaine d’années et que j’allais au cinéma, j’enviais toujours les amoureux que l’on devinait s’embrasser dans le noir. Ils n’avaient que quelques années de plus que moi mais comme j’aurais aimé être à leur place ! » (Bryan, le héros homo du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 26) ; « Soyez heureux. Soyez heureuses. » (cf. la chanson « Chanson de Jérémie » de Bruno Bisaro, où un jeune garçon se suicide en s’adressant à son entourage hétérosexuel) ; « J’envie toutes les femmes que je vois dans la ville. Je les envie. Elles sont heureuses. Elles rendent leurs maris heureux. Elles vivent une vie normale, heureuse. Ils sont libres ! » (Irena dans le film « Cat People », « La Féline » (1942), de Jacques Tourneur) ; « Qu’ils doivent être heureux ! […] Un jour peut-être accéderez-vous à cet univers. » (le narrateur homo se parlant à lui-même à la deuxième personne du pluriel, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 74) ; « Pendant qu’il classait des fiches, des hommes et des femmes plus heureux que lui se promenaient et riaient au soleil. » (le héros du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 46) ; « Les passants lui semblaient d’une beauté insolite. Il admira le visage humain, non pas cette louche convoitise qui empoisonnait ses méditations les plus graves, mais avec un respect qui touchait à la piété. » (idem, p. 187) ; « Un couple d’amants marchant la main dans la main… un couple de fiancés, simples et tranquilles, […] un couple de fiancés, simples et tranquilles, était, à ses yeux envieux, revêtu d’une gloire et d’une fierté dépassant toute compréhension. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, pp. 213-214) ; « Stephen se sentait soudain moins rassurée parce que du fond du cœur elle enviait ces gens. Elle ne pouvait s’empêcher d’envier ces hommes banaux et ces femmes avec leurs cannes-siège plutôt ridicules, leurs fiancés souriants, leurs maris, leurs épouses et leurs paisibles enfants bien soignés. » (idem, p. 481) ; « Bien qu’elle méprisait ces jeunes filles, elle désirait être semblable à elles… oui, vraiment, à de tels moments, elle désirait leur ressembler. » (idem, p. 102) ; « Lucie jalouse les conjointes de militaires hétéros parce qu’elles ont probablement toutes déjà reçu un appel pour leur communiquer la nouvelle et leur dire de ne pas s’inquiéter. Ginette est certainement trop occupée à jouer aux cartes avec les copains. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 31) ; « Ils se bécotent, c’est mignon. » (Richard, le héros homo regardant de loin Junn et Alan, le vieux couple de tourtereaux retraités hétéros qui se draguent comme des adolescents… avant de se traiter comme de la merde et des objets sexuels, puis de se séparer) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia, Bernard, le héros homosexuel, jalouse « les gens heureux ». Dans la chanson « Pointer du doigt » de Bruno Roy, les hétéros sont appelés « les normaux ».

 

L’idéalisation des hétéros fournit au protagoniste homo une occasion en or de pleurer sur lui-même : « J’comprends pas. Les autres n’ont pas de problèmes. » (Philippe, le héros homo du film « La Meilleure façon de marcher » (1975) de Claude Miller) ; « Si j’étais né dans la bonne ville, si j’avais eu une vraie famille, je serais peut-être heureux, aimé et amoureux… Hélas pour moi, je suis né chez eux ! » (cf. la chanson « Optimiste » de Stéphane Corbin) ; « Avec une bonne famille et une bonne éducation, j’aurais été quelqu’un d’équilibré. » (Micke parlant à Scott, dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant)

 
 

b) L’adoration irréaliste laisse place à la jalousie et à la volonté de destruction, une volonté qui ne vient pas annuler l’adoration première mais au contraire la soutenir :

« Je ne comprends plus rien… Moi, j’vous croyais heureuse. » (Janine à Simone l’hétérosexuelle, dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer) ; etc. Comme déçu pour les hétéros (dont il écrivait le bonheur… comme pour donner une plus forte consistance au mythe de son propre malheur et à son statut d’éternelle victime), parce qu’il découvre que leur vie amoureuse est loin d’être facile et idyllique, le personnage homosexuel se met à pleurer sur ses illusions d’amour hétérosexuel. Il leur en veut, à ces mannequins, de ne pas être aussi vrais et aimants qu’il l’espérait.

 

Il avait commencé par les regarder avec des yeux en forme de cœur, tout imbibés de larmes d’émotion. Mais il va petit à petit s’orienter vers le soupçon, la jalousie. « C’est vrai que c’est pas simple, une greffe. Faut faire attention au phénomène de rejet… » (Thierry, le héros homosexuel s’adressant à son amant Martin, justement par rapport à son intégration dans la famille de Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « J’avoue, je maudis tous ceux qui s’aiment. » (cf. la chanson « L’Assasymphonie » de l’opéra-rock Mozart d’Olivier Dahan) ; « Mais quel gâchis ! Brad avec une carte Famille nombreuse, nan mais pourquoi faire ? » (Rodolphe Sand parlant de Brad Pitt dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Jane avait l’impression qu’on l’initiait pour entrer dans un club auquel elle n’avait pas envie d’appartenir. ‘Avec Petra, on va se partager les tâches. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 33) ; « Devenir gay, c’est pas très gai. Être hétéro, c’est beaucoup mieux. J’ai l’impression qu’ils s’ennuient. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc. Par exemple, dans le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, on voit Rachel, l’héroïne lesbienne, observer avec jalousie et ressentiment un couple femme-homme âgé et heureux. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homosexuel, présente sa relation sexuelle avec une femme comme un accident, un lendemain de cuite : il se sent « comme ceux qui viennent de faire une belle connerie ».

 

Film "Le Premier qui l'a dit" de Fernan Ozpetek

Film « Le Premier qui l’a dit » de Fernan Ozpetek


 

Vient se nicher dans l’idéalisation homosexuelle des hétéros la jalousie, et la détestation de sa propre naïveté : « J’fais d’l’allergie au bonheur des autres… » (Janine dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer) ; « Familles, je vous hais. Foyers clos ; portes refermées ; possession jalouse du bonheur. » (André Gide, Les Nourritures terrestres (1897), p. 76) ; « Je ne suis pas fâché ; je suis jaloux. » (Arnold à propos du succès de l’union durable et heureuse de ses deux parents, dans le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « C’est merveilleux tout ce bonheur ! Ça me donne envie de vomir… » (Damien au sujet d’une famille « hétéro », dans la pièce Les Deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Lui, il est normal… » (Rodolphe Sand jouant au jeu « Gay ou pas gay ? » avec des photos de célébrités, et là ironiquement avec le portrait de DSK, Dominique Strauss-Kahn, dans le one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Il est difficile de ne pas se croire supérieur, lorsqu’on souffre davantage, et la vue des gens heureux donne la nausée du bonheur. » (Marguerite Yourcenar, Alexis, ou le traité du vain combat (1929), p. 69) ; « S’il y a bien quelque chose qui unit les couples mariés et les familles, ce n’est pas l’amour. C’est la stupidité, l’égoïsme ou la peur. L’amour n’existe pas. L’intérêt personnel existe, les liens noués pour le profit personnel existe, le plaisir existe… Mais pas l’amour. L’amour doit être réinventé. » (Rimbaud à Verlaine, dans le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland) ; « On n’en a rien à faire du mariage. On veut juste payer moins d’impôts. » (Benjamin et son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Je suis vraiment la cinquième roue du carrosse dans cette famille. » (Sandrine, l’héroïne lesbienne, dans l’épisode 502 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 8 juillet 2019 sur TF1) « C’est l’arrivée de tes parents qui te plombe autant le moral ? » (Morgane, la compagne trans M to F de Sandrine, dans l’épisode 504, diffusé le 10 juillet) « Avec eux, ça se passe jamais bien. » (Sandrine, idem) ; etc.

 

Il arrive que le personnage homosexuel, pourtant jaloux des couples hétérosexuels, aille parfois projeter sur ces derniers sa propre jalousie, son orgueil mal placé. « Derrière nous, combien se réjouiront, combien seront jaloux de notre bonheur de l’Inaccessible ! » (cf. la chanson « Aimez-moi » de Bruno Bisaro) ; « La haine, c’est la règle n°1. Y’a que ça qui peut te sauver. Et puis ils sont mariés. Ils ont tous les jetons. » (Jean s’adressant à son amant Henri pour lui apprendre le métier de prostitué, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; etc. Par exemple, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, Ève est montrée comme jalouse du bonheur des gays et orgueilleuse : « Dieu nous a donnés ce désert tout entier, car Il nous préfère. » Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, veut écrire une pièce racontant l’histoire d’« un garçon qui doit assumer son hétérosexualité dans une famille qui a décrété qu’il était homosexuel ». Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, on nous montre l’ambiance détestable de la fête hétéro-gay de l’appartement du couple Ted/Roberto, où George est contraint de s’héberger.

 

Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, la famille hétérosexuelle – en particulier celle de Kyla, la voisine, son mari informaticien Patrick et sa fille – est montrée comme enfermante et ennuyeuse. Kyla est l’archétype de la femme au foyer fagocitée, bègue, cucul, à décoincer. Au contact de la vie débridée de Diane et son film homo Steve (ses nouveaux voisins de quartier), elle dit revivre : « C’est la première fois que je sors depuis qu’on a déménagé. » Elle se remet à danser, à fumer, à faire la fête, à rire, et même à faire des phrases complètes. Mais elle semble emprisonnée malgré tout par son carcan familial, coupée du monde du travail (boulot de prof) : « Je ne suis pas prête à retravailler avec les enfants. » Tout le film est marqué par ce mépris sous-jacent du réalisateur pour la famille, considérée comme un confort bourgeois détestable. Par exemple, Alors qu’il se retrouve en centre de rééducation, Steve, le héros homosexuel de « Mommy », regarde avec mépris une affiche figurant une famille unie.
 

Le héros homo, dans son détachement trop brutal du modèle archétypal de la « famille poupée », ne sort pas pour autant de la soumission idolâtre au schéma tout fait de la Famille Doux-Coeur, mais au contraire se construit une autre naïveté, une « naïveté de révolté » si on veut (qui s’appellera par exemple « couple d’amour homosexuel »), une naïveté qui est censée faire contrepoids au patron despotique originel, une naïveté qui ne lui paraît plus aussi horrible puisqu’il se donne l’illusion qu’elle n’est qu’à lui, qu’elle est « originale », qu’il l’a construite librement. Mais la collaboration au mythe hétérosexuel de la famille poupée perdure. Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit, l’héroïne lesbienne représente bien ces femmes lesbiennes qui haïssent les femmes soi-disant « hétérosexuelles » du fait d’avoir cru au mythe « des » hétérosexuels télévisuels et d’y être encore attachées : « Ces petits couples qui vivent dans des maisons identiques, engendrent des rejetons identiques. […] Le kit complet – comme dans la panoplie de la Barbie juive orthodoxe, fournie avec le Ken orthodoxe, les deux enfants, la maison, la voiture et un assortiment de produits casher.[…] Tout semble obéir à un ordre parfait. Et j’ai voulu y croire, moi aussi. Avouons-le. J’ai voulu croire, dans un coin de ma tête. » (p. 142)

 

Lassé de tant de guimauve qu’il a lui-même initialement mangée avec complaisance, le protagoniste homosexuel finit par taper du poing sur la table : « Je ne vous laisserai pas faire. Je suis votre pire cauchemar et je vais détruire le bonheur illusoire dans lequel vous vous complaisez. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 70) ; « Vous qui procréez, continuez de nous humilier. […] Qui es-tu, homme sans défaut, qui m’accuse de tous les maux ? » (Luca, le narrateur homo du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; etc. Il décide de passer à la vitesse supérieure, et de s’opposer ouvertement à la famille-objet.

 
 

c) Le personnage homosexuel hait les familles, à commencer par la sienne :

La désintégration de la famille de sang est visible dans beaucoup de créations artistiques à thématique homosexuelle : cf. le film « Rocco et ses frères » (1960) de Luchino Visconti, le film « Ken Park » (2002) de Larry Clark (un des héros homos tue ses deux grands-parents, en les laissant allongés dans leur lit de chambre à coucher), les romans Ma Vie tropicale (1999), Les Maisons (1993), et L’Empire de la Morale (2001) de Christophe Donner, le film « Les Valeurs de la famille Addams » (1993) de Barry Sonnenfeld, le film « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, le roman Les Parents terribles (1938) de Jean Cocteau, le film « Sex Revelations » (2000) de Jane Anderson, Martha Coolidge, et Anne Heche, le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg (avec le repas de famille désastreux où tous les secrets de famille glauques éclatent au grand jour), le film « La Reine de la nuit » (1994) d’Arturo Ripstein, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson (avec les familles désunies de Gabriel, de Greta, de Stella), le film « The Family Stone » (« Esprit de famille », 2005) de Thomas Bezucha, le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, le film « Zenne Dancer » (2012) de Caner Alper et Mehmet Binay (avec la famille « homophobe » d’Ahmet), le film « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill, le roman I Can’t Think Straight (2011) de Shamim Sarif, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le roman Une Histoire de famille (2014) de Jennifer Schwarz, le vidéo-clip « Fais pas ci fais pas ça » de Floryan, le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, etc.

 

Par exemple, dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, la famille de Michael, transgenre, est totalement désunie : Enrique, le père, a fait de la taule ; sa mère se prend un amant parce qu’elle ne supporte plus la brutalité de son mari revenu à la maison. Dans le film « Kazoku Complete » (« La Famille au grand complet », 2010) d’Imaizumi Koichi, la famille Kanba toute entière est infectée par un virus : l’inceste. Dans le vidéo-clip de la chanson « College Boy » d’Indochine (réalisé par Xavier Dolan), le personnage principal, homosexuel, est lynché dans sa famille. Le portrait familial n’est pas tellement plus reluisant dans le roman Vie animale (2012) de Justin Torres : « Le roman Vie animale de Justin Torres propose une série d’instantanés dans la vie d’une famille de Brooklin. La mère est petite, blanche, travaille de nuit à l’usine et vit donc en perpétuel décalage horaire. Le père est gigantesque, portoricain, violent, change de job comme de chemise et a la mauvaise habitude de disparaître pendant des jours sans crier gare. Au milieu de ce couple, trois frères tentent de survivre au chaos familial et à la jungle urbaine qui les entoure. C’est le petit dernier qui nous raconte l’histoire de cette violence et de cet amour qui est tout de même là, même s’il prend des formes stupéfiantes. Clairement, pour Justin Torres, la famille c’est la jungle, tout le monde est dangereux pour tout le monde, et l’amour émerge presque par accident. Les enfants sont de petits mammifères griffus et hurlants, qui réclament sans cesse plus de de fracas et de mouvement. Les adultes s’aiment et s’entre-dévorent quand ils ne dansent pas dans la cuisine. » (cf. le résumé de la librairie Les Mots à la bouche à Paris, en septembre 2014) Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand s’appuie sur la trilogie cinématographique « Rosetta » (1999), « Le Fils » (2002) et « L’Enfant » (2005) des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, pour donner de la famille une vision glauquissime. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Bram, le héros homo, déplore « sa triste tradition familiale ».

 

Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Tom, le héros homo, se voit reprocher d’avoir délaissé sa famille campagnarde et d’être allé vivre sa vie interlope à la capitale sans avoir daigné lui rendre visite. Puis, à son insu, pour rebooster sa carrière de chanteur, il finit en plus par l’exploiter à des fins mercantiles : il accepte que ses vacances en famille, dans sa maison natale, soit le théâtre d’une émission de télé voyeuriste, Stars chez eux, où les dessous (catastrophiques puisqu’il est dit que l’envers du décor de ce qui aurait dû ressembler à Une Famille en or) sont dévoilés. C’est l’homosexualité du héros qui détruit le mythe de la famille idéale. Tom utilise sa famille comme camouflage hétérosexuel.
 

Sans famille solide pour le soutenir, le héros homosexuel se retrouve très souvent livré à lui-même. Mais au lieu de se rapprocher de sa famille d’origine ou d’en construire une vraie à l’âge adulte, il se met orgueilleusement à la place de celle-ci, et se définit comme origine de lui-même, pour sauver la face. « Depuis toute petite je suis sur les routes. Dans l’errance. Je me suis habituée à cette vie sans lieu fixe, sans un cœur tendre, sans frère, sans sœur. Je suis ma propre mère. Mon propre frère. Ma propre sœur. Je suis la famille entière, éclatée, réunie. » (Hadda dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 199) Il passe sa vie à poser des « choix » politiques ou amoureux radicaux (et peu heureux), tout ça par opposition de principe avec son « démon familial » : « Il s’était battu pour affirmer sa singularité à la fois contre sa famille et contre les préjugés des Français dits de souche. » (Mourad, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 327) Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud nous est dépeint un monde sans différence des sexes, où la différence des générations s’est substituée à la différence des sexes à travers le clonage. Les couples homos y tiennent un discours nataliste, familialiste, productiviste, pro-vie, déshumanisé, matérialiste, étiqueté « hétéro », focalisé sur la réussite sociale et le paraître. Le mariage est une fatalité et un déterminisme : il s’agit de « se résoudre à prendre époux ». Il est vraiment réduit à un commerce incestueux autant qu’homosexuel (d’ailleurs, le marieur qui arrange les mariages homosexuels s’appelle « Négoce » !).

 

Le personnage homosexuel, en général, trouve sa fierté à ne pas « rentrer dans le rang ». « Dieu merci, je ne suis pas hétéro ! » (Djordje dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) Souvent, il envisage le mariage comme une souillure, une saleté, une trahison à soi : « J’ai fait une grosse erreur en acceptant ce mariage. » (Aysla, le soir de son mariage hétérosexuel, s’adressant à son amante Marie, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann) ; « C’est vrai. Un mariage, ce n’est pas très reposant. » (George, le héros homo s’adressant à sa meilleure amie Nina, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; « Je ne veux pas me marier. » (Delphine, l’héroïne lesbienne du film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; « Vous avez un problème de violence dans la famille ou quoi ? » (Kévin, le héros homosexuel s’adressant à son amie lesbienne Sana, dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone) ; « À tous les âges de la vie, il a éprouvé les mêmes répulsions : l’horreur des groupes, la terreur des familles. » (le narrateur homosexuel dans le roman Gaieté parisienne (1996) de, p. 22) ; « C’était l’heure matinale où sortait le jeune et beau papa du huitième, dont il était justement dommage qu’il fût papa, ou plus exactement qu’il eût commis cette faute de goût avec une maman. » (cf. la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 70) ; « Plus nous considérons le mariage, plus il semble absurde. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 174) ; « Faire un enfant est la chose la plus égoïste qui soit. » (Hugo dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; « J’ai déjà mangé une femme enceinte hier. » (Pretorius, le vampire homo de la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Qu’est-ce qu’elle pond ! Elle pond, elle pond, elle pond ! Elle est vulgaire ! » (Rodolphe Sand imitant sa grand-mère qui parle d’une des tantes de Rodolphe, dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « J’ai envie de pisser comme une femme enceinte. » (Smith, le héros homosexuel du film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki) ; « Les femmes enceintes sont rasoir. » (Jane, enceinte, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 115) ; « Si j’étais comme les gens avec qui j’ai grandi, je regarderais le catch en buvant des bières en canette. J’amènerais ma copine sur un parking pour lui tripoter les seins. J’aime être différent. Parce que je vaux mieux. » (Paul dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Ta chienne de famille, elle mord pour de vrai ! » (Léopold parlant à sa femme Marie-Lou, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Cellule mon cul ! » (Marie Lou par rapport à sa propre « cellule familiale », idem) ; « Cette pauvre femme avait été stupidement hétérosexuelle toute sa vie. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 178) ; « Je veux un mari, 2 enfants, une maison et un chien. Pas être une salope comme les autres » (Paul, le héros homo parlant de ses amis homos en couple, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Tout le monde s’en fout de votre vieille tradition patriarcale. » (Shane, le héros homo s’adressant au couple hétéro réac de droite Loren/Tommy, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, cf. l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « La première cause de divorce, c’est le mariage. » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas se retrouve forcé par son copain François au mariage : « Je me marie dans quinze jours, et je suis le dernier à le savoir ?? Combien t’a coûté ce putain de mariage ? » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Clara et son amante Sonia méprisent les mariages : « Tu sais, c’est chiant les mariages. » soupire Clara concernant le mariage de sa grande sœur ; et Sonia veut quand même y aller pour le tourner en ridicule : « Allez, on y va quand même. Tu te marres trop. C’est ringard. Les familles, elles savent pas quoi se dire. » Dans la pièce La Cage aux Folles (1978) de Jean Poiret, aux yeux de Zaza Napoli, se marier revient à « gâcher sa vie » ; et quand il apprend que Laurent se marie avec une fille, il s’exclame spontanément : « Ah quelle horreur ! » Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, le mariage est présenté par les personnes mariées comme « une erreur monumentale », « la condamnation la plus longue » (Ned, le père de Rachel, l’héroïne lesbienne qui va se forcer à se marier avec un homme qu’elle n’aime pas). Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta est la femme au foyer malheureuse, vivant au crochet de sa brute de mari qui lui a fait six enfants et qui la trompe avec des prostituées : « Depuis le jour de nos fiançailles, nous n’avons jamais plu ri ensemble. » Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, le mariage est défendu par les personnages bobos-bisexuels uniquement dans le but d’être détruit : « J’déteste le mariage, mais si tu veux on se marie. » (Michel s’adressant à Charlotte sa copine bisexuelle) Par exemple, Michel dit qu’il a autant envie de se rendre au mariage d’Antoine et de Laurence que de se pendre. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, l’un des héros homos, n’a que mépris pour « l’hétéro de base » : « On ne peut pas coupler les torchons et les serviettes ». Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, les deux amantes lesbiennes, Marilyn et Mona, fuient leur mariage « hétérosexuel ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en psychothérapie Benjamin/Arnaud et essaie de les aider à s’assumer en tant que couple homo. L’hétéro, c’est le malade, le mal à éradiquer. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, le héros bisexuel sur le point de se marier avec une femme, dit qu’il a « presque la corde au cou ». Et sa future belle-mère est monstruosisée.

 

Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe, le héros homosexuel, est dans un vrai rejet de sa famille : il a changé son nom de famille, « n’a pas eu les parents qu’il voulait », et dit même avec insistance à son amant qu’il « n’a PAS de famille ». Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, c’est Donato, le héros homosexuel, qui a quitté son Brésil natal et abandonné sa famille sans laisser de nouvelles (il apprend même un an trop tard que sa maman, qui avait économisé pour aller le visiter en Allemagne, est morte avant d’avoir pu réaliser son rêve). Konrad, son amant, le lui reproche : « Tu peux pas continuer à fuir ta famille ! » Dans le film « Prends-moi », le trans M to F dit qu’il ne sort son flingue que pour buter les hétéros. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize travesti M to F se fout de la gueule de la famille de sa sœur Lili (hystérique), du mari de celle-ci (beauf alcoolique) et du fils (trisomique). Dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz, Peter, l’amant secret du père de Daniel, fait chanter toute la famille de ce dernier pour récupérer du fric et sa part d’héritage. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, Joe débarque au beau milieu d’un repas de famille pour révéler au grand jour son homosexualité, gâcher la fête, et insulter son grand frère devant tout le monde : « Jason, tu es un con. » Dans le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, c’est au moment où Marie tombe amoureuse d’une femme, Aysla, que sa propre famille part en « live » : son mari Bernd la trompe avec Vicky une collègue de travail, son fils Jonas se drogue, sa fille Lili s’envoie en l’air avec Freddie un jeune homme peu fréquentable… Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homos, a coupé les ponts avec sa famille et l’avoue à son amant Frankie : « Arrête. Je les ai pas vus depuis 10 ans. »

 

Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, Madame Gras associe la famille à « la boulimie », au « vomi ». Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne, considère la femme mariée comme un modèle de soumission, et plaint « toutes les femmes qui sont dans leurs cabanes étouffantes de 2 mètres carrés, occupées à mettre leur portée d’enfants au lit. » (p. 28) ; elle ne cache pas son inimitié pour les couples et la famille, qu’elle limite à des mascarades sociales : « Je déteste les sagais, les mariages, les namkarans. » (idem, p. 133) ; « Je trouve que le mariage est un piège. » (idem, p. 148) De même, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros gay, voit le mariage comme un « malheur » (p. 176). Dans le one-woman-show transgenre Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, une femme travesti en homme, « Virgo Fortis », en restant célibataire et en cherchant à fuir sa sexuation, croit « échapper au mariage-inceste-viol ».

 

Bien souvent, le personnage homosexuel se place en outsider de sa propre famille/de la famille de son amant(e), et trouve dans son statut de marginal-spectateur une occasion de s’enorgueillir de ne pas être aussi conventionnel que les autres, et de pleurer sur lui-même du « triste » spectacle qui s’offre à lui : cf. le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson (avec Léo à l’enterrement de son copain Luca). Par exemple, dans le film « Pièce montée » (2009) de Denys Granier-Deferre, Marie, la lesbienne excentrique, se définit elle-même comme le vilain petit canard, « la rebelle de sa famille ». Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Russell, le héros homosexuel, s’ennuie mortellement pendant les soirées avec ses amis-« hétéros »-avec-leurs-mômes.

 

« On est pédé, Polly, c’est une chance. Ça veut dire que des histoires d’amour aussi belles, aussi importantes, on en aura plein tout au long de notre vie. Si on était hétéro, t’imagines, on serait marié avec notre premier flirt ! » (Mike, le héros homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 121) ; « Je m’emmerde dans les dîners d’hétéros, ça manque d’humour. » (Claude dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 16) ; « Au Figaro, tous les hétéros sont homophobes. » (Pierre, le héros homosexuel de gauche, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Avec une famille comme la mienne… » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc.

 

Dans la relation du héros homosexuel vis à vis de la famille, cela va souvent du constat méprisant à la destruction verbale/physique. Par exemple, dans le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen, Göran saccage délibérément les belles fleurs du jardin des voisins situé dans le quartier pavillonnaire où lui et son copain Sven viennent de s’installer. Dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay, la famille finit même par s’auto-détruire puisque Léopold, le père, tue volontairement sa femme, son fils Roger et lui-même dans un accident de voiture. Dans le film « La Cérémonie » de Claude Chabrol, Sandrine Bonnaire (Sophie) et Isabelle Huppert (Jeanne) se transforment en meurtrières d’une famille bourgeoise. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, un étranger pervertit un à un les membres d’une famille bourgeoise italienne. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le jeune héros homosexuel, rentre avec son flingue dans une belle villa familiale (l’homme politique d’extrême droite, sa femme et leurs deux enfants), pour y dénoncer l’hypocrisie bourgeoise et y voler de l’argent.

 

En ce qui concerne sa famille de sang, puis les familles en général, le personnage homosexuel ne mâche pas ses mots ! (oui : on peut parler de haine) : « La famille, c’est une maladie sexuellement transmissible par le corps. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « La famille, c’est la plaie de toutes les trans. » (Strella, le héros trans M to F du film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras) ; « À la tête de la famille se trouvait le père austère, la mère capricieuse en face, avec la grande sœur insupportable et malheureuse, et la cadette, la plus douce, sûrement pas plus heureuse. Le foyer se composait aussi de toi. La maison familiale, le nid des Hommes, inconsistant et rigide, comme une vitre que tous brisent, mais que personne ne parvient à plier. » (cf. le poème « La Familia » (1941) de Luis Cernuda) ; « À la fin de la trilogie des frères Dardenne [« L’Enfant », « Le Fils » et « Rosetta »] , j’étais en réanimation à Robert Debré. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « Plantes vénéneuses, enfant grabataire, excroissances malignes, verrues douées de raison, pauvres gens contaminés par l’ennui et la tristesse, voilà ma famille ! » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 60) ; « Idoles de son enfance, il maudit désormais ses parents. » (la voix narrative concernant Quentin, le héros gay du roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 47) ; « Oui, les fils uniques sont bien les seuls avec lesquels on puisse tout à fait s’entendre. » (idem, p. 155) ; « Cédric, la famille, c’est pas son truc. » (Mathieu en parlant de son copain, dans le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz) ; « Les dîners en famille, c’est beau comme un dimanche, si ce n’est que personne n’apprécie le dimanche. […] Je n’en peux plus de la famille ! Je sens que tout ça part en vrille. » (cf. la chanson « À table » de Jann Halexander) ; « Je déteste les sagais, les mariages, les namkarans» (Anamika, l’héroïne lesbienne, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 133.) ; « Je trouve que le mariage est un piège. » (idem, p. 148) ; « Mon cher, j’adore entendre dire du mal des membres de ma famille. C’est la seule chose qui me permet de les supporter. La famille, ce n’est qu’une foule de gens assommants, rigoureusement incapables de vivre convenablement et de pressentir le moins du monde quand il est temps de mourir. […] La famille ne prête jamais d’argent et ne fait jamais crédit, même quand on a du génie. Elle fait penser au public, mais en pire. » (Algernon parlant à Jack dans la pièce The Importance To Being Earnest, L’Importance d’être Constant (1895) d’Oscar Wilde) ; etc.

 

Dans le one-man-show Chroniques d’un Homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier exprime son aversion pour la famille. Dans la one-woman-show Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, la vie de mère au foyer est décriée : « Si au moins ils partaient en colonie de temps en temps… Je sais pas être une mère formidable. Je veux être la marâtre de Blanche-Neige. Je veux aimer à mi-temps. » Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Jean-Marc dit que dans sa jeunesse, il trouvait sa famille affreusement ennuyeuse. Dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, Michael ne veut pas « infliger sa propre famille » qu’il déteste à son copain Ben (p. 79).

 

Même l’entourage amical gay friendly du héros le pousse à détester sa famille et à ne pas en construire une : « Ne fais jamais d’enfants !!! » (Solange, la « fille à pédés », à François, le héros homo du one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton)

 

B.D. Kang de copi

B.D. Kang de copi


 

C’est surtout à Noël – LA fête familiale de l’année – que le personnage homosexuel expérimente le plus sa douleur/sa haine de la famille : cf. le film « Happy Christmas » (2000) de Kjell Sundvall, la pièce Non, je ne danse pas ! (2010), de Lydie Agaesse, la pièce Minuit chrétien (2008) de François Tilly, le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot (où Maxence « se sent si seul » le soir de Noël), le one-(wo)man-show C’est Noël. Enfin seul (2006) du travesti M to F Charlène Duval, la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali (où Frédérique, l’héroïne lesbienne, haït Noël), etc. « Je suis née un 24 décembre, dans une famille de blaireaux incultes. » (l’héroïne lesbienne dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011) de Karine Dubernet) ; « Toutes ces fêtes à la con… Noël… la saint Valentin. » (Claire dans la pièce Une Heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat) ; « De toute façon, je déteste Noël en famille. » (Thierry, le héros homosexuel de la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « On va s’ennuyer comme d’hab. » (Kévin parlant de Noël à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 370) ; « Le jour de Noël, je ressens une profonde solitudes. » (Junn, la mère de Kai le héros homosexuel, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Faim d’année (2007) de Franck Arrondeau et Xaviéra Marcjetti, Marc dit qu’il ne supporte pas les réunions de famille, et notamment celles de Noël. Dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, la haine de Noël et de la famille est exprimée par Zac, le héros gay. Dans son one-(wo)man-show Madame H. raconte la Saga des Transpédégouines (2007), Madame H. rêve de découper sa famille en morceaux avec sa tronçonneuse pendant le repas de Noël, et finit son show par la chanson « Fuck The Family ». Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, c’est au moment où Carol, l’héroïne lesbienne et mère de famille qui a quitté son mari et sa fillette pour les fêtes, éteint nerveusement la radio de sa voiture qui la rappelle à sa démission : « Que serait-ce Noël sans nos adorables bambins ? » dit la voix-off de l’animateur. La famille pendant tout le film est présentée comme une convention sociale enfermante, une institution qui fait du chantage aux enfants, au divorce. Carol est obligée de supporter sa belle famille pour conserver son droit de visite auprès de sa fille : « Je ne vais pas pouvoir tenir longtemps comme ça. Encore combien de déjeuner et de tomates en gelée ? »

 
 

d) Les « familles » hétéros, les « familles » homos : pas une pour rattraper l’autre :

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Bobo » et « Milieu homosexuel paradisiaque » (avec la partie sur la « Bande de copains ») de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Le personnage homosexuel des temps modernes, au lieu de dénoncer et de réparer les familles disloquées, décide de se venger de la famille réelle (confondue avec la famille médiatique) en cherchant à construire par ses propres moyens (l’art, le sentiment, la science, les manipulations génétiques, l’amitié…) une « transfamily », tout aussi artificielle, sentimentaliste, réifiante, et violente, que la famille publicitaire qu’il abhorrait. Pour lui, cette transfamily homoparentale/homosexuelle/LGBT se veut un dépassement et une ouverture de la famille dite « traditionnelle ». Par exemple, dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, se prend pour la mère adoptive de la petite Floria : « Je suis comme sa mère. »

 

Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, le mariage femme-homme est dévalorisé (le couple Georges/Christelle ne tient pas), la paternité et les enfants aussi. William, l’amoureux capricieux, demande à son amant Georges qu’il renonce totalement à son ancienne vie d’homme marié et de père : « Tes enfants ! Ton alibi suprême ! » Il lui fait même du chantage au divorce : « Tant que tu ne seras pas divorcé, notre situation restera bancale. Attention, Maître Blanchet, vous êtes sous serment. » Pierre, l’hétérosexuel qui se rend compte de la destruction de la famille que les deux tourtereaux homosexuels ont planifiée à plus ou moins long terme (en effet, Georges se met à négliger les liens du sang au profit des liens sentimentaux : « Les liens de l’esprit ont parfois plus de valeur que les liens du sang. »), tente de s’insurger – pas très finement – contre leur projet de mariage et d’enfants : « Vous la faites partir en couilles, la famille, avec vos histoires ! »

 

La famille de sang non-hétérosexuelle est remplacée dans le discours (et parfois dans les faits) du personnage homosexuel par une version poétique, éclatée et floue de la famille… même s’il exprime à demi-mot (et à juste titre) son doute que les liens sentimentaux et adoptifs soient plus forts que les liens du sang et d’amour (« Les liens d’Éros tout puissant sont-ils plus attachants que les liens du cœur, que les liens du sang ? », cf. la chanson « Les Liens d’Éros » d’Étienne Daho et Marianne Faithfull ; « Les liens du sang ne sont pas forcément les plus sains. » dit Erwann dans le film « Lonely Boat » (2012) de Christopher Tram et Simon Fauquet).

 

En général, le héros homosexuel actuel défend le concept de famille « ouverte », de famille « transversale » ou « parallèle » (cf. le film « Transfamily » (2005) de Sabine Bernardi, le film « Parallel Sons » (1996) de John G. Young, etc.), de famille « d’orientation sexuelle » ou de « pratique sexuelle » (par exemple, dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, Michael, le héros homosexuel met en opposition sa « famille biologique » et sa « famille logique »… la seconde étant le « milieu homosexuel »), ou de famille cinématographique (pensons à la famille fictionnelle du film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, construite par Félix au hasard des rencontres). Dans les fictions homosexuelles, il est fréquent d’observer les protagonistes se distribuer des diplômes de « frères », de « parents », de « parrains », de « fils », sans pour autant prendre en compte leur réalité généalogique : « Pietro est sans famille, si ce n’est Michael et moi. » (la voix narrative parlant de son amant, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 141) ; « Si moi, je m’entendais bien avec Kévin, ma mère s’entendait super bien avec la sienne. Il avait raison, nous étions une vraie famille unie ! J’avais deux mamans géniales et un petit frère magnifique que j’aimais comme un malade. » (Bryan en parlant de son couple avec Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 409) Tout est mélangé : liens sentimentaux et liens du sang !

 

« Le lendemain nous montâmes au premier pour organiser au mieux l’installation de la bonne. Je dis à Marie qu’elle pouvait s’y établir également, ainsi nous y serions toutes les trois. La maison était grande et conçue pour une famille que je n’aurais jamais. » (Alexandra, la narratrice lesbienne cherchant à « fonder famille » avec deux de ses bonnes, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 128) ; « Eux aussi c’est ma famille. » (Cédric, homo, à propos de son équipe de water-polo gay, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare).

 

Fréquemment, dans les moments de lassitude conjugale, l’envie prend chroniquement au héros homosexuel de fonder une famille élargie aux amis gays friendly/homos (…et enfants des amis), vivant une vie communautaire Flower Power à la campagne, dans une grande baraque retapée : cf. le film « Tableau de famille » (2002) de Fernan Ozpetek, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox, le film « Giorni » (« Un Jour comme un autre », 2003) de Laura Muscardin, le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello, le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, etc.

 

Comble du comble : la déstructuration de la famille « traditionnelle » est présentée comme banale et pure. Elle rendrait encore « plus blanc que blanc » ! « Marie a dix ans et une famille résolument moderne : conçue par deux hommes et deux femmes, tous homosexuels et aujourd’hui tous séparés, elle a deux papas, deux mamans, un beau-papa, une belle-maman, et une poignée de frères et sœurs. Fêter Noël en famille, dans ces conditions, tient presque de l’exploit. Mais alors qu’elle passe de foyer en foyer et tente, comme elle peut, de partager son amour, Marie se pose des questions sur sa venue au monde : serait-elle, comme ‘l’autre Marie’, l’immaculé conception ? » (cf. le résumé du film « Mon Arbre » (2011) de Bérénice André, rédigé par les rédacteurs du programme du 17e Festival Chéries-Chéris (2011) de Paris, en octobre 2011)

 

En réalité, le héros homosexuel se rend compte qu’il ne fait pas mieux avec sa « famille parallèle » homosexuelle, et même qu’il revit un calvaire identique à sa famille hétérosexuelle de référence (cf. le film « Patrik, 1.5 », avec le titre français ironique « Les Joies de la famille » (2009) d’Ella Lemhagen) : « Je me croyais délivré de l’enfer de la famille et le voici reconstruit sur les terrains de mes vices ! » (Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Mariage : je me disais que c’était une connerie pour des hommes et des femmes qui ne s’aiment pas. » (Dotty voulant se marier avec son amante Stella, dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald) ; etc. L’arrivée apparemment « naturelle » d’un enfant dans son couple n’y change rien. Par exemple, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, on voit très bien que la procréation de l’enfant dans un cadre pas tout à fait familial sert de vengeance contre la famille originelle des protagonistes : le bébé dit inconsciemment « merde » à la filiation, même s’il est biologiquement le signe tangible de filiation.

 

Enfin, après avoir défendu sincèrement LEUR conception désincarnée de la famille, il arrive que certains héros homosexuels expriment leur vexation de se mentir ainsi à eux-mêmes par l’agressivité, celle-ci apparaissant à la fois comme une hétérophobie (justifiée car les hétéros sont une caricature violente des vraies familles humaines) et une haine des familles femme-homme+enfant aimantes (injustifiée) : « Je peux pas encore aller la voir à l’hôpital, parce que je suis pas de sa famille. (En pleurant) Tu te rends compte, je ne peux pas aller voir ma femme à l’hôpital parce que je ne suis pas de sa famille, mais je suis TOUTE sa famille à moi toute seule ! Putain, je-suis-pas-sa-fa-mille ! Ils se foutent de ma gueule, moi je veux la voir, j’en ai rien à foutre que je sois pas mariée, j’ai bien le droit de voir ma femme, je dors avec elle toutes les nuits. » (Polly parlant de son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 115)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Les familles réelles et épanouies sont confondues avec les familles-objets publicitaires fusionnelles et disloquées :

 

Bien souvent dans les discours des militants homosexuels actuels, la famille réelle composée d’une homme et d’une femme qui s’aime, et accompagnée d’un ou plusieurs enfants, est confondue ou assimilée très vite aux poupées des panneaux publicitaires : « Nous avons tous une définition de ce qu’est une famille traditionnelle, ces familles parfaites de sitcom, un papa et une maman ensemble avec les enfants. » (Joseph Hagan dans la revue Têtu, juin 2002) ; « Je les trouve toujours très beaux, très propres, bienveillants. » (Emmanuelle, femme lesbienne de 26 ans, parlant des manifestants de La Manif Pour Tous tirés à quatre épingles, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Avec le Christ, je suis sorti de cet épais taillis où s’est décidée mon orientation sexuée consciente et agissante, vers une clairière plus étroite certes, que celle où gambadent les hétérosexuels. » (Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 15) ; etc. Je vous renvoie également à l’essai Monsieur, Madame et Bébé (1866) de Gustave Droz. Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, il est dit que « le modèle hétérosexuel est formé à base de chien, barbecue et pavillon de banlieue »… mais en réalité, c’est une image publicitaire qui est montrée. C’est très étonnant, cette confusion entre réalité et fiction, surtout quand elle vient de personnes pourtant adultes et apparemment en totale possession de leurs facultés intellectuelles.

 

La Famille Doux Coeur ('c'est la famille du bonheur)

La Famille Doux Coeur (…c’est la famille du bonheur)


 

On entend parfois une adoration jalouse de la famille-poupée : « Je me sentais malheureux et ne voulais plus souffrir. Autour de moi, je voyais des personnes visiblement satisfaites de leur sort. Je voulais être comme elles. » (l’écrivain français Julien Green dans la préface de son roman Si j’étais vous (1947), p. 7) ; « Je crois bien me souvenir d’avoir envié, en mon for intérieur, ceux de mes camarades qui connaissaient des jeunes filles. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 78) ; « J’en suis presque jaloux. » (Samuel, jeune homme homosexuel de 25 ans, face à un enfant de 6 ans en admiration devant ses parents, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; etc. Elle peut s’exprimer dans une forme de révolte pseudo « militante » (on dira « féministe ») : « Qu’en était-il des autres, asservies à leur mari et à leurs enfants, sans ressources personnelles, sans voiture, sans autre nourriture spirituelle que Marie-Claire, Elle ou Femme d’Aujourd’hui ? Bonne Déesse, quel obscurantisme ! » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 242) Par exemple, dans son documentaire « Homo et alors ?!? » (2015), le réalisateur homo Peter Gehardt, en parlant au nom des personnes homosexuelles, fustige « les gentils citoyens qui en ont marre de voir des pervers comme nous bénéficier des mêmes droits qu’eux ». Dans l’émission Radioscopie sur France Inter, le 6 mai 1976, Jean-Louis Bory, au micro de Jacques Chancel, dit que Diderot était « un vulgaire hétéro ». Soit dit en passant, l’erreur ici n’est pas de dénoncer l’hétérosexualisation-marchandisation des femmes ou des hommes (car cela est plus que légitime !), mais bien d’appliquer caricaturalement ce modèle de la femme-objet à la majorité des femmes réelles (idem concernant l’homme-objet). Et là, en effet, quel autre forme d’obscurantisme grotesque de la part de beaucoup de personnes homosexuelles que de prendre la vie des femmes et des hommes mariés pour une vie de dînette !

 
 

b) Comme beaucoup de personnes homosexuelles se rendent compte que le bonheur de la famille-objet n’est ni parfait ni réel, elles finissent par mépriser ce mythe de la famille idéale sans remettre en cause la confusion initiale qu’elles avaient opérée entre famille réelle et famille médiatique :

Après avoir grossi et idéalisé l’influence de la famille hétérosexuelle, et l’avoir confondue avec la famille réelle de chair et de sang, de nombreuses personnes homosexuelles dévaluent les deux familles (logique caricaturale et idolâtre s’il en est) : « La famille nucléaire bourgeoise composée de ‘maman’ et ‘papa’ entourés d’enfants a toujours été minoritaire. Dans le paysage familial, c’est plutôt l’ensemble composite des familles élargies, recomposées, monoparentales, etc., qui occupe une place prééminente. Mais alors que toutes ces configurations familiales ont fini par trouver une reconnaissance légale, les familles homoparentales continuent à être discriminées par le droit français. » (Daniel Borrillo, « Homoparentalité », dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 253) ; « La deuxième partie du programme montrait la vie quotidienne chez les Ricardo, une famille de chimpanzés. » (Alfredo Arias décrivant le spectacle du travesti Tola, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 307) ; « Peut-être n’a-t-on jamais filmé de cette façon la mélancolie d’être absent d’un groupe d’amoureux s’éloignant au bout d’une rue, insoucieux du désespoir d’un enfant exclu de leur joie simple. » (Pierre Philippe commentant le film « The Long Day Closes », « Une longue journée qui s’achève » (1991) de Terence Davies, dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 85) ; « Je n’ai pas conservé un très bon souvenir de mon enfance et j’ai tendance à incriminer le milieu familial. J’étais fils de… mes parents sont morts. Mes parents étaient ce que l’on appelle un couple uni. Et je dois dire que la vision de la vie de ce couple uni, enfin… prétendument uni, m’a à tout jamais probablement déçu de la vie de couple et de ce que l’on appelle une union qui passe aux yeux du monde pour réussie. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « Je ne suis pas heureux et je ne tiens pas à l’être. Le spectacle des gens heureux ou qui croient l’être autour de moi me paraît tellement répugnant que je le crains terriblement. » (idem) ; etc.

 

Certains se mettent à cracher sur le bonheur familial illusoire que leur a miroité les médias, tout en généralisant cette estampe fallacieuse à toutes les familles réelles qui les entourent, y compris la leur : « Le bonheur est vulgaire, le bonheur n’est pas intelligent, le bonheur n’est pas de bon goût. » (Jean-Louis Bory, le 24 septembre 1967, dans l’émission radiophonique Le Masque et la Plume : Hommage à Jean-Louis Bory (1979) de François-Régis Bastide) ; « La jeunesse d’Oscar Wilde s’écoule, non pas dans le calme, mais dans les échos et les remous d’un scandale qui désagrège sa famille : la maîtresse de son père fait du chantage, intente un procès aux Wilde en prétendant avoir été endormie au chloroforme puis violée par sir William. Les amis de collège d’Oscar, qui suivent le procès dans les journaux, ne lui épargnent aucun détail… ‘Voilà donc où conduit ce grossier amour des hommes pour les femmes, à cette boue !’ écrira-t-il plus tard, en parlant de cette lamentable affaire. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 170) ; « Quel sentiment de malaise de voir cette journée de manifestation qui réveille des esprits étriqués intolérants et rétrogrades. Tous ces gens qui s’élèvent les uns contre les autres contre les différences, qui déploient leur énergie contre les autres alors qu’ils pourraient être avec les leurs, à essayer d’appliquer une morale bien pensante qui parle d’amour et de respect.. Signe sans doute d’une civilisation en fin de course… Je suis heureux malgré tout des gens que j’aime dans ma vie, qui m’entourent, qui aiment, qui ne jugent pas. J’ai dans ma famille des personnes précieuses qui ont adopté, un des plus beaux gestes, j’ai des amis qui ont donné la vie, j’ai des amis qui malgré l’adversité cherchent l’intelligence chez d’autres personnes. Ces personnes là me rassurent. Pour les autres qui défilent, s’ils non jamais connu l’insulte, le jugement, la critique, la maladie, les épreuves, le racisme, je ne leur souhaite pas de mal, je leur souhaite juste davantage de réflexion et d’amour. Et à ces enfants qu’on embrigade dans ces cortèges de haine, demandons leur pardon. Quand ils grandiront, peut être auront ils honte d’avoir été là. 2014. » (cf. le post Facebook de Frédéric Fuertes, le jour de la Manif pro-famille du 5 octobre 2014 à Paris et Bordeaux) ; « Il y a un problème dans la famille. La famille ne veut pas de l’homophilie. Un enfant (homo), on veut le marier, qu’il ait des enfants, on a l’impression que les voisins vont le montrer du doigt. L’homosexualité, c’est une tare. » (André Baudry, homosexuel, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Dès 1971 en France, le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) invente un nouveau lexique : « Cellule familiale = Première source de névrose et de maladie mentale ; on dit la cellule familiale c’est l’antichambre de la prison (souvent à perpétuité). » (Albert Le Dorze, La Politisation de l’ordre sexuel (2008), p. 103) Les mères au foyer sont transformées, de par leur statut de « femme » (dans tous les sens du terme : être humain de sexe féminin et personne mariée), en victimes éternelles ; et les pères, en violeurs et en bourreaux millénaires. On entend encore aujourd’hui des idées de ce type : « Les femmes avant n’avaient pas forcément d’orgasme. » (Linda Troller dans le documentaire « 68, faites l’amour et recommencez ! » (2008) de Sabine Stadtmueller), comme si la foule ancestrale des femmes (dites « hétérosexuelles ») d’avant 1968 n’avaient jamais connu le plaisir sexuel ni l’amour… Quel manque de recul sur l’Histoire de l’Humanité ! Quel anthropocentrisme contemporain !

 
 

c) Beaucoup de personnes homosexuelles haïssent les familles, à commencer par la leur :

Je vous renvoie au fameux dicton « Famille je vous hais ! » d’André Gide, extrait de son roman Les Nourritures terrestres (1897) et qui a fait couler beaucoup d’encre, ainsi qu’à l’essai du même nom Famille je vous hais (2010) d’Emmanuel Pierrat, ou encore à l’essai La Famille en désordre (2002) d’Élisabeth Roudinesco. Je pense également à l’association Le Refuge, qui a été créée à Montpellier (France) en 2003, et qui héberge les jeunes homosexuels expulsés de chez eux au nom de leur orientation sexuelle.

 

De manière globale, les personnes homosexuelles en veulent à leur famille, et parfois à raison tellement il ne fait pas objectivement bon y vivre ! Par exemple, la famille du dramaturge argentin Copi a vécu de grands conflits (à la mort du grand-père maternel en 1941, elle s’est notamment déchirée autour de l’héritage). Beaucoup de créations artistiques témoignent du mal-être familial qui entoure les sujets homosexuels. Les romans de René Crevel, William Burroughs, Jean Genet, Pierre Guyotat, Gerard Reve, ou Yves Navarre, donnent une image très négative de la famille.

 

En ce qui concerne leur famille de sang, certaines personnes homosexuelles ne mâchent pas leurs mots : « L’institution la plus violente d’une société, c’est la famille. Et spécialement la famille nucléaire. » (Lucía Etxebarría, écrivaine bisexuelle, lors de la présentation de son roman Le Contenu du silence (2012), organisée à la Galerie Dazelle à Paris le 12 juin 2012) ; « ‘Je ne peux pas m’entendre avec ma famille’ avouent la plupart des pédérastes. » (Jean-Louis Chardans dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 10) ; « La famille est le principal obstacle pour moi. » (Norie dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar) ; « Le fait de voyager et d’aller au bout de la terre m’a permis de couper les ponts avec la famille et de revenir en me montrant au monde telle que je suis. » (une femme trentenaire lesbienne dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre) ; « Le premier devoir d’une femme écrivain, c’est de tuer l’ange du foyer. » (Virginia Woolf citée dans l’essai King Kong Théorie (2006) de Virginie Despentes, p. 133) ; « On sait les rapports conflictuels que j’entretiens avec ma famille. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 416) ; « La famille reste pour beaucoup d’homosexuels le premier lieu de l’expérience homophobe. » (cf. l’article « Famille » de Philippe Masanet, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 168) ; « Les enfants reçoivent extrêmement tôt toute une série de messages sur ce qu’il convient d’être en tant que fille ou garçon. […] Du point de vue de l’enfant, l’intégration de cette norme peut avoir des conséquences dramatiques, d’autant que la violence verbale, physique, le chantage psychologique peuvent se développer contre les récalcitrants. Bien souvent infligés au nom de l’amour, ces paroles et ces actes sont souvent imparables. » (idem, p. 168) ; « La famille étant souvent le cimetière des rêves d’enfant, elle devient le berceau des stéréotypes d’adultes. » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 164) ; « Je crois que les parents donnent aux enfants une véritable angoisse devant le savoir par l’intérêt même qu’ils portent au savoir de leurs enfants ; car, dans ce savoir des enfants, ils mettent leur propre gloire à eux. […] Et je crois que cela pèse négativement d’une façon très lourde. » (Michel Foucault, « Radioscopie de Michel Foucault », entretien avec J. Chancel en 1975, dans l’essai Dits et Écrits I, 1954-1988 (2001), pp. 1655-1656) ; « Le fait même d’être familialiste implique l’homophobie, le rejet de l’homosexualité. » (Patrick Négrier lors de la « rencontre-signature » de son livre L’Homosexualité dans la Bible, à la Librairie Violette & Co à Paris, le 22 avril 2010) ; « La famille est la première cause de violence chez les jeunes femmes lesbiennes. » (cf. une inscription dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « En général, quand vous êtes homos, dans votre famille, vous naissez en territoire ennemi. » (Dustin Lance Black dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco) ; etc.

 

Beaucoup d’ « intellectuels » français, pas forcément militants LGBT d’ailleurs, mais homosexuels pratiquants, essayent toute leur vie de régler leurs comptes avec leur propre famille. Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Félix Guattari, tous ces « penseurs du désir » des années 1960-1980, se basant entre autres sur les théories de Wilhelm Reich et Herbert Marcuse, ne pensent l’Homme que dans la projection de son désir, et non plus selon ses racines et ses traditions. À travers le prisme du ré-examen total du freudisme (cf. « Pensée critique »), ils proposent de faire de la révolution des mœurs une révolution politique. Et bien sûr, ils désignent la famille comme un « joug familiariste » dangereux.

 

À les entendre, la famille est un système traditionnel implacable, cloisonné, figé, sans vie. Un destin tragique. « Je suis l’aîné de sept frères et sœurs : ni mon environnement social et provincial ni ma place d’aîné dans ma fratrie n’étaient propices à un épanouissement sexuel. […] La position d’aîné dans une famille maghrébine implique de se comporter en modèle, dans le strict respect des traditions : virilité, mariage, paternité et autorité sur les cadets, autant de ‘qualités’ qui me manquaient cruellement. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la Cité (2009), pp. 7-8) ; « Ils sont tôt tracés, les destins sociaux ! Tout est joué d’avance ! Les verdicts sont rendus avant même que l’on puisse en prendre conscience. Les sentences sont gravées sur nos épaules, au fer rouge, au moment de notre naissance, et les places que nous allons occuper définies et délimitées par ce qui nous aura précédé : le passé de la famille et du milieu dans lesquels on vient au monde. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), pp. 52-53) ; « On se mariait en toute innocence. En toute bêtise. […] J’avais une partie de mon désir qui avait été tué. » (Thérèse, femme lesbienne de 70 ans évoquant ses années de mariage hétérosexuel, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Pour moi, le mariage, c’était pas ‘prison’, mais au niveau de mon ressenti, pas loin ! » (Sébastien, homosexuel, 43 ans, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013) ; « J’ai saisi l’opportunité d’une dépression et d’un grand abattement pour me marier. » (Germaine, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « En contractant un mariage, je vais perdre ma liberté. » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; etc. Certains militants homosexuels vont jusqu’à tenter de détruire le mariage en le réclamant d’abord à cors et à cris : « Pour pouvoir abolir le mariage, il faut d’abord que tout le monde puisse en bénéficier. […] C’est l’étape suivante. ». (Caroline Mécary, Avocate au barreau de Paris, femme très active lorsque le « mariage pour tous » a été imposé à la France en mai 2013, et qui là s’exprimait au Festival Mode d’emploi à Lyon, en novembre 2013) On se retrouve avec le paradoxe suivant : les personnes homosexuelles ou gays friendly demandent le « mariage pour tous » pour mieux mépriser et anéantir le véritable mariage… Extrait de Plus belle la vie (mais qui renvoie à beaucoup de situations que j’ai vues en vrai).

 

Film "C.R.A.Z.Y." de Jean-Marc Vallée

Film « C.R.A.Z.Y. » de Jean-Marc Vallée


 

La soumission à ce soi-disant « destin familialo-culturel » est alimentée dans la rupture brutale. Pour Alain Piriou, par exemple, il s’agit de « briser le carcan familial » (Alain Piriou cité dans la revue Triangul’Ère 3 (2001) de Christophe Gendron, p. 803). Dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule dit qu’il a adopté ses propres valeurs, « celles qu’il avait précisément acquises en se construisant contre ses parents, contre sa famille » (p. 75). Le mariage est considéré comme un cauchemar ou une hypocrisie, vu qu’un certain nombre de personnes homosexuelles ne connaissent pas autour d’elles de modèles probants de fidélité : « Tu es marié ? Quelle horreur ! » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 74) ; « Le mariage, quelle que soit sa catégorie, ça ressemble à un lundi matin. C’était beau la veille. Un lundi matin, c’est la grande tristesse. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, à travers leurs engagements sociaux radicaux et leur entêtement dans des choix d’amour peu satisfaisants, sont, sans se l’avouer, en train de brûler leur vie à fuir leur famille. La vie de Didier Éribon, narrée dans son autobiographie Retour à Reims (2010), en fournit un bon exemple : « J’avais fui ma famille et n’éprouvais aucune envie de la retrouver. » (p. 11) ; « Je pensais qu’on pouvait vivre sa vie à l’écart de sa famille et s’inventer soi-même en tournant le dos à son passé et à ceux qui l’avaient peuplé. » (idem, p. 15) ; « Je n’ai pas assisté aux obsèques de mon père. Je n’avais pas envie de revoir mes frères, avec qui je n’avais plus aucun contact depuis plus de trente ans. » (idem, p. 19) ; « Pendant longtemps l’idée même de famille, de couple, de conjugalité, de lien durable, de vie commune, etc., me fit horreur. » (idem, p. 82) ; « Je ne fus guère enclin, adolescent, à vouloir comprendre ce qu’étaient mes parents, encore moins à essayer de me réapproprier politiquement la vérité de leur existence. » (idem, p. 86) ; « Mon marxisme de jeunesse constitua donc pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la ‘classe ouvrière’ pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. En lisant Marx et Trotski, je me croyais à l’avant-garde du peuple. Je détestais la classe ouvrière dans laquelle j’étais immergé, l’environnement ouvrier qui limitait mon horizon. » (idem, pp. 88-89) ; « Ainsi, quand je manifestais contre les succès électoraux de l’extrême droite, ou quand je soutenais les immigrés et les sans-papiers, c’est contre ma famille que je protestais ! » (p. 117)

 

Dans le documentaire « La Grève des ventres » (2012) de Lucie Borleteau, les familles naturelles passent au bûcher. Les ennemis, « c’est tous les gens qui se reproduisent. » Tous les témoins interrogés cherchent à s’affranchir du « carcan familial » : « Nous avons échappé à la cellule familiale. » (Lise, une femme lesbienne) Clara, par exemple, soutient que les mères sont des « victimes consentantes » du patriarcat et de la maternité. Pendant cet effrayant reportage, les ventres arrondis sont même hués lors d’un strip-tease. Sur une banderole est écrit : « La famille ne sera plus jamais notre horizon et notre tombe. » Lorsque Lise se fait faire un gosse avec un homme et qu’elle décide de le garder, sa compagne Clara veut qu’elle avorte : « Compte pas sur moi pour être la complice de ta trahison. »

 
 

d) Les « familles » hétéros, les « familles » homos : pas une pour rattraper l’autre :

 

Je vous renvoie aux codes « Bobo » et « Milieu homosexuel paradisiaque » (avec la partie sur la « Bande de copains ») de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

L’Ennemi n°1 pour beaucoup de personnes homosexuelles est l’« important lobby familial […] qui fait la synthèse du familialisme d’Église et du familialisme d’État. » (cf. l’article « France » de Pierre Albertini, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 182). Elles utilisent l’expression « lobby familialiste catholique » (idem, p. 186) comme un étendard diabolique pour s’opposer à tout discours tendant à défendre la vie et la famille réelle. Et les lois pro-gay touchant à la filiation (PaCS, adoption homoparentale, mariage gay) sont des moyens détournés de détruire ce « diable » dont elles ne connaissent finalement pas les beautés : « Le PaCS est une revanche sur la famille, un mariage masqué et démasqué. » (Michel Schneider, Big Mother (2002), p. 247)

 

Par exemple, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, l’hétérophobie est très marquée dans le discours des femmes interviewées.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, au lieu de dénoncer et de réparer les familles disloquées, ne se basent que sur les mauvais exemples de familles qui les entourent, et décident de se venger de la famille réelle (confondue avec la famille médiatique) en cherchant à construire par leurs propres moyens (l’art, le sentiment, la science, les manipulations génétiques, l’amitié…) une « transfamily », tout aussi artificielle, commerciale, sentimentaliste, réifiante, et violente, que la famille publicitaire qu’elles abhorrent. « Moi qui suis une enfant de divorcés, je ne suis absolument pas persuadée que le bonheur soit garanti par le modèle d’un couple hétérosexuel. Parce que la famille ne ressemble plus à ça. Aujourd’hui, on parle de ‘familles’ au pluriel. » (Adeline Hazan concernant l’homoparentalité, dans la revue Têtu, juin 2002) ; « Famille modèle unique, je te hais. Familles multiples, je vous aime. » (Jan-Paul Pouliquen cité dans la revue Triangul’Ère 1 (1999) de Christophe Gendron, p. 18) ; « Après avoir représenté l’Enfer, la famille devient un Paradis Perdu. Ou un Enfer Perdu, mais en tout cas Perdu. » (Copi à Paris en août 1984 dans la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 90) Cette transfamily se veut un dépassement et une ouverture de la famille dite « traditionnelle » (qui n’a de traditionnelle que le nom, surtout aujourd’hui où, en France, plus de la moitié des enfants naissent hors-mariage). C’est pourquoi beaucoup de ses promoteurs ne se sentent pas « anti-famille » puisqu’ils « proposent » une famille travestie à la place de la vraie famille de sang et d’amour. Il est question de « famille ouverte » (cf. l’article « Famille » de Philippe Masanet, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 170), de famille « d’orientation sexuelle » (le dramaturge français Jean-Luc Lagarce parle de la communauté homosexuelle comme d’une « seconde famille choisie », dans la postface de sa pièce Le Pays lointain, 1999). À coup de comparaisons, de pluriels, de métaphores poétiques, de syllogismes rapides (philosophie nominaliste, quand tu nous tiens…), de conditionnels et de subjonctifs, certains apprentis sorciers homosexuels, voulant jouer avec la réalité symbolique et corporelle de la famille, arrivent peu à peu à se convaincre qu’ils « s’aiment bien », qu’ils sont finalement « très attachés les uns aux autres », qu’ils sont « un peu/exactement comme une famille » (à part qu’ils ne peuvent pas faire d’enfants… encore que, maintenant, avec les progrès de la science, on arrivera bientôt à transformer le couple homosexuel non-procréatif en couple procréatif… On y croit !) : « C’est une forme d’amour, tu es de ma famille. » (Catherine à son « ex » Paula dans l’essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 167) ; « Marie a 10 ans et une famille résolument moderne : conçue par deux hommes et deux femmes, tous homosexuels et aujourd’hui tous séparés, elle a deux papas, deux mamans, un beau-papa, une belle-maman, et une poignée de frères et sœurs. Fêter Noël en famille, dans ces conditions, tient presque de l’exploit. » (cf. le commentaire du film « Mon arbre » (2011) de Bérénice André, sur la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris) ; etc.

 

Lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris le 7 décembre 2011, Darren Rosenblum, jeune avocat ayant obtenu une petite fille par GPA avec son compagnon, se met à défendre une famille qui existerait sans lien du sang, sans corps sexués… Selon lui, la famille se réduirait à endosser – et à interchanger – des « rôles de père » ou des « rôles de mère » : « Je trouve que ces rôles de père ou de mère ne sont pas essentiels. Si dans une famille un homme veut être la mère, il doit pouvoir le faire. ». Il propose d’instaurer à échelle mondiale une « parentalité androgyne » et parle de « désexuer la parentalité ». À propos des qualificatifs de « père » et de « mère », il déclare avec une douceur inappropriée au délire prononcé : « Le sens de ces termes, je pense, va fondre. » Et il fait passer son déni de Réel pour une incroyable invention que le Vieux Continent ne pourrait pas encore comprendre car il n’y serait pas « culturellement préparé » : « Il y a un potentiel de jeux de rôles qui se développe dans les familles homoparentales. […] La parentalité, chez nous aux États-Unis, c’est aussi quelque chose de culturel. » Le Meilleur des mondes : nous y sommes presque…

 

Fréquemment, dans les moments de lassitude conjugale, certaines personnes homosexuelles s’imaginent même fonder une grande famille LGBT élargie aux amis (…et enfants des amis, ou les amants avec la famille de sang), vivant une vie communautaire Flower Power à la campagne dans une grande baraque retapée (« Pourquoi pas faire une ferme-auberge dans le Larzac ? ») : « Angéla était une belle fille d’une trentaine d’années qui voulait former un groupe de goudous. Elle détestait aller traîner en boîte à des heures indues et préférait participer à des petites bouffes entre copines, faire des randonnées, bref vivre au grand jour. Son projet m’a enthousiasmée et je l’ai rassurée que je serais un des piliers de son groupe. Je rêvais, moi aussi, comme beaucoup de mes semblables, d’une grande famille amicale où, peut-être, il me serait possible de rencontrer un jour l’âme sœur. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 208) ; « L’idée nous est venue que nous pourrions, à notre retraite, acheter chacune une maison dans un hameau, et être à l’origine d’une oasis pour goudous. » (p. 239)

 

Par exemple, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, le rêve de Xavier (père de Patricia), homosexuel et ancien homme marié, c’est que tous ses amants et sa famille vivent sous le même toit ; la réalisatrice, en entrecoupant les interviews d’images de ferme et de campagne, essaie de faire passer les distorsions de sa propre famille, et la revendication irréaliste et violente de Xavier, pour quelque chose de naturel, de merveilleux.

 

Ce genre de projets « familiaux » ambitieux, en général, ne durent que le temps d’un coup de tête, des vacances, d’une croisière « gay », ou d’une « université d’été »… et ne constituent pas une « mafia » si soudée que certains propos homophobes le laissent entendre : « En face de la ‘maffia rose’ de ceux qui ‘en sont’, de la ‘grande famille’, de l’inconsciente et toute-puissante franc-maçonnerie des pédérastes, les jeunes n’hésitent plus : pour réussir, ils s’enrôlent, eux aussi. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 18)

 

Cependant, ne nous y trompons pas. En parlant de « famille » pour le couple homo (+ enfants ou + amis), nous rentrons déjà dans un discours mythomane. Par exemple, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, un passant interviewé dit à juste raison que le couple homosexuel (marié + enfant(s)), « c’est une caricature de la famille ».

 

En réalité, beaucoup de personnes homosexuelles ne font pas mieux que la famille hétérosexuelle avec leur « famille parallèle ». Du point de vue du désir et des réalités fantasmées, la famille homosexuelle et la famille hétérosexuelle composent un seul et même groupement humain, fragile, triste et violent, proche (en attitudes) de la famille-objet, malheureusement super bien assorti, comme le montre la chanson du générique de la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand : « Unhappy Girl, Unhappy Boy, Unhappy Son. » C’est la famille télévisuelle sous forme de kaléidoscope – donc au final la « famille hétérosexuelle de supermarché » avec quelques misérables modèles standards un peu différents qui donnent l’illusion de diversité – qui est inconsciemment défendue à travers la « famille » homosexuelle.

 

Et concrètement, dans les structures dites « familiales » conduites par un couple homosexuel (de temps en temps accompagné des enfants de l’un des deux partenaires), vivant parfois effectivement des bienfaits de la paternité adoptive (mais non des bienfaits de la paternité biologique désirante), je ne pense pas que le désir soit aussi fort que dans une famille de sang et d’amour.

 

Ce n’est pas tant le mariage qu’une poignée de militants homosexuels réclame à travers la loi sur le « mariage homosexuel », que l’équivalence de réalités symboliques et amoureuses entre le couple femme-homme aimant et le couple homosexuelle… et cela, ils ne l’auront jamais, que la loi soit votée ou non. C’est une question de Réalité des corps et de reconnaissance de l’Incarnation, non une question de lois sociétales, de sincérités, et de bons sentiments.

 

Derrière l’argument de l’amour, la motivation matrimoniale homosexuelle est avant tout légaliste, très peu éthique et humaniste : « On veut être reconnus comme une famille par la loi, pas que par les cœurs. » (Francine et sa compagne Karen, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger)

 

Dans son essai Homoparenté (2010), le psychanalyste Jean-Pierre Winter montre combien le couple homosexuel vient mettre symboliquement à mal la famille rien qu’en décrivant les nombreuses fois où il a observé dans les faire-parts de PaCS entre deux personnes de même sexe la disparition du nom de famille des signataires (p. 207).

 

Je tiens à préciser, pour finir, que ce n’est pas parce que je relève que la baisse de désir ou la haine de la famille sont concomitantes au rejet de la différence des sexes consubstantiel à tout couple homosexuel sans exception, que je soutiens par ailleurs que les deux partenaires – gay ou lesbiens – de ce couple, pris séparément, et agissant dans une autre structure conjugale amoureuse, feront de mauvais parents ou des ennemis de la famille. C’est bien uniquement des défauts et des faiblesses de la structure conjugale homosexuelle que je critiquais en priorité dans ce chapitre. Mais si je m’étais situé d’un point de vue individuel, bien évidemment que j’aurais dit qu’une personne homosexuelle, dans une union autre qu’homosexuelle ou hétérosexuelle, peut être étonnamment aimante, voire même un bon père ou une bonne mère. Et quand elle est père ou mère au sein d’une structure homosexuelle, elle peut de toute façon apporter à un enfant les bénéfices de la paternité adoptive, qu’elle soit le vrai père/la vraie mère biologique de l’enfant ou simplement le père/la mère adoptif/adoptive.

 
 

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Code n°86 – Hitler gay (sous-code : Nazis homosexuels)

Hitler

Hitler gay

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

Le Point Gaydwin :

Stratégie de ridiculisation méprisante et dévirilisante de l’ennemi

ou fond de réalité?

 

Ne fuyez pas en courant comme ça ! Ne criez pas avant d’avoir mal. Ce code n’a rien d’homophobe, de diabolique, de malsain. Pas la peine de coucher les enfants, de rentrer dans votre abris anti-nucléaire, d’appeler la police anti-extrémistes, ni de sortir vos crucifix. Cet article ne fait qu’œuvre de mémoire, et libère de certaines peurs, en plus. Une fois que vous l’aurez lu, je parie que vous baisserez la garde de votre scepticisme anti-homophobie (si jamais vous avez la chance de ne pas faire partie de cette énorme frange de la population française que sont les paranoïaques anti-fascistes), et vous me direz : « Et bien oui, en effet, il existe vraiment un lien entre Hitler et le désir homosexuel. On a tant à apprendre sur l’homosexualité ! On n’y connaît rien… ».

 

HITLER 2 Casquette rose
 

Car oui, ces liens de coïncidence sont criants, même s’ils sont peu connus. Pensez par exemple que dans les années 1930, les sections de S.A. en Allemagne ont été reconnues comme un foyer d’homosexualité ; la ville de Berlin était la capitale européenne la plus rainbow qui ait existé ; beaucoup de témoignages relatant des pratiques homosexuelles nous reviennent des prisonniers des camps de concentration ; toute la fantasmagorie nazie était centrée esthétiquement sur l’homosexualité ; on dit même qu’Hitler était homosexuel ; et encore aujourd’hui, le mouvement punk ou néo-nazi est affilié à la communauté homosexuelle ; la figure du soldat nazi reste une icône gay et lesbienne incontournable. Je vais aborder chacun de ces points plus en détail dans mon article. Mais vous voyez déjà qu’à eux seuls, ils appellent à beaucoup d’explications et d’étayage !

 

Je me souviens du jour (c’était le 14 octobre 2010) où j’ai parlé de ce code à l’émission Homo Micro, dans les studios parisiens de RFPP. Même si je m’y attendais un peu, j’avais été quand même frappé de l’ignorance, de la bêtise, et du déni des quelques chroniqueurs qui m’entouraient, et qui, quoi que je dise, n’avaient pas envie de se laisser surprendre… Notamment, il y a eu la réaction épidermique et gentiment suspicieuse de Séverine, la chroniqueuse juive. Je prononçais le mot « Hitler », et c’était comme si, à leurs yeux, je ressuscitais magiquement le personnage, je le défendais, pour un peu je l’incarnais ! Pour eux, il ne fallait pas que mon topo dure trop longtemps. J’en avais déjà trop dit. J’avais osé prononcer le mot diabolique : « Hitler ». Et c’était impardonnable. Ce rapport superstitieux au nazisme (je dis superstitieux car malheureusement, il n’est pas que naïf ; il dit l’obscurantisme anti-fascisant dans lequel notre époque s’engouffre petit à petit sans s’en rendre compte, en faisant lentement le lit des extrêmes), ce rapport blessé, lâche, m’énerve autant qu’il m’inquiète, car si vraiment nous ne rentrions pas dans le jeu actuel des nouveaux nazismes, nous oserions justement regarder le nazisme historique en face, nous n’en aurions pas peur. Oui : on peut posséder Mein Kampf dans sa bibliothèque (ce qui n’est pas mon cas) sans pour autant penser comme Hitler et épouser ses idées. Si si, je vous assure. Tout comme il est possible de rencontrer des personnes qui imitent en actes et en pensées Hitler alors même qu’elles s’affichent orgueilleusement anti-Hitler (je connais beaucoup de néo-fascistes de ce genre : à commencer par Hitler lui-même, qui voulait lutter contre une République de Weimar qu’il diabolisait). Et je vous rappelle aussi qu’Hitler est bien un homme, comme vous et moi : ce n’est pas le diable en personne, un animal, un esprit invisible, un nuage de fumée, ni un extra-terrestre, mais bien un être humain (je préfère vérifier cela avec vous en préambule au cas où, parce qu’un jour que je faisais cours à une classe d’élèves de terminale, je me suis amusé à leur demander s’ils pensaient qu’Hitler avait existé : une poignée d’étudiants reconnaissait timidement son incarnation humaine, mais beaucoup me soutenaient mordicus que ce n’était pas un être humain puisqu’il avait agi comme un monstre). Nos intentions anti-fascisantes et nos rêves totalitaristes d’éradication absolue du mal raccourcissent parfois notre mémoire et notre bon sens à une vitesse effrayante. Anders Behring Breivik nous l’a bien montré…

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Adeptes des pratiques SM », « Parodies de mômes », « Défense du tyran », « Homosexuel homophobe », « Homosexuels psychorigides », « Patrons de l’audiovisuel », « Androgynie Bouffon/Tyran », « Entre-deux-guerres » et « Milieu homosexuel infernal », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Il suffit de s’intéresser un peu à la production artistique homosexuelle de la seconde moitié du XXe siècle, et même d’écouter les personnes homosexuelles d’aujourd’hui, pour être frappé d’une chose : ils se réfèrent tous énormément à la figure de l’Hitler gay. Que ce soit sur le mode de la diabolisation ou de la dérision, peu importe : le ridicule épouvantail à moineaux existe, et cache de nombreux secrets.

 

Pièce "The Producers" de Mel Brooks

Pièce « The Producers » de Mel Brooks


 

Surtout de nos jours, on ne prend malheureusement pas le phénomène assez au sérieux – ou bien, ce qui revient au même, on le prend trop au sérieux pour véritablement l’aborder avec dépassion et objectivité. En général, l’homosexualisation d’Hitler ou l’attrait pour les Nazis est présentée sur le mode de la farce, de la grosse blague potache (SM), voir comme une compromission politique (cf. la récente passion pour les cérémonies de commémoration des triangles roses) : on rabaisse le dictateur pour mieux démystifier le personnage. Alors, on me rétorquera que la dévirilisation d’Hitler dans les fictions – comme on peut la voir dans l’exemplaire film de Charlie Chaplin, « Le Dictateur », en 1940 – n’est pas à voir comme une Vérité sur Adolf Hitler : elle est surtout une technique bien connue de dévalorisation ou de ridiculisation de l’Ennemi. Certes. Je suis d’accord à 75%. Mais l’argument du « second degré » a bon dos. Je ne crois pas totalement à la toute-puissance démystificatrice de l’humour corrosif et militant, car derrière la caricature, il y a bien souvent une adoration muette, qui ne s’avoue pas à elle-même, une imitation et une collaboration secrètes qui en surprendra plus d’un. Certains faits parlent pour nous.

 

Film "The Dictator" de Charlie Chaplin

Film « The Dictator » de Charlie Chaplin


 

HITLER 14 Chaplin 2

Dans la blague, il y a toujours un fond de vérité. Et historiquement, la collaboration sérieuse avec Hitler et les Nazis a réellement existé. Oui. Les tyrans qui ont le plus persécuté la communauté gay étaient particulièrement entourés de personnes homosexuelles. Comme le dit Patrice Chéreau, « Nous sommes un peu comme le Dom Juan de Molière : nous avons développé une morale progressiste, mais nous, nous sommes toujours du côté des maîtres. » Beaucoup de personnes homosexuelles connaissent mieux que quiconque les mécanismes des systèmes dictatoriaux. Le seul problème, c’est qu’au lieu de les dénoncer, elles les adorent. Certaines se sont concrètement agenouillées devant les beaux soldats allemands (Maurice Sachs, Marcel Jouhandeau, Abel Hermant, Pierre Drieu la Rochelle, Abel Bonnard, Suzy Solidor, etc.), et expriment parfois leur amour-répulsion pour le régime nazi, à la fois dans l’humour camp, mais aussi très sérieusement : « Je ne peux pas m’empêcher d’avoir pour Hitler une admiration pleine d’angoisse, de peur et de stupeur » déclarera André Gide (cf. Journal, le 20 août 1940). Par exemple, au générique de son film « Passion » (1964), Yasuzo Masumara écrit le mot passion à côté d’une énorme croix gammée rouge : difficile d’être plus clair…

 

Par rapport à ce lien entre Hitler et l’homosexualité, en général, la communauté homo réagit mal. Très mal. En temps normal, par réflexe de survie, elle fait l’autruche (cf. l’édito « Hitler et les Talibans » de Thomas Doustaly, dans la revue Têtu, n°60, novembre 2001). Et puis, de temps en temps, elle s’insurge et sort les crocs sans chercher à comprendre la violence de son déni. Dès que la corrélation entre homosexualité et totalitarisme est faite, cela provoque un tollé fascinant dans les rangs de l’intelligentsia homosexuelle. « Problème sociologique : pourquoi tant de pédérastes chez les collaborateurs ? » s’indigne Jean Guéhenno (cf. l’article « Écrivains et Collaboration » d’Emmanuel Pierrat, dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 123). Certains intellectuels évacuent presque systématiquement le lien de coïncidence homosexualité-nazisme par le rejet pourtant justifié du lien de causalité. « Il est évident qu’il y avait des homosexuels parmi les nazis ou, inversement, des nazis parmi les homosexuels, mais cela ne signifie rien en soi. L’idée d’un lien intrinsèque entre adhésion au nazisme et orientation homosexuelle est si paradoxale… » (cf. l’article « Nazisme » de Michel Celse, idem, pp. 334-338.). Ils s’imaginent qu’ils fuient l’extrémisme d’où ils viennent, en choisissant celui qui lui est opposé. En réalité, ils passent souvent d’un fondamentalisme à un autre, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Nous ne serons pas étonnés de lire André Gide écrire dans Morceaux choisis (1921) que « les extrêmes le touchent ».

 

Il faut avouer qu’il y a en effet quelque chose d’incompréhensible dans le soutien homosexuel au totalitarisme, une attitude de défense/déni comparable à celle du personnage de Molina dans le roman de Manuel Puig El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) face au film nazi « Destin » (pp. 58-59), une curieuse fascination qui refuse de se rendre intelligible :

 

Molina« Si l’on me donnait à choisir un film, rien qu’un film à revoir, c’est celui-là que je choisirais.

Valentín – Mais pourquoi ? C’est une ordure nazie. Tu ne t’en rends pas compte ?

Molina – Écoute… il vaut mieux que je me taise. »

 

Vidéo-clip de la chanson "Dégénération" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer


 

Cette attraction homosexuelle vers la dictature suit majoritairement une logique esthétique et intentionnelle plus qu’une dialectique intentionnée et raisonnée d’Amour et de Réalité. Tout risible qu’il soit, le fantasme de l’uniforme et des attributs physiques de l’hyper-virilité nazie dans la communauté homosexuelle est assez marqué : pensez à Helmut Berger dans le film « Les Damnés » (1969) de Luchino Visconti, à la getapiste lesbienne dans le film « Rome ville ouverte » (1945) de Roberto Rossellini, au film « Les Dieux du stade » (1936) de Leni Riefenstahl, aux sculptures d’Arno Breker, à la coupe érotique des uniformes S.S. reprise par Calvin Klein ou Hugo Boss, aux dessins de Tom of Finland ou de Roger Payne, aux films pornos mettant en scène des néo-nazis, etc. (même le vidéo-clip de la chanson « Alejandro » de Lady Gaga, ou bien celui de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, utilisent un traitement esthétique homosexualo-nazi). Vous connaissez sûrement la fameuse citation de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête ». Quand les personnes homosexuelles ne prennent pas conscience de la nature totalitaire et idolâtre de leur désir homosexuel, parce qu’elles veulent rester d’innocentes victimes responsables de rien, il arrive qu’elles cherchent à imiter en actes l’image du tyran qu’en intentions elles prétendent sincèrement combattre.

 

En effet, toutes ces images de l’Hitler gay rejoignent une certaine réalité fantasmée. Souvent dans l’histoire humaine, le dictateur et la personne homosexuelle ont fusionné concrètement. Par exemple, dans les années 1930, le régime nazi est touché de plein fouet par la découverte d’un foyer important de personnes homosexuelles au sein des Sections d’Assaut (Hitler en fait exécuter 150 le 30 juin 1934 pendant la Nuit des Longs Couteaux) : leur représentant le plus connu est Ernst Röhm. En Allemagne, les idées d’extrême droite et l’idéal homosexuel se marièrent très bien : pensons à Adolf Brand (qui fonda la revue homosexuelle Der Eigene), à la Communauté des Spéciaux (Gemeinschaft der Eigene), à l’Association masculine allemande (Männerbund) marquée par une esthétique-idéologie homo-érotique, à Hans Blüher qui projette la création d’une société fondée sur un État viril. Même si de fameux dictateurs ont persécuté les personnes homosexuelles, ils étaient contre toute attente eux-mêmes homosexuels. Ceux qui ont vécu les camps de concentration sont formels : beaucoup de leurs tortionnaires nazis étaient homosexuels (je pense au témoignage d’Aimé Spitz notamment). Toute la mystique hitlérienne était fondée sur l’homosexualité. L’historien italien Eugenio Dollmann aborde l’homosexualité d’Hitler dans Roma Nazista. Par ailleurs, en 2001, Lothar Machtan a consacré un ouvrage entier à l’homosexualité d’Hitler dans sa biographie La Face cachée d’Adolf Hitler. Cette thèse déchaîne bien évidemment les foudres de la communauté homosexuelle actuelle. À quoi bon montrer qu’Hitler était homosexuel ?, s’indigne-t-elle. Cela ne rajoute rien à l’horreur du personnage, et de surcroît, ne fait que charger inutilement la barque des personnes homosexuelles et convaincre l’opinion publique que l’homosexualité produit des dictatures et des monstres. On peut difficilement soutenir une telle affirmation. À mon sens, il importe peu que l’hypothèse soulevée par le livre de Lothar Machtan soit avérée ou non, puisque, même s’il est fort probable qu’Hitler a été une personne homosexuelle refoulée (quand on lit en intégralité la longue biographie en 2 tomes rédigée par l’historien Ian Kershaw – un ouvrage complètement neutre sur la question de l’homosexualité du Führer –, il ne fait aucun doute en effet que la vie d’Hitler comporte de nombreuses coïncidences de l’homosexualité relevées dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), il est impossible d’assurer qu’il était l’incarnation humaine de « l’homosexuel » ou de « la personne homosexuelle » étant donné que ces deux personnages sont au mieux des mythes, au pire des réalités fantasmées que personne n’arrivera jamais à devenir complètement. C’est précisément le refus de la probabilité qu’Hitler ait pu être homosexuel, non pas parce qu’il était entièrement homosexuel mais simplement du fait de son humanité, qui est inhumain et homophobe. Comme le souligne très finement Gerald Messadié, « ce menteur dissimulait non pas un vice, mais ce qu’il était contraint de tenir pour un vice : son homosexualité. D’où son inhumanité ». Messadié soutient l’idée selon laquelle le rapport idolâtre d’attraction-haine concernant le désir homosexuel, c’est cela qui est inhumain et monstrueux, et non l’homosexualité en elle-même. Reconnaître les tendances homosexuelles d’Hitler, c’est finalement rendre l’homosexualité beaucoup plus humaine et moins monstrueuse que de la nier dans l’angélisme et la diabolisation d’un être humain historiquement figé au rang de « non-personne ». L’anti-fascisme homosexuel est une autre forme de négation du désir homosexuel. Il conduit tout autant à la dérive totalitaire et homophobe que le despotisme montré en tant que tel dans les manuels d’Histoire. Regardez le « milieu homosexuel » actuel, et ses chiens de garde hargneux…

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

Film "Grégoire Moulin contre l’humanité" d’Artus de Penguern

Film « Grégoire Moulin contre l’humanité » d’Artus de Penguern


 

On retrouve un lien entre homosexualité et Hitler dans la chanson « Le Bâtard de Rhénanie » de Jann Halexander, la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, le film « Radiostars » (2012) de Roman Lévy, le film « Novembermund » (« Lune de novembre », 1984) d’Alexandra von Grote, le film « Croix de fer » (1977) de Sam Peckinpah (avec Maximilian Schell, le capitaine nazi), le vidéo-clip de la chanson « Alejandro » de Lady Gaga, le concert d’Indochine Météor Tour à Bercy le 16 septembre 2010 (où il est énormément question d’Hitler), le roman Les Nouveaux nouveaux Mystères de Paris (2011) de Cécile Vargaftig (avec les camps de concentration), le film « Horror Vacui, Die Angst Vor Der Leere » (1984) de Rosa von Praunheim, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman (avec le salut nazi d’une Hitler-mère), le film « Megavixens » (1976) de Russ Meyer (avec Adolf Schwartz, sosie de Hitler, dévoré par un piranha), le tableau L’Énigme d’Hitler (1937) de Salvador Dalí, les films « Ilsa, She-Wolf Of The SS » (1974) et « Ilsa, gardienne du harem » (1976) de Don Edmonds, le film « K29 – Lager Di Sterminio » (1974) de Bruno Mattei, le film « Crime de David Levinstein » (1968) d’André Charpak (avec les tortionnaires nazis), le film « Chaque mercredi » (1966) de Robert Ellis Miller, le film « Chute libre » (1993) de Joel Schumacher, le film « American History X » (1998) de Tony Kaye (avec le personnage du néo-nazi), le film « Prinz In Hölleland » (« Prince en enfer », 1992) de Michael Stock (sur le néonazisme), le film « Oi ! Warning ! » (1999) de Dominik et Benjamin Reding, le film « Tu marcheras sur l’eau » (2005) d’Eytan Fox (avec le grand-père collabo), la chanson « Ce soir on danse au Naziland » de Sadia dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, le roman L’Autre (1971) de Julien Green, le film « Les Nuits fauves » (1991) de Cyril Collard (avec le traitement du néonazisme), le film « Allemagne année zéro » (1948) de Roberto Rossellini, le film « La Cinquième Colonne » (1942) d’Alfred Hitchcock, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, le film « Le Conformiste » (1970) de Bernardo Bertolucci, le film « Exodus » (1960) d’Otto Preminger, le film « Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? » (1966) de Blake Edwards, le film « Gripsholm » (2002) de Xavier Koller, « L’Alcova » (1985) de Joe D’Amato, le film « La Niña De Tus Ojos » (« La Fille de tes rêves », 1998) de Fernando Trueba, le film « Sekret » (2012) de Prezemyslaw Wodcieszek, le roman Les Bienveillantes (2006) de Jonathan Littell, le roman Goodbye To Berlin (1939) de Christopher Isherwood, le film « La Folle Histoire de Max et Léon » (2016) de Jonathan Barré (avec le cabaret nazi), la chanson « Chanson de l’armée allemande » de Maurel et Vilbert, la chanson « Espionne » de Catherine Lara, etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Alejandro" de Lady Gaga

Vidéo-clip de la chanson « Alejandro » de Lady Gaga


 

Parfois, le thème d’Hitler semble tomber comme un cheveu sur la soupe dans l’intrigue homosexuelle d’un film ou d’un roman. « Les Français connaissent mal l’Autriche… à part Freud, Sissi, Hitler, Mozart, Mozart… Arnold Schwarzenegger ! » (Nicolas, l’un des héros homos du film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « La police se ramollit. Pas de croix gammée au défilé. » (Mark, le chef LGBT regrettant ironiquement que la Gay Pride n’ait pas été attaquée par les forces de l’ordre britanniques, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Le véritable amour à ceci de commun avec le crime contre l’Humanité qu’il est imprescriptible. » (Guillaume, le héros homosexuel, parlant de son amour pour Michael et du nazisme, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « C’est la guerre. Vous êtes des Nazis. » (Madame Albright, la prof de théâtre lesbienne du lycée, s’adressant à ses élèves et à Simon, le héros homo, pendant qu’il joue la comédie musical Cabaret, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; « Ça fait Hitler qui va draguer un mec. » (l’humoriste « hétéro » Arnaud Demanche se mettant dans la peau d’un internaute, dans son one-man-show Blanc et hétéro, 2019) ; « L’oncle Adolf s’était déjà flingué, son Eva l’avait accompagné, des fois qu’il aurait voulu draguer. Qui sait si, Là-Haut, il n’y a pas de folles ! » (c.f. la chanson « Et mon père » de Nicolas Peyrac) ; etc. Par exemple, dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, Loïc, le héros homosexuel inculte, venu visiter le Muséum d’Histoire Naturelle de sa meilleure amie Marie, prétend s’intéresser à « l’hitlérisme », et feuillette une encyclopédie pour rechercher des informations sur Hitler. Dans le roman Le Contenu du silence (2012) de Lucía Etxebarría, il est question de la présence nazie aux Canaries. Dans le film « ¿ Qué he hecho yo para merecer esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar, le Professeur propose à Antonio de réaliser une contrefaçon hitlérienne : « J’ai repensé aux fausses lettres d’Hitler et j’ai eu une idée de génie ! J’écris les mémoires d’un dictateur. Avec quelques retouches, ce dictateur pourrait être Hitler. J’écris le texte, ensuite vous le recopiez avec l’écriture d’Hitler. Quand ils apprendront que nous avons en notre pouvoir les véritables mémoires du Führer, on obtiendra ce qu’on voudra ! Je vous parle de millions, bien sûr ! » Dans la B.D. Pressions & Impressions (2007) de Didier Eberlé, un parallélisme entre les écrits nazis et la presse homosexuelle est fait : les collègues de Martial, le personnage « homophobe » qui rechigne à imprimer la revue gay que son entreprise d’impression doit tirer à des milliers d’exemplaires, lui font cette drôle de remontrance : « Ce n’est pas Mein Kampf non plus ! » (p. 3) La figure d’Hitler hante toutes les pages du roman La Vie est un tango (1979) de Copi, sans que le lecteur sache réellement pourquoi (car il n’est même pas fait véritablement mention des foyers d’expatriés nazis en Amérique du Sud…). À un moment, on nous informe qu’Hitler est en train d’envahir la Hollande. Un peu plus tard, le journaliste Semillita, caricaturiste du journal La Crítica, a une curieuse de manière de rendre hommage à la mort d’un homme appelé Silberman : « Silvano [le héros homosexuel] vit la caricature de Silberman à quatre pattes, le pantalon retroussé ; Hitler lui introduisait une croix svastique dans le postérieur. » (p. 72) Quand la deuxième proposition de dessin figurant Hitler arrive entre les mains d’Horacio, le directeur de rédaction, on craint l’infiltration nazie au sein du journal : « Nous ne pouvons pas titrer avec Hitler une deuxième fois dans la semaine ! » (Horacio, idem, pp. 35-36) Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, concernant l’échelle de Kinsey (barème d’homosexualité), Arnaud, l’un des héros homo, s’exclame : « C’est pas un truc inventé par les Nazis pour attraper les chiens errants ! » ; « Ça, c’est pas nazi ? » ; etc. Le Dr Katzelblum qui lui a soumis cette échelle qui va de 0 à 6, situe Arnaud à 6 parce que ce dernier ne s’assume pas homo : « Et vous, vous êtes un 6 allemand, un Nazi. » Dans le roman Les Bienveillantes (2006) de Jonathan Littell, Maximilian Aue, officier SS et grand massacreur de juifs, est homosexuel. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas et François, les deux amants, reviennent de la « Soirée Mousse » organisée par leur ami Paul complètement bourrés : ils portent encore chacun sur le front le post-it du jeu auquel ils ont participé, et essaient de deviner quel personnage célèbre ils incarnent. À un moment, le jeu tourne mal puisque François porte le post-it « Adolf Hitler ». Thomas a tout le mal du monde à lui faire deviner qui il est : « Je suis une personne d’origine allemande. Et je porte des bottes en cuir. » François, sans le vouloir, confond le Führer et le couturier allemand homo Karl Lagerfeld : « Oh nan, pas lui ! Pas Karl Lagerfeld ! » Dans le film « Sing » (« Tous en scène », 2016) de Garth Jennings, Gunther, le cochon homosexuel, a un accent allemand prononcé. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, pendant le cours d’histoire, Nathan simule un malaise alors que le prof parle de l’accord (pacte de non-agression) entre Hitler et Staline pendant la Seconde Guerre mondiale, pour être amené à l’infirmerie par son futur amant Jonas.

 

Quant au film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, il a choisi comme cadre fictionnel de l’intrigue amoureuse homosexuelle entre les deux jeunes adultes Matthieu et Jan la station balnéaire désaffectée de Prora, fondée par les Nazis. Les amants figurent bien le double mouvement paradoxal qui caractérise le rapport idolâtre des personnes homosexuelles avec le nazisme : Matthieu (le Français) trouve Prora « beau » alors que Jan (l’Allemand) est révulsé par le lieu.

 

Dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, Petra, l’héroïne lesbienne allemande, sait que les sous-sol de l’immeuble où son frère Tielo et sa femme habitent sont d’anciens lieux de torture nazie : « Les nazis utilisaient le ‘Wasserturm’ comme prison pendant la guerre. Ils torturaient les gens dans le sous-sol. » (p. 36-37) L’idée qu’il puisse exister des fantômes nazis dans les catacombes d’habitations modernes fait froid dans le dos à son amante Jane (« J’aimerais pas être à leur place. ») qui se met à craindre pour leur immeuble berlinois à elle et Petra. Cette dernière lui rétorque agressivement : « Qu’est-ce que tu préfèrerais ? Qu’on se torture pour les péchés de nos ancêtres ? Mon grand-père était un nazi. Tu veux que je me suicide ? »

 

Il arrive que le personnage homosexuel soit comparé (ou se compare) à Hitler. « Mes initiales sont bizarres : S. S. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) Par exemple, dans la série Queer As Folk (version britannique, saison 3), l’efféminement d’Alexander est associé au dictateur : « Je te préviens : Alexander est un peu maniéré. Enfin, ‘un peu’… c’est comme dire ‘Hitler était un peu vache’. » Dans le roman Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, Valentín, au moment où il s’homosexualise progressivement, se défend de ressembler à Hitler : « Je ne suis pas un bavard qui parle politiquement dans les bars, non ? » (p. 46) Dans le film « Una Gionata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, la collaboration entre Mussolini et Hitler sert de toile de fond et de métaphore de l’homosexualité de Gabriele.

 

"Tilter"

« Tilter »


 

Très souvent, les Nazis ou Hitler sont féminisés ou homosexualisés : cf. le film « Les quatre cavaliers de l’Apocalypse » (1921) de Rex Ingram (avec les soldats allemands homosexuels), la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone (avec l’Hitler homosexuel), la pièce Grand’ peur et misère du Troisième Reich (2008) de Bertold Brecht (avec l’allusion à l’homosexualité des S.A.), le film « Deseo » (2002) de Gerardo Vera (avec la lesbienne pro-nazie), la pièce Le Roi des Aulnes (1970) de Bernard-Marie Koltès (avec le héros nazi et homosexuel), le film « Rome ville ouverte » (1945) de Roberto Rossellini (avec la getapiste lesbienne), le film « La Grande Vadrouille » (1966) de Gérard Oury (avec le fils de Michèle Morgan travesti en bavaroise), etc. « Tu aurais pu être né en Bavière, en Basse-Saxe ou en Rhénanie, t’engager dans les Jeunesses avec tous les copains, te sentir très tôt un peu différent, caresser le torse imberbe de Franz sous les douches, le retrouver la nuit tombée dans sa couchette, devenir officier, ne jamais porter de triangle rose ou violet, être promu commandant, exterminer des homosexuels, coucher avec des garçons. Mais tu es né en France, tu es né juif, tu voulais être chimiste et rejoindre de Gaulle. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 110) ; « Les hommes à moustache sont des pédales ou des fachos, quand c’est pas les deux à la fois. » (Rossy De Palma en Juana dans le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar) ; « Ma petite chochotte nazie ! » (Matthieu s’adressant à son futur amant allemand Jan, dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser) ; « Les Nazis étaient des enculés. » (Kévin dans le film « Die Welle », « La Vague » (2009) de Dennis Gansel) ; etc.

 

Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, dans le club homo, il y a des soirées « Nuit de la Police » SM où tous les clients sont déguisés en flics, en Nazis. Dans le film « OSS 117 : Rio ne répond plus » (2009) de Michel Hazanavicius, on assiste à une scène de cabaret dans laquelle le méchant nazi, Heinrich, fait sa diva homosexuelle. Le film « Les Damnés » (1969) de Luchino Visconti dépeint les orgies homosexuelles des S.A. où certains soldats se travestissent. Dans la pièce Les Z’Héros de Branville (2009) de Jean-Christophe Moncys, il est question d’un « blondinet nazi en tutu ». Le film « Titler » (1999) de Jonathan Bekemeier montre la fusion étrange entre une cantatrice et le célèbre dictateur. Dans le film « The Producers » (« Les Producteurs », 1968) de Mel Brooks, deux escrocs montent une comédie musicale à Broadway, Springtime For Hitler, célébrant le grand retour d’un Hitler homosexuel gravitant dans un milieu artistique rempli de folles tordues. Dans son film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975), Pier Paolo Pasolini a souhaité faire de ses quatre bourreaux des répliques de chefs nazis : d’ailleurs, à la fin du film, on les voit se marier entre eux (ils sont déguisés en femmes mariées). Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, Freud est féminisé en despote nazi surnommé « Fraulein Freud », en travelo qui « descend le grand escalier des Folies Bergère » (p. 23). Dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, Érik Satie est filmé avec un visage d’Hitler. Dans le film « Miss Congeniality » (« Miss Détective », 2001) de Donald Petrie, Vic, homosexuel, est le relookeur officiel du concours de Miss États-Unis ; tacitement homo, il est surnommé « la Follasse bavaroise ». Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le fiancé de Gatal, en lui tendant sa main, lui fait le salut nazi.

 

Film "Coming Out" de Matthias Freihof

Film « Coming Out » de Matthias Freihof


 

De manière apparemment paradoxale, le héros homosexuel se met à défendre Hitler et le nazisme. Par exemple, dans le téléfilm « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure, le bel Allemand Ady est protégé par Marie Besnard. Dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, George défend l’antisémitisme des Nazis de manière ambiguë devant ses étudiants. Dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Frédérick, pourtant ex-victime de la barbarie nazie, ancien Triangle rose des camps d’extermination nazis dans lesquels on diffusait de la musique wagnérienne, se met quand même, une trentaine d’années après, à défendre ses bourreaux et à rentrer dans leur moule puisqu’il est encore fan de Wagner : « Quand j’écoute Wagner, je prends ma revanche sur les Nazis. » Cette soumission s’opère pour des raisons purement esthétiques et sentimentales. Quand on dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions, on touche au cœur des mécanismes du diable… Dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1979) de Manuel Puig, Molina, le personnage homosexuel, illustre parfaitement cette ambivalence entre passion homosexuelle (esthétique) et raison humaine (éthique) : il sait très bien qu’il aime le film de propagande « Destin » – une vraie « ordure nazie » selon son compagnon Valentín – pour les mauvaises raisons, mais au moment où on lui demande de se justifier et d’arrêter de regarder ce type de films, il plonge dans le déni : « Écoute… il vaut mieux que je me taise. » (pp. 58-59)

 

Le soldat nazi, blond, musclé et vigoureux, représente l’archétype de la beauté qui fait fantasmer le héros homosexuel, le miroir narcissique androgynique dans lequel ce dernier peut se découvrir éblouissant ou bien Homme invisible : « Tu observes le bébé S.S. à la façon d’un diamantaire devant une pierre. » (Félix en parlant du jeune soldat blond, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 148) ; « Tanguy se dit que leurs uniformes étaient plus beaux que ceux des Français et que les Allemands avaient plus d’allure. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 50) ; « Nous sommes à Paris, depuis quelques mois occupé par les Allemands. Les troupes nazies paradent sous l’Arc de triomphe. […] Des soldats défilent, blonds et jolis garçons. » (Molina, le personnage homosexuel du roman Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 51) ; « Pendant la guerre, on a souffert. Enfin… surtout à la Libération ! Moi, j’ai été tondue. Je peux vous dire que je connus les Allemands de près, de très très près. Surtout Hans. Des Allemands, des aristocrates… d’une classe foooolle. Des gens qui gagnaient à être connus. » (la femme collabo interprétée par Didier Bénureau, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc.

 

Dans La Mort dans l’âme (écrit en 1949 et publié en 1954), Jean-Paul Sartre dépeint l’attrait homosexuel de son personnage Daniel pour les beaux soldats allemands arrivant à Paris. Dans le film « Chantons sous l’Occupation » (1976), Jean-Louis Bory condamne chez les hommes homosexuels « le goût de la botte, du cuir, du métal, et les fameuses messes de Nuremberg ». Dans la pièce Les Indélébiles (2008) d’Igor Koumpan et Jeff Sirerol, le fantasme de l’uniforme nazi est encore souligné.

 

Le Hitler homosexuel prend parfois le visage de l’amant : « Vous savez ce que ça fait de vivre avec la Gestapo ? » (Larry, reprochant à son amant Hank qui l’aime et qu’il trompe, de le faire culpabiliser de ses infidélités, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) Il arrive en effet que le personnage gay et le Nazi/Hitler fusionnent et se mettent en couple homo. Par exemple, dans le roman Le Monde inversé (1949) d’André Du Dognon, les patriotes français retournent leur veste pour s’allier sexuellement à l’ennemi allemand sous l’Occupation. Dans la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall, le romancier Cliff se fait draguer et tripoter par un chef nazi homosexuel. Dans le film « Nous n’étions qu’un seul Homme » (1978) de Philippe Vallois, un homme sauvage vivant dans les Landes recueille un soldat de la Wehrmacht avec qui il va vivre une idylle sensuelle et génitale. Dans le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, les soldats allemands se roulent des pelles très librement, et leurs chefs nazis participent aussi à la partouze générale. Dans le film « Un Élève doué » (1999) de Bryan Singer, Ian McKellen est un ancien officier nazi vivant aux États-Unis sous une fausse identité et entretenant une relation avec un adolescent. Dans le film « Les Maudits » (1947) de René Clément, Michel Auclair joue le rôle du mignon de Forster, un responsable de la Gestapo, Nazi convaincu. Tout le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato se centre sur une histoire d’amour homosexuel entre deux hommes gravitant dans un groupe politique néo-nazi. Dans le film « Tras El Cristal » (1987) de Agustí Villaronga, un pédophile nazi paralysé vit une histoire d’amour avec l’infirmier qui s’occupe de lui. Dans le film « Grégoire Moulin contre l’humanité » (2001) d’Artus de Penguern, Jean-François (Didier Bénureau) sodomise un homme déguisé en Hitler lors d’un bal masqué organisé dans un hôtel particulier de Paris ; après avoir fait sa petite affaire, il se rend compte que Grégoire Moulin, qu’initialement il recherchait, a réussi à s’enfuir avec le déguisement d’Hitler volé à ce pauvre monsieur bâillonné au sol… mais il ne regrette pas pour autant d’avoir joui à l’intérieur de ce faux Hitler : « Écoutez, je suis navré. Je vous ai pris pour quelqu’un d’autre. Ceci dit, c’était pas du tout désagréable. Vous allez me trouver un peu… mutin… mais j’ai bien envie de recommencer. Pas vous ? » Dans le roman Pompes funèbres (1947) de Jean Genet, Paulo baise avec Hitler, le fameux dictateur décrit comme une « mijaurée », et métamorphosé en « passive » : « Le petit gars de Paris accomplit son travail avec vaillance. D’abord il eut peur de faire du mal au Führer. Le membre était d’acier. De toute cette machine à supplice qu’était Paulo, la verge en était la pièce essentielle. Elle avait la perfection des rouages, des bielles fabriquées avec précision. […] Elle était également sans tendresse, sans douceur, sans le tremblement qui fait souvent frémir délicatement les plus violentes. […] Il fonça jusqu’au fond. Il éprouva une grande joie à sentir le tressaillement de bonheur de Madame. La reconnaissance de la beauté de son travail le rendit fier et plus ardent. Ses bras, par en dessous, près des épaules, s’agrippèrent au bras de l’enculé, et il fonça plus dur, avec plus de fougue. Le Führer râlait doucement. Paulo fut heureux de donner du bonheur à un tel homme. » (pp. 164-165) Ce même roman célèbre également l’histoire d’amour entre un Allemand nazi, Érik Seiler, et un milicien, Riton. Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Georges et Édouard ont « flashé » l’un pour l’autre pour la première fois lors d’une conférence d’Édouard traitant de la « Montée du néo-nazisme en Europe occidentale » ; d’ailleurs, à un moment, Georges compare Édouard à « Hitler ».

 

Film "Brotherhood" de Nicolo Donato

Film « Brotherhood » de Nicolo Donato


 

Il est fréquent de voir dans les œuvres homosexuelles une sacralisation de la traîtresse collabo, qui va s’offrir en holocauste à la beauté nazie, et se mettre tout le monde à dos (cf. le poème « Canción De Amor A Los Nazis En Baviera » de Néstor Perlongher, le film « Lili Marleen » (1980) de Rainer Werner Fassbinder, le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, etc.) : « Ma tante a toujours été proche des Allemands. » (Zize, le travesti M to F parlant de sa tante qui a été tondue à la Libération, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Ma grand-mère me lisait Mein Kampf avant de m’endormir. » (Mémé Huguette, personnage transgenre M to F de 98 ans, tondue à la Libération, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit); etc. Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, la vieille Olga raconte les horreurs de la Seconde Guerre mondiale à Katya et à Anton, le héros homosexuel, et dit qu’elle a connu les Nazis. Elle suscitera chez ce dernier une vocation : « Anton se bat contre le nazisme. » Dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibault de Saint Pol, par exemple, Madeleine incarne tout à fait la comédie sincère de l’homosexualité collaboratrice : en effet, l’héroïne passe son temps à décrire ses sensations et ses bonnes intentions (« Je suis en danger. Où que j’aille, les nazis me rechercheront. », p. 78 ; « J’ai toujours été écœurée par le militarisme, et la tradition prussienne est ce qu’il y a de pire. Sa mécanique humaine est effrayante. Pourtant, ils sont beaux ces jeunes hommes dans leurs uniformes. », p. 49) pour finalement mal agir et coucher avec l’ennemi (« Je suis la maîtresse d’un espion, d’un traître, d’un ennemi ! […] Comment le sort a-t-il pu mettre un Boche sur ma route ? […] Comme je regrette ces nuits d’ivresse ! », p. 78 ; « J’étouffe ! Je me revois dans les bras de cette brute. », p. 86), et conclure en disant que cette trahison est finalement « quand même de l’amour » (« Il m’aime. Et je l’aime, malgré tout. », p. 201). En jouant le concerto violons de la grande folle perdue, de la vierge effarouchée (genre « Je ne suis pas celle que vous croyez… Lâchez-moi, espèce de sale pooorc ! »), la Tragic Queen homosexuelle se donne une excuse pour tomber concrètement et secrètement amoureuse de son bourreau nazi, et même lui faire un enfant !

 

On retrouve exactement le même cas de figure de l’identification du personnage homosexuel à la femme collabo tombant dans les bras d’un beau dirigeant nazi dans le roman Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig. Molina, le personnage de la grande folle, raconte un film des années 1930, où Léni, une femme séduisante, est déchirée entre la fidélité à sa Patrie française, et sa passion pour un officier allemand… et là, pareil, c’est reparti pour les fausses questions existentielles, les esthétisations interrogatrices de la tragédienne, des questions sans but (si ce n’est celui de nier la collaboration en actes, puisque la femme fatale finira par trahir son camp) : « Alors Léni, restée seule, se demande si elle pourrait aimer un de ceux qui sont des envahisseurs de sa patrie. » (idem, p. 54) ; « Léni écoute fascinée, elle veut en savoir davantage ; en tant que femme, elle aimerait connaître le secret intime qui fait la force personnelle du Führer. » (idem, pp. 89-90) ; « Elle est effrayée, mais elle ne fait rien pour se défendre, elle est comme à la merci de ce qui va lui arriver. » (idem, p. 54)Les postures théâtrales homosexuelles visent à cacher l’objet d’indignation par l’indignation elle-même. On pleure et on gémit pour n’en faire qu’à sa tête et à ses pulsions.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Je vous renvoie au documentaire « Männer, Helden Und Schwule Nazis » (2004) de Rosa von Praunheim (sur le néonazisme), au blog homo-érotique Mein Camp créé par le très queer BBJane Hudson (un site consacré au genre artistique homosexuel « camp »), à l’essai Le IIIe Reich et les homosexuels (2011) de Thomas Rozec.

 

HITLER 1 gay

 

L’homosexualisation d’Hitler et des Nazis (ces derniers d’ailleurs ne supportaient pas qu’on les qualifie ainsi) peut partir d’une provocation, d’une volonté de diaboliser et de ridiculiser d’autres personnes que celles singées. Par exemple, le 14 juillet 2013 à Paris (jour de la Fête nationale), quelques heures après le défilé sur les Champs-Élysées de François Hollande, les Hommen (= anti-mariage-gay) ont parodié le président en faisant défiler sa doublure masquée bras dessus bras dessous avec celles de Staline et d’Hitler, comme s’ils étaient le couple de l’année.

 

Le traitement comique ou agressif du lien entre désir homosexuel et nazisme donne à croire à certains que cette corrélation est absurde, voire que c’est elle et seulement elle qui pose problème, qui « crée un problème » qui sans elle n’aurait pas existé. Les choses ne sont pas aussi simples.

 

Téléfilm "Un Amour à taire" de Christian Faure

Téléfilm « Un Amour à taire » de Christian Faure


 

La dissociation radicale, manichéenne et victimisante, entre homosexualité et Hitler, est la spécialité de la communauté homosexuelle actuelle, même si elle rejoint un déni social plus large concernant la période 1930-1940, présentée comme apocalyptique et totalement étrangère à notre réalité contemporaine. On nous encourage à fermer les yeux sur la vie en Allemagne à cette époque-là (une époque tellement gémellaire à la nôtre !), à fuir le loup nazi et à le tenir bien loin de nous… si loin qu’on oublie qu’il a existé et qu’on peut, pour le coup, l’imiter, parce qu’on n’a pas décortiqué son fonctionnement, et qu’on l’a diabolisé. Les personnes homosexuelles s’étonnent de voir la tête hitlérienne montée sur ressorts sortir de la boîte de pandore où elles l’avaient soigneusement enfermée pour se donner bonne conscience.

 

C’est pourquoi, quelquefois, au détour d’une œuvre de fiction traitant d’homosexualité, on voit surgir inopinément le thème d’Hitler ou du nazisme, sans vraiment de lien logique avec l’intrigue en cours : « ‘Vous savez que Hitler vit toujours en Patagonie’, intervint soudain Alberto G., l’homme à la barbe rousse. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 240)

 

Mais il y a pire. C’est en tenant le « monstre » nazi bien à distance que certains individus homosexuels fusionnent identitairement avec lui, et agissent comme lui. Selon eux, inconsciemment, la substitution et l’incorporation au « diable » permettront son anéantissement total (en réalité, ils ne font que le cacher). On peut même entendre des personnes homosexuelles réelles se prendre pour le funeste dictateur : « Je deviendrais la plus célèbre vedette autrichienne après Hitler. » (Brüno dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles)

 

HITLER 9 Affiche

 

N’en déplaise à l’opinion publique gay friendly, l’attraction homosexuelle pour les Nazis n’est pas du tout un mythe. Elle fut et reste une réalité. Déjà, pour commencer, beaucoup de personnes homosexuelles sont connues pour avoir collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale : Jacques Chardonne, Gertrude Stein, Ramón Fernandez, Henry de Montherlant, Colette, Vénus Myrtille, Jean Genet, Gabriele D’Annunzio, Romaine Brooks, etc. « Les milieux homosexuels parisiens ont fourni de nombreuses et brillantes recrues. » (Jean-Paul Sartre cité dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 420) ; « Certains homosexuels grenouillent, se corrompent et collaborent avec les nazis : le souvenir des trafics d’influence, du marché noir, des profits d’origine douteuse, des spoliations de biens juifs et autres activités peu recommandables seront, à la Libération, et lors des procès de l’épuration, associés au monde et aux mœurs des invertis. » (cf. l’article « Il faut en être ! » de Christian Mirambeau, cité dans l’essai Folles de France (2008) de Jean-Yves Le Talec, p. 169) ; « Nul doute que sur certains autres que Brasillach (Jouhandeau, Fraigneau, Bonnard, Cocteau, Montherlant, Benoist-Méchin) ne se soit exercé l’attrait érotique du blond aryen sportif. […] Sartre a eu beau vouloir faire de jean Genet un maudit, victime de la société bourgeoise, Pompes funèbres n’en reste pas moins une déclaration d’amour enflammée au nazisme. » (Dominique Fernandez, Ramon (2008), pp. 56-57) ; « Dans cette fascination du chef et de la force, il y avait beaucoup de féminité latente, une certaine forme d’homosexualité. Au fond, chez la plupart de ces intellectuels fascistes, je pense à Brasillach, à Abel Bonnard, à Laubreaux, à Bucard, il y avait le désir inconscient de se faire enculer par les S.S. » (Emmanuel Berl s’adressant à Patrick Modiano) ; etc. Par exemple, Claude-Michel Cluny a eu une aventure avec un soldat allemand quand il n’avait que 14 ans. En 1940, Suzy Solidor appelle à la collaboration avec les Nazis dans Radio-Paris. L’écrivain français Maurice Sachs, juif et homosexuel, rejoint les rangs nazis et devient indicateur de la Gestapo. Jean Cocteau trinque au champagne avec les Allemands et écrit sa « Lettre ouverte à Brecker » . Harald Kreutzberg sert la propagande nazie dans les pays occupés. L’esthète bourgeois Pierre Drieu la Rochelle ne cache pas son amour des occupants nazis (il assiste même au congrès de Nuremberg en 1935). Abel Hermant collabore sous Vichy, et sa passion pour les soldats de la Wehrmacht est de notoriété publique. Robert Brasillach avoue à ses amis sa fascination pour la virilité des soldats allemands. Violette Morris, l’athlète lesbienne, travaille pour la Gestapo. La sympathie de Philippe Jullian pour les Alliés et l’Angleterre ne l’empêche pas de « succomber aux charmes des beaux soldats allemands qui rôdent le soir dans certains quartiers », comme il l’écrit dans son Journal en 1941. Marcel Jouhandeau tombe désespérément amoureux du lieutenant allemand Heller (Didier Éribon, dans son Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003), s’interroge d’ailleurs sur les paradoxes de l’écrivain français : « Il est difficilement compréhensible qu’un analyste aussi aigu du processus d’abjection dont est victime une catégorie d’individus ait pu, presque au même moment, publier un opuscule intitulé Le Péril juif (1937) dans lequel sont condensés tous les poncifs antisémites de l’époque », p. 273). Abel Bonnard, travaillant au côté de Philippe Pétain, a porté le sobriquet de « guestapette » (« Paradoxal de constater que le régime de Vichy, qui avait été à l’origine de l’aggravation des peines de prison pour les homosexuels, choisit Abel Bonnard, pédéraste, comme Ministre de l’Éducation nationale », écrit Michel Larivière dans son Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997), p. 71) Dans son « Domaine des Esprits » où il habitait, le chanteur homo Charles Trénet accueillait des mineurs pour des surprises-parties sexuelles. Il a été pris en flagrant délit avec 4 jeunes Allemands de 19-20 ans. Il fut condamné à la prison pour attentat aux mœurs, à Aix (France).

 

Luchino Visconti, quant à lui, a toujours été fasciné par l’Allemagne nazie : à la fois aristocrate et marxiste de salon, il s’est intéressé aux classes supérieures germaniques du IIIe Reich dans ses productions. Jean-Luc Lagarce, dans son Journal (2008), se passionne pour le procès de Klaus Barbie, et dit que sa fascination concernant le nazisme est « une chose indicible », inénarrable (d’ailleurs, il écrit qu’un de ses beaux amants homos a le visage « parfait » d’un Nazi). Une femme lesbienne du documentaire « Le Bal des chattes sauvages » (2005) de Véronika Minder avoue avoir partagé l’avis d’Hitler sur les personnes homosexuelles, avant de changer radicalement d’avis et de les idéaliser par la suite. Dans son essai Le Rose et le Brun (2015), Philippe Simonnot montre comment de nombreuses personnes homosexuelles ont contribuer à l’arrivée du nazisme et d’Hitler au pouvoir.

 
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Dans son essai Le Rose et le Brun (2015), Philippe Simonnot explique parfaitement que l’homo-érotisme a été la source d’inspiration et l’instrument du nazisme : « Les homosexuels ont-ils joué un rôle dans la montée du nazisme au Pouvoir ? Voilà une question tabou aujourd’hui, que personne n’ose poser, pas même évoquer. […] ce tabou qui a d’abord été mis en place par les nazis eux-mêmes. » (p. 11) ; « À partir de 1934, le lien entre homosexualité et nazisme est devenu le fonds de commerce de la propagande stalinienne au niveau mondial. Erich Fromm, de l’École de Francfort, prétendait trouver une relation entre l’homosexualité et les désordres sadomasochistes propres aux nazis. Encore dans les années 1970, la relation entre homosexualité et nazisme était fantasmée au plus haut niveau du Parti Communiste Français. » (idem, p. 15) ; « La libéralisation des mœurs était souhaitée par le nazisme. Le national-socialisme, en effet, s’est d’abord appuyé sur tout un courant de libération des pulsions sexuelles, et notamment des pulsions homosexuelles. Ces dernières, du reste, ne sont en rien causées par une vie conjugale répressive à en croire Hans Blüher et tant d’auteurs allemands de cette époque. Par conséquent chercher la naissance du nazisme (ou du fascisme) dans les berceaux de la famille patriarcale ne peut mener très loin. » (idem, p. 18) ; « L’effectivité de la culture nazie reposait sur l’abolition des tabous sexuels, l’émancipation de la vie érotique et l’appel au ‘droit de la nature’. » (idem, p. 19) ; « Le national-socialisme était pour la jeunesse des années 1920 et 1930 une forme de libération sexuelle, cohérent avec son paganisme foncier et son anti-christianisme viscéral. » (idem) ; « Le Führer était parfaitement conscient des avantages de la libération sexuelle pour le maintien de sa dictature. » (idem, p. 20) ; « Les nazis sont passés orfèvres dans l’effacement de leurs crimes, on le sait assez. À enfermer des homosexuels dans des camps de concentration, à les torturer et à les massacrer, n’est-ce pas une fois encore tout un pan de leur histoire originaire, de leurs racines homo-érotiques que les Hitlériens voulaient supprimer ? En fait, cet effacement de l’homosexualité nazie a commencé peu après l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Le 6 mai 1933, les nazis ont pillé l’Institut de Sexologie que Magnus Hirschfeld avait créé à Berlin en 1919 – une véritable innovation à l’époque – non pas seulement parce que Hirschfeld était juif, non pas seulement parce qu’il affichait son homosexualité et prétendait venir au secours des homosexuels, mais aussi et peut-être surtout parce que son Institut recevait des milliers de fiches d’homosexuels nazis qui étaient venus en consultation chez le sexologue vedette des années 1920. Et ce qui a été brûlé dans les premiers autodafés orchestrés par les chemises brunes en mai 1933, ce ne sont pas seulement des livres, mais aussi des fiches bien compromettantes pour ceux qui étaient maintenant au pouvoir et qui prévoyaient déjà de revenir publiquement à la norme hétérosexuelle. Du reste, une partie de ces fiches a été confiée à la police qui disposerait dorénavant de quoi faire chanter les malheureux clients, nazis ou pas, de l’Institut. » (idem, p. 21) ; « Ne serait-ce que pour ne pas rentrer dans le jeu de l’oubli sélectif, il nous paraît urgent d’au moins poser la question des origines homosexuelles d’une partie non négligeable du National-Socialisme. Manfred Herzer, l’auteur d’une biographie de Magnus Hirschfeld, un personnage central de notre enquête, l’admet volontiers : sur cette question, nous, homosexuels, nous faisons face à un vide que nous nous sommes imposés nous-mêmes dans notre connaissance, vide qui a pris les dimensions d’un tabou idéologiquement motivé. » (idem (2015), p. 23) ; « Hitler a renié et même massacré une partie de ceux qui l’avaient aidé dans sa ‘résistible ascension’. » (idem, p. 25) ; etc. Sous l’Allemagne nazie, les mouvements de jeunesse des Wandervögel (littéralement : Oiseaux migrateurs) étaient imprégnés d’homosexualité. Berlin était la capitale mondiale des moeurs légères, très « avancée » en matière de législations désincarnées (Le statut de ‘mère célibataire’ est inscrit dans le code civil allemand, par exemple). Avant de se durcir contre les personnes homosexuelles, Hitler, étonnamment, était très permissif en matière d’homosexualité, et défendait la séparation entre vie publique et vie privée, en soutenant que la sexualité c’était du domaine de l’intime : « Faites ce que vous voulez, mais ne vous faites pas prendre. » (idem, p. 246) Il a commencé à retourner sa veste quand son pouvoir et son image publique commençaient à être impactée négativement : « Les choses ont atteint un stade où des rumeurs courent maintenant dans les quartiers marxistes que vous seriez vous-même aussi homosexuel, mon très estimé Führer. » (cf. lettre de Paul Schulz adressée à Adolf Hitler le 2 juin 1932) Avant ça, contrairement à l’idée reçue, Hitler était très « moderne » pour son époque. Il serait même jugé laxiste et gay friendly aujourd’hui.
 

Face à autant de cas de collaboration, certains militants de la « Cause homosexuelle » s’indignent, ne veulent pas y croire : « N’aurions-nous donc, pour cette période terrifiante de l’histoire, que des héros ‘négatifs’, que des chroniques de massacres d’homos traqués et torturés, que des victimes impuissantes face à une haine des idéologies alors en cours dans la presque totalité de l’Europe ? » (Jean Le Bitoux, Les Oubliés de la mémoire (2002), p. 225) ; « Et que dire de la pénible fascination d’une partie de la mode masculine pour une esthétique évoquant immanquablement l’Allemagne nazie ? » (cf. l’article « Mode » d’Anne Boulay et Marie Colmant, dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 325)

 

L’esthétique homosexuelle rejoint souvent le fascisme nazi : pensez au film « Le Troisième Sexe » (1959) de Veit Harlan (qui est bel et bien un film nazi !), à Marlon Brando dans le film « Le Bal des Maudits » (1958) d’Edward Dmytryk, à Helmut Berger dans le film « Les Damnés » (1969) de Luchino Visconti, à l’esthétisme soigné du film « Les Dieux du Stade » (1936) de Leni Riefenstahl, aux sculptures homo-érotiques d’Arno Breker, et plus récemment à la coupe érotique des uniformes S.S. reprise par Calvin Klein et Hugo Boss, aux dessins de Tom of Finland ou bien de Roger Payne, aux films pornos dits de « nazixploitation » mettant en scène des néo-nazis (« Skin Gang » (1999) de Bruce LaBruce, par exemple), le look skin adopté par certains hommes gay dans les années 1980, etc.

 

Pink Svastika

Pink Svastika


 

The Pink Swastika défend même la thèse selon laquelle le nazisme viendrait de l’homosexualité. D’autres intellectuels font aussi le rapprochement, non par mauvaise foi, mais parce qu’il existe vraiment : « Cette virilité fasciste ou communiste est un fantasme d’homosexuels, Gide à Moscou, Brasillach à Berlin. Ce dernier ne s’est jamais inquiété des déportations d’homosexuels allemands par les nazis. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 78) Quelques personnes homosexuelles ne démentent absolument pas cette part d’ombre de leur désir homosexuel : « Dans mes fantasmes d’enfant, ces baraquements plein de femmes étaient à la fois angoissants et très séduisants, homo-érotiques. » (l’écrivaine Cécile Vargaftig en parlant des camps de concentration, à l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle, Paris, le 7 mars 2011)

 

Docu-fiction "Brüno" de Larry Charles

Docu-fiction « Brüno » de Larry Charles


 

Malheureusement, l’adhésion esthético-sentimentale des personnes homosexuelles pour Hitler a tendance à être atténuée et déproblématisée par les intentions, par l’excuse de la « provocation ». On prête par exemple beaucoup de second degré à un Salvador Dalí qui, dans son Journal, écrit son amour pour Hitler « de dos ». En 1966, Yukio Mishima réalise une œuvre (ironique ?), Mon ami Hitler, dans laquelle il affirme qu’« Hitler avait raison ». Pareil pour l’engouement sexuel qu’avancent les personnages des romans de Jean Genet pour le dictateur : « Cette toute-puissance du faible, Genet lui trouvera un symbole épique : Hitler. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 149) À propos des Nazis trahis en 1944 pendant la Libération par le peuple français qui avait auparavant collaboré avec eux, Genet écrit en 1947 dans Pompes funèbres : « Ils ne furent pas seulement haïs mais vomis. Je les aime. » (cf. l’article « Physique de Genet » de Philippe Sollers, dans Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 41) La passion de l’écrivain pour Hitler n’est pas qu’un gentil rôle. Dans son autobiographie Le Journal du Voleur (1949), Genet se prend très sérieux quand il dit : « Je donnerais tous les biens de ce monde pour connaître l’état désespéré. Hitler seul, dans les caves de son palais, aux dernières minutes de la défaite de l’Allemagne, connut sûrement cet instant de pure lumière – lucidité fragile et solide – la conscience de sa chute. » (pp. 236-237)

 

Il y a une forme d’orgueil et de goût de l’image (que certains pseudo artistes militants appelleront pompeusement « anti-conformisme iconoclaste et révolutionnaire ») dans la sympathie homosexuelle envers Hitler. C’est parce qu’il n’est/ne serait désiré de personne que certains individus homosexuels se mettent précisément à le désirer. S’il était aimé et aimant, il perdrait tout intérêt. Au fond, ce n’est rien d’autre que la mort (du Désir) qu’ils célèbrent en lui… en plus de l’occasion que le funeste dictateur leur fourni de faire leurs intéressants et de se célébrer eux-mêmes dans une « homosexualité noire et maudite ».

 

Maintenant, en ce qui concerne l’homosexualité attribuée à Hitler et aux Nazis, je ne pense pas qu’elle soit une invention délirante. Par exemple, rien que si nous regardons la ville de Berlin en 1933, nous y dénombrons 130 bars homosexuels, … c’est-à-dire plus qu’aujourd’hui à Paris ! En Allemagne, les idées d’extrême droite et l’idéal homosexuel se marièrent très bien : pensons à Adolf Brand (qui fonda la revue homosexuelle Der Eigene), à la Communauté des Spéciaux (Gemeinschaft der Eigene), à l’Association masculine allemande (Männerbund) marquée par une esthétique-idéologie homo-érotique, à Hans Blüher qui projette la création d’une société fondée sur un État viril. Dans les camps de concentration et d’extermination nazis, l’activité homosexuelle a bien existé. « Au camp de Gross-Raming, les kapos étaient à 90% des invertis. » (Christian Bernadac, Des Jours sans fin, 1976) ; « Quand quelqu’un va s’attaquer à l’homosexualité sous l’Occupation, on va bien rigoler ! J’ai commencé à travailler sur l’homosexualité à Ravensbrück… Je peux vous dire… C’est une époque où il n’y a plus de frontières. Tout est décuplé. » (Marie-Jo Bonnet, en conclusion de sa conférence « Violette Morris, histoire d’une scandaleuse » du 10 octobre 2011 au Centre LGBT de Paris ; l’historienne lesbienne n’en revenait toujours pas de découvrir le nombre de confluences entre homosexualité et nazisme, même si elle ne s’est trahie qu’à la fin, car elle se gardait bien de faire le lien !) ; etc. Le résistant alsacien Aimé Spitz interné au camp alsacien du Struthof puis à Dachau assure que « les chefs de bloc et autres kapos étaient presque tous devenus homosexuels au cours de leur détention. » (Aimé Spitz cité dans Jean Le Bitoux, Les Oubliés de la mémoire (2002), p. 93)

 

La recrudescence de la pratique homosexuelle côté allemand pendant la Seconde Guerre mondiale est confirmée par de nombreux sociologues et historiens : « Heinrich Himmler (1900-1945), le chef de la Gestapo, recrutait exclusivement ses subordonnés dans les milieux homosexuels. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 212) ; « Quant aux généraux homosexuels de l’armée allemande, de l’époque hitlérienne, leurs noms sont sur les lèvres de tous… Goering, Himmler, Reohm, et même Hitler. » (idem, p. 217) ; « Si l’Occupation avait radicalement supprimé la progression de la drogue en France, elle y avait en revanche développé l’homosexualité. Assez répandue outre-Rhin, la pédérastie s’étendit à la suite du passage des soldats allemands dans notre pays. Jusqu’alors, elle était le fait de quelques intellectuels ou de quelques blasés qui constituaient une confrérie très fermée. Les véritables invertis physiologiques se montraient encore plus discrets. Bref, la pédérastie n’était pas descendue dans la rue. Par goût, par entraînement, par intérêt, par lâcheté, de nombreux jeunes gens, et des moins jeunes, subirent l’initiation germanique. À la Libération, l’arrivée des Nord-Africains, les difficultés économiques, la fermeture des bordels, encouragèrent cette vague d’homosexualité. Pour la première fois à Paris, il existait une prostitution masculine avouée sur les trottoirs de Saint-Germain-des-Prés. C’est pourquoi la loi d’avril 1946 sur la prostitution n’établit aucune distinction de sexe. » (André Larue, Les Flics, 1969) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. Très vite, grâce au premier argent si généreusement laissé par mon attaché d’ambassade, je me fis un nom dans la hiérarchie des antiquaires. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 86) ; etc.

 

Comme je l’ai écrit dans le petit « condensé » de cet article, et comme je le développe dans la partie sur les dictateurs homosexuels du code « Homosexuels psychorigides » du Dictionnaire des Codes homosexuels, l’hypothèse de l’homosexualité du Führer n’est pas non plus à écarter. Elle est une réalité déjà iconographique, comme on a pu le voir dans la première partie de mon exposé (et vous savez l’importance que j’attache à cette phrase faite maison qui soutient qu’« il n’y a pas de cliché sans feu »). Par exemple, en 1933, la revue Fantasio présentait déjà Hitler comme une folle perdue. L’historien italien Eugenio Dollmann aborde également l’homosexualité d’Hitler dans Roma Nazista (1949). Pour ma part, j’ai fait l’effort de lire les deux pavés de la biographie (2000) rédigée par l’historien Ian Kershaw – un ouvrage complètement neutre sur la question de l’homosexualité du Führer – ; il ne fait aucun doute en effet que la vie d’Hitler comporte de nombreuses coïncidences de l’homosexualité relevées dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels : mère possessive, père tyrannique, profond isolement amical, vocation artistique contrariée (Hitler est recalé de l’École des Beaux-Arts), haine de son propre corps (il ne se mettait jamais en maillot de bain), passion pour le cinéma (il avait sa salle de projection privée) et les mythologies anachroniques (Wagner, Bavière, militarisme, etc.), anti-catholicisme féroce, sensiblerie nostalgique et confusion de l’art avec la vie (Herman Broch, dans son essai Création littéraire et connaissance (1966), assure qu’Hitler était un fervent partisan du kitsch), goût pour les corps athlétiques et les statues, aucune appétence pour les femmes (le mariage in extremis avec Eva Braun n’a été qu’une couverture), etc. « En ce qui concerne Hitler, il est quand même de nombreux témoignages qui concordent pour assurer que les femmes ne l’intéressaient guère, comme le prouverait l’absence dans sa vie de la moindre aventure amoureuse qui ait eu un développement complet. » (Jean Boisson, Le Triangle rose (1988), p. 19)

 

Certaines thèses vont dans le sens d’une dévirilisation forcée d’Hitler. Par exemple, dans l’essai Secret Weapons: Technology, Science And The Race To Win World War II (2013), Brian Ford raconte comment les Alliés auraient tenté d’administrer des œstrogènes dans les aliments d’Adolf Hitler pour provoquer chez lui « une transformation sexuelle qui le ferait devenir plus féminin et moins agressif ».

 

Plus crédible et le travail de Lothar Machtan qui, en 2001, a consacré un ouvrage entier à l’homosexualité d’Hitler dans sa biographie La Face cachée d’Adolf Hitler. Cette thèse déchaîne bien évidemment les foudres de la communauté homosexuelle actuelle. À quoi bon montrer qu’Hitler était homosexuel ?, s’indigne-t-elle. Cela ne rajoute rien à l’horreur du personnage, et de surcroît, ne fait que charger inutilement la barque des personnes homosexuelles et convaincre l’opinion publique que l’homosexualité produit des dictatures et des monstres. On peut difficilement soutenir une telle affirmation. À mon sens, il importe peu que l’hypothèse soulevée par le livre de Lothar Machtan soit avérée ou non, puisque, même s’il est fort probable qu’Hitler a été une personne homosexuelle refoulée (quand on lit en intégralité la longue biographie en 2 tomes), il est impossible d’assurer qu’il était l’incarnation humaine de « l’homosexuel » ou de « la personne homosexuelle » étant donné que ces deux personnages sont au mieux des mythes, au pire des réalités fantasmées que personne n’arrivera jamais à devenir complètement. C’est précisément le refus de la probabilité qu’Hitler ait pu être homosexuel, non pas parce qu’il était entièrement homosexuel mais simplement du fait de son humanité, qui est inhumain et homophobe. Comme le souligne très finement Gerald Messadié, « ce menteur dissimulait non pas un vice, mais ce qu’il était contraint de tenir pour un vice : son homosexualité. D’où son inhumanité ». Messadié soutient l’idée selon laquelle le rapport idolâtre d’attraction-haine concernant le désir homosexuel, c’est cela qui est inhumain et monstrueux, et non l’homosexualité en elle-même. « Un vaste courant pseudo-historique voudrait faire croire qu’Hitler fut l’incarnation suprême du Mal, pourvu qu’elle fût supranaturelle, donc incompréhensible. L’inconscient collectif l’a investi d’un prestige sinistre, Antéchrist ou Satan, qui paradoxalement magnifie le personnage. Le travail de Machtan, au contraire, révèle un immonde et délirant minable qui se méprisait lui-même, parce que, dans son for intérieur, il portait une tare honteuse pour ses contemporains. Ainsi culpabilisé, il chercha des boucs émissaires : c’étaient ceux qui ‘dévirilisaient’ la nation : les communistes, les Juifs, les gitans, et, bien sûr, les homosexuels. » (la préface de Gerald Messadié, dans l’essai La Face cachée d’Adolf Hitler (2001) de Lothar Machtan, p. 11) Reconnaître les tendances homosexuelles d’Hitler, c’est finalement rendre l’homosexualité beaucoup plus humaine et moins monstrueuse que de la nier dans l’angélisme et la diabolisation d’un être humain historiquement figé au rang de « non-personne ». Je citerai deux ouvrages (le premier, C’est pour ton bien (1984) d’Alice Miller ; le second, La Fessée (2001) d’Olivier Morel), qui montrent combien il est important, au lieu de se désolidariser de certains actes odieux que l’on réduit à l’état de personnes diaboliques isolées, de les porter comme si nous aurions pu les commettre, au moins pour exercer notre propre humilité et nous empêcher de les reproduire par excès de bonnes intentions « démocratiques » : « Toutes les victimes ne deviennent pas bourreaux. Mais tous les bourreaux ont été victimes. » (Alice Miller) ; « Hitler, Staline, Ceaucescu, Mao, Saddam Hussein et Milosevic sont devenus ce que l’on sait à cause d’une enfance maltraitée et/ou vécue dans une atmosphère de froideur affective, sans rien ni personne pour compenser brutalité des coups et manque de tendresse. Des personnalités de ce type ont retenu de leur éducation que pour être il faut dominer les autres. » (Olivier Morel, p. 50) Bref, revenons à la genèse des dictatures humaines, toutes époques et pays confondus : la haine de soi due à un viol.

 

Revue homo et skinhead

Revue homo et néo-nazie


 

Et pour finir de convaincre les esprits étroits qui prendraient mon exposé sur Hitler pour un absurde passéisme anachronique totalement déconnecté de notre réalité homosexuelle actuelle, je mentionnerai les liens étroits qui existent aujourd’hui entre homosexualité et néonazisme. « Aujourd’hui encore, certains groupuscules néonazis entretiennent une forme d’ambiguïté. De nombreuses histoires circulent, sur fond de messes noires ou de satanisme. Dans leur esprit, nazisme et homosexualité participent de la même ambiance, d’une même esthétique. » (Philippe Broussard, Le Monde, 18 juin 1997) Je parle plus largement des liens entre extrême droite et homosexualité dans le code « Homosexuels psychorigides » du Dictionnaire des Codes homosexuels. Mais concernant spécifiquement les néo-Nazis, on a déjà de quoi dire ! Visiblement, beaucoup de ces fanatiques sont attirés par le « milieu homosexuel », puisqu’ils y multiplient les visites agressives/amoureuses. À titre d’exemples, je peux rafraîchir certaines mémoires : le 14 août 2007, des skinheads agressent les clients du Privé, une discothèque de Besançon (France) ; en octobre 2010, trois légionnaires néo-nazis s’attaquent à une boîte gay de Nîmes (France), le Lulu Club ; plus récemment, le 8 août 2011, en Angleterre, la librairie londonienne Gay’s The Word est saccagée par des néo-nazis. J’imagine qu’il doit y avoir de nombreux autres cas d’accrochages ambigus entre néo-Nazis et personnes homos. Et déjà, on dénombre dans les rangs néo-nazis un certain nombre de personnes homosexuelles : Nicky Crane, Michael Kühnen, Michel Caignet, etc.

 

Par ailleurs, et j’en terminerai là, il est intéressant de remarquer que l’accusation de « Nazi », tout comme celle de « Raciste » ou d’« Homophobe », est à la mode, dès qu’on veut descendre quelqu’un rapidement sans avoir à se justifier de le faire. Par exemple, en mai 2011, le directeur chrétien de l’American Family Association (AFA), Bryan Fischer, s’en est pris aux personnes homos, les traitant de « Nazis » dans son émission de radio Focal Point, diffusée via les 180 stations dans 40 États américains. Cette grotesque accusation reposait sur la dénonciation du terrorisme intellectuel exercé par certains militants LGBT actuels… donc quand même sur un substrat de réalité. Le plus amusant, c’est que le camp homosexuel et le camp non-homosexuel se traitent mutuellement de « Nazis » ou d’« Homophobes » pour se neutraliser, sans mesurer que ces mots agissent comme des miroirs de ce qu’ils cherchent à imiter ensemble en imaginant naïvement que seul l’autre camp ennemi le fait !

 
 

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Code n°87 – Homme invisible (sous-codes : Voile / Momie / Diamants / Caméléon)

Homme invisible

Homme invisible

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Si je vous dis que la grande majorité des personnes homosexuelles s’est prise pour l’Homme invisible, le célèbre personnage créé par James Whale (lui-même homosexuel), et qui renvoie très inconsciemment à l’être sans corps qu’est l’Androgyne, vous ne me croirez certainement pas. Et pourtant, c’est probable ! Aussi probable qu’elles se sont identifiées au caméléon transparent, au diable aux multiples facettes (comme le diamant), à un mort vivant enveloppé dans un linceul (bref, à une momie). L’Homme invisible est l’image symbolique exprimant chez elles un désir de disparaître, de se prendre pour Dieu, de mourir.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Se prendre pour Dieu », « Frankenstein », « Se prendre pour le diable », « Amant diabolique », « Morts-vivants », « Miroir », « Eau », « Amant narcissique », « Poupées », « Substitut d’identité », « Différences physiques », « Inversion », « Moitié », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Clown blanc et masques », « Quatuor », « Fusion », « « Je suis un Blanc-Noir » », « Désir désordonné », « Déni », à la partie « Schizophrénie » du code « Doubles schizophréniques », à la partie « Couturier » du code « Pygmalion », à la partie « Zèbre » du code « Cheval », à la partie « Mise en scène de son enterrement » du code « Mort », et à la partie « Obscure-clarté » du code « Ombre », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel se compare à l’Homme invisible, à la fois pour s’effacer et pour se déifier :

Film "It's Cool, I'm Good" de Stanya Kahn

Film « It’s Cool, I’m Good » de Stanya Kahn

 

Il est fait très souvent référence au mythe de l’Homme invisible (ou d’un fantôme) dans les œuvres homosexuelles. C’est le cas dans le film « L’Homme invisible » (1929) de James Whale, la chanson « The Invisible Man » du groupe Queen, le film « The Barber, l’Homme qui n’était pas là » (2001) de Joel Coen, le tableau L’Homme invisible (1930) de Salvador Dalí, la pièce Nos Amis les Bobos (2007) d’Alain Chapuis, le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, le film « O Fantasma » (2000) de João Pedro Rodrigues, le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, le film « Sexe, gombo et beurre » (2007) de Mahamat-Saleh Haroun, la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé (avec le personnage de Stan), le film « La Beauté du diable » (1949) de Claude Autant-Lara, le film « Einaym Pkuhot » (« Tu n’aimeras point », 2009) de Haim Tabakman, la pièce L’Évasion de Kamo (1992) de Daniel Pennac (mise en scène de Guillaume Barbot en 2009), le film « La Femme invisible » (2009) d’Agathe Teyssier, la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard (avec Bonnard), le roman Zéro Commentaire (2011) de Florence Hinckel (traitant du désir d’invisibilité), le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha (avec la cantatrice fantomatique transgenre M to F dans les montagnes autrichiennes), la chanson « En miettes » d’Oshen (parlant d’un fantôme), la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le film « Ghosted » (2009) de Monika Treut, le vidéo-clip de la chanson « West End Girl » des Pet Shop Boys, la série Transparent (2014) d’Amazon (avec des acteurs cisgenres), etc.

 

Océane Rose-Marie, la "Lesbienne invisible"

Océane Rose-Marie, la « Lesbienne invisible »

 

On voit apparaître l’Homme invisible dans les discours de certains héros homosexuels, ou bien en images, alors que cela n’a pas forcément de rapport avec l’intrigue. « Il fallait que je fasse quoi ? Que je passe les menottes à l’Homme invisible ? » (Nina l’héroïne lesbienne du one-woman-show Le Gang des Potiches (2010) de Karine Dubernet) ; « Moi, maintenant, dans l’obscurité, on me voit. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Silence. Je disparais. Je m’éclipse. Je m’évanouis. » (Catherine, l’héroïne lesbienne de la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Je voulais être l’étrange sodomite, celui dont on ne parle pas. » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Toi, tu veux te rendre invisible pour obtenir ton adoption. » (Serge s’adressant à son amant Victor, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « J’suis amoureux de Monsieur Hendricks mais il sais même pas que j’existe. Comment je fais pour qu’il me voie ? » (un élève homo demandant conseil à Otis, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Va prendre ta place, Fantômas ! » (Monsieur Hendricks s’adressant à Éric le héros homo, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Garçon qui a le don d’invisibilité » (c.f. la chanson « I’m The Boy » de Serge Gainsbourg) ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi

 

Par exemple, toute la pièce d’Oscar Wilde L’Importance d’être Constant (1895) tourne autour d’un personnage qu’on ne voit pas, parce qu’il n’existe pas réellement… Dans le film « Navidad » (2009) de Sebastián Lelio, un homme d’air en plastique se dresse et prend vie sous l’effet des bouches d’aération. Dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (mise en scène par Adrien Utchanah en 2010), la Reine aveugle ne s’adresse jamais directement à l’acteur qui joue le Rat, ne se fie pas non plus à l’endroit où elle entend sa voix : elle tourne au contraire son visage vers un rat imaginaire, un homme invisible. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Chloé définit Martin (héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité) comme le « frère de personne ». Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Garance, l’héroïne lesbienne, traite son frère gay Léo de « fantôme ». Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Ahmed est confondu avec le fantôme du Vicomte, et les deux travestis M to F Mimi et Fifi se font traiter de « fantômes » par Pédé. Dans son one-woman-show Chaton violents (2015), Océane Rose-Marie fait référence à des « farfadets avec des supers pouvoirs d’invisibilité ». Dans un dessin du dessinateur homosexuel Jean Boullet pour sa sérigraphie Songe d’une nuit d’été (1943), il représente dans une forêt un homme avec un chapeau-tronc d’arbre surplombé par une phrase qu’il a écrite : « I am invisible. »

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi

 

Beaucoup de personnages homosexuels se prennent pour l’Homme invisible : « J’ai l’impression d’être la femme invisible. » (Marilou dans la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt) ; « Tu te veux liquide, pantin translucide. » (cf. la chanson « Et tournoie… » de Mylène Farmer) ; « J’ai toujours été un homme qui passe : un jour Superman, un jour Fantômas. Un homme qui s’efface sans laisser de trace. » (Ronan dans la chanson « Un Homme qui passe » de la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon) ; « Lesbienne invisible, encore et toujours. » (Océane Rose-Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Un jour, un enfant qui n’existait, trouva une plume et un livre blanc. Et il se dessina. […] Un jour il s’effaça. » (Copi, Un Livre blanc (2002), pp. 37-51) ; « LGBT, les initiales d’une Société d’Anonymes. » (une réplique de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Vianney consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… […] Je referme la porte et tout de suite nous portons nos mains sur le visages de l’autre, pour sentir le bandeau, pour être sûr que le contact est respecté. Il sourit, je sens sous mes doigts sa bouche tendue. Moi aussi je souris. On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on s’embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud ! Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike, le narrateur homosexuel racontant son « plan cul » avec un certain Vianney, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Je suis non-déclaré. » (Smith, le héros homosexuel du film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki) ; « Je suis un spectre, une ombre. » (Stéphane Corbin, lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, en février 2011) ; etc.

 

Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago passe son temps à dire que « les gens ne le voit pas » et qu’il a fini par être invisible à leurs yeux : « Je me suis laissé entraîner par la marée. Mon corps s’est fracassé contre les rochers. Depuis, on ne me voit plus. » Quand il se ballade dans la rue avec son amant Miguel, celui-ci est le seul à le voir. D’ailleurs, une fois qu’il se sera noyé, comme Carlos, le cousin de Miguel, Santiago finira en momie balancée dans la mer.

 

Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon se présente comme un « yaourt périmé » à ne pas consommer par les hommes, une femme insignifiante : « J’ai vraiment un corps de base. »
 

Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, les protagonistes homos ou bis passent leur temps à déclarer leur invisibilité : « Oooh… Satan m’habite. […] Je suis invisible. » (Burger) ; « Je suis invisible. […] Je veux être l’Homme invisible. Je veux rentrer dans l’esprit des gens, savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils veulent. » (Claude, idem) Dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, Lourdes-Marilyn se compare à Casper le petit fantôme. Dans le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, quand Georges demande à son jeune amant Alexandre comment il a fait pour le rejoindre sans se faire voir des surveillants de leur collège, celui-ci lui répond très naturellement : « J’ai fait l’Homme invisible, c’est tout ! »

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi

 

En général, le héros homosexuel se prend pour l’Homme invisible parce qu’il se sent méprisé (ou qu’il se méprise lui-même et fuit son passé) : cf. le film « Faites comme si je n’étais pas là » (2001) d’Olivier Jahan, la chanson « Vous qui passez sans me voir » de Jean Sablon, le spectacle L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Philippe Robin-Volclair (le héros gay souffre de son invisibilité), la pièce Fils de personne (1943) d’Henry de Montherlant, le film « Señora De Nadie » (1982) de Maria Luisa Bemerg, le film « Femmes de personne » (1983) de Christopher Frank, le film « My Father Is Nothing » (1992) de Leone Knight, etc. « Moi, quand j’avais ton âge, j’voyais personne. Non, c’est le contraire. Personne ne me voyait. J’existais pas. » (Alex dans le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné) ; « Pour la première fois de sa vie, il rêvait d’être invisible. » (la voix-off du film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné) ; « Je voudrais disparaître dans une trappe, mais il n’y a pas de trappe. » (Élisabeth dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Mais je suis transparent ou quoi ? » (le héros homo réincarné en vitre, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Ma vie fut celle d’être celui qui souffle et qu’on oublie. » (Cyrano dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « La foule autour ignore ce qui se trame : tu demeures invisible. » (Félix, le héros homosexuel se parlant à lui-même à la deuxième personne du singulier, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 232) ; « Moi qui ne suis rien ni personne. » (Davide, le héros homo, chantant à son ami Rettore, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Moi, il ne me voyait même plus. j’étais invisible. » (Rémi, le héros bisexuel parlant de son père, dans la pièce Soixante Degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Personne ne semble se rendre compte que j’existe. » (Nina, l’héroïne lesbienne dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « J’ai attendu au café. Comme si j’étais transparente. » (idem) ; « Je ne suis rien. Je n’existe pas. Je suis une absence. Une lacune. » (idem) ; « Je me fondais un peu dans le décor. » (Hugo, le héros gay parlant de ses années lycée, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; etc. Par exemple, dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, se fait horreur et cherche à disparaître : « Si je pouvais tout effacer. À commencer par moi-même. » On découvre qu’à la base de cette schizophrénie se cache un grand manque à être : « J’ai toujours pensé qu’il valait mieux être quelqu’un d’autre que n’être personne. » Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, habite la maison familiale qui porte l’étonnant nom de « Visible ». Et lorsqu’il pratique son homosexualité, il cherche comme par hasard à fuir cette maison (« À la maison, c’est l’enfer. Et tellement bien avec toi. » dit-il à son amant Nicholas)… donc à être invisible.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi

 

Au bout du compte, quand le personnage homosexuel se définit comme un être transparent, c’est qu’il se prend pour Dieu ET pour le diable à la fois, pour un être insignifiant : « Je peux disparaître. » (Chloé dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan) ; « Personne ne peut me voir ni donc m’appeler. Je suis plus indistinct que le brouillard, et, semble-t-il, plus impalpable même que la nuit. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 25) ; « Être quelconque. Si tu savais comme c’est dur à accepter. […] Parce qu’on manque d’envergure. » (Jean-Marc dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay) ; « Tu me reprochais d’être transparent… » (Claude, le personnage homosexuel, à Serge, quand ce dernier se moque de son nouveau costume blanc très flashy, dans le film « Je préfère qu’on reste amis » (2005) d’Éric Toledano et Olivier Nakache) ; « De toute façon, avec moi, une femme, c’est toujours la femme d’un autre. » (idem) ; « Vous êtes quelconque. » (le narrateur homosexuel parlant de lui à la deuxième personne du pluriel, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 123) ; « Mon problème, c’est que je suis insignifiant. » (François Pignon dans le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber) ; « Je dois vraiment être insignifiante. » (Rinn, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « On nous appelait fantômes. » (le héros de la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (1650) de Cyrano de Bergerac) ; « Ils avaient rêvé d’avoir un fils comme lui, fonceur, costaud, bagarreur. J’étais le contraire : fragile de partout. Il m’appelait ‘Fleur de cristal’. » (Romain en parlant de son père, dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 27) ; « Elle avait l’art de rester invisible ; souvent les gens ne remarquaient pas sa présence, ce qui lui permettait d’écouter ce qu’elle n’était pas censée entendre. Ses parents passaient parfois devant elle sans la voir. » (Esti, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 130) ; « Si je pouvais creuser un trou par terre pour que personne ne me voie, je le ferais. » (Patricia, l’héroïne lesbienne du film « P.A. » (2010) de Sophie Laly) ; etc.

 

L’outil Internet permet même au héros gay de se sentir agissant sans vraiment agir, de se croire invisible : « Je me moque de l’endroit où je suis. […] Ici, je suis invisible. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 32) ; « Quoi qu’il arrive, souviens-toi que je suis lié à toi en silence – comme un homme invisible. » (Chris à son amant virtuel Félix, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 192) ; etc.

 

Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, la figure de l’Homme invisible occupe une place prédominante, et est, pour ainsi dire, « concrétisée » par le cyberespace : Denis et Luther vivent une relation virtuelle désincarnée (« Personne non plus dans ma vie ne connaît ton existence. ») ; Denis, le héros, avoue rechercher derrière chaque visage humain le reflet d’un fantôme, se prend lui-même pour un « ange luciférien » derrière son ordinateur, et se réfère clairement au mythe de l’androgyne (il évoque l’existence d’« un homme invisible comme séparé »).

 

La mention de l’invisibilité se rapporte à une recherche de transcendance amoureuse et spirituelle : cf. le roman Vers l’Invisible (1958-1967) de Julien Green, le roman Beatriz Y Los Cuerpos Celestes (1998) de Lucía Etxebarria, le film « Ice Men » (2002) de Thom Best, etc. « Tu viens comme moi d’une planète invisible. » (cf. la chanson « Ouverture » d’Étienne Daho) ; « Le vrai mystère n’est pas l’invisible. C’est le visible. » (Lord Henry dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mis en scène par Imago en 2012) ; « J’ai vu un ange ! Non, je ne suis pas fou ! Il est arrivé au lycée un être étrange que je ne connaissais pas, avec un visage aux traits si fins qu’ils semblaient sculptés dans le marbre. Un marbre blanc, indescriptible, presque translucide. » (Bryan en parlant de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 31) ; « Je peux sentir ta bite invisible. » (Judy Minx dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au Troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris, en avril 2009) ; « L’invisible, c’est justement ce qui m’attire. » (Monsieur Charlie dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Pauvre Stephen ! Elle ne put jamais s’imposer à elles : elles lisaient toujours en elle comme si elle avait été de verre. » (Stephen, l’héroïne lesbienne parlant de son rapport aux femmes, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 102) ; « Cela faisait des années que nous nous étions approprié l’hortensia. Dedans, nous étions invisibles, hors de portée de la maison, des regards du dessus et alentour. Il y avait l’odeur, je m’en souviens. Un arôme puissant d’hortensia pourri et d’humus. Encore maintenant, l’odeur végétale des hortensias conserve son pouvoir. » (Ronit par rapport à son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 212-213) ; « Tout se passerait donc entre fantômes, entre deux fantômes. » (cf. une phrase du film muet « Drops » (2013) de Bogdan D. Smith, racontant « l’histoire de deux fantômes amoureux ») ; « Tes lèvres sont bleues. Tu as sucé un bonhomme de neige ? » (Harold se moquant de son pote homo Emory, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Quand je te vois, j’ai l’impression que tu n’es pas réel. Que je suis dans un rêve. Comme si tu venais d’ailleurs ou que tu étais immortel ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 141) ; « Au milieu, il y a cette publicité qui me fait froid dans le dos, où l’on voit une jeune femme se désagréger. Je touche Chloé pour vérifier qu’il ne lui manque rien. […] Je voudrais tant qu’elle se rassemble, cesse de s’éparpiller, de partir en miettes. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman Karine Reysset, À ta place (2006), p. 64) ; « Je t’ai vu partir avec un masque de verre. » (Heiko, le héros homosexuel s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; etc.

 

Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Yves, le copain actuel de Jean-Marc, est présenté comme un homme transparent. Dans le film « 510 mètres sous la mer » (2008) de Kerstin Polte, quand Nathalie s’étonne de voir son amante Simone s’adresser à un sac plastique transparent (« Tu parles à un sac en plastique ? »), celle-ci assume son apparent délire (« Oui. » répond-elle). Les personnages de la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti expriment l’envie d’être transparents (ils apparaissent d’ailleurs enveloppés sous cellophane). Dans le film « Open » (2010) de Jake Yuzna, les personnages sont cagoulés comme l’Homme invisible : Cynthia, jeune hermaphrodite, rencontre Gen et Jay, un couple qui se remet d’opérations de chirurgie plastique ; et elle découvre ainsi la « pandrogonie », procédé par lequel deux personnes fusionnent leurs traits de visage en une seule entité unifiée, afin de tenir compte de leur évolution à partir d’identités distinctes. Dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, Claude adore le patinage artistique et est fasciné par la figure du patineur sur glace efféminé. Dans l’épisode 509 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 17 juillet 2019 sur TF1, Sandrine Lazzari, pourtant lesbienne, idéalise son amour de jeunesse Guillaume comme un être invisible toujours présent.

 

Mais cette quête d’invisibilité, de fusion avec l’Homme de Glace, est souvent déçue et se révèle dangereuse, car désincarnée. « Je me demande pourquoi Pierre prend une si grande place dans ce roman, car Pierre existe, il est mon ami dans la vie réelle ; qu’a-t-il de si irréel pour être le seul être vivant se glissant dans mon imagination parmi des personnages fictifs avec autant d’aisance ? » (la voix narrative à propos de son amant, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 11-12) ; « Comment veux-tu que j’aime un homme qui n’existe pas ? » (Phillip dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa) ; « Il m’a toujours semblé que tu étais insaisissable. » (Stéphane s’adressant à son jeune amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Je ne supporterai pas plus longtemps de vivre dans l’ombre. » (Gabriel s’adressant à son amant Philippe qui ne l’assume pas, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; « Tu connais quelque chose de plus réel qu’un fantôme ? » (Julia, l’héroïne lesbienne du film « Como Esquecer », « Comment t’oublier ? », 2010, de Malu de Martino) ; « J’étais invisible. » (Gilda essayant d’attirer désespérément l’attention d’Isa, dans la pièce Missing (2008) de Nick Hamm) ; « Son regard ne passe pas sur moi, juste à travers, comme si j’étais invisible. » (Cécile décrivant son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 24) ; « Tu es le seul à me voir. Moi-même, je ne me vois pas. » (Texor Texel dans le roman Cosmétique de l’Ennemi (2001) d’Amélie Nothomb) ; « Je ne te vois plus. Tu es flou. Oooh ! Tu disparais ! » (Didier à son amant, dans la pièce Chroniques d’un Homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « Tu dis toujours que nous sommes des gens invisibles. » (Jim à son amant George dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford) ; « Nous sommes invisibles, non ? » (Kenny à George, idem) ; « Je ne vous imaginais pas. » (Adèle s’adressant avec mépris à Georges, le compagnon jusque-là inconnu de son frère, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Je suis envahi par les fantômes. » (Silvano dans la pièce La Vie est un tango (1979) de Copi) ; etc. Dans le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine, quand Bruno dit à Fabrice qu’il l’a vu à l’église, ce dernier lui répond agressivement : « Moi aussi, je t’ai vu ! Qu’est-ce que tu crois ? T’es pas invisible ! » Dans le film « The Boy Next Door » (2008) d’un réalisateur inconnu, l’Homme invisible se trouve être l’amant client qui asservit un prostitué. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan, le héros homosexuel, raconte que, quand il avait 19 ans, il a été pris dans une tempête de neige alors qu’il se trouvait en voiture avec son amant Arnaud. Ils ont été rendus invisibles. Nathan s’est imaginé un accident dans lequel une voiture se serait encastrée dans la leur, et que leurs corps calcinés auraient été ensuite retrouvés sans vie, constitueraient les funestes carcasses noircies d’une homosexualité vécue dans l’ombre et stigmatisée socialement.

 

 

Le personnage homosexuel peut aussi qualifier quelqu’un d’invisible – et notamment l’individu de l’autre sexe – pour le mépriser et s’en débarrasser. « Les hommes n’ont pas de corps. » (Oshen – la comédienne Océane Rose-Marie – lors de son concert à L’Européen de Paris, le 6 juin 2011) ; « Déshabille-toi et j’arriverai. Comme l’homme du rêve. » (Léopold, l’homme toujours en vadrouille, s’adressant à son amant Franz qu’il va conduire au suicide, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; etc. Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Alba, la lesbienne, surnomme son mari « Ausente » (= Absent) : elle le définit comme un homme « transparent ». Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Hank et Larry, en couple, ont convenu que « tous ceux avec qui Larry trompait Hank s’appelleraient ‘Charlie ».

 

Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Nina, la « fille à pédés » enceinte de Vince, un homme hétéro qu’elle n’aime pas, décide d’élever son futur enfant avec son meilleur ami gay, George, qui fera office de père de substitution. George et elle décide de confisquer à Vince, le père de sang et de droit, son rôle de père : « Vince, je veux élever mon enfant avec George. » annonce solennellement Nina. Et Vince, blessé et agressif, lui rétorque : « Tu sais quoi ? Moi, je veux l’élever avec l’Homme invisible. »
 

L’Homme invisible, en tant qu’amant, prend même parfois les traits du diable, c’est-à-dire ceux d’une créature cruelle d’être incorrigiblement immatérielle : cf. la B.D. Journal (1) (1997) de Fabrice Neaud (avec le reflet de Stéphane qui se brouille peu à peu). On nous parle d’un « mal invisible » dans la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre. « C’est bizarre : On a cette chose en soi et on ne la combat pas, car on l’ignore. » (Martha à Karen dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) Dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, quand Mousse demande à Paul, le personnage homosexuel, s’il « a déjà aimé quelqu’un vraiment », celui-ci lui donne une réponse affirmative énigmatique : « Oui. Quelqu’un qui n’existe pas. »

 

L’invisibilité peut dire un contexte fictionnel noir, négatif, violent. « Tu es irréel et moi animal. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 212) ; « Dans ce monde froid, froid, on se sent vite transparents. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, parlant au nom de toutes les femmes lesbiennes) ; etc. Par exemple, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, c’est l’obscurité de la tanière qui rend les rats invisibles. Le film « Missing » (2004) de François Zabaleta traite des avis de recherche de personnes disparues, sur fond de meurtre non-élucidé. Le motif de l’Homme invisible suggère également une activité d’espionnage, de voyeurisme, de viol de la différence des espaces. Par exemple, le personnage du méchant Nazi du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, cherche à tout prix à se fondre dans le décor (« Je suis resté invisible. », p. 19) et suit en filature Madeleine dans une voiture noire discrète, « ordinaire, invisible à force d’être banale. » (p. 31) Dans le film « La Croisière » (2011) de Pascale Pouzadoux, , Raphaël va se travestir en femme pour passer inaperçu sur le bateau et espionner sa femme. Dans l’épisode 363 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 25 décembre 2018, André Delcourt, le père de Chloé l’héroïne, fait son coming out, après un « mensonge » et une disparition de plus de 35 ans : « À l’époque, je n’ai pas trouvé d’autre solution que de disparaître. »

 

Le lien entre invisibilité et viol ne doit pas nous étonner outre mesure. Ne perdons pas de vue que le célèbre mythe de l’Homme invisible a coutume d’agir fictionnellement avec une violence inouïe, puisque c’est une figure typique des films d’épouvante (comme on peut le constater dans le film « Matador » (1987) de Pedro Almodóvar, avec Diego qui se masturbe devant l’Homme invisible frappant violemment une femme).

 
 

b) Le personnage homosexuel voit un homme voilé ou bien s’enveloppe d’un voile qui le rend invisible :

Je vous renvoie au film « The Unveiling » (« Le sans voile », 1996) de Rodney Evans, au film « Rideau de Fusuma » (1973) de Tatsumi Kumashiro, à la photo Comme un ange (1986) d’Orion Delain, au roman Los Ambiguos (1922) d’Álvaro Retana (avec Julio l’homme-voile), au film « Belly Dancer » (2009) de Pascal Lièvre, au film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec « un hermaphrodite en voile de mariage »), à la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi (avec Ada, la femme-voile lesbienne), à la comédie musicale Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stéphan Druet (avec Ottavia la Blanca et son « voile matinal », décrit ironiquement comme un « abat-jour »), à la pièce Le Frigo (1983) de Copi mise en scène par Érika Guillouzouic en 2011 (avec le héros enveloppé d’un drap blanc), à la pièce Le Frigo (1983) de Copi (avec « L. » habillée en fantôme), au film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec l’amant-drap), à la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling, avec Valmont l’homme-voile), à tous les couturiers homosexuels des fictions (je vous renvoie à la partie « Couturier » du code « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Tout au long du roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, le corps humain se limite à un tissu fantomatique : « Encore plus désolant que tout à l’heure à présent qu’il est réduit à une couverture jaune tire-bouchonnée sur le matelas rayé… […] Dans la salle de bains il refuse de regarder les draps. Il les voit. Ils se sont dénoués. Ils vivent. Mais ils se taisent. » (p. 47) ; « Je ne peux pas lire le visage d’Hubert dissimulé par la toile bleue du transat replié. » (idem, p. 326) ; « À travers le rideau de ses mèches qui lui glissaient sans cesse devant la figure… » (idem, p. 406) ; « Hubert grogne, tout son corps enfoui dans le revers de sa robe de chambre, lové genoux au menton, empaqueté dans sa robe de chambre à demi recouverte par le drap. » (idem, p. 528) Dans le poème « Le Condamné à mort » de Jean Genet, on retrouve « les peaux de satin » et les draps humains : « Voile bleu ta tête couverte ».

 

Il est curieux de constater que certains héros homosexuels se prennent pour un drap : « J’ai souvent eu peur que ce tissu me domine, qu’il se fonde en moi. » (la jeune fille dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « [Zaza] ne peut pas vivre sans ses drapés. » (Georges dans la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « Cette fois-ci j’les enlève mes voiles. » (un des protagonistes homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Une lumière brillait derrière les rideaux de dentelle du salon des Becker. Les rideaux bougèrent comme quelqu’un en lissait les plis et s’écartait, mais Jane voyait encore sa silhouette, sombre et indistincte, qui l’observait depuis l’autre côté de la vitre. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 224) ; etc.

 

Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se met dans la peau d’une petite fille modèle ridiculement habillée en princesse par ses parents… et qui, à cause de son déguisement, ne peut pas exister. Pendant toute la pièce, paradoxalement, elle se déguisera en plein de personnages (surtout très machistes) afin d’acquérir une invisibilité : « Changer de vêtement pour ne pas être reconnue. » Elle croit que le fait de s’habiller en homme la transforme en homme (« Mon costume dit à l’homme = Je suis ton égale. ») et plus globalement en l’androgyne invisible : « Autre… mais indétectable. Presque un shoot. »
 

Il est à noter que dans les œuvres homosexuelles, l’Homme invisible est souvent un homme-voile : « La dentelle, c’est comme un miroir. » (Doña Augusta dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, p. 19) ; « Peut-être je disparais et ils me voient plus. […] Quelque chose vole devant moi, un grand drap bleu qui se pose en me recouvrant tout entier. Je regarde le miroir. Dedans, j’y vois ma tête qui me regarde aussi. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, pp. 84-85) ; etc. Dans le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, Elisa est la femme voilée, et Mahaut, au moment de lui faire l’amour, lui dit : « Je ne te vois plus. » Dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, la voix narrative enfile le jour de son mariage la robe mauve de l’invisibilité : « Je faisais de cette robe une seconde peau, un double de mon corps qui continuerait à vivre » (pp. 137-138) Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Phil, le héros homo, reçoit des vêtements filmés en chute libre et en slow-motion sur lui. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Kena et Ziki se retrouvent clandestinement sur les terrasses des toits de Nairobi (Kenya) où sèche le linge et des draps étendus.

 

Par ailleurs, on constate que le héros homosexuel est familier de la mode (il est parfois mannequin, ou styliste). « J’aime trop la haute couture. » (Marina, le travesti, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) Dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, l’univers des couturiers est associé à un « truc de pédés ».

 

Le personnage homosexuel refuse en général de connaître le sens de son attachement aux voiles et aux vêtements : « Le Docteur Feingold a prétendu que cette obsession vestimentaire trahissait une activité de substitution. Elle m’a dit que j’avais besoin de ritualiser mon chagrin et que cette manie de choisir des vêtements remplaçait dans mon esprit une expression plus profonde de la perte. J’ai eu envie de lui demander : ‘Et vous, docteur Feingold, vous vous êtes déjà interrogée sur ce que cela signifie, pour vous, de vivre seule dans un appartement blanc immaculé, avec un chat impeccable que vous appelez Bébé ? Bien sûr, je me suis contentée de l’écouter et d’acquiescer, car je n’avais aucune envie d’entamer de nouveau une conversation sur mon agressivité, mes limites et ma tendance à ‘résister au processus’, comme elle dit. Ce qu’elle ignore, c’est que ma vie est bâtie sur cette résistance au processus. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 67)

 

Le corps voilé représente souvent le corps violé : « C’est un moment fort où se réveille l’eau qui dort, un moment clair où je me confonds à ta chair. C’est le feu et la soie. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Y me semble de te voir en train de souffrir dans un voile transparent. » (Mélène à son ami Jean-Marc, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 55) ; « Le jeune homme flotte nu au-dessus du sol, le cou enveloppé de ce voile. » (la description du corps de Cyril, pendu, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 221) Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le couple homosexuel est figuré par un homme en costard et un autre portant une burka féminine sur le visage. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, apparaît, au moment du salut final, avec un voile de mariée sur la tête… car il s’est fait violer par la belle-mère de son copain. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite plein de personnage avec un drap blanc qu’il porte en toge, en voile de mariée. Et dès qu’il se met dans la peau de sa mère, il s’adresse à son père invisible lui parlant : « Ton père arrive ! Enlève ce rideau ! » Le drap enveloppe ici le personnage homosexuel comme dans un cocon incestuel.

 
 

c) Le personnage homosexuel parle d’une momie ou se considère comme une momie :

On retrouve le motif de la momie dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité : cf. le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le poème « El Cadáver » de Néstor Perlongher, « Le Bal des maudits » (1958) d’Edward Dmytryl (avec Marlon Brando au visage plâtré sur son lit d’hôpital), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, le spectacle Rêve d’Égypte (1907) interprété par Colette au Moulin-Rouge, la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora, la pièce La Sonate des spectres (1907) d’August Strindberg, le film « Maurice » (1987) de James Ivory (avec les bandages de Clive), le film « Hustler White » (1997) de Bruce LaBruce et Rick Castro, les tableaux de Charles-Louis La Salle, le poème « En cœur forgé » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, le vidéo-clip de la chanson « Remember The Time » de Michael Jackson, etc.

 

"Le Livre blanc" de Copi

« Le Livre blanc » de Copi

 

Des allusions récurrentes à la momie sont faites dans des intrigues qui n’ont parfois rien à voir avec elle : « Espèce de momie ! » (Santiago insultant Doris, l’héroïne lesbienne de la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Pietro Gentiluomo. Je l’ai dragué au musée du Vatican il y a bien dix ans, il était venu dessiner les momies égyptiennes, il retouchait des photos pour en faire des cartes postales, c’est son métier. » (la voix narrative du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 12) ; « Regarde, maman ! Il [le Jésuite] allait se tirer avec les joyaux de la momie de grand-mère ! » (la Princesse à la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Continuez à manger vos momies ! » (le Rat, idem) ; « Elle va pas recommencer, la momie !!! » (Romain, le coiffeur gay, s’adressant à la concertiste lesbienne Isabelle, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Pédé est « momifié » (p. 352) ; Solitaire raffole des momies « construites en série », et veut s’en acheter deux ou trois pour les exposer dans sa galerie.

 

N’oublions que l’Homme invisible, dans le célèbre film de James Whale, est couvert de bandelettes, et que donc la momie est symbole à la fois d’invisibilité et d’homosexualité. On retrouve les momies homosexuelles dans quelques œuvres de fiction. Par exemple, dans le film « Bandaged » (2009) de Maria Beatty, Lucille, l’héroïne lesbienne, a le visage bandé. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel met des bandes de scotch jaune partout sur le visage de son amant Omar. Dans le film « La Comunidad » (« Mes Amis les voisins », 2000) d’Alex de la Iglesia, Julia, employée d’une agence immobilière, traite deux clientes potentielles de « momies lesbiennes » en leur imaginant des positions sexuelles en forme de ciseaux, afin de les choquer et de s’en débarrasser. Dans le film « Adèle Blanc Sec » (2010) de Luc Besson, apparaît un merveilleux exemple de momie homosexuelle : au Musée du Louvre, la momie Patmosis reste scotchée devant la peinture de st Sébastien, le « saint patron » de la communauté homo…

 

Le personnage homosexuel se voit lui-même comme une momie dans un sarcophage : « Dans mes draps de papier tout délavés, mes baisers sont souillés. » (cf. la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer) ; « Et toi, mon vieux chien Médoro, compagnon fidèle de mon exil doré, vous tous, mes chers vieux petits adoptés, vous serez enterrés dans des petites amphores, accompagnés de ma momie, dans ma pyramide en cristal que j’ai fait bâtir sur l’Altiplano bolivien suspendu sur le lac Titicaca. » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Paul est décrit par Jean Cocteau comme une momie qui prépare sa sépulture lui-même parce qu’il est un « être-pour-la-mort » : « Il faisait plus que se coucher. Il s’embaumait. Il s’entourait de bandelettes, de nourriture, de bibelots sacrés, il partait chez les ombres. » Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), l’humoriste Samuel Laroque rentre dans la peau d’une Catherine Deneuve transformée en momie.

 
 

d) Le personnage homosexuel affirme être ou voir un homme invisible aux multiples facettes, comme un diamant travaillé :

Il est fréquemment fait mention des diamants dans les œuvres homosexuelles : cf. le film « Le Cargo de diamants » (1920) de Fritz Lang, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, le film « Les Diamants sont éternels » (1971) de Guy Hamilton, la chanson « Diamonds And Rust » de Joan Baez, le one-(wo)-man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set, la chanson « Paris » de Taxi Girl, le film « Fric-frac rue des Diams » (1974) d’Aram Avakian, la chanson « Diamonds » de Rihanna, etc. Ils renvoient en général au désir d’être objet et de se prendre pour Dieu : « Depuis que je chine au bazar de la quincaille stellaire, j’y ai dégotté de la fine émeraude à m’emperlouser d’éternité. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, pp. 9-10)

 

Dans la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès, Pancho, le Mexicain homosexuel, entonne la chanson « La Rockeuse de diamants » de Catherine Lara. Dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, Ray Smith lit Sutra de Diamant (p. 33). Dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, Helena est l’épouse d’un richissime diamantaire travaillant en Namibie. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Annonciade, le meilleur ami transsexuel M to F de Zize, est fardé de bijoux. Dans le film « Friendly Persuasion » (« La Loi du Seigneur », 1956) de William Wyler, Eliza, la mère de Jacques, propose à son fils et à son ami Jérôme d’aller se rendre à une « exposition de minéraux », ce qui semble incongru aux oreilles de Jacques. Et plus tard, les trois donzelles qui le convoiteront et le dégoûteront des femmes – les filles de la veuve Hudspeth – portent le nom de pierres précieuses : Opale, Perle et Rubis.

 

Dans toute l’œuvre romanesque et dramaturgique de l’Argentin Copi, on retrouve la femme-objet (bourgeoise-prostituée transsexuelle) parée de bijoux la désignant comme l’androgyne mi-homme mi-femme : cf. la pièce La Pyramide ! (1975) (avec l’épingle à cravate assortie d’un gros diamant), la nouvelle « La Baraka » (1983) (avec Mme Ada, voleuse de diamants et des bijoux de la Couronne d’Angleterre), le roman La Cité des Rats (1979) (avec la Reine des Rats se prénommant « Bijou » ; mais aussi l’Émir des Perroquets, tout de bijoux et de diamants orné, avec « une cicatrice qu’il porte autour de la cheville », comme l’androgyne blessé, p. 101), la pièce Les Quatre Jumelles (1973), etc. « À Ibiza Michael et moi nous avons trouvé un diamant sur la plage. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 139) ; « Je mets Michael et Patrizia à la porte avec leur part de diamants. » (idem, p. 145) ; « Elle [la cantatrice Regina Morti] n’a pas peur de se faire arracher les diamants dans le métro. » (cf. la pièce Une Visite inopportune, 1988) ; « Je vous ai donné toutes mes perles ! » (idem) ; « Il [le prince Koulotô] était le chef spirituel de deux cents millions d’âmes extrêmement pieuses qui lui faisaient cadeau tous les vendredis de son poids en diamants et d’un oiseau en papier, l’emblème de sa dynastie. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978), p. 93) ; « Il se peut que la lumière dont tu me parles sans cesse ne soit que celle du collier de diamants de feu de ta mère ou de la mère de ta mère ou de la Reine d’Angleterre ou bien d’une Pharaonne ! » (Lou à sa mère Solitaire dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986)) ; « Les lesbiennes ont des diamants dissimulés entre les miches ! » (Fifi, idem) ; « Tu crois que je devrais prendre avec moi la petite valise de diamants ? Non, qu’on les expose. » (cf. la pièce Eva Perón, 1969) ; « Sa beauté indiscutable se passait de l’intelligence. L’élégance avec laquelle elle portait un corsage entièrement brodé de diamants sous une hermine et une toque en plumes d’oiseau de paradis pour monter les escaliers de l’Opéra, la faisait paraître d’un naturel parfait chez les figurants de la jet society. » (la description de Maria-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983), p. 32) ; « Elle a beaucoup insisté pour que je m’ fasse percer l’oreille pour qu’elle puisse m’offrir un diam’s. Maintenant, je m’ fais traiter d’pédé pour faire plaisir à ma poupée. » (cf. la chanson « Marre de cette nana-là » de Patrick Bruel) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, il est question d’une prostituée russe, Katouchka, qui est surnommée par Yoann l’amant de Julien « Catouchatte », par jalousie. Celle-ci aurait couché avec Julien, et fait des défilés pour Karl Lagerfeld, à poil, « avec un diamant à la place de la chatte ».
 

Le diamant est parfois la métaphore de l’amant homosexuel : cf. le film « Le Chat croque les diamants » (1968) de Bryan Forbes, le film « L’Oiseau au plumage de cristal » (1968) de Dario Argento, le roman Garçons de Cristal (1981) de Bai Xianyong, etc. Dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, Chloé est comparée à un « diamant brut » (p. 155) par son amante Cécile. Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, une patiente lesbienne a reçu de la part de son amante septuagénaire Lili un diamant pour « leur » premier anniversaire de couple : « C’est pour ça que Lili c’est mon deuxième papa.»

 

Le diamant, aussi surprenant que cela puisse paraître, est symboliquement signe d’invisibilité : « Elle [Sylvia] montra du doigt une petite chouette d’or sommairement travaillée, aux ailes d’émeraude, la tête piquée de diamants avec deux topazes pour les yeux. […] Je revois cet oiseau plus nettement que son visage dont je ne perçois qu’un seul profil – l’autre moitié devenue invisible, à la manière d’un miroir. » (Laura, l’héroïne lesbienne, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 30) ; « On peut mettre un diamant dans une boîte d’allumettes, et une merde dans une boîte à Cartier. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Elle [Groucha] me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo. » (Yvon en parlant de la maléfique Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 264) ; « Jane se réveilla en pleine nuit. Elle sortit de la chambre et resta un instant dans la salle de bains, aussi étincelante qu’un coffret à bijoux, guettant des signes de vie dans l’appartement voisin. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 79) ; etc.

 

L’Homme invisible est parfois associé à un diamantaire au regard diabolique, possédant plusieurs visages (cf. je vous renvoie au code « Quatuor » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels), donnant l’impression spectaculaire et séduisante qu’il est plusieurs, infini, et éternel… alors qu’il n’est finalement qu’un, et qu’il est déjà mort : « Je travaille en solitaire. Au sens diamantaire du terme. » (Paola dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Je suis né une seconde fois et ai compris que je n’étais pas un, mais plusieurs. » (Cyril, le « méchant » du roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 33) ; « J’vois tes grands airs de diamantaire. T’as plus de mystère. Comme tu as changé. » (cf. la chanson « Mylène s’en fout » de Mylène Farmer) ; « Tu observes le bébé SS à la façon d’un diamantaire devant une pierre. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 148) ; « Dieu t’aime. Pour lui tu es le plus beau des diadèmes. » (Mgr Miriel à Valjean dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy) ; « Hugues ne disait rien. Il se contentait de triturer avec la pointe de son couteau la cire encore molle qui avait coulé sur la table en chêne. Il avait le visage durci et mauvais. À la lueur des bougies, ses traits paraissaient plus durs qu’à l’accoutumée. L’arête de son nez, rendue plus aiguë par les méplats ombrageux du reste du visage, semblait aussi coupante que du diamant. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 41) ; « Vous [Linda] êtes assise sur une faux ? C’est un croissant de Lune ? Attention, ça coupe ! Aïe, Linda ! Vous jaillissez de partout ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Il naît du pétrole un petit diamant fragile d’où coule le sang d’une rencontre trop bousculée, trop prétentieuse, trop généreuse avec les doigts gantés d’un orfèvre. Un cristal saigne : son pétrole est rouge. » (cf. la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) Cet homme-diamant est en général malveillant. Par exemple, dans la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, l’un des amants du héros est voleur de diamants.

 

Le diamant peut parfois indiquer la mort : mort du corps (par le viol), ou du moins du désir. « Alexis Guérande est mort. Alexis Guérande est mort, ce matin, à côté de moi. Il est mort, frappé à la tête par une balle de hasard, dans un moment de répit, dans un moment où les combats avaient cessé et où notre attention s’était relâchée. Juste une balle qui s’est logée dans sa tempe gauche, rien d’autre, quelque chose de très net, comme un éclat de diamant pur qui forme tout à coup un trou rouge au bout de ses sourcils. La mort a été instantanée. » (Arthur parlant d’un compagnon de tranchée, un poète breton de 20 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 175) ; « Elle [Jolie] avait autour du cou, pour dissimuler huit cicatrices de chirurgie esthétique, un million de dollars en diamants. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 167) ; « Le cerveau malade de cette idée s’obsède d’une pensée circulaire coupante comme un diamant et tournant sur elle-même jusqu’à une vertigineuse vitesse qui la stabilise en un effet stroboscopique. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 40)

 
 

e) Le caméléon (ou le lézard) symbolise un désir de toute-puissance dans la disparition :

Film "Hildes Reise" de Christof Vorster

Film « Hildes Reise » de Christof Vorster

 

Le caméléon est un reptile qui a la réputation de se fondre dans le paysage, de changer de couleur et d’identité(s). Pas étonnant, donc, qu’il soit repris comme symbole du désir homosexuel dans beaucoup de créations homo-érotiques : cf. le roman Le Caméléon (1994) de Claude Arnaud, le film « Furyo » (1983) de Nagisa Oshima, le film « Le Secret du Chevalier d’Éon » (1959) de Jacqueline Audry, l’album « Karma Chameleon » de Culture Club, le roman Le Lézard noir (1969) de Yukio Mishima, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, le film « Miwa : à la recherche du Lézard noir » (2010) de Pascal-Alex Vincent, la pièce The Night Of The Iguana (La Nuit de l’Iguane, 1961) de Tennessee Williams, le film « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » (1984) de Pedro Almodóvar (avec le lézard domestique), la pièce El Ritual De La Salamandra (1982) d’Hugo Argüelles, le film « Ma Mère préfère les femmes » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman, le film « La Salamandre » (1969) d’Alberto Cavallone, le film « Reptile » (1970) de Joseph Mankiewicz, le roman L’Amour Caméléon (1998) de François-Xavier Bellest, le roman Carnaval (2014) de Manuel Blanc (avec le héros homosexuel, passant de déguisement en déguisement), la chanson « Équivoque » de Jean-Luc Lahaye, les chansons « Caméléon » et « Espionne » de Catherine Lara, etc. Dans la série Demain Nous Appartient, André, l’un des héros homos, a un iguane.

 

Il est courant d’entendre le personnage homosexuel se mettre dans la peau du caméléon, ou bien qu’il soit comparé à cet animal soi-disant « invisible » : « Je suis un caméléon. Je change selon les saisons. Je change selon les amants ! » (Anne Cadilhac lors de son concert Tirez sur la pianiste : Récital schizophénik, 2011) ; « Moi, j’suis un vrai lézard. » (Paul, le personnage homo, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon) ; « Je me fous bien du qu’en-dira-t-on. Je suis caméléon. » (cf. la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer) ; « C’est un caméléon, un voyageur, un vagabond. Tragique imposteur, il se mélange dans ses couleurs. » (cf. la chanson « Caméléon » de Véronique Rivière) ; « Elles étaient une et cent à la fois, toutes se confondant en un instant, toutes défaillantes en un moment, toutes légères. » (la jeune fille dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je suis un masque, je suis un caméléon. » (Éric, le personnage homo de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « La peau du caméléon, c’est pour se cacher des autres animaux. » (Prune, en lecture de classe à l’école primaire d’Adèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Aujourd’hui, je suis un caméléon qui a des problèmes de santé. » (Jean-Marc, l’un des héros homosexuels de la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian Gray cherche à « multiplier ses identités, à se ré-inventer ». Au début du film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard Brackett, prof de lettres à l’université, décrit un auteur célèbre comme le caméléon homosexuel (« Avant, c’était une sorte d’iguane… ») que lui-même va devenir puisqu’il va faire son coming out. Dans le répertoire musical de Jann Halexander, l’homme noir est maintes fois présenté comme un caméléon, un Homme invisible sans couleur attitrée : « Ça va du noir jusqu’au très blanc. […] Invisibles, c’est mieux de goûter au luxe de l’indifférence. » (cf. la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… »)

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi

 

Le caméléon est symboliquement la métaphore du désir de se substituer à Dieu : « Mon fils aussi [a beaucoup voyagé] ! Mais il a grandi si vite que je n’arrive même pas à me souvenir de son visage. Mais ce n’est pas illogique je pense. Comment pourrait-il avoir le même visage, n’est-ce pas, dans des endroits différents ? C’est dans tous les manuels de bienséance ! Mais je suis sûr qu’après tout, il vous ressemble ! J’ai remarqué. Chaque jour vous ressemblez à quelqu’un de différent. […] Je crois que vous êtes Dieu. […] Mon fils aussi, il est Dieu. » (Jeanne au marchand de melons dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Gatal, le héros homosexuel, est peinturluré en caméléon multicolore ; et son fiancé aussi (lui porte une immense manteau multicoloré, et surgit du ciel).

 

La crispation du héros homosexuel à être un caméléon illustre aussi son refus de s’accepter lui-même, de grandir, de changer, d’accepter ses métamorphoses naturelles : « Jane avait détesté la puberté, l’intrusion du sang et des seins, les messes basses entre filles et les invitations des hommes qui les suivaient en voiture en roulant au pas. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 29) Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique pour rajeunir. Il découvre horrifié sa gueule de « gros lézard qui mue » dans un double miroir.
 

Le problème de cette identification au caméléon, c’est également l’immatérialité subséquente en amour (l’amant devient insaisissable, inattendu, décevant, inconstant, fusionnel et destructeur), c’est l’angoisse individuelle de la perte d’identité : « Là résidait un des plus graves dangers de cette aventure : en passant d’une personnalité à l’autre, il courait le risque de se trouver, un jour, dans la peau d’un indifférent et d’y rester. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 94) ; « J’ai tellement aimé être aimée par toi. J’épousais tes contours caméléon, je me fixais à toi parasite. » (Cécile à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 42) ; « J’avais une dizaine de partenaires dont un Noir américain, une strip-teaseuse, un vieux peintre surréaliste. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 21) ; « De toute façon avec toi, on ne sait jamais quand tu es sincère et quand tu ne l’es pas, non mais c’est vrai, tu mens tout le temps, à la fin on sait même pas quand tu dis la vérité. Même Léo, qu’est-ce que tu crois, j’ai dû lui expliquer que tu étais Foucaldien, que tu te réinventais sans cesse pour qu’il ne soit pas choqué le jour où il te connaîtrait mieux et où, en deux minutes, il te verrait changer de discours en deux secondes. » (Polly, l’une des héroïnes lesbienne, parlant à son pote gay Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 119) ; etc.

 

Le caméléon devient l’amant homosexuel kaléidoscopique, sans visage parce qu’il en a 1000 : on n’a plus trop envie de lui faire confiance.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’Homme invisible, ou le désir/la peur d’être transparent :

Documentaire "The Invisible Men" de Yariv Mozer

Documentaire « The Invisible Men » de Yariv Mozer

 

L’homme invisible dont parlent certaines personnes homosexuelles semble être une projection fantasmée cinématographique de ceux (ou celles, si on parle des actrices) qu’elles auraient souhaité être : « Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton)

 

Je vous renvoie au documentaire « Transparent » (2005) de Jules Rosskam, à l’autobiographie Everybody’s Autobiography (1937) de Gertrude Stein, à la photo Unidentified Man (non datée) d’Andy Warhol, à l’essai Ceci n’est pas un fantôme (2011) de Pierre Katuszewski (traitant de la place des hommes transparents dans les œuvres de Bernard-Marie Koltès, Pier Paolo Pasolini, Edward Bond, etc.), au documentaire « The Invisible Men » (2012) de Yariv Mozer (sur les Palestiniens homosexuels), à la session « El Hombre Invisible : Homosexuales Y Otros Hombres Que Tienen Relaciones Sexuales Con Hombres En La Epidemia Mundial De VIH » (lors du 27e Congrès International de México City en mars 2008), à la biographie William Burroughs, The Invisible Man (1992) de Barry Miles (dans les années 1950 à Tanger, des garçons de la rue ont surnommé Burroughs ainsi), etc. Il existe en Suisse une association appelée Transparents et regroupant les parents transsexuels : la plupart des « transparents » ont eu des enfants dans le cadre d’un mariage précédant leur parcours transsexuel.

 

INVISIBLE 8 AFFICHE Stuart

 

Ce n’est pas par hasard si le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz emploient la métaphore de l’Homme invisible pour dresser le portrait d’une dizaine de témoins homosexuels : « Des hommes et des femmes, nés dans l’entre-deux-guerres, ils n’ont aucun point commun sinon d’être homosexuels et d’avoir choisi de le choisir au grand jour, à une époque où la société les rejetait. Ils ont aimé, lutté, désiré, fait l’amour. Aujourd’hui, ils racontent ce que fut cette vie insoumise, partagée entre la volonté de rester des gens comme les autres et l’obligation de s’inventer une liberté pour s’épanouir. Ils n’ont eu peur de rien… » (p. 70) Ni que les publicités qui promeuvent les « familles homoparentales » décrivent les couples homosexuels comme des « parents invisibles » (et sans états d’âme, en plus ! alors que c’est concrètement dramatique).

 

 

Déjà, un détail qui a son importance : le créateur de l’Homme invisible, James Whale, était un réalisateur connu pour son homosexualité.

 

Ensuite, on peut dire que la recherche d’invisibilité caractérise beaucoup d’individus homosexuels : elle dit chez eux un complexe de supériorité et d’infériorité énorme (= je suis insignifiant). « Il est probable qu’un poète est un homme invisible. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « Une chose complètement invisible, je suis une Jeanne d’Arc, une voyante. » (Christine Angot, Quitter la ville (2000), p. 45) ; « Y’avait un côté super-héros pour le titre du spectacle. » (Océane Rose-Marie parlant de son spectacle La Lesbienne invisible, dans l’émission Dans les yeux d’Olivier, « Les Femmes entre elles », d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq, France 2, 12 avril 2011) ; « Physiquement, il ressemblait un peu à ses dessins : un être immatériel, un peu funambule, qui marchait à tâtons. » (Alfredo Arias parlant de Copi, dans l’article « Copi, ma part obscure » d’Hugues Le Tanneur, sur le journal Eden du 12 janvier 1999) ; « En réalité, je suis un homme tout ce qu’il y a de plus banal. » (Peter Gehardt, ironique, dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; etc.

 

Par exemple, en ce qui me concerne, à l’adolescence, je me mettais dans la peau de Ma Sorcière bien-aimée, la série nord-américaine, où l’héroïne, souvent, disparaissait comme par enchantement.

 

 

Dans sa biographie Saint Genet (1952), Jean-Paul Sartre évoque la vie d’homme invisible de Jean Genet (p. 101). Dans l’article « Écriture lesbienne : Stratégie de marque » de l’essai Les Études gay et lesbiennes (1998) de Didier Éribon, Nicole Brossard nous parle de « l’invisible lesbienne » (p. 54). Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Celia, la conservatrice de musées, s’adressant à Bertrand en lui disant que « la disparition, c’est ma spécialité. » Elle mène son manège à exécution puisqu’à la fin du film, elle disparaît sans crier gare.

 

INVISIBLE burroughs

 

L’invisibilité sera même envisagée comme une preuve indiscutable de la vérité de l’homosexualité ! « Les invisibles bis. » (un témoin homosexuel dans le documentaire « La Grève des ventres » (2012) de Lucie Borleteau) ; « La lesbienne (masculine) n’est pas invisible. Le problème, c’est qu’elle est plus que visible. » (une mère de femme lesbienne dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti) ; « Est-ce qu’elles se cachent ? Est-ce qu’on les cache ? » (des propos concernant les femmes lesbiennes, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) ; « Les associations LGBT se sont occupées de l’émergence de ceux qui furent longtemps invisibles. » (la voix-off dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre) ; etc.

 

Dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, Michel Bozon insiste sur la prétendue « invisibilité du lesbianisme » (p. 10).

 

Mais cette vie de marginal clandestin, vivant caché, n’est pas de tout repos, car un certain nombre de personnes homosexuelles s’engouffre dans le mensonge, le double vie, la paranoïa, l’exhibitionnisme, l’angoisse de ne pas être aimé, et la perte des repères. « Peu à peu, je fis mon chemin dans le milieu. Toujours dans un cadre très discret, je passais d’un appartement à un autre, d’un corps à un autre, aucune contrarié par le manque de plaisir, alors que dehors, j’étais l’être le plus anonyme dépourvu d’intérêt. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 114) ; « La discrétion, c’est être mort, invisible. C’est pas une option. L’option, c’est au contraire d’être encore plus visible. » (Wilfred de Bruijn dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt)

 

Par exemple, dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar, Keegan dit son angoisse d’être invisible. Lors de son concert à La Boule Noire (2007) à Paris, Jean Guidoni chante sa « peur qu’on ne le voie pas ». Le sentiment d’être invisible rejoint celui de l’abandon d’amour : « Personne n’a plus besoin de moi et on ne remarquera pas mon absence. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 301) ; « On aurait dit qu’ils avaient décelé ma personnalité, ou mon manque de personnalité, aussitôt qu’ils m’avaient vu. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 55) ; « Quelque chose d’étrange en moi les touchait. Mon absence au monde. L’oubli de mon corps. Mes 50 kg. Mon effacement progressif. […] On ne m’avait donc pas complètement oublié malgré mon désir de disparaître, devenir invisible. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 59) ; etc.

 

La théorie du Gender est en quelque sorte l’idéologie de l’Homme invisible. Par exemple, dans son excellent essai Le Genre démasqué (2011), Élizabeth Montfort fait mention de « cette école suédoise Egalia où il n’y a ni filles ni garçons, ni ‘il’ ni ‘elle’, mais les ami(e)s. Ils choisiront… plus tard. Ne rien révéler aux enfants de ce qu’ils sont, garçon ou fille, revient à les mettre dans un conditionnement terrible : celui du néant. Mon nom est personne ! » (p. 47)

 

Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, une des témoins intersexes qui se fait appeler « M est filmée comme un être translucide lumineux, sans visage. Comme un Homme invisible. D’ailleurs, elle se définit elle-même ainsi : « Comme je n’aimais pas mon corps, la question, c’était comment faire pour qu’il soit transparent, et transparent au milieu des autres. »
 

« M » et Déborah, intersexes


 

L’invisibilité est une stratégie de survie, mais aussi de l’homophobie homosexuelle. « Plus l’homosexualité s’affirme, plus ses limites deviennent incertaines. » (Jacques Fortin, Homosexualités, l’adieu aux normes (2000), p. 172) ; « L’archétype du pédé, un cliché sans visage. » (Nicolas Guilleminot, dans la comédie musicale Sauna, 2011) ; « Masculin ? Féminin ? Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. » (Claude Cahun, citée dans l’exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries, à Paris, en juin 2011) ; « Il y a tous les homos qui ‘se font voir’. Et il y a tous ceux que vous ne voyez pas. Je compare l’homosexualité à un iceberg où seule la pointe apparaîtrait et serait visble ; et c’est par cette pointe que vous jugeriez de l’iceberg entier. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc. Beaucoup d’auteurs homosexuels parlent à visage couvert dans leur roman, surtout pour ne pas avoir à se justifier d’être homo et d’aimer homosexuellement (cf. je vous renvoie au code « Déni » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le « vous » narratif est à la fois un « je » et une « non-personne », un être invisible en quelque sorte.

 

Le mensonge de l’invisibilité homosexuelle fait tache d’huile sur le couple homo. L’amant homosexuel est souvent défini comme un amour inaccessible, insipide, absent, un voleur, le maître de ce qui ne peut pas être montré, à savoir le mal ou le viol : « Cette nuit-là, j’avais rencontré mon Homni (Homme Non Identifiable). » (Lionel Vallet dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 50) ; « Il me fallait exorciser le diable [la culture ouvrière] en moi, le faire sortir de moi. Ou le rendre invisible, pour que personne ne puisse deviner sa présence. Ce fut pendant des années un travail de chaque instant. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 115) ; « Pendant des années, je pensais : ‘Je ne connais pas ce garçon’. […] Parfois, je pensais : ‘Est-ce qu’il me voit ? Est-ce qu’il sait que je suis là ?’. » (André en parlant de Laurent avec qui il est resté 10 ans en couple, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno fait l’amour avec un mort : l’Homme invisible.

 

L’Homme invisible est tout simplement la métaphore de la mort, du diable. « J’étais dans l’horreur de ma propre confusion. Je la voyais bien. Je la comprenais parfaitement. Je marchais avec elle en silence, en bataille, jamais en paix. Je n’y pouvais rien, j’étais dominé par cette force supérieure, invisible, inconnue, et qui m’entraînait vers le chaos intime. Je voyais de temps en temps en moi l’image de ma sœur Lattéfa qu’on disait possédée. Qui l’était. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 86) Il arrive d’ailleurs que certaines personnes homosexuelles en parlent comme le père absent, ou le frère décédé qu’elles n’ont pas connu. « La fille unique que je suis n’a jamais eu à se mesurer à un frère, donc à un garçon. Elle ne s’est heurtée qu’à un fantôme. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 40)

 

Festival "Projection Moving_Image" à New York, sur le thème "G comme Gender"

Festival « Projection Moving_Image » à New York, sur le thème G comme Gender

 

Cette invisibilité montre surtout que le désir homosexuel, en expulsant la différence des sexes, a du mal à s’incarner, à être aimant et à épouser l’Humain. « L’invisible est indivisible du visible pour les transsexuels, ce n’est pas une maxime philosophique, ce peut être la différence qui existe entre la vie et la mort. » (Larry Wachowski, homme transsexuel M to F, dans son discours au HRC’s Visibility Awards de San Francisco en octobre 2012) Il est comme en suspension. À l’instar des désirs de mort qui nous font souhaiter disparaître.

 
 

b) L’homme voilé :

Autoportrait "Le Fiancé" d'Hervé Guibert

Portrait « Le Fiancé » (Thierry) d’Hervé Guibert

 

Hervé Guibert, dans la photo Le Fiancé qu’il a fait de son partenaire Thierry, enveloppé d’un tulle blanc, et ressemble à un Homme invisible. On retrouve l’homme-voile dans la lettre De Profundis (1897) d’Oscar Wilde, dans l’autobiographie Red Carpets And Other Banana Skins (2006) de Rupert Everett, etc.. Par ailleurs, de nombreux couturiers, stylistes, modélistes, sont connus pour être homosexuels : par exemple Ted Lapidus, Michael Kors, Jean-Paul Gaultier, Karl Lagerfeld, Yves Saint-Laurent, Tom Ford, Julian Mc Donald, Dolce & Gabana, Giorgio Armani, John Galliano, Gianni Versace, etc.

 

Certaines personnes homosexuelles affichent leur hyphephilie, « l’amour des textiles » (Agnès Giard, Le Sexe bizarre (2004), p. 36) : « À l’intérieur de l’armoire, les vêtements tombaient l’un après l’autre des cintres. Au fond, accrochées ainsi que des marionnettes, deux poupées, de taille humaine, étaient enlacées comme pour danser le tango. » (Alfredo Arias dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 263) ; « Moi qui adorais me singulariser par mes tenues vestimentaires » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 57) ; « Me voilà, au milieu de toutes ces robes andalouses, à danser des sevillanas. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; etc. La toile ou le vêtement donne l’illusion d’une transcendance et d’une transgression de la différence des sexes : « J’adorais le ski (j’adore toujours) parce qu’il n’y avait plus ni homme ni femme une fois la combinaison enfilée. Seul le talent compte. » (cf. l’article « Tom Boy à l’affiche » de Bab El)

 

Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, dès le début, une très grande place est offerte aux draps, aux couvertures, aux tissus (en particulier corporels). « J’ai découvert à 27 ans que j’étais intersexuée. En trouvant mon dossier médical caché au fond d’une armoire ? Sur le compte-rendu opératoire, il était écrit noir sur blanc : ‘Tissu testiculaire’. » (personne intersexe qui se fait appeler « M »)
 

Pour ma part, dans mon enfance, j’étais fasciné par ce personnage du dessin animé « Le Sourire du Dragon » nommé Sheila la Furtive, qui portait une cape d’invisibilité.

 
 

c) La momie :

 

Je vous renvoie à la campagne publicitaire de l’association de prévention contre le Sida AIDES (dans ce spot, vers la fin, le héros gay est transformé en Homme invisible méconnaissable sur son lit d’hôpital). Dans le documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) de Marion Cajori et Amei Wallach, on voit la sculptrice Louise Bourgeois en train de couvrir de bandages un homme lors d’un happening « artistique ».

 

Le motif de la momie semble traduire chez certains auteurs homosexuels, une idolâtrie pour des hommes-objets et des femmes-objets qu’ils rêveraient immortels, et plus profondément un désir d’être objet. « Sabah faisait son come-back. Cette chanteuse libanaise mythique de plus de 80 ans qui était devenue, à force de liftings, une statue, une momie, une icône, une petite fille étrange à la chevelure flamboyante et très blonde. Une femme à la voix un peu rauque qui défie le monde et le monde arabe. » (Abdellah Taïa exprimant son adoration de la chanteuse vieillissante Sabah, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 66)

 

Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, cherche tellement à cacher son sexe anatomique mâle qu’il se colle dans le bas-ventre plein de sparadrap qu’il enlève douloureusement à l’eau chaude après chaque entraînement de danse classique. Cela lui laisse des marques au point que les médecins lui disent : « Il faut arrêter le sparadrap. ».
 
 

d) L’homme-diamant :

Je vous renvoie à la pluie de diamants qu’on voit au tout début du documentaire « Mirror, Mirror » (1996) de Baillie Walsh, ainsi qu’aux couronnes de diadèmes portées par certains hommes transsexuels lors de leurs spectacles ou des Marches des Fiertés. Dans ses créations, le plasticien homosexuel Andy Warhol emploie souvent de la poussière de diamant.

 

Certains sujets homosexuels se définissent ou sont définis comme des diamants : « Raymond Radiguet avait le cœur dur. Son cœur de diamant ne réagissait pas au moindre contact. Il lui fallait du feu et d’autres diamants. » (cf. la préface de Jean Cocteau, dans le roman Le Bal du Comte d’Orgel (1924) de Raymond Radiguet, p. 7) ; « Ce dandy fin de siècle [Jean Lorrain] avait le goût des bijoux aux enroulements inquiétants et des pierres ‘vénéneuses’. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 188) ; etc.

 

Film "Robin des Bois" de Walt Disney, avec Petit Jean en travesti

Film « Robin des Bois » de Walt Disney, avec Petit Jean en travesti

 

Le diamant est la métaphore de l’amant homosexuel narcissique, travesti et indiscernable, même si on a l’impression de voir en lui comme dans un miroir. « Maintenant que j’écris je songe à mes amants. Je les voudrais enduits de ma vaseline, de cette douce matière, un peu menthée ; je voudrais que baignent leurs muscles dans cette délicate transparence sans quoi les plus chers attributs sont moins beaux. » (Jean Genet, Journal du Voleur (1949), p. 24) ; « Vous avez un diamant brut dans les mains et ça ne sert à rien de brusquer les choses, you know the drill. » (cf. l’article « Moi vs le Roi des rois » de Didier Lestrade, publié en mai 2012 et où il parle de son « ex ») ; « Il peut y avoir du diamant dans leurs cœurs même à l’occasion de leur vie affective. Cessons de n’y voir que de la boue. » (Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 37) ; etc.

 
 

e) Le caméléon (ou le lézard) symbolise un désir de toute-puissance dans la disparition :

INVISIBLE Chameleon coloré

 

John Francis Bloxam publie des articles dans le journal Le Caméléon (1893). Truman Capote, quant à lui, rédige son essai Musique pour Caméléons en 1979. Le Caméléon est le nom d’un sauna homo de Paris, et The Chameleon celui d’un bar gay en Bulgarie. Marc Landreville, le photographe homosexuel québécois, est surnommé « Monsieur Lézard » ou « Monsieur Caméléon ».

 

Déclaration homosexuel de Chameleon à Peter Parker dans la B.D "Spiderman" ("I love you Peter.")

Déclaration homosexuelle de Chameleon à Peter Parker dans la B.D « Spiderman » (« I love you Peter. »)

 

Dans le documentaire « Personae » (2010), Jakob Gautel fait une centaine d’autoportraits de lui dans différentes tenues, défilant à toute vitesse, pour se donner l’impression d’avoir une identité infinie, presque invisible. D’ailleurs, ce réalisateur, présent lors de la projection au seizième festival « Chéries-Chéris » du Forum des Images de Paris en 2010, s’est défini justement comme un « caméléon » face à nous, public.

 

En juillet 2015, deux chercheurs de l’université de Canberra (Australie) qui étudient de longue date les lézards dragons barbus ont démontré que certains d’entre eux devenaient des femelles après avoir été incubés sous des températures élevées. Génétiquement, les lézards seraient identifiés comme des mâles en raison de leurs chromosomes (comme les humains). Ces lézards qui auraient changé de sexe en cours de développement seraient capables de se reproduire avec ses mâles qui n’ont pas subi cette transformation et ils feraient même plus d’œufs que des lézards nés femelles.
 

Certains sujets homosexuels (souvent queer) se présentent eux-mêmes comme des êtres indéterminés, « en construction », en perpétuelle mutation, tellement multicolores qu’ils en perdent leur identité, leur unicité, et leur couleur propre : « Je suis né dans une famille black, blanc et rainbow. » (Patrick Blosch, entendu lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », le samedi 10 octobre 2009, à la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris)

 

Le « devenir caméléon », selon certains sujets homosexuels, donnerait accès au « devenir Dieu » : « Jimmy était un arc-en-ciel, on ne voyait jamais de lui une seule couleur. » (Dick Mangan dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, p. 43) ; « Il n’est jamais en un seul endroit à la fois. » (Colette Godard, « Copi le Voyageur », dans la version manuscrite de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Le paradoxe de ce pur devenir, c’est l’identité infinie ; identité infinie du futur et du passé, de la veille et du lendemain, du plus et du moins, du trop et du pas-assez, de l’actif et du passif, de la cause et de l’effet. C’est le langage qui fixe les limites, mais c’est aussi lui qui outrepasse les limites et les restitue à l’équivalence infinie d’un devenir illimité. » (Gilles Deleuze, Logique du sens (1969), pp. 10-11) ; « J’aurais pu naître à n’importe quelle époque, j’aurais été bien nulle part. » (Shirley Souagnon, humoriste lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux (Suisse), sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012) ; etc.

 

Dans la préface de son roman Si j’étais vous (1947), Julien Green nous parle d’une « mécanique dans les transformations successives » (p. 10) que chaque individu schizophrène est amené à expérimenter pour vivre l’amour et se connaître soi-même.

 

Sur le flyer du spectacle de Charlène Duval Charlène Duval… entre copines (2011), Charlène prétend être toutes les femmes : « Riches, pauvres, belles, moches, vierges ou non, farouches ou nymphomanes, toutes auront leur place parmi les chansons interprétées par la plus glamour des survivantes du Music-hall. Une façon de démontrer que toutes ces femmes peuvent être réunies en une seule : Elle ! » Le discours de la femme-objet par excellence (donc de la femme violée), c’est qu’elle est toutes les femmes en Une (cf. la chanson « Je suis toutes les femmes » (1980) de Dalida, la chanson « Evergirl » du groupe Play, la chanson « Être une femme » de Michel Sardou, « Toutes les femmes de ta vie » du groupe L5, etc.).

 

Mais, une fois mise à l’épreuve du Réel et de la condition humaine, la théorie du « devenir caméléon multi-identitaire », séduisante intellectuellement, s’écroule. Le mensonge, la superficialité, la soumission, l’exploitation amoureuse, se profilent vite : « Un caméléon vit une double vie et se juge inauthentique. » (Michel Dorais, Mort ou Fif (2001), p. 54) ; « Harold Lang était un véritable caméléon en amour, qui pouvait devenir en un clin d’œil ce que l’autre voulait qu’il fût. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 201) ; « Au cours de ma vie, on le sait, j’ai souvent menti, de manière à ressembler à Monsieur Tout-le-monde. » (Ednar dans l’autobiographie romanesque Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p.166)

 

Un homme désire être caméléon généralement après un effondrement d’identité, dû souvent à une humiliation ou un viol : « Je me souviens que mon père, une fois que je m’enfuyais d’une bataille de gars, m’avait dit : ‘Cours pas comme ça, t’as l’air d’une tapette!’ J’étais humilié. À partir de ce jour-là, j’ai décidé d’être caméléon. J’ai appris à jouer un jeu. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 246)

 
 

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Code n°88 – Homosexualité noire et glorieuse (sous-codes : Victimisation / Traître / Criminel homo / Tatouage)

homosexualité noire

Homosexualité noire et glorieuse

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

Parlons ENFIN de la haine de soi homosexuelle ! Celle qui se décline en victimisation narcissique quand on se l’inflige à soi-même, et en diabolisation de « l’ennemi homophobe hétérosexuel extérieur » quand on l’applique à un autre que soi. Celle qui est certainement née de la haine sociale à l’encontre des personnes homosexuelles et du manque d’amour des couples femme-homme au sein des familles… MAIS que la grande majorité des personnes homosexuelles s’est empressée de cacher, de banaliser, ou, ce qui revient au même, d’exagérer et d’esthétiser.

 

On trouve parmi les artistes homosexuels de nombreux défenseurs de ce que Guy Hocquenghem a appelé « l’homosexualité noire », une homosexualité à la dérive, persécutée, individualiste, nocturne, anti-conformiste, bobo, incorrecte, puante et désinvolte, chroniquement homophobe (logique de la traîtrise et de l’auto-trahison oblige !). La récupération ponctuelle des appellations péjoratives telles que « pédé », « gouine », ou « queer », par la communauté homosexuelle, va actuellement dans ce sens.

 

Peter Orlovsky et Allen Ginsberg (années 1950)

Peter Orlovsky et Allen Ginsberg (années 1950)


 

Cette tendance à se prendre pour « son » insulte, à la retourner contre ses soi-disant « ennemis » et contre soi-même, est une tradition homosexuelle de longue date : cela débuta avec les « décadents » homosexuels de la fin du XIXe siècle, se poursuivit à travers les artistes drogués de la Beat Generation, puis les maîtres psychédéliques du mouvement Pop Art, pour finir aujourd’hui avec le courant néo-baroque, les idéologies queer, gender, et camp actuelles, la frivolité des (anti-)Gay Pride, etc.

 

Le suiveur androgyne qui se paye le luxe de l'anti-conformisme d'apparat

Le suiveur androgyne qui se paye le luxe de l’anti-conformisme ou de la violence d’apparat


 

Beaucoup de personnes homosexuelles éprouvent une sorte de « fierté paradoxale » (cf. l’article « Honte » de Sébastien Chauvin, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 226) à revendiquer violemment les injures dont la société les affublerait/a affublés. Le renversement du stigmate en orgueil n’est en réalité qu’une auto-stigmatisation, une soumission rebelle à une image négative d’elles-mêmes à laquelle elles ont donné crédit tout en la jugeant ridiculement fausse. Elles réagissent comme Benigno dans le film « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar : « Je suis un psychopathe ?!? Et bien, j’agirai comme un psychopathe ! » Elles prennent leurs agresseurs « au pied de la lettre » (Michel Foucault, « Non au sexe roi », dans Dits et Écrits II (2001), p. 260) en se lançant l’impossible défi d’incarner à elles seules l’injure, mais cette fois puissance dix. « Si nous sommes ce que vous dites, soyons-le, et si vous voulez savoir ce que nous sommes, nous vous le dirons nous-mêmes mieux que vous ! » (idem) Mais dans le fait de penser qu’elles peuvent piéger leur ennemi à son propre filet, elles sous-entendent qu’elles croient plus en l’efficacité de son jeu qu’en la force du leur. Elles n’ont pas compris la règle d’or pour la réussite d’un combat pour le Bien : ne jamais utiliser des méthodes contraires au but bénéfique que l’on s’est fixé, ni les mauvaises armes de l’adversaire, même si l’épée de ce dernier tranche apparemment très bien à l’image et dans l’instant.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se scandalisent trop systématiquement quand on les suspecte/suspecterait d’être monstrueuses pour ne pas valider les croyances mensongères qui pèsent/pèseraient sur elles. Par exemple, certaines finissent par revendiquer le port des emblèmes aliénants, tel que le triangle rose, qui fit jadis l’aliénation de nombreux individus homosexuels dont elles n’ont pourtant pas connu la tragique destinée. La décadence est souvent vue par elles comme une manière de revivre leurs fantasmes d’innocence en négatif. Elles ont la fâcheuse coutume d’associer dans leurs propres fictions les personnages homosexuels à des criminels voués à une mort atroce, à des malades mentaux, à des pestiférés, bref, à tous les clichés de « l’homosexualité noire », et ont du mal à s’avouer qu’elles se trouvent monstrueuses étant donné que leur complexe d’infériorité est enrubanné d’une carcasse de suffisance auto-parodique ou volontairement désespérée. Ce qui est difficile à comprendre, c’est qu’elles croient simultanément être des monstres et des victimes innocentes. Voilà le paradoxe de la victimisation : nous nous rabaissons pour nous élever ; et comme nous nous fions davantage à nos intentions qu’à nos actes, nous croyons nous élever, et nous sommes prêts à tout, même à l’humiliation volontaire, à la domination ou à la cruauté qui nous retirent notre identité de victime, pour être considérés comme des victimes.

 

Parce qu’elles s’imaginent que la souffrance fournit des passe-droits et qu’elle justifie tout, beaucoup de personnes homosexuelles se lancent dans une pathétique compétition au podium du malheur, aux côtés des autres Hommes qui souffriraient beaucoup moins qu’elles. Je souffre – ou je fais semblant d’être l’humain le plus souffrant de la Planète tandis que je nie ma souffrance réelle – donc j’existe. « Je suis content d’être le plus malade d’entre nous trois. Je crois que je ne supporterais pas d’être le moins malade. » (Hervé Guibert en parlant du Sida, dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001), p. 500) Par exemple, certaines femmes lesbiennes surveillent de près le moindre oubli d’attentions sexistes qui les confirment dans l’oppression machiste dont elles souffriraient. Il n’est pas question pour elles de gommer de l’ardoise une seule de leurs discriminations. Elles se croient rejetées à la fois en tant que femmes dans un monde soi-disant dirigé uniquement par les hommes, en tant qu’homosexuelles dans une société « hétérosexuelle », et en tant que lesbiennes dans le milieu majoritairement gays. Elles s’estiment pour cette raison au moins trois fois plus discriminées que les autres, si ce n’est plus quand elles s’identifient aux Noirs, aux enfants, aux ouvriers, aux prisonniers, aux morts, etc.

 

Dans cette frénésie contemporaine pour la victimisation, soyons sûrs au moins d’une chose. On n’arrive pas à un tel degré d’auto-détestation sans en être complice et sans y avoir été préalablement poussé par un entourage social violent. L’étiquette de victime homosexuelle n’est pas simplement défendue par des personnes homosexuelles. Maintenant, ces dernières ont de moins en moins besoin de tendre leur main (préalablement salie de suie) pour quémander des droits tant leurs « amis ‘hétérosexuels’ » sont disposés à miauler à leur place pour satisfaire leur propre narcissisme. C’est toujours l’argument de la solidarité envers les défavorisés, ou de la réparation pour tous les outrages historiques que la communauté homosexuelle a/aurait subis, qui revient. « Soyons généreux. Les homosexuels ont été persécutés pendant 2000 ans, ont eu le Sida. Ils ont lutté pour leurs droits. Donnons-leur leurs droits. » (Élisabeth Roudinesco dans l’émission Culture et Dépendances, sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004). Allez, un petit effort… « pour dépanner »… L’enfermement de la personne homosexuelle dans la victimisation et l’homophobie, orchestré par une société gay friendly souriante et larmoyante, arrange tout le monde, y compris les couples hétérosexuels qui ne veulent surtout pas qu’à travers l’homosexualité soient dévoilés les viols qui se vivent en leur sein ou qu’ils infligent concrètement aux individus homosexuels sous prétexte de les défendre.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Bobo », « Amour ambigu de l’étranger », « Défense du tyran », « Se prendre pour Dieu », « Orphelins », « Appel déguisé », « Se prendre pour le diable », « Scatologie », « Artiste raté », « « Je suis différent » », « Différences physiques », « Différences culturelles », « Couple criminel », « Violeur homosexuel », « Voleurs », « Obèses anorexiques », « Fan de feuilletons », « Haine de la beauté », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Folie », « Méchant pauvre », « Focalisation sur le péché », « « Je suis un Blanc-Noir » », « Prostitution », « Drogues », « Déni », « Frankenstein », « Homosexuel homophobe », « Milieu psychiatrique », à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », et à la partie « l’homo combatif face à l’homo lâche » du code « Faux révolutionnaires », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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FICTION

 

a) « Je suis un monstre » :

 
Cyrille – « Comment me trouvez-vous, Hubert ?

Hubert – Effrayant, maître.

Cyrille – Vous serez toujours mon meilleur public. »

(cf. le dialogue entre Cyrille, le héros homosexuel, et le jeune journaliste dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi)

 
 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, il est fréquent que le personnage homosexuel se qualifie de « monstre » à cause de son homosexualité et de l’effondrement identitaire qu’elle traduit (cf. le roman El Monstruo (1915) d’Antonio de Hoyos). « J’étais une épave. Je me sentais vraiment mal. » (Emory, l’un des héros homosexuels évoquant son adolescence, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je suis moche, juif, pédé. Je fume de l’herbe pour avoir le courage de me regarder en face. » (Harold, idem) ; etc. Par exemple, dans la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa, Ana dit qu’elle était un « monstre » dans son adolescence. Dans le vidéo-clip de la chanson « College Boy » d’Indochine (réalisé par Xavier Dolan), le personnage principal, homosexuel, est lynché dans son lycée, dans sa famille, puis finit par se faire crucifier par ses camarades de classe.

 

Beaucoup de héros homosexuels se jugent maudits, damnés (cf. je vous renvoie aux codes « Focalisation sur le péché » et « Se prendre pour le diable » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Je suis damné, je voudrais ramper sous une pierre et dormir pour toujours. » (Bobby, le héros du téléfilm « Prayers for Bobby », « Bobby, seul contre tous » (2009) de Russell Mulcahy) ; etc. « Jamais bénies, toujours damnées. […] Tous les homos, les maudits, sont pourchassés. » (Luca par rapport aux folles dont il se revendique, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Ah, race de femmes maudites, vous êtes toutes des putes ignorant tout de la bite ! » (Ahmed parlant des femmes lesbiennes Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’espère que je ne vous fais pas peur. Si, je vous fais peur. Alors c’est parce que je n’ai pas d’autre moyen d’attirer votre attention. » (Vicky Fantômas dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Ne croyez pas que vous êtes plus monstrueuse que nous, dans le monde du spectacle : nous le sommes tous. » (l’Auteur, idem) ; « J’étais condamné à souffrir. » (Stéphane, le héros homo, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc.

 

Ils rentrent dans la peau de la Drama Queen, de la tragédienne rationnée injustement d’amour : « Je m’accroche à la certitude que l’amour ne dure pas. » (Sylvie dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Comme je vis sous les projecteurs, j’n’ai plus droit au bonheur, c’est ça ??? » (cf. la chanson « Gucci » de Fanny J) ; « Dalida, l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire, le monstre à deux têtes, Luigi, Lucien, Richard, pris dans un lien inextricable. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; etc.

 

L’identité du monstre, c’est parfois une insulte que le protagoniste homo a entendue de la part de ceux qui lui voulaient du mal (« Monstre… tu as toujours été un monstre… » déclare Élisabeth à son frère Nietzsche, dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman)… mais qu’il a surtout reprise à son compte – dans le rejet trop superstitieux de celle-ci – et nourrit en lui-même, comme une marotte : « Tu m’appelles monstre de foire mais je suis un jeune artiste. » (Ahmed s’adressant à Lou, la lesbienne, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je n’ai pas l’impression d’être un monstre et pourtant tout ce que je fais paraît monstrueux. » (Kévin, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 132) ; « Qu’est-ce qu’il y a ? J’suis fou. J’suis un malade. » (Steeve dans la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays) ; « Je ne suis pas un gentil mais un malade. » (Peter, l’amant d’Howard, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Je ne suis qu’un déchet, qu’une ordure. » (Howard après son coming out, idem) ; « Pendant des années, j’ai cru que j’étais un monstre. Je me suis détesté. » (Jean dans le film « Un Amour à taire » (2005) de Christian Faure) ; « Querelle ne s’habituait pas à l’idée, jamais formulée, d’être un monstre. » (Jean Genet, Querelle de Brest, 1947) ; « Tu sais ce qu’on est ? Des monstres de foire ! » (l’amant de Gary dans le film « À la recherche de M. Goodbar » (1977) de Richard Brooks) ; « Nous sommes réellement monstrueux. » (les frères jumeaux de la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Nous sommes des monstres. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 78) ; « Je mesure combien je fais peur, combien j’inquiète. Il doit leur sembler, à ceux qui sont mes voisins, que je suis sous l’emprise d’une bestiole fabuleuse, qui grandirait à l’intérieur de mon corps, et qui ne demanderait qu’à être expulsée. […] Je ne suis même pas fichu de leur expliquer que rien ne surgira, puisque, au contraire, ça se vide au-dedans, ça pourrit, ça se dissout. » (Leo, un des héros homos du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 66) ; « Devant la porte des chiottes, j’écarte une bande de jeunes androgynes pour passer, l’un d’eux dit ‘Mais c’est pas possible, ils ont ouvert les portes du zoo de Vincennes pour laisser s’échapper ces monstres ?’ Ses copines rient. » (Mike, le héros homosexuel du roman Des chiens (2012) de Mike Nietomertz, p. 102) ; « Quand on pense à tous les monstres avec lesquels on couche… » (Omar dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Mon cœur est bon. Mais je suis un monstre. » (la Bête dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth récite devant son miroir un discours pseudo-diabolique avec un visage de possédée : « Il faut rendre la vie invivable. Il faut être laide à faire peur… » Dans le film « Bug Chaser » (2012) de Ian Wolfley, Nathan, le héros homosexuel, lit sur internet des choses terribles sur l’horrible furoncle qu’il lui ravage l’anus, et se prend pour un affreux malade puni par son homosexualité.

 

« On s’ra plus monstres que les monstres, mais bien plus humains que des ours ! Regardez notre déguisement : la Raulito et Cachafaz, c’est le comble du repoussant ! » (le couple homosexuel Raulito/Cachafaz, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Chaque jour vers l’enfer nous descendons d’un pas, sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange le sein martyrisé d’une antique catin, nous volons au passage un plaisir clandestin. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire)

 
 

b) « Je suis une (plus grande) victime (que les autres) » :

La chaîne du malheur recherché ne s’arrête pas là. Dans les fictions homosexuelles, nombreux sont les héros homosexuels qui se persuadent qu’ils trouveront dans la victimisation et la méchanceté leur identité profonde et leur raison de vivre : cf. le film « La Victime » (1961) de Basil Dearden, le film « Fashion Victime » (2002) d’Andy Tennant, les romans La Romanichelle (1906) et La Vagabonde (1910) de Colette, le roman Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, le roman La Confusion des sentiments (1926) de Stefan Zweig, le roman Lunettes d’or (1958) de Giorgio Bassani, la pièce Un Taciturne (1932) de Roger Martin du Gard, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, le roman Cast The First Stone (1952) de Chester Himes, la pochette de l’album Age Of Consent du groupe Bronski Beat (avec un énorme triangle rose), la chanson « Glad To Be Unhappy » d’Étienne Daho, le film « Le Marginal » (1983) de Jacques Deray, le film « Fisher King » (1991) de Terry Gilliam (avec l’ex-travesti SDF), le film « La Pire de toutes » (1990) de Maria Luisa Bemerg, la sculpture Le Lépreux (1993) de Derf, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec le triangle rose sur l’affiche), etc.

 

Par exemple, dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari, Mnesya, l’héroïne lesbienne, associe la dictature des castes indiennes qui a tué sa compagne et brulé ses livres à une injuste homophobie. Dans la pièce Le Projet Laramie (2001) de Moisés Kaufman, l’agression homophobe sur Matthew Shepard est mise sur le même plan de l’agression islamophobe. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, les problèmes du couple homo Ben/George sont déplacés sur ceux des souffrances de la colocation, de l’accompagnement en fin de vie, de la vieillesse, du deuil. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Joël, homo, sert le couplet sur les camps nazis à ses co-équipiers du water-polo gay : « Alors on va à Dachau pour se rafraîchir la mémoire ou on va aux Gays Games ? ».

 

Non seulement le personnage homosexuel se dit persécuté, mais en plus, il soutient qu’il est plus persécuté que les autres victimes sociales : « Ça fait 3000 ans qu’on nous poursuit. » (tous les comédiens de la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim, pour la chanson finale) ; « Même si l’homosexualité est plus acceptée de nos jours, les homos seront toujours montrés du doigt. » (la mère de Bryan, le héros homo, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 53) ; « En tant qu’Arabe, en tant que musulman laïc, en tant qu’homosexuel, il avait cumulé les handicaps, ne trouvant pas chez ses parents le soutien que la frileuse société française lui refusait. » (Mourad, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 327) ; « Je pense que je suis Noir, en plus de Juif. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Stephen n’avait pas encore appris que la place la plus solitaire en ce monde est réservée aux sans-patrie du sexe. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 105) ; « Et moi bientôt je serais plus bas que terre, plus bas que n’importe quel nègre. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 111) ; « Et si nous étions des chiens, une famille de chiens ? […] Non, nous ne sommes même pas des chiens. » (Paul dans le film « Grande École » (2003) de Robert Salis) ; « Je suis Noire, je suis femme, je suis commissaire et je suis lesbienne. Je suis dans la ligne de mire. » (Whoopi Goldberg dans le film « Aussi profond que l’océan » (1998) d’Ulu Grosbard) ; « Je suis moche, juif, pédé. Je fume de l’herbe pour avoir le courage de me regarder en face. » (Harold, l’un des héros homosexuels du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « C’est dur d’être noir, encore plus d’être juif… » (Michael, idem) ; « Il ne me manque plus que le fauteuil roulant et je suis au top ! » (Shirley Souagnon riant de son identité d’OVNI télévisuel en tant que femme, homosexuelle et noire, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Mon adolescence : un Grand Moment de Solitude. J’étais la Renoi du lycée. Je me suis sentie proche des sales, des Roms, des pédés, des exclus, des sales Arabes, des sales putes… » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne blanche, dans son one-woman-show Chatons violents, 2015) ; « Le paysan du Cantal rencontre même des extra-terrestres : ‘Oh ! un Noir ?!’ ; ‘Oh ! un Arabe ?!’ ; ‘Aaaah !!!, un pédé ?!?’ J’avais l’impression, moi aussi, d’être un extra-terrestre. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « La France, c’est pas le pays des pédés, des Arabes, des communistes ! » (Marco et sa bande néo-nazie, passant à tabac un homosexuel, dans le film « Le Français » (2015) de Diastème) ; « Et le désespoir, c’est d’être gays en Russie. » (Anton, le héros homo dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Est-ce que vous imaginez à quel danger vous vous exposez quand on est homo en Jamaïque ?? » (Bethany, la lesbienne, parlant de son cousin gay Léo, dans la série Manifest (2018) de Jeff Rake, l’épisode 4 saison 1) ; etc.

 

Le héros homosexuel se lance très souvent dans une véritable course pour atteindre la première place du Podium du Malheur. Par exemple, le film « Double The Trouble, Twice The Fun » (1992) de Pratibha Parmar raconte l’histoire d’un écrivain, à la fois gay, d’origine indienne, et handicapé. Dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel se plaint de la « plus grande solitude » des personnes homos, comparée à celle des « nègres, juifs ou infirmes, tous les damnés possédant un havre, une famille où on les aime, où on les élève au moins dans la fierté » (p. 24). Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, quand la vieille Olga demande si, par internet, les « Nazis sont de retour », Anton, homosexuel, la « rassure » en affirmant que les méchants internautes homophobes nazis « ne s’attaquent qu’aux gays et aux étrangers ».

 

Clou du spectacle. Il arrive que le personnage homosexuel s’identifie aux victimes de camps de concentration nazis : « Toute cette mise en scène hospitalière a quelque chose de carcéral, de concentrationnaire, et lorsque j’ai le malheur de m’entrevoir dans une glace, je frémis d’horreur en reconnaissant mes frères et sœurs juifs partis en fumée. Six millions de fantômes veillent à mon chevet, attendant que je les rejoigne. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 183-184) Mais il va plus loin : non seulement il se prend pour une victime de la barbarie nazie, mais en plus, il se considère comme celle qui aurait subi le pire sort parmi les prisonniers : « Je ne suis pas juif. Je suis un sur-Juif. » (Nietzsche dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « Être triangle rose, c’est être en bas de l’échelle. » (Hanz dans la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes) L’usage du « nous », si propice aux identifications anachroniques, est très présent dans le discours de certains héros homosexuels : « Combien d’entre nous ont été tués sous le IIIe Reich ? » (Ana dans la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes)

 

Par exemple, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca, le héros homosexuel, s’auto-scarifie dès la bande-annonce : « Luca est condamné à mort à cause de son homosexualité. » Pendant tout le concert, il joue à être persécuté par des sirènes de police, à porter le triangle rose, à devoir se barricader et se cacher pour échapper aux persécutions. Et il se complaît dans son imaginaire victimisant et déconnecté de la réalité sociale française : « Nous, les folles, nous les sous-hommes, l’erreur de l’évolution, les monstres du Créateur, il vous plaît de nous rabaisser. […] Le Sida est la punition divine sur les homos et les drogués. […] Le Nouvel Ordre a triomphé. Tous les homos, les maudits, sont pourchassés. […] Je pars en exil. »

 

Il y a dans la victimisation une recherche voilée de glorification, puisque le vrai pauvre est confondu avec le pauvre magnifié des comédies sentimentales, ou bien avec l’iconographie janséniste d’un Messie en croix sur lequel on crache et qui gagnerait dans sa soumission le Salut et la Gloire (attitude complaisante que le Christ lui-même n’a jamais adoptée, d’ailleurs). Par exemple, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain, le coiffeur homo, s’identifie à Princesse Sarah, lorsqu’il organise chez lui des soirées « Dessins animés de votre enfance ». Dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti Charlène Duval avoue aimer se mettre dans la peau de toutes les jeunes filles « pauvres, laides, sans avenir […] maltraitées par un macro, qui meurent à la fin dans une super-production ».

 
 

c) Homosexualité noire :

Finalement, nombreux sont les personnages de fictions homosexuelles à incarner le cliché « militant et corrosif » de ladite « homosexualité noire », cette sexualité hors-norme vécue dans un anticonformisme, une clandestinité, et une marginalité volontaires : cf. le film « Underground » (2007) de Tor Iben, etc.

 

« C’est comme un cache-sexe, ce mot ‘gay’. ‘Gay’, ça fait propre sur soi. Moi, je préfère les mots sales. » (l’un des héros de la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; « En fait, c’est le voyou dont s’est entichée Romane. » (Joséphine présentant à Alain Richepin Yindee, la copine de sa fille lesbienne Romane, qui est en train d’embrasser Romane sur la bouche, dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien) ; « Je suis tellement nostalgique de cette époque ! » (Frédéric, le domestique efféminé, par rapport à l’esclavagisme, dans la pièce 13 à table de Marc-Gilbert Sauvajon) ; etc. Par exemple, dans le film « Help » (2009) de Marc Abi Rached, il y a une extrême ressemblance entre le monde de la délinquance juvénile, de la prostitution, et celui de l’homosexualité. Dans le film « Corps inflammables » (1995) de Jacques Maillot, Luc, à mobylette, se répète tout en roulant : « Je suis un parasite, une répugnante perversion de la nature, il y a quelque chose au fond de moi de malade. » Dans le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, Pierre devant la glace des sanitaires se dit à lui-même : « Jamais tu feras partie de la société, t’as pas de couilles, t’es qu’un déchet. » Dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet, les bonnes de Jean Genet disent être de la « crasse ». Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, est le marginal, le malfrat homo qui est hyper violent et enchaîne les petits délits. Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta est mise en garde par sa concierge d’immeuble contre Gabriele, son voisin de pallier homosexuel (et communiste) qu’elle accueille chez elle : « C’est un mauvais sujet. » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on assiste à l’errance nocturne et noire de Davide, le jeune héros homosexuel, dans le monde de la prostitution homosexuelle de Catano. Lui et ses compagnons prostitués vivent comme des clochards dans la ville. Dans son one-man-show Blanc et hétéro (2019), l’humoriste Arnaud Demanche homosexualise parodiquement le duo ennemi de rappeurs Booba et Kaaris : « Y’a que eux qui ne sont pas au courant. »

 

On ne doute pas une seule seconde, en écoutant le héros homosexuel, qu’il trouve dans l’inversion de ce qu’il croit être le « politiquement correct », une fierté et un orgueil semblables à l’orgueil qu’il reproche justement aux détenteurs sociaux des codes du « politiquement correct » : « Tu t’en empares… et tu la revendiques. » (Mark, le chef de l’association LGBT londonienne, parlant de l’insulte homophobe, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Tout le monde sait que je ne suis pas normal ! » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Il y a des moments, je voudrais être laid, ne plus séduire, ne plus être désiré. » (Malcolm, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « Stephen devait avoir conscience d’être un paria mal conditionné. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 248) ; « Je suis malade et je suis un gros pédé. » (Léo à Marcel dans le film « Tout contre Léo » (2002) de Christophe Honoré) ; « Maman m’a jeté dans une poubelle avant de passer à l’Ouest. » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; « C’est mieux que rien. Rien, c’est moi. » (Leo, l’un des héros homos du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 106) ; « Je suis une merde. Une pauvre misérable merde. » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Pour moi l’homosexualité, ça a toujours été ça : sordidité. » (Roberto Orbea dans le film « El Diputado » (1979) d’Eloy de la Iglesia) ; « Juan-Carlos savait-il la gravité de son mal ? » (Manuel Puig, Boquitas Pintadas, Le Plus beau tango du monde (1972), p. 120) ; « Nous sommes les renégats magnifiques. » (Lettie, la femme-à-barbe, dans le film « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey) ; etc. Par exemple, dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand dit qu’en réalité, son vrai nom de famille, c’est « Boulet ».

 

« La peinture qu’elle avait achetée se trouvait encore devant sa porte, mais Jane avait rechigné à se mettre au travail. Les mots seraient encore là même si elle appliquait une nouvelle couche de laque ; elle voulait que leur laideur reste gravée au fer rouge dans les souvenirs des Mann comme ils l’étaient dans les siens. La colère qu’elle avait pu ressentir vis-à-vis de la fille en rapport avec le graffiti avait disparu. Si c’était Anna qui avait dégradé sa porte, elle l’avait fait par désespoir et par peur de ce que les soupçons de Jane pourraient entrainer pour son père. Si c’était Mann, alors lui aussi était désespéré et effrayé. Cette idée la travaillait. » (Jane, l’héroïne lesbienne qui ne se décide pas à effacer le graffiti homophobe « Lesben Raus ! » qui figure à la peinture rouge sur le mur d’entrée de l’appartement qu’elle partage avec sa compagne Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 155)
 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

La rébellion face aux clichés négatifs de l’homosexualité n’est au final qu’une soumission docile et peu révolutionnaire… puisque le héros homosexuel, en cherchant à correspondre (puissance 10) à la mauvaise réputation qu’ont/qu’auraient les homos en général, obéit aux mauvaises langues (et à ses propres projections fantasmatiques) au pied de la lettre ! : « On ne me voulait pas ? Je ne me voulais plus ! » (Yves Navarre, Portrait de Julien devant la fenêtre (1979), p. 138) ; « Ça y est, j’ai gagné. À force de se sentir malade, on le devient. » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 127) ; « Écoute comment ça a commencé ; ils étaient tous les deux à Pau, dans une maison de santé, un sanatorium, où on les avait envoyé l’un et l’autre parce qu’on prétendait qu’ils étaient tuberculeux. Au fond, ils ne l’étaient ni l’un ni l’autre. Mais ils se croyaient très malades tous les deux. Ils ne se connaissaient pas encore. Ils se sont vus pour la première fois, étendus l’un à côté de l’autre sur une terrasse de jardin, chacun sur une chaise longue. […] Comme ils se croyaient condamnés, ils se sont persuadés que tout ce qu’ils feraient ne tirerait plus à conséquence. » (André Gide, Les Faux-monnayeurs (1997), p. 61) ; « Oui, je le sais. Je suis malade. » (Adam s’adressant sur Skype à sa sœur, dans le film « W imie… », « Aime… et fais ce que tu veux » (2014) de Malgorzata Szumowska) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, Catherine se fait un plaisir de valider la présomption de folie qui plane sur elle : « Je vous fais peur… et vous avez raison d’avoir peur. » Dans sa chanson « L’Enfant de la pollution » de la comédie musicale Starmania de Michel Berger, Ziggy se définit comme un déchet humain (et fier de l’être !).

 

Il y a beaucoup de héros homosexuels qui se forcent à se réjouir et à mettre de la liberté dans la déchéance qu’ils vivent : « L’amour est un fardeau. Je le porte en clodo. Joyeux clodo. » (Jann Halexander dans son film « J’aimerais j’aimerais », 2007) ; « Je ris de me voir si con dans ce miroir. » (idem) ; « Elle a une bonne odeur, cette glaise. […] Il y a du plaisir à devenir de la bouillie. » (Luca dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 13) ; « Plutôt ferions-nous mieux de nous chercher les poux plutôt que de nous mordre. » (l’un des personnages homos de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « S’il est dur de haïr seul, à plusieurs cela devient un plaisir. » (idem) ; « Soyons de simples et solitaires orgueilleux zéros. » (l’un des personnages homos de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « Le monde les condamnerait, mais elles se réjouiraient : glorieuses bannies sans honte, triomphantes ! » (Stephen et Mary, le couple lesbien du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 393) ; « Pourtant à cette honte, se mêlait un sentiment de libération. » (Adrien, le héros homo du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 27)

 
 

d) « Je suis un traître » :

Pourquoi une telle réaction hypocrite et complaisante face au malheur ? Parce que le héros homosexuel est fasciné par le petit pouvoir de la trahison. D’ailleurs, celle-ci est souvent traitée dans les œuvres homosexuelles : cf. les romans Los Traidores (1956) de Juan Rodolfo Wilcock, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman (avec Leni Riefenstahl, la femme traîtresse), le roman Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig (avec Molina, le héros homosexuel qui va trahir et espionner son compagnon de cellule, Valentín, qu’il essaie pourtant de draguer), le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami (avec Pascal, considéré comme un traître par celui qui attend trop de lui), le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis (avec le guide de Price, nommé Marwan), le film « Le Rideau déchiré » (1966) d’Alfred Hitchcock (avec le personnage de Michael), le roman Reivindicación Del Conde Don Julián (1970) de Juan Goytisolo, le roman El Juego Del Mentiroso (1993) de Lluís Maria Todó, le film « L’Assassinat de Trotsky » (1970) de Joseph Losey, le film « Le Traqué » (1950) de Frank Tuttle et Boris Lewin, le film « La Trahison » (1975) de Cyril Frankel, le film « Novembermund » (1984) d’Alexandra von Grote, le film « Aishite Imasu 1941 » (2004) de Joel Lamangan, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox (avec les deux amants vivant dans deux camps dits opposés, l’un israélien, l’autre palestinien, et se trahissant entre eux), le téléfilm « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure (avec la problématique de la trahison amicale), la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner (avec le couple Louis/Prior), le film « Infernal Affairs » (2003) d’Andrew Lau et Alan Mak, la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy (avec Sébastien, le personnage homosexuel qui trahit tout son entourage amical et amoureux), le film « Somewhere » (2011) d’Everett Lewis (avec Marwan, le guide de Price), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec la figure de l’auteur-traître, puis la trahison des soldats), la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès, la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (avec le personnage de Maurice), le film « OSS 117 : Rio ne répond plus » (2009) de Michel Hazanavicius (avec Heinrich, le traître homosexuel), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Lucie, l’amante-traîtresse), le film « Le Trou » (1960) de Jacques Becker (avec l’homosexuel traître), le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato (avec Fatso trahissant son amant Lars en n’assumant pas leur couple devant ses camarades du groupuscule néo-nazi dont ils font partie), le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, etc.

 

Dans la pièce Les Paravents (1961) de Jean Genet, un Algérien trahit son camp. Dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis, Fred, le personnage homo, trahit Alice, sa meilleure amie, en lui « piquant » son copain. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel joue aux Cours Florent le rôle de Lorenzaccio tuant son amant Alexandre. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, les deux amants Tomas (Allemand) et Oren (Israëlien, marié à une femme et avec un enfant) incarnent tour à tour la figure du traître.

 

Dans les œuvres de Manuel Puig, Pier Paolo Pasolini ou Jean Genet, l’amour est presque toujours trahi.

 

La trahison est un leitmotiv homosexuel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le personnage biblique de Judas surgit parfois les œuvres homo-érotiques : cf. la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, la chanson la chanson « Hellbent For Lather » du groupe Juda’s Priest, etc. (cf. la partie « baiser qui fait pleurer » du code « Première fois » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

La trahison constitue visiblement un fantasme esthétique et amoureux fort chez les héros homosexuels : « Toi, t’as jamais trahi, peut-être ? » (un des personnages homosexuels de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « Je n’ai jamais été capable d’aimer entièrement. J’ai le sentiment de n’aimer qu’en trahissant. » (Malcolm dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 110) ; « Encore une fois, cette impression de trahir quelqu’un que j’aimais. » (Bryan, le personnage homo-bisexuel du roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 342) ; « Tu sais, ma première amie, je l’ai trahie. » (Cherry à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) de Ivane Daoudi) ; « Plutôt que de penser au traître des films hindis, je fis exactement tout ce que j’imaginais qu’il ferait. Elle [Rani, son amante] ne m’arrêta pas. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 228) ; « Son expression est celle d’un traître ! » (le Rat par rapport au Jésuite, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, p. 62) ; « Ce qu’il y a de beau dans la trahison, c’est qu’elle s’applique à tout. Elle est universelle. » (Jean-Claude Dreyfus endossant le rôle du diable homosexuel, dans la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti) ; « Il m’a trahi. Je le quitte. Il est temps pour moi de partir. » (Vivi par rapport à son amant Norbert, dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Soyez chaque jour le traître de toutes choses. » (Nietzsche dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « Je suis un misérable. […] Je suis un traître. Décidément, je suis un traître. Heureux. » (la voix narrative de la nouvelle « Adiós A Mamá » (1981) de Reinaldo Arenas, p. 171) ; « Ne vous moquez pas de moi. Je suis déjà un traître à vos yeux et vous le savez. Espèce d’idiot ! Dans l’ordre plus grand des choses, c’est VOUS le vrai traître, si seulement vous le réalisiez. » (le Comte Smokrev, homosexuel, titillant l’homosexualité continente de Pawel Tarnowski, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 481) ; etc.

 

Même si au départ les personnages homosexuels prétendent détester la trahison parce qu’elle les a fait souffrir en amour ou en amitié, ils finissent par la soutenir dans la haine jalouse : « J’ai cru la fable d’un mortel aimé, tu m’as trompé. » (cf. la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer) ; « La trahison… c’est laid. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer). Dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner, Roy Cohn affirme haut et fort qu’il déteste par-dessus tout la trahison. Le sentiment de traîtrise précède en général une adoration amoureuse excessive. Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, c’est bien parce qu’Omar considère Khalid comme son unique roi qu’il a l’impression que ce dernier le trahit quand il est promis à un autre maître, le Roi Hassan II : « Khalid, ami, frère, double de moi, traître, traître qui faisait le fier seul » (p. 91)

 

La trahison dans les fictions homosexuelles prend souvent une apparence de charité. Par exemple, dans les romans de Thibaut de Saint Pol, il y a toujours la figure du Grand Méchant gniarc gniarc (les camarades ou les profs de prépa dans N’oubliez pas de vivre (2004), Cyril dans Pavillon noir (2007), Heinrich dans À mon cœur défendant (2010), etc.). Mais attention. En intentions, l’ignoble personnage n’est pas une brute ou une crapule grossière (il ne l’est que dans les faits, car un vrai méchant de dessins animés est toujours doucereux et inventif). Sa méchanceté doit faire envie, est tenue d’être raffinée et esthétique : « La guerre me rend lyrique. […] Je veux le [le Traité de Versailles] prendre avec des gants blancs. […] Je suis sûr que n’importe quel autre espion lui aurait arraché son triste bien par la force, mais je ne suis ni un simple sbire ni un voleur à la tire : Ich bin zivilisiert. » (Heinrich dans le roman À mon cœur défendant, pp. 46-47) La trahison du Méchant n’est pas dénoncée, car elle est envisagée comme un art, une manipulation jouissive, une beauté qui a sa raison d’être. Elle est même un miroir de la trahison de sa victime, qualifiée de « traîtresse » (p. 46) aussi. Le Méchant est victime de sa victime ! Et c’est ce qui le rend touchant, émouvant. La trahison prend alors une apparence démocratique, d’amour, de partage égalitaire du malheur : à torts partagés, amour il y aurait ! Bourreau et victime sont semblables, se mélangent, s’échangent les masques, couchent ensemble. « Je suis la maîtresse d’un espion, d’un traître, d’un ennemi ! […] Comment le sort a-t-il pu mettre un Boche sur ma route ? Comme je regrette ces nuits d’ivresse ! » (Madeleine, idem, p. 78) On ne sait plus lequel des deux est le plus traîtres. « Pour la première fois de ma vie, je me suis mise hors la loi. […] Avec ce mensonge, je viens de trahir mon employeur et par là même mon pays. » (Madeleine, idem, pp. 118-119)

 

Le personnage homosexuel ne se voit pas forcément comme un méchant traître, car il ne comprend pas que la traîtrise, cela ne se limite pas à mal agir : c’est aussi le refus d’agir, de se positionner, c’est la sacralisation de la neutralité relativiste, c’est pécher par omission : « Non, je ne suis pas un traître. Oui, je suis un jeune homme de seize ans, sans complexes, qui ne découpe pas le monde entre ce qui est bien et ce qui est mal. » (Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 50) Il ne comprend pas non plus que la traîtrise n’est pas qu’un rôle, un masque parmi d’autres dans l’éventail d’opinions fausses qu’on peut se faire de loin sur quelqu’un : « Souvent, tu t’es efforcé d’imaginer l’impression que tes ‘clients’ se faisaient secrètement de toi : un communiste, un Juif, un courageux, un passeur, un étudiant en chimie, un homosexuel, un soumis, un meneur, un traître, un indépendant, un garçon serviable, un jeune homme contraint, un allié, un complice, un auxiliaire ? Tu conclus : un peu tout ça. » (Félix, le héros homo du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 72) Elle peut aussi être un acte réel.

 
 

e) « Je suis fier d’être un psychopathe » :

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Violeur homosexuel » et « Couple criminel » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Film "The Rocky Horror Picture Show" de Jim Sharman

Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman


 

Dans le monde des arts contemporains, la figure du psychopathe est souvent un archétype de l’homosexualité : cf. le film « Curse Of The Queerwolf » (1988) de Mark Pirro, le film « Terror Train » (1980) de Roger Spottiswoode, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec le personnage de Bruno), la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le film « Violent Cop » (1989) de Takeshi Kitano, le film « Fucked In The Face » (2000) de Shawn Durr, le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman (avec la lesbienne criminelle), le film « G.O.R.A. » (2003) d’Omer Faruk Sorak, le film « Der Totmacher » (1995) de Romuald Karmakar, le film « Notre Paradis » (2011) de Gaël Morel, le film « The Love That Is Wrong » (1993) d’Ho Shu Pau, le film « An Indecent Obsession » (1985) de Lex Marino, le film « Kiss Or Kill » (1997) de Bill Bennett, le film « Naked Killer » (1994) de Clarence Fok, le film « Passion Unbounded » (1995) de Joe Hau, le film « Lady In Heat » (1999) de Chu Yin Ping, le film « Bons Baisers de Russie » (1963) de Terence Young (avec la méchante lesbienne attaquant James Bond), le film « Gonin » (1995) de Takashi Ishii, le film « Beverly Kills » (2005) de Damion Dietz (avec le transsexuel tueur), le film « Meurtre » (1930) d’Alfred Hitchcock, le dessin animé « Le Roi Lion » (1995) de Roger Allers et Rob Minkoff (avec Skar, le diabolique frère efféminé du roi Mustafa), le film « Modesty Blaise » (1965) de Joseph Losey, le film « Inspecteur Gadget » (1999) de David Kellogg, le film « Hitcher » (1985) de Robert Harmon, le film « Jugatsu » (1990) de Takeshi Kitano, le film « Les Enfants du Paradis » (1943-1945) de Marcel Carné (avec le personnage maléfique de Lacenaire), le film « Le Faucon maltais » (1941) de John Huston, le film « Fatal Beauty » (1987) de Tom Holland, le film « Confessions of A Serial Killer » (1992) de Mark Blair, le film « Jeffrey Dahmer : The Secret Life » (1993) de David R. Bowen, le film « Dahmer : The Mind Is A Place Of Its Own » (2002) de David Jacobson, le roman La Gloire du Paria (1987) de Dominique Fernandez, le film « Les Veufs » (1991) de Max Ficher, le film « Les Diamants sont éternels » (1971) de Guy Hamilton, le film « Ricochet » (1991) de Russell Mulcahy, le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, le film « Z » (1968) de Costa-Gavras (avec le tueur fasciste, incarné par Marcel Bozzuffi), le film « L’Étrangleur » (1970) de Paul Vecchiali (avec Marcel Gassouk), le film « Le Bal des Vampires » (1968) de Roman Polanski, le film « Lui Foon » (1999) de Jue Yin Ping, le film « Tony Rome est dangereux » (1967) de Gordon Douglas, le film « Dune » (1984) de David Lynch (avec le monstrueux baron), le film « JF partagerait appartement » (1992) de Barbet Schroeder (avec la lesbienne psychopathe), le roman Le Malfaiteur (1955) de Julien Green, le film « De l’amour et des restes humains » (1994) de Denys Arcand, le film « La Sanction » (1975) de Clint Eastwood, le film « The Todd Killings » (1970) de Barry Shear, le film « Le Flic ricanant » (1973) de Stuart Rosenberg, le film « Salaud » (1971) de Michael Tuchner, le film « Chacal » (1972) de Fred Zinnemann, le film « Lacenaire » (1990) de Francis Girod, le film « Rivelazione Di Un Maniaco Sessuale Al Capo Della Squadra Mobile » (1972) de Roberto Bianchi, le film « El Asesino De Muñecas » (1975) de Michael Skaife, le film « Giornata Nera Per L’Ariete » (1971) de Luigi Bazzoni, le film « Chi L’Ha Vista Morire ? » (1971) d’Aldo Lado, le film « Le Bouc » (1969) de Rainer Werner Fassbinder, le roman Thomas l’Imposteur (1923) de Jean Cocteau, le roman Frisk (1991) de Dennis Cooper (avec le serial killer homo), le film « The Fan » (1981) d’Edward Bianchi, le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, le film « Rebecca » (1940) d’Alfred Hitchcock (avec Mrs Danvers), le film « Symptômes » (1974) de Joseph Larraz, le film « La Corde » (1948) d’Alfred Hitchcock (avec les deux amants homosexuels criminels), le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, le roman Le Père Goriot (1834) d’Honoré de Balzac (avec Vautrin, le criminel homosexuel), le film « Le Bal des espions » (1960) de Michel Clément, le film « Basic Instinct » (1992) de Paul Verhoeven (avec Sharon Stone, la lesbienne tuant au marteau-piqueur), le film « Flying With One Wing » (2002) d’Asoka Handagama (avec l’héroïne lesbienne qui finit par assassiner son médecin au couteau), le film « El Diputado » (1978) d’Eloy de la Iglesia, le film « Une après-midi de chien » (1975) de Sidney Lumet, le film « Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock (avec Norman Bates, le tueur soupçonné d’être un « inverti »), les films « La Ley Del Deseo » (« La Loi du Désir », 1986) et « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, le film « Swimming Pool » (2002) de François Ozon, le film « Les Diaboliques » (1955) d’Henri-Georges Clouzot, le film « Thelma et Louise » (1991) de Ridley Scott, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, le film « The Man Who Fell To Earth » (« L’Homme qui venait d’ailleurs », 1976) de Nicolas Roeg, le film « Elephant » (2003) de Gus Van Sant, le film « Le Privé de ces dames » (1978) de Robert Moore, le film « Pepi, Lucy, Bom, Y Otras Chicas Del Montón » (1980) de Pedro Almodóvar (avec la chanteuse Alaska en lesbienne sadique), le film « Anges gardiens » (1974) de Richard Rush, le film « Pulsions » (1980) de Brian De Palma, le film « La Jeunesse de la bête » (1965) de Seijun Suzuki, le film « Partners » (1982) de James Burrows, le film « Misteria » (1993) de Lamberto Bava, le film « Max et Jérémie » (1990) de Claire Devers, le film « Regarde les hommes tomber » (1993) de Jacques Audiard, le roman Notre-Dame-des-Fleurs (1944) de Jean Genet (avec le jeune Adrien Baillon, sodomite actif et criminel aguerri), le film « Clamp » (2000) de Maïa Cybelle Carpenter (avec le gangster androgyne Baby Blue), le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan (avec Chloé, la lesbienne psychopathe), le film « Haute Tension » (2003) d’Alexandre Aja (avec Cécile de France jouant le rôle d’une lesbienne psychopathe), le film « Le Grand Pardon » (1984) d’Alexandre Arcady (avec le truand joué par Bernard Giraudeau et tué dans le lit de son amant), le film « Impasse des vertus » (1955) de Pierre Méré (avec le jeune pompiste et truand), le film « Dressed To Kill » (« Pulsions », 1980) de Brian de Palma (avec le tueur psychopathe transsexuel M to F, en mystérieuse blonde), le film « Honey Killer » (2013) d’Antony Hickling, le film « Hard » (1998) de John Huckert, le film « My Night With Andrew Cunanan » (« Ma nuit avec Andrew Cunanan », 2012) de Devin Kordt-Thomas (sur un jeune tueur en série homosexuel), le film « Corps perdus » (2012) de Lukas Dhont (avec le personnage de Jérôme), le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec la figure du gangster aimé, Jean), le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, etc. Dans le film « Let My People Go ! » (2011) de Mikael Buch, Rubén, le héros homosexuel, est un « assassin douteux, voleur malgré lui ». Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, Abram, le héros homosexuel, a fait de la prison. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, Jonathan, homosexuel, a poignardé Suzanne York.

 

Certains héros gays revendiquent fièrement leur identité de criminel homosexuel : « Je suis méchant !!! » (Dzav et Bonnard dans leur pièce Quand je serai grand, je serai intermittent, 2010) ; « J’en tire tout de même une certaine satisfaction de criminel. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 130) ; « On est les nabots de la Terre. […] On est devenus des voyous […]. » (Cachafaz dans la pièce éponyme (1993) de Copi) ; « Oui, je le sais. Je suis malade. » (Adam, l’un des héros homos du film « W imie… », « Aime… et fais ce que tu veux » (2014) de Malgorzata Szumowska) ; « Tu sais, à Oran, être pédé, c’est comme être criminel. » (Yves saint-Laurent dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « Peut-être qu’elle est folle, qu’elle va nous assassiner ! » (Fanny s’adressant à son mari Jean-Pierre par rapport à Catherine, l’héroïne lesbienne dont elle va tomber amoureuse, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; etc.

 

Néanmoins, d’autres personnages homos se laissent entraîner par leurs fantasmes de déshonneur et de criminalité. Par exemple, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Leopold, le héros homo, croit qu’il a tué un de ses clients parce qu’il l’a poussé au suicide : « Franz, j’ai tué quelqu’un, un de mes clients s’est tué la cervelle […] comme si j’étais quelqu’un d’autre et que j’observais tout ce que je faisais […] comme si tout le monde savait que j’avais tué quelqu’un… »

 
 

f) « Je suis un esclave tatoué » :

Film "15" de Royston Tan

Film « 15 » de Royston Tan


 

En lien avec le motif du criminel, on voit apparaître dans les œuvres homosexuelles la figure du « gros dur » tatoué et peu commode. Le tatouage, symbole de soumission et d’esclavage, est revendiqué par certains personnages homosexuels comme une marque visible d’identité et d’amour homosexuels : cf. le film « Adults Only » (2013) de Michael J. Saul (dans les méandres d’une backroom gay), le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs (avec Russ, homosexuel, qui est tatoué dans le dos), le film « Encré en soi » (2012) de Constance Lévesque, le film « Tattoo Boy » (1995) de Larry Turner, la pièce La Rose tatouée (1950) de Tennessee Williams, la chanson « Hey ! Amigo ! » d’Alizée, les chansons « Épaule Tatoo » et « Talisman » d’Étienne Daho, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Francis, le héros homosexuel), le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, le film « Tatouage » (1966) de Yasuzo Masumara, le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha (avec Jean-Luc, le cousin homo tatoué de partout), le film « Better Than Chocolate » (1999) d’Anne Wheeler, le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, la pièce Le Cabaret des hommes perdus (2006) de Christian Siméon, le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant (Marc, l’un des héros homos, a un tatouage dans le dos), le film « Hellbent » (2005) de Paul Etheredge-Ouzts, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le roman Tatuaje (1973) d’Eduardo Mendicutti, la chanson « Tatuaje » de Rafael de León, la pièce La Muerte De Mikel (1984) d’Imanol Uribe, la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, le film « Selon la loi » (1957) de Peter Weiss, le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le film « Oi ! Warning ! » (1999) de Dominik et Benjamin Reding, le film « 15 » (2003) de Royston Tan, le film « Beautiful Boxer » (2004) d’Ekachaï Uekrongtham, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre (avec les tatouages de Julien), le film « Chasse à l’homme » (2010) de Stéphane Olijnyk, le one-man-show Cet homme va trop loin (2011) de Jérémy Ferrari, le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato (avec Fatso), la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec le tatouage saint Sébastien sur le cœur), le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky (Veronika, la danseuse lesbienne et son tatouage ailé dans le dos), le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye, le spectacle Tatouage (Les Trois Tangos, 2009) d’Alfredo Arias, le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille » (2009) d’Ella Lemhagen), le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann (avec Anthony, le jeune garçon d’hôtel homo avec son tatouage sur le dos), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel (avec Franck, le héros homo tatoué de partout), le roman Soie sauvage (2004) de Fabienne Leloup, le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec Konrad, l’un des héros homos, tatoué), la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand (avec Herbert, homosexuel tatoué), etc. « Nous avons fait un détour par Montmartre pour voir les peintres. Sur la Place du Tertre, une fille faisait des tatouages. Nous nous sommes fait tatouer un cœur chacun, dans la paume de la main gauche. » (Kévin et Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 145) ; « Je veux un tatouage, symbole de l’Amour. C’est juste un tatouage. Même si tu choisis le même que ton père, ça ne fera pas revenir ton frère. » (Jade, l’héroïne lesbienne du film « Spider Lilies » (2007) de Zero Chou) ; « C’est comme ça que j’ai fini avec un tatouage de Jean-Pierre Pernaud sur la jambe. » (Arnaud, le héros homo, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Qu’est-ce que t’as sur les mains ? » (la mère de Nathan) « C’est des tatouages que j’ai fait. » (Jonas, l’amant de Nathan) « Toi tout seul ? » (la mère de Nathan) « Ouais. » (Jonas, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc.

 

Par exemple, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca, le héros homosexuel, décrit son fantasmatique triangle rose incrusté dans la peau des personnes homosexuelles (« dans nos chair de dégénérés » dit-il). Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis parle d’une « brûlure froide » à son amant Luther. Dans le film « Coup de foudre à Notting Hill » (1998) de Roger Michell, William, le libraire bobo, fait un descriptif, en début d’histoire, des personnages atypiques de son quartier de Notting Hill, et l’un d’eux est « le tatoué qui ne sait pas pourquoi il s’est fait tatoué ‘À Ken pour la vie ». Dans le film « Sexual Tension : Volatile » (2012) de Marcelo Mónaco et Marco Berger, un ado se rend chez un tatoueur ultra-sexy. Dans le film « Des Jeunes gens mödernes » (2011) de Jérôme de Missolz, Antoine, Aurélie, Mathieu, Riposte et Sabine sont montés à Paris et organisent des séances nocturnes de tatouage sauvage dans les soirées. Dans le film « R » (2010) de Tobias Lindholm, il est question de « fiottes tatouées ». Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Nina, l’héroïne lesbienne, se fait tatouer sur le ventre ; et son amante Lola lui fait une scène parce qu’elle ne lui a pas demandé l’autorisation ni le motif du dessin.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) « Je suis un monstre » :

Aussi étonnant et révoltant que cela puisse paraître, un certain nombre de personnes homosexuelles se qualifient de « monstrueuses » simplement du fait de ressentir en elles un désir homosexuel : « J’avais l’impression que d’être homosexuel faisait de moi un sous-homme. » (Olivier, homosexuel, 37 ans, dans l’émission « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Je me sentais comme un déchet humain parce que je suis gai. J’étais un gros monstre, quelqu’un de mal, un déchet de la société. Mais je n’étais pas capable de m’accepter, encore moins de le dire à mes amis. » (un témoin homosexuel cité dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 53) ; « Je sais bien que je suis la mère d’un enfant anormal. » (Estelle, la mère de Stéphane, homosexuel, dans l’autobiographie Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014) de Paul Veyne, p. 239) ; « J’ai déjà dit plus haut combien je me sentais différente de mes camarades de classe. […] Et j’en arrivais à me demander quelquefois si je n’étais pas un monstre. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 75) ; « Je devenais un être risible, monstrueux, un malade, un objet de mépris des adultes qui m’entouraient, et, ce qui était pire, la cible de la moquerie de mes semblables. » (Arturo Arnalte au moment de la découverte de son homosexualité, cité dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 135) ; « Comme personne ne me ressemblait autour de moi, comme je n’avais aucun repère, j’ignorais tout de l’homosexualité et j’ignorais que je l’étais. Je me croyais anormal, malade. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 91) ; « J’étais incapable d’imaginer une seule seconde qu’un homosexuel puisse être quelqu’un de normal. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 72) ; « Puisque la normalité exige que le masculin soit attiré par le féminin, et puisque ce n’était pas mon cas, j’en concluais que je souffrais d’une mystérieuse maladie. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 15) ; « J’étais un cas désespéré le jour de ma naissance. » (Quentin Crisp cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 151) ; « Décidé à l’avance que mon histoire aurait un dénouement malheureux, le mal ne pouvait être qu’un leurre. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 126) ; « À 18 ans, je me suis repliée sur moi-même, et j’ai abandonné jusqu’à la simple idée qu’on puisse m’aimer d’amour. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 19) ; « Lui dirais-je combien j’avais pu, adolescente, me sentir infirme, monstrueuse, vouée à jamais à la solitude quand je m’éprenais d’une fille de mon âge ? » (Paula par rapport à son amante Catherine, idem, p. 42) ; « Que Michael Jackson nous épargne ses jérémiades sur la pureté des enfants. Ce sont des monstres, comme nous. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 155) ; « Clermont-Ferrand, ce 20 octobre 1968. J’accuse aujourd’hui ma mère d’avoir fait de moi le monstre que je suis et de n’avoir pas su me retenir au bord de mon premier péché. Tout enfant, elle me considère comme une petite fille et me préfère à ma sœur, morte aujourd’hui. De mon père, j’ai le souvenir lointain d’un officier pâle, doux, presque timide, perpétuellement en butte aux sarcasmes de son épouse. […] Ce sont mon sentiment, ma faiblesse qui ont fait de moi un monstre. Oui, un monstre, puisque, au moment où je fais le bilan de mon existence, je m’aperçois que je n’ai jamais rien compris de la vie. […] Pendant de longs jours, j’eus l’impression d’être guéri : la vision ignoble de ce garçon, que je croyais viril, les images de cet homme singeant la femme en présence d’un autre homme tout aussi efféminé, tout cela endormait en moi toute velléité de recommencer. Toutes mes aventures, je les avais eues ou menées sous le signe de cette domination : en un mot, je ne m’étais jamais vu moi-même. Sensible et féminin, désirant d’impossibles caresses, j’eus alors la révélation que l’on n’est pas fait pour cela ; je sus qu’il y avait, en cet individu, quelque chose de détruit, comme en moi-même. Une sorte de timidité sexuelle faisait de nous ‘les invertis’, des monstres, des malades. Ainsi, il m’arrivait parfois de ne pas croire à ma propre homosexualité. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), pp. 75-110) ; etc.

 

Après cette phase auto-détestation, bien entendu, beaucoup vont retourner la honte en fierté, car intellectuellement et collectivement, la haine de soi fait mauvais genre, n’est pas très publicitaire pour l’identité et l’amour homosexuels : « J’ai appris qu’une femme qui aime les femmes n’est pas un monstre en soi, mais juste aux yeux des censeurs. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 209) Mais n’oublions pas qu’elle est le moteur premier de l’homosexualité ; et que le volontarisme optimiste ne constitue qu’un vernis bien mince appliqué sur celle-ci.

 
 

b) « Je suis une (plus grande) victime (que les autres) » :

La chaîne de la victimisation ne s’arrête pas là ! Non seulement les personnes homosexuelles se disent persécutées et incomprises, mais en plus, beaucoup soutiennent qu’elles sont plus persécutées que les autres victimes sociales reconnues comme telles : « Nous, les gays, nous sommes les plus discriminés ! » (cf. l’article « Crónica Auténtica De Lo Acontecido En Un Pub De Chueca Una Noche De Verano » de J. A. Herrero Brasas, dans l’essai Primera Plana (2007), p. 123) ; « J’aimais mieux me faire pointer du doigt comme drogué que comme gai. » (un témoin homosexuel cité dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 74) ; « C’était mieux d’être un lépreux que de se sentir attiré par les hommes. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Être homosexuel, c’est être victime d’homophobie. C’est cela avant toute autre chose – ce n’est peut-être même que cela. » (Julien Picquart, Pour en finir avec l’homophobie (2005), p. 17) ; « On subit tous l’homophobie en général. » (Jeanne Broyon parlant des personnes homosexuelles, juste avant la projection de son documentaire « Des filles entre elles » (2010), diffusé lors du Seizième Festival Chéries-Chéris du Forum des Images de Paris) ; « En France comme ailleurs, les homos souffrent. […] Les homosexuels sont des victimes en puissance, comme toutes les minorités. » (Anne Delabre, Didier Roth-Bettoni, Le Cinéma français et l’homosexualité (2008), p. 93) ; « La situation de l’homosexuel pourrait être comparée à celle d’un Juif, à celle d’un Nègre, que sais-je, à celle de tous les minoritaires. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « L’homosexualité est la voie la plus étroite, la plus dure, la plus difficile et vous voudriez que, de gaieté de cœur, ces adolescents qui ont peur de ne pas connaître le bonheur choisissent cette voie-là ? » (André Baudry cité dans l’essai Repères éthiques pour un monde nouveau (1982) de Xavier Thévenot) ; « Je devais admettre que Proust avait raison : les homosexuels n’étaient que des parias voués à une solitude irrémédiable, des parias sur qui personne ne poserait jamais un regard aimant. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 109) ; « Je me suis longtemps posé cette question : ‘Pourquoi ?’ Et aussi celle-ci : ‘Mais qu’avons-nous fait ?’ Il n’est d’autre réponse à ces interrogations que l’arbitraire des verdicts sociaux, leur absurdité. Et comme dans le Procès de Kafka, il est inutile de chercher le tribunal qui prononce ces jugements. Il ne siège pas, il n’existe pas. Nous arrivons dans un monde où la sentence a déjà été rendue, et nous venons, à un moment ou à un autre de notre vie, occuper la place de ceux qui ont été condamnés à la vindicte publique, à vivre avec un doigt accusateur pointé sur eux, et à qui il ne reste qu’à tâcher tant bien que mal de se protéger d’elle et de réussir à gérer cette ‘identité pourrie’. Cette malédiction, cette condamnation avec lesquelles il faut vivre installent un sentiment d’insécurité et de vulnérabilité au plus profond de soi-même, et une sorte d’angoisse diffuse qui marque la subjectivité gay. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 223) ; « À la différence des Juifs ou des Beurs où la prise en compte de la différence est appartenance (elle vous relie à votre famille, à vos amis, à votre entourage), la découverte de l’homosexualité est isolement, solitude. Tous les homosexuels ont eu, un jour, l’impression de ne pas être ‘chez eux, chez eux’. » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 707) ; « Les maladies ou les handicaps, s’ils peuvent être source de peur ou de rejet (parce qu’on ne sait pas comment réagir, parce qu’on a peur du différent de soi…), ils ne sont pas source de haine. Donc, si l’homosexualité est source de haine, c’est qu’elle a quand même un statut particulier par rapport à un simple handicap ou à une simple maladie. » (Hugo cité sur ce site consulté en octobre 2003) ; « Une enquête de l’État de New York sur la violence concluait en 1988 que de tous les groupes minoritaires, c’étaient les hommes et les femmes homosexuels qui étaient les objets de la plus grande hostilité. » (Élisabeth Badinter, X Y de l’identité masculine (1992), p. 178) ; « Les homosexuels pourraient être les individus les plus opprimés au sein de cette société. » (Huey Newton, chef des Black Panthers, en 1970, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 72) ; « Je vous parle des discriminations que j’ai vécues en tant que… femme noire homosexuelle… Je ne suis pas encore juive. » (Gisèle lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », organisé le 10 octobre 2009 à la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris) ; « Être homosexuel, être Juif, être Blanc sont les 3 jambes sur lesquelles je marche. J’aime utiliser ma judaïté. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; « Remplacez dans la phrase qui est la vôtre le mot ‘homosexuel’ par ‘Noirs, femmes, Juifs ou Roms’, par exemple, et si vous voyez un propos raciste ou sexiste, c’est que le propos initial était homophobe. » (Louis-Georges Tin dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; etc.

 

Dans son essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), la « sociologue » Natacha Chetcuti affirme que le lesbianisme est une « identité marginalisée et dévalorisée » (p. 17), et que « les » lesbiennes sont victimes du « système hétérosexiste dominant » : «  Ignorées socialement, elles le sont théoriquement. […] Elles subissent une ‘double peine’, comme femmes et comme homosexuelles. » (pp. 7-14)

 

La communauté homosexuelle construit (ou projette) sur les écrans les preuves (qu’elle croit réelles) de l’oppression sociale qu’elle subirait. « Quand quelquefois, je vois à la télévision de belles âmes pleurer sur la misère sexuelle des malfaiteurs enfermés en prison, je ne peux me retenir d’évoquer ma jeunesse, tout aussi misérable, où je subissais une punition inhumaine pour des crimes que je n’avais pas commis. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 109) ; « C’était pas la Gestapo, mais c’était pas loin. » (Martin Boyce, militant homo ayant vécu les Révoltes de Stonewall à New York, en 1969, et décrivant les raids de police, dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco) ; etc. Par exemple, les agressions homophobes dont certains héros homosexuels pâtissent sont grossies à l’extrême au cinéma par beaucoup de réalisateurs homosexuels, qui n’hésitent pas s’il le faut à sombrer dans le scabreux et l’odieux pour rehausser le prestige des histoires d’« amour » qu’ils nous racontent, quitte à ce que leurs scenari soient totalement téléphonés, improbables, et invraisemblables : cf. le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve (avec la méchanceté homophobe présentée comme « gratuite » et « insensée »), le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (avec l’agression aveugle des bourrins dans le bar), le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee (avec le meurtre sauvage et inexpliqué d’un des deux héros, à la fin de l’histoire), le film « Du même sang » (2004) d’Arnault Labaronne (avec l’agression homophobe caricaturale et d’une inhumanité sans nom), le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce (avec les agresseurs « machisés », infligeant sans raison un viol correctif à l’héroïne lesbienne), etc.

 

« Ré-écrire l’histoire à nos étendards » chante Étienne Daho (cf. la chanson « Ré-évolué ») … On est en plein dedans ! Il est très fréquent que les personnes homosexuelles actuelles s’identifient aux victimes de la déportation nazie, comme si elles étaient elles-mêmes passées par l’épreuve des camps de concentration. Par exemple, le groupe Bronski Beat (de Jimmy Somerville) use sur ses pochettes de disque du triangle rose. L’association S.O.S. Homophobie, en France, fait de même. Le personnage transsexuel du documentaire « Chandelier » (2002) de Steven Cohen porte l’étoile jaune. Selon certains individus homosexuels zélés, il ne fait aucun doute que les personnes homosexuelles auraient constitué pendant la Seconde Guerre mondiale « la plus basse caste des camps, celle qui était la plus détestée des autres déportés. » (Jean Boisson, Le Triangle rose (1988), p. 143) ; « Si tous les déportés eurent à subir ainsi les violences organisées de certains des leurs, il est à remarquer, là encore, que cette brutalité toucha plus particulièrement les homosexuels, comme s’ils étaient destinés par nature à souffrir plus que les autres. » (idem, p. 156) ; « Ce furent évidemment les ‘triangles roses’ qui devaient subir les pressions les plus rudes. » (idem, p. 165) ; « Les SS choisirent pour eux ‘les travaux les plus répugnants et les plus fatigants’. » (cf. l’article « De Sodome à Auschwitz » de Luciano Maximo Consoli, dans la revue Arcadie, juillet-août 1974, p. 184) Mais cette certitude se trouve finalement contredite par les mêmes historiens : « L’hostilité qui entourait ces ‘criminels’ se trouvait surtout nourrie par le fait que ‘les SS les avaient confié les plus importantes fonctions du camp’, les installant ainsi dans des ‘positions prédominantes’. » (idem, p. 144)

 

À en croire les militants pro-gays, « les » homosexuels auraient subi la totalité des outrages endurés par l’Humanité depuis le début de son Histoire. « Après tout, étant le bizarre du village, l’efféminé, je suscitais une forme de fascination amusée qui me mettrait à l’abri, comme Jordan, mon voisin martiniquais, seul Noir à des kilomètres. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 33) Par exemple, à la Gay Pride parisienne de 2001, certaines femmes lesbiennes s’associent arbitrairement à toutes les victimes « liées à l’esclavagisme, aux colonisations, à l’impérialisme, aux migrations forcées » (cf. l’article « Gaiphobie » de Guillaume Huyez, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 192). Rien que cela… Dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014, Emmanuelle, femme lesbienne de 26 ans, compare le sort des personnes homosexuelles « maltraitées par la Manif Pour Tous » à la « Seconde Guerre mondiale, à la Shoah, à l’histoire des Noirs », et sombre dans le délire paranoïaque de persécution : « Où est-ce qu’ils vont s’arrêter ? Tout ce qu’ils veulent, c’est que je dégage. » Marcel Proust célèbre comme une « race maudite » ces invertis « rassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe, l’opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race, parfois beaux, souvent affreux. » (Proust, 1972, p. 16)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles trouvent dans la victimisation un moyen pour se trouver une identité, tuer l’ennui, se donner une utilité dans une noble cause ( = la lutte contre un ennemi qu’elles rêvent invisible : l’homophobie), détourner l’attention sur leurs vrais problèmes intimes. « Je suis le pédé agressé à vie. » (Bruno Wiel, jeune homme trentenaire homosexuel connu médiatiquement pour avoir été tabassé et laissé pour mort par quatre hommes, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Dans son ensemble, notre société n’est ni homophobe, ni violente à l’égard des femmes. Les chiffres de la Halde sont éloquents (Bilan avril 2011). Parmi les plaintes déposées pour discriminations, voici ce que le bilan annule de 2010 recense : ‘L’origine ethnique, avec 27% des réclamations, demeure le critère de discrimination le plus souvent invoqué. Viennent ensuite l’état de santé et le handicap (19%), l’âge (6%), les activités syndicales (5%), le sexe et la grossesse (4,5%), la situation de famille et l’orientation sexuelle (2,5%), les convictions religieuses et l’apparence physique (2%) et les opinions politiques (1%).’ Aucune mention de discrimination pour sexisme n’est signalée. » (Élizabeth Montfort, Le Genre démasqué (2011), p. 80) Dans leur cas, la jérémiade devient un masque figé, grimaçant, inutile. « Il faut être mécontent ! » soutient le parano. Par principe. Même quand il y a une amélioration en vue, elle est toujours mauvais signe ! Ça veut dire qu’on essaie de le rouler, de lui faire croire qu’il peut aller mieux, qu’il n’est plus une victime, alors forcément c’est suspect, c’est scandaleux ! « Comme au Juif, comme à tant d’autres traditionnels stigmatisés, rien ne doit être considéré comme acquis aux homos. » (Jacques Fortin, Homosexualités, l’adieu aux normes (2000), p. 30)

 

Dans l’émission Infra-Rouge intitulée « Souffre-douleurs : ils se manifestent » diffusée sur la chaîne France 2 le 10 février 2015, le jeune Lucas Letellier, lycéen se disant « homosexuel », affirme qu’il a subi le harcèlement scolaire de la part de ses camarades uniquement « parce qu’il est homosexuel ».
 

Dans l’affiche de son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus a choisi de peindre son corps et son visage en noir, avec des inscriptions xénophobes et ethniques, figurant ainsi sa schizophrénie spatiale et son désir d’incorporer toutes les injures.
 

Le virus du Sida (HIV) sert souvent de support à la victimisation homosexuelle. Selon la direction générale de la Santé, « une certaine proportion d’homosexuels sont dans une sublimation de la séropositivité ou revendiquent une séroconversion volontaire. […] La séropositivité permet d’annoncer son homosexualité, de faire en quelque sorte partie du ‘club » (Thomas Montfort, Sida, le vaccin de la vérité (1995), p. 30).

 

Disons-le franchement. Il y a une forme de fascination morbide, de contemplation de narcissique de soi, une complaisance inavouée, dans la recherche du malheur entreprise par certaines personnes homosexuelles. Pour elle, la mort, la souffrance, l’injustice, c’est glorieux en soi. « C’est vrai d’ailleurs, on peut être un mendiant handicapé et homosexuel, noir qui plus est, mais ça tout de même ce n’est pas si commun, ce serait la figure sublime… enfin, je plaisante, quoique… » (Hugues Pouyé dans le site Les Toiles roses en 2009) ; « Nous, les femmes, on a énormément d’avantages puisqu’on cumule les discriminations. » (Anne Fraikin, lors du débat « Double discrimination femme et lesbienne », au SIGL, Carrousel du Louvre, à Paris, le samedi 3 novembre 2007) Malgré les apparences, la course aux discriminations et aux diplômes de Meilleures Victimes, entreprise par beaucoup de personnes homosexuelles, a quelque chose de non seulement déplacé mais aussi d’inhumain et de révoltant. Car elle fait de l’ombre aux vraies victimes (y compris les vraies victimes homosexuelles).

 

La différence fondamentale entre les vraies victimes et les fausses est expliquée par Pascal Bruckner dans son essai La Tentation de l’innocence (1995) : « Pourquoi est-il scandaleux de simuler l’infortune quand rien ne vous affecte ? C’est qu’on usurpe alors la place des vrais déshérités. Or ceux-ci ne demandent ni dérogations ni prérogatives, simplement le droit d’être des hommes et des femmes comme les autres. Là réside toute la différence. Les pseudo-désespérés veulent se distinguer, réclament des passe-droits pour ne pas être confondus avec l’humanité ordinaire ; les autres réclament justice pour devenir simplement humains. » (p. 17)

 

Dès qu’une victime devient haineuse, elle n’est plus victime, car comme l’expliquaient des grandes âmes comme Gandhi ou Mère Teresa, la révolte du pauvre ne se justifie que lorsqu’elle est son seul moyen d’être respecté dans sa dignité d’Homme. Jamais le vrai pauvre ne singe ni ne grossit sa souffrance : « Je n’ai jamais entendu un pauvre grogner ou maudire, je n’en ai jamais vu terrassé par une dépression. » (Mère Teresa, Il n’y a pas de plus grand Amour (1997), p. 163) Dans notre monde actuel, nous apprenons malheureusement de plus en plus aux pauvres à perdre leur innocence en devenant haineux et fiers de leur statut soi-disant « éternel » de victimes.

 
 

c) Homosexualité noire :

Truman Capote

Truman Capote


 

On trouve parmi les artistes homosexuels de nombreux défenseurs de ce que Guy Hocquenghem a appelé « l’homosexualité noire », c’est-à-dire une homosexualité à la dérive, persécutée, individualiste, nocturne, anti-conformiste, incorrecte, limite homophobe (logique de la traîtrise et de l’auto-trahison oblige !) : pour ne citer qu’eux, Bernard-Marie Koltès, Olivier Py, Arthur Rimbaud, Pier Paolo Pasolini, Patrice Chéreau, William Burroughs, Marcel Jouhandeau, Julien Green, Oscar Wilde, Vasco Pratolini, Juan Goytisolo, Kenneth Anger, John Rechy, Allen Ginsberg, etc. Par exemple, les « décadents » homosexuels de la fin du XIXe siècle (Jean Lorrain, Maurice Rostand, Oscar Wilde, Marcel Proust, Pierre Loti, Missy, Arthur Rimbaud, etc.) affichaient leur nullité et leurs mœurs libertaires honteuses avec complaisance. Jean Genet, quant à lui, invitait ses frères et sœurs invertis à se rebaptiser « Filles de la Honte ». Ernst Röhm, dès 1928, écrit ses Mémoires d’un traître. À l’époque, ses Mémoires d’un coupable de haute trahison faisaient jeu égal à l’époque avec Mein Kampf dans les librairies. On retrouve cette tendance à s’approprier son insulte chez la Beat Generation, le mouvement Pop Art, le courant néo-baroque, les idéologies queer et camp actuelles, la frivolité des Gay Pride, etc. Aujourd’hui, l’appellation péjorative « pédé », « gouine », ou « queer », va dans ce sens. Dans la préface de l’essai Théorie Queer et cultures populaires de Foucault à Cronenberg (2007) de Teresa de Lauretis, Pascale Molinier parle de l’incapacité chez les personnes homosexuelles de « se définir en positif » (p. 22). Beaucoup d’entre elles ne se rendent pas aimables et montrent leurs griffes : je pense aux noms choisis par certaines associations LGBT (ex : l’association lesbienne La Barbare (1999-2007), l’association Les Panthères roses, Ni putes ni soumises, etc.)

 

« Toutes les minorités se retrouvent dans le personnage du vampires. C’est le symbole du marginal de toutes les époques. Il est toujours un contre-pouvoir. » (Tony Mark, le romancier homosexuel s’étant identifié dès l’âge de 14 ans à Dracula, lors de sa conférence « Vampirisme et Homosexualité », au Centre LGBT de Paris, le 12 mars 2012) ; « Moi, je suis fière d’être gouine. » (Fanny Corral, lesbienne, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) ; etc.

 

Il se dégage de la revendication de la souffrance chez les personnes homosexuelles une fierté paradoxale : à la fois elles reprochent à la Terre entière de faire d’elles une Nation de malheureux (« Nous n’avons pas le monopole de la souffrance ! » hurlent-elles), et en même temps, elles construisent elles-mêmes leur mauvaise réputation avec une insistance sans relâche : « C’est notre clandestinité qui fait de nous des parias. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 100) ; « Je suis un produit de l’injure. Un fils de la honte. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 204) ; « Notre présence sur la planète est un virus, une énormité, un cancer. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p.130) ; « Quels sont les grands films homosexuels qui ont marqué les trente dernières années du XXe siècle ? Hélas ! a-t-on envie de dire, des films sombres, désespérés, échos attardés des époques de censure et de répression. Chasse au pédé dans ‘Scènes de chasse en Bavière’ de Peter Fleischmann (1968), choléra rédempteur dans ‘Mort à Venise’ de Visconti (1971), meurtre dans ‘Le Droit du plus fort’ de Fassbinder (1974), suicide dans ‘La Conséquence’ de Wolfgang Petersen (1977), exclusion sociale dans ‘Une Journée particulière’ d’Ettore Scola (1977), passion destructrice dans ‘La Loi du Désir’ de Pedro Almodóvar (1986), menace du Sida dans ‘Les Nuits fauves’ de Cyril Collard : le cinéma homo qui compte n’est-il qu’un catalogue de châtiments et d’expiations ? » (Dominique Fernandez, L’Amour qui ose dire son nom (2000), p. 307) ; « Vous avez déjà vu, vous, de l’homosexualité épanouie ? Et même si cela arrive quelquefois, on ne fait pas un film sur une situation homosexuelle heureuse. » (Patrice Chéreau par rapport à son film « L’Homme blessé » (1983), cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel) ; « Je suis alcoolique. Je suis un drogué. Je suis homosexuel. Je suis un génie. » (Truman Capote, Musique pour des caméléons, 1980) ; « On me dit que je suis Décadent. Cette appellation originale fut employée en insulte… Quoi de plus naturel que moi et de mes amis la prissions tout de suite comme un cri de guerre ? » (Paul Verlaine cité dans l’article « Poétiquement ‘correct’ » d’Alain Borer, sur le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 41) ; « J’aime le mot décadence tout en miroitant de pourpre et d’ors. » (Paul Verlaine en 1886) ; « J’éprouve une sorte de fierté à avoir été censurée. » (Laure Charpentier dans le cadre de la 3e Journée Mondiale contre l’homophobie, Mairie du 2e arrondissement, Paris, le 18 mai 2007) ; « Jean Genet avait en commun avec Violette Leduc ce goût du massacre, ce besoin de démolir. Pour des gens comme eux, il fallait que tout aille mal, c’était une stimulation. » (Jacques Guérin cité sur l’article « Genet, Violette Leduc » de Valérie Marin La Meslée, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 72) ; « La marginalité nous a rendu libres. On était quand même des marginaux. » (un des témoins homosexuels parlant de l’homosexualité vécue en France dans les années 1960-1970, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Je suis dangereuse, très dangereuse. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; « Le cancer, c’est moi. Il fait partie de moi. » (idem) ; etc.

 
 

d) « Je suis un traître » :

Pourquoi une telle réaction hypocrite et complaisante face au malheur ? Parce que les personnes homosexuelles sont bien souvent fascinées par le petit pouvoir de la trahison. Par exemple, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la biographe Marie-Louise Rodén dévoile que « les contemporains de la reine Christine la considéraient comme une traîtresse », de par sa conversion du protestantisme au catholicisme, de par son lesbianisme, de par ses dettes et fêtes coûteuses.

 

Pourtant, au départ, elles l’avaient haïe et crainte, car elle les avait fait souffrir en amour et en amitié : « Je me méfie d’une certaine nature humaine. Plus que tout je redoute la trahison. » (Mylène Farmer dans la revue Paris Match, n°2741, le 6 décembre 2001) ; « L’une des accusations les plus tenaces portées contre les homosexuels est celle de trahison. » (« L’Homosexualité à l’épreuve des représentations », Revue européenne d’Histoire sociale n° 3 (2002), p. 15) ; « L’homosexualité conduit à la trahison. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 56) ; « La solidarité y est fréquente ; encore plus l’égoïsme, la jalousie, l’hostilité, la trahison. » (Roger Peyrefitte parlant du « milieu homosexuel », cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 253) ; « Le grand point faible de l’homosexualité, c’est sa lâcheté : surpris en flagrant délit ‘d’outrage aux mœurs dans un lieu dit public’, le pédéraste ne peut chercher aucun secours chez son partenaire de rencontre ; il est seul. Personne n’est jamais homosexuel… sauf celui qui se fait pincer. Une ignoble loi de la jungle régit notre existence et nous vivons dans la perpétuelle attente de la catastrophe. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, idem, p. 103)

 

Mais elles ont fini par la juger nécessaire pour se créer une raison d’être : « La trahison paraît la prérogative de celui qui – individu ou groupe-hybride – n’arrive pas à rentrer dans les limites d’une catégorie, d’un genre, d’une espèce, d’une patrie, d’une profession. Ce sont des êtres et les entités échappant à une définition précise qui paraissent destinés à trahir : les classes floues comme la petite bourgeoisie, les statuts ambigus comme l’intellectuel-clerc, le déraciné et le parvenu, les sexes intermédiaires comme l’homosexuel, les nationalités incertaines comme le Juif, et puis encore le sans-patrie et le cosmopolite, le serviteur et le courtisan, le bâtard, le gaucher, le roux, l’albinos… Le traître, c’est l’indéfini et le monstrueux. » (Dominique Scarfone, De la trahison (1999), pp. 20-21) ; « Au-delà de ses inconvénients, il est pourtant indispensable de réaffirmer l’actualité du concept de ‘déviance’ pour comprendre la situation des homosexuels. Car nier qu’il y ait déviance ‘objective’ par rapport à la norme sociale qu’est l’hétérosexualité revient à nier l’existence de cette norme, c’est-à-dire, en dernière analyse, à masquer la domination subie par les gays et les lesbiennes. On voit bien le danger de la dénégation dans sa convergence paradoxale avec le discours de la nouvelle homophobie selon lequel les homosexuels auraient eu tout ce qu’ils voulaient, et ne seraient plus qu’un groupe culturel neutre et une ‘communauté de choix’. Au contraire, un concept enrichi de déviance permettrait, malgré ses limites, de comprendre comment les pratiques et l’univers symbolique de la communauté gay et lesbienne existent à la fois pour eux-mêmes et comme réponse à une situation concrète d’oppression. » (cf. l’article « Déviance » de Sébastien Chauvin, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 152) ; « Je ressentis la nécessité, dans le contexte d’un mouvement politique et de l’effervescence théorique qui l’accompagnait, de ‘plonger’ dans ma mémoire et d’écrire pour ‘venger ma race’. Mais ce fut une autre ‘race’ que je m’attachai à venger et donc une autre mémoire que j’entrepris d’explorer. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 242)

 

Bien souvent, dans leur esprit, le mot « traître » remplace celui « homosexuel » : « Je voulais surtout qu’il sache que malgré tout ce qu’on disait sur moi à Hay Salam, ‘la petite fille’, ‘la poupée’, malgré tous les surnoms de trahison j’étais encore vierge. Vierge vierge. Vierge des fesses. » (Abdellah Taïa parlant de son cousin Chouaïb, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), pp. 20-21) ; « Et si je sers si fort la main de ma mère, c’est pour que mon père ne s’aperçoive pas de ma nature de traître. Qu’il ne devine pas combien je trouve exaltant de se jeter d’un sixième étage, combien je jalouse mes cousins de la ville avec leurs parents alcooliques et tarés, combien je sais que la vraie vie est là-bas, avec les drames, les cris, les pleurs, la foule, plutôt que chez nous aux Espaces Verts. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 41)

 

La trahison constitue visiblement un fantasme esthétique et amoureux fort chez les personnes homosexuelles : « Stilitano pouvait trahir son pays et moi-même le mien par amour pour Stilitano. » (Jean Genet, Journal du Voleur (1949), p. 56) ; « Je suis noir, je suis un traître, je suis différent. » (Néstor Perlongher, « 69 Preguntas A Néstor Perlongher » (1989), p. 21) ; « Je pense que l’homo est un traître en puissance. Mais il faut bien comprendre ce que ça veut dire. Le traître, c’est l’aspect noir de la chose. Mais l’aspect blanc, doré, c’est que l’homosexuel essaie d’être une réalité profonde, très profonde. Il essaie de trouver une profondeur que n’ont pas les hétérosexuels. » (Jean-Paul Sartre cité dans l’essai Les Oubliés de la mémoire (2002) de Jean Le Bitoux, p. 181)

 

Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa, lassé d’être délaissé par son copain Slimane, décide d’« aller voir ailleurs ». Il présente l’infidélité comme une communication désespérée, la trahison comme une magnifique entorse à son habituel sens de la fidélité… une preuve d’amour, en somme ! « Je suis allé marcher ailleurs. Tu m’y as poussé. Il fallait arrêter. Trahir. » (p. 121)

 

Dans le documentaire « Out : Naissance d’une Révolutionnaire » (2000) de Rhonda Collins et de Sonja de Vries, la figure du traître est sacralisée en la personne de la femme lesbienne Laura Whitehorn (qui tenta de faire exploser une bombe dans le Capitole aux États-Unis). L’argument basique « La fin justifie les moyens » transforme ici une folie meurtrière en acte de bravoure exceptionnel.

 

Lors de la conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon à la Mairie du IIIe arrondissement, le 18 novembre 2010, l’écrivain Christophe Bigot, en parlant de sa propre vie, s’est identifié très tôt (avant de le dés-idéaliser) au procureur Camille Desmoulins : « J’ai voué un culte à Camille Desmoulins pendant toute mon adolescence. […] C’est un homme violent qui désigne, à la vindicte populaire, les contre-révolutionnaires. » C’est la figure du traître impopulaire par excellence.

 

Paradoxe idolâtre du désir homosexuel ! La majorité des personnes homosexuelles, en idéalisant la trahison, laissent entendre qu’elles se retourneront aussi contre elles-mêmes. Eh oui ! La plus belle trahison à laquelle elles appellent, c’est finalement l’homophobie ! « Un écrivain n’est pas là pour donner une image positive de la communauté [homosexuelle]. » (Érik Rémès cité dans l’article « Érik Rémès, écrivain » de Julien Grunberg, sur le site www.e-llico.com consulté en juin 2005)

 
 

e) « Je suis fier d’être un psychopathe » :

Film "Gazoline" de Monica Stambrini

Film « Gazoline » de Monica Stambrini


 

Pour pousser la logique de la « beauté dans l’auto-destruction » jusqu’au bout, certaines personnes homosexuelles vont jusqu’à cultiver, en apparence et parfois en actes, leur image de bad boys et de bad girls, d’individus infréquentables et dangereux. « Nous sommes les femmes contre lesquelles vos parents vous ont mises en garde. » (une phrase inscrite sur certaines pancartes de meetings féministes à propos des femmes lesbiennes radicales, citée dans l’essai Mother Camp (1972) d’Esther Newton, 1972) ; « Personne n’est moins agressif que moi. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 114) ; « J’ai mauvais genre. Bien qu’étant une femme, j’ai les cheveux courts comme les messieurs qui ne veulent pas se faire remarquer. En outre, je m’obstine à m’habiller de telle manière qu’on me prend souvent pour un homme. » (idem, p. 7) ; « Je suis fermement décidée à emmerder le monde jusqu’à mon dernier souffle. » (idem, p. 12) ; « Les gentils citoyens en ont marre de voir des pervers comme nous bénéficier des mêmes droits qu’eux. » (le réalisateur homo Peter Gehardt en parlant au nom des personnes homosexuelles, dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) Par exemple, les rôles de méchants crapuleux dans les films semblent tenir à cœur à certains acteurs homosexuels : Ian McKellen, Anthony Perkins, etc. Pensons aux interprétations de gangster donnée à Paul Bernard (cf. le film « Voyage sans espoir » (1943) de Christian Jaque, le film « Le Bossu » (1944) de Jean Delannoy, le film « Roger La Honte » (1946) d’André Cayatte, le film « Un Ami viendra ce soir » (1946) de Raymond Bernard, le film « Panique » (1947) de Julien Duvivier, le film « Les Maudits » (1947) de René Clément).

 

Parfois, dans les faits, certains sujets homosexuels ont commis concrètement des actes criminels. « L’homosexualité ne conduit pas seulement à la pédophilie. Mais aussi au meurtre, à la dépression et à la toxicomanie. Les statistiques le prouvent. » (Petras Gražulis, président du groupe politique lituanien d’extrême droite Ordre et Justice, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) Par exemple Arthur Rimbaud a tenté d’assassiner le photographe Carjat. Valery Solanas, une femme lesbienne, tira un coup de feu sur Andy Warhol en 1968 dans sa Factory. Fritz Haarman (1879-1925), le « criminel d’Hanovre », a réellement existé. On peut penser aussi à Jeffrey Dahmer, à Violette Morriss (qui a tué un homme en 1936 avec une arme à feu, sur sa péniche), à Aileen Wuornos (une des plus célèbres femmes lesbiennes serial killer), à Andrew Cunanan, à Luka Magnotta, à Floyd Corkins (le tireur fou de 28 ans, bénévole homosexuel au centre LGBT de Washington, qui a ouvert le feu le 16 août 2012 au siège d’une organisation chrétienne conservatrice de Washington), etc.

 

 

« Dans les sphères dites ‘intellectuelles’, on découvre grâce à des statistiques récentes dressées par la P.J. près de trente pour cent d’homosexuels, dont quelque vingt pour cent ont eu, une fois au moins dans leur vie, maille à partir avec la police des mœurs. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 20)

 

Je vous renvoie également au documentaire « Licensed To Kill » (1997) d’Arthur Dong, au documentaire « Moi, Luka Magnotta » (2012) de Karl Zéro et Daisy d’Errata (racontant le parcours de Luka Magnotta, le célèbre escort boy, strip-teaseur, acteur porno occasionnel et mannequin raté, qui fut le premier web killer de notre époque), au documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz (avec les femmes lesbiennes pratiquant des avortements clandestins avec fierté : « C’était une période fabuleuse. »), etc. Je m’étends davantage sur la question des psychopathes homosexuels dans les codes « Folie », « Milieu psychiatrique », « Violeur homosexuel », « Voleurs », « Homosexuel homophobe », « Homosexuels psychorigides », et « Couple criminel » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

f) « Je suis un esclave tatoué » :

Film "Hustler White" de Bruce LaBruce

Film « Hustler White » de Bruce LaBruce


 

Dans la réalité, homosexualité et tatouage se tiennent souvent par la main (même si cette tendance s’inclut dans un processus global : rien qu’en France, en 2014, certaines statistiques avancent que 1 Français sur 10 porterait un tatouage). Je vous renvoie au duo (lesbien ?) russe T.a.t.u., au documentaire « Cœurs percés » (2004) d’Andrea Schuler et Oliver Ruts, au documentaire « Mr Angel » (2013) de Dan Hun, au documentaire « Unfinished : Exploring The Transgender Self » (2013) de Siufung (avec le tatouage de deux têtes de mort à la place des seins que s’est choisi une femme transsexuelle F to M), au docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec André, l’homme homo couvert de tatouages), aux photographies de Daïjna Roos, au corps peint de Bill T. Jones, au one-man-show L’Homme tatoué (2007) de Pascal Tourain (qui se déshabille peu à peu sur scène pour montrer son corps tatoué – strip-tease qu’il présente comme un coming out), à l’importance des tatouages dans les mangas japonais (Cobra par exemple), au docu-fiction « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari (avec la longue séance chez le tatoueur), au documentaire « Les Garçons de la piscine » (2009) de Louis Dupont (avec Fabrice portant d’énormes tatouages), au documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, etc. On peut penser également à la passion du tatouage de certaines personnes homosexuelles : Severo Sarduy, Francis Bacon, Félix Sierra, Bruce LaBruce, Juan Soto, Buck Angel (femme transsexuelle F to M qui a fait plusieurs tentatives de suicide et qui a goûté à la drogue), etc. En 1983, Michel Journiac, homosexuel, s’est tatoué un triangle au fer rouge (« Marquage du corps au présent, rituel de corps exclu. »). On ne s’étonnera pas non plus de voir les tatoueurs élire domicile au cœur des quartiers « homosexuels » des grandes capitales gays mondiales (le Marais à Paris, Castro à San Francisco, etc.).

 

"Marquage du corps au présent" de Michel Journiac

« Marquage du corps au présent » de Michel Journiac


 

Dans le documentaire « Ken Burns » (2011) d’Adrienne Alcover, le tatouage est présenté comme un symbole de sur-virilité. Il donne l’illusion de toute-puissance (« Je suis un vrai mec, un tatoué : attention ! »), voire de changement de sexe : « J’ai commencé un tatouage pour me masculiniser. » (la femme trans F to M interviewée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Déborah, Audrey et « M », trois personnes intersexes, s’offrent une séance tatouage pour fêter leur amitié et leur intersexuation.

 

Documentaire "Unfinished : Exploring The Transgender Self" de Siufung

Documentaire « Unfinished : Exploring The Transgender Self » de Siufung


 

Mais en dehors des considérations purement esthétiques, sentimentales, artistiques, militantes, en dehors des bonnes intentions en clair, ce sont les actes qui doivent retenir notre attention à propos du lien entre tatouage et homosexualité, car ils sont objectivement violents et irrespectueux des personnes. Beaucoup de personnes homosexuelles se mettent à revendiquer identitairement ce qui jadis fut une violence et une honte qu’elles ont subies (cf. je vous renvoie au code « Poids des mots et des regards » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Dans le couloir ils m’ont demandé qui j’étais, si c’était bien moi ‘Bellegueule’, celui dont tout le monde parlait. Ils m’ont osé cette question que je me suis répétée ensuite, inlassablement, des mois, des années, ‘C’est toi le pédé ?’ En la prononçant ils l’avaient inscrite en moi pour toujours tel un stigmate, ces marques que les Grecs gravaient au fer rouge ou au couteau sur le corps des individus déviants, dangereux pour la communauté. L’impossibilité de m’en défaire. » (Eddy Bellegueule dans son roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 15-16) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. […] Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 

Dans l’Histoire humaine, le tatouage a été systématiquement un signe d’esclavage, de soumission et de dépersonnalisation. Il est de retour comme pratique (librement ?) choisie dans le « milieu homosexuel », et ce n’est pas un hasard. Il dit un désir de se soumettre à soi-même et aux autres, de vivre dans la superficialité et le « devenir-objet », de détruire son propre corps pour avoir une maigre prise sur la violence sociale dont on pâtit (cette prise pourrait s’appeler « imitation » ou « esclavage »). Selon Hegel, le tatouage est l’indice que l’homme ne veut pas rester tel qu’il est.

 

« À peine fut-il sur moi, que je versais des larmes de désolation. L’instant de sodomie, rigoureusement chargé, vit tout mon être disparaître dans les profondeurs du mal pour ne devenir qu’une empreinte. Les filles pensais-je alors, subissent-elles le même sort ? J’avais terriblement mal et je hurlais que jamais plus je ne résisterais, mais qu’il fallait que cela cesse. Torture terrifiante qui m’incendiait de partout, son sexe sans pitié qui me ravageait par des tamponnements secs et violents. […] Tatoué comme une bête à l’abattoir, je revêtais désormais une beauté étrange et maladive dans le grand silence de mon secret […]. Cet effet de souffre sur la peau »  (Berthrand Nguyen Matoko racontant sa nuit brûlante d’« amour » homo, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), pp. 68-71)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, dans la sacralisation des corps-objets, cherchent en réalité à détruire les corps réels, habités par une âme. Elles parlent d’ailleurs parfois de la nécessité de « s’affranchir de l’esclavage corporel » (cf. l’article « Procréation médicalement assistée » de Marcela Iacub, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 380), de « posséder son corps ». Mais cette possession/dépossession ne s’exerce pas sans violence. Elles en arrivent parfois à agresser leur propre corps, à l’image ou réellement (scarifications, tatouages, piercing, régimes alimentaires drastiques, chirurgie esthétique, procréation médicalement assistée, bodybuilding, ablation du sexe, etc.) et célèbrent l’extérieur en le réifiant. Pour détruire le mythe médiatique du corps parfait auquel elles croient encore (parce qu’en désir, elles prétendent l’incarner !), un certain nombre de personnes homosexuelles pensent prendre leur revanche en se vengeant sur leur propre physique, soit par la science, soit par l’art (cf. le Body Art dans les années 1970). Elles dessinent les corps de leur désir sexuel : des chairs fragmentées, sanguinolentes, brûlées, tatouées, écartelées, diffusées comme un média (cf. l’article « Arts plastiques » d’Élisabeth Lebovici, op. cit., p. 46), éclatées, mythiques. Plus qu’un traitement du corps, il s’agit d’un travail sur la corporalité, sur l’idée de corps, car elles vident le corps concret de son aspect symbolique, de son âme. Beaucoup d’entre elles cherchent à éprouver leur corps parce qu’elles ne le/se sentent plus : c’est pourquoi elles empruntent souvent les chemins de la pornographie, de l’hyperréalisme camp, des drogues, et du sadomasochisme. La place des synesthésies dans leurs écrits est d’autant plus intéressante qu’elle montre implicitement que le contact qu’elles établissent avec le monde extérieur est souvent dévitalisé, se fait à travers la vitre du miroir jamesbondien.

 

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