« Où sont les hommes qui nous faisaient rêver de révolutions, d’éternels étés ? On nous parle du Monde à l’envers, de ce Monde refaire, mais ce Monde meilleur reste à venir. » (Pascal Obispo, « Le meilleur reste à venir » ).
Nous avons la mémoire courte. Quand je compare par exemple les audiences d’émissions de télé des années 1970 et celles d’aujourd’hui, ça n’a absolument rien à voir. On ne vit plus du tout dans le même Monde, avec la même répartition des richesses et les mêmes centralisations du pouvoir, de l’information, des goûts et de l’intérêt des gens. Actuellement, une émission de TF1 qui « marche » et arrive en tête des audiences fait 3 millions de téléspectateurs à tout casser. Une misère ! Alors que, par exemple, l’émission Les Dossiers de l’écran « spéciale Homosexualité » diffusée en 1975 sur Antenne 2 avait réuni 19 millions de téléspectateurs ! C’est inimaginable aujourd’hui. C’est un banal exemple pour vous montrer combien le Monde a changé, et qu’on n’est pas du tout sur les mêmes échelles, les mêmes proportions, les mêmes fruits et la même qualité. Il y a un appauvrissement en même temps qu’un éclatement des richesses et des gens, qui crèvent les yeux !
Comme – il y a encore 50 ans – il y avait moins de concurrence, et largement moins de choix et de chaînes, les téléspectateurs étaient plus nombreux à regarder les mêmes programmes, à écouter les mêmes musiques, à aller voir les mêmes films au ciné. Il y avait un gros socle commun de référence. Ce socle, liquéfié (et liquidé !) par internet, n’existe plus.
C’est vrai. Sauf exception, un film ou une chanson ne marchera plus (et même parmi les chanteurs ou acteurs ou films actuels, il y a beaucoup plus de technique et de fric que de fond et de qualité). Il n’y a plus de grandes œuvres ni de grands acteurs populaires. Il n’y a plus de grands penseurs. Il n’y a plus de grands et honnêtes hommes politiques. C’est fini. Il n’y aura plus de grosses fortunes visibles, de grandes stars visibles (comme au XXe siècle : la période prolifique et faste du phénomène). Même les politiciens importants (comme Macron) ne croient plus à leur statut/rôle/pouvoir et jouent les cyniques.
En 2023, on observe désormais un morcellement de la population dû à la pluralité et à un accroissement significatif de population ainsi qu’à un individualisme croissant. C’est logique : maintenant, avec son téléphone, n’importe qui peut devenir réalisateur, chanteur, journaliste, policier, magistrat…
Le Monde est en train de s’atomiser. C’est-à-dire que nous assistons à un individualisme et une concentration de masse qui vont prochainement culminer avec la puce électronique subcutanée (et la Marque de la Bête).
J’ai remarqué que cette atomisation panique, révolte et déprime trois catégories de population en particulier : 1) les stars récentes/émergentes, qui voient leur popularité d’il y a 5-10 ans dégringoler (je pense à Christine and the Queens qui ne vend plus d’albums et attribue – avec colère et dégoût – ce déclassement à la transphobie ; au cinéaste québécois trentenaire Xavier Dolan qui déclare vouloir arrêter le cinéma après le bide de ses deux films et décrète la « mort de l’art » ; aux influenceurs qui font faillite à cause de Booba…), 2) les célébrités plus confirmées qui se sentent dépasser par la vitesse et la vacuité des nouvelles célébrités qui les remplacent et enterrent (Pedro Almodóvar annonce depuis 10 ans la fin des salles de ciné, par exemple) ; 3) certains jeunes, misant tout – par naïveté, immaturité et quête fiévreuse de reconnaissance – sur le nombre de vues et de likes par rapport à leur « contenu » public, et pouvant aller jusqu’au suicide s’ils se sentent ignorés sur les réseaux sociaux.
Il va au contraire falloir prendre conscience de cette atomisation fulgurante planétaire et ne pas la prendre mal ni contre nous. Ne pas en prendre ombrage, mais au contraire la voir comme une Bonne Nouvelle. Nous allons rentrer ensemble dans un tunnel (le tunnel de la Passion de Jésus) dans lequel chacun de nous va se sentir disparaître, anonyme, invisible, isolé, incompris, orphelin, victime, noyé dans une foule, comme une goutte d’eau insignifiante dans un océan. Et ce n’est pas grave. Chacun de nous, connu ou pas, va y passer. Et ce n’est pas vrai : chacun de nous est important et ne disparaîtra pas.
Cette phase d’apparente dilution de notre être dans la masse va nous aider au contraire à délaisser toute possession, toute carrière, tout bien, toute influence, toute gloriole, tout acquis, toute mondanité et relations d’« amitié ». Nous sommes confrontés à une occasion – unique mais crucifiante – de profond détachement, de dépouillement, pour ne rester qu’avec l’essentiel. Tous les gens qui possédaient quelque chose (un empire, une carrière, un statut social, une bonne situation, un confort, un livre ou une chaîne…) vont le perdre. Mais c’est une école de dépossession et de pauvreté que ce temps que nous traversons. Nous ne devons pas nous en attrister. Seuls ceux qui s’agrippent à leurs trophées humains vont mal le vivre. Mais pour les autres, ce sera un entraînement et une purification.
C’est un douloureux constat et deuil collectif que nous devons faire. Sans défaitisme ni théâtre. Mais voilà : j’ai l’impression que notre époque ne produit plus de grands Hommes, et n’en produira quasiment plus. Que le figuier humain se meurt. Et ce, dans tous les domaines (artistique, intellectuel, politique, économique, religieux). Il n’y aura plus désormais, avant l’arrivée de Jésus, de « grands hommes » et de « grands saints ». C’est fini. Et ce n’est pas triste, puisqu’un grand vide laisse place au plein cardinal : Jésus. La place est vacante. Comme Il est tout Amour, Dieu ne s’imposera pas. Il ne prendra la place de personne. Il viendra se poser comme la pièce manquante du puzzle qui prendra tout à coup sens. La pierre qui était rejetée est devenue la pierre d’angle (psaume 117).