Actrice-traîtresse
NOTICE EXPLICATIVE :
Traîtresse, je t’adore !
Le désir homosexuel, c’est l’histoire d’une idolâtrie. On remarque dans les œuvres homosexuelles (et parfois dans la réalité) que la féminité fatale agit comme un fantasme identificatoire puissant : le personnage homosexuel se prend pour la femme-objet qu’il considère comme sa mère – ou sa grand-mère –, et auquel il rêve de ravir l’identité immortelle. L’idole cinématographique, parce qu’elle n’arrive pas à devenir complètement réalité (elle vieillit, elle jaunit, elle n’est pas éternelle, elle a ses humeurs et son humanité), ou bien tout simplement parce qu’elle ne tient pas sa promesse de fusion à la personne qui rêve de s’identifier à elle, finit par être considérée comme une traîtresse. Il arrive que cet attachement souffrant soit figuré par l’image d’un personnage gay tenant dans sa main fermée une photo chiffonnée, signe du déni de son acte iconoclaste vengeur.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Douceur-poignard », « Destruction des femmes », « Regard féminin », « Reine », « Femme-Araignée », « Haine de la beauté », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Sirène », « Bourgeoise », « Prostitution », « Matricide », « Femme vierge se faisant violer un soir d’été ou de carnaval à l’orée d’un bois », « Grand-Mère », « Femme étrangère », « Duo totalitaire lesbienne/gay », « Bergère », « Mort = Épouse », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Pygmalion », « Tante-objet ou Mère-objet », « Putain béatifiée », « Mère gay friendly », « FAP la ‘fille à pédés’ », « Tomber amoureux des personnages de fiction ou du leader de la classe », « Télévore et Cinévore », « Mariée », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Défense du tyran », « Musique comme instrument de torture », « Carmen », à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », à la partie « Traître » du code « Homosexualité noire et glorieuse », à la partie « Scène de répudiation » du code « Femme et homme en statues de cire », et à la partie « Espionne » du code « Espion homo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) La femme-objet médiatique représente la mort et la trahison :
En général, dans les fictions traitant d’homosexualité, la femme-objet n’est pas une enfant de chœur. Elle est messagère de mort et incarne la figure de la trahison. C’est le cas dans le roman La Traición De Rita Hayworth (La Trahison de Rita Hayworth, 1968) de Manuel Puig, le tableau Le Spectre du sex-appeal (1932) de Salvador Dalí, la pièce La Reine morte (1942) d’Henri de Montherlant, le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau (avec Maria Casarès interprétant la Mort), la chanson « Miss Paramount » du groupe Indochine, le film « Doña Macabra » (1970) d’Hugo Argüelles, le roman Las Cortes De La Muerte (1911) d’Antonio de Hoyos, le film « The Wild Party » (1975) de James Ivory, le vidéo-clip de la chanson « I Wanna Go » de Britney Spears (avec la bimbo qui se venge des journalistes qui abusent d’elle), la chanson « Paparazzi » de Lady Gaga (où le personnage de la femme trahie devient elle-même meurtrière), la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, le vidéo-clip « Timebomb » de Kylie Minogue (qui vole le portable des passants, fonce sur des hommes, etc.), la comédie musicale Ball Im Berlin (Bal au Savoy, 1932) de Paul Abraham, la chanson « Beaucoup trop jolies » de Véronique Rivière, le film « Potiche » (2010) de François Ozon (avec Joëlle, la figure de la femme traîtresse), la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen (avec Graziella, la présentatrice folle-dingue dirigeant l’émission de télé-réalité Stars chez eux), le one-man-show Les Bijoux de famille (2015) de Laurent Spielvogel (avec le play-back de Marlène Dietrich en entrée et en sortie), le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso (avec le poster de la pochette de disque d’une chanteuse-vampire), etc.
L’actrice déçoit et violente ET ne déçoit pas parce qu’elle est violente sur nos écrans. « Je suis pute. » (Julie Duchâtel, la metteur en scène acariâtre dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) Par exemple, dans la pièce Confidences entre frères (2008) de Kévin Champenois, Amélie, une des héroïnes lesbiennes, qualifie la « femme idéale » de « traîtresse ». Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian Gray tombe amoureux d’une belle comédienne, mais à partir du moment où elle a fait une représentation médiocre de Roméo et Juliette, il se pense trahi, rompt avec elle et l’entraîne au suicide : « C’était tout simplement du mauvais art. Tu as tué mon amour. Tu me laisses indifférent. Tu as tout gâché. Tu es vaine et stupide. » Dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, les stars grabataires, détruites et auréolées d’un caractère tyrannique exécrable, sont mises à l’honneur. La comédienne, Marilyn Monroe, version moche et obèse, surnommée « Lourdes », danse en tutu comme l’hippopotame de « Fantasia ». Elle se présente comme une femme despotique, une bimbo faisant un discours politique anti-moches et pro-moches. Elle se plait à s’auto-détruire (« Eh oui ! Même Marilyn faisait caca. Ça casse le mythe. ») et demande au public qu’il l’aide à cela (« Fouettez-moi, battez-moi ! »).
L’actrice qui trahit est souvent collabo : « Pendant la guerre, on a souffert. Enfin… surtout à la Libération. Moi, j’ai été tondue. Moi qui ai connu les Allemands de près, je peux vous dire que je les connus de près, de très très près. Surtout Hans. Des Allemands, des aristocrates… d’une classe foooolle. Des gens qui gagnaient à être connus. » (la femme collabo dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau)
Elle a quelque chose de diabolique. Par exemple, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, considère la chanteuse Madonna comme un démon qui la possède : « Madonna, quand elle rentre, pour la faire sortir… » Il la vénère autant qu’il la jalouse : « Quand je vous dis qu’elle est mauvaise… » Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Norbert, le héros homosexuel, après avoir entonné une chanson d’Édith Piaf, la supplie de le quitter : « Édith, sors de ce corps ! »
L’actrice chérie par le héros homosexuel invite à une forme de damnation, d’oubli de soi, comme l’indique Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green : « Je cède à cette tentation un peu comique de contempler le visage banal d’une actrice en vogue. J’oscille perpétuellement entre la nostalgie de la vertu et le désir de péchés que je n’ose point commettre, et je me sens à la fois profondément malheureux. » (p. 150)
La machine médiatique féminisée broie parfois le personnage homosexuel. Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silberman est déchiqueté par une rotative dans la rédaction du journal où il travaille : « Les rouleaux de papier étaient rouges de sang. Une jambe se retrouvait coincée dans un engrenage. » (p. 51) Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo, le héros homo, a mis un poster d’une chanteuse femme fatale avec des empreintes de mains ensanglantées sur elle (les mains de son fan, en l’occurrence…). Dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet, les actrices d’un hôpital psychiatrique sylvestre finissent par tuer l’unique homme de l’histoire, celui qui est désigné comme le « Prince charmant ». Dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, Élisabeth, une femme de fer à la tête d’un empire industriel important, a conduit son fils Nicolas au suicide en lui imposant la succession de l’entreprise familiale.
Fifi (le travesti M to F) – « Elle me poignarde !
Lou (l’héroïne lesbienne) – Et tu t’attendais à moins ? C’est toi la seule assassine ? »
(Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)
L’actrice est parfois qualifiée de monstre : « Nous savons que vous êtes un monstre. » (l’Auteur s’adressant à Vicky Fantômas dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, p. 251) Elle a le pouvoir de vampiriser et de tuer psychiquement son fan à distance. « Je suis mort. Yolanda m’a suicidée. » (Sor Estiércol dans le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar) ; « Cette Barbara Streisand, elle t’a pas un peu déformé le cerveau ? » (le père d’Howard s’adressant à son fils homosexuel suite à son coming out, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Tatiana Debon est une blonde tout en rondeurs, mais couverte d’épines comme un de ces cactus rebondis qu’on voit sur les bouteilles de tequila. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 385) ; « Vestale de la Beauté monstrueuse. » (Warda dans le roman Hawa (2010) de Mohamed Leftah) ; « On dit que les actrices peuvent tuer pour un rôle. » (Sylvie s’adressant à l’actrice Isabelle, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Il y a une fille dans mon lit !! Qu’est-ce que je vais faire avec ça ?? J’espère qu’elle ne va pas me toucher, la vicieuse ! Je ne suis pas un sex-toy, Mademoiselle ! » (Fabien Tucci, homosexuel, s’adressant à une femme qu’il surnomme comme la chanteuse Rihanna, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Je la supporte pas, celle-là. Je peux pas l’encadrer. » (Benjamin, le héros homosexuel, à propos de la chanteuse Lady Gaga, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.
Par exemple, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque imite Catherine Deneuve en momie, Mylène Farmer en poupée muette (« Mylène Farmer, c’est un peu comme la Joconde. Tout le monde la voit, mais personne ne l’entend. »), Liliane Bettencourt en hideuse créature (elle est qualifiée d’« Horreur Loréale ») et Dalida en monstre (« Moi, je faisais la Belle et Dalida la Bête. »).
Le personnage homosexuel s’avoue assassiné par les mots de son actrice-amante : « J’ai adoré vous retrouver sous ses traits de vieille dame indigne, d’aristocrate aux mots qui tuent et au cœur en compote. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 58) ; « Je ne savais même pas ce que je cherchais alors, mais, la voyant, reine en haillons, marquise hautaine, vieille petite fille ridée, elle, la Dame de Bois-Rouge, puisqu’il faut dire son nom, je suis restée fascinée au centre de sa toile et je n’en suis sortie qu’éreintée, pourfendue, achevée par ses coups de pioche dans le cœur. » (idem, p. 129) ; « Une femme s’approche de moi. Elle souffle sur mon visage un chant en berbère. Elle me relève. Je me laisse faire. Elle s’arrête de chanter. Elle est douce. Elle me dit, en arabe, dans l’oreille gauche : ‘Va vers lui, va vers le Roi, c’est comme ton père. C’est ton père. ’ Et elle me pousse, violemment, dans sa direction. Je ne m’attendais pas à cette violence, à cette trahison. Je ne suis plus rien. » (Khalid, l’un des héros homosexuels du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 12) ; « Cantatrice, castratrice, ah ben une lettre ça peut tout changer hein… » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc converti en homosexuel, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.
La « pin-up du soldat », celle qui vient au front et conduit les Hommes à la mort, est souvent une icône gay : Bette Midler dans le film « For The Boys » (1991) de Mark Rydell, Marlene Dietrich dans le poème « Canción De Amor A Los Nazis En Baviera » de Néstor Perlongher, Lady Diana dans l’article « Todo El Poder A Lady Di » du même auteur, etc. Par exemple, pendant le concert Météor Tour d’Indochine à Paris-Bercy le 16 septembre 2010, sont intercalées sur les écrans géants des images de guerre avec des archives filmées de majorettes, de Reines de Beauté.
Parfois, cette actrice-traîtesse représente globalement tous les acteurs, qu’ils soient hommes ou femmes, qui peuplent les écrans des salles de ciné. Dans le film « Murder By Death » (« Un Cadavre au dessert », 1976) de Robert Moore, la femme de Sam Spade demande à son mari pourquoi il cache des magazines pleins d’hommes musclés et nus dans son bureau. Celui-ci lui répond : « Ce sont des suspects ! » Il les considère comme responsables de sa propre soumission à eux.
Cette rancœur nourrie par le personnage homosexuel envers ses idoles (hypersexualisées) de papier peut déboucher sur une vengeance ou un meurtre iconoclaste. Par exemple, dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, et encore dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, les stars du show business sont tour à tour assassinées. « Nous pendouillerons Cher ! » affirment les protagonistes homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy en parlant de la chanteuse Cher. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel danse sur des tubes des chanteuses qu’il adore et qu’il insulte en même temps : « Ah la feignasse ! » s’insurge-t-il contre Kylie Minogue ; « Qu’est-ce qu’elle fait cette connasse ? » crie-t-il contre Lady Gaga. Quand le démon de la danse s’empare de lui, il s’adresse à la chorégraphe noire « Mia Frye, sors de ce corps ! ».
Du fait d’appartenir à un monde onirique que les humains ne peuvent pas rejoindre, l’actrice est considérée comme une mère cruelle et démissionnaire : « La grande dame nous laisse tous orphelins, c’est un malheur incommensurable pour l’humanité. » (Monsieur Charlie dans la pièce L’Héritage de la Femme-araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 17) Sa puissance ne dure que le temps d’une chanson ou d’un film : « Björk avait terminé depuis longtemps. Sa voix malicieuse avait cessé de nous envoûter et le sortilège prenait fin avec le disque. » (la voix narrative du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 187) ; « Jolie, crinière au vent, ses dessous dépassant de l’ouverture du fourreau pailleté, boitant sur une seule chaussure, traînant d’une main le renard, de l’autre son sac, suivit Silvano sans rien dire. […] Son maquillage dégoulinait. Jolie de Parma, celle qui l’avait tant ému au cinéma ! réalisa-t-il tout d’un coup. Hier encore, vous étiez mon idole, mon idéal de femme. » (le narrateur homosexuel du roman La Vie est un tango (1979) de Copi, pp. 22-23) ; etc.
Le héros homosexuel rêve de se venger de l’actrice-traîtresse, et dénigre sa reine : « Même la mort n’en veut plus. » (Léo, le héros homosexuel à propos de Loana, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; « Son vrai nom à Victoria Abril, c’est Victoria Merda ! » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Surtout, ne jamais aimer Mylène. […] Aimer Carla Bruni, à moins d’être coiffeur, c’est direct le bûcher ! » (Jonathan, le héros homosexuel de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Avoir rencontré Jolie d’une façon aussi hasardeuse que désagréable le remplissait d’une confusion que Silvano dissimula en adoptant une attitude méprisante. Pour se donner du courage, il se dit : ‘Quand je raconterai à Dorita que la célèbre Jolie de Parma n’est que la putain d’un sénateur…’ » (Copi, La Vie est un tango (1979), pp. 14-15) ; « Mon illusion, c’est le monde des femmes telles qu’elles sont : plus animales que l’homme mais dont personne ne peut les accuser de passion ! » (Lou, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa mère Solitaire, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (2014) de Copi) ; « Une actrice. Oui. Une pute, c’est bien ce que je dis. » (Benjamin, l’un des héros homos de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Vous êtes une sangsue. Une hyène ! » (Philippe s’adressant à Elisabeth, la présentatrice-télé qui l’a traîné médiatiquement dans la boue, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; etc.
Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, l’héroïne lesbienne, présentatrice télé, détruit le milieu audiovisuel dans lequel elle gravite : « Les actrices sont toutes des malades mentales. » Elle se qualifie elle-même de « peau de vache ». Dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, Strella, le héros transsexuel M to F, imite parodiquement la Callas qui se shoote, alors que, pourtant, elle l’adore : « Je l’ai vue à la télé et ça m’a rendu dingue. […] Notre seul point commun, c’est d’être cinglées. » Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, le rapport entre Cyrille, le héros homosexuel, et la cantatrice Regina Morti est passionnel : « Je garde encore ce mot que vous m’avez envoyé lors de la première de la Tosca à la Scala di Milano, le voici : ‘Regina, ti amo ! Regina, ti amo ! ’. » (Regina) ; « Je ne peux pas vous épouser, ma chère Regina. » (Cyrille) ; « Je ne vous ai jamais envoyé ce billet ridicule ! » (idem) ; « Je déteste les cantatrices d’opéra, il est impossible de les faire taire. » (idem) ; etc. Cyrille finit par traiter Regina d’« espèce de vieille truie ».
L’actrice est détestée de ne pas parvenir à arracher celui qui s’identifie à elle de sa soi-disant misérable existence : « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda à propos du tableau du Louvre, Portrait d’une négresse de Marie-Guillemine Benoist, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 196)
Lors du concert d’Oshen à l’Européen de Paris, le 6 juin 2011, Océane Rose-Marie a tout à fait illustré la jalousie des personnes homosexuelles envers la star de magazine, ce reflet narcissique qui fait souffrir et qui fait scandale, précisément parce qu’il n’arrive pas à nous transformer complètement en objet comme lui : « Une fois, j’ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Je n’arrêtais pas de me demander : pourquoi cette femme me ressemble ? Pourquoi elle est dans le magazine et pas moi ?!? […] Elle me ressemblait, et ça me rendait malheureuse. Cette femme dans le magazine qui me ressemblait, je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a explosé à la figure. » Cette femme-objet sur papier glacé ne parvient pas à nous entraîner avec elle dans son univers de paillettes ; elle nous abandonne ; elle ne peut pas concrètement nous diviniser par contamination visuelle. Et ça, les personnes homosexuelles ne l’ont pas avalé.
L’actrice étant aussi par définition le piège-à-hommes, il est donc logique qu’elle apparaisse aux yeux du héros homosexuel comme LA rivale à neutraliser, la pimbêche qui vient lui voler son/ses amant(s). Par exemple, dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron, Lucilla, la copine de Mr Carter, est considérée comme une traîtresse par le jeune héros homosexuel, John, secrètement amoureux de Mr Carter, justement.
b) La star ridicule et dégradée, ou la vedette vieillissante défiant héroïquement le temps, est célébrée par le personnage homosexuel :
L’acte de destruction de la star – soit parce que c’est elle qui détruit, soit parce qu’elle est détruite par son fan homosexuel – est souvent envisagé comme un acte d’amour. Le héros homosexuel rêve son actrice à la fois morte et toute-puissante, éternellement vieille… pour continuer de la haïr pour toujours ! « Cette vieille, la Vénérable, vraiment je lui en voulais, j’y avais cru plus qu’à tout le reste, et voilà, j’étais baisé. » (Vincent Garbo, le héros homosexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 109) ; « Ayez pitié d’une pauvre femme par-dessus vieille ! J’allume la boule. Vous la voyez votre petite Delphine pendue ? Monsieur, me dit-elle, je me sens mal. Mes sels ! Je la gifle. Je l’attrape par les cheveux, lui cogne le front contre la boule de cristal, elle râle, elle s’affaisse sur sa chaise, elle a une grosse boule bleue sur le front, un filet de sang coule de son oreille. En bas on entend le bruit régulier de la caisse, je regarde par la fenêtre, le boulevard Magenta est toujours le même. La vieille continue de râler, je l’étrangle, elle meurt assise. Je me recoiffe de mon peigne de poche, j’enfile mon imperméable. » (le narrateur homosexuel assassinant Madame Audieu, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 89) ; « C’était une dame que j’appréciais beaucoup. Je n’aurais jamais pu lui faire du mal. Ça aurait été comme si je tuais ma propre mère. » (Pretorius, le vampire homosexuel parlant de Mme Yank, la comptable de 80 ans de l’Hôtel du Transylvania, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Marlène Dietrich : une idiote ! » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.
On retrouve la star vieillissante par exemple dans les spectacles d’Élie Kakou (avec l’ancienne claudette Mongola), le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie MacDonald (avec la diva à la retraite), l’album Le Monde fantastique des gays (1986) de Copi (avec la Doyenne), la pièce Quand les belles-mères s’invitent ! (2014) de Stéphane Henriaut, la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon (avec la Palma « has been »), le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek (avec la grand-mère de Tommaso, le héros homosexuel), le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (avec les quatre vieilles divas), la comédie musicale Le Cabaret des hommes perdus (2006) de Christian Siméon (avec la vieille star de music-hall handicapée), le film « The Devil Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2006) de David Frankel (avec la diabolique Miranda), le film « Höstsonaten » (« Sonate d’Automne », 1978) d’Ingmar Bergman (avec Charlotte la mère pianiste retraitée), la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier (avec la figure de Marilyn Monroe grabataire et obèse), le film « The Fan » (1981) d’Edward Bianchi, le film « Il était une fois dans l’est » (1974) d’André Brassard, le film « Women » (1939) de George Cukor, la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec Jenny), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (avec la star à la carrière finissante, parodiant les Marlène Dietrich et Zizi Jeanmaire qui n’ont pas su s’arrêter à temps), le one-(wo)man-show Lady Raymonde (2014) de Denis D’Archangelo, la chanson « Et si vieillir m’était conté » de Mylène Farmer, le film « Tan de Repente » (« Tout à coup », 2002) de Diego Lerman (avec la grand-mère chanteuse), le film « Die Bitteren Tränen der Petra von Kant » (« Les Larmes amères de Petra Von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Sunset Boulevard » (« Boulevard du Crépuscule », 1950) de Billy Wilder (avec la Norma Desmond), le spectacle musical Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le film « Le Clair de terre » (1969) de Guy Gilles, les films « Femmes Femmes » (1974), « Corps à Cœur » (1978), et « En haut des marches » (1983) de Paul Vecchiali, le film « Heat » (1972) de Paul Morrissey (avec Sylvia Miles), le film « Best in Show » (« Bêtes de Scène », 2000) de Christopher Guest, le film « Beverly Kills » (2005) de Damion Dietz, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le roman L’Autre (1971) de Julien Green (avec Mademoiselle Ott), le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (avec Junn, la mère en maison de retraite), le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan (avec Kate, la mère vieillissante démissionnaire, gangster et indépendante : « Jamais personne ne me dira ce que je dois faire ! »), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears (avec Léa, la star à la retraite), la comédie musicale Une Étoile et moi (2009) d’Isabelle Georges et Frédéric Steenbrink (avec Leslie Caron, la vieille actrice accueillie et ovationnée comme une diva), le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier (avec la vieille fumeuse), le one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba (avec les vieilles grands-mères), le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec Mary, le vieux transsexuel M to F ayant un cancer mais fumant quand même comme un pompier), la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor (avec Paulette Poussin, l’arrière-grande-tante de Jean-Paul, complètement grabataire, imité par son petit-neveu homo), le sketch de la « Belle-mère » de Didier Bénureau, etc. Par exemple, dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, l’amant diplomate de Roscoe, au moment de recevoir Margaret Thatcher en personne, bande concrètement à cause d’elle. Et Roscoe, par vengeance, dit qu’il a vraiment pissé dans le thé qui sera servi à la première ministre.
Les stars adulées par le personnage homosexuel sont en général à l’article de la mort. Par exemple, dans la chanson « Les Adieux d’un sex-symbol » de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger, l’actrice déclassée Stella Spotlight symbolise le déni du statut mortel des Hommes. Elle se définit elle-même comme la mort en personne : « Voulez-vous voir la mort en face ? Elle s’habille en technicolor. » Dans le film « The Curiosity of Chance » (« Saisir sa chance », 2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, a une tendance à « l’imitation de chanteuses mélodramatiques décédées comme Rosemary Clooney, Dionne Warwick, Ethel Merman ». Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, se présente comme une Miss France à la retraite. Dans la pièce Tante Olga (2008) de Michel Heim, le lieutenant Kalachnikov homosexuel avoue qu’il est attiré par les vieilles. Dans son one-man-show Gérard comme le prénom (2011), Laurent Gérard rentre dans la peau de sa grand-mère Mamita, anti-socialiste, raciste, acariâtre, bourgeoise. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se moque des hôtesses de l’air vieillissantes et acariâtres avec leurs plus jeunes collègues, qui utilisent le chariot de victuailles comme des déambulateurs : « Les vieilles hôtesses, elles, elles ne nous aiment pas, elles nous parlent mal. » Dans la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, Claude est la vieille femme infréquentable, anti-conformiste, inflexible, peu docile, « chieuse », rebelle, vulgaire, volage, solide comme un roc… bref, immortelle. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca rentre dans la peau d’une actrice vieillissante qui fait des publicités, Marie-Astrid : « Dans ‘Autant en emporte le vent’, en 1939, c’est moi qui faisais le vent. » Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy maniéré avec son monocle, se gausse méchamment de Marguerite en feignant de l’aduler : « Je vous adore ! »
« Je travaille à mon grand come-back. » (la mère transgenre M to F se rétamant plusieurs fois sur scène, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti David Forgit) ; « Je n’ai pas le temps d’aller faire le mannequin en Australie, d’ailleurs, je suis trop vieille. » (« L. », le personnage transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Le fait de s’habiller en jumelles leur conservait une certaine clientèle d’amateurs malgré leur soixantaine bien entamée. » (Mimi et Gigi, les deux travestis M to F de la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, p. 87) ; « La Solitaire entre par en haut de l’escalier. C’est une belle femme de quarante ans, habillée luxueusement. » (Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Catherine D. est en chantier. » (Philippe Mistral évoquant l’actrice Catherine Deneuve, dans son one-man-show Changez d’air, 2011) ; « Quand je serai vieux, j’aimerais tellement être comme vous. » (Romain, le coiffeur homosexuel s’adressant à Isabelle la concertiste, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « Ophélie, si tu nous entends, là-haut, on t’embrasse. » (Jérémy Lorca s’adressant à la chanteuse déclassée Ophélie Winter, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.
Généralement, cette star hautaine expulse son fan. C’est le cas de la méchante vieille dans le film « Tatie Danielle » (1989) d’Étienne Chatiliez (le petit-neveu gay Jean-Marie est rebaptisé de « Jeanne-Marie » par elle), de Lena horrible avec son fan Ernesto dans le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, de l’odieuse Grany dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, de Mrs Whittaker dans le film « Easy Virtue » (« Un Mariage de rêve », 2009) de Stephan Elliott, de Margo méprisant ses fans dans le film « All About Eve » (« Ève », 1950) de Joseph Mankiewicz, de Victoria dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Aïnouz, de la bourgeoise maléfique (dont on ne voit que la main) qui tient le téléphone à Steven mourant dans son lit d’hôpital dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, de toutes les stars méprisantes vis-à-vis des fans masculins dans les vidéo-clips des chansons « I Outta Love » d’Anastacia, « My Love Don’t Cost A Thing » de Jennifer Lopez, « J’envoie valser » de Zazie, « Moi… Lolita » d’Alizée, « He Wasn’t Man Enough For Me » de Toni Braxton, « I Never Loved You Anyway » des Corrs, etc.
Par exemple, dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar, Uma Rojo refuse un autographe à son fan Esteban qui, à cause de cela, mourra dans un accident de voiture. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, toutes les actrices sont à la fois idéalisées et maltraitées parce qu’elles ignorent ou maltraitent leur fan homosexuel. En effet, Dany, le héros homo, cherche à atteindre son inaccessible idole, la chanteuse-actrice Patty Pravo (« Patty, c’est mon idole, mon porte-bonheur. ») qui le salue de loin depuis un bateau de croisière, qui à la fin du film ne lui adressera qu’un furtif « Amore » depuis sa limousine noire, avant de disparaître à tout jamais. Frustré par cette relation puissante et distante à la fois, Dany se venge d’une des doublures de Patty nommée Vivi. Vivi est la belle-mère de Dany, la poupée par excellence (habillée en rouge comme Patty, et blonde décolorée aussi comme Patty), vivant dans une villa en parfaite femme au foyer soumise… Dany débarque chez elle avec un flingue et la considère comme une rivale qui lui a piqué son père.
c) Le personnage homosexuel garde dans sa main une photo déchirée ou chiffonnée:
Le fan homosexuel vit une vie par procuration avec « sa » star : « Quand je touchais un salaire de misère pour payer ma chambre de bonne, j’avais toujours épinglée votre photo sur mon miroir. J’ai suivi avec grande attention votre carrière. » (Vicky s’adressant à la Comédienne, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) Voyant que cette actrice ne partage pas son quotidien, il finit par détruire l’effigie de son idole pour mieux prouver qu’elle est immortelle et qu’elle survivra à sa destruction iconographique/symbolique. C’est le cas dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox, le film « Gunman In The Streets » (« Le Traqué », 1950) de Frank Tuttle et Boris Lewin, le film « Le Foto Di Gioia » (« Delirium », 1987) de Lamberto Bava, le film « Fotos » (1996) d’Elio Quiroga, le film « La Tour Montparnasse infernale » (2000) de Charles Némès, le film « Le Testament d’Orphée » (1959) de Jean Cocteau, le film « Spring Fever » (« Nuits d’ivresse printanière », 2009) de Lou Ye, le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh (avec la photo de Petra et sa collègue, déchirée par Jane la compagne de Petra), la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir (avec la destruction des photos, jetées au feu), le film « Plan B » (2010) de Marco Berger (avec la photo du sosie de Bruno jetée par Laura), le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino (avec la photo brûlée, serrée au poing), etc.
Par exemple, dans la pièce El Vals De Los Buitres (1996) d’Hugo Argüelles, Lionel détruit un poster de Bette Davis avec un couteau. Dans le film « ¡ Harka ! » (1941) de Carlos Arévalo, Herrera déchire la photo de sa fiancée Amparo. Dans le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, une fille se fait arrêter par les bourreaux parce qu’elle possède une photo sous son oreiller : elle est assassinée pour crime d’idolâtrie. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, jette les photos des footballeurs qu’il a utilisées pour faire son article sur l’équipe de foot de son lycée.
La photo cristallise et mythifie autant qu’elle fige le modèle féminin dans la mort et l’horreur : « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. Je me rappelle Maman presque tous les jours. Je me souviens d’un après-midi en particulier. Nous étions sur les rives de la Sunshine Coast, dans le golfe d’Alaska. Partout il y avait de la neige, c’était blanc à perte de vue. Papa avait acheté un Polaroïd, Maman s’était assise sur un tas de neige. Son visage ce jour-là sera son visage pour toujours. J’entends tout à coup le clic de l’appareil, le zzz de la photo qui sort – petit à petit, le portrait se révèle… Je trouve ça magique. Et pourtant, lorsque les traits de Maman deviennent tout à fait nets sur le papier glacé, je ne la reconnais plus… Elle a déjà changé. Je la regarde, je regarde la photo, je la regarde, je reviens à la photo : ma mère s’enfuit ! Je pleure énormément. La photo tombe sur la neige. Quand mon père la ramasse, les couleurs ont suinté, le visage de ma mère n’est plus qu’une traînée rose. » (Chris, l’un des héros homos du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44) ; « Dans un dernier flash, elle [Truddy] vit le visage de sa mère, morte à sa naissance et qu’elle n’avait connue que par des photos. » (Copi, « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 40) ; « J’ai été la victime du rouleau compresseur médiatique. » (Cindy, l’héroïne hétérosexuelle qui joue la lesbienne pour ses besoins de célébrité, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; etc.
Le personnage homosexuel est sous la dépendance d’un cliché photographique qu’il ne veut pas lâcher. On retrouve souvent dans les fictions homo-érotiques le motif de la main serrant un papier chiffonné : cf. le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec le mouchoir froissé dans la main, aux toilettes), le poème « Lugar » (1980) de Néstor Perlongher, le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye, etc.
Par exemple, dans le film « Rebel Without A Cause » (« La Fureur de vivre », 1955) de Nicholas Ray, Platon cache une photo du bel acteur Alan Ladd dans son vestiaire. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, Odetta, qui prenait sans arrêt les autres personnages en photo, finit mystérieusement pétrifiée sur le lit familial, à l’image de ses clichés. Elle garde une main crispée qui renferme le symbole de son idolâtrie… On ne saura jamais ce que c’est. L’arroseur arrosé apparaît également avec le professeur Figueroa dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, tué par le film qu’il était en train de voir.
De nombreux écrits traitant d’homosexualité nous présentent des personnages gardant dans leur main une icône dont ils ont du mal à se détacher, et qu’ils détruisent pour mieux effacer leur idolâtrie : « Chloé avait du sang entre les dents quand on l’a retrouvée inanimée dans la forêt de Sénart, un papier avec mon nom dans son poing serré. » (Cécile parlant de sa compagne, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 136) ; « Ma main crispée sur une carte postale, la plus banale la plus vulgaire La Place du Tertre tandis que je retiens une espèce de plainte, un grognement dont je m’affole de ne pas reconnaître la nature, je serre les dents, mon corps légèrement incliné au-dessus de la carte vers le guichet. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 173) ; « Il sentit sous sa paume le papier lisse d’un exemplaire de l’Imitation que sa mère lui avait donné pour son vingt-deuxième anniversaire, et tout à coup il fut repris par un monde qui lui parut aussi étroit qu’une geôle. » (le héros homosexuel du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 16) ; « Alors, par un mouvement de révolte qui lui rendit toute sa vigueur, il se leva, arracha cette image pieuse fixée avec une punaise et d’un geste rageur la déchira en quatre morceaux, puis, ouvrant la fenêtre, il lança dans le vide ces petits fragments de papier bariolés de couleurs naïves. » (Emmanuel Fruges, idem, p. 185) ; « Alors elle serre ce papier tout froissé sur son cœur, son cœur peut-être aussi froissé que le papier, autant… ou davantage. » (Molina, le personnage homosexuel du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 218)
Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony vit toujours dans la nostalgie de son « amour » impossible avec Scrotes : « L’amour est comme un phare. Adieu, Scrotes… » dit-il en froissant un papier.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) La femme-objet médiatique représente la mort et la trahison :
En règle générale, les égéries LGBT ne sont pas des enfants de chœur. Par exemple, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » (diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte), il est question de danser de manière « férocement glamour ». Les icônes gays incarnent la quintessence de la trahison et de la violence sophistiquées. Les personnes homos aiment soutenir des femmes machistes, mégalos, ridicules dans leur prétention à être absolument stars, mais sincères dans leur mégalomanie, des êtres qui transcendent la différence des sexes et qui font la nique à tout le monde : on peut penser à Madonna, Lady Gaga, Afida Turner (cf. interview avec Jeremstar), Cindy Sander, Mylène Farmer, Nabilla Benattia, Lady Gaga, Jeanne Moreau, Judy Garland, etc. Ces actrices jouent le rôle de l’homme-objet conquérant et indépendant. Par exemple, sur la chaîne NRJ 12, le 5 février 2011, Afida Turner dit qu’elle « est un mec dans un corps d’homme. » Pour la chaîne TF1, Thomas Vergara, le petit copain de la bimbo Nabilla Benattia qui l’a poignardé, avoue qu’elle n’est pas vraiment un homme : « C’est un garçon, en fait, Nabilla. »
Et en même temps, les personnes homosexuelles se retournent contre ces femmes cinématographiques qui les maltraitent, les méprisent (dans leur virilité ou leur féminité) et ne les aiment pas d’un amour réciproque à celles qu’elles imaginent leur donner. « Elle [Katia Leonsky] aimait appeler ses jeunes admirateurs ses ‘nains’. Pour combler son narcissisme, il fallait la présence d’au moins sept admirateurs. Ernestito lui offrit une Vénus de Milo miniature en fromage. En la mangeant, elle ressemblait à un rat. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 297) Par exemple, le retournement inattendu du public gay contre son égérie Madonna (qui n’a fait que 45 minutes de concert à l’Olympia à Paris en 2012) laisse songeur.
L’actrice est détestée par la communauté homosexuelle de ne pas parvenir à arracher celui qui s’identifie à elle de sa soi-disant misérable existence : « Quand j’étais petit, je jouais à la diva pop dans ma cuisine. Donc je peux comprendre qu’on admire une chanteuse au point qu’on a envie non seulement d’être son meilleur ami et de vivre sa vie, mais aussi d’être à sa place. » (Mykki Blanco, homosexuel, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Chacun d’entre eux avait quelque chose à reprocher à Concha. Ils voulaient tous être son unique amant ou son amante exclusive. L’esclave de cette déesse toute-puissante. Chacun exigeait Concha pour soi seul. Raimundo l’accusait d’indifférence, parce que Concha acceptait ses faveurs à condition qu’un autre homme, souvent racolé par Carlo le coiffeur, le possède d’abord. Raimundo se sentait humilié par cette femme qu’il vénérait. Il estimait que sa virilité partait en lambeaux. Il ne pouvait plus s’expliquer de façon cohérente qu’il eût accepté à regret les conditions mortifiantes de Concha. Il ne pouvait plus revenir dessus. Mais si, il le pouvait : en assassinant Concha. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 31) ; etc.
Dans cette émission de Touche pas à mon poste! (2022 sur D8), le présentateur Matthieu Delormeau étrille la chanteuse Beyoncé – grande icône gay et porte-drapeau de la communauté LGBT mondiale – en la traîtant de traîtresse parce qu’elle a accepté de faire un concert à Dubaï, fief de « la plus grande homophobie ».
Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, Lea Delaria, femme lesbienne, dit qu’elle est fan de l’actrice Sigourney Weaver jouant Ellen Ripley dans le film « Alien », parce qu’elle s’y identifie. Mais lorsque dans le scénario de la série de film, l’héroïne finit par coucher avec des mecs, la déception arrive : « J’étais dégoûtée qu’elle couche avec des hommes. J’étais dégoûtée qu’elle couche tout court ! »
Dans la réalité, les bimbos les plus célébrées par la communauté homosexuelle ont pu être aussi les plus taxées d’« homophobes » : rappelons-nous d’Anita Bryant (ancienne Miss Oklahoma dans les années 1970), de Brigitte Bardot (et de Frigide Barjot aussi !), de la soprano Élisabeth Schwarzkopf, de Carrie Prejean (Miss California qui a perdu sa couronne de Miss USA en 2009 pour avoir soutenu que le mariage n’était souhaitable qu’entre un homme et une femme), etc. On peut penser également à Judy Garland, icône gay par excellence, et qui à la fin de sa vie insultait ses fans (« J’en ai rien à foutre du public ! ») ; ou bien à Mylène Farmer qui se montre depuis toujours d’une grande froideur à l’égard de la communauté homo.
C’est la raison pour laquelle il n’est pas étonnant d’entendre dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant à la fois l’exaltation («Anita Bryant nous a unis ! ») et la diabolisation («Anita, sorcière ! ») de l’actrice. Jean-Luc Lagarce, dans son journal intime (tenu de 1977 à 1995), ne fait pas secret du rêve d’immortalité déçu qu’il partage avec son idole Marlene Dietrich : « Je pensais qu’elle et moi, nous étions immortels. » Dans ses mémoires Palimpsestes (1995), Gore Vidal explique les dégâts de sa confusion entre réalité et fiction : « Malheureusement, je pris le cinéma au sérieux, et s’il ne me fit aucun mal, il mit néanmoins mon sang-froid à rude épreuve. » (p. 418) Quant à Alberto Mira, il reproche à Madonna son irréalité et sa bonté majoritairement de façade : « Madonna est bonne, Madonna est, comme Evita, une sainte, et comme Evita, une révolutionnaire. Comme Evita, elle donne beaucoup d’argent aux associations caritatives, et comme Evita, elle est inimitable. Bref, Madonna est comme Evita, un point c’est tout. C’est justement ça le problème… » (cf. la dernière phrase de l’article « Madonna », dans l’essai Para Entendernos (1999) d’Alberto Mira, p. 483)
b) La ridicule star dégradée ou la star vieillissante défiant héroïquement le temps est célébrée par beaucoup de personnes homosexuelles :
Il se tisse souvent un lien étrange, à la fois fidèle, passionnel et haineux, entre le fan homosexuel et la femme-objet, lien où la star féminine finit par l’emporter : « Mes fans gays ne m’ont jamais laissé tomber. Même dans les moments difficiles. Les homos sont étranges. Ou ils t’adorent, ou ils ne savent même plus que tu existes… » (la chanteuse Cher interviewée dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Marlene Dietrich savait qu’elle avait un following gay. Elle jouait avec. » (Michel Gaubert, homosexuel, idem)
C’est le vieux chêne indétrônable que la communauté homosexuelle célèbre en l’actrice. Beaucoup de personnes homosexuelles aiment les stars vieillissantes, les comédiennes déclassées ou au contraire défiant le temps et les modes : Pascal Sevran, François Ozon, Frédéric Mitterrand, Panos H. Koutras, Marcel Proust, Denis D’Archangelo, etc.
« Les deux copines [Jacques et Luisito] prirent le chemin du retour, en récitant alternativement les noms d’actrices françaises et argentines. Ginette Leclerc, Mona Maris, Martine Carol, Olga Zubarry, Arletty, Tita Merello, Leslie Caron, Elsa Daniel, Elvire Popesco…
– Ah non, celle-là n’est pas française, protesta Luisito avec force.
– Oui, elle est polaque ou roumaine, dit Jacques.
– Ou juive, comme toi. »
(Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 227-228)
Je vous renvoie au documentaire « Poussières d’Amour » (1996) de Werner Schroeter, au livre d’essais Miss Media (1997) de Ricardo Llamas, etc. Certaines personnes homosexuelles admirent la femme à la soixantaine séduisante et possédant encore une classe époustouflante pour son âge : par exemple, Laura (Jeanne Moreau) dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, Victoria (Julie Andrews) dans le film « Victor, Victoria » (1982) de Blake Edwards, Camille (Catherine Deneuve) dans le film « Après lui » (2007) de Gaël Morel, Catarina (Géraldine Chaplin) dans le film « Hable Con ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar, Blanche (Vivien Leigh) dans le film « A Streetcar Named Desire » (« Un Tramway nommé Désir », 1950) d’Elia Kazan, etc. « Il mettait très bien en scène les dames âgées. » (Jean Cocteau par rapport à son amant Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain)
Un certain nombre de personnes homosexuelles célèbrent l’actrice vieillissante tant qu’elles peuvent s’identifier à elle : « C’est notre côté vieilles taties. » (une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire « Et ta sœur » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « C’était une très belle femme vieillissante aux cheveux très longs : une sorte de vieille Mélisande étendue sur un lit voilé de dentelles. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 192) ; etc.
Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa vénère la vieille Sabah : « Sabah faisait son come-back. Cette chanteuse libanaise mythique de plus de 80 ans qui était devenue, à force de liftings, une statue, une momie, une icône, une petite fille étrange à la chevelure flamboyante et très blonde. Une femme à la voix un peu rauque qui défie le monde et le monde arabe. » (p. 66) Mais la déception ne tarde pas à arriver et, avec elle, la dénonciation de la mort-réalité : « Sabah y était plus blonde et plus figée que jamais. Sa voix n’avait miraculeusement pas changé mais son visage blanc était devenu un masque, celui de la mort peut-être. […] Mais ce retour-événement était, au fond, lui-même triste. Sabah n’était plus Sabah. L’âge d’or cinématographique et musical que je connaissais très bien et auquel elle avait contribué était révolu depuis au moins trois décennies déjà. » (idem, p. 67)
De son côté, Thierry Le Luron aimait particulièrement imiter les vieilles divas : Line Renaud, Alice Sapritch, Chantal Goya, etc. … pour mieux les croquer. « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours aimé les vieilles dames » avoue Frédéric Mitterrand dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005). Quant à Jean-Philippe, travesti M to F, concernant son personnage de Charlène Duval, il dit d’elle qu’« elle est une synthèse de toutes les stars vieillissantes » (cf. l’article « Charlène Duval » de David Lelait, sur ce site consulté en juillet 2005).
c) Certaines personnes homosexuelles gardent dans leur main une photo déchirée ou chiffonnée:
La relation entre les personnes homosexuelles et l’actrice est d’ordre idolâtre, c’est-à-dire qu’elle repose sur une passion jalouse, un fétichisme, une destruction d’image désirée comme une résurrection et un acte magique. Nous retrouvons cette idée de l’estampe détruite dans l’autobiographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias : « J’imaginais Lola couchée dans le petit lit, regardant le plafond et les murs où étaient accrochées les photos et les affiches de sa fille Clara, chanteuse folklorique argentine. Elle devait regretter la beauté de Clara, la beauté radieuse de ces photos. Elle devait serrer les poings pour retenir ses larmes. » (p. 71) On comprend que cette photo chiffonnée est un cliché sur lequel certaines personnes ont pu crisper leur désir, ont pu jouir, pas génitalement mais fantasmatiquement parlant (ou par procuration avec un homme « hétéro » qui les attirait…) : « Ernestino [homosexuel] se promit de ne jamais raconter ce qu’il avait vu. Nacho [l’homme « hétérosexuel » espionné] , entre-temps, avait joui sur une photo de Gina Lollobrigida, qu’il avait serrée fortement entre ses mains, faisant une boule de papier engluée dans son sperme. » (idem, p. 199)
Par ailleurs, de nombreux artistes homosexuels pratiquent un art fondé sur l’iconoclastie des stars vieillissantes : cf. la photo « Apparition du fantôme du sex-appeal » (1936) de Claude Cahun. Ils détruisent par la parodie les genres musicaux, théâtraux, littéraires qu’ils aiment le plus et qui sont tous très féminins (exemples : Francis Bacon, François Ozon, Christian Siméon, Marcel Proust, Andy Warhol, Yvette Leglaire, Jérémy Patinier, etc.). Je me souviendrai longtemps du passage de la chanteuse Cindy Sander (petite starlette de la télé-crochet qui s’était fait connaître par sa chanson cheap « Papillon de lumière ») à la soirée des Follivores au Bataclan le soir de la Gay Pride 2008 : l’hystérie des gens qui m’entouraient confinait à la sincérité-foutage-de-gueule…
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