« Je suis différent »
NOTICE EXPLICATIVE
Frénésie homosexuelle (et finalement hétérosexuelle et homophobe !) pour l’originalité
À trop vouloir ne pas faire comme les autres, on finit par faire comme eux sans s’en rendre compte… car on vit trop par rapport à eux que détachés d’eux et des images qu’on s’en fait.
L’obsession de l’originalité, très marquée chez les personnes homosexuelles, est la marque criante d’un doute béant de son unicité et de sa capacité à aimer/être aimé, le revers d’un conformisme social paradoxal (car il se fait passer pour « révolutionnaire » et « indépendant »), l’indicateur d’un vide identitaire trop vite comblé par une étiquette sexuelle caricaturale (= l’homosexuel) ou un coming out précipité. Quand on écoute les témoignages de vie des personnes homosexuelles relatant les premiers temps de découverte de leur désir homosexuel, on perçoit que ce sentiment de différence, qu’elles répètent comme une marotte (« Je suis différent, et je l’ai toujours été ») est en partie infondé, car il repose d’une part sur une sacralisation méprisante des autres, et d’autre part sur un rejet de LA Différence en général (… différence des sexes en première ligne). Car être différent n’implique pas nécessairement une rupture définitive avec notre entourage. Bien au contraire ! Tout Homme est radicalement seul et différent du fait d’être unique, mais ce n’est pas en soi un drame, ni un état de fait qui nous isole. Une fois cette différence fondamentale digérée et relationnalisée, elle permet heureusement le lien social, la liberté, la responsabilité, la reconnaissance émerveillée de sa singularité, un appel à donner sa solitude à l’universel. C’est parce que nous nous reconnaissons différents des autres Hommes que nous pouvons ensuite mieux nous mêler à eux et entrer en relation. Le problème de la majorité des personnes homosexuelles, c’est qu’elles moralisent leur unicité en termes de possession ou de mal (en gros : « Je suis le meilleur ; sinon, je suis nul »), en prétextant que ce serait la Nature qui les aurait injustement séparées du reste de la société. Mais en matière de différences, pas de fatalité : ce n’est pas parce que la différence distingue que pour le coup elle divise ! Tout comme les frontières…
N.B. : Je vois renvoie également aux codes « Femme étrangère », « Différences physiques », « Différences culturelles », « Super-héros », « Se prendre pour Dieu », « Se prendre pour le diable », « Solitude », « Faux révolutionnaires », « Innocence », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », à la partie « Schizophrénie » du code « Doubles schizophréniques », et à la partie « l’Autre » du code « Amant diabolique », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
L’auto-persuasion
d’une différence fondamentale
L’adaptation excessive aux regards de l’entourage et l’oubli de leur propre regard négatif sur elles-mêmes vont encourager beaucoup de personnes homosexuelles à affirmer l’existence d’une différence radicale par rapport aux autres. Nous entendons toujours le même refrain de la part des membres de la communauté homosexuelle : le facteur dominant de leur vie, celui qui dépasse tous les autres en importance, est constitué par la conscience d’être différent, de ne pas rentrer dans la norme.
Tout d’abord, cette différence dite « naturelle et fondamentale » est d’ordre social, culturel et intellectuel. Très jeunes, certains sujets homosexuels vivent le choc des cultures avec leur entourage comme une véritable épreuve, puis un moyen de sortir du lot. Il n’est pas très étonnant qu’il y ait parmi les personnes homosexuelles un certain nombre de petits surdoués ou d’individus blessés dans leur amour propre parce que dans leur cursus scolaire, ils ont senti que leurs talents avaient été fortement dévalués ou ignorés. Beaucoup d’entre elles ont l’impression qu’elles ne sont radicalement pas sur la même longueur d’onde que les autres, qu’ils ne pourront jamais les comprendre totalement. Le fossé avec le reste de l’Humanité « hétérosexuelle » se creuse au fil des ans, et se fixe parfois en orientation sexuelle. L’homosexualité est envisagée à l’âge adulte comme une solution bien pratique pour camoufler par l’identitaire leur problème d’intégration sociale sans le régler vraiment à la racine.
Le fantasme de la différence homosexuelle ne renvoie pas uniquement à des différences culturelles. Il se fonde aussi sur des dissemblances physiques ressenties comme minoritaires, écartantes/écartées socialement, et qui deviennent ensuite, selon ce qu’en font l’entourage et la personne qui les porte, une « identité » intégrée mentalement et sexuellement. Cela peut provenir de la taille, de l’obésité, de la dentition, d’une voix suraiguë, de la maigreur, d’un handicap quelconque, d’une couleur de peau rejetée, d’un physique génériquement opposé au sexe biologique ou aux estampes des garçons et des filles télévisuels, d’un complexe de se savoir fragile, limité, ou insignifiant (la croyance et l’identification à l’Homme invisible rôdent…), etc. Difficile de ne pas faire le lien entre des physiques honteux d’eux-mêmes et l’affirmation d’une homosexualité. Cependant, ce lien n’est pas de causalité, mais de coïncidence, c’est-à-dire qu’il a été instauré davantage par le fantasme ou l’impression subjective que par la Réalité. L’homosexualité n’est pas une question de physique particulier – il n’y a pas de « corps homosexuel » (contrairement à ce que proclament certains militants homosexuels radicaux) – mais de rapport idolâtre à son corps et aux images médiatiques des corps sexués.
Affirmer « Je suis différent », ainsi que le font beaucoup de personnes homosexuelles, n’est pas faux en soi, étant donné que tout Homme est unique et donc fondamentalement différent des autres. Mais le problème peut se situer dans les conséquences fâcheuses que la reconnaissance de leur différence jugée « exceptionnelle » ou « minable » peut entraîner sur leur rapport aux autres : mépris, isolement, exclusion, orgueil mal placé. « Je croyais que j’étais un petit garçon singulier et les autres garçons étaient jaloux de moi, parce qu’ils étaient, eux, on ne peut plus ordinaires. » (Luc dans le roman Frère (2001) de Ted Van Lieshout, p. 128) Les personnes homosexuelles ne sont réellement différentes des autres Hommes que si nous considérons que c’est leur désir qui les définit entièrement. Autrement, nous ne pouvons envisager l’homosexualité que comme une facette particulière d’un désir pleinement humain.
En soutenant avec virulence qu’elles sont « différentes » (comprendre « anormales » et « exceptionnelles »), certaines ne remettent pas du tout en cause ce qu’elles appellent hâtivement « norme ». Bien au contraire. À force de ne pas vouloir faire ou être « comme les autres », elles finissent par les imiter inconsciemment, car il arrive toujours un moment où « les autres », ce sont elles. Beaucoup de personnes homosexuelles se laissent trop facilement définir par autrui, y compris et surtout lorsqu’elles se positionnent « contre » une personne, un camp ou une image. Peu savent vraiment ce qu’elles veulent. Elles se déterminent plutôt par le négatif, un peu comme Loïc dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier : « Je ne sais pas encore ce que je suis mais je sais ce que je ne veux pas être. » Elles ne veulent pas ce qu’elles prétendent vouloir, mais par provocation, elles soutiennent qu’elles le désirent profondément, que ce désir fait partie d’elles, alors qu’il est souvent né de la comparaison dévalorisante ou méprisante aux autres. Leur recherche de la personne aimée suit le plus souvent la logique du conformisme inversé, donc du snobisme : elles vont réclamer une chose, non pas tant parce qu’elles la veulent réellement, que parce qu’elles pressentent que les autres la veulent à leur place ou la leur interdisent. Elles aiment quand tout le monde aime, haïssent quand tout le monde déteste… ou aiment quand tout le monde semble détester et haïssent quand tout le monde donne l’impression d’aimer. En définitive, elles ne se posent pas beaucoup la question de ce qu’elles ressentent elles, de ce qu’elles désirent vraiment.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
a) Je suis différent, un point c’est tout !
Très régulièrement dans les fictions homosexuelles, le personnage homosexuel s’auto-persuade de sa différence fondamentale : cf. le roman Carta Abierta A Un Muchacho ‘Diferente’ (1974) d’Antonio Domínguez Olano, le film « Diferente » (1961) de Luis María Delgado, le film « Quella Piccola Differenza » (1969) de Duccio Tessari, le film « I’m Not One Of Them » (1974) de Barbara Hammer, le two-men-show Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, le roman Hawa (La Différence, 2010) de Mohamed Leftah, le roman Différents (2005) de Maryvonne Rippert, le film « Fucking Different XXX » (2012) de Bruce LaBruce et Émilie Jouvet, la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, etc.
« Vous êtes différent. » (le narrateur homosexuel se vouvoyant lui-même, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 131) ; « Je ne suis pas un homme comme les autres. […] Je suis tellement différent. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 11) ; « J’ai toujours été différent. » (Brad dans le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody) ; « Je suis différente de toi, de toutes les autres filles. J’suis pas normal. » (Tania, l’héroïne lesbienne de la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « J’aimerais tellement être différent mais j’y arrive pas. » (Élodie, idem) ; « Pourquoi j’suis pas capable d’être comme les autres ? » (Hubert, le personnage homosexuel du film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] n’avait jamais été tout à fait semblable aux autres enfants, elle avait toujours été seule et insatisfaite, elle avait toujours essayé d’être quelqu’un d’autre… […] Seule… il était terrible de se sentir si seule… de se sentir différente des autres. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 133) ; « J’étais son fils spirituel. Juste un peu différente. » (la voix poétique du poème « Amoureux dans la vie » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, p. 14) ; « Ton père est différent des autres pères. » (le père travesti M to F, ancien curé et ancien évêque de Bruxelles, faisant un coming out à son fils Peter, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; « Est-ce une raison de mépriser ma différence ? » (idem) ; « Philippe me dit que, justement, cet homme avait probablement le goût différent dont il tentait par allusions de m’expliquer l’originalité. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 38) ; « Comment puis-je leur dire ce secret que j’ai sur le cœur depuis que je suis tout petit ? que je suis différent ? » (Chris, le héros homo de la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « Jo est persuadé qu’il est unique. » (Matthieu, l’amant de Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Élève-toi avant que les chênes ne t’étouffent. […] Toi, tu n’es qu’un arbre banal. » (Négoce, l’un des héros homosexuels de la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Je n’ai jamais été comme les autres femmes. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Que diront les gens qui me trouvent trop différent ? » (cf. le chanson « J’ai le droit aussi » de Calogero) ; « La vie n’est pas facile. Surtout quand vous êtes différents. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Je suis différent. » (John, le héros homo incarnant le personnage d’Adam White dans un feuilleton télé Hellsome High, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; « C’est une autre piscine. Différente. » (les nageurs homos de l’équipe de water-polo gay du film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; « Je suis vraiment la cinquième roue du carrosse dans cette famille. » (Sandrine, l’héroïne lesbienne, dans l’épisode 502 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 8 juillet 2019 sur TF1) ; « Elle a peur que ma différence ternisse sa belle petite image toute lisse. » (Sandrine par rapport à sa mère Anne-Marie, dans l’épisode 506 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 12 juillet 2019 sur TF1) ; etc.
Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny fait une fixation sur sa soi-disant « différence » : « Je ne suis pas normal. C’est de notoriété publique. » Et son amant Romeo le confirme dans sa fausse croyance : « Tu n’es pas comme tout le monde. » Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Christopher, l’amant secret d’Alan Turing au pensionnat, lui dit qu’il est « différent ». Turing l’interprète comme une étrangeté isolante : « Mère dit que je suis un type bizarre. » Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Catherine, la prof de maths lesbienne, déclare devant sa classe et face à Nathan, son élève homo, qu’il est « courageux » parce qu’« il ose dire qu’il est différent ». Dans le film « Tout mais pas ça » (« Se Dio vuole », 2015) d’Edoardo Falcone, Tommaso, un père de famille, croit que son fils Andrea est « différent », c’est-à-dire homosexuel. Dans le générique du film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, on nous signale par écrit que « le corbeau blanc » est une expression employée pour désigner « quelqu’un qui est différent des autres ».
b) Une différence si « naturelle » ? Une réelle fatalité ?
On se rend compte au fur et à mesure que la différence du héros homosexuel, qu’il présente comme « naturelle » et « imposée », est un orgueil travaillé, un esthétisme recherché : « Pourquoi vous considérez-vous comme différente ? » (Douglas s’adressant à l’héroïne lesbienne Doris dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Je veux être différent. » (Éric dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton) ; « J’éprouvais pour la première fois un plaisir de perversité à différer des autres ; il est difficile de ne pas se croire supérieur, lorsqu’on souffre davantage. » (Marguerite Yourcenar, Alexis, ou le traité du vain combat (1929), p. 69) ; « Être à part. C’est aussi pour ça que ça me plaît, que je suis pédé ! C’est dans la différence que je préfère avancer. » (un témoin homosexuel de la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Au dîner, je mangeai en silence, avec la conscience d’être différente. J’étais libre. Rien ne comptait. » (Anamika dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 27) ; « Dans ce lycée, il faut être original pour s’intégrer. Et moi, je ne suis qu’une gamine ordinaire. Pour être intéressante, je dois me faire passer pour une gay. » (Karma s’adressant à sa meilleure amie Amy à qui elle force d’être en couple, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; etc.
En général, c’est une différence forcée, cinématographique, immatérielle, qui est recherchée par le héros homosexuel : « Jamais les femmes ordinaires ne donnent l’essor de notre imagination. Elles ne sortent pas de leur siècle. Aucune magie ne les transfigure. Rien en elles qui ne puisse pénétrer. Pas une qui soit mystérieuse. Toutes, elles ont le même sourire stéréotypé et les belles manières du jour. Elles sont claires et banales. Mais les actrices ! Oh ! Combien les actrices sont différentes ! » (Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, pp. 72-73) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] disait à son père combien elle souhaitait être différente, combien elle désirait être quelqu’un comme Nelson. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 36) ; etc. Je vous renvoie au code « Super-héros » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
Au départ, la croyance en une différence homosexuelle – plus ou moins calculée, d’ailleurs – sert d’alibi tacite à la drague. Elle circonscrit un territoire, le territoire de la pulsion narcissique : « [Il y avait également] des jeunes gens comme moi, amoureux fous de l’opéra, conscients ou non de leur différence, qui scrutaient chaque nouveau visage, beau ou laid, se présentant aux doubles portes d’entrée, à la recherche d’un signe de reconnaissance, d’un regard un tant soit peu insistant, peut-être même d’un sourire. Je tombais moi-même amoureux aux trente secondes, convaincu que tel ou tel spectateur regardait dans ma direction, plantait son regard dans le mien, hésitait à m’aborder. » (le narrateur homo humant l’ambiance de l’opéra de Montréal, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 43)
Mais en réalité, le sentiment de « différence » devient un prétexte à la misanthropie. « J’ai une différence que mon entourage vit de plus en plus mal. » (Laurent, le héros homosexuel du one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) Par exemple, au début du film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, Steven, le héros homosexuel, se démarque volontairement d’un groupe d’adolescents « cools » et « footeux » dans lequel il ne se reconnaît pas, parce qu’il ne veut surtout pas que les torchons et les serviettes se mélangent. Dans la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… » de Jann Halexander, le narrateur homosexuel dandy recherche « l’élégance du luxe de la Différence », car il ne se prend pas pour de la merde.
Dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, la réaction de Leo, l’un des héros homosexuels, illustre bien que la prétendue « différence homosexuelle » est une réalité fantasmée, le signe d’une relation sociale blessée et blessante, non-souhaitée : elle n’a rien d’individuel ni d’inné. Au départ, Leo présente sa singularité comme une nature : « Je sais bien que j’ai toujours été du côté de l’ombre, que je suis toujours resté en dehors. » (p. 30) Plus tard, le lecteur se rend finalement compte que chez lui, l’éloignement a été désiré, de son côté, par un consensus mou : « En fait, ce n’est pas juste parce que je n’ai pas été invité. Depuis toujours, je suis celui qu’on cache, celui qui est interdit de paraître. Je me suis accommodé de ce secret. J’ai même trouvé mon compte à cette dissimulation. Je n’ai pas eu le désir de les rencontrer… » (idem, p. 48)
Le fin mot de l’histoire, c’est que la différence semble davantage poser problème et orgueil au héros homosexuel lui-même qu’au reste de ses proches : « J’avoue aujourd’hui que je ne me suis jamais ressenti rejeté par aucun membre de ma famille à cause de ma différence. […] Le fait de mon homosexualité ne semblait absolument pas gêner ni choquer la nouvelle génération de la famille. Et sans exagérer, je pense être en mesure d’affirmer que ma différence ressemblait plutôt à un privilège. » (Ednan, le héros homosexuel, dans l’autobiographie romanesque Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 147).
c) Une sacralisation douteuse des Différences au détriment de LA Différence :
Dans les fictions traitant d’homosexualité, le mot « Différence » est souvent célébré en soi, mais peu explicité, et peu ramené à des faits ou des personnes réelles. Par exemple, dans la comédie musicale « Chantons dans le placard » (2011) de Michel Heim, il est question de la « fameuse différence » « Tous les chanteurs en vue se sont crus obligés de chanter la différence, la fameuse différence. » (Gérard) Mais on ne nous dit rien de celle-ci. Personne ne nous explique ce qu’il y a derrière ce masque… car on a sûrement trop peur de voir le néant ou les atteintes au Réel qu’il occulte !
Il faut se méfier, dans le discours de certains héros homosexuels, de la sacralisation de l’« Égalité » ou de la « Différence ». Ils applaudissent machinalement au mot « Différence », en tant que concept magique, mais non à la réalité de la différence. Ils applaudissent aux différences-annexes (telles que la différence de couleur de peau, de langues, d’éducation, de goûts, de cultures, de couleurs de cheveux, etc.) pour rejeter les différences fondamentales de l’existence humaine (la différence des sexes en priorité, mais aussi d’autres différences essentielles : l’identité, les relations humaines concrètes, la différence des espaces et la différence des générations, Dieu, etc.). Sigmund Freud a été bien inspiré de parler du « narcissisme des petites différences », car avec l’homosexualité, on se trouve en effet confrontés à un désir qui va se concentrer sur les petites différences superficielles pour ne pas considérer les grandes différences : « Vous n’aimez rien, ni personne, même cette différence que vous croyez vivre, vous ne l’aimez pas. Vous ne connaissez que la grâce du corps des morts, vos semblables. » (Marguerite Duras s’adressant aux personnes homosexuelles dans son roman La Maladie de la mort, 1982). Il ne suffit pas de se montrer ami de la différence (en tant que slogan publicitaire) pour la mettre en pratique : il faut aussi la reconnaître et ne pas considérer son accueil comme une évidence ou une démarche confortable (toute différence ou tout mélange n’est pas heureux en soi). Ou alors on devient inconsciemment un gros mouton. La recherche de la différence pour elle-même est en fin de compte un poncif réactionnaire, un conformisme, un refus de rentrer en relation avec les autres : « Je suis une tapette politiquement correcte, et moi j’t’emmerde. » (cf. la chanson « Politiquement correct » de Bénabar) ; « Augusten a toujours su qu’il était différent. Mais différent de qui, de quoi ? » (Augusten Burroughs, Courir avec des ciseaux, 2007) ; « De fait, on est différents. Mais c’est pas pour ça qu’on doit pas avoir les mêmes droits. On est un couple, Serge et moi. On a des sentiments qui sont exactement les mêmes que deux hétéros. » (Victor, le héros homosexuel Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc.
d) La « différence » = le viol
Le sentiment de différence qu’expérimente le héros homosexuel peut venir d’un viol réel, subi dans l’enfance ou plus tard à l’âge adulte, d’une mise à l’écart, d’un manque d’amour, d’un mépris social qui lui a donné la conviction d’être un mouton noir, un paria, un étranger à lui-même. « Je me sens si différent. Comme si avant, j’avais un corps mais j’étais pas dedans. » (Didier après son expérience homo, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia)
Parfois, il résulte tout bêtement d’un fantasme de viol. « J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. […] Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Ce désir de pénétrer et d’envahir la différence de l’autre ; de ne pas laisser la proie s’échapper. Car c’est elle, la proie, qui donne l’impression d’exister mieux. Elle est comme une extension de soi, un poids ajouté au sien. » (Adrien, le narrateur homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 51) ; etc.
En réalité, beaucoup de héros homosexuels n’aiment pas les différences de les avoir trop aimées, ou bien de s’être trompées sur leur compte, en s’imaginant naïvement qu’elles ne concernaient pas le Réel, ou qu’elles ne contrarieraient aucun de leurs petits désirs. Comme la réelle différence nous oblige toujours au renoncement, à l’écoute, au compromis, à l’ouverture coûteuse, elle est alors envisagée par eux comme une source de conflit, une terrible entorse à leur liberté, voire un viol. C’est ce qu’illustre clairement le syllogisme de Lourdes, l’héroïne de la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier : « Les différences = les conflits ; les conflits = les injustices ; les injustices = les guerres. »
Dans les fictions homosexuelles, la différence, c’est parfois le mot qui pourrait remplacer celui de « viol », de « peur » ou de « fantasme de viol ». C’est pourquoi elle peut être envisagée comme une maladie mortelle. « Moi qui me sentais différent, éloigné par d’imperceptibles divergences de la société, j’en conclus au moins que si différence il y avait, elle devait être plus viscérale. » (la voix narrative parlant de ses années collège, dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 19); « J’aimerais être un mec normal avec une queue normale et un père normal ! » (Adam, le héros homo, dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc. Par exemple, dans le vidéo-clip de sa chanson « Thriller », Michael Jackson, juste avant de se transformer en monstre devant sa petite copine qu’il est sur le point d’embrasser et qui va le faire entrer dans le mystère de la sexualité, essaie de la prévenir qu’il n’est pas normal, et même qu’il est dangereux : « Je voulais te dire que je suis différent… »
Le culte de la différence peut aller chez certains héros homosexuels jusqu’à la schizophrénie : « Oui, c’est ça dont on manque, de folie… de folles… Oui, c’est pour ça que moi je suis gay, voilà j’ai réussi à le prouver ! La folie, c’est la seule chose qui ne soit pas mondialisée. La folie c’est la véritable différence entre les gens, c’est la vérité. C’est quand on est fou qu’on est différent. La reine des folles, c’est moi ! Voilà ce qu’il nous faut : Une folle présidente ! » (le narrateur de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 101)
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Je suis différent, un point c’est tout !
Très régulièrement, les personnes homosexuelles s’auto-persuadent de leur différence (homosexuelle) fondamentale : Je vous renvoie aux documentaires « Glamazon : A Different Kind Of Girl » (1993) de Rico Martinez, « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar, etc. Déjà, en 1919, Magnus Hirschfeld réalisait avec Richard Oswald le premier film homosexuel militant, dont le titre « Ander Als Die Andern » (« Différents des Autres ») était éloquent.
« Le facteur dominant de ma vie, celui qui dépasse tous les autres en importance, est constitué par la conscience d’être différent. » (Donald Webster Cory cité dans l’essai Les Homosexuels (1973) d’André Baudry et Marc Daniel, p. 85) ; « J’ai su très tôt que j’étais différente. » (Claire, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; « Malgré tout, j’étais un petit gars souriant. Je le vois sur les photos. Mais, en dedans, je me sentais tout mal. J’avais comme deux personnalités. À l’extérieur, j’étais un bon petit gars rangé, bon en classe. En dedans de moi, je me sentais différent des autres. J’avais des inquiétudes. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons(2008) de Michel Dorais, p. 246) ; « Le jour où on découvre qu’on aime les garçons, on a l’impression de ne pas être normal. » (Sacha, jeune Allemand homo, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; « Accepté certes, intégré, aimé par ma famille, mes amis –, mais différent. » (Bertrand Delanoë, La Vie, passionnément (2004), p. 14) ; « Je sais juste que dès l’enfance je me suis senti différent de mes frères et sœurs. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 94) ; « J’ai compris au collège que j’étais différent. » (Patrick Blosch, témoignant lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », organisé dans la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris, le samedi 10 octobre 2009) ; « J’ai déjà dit plus haut combien je me sentais différente de mes camarades de classe. […] Et j’en arrivais à me demander quelquefois si je n’étais pas un monstre. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 75) ; « Aujourd’hui encore à Belgrade, des gens se font frapper parce qu’ils sont différents. » (Phrase du générique final du film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) ; « Tout le monde voulait nous casser la gueule à partir du moment où on était différents. » (Didier Lestrade racontant le climat des lieux de drague homo parisiens avant les années 1980, dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco) ; « Toute petite, déjà, j’étais différente. Je ne pouvais pas mettre de mots dessus mais je sentais que je n’étais pas comme les autres. J’étais un garçon manqué. Et cette absence de conformité contrariait beaucoup ma mère. » (Karla Jay, vétérane lesbienne, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc.
Par exemple, dans son autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004), Alexandre Delmar parle du « sentiment indéfinissable d’être différent des autres » (p. 64) qu’il a ressenti dans sa jeunesse : il ne l’a visiblement pas bien vécu : « Pourquoi je ne suis pas comme eux ? » (idem, p. 28) Le réalisateur François Zabaleta présente son docu-fiction « N’importe où hors du monde » (2012) comme un retour sur l’éclosion du « sentiment de la différence chez un enfant de 8 ans ».
b) Une différence si « naturelle » ? Une réelle fatalité ?
On se rend compte au fur et à mesure que la différence que les personnes homosexuelles présentent comme une essence « naturelle » et « imposée », est une impression très subjective et égocentrée, un orgueil travaillé, un esthétisme recherché : « Tout le monde se moquait de moi, même ma famille ; après je me suis habitué et j’en ai fait mon avantage et ma différence. » (Quentin Crisp cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 151) ; « J’avais, d’une certaine façon, décidé de ne pas être conformiste et j’avais réussi, d’une manière ou d’une autre, à le faire accepter. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 124) ; etc.
Le sentiment de différence, c’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf : on ne sait pas qui a commencé, et c’est bien logique puisqu’une peur a à la fois une origine et aucune origine. « J’ai ressenti que j’étais différent vers 6-7 ans. Et cette différence, on me la faisait ressentir. » (Yann, l’un des témoins homosexuels du documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Il n’y a rien de pire pour un enfant qu’être différent. Les gosses sont obsédés par l’uniformité, pas une mèche ne doit dépasser. […] C’est tellement dur à affronter lorsque vous recevez cette gifle en pleine figure… ce message qui signifie au fond : tu es différent donc on ne veut pas de toi dans notre monde. Ce rejet terrifiant, alors que nous sommes tous des animaux sociaux qui n’avons qu’une seule envie : aller vers l’autre et se ressembler. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, Éd. Broché, Paris, p. 19). Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Vincent Guillot, militant intersexe, a de la révolte en lui : « Le médecin m’a dit : ‘T’es un mutant, t’auras jamais d’enfant, tu seras toujours différent des autres.’ »
Le sentiment de « différence » devient un prétexte à la misanthropie : « L’homosexualité, c’est vivre à côté de… être différent des autres. » (Patrice Chéreau cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 127) ; « Je me suis toujours senti un peu à part… » (Jean Guidoni interviewé par le magazine Rebel en septembre 1993) ; « J’ai toujours su que je n’étais pas dans la norme. » (Jean-Luc Romero, On m’a volé ma vérité (2001), p. 27) ; « Dans toutes les situations, je fus toujours pour tous un intrus. » (Fernando Pessoa dans le documentaire « Pessoa l’Inquiéteur » (1990) de Jean Lefaux) ; « L’homosexualité n’est pas une marque de différenciation par rapport aux autres, mais plutôt le signe d’une opposition radicale aux autres. » (Benedetti Carla cité dans l’article « Pier Paolo Pasolini » de Gian-Luigi Simonetti, sur le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 305) ; etc.
La croyance aveugle en sa différence fondamentale peut aussi être également approfondie par la construction d’un couple, ou par l’amant homosexuel qui cherche à flatter son partenaire sur son/leur exceptionnalité, pour mieux le posséder et l’isoler. Par ailleurs, l’obsession de la différence chez les personnes homosexuelles dit également l’angoisse de l’indifférenciation (inconsciente) qui se vit au sein même du couple homo.
Le fin mot de l’histoire, c’est que la Différence et les différences semblent davantage poser problème et orgueil aux personnes homosexuelles elles-mêmes qu’au reste de leurs proches. En effet, en les écoutant, on découvre que leur fameux sentiment de différence RADICALE avec les autres vient le plus souvent d’une comparaison excessive aux modèles de magazine et de cinéma, et non d’abord de leur relation concrète ou de la comparaison positive avec leurs pairs sexués de chair et de sang. À mon avis, la « différence » (homosexuelle) en question, dont elles font tant cas, mériterait de s’appeler en ce qui les concerne « confusion du Réel avec la fiction » : « Je sais que, assez petite, vers l’âge de 7 ans, 8 ans, j’ai eu conscience que j’étais une femme, mais en même temps assez libre d’être une femme différente des stéréotypes et de ce que j’avais remarqué les femmes être en général. » (Lidwine, une femme lesbienne de 50 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 64) ; « J’avais l’impression que d’être homosexuel faisait de moi un sous-homme. C’est pour ça que j’ai longtemps été mal parce que je courais après une espèce d’image masculine, qui est un archétype social, mais qui n’est pas une réalité en définitive. Je courais après ça… et moi, je suis pas comme ça. » (Olivier dans l’émission « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « J’ai su très tôt que je n’étais pas semblable aux autres. J’ai le souvenir très précis d’une fête foraine où m’avaient emmené mes parents. La mode de l’époque condamnait les hommes à porter des pantalons moulants à pattes-d’éléphant, surmontés de chemises en satin de couleurs criardes, aux grands cols larges en pelle à tarte, de préférence ouvertes sur le torse si le temps était clément. J’avais six ans à peine et j’étais autant fasciné par les jeux de la fête foraine auxquels je pouvais participer que par la présence autour de moi de ces adultes habillés à la mode. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 23-24)
c) Une sacralisation douteuse des Différences au détriment de LA Différence :
Ce qui est paradoxal dans le rejet homosexuel de la différence, c’est que la plupart des individus homosexuels sont au demeurant des passionnés d’altérité et des différences en général. Par exemple, Jean-Paul Sartre, dans Saint Genet (1952), a évoqué chez l’écrivain Jean Genet cette fascination quasi obsessionnelle pour l’altérité : « Étranger à lui-même, il ne peut aimer qu’un Autre-que-soi, car c’est lui-même dans son absolue altérité qu’il aime sous les espèces de l’autre. » (p. 109) ; « Il se fascine sur l’Autre et fuit sa propre conscience de soi. » (idem, p. 169) ; etc.
Le Dieu « Différence » trône sur l’autel interlope (cf. Sacrée Différence (1995) d’Henri Chapier). Une différence désincarnée et poétique est chantée : « J’entreprends de raconter l’histoire de la perpétuelle différence ; plus précisément, de raconter l’histoire des idées comme l’ensemble des formes spécifiées et descriptives de la non-identité. » (Michel Foucault, Dits et Écrits I, 1954-1988 (2001), p. 712) ; « Pour libérer la différence, il nous faut une pensée sans contradiction, sans dialectique, sans négation : une pensée qui dise oui à la divergence ; une pensée affirmative dont l’instrument est la disjonction ; une pensée du multiple – de la multiplicité dispersée et nomade qui ne limite et ne regroupe aucune des contraintes du même ; une pensée qui n’obéit pas au modèle scolaire (qui truque la réponse toute faite), mais qui s’adresse à d’insolubles problèmes ; c’est-à-dire à une multiplicité de points remarquables qui se déplace à mesure qu’on en distingue les conditions et qui insiste, subsiste dans un jeu de répétitions. » (idem, p. 958)
L’embellissement de la différence cache bien souvent un déni de celle-ci. Dans son essai Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), René Girard explique bien que l’homosexualité est « ce mimétisme qui efface d’autant mieux les différences qu’il les recherche plus avidement. Contrairement à ce que veut la théorie du narcissisme, le désir n’aspire jamais à ce qui lui ressemble ; c’est toujours ce qu’il imagine de plus irréductiblement autre qu’il recherche et si, dans l’homosexualité, paradoxalement, c’est dans le même sexe qu’il le recherche, ce n’est jamais là qu’un autre exemple de ce résultat paradoxal qui caractérise le désir mimétique d’un bout à l’autre de sa course : plus le désir cherche le différent, plu il tombe sur le même. » (p. 471) Par exemple, Lara Fabian, dans sa chanson gay friendly « La Différence » couronnant l’amour homosexuel, nous raconte l’histoire de « l’exceptionnelle différence »… pour ensuite conclure qu’elle n’existe pas : « La différence, quand on y pense… Mais quelle différence ? » Dans le journal Le Monde.fr du 24 octobre 2011, Caroline de Haas prône « l’indifférence à la différence ».
La demande du « droit à la différence » et du « droit à l’indifférence », qu’on entend régulièrement de la part des membres de la communauté homosexuelles, est une variante du conformisme individualiste : on prône les « vertus de la banalité » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 179) et on souhaite « être comme les autres sur un pied d’égalité, et trouver une place confortable dans la société » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 676).
Il faut se méfier, dans le discours de certains militants homosexuels actuels, de la sacralisation de l’« Égalité » ou de la « Différence ». Ils applaudissent machinalement au mot « Différence », en tant que concept magique, mais non à la réalité de la différence. « Je suis très fière de ma nature. Pas seulement pour mon physique. Mais seulement pour cette différence. » (Barbara, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut) Ils applaudissent aux différences-annexes (telles que la différence de couleur de peau, de langues, d’éducation, de goûts, de cultures, de croyances, de couleurs de cheveux, etc.) pour rejeter les différences fondamentales de l’existence humaine (la différence des sexes en priorité, mais aussi d’autres différences essentielles : l’identité, les relations humaines concrètes, la différence des espaces et la différence des générations, Dieu, etc.). Sigmund Freud a été bien inspiré de parler du « narcissisme des petites différences », car avec l’homosexualité, on se trouve en effet confrontés à un désir qui va se concentrer sur les petites différences superficielles pour ne pas considérer les grandes différences. Il ne suffit pas de se montrer ami de la différence (le monde publicitaire nous apprend depuis longtemps à le faire) : il faut aussi la reconnaître et ne pas considérer son accueil comme une évidence ou une démarche confortable (toute différence ou tout mélange n’est pas heureux en soi ; il bouscule, responsabilise et exige des efforts de part et d’autre). Pareil pour l’égalité : elle n’est pas vraie pour tout (nous ne sommes pas égaux du simple fait de le vouloir ; de plus, comme les êtres humains sont différents, ils ne sont pas égaux en tout, heureusement !) et n’est pas souhaitable pour tout (on peut être égaux dans la connerie : cela ne nous rendra pas plus intelligents !). Une certaine défense arbitraire des différences et de l’égalité peut provoquer des inégalités et générer des violences réelles, des attaques hétérophobes et homophobes à la fois. Par exemple, à force de vouloir à tout prix, pour reprendre les termes de Bertrand Delanoë, « marteler que la diversité est une source inépuisable d’enrichissement collectif » (Bertrand Delanoë dans l’introduction du Dictionnaire de l’homophobie (2003) écrit par Louis-Georges Tin, p. 7), la communauté homosexuelle en oublie parfois que seuls le respect et la douceur peuvent laisser aux différences reconnues leur espace d’expression et d’existence. L’accueil des différences, la promotion de la diversité : très bien. Mais à une condition : que soient respectées ces deux notions fondamentales de la Réalité qui lui sont concomitantes : l’unité et l’identité. Sinon, la défense totalitaire des différences nous entraîne vers l’uniformité, paradoxalement au nom de la lutte contre l’uniformel par la vénération poétique de différences abstraites. Nous ne reconnaissons rien et n’unissons rien si nous ne dissocions pas. Par l’emploi du terme flou d’« égalité » (mot absolutisé par les militants homosexuels qui nous parlent souvent d’« égalité totale », « absolue », « pleine »), on remarque une confusion récurrente et dangereuses entre la notion d’« égalité de droits » (légitime à demander, comme nous l’apprennent les Droits de l’Homme) et celle d’« égalité des identités » (illégitime puisque nous sommes chacun et chacune uniques, différents, et n’avons pas les mêmes besoins). C’est ce qui explique que Xavier Lacroix définisse à juste raison l’argument de l’égalité, devenu la marotte du militantisme homosexuel actuel, comme un « rouleau compresseur », un disque uniformisant et diabolisant la légitime hiérarchisation induite par nos préférences et nos distinctes réalités/besoins.
La quête effrénée d’originalité dans l’acte ou l’identité homosexuel(-le) est au fond une hétérophobie, dans le sens propre du terme « hétérophobie » (= phobie de l’altérité) : « Est-ce l’homophobie qui empêche les couples d’homosexuels de devenir des parents ‘à part entière’ ? N’y aurait-il pas plutôt dans nos sociétés une espèce d’hétérophobie, au sens de la haine de la différence ? » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 15) Je crois aussi qu’il y a au cœur de notre société gay friendly une véritable idolâtrie pour toutes les altérités (surtout les petites altérités narcissiques, qui ne sont pas fondatrices de l’Humanité, au détriment des grandes : l’altérité des sexes, des générations, des espaces, et divine), une folie pour l’hétérosexualité.
En général, les personnes homosexuelles qui chantent les bienfaits de la différence, qui se grisent de la marginalité « incorrecte » et « originale » que leur procurerait leur statut « d’ » homosexuels, finissent par avouer ce que l’on sait déjà depuis longtemps : qu’il n’y a pas de bonheur viable et durable dans la marginalité et l’isolement. « On est marginal, on est différent. Mais parfois, c’est pesant. On a envie d’appartenir à quelqu’un. » (la femme trans F to M dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)
d) La « différence » = le viol
Le sentiment de différence qu’expérimentent beaucoup de personnes homosexuelles peut provenir d’un viol réel, subi dans l’enfance ou plus tard à l’âge adulte, d’une mise à l’écart, d’un manque d’amour, d’un mépris social qui leur a donné la conviction d’être des moutons noirs, des parias. Il résonne comme un cri de ne pas avoir été reconnu comme unique… ou, ce qui revient au même, comme quelqu’un de trop différent ou de « pas assez différent ».
Le culte de la différence peut aller chez elles jusqu’à la schizophrénie : « Vers l’âge de neuf, dix ans, je me suis mis à organiser des émissions fictives de radio et de télévision. Je me prenais pour un animateur […]. Je me prêtais différentes personnalités pour composer mon personnage. Avec une constante : je portais un nom féminin et je parlais, grammaticalement, comme si j’étais une femme. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 28)
Parfois, il résulte tout bêtement d’un fantasme de viol. En réalité, certains sujets homosexuels n’aiment pas les différences de les avoir trop aimées, ou bien de s’être trompés sur leur compte, en s’imaginant naïvement qu’elles ne concernaient pas le Réel, ou qu’elles ne contrarieraient aucun de leurs petits désirs. Comme la réelle différence nous oblige toujours au renoncement, à l’écoute, au compromis, à l’ouverture coûteuse, au partage, elle est alors envisagée par eux comme une source de conflit, une terrible entorse à leur liberté, voire un viol. Ils la grossissent pour se faire plaindre, ou pour cacher qu’ils diabolisent leur propre homosexualité/différence. « J’aimais mieux me faire pointer du doigt comme drogué que comme gai. Les soirées de famille, les mariages, les sorties, tout ça me rappelait que je n’étais pas comme les autres. » (un témoin homosexuel dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 74) L’homosexualité, je le crois, dit une véritable crise de la différence… crise qui se traduit socialement par une surenchère babélique des différences extérieures et subjectives (on met tout au pluriel, on parle d’une infinité de genreS), et par un déni des différences intérieures et objectives (offertes par le Réel et l’Amour).
L’acte homosexuel, qui est posé au nom du respect de la différence, signe pourtant concrètement « le déni de la différence la plus universelle et la plus lourde de conséquence : la différence des sexes, sous-tendant le déni de la différence entre la vie et la mort » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 135). C’est la raison pour laquelle le coming out et le « couple » homo, loin de libérer, enferment encore plus la personne dans la confusion identitaire et amoureuse : « Ce n’est pas facile de se considérer pas comme les autres. » (Brahim Naït-Balk dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt)
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