Méchant Pauvre
NOTICE EXPLICATIVE :
Tu vas payer notre misère sexuelle commune !
Quand on ne s’accepte pas un minimum soi-même et qu’on rejette (de par son désir et parfois sa pratique amoureuse) la différence des sexes – ce qui est le cas de toutes les personnes homosexuelles –, il est logique que l’acceptation de l’autre (l’étranger, le pauvre, le fragile) et de la différence des espaces se fasse difficilement, voire violemment. C’est étonnant pour nos mentalités d’aujourd’hui, qui avons tendance à penser que ceux qui souffrent de leur marginalité et de leur différence s’identifieront davantage aux marginaux et à les aider. Et pourtant, la souffrance et la différence ne sont pas toujours fédératrices. Elles peuvent même être sources de conflits quand elles ne sont pas identifiées.
Le pauvre de l’homosexuel fictionnel ou de l’individu homosexuel devient vite une preuve vivante de l’hypocrisie ou de la complicité avec la misère sexuelle, un miroir inacceptable de la prostitution, du tourisme sexuel, du fossé grandissant entre riches et pauvres, de la violence de la pratique homosexuelle (pratique faussement égalitaire et souvent injuste puisqu’elle repose sur l’exploitation mutuelle, sur un colonialisme et un racisme « nouvelle génération » se parant de bonnes intentions et de bonnes sensations pour cacher des rapports de domination/soumission pourtant concrets).
En dépit des apparences, nos bonnes intentions – même amoureuses, même solidaires, même alter-mondialistes –, si elles ne sont pas connectées au Réel, peuvent être d’une extrême violence et aboutir à l’inverse de leur prétention. On veut le bien du pauvre sans le faire concrètement, et tout en nourrissant une exploitation mutuelle nouvelle : celle qui remplace l’effacement de la différence des espaces par l’effacement de la différence des sexes.
Beaucoup de personnes homosexuelles ont un désir contradictoire vis à vis du pauvre : à la fois elles veulent le sortir de sa misère et veulent l’y enfermer (sinon, il ne se donnerait plus à elles). C’est une réaction malheureusement bien humaine, qui n’est pas propre à l’homosexualité, au départ. En général, dans nos relations interpersonnelles, quelle injure que de découvrir que nous ne sommes pas aimés du même amour qu’on aime (ou qu’on croit aimer) une personne ! Surtout si celle-ci fait preuve d’ingratitude à notre égard, ne nous rend pas la monnaie de notre pièce, se trouve être un individu fragile, isolé, démuni, « objectivement » dans le besoin, concrètement dans la position de mendier notre amour… L’âme secourable a parfois ses exigences sur le miséreux à aider. Elle peut, parce qu’elle s’identifie trop à lui, lui imposer sa solidarité comme une dette d’amour. Aucun être humain, même dans ses bons jours de générosité, n’est à l’abri de la convoitise. C’est ce rapport destructeur que l’on peut observer à différentes reprises entre le personnage homosexuel des fictions et le pauvre qui l’attire, et qui, parce qu’il est libre, unique, bourré de travers, parfois homosexuel par intérêt (tourisme sexuel, prostitution masculine, etc.), rebelle à rentrer dans le démagogique Tableau de la Rencontre idyllique des classes que le riche a savamment orchestré, finit par trahir ou se venger du bourgeois qui a tenté de l’utiliser comme un objet pour flatter son propre narcissisme d’Occidental dépressif.
On le voit bien dans le cas du pauvre vu par les personnes homosexuelles. Elles le détestent de l’avoir aimé avec excès. Comme fatalement il ne correspond pas à son estampe idyllique de Beatus Ille, puisqu’il n’est ni figé ni sage comme une image, qu’il ne se laisse pas dérober, et qu’il refuse de rentrer docilement dans le tableau démagogique de la rencontre pacifique des Peuples que beaucoup de personnes homosexuelles ont brodée, celles-ci finissent parfois par se venger de leur propre naïveté narcissique sur les pauvres réels. « J’ai été séduit par ton air gavroche […]. Mais à qui donc j’avais affaire, sourire gentil et cœur de fer » chante par exemple Étienne Daho dans « Va t’en ». Nous trouvons une formidable illustration de ce mépris à travers le personnage homosexuel de Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, qui voue une haine profonde pour les pauvres de sa pègre imaginaire (qui n’est en réalité que la foule de ses amants homosexuels) : « Ne regarde pas ces petits monstres. Les mendiants sont la malédiction de ce pays. Si on les regarde, on se lasse de tout le reste. » En se substituant fantasmatiquement au pauvre par une discrète inversion, d’un côté certaines personnes homosexuelles désirent violer une liberté, et de l’autre, veulent se faire plaindre en imputant à leur victime le regard condescendant qu’elles lui ont porté et qu’elle leur portera peut-être en retour pour se venger de leur doucereuse prétention à les manipuler.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Noir », « Liaisons dangereuses », « Mère Teresa », « Inversion », « Prostitution », « Voleurs », « Amour ambigu de l’étranger », « Homosexualité noire et glorieuse », « Se prendre pour le diable », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Tout », « Homosexuels psychorigides », « Milieu homosexuel infernal », « Bourgeoise », « Promotion ‘canapédé’ », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois », « Violeur homosexuel », « Faux Révolutionnaires », à la partie sur les gigolos tueurs du code « Homosexuel homophobe » et à la partie « Désir de viol » du code « Viol », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) Le pauvre, méchant et profiteur :
Dans les fictions traitant d’homosexualité, le pauvre est souvent présenté (par le personnage homosexuel) comme un monstre vengeur ou une pègre cruelle ricanant à gorge déployée (cf. je vous renvoie à la partie sur l’euphorie collective de la pègre homosexuelle dans le code « Cour des miracles » du Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresco, le vidéo-clip de la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer, le film « Décameron » (1970) de Pier Paolo Pasolini, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le vidéo-clip de la chanson « No More I Love You’s » d’Annie Lennox, la chanson « Ramon et Pedro » d’Éric Morena, la version « live » de la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer à Paris-Bercy en 1989 (avec Carole Fredericks), la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650, adaptée en 2008) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le film « Coffy, la Panthère noire de Harlem » (1974) de Jack Hill, la photo du Noir déguisé en diable à la Gay Pride parisienne de 1996 dans la revue Triangul’Ère 7 (2007) de Christophe Gendron (p. 135), etc. « Vous n’avez jamais rencontré de vrais homosexuels. Ce sont des bossus qui riraient de votre mariage. » (le père de Claire, la protagoniste lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Les rires redoublèrent, des rires grossiers. » (Tanguy, le héros homosexuel décrivant la pègre de garnements de l’asile Dumos, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 27) ; « Dans la ronde des fous, elle pleure tout doux. » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Toute l’assistance pouffa de rire […] et souriait avec ses dents affreuses ! […] Cela me perça d’une atteinte mortelle. » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane (1924), p. 209) ; « Et leurs rires nous fusillaient, nos mères désemparées. » (cf. la chanson « Nos Mères » des Valentins) ; « Les grands ont des rires qui vous giflent en passant. » (cf. la chanson « Parler tout bas » d’Alizée) ; « Une de ces machines ressemblant à un train de Walt Disney faillit l’[Truddy] écraser. L’homme noir qui la conduisait riait, il fit demi-tour et refonça sur elle. » (Copi dans sa nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 31) ; « La foule riait aux éclats, ils lançaient sur Truddy des pavés. » (idem, p. 40) ; « Tout le monde a ri. Tout le monde. Tous ces gens avec qui j’ai grandi. […] Le pire, c’est que je ne les ai même pas détestés. » (Pauline, l’héroïne lesbienne parlant des gens de son village, dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau) ; etc. Par exemple, dans sa nouvelle L’Encre (2003), un ami homosexuel angevin décrit « les rires avariés des putains de la cour » (p. 37). Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Pretorius, le vampire homosexuel, se dit entouré de « bandes de gamins qui ne l’aiment pas ».
Les amants-mendiants cruels, délateurs, violeurs et vengeurs apparaissent dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques : cf. les chansons de Jean Guidoni, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, le film « Faustrecht Der Freiheit » (« Le Droit du plus fort », 1974) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « They Don’t Care About Us » de Michael Jackson, le film « Jacquou le Croquant » (2007) de Laurent Boutonnat, le film « The Halloween Parade » de Lou Reed, le film « Les Lunettes d’or » (1987) de Giuliano Montaldo (avec le prostitué profiteur), la photo Le Démon noir – modèle Theddy (1998) de Pierre et Gilles, le vidéo-clip de la chanson « Foolin’ » de Devendra Banhart (avec le Noir bourreau), etc. « Si Khalid se souvient de moi et qu’il se retourne vers moi, pour moi, je le sauverai, je redeviendrai un ange, juste un petit diable, le petit pauvre. » (Omar, le héros homosexuel pauvre, après avoir tué son amant Khalid, issu d’une classe aisée, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 169) ; « Il n’avait pas 6 ans qu’il se faisait déjà attraper par les Arabes du côté de la Huchette. » (Madame Simpson parlant de son fils transgenre M to F Irina, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Être homo dans le milieu ouvrier, c’est du rail. » (Pierre, l’ouvrier hétéro, très vite jugé « gaffeur homophobe » par la doxa Adèle/William/Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Place aux informations : la planète Gronz […] est envahie par ses voisins, les Grounz, qui ont fait main basse sur leur stock d’épinards surgelés. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Le rire de ce skinhead éméché résonna contre les murs, aigu et efféminé » (Jane, l’héroïne lesbienne dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 95) ; « Fais gaffe : les clodos pourraient te bouffer. » (Rettore, homosexuel, prévenant ironiquement son nouvel ami homo David, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Faites pas vos pédés ! » (un clochard s’adressant au couple Vlad/Anton, qui par provocation s’embrasse alors à pleine bouche dans la rue, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.
Par exemple, dans le film « Faut-il tuer Sister George ? » (1968) de Robert Aldrich, Childie se laisse entretenir par George. Dans le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, un bourgeois séduit de jeunes prolétaires par le biais du mensonge : ces mêmes amants pauvres se retourneront contre lui. Dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, Jeff, le banlieusard, exploite financièrement Nicolas. Dans le film « Les Terres froides » (1999) de Sébastien Lifshitz, le Maghrébin dominant « baise » le Blanc. Dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann, Anthony, le garçon d’hôtel, se venge du client qui a voulu le torturer sexuellement : il le vole, lui prend son code de carte, le ligote et le sodomise sauvagement : « J’pense que pour le prix, tu mérites au moins de te faire enculer. » Dans le film « L’Homme de désir » (1971) de Dominique Delouche, un délinquant, Rudy, se retourne contre Étienne, son salvateur qui tentait de le sortir de la misère. Dans le film « Lolita : Vibrator Torture » (1987) d’Hisayasu Sato, un violeur SDF tue des femmes. Dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed, le héros homosexuel a été violé par le domestique nubien noir. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, lorsque le groupe LGBT de Mark propose à ses militants homosexuels de s’associer au mouvement des mineurs gallois, l’un d’eux refusent car il voit en ces ouvriers les homophobes de son adolescence : « Ces types-là me tabassaient sur le chemin du retour de l’école… » Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Fabien décrit la « gueule en sang » du nouvel homme de ménage, Norbert. » Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, méprise le clochard nommé « Dagobert » en bas de sa rue, qui possède d’effrayants rats et qui le harcèlerait : « Ça fait des semaines qu’il me bassine en me racontant sa vie. »
Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus pointe du doigt toutes les confessions religieuses comme autant de fondamentalistes du capitalisme spirituel mondialisé, et autant de facteurs étrangers de Guerre Mondiale. L’ennemi, c’est clairement les religions, qui créeraient des guerres et qui agressent le narrateur par leur diversité. Pendant tout son spectacle, le comédien jalouse autant qu’il agresse les Noirs : il met en scène une émission Qui nique qui ?, soi-disant pour anti-raciste, qui met précisément en scène la maltraitance moderne des Noirs et des pauvres, présentés comme des méchants. Il vire son assistant Noir, Zoran : « Je te rendrai tes papiers à la fin de la tournée. On avait dit ‘Pas de Noirs !’ sur la tournée. De toute façon, comment veux-tu qu’on s’entende ? On est trop différents. » Il fait même une pub d’un désherbant fictif, Toxiron, pour se débarrasser des Roms campant dans les jardins.
Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, se fait sodomiser par son guide mexicain, Palomino : « Ça fait mal. Ça pique ! Je vais vomir. Je saigne ! ». Avec une jouissance malsaine, il lui parle de la syphilis, maladie transmise aux Russes, et qui se serait appelée « le mal mexicain ». Palomino semble se venger de la domination coloniale des Occidentaux sur les Orientaux en inversant, par la sodomie, la domination, comme s’il rééquilibrait le sens de l’Histoire : « Tu es l’Ancien Monde. Je suis le Nouveau Monde. Je veux jouir de ton cul russe et virginal. »
Paradoxalement, le méchant pauvre correspond aussi à un fantasme sexuel et amoureux du héros homosexuel : « Les mecs du 7.5., c’est tous des pédés ! » (Ryan dans la pièce Bang, Bang ! (2009) des Lascars Gays) ; « Il s’était battu […] pour convaincre ses amants qu’il était autre chose qu’un bad boy, une racaille excitante par qui se faire séquestrer dans une cave des cités. » (Mourad, l’un des héros homosexuels dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 327) ; « Nous progressions au pas dans une forêt sauvage, silencieuse, menaçante, d’obscurs voyous dont nous ne voyions luire au feu des phares et des rares réverbères que les étranges diadèmes de rangées de dents d’ivoire et d’or en couronnes. » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « Les Garçons Danaïdes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 101) ; « Cody cherche des Arabes. Il est obnubilé, il dit ‘Je sens que je pourrais être une femme avec eux parce qu’ils se servent de ton corps comme celui d’une femelle, tu vois, comme si t’étais une objet de plaisir et que tu n’existais pas comme personne.’ » (Cody, le héros homosexuel nord-américain efféminé du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 91) ; « Cody dit ‘Je m’a suis fait voler. Nourdine il a tout volé, l’argent et la caméra de New York University que j’avais empruntée. Oh my god, on habitait ensemble, et cette matin, je m’est levé et tout avait disparu dans l’appartement.’ Je l’accompagne pour porter plainte. Je lui dis ‘Ça te plaît, hein, que ce mec t’ait volé ? C’est la preuve que tu avais raison d’avoir peur. Maintenant ça te fait jouir d’avoir été une femme violée et volée, c’est comme si ton rêve magique d’être une femme avait été poussé au maximum.’ Cody, pris en faute, me regarde de travers. » (Mike, le narrateur homosexuel s’adressant à Cody, idem, p. 111) « Il a venu pour s’excuser […] Il a été obligé de ma voler, mais il a dit désolé, quoi et on a fait l’amour ensemble. » (Cody, idem, p. 112) ; etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) de David Forgit, Gwendoline (la lycéenne travesti M to F) rêve de se faire violer par Mounir et ses potes maghrébins lors d’une tournante dans une cave. C’est d’ailleurs ce qui lui est arrivé, apparemment. Dans le film « Le Rebelle » (1980) de Gérard Blain, Beaufils explique son attirance pour la marginalité et la violence : « Il n’y a que cela qui me fait bander. » Dans la pièce Chroniques des Temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le narrateur homosexuel désire « cette humanité pouilleuse » qu’il observe du haut de la terrasse de son père… mais il finit par se dire à lui-même : « Finalement, tu n’en es jamais descendu, de ta terrasse. »
b) Le pauvre va payer (… le fait que je le paye, l’exploite, l’aide, l’aime et qu’il m’exploite) !:
Le héros homosexuel décide donc de se défendre face à cette méchanceté désirée/réelle/provoquée. Au départ, sa vengeance commence par un mépris verbal (qui se fait passer au départ pour une imitation parodique de grande bourgeoise) : cf. la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec Marie, la mère bourgeoise raciste), etc. « Les pauvres… Ils savent qu’ils dérangent… et ils en profitent. » (la femme parlant de la mendiante lesbienne dans la pièce Musique brisée (2010) de Daniel Véronèse) ; « Les SDF, la misère, on n’en a rien à péter. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Il est grand temps que Jean-Marie [Lepen] arrive enfin au pouvoir ! Parce que ça ne peut plus durer ! » (la mère travesti M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) de David Forgit) ; « Pense aux p’tits Africains qui n’ont pas ta chance ni ton intelligence. […] Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel. Ils sont trop gâtés et puis c’est tout ! » (la grand-mère Mamita, la mère de Laurent – le héros homo – jouée par lui-même, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Vous, mon égal ? » (Maurice à son amant pauvre Scuder, dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory) ; « Plus ça va et plus je méprise le Peuple d’une force ! » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « On n’a pas à se soucier des serviteurs ! » (Petra, l’héroïne lesbienne du film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Ça me ferait mal de voir mes supers pompes sur des pieds de pauvre ! » (Damien, le héros homosexuel qui ne veut pas se débarrasser de ses 75 paires de chaussures pour en donner une à des œuvres de charité, dans la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Et tous ces enfants qui meurent de faim chaque jour… et nous qui allons passer un repas somptueux… » (Jules, le héros homosexuel dandy, au moment de passer à table, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Les opprimés vous démangent. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) ; « C’est fou de militer contre l’exclusion et de se faire traiter de dégénérés par des immigrés ! » (Nathalie dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 155) ; « Vous savez pourquoi les Nègres ont de grosses lèvres ? » (Michael, le héros homosexuel parlant de la soi-disant tendance à la plainte paresseuse chez les Noirs, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Sur les murs blancs, une seule photo, prise en Inde, un mendiant qui tend la main sur le bord d’une route, très photo-reportage. Dégueulasse. » (Mike, le héros homosexuel visitant l’appartement de Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 96) ; « Bien que l’armistice ait déjà été demandé par Pétain, on murmure que des centaines de tirailleurs sénégalais ont été massacrés de sang-froid par les nazis. De cette ‘chasse aux nègres’, je ne veux rien savoir. Juste profiter de l’instant présent. » (Madeleine, la narratrice du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 63) ; « Tu n’es pas le premier rat dans ma vie, tu sais […]. Je ne suis jamais restée longtemps avec un rat. Ce n’est pas parce que je suis raciste, loin de là ! Mais je n’ai jamais trouvé un rat qui m’aime vraiment, je veux dire, pour moi-même. » (« L. », le héros transgenre M to F s’adressant au Rat, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Vous êtes 350 rats à habiter dans mon armoire ? Vous êtes des rats réfugiés ? Vous vous êtes évadés de l’Institut Pasteur ? Mais il fallait le dire avant ! Je vous aurais installé des cages en bambou dans le jardin d’hiver ! » (idem) ; « Goliatha ! Où est passée cette idiote ? » (idem) ; « Un instant, Madame Freud, je réprimande mon habilleuse indigène ! Goliatha ! » (idem) ; « Dis bonjour de ma part à tes négrillons. » (« L. » s’adressant à sa mère, idem) ; « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille, le héros homosexuel s’adressant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Donne-moi les clé de chez elle, espèce de sale Arabe ! » (cf. une réplique de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Les étrangers : tous des lavettes. » (Dave dans le film « Good Morning England » (2009) de Richard Curtis) ; « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda à propos du tableau du Louvre, Portrait d’une négresse de Marie-Guillemine Benoist, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 196) ; « Les fiottes : plouquicides, pecnoquicides. » (un des personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; etc.
Par exemple, dans le one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007) de Madame H., les enfants (et surtout ceux du Tiers-Monde) sont qualifiés de « capricieux ». Dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (cf. l’épisode 2 « Intuition féminine »), Ben, l’amant SDF saltimbanque, est présenté comme un arriviste. Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry compare son amant arabe à un insecte. Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Sapho traite Ahmed de « tiers-mondiste hors-la-loi ». Dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent, Moussa, le héros noir, est surnommé « Kirikou » par Jessica, une de ses camarades de lycée. Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, le crime n’est associé par Dorian Gray (le héros homosexuel) qu’aux pauvres. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Kévin, le héros gay, s’énerve sans arrêt contre les Japonais et traite à chaque fois très mal leurs restaurateurs : « C’est quoi cette merde ? » Dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti, François fait du racisme anti-Arabes. Dans le one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand rentre dans la peau d’une bourgeoise responsable d’un orphelinat au Burkina-Faso, odieuse avec les petits Africains. Avec son copain Claudio, ils se sont adressés à elle pour adopter un enfant. Cette directrice exploite les pauvres comme un business (« Pour deux enfants adoptés, le troisième est offert ! »), les méprise (« Fatoumata, tu pues ! ») mais tient quand même un double discours pour masquer son comportement (« La mode aujourd’hui, c’est les pauvres. J’adore les pauvres ! »). Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, passe au crible tous les étrangers qui ont défilé dans son avion… et ça balance grave : les « mamas orientales », les Américaines « avec des ongles tellement longs que tu pourrais te crever un œil avec », les Chinois (« Les Chinois, ils sont en train d’envahir le Monde. On dirait des clowns qui sortent des boîtes. Ils sont moches, en plus ! »), les « Africains courtois » (« T’as ça, mais aussi les Africains. »). Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, ne fait que des blagues racistes et homophobes sur les Noirs (il parle du « cul d’un Noir »). Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François et son amant Thomas se lancent dans un voyage en pleine forêt tropicale thaïlandaise pour aller chercher Tchang, un bébé de trois ans qu’ils veulent adopter. Ils tombent sur une tribu d’indigènes qui ne parlent pas leur langue, et ils les attaquent et insultent sans raison : « Venez donc là, bande de petites bites ! ». Voyant qu’il y a eu quiproquo à propos de l’adoption, ils rebroussent chemin : « C’est pas grave. On adoptera un chien… » (Thomas) Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le jeune héros homosexuel, ne donne pas la pièce à une mendiante venue l’accoster.
Quelquefois, le héros homosexuel s’estime même encore plus victime que le pauvre (car lui, c’est un pauvre invisible ! croit-il) : « Nègres, juifs ou infirmes, tous les damnés car possédant un havre, une famille où on les aime, où on les élève au moins dans la fierté » (la narrateur homosexuel dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 24)
Finalement, le pauvre est jugé « méchant » de ne pas se laisser posséder, ou bien d’être complice d’une mauvaise action sexuelle commune avec le héros homosexuel riche. « Je trouve une jeune personne sortie des Mille et Une Nuits à qui j’offre ma fortune : aussitôt elle m’abandonne ! » (Pédé parlant d’Ahmed, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Malcolm n’est peut-être qu’un profiteur. Un esclave affranchi qui désormais possède le maître et se joue de lui. » (Adrien, le narrateur homosexuel ayant rencontré son jeune et bel amant étranger noir Malcolm sur un lieu de prostitution, et se rendant compte de la supercherie de ses propres pulsions sexuelles, dans le roman Par d’autres chemins, (2009) d’ Hugues Pouyé, p. 59) ; « Vous êtes pauvre, et vous êtes ici par nécessité. » (le héros homosexuel s’adressant à son tapin-amant, dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès) ; « Ne regarde pas ces petits monstres. Les mendiants sont la malédiction de ce pays. Si on les regarde, on se lasse de tout le reste. » (Sébastien, le héros homosexuel du film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « J’ai été séduit par ton air gavroche […]. Mais à qui donc j’avais affaire, sourire gentil et cœur de fer » (cf. la chanson « Va t’en » d’Étienne Daho) ; etc.
Puis la menace ou l’insulte prennent parfois une tournure plus concrète et violente : cf. le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le meurtre de la clocharde Berthe appelée « La Reine des Hommes »). « Enfant des rues, il est habitué au tourisme. Plus amoureux de moi qu’il ne le croit, il a besoin de mon regard pour vivre, je suis déjà son assassin. Enfin, assassin c’est un grand mot, je ne sais pas encore que je vais le tuer, il ne sait pas que je peux l’oublier. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 23) ; « Louis du Corbeau songea déjà à se débarrasser de ce jeune esclave transformé en moins de trois ans en épouse tyrannique. » (Copi dans sa nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983), p. 32) ; etc.
Par exemple, dans le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, Frizt Haarman, un indicateur de la police, attire chez lui des jeunes chômeurs ou SDF, les fait boire, puis les viole avant de les tuer en les mordant au cou. Il revend ensuite leur chair pour confectionner un « jambon désossé ». Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2013) de Carlos Montero, le prostitué Jaime, un bel étudiant sans le sous, se retrouve maltraité et menacé de mort par ses clients. Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont utilise un pauvre surnommé « Mendiantissimo » dans un pastiche d’émission Télé-Boutique Achat – Télé-Bling-Bling Shopping. Ce déshérité, il le caricature comme quelqu’un de plaintif, qui pue du bec, venant de l’Est de l’Europe (il s’appelle Piotr ou Maria). Et notre présentateur homosexuel lui scie les jambes, lui met un collier, lui envoie des décharges électriques : « Le Mendiantissimo : l’exploiter, c’est l’adopter. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca, homosexuel, raconte son arrivée à Paris, dans un foyer de jeunes travailleurs où il a quelques difficultés à s’afficher gay. Il les traite de « jeunes délinquants » sales, et les vire avec ses chansons d’Alizée : « Nous les gays, on a une arme fatale : c’est Alizée. Alizée, elle te vide un immeuble entier. »
Cette haine du pauvre semble être l’expression de l’homophobie intériorisée. Le héros homosexuel s’en veut (et en veut à ses frères d’orientation sexuelle, à ses frères de misère sexuelle) de pratiquer l’homosexualité et de croire en la réalité de leur désir homosexuel. « Le chauffeur de taxi […] râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Lou, l’héroïne lesbienne, a coupé l’oreille de Fifi, un travesti clochard M to F (selon Mimi, l’ami de ce dernier, elle a agit ainsi « parce qu’elle déteste les pauvres ! ») : « Nous, les gouines, on en a marre de votre sacré bordel à vous, travestis, voyous, clodos, Zoulous et Arabes qui pourrissent l’escalier ! » Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia, le héros transsexuel M to F, blesse Jenny, son homologue noir, en fermant sa robe avec sa fermeture-éclair, en se piquant de jalousie pour lui, et le traite de « sorcière ». Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des protagonistes homosexuels avoue avoir été violé dans une tournante, par des racailles, ses « jumeaux ». Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adrian, le délinquant, « oute » le père Adam parce qu’ils se sont inconsciemment identifiés comme homosexuels tous les deux.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Le pauvre, méchant et profiteur :
Il n’est pas rare que le monde amoureux homosexuel louvoie avec la violence du monde de la pauvreté. Les rapports homosexuels inégalitaires, où la domination et la soumission sont plus présentes qu’ailleurs (en l’absence d’une différence des sexes qui pacifie et canalise davantage les pulsions humaines), ont trouvé dans les rapports inégalitaires de classes sociales leurs meilleurs canaux. « Je n’aimais pas Diaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Mais je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. Il s’était imposé à moi en profitant de ma pauvreté et de ce que soixante-cinq roubles par mois ne pussent me suffire à nous empêcher, ma mère et moi, de crever de faim… » (Nijinski dans son Journal, 1918) Souvent, les exploités sexuels (des prostitués ou escort boys) se vengent d’ailleurs de leur homosexualité refoulée sur leurs gigolos (souvent occidentaux). Les cas concrets ne manquent pas. « Le violoniste virtuose Paul Körner est victime de chantage de la part du prostitué Franz Bollek. Körner refusant de continuer à payer toujours plus d’argent au maître-chanteur, Bollek le dénonce pour infraction à l’article 175. Au cours du procès qui s’ensuit, le docteur Magnus Hirschfeld, qui joue son propre rôle, prononce un ardent plaidoyer contre l’intolérance et la discrimination dont sont victimes les homosexuels. Bollek est condamné pour extorsion de fonds. Körner, qui est pourtant victime de chantage, est lui aussi condamné, mais pour avoir enfreint l’article 175. Sa réputation est ruinée, il ne supporte pas l’opprobre public et finit par se suicider. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 112) Par exemple Costas Taktsis, l’écrivain grec, est assassiné (étranglé) le 30 août 1988 par un amant de passage, alors qu’il se prostituait dans les rues d’Athènes. L’agresseur du chanteur espagnol Miguel de Molina n’est autre qu’un homme homosexuel lui aussi (cf. l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 56). Carlos Travers, à l’automne 1979 à Madrid, est tué par un prostitué, étranglé par un câble. Álvaro Retana, le romancier espagnol, est assassiné par un prostitué homosexuel en 1970. Joan Joachim Winckelmann est assassiné dans sa chambre d’hôtel de Trieste par un jeune voyou, Francesco Arcangeli. Ramón Novarro, amateur de jeunes prostitués, est retrouvé mort dans sa piscine, assassiné par deux gigolos. Pier Paolo Pasolini a été tué par Pino Pelosi, un jeune homme homosexuel de 17 ans, le 1er novembre 1975. L’homme politique Harvey Milk est assassiné par Dan White en 1978 à San Francisco : l’orientation sexuelle du tueur, si l’on s’en tient à l’adaptation cinématographique de Gus Van Sant, semble plus que trouble. Le directeur de Sciences Po Paris, Richard Descoings, est retrouvé nu et décédé à 53 ans sur son lit de chambre d’hôtel à New York en 2012 : il y avait fait de drôles d’expériences avec deux jeunes prostitués. Le 4 avril 2012, Jean-Nérée Ronfort, un expert en antiquités de 69 ans, a été découvert par son compagnon gisant au sol de son bureau, le crâne fracassé : il a été tué par trois prostitués roumains de 20, 21 et 25 ans.
Je l’ai constaté dans mon travail de professeur en collège et en lycée en « zones sensibles » : la réaction instinctive de la personne blessée ou fragile face à un autre semblable blessé se joue concrètement dans les extrêmes : soit cette gémellité dans la souffrance provoque de la compassion extrême, soit le plus souvent de l’attaque. Car le pauvre ou le « blessé sexuellement » n’a pas les ressources nécessaires pour comprendre qu’il est blessé, et donc pour accueillir sereinement ensuite la personne blessée lui renvoyant indirectement le reflet de sa propre blessure. Il s’engouffre instinctivement dans la brèche qu’il devine, et là, c’est le choc des presque-semblables. C’est la même violence de l’effet-miroir humain que je décris dans les cas d’homophobie (cf. je vous renvoie au code « Homosexuel homophobe » du Dictionnaire des Codes homosexuels) ou dans les cas de « couples » homos « durables », violence que beaucoup d’auteurs homosexuels (tels que Frédéric Mitterrand, Patrice Chéreau, néstor Perlongher ou Pier Paolo Pasolini) ont soulignée, d’ailleurs. L’homosexualité est perçue par le pauvre comme une atteinte à sa virilité, un élément de misère identitaire et psychique qui vient se rajouter à sa misère matérielle, et ça, pour lui, c’est inacceptable ! Quand il se prostitue, il est rare qu’il assume y trouver du plaisir sexuel ou la source d’une identité homosexuelle : il fait ça « pour l’argent » ou dans une démarche quasi « politique »… pour renverser l’espace d’un instant le rapport de classes. « C’est moi qui fixe les prix : j’attaque à 150 F. Je descends jamais au-dessous de 100 F. Après, on part en voiture, dans la mienne toujours, parce qu’on sait jamais sur qui on peut tomber… Des voyous… » (Pierre Benichou, Le Nouvel Observateur, 1970)
Par exemple, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler, nous est montrée l’attraction étrange du réalisateur italien Pier Paolo Pasolini (pourtant originaire d’un milieu aisé) pour la violence et la promiscuité des jeunes hommes banlieusards vivant autour de Rome. Ce dernier expliquait – avant de mourir assassiné par l’un d’eux – que ces gens sans ressources devenaient violents parce que « faibles » : « Ils tuent pour ne pas être tués. »
La misère et la fragilité sexuelles induites par la pratique homosexuelle expliquent la forte propension à l’homophobie entre personnes homosexuelles : « Les pratiques homosexuelles sont plutôt le résultat de la misère sexuelle existant dans le Maghreb que de vrais désirs homosexuels : une sexualité de substitution. » (cf. l’article « Maghreb » de Robert Aldrich, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 306) ; « Outre la mauvaise réputation qu’avait la Savane la nuit, je lui rapportais en détail certaines agressions dont j’avais été témoin. Sur la place, je rencontrais toutes sortes d’individus ; les ‘branchés’ étaient une population très hétéroclite. On était du même bord, mais on ne se fréquentait pas. Sans doute par manque de confiance, beaucoup se méfiaient de leur propre clan et jouaient à cache-cache en permanence, se dénigrant et se méprisant mutuellement. Impensable pour un groupe déjà victime du malheur de sa propre différence ! C’est quand même surprenant et regrettable d’en arriver là. […] Cette histoire de clans est une fatalité pour la communauté et l’on ressentait une rivalité oppressante entre les groupes différents. En fait, chaque groupe entrait dans une catégorie bien distincte : les extravagants, les cancaniers, les très discrets et enfin les ‘leaders’, ceux qui incitaient à la prise de conscience contre les discriminations et l’homophobie dans la région d’outre-mer. Je trouvais bien dommage cette diversification au sein de la communauté. » (Ednar parlant des lieux de drague antillais, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 188-189) ; « À Saint Louis, on m’a battu. On m’a enfermé dans les toilettes. Je rentrais couvert de bleus. Ma mère ne m’a pas protégé. Elle ne m’a pas protégé ! […] Tu sais, à Oran, être pédé, c’est comme être criminel. » (Yves Saint-Laurent parlant du viol scolaire qu’il a vécu en Algérie, dans la biopic éponyme (2014) de Jalil Lespert) ; « Les Arabes et les Noirs sodomisent et châtrent leurs ennemis vaincus. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 260) ; « Je fis la connaissance d’une sorte de gitan (c’est d’ailleurs moi qui l’abordai et l’enlevai, littéralement). Il était grand et je le trouvais beau, mais dans un triste état vestimentaire que venait encore renforcer une réticence marquée à l’égard de tous les principes d’hygiène élémentaire. Tandis que, comme l’aurait fait une ‘fille’, je l’invitais à monter dans ma voiture et à s’y installer avec son baluchon, je ne cessais de me répéter : ‘Tu es fou… Tout cela finira mal…’. […] Le lendemain, après m’avoir tapé de quatre mille francs et ‘emprunté’ ma montre, il disparut de lui-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108) ; etc.
Les pauvres sont souvent présentés par les personnes homosexuelles comme des gens dangereux dont il faut se méfier… et paradoxalement, le pauvre violeur correspond à un fantasme homosexuel bien répandu dans la communauté homosexuelle (le bel Arabe, le Turc ou le « rebeu » musclé, le lascar ou le bad boy étranger, etc.) : « 1960 : l’oncle Sam montre ses seins. En l’an 2000 : je me fais enculer par un Noir. » (cf. dessin de Copi ayant fait la Une du journal Libération le 8 août 1979) ; « Trente ans après, le jeune Arabe est le non-dit le plus lourd de la société française. Il est à la fois rejeté et désiré, haï et fantasmé. Il est l’inacceptable et le vague regret. Les féministes le vomissent mais elles n’osent pas le dire par héritage anticolonialiste. Elles sont furieuses de voir les cités revenir à l’âge de pierre antéféministe et, en même temps, sont ravies de trouver un repoussoir mâle aussi parfait. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 99) ; etc. Je vous renvoie à l’essai Homo Exoticus – Race, classe et critique queer (2010) de Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts. Le mépris homosexuel du pauvre s’origine parfois dans une imitation des parents : « Ma mère n’avait que mépris pour les gens plus pauvres que nous, coupables de ne pas avoir su se débrouiller. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 38)
b) Le pauvre va payer (… le fait que je le paye, l’exploite, l’aide, l’aime et qu’il m’exploite) !:
La violence ou l’indocilité du bad boy, même si elle ravissait au départ, est bien souvent dénoncée par les personnes homosexuelles qui se sont laissées pour un temps amadouer par lui, mais qui décident de reprendre un peu la main. En fait, elles se vengent d’elles-mêmes, de leur défaillance et de leur propre naïveté, en exprimant un dégoût du pauvre, un racisme inattendu, une xénophobie et un orgueil mal placés : « Pendant le dîner, nous avons appris que l’esthéticienne avait été hétérosexuelle avant d’être touchée par la grâce. Elle avait passé des années en Afrique avec son seigneur et maître qui s’engraissait à faire suer le burnous et elle tenait sur les Africains des propos qui m’ont stupéfiée. J’ai découvert avec surprise ce soir-là qu’on peut être encore de nos jours d’un racisme effarant. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 156) ; « Je n’aimais pas Diaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Mais je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. Il s’était imposé à moi en profitant de ma pauvreté et de ce que soixante-cinq roubles par mois ne pussent me suffire à nous empêcher, ma mère et moi, de crever de faim… » (Vaslav Nijinski dans son Journal, en 1919) ; « Ali me disait qu’il faisait des démarches pour que nous nous pacsions et que nous vivions ensemble, mais je ne pouvais me départir du soupçon qu’il m’utilisait en attendant d’obtenir un titre de séjour. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 105) ; « Mais toi, le Nègre, qu’est-ce que tu t’imagines…! » (Miguel de Molina s’adressant au Noir Alberto Olmedo, cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « Parfois, il m’arrive de penser que les homosexuels sont tous une bande de gangsters… Parfois. » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 193) ; « Nom de code : Kamel. Il n’est pas en mon pouvoir d’évaluer l’importance de la merveille, son éclat, ni ses effets nocifs, car il existe de redoutables merveilles, des merveilles mantes religieuses capables de vous dévorer tout cru. J’entends par merveille un être qui chute sur mon chemin comme un aérolithe dans un désert. » (Christian Giudicelli à propos de son jeune et bel amant Kamel, dans son autobiographie Parloir (2002), pp. 132-133) ; « Beaucoup d’homosexuels non juifs sont violemment antisémites. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 150-151) ; etc.
Beaucoup de personnes homosexuelles reprochent aux pauvres leur manque de fidélité, leur jeunesse, leur inculture, leur manque de savoir-vivre, leur inconstance, leur fourberie, le fait qu’ils ne se laissent pas posséder ou qu’ils soient complices d’une pratique homosexuelle commune avec elles : « … Oui, ils sont faciles, et c’est là que réside leur insigne faiblesse. Ils se prêtent et ne se donnent pas. » (Armand Guibert à propos de ses amants marocains, dans son « Journal de Marrakech », cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 202)
Certaines ont même peur du retour de bâton du colonialisme occidental et du tourisme sexuel. Par exemple, dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), Alberto Mira présente l’immigration étrangère et les « cultures immigrantes traditionnelles » comme une nouvelle facette de la menace homophobe à venir (p. 624). Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, les pauvres sont méprisés et montrés comme des envahisseurs.
L’affirmation d’une homosexualité, en même temps qu’elle montre un changement de rang social (cf. je vous renvoie au code « Promotion ‘canapédé’ » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), illustre ce mépris des gens pauvres dont certaines personnes homosexuelles font parfois partie. On peut penser par exemple au cas de Brahim Naït-Balk, d’Hervé Guibert, de Didier Éribon, de Jean Genet, qui s’autorisent d’autant plus à être racistes, homosexuels ou anti-pauvres du fait qu’ils connaîtraient le monde ouvrier de près ou qu’ils ont décrit leur bagarre pour sortir de la misère dont ils sont nés. « J’étais politiquement du côté des ouvriers, mais je détestais mon ancrage dans leur monde. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 73) ; « Mon marxisme de jeunesse constitua donc pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la ‘classe ouvrière’ pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. En lisant Marx et Trotski, je me croyais à l’avant-garde du peuple. Je détestais la classe ouvrière dans laquelle j’étais immergé, l’environnement ouvrier qui limitait mon horizon. […] Ainsi, quand je manifestais contre les succès électoraux de l’extrême droite, ou quand je soutenais les immigrés et les sans-papiers, c’est contre ma famille que je protestais ! » (Idem, pp. 88-89 puis p. 117) Par exemple, dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule a diabolisé sa famille et son enfance pauvre : il déclare vouloir « rompre avec ce qu’on avait fait de lui pour se réinventer » et affiche son mépris pour ses camarades scolaires : « Leurs visages se dessinaient dans mes pensées : je ne retenais d’eux que la peur. » (p. 63) Il se sert du fait d’être issu d’un milieu ouvrier qu’il présente comme cruel et homophobe pour encore plus justifier son homosexualité. Le coming out apparaît alors comme une réponse caricaturale à sa haine des pauvres, et une vengeance-rupture avec son milieu d’origine. Son éducation « beauf », puis son retournement en snobisme (via l’homosexualité), sont pourtant les deux faces extrêmes d’une même pièce, celle de la haine de soi. Elle semble avoir laissé en lui des traces durables dans sa vie d’adulte, d’autant plus invisibles qu’elles ont pris la forme de l’étiquette identitaire et amoureuse homosexuelle : « Chaque fois qu’un Noir ou un Arabe marchait sur le même trottoir que moi – ils n’étaient pourtant pas si nombreux – je sentais la peur s’emparer de moi. » (p. 208) Finalement, la misère de la pratique homosexuelle n’est non seulement pas une sortie de la misère matérielle et affective du Tiers-Monde, mais une réplique déguisée.
Parfois, la menace verbale contre le pauvre devient physique. On peut penser par exemple à Jeffrey Dahmer, qui couchait avec des pauvres (et surtout des Noirs) avant de les assassiner.
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