Miroir
NOTICE EXPLICATIVE :
« Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je suis quelqu’un d’autre ! ». Voilà le cri existentiel et idolâtre (narcissique) que la grande majorité des personnes homosexuelles lancent inconsciemment à leur société et à elles-mêmes. La glace étant l’instrument d’inversion (sexuée, sexuelle) par excellence, il était logique qu’elle soit plébiscitée par la communauté homosexuelle, assemblée humaine en panne d’identité et à la recherche de l’« Irréalité à forme humaine et réaliste ». Beaucoup de personnes homosexuelles envisagent la Réalité (et l’Amour : cf. je vous renvoie aux codes « Amant narcissique » et « Cercueil en cristal » de mon Dictionnaire des codes homosexuels) comme un miroir à la fois sans fond et dont paradoxalement elles cherchent à se convaincre de la réelle profondeur. Mirage désirant et actionnel assuré !
N.B. : je vous renvoie également aux codes « Clonage », « Se prendre pour Dieu », « Amant narcissique », « Cercueil en cristal », « Emma Bovary ‘Oh mon Dieu !’ », « Photographe », « Eau », « Lunettes d’or », « Homosexualité, vérité télévisuelle ? », « Inversion », « Femme au balcon », « Planeur », « Main coupée », « Haine de la beauté », « Télévore et Cinévore », « Regard féminin », « Pygmalion », « Poupées », « Amant modèle photographique », « Homme invisible », « Doubles schizophréniques », « Jumeaux », « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau », à la partie « Crâne en cristal » du code « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », et à la partie « Paravent » du code « Maquillage », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) Miroir, mon beau miroir :
Le miroir occupe une très grande place dans la fantasmagorie homosexuelle : cf. le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Leperen, le conte Lisa-Loup et le conteur (2003) de Mylène Farmer (avec le garçon plat), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (avec la chanson la chanson « Mirror, Mirror » en duo entre Madame Raymonde), la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev (avec Katia devant son miroir), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, le film « Aynehaye Rooberoo » (« Facing Mirrors », 2011) de Negar Azarbayjani, le film « Crystal » (2003) d’Anne Crémieux, le film « Is-Slottet » (1987) de Per Blom (avec le mystérieux Palais des Glaces), le film « Mirror, Mirror » (1978) d’Edward Fleming, le film « L’Enfant miroir » (1990) de Philip Ridley, le film « Espelho De Carne » (1983) d’Antonio Carlos Fontoura, le film « Gulabi Aaina » (« The Ink Mirror », 2003) de Sridhar Rangyan, le film « I’ll Be Your Mirror » (1996) de Nan Goldin, le film « Jeu de miroir » (2002) d’Harry Richard, etc.
« Oh mon Dieu ! Mes yeux n’ont jamais vu de richesses pareilles ! Ah, je ris de me voir si belle en ce miroir ! » (Lourdes trouvant un miroir dans son coffre, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je vous envie d’aimer les vitres comme vous les aimez. » (Marie-Louise, une brodeuse parlant de Sidonie et de la Reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Hubert, ma psyché ! » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Elle [Sylvia, l’héroïne lesbienne] montra du doigt une petite chouette d’or sommairement travaillée, aux ailes d’émeraude, la tête piquée de diamants avec deux topazes pour les yeux. […] Je revois cet oiseau plus nettement que son visage dont je ne perçois qu’un seul profil – l’autre moitié devenue invisible, à la manière d’un miroir. » (Harry Muslisch, Deux Femmes (1975), p. 30) ; « Le miroir est une femme intersidérale. » (c.f. la chanson « Intersidérale » de Bilal Hassani) ; etc.
Le personnage homosexuel cherche parfois à être plat comme son miroir : « James cultivait l’art d’être superficiel. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 52) Par exemple, dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, adaptée par Pierre Constant, le miroir devient fil de fer du funambule. La nouvelle « Marcovaldo Tarsile De La Tour Montigny Xuclar I Fer Ampolles » (1975) de Terenci Moix raconte l’histoire d’un homme dont l’obsession de sa vie est la « longitude ». Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont se prend pour une vitre de pare-brise de voiture : « Déjà réincarné ?!? Efficace, le système informatique là-haut ! Quoi ? En vitre ??? Je crois qu’il y a une erreur. […] Tout le monde ne parle pas miroir. […]Je suis superstitieux ? Superficiel ?? Je sais. » Dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau, la Bête énumère les 5 instruments sur lesquels repose son pouvoir : « Mon miroir, mon gant, mon cheval, ma rose et ma clé d’or. »
Le miroir permet au héros homosexuel de fuir sa réalité et le monde : « Comme si j’étais assis là-haut au Paradis, de l’autre côté de ma vie, mon paradis acquis. » (cf. la chanson « Soudain » d’Étienne Daho) ; « Le monde est froid. Subitement distant verni aseptisé. Je le regarde à travers cette vitre. Je le vois loin, hors de portée. J’en suis comme en retrait, exclue, ou au moins séparée. […] C’est entre 8 et 9 ans que je me suis décollée du monde – ou plutôt qu’il a décollé de moi pour être donné en spectacle – et depuis je cherche en vain comment y rentrer et m’y fondre, comment retraverser la vitre. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) Par exemple, dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, Fayçal Ben Checri, le héros homosexuel, est en train de répéter ses pas de danse classique devant son miroir. Dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Gabriel, l’adolescent homosexuel rêveur et déprimé, est toujours filmé derrière une vitre de voiture, de vitre de bus.
Le miroir donne l’illusion de dépasser les 4 frontières du Réel humain et de l’Amour que sont la différence des sexes, la différence des générations, la différence des espaces et la différence Créateur/créatures : « Vous, Oiseaux-Comédiens, aidez-moi à franchir le miroir… de l’enfance perdue. » (Camarade Constance dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina. » (Cody, le héros homosexuel efféminé nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « Je suis de l’autre côté du miroir. » (Damien, travesti M to F de la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai recollé mes morceaux. » (Mr Alvarez, travesti M to F, idem) ; « Je m’examinais longuement dans le miroir. » (la narratrice transgenre F to M au moment de se travestir en homme, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; etc. Par exemple, dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette se sert du miroir pour se prendre pour se lesbianiser et se vieillir afin de séduire sa prof de français. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Miriam, l’héroïne transsexuelle F to M (transformée en « Lukas »), passe son temps à se scruter dans le miroir, et vit l’angoisse du Dorian Gray. Pendant tout le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, la jeune Laure (qui se prend pour un garçon) se regarde sans cesse dans le miroir.
Le miroir est figure d’inversion sexuelle. Par exemple, dans le film « Jeu de miroir » (2002) de Harry Richard, les deux frères jumeaux (dont l’un est homo) portent des prénoms-anagrammes : Leon et Noel. Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, Rayon, le héros transsexuel M to F, a plein de photos d’actrices autour de son miroir. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, le miroir est omniprésent dans le quotidien des personnages, et surtout ceux qui sont intersexes et transsexuels. Le film démarre par Rana qui se regarde dans sa glace de rétroviseur de voiture. Plus tard, alors qu’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M se rase la barbe (ou plutôt fait semblant de le faire), elle est surprise par l’arrivée d’Akram, la belle-mère de Rana, qui l’a vue dans la salle de bain, et elle se coupe au visage. Adineh sanglotte comme une enfant devant son miroir. Mais finalement, plus de peur que de mal : « J’aurais pu te taillader le visage ! » la prévient quand même Akram. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, vit sa vie à travers les miroirs. Par exemple, quand il parle devant sa glace, il imite un dialogue entre Dick et sa compagne Marge, en alternant la voix masculine puis féminine… parce qu’il est amoureux de Dick.
Le soupçon intime d’homosexualité chez le personnage homosexuel a parfois besoin du monde du miroir pour acquérir une consistance. Je vous renvoie au film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano. Dans le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, François se répète plusieurs fois de suite devant sa glace qu’il est homo. Dans le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, Sita, l’héroïne lesbienne fait de même.
Il est fréquent qu’Alice au pays des merveilles (celle qui a traversé le miroir du sommeil pour entrer dans la rêverie puérile) apparaisse dans les créations homo-érotiques : cf. la pièce musicale Rosa La Rouge (2010) de Marcial Di Fonzo Bo et Claire Diterzi, le one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie (avec Alice, transgenre F to M), le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec l’histoire du petit homme qui traverse le miroir), la photo Miroir d’Alice (1932) de Duane Michals, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Francis, le héros homosexuel, qui a « vu un lapin blanc »), la chanson « Dans un autre pays » de Goûts de luxe, etc.
« Je m’appelle Alice, comme Alice au pays des merveilles. » (Chiara dans le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo) ; « C’est pas vrai, la vieille Alice ! Je te croyais à l’hospice ! » (Fifi s’adressant à son ami travesti M to F Mimi – c’est la première phrase de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je viens de l’autre côté du miroir, […] du côté du faux jardin. » (le narrateur de la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; etc.
Le héros homosexuel essaie, en vrai marginal, de traverser le miroir : cf. le roman La Traversée des apparences (1948) de Virginia Woolf, le film « À travers le miroir » (1961) d’Ingmar Bergman, les films « Orphée » (1949) et « Le Sang d’un poète » (1930) de Jean Cocteau, le poème « Del Otro Lado » de Luis Cernuda dans le recueil Desolación De La Quimera (1956-1962), la pièce Antigone (1922) de Jean Cocteau, le film « Tras El Cristal » (1986) d’Agustí Villaronga, le roman Le Syndrome de Lazare (2007) de Michel Canesi et Jamil Rahmani, le film « Del Otro Lado » (1999) de C. A. Griffith, la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Ieperen, le tableau Le Faux Pas (2002) de Michel Giliberti, etc.
Dans les créations homo-érotiques, le passage du miroir est parfois symbolisé par un simple voile, une forêt de linge étendu sur des cordes, ou un rideau opaque : cf. le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, le film « Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la lune ? » (2001) de Chris Vander Stappen, le film « W » (1998) de Luc Freit, le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola (avec les barrières de linge entre Antonietta et Gabriele le héros homosexuel), etc. « La dentelle, c’est comme un miroir. » (Doña Augusta dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, p. 19)
b) Le narcissisme individuel :
Le héros homosexuel très souvent se voue un culte à lui-même et à son image spéculaire (il ne fait pas la différence entre les deux). Il est très proche du personnage mythologique de Narcisse : cf. le roman A Sodoma En Tren Cobijo (1933) d’Álvaro Retana (avec le personnage de Nemesio), le film « Le Narcisse noir » (1947) de Powell et Pressburger, le film « Image In The Snow » (1940) de Willard Maas, cf. le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos (avec Silverio devant son miroir), le film « Pink Narcissus » (1971) de James Bidgood, le roman Le Traité de Narcisse (1891) d’André Gide, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec la femme-fillette lesbienne allongée près d’un étang artificiel d’eau), le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès (avec le visage dans l’eau), la chanson « Narcissus Is Back » de Christine & the Queens, etc.
Par exemple, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry affirme dès le début qu’il n’y a que lui qui l’intéresse. La première scène du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne est précisément le moment où Guillaume, le héros bisexuel, se maquille et se raconte devant sa glace de coulisses théâtrales. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, n’arrête pas de se peindre elle-même en autoportrait. Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca passe son temps à renifler et effleurer son corps, à se palper. Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, réclame toute l’attention à lui tout seul : « Personne ne me regarde ! »
Il arrive que le héros personnage s’aime tellement qu’il se prend pour un être immanent, auto-créé, divin : « Et oui, Dieu était une femme… allez y touchez, touchez… Je comprends, vous êtes impressionnés… Moi, aussi, à chaque fois que je me regarde dans une glace… Ça me fait pareil… C’est tellement beau. J’comprends que vous ayez tous les yeux fixés sur moi. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’espère, avec un peu de chance, que dans le monde entier, y’aura des meufs qui auront des posters de moi dans leur chambre ! » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne, en conclusion de son one-woman-show Chaton violents, 2015) ; « Ton fils c’est ton portrait craché. Tout pour l’apparence. » (Laurent Spielvogel imitant son père parlant à sa mère, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Le problème, c’est que tu n’aimes que toi. » (Adrien s’adressant à Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « Tu ramènes tout à toi. » (idem) ; etc.
c) Le narcissisme collectif et communautarisé :
Mais le narcissisme homosexuel n’est pas qu’individuel. Il semble réunir la majorité des amis homos du héros gay. « On fuit toutes certaines réalités face au miroir. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, parlant au nom de toutes les femmes lesbiennes). Par exemple, dans le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo, ou encore dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, tous les personnages se regardent continuellement dans le miroir. Le film « Far West » (2002) de Pascal-Alex Vincent démarre sur une scène de chorégraphie de groupe de potes gays devant un grand paroi spéculaire de salle de danse. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, les miroirs sont omniprésents : dans la vie intime des héroïnes lesbiennes, mais aussi dans leur univers de beaux-ardeux. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, le groupe de potes homos est présenté comme un concentré de narcissiques. « Tu passes des heures devant ton miroir, passées à mettre des crèmes et des masques. Et on ne voit même pas la différence. » dit par exemple Michael à son colocataire Harold. Quant au personnage hyper efféminé d’Emory – qui affirme avoir « fait du patin à glace » dans sa jeunesse –, il se repoudre le nez devant sa glace en faisant sa précieuse : « Je ne suis pas prête pour le gros plan, M. DeMille. Il va falloir attendre. » Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc, le héros homosexuel, évoque, concernant le « milieu homo », « ces boîtes à la mode où la jeunesse pavane sa beauté, ses pectoraux et son linge neuf en un perpétuel spectacle de soi-même » (p. 226). Dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, le monde du miroir est présenté comme le « milieu homosexuel ». Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Graziella, l’agent de Tom (le héros homo) qui veut le forcer à paraître hétéro, lui soumet un test de questions pour savoir s’il arrive à rentrer dans la peau de son personnage. Et l’un des questions est : « Football ou patinage artistique ? » Tom prend sur lui pour répondre « Football »… mais le « naturel » ne tarde pas à revenir au galop.
d) Le miroir est la figure de l’éclatement identitaire :
À force de se regarder de trop près le nombril, un certain nombre de personnages homosexuels finissent par ne plus pouvoir se voir du tout : cf. le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le film « Amnesia – The James Brighton Enigma » (« Amnésie, l’énigme James Brighton », 2005) de Denis Langlois, le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu (avec le miroir-clapet de Kena, l’héroïne lesbienne divisée), etc.
« Dans l’rétro ma vie qui s’anamorphose. » (cf. la chanson « California » de Mylène Farmer) ; « Surprise, elle me dévisage sur le cliché et puis en chair et en os, et après se regarde longuement dans la glace. J’accroche la photo au coin du miroir, et me reflète à mon tour. Je suis derrière elle, et je lui parle à l’oreille, fixant son double qui me fait face. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 47-48) ; « Je comprends pas mon corps. Le plaisir qu’il trouve, et qu’il prend, à savoir les yeux d’Irène dans un coin du miroir. Sa volonté de se soumettre aussi vite à la nécessité qui l’oblige. Ce que sa main droite est en train de faire sous le drap bleu, qui me donne la honte rouge. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 86) ; etc.
Le héros homosexuel vit tellement dans l’horizontalité et la superficialité de son désir qu’il finit par croire ou vivre la chute sans s’en rendre compte. Le vertical surgit inopinément de l’horizontal. C’est le cas dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, où la chute dans les graviers succède à la scène du miroir narcissique. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, a du mal à se tenir droit, et à rester droit… si bien qu’il se croit atteint de vertiges et de signes physiques montrant qu’il est malade du Sida.
Le symbole du miroir brisé, multiple ou kaléidoscopique est omniprésent dans la fantasmagorie homosexuelle : cf. la couverture de l’album « The Irrepressibles » du groupe Coop (avec les 4 visages coupés en 2 de Jamie McDermott), la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely (avec le miroir fragmenté), la pièce Betty Speaks (2009) de Louise de Ville, le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, la chanson « En miettes » d’Oshen, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le film « Grande École » (2004) de Robert Salis, le film « Happy Together » (1997) de Wong Far-Wai, le film « Swimming Pool » (2003) de François Ozon, le film « La Femme du chef de gare » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Mulholland Drive » (2001) de David Lynch, le film « Casablanca » (1942) de Michael Curtiz, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Thomas trébuche » (1998) de Pascal-Alex Vincent, le roman La Sombra El Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar, le film « Miroirs brisés » (1984) de Marleen Gorris, le vidéo-clip de la chanson « College Boy » d’Indochine (avec le miroir brisé dans le casier), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec Ayrton se regardant avec mépris devant sa glace à plusieurs battants), etc. « Toutes les vitres avaient volé en éclats, même celles des miroirs, ainsi que la vaisselle et les bouteilles. » (Copi, « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 33) ; « Oh, merde, j’ai un kaléidoscope dans la tête ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Une rêverie de cristal éveillait peu à peu son âme dans un courant de plaisirs. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite en 2003 par un ami angevin, p. 30) ; « Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas ; mais homo, bi, hétéro c’est pareil, on ne mange pas dans les assiettes cassées. » (le chauffeur taxi dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 120) ; « Des images se projetaient dans mon esprit, tels les morceaux d’un miroir fracassé. » (Éric, le héros homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 115) ; « Le Masque est tombé. Le Miroir brisé. Qui peut m’regarder sans me juger ? » (cf. la chanson « Si mes larmes tombent » de Christophe Willem) ; etc. Par exemple, dans la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, les deux amis transgenres M to F, Jacques et Damien, se rendent ensemble voir un film expérimental, « Éclat de viande », au cinéma. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, les miroirs sont très présents et renvoient toujours à l’angoisse du héros homo, Frankie : il se scrute tout le temps pour savoir s’il a des tâches de Sida sur la peau ; et à chaque fois qu’il se regarde dans le miroir, il finit toujours par se voir flouté. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, peut s’admirer partout dans les nombreux miroirs de sa salle de bain. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Louis, le héros homo « qui ne s’assume pas », prononce plusieurs fois devant son miroir « Je suis pas homo », avant de le briser comme un boxeur. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), Kelly, l’héroïne lesbienne, brise son miroir dans les toilettes de la boîte.
Les héros homosexuels visent tous inconsciemment à devenir l’androgyne, cet être divisé, éclaté, hyper-sexué et asexué à la fois, kaléidoscopique, à plusieurs faces comme le diamant ou le diable : « Le Dieu des Hommes […] s’éleva de 7 mètres au-dessus de nous, allant se placer haut à l’intérieur de l’aiguille de la Sainte-Chapelle dont les vitraux à mille et une couleurs produisaient sur lui (un barbu blanc aussi poilu qu’un ours polaire) un effet de kaléidoscope très agréable. » (Gouri, le rat bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 85) ; « Elle me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo. » (Yvon en parlant de la dangereuse Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 264) ; etc. Par exemple, dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, c’est l’angoisse pour l’héroïne bisexuelle Nina, qui se voit partout dans les miroirs et qui se sent attaquée par eux, par elle-même, dans un élan d’autodestruction étrange et irrationnel.
e) Le miroir est la figure de la haine de soi, du viol et de la mort :
Comme le miroir éloigne le héros homosexuel de lui-même et des autres, il finit par lui apparaître comme un menteur ou un méchant reflet. « Jane s’assit au bout du lit et vit un instant le visage de sa mère en train de lui sourire dans le miroir de la penderie. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 105) ; « À l’intérieur, l’excès de miroirs était censé exprimer une certaine idée du luxe, mais les reflets importuns l’énervèrent. » (Jane, l’héroïne lesbienne par rapport à la salle de bain, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 17) ; « Sur le moment, il me semble qu’un tiers se tromperait à prétendre me désigner lequel, de mon reflet ou de moi, est l’original et lequel la copie. […] Moi Vincent Garbo regardant celui qui me regarde, la bénéfique utilité du miroir se retourne en maléfice : non seulement mon reflet a pour moi cessé d’être la preuve que je peux être vu, que je suis dans cette pièce et que je pourrais en sortir, mais il me persuade même carrément du contraire. Je ne serais pas du tout surpris de voir l’autre quitter le miroir et d’être obligé d’attendre qu’il y revienne pour pouvoir exister encore un peu. » (Quentin Lamotta, Vincent Garbo (2010), p. 53) Il déclenche en général chez le protagoniste homosexuel l’hilarité, la cruauté, le mépris ou le sentiment d’être merdique : cf. le roman Défauts dans le miroir (1981) de Patrick White. « Je ris de me voir si con dans ce miroir. » (cf. le film « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander) ; « Vidvn riait devant le miroir de l’archevêque, pavoisant. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 125) ; « On n’a même pas de miroir, dans ces satellites ! Je vais me regarder dans l’eau des waters ! » (Loretta Strong, le héros travesti M to F, dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Épreuve du miroir. Le jeu des 7 erreurs. » (Djalil s’adressant à sa mère dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Mon prof de philosophie mort en mirant son reflet dans un miroir fendu scandalisé par sa laideur ! » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite en 2003 par un ami homosexuel angevin, p. 63) ; « Cesse d’enfiler cette cagoule comme un singe qui découvre son reflet dans le miroir ! » (le Père 2 s’adressant à son futur gendre homosexuel, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; etc. Par exemple, dans le film « Rebel Without Cause » (« La Fureur de vivre », 1955) de Nicholas Ray, Jim (James Dean), le héros bisexuel, déclare à son amie Judy (Natalie Wood) que son reflet dans son miroir de poche ressemble à une guenon.
Alba – « Tu t’es regardée dans un miroir dernièrement ?
Zulma – Non.
Alba – Eh ben fais-le. Tu feras des cauchemars. »
(Alba parlant de sa mère Zulma dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet)
« J’ai presque couru jusqu’aux toilettes, comme si j’allais vomir au lieu de pleurer, me suis assise sur le couvercle de la cuvette et j’ai pleuré, pleuré, sans comprendre pourquoi. J’ai regardé mon reflet dans le miroir de la salle de bains, les traces de larmes, les yeux rouges, et je me suis souvenue d’une chose, juste une chose, d’un moment semblable, d’une époque semblable. Où je me regardais dans ce miroir. En pleurant. Je savais ce que c’était. La sonnette de la porte d’entrée a retenti. » (Ronit, l’un des héroïnes lesbiennes du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 167) ; « Je me suis enfermée à clé dans la salle de bains. Je me souviens des gouttes de sang écarlates dans le lavabo, d’une couleur incroyable, du tourbillon rouge et rose quand j’ai ouvert le robinet. Je me souviens d’avoir pleuré, un peu. D’avoir été étonnée de pleurer. De m’être regardée dans le miroir, au-dessus du lavabo, d’avoir vu mon visage en pleurs, sans reconnaître mon propre reflet. » (idem, p. 219) ; « J’avais rêvé que j’observais le viol de lady Philippa par les vitraux brisés de la chapelle. En même temps, j’étais lady Philippa moi-même, contemplant terrorisée mon propre visage dans l’ouverture en forme d’ogive, depuis la pierre tombale où je subissais ce terrible attentat. En revanche, mon agresseur lui-même n’était dans mon rêve qu’une masse sombre et sans visage. » (Bathilde dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 303) ; « Une ou deux minutes passèrent, puis, levant les yeux, il se vit soudain dans un miroir incliné au-dessus du lit et remarqua que sa cravate était de travers ; il répara aussitôt ce désordre de ses grosses mains qui tremblaient un peu. ‘Ça, par exemple !’ murmura-t-il. Plusieurs fois il répéta cette phrase sur le ton d’une grande surprise, et, sans regarder le lit, tourna les talons et gagna la porte. » (Paul Esménard après le meurtre de Berthe qu’il a étranglée, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 117) ; « J’ai fait installer des miroirs pour que vous puissiez mourir au pluriel. » (Merteuil dans la peau de Valmont, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc.
Le miroir brisé est souvent un signe d’inceste, de viol, de mort et de suicide dans les fictions homo-érotiques : cf. le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls (avec le meurtre sous les douches municipales), le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre (avec Eloy, le prostitué qui se regarde toujours dans la glace), le film « Le Miroir de l’obscène » (1973) de Jess Franco, la pièce Bodas De Sangre (Noces de sang, 1932) de Federico García Lorca, le recueil de poésies A Través De Un Espejo Oscuro (1988-2004) de Leopoldo Alas, le roman La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar, le poème « El Inquisidor Ante El Espejo » (1977) de Vicente Aleixandre, le film « La Tour Montparnasse infernale » (2000) de Charles Némès, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré (avec notamment Narcisse, l’imbuvable), le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, etc. « Les miroirs de la salle de bains étaient couverts de buée, mais elle voyait l’étrangère qu’elle était devenue, difforme et vaguement rose dans la glace embuée. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 41).
Par exemple, dans la mise en scène par Adrien Utchanah en 2010 de la pièce La Pyramide (1975) de Copi, on entend un bruit de miroir brisé précisément quand la Vache sacrée se poignarde le cœur. Dans la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz, la reine Marguerite se plait à admirer, horrifiée, sa « laideur » devant son miroir au moment de commettre un crime. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a besoin du miroir pour croire en son horreur, pour se la rendre réelle. Elle récite, comme une femme possédée, un discours « diabolique », après avoir empoisonné mortellement son frère adoré Paul : « Il faut rendre la vie invivable. Il faut être laide à faire peur… » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, sous la douche, Clara, l’héroïne lesbienne, voit dans une flaque le reflet riant et diabolique d’un de ses agresseurs lesbophobes. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le miroir brisé des toilettes de la boîte gay apparaît pile dans la scène où le pasteur homophobe Ralph va pénétrer par sodomie un jeune homme qui a reconnu sa double vie. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, la fenêtre est souvent le miroir dans lequel l’héroïne lesbienne, Charlène, contemple sa propre triste ou l’horreur de son acte criminel. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique pour rajeunir. Le résultat n’est d’ailleurs pas toujours à la hauteur de ses espérances. Il parle « des effets mordants du peeling » et des ratés de son médecin qui le bronze de trop. Et il découvre horrifié sa gueule de « gros lézard qui mue » dans un double miroir. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, à la fin, la grand-mère de Tommaso (le héros homosexuel) se maquille pour retrouver la jeunesse de ses vingts ans, face à plusieurs miroirs, avant de se suicider. Dès les premières images du film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on voit le protagoniste homosexuel, Davide, regarder par le trou des interstices de ses miroirs. Il s’est composé une caverne de miroirs cachés dans le grenier familial dans laquelle se réfugier secrètement. Un jour, son père, ayant découvert sa cachette, l’entraîne de force dans le grenier pour que Davide le voie détruire au marteau tous les miroirs. Dans ce film, ces derniers sont tellement signes de souffrance, de destruction narcissique, que la dernière image montre Davide face à son reflet spéculaire, en train de crier d’horreur.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Miroir, mon beau miroir :
Il est étonnant de voir l’idolâtrie des personnes homosexuelles pour les miroirs. Je vous renvoie au documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz ainsi qu’au documentaire « Mirror, Mirror » (1996) de Baillie Walsh. Dans Logique du sens (1969), Gilles Deleuze s’intéresse à la traversée du miroir dans le chef-d’œuvre de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles (De l’autre côté du miroir).
« La dualité m’a toujours fasciné, tout comme les miroirs et les images filmées. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 35)
Par exemple, l’artiste femme performer Orlan considère son corps comme un média, comme un instrument de son désir de nomadisme : « Je suis une homme et un femme. » Elle s’entoure de miroirs pour « se voir à l’intérieur ». Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Edwarda, une visiteuse du musée illuminée, observe dans un tableau de Balthus représentant une femme dans sa salle de bain un fantôme ou une Alice enfermée dans un placard-miroir : « Le miroir devait faire la même taille que la toile. »
D’ailleurs, le soupçon intime d’homosexualité (y compris celui que les personnes homosexuelles projettent sur « les hétéros ») a parfois besoin du monde du miroir pour acquérir une consistance. « Les machos – comme les camionneurs, les flics, les joueurs de football – sont beaucoup plus complexes qu’ils ne veulent le reconnaître. Ils ont des besoins qui sont pour eux carrément inexprimables. Ils n’osent pas se regarder dans le miroir. C’est pourquoi ils ont besoin des pédés. Ils ont inventés les pédés afin d’accomplir un fantasme sexuel sur le corps d’un autre homme sans en assumer la responsabilité. » (James Baldwin, « Go The Way Your Blood Beats » : An Interview… » de Richard Goldstein, Village Voice, 26 juin 1984, pp. 13-16); « Je me regarde dans la glace et je contemple mon visage. […] Je me dis à voix haute que je suis homosexuel ! Je me le répète deux, trois, quatre fois. » (Alexandre Delmar, Prélude à une Vie heureuse (2004), p. 119) ; etc.
Par exemple, il n’y a qu’à regarder le nombre de miroirs de notre existence (les tables de lycée, les plexiglas des métros, les graffitis aux toilettes publiques, etc.) où sont gravés les mots « PD » ou « enculé » pour découvrir que l’homosexualité est une vérité avant tout spéculaire. Autre exemple : dans l’émission Jour après Jour (novembre 2000) animée par Jean-Luc Delarue sur la chaîne France 2, Jérôme affirme qu’il a été obligé de répéter plusieurs fois à son propre reflet dans le miroir qu’il était homo pour assumer une homosexualité qu’il ressentait comme monstrueuse.
b) Le narcissisme individuel :
La passion de certaines personnes homosexuelles pour le miroir dévoile leur croyance en leur auto-engendrement. Pour le psychanalyste Alfred Adler, « la perspective homosexuelle se développe très tôt chez des enfants égocentriques. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 200) Beaucoup d’entre elles construisent autour de leur être un véritable culte de la personnalité. Il suffit d’observer leur rapport aux miroirs, en discothèque notamment, ou bien encore leur attitude de femme fatale ou de dandy en présence d’un appareil photo, pour le constater. Elles se scrutent sans arrêt et pâtissent de la maladie du Don Juan qui cherche constamment à plaire, à faire plaisir, et à savoir ce que les autres pensent de lui, sans jamais arriver à satiété. Cela se transforme souvent en onanisme : « Les choses du cul sont la santé même ! Il s’agit de jouir loyalement de son être. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976)
Certains créateurs homosexuels construisent carrément des Narcisses modernes avec leurs caméras et leurs appareils photos. Par exemple, les photographes Pierre et Gilles ont fait de Matthieu Charneau leur nouvelle égérie, leur « Narcisse ».
Pendant son concert à L’Européen de Paris le 6 juin 2011, la chanteuse trans F to M Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « lesbienne invisible », qui se fait appeler désormais « Océan ») se regarde dans son verre à pied, s’arrange et s’adore dans son reflet : le verre en cristal lui sert de miroir narcissique. Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, est obsédé par son miroir. Ce dernier est comme une drogue auto-destructrice. D’ailleurs, les images du film oscillent entre des plans rapprochés de portraits de Victor au miroir et de prises de médicaments. À un moment, un des miroirs dans lequel il se voit lui présente une image triplée de lui-même.
Les personnes homosexuelles, en général, à travers leur focalisation sur le miroir, montrent qu’elles n’ont pas accepté leur corps et son unicité. Autrement dit, dans un jargon psychanalytique, elles n’ont pas fait coïncider l’image de leur Moi avec leur propre corps (cf. le stade du miroir décrit par Henry Wallon). Elles sont donc tentées de rechercher chez les autres un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisées (= « elles en mieux »).
c) Le narcissisme collectif et communautarisé :
Le narcissisme homosexuel ne se limite pas à l’individu qui se ressent homo. Il s’étend à toute la communauté LGBT. En effet, le discours de beaucoup d’intellectuels homosexuels, notamment ceux des Queer & Gender Studies, flatte le narcissisme interlope dans une défense poétisante de l’identité homosexuelle en tant que projection de soi éclatée, indéfinissable, circonscrite au ressenti et à l’initiative strictement individuels. Par exemple, dans son essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), Natacha Chetcuti s’attache de manière très narcissique à « la manière de se percevoir » (p. 65) en tant que lesbienne, à la « mise en scène de soi » (p. 96), au « processus d’énonciation » (p. 14) du MOI homosexuel. Elle délaisse la question fondamentale du « Qui suis-je ? » ou du « Quel est le sens du désir homosexuel ? » pour lui préférer celle du « Comment je me dis ? [… après m’être caricaturé et inventé une identité originale et inédite] », du « Comment je me vois et me définis ? » : « Le terme d’autonomination est à considérer en tant que processus : il ne désigne ni un état, ni une condition des individus, mais bien au contraire une définition de soi constamment rejouée ou renégociée. » (p. 35) Il s’agit de se ré-inventer soi-même par l’amour homosexuel, l’homosensualité, son reflet spéculaire déconstruit/reconstruit. C’est le genre en tant qu’« allure, présentation de soi, manière d’être dans le corps » (p. 70) qui primerait. Nous ne sommes plus dans la recherche de Vérité mais dans le plaisir de se raconter (… dans un reflet aquatique indomptable que serait le désir). Natacha Chetcuti veut « étudier les modes d’autodéfinition qui permet de comprendre comment les lesbiennes se pensent et se construisent pour elles-mêmes. » (p. 19)
Ce nombrilisme identitaire et amoureux s’observe aussi loin des sphères « intellectuelles » et universitaires. Il rejoint la presse gay et le milieu association. Par exemple, le premier numéro de la revue gay Miroir/Miroirs, la revue des corps contemporains est sorti en France en septembre 2013. Il était consacré à Grindr et aux applications Smartphones pour la création des rencontres amoureuses homos.
d) Le miroir est la figure de l’éclatement identitaire :
À force de se regarder de trop près le nombril, un certain nombre de personnes homosexuelles finissent par ne plus pouvoir se voir du tout. C’est la raison pour laquelle Raymond Rosenthal disait du dramaturge nord-américain Tennessee Williams qu’il « souffrait d’un profond narcissisme qui l’empêchait de regarder à l’intérieur de lui-même ».
« Mon père pensait que le football m’endurcirait et il m’avait proposé d’en faire, comme lui dans sa jeunesse, comme mes cousins et mes frères. J’avais résisté : à cet âge déjà je voulais faire de la danse ; ma sœur en faisait. Je me rêvais sur une scène, j’imaginais des collants, des paillettes, des foules m’acclamant et moi les saluant, comblé, couvert de sueur – mais sachant la honte que cela représentait je ne l’avais jamais avoué. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 30).
Beaucoup de créateurs homosexuels ont utilisé dans leurs œuvres des miroirs fragmentés : Marcel Duchamp, Jean Cocteau, Louise Bourgeois, Claude Cahun, etc., comme pour figurer leur désunion intérieure (cf. je vous renvoie au code « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, ainsi qu’au documentaire « Kaleïdoskop » (2004) retraçant le parcours artistique de Philippe Découflé). Par exemple, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, se surnomme lui-même « Linn da Quebrada » (Linn la brisée) et se compare à « ces éclats de miroir brisé où se réfléchit l’Homme créé à l’image de Dieu ».
« Ma vie intégrait cette limite. Elle se fendillait dans les épreuves quotidiennes, se nourrissait d’être aimée pour ce que j’étais et non comme un idéal. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 59) ; « Faut-il que tout glisse et tout passe ? » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 96) ; etc.
e) Le miroir est la figure de la haine de soi, du viol et de la mort :
Le narcissisme homosexuel (tout comme le narcissisme hétéro-bisexuel) entraîne concrètement les personnes homosexuelles qui s’y adonnent sur les sentiers du mépris de soi, de l’homophobie, de la haine, de la violence, du viol, de maladie, de la prostitution : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pour la première fois après l’accident. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167) ; « Entre mon miroir et mon corps, raccourcir la laisse… Et maintenant, à nous deux. » (la photographe lesbienne Claude Cahun) ; « Si je me regarde dans le miroir, je peux être agressif avec moi-même, ou déprimé. » (la femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) ; « Devant le petit miroir de sa loge, après avoir rasé, une fois de plus, son visage déjà ravagé par les nuits sans sommeil et les fards trop lourds, Claude se coiffe. » (Jean-Louis Chardans décrivant un homme travesti M to F, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 36) ; « Il aura fallu que je m’habitue à ce visage décharné que le miroir chaque fois me fait voir comme ne m’appartenant plus mais déjà à mon cadavre, et il aurait fallu, comble ou interruption du narcissisme, que je réussisse à l’aimer. » (Hervé Guibert, parlant de son corps ravagé par le Sida, dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001), p. 500) ; « Il suffisait, je le savais, d’un rien, d’un geste, d’une sensation, pour que le miroir bascule et que l’envers du décor rempli d’abîmes et de dangers disparaisse. » (Berthrand Nguyen Matoko face à la proposition d’un poste de prostitué, Le Flamant noir (2004), p. 117) ; « Je me rencontre – comme par exemple devant la glace le matin – et ce n’est pas les rencontres que je préfère. C’est pas toujours très marrant. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.
La relation narcissique au miroir est synonyme de mort. Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau par exemple, on en trouve une belle illustration puisque les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort (Maria Casarès) va et vient sur Terre. Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand Bonello, en s’observant nu devant son miroir, y voit progressivement une tache inquiétante au dos. Une tache qui l’inquiète. La mort donnée par le miroir n’est pas aussi réelle que certaines personnes homosexuelles le croient : elle est d’abord symbolique et psychique, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas être imparfaitement réelle, et donc concrètement violente si dans leur quotidien les individus donnent davantage raison à la profondeur du miroir qu’à la profondeur de la vie réelle.
Par exemple, le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton se finit sur une image digne d’une glaçante actualisation du drame narcissique de Dorian Gray : juste avant de se rendre à la vente aux enchères de sa propre collection, Pierre Bergé contemple sa triste figure de requin matérialiste et égoïste qui a dédié sa vie aux objets et qui a perdu son âme humaine. Dans l’émission Danse avec les stars 6 du 28 novembre 2015, le chanteur Loïc Nottet avoue que, lorsqu’il était jeune et se regardait dans la glace, il s’imaginait non pas être face à lui-même mais face à un « double diabolique ».
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