Cannibalisme
NOTICE EXPLICATIVE :
Un « amour » qui bouffe
Certains d’entre vous, qui connaissent un peu mon parcours, s’étonnent que j’aie été convié, le 15 février 2012, à faire une conférence sur « Homosexualité et Cannibalisme » lors d’un colloque Journée d’étude … Et la chair s’est faite verbe… : Métaphores du cannibalisme dans les arts et la littérature, à l’Université Rennes 2 Villejean. Pourtant, pas de quoi ouvrir des yeux ébahis. Il y a tant de choses à dire rien que sur ce lien ! Et on peut voir combien la thématique de l’homosexualité peut, une fois qu’elle n’est pas justifiée, être prise par une infinité de bouts !
Saint Thomas d’Aquin, à son époque, avait été bien inspiré d’associer les actes homosexuels à la gourmandise. Car en effet, on voit et on entend chez la majorité des personnes homosexuelles actuelles ce désir de gober leur amant, de l’absorber par amour. « Son corps était si beau et je le désirais tant que j’ai eu tout simplement envie de le manger. » (J. R. Ackerley dans Mon Père et moi (1968), sur le site www.islaternura.com) Souvent dans leurs discours, les aliments correspondent à l’être aimé qui pourrait être ingéré : je pense aux croque-monsieur souvent cités, aux amants-bonbons de Félix González-Torres (cf. l’article « Felix Gonzalez-Torres » d’Élisabeth Lébovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 226), aux amants-brochettes de Manuel Puig, etc. Pendant les soirées, on est parfois époustouflé d’écouter certains amis traitent leur copain – la plupart du temps devant tout le monde et en sa présence, en plus ! – de « gourmandise », de « casse-croûte », ou d’un nom de marque de biscuits chocolatés, sans que l’intéressé trouve cela injurieux… sûrement parce que lui-même rentre aussi dans le jeu de la consommation réciproque. « Affamé de blonds… À l’entendre parler de ses semblables, on aurait cru qu’ils étaient des mets sur un menu. » (Catherine à propos de son cousin homosexuel Sébastien, dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz)
Le cannibalisme est un lieu commun extrêmement représenté dans l’art homosexuel. Il concerne prioritairement les corps morts car le désir homosexuel tend vers la nécrophilie et l’anthropophagie. « Après je l’ai rejoint dans sa chambre. Alors on s’est dévorés et il n’est plus rien resté. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 34) Il s’agit d’un cannibalisme de rapaces, non de ceux qui mordent la vie à pleines dents. « J’ai mordu Lucien jusqu’au sang. J’espérais le faire hurler, son insensibilité m’a vaincu ; mais je sais que j’irais jusqu’à déchiqueter la chair de mon ami, à me perdre dans un carnage irréparable… » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 162) La communion recherchée s’oriente davantage vers la mort que vers la vie. « Émotion sublime de ma nudité contre la sienne : jamais si grand bonheur. T. me dit : ‘Je mangerai ton cadavre’. » (Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (2001), p. 347) Dans les œuvres artistiques homo-érotiques, il est significatif que la bouche et les dents se métamorphosent souvent en épées, les baisers en épines, les yeux en marteaux piqueurs. Beaucoup de personnes homosexuelles ne vénèrent plus l’autre puisque l’amour de sa chair va jusqu’à l’absorption symbolique. Fantasmatiquement, la distance entre le sujet et l’objet s’efface, et dans cet effacement le « je » se perd également, alors qu’il prétendait, par un rapprochement fiévreux à la réalité concrète, se retrouver lui-même. On voit souvent, dans les films comme dans la vie quotidienne, des amants se prier de se laisser respirer, de cesser de se marcher sur les pieds. Au bout d’un moment, un certain nombre de couples homosexuels ne tiennent pas du fait que l’un des deux membres supporte apparemment moins bien que l’autre le gavage réciproque (de beaux discours, de sorties, de voyages, de cadeaux, de tendresse, de sexe, d’argent, de musique, etc.) servant à dissimuler en vain que leur amour sonne creux, qu’il ne les rassasie pas, et qu’il les dévore.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Bonbons », « Obèses anorexiques », « Femme-Araignée », « Pygmalion », « Vampirisme », « Extase », « Substitut d’identité », « Liaisons dangereuses », « « Première fois » », « Coït homosexuel = viol », « Mort = Épouse », « Espion », « Chiens », « Fusion », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) Cannibalisme et homosexualité : une même affaire de « goût » :
Le cannibalisme revient comme un leitmotiv dans les œuvres artistiques traitant d’homosexualité : cf. les pièces La Pyramide (1973), Loretta Strong (1974), et Cachafaz (1993) de Copi, la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti, le roman Le Désir du cannibale (1999) de Jean-Paul Tapie, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le film « Cannibal Man » (1977) d’Eloy de la Iglesia, le roman Cannibalisme d’automne (1936-1937) de Salvador Dalí, le roman Cannibales (1998) d’Emmanuel Ménard, la chanson « Crocodile Rock » d’Elton John, le film « Krokodillen In Amsterdam » (1989) d’Annette Apon, le film « Les Deux Crocodiles » (1987) de Joël Séria, la pièce L’Alligator (1987) de Copi et Jérôme Savary, la chanson « Est-ce que tu viens pour les vacances ? » de David et Jonathan (« T’avais les cheveux blonds, un crocodile sur ton blouson. »), le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, le film « Megavixens » (1976) de Russ Meyer (avec les piranhas carnivores), le film « Queer Duck : The Movie » (2005) de Xeth Feinberg, le film « Desperate Living » (1977) de John Waters, le film « La Sentinelle des maudits » (1977) de Michael Winner, la pièce El Público (1930-1936) de Federico García Lorca (notamment avec le très représentatif dialogue entre l’Étudiant 1 et l’Étudiant 5), la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec la chanson « J’ai faim, j’ai chaud, j’ai soif »), le film « Mémés cannibales » (1988) d’Emmanuel Kervyn, le film « Splatter : Naked Blood » (1996) d’Hisayasu Sato, le film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez (avec Macha, le personnage cannibale), le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker, la B.D. La Guerre des pédés (1982) de Copi (avec la meute d’amazones cannibales), la nouvelle « Les Garçons Danaïdes » (2010) d’Essobal Lenoir, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le roman L’Agneau carnivore (1945) de Agustin Gomez-Arcos, le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, le film « Cannibal » (2005) de Marian Dora (retraçant le fameux fait divers qui avait défrayé la chronique en Allemagne en 2001 : un homme de Rothenburg avait contacté par internet un prétendant qui a accepté de se faire manger par lui), le film « Confession d’un cannibale » (2006) de Martin Weisz, etc.
« Tu vas pas aller à l’opéra avec un os de veau accroché dans le cou ! J’t’avertis, j’te laisserai pas sortir de ma maison avec ça dans le cou ! Y vont te prendre pour un cannibale ! » (la mère s’adressant à son fils homosexuel, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 42) ; « Papa est un gros mangeur de viande rouge. » (Claire, l’héroïne lesbienne de la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Les écrivains sont des monstres anthropophages. » (Stéphane, le romancier homosexuel de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Sans courage, on serait toujours condamné à manger de la viande crue. » (la voix-off d’Audrey, l’agresseur homophobe dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Ch’ui peut-être mort de faim mais je ne vais pas non plus me jeter sur un homme ! » (Rémi, secrètement amoureux de Damien avec qui il joue l’hétéro, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Pourquoi tu me mords ? » (Rémi s’adressant à son amant Léo, dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont) ; etc.
Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, lorsque Guillaume, le héros bisexuel, se retrouve dans le cabinet de consultation d’une psychiatre pour adolescents qui lui montre un dessin d’un papillon et lui demande ce qu’il voit, ce dernier lui fournit une drôle de réponse : « On dirait deux rats qui se mangent. » Dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, Joyce, la lesbienne, soutient qu’elle « n’est pas malade » et qu’elle « veut juste un gosse »… mais on découvre qu’elle donne des croquettes à ses enfants, les fait coucher dans des litières, et dit d’un air très pince-sans-rire qu’« elle adore les enfants » et qu’elle « en a déjà mangés 4 ». Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, Penthée est bouffé tout cru par les Bacchantes. Dans la série The Last of Us (épisode 3, 2023) de de Neil Druckmann et Craig Mazin, Frank et Bill tombent amoureux parce qu’ils ont les mêmes goûts : Bill donne à manger à Frank un splendide repas ; Frank joue du piano à Bill sur le piano de ce dernier ; ils goûtent les fraises du jardin qu’ils ont fait pousser eux-mêmes ; même le repas de noces final vient conclure leur couple en beauté.
Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Vera, l’héroïne lesbienne, trouve Nina (l’amante de sa copine Lola) « fraîche » et se moque de leurs rendez-vous culinaires : «Un déjeuner par-ci par-là. » Et en effet, Lola semble complètement dépendante de la génitalité, comme une faim irrépressible : « Ta peau… Je ne peux pas me passer de ta peau. » dit-elle à Nina. Vera et Lola, qui s’étaient organisées un week-end de cuisine bobo élaborée en amoureuses, se ravisent : « Remettons ce week-end gastronomique à plus tard. » (Lola s’adressant à Vera)
Pas étonnant que le cannibalisme, au moins au niveau du désir, attire le héros homosexuel et ses jumeaux de désir, puisque le dénominateur commun de la communauté LGBT sont les goûts physiques, les préférences sensorielles et visuelles, l’orientation sexuelle, … donc ce qui se consomme. Et on remarque bien, notamment en écoutant les motivations des personnages homosexuels, qu’ils se focalisent sur les goûts en pensant parler d’Amour. « Allais-tu me ressembler ? Si tu étais un garçon, aurais-tu les mêmes goûts que moi ? » (Bryan, le personnage homosexuel parlant à son bébé qu’il a eu « accidentellement » avec une femme, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 402) ; « Je connais les goûts de la Reine mieux que vous. » (Sidonie, l’héroïne lesbienne évoquant l’homosexualité de Marie-Antoinette de manière voilée, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Vous avez un sacré bon goût ! » (Azem l’hétéro s’adressant au couple homo Mirko/Radmilo, dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) ; « Petra a bon goût. Plus que la plupart des gens. » (Jane, l’héroïne lesbienne parlant de son amante, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 113) ; « Ça marche, quoi, les hommes ils ont envie d’une fille parce qu’ils pensent que c’est la seule chose qui les fait bander mais un jour où ils sont en manque ils goûtent à la bouche ou le cul d’un pédé et d’un coup ils se rendent compte que ce qui les fait bander c’est le sexe, et pas une fille, quoi. Je suis comme une sorte de terroriste queer comme j’oblige les hommes hétéros de se rendre compte que tout le monde est pédé, quoi, parce que tout le monde bande pour n’importe qui. » (Cody, le héros homosexuel efféminé nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 98-99) ; etc. Par exemple, dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, le fait de toucher les pâtes italiennes chaudes (au moment de leur élaboration) est comparé, dans la bouche de la grand-mère de Tommaso (le héros homosexuel), à la formation de l’amour.
Ce qui lie le cannibalisme et l’homosexualité, c’est la place envahissante qu’ont prise les goûts (par nature individuels) sur l’Amour (une réalité universelle, qui dépasse les goûts, qui tient en compte le sensible mais va bien au-delà du sensible) : « Moi qui suis chrétien, je trouve ça beau d’aimer les corps : aimer la chair, c’est aimer l’Homme. » (Chris à Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 127) ; « La folie des corps… tu sais ce que c’est quand on est jeune. » (Xav dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Il se sentait libre, en connivence avec tous ces garçons […] qui comme lui partageaient une même passion des corps masculins. » (Adrien, le héros homo du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 83) ; « On y mange de l’excellente viande. » (Dr Labrosse à propos de la boîte gay Le Rectum, dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Tout cela n’est qu’une question de goût : ce n’est pas la fin du monde. » (Hlynur à propos de l’homosexualité, dans le film « 101 Reykjavik » (2000) de Baltasar Kormakur) ; « Je commis la folie de porter le mouchoir à ma bouche et de le sucer un peu. Je savais qu’en me voyant faire elle serait certaine que j’avais du goût pour elle, et que, ainsi, j’abandonnais presque tout pouvoir sur sa personne. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 51) ; « Je pense à toutes ces situations que la plupart des femmes ne connaîtront jamais, par ce manque de courage qu’elles ressentent pour assumer leurs goûts au regard des conventions imposées. » (idem, p. 71) ; « Je n’ai pas perdu l’appétit de mieux vous connaître. » (Vita Sackville-West s’adressant par écrit à son amante Virginia Woolf, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.
Dans les fictions homo-érotiques, la référence au goût ou au cannibalisme pour parler du désir homosexuel est un lieu commun. Par exemple, dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, Nicolas est le goûteur attitré de Frédéric. Dans le film « Les Amants criminels » (1998) de François Ozon, Luc est victime d’un viol de la part d’un ogre qui finit par le libérer du refoulement de son homosexualité. Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Fripounet, le serveur efféminé de la boîte gay Chez Eva, porte un tee-shirt avec écrit en gros « Eat me ! ».
À en croire le héros homosexuel (et généralement son créateur), l’homosexualité serait prioritairement une question de goût, donc de relativité, de naturel individuel indiscutable : cf. le roman Un Goût de cendres (2004) de Jean-Paul Tapie, le film « Le Goût des autres » (1999) d’Agnès Jaoui, le film « Un Goût de miel » (1961) de Tony Richardson, le roman Goût de foudre (2004) de Jean-Louis Rech, le film « Le Goût de la cerise » (1997) d’Abbas Kiarostami, le roman Le Goût de Monsieur (2004) de Didier Godard, le film « Aimez-vous les femmes ? » (1964) de Jean Léon (avec la secte anthropophage), etc. « Dans le quartier, on me surnomme l’Impératrice du Bon Goût. » (Zize, le travesti M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Quand t’es gay, t’as du goût. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « T’as toujours eu plus de goût. » (la mère d’Antoine, le héros homosexuel du film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; « C’est pas la hauteur qui compte. C’est le goût. » (Benjamin, homosexuel, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Par exemple, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Hugo et Patrick, pour se draguer et se prouver leur « amour », se remémorent leurs goûts gustatifs respectifs lorsqu’ils étaient au lycée, comme une preuve qu’ils se connaissaient vachement bien et s’aimaient déjà à l’époque.
b) Mon p’tit chou à la crème… :
Très souvent, le protagoniste homosexuel compare son/ses amant(s) à de la nourriture, ou se présente lui-même comme un met à consommer : cf. le film « I’m Your Birthday Cake » (1995) d’Andrew Lau, le roman Le Corps exquis (1999) de Poppy Z Brite, le film « Corps à cœur » (1979) de Paul Vecchiali, le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell (avec l’amant comparé à un bonbon), le film « Omelette » (1997) de Rémi Lange, le one-man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set (avec l’amant-bouffe), le film « Mignon à croquer » (1999) de Lionel Baier, le film « Les Fraises des bois » (2011) de Dominique Choisy (traitant de la prostitution), le film « Warum, Madame, Warum » (« Pourquoi, Madame, pourquoi », 2011) de John Heys et Michael Bidner (avec une bourgeoise transgenre dévorant lascivement une saucisse phallique), le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot (avec la mention des fameuses bouchées à la Reine), la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti (où le fait de lécher une glace est vu comme un indice d’homosexualité), la B.D. Mignardises (2016) de Ralf König, la pièce Croque-Monsieur (2016) de Marcel Mithois (avec Fanny Ardant), le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa (avec une place très importante faite à la glace au parfum vanille-fraise), le film « Darkroom – Tödliche Tropfen » (« Backroom – Drogue mortelle », 2019) de Rosa von Praunheim, etc.
« Tu substitues la nourriture à l’amour. » (Bryan s’adressant à son amant Tom, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Tu vas me manquer, Molinita… Chaque fois que je verrai des fruits confits, je me souviendrai de toi… Et chaque fois que je verrai un poulet à la broche, dans une vitrine de rôtisseur… » (Valentín à son amant Molina, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 244) ; « Mon gros loukoum au miel… » (Jean-Luc à son amant Romuald dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « Nathalie, 100% goudou, que du bon dans le cochon. » (Océane Rose Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) ; « Laurent, c’est les hot-dog, son péché mignon. » (Lola à propos de son ami gay, dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau) ; « Michael sentait toujours le café. » (Jean-Marc, le personnage homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 223) ; « Je pourrais te manger. » (John à Larita dans le film « Un Mariage de rêve » (2009) de Stephan Elliot) ; « Jusqu’à ce que papa et maman décident de se la jouer cool chez les cakes… » (Riley par rapport à la ville gay de San Francisco, dans le film d’animation « Inside Out », « Vice-versa » (2015) de Peter Docter) ; « Et si nous nous entre-dévorions, Valmont. » (Mertueil s’adressant à Valmont, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « J’ai faim. […] Il n’y a pas d’hommes pour les ogres de mon espèce. » (Arnaud à Mario son copain, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Tu sens bon, Mike. Comme un beignet aux pommes. » (Elliot à Mike dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) ; « J’aime toujours la pizza… » (Sven à son amant Göran, pour lui annoncer qu’il l’aime toujours et qu’il revient au domicile « conjugal », dans le film « Patrik, 1.5 », « Les Joies de la famille » (2009) d’Ella Lemhagen) ; « J’avale les hommes comme des muffins. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’avais l’eau à la bouche comme lorsque j’avais faim. » (Anamika, l’héroïne lesbienne en émoi devant une de ses profs, Mrs Pillai, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 236) ; « Stephen essayait de séduire Collins en lui offrant des boules de menthe et des pastilles de chocolat. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 38) ; « J’vais pas vous manger. En tout cas, pas la tête… » (Romain Canard, le coiffeur homo, à un client de son salon, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « On aurait dit Véronique qui aurait bouffé Davina. » (Benoît en parlant de Raphaël qu’il soupçonne d’être homo, dans la pièce Bonjour ivresse !(2010) de Franck Le Hen) ; « Je suis une vieille ogresse qui raffole de la chair fraîche. D’ailleurs quand elle sera majeure, je la jetterai. » (Suzanne en parlant de son amante Héloïse, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 318) ; « Croissants tout chauds ! Et moi aussi, tout chaud ! » (Benjamin, arrivant à l’improviste chez son amant Pierre, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Vous aimez sûrement manger. Je me le suis dit tout de suite. » (Léopold s’adressant à son futur amant Franz, avant de coucher avec lui, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Un croque-monsieur, pour moi, s’il vous plaît. » (l’héroïne Irina s’adressant au serveur d’un bar, dans la nouvelle d’un ami angevin, écrite en 2003) ; « Tu seras le grill, je serai la viande. […] Appelle-moi Maxwell. Je suis bon jusqu’à la dernière goutte. » (Paul, l’un des héros homos, chantant dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Un énorme sandwich de chair humaine » (Allen Ginsberg à Jack Kerouac, dans le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman) ; « On en fait du steak haché et on le donne au Mc Do, c’est ça ?!? » (Kévin face au cadavre d’un de ses amants retrouvé mort dans leur lit d’amour, dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone) ; « Votre relation [à Margaret et Peyton] était aussi passionnée que des biscuits de riz ! Ça se mange, mais j’en veux pas dans mon vagin. » (Wave, la copine d’enfance lesbienne de Peyton, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Si ton père a pu faire un bel enfant comme toi, tendre, croquant, c’est qu’il doit y avoir à l’intérieur de lui beaucoup de tendresse. » (Ruzy s’adressant à son amant Chris, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « Tu n’imagines pas à quel point cuisiner pour quelqu’un est un acte d’amour ?!! » (Georges, le héros homosexuel top bobo, s’adressant à son amant Édouard dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Est-ce qu’il n’y a pas un petit casse-croûte sur ma route avant de rentrer chez moi ? » (Jefferey Jordan parlant d’un amant qu’il peut trouver grâce à l’application GrindR, dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « Ça te dit, une glace ? » (Marc s’adressant à son amant Sieger, dans le film « Jongens », « Boys » (2013) de Mischa Kamp) ; « Vous avez passé la journée à vous bouffer des yeux. » (Paul, le barman de la Paillote de la plage, s’adressant à Bart en lui parlant de lui et d’Hugo pour lui faire réaliser son homosexualité, dans l’épisode 268 de la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1 le 13 août 2018); etc.
Par exemple, dans le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, les amants sont comparés à des sucettes ou à des plats affichés sur un menu, par le héros homosexuel. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, retrouve son amour de jeunesse, Kevin, qui est chef d’un restaurant. Ce dernier lui prépare un bon petit plat pour « lui dire je t’aime ». Dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, Hervé, la première fois qu’il rencontre son amant Alex, l’associe à deux boules de glace au chocolat ; puis il identifie chacun de ses prétendants d’origine étrangère à un plat typique de leur pays (croque-monsieur, nems, saucisses, etc.). Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, le « banana split » est le nom donné à un certain type de sexes masculins à déguster. Dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider, la préparation du dîner est le préliminaire du passage au lit. Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis dit explicitement à son amant Luther que sa peau a le goût d’une crème brûlée, et qu’il « désire le cannibaliser ». Dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, les amants se gavent mutuellement de gâteaux. Dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, Hedwig reçoit de son amant Luther Robinson un paquet de bonbons (des nounours colorés) comme preuve d’amour. Dans le one-woman-show Betty Speaks (2009) de Louise de Ville, Betty veut faire un « Tour de Gastronomie féminine », et en parlant de sa récente rencontre avec sa petite copine du moment, Sarah, elle dit que « c’est comme si elle avait découvert un énorme appétit pour la bouffer à volonté ». Par ailleurs, elle confectionne des cookies en chocolat en forme de vagin. Dans la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret, Zaza est comparé(e) par Georges à un « pot au feu », à un « soufflé au fromage ». Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, George Burger se fait traiter de hamburger. Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit compare le fait de sortir avec son amie d’enfance Esti comme la dégustation trop tardive d’un plat passé de date : « C’est le passé. […] J’aurais aimé lui dire : Esti, est-ce que tu servirais un vieux plat à un invité ? Il faut vraiment avoir faim pour manger un vieux plat, tu ne crois pas ? » (p. 144) Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Bernard, le héros homo, mange sa saucisse Knacki dans une attitude lascive et assez suggestive pour tenter son voisin hétéro Didier. Dès le début de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., les deux protagonistes homosexuels, Jonathan et Matthieu, qui se rencontrent pour la première fois et qui vont coucher ensemble le soir même, nous proposent toute une sociologie des restaurants à choisir pour ne pas se louper afin de « pé-cho » amoureusement. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, la mère transgenre fait le tapin en mettant une annonce sur le faux site de rencontres « Géladalle.com ». Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, c’est la cuisine (et le savoir-faire cuisinier) de Tomas, le héros homo allemand, qui finir par mettre la puce à l’oreille à Anat sur la liaison homo secrète entre Tomas et Oren (son mari disparu tragiquement dans un accident de voiture). D’ailleurs, quand Tomas vient travailler en tant que cuisinier à Jérusalem, et qu’il n’observe pas la cuisson casher ordonnée par les Juifs, ses gâteaux sont considérés comme « impurs ». Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Ziki et Kena partagent un cupcake en amoureuses dans leur camionnette. Et dans le générique du début du film, on voit un cornet de glace sur une carte à jouer.
Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, ne parle que de bouffe : déjà au niveau de son propre corps génital (il décrit son sexe comme « sa grosse carotte »), d’autre part au niveau de ses amants : « J’attendais qu’une chose : de lui bouffer la bouche. » ; « C’est mal fichu, une fille. Il manque l’essentiel ! C’est à se demander comment les lesbiennes font pour se reproduire ! Vous imaginez ? Passer de la saucisse à la moule : bonjour l’indigestion ! » (idem).
c) La passion homosexuelle : mordante
Il n’est pas rare de voir des scènes de films où les amants homosexuels se mordent entre eux, se dévorent, et désirent se manger : cf. le film « Je te mangerais » (2009) de Sophie Laloy, le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine (avec les deux amants qui se mordent au lit), le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz (avec la monstration de baisers cannibales), le film « Nazarín » (1959) de Luis Buñuel (avec les baisers cannibales), le film « Eat The Rich » (1987) de Peter Richardson, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, etc. Par exemple, dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory, Maurice mord Clive aux lèvres. Dans le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1987) de Pedro Almodóvar, le baiser sur la bouche entre les deux amants dérape : Pablo finit par mordre Antonio après avoir simulé de l’embrasser langoureusement.
« Peut-être bientôt dans la tempête, je te mordrai. » (la voix narrative dans le concert Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Je vais te dévorer de la tête au pied. » (Paul à son amant Sébastien, dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow) ; « La bouche de Khalid était ma bouche. Elle sentait la cannelle. Qu’avait-il mangé au petit déjeuner ? Elle était vaste, cette bouche. Elle me prenait tout entier. M’engloutissait. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 139) ; « Ne mords pas. » (Steven à son amant Phillip dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa) ; « Arrête de me mordre ! » (le héros homosexuel pendant le coït de son amant, dans le film « Happy Together » (1997) de Wong Far-Wai) ; « C’est un baiser carnivore. » (Philippe Besson, En l’absence des hommes (2001), p. 64) ; « Je gobe ses lèvres. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 19) ; « Mathilde n’existe plus. Je l’ai ingérée. » (idem, p. 24) ; « À quelle sauce Mathilde va-t-elle me dévorer ? » (idem, p. 96) ; « Elle me mord le cou. » (idem, p. 109) ; « Elle m’inspire quelque chose de sucré. Je repère un distributeur de friandises. Je choisis une double barre chocolatée. » (idem, p. 73) ; « J’eus comme une soudaine envie carnassière de croquer ses aréoles, mais pris peur d’aller trop loin et de le faire saigner. » (Éric concernant son amant Sven, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 105) ; « ce goût de bonbon acidulé qu’avait sa peau lorsque je la léchais. » (idem, p. 111) ; « Nous éprouvons la solidarité des désarmés, la fraternité des démunis. […] Les lèvres se touchent, les bouches se prennent. Nos baisers sont cannibales. » (Luca, le héros homo du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 165) ; « La Reine était de race ogresse. Et elle avait les inclinaisons des hommes. » (Géraldine Brandao et Romaric Poirier, La Belle au bois de Chicago, 2012) ; « Je te lèche. Je te dévore. » (Chris s’adressant à son amant Ruzy, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; etc.
Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, la conception de l’amour repose uniquement sur les goûts et la manducation. Elle est gustative et sensitive : « À quel âge t’as goûté une fille ? » demande Adèle à Emma ; cette dernière la corrige pour atténuer le lapsus consumériste : « ‘Goûter une fille’ ou ‘embrasser’ ? » Pendant quasiment les trois heures de film, les personnages sont montrés en train de manger ou de raconter ce qu’ils aiment au niveau des goûts (passionnant… l’éternelle confusion typiquement bobo entre goûts et amour…), parfois avec des métaphores culinaires qui tapent dans la blague potache grivoise (cf. l’épisode des huîtres) ou dans la violence anthropophage. « Je mange toutes les peaux. » (Adèle s’adressant à son amante Emma) Au lit, Emma mord vraiment Adèle, et celle-ci se laisse faire… ce qui étonne Emma : « Tu m’as fait peur. J’ai cru que tu allais crier. » Adèle lui répond avec malice : « Heureusement que tu t’es arrêtée. » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf regrette de n’aimer son amante Vita Sackville-West que corporellement : « Ce n’est pas son esprit que j’admire. »
Les amants homosexuels fictionnels ont tendance à se reprocher de ne pas se laisser respirer, que ce soit pendant leur coït que dans leur vie quotidienne. Dans le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, par exemple, Mathieu regarde étonné Cédric qui ne pense qu’à « baiser comme une bête » avec lui, et se révolte mollement : « Pourquoi t’es comme ça ? »
Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Catherine s’introduit dans la vie d’un couple hétérosexuel, Jean-Pierre et Fanny, au point de le bouffer petit à petit : « On dirait qu’elle va nous bouffer ! » (Fanny s’adressant à Jean-Pierre à propos de Catherine) ; « Je trouve votre femme à croquer, mais je ne sais pas si elle sera d’accord pour que je la mange. » (Catherine à propos de Fanny, idem) ; « Je vous trouve envahissante. Votre appétit m’étouffe ! » (Fanny s’adressant à Catherine, idem) ; « Y’a plus rien. On a tout dévoré. » (Fanny après avoir fait l’amour avec Catherine et Jean-Pierre, idem) ; « Parfois, j’aimerais être engloutie. » (Fanny, idem) ; etc.
Le cannibalisme dans les fictions homo-érotiques confine fortement au viol (« consenti ») : « [Je ne pensais qu’à] assouvir cette faim que j’avais du féminin. D’autant que je prenais conscience que seul le corps, chez les femmes, m’intéressait. Je ne me sentais pas capable d’aimer vraiment. Mon désir se manifestait dès que le corps d’une autre me paraissait accessible, me souciant seulement du plaisir que j’en espérais. On ne peut pas appeler cela de l’amour. […] J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Soudain, je fus prise d’une frénésie presque cannibale et me mis à la mordre, puis, de nouveau, à la lécher doucement. » (idem, p. 65) ; « Marie me dit d’une voix que je ne lui connaissais pas : ‘Mange-moi.’ J’étais comme ahurie d’entendre ces mots sortir de sa bouche. L’autorité que ma condition de patronne me donnait naturellement sur elle était comme abolie. […] Bientôt je me mis à la manger. » (idem, p. 153) ; « Fais juste attention à ce qu’elle ne te mange pas. » (Juna s’adressant à son amante Rinn par rapport à Kanojo, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Tu es trop mignonne. On dirait un cupcake à la framboise. » (Kanojo s’adressant à Rinn, idem) ; « Si tu étais un gâteau, je t’aurais déjà mangée depuis lontemps. » (idem) ; « C’est toi que je ne digère pas. » (Juna s’adressant à son amante Kanojo, Idem) ; etc. Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri fait un baiser forcé et cannibale à Jean pour le faire taire sur le meurtre dont il a été témoin.
d) Nécrophilie :
Le héros homosexuel essaie de posséder son amant au point qu’il en arrive parfois à voler sa peau et à le tuer. Il désire se blottir contre des corps humains sans vie, même si l’idée de s’unir à un être froid est saugrenue : « C’est pas facile, le plaisir. Apprivoiser ton corps glacé. » (cf. la chanson « Que mon cœur lâche » de Mylène Farmer) ; « J’avais envie de faire l’amour avec un mort. Pas avec un mort-vivant. Mais avec UN CADAVRE ! » (le narrateur homosexuel du roman L’Autre Dracula contre l’Ordre noir de la Golden Dawn (2011) de Tony Mark, p. 53) ; etc. Il arrive qu’il soit nécrophile et qu’il veuille avoir du sexe avec des cadavres qu’il finit par manger : cf. le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec le cimetière considéré comme un lieu de pique-nique), la pièce Golgota Picnic (2011) de Rodrigo Garcia (avec le cimetière de pains d’hamburger), la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron (le binôme Claude et Margot pique-niquent sur la tombe de Joséphine), etc. « Continuez à manger vos momies ! » (le Rat dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « J’ai mangé Jean-Michel hier. Il me l’avait autorisé hier juste avant de mourir. C’était un très bon copain. C’est devenu un copain très bon. » (Pierre Palmade, sketch « La Lettre du poilu » dans l’émission Bref à Montreux (Suisse), sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012)
La nécrophilie et l’anthropophagie se retrouvent dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques : cf. la pièce Pompes funèbres (1947) de Jean Genet, la chanson « Cadavres exquis » de Jean Guidoni, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, le film « O Beijo No Asfalto » (1985) de Bruno Barreto, le roman Besaré Tu Cadáver (1965) de Terenci Moix, le film « Une Soirée étrange » (1932) de James Whale, le film « Jeux de nuit » (1966) de Mai Zetterling, le film « Un Cadavre au dessert » (1976) de Robert Moore, le film « Cleopatra’s Second Husband » (1998) de Jon Reiss, le film « Singapore Sling » (1990) de Nikos Nikolaidis, le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, le vidéo-clip de la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer (avec le parallélisme entre les loups dévorant des carcasses d’animaux morts et le coït humain), etc.
Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, la mère transgenre atteint l’orgasme au moment où le client octogénaire qui a loué ses services meurt d’une crise cardiaque et qu’elle continue à jouir de lui. On assiste à la même jouissance de faire l’amour à un cadavre dans le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar ou encore dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, la « psy » gay friendly Marie-Ange chante la nécrophilie, la scatophilie. Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Garance, l’héroïne lesbienne, traite Léo, son frère homosexuel, de « nécrophage ».
Dans le film « Otto ; Or, Up With Dead People » (2007) de Bruce Labruce, Otto, un jeune zombi ne mange que des cadavres, car il est dégoûté par la chair humaine vivante. Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, les amants homosexuels Raulito et Cachafaz sont condamnés par les gens de leur quartier pour cannibalisme ; ils montent une boucherie humaine rien qu’avec des flics qu’ils tuent (ils en ont assassinés 17 déjà, et revendent leur chair) : « Un’ fois vidé et bien grillé, c’est délicieux un policier ! » (le chœur des voisins) Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont s’amuse à mettre en parallèle l’annonce de sa nécrophilie et son coming out : « Maman, je suis nécrophile. Oui, j’aime les cadavres. »
Dans les œuvres de Jann Halexander, il est souvent question de cannibalisme des morts : par exemple, dans sa pièce Confession d’un vampire sud-africain (2011), le chanteur entre dans la peau d’un vampire nécrophile (à un moment, Prétorius place un cadavre dans un frigo : « L’homme, c’est ma bouffe. ») ; par ailleurs, dans sa chanson « Chroniques d’une famille australienne », il est question d’un couple de crocodiles fortement humanisés (« Et le couple de reptiles de rejoindre les humains ») ; la thématique de la chanson « Obama » est la fusion idolâtre cannibale (« Bel illuminé, dévore ou fais-toi dévorer. ») ; le film « Une dernière nuit au Mans » (2010) de Jeff Bonnenfant et Jann Halexander traite également du cannibalisme.
Tout le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin tourne autour du cannibalisme homosexuel : un groupe d’amis-amants gays libertins se retrouve lors d’une soirée glauque, où les copains s’écharpent entre eux, où les vannes fusent et les couples se font/se défont : « J’avais envie de lui mordre les doigts. » (Emory par rapport à Peter, le dentiste qui le fait fantasmer) ; « J’aime plusieurs personnes. Je ne parle pas de mon homosexualité mais de mon appétit sexuel. » (Larry, le libertin) ; etc. Cette violence transparaît même dans le plat qu’ils partagent ensemble. En effet, ils mangent des lasagnes en faisant de l’humour noir sur le personnage homo fictif de Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » : « Mesdames et Messieurs. Correction. Mesdames et mesdames. Vous venez de manger Sebastian Venable. Un personnage. Un homo qui est dévoré tout cru. Haché menu ! » (Michael, le maître de cérémonie machiavélique)
À la fin du film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, le téléspectateur apprend que le corps de Frank, le mari de Ruth (l’héroïne lesbienne) assassiné, a été mangé en barbecue par tous les clients de la brasserie tenue par le couple lesbien Ruth/Idgie (c’est Big George, le cuisinier, qui a maquillé le meurtre…).
e) Le cannibalisme symbolique :
Le cannibalisme, s’il ne s’actualise pas systématiquement en dévoration de la chair humaine, se situe avant tout dans l’attitude insistante de convoitise, dans les yeux sales et vicelards qui transforment l’autre en chair fraîche, dans le regard prospectif ou lubrique (on dit bien « bouffer du regard ») : « Dévore-moi des yeux ma princesse ! […] Les baisers d’Alizée sont de vraies gourmandises. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Les plumes de métal, les griffes puissantes, ce désir d’amour ou de mort, cette envie de boire dans les yeux avec un bec de fer » (cf. le poème « Unité en elle » de Vicente Aleixandre) ; « Méfie-toi de l’œil sec, ses airs fossiles, ses coups de bec… Méfie-toi de l’œil flou, ses airs fragiles, ses appétits de loup. » (cf. la chanson « L’Œil sec » des Valentins) ; « Les gens épais me bouffent. » (Laurent Gérard dans son one-man-show Gérard comme le prénom, 2011) ; etc.
Par exemple, dans les films « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera et « Une Vue imprenable » (1993) d’Amal Bedjaoui, le jeu des regards impérieux et cannibales de la drague homosexuelle est particulièrement bien rendu.
Le héros homosexuel n’a pas souvent conscience qu’il est cannibale car il confond les êtres de chair avec ses êtres de papier. Dans son esprit, la peau est davantage liée à l’image qu’à la peau humaine réelle, comme si l’amant se réduisait à une photo qu’on peut trouer. « Moi, je lui arrachais la peau. » (Yves Navarre, Portrait de Julien devant la fenêtre (1979), p. 101) C’est la raison pour laquelle le cannibalisme homosexuel doit être compris prioritairement dans son sens symbolique, et non « réellement fantasmé ».
Le cannibalisme, c’est aussi plus symboliquement la schizophrénie (on croit pouvoir devenir ce que l’on mange), l’absence de contrôle des pulsions. Le héros homosexuel se laisse bouffer par une force intérieure qu’il ne comprend pas, il s’imagine mordu par des monstres imaginaires qui l’assaillent de tous côtés : « Arrêtez ! Ma bonne m’assassine à coups de massue et mon chien afghan me mord les chevilles ! » (« L. » en parlant de Goliatha, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Docteur Soubirous ! Je crois qu’il y a un cas de peste. Un enfant a été mordu par un rat ! » (le travesti M to F dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 137) ; « Brockett était intelligent, il était d’une intelligence diabolique. […] C’est pourquoi Brockett écrivait de si belles pièces, des pièces si cruelles ; il alimentait son génie de chair vive et de sang ! Génie carnivore ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne, parlant de son meilleur ami homosexuel Jonathan Brockett, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, pp. 307-308)
d) Plante carnivore :
La métaphore poétique la plus employée dans les fictions pour représenter le cannibalisme homosexuel, c’est bien la fleur carnivore, cette plante à laquelle s’identifie le héros homosexuel… pour généralement dépeindre un amour ou une identité maudits. « Comme une plante carnivore, moi les hommes, je leur mange le coeur. » (c.f. la chanson « Amen toi » de Bilal Hassani).
On retrouve les plantes carnivores dans les films « Les Filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie, « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec la Vénus gobe-mouche, plante chérie par Mrs Venable, et présentée comme une cruelle déesse d’amour), « Voodoo Island » (1957) de Reginald Le Borg, et dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, par exemple. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Charlène, l’héroïne lesbienne, suit un cours de biologique à propos d’une plante carnivore, « un monstre à tentacules venu d’Asie du Sud-Est », dévorant les géraniums ; celle-ci est à l’image de son amante vénéneuse Sarah, et de son désir dévorant pour elle.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Cannibalisme et homosexualité : une même affaire de « goût »
Le cannibalisme revient plus souvent qu’on ne le croit dans le discours des personnes homosexuelles, quand bien même elles sachent pertinemment qu’elles n’ont jamais désiré manger concrètement leur(s) partenaire(s). « De cette homosexualité rituelle, il faut rapprocher, je pense, un certain cannibalisme rituel qui se pratique dans des cultures, également, où le cannibalisme n’existe pas en temps ordinaire. Dans un cas comme dans l’autre, il me semble, l’appétit instinctuel, alimentaire ou sexuel, se détache de l’objet que les hommes se disputent pour se fixer sur celui ou ceux qui nou le disputent. » (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), p. 469)
Le désir cannibale prend certainement son origine dans une relation incestueuse vécue dans la petite enfance. « Searles a souligné la menace constituée par les tendances cannibaliques de la mère de Schreber, et que le fils avait déplacées sur un père plein de brutalité. » (Robert J. Stoller, « Faits et hypothèses », Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217) Pour le poète René Crevel, Magnus Hirschfeld est un « abominable charlatan », un « Moloch qui dévore chaque jour au moins un hermaphrodite ou un travesti ». (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 113)
Pas étonnant que le cannibalisme, au moins au niveau du désir, attire l’individu homosexuel et ses jumeaux de désir : le dénominateur commun de la communauté LGBT sont les goûts physiques, les préférences sensorielles et visuelles, l’orientation sexuelle, … donc ce qui se consomme. Et on remarque bien, notamment en écoutant les motivations des personnes homosexuelles, qu’elles se focalisent énormément sur les goûts en pensant parler d’Amour. « Dans sa jeunesse, ma tante est une belle jeune femme, très douce, très tendre et très élégante, de vieilles photos l’attestent. Allez savoir si ce n’est pas là que j’ai pris, très tôt, mon goût marqué pour les très belles femmes douces, charmantes, élégantes ? » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), pp. 19-20) ; « Oui, il faut oser le dire, il faut oser l’écrire : l’immense majorité des homophiles accordent au seul corps – à ses apparences, à ses exigences – une importance qu’il ne mérite pas, une importance beaucoup trop grande, une importance sans commune mesure avec ce qu’il peut être, ce qu’il peut offrir et donner, aujourd’hui déjà, à plus forte raison demain. » (André Baudry, fondateur d’Arcadie, cité dans l’autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011) de Jean-Michel Dunand, p. 147)
Ce qui lie le cannibalisme et l’homosexualité, c’est la place envahissante qu’ont prise les goûts (par nature individuels) sur l’Amour (une réalité qui dépasse les goûts, au-delà du sensible, universel) : cf. je vous renvoie à l’article de Philippe Besson « Hervé Guibert, le Goût pour les corps » dans le Magazine littéraire, n°426, décembre 2003. Par exemple, le peintre britannique Francis Bacon se dit fasciné par les travaux de sculpture de Michel Ange, ainsi que par les corps masculins en général : « J’aime les hommes. J’aime la qualité de leur chair. » (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton) ; « Le cinéma de Gaël Morel est absolument gay, tant le réalisateur impose une érotisation du corps masculin de ses acteurs (Stéphane Rideau, Nicolas Cazalé, Salim Kechiouche…). » (Anne Delabre, Didier Roth-Bettoni, Le Cinéma français et l’homosexualité (2008), p. 231) ; « J’ai toujours été amoureuse de mon corps. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.
À en croire la majorité des personnes homosexuelles, l’homosexualité serait prioritairement une question de goût, donc de relativité, de naturel individuel indiscutable : « J’ai besoin des filles. C’est un penchant vital pour moi. Les filles ne sont pas une envie. Elles sont un besoin vital depuis toujours. Un besoin, ça ne se négocie pas. Une envie, on peut s’en passer. Mais un besoin, non. » (Corinne, une femme lesbienne interviewée dans l’émission Ça se discute, diffusée sur la chaîne France 2, le 18 février 2004) ; « J’ai besoin des garçons. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 88)
Cela peut partir d’intentions très pures au départ, voire même d’une simulation de pudeur très bobo. Par exemple, tout le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou part du principe que l’amour se réduirait à une affaire de goûts et de sensations.
b) Mon p’tit chou à la crème… :
Très souvent, l’individu homosexuel compare son/ses amant(s) à de la nourriture, ou se présente lui-même comme un met à consommer (cf. le film « Can I Be Your Bratwurst, Please ? » (1999) de Rosa von Praunheim) : « Je vous donne une petite chose sucrée. Vous la glissez dans votre bouche et vous sucez le corps de quelqu’un d’autre. […] J’ai mis quelque chose de sucré dans la bouche de quelqu’un et je trouve ça très sexy. » (Félix González-Torres cité dans l’article « Félix González-Torres » d’Élisabeth Lebovici, sur le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 226) ; « Aujourd’hui, c’est le 19 juin, la fête des Pères, et comme tu es mon Miam, mon papa Miam, je ne t’oublie pas. » (Julien à son amant Pascal Sevran, dans l’autobiographie de ce dernier, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 169) ; « Les rencontres ne seront désormais que cela […] du bonheur à consommer sur place. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 170) ; « Femmes actives, nous avions décidé que l’amour serait notre petite gâterie superflue, un luxe qu’il faut savoir s’offrir pour être tout à fait soi-même. […] Simplicité du désir. Il me semble avoir bu à sa source comme les animaux sauvages vont boire au marigot, lorsque descend le soir, dans la savane. Cette image associée à mes désirs dit assez quelle soif d’amour est en moi, quel apaisement me vient quand je pose ma joue sur le ventre de celle que j’aime. Mais avec le temps, je commence à m’interroger sérieusement sur le prix à payer pour ces ivresses passagères, cette paix qui dure si peu. » (idem, p. 184) ; « Je vois des très beaux gâteaux qui s’avancent. » (Jean-Paul Gaultier, le couturier homosexuel, président de cérémonie de l’élection Miss France 2016, parlant des danseurs hommes, sur la chaîne TF1, le 19 décembre 2015) ; etc.
Par exemple, dans son roman autobiographique Parloir (2002), Christian Giudicelli décrit un de ses amants, Nicolas, comme une excellente « poire pour la soif » ou un « sandwich pour la route » (p. 102). Michel Journiac, quant à lui, a été jusqu’à confectionner du boudin avec son propre sang ! Je vous renvoie également au livre de recettes Ma cuisine lesbienne (2013) d’Océane Rose-Marie (la fameuse « Lesbienne invisible »), au livre Ma Cuisine homosexuelle : 25 recettes (très) gay ! (2012) de Jérémy Patinierainsi, ainsi qu’à l’autobiographie Red Carpets And Other Banana Skins (2006) de Rupert Everett. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans rappelle que l’expression « apple pie » (tarte aux pommes, en anglais) était l’un des synonymes d’« homosexuel » aux États-Unis (p. 271). Il est courant que l’art de faire la cuisine et l’art d’aimer soit mis exactement sur le même plan dans le discours des personnes homosexuelles (particulièrement bobos, soit dit en passant).
Dans mon cas personnel, j’entends beaucoup d’amis définir, avec parfois une dérision désabusée, leur copain du moment comme un « quatre heures » ou une gentille « gâterie » pour se faire plaisir. Pour la petite anecdote, entre 2002 et 2006, lorsque je me trouvais encore en études dans la ville de Rennes, je me souviens avoir assisté à plusieurs soirées pendant lesquelles des couples homosexuels entre eux se traitaient ouvertement (et sincèrement, en plus ! sans comprendre la vulgarité des « doux » surnoms dont ils s’affublaient) de « BN », de « casse-croûte », ou de « Crunch » devant toute l’assistance, en s’échangeant ensuite un bisou de reconnaissance… histoire d’amortir inconsciemment le choc.
c) La passion homosexuelle : mordante
Il n’est pas rare de voir les amants homosexuels se mordre entre eux, se dévorer, et désirer se manger : « À un certain moment, à l’acmé de son excitation, le fougueux José eut un rugissement et me mordit rageusement l’épaule gauche. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 77) ; « Après je l’ai rejoint dans sa chambre. Alors on s’est dévorés et il n’est plus rien resté. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 34)
J’ai en mémoire des images très précises de soirées que j’ai passées en boîtes gay, où j’étais spectateur de la dévoration publique de certains couples qui s’exhibaient sur la piste de danse. C’est du mime de cannibalisme, qu’on le veuille ou non.
Parfois, dans les discours, les amants homosexuels se reprochent de ne pas se laisser respirer, que ce soit pendant leur coït que dans leur vie quotidienne. Symboliquement, ils « se bouffent ».
Si je suis honnête aussi avec vous, quand j’étais petit (7-8 ans), je développais corporellement une forme de cannibalisme (surtout vis à vis de mon frère jumeau ou des chiens). Je mettais ma mâchoire inférieure en avant pour m’approcher d’eux et leur faire un câlin.
d) Nécrophilie :
Il arrive (et j’espère que c’est très rare !) que certains sujets homosexuels essaient de posséder leur(s) amant(s) au point qu’il(s) en arrivent parfois à voler leur peau et à les tuer : « Aimer, en termes de pulsions, veut dire prendre, utiliser, utiliser veut dire détruire, avaler, et même plus radicalement faire disparaître l’objet utilisé, aimé. » (Catherine Cyssau, Les Dépressions de la vie (2004), p. 151) ; « J’ai frissonné parce que j’ai compris que je connaissais mon père plus longtemps mort que vivant, et que ce n’était pas une bonne nouvelle pour moi, que ça n’augurait rien de bon, il allait falloir que je le déterre et le mange si je ne voulais pas devenir fou. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005, p. 91) ; « Genet est la mante religieuse qui mange ses mâles. À travers Pompes funèbres, il développe en images magnifiques le désir de manger Jean Decarnin, son amant mort. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 105) ; « Pendant que mon cousin prenait possession de mon corps, Bruno faisait de même avec Fabien, à quelques centimètres de nous. Je sentais l’odeur des corps nus et j’aurais voulu rendre palpable cette odeur, pouvoir la manger pour la rendre plus réelle. J’aurais voulu qu’elle soit un poison qui m’aurait enivré et fait disparaître, avec comme ultime souvenir celui de l’odeur de ces corps, déjà marqués par leur classe sociale, laissant déjà apparaître sous une peau fine et laiteuse d’enfants leur musculature d’adultes en devenir, aussi développée à force d’aider les pères à couper et stocker le bois, à force d’activité physique, des parties de football interminables et recommencées chaque jour. […] En observant Bruno pénétrer Fabien, la jalousie m’a envahi. Je rêvais de tuer Fabien et mon cousin Stéphane afin d’avoir le corps de Bruno pour moi seul, ses bras puissants, ses jambes aux muscles saillants. Même Bruno, je le rêvais mort pour qu’il ne puisse plus m’échapper, jamais, que son corps m’appartienne pour toujours. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 153-154) ; « C’est comme la nécrophilie : c’est un péché. Tout comme l’alcoolisme ou la toxicomanie. L’homosexualité, c’est la même chose. » (Petras Gražulis, président du groupe politique lituanien d’extrême droite Ordre et Justice, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; etc. Par exemple, le film « Grimm Love » (2009) de Martin Weisz raconte la véritable histoire d’Armin Meiwes, un Allemand qui tua, mutila et mangea Bernd Jürgen Brandes avec l’accord de celui-ci.
La nécrophilie et l’anthropophagie ne sont pas des actes absents de la communauté LGBT… même s’ils sont niés car ils font une très mauvaise publicité à l’homosexualité, et qu’on s’empresse de les ranger dans le dossier des faits divers scabreux extrêmement isolés. Je vous renvoie aux différentes affaires véridiques de cannibalisme entre amants homosexuels : cf. l’article « Russie : Un jeune cannibale mange un homosexuel » publié le 30 août 2011 dans le Journal Le Point (racontant qu’un jeune Russe âgé de 21 ans a tué son copain de 32 ans, rencontré sur un site homo. Le 19 août, il l’invite chez lui, le poignarde et le découpe en morceaux afin de le manger. Durant une semaine, il cuisine ses restes, en faisant des steaks, des croquettes et du saucisson. L’homme a été arrêté par la police de Mourmansk, dans le nord-ouest de la Russie…) Par ailleurs, je me suis spécialement penché pour écrire ce code sur le cas assez récent du beau Jeffrey Dahmer, surnommé « le monstre de Milvaukee », connu pour avoir été un cannibale, homosexuel de surcroît : entre 1978 et 1991, dans l’État du Wisconsin (États-Unis) a tué dix-sept jeunes hommes, qu’il pêchait dans le « milieu gay ». Dahmer est un authentique nécrophile : il voulait à chaque fois coucher avec des hommes inanimés et morts contre lui. Il n’est pas le seul dans ce cas-là. Luka Magnotta, italien, est également un homme homosexuel cannibale connu : escort boy, strip-teaseur, acteur porno occasionnel et mannequin raté, il fut le premier web killer de notre époque, et le documentaire « Moi, Luka Magnotta » (2012) de Karl Zéro et Daisy d’Errata retrace son histoire.
e) Le cannibalisme symbolique :
Fort heureusement, le cannibalisme, s’il ne s’actualise pas systématiquement en dévoration de la chair humaine, se situe avant tout dans l’attitude insistante de convoitise, dans les yeux sales et vicelards qui transforment l’autre en chair fraîche, dans le regard prospectif ou lubrique (on dit bien « bouffer du regard »). « Il se mit à frotter son sexe sur mes fesses rebondies, répétant sans cesse qu’il n’en avait jamais vu de pareilles. Comparées à une pastèque, il les croquait du regard, dans un élan d’euphorie sans retenue, demandant allègrement de me sodomiser. […] Il m’appelait langoureusement ‘Ma pastèque’. […] J’eus affaire à un monsieur habitant une belle villa dans le Val de Marne, qui me désirait fortement vêtu comme l’homme de ménage du film ‘La Cage aux folles’. J’avais halluciné, concluant que ce fantasme me rabaissait complètement. Et puis, non sans gêne, il s’était plu à me dire que son sexe était un petit biscuit qui devenait grand comme une baguette. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 111-113) ;
L’individu homosexuel lambda n’a pas toujours conscience qu’il est cannibale (déjà au niveau des fantasmes) car il confond les êtres de chair avec ses êtres de papier. Dans son esprit, la peau est davantage liée à l’image qu’à la peau humaine réelle, comme si l’amant se réduisait à une photo qu’on peut trouer. « Ce matin, j’me sens pas bien, j’ai fait un trou dans ton corps… j’ai fait un trou dans ton corps. » (cf. la chanson « Je n’ai pas de remords » d’Élodie Frégé) C’est la raison pour laquelle le cannibalisme homosexuel doit être compris prioritairement dans son sens symbolique, et non « réellement fantasmé ».
Le cannibalisme, c’est aussi plus symboliquement la schizophrénie (on croit pouvoir devenir ce que l’on mange), l’absence de contrôle des pulsions. Le code du cannibalisme exprime surtout, à mon sens, un manque de liberté. Le goût pour le cannibalisme ne peut se concevoir que dans le cadre des sociétés d’abondance, sociétés où se développent les effets psycho-pathologiques de l’abondance et de l’absence de désir. Une famine plus profonde encore que la simple faim physique.
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