Cour des miracles homosexuelle
NOTICE EXPLICATIVE :
La nostalgie d’une royauté bafouée
Un certain nombre de personnes homosexuelles s’intéressent à la Cour des miracles du Moyen-Âge. Cette étrange passion homosexuelle se fait passer pour un grand élan de solidarité (= éloge du multiculturalisme, de la pauvreté), de militantisme (= éloge de la marginalité « dérangeant » le « Système ») ou bien artistique (= éloge de l’originalité). En réalité, elle cache un grand orgueil (celui de se rêver Christ à la place du Christ, de vivre une royauté égocentrée… par manque d’amis véritables), un fantasme d’irréalité transgressive et de fantaisie festive qui finissent par montrer toute leur vanité et leur horreur une fois confrontées au Réel, une haine de soi (= homophobie) maquillée d’autosuffisance et de rire.
Nous aurions tort de nous fier aux apparences. Au vrai pauvre, bien des personnes homosexuelles lui préfèrent son icône – souffrante ou euphorique – et son absence. Elles le transforment en image folklorique. Le nécessiteux qu’elles bercent sur leur sein n’est autre que la « romanichelle de luxe » (Esméralda dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo), le vagabond sublimé des poètes maudits, le « bon sauvage » étranger, « la transfiguration d’un état de misère » pour reprendre les termes d’un de mes amis romancier homosexuel. Elles dépeignent une pègre qui, au lieu d’être constituée de vrais pauvres, se compose plutôt de cercles d’intellectuels libertins – donc un peu d’elles-mêmes ! – s’amusant à imiter, par moquerie ou/et générosité, les images d’Épinal de pauvres qu’ils se fabriquent dans leur imaginaire pour se donner bonne conscience. Elle sert de prétexte à l’exhibition carnavalesque et au déni de la pauvreté. C’est la raison pour laquelle les motifs du cirque, des fêtes foraines, du chœur de tragédie grecque, et des cours des miracles, reviennent excessivement souvent dans les œuvres homosexuelles. Vêtus de haillons, les faux mendiants homosexuels se donnent en spectacle, en entonnant la litanie de la honte de l’Occidental narrant son malheur face au soi-disant malheur planétaire apocalyptique. Ils se glissent subtilement dans la foule colorée et masquée qu’ils ont eux-mêmes créée pour s’élever en chefs. « En attendant d’être des rois, mes amis et moi sommes les acteurs d’une version de la folie des grandeurs, … sous une pluie de confettis » chante Arnold Turboust dans sa chanson « Mes amis et moi ». Intellectuellement, l’esthétique de la folie du SDF-bouffon donquichottesque séduit beaucoup les auteurs homosexuels bobos : pour eux, le délire « transgressif » est davantage vecteur de Vérité que la Vérité même. Elle est en réalité l’expression de leur propre homophobie/misanthropie/athéisme.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Homosexualité noire et glorieuse », « Faux révolutionnaires », « Milieu homosexuel infernal », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Reine », « Folie », « Milieu psychiatrique », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Bobo », « Défense du tyran », « Homosexuels psychorigides », « Amour ambigu de l’étranger », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cirque », « Magicien », « Mariée », « Doubles schizophréniques », « Grand-mère », « Drogues », « Quatuor », « Voleurs », « Homosexuel homophobe », « Méchant pauvre », « Prostitution », « Putain béatifiée », « Humour-poignard », « Voyante extralucide », à la partie « Carnaval » du code « Clown blanc et Masques », et à la partie « Nain » du code « Amant modèle photographique », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) La cour des miracles, une rêverie :
Dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques apparaît une pègre, une foule carnavalesque grimaçante et ricanante, un groupe de personnages atypiques et difformes (nains, drogués, trans, travestis, prostituées, femmes déguisées en mariées, escort boys, personnages siamois, vieillards, géants, etc.) entourant le héros homosexuel : cf. le film « Die Unendliche Geschichte » (« L’Histoire sans fin », 1984) de Wolfgang Petersen (avec la cour de la jeune reine), le vidéo-clip de la chanson « Le Brasier » d’Étienne Daho, le vidéo-clip de la chanson « Substitute For Love » de Madonna, le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le film « Antes Que Anochezca » (« Avant la nuit », 2000) de Julián Schnabel, le concert de Mika à Paris Bercy le 26 avril 2010 (et surtout la chanson « Big Girl »), le film « Totò Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresco, le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue, le film « Le Sang du Poète (1930) » de Jean Cocteau (entouré de gitans), le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, le film « Splendori E Miserie Di Madame Royale » (« Madame Royale », 1970) de Ugo Tognazzi, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le film « Jugatsu » (1990) de Takeshi Kitano, la nouvelle L’Encre (2003) d’un ami homosexuel angevin (avec la Cité des Laiderons), le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le film « Opera De Malandro » (1986) de Ruy Guerra, les films « Accattone » (1961), « Mamma Roma » (1962), et « La Ricotta » (1963) de Pier Paolo Pasolini, la pièce Quai Ouest (1985) de Patrice Chéreau, le roman Monsieur de Phocas (1901) de Jean Lorrain, la nouvelle « De La Melancolía De Las Perspectivas » (1983) d’Héctor Bianciotti (avec sa population bigarrée : des nains, des prostituées, des alcooliques, des mariées, etc.), le roman La Noche De Walpurgis (1910) d’Antonio de Hoyos (avec la cour des miracles de bourgeois homosexuels déguisés en pauvres), le film « A Rainha Diaba » (1975) de Antonio Carlos Fontoura, le film « Die Hure Und Der Hurensohn » (1982) de Dagmar Beiersdorf, le vidéo-clip de la chanson « Relax » du groupe Frankie Goes To Hollywood, le roman Los Alegres Muchachos De Atzavará (1988) de Manuel Vázquez Montalbán, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (avec les aborigènes et les trois drag-queen réunis autour d’un grand feu de joie), le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand (décrivant à la fin la « faune » homosexuelle dans toute sa diversité), le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, le film « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey, le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion (avec le chœur de pédales chantant « Alléluia »), etc. Par exemple, dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, Vincenzo est obsédé par le qu’en-dira-t-on à propos de l’homosexualité de son fils Antonio : dans les lieux publics, il est persuadé que tout le monde l’a identifiée et en rient sarcastiquement.
Se crée le mythe snobinard du « bonheur entre exclus » et de la « force jouissive » (jubilatooooire) de la transgression des codes sociaux : « Ici on est tous des frères dans la joie dans la misère… À la cour des miracles, mendiants et brigands dansent la même danse… » (cf. la chanson « À la cour des miracles » de la comédie musicale Notre-Dame de Paris de Luc Plamondon) ; « Les vieux nobles qu’elle recevait étaient des amis de son père, aussi laids qu’elle. Le vieux comte des Asturies était couvert de verrues et le duc de Castille, son parrain, était bossu. » (Copi dans sa nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978), p. 12) ; « On est tous des imbéciles, on est bien très bien débiles. » (cf. la chanson « On est tous des imbéciles » de Mylène Farmer) ; « Son visage se tordit tandis qu’il regardait le labyrinthe de livres. Littérature ! Littérature – les Olympiades des nains de jardin ! Bavardage des déments ! Il fit un pas vers l’avant et renversa une étagère de livres par terre. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 176) ; « Goudron organisait tant de salons et de soirées fréquentées par des centaines de personnes ridicules de toutes sortes. Il les collectionnait, vous savez. Et il y avait nom pour chacune. Cette courtisane communiste, Madame Kortovsky était ‘Le Ballon rouge’ et Francœur, l’éditeur catholique, était ‘La Mante religieuse’. Picasso était ‘Le Minotaure’ et vous ‘Le Prince noir’. » (le pervers Comte Smokrev s’adressant à Pawel Tarnowski, au sujet de son mécène homosexuel Goudron, idem, p. 308) ; etc. Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, le couple Khalid/Omar se rend à Douar Dbada, qui est une sorte de cour des miracles : « Ils sont un peu dangereux là-bas. […] En plus des prostituées, il y a des maquereaux, les dealers de drogue… Les fous… Des assassins aussi… Les voleurs d’enfants… » (p. 125) Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, la cour des miracles entourant l’héroïne est composée de dandys efféminées, de femmes-à-barbe, d’hommes travestis en nonnes, de nains, de Noirs, de « copines » transgenres, etc.
Au départ, le héros homosexuel prétend trouver dans cette cour des miracles multiculturelle et marginale un refuge à la soi-disant intolérance sociale par rapport à son homosexualité, une famille qui reconnaît enfin sa royauté et la primauté de ses désirs identitaires/amoureux profonds : « Peut-être que ce qui fut jadis la Cour des Miracles saurait le guérir de sa peur, l’aider à s’affirmer auprès des siens. » (Ahmed en parlant du quartier gay du Marais, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 52) ; « Tout est permis au bal de Savoy. » (Madeleine, dans la comédie musicale Ball Im Savoy, Bal au Savoy (1932) de Paul Abraham) ; etc. Par exemple, dans la bande dessinée La Foire aux Immortels (1992) d’Enki Bilal, Jean-Ferdinand Choublanc, « Gouverneur de la Cité autonome de Paris » est manifestement homosexuel et a réuni une cour d’adhérents autour son parti dont tous sans exception très fortement maquillés. Et Choublanc s’adresse à ses maquilleurs en les appelant « les filles » et à son intendant en l’appelant « chéri », intendant avec lequel il partage son bain. Dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, les deux compères Bill et Étienne sont décrits comme des « lutins farfelus et fantoches ». Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, suit un cortège carnavalesque mystique de squelettes mexicains masqués. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, le petit monde de la nuit de la ville italienne de Catano s’anime autour de la prostitution : les prostitués, les travelos, les sosies de Mary Poppins ou Marilyn Monroe, les macs, les gigolos, le vieux disquaire muet, etc.
La particularité de cette cour des miracles homosexuelle, c’est qu’elle est souvent prise d’hilarité (comme les hyènes… juste avant ou après de frapper violemment) : « Je cours, je cours. Sans respirer. Puis je tombe. Des gens rient. […] Autour de lui [Hassan II], un souk. Beaucoup de femmes. […] Elles rient de moi. Cela les amuse : moi qui tombe et sur le point de pleurer. Elles rient longtemps sans vraiment me regarder. » (Khalid, le protagoniste homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 10) ; « Tout le monde a ri. Tout le monde. Tous ces gens avec qui j’ai grandi. […] Le pire, c’est que je ne les ai même pas détestés. » (Pauline, l’héroïne lesbienne racontant un spectacle public où elle a été la risée des gens de son village parce qu’elle a joué le premier rôle et s’est travestie en homme, dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau) ; « Parfois je la voyais au milieu d’autres hommes habillés. Allongée sur le dos, les jambes en l’air, avec pour toute parure ses talons aiguilles. Il y avait là des profs de la fac, des laborantins en blouse du département de chimie, quelques-uns des garçons au rire gras avec qui j’avais déjeuné au RU. Ils ne la caressaient pas. Ils se contentaient de la regarder, de la montrer du doigt et de rire. Et elle riait avec eux, dans cette posture humiliante. Dans d’autres rêves, elle se moquait de moi avec sa copine, pendant les cours de Gritchov. Je ne comprenais pas ce qu’il y avait de si comique dans ma tenue. » (Jason, le héros homosexuel décrivant Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 59) ; « La foule riait aux éclats, ils lançaient sur Truddy des pavés. » (Copi dans sa nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 40) ; « Tous nous ovationnèrent, pleurant et riant […] » (Gouri, le rat bisexuel du roman La Cité des Rats (1979), p. 94) ; « Les rires de la foule des hommes » (idem, p. 104) ; etc. Par exemple, dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, la cour homosexuelle de Bob (composée de drogués) passe insensiblement de l’agression au rire : ça passe ou ça casse. Dans sa chanson « À table » de Jann Halexander, le protagoniste homosexuel décrit « le rire déformant des visages » des membres d’une fête de famille.
b) La cour des miracles homosexuels, un cauchemar :
Symboliquement, la cour des miracles homosexuelle ressemble à la voix d’une schizophrénie. Le héros homosexuel se sent entouré de nains et de clowns rieurs qui, après s’être amusés et après l’avoir intronisé, vont le momifier, le trahir et le brûler sur un char (cf. je vous renvoie au code « Méchant Pauvre » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. la chanson « L’Horloge » de Mylène Farmer, la chanson « Porno-graphique » de Mylène Farmer, la chanson « No More I Love You’s » d’Annie Lennox, la comédie musicale Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, les vidéo-clips des chansons « Sans contrefaçon », « Sans logique », « Désenchantée », « L’Âme-Stram-Gram » et « Optimistique-moi » de Mylène Farmer, etc. Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, lors d’une séance de karaoké, où Steve (le héros homosexuel) se ridiculise, la prestation vire à la vision d’enfer : il voit tous les clients du bar ricaner (au ralenti), puis en menace violemment un avec une bouteille de bière car il ne gère pas l’humiliation.
« Le fond de leur rire avait quelque chose de métallique. » (Pretorius, le héros homosexuel parlant des clients de l’Hôtel du Transylvania, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander)
La cour des miracles, c’est aussi le retour homophobe d’un désir homosexuel pratiqué (retour violent prêté uniquement à « la société »… mais qui n’est en réalité que la société des amants, que le monde de la prostitution et de la drogue) : cf. le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec la gare parisienne se transformant en cour des miracles), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec la cour homosexuelle gitane de Sébastien, qui finit par l’assassiner, en représailles), le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, l’opéra-rock Starmania de Michel Berger (avec le gang des Étoiles Noires), le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « Garçons d’Athènes » (1998) de Constantinos Giannaris, etc. « C’est une chose difficile que d’être homosexuel au pays des cow-boys. » (4 journalistes en chœur, et en direct du Wyoming, dans la pièce Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman) ; « Autour de moi, les hommes forment une ronde. […] Le spectacle de la gare est immuable. Presque rituel. » (Léo, le héros homosexuel du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 213) ; « Vous n’avez jamais rencontré de vrais homosexuels. Ce sont des bossus qui riraient de votre mariage. » (le père de Claire, l’héroïne lesbienne, s’adressant à sa fille et à sa compagne Suzanne à propos de leur projet de « mariage pour tous », dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « C’est un petit monde. Vous devez tous vous connaître, non ? » (l’Inspecteur s’adressant à Franck, le héros homosexuel, pour enquêter sur les crimes homophobes de l’île qui est un lieu de drague gay hostile et impitoyable, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; etc.
Cette cour des miracles représente donc la conscience du viol, exprimée par le traditionnel chant du chœur de tragédie grecque qui annonce la mort prochaine (physique et déjà symbolique) du héros homosexuel : cf. le film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick (avec les trois femmes asiatiques), la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare (avec le chœur des sorcières), le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne (avec les trois drag-queen), le film « Anguished Love » (1987) de Pisan Akarasainee, le film « Puta de Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria (avec le cortège des pleureuses), le film « Les Sorcières » (1966) de Pier Paolo Pasolini et Luchino Visconti, les pièces de Federico García Lorca telles que La Savetière prodigieuse (1926) ou Doña Rosita la célibataire ou le langage des fleurs (1935), la chanson « Bohemian Rhapsody » du groupe Queen, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho, la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim (avec les trois bonnes fées travesties), les films « Pepi, Luci, Bom Y Otras Chicas Del Montón » (1980), « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) et « Mujer Al Borde De Un Ataque De Nervios » (« Femme au bord de la crise de nerfs », 1987) de Pedro Almodóvar, le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus (avec le chœur des femmes ouvrières galloises), etc. Par exemple, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, les chœurs des voisins – qui se fait appeler aussi « le chœur des âmes » – sont toujours les annonciateurs de mort ou de violence, et la symbolisation de la contemplation de l’horreur à distance. Ils annoncent le viol, et dans le même mouvement, le nient. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas, Gabriel et Rudolf, les trois héros gays sans avenir, forment le chœur montagnard de « Sissi », une cantatrice fantomatique transgenre M to F autrichienne.
« Au milieu d’un désordre phénoménal (les tables cassées parmi les bouteilles arrosées de confettis) […] À chaque fois que je laissais échapper un cri, l’assistance repartait d’un gros rire […]. Et ne songeons même pas à demander de l’aide aux esquimaux : pour cette peuplade, Glou-Glou Bzz représentait plus qu’une reine. » (le narrateur homosexuel se faisant trucider la bite, après le carnage de la reine du carnaval Glou-Glou Bzz, dans la nouvelle « La Mort d’un Phoque » (1983) de Copi, pp. 22-24) ; « Je ne fais jamais partie des chœurs. On a quand même son orgueil ! Les chœurs sont les seuls morceaux d’opéra que j’écoute de l’extérieur, en restant assis dans mon fauteuil, en ‘regardant’ dans ma tête un spectacle plutôt qu’en le vivant comme si j’étais un des protagonistes. J’aime écouter les chœurs, je n’aime pas les vivre. » (le narrateur homosexuel parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « Je ne savais plus si j’étais heureux de l’observer parce que je le trouvais émouvant dans son ridicule ou si je souffrais avec lui de chanter des choses idiotes dans une œuvre idiote, entouré d’idiots déguisés comme pour un carnaval de pauvres. J’aimais croire qu’il était conscient de la petitesse et de l’insignifiance de ce qui l’entourait sur ce plateau et que ce qu’il ressentait était la honte d’en faire partie. Le Prince Charmant existait donc et il était habillé en petit page d’opérette dans une mauvaise production d’opéra ! » (le narrateur homosexuel parlant du chanteur Wilfrid Pelletier, idem, p. 50) ; etc.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) La cour des miracles, une rêverie :
Quand j’étais enfant et adolescent, j’étais très attiré par l’univers moyen-âgeux de la Cour des miracles. Il m’arrivait d’en faire un jeu (par exemple, j’avais créé « Les Aventures de Jean », une mise en scène nocturne théâtralisée de personnages fictifs habitant l’univers de mon frère jumeau, Jean), et j’aimais ces univers clos avec des personnages étranges autant qu’inquiétants (le jeu du Cluedo, le jeu télévisé Fort Boyard, etc.).
Cette attraction pour les salons de précieuses, pour les bals masqués peuplés de Colombine, de voyantes extra-lucides, de brigands, de sorcières, de courtisanes, de nains, d’Esméralda et autres créatures extraordinaires, je pense la partager avec un certain nombre de personnes homosexuelles. Et il n’est pas étonnant que dans l’imaginaire collectif LGBTI, la « communauté homosexuelle » mondiale soit régulièrement décrite comme une pâle copie de la cour des miracles littéraire. Par exemple, lors de son entretien avec J. O’Higgins en 1982, le philosophe homosexuel Michel Foucault assimila les quartiers homosexuels des grandes villes nord-américaines comme San Francisco ou New York aux « cours médiévales, qui définissaient des règles très strictes de propriété dans le rituel de cour » (Michel Foucault, « Choix sexuel, Acte sexuel », Dits et écrits II, 1976-1988 (2001), p. 1150). Dans sa thèse « Avatares De Los Muchachos De La Noche » qui précède son recueil de poésies Austria-Hungría (1992), Néstor Perlongher évoque le monde extrêmement codifié de la nuit et de la prostitution masculine. Dans ses mémoires Coto Vedado (1985), Juan Goytisolo aborde « la réalité brutale de la cour des miracles espagnole » dans les quartiers homosexuels de Barcelone.
Beaucoup d’auteurs homosexuels se plaisent à chanter les louanges d’une cour des miracles interlope, d’une nation « élue » qui aurait le devoir d’annoncer au monde la grandeur transgressive de la marginalité, de la négation de la différence des sexes : John Cameron Mitchell, Pier Paolo Pasolini, Steven Cohen, Essobal Lenoir, Philippe Besson, Hervé Guibert, Federico Fellini, Jean Cocteau, Marcel Proust, Severo Sarduy, Osvaldo Lamborghini, Rancinan, etc. « Un gigantesque bidonville. Ernestito et moi adorions ces habitants grossiers, populaires, dangereux. Ils faisaient souvent partie de nos histoires, de nos fantaisies. Ils devenaient, à leur insu, les interprètes de nos feuilletons imaginaires. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 186)
Cette nation-pègre voulue par beaucoup de personnes homosexuelles/transsexuelles ressemble, dans les faits, à une cour royale de maison close, dans laquelle gravitent les maquereaux et leurs dandys escort-boys (leurs mignons) fêtant la jouissance libertine, la mixité sociale et intergénérationnelle : « À soixante-dix ans, Lito [une femme transsexuelle transformée en homme] continuait à mener une existence de play-boy. Toujours tiré à quatre épingles, il était le plus souvent escorté par une cour de jeunes gens aux casiers judiciaires chargés. Par on ne sait quel miracle, cette petite pègre l’adorait. Ils avaient l’élégance de prolonger son règne lorsque l’un d’eux devait s’éclipser quelques temps à l’ombre d’une cellule. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 291) On en trouve un exemple parlant avec la bande des Cockettes dans les années 1970 à San Francisco (États-Unis), groupe d’érotomanes et cocaïnomanes revendiqué : « On ne pensait qu’à faire la fête, à s’éclater. On ne se rendait pas compte qu’on créait quelque chose de magique. On vivait dans notre monde. On réalisait nos rêves et nos fantasmes. On se fichait de ce qui se passait à l’extérieur. Les Cockettes étaient très incestueuses. Tout le monde couchait avec tout le monde… sous LSD… » (Rumi, un survivant travesti M to F des Cockettes, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) Je vous renvoie également au documentaire « Paris Is Burning » (1980) de Jennie Livingston, sur la sous-culture du voguing dans les bas quartiers nord-américains, avec des concours de travestis noirs.
Plus gravement, il est possible d’entrevoir dans cette foule indiscernable de personnes gay friendly, hétéro, homo, bi, transgenre et transsexuelle, le phénomène (décrit magistralement par Philippe Muray) de possession hystérique collective, prenant l’étrange masque de l’euphorie carnavalesque agressivement plaintive : « Le Possédé. Comme tel, il souffre. Tout ce qui ne lui plaît pas le fait tellement saigner qu’il porte plainte ; mais il jouit encore tellement lorsqu’il porte plainte qu’il est incapable de se voir en train de porter plainte et de rire de lui-même. C’est ainsi qu’il est comique, d’un douloureux comique que plus personne n’ose nommer ainsi. C’est un comique de doléance, comme il y a un comique de répétition, et ce nouveau comique, absolument inconnu des anciennes littératures, est souvent très réussi. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 71) Ça sent la misère culture et affective à plein nez.
c) La cour des miracles homosexuels, un cauchemar :
La cour des miracles, symboliquement, c’est la voix de la schizophrénie. Par exemple, ce n’est pas un hasard si le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, dont la trame est l’homosexualité, commence par un débat sur l’obligation du pluralisme des langues. Cette question de la « prose babélique », de la pluralité du langage et des sexualités, a intéressé des chercheurs tels que Michel Foucault ou Nicolás Rosas. Il existe une correspondance entre le monde babélique/babylonien et le « milieu homosexuel ».
Dans le monde homosexuel actuel, je retrouve des actualisations incomplètes de la cour des miracles médiévale dans beaucoup de mouvements LGBTI : le milieu associatif homosexuel dans son ensemble (peuplé souvent de « cas sociaux »), les Gay Pride (avec les chars des Maghrébins, des daddies, des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, etc.), les discothèques et les bars (de plus en plus compartimentés en sous-catégories : les bears, les crevettes, les minets bodybuildés, les fem, les butch, les trans, les sadomasos, etc.) et surtout surtout les sites de rencontres internet (les fameux chat, hyper ritualisés et habités par des profils improbables de profonds mythomanes). Là, on a vraiment l’impression de rentrer dans un monde de fous, très codifié.
La cour des miracles, c’est aussi le retour homophobe d’un désir homosexuel pratiqué (retour prêté à « la société »… mais qui n’est en réalité que la société des amants ou le monde de la prostitution). Le libertinage donne une illusion de liberté et construit en réalité un ghetto doré, avec des nouvelles règles d’autant plus rigides et féroces qu’elles constituent des barreaux invisibles, tacites : la société homosexuelle est en effet fondée sur la double vie, la dissimulation, le mensonge, le paraître, l’anonymat, la pulsion sexuelle (…et ses caprices inattendus), un désir sexuel qui n’ose pas assumer son nom ni ses pratiques : « Outre la mauvaise réputation qu’avait la Savane la nuit, je lui rapportais en détail certaines agressions dont j’avais été témoin. Sur la place, je rencontrais toutes sortes d’individus ; les ‘branchés’ étaient une population très hétéroclite. On était du même bord, mais on ne se fréquentait pas. Sans doute par manque de confiance, beaucoup se méfiaient de leur propre clan et jouaient à cache-cache en permanence, se dénigrant et se méprisant mutuellement. Impensable pour un groupe déjà victime du malheur de sa propre différence ! C’est quand même surprenant et regrettable d’en arriver là. […] Cette histoire de clans est une fatalité pour la communauté et l’on ressentait une rivalité oppressante entre les groupes différents. En fait, chaque groupe entrait dans une catégorie bien distincte : les extravagants, les cancaniers, les très discrets et enfin les ‘leaders’, ceux qui incitaient à la prise de conscience contre les discriminations et l’homophobie dans la région d’outre-mer. Je trouvais bien dommage cette diversification au sein de la communauté. » (Ednar parlant des lieux de drague antillais, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 188-189) ; « Quant aux quais de la Seine, il y a belle lurette qu’ils abritent, en plus des traditionnels clochards, les idylles d’horribles couples. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 59) ; etc.
Enfin, la cour des miracles fictionnelle représente, une fois transposée dans le réel, la conscience du viol (un viol réel ou/et fantasmé), le chœur symbolique des garçons sauvages et adolescents qui annoncent la mort prochaine (physique et/ou psychique) de la personne homosexuelle. « Ils se sont rapprochés de moi en se masturbant. J’étais allongé sur le dos au milieu du lit bleu. J’ai fermé les yeux et j’ai essayé de m’imaginer encore une fois à la piscine, l’eau, le chlore, le plongeoir, la paix, le luxe. Un rêve impossible à l’époque. Je nageais mais dans la peur. Je tremblais, à l’intérieur. Je ne voyais plus les garçons sauvages mais je les sentais venir, se rapprocher de mon corps, le renifler et le lécher. Dans un instant le violenter, l’un après l’autre le saigner. Le marquer. Lui retirer une de ses dernières fiertés. Le briser. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 25) Pour ma part, j’ai vécu au collège cette petite descente aux enfers qu’a opérée sur moi la cour des miracles de mes camarades collégiens. En effet, tous les garçons de ma classe de 5e m’ont violenté sur la cour d’école du collège Jeanne d’Arc à Cholet, ceux-là mêmes qui m’avaient intronisé roi et délégué de classe en 6e, un an auparavant.
La cour des miracles est finalement la représentation fantasmagorique (et parfois l’actualisation concrète) de l’idolâtrie sociale. Un désir passionnel déçu. Elle sied donc parfaitement au désir homosexuel.
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