Désert
NOTICE EXPLICATIVE :
Les anti-Moïse
Au moment de se retrouver lui-même au désert, face au Réel, face à ses pères, dans la concrète solitude de sa singularité, le personnage homosexuel (et souvent l’individu homosexuel) est pris en général de panique, lui, l’angoissé de lui-même. Le désert, qui idéalement devrait être le lieu du repos, du sevrage de nos anciennes addictions, de la purification, du chemin de la Résurrection pascale, apparaît dans les fictions traitant d’homosexualité comme un abîme terrible.
N.B. : Je vous renvoie aux codes « Manège », « Mort », « Homme invisible », « Eau », « Fusion », « Faux révolutionnaires », « Clown blanc et Masques », « Aube », « Focalisation sur le péché », « Lunettes d’or », « Ennemi de la Nature », « Voyage », « Vampirisme », « Vent », « Solitude », « Icare », « Île », « Jardins synthétiques », à la partie « Haine de la Réalité » du code « Planeur », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) Le désert ou l’errance :
Il est souvent question du désert dans les fictions homo-érotiques. Le personnage homosexuel se dirige vers un désert (réel ou mental) : cf. la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès, le roman Et le désert (1989) d’Andrea H. Japp, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, le roman Le Monde désert (1927) de Pierre Jean Jouve, le roman Un Thé au Sahara (1949) de Paul Bowles, le film « Gerry » (2002) de Gus Van Sant, le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, le film « Whity » (1970) de Rainer Werner Fassbinder, la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora, le roman Déserts… (1982) de Julien Cendres, le film « Du sang dans le désert » (1957) d’Anthony Mann, le film « Cent mille dollars au soleil » (1963) d’Henri Verneuil, le film « Beau Travail » (1999) de Claire Denis (avec la mort dans le désert), le film « Sun Kissed » (2009) de Patrick McGuinn, le film « Lawrence d’Arabie » (1962) de David Lean, le film « Les Châtaigniers du désert » (2009) de Caroline Huppert, le film « Yossi » (2012) d’Eytan Fox, le film « Joshua Tree 1951 : A Portrait of James Dean » (2012) de Matthew Mishory, le film « The Desert Song » (« Le Chant du désert », 1929) de Roy Del Ruth, le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le poème « Le Premier Paradis, Odette… »), le film « Edipo Re » (« Œdipe-Roi », 1967) de Pier Paolo Pasolini, le film « Thelma et Louise » (1991) de Ridley Scott, le roman Le Monde désert (1927) de Pierre-Jean Jouve, le roman Le Désert mauve (1987) de Nicole Brossard, etc. Par exemple, dans la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd, Arnold Wilcox, un des héros homosexuels, feuillette une encyclopédie sur les animaux du désert.
« C’est le désert. On est marqués par le désert. » (cf. une réplique des personnages de la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Je connais bien le désert ! » (cf. une réplique de la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Tentons la traversée du désert ! » (le Jésuite, idem) ; « Je suis sèche comme le désert d’Arizona. » (Jessica, le héros transsexuel M to F, dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; « Je vais me promener sur les dunes avec mon chien Lambetta. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 12) ; « J’veux juste m’enfuir dans un désert et creuse un trou dans une dune. » (Hubert, le héros homosexuel s’adressant à sa mère qu’il cherche à fuir, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Tu resteras dans l’oasis que je vais te faire construire au beau milieu du désert vivre une vie de chimères ! » (Ahmed s’adressant à Lou, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Mon Dieu. J’arrive du désert de Gobi. Je suis en plein jetlag. » (Nathalie Rhéa dans le one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « C’est comme le désert, mais version campagne. » (Vincent s’adressant à Moussa à propos du film « Le Secret de Brokeback Mountain », dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent) ; etc.
Le désert peut être sacralisé par les protagonistes homosexuels car il est vu comme un espace du silence, de l’acorporéité, du confort dans la victimisation : « Sacré, le désert. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Elle s’asseyait au bord de mon lit […] et me racontait avec un accent étranger le curieux récit du désert. […] Oui, l’ivresse du désert existe, Ourdhia l’a rencontrée. » (la narratrice lesbienne parlant de sa grand-mère, dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, pp. 52-54) ; « S’il le faut, je traverserai le désert sur un genou pour assurer ton bonheur. » (le Père 1 s’adressant à son futur gendre de manière despotique, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Je veux marcher jusqu’en Afrique et traverser le désert. » (Rimbaud s’adressant à son amant Verlaine, dans le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland) ; « Je fis une station devant chaque cinéma que je croisai : le Princess, le Palace, le Cinéma de Paris, le Loew’s, le York, pour réchauffer mes pieds autant que pour regarder les affiches. Au York, Sophia Loren et Charlton Heston s’embrassaient passionnément devant un panorama de désert sec et torride, les chanceux ! » (le narrateur homosexuel du roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 31) ; « Le désert était bien là. Mon cabinet de toilette étouffait sous un bloc généreux de sable : la dune. » (la narratrice lesbienne dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 53) ; etc.
b) Le sable, métaphore du désir :
Dans la fantasmagorie homosexuelle, on retrouve souvent la mention du sable en tant que métaphore (métonymique) du désir : cf. la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo, le poème « L’Île au trésor » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, le film « Love Letter In The Sand » (1988) d’Hisayasu Sato, le film « Sand » (2011) de Julie Carlier, le roman Les Dollars des sables (2006) de Jean-Noël Pancrazi (avec l’usage récurrent du point virgule), le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, « Sous le sable » (2000) de François Ozon, le roman Une Poignée de sable (1971) de Christian Giudicelli, le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, la chanson « The One » d’Elton John, le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec le sablier), le poème « Les Fantômes du désir » de Luis Cernuda, le film « Grains de sable » (1995) de Ryosuke Hashiguchi, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le roman Poudre d’or (1993) d’Yves Navarre, le film « Boys In The Sand » (1971) de Wakefield Poole, le film « Lang Tao Sha » (1936) de Wu Yonggang, le film « De sable et de sang » (1987) de Jeanne Labrune, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, etc. « Poussière poudre d’or. » (le narrateur dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet) Par exemple, dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi, il est question de « poussières d’or » (p. 123). Dans le livre Papa, c’est quoi un homosexuel ? (2007) d’Anna Boulanger, l’homosexuel est qualifié d’« amateur de terre jaune ». Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, s’unit à son amant Kevin sur la plage… et son sperme dans la main se mêle au sable.
Régulièrement, le héros homosexuel se prend pour le sable, donc pour son propre désir, son propre amour (narcissique, plein de mirages et de réverbérations) : « J’ai mis le sable et tu as mis l’eau. D’un grain de sable et d’une larme, nous avons fait un couple. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’égrènerai le sable, le sable incandescent : mon rosaire d’amour ! » (cf. le poème « À Gilles R*** » de Denis Daniel, dans l’autobiographie Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 57) ; « Mais qui étions-nous quand nous nous sommes rencontrés ? Deux histoires, deux sabliers peut-être, impénétrables. Deux sabliers qui allaient s’inverser comme un miroir. […] Une histoire rêvée, fantasmée […] On descend vers soi, comme le sable, comme le fleuve. » (Adrien, le narrateur homosexuel parlant de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 138) ; « Maintenant, je me trouve au milieu d’un désert de sable surplombé par un mont également désert. […] Par pudeur j’ai jeté deux poignées de sable sur son sexe entrouvert. » (le narrateur homosexuel du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, pp. 26-27) ; « Essaie de prendre une poignée de sable dans ta main. » (Mathilde s’adressant à son meilleur ami homo Guillaume, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; etc. Par exemple, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, Pablo demande à son futur amant Bruno « Si tu étais un minéral, que serais-tu ? » ; il lui répond « le sable » ; et lui, « de l’eau ». Dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier, le Comédien et son amant accumulent des « objets comme des collections de sable, témoins de nos escales dans le monde amoureux ».
Cachafaz – « Ell’ te plaît pas molle, ma bite ?
Raulito – J’aimerais mieux de l’eau bénite ou traverser le Sahara ! »
(Copi, Cachafaz, 1993)
c) Le sable de mort : la cendre
Dans les fictions homo-érotiques, le désert et le sable sont davantage une épreuve ou l’endroit d’un viol (incestueux parfois) qu’un lieu ou un facteur de vie. « Pour un désert, c’est un désert ! » (le vieux Largui traversant le désert pour aller jusqu’aux chutes d’Iguazú dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Je maudis ce désert où nos corps sont jetés. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 109) ; « 17 ans, 17 carêmes. » (cf. la chanson « La Chanson de Jérémy » de Bruno Bisaro) ; « Qui a mis du sable dans la tête à maman ? » (Corinne dans le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Le sablier se vide et se remplit de sang. » (la narratrice lesbienne dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 92) ; etc.
Par exemple, dans le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis, le désert est clairement montré comme le théâtre de la mort. Dans le film « Il Decameron » (1971) de Pier Paolo Pasolini, on retrouve le personnage de « l’homme du désert », défini comme un « saint à l’envers », diabolique. Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, Gouri et Rakä ne veulent pas revenir dans le monde du Réel et souhaitent faire demi-tour, rester dans « l’immense désert de sable » (p. 148) de la Cité des Rats… mais la porte qui sépare ce désert de la Réalité s’est refermée derrière eux et le retour est pour eux impossible. Dans le roman Le Sang du désert (2012) d’Alicia Garspar de Alba, Ivon, l’héroïne lesbienne, souffre de l’homophobie de sa mère : sa mère biologique tout comme sa mère géographique puisque l’intrigue se passe le long de la frontière mexicano-américaine. Dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, les protagonistes cherchent un Alaska mythique où elles n’arriveront jamais. Dans le film « The Return Of Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty, au cœur d’une humanité dissoute, quatre jeunes femmes survivent dans le désert de l’Arizona et leurs désirs s’apprivoisent dans un cimetière d’avions. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Tom, le chanteur gay, a réalisé un clip dans un désert où il dit s’être pris pour Dieu, pour un Noé face à la menace de Déluge. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il leur prescrit 40 séances pour transformer les deux jeunes hommes en couple homo assumé.
Le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz démarre sur des images de deux motards (les deux amants Konrad et Heiko) qui roulent de manière complètement désordonnée et incontrôlée dans le sable d’une plage ; Heiko va ensuite se noyer dans une baignade de « couple ». La thématique du visage de l’amant narcissique disparu apparaissant sur le sable est soulignée par le play-back de la chanson « Aline » (de Christophe) par Konrad et Donato son partenaire de substitution.
Comme le sable n’est ni connecté au Réel, ni connecté à l’Amour vrai, ni à la personne du héros homosexuel, ce dernier finit par s’en venger, par le voir comme un sable de mort : « Il faut faire attention au virus des steppes. » (Garbo dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi) ; « J’ai du sable dans la gorge, qui demande à être arrosé, du sable sous les paupières, me grattant jusqu’au sang. Je m’effrite de partout, en paillettes de mica, en granulés sableux. Je ne peux plus parler. » (Yvon en parlant de Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 264) ; « La valise, elle était pleine de sable ! Maintenant, je traîne. Ma valise. » (le Fils dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Je suis comme l’on est au désert. Rien de ce qui m’intéresse n’est là, et je n’ai plus le cœur de provoquer ces instants qui pourtant m’étaient tout. Hier, il faisait ce grand froid qui gèle tous les échanges. Aucune visite. Mes rêves seuls me tiennent encore compagnie. Ils sont peuplés de ces Grecques qui avaient à l’époque toutes les facilités pour vivre des relations maintenant interdites, et la nuit je participe à tout ce que mon imagination peut inventer. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 73-74) ; « Le goût familier et oublié des cendres brûlées lui revint dans la bouche. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 223) ; « Quand la danse cessera, trop tard, tout prendra un goût de cendres. » (cf. la chanson « City Of Love » de Mylène Farmer) ; etc. Par exemple, à la toute fin de la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, la dernière Reine inca, le Jésuite, la Princesse, et la Vache sacrée « moururent empoisonnés sous le soleil brûlant au beau milieu du désert ». Dans la chanson « J’veux pas être jeune » de Nicolas Bacchus, le narrateur homosexuel et son amant se retrouvent « jusqu’au jardin désert qu’ils n’avaient pas cherché ». Dans le film « Ma Mère » (2004) de Christophe Honoré, le sable est associé à l’envahissement mortifère et incestueux entre une mère abusive et son fils Pierre. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, le cadavre d’Herbert est retrouvé sur un tas de sable près du château d’eau. Plus tard, Hugues compare « le sable sur le parquet » à une flaque de sang.
Le désert, dans l’idée, est même parfois envisagé comme un Jardin d’Éden inversé, un enfer hétérosexuel : « Dieu nous a donnés ce désert tout entier, car il nous préfère. » (Ève parlant du désert hétérosexuel par rapport au Jardin d’Éden habité par les homos, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso)
Régulièrement, le héros homosexuel ne veut pas aller au désert, se fige à ses portes, ou s’arrête à la pancarte d’entrée « DÉSERT » car il a peur d’y découvrir la Réalité, ses limites, sa finitude, la déception de l’amour homosexuel : cf. la fin du vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer, la fin du film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le cri d’effroi de l’Homme prisonnier dans le désert), l’arrêt au désert tropical du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (face à un « paradis qui semble vide »), la chanson « Qu’est-ce que ça peut faire ? » de Benjamin Biolay, le film « La Prisonnière du désert » (1956) de John Ford, etc. « Pourquoi n’es-tu pas venu au désert ? » (cf. une réplique de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « T’es en train de te demander ce que tu fous dans le désert… Qu’est-ce que j’avais besoin de t’entraîner… » (Maurice s’adressant à Abdallah dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Sa vie était devant ses yeux, désert morne. Comment avait-il pu, sans mourir de soif, traverser tout ce sable ? » (Fernand dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, p. 76) ; « On peut voyager longtemps dans le désert à condition qu’on ait un point d’attache quelque part. » (le héros homosexuel dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; etc.
Le sable de mort, c’est bien sûr l’autre nom de la cendre : cf. le roman Un Goût de cendres (2004) de Jean-Paul Tapie, le film « De soie et de cendres » (2003) de Jacques Otmezguine, le film « Les Cendres du temps » (1997) de Wong Kar-wai, le film « L’Homme de cendres » (1986) de Nouri Bouzid, le roman Cenizas (1974) d’Eduardo Mendicutti, la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue (se déroulant pendant le Mercredi des Cendres), la chanson « Rise Like A Phenix » de Conchita Wurst, etc. Par exemple, dans le roman Der Tod In Venedig (La Mort à Venise, 1912) de Thomas Mann, le nom d’Aschenbach (le héros homosexuel, est composé littéralement de deux mots : Bach, qui signifie Ruisseau et Asche qui signifie Cendre. Dans le film « Seul le feu » (2013) de Christophe Pellet, Thomas, en visitant le Père Lachaise, souhaite être incinéré. Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Richard conserve les cendres de son amant Kai chez lui. Dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, Radmilo disperse les cendres de son bien-aimé Mirko. À la fin du docu-fiction « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, les militants homos d’Act-Up font irruption dans une soirée cocktail bourgeoise, pour y disperser les cendres de Sean, leur pote homo mort du Sida.
Il est souvent fait mention de Cendrillon dans les fictions homo-érotiques : cf. la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon, la chanson Cinderella de Britney Spears, la chanson « Cendrillon » de Stéphane Corbin, le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity, etc. « Je m’étais juré de pas coucher le premier soir ! Mais que voulez-vous ? J’avais rencontré mon Prince Charmant ! Je me sentais comme Cendrillon ! Elle avait trouvé chaussure à son pied et moi… » (Raphaël Beaumont dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) ; « Le p’tit Martin à sa maman est une Cendrillon ! » (Malik, le héros hétérosexuel charriant Martin, le héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel est traité par Brad, le méchant du film, de « Cendrillon ». Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric le héros homo adore les bals : « Lui, pour le coup, a un vrai complexe de Cendrillon. » (Otis, le meilleur ami hétéro d’Éric, dans l’épisode 7 de la saison 1).
Même si au départ la cendre prend un sens résurrectionnel (celui du Phénix qui renaît de ses cendres, qui se relève plus fort après la grande traversée du désert), elle se réfère avant tout à la vacuité de l’existence, de l’« amour » et des pratiques du héros homosexuel : « Je souhaite renaître tel un Phoénix de mes propres cendriers. » (Océane Rose-Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Fais attention aux traces de doigts et à la cendre. » (Bernard s’adressant à Donald, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « De nouveau un dimanche d’une écrasante chaleur estivale, de nouveau mes regrets, ma tendresse, mes inquiétudes, mes interrogations de vous, vers vous, pour vous. De nouveau des mots, des phrases que je ne peux réprimer, des pensées nostalgiques : traces dérisoires, cendres laissées par le grand brasier qui m’enflamme depuis notre rencontre […]. » (Émilie s’adressant à Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 25) ; « Pourquoi n’avais-je sur les livres que le goût triste de la cendre ? » (Jacques, le quinquagénaire s’adressant au jeune Mathant de 19 ans, au lendemain de leur nuit d’amour, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Le désert ou l’errance :
J’aime le désert car il me transporte directement vers la transcendance de Dieu. Et je suis très attaché, chez les saints, à Jean-Baptiste et à saint Antoine de Padoue. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si mon blog s’appelle L’Araignée du Désert, certainement. Je ne suis pas le seul auteur homosexuel a développé un attachement pour le désert (que j’ai visité pour la première fois au Liban en avril 2013). Par exemple, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, l’article de Boti García Rodrigo fait de temps en temps référence au désert. Certaines personnes homosexuelles ont célébré le désert et y ont vécu : Arthur Rimbaud, Lawrence d’Arabie, Paul Bowles, Jack Kerouac, Yves Saint-Laurent, Jean Sénac, Pier Paolo Pasolini, etc. D’autres en ont parlé, ou bien y ont été identifiées : cf. la lettre De Profundis (1897) d’Oscar Wilde, l’essai Le Prophète dans le désert (1997) de David Coad (dédié à Patrick White), etc. Elles se présentent quelquefois comme des grands voyageurs du désert, des touaregs : « À cette époque-là, c’était un peu le désert. Je buvais beaucoup. J’étais à sec. » (Pierre parlant de sa rencontre avec Yann, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « À nouveau un grand désert. Mais un grand désert blanc. » (Pierre évoquant son voyage en Terre Adélie, idem) ; etc.
b) Le sable, métaphore du désir :
Le sable, dans l’inconscient collectif et humain, se réfère très souvent au désir. Et comme le désir homosexuel est inclus dans les désirs humains (divisants), il est logique que certains créateurs homosexuels en parlent, de manière souvent inconsciente : cf. la photo L’Arène (1926) de Claude Cahun (classée comme par hasard dans la section « Métaphores du désir » de l’Exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries à Paris en juin 2011). « C’est tellement sensuel, le sable ! » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 172) Par exemple, dans l’essai De Sodoma A Chueca (2007) d’Alberto Mira, il est dit que Federico García Lorca défend un « théâtre sous le sable » (p. 272). Dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, Madeleine lit un livre qui intrigue Jacques : « C’est une vieille dame qui s’adresse à un homme, un témoin silencieux, qui la suit depuis toujours. Elle est enterrée dans une dune de sable jusqu’à la taille. Elle a un sac. Ça me fait penser à toi et à moi. » Jacques s’en amuse : « Tu vois que ça fait du bien de s’enterrer dans le sable. C’est très bon pour les rhumatismes. L’été dernier, tu ne m’as pas permis de te recouvrir de sable. Tu as eu tort. » (p. 265) Je vous renvoie également à mon mémoire de DEA intitulé Le Sablier de Néstor Perlongher, que j’ai rédigé à Rennes à propos du recueil poétique Austria-Hungría, en 2003. J’y développe toute une nouvelle cosmogonie désirante autour du sablier, et en particulier du sable comme métonymie du Désir.
Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, la culture homosexuelle est présentée littéralement comme un désert.
c) Le sable de mort : la cendre
En général, le désert et le sable dont parlent (ou que vivent) les personnes homosexuelles ne sont pas positifs car ils ne sont reliés ni au Réel (la différence des sexes) ni à Dieu (la différence Créateur/créatures). Ils constituent une fuite de soi et des autres. Ou bien elles cherchent à l’éviter pour éviter d’avoir à se poser la question de leur identité profonde et du Sens de leur existence. La majorité des personnes homosexuelles n’ont pas pris le temps de se poser pour interroger leurs désirs profonds. Et seul le désert permet cela.
« Le monde s’est mis alors à trembler autour de moi. La terre s’ouvrait sous mes pieds. L’abîme. J’y suis tombé. Le cycle de la mort aveugle, que j’avais déjà croisé enfant, jeune homme, recommençait. C’était le désert. Le désert et la panique. […] J’avais peur, peur, peur… Peur de partir. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 93) ; « Il [Adrien, le héros homosexuel] considérait d’ailleurs la fidélité sous un jour nouveau. La sexualité masculine conservait toujours quelque chose d’animal. Ni la tendresse ni l’amour – ce que transmettent les femmes – ne parvenaient totalement à dompter la puissance d’un désir brut, primitif, captivant. Ce désir de pénétrer et d’envahir la différence de l’autre ; de ne pas laisser la proie s’échapper. Car c’est elle, la proie, qui donne l’impression d’exister mieux. Elle est comme une extension de soi, un poids ajouté au sien. Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. Tous finalement refusent leur solitude, leur finitude, leur désert. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 51) ; « Chacun de nous est un désert. Une œuvre est toujours un cri dans le désert. » (François Mauriac) ; etc.
Il n’y a qu’à voir comment la majorité des personnes homosexuelles diabolisent le célibat, voient mon choix de continence (donc de renoncement par rapport aux plaisirs génitaux) comme un bagne et un désert aride que j’imposerais à tout individu homo (alors qu’en réalité, je n’impose absolument pas la continence comme un modèle imposé : je la propose juste en tant que « meilleur pour les personnes homos qui ne peuvent pas se marier avec une personne du sexe complémentaire », et toujours dans le respect de la liberté de chacun), pour comprendre l’aversion homosexuelle pour le repos du désert.
Certaines personnes homosexuelles préfèrent s’appesantir sur leur état de cendres, et s’identifient parfois à Cendrillon : « Tu fais la souillon, tu fais la Cendrillon. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla). Par exemple, dans l’émission de télé-crochet The Voice 4 diffusée sur la chaîne TF1 le 24 janvier 2015, le chanteur homosexuel Mika se met en boutade dans la peau de Cendrillon agressée par ses deux sœurs (et rivales-coachs Jennifer et Zazie) : « Elles sont comme deux sorcières toutes en noir. Vous êtes comme les deux sœurs dans Cendrillon ! »
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