Amant narcissique
NOTICE EXPLICATIVE :
La psychanalyse, et notamment Freud, a beaucoup insisté (et pour cause !) sur la nature narcissique du désir homosexuel : ayant trop peur d’elles-mêmes pour s’accepter uniques et pour s’extérioriser vers les autres, les personnes homosexuelles se cherchent fantasmatiquement un clone d’elles-mêmes projectivement valorisé, vers qui elles pensent retrouver leur unité originelle/amoureuse (narcissisme platonicien, quand tu nous tiens…), pouvant dans un premier temps les rassurer dans une rafraîchissante et spéculaire ressemblance, mais qui au final les enferme sur elles-mêmes au point de les faire mourir ou d’éteindre en elles le désir. Dans la mythologie grecque, il n’est pas anodin que Narcisse se noie dans son égocentrisme, qu’il rêvait pourtant tourné sur l’Autre. Cette attirance vers le miroir de soi, très marquée dans les créations artistiques homosexuelles, rappelle que le désir homosexuel est un désir d’être objet, un élan plus égocentrique qu’altruiste, davantage ouvert sur la mort qu’à la – si vitale – Différence.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Miroir », « Jumeaux », « Cercueil en cristal », « Don Juan », « Voyeur vu », « Espion », « Clonage », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Amant diabolique », « Homme invisible », « Inversion », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Photographe », « Inceste », « Substitut d’identité », « Haine de la beauté », « Amant modèle photographique », « Pygmalion », « Eau », et à la partie « Paravent » du code « Maquillage », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.
FICTION
a) Le personnage homosexuel trouve en son amant homosexuel une projection idéalisée et spéculaire de lui-même :
En général, dans les œuvres artistiques homo-érotiques, le héros homosexuel ou le réalisateur homosexuel prête au miroir des sentiments, une personnalité (… parce qu’initialement lui-même s’est pris pour un miroir !) : cf. le film « Espelho De Carne » (1983) d’Antonio Carlos Fontoura, le film « Diva Histeria » (2006) de Denis Gueguin, la photo « I’ll Be Your Mirror » (1996) de Nan Goldin, l’album Surfaces de plaisir (1987) de Federico Moura, le film « L’un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, le film « Glissements progressifs du plaisir » (1974) d’Alain Robbe-Grillet, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le film « I’m The One That I Want » (2000) de Lionel Coleman, le film « Je suis ma propre femme » (1992) de Rosa von Praunheim, le film « Narziss Und Echo » (1989) de Michael Brynntrup, le film « Dorian Gray Im Spiegel Der Boulevardpresse » (1983) d’Ulrike Ottinger, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le film « Le Miroir de l’obscène » (1973) de Jess Franco, le film « Atomes » (2012) d’Arnaud Dufeys (entre Hugo et Jules dans les toilettes de l’internat), etc.
« Je suis votre miroir, la belle : je réfléchirai pour vous. » (le Miroir parlant à la Belle avec la voix de la Bête, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; « Un pare-brise de Twingo ? Fendu en deux, en plus… C’est gentil, je suis pas intéressé. […] Je me fais grave chauffer depuis que je suis une vitre ! » (le narrateur homosexuel réincarné en vitre de pare-brise, et racontant comment il fut accosté par une autre vitre, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Regarde-moi dans les yeux car il n’y a pas d’autre lieu où tu puisses voir le miroir dans lequel dans un instant tu t’éveilleras en moi ! » (Ahmed s’adressant à Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « La lun’ se lève dans le ciel rouge comm’ par un’ nuit d’été ! Cachafaz et la Raulito vont passer de l’autre côté ! » (le chœur des voisines parlant du couple homo Cachafaz/Raulito, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Je vous envie d’aimer les vitres comme vous les aimez. » (Marie-Louise, une brodeuse parlant du rapport entre Sidonie et la Reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Il s’agit de trouver dans ce visage un miroir, le plus limpide des miroirs, de sorte que cette personne va me renvoyer cette lumière. » (Isabelle, l’héroïne bisexuelle du film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion) ; « C’est comme un miroir. Je sens un souffle qui naît à l’unisson. Mon double. » (c.f. la chanson « Retenir l’eau » de Mylène Farmer) ; etc.
Par exemple, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Fédore, l’une des héroïnes lesbiennes, interroge (ironiquement ?) son miroir sur le mode amoureux : « Dis-moi que je suis belle et que je serai belle, éternellement… éternellement. » (p. 243) Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie pose ses lèvres sur l’empreinte de rouge à lèvres laissée par Floriane sur la vitre de sa fenêtre, pour être en communion avec son amante. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, c’est en s’observant toutes les deux face à un miroir que Carol et Thérèse s’embrassent sur la bouche pour la première fois. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Simon, le héros homo, s’entraîne à déclarer sa flamme à Bram, son futur amant devant sa glace. Et comme par hasard, le pseudonyme de Bram est très aquatique puisque le jeune homme se fait appeler « Blue ». Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Vita Sackville-West et Virginia Woolf s’embrassent pour la première fois à côté d’un miroir, et c’est leur reflet que le téléspectateur voit. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Rémi regarde et communique avec son amant Léo à travers la vitre-plexiglas de la patinoire de hockey sur glace où joue Léo.
Parfois, le héros homosexuel embrasse son propre reflet dans la glace : cf. le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1987) de Pedro Almodóvar (le tout début avec le comédien forcé par deux réalisateurs d’embrasser sa glace et de se masturber sur scène), le film « Vacationland » (2006) de Todd Verows, la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde (Dorian dit « Je t’aime » à son autoportrait), le roman Le Baiser de Narcisse (1907) de Jacques Adelsward, le film « Le Baiser devant le miroir » (1933) de James Whale, la chanson « Je m’aime » de Dranem, etc.
« J’ai envie de m’embrasser. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Un baiser sur le miroir, avec un peu de langue. » (le personnage homosexuel noir, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Ce nouveau Narcisse s’éprendra de sa propre beauté. » (la conteuse parlant de Dorian dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Plusieurs fois dans les mois qui suivent je retourne seul au Louvre (sans jamais réussir à m’y faire enfermer ; j’aimerais beaucoup vivre ici et le dis chaque fois aux gardiens) […] À force d’observations, je finis par découvrir que je figure sur trois peintures au moins et que sur celle signée Raphaël j’apparais carrément tout entier à poil […] : c’est là devant ce tableau que pour la première fois de son existence Vincent Garbo aura éprouvé sur tout son corps l’émotion de l’amour. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 45) ; « La seule personne que j’aime, c’est moi. » (Juna, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Mon Dieu, si je pouvais me faire l’amour… » (Jarry embrassant son reflet dans la glace, dans son one-man-show Atypique, 2017) ; etc.
Par exemple, dans le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, Élisa, l’héroïne lesbienne, s’embrasse dans la glace. Dans la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora, le protagoniste tombe amoureux de son reflet. Dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le personnage principal se prend pour Narcisse et se masturbe sous la douche. Dans le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, Andersen s’embrasse dans la glace. Dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, Hervé, le héros homosexuel s’appelle lui-même « mon chéri ». Dans la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre, le protagoniste donne un baiser à son reflet dans le miroir. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Paul s’écrit une lettre d’amour à lui-même par un lapsus épistolaire, alors que pourtant, il souhaitait l’adresser initialement à Agathe. Dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, Romain, le héros, exprime son narcissisme dans la mort : « Je voulais vous dire que je vous aime, que je suis très malade et que je vais bientôt mourir » répète-t-il à son reflet spéculaire dans l’ascenseur. Dans la pièce Open Bed (2008) de David Serrano et Roberto Santiago, Julien dit qu’il « pourrait très bien tomber amoureux de lui-même », et que le fait de l’envisager, c’est chez lui « le début de la bisexualité ». Dans le film « A Escondidas » (« Fronteras », 2016) de Mikel Rueda, Rafa, un jeune de 14 ans, s’embrasse dans la glace au moment où il découvre sa tendance homosexuelle. Dans le film « Les Amoureux » (1964) de Mai Zetterling, le héros avoue que son plus « grand problème », c’est qu’il « se fait constamment la cour ». Dans le roman d’Yves Navarre Portrait de Julien devant la fenêtre (1979), le juge Kappus en arrive au constat narcissique suivant : « On ne vit qu’avec soi. On n’aime que soi. » (p. 154) Pendant son concert à L’Européen à Paris le 6 juin 2011, Océane Rose-Marie (Oshen, la fameuse « lesbienne invisible ») commence son show de manière très bizarre : elle se regarde dans son verre à pied, s’arrange et s’adore devant son reflet ; le verre en cristal lui sert de miroir narcissique. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz, le héros homosexuel, parle à son miroir, l’engueule puis l’embrasse. Dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, le cosaque Karltschusski « baisait son portrait ». Dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), Merteuil comme Valmont s’embrassent dans le miroir. Dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, Jerry annonce la bouche en cœur à son ami Joe « Je suis fiancée ! ». Et quand Joe lui demande « quel est l’heureux élu ? », il répond joyeusement « Moi ! ».
Il arrive que la meilleure amie du héros homosexuel reproche au protagoniste homosexuel de ne penser qu’à lui : « De toute façon, tu ne t’intéresses à personne d’autre qu’à toi. » (Marie s’adressant à son meilleur ami gay Loïc, dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier) ; « Tu n’as dit ‘je t’aime’ qu’à toi-même. » (cf. la chanson « Jimmy Love Me » de la Diva dans la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Berger) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, lorsque le public entend la révélation publique de l’homosexualité de Tom (« Tom Valentin est homo. »), Cindy, sa compagne postiche, ouvre la fenêtre puis la referme en parodiant la pub de parfum Égoïste ! de Jean-Paul Goude. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Joan, la fiancée répudiée par Alan Turing, homosexuel, le baptise de « fragile Narcisse ».
Le personnage homosexuel tombe amoureux de lui-même, de sa propre image. Mais comme il n’ose pas regarder en face son propre égoïsme, il se sert d’un être humain réel (ou une star de télé) sur lequel il se projette lui-même, pour camoufler/justifier son narcissisme. Par exemple, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, quand Mathan demande à Jacques « s’il n’a personne dans sa vie », ce dernier lui répond que si : « Il s’appelle Narcisse. […] C’est mon chat angora. Un peu comme un amant. » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, vole dans la salle de bain de son amant de passage Walt une assiette en porcelaine accrochée au mur, assiette qui le fascine car elle représente un homme triste. Il finit par dénoncer son larcin : « Merci pour l’assiette avec le garçon triste. » Dans le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann, Arthur découvre que son copain Julien a un attrait pour lui parce qu’il le voit l’observer indirectement dans un miroir.
L’amant n’est envisagé que derrière une vitrine : « Je me vois dans le miroir à même sa peau. » (la narratrice lesbienne parlant de son amante Mathilde, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 117) ; « De part et d’autre de la vitre, nous nous regardons en silence. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) ; « Voulez-vous que je vous serve de miroir…? » (Inès, la lesbienne, s’adressant en séductrice à Estelle qui déplore, en enfer, de ne plus avoir de miroir où se regarder, dans la pièce Huis-clos (1944) de Jean-Paul Sartre) ; etc.
Par exemple, dans le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, le personnage de Willie décrit ses différents amants comme des reflets aquatiques : « Ça fait cinq, […] si je repense à mes amours. […] Ça fait bizarre de les mettre sur la même surface, à égalité, tout plat, hop, un peu comme s’ils étaient posés tous les cinq sur l’eau. » (p. 279)
Dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, le rapport corporel homosexuel fait penser à celui de l’imprimerie : « Je retrouve ta chair. Je passe d’un monde à l’autre. Cela n’est pas si difficile. D’abord, tu me prends dans tes bras. Tu as ce geste immédiat, instinctif de rechercher mon contact, d’être comme moi, d’imprimer ton corps sur le mien, d’atteindre ce moment où ils sont en symbiose, où leurs épousailles les transforment en un seul objet. » (Vincent s’adressant à Arthur, p. 63)
Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Lukacz fait les vitres de la maison d’Adam à l’insu de ce dernier. Et Adam découvre, en regardant par la fenêtre, le visage de son futur amant. Dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport, les deux amants homosexuels s’embrassent à travers une paroi vitrée. Dans le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, la vitre sépare les deux amants Johnny et Omar. Idem dans le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, ou encore dans le film « Plutôt d’accord » (2004) de Christophe et Stéphane Botti (avec la vitre entre Rodrigue et Jérémy). Dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca, Doña Rosita considère Cocoliche comme un miroir d’elle-même : « Chaque fois que je te regarde, mon amour, je crois être devant une fontaine. » Dans le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano, on observe un véritable mimétisme spéculaire entre les deux amants homosexuels, qui jouent au « jeu du miroir ». La génitalité homosexuelle est montrée comme spéculaire dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, ainsi que dans la chanson « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer (« Le nec plus ultra en ce paysage, c’est d’aimer des côtés. »). Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le couple lesbien Emma/Adèle est fusionnel, aquatique et narcissique : les filles sont filmées de près, sur des fonds bleus ou entourées de miroirs. Dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau présente le miroir comme un univers d’inversion, au niveau de l’identité sexuée d’une part (le petit homme embrasse la princesse « ressemblant à Sheila dans ses beaux jours » et qui se transforme en Jean Cocteau), mais aussi au niveau de la pratique sexuelle. Le miroir est donc un lieu où tout le monde devient auto-reverse, où l’amour homo et l’identité siamoise sont rendus possibles : « Ô, toi, public, connais-tu l’histoire du miroir à deux faces ? » ; « Et ils [le petit homme et Jean-Claude son amant spéculaire] s’émeurent. Et ils s’aimèrent. »
L’amant narcissique est quelquefois tout simplement le modèle de magazine que le héros homosexuel jalouse : « Une fois, j’ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Je n’arrêtais pas de me demander : Pourquoi cette femme me ressemble ? Pourquoi elle est dans le magazine et pas moi ?!? […] Elle me ressemblait, et ça me rendait malheureuse. Cette femme dans le magazine qui me ressemblait, je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a explosé à la figure. » (Oshen – la comédienne Océane Rose-Marie – lors de son concert à L’Européen à Paris le 6 juin 2011) ; « Tu te prends pour la réincarnation de David ou quoi ? » (Jian Cheng s’adressant à Wang Ping qui se regarde dans la glace, dans le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye) ; etc.
Il est fréquent de retrouver des scènes de films homo-érotiques où le héros homosexuel et son amant font l’amour dans une chambre entourée de miroirs : cf. je vous renvoie au code « Cercueil en cristal » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
L’amour homosexuel, même s’il semble en intentions inconditionnellement tourné vers l’autre, est une nouvelle version de l’amour partiellement égocentrique. L’égoïsme, au lieu de tourner autour d’un seul être, englobe cette fois deux personnes. « Au fond, tu n’auras toujours été qu’un sale égoïste. » (Vincent s’adressant à son amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Tu t’aimes beaucoup. Si on doit mesurer les égos, je suis battu à plate couture. » (Vincent s’adressant à Stéphane, idem) ; etc. C’est la raison pour laquelle, génitalement, il a tendance à se traduire par la pratique de la masturbation réciproque, de l’auto-érotisme à plusieurs. Comme pour symboliser que l’union homosexuelle est prioritairement narcissique, certains cinéastes filment parfois les scènes érotiques homosexuelles dans des lits entourés de miroirs, multipliant les amants à l’infini tout en les centrant sur eux, comme dans le film « Grande École » (2003) de Robert Salis (cf. je vous renvoie au code « Cercueil de cristal » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Certes, là encore, le coït homosexuel semble ouvert sur l’extérieur car les miroirs favorisent l’impression d’agrandissement spatial… mais ceci n’est vrai que dans la logique spéculaire et non dans le réel.
b) L’envers du décor spéculaire amoureux homosexuel :
Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé. La preuve en est que dans les œuvres homosexuelles, les personnages gays se font souvent leur propre déclaration d’amour devant la glace, et que l’amant est souvent associé au reflet dans le miroir. De surcroît, ce dernier n’est généralement pas un gentil écran plat (cf. la chanson « Corps et armes » d’Étienne Daho, le poème « El Inquisidor Ante El Espejo » de Vicente Aleixandre, le film « Le Narcisse noir » (1947) de Powell et Pressburger, la chanson « Rupture en miroir » de Jane Birkin, la poésie « Pénombre » de Pierre Louÿs, etc.) : « Quand on entre dans la cour, le garçon de la DDASS sort le premier. Il s’approche de la voiture, colle son nez à la vitre, me regarde, une main en visière de casquette. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 49)
Au fur et à mesure du temps, le contact spéculaire entre les deux amants finit par apparaître comme une frontière désagréable (et merdique !), une distance d’indifférence, de mépris ou de froideur qui frustre chacun des partenaires : « C’était comme s’il y avait un épais mur de verre entre nous. » (Laurent parlant de l’incommunicabilité avec son amant André, dans le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Je le vois bien que vous êtes là, je vous vois reflétée dans l’eau des waters ! » (Loretta Strong s’adressant à Linda dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « C’était comme au cinéma. C’était au bord de la plage. C’est alors qu’il m’est apparu. Un petit air de Ryan Goslin… avec le corps d’Élie Sémoun. » (Benjamin racontant sa première rencontre avec Arnaud, à qui il a fait volontairement un croche-patte, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Il faut voir les jolis garçons timides qui se reniflent comme des chiens, […] la joie illuminer leur visage quand ils croisent dans le jeu des carreaux le reflet révélateur de celui qu’ils convoitaient et qui enfin répond à leur appel par un regard de gorgone lubrique. » (le chiotte public homosexuel dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 93) ; « Surprise, elle me dévisage sur le cliché et puis en chair et en os, et après se regarde longuement dans la glace. J’accroche la photo au coin du miroir, et me reflète à mon tour. Je suis derrière elle, et je lui parle à l’oreille, fixant son double qui me fait face. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 47-48) ; « On se parle par écrans interposés. » (Daniel s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Derrière la vitre je l’observe, assis sous l’abribus ensoleillé. Son pantalon est trop petit, son front trop plat, ses yeux dépourvus de regard. Ses cheveux ressemblent à des poils de radis noir trempés dans l’huile de tournesol, mais peignés soigneusement. » (le narrateur homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 11) ; etc.
Par exemple, dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin, les deux amantes Anna et Cassie croient que si elles se déconnectent d’Internet, si elles brises l’écran vitré qui les unit, elles et leur amour vont disparaître. C’est d’ailleurs ce qui leur arrive. Leur amour ne tient qu’à une connexion informatique. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca voit un de ses amants au lit comme « un braconnier » qui va le tuer pendant le coït : « Il m’a foutu la peur de ma vie ! » Il le voit comme un être virtuel : « Et moi, j’étais en dessous, et je tapais ESCAPE ESCAPE ESCAPE !! »
Dans le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver, Billy, en songe, veut aller rejoindre son amant Gabriel qu’il voit courir vers la mer, mais il se heurte contre une vitre invisible qui l’empêche d’avancer : l’écran de cinéma.
Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien décrit à son amant Malcolm leur histoire d’amour comme une douce pente, une descente aux égocentriques enfers aquatiques : « Mais qui étions-nous quand nous nous sommes rencontrés ? Deux sabliers qui allaient s’inverser comme un miroir. […] Une histoire rêvée, fantasmée […] On descend vers soi, comme le sable, comme le fleuve. » (p. 138) Le Narcisse homosexuel se prend pour son propre désir : « Il [Adrien] aimait aimer. Il aimait se ressentir, s’éprouver aimant. » (p. 40) Et même si cela le flatte dans une premier temps, il finit par en payer les conséquences…
Dans le roman à l’eau de rose gay Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, les amants homosexuels entretiennent une relation totalement narcissique du point de vue du désir. Bryan, le héros, dorlote Kévin comme s’il se parlait à lui-même : « Quand je te vois, j’ai l’impression que tu n’es pas réel. Que je suis dans un rêve. Comme si tu venais d’ailleurs ou que tu étais immortel ! » (p. 141) ; « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (pp. 330-331) ; « Tu es comme j’aurais voulu être, mais comme je ne suis pas. T’es mon rêve ! » (p. 142) Bryan réclame à Kévin qu’il lui parle davantage de lui, parce qu’« il ne se voit qu’à travers lui, à travers ce qu’il lui dit » (p. 161). Il cherche tellement à le coller qu’il ne le voit plus, qu’il n’a même plus une claire vision de qui il a en face de lui : « Je ne te connais pas, comment peut-on aimer quelqu’un qu’on ne connaît pas ? Je ne sais pas… mais je t’aime ! » (pp. 213-214) Folie du narcissisme… On a tellement l’impression de dialoguer avec « son autre soi-même » qu’on ne se voit même plus soliloquer ! : « Kévin pleurait toujours. Je le pris dans mes bras et le serrai très fort contre ma poitrine. Nous étions face à face, corps contre corps, les yeux dans les yeux. Ce moment-là, je l’avais trop désiré. Encore une fois l’impression de rêver ! » (p. 317) Aveuglé par ses intentions d’amour fusionnel, Bryan ne se rend pas compte qu’il se noie dans les eaux infernales du Styx : « Ton regard… tes yeux. […] J’ai besoin de m’y perdre, de m’y noyer. » (p. 317) ; « Comment fais-tu ? T’es trop beau. T’es infernal. » (p. 317) Il finira par mourir de manière brutale à la fin du roman.
Le reflet spéculaire dont le héros homosexuel tombe amoureux ressemble à un mirage narquois et cruel. L’androgyne diabolique est ce personnage-miroir à double face (souvent décrit dans la fantasmagorie homosexuelle comme un reflet transparent, un homme invisible, une obscure clarté, un diamantaire) qui a tendance à épier, à user de la menace et à sectionner son partenaire amoureux. « Déjà ce soir-là Méphisto incognito guettait sa victime en rasant les murs. Dans les vitrines se croisent leurs regards, miroirs qui se font signe, sans parole et sans signature. » (cf. la chanson « Les Trottoirs de Los Angeles » de la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Plamondon) Par exemple, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, sous la douche, Clara, l’héroïne lesbienne, voit dans une flaque le reflet riant et diabolique d’un de ses agresseurs lesbophobes.
Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, vit sa vie amoureuse impossible à travers les miroirs. Par exemple, il découvre son émoi homosexuel pour Dick quand il le regarde nu dans une glace. Plus tard, il utilise le reflet de la vitre du compartiment du train pour se donner l’illusion spéculaire qu’il embrasse Dick sur la bouche. Enfin, après avoir assassiné Dick, Tom voit le visage accusateur de son amant dans les miroirs : il tombe de son solex après avoir croisé dans le miroir d’une brocante italienne le regard de Dick.
Il arrive même qu’il viole le héros homosexuel (dans le cadre de l’amour ou de la prostitution). Par exemple, dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, le prostitué Eloy s’adresse à Rubén – son client – à travers un miroir. Dans le film « Thomas trébuche » (1998) de Pascal-Alex Vincent, par exemple, au moment où Thomas embrasse son copain, il est blessé au visage par des éclats de verre. Dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, Nina tue avec un éclat de miroir brisé son amante lesbienne Veronika dans les loges de l’Opéra. Dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, Jan repousse violemment son meilleur ami Matthieu qui a tenté de l’embrasser sur la bouche, et ce dernier se retrouve propulsé sur une fenêtre qui vole en éclats et lui coupe la jambe.
L’attraction sexuelle vers Narcisse s’annonce explosive, éclatante et coupante comme un miroir brisé : « Il frémissait, nu maintenant, totalement nu et désarmé, recroquevillé dans le vent bleuté du soir, la tête basse pour ne pas encore affronter le reflet de lui-même qu’il se préparait à reconnaître dans le regard de Pierre Gravepierre. Il aurait aimé pleurer. Il aurait aimé se jeter, bras en avant vers Pierre Gravepierre. Il aurait aimé être happé doucement et étreint avec une violence qui l’aurait brisé. » (Claude Brami, Le Garçon sur la colline (1980), pp. 247-248) Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, le drame du narcissisme homosexuel apparaît comme un sacrifice d’amour magnifique, même s’il n’est en réalité qu’une jalousie entre amants, jalousie qui conduira Khalid à la mort : « Je l’ai poussé. Il a plongé. Le fleuve Bou Regreg l’a accueilli, embrassé, trop aimé. J’entends, je vois encore ce moment. Le corps de Khalid qui rencontre l’eau du fleuve. Un mariage. » (Omar parlant de Khalid, pp. 167-168) Dans le film « Choses secrètes » (2002) de Jean-Claude Brisseau, l’héroïne lesbienne Nathalie donne une définition assez juste des femmes au destin amoureux dangereux : « Les femmes fatales sont en général narcissiques ou lesbiennes. »
Le miroir est le reflet de la réalité violente de la pratique homosexuelle : « Le chauffeur de taxi râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 44) ; « Tes lèvres sont bleues. Tu as sucé un bonhomme de neige ? » (Harold s’adressant ironiquement à son pote Emory, homo lui aussi, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « La jeune prostituée jaillit de derrière la voiture et projeta un pavé sur la vitrine qui vola en éclats. Mme Pignou fut blessée au front par un éclat de verre. » (Copi, « Madame Pignou » (1978) p. 53) ; « J’allais rejoindre Jean-Pierre dans les toilettes. Il se tenait debout contre le mur. Il avait un couteau de cuisine à la main. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi) ; « On était au bord d’un lac. On regardait un coucher de soleil. Soudain, tout s’est écroulé. On s’est endormis. Et ils nous ont trouvés. » (Graham en parlant de son tragique amour d’adolescence avec Manadj, dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden) ; etc. Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le beau Vincent raconte que la première fois qu’il a couché homosexuellement, c’était dans un coin reculé d’une plage, à l’âge de 15 ans, avec un homme de 20 ans, Sébastien, qui s’est tué à l’arme à feu un an après.
L’amant narcissique peut être également le frère, le père, la sœur ou la mère du héros homosexuel… ce qui teinte le ravissement spéculaire d’inceste : cf. la pièce Le Cabaret des Utopies (2008) du Groupe Incognito (avec la jumelle narcissique), etc. « Quand je touchais un salaire de misère pour payer ma chambre de bonne, j’avais toujours épinglée votre photo sur mon miroir. J’ai suivi avec grande attention votre carrière. » (Vicky s’adressant à la Comédienne, qui n’est autre que sa sœur jumelle, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « On dirait ma sœur Olga. » (le compositeur homosexuel Érik Satie se regardant dans le miroir, dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Ma Mère : mon miroir. » (Margot dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Elle [Mathilde] voyait, sur une plage aride et dévorée par un ciel de feu, une pourriture que la vague inondait d’écume, puis délaissait pour la recouvrir encore, et bien que ce visage fût détruit affreusement, elle savait que c’était celui de Jean son frère. » (François Mauriac, Génitrix (1928), pp. 32-33) ; « Mon malaise s’estompait, mais l’image que me renvoya le miroir aurait pu être le fantôme d’une sœur jumelle morte. » (Laura, l’héroïne lesbienne du roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 118) ; etc.
La passion homosexuelle pour l’amant narcissique conduit en général le héros vers la mort (au moins psychique et désirante ; souvent corporelle). « Je t’ai vu partir avec un masque de verre. » (Heiko, le héros homosexuel s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) Par exemple, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, tous les personnages discutent en binôme en contemplant le lac. Et tous mourront narcissiquement de cette contemplation : Michel noie Pascal. Henri se sacrifie pour Franck. Franck se jette dans la gueule du loup (Michel). Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, Orphée est obligé de traverser le miroir pour rejoindre aux enfers sa compagne Eurydice.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Beaucoup de personnes homosexuelles envisagent à travers la pratique homo de créer un couple neuf où chacun de ses membres trouverait à travers l’autre son miroir parfait dans lequel il se sentirait à la fois créé et créateur. « Je l’ai rencontré dans un rétroviseur. J’allais à un pressing à Vanosque. » (Pierre en parlant de son amant Yann, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Tu penseras au poète grec d’Alexandrie. À celui qui a su raconter comment un miroir est tombé amoureux du coursier qui s’est regardé par hasard en lui. Un jour, un soldat grec se regardera dans ton miroir qui, comme celui du poète, tombera amoureux de lui. Qui pourra te reprocher de jouer aux miroirs ? » (la grand-mère d’Alfredo Arias parlant à son petit-fils homo, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997), p. 160) ; etc. Par amour, elles promettent à leur partenaire d’être identiques à lui/elles (n’oublions pas que le mot homosexualité est composé du terme grec homo qui veut dire « même »), mais paradoxalement, elles n’en supportent pas l’idée et s’interdisent de penser qu’elles sont fantasmatiquement superficielles comme les miroirs. En refusant de se reproduire avec/par l’autre à travers la parentalité naturelle, parce qu’elles considèrent que le miroir leur permet de s’engendrer toutes seules sans l’aide de personne, elles décident que leur création se fera dans la copie parfaite (= l’image dans le miroir), et non plus dans l’original « imparfait » (= l’enfant).
Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. « Il m’est même arrivé de m’embrasser devant la glace à 4 ans et demi. » (Bambi, star trans M to F, s’exprimant lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; « J’ai toujours été amoureuse de mon corps. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc. Mais cette déclaration ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.
Ainsi, elles se retrouvent souvent devant une situation délicate par rapport à leur amant : à la fois elles l’aiment tel qu’il est, mais aussi comme un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisé, … donc elles ne peuvent l’aimer vraiment pour lui-même. Certes, aucun amour humain, même entre une femme et un homme qui s’aiment profondément, n’est dénué de convoitise et de narcissisme : au sein d’une union, on aime toujours l’autre un peu pour soi (… et ceux qui prétendent le contraire ne sont pas dans le donner-recevoir de toute relation humaine). Mais force est de constater que l’amour homosexuel tend à enfermer le sujet sur lui-même ou à l’y ramener par le truchement d’un corps semblable. L’élan égocentrique du désir homosexuel est visible dans de nombreux couples homosexuels : on a souvent l’étrange impression que ces derniers se composent de deux solitudes qui ne n’existent pas chacune pour elle-même, vivant l’une à côté de l’autre sans être véritablement unies, exactement comme dans le couple hétérosexuel ou dans les échantillons de figurines Barbie et Ken exposées en rang d’oignons sous cellophane dans les supermarchés.
Sigmund Freud a été bien inspiré de souligner la composante narcissique du choix d’objet sexuel dans le désir homosexuel (il a juste oublié de l’appliquer aussi aux couples hétérosexuels en dissociant clairement le couple hétérosexuel du couple femme-homme désirant). La sexualité homosexuelle est à double face, à l’image du miroir. Mylène Farmer ne chante-t-elle pas dans sa chanson « Pourvu qu’elles soient douces », que le nec plus ultra dans le paysage homosexuel, « c’est d’aimer des deux côtés » ? Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé. « Le ruisseau et ceux qui s’y vautrent avait déjà commencé à te fasciner. » (Oscar Wilde s’adressant à son jeune amant Lord Douglas, dans sa lettre De Profundis écrite en 1897) L’amour homosexuel est, selon Platon, un « reflet d’amour en réponse à l’amour » (Daniel Borillo et Dominique Colas, L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005), p. 81). Par exemple, dans son autobiographie Aveux non avenus (1930), la photographe lesbienne Claude Cahun parle d’elle et de Suzanne Malherbe en des termes très narcissiques : « Portrait de l’un ou de l’autre, nos deux narcissismes s’y noyant, c’est l’impossible réalisé en un miroir magique. »
L’amour homosexuel peut téléporter les personnes homos dans un autre monde et leur faire faire une traversée du miroir peu libre, comme le montrent les propos de Corinne dans l’émission Ça se discute (diffusée sur la chaîne France 2, le 18 février 2004) par rapport à son initiation à la pratique homosexuelle : « Nous nous sommes embrassées, et j’ai su que ma vie avait basculé. J’ai été projetée d’un monde à l’autre. »
L’amour homosexuel, même s’il semble en intentions inconditionnellement tourné vers l’autre, est une nouvelle version de l’amour partiellement égocentrique. L’égoïsme, au lieu de tourner autour d’un seul être, englobe cette fois deux personnes. « C’est ça, une vie de luxure. Je me regardais constamment dans le miroir. Et c’était toujours MOI, MOI, MOI. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) C’est la raison pour laquelle, génitalement, il a tendance à se traduire par la pratique de la masturbation réciproque, de l’auto-érotisme à plusieurs. Comme pour symboliser que l’union homosexuelle est prioritairement narcissique, certains cinéastes filment parfois les scènes érotiques homosexuelles dans des lits entourés de miroirs, multipliant les amants à l’infini tout en les centrant sur eux. Certes, là encore, le coït homosexuel semble ouvert sur l’extérieur car les miroirs favorisent l’impression d’agrandissement spatial… mais ceci n’est vrai que dans la logique spéculaire et non dans le réel. L’amour homosexuel, indépendamment de la volonté des deux membres du couple, implique d’abord un désir de clonage, d’une duplication, d’un écho androgynique, et non d’un engendrement par la différence.
Peu de personnes homosexuelles dérogent à cette interprétation fausse et égocentrique de l’amour, aux désastres du narcissisme identitaire. Par exemple, dans son autobiographie Parloir (2002), Christian Giudicelli s’imagine devant son propre reflet qu’il s’adresse à son jeune amant Kamel : « Je me regarde dans le miroir : c’est lui. Je dis : ‘Bonjour, c’est moi Kamel.’ Il approche son visage, ses lèvres ouvrent mes lèvres. » (p. 119) Elles aiment se rassurer de la sexualité en cherchant un semblable qui la confortera dans son manque de confiance en elle : « Je n’ai jamais eu d’aventure avec quiconque. Des relations sexuelles, oui. Des relations amicales, oui. Les deux combinées ? Non. Jimmie, bien entendu, c’était autre chose – c’était moi. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 253) Didier Éribon, en racontant dans son autobiographie Retour à Reims (2010) un de ses plus forts émois amoureux envers un camarade de classe, illustre tout à fait le mimétisme spéculaire impulsé par le désir homosexuel : « Il me fascinait et j’aspirais à lui ressembler. » (p. 175)
L’amour homosexuel est un amour de mise en abyme, projectionnel : l’amant homosexuel se regarde aimer plus qu’il n’aime vraiment, tombe amoureux de « lui-même en amoureux » plutôt que de l’individu singulier en face de lui, vit dans le désir d’aimer sans aimer concrètement, expérimente l’amour dans l’intention plus que dans les faits. C’est pour cela qu’il parle au conditionnel quand il exprime son désir : « Je voudrais que tu me manques » dit Christophe Moulin dans sa chanson « J’aimerais aimer ». Le désir homosexuel n’est pas pleinement effectif, réel, agissant.
Le narcissisme de l’« amour » homosexuel se traduit en général en violences au sein du couple homosexuel. Certaines personnes homosexuelles parlent même de leur amant comme d’un miroir qui a éclaté entre leurs mains : « C’est comme un miroir. Tu tiens le miroir en pleines mains. Tu aimes le miroir. Et soudain, il se brise en mille morceaux. Comme ton cœur. C’est un sentiment de personnes. » (Louie, homosexuel palestinien de 31 ans caché à Tel-Aviv, dans le documentaire « The Invisible Men » (2012) de Yariv Mozer)
L’amant narcissique recherché par les personnes homosexuelles peut être également le frère jumeau, le père, la sœur ou la mère (fantasmatiquement projeté)… ce qui teinte leur ravissement spéculaire désirant d’inceste : « Il avait dix-sept ans à présent, presque dix-huit, comme moi. Nous avions tous deux connu cinq ans de souffrance dans ce lycée militaire où nos familles respectives nous avaient envoyés, avec l’espoir que cette éducation virile anéantirait notre imaginaire. Dans un esprit de pédagogie et de feinte gentillesse, ils avaient formé le plan de nous éliminer. Nous avions construit, Ernestito et moi, un jeu de miroirs qui allait devenir notre planche de salut : chacun de nous était tantôt le personnage, tantôt le reflet, et nous ne nous quittions pas. Ce rituel allait nous permettre de survivre aux innombrables épreuves d’humiliation auxquelles cette ‘formation’ se prête volontiers. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes, 1997, pp. 189-190)
Le désir homosexuel, même s’il se fait appeler « amour », tend à replier la personne homosexuelle qui souhaite le pratiquer sur elle-même : « Le reste de sa jeunesse de collège, au sortir de cette douleur, Oscar Wilde le consacre à lui-même, dans un fabuleux égoïsme : ‘Autrui est tout à fait insupportable. La seule compagnie possible est soi-même. S’aimer soi-même est le commencement d’un grand amour.’ écrit-il trente ans plus tard. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 171) ; « Comme je me sentais seul, dramatiquement seul, ce n’est qu’avec moi-même que je pouvais communier. […] J’aimais souvent me contempler nu. » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), pp. 60-62)
Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.