Homme invisible
NOTICE EXPLICATIVE :
Si je vous dis que la grande majorité des personnes homosexuelles s’est prise pour l’Homme invisible, le célèbre personnage créé par James Whale (lui-même homosexuel), et qui renvoie très inconsciemment à l’être sans corps qu’est l’Androgyne, vous ne me croirez certainement pas. Et pourtant, c’est probable ! Aussi probable qu’elles se sont identifiées au caméléon transparent, au diable aux multiples facettes (comme le diamant), à un mort vivant enveloppé dans un linceul (bref, à une momie). L’Homme invisible est l’image symbolique exprimant chez elles un désir de disparaître, de se prendre pour Dieu, de mourir.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Se prendre pour Dieu », « Frankenstein », « Se prendre pour le diable », « Amant diabolique », « Morts-vivants », « Miroir », « Eau », « Amant narcissique », « Poupées », « Substitut d’identité », « Différences physiques », « Inversion », « Moitié », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Clown blanc et masques », « Quatuor », « Fusion », « « Je suis un Blanc-Noir » », « Désir désordonné », « Déni », à la partie « Schizophrénie » du code « Doubles schizophréniques », à la partie « Couturier » du code « Pygmalion », à la partie « Zèbre » du code « Cheval », à la partie « Mise en scène de son enterrement » du code « Mort », et à la partie « Obscure-clarté » du code « Ombre », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) Le personnage homosexuel se compare à l’Homme invisible, à la fois pour s’effacer et pour se déifier :
Il est fait très souvent référence au mythe de l’Homme invisible (ou d’un fantôme) dans les œuvres homosexuelles. C’est le cas dans le film « L’Homme invisible » (1929) de James Whale, la chanson « The Invisible Man » du groupe Queen, le film « The Barber, l’Homme qui n’était pas là » (2001) de Joel Coen, le tableau L’Homme invisible (1930) de Salvador Dalí, la pièce Nos Amis les Bobos (2007) d’Alain Chapuis, le film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, le film « O Fantasma » (2000) de João Pedro Rodrigues, le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, le film « Sexe, gombo et beurre » (2007) de Mahamat-Saleh Haroun, la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé (avec le personnage de Stan), le film « La Beauté du diable » (1949) de Claude Autant-Lara, le film « Einaym Pkuhot » (« Tu n’aimeras point », 2009) de Haim Tabakman, la pièce L’Évasion de Kamo (1992) de Daniel Pennac (mise en scène de Guillaume Barbot en 2009), le film « La Femme invisible » (2009) d’Agathe Teyssier, la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard (avec Bonnard), le roman Zéro Commentaire (2011) de Florence Hinckel (traitant du désir d’invisibilité), le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha (avec la cantatrice fantomatique transgenre M to F dans les montagnes autrichiennes), la chanson « En miettes » d’Oshen (parlant d’un fantôme), la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le film « Ghosted » (2009) de Monika Treut, le vidéo-clip de la chanson « West End Girl » des Pet Shop Boys, la série Transparent (2014) d’Amazon (avec des acteurs cisgenres), etc.
On voit apparaître l’Homme invisible dans les discours de certains héros homosexuels, ou bien en images, alors que cela n’a pas forcément de rapport avec l’intrigue. « Il fallait que je fasse quoi ? Que je passe les menottes à l’Homme invisible ? » (Nina l’héroïne lesbienne du one-woman-show Le Gang des Potiches (2010) de Karine Dubernet) ; « Moi, maintenant, dans l’obscurité, on me voit. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Silence. Je disparais. Je m’éclipse. Je m’évanouis. » (Catherine, l’héroïne lesbienne de la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Je voulais être l’étrange sodomite, celui dont on ne parle pas. » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Toi, tu veux te rendre invisible pour obtenir ton adoption. » (Serge s’adressant à son amant Victor, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « J’suis amoureux de Monsieur Hendricks mais il sais même pas que j’existe. Comment je fais pour qu’il me voie ? » (un élève homo demandant conseil à Otis, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Va prendre ta place, Fantômas ! » (Monsieur Hendricks s’adressant à Éric le héros homo, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Garçon qui a le don d’invisibilité » (c.f. la chanson « I’m The Boy » de Serge Gainsbourg) ; etc.
Par exemple, toute la pièce d’Oscar Wilde L’Importance d’être Constant (1895) tourne autour d’un personnage qu’on ne voit pas, parce qu’il n’existe pas réellement… Dans le film « Navidad » (2009) de Sebastián Lelio, un homme d’air en plastique se dresse et prend vie sous l’effet des bouches d’aération. Dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (mise en scène par Adrien Utchanah en 2010), la Reine aveugle ne s’adresse jamais directement à l’acteur qui joue le Rat, ne se fie pas non plus à l’endroit où elle entend sa voix : elle tourne au contraire son visage vers un rat imaginaire, un homme invisible. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Chloé définit Martin (héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité) comme le « frère de personne ». Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Garance, l’héroïne lesbienne, traite son frère gay Léo de « fantôme ». Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Ahmed est confondu avec le fantôme du Vicomte, et les deux travestis M to F Mimi et Fifi se font traiter de « fantômes » par Pédé. Dans son one-woman-show Chaton violents (2015), Océane Rose-Marie fait référence à des « farfadets avec des supers pouvoirs d’invisibilité ». Dans un dessin du dessinateur homosexuel Jean Boullet pour sa sérigraphie Songe d’une nuit d’été (1943), il représente dans une forêt un homme avec un chapeau-tronc d’arbre surplombé par une phrase qu’il a écrite : « I am invisible. »
Beaucoup de personnages homosexuels se prennent pour l’Homme invisible : « J’ai l’impression d’être la femme invisible. » (Marilou dans la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt) ; « Tu te veux liquide, pantin translucide. » (cf. la chanson « Et tournoie… » de Mylène Farmer) ; « J’ai toujours été un homme qui passe : un jour Superman, un jour Fantômas. Un homme qui s’efface sans laisser de trace. » (Ronan dans la chanson « Un Homme qui passe » de la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon) ; « Lesbienne invisible, encore et toujours. » (Océane Rose-Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Un jour, un enfant qui n’existait, trouva une plume et un livre blanc. Et il se dessina. […] Un jour il s’effaça. » (Copi, Un Livre blanc (2002), pp. 37-51) ; « LGBT, les initiales d’une Société d’Anonymes. » (une réplique de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Vianney consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… […] Je referme la porte et tout de suite nous portons nos mains sur le visages de l’autre, pour sentir le bandeau, pour être sûr que le contact est respecté. Il sourit, je sens sous mes doigts sa bouche tendue. Moi aussi je souris. On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on s’embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike, le narrateur homosexuel racontant son « plan cul » avec un certain Vianney, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Je suis non-déclaré. » (Smith, le héros homosexuel du film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki) ; « Je suis un spectre, une ombre. » (Stéphane Corbin, lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, en février 2011) ; etc.
Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago passe son temps à dire que « les gens ne le voit pas » et qu’il a fini par être invisible à leurs yeux : « Je me suis laissé entraîner par la marée. Mon corps s’est fracassé contre les rochers. Depuis, on ne me voit plus. » Quand il se ballade dans la rue avec son amant Miguel, celui-ci est le seul à le voir. D’ailleurs, une fois qu’il se sera noyé, comme Carlos, le cousin de Miguel, Santiago finira en momie balancée dans la mer.
Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon se présente comme un « yaourt périmé » à ne pas consommer par les hommes, une femme insignifiante : « J’ai vraiment un corps de base. »
Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, les protagonistes homos ou bis passent leur temps à déclarer leur invisibilité : « Oooh… Satan m’habite. […] Je suis invisible. » (Burger) ; « Je suis invisible. […] Je veux être l’Homme invisible. Je veux rentrer dans l’esprit des gens, savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils veulent. » (Claude, idem) Dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, Lourdes-Marilyn se compare à Casper le petit fantôme. Dans le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, quand Georges demande à son jeune amant Alexandre comment il a fait pour le rejoindre sans se faire voir des surveillants de leur collège, celui-ci lui répond très naturellement : « J’ai fait l’Homme invisible, c’est tout ! »
En général, le héros homosexuel se prend pour l’Homme invisible parce qu’il se sent méprisé (ou qu’il se méprise lui-même et fuit son passé) : cf. le film « Faites comme si je n’étais pas là » (2001) d’Olivier Jahan, la chanson « Vous qui passez sans me voir » de Jean Sablon, le spectacle L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Philippe Robin-Volclair (le héros gay souffre de son invisibilité), la pièce Fils de personne (1943) d’Henry de Montherlant, le film « Señora De Nadie » (1982) de Maria Luisa Bemerg, le film « Femmes de personne » (1983) de Christopher Frank, le film « My Father Is Nothing » (1992) de Leone Knight, etc. « Moi, quand j’avais ton âge, j’voyais personne. Non, c’est le contraire. Personne ne me voyait. J’existais pas. » (Alex dans le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné) ; « Pour la première fois de sa vie, il rêvait d’être invisible. » (la voix-off du film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné) ; « Je voudrais disparaître dans une trappe, mais il n’y a pas de trappe. » (Élisabeth dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Mais je suis transparent ou quoi ? » (le héros homo réincarné en vitre, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Ma vie fut celle d’être celui qui souffle et qu’on oublie. » (Cyrano dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « La foule autour ignore ce qui se trame : tu demeures invisible. » (Félix, le héros homosexuel se parlant à lui-même à la deuxième personne du singulier, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 232) ; « Moi qui ne suis rien ni personne. » (Davide, le héros homo, chantant à son ami Rettore, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Moi, il ne me voyait même plus. j’étais invisible. » (Rémi, le héros bisexuel parlant de son père, dans la pièce Soixante Degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Personne ne semble se rendre compte que j’existe. » (Nina, l’héroïne lesbienne dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « J’ai attendu au café. Comme si j’étais transparente. » (idem) ; « Je ne suis rien. Je n’existe pas. Je suis une absence. Une lacune. » (idem) ; « Je me fondais un peu dans le décor. » (Hugo, le héros gay parlant de ses années lycée, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; etc. Par exemple, dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, se fait horreur et cherche à disparaître : « Si je pouvais tout effacer. À commencer par moi-même. » On découvre qu’à la base de cette schizophrénie se cache un grand manque à être : « J’ai toujours pensé qu’il valait mieux être quelqu’un d’autre que n’être personne. » Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, habite la maison familiale qui porte l’étonnant nom de « Visible ». Et lorsqu’il pratique son homosexualité, il cherche comme par hasard à fuir cette maison (« À la maison, c’est l’enfer. Et tellement bien avec toi. » dit-il à son amant Nicholas)… donc à être invisible.
Au bout du compte, quand le personnage homosexuel se définit comme un être transparent, c’est qu’il se prend pour Dieu ET pour le diable à la fois, pour un être insignifiant : « Je peux disparaître. » (Chloé dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan) ; « Personne ne peut me voir ni donc m’appeler. Je suis plus indistinct que le brouillard, et, semble-t-il, plus impalpable même que la nuit. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 25) ; « Être quelconque. Si tu savais comme c’est dur à accepter. […] Parce qu’on manque d’envergure. » (Jean-Marc dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay) ; « Tu me reprochais d’être transparent… » (Claude, le personnage homosexuel, à Serge, quand ce dernier se moque de son nouveau costume blanc très flashy, dans le film « Je préfère qu’on reste amis » (2005) d’Éric Toledano et Olivier Nakache) ; « De toute façon, avec moi, une femme, c’est toujours la femme d’un autre. » (idem) ; « Vous êtes quelconque. » (le narrateur homosexuel parlant de lui à la deuxième personne du pluriel, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 123) ; « Mon problème, c’est que je suis insignifiant. » (François Pignon dans le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber) ; « Je dois vraiment être insignifiante. » (Rinn, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « On nous appelait fantômes. » (le héros de la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (1650) de Cyrano de Bergerac) ; « Ils avaient rêvé d’avoir un fils comme lui, fonceur, costaud, bagarreur. J’étais le contraire : fragile de partout. Il m’appelait ‘Fleur de cristal’. » (Romain en parlant de son père, dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 27) ; « Elle avait l’art de rester invisible ; souvent les gens ne remarquaient pas sa présence, ce qui lui permettait d’écouter ce qu’elle n’était pas censée entendre. Ses parents passaient parfois devant elle sans la voir. » (Esti, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 130) ; « Si je pouvais creuser un trou par terre pour que personne ne me voie, je le ferais. » (Patricia, l’héroïne lesbienne du film « P.A. » (2010) de Sophie Laly) ; etc.
L’outil Internet permet même au héros gay de se sentir agissant sans vraiment agir, de se croire invisible : « Je me moque de l’endroit où je suis. […] Ici, je suis invisible. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 32) ; « Quoi qu’il arrive, souviens-toi que je suis lié à toi en silence – comme un homme invisible. » (Chris à son amant virtuel Félix, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 192) ; etc.
Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, la figure de l’Homme invisible occupe une place prédominante, et est, pour ainsi dire, « concrétisée » par le cyberespace : Denis et Luther vivent une relation virtuelle désincarnée (« Personne non plus dans ma vie ne connaît ton existence. ») ; Denis, le héros, avoue rechercher derrière chaque visage humain le reflet d’un fantôme, se prend lui-même pour un « ange luciférien » derrière son ordinateur, et se réfère clairement au mythe de l’androgyne (il évoque l’existence d’« un homme invisible comme séparé »).
La mention de l’invisibilité se rapporte à une recherche de transcendance amoureuse et spirituelle : cf. le roman Vers l’Invisible (1958-1967) de Julien Green, le roman Beatriz Y Los Cuerpos Celestes (1998) de Lucía Etxebarria, le film « Ice Men » (2002) de Thom Best, etc. « Tu viens comme moi d’une planète invisible. » (cf. la chanson « Ouverture » d’Étienne Daho) ; « Le vrai mystère n’est pas l’invisible. C’est le visible. » (Lord Henry dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mis en scène par Imago en 2012) ; « J’ai vu un ange ! Non, je ne suis pas fou ! Il est arrivé au lycée un être étrange que je ne connaissais pas, avec un visage aux traits si fins qu’ils semblaient sculptés dans le marbre. Un marbre blanc, indescriptible, presque translucide. » (Bryan en parlant de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 31) ; « Je peux sentir ta bite invisible. » (Judy Minx dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au Troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris, en avril 2009) ; « L’invisible, c’est justement ce qui m’attire. » (Monsieur Charlie dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Pauvre Stephen ! Elle ne put jamais s’imposer à elles : elles lisaient toujours en elle comme si elle avait été de verre. » (Stephen, l’héroïne lesbienne parlant de son rapport aux femmes, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 102) ; « Cela faisait des années que nous nous étions approprié l’hortensia. Dedans, nous étions invisibles, hors de portée de la maison, des regards du dessus et alentour. Il y avait l’odeur, je m’en souviens. Un arôme puissant d’hortensia pourri et d’humus. Encore maintenant, l’odeur végétale des hortensias conserve son pouvoir. » (Ronit par rapport à son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 212-213) ; « Tout se passerait donc entre fantômes, entre deux fantômes. » (cf. une phrase du film muet « Drops » (2013) de Bogdan D. Smith, racontant « l’histoire de deux fantômes amoureux ») ; « Tes lèvres sont bleues. Tu as sucé un bonhomme de neige ? » (Harold se moquant de son pote homo Emory, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Quand je te vois, j’ai l’impression que tu n’es pas réel. Que je suis dans un rêve. Comme si tu venais d’ailleurs ou que tu étais immortel ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 141) ; « Au milieu, il y a cette publicité qui me fait froid dans le dos, où l’on voit une jeune femme se désagréger. Je touche Chloé pour vérifier qu’il ne lui manque rien. […] Je voudrais tant qu’elle se rassemble, cesse de s’éparpiller, de partir en miettes. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman Karine Reysset, À ta place (2006), p. 64) ; « Je t’ai vu partir avec un masque de verre. » (Heiko, le héros homosexuel s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; etc.
Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Yves, le copain actuel de Jean-Marc, est présenté comme un homme transparent. Dans le film « 510 mètres sous la mer » (2008) de Kerstin Polte, quand Nathalie s’étonne de voir son amante Simone s’adresser à un sac plastique transparent (« Tu parles à un sac en plastique ? »), celle-ci assume son apparent délire (« Oui. » répond-elle). Les personnages de la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti expriment l’envie d’être transparents (ils apparaissent d’ailleurs enveloppés sous cellophane). Dans le film « Open » (2010) de Jake Yuzna, les personnages sont cagoulés comme l’Homme invisible : Cynthia, jeune hermaphrodite, rencontre Gen et Jay, un couple qui se remet d’opérations de chirurgie plastique ; et elle découvre ainsi la « pandrogonie », procédé par lequel deux personnes fusionnent leurs traits de visage en une seule entité unifiée, afin de tenir compte de leur évolution à partir d’identités distinctes. Dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, Claude adore le patinage artistique et est fasciné par la figure du patineur sur glace efféminé. Dans l’épisode 509 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 17 juillet 2019 sur TF1, Sandrine Lazzari, pourtant lesbienne, idéalise son amour de jeunesse Guillaume comme un être invisible toujours présent.
Mais cette quête d’invisibilité, de fusion avec l’Homme de Glace, est souvent déçue et se révèle dangereuse, car désincarnée. « Je me demande pourquoi Pierre prend une si grande place dans ce roman, car Pierre existe, il est mon ami dans la vie réelle ; qu’a-t-il de si irréel pour être le seul être vivant se glissant dans mon imagination parmi des personnages fictifs avec autant d’aisance ? » (la voix narrative à propos de son amant, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 11-12) ; « Comment veux-tu que j’aime un homme qui n’existe pas ? » (Phillip dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa) ; « Il m’a toujours semblé que tu étais insaisissable. » (Stéphane s’adressant à son jeune amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Je ne supporterai pas plus longtemps de vivre dans l’ombre. » (Gabriel s’adressant à son amant Philippe qui ne l’assume pas, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; « Tu connais quelque chose de plus réel qu’un fantôme ? » (Julia, l’héroïne lesbienne du film « Como Esquecer », « Comment t’oublier ? », 2010, de Malu de Martino) ; « J’étais invisible. » (Gilda essayant d’attirer désespérément l’attention d’Isa, dans la pièce Missing (2008) de Nick Hamm) ; « Son regard ne passe pas sur moi, juste à travers, comme si j’étais invisible. » (Cécile décrivant son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 24) ; « Tu es le seul à me voir. Moi-même, je ne me vois pas. » (Texor Texel dans le roman Cosmétique de l’Ennemi (2001) d’Amélie Nothomb) ; « Je ne te vois plus. Tu es flou. Oooh ! Tu disparais ! » (Didier à son amant, dans la pièce Chroniques d’un Homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « Tu dis toujours que nous sommes des gens invisibles. » (Jim à son amant George dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford) ; « Nous sommes invisibles, non ? » (Kenny à George, idem) ; « Je ne vous imaginais pas. » (Adèle s’adressant avec mépris à Georges, le compagnon jusque-là inconnu de son frère, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Je suis envahi par les fantômes. » (Silvano dans la pièce La Vie est un tango (1979) de Copi) ; etc. Dans le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine, quand Bruno dit à Fabrice qu’il l’a vu à l’église, ce dernier lui répond agressivement : « Moi aussi, je t’ai vu ! Qu’est-ce que tu crois ? T’es pas invisible ! » Dans le film « The Boy Next Door » (2008) d’un réalisateur inconnu, l’Homme invisible se trouve être l’amant client qui asservit un prostitué. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan, le héros homosexuel, raconte que, quand il avait 19 ans, il a été pris dans une tempête de neige alors qu’il se trouvait en voiture avec son amant Arnaud. Ils ont été rendus invisibles. Nathan s’est imaginé un accident dans lequel une voiture se serait encastrée dans la leur, et que leurs corps calcinés auraient été ensuite retrouvés sans vie, constitueraient les funestes carcasses noircies d’une homosexualité vécue dans l’ombre et stigmatisée socialement.
Le personnage homosexuel peut aussi qualifier quelqu’un d’invisible – et notamment l’individu de l’autre sexe – pour le mépriser et s’en débarrasser. « Les hommes n’ont pas de corps. » (Oshen – la comédienne Océane Rose-Marie – lors de son concert à L’Européen de Paris, le 6 juin 2011) ; « Déshabille-toi et j’arriverai. Comme l’homme du rêve. » (Léopold, l’homme toujours en vadrouille, s’adressant à son amant Franz qu’il va conduire au suicide, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; etc. Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Alba, la lesbienne, surnomme son mari « Ausente » (= Absent) : elle le définit comme un homme « transparent ». Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Hank et Larry, en couple, ont convenu que « tous ceux avec qui Larry trompait Hank s’appelleraient ‘Charlie’ ».
Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Nina, la « fille à pédés » enceinte de Vince, un homme hétéro qu’elle n’aime pas, décide d’élever son futur enfant avec son meilleur ami gay, George, qui fera office de père de substitution. George et elle décide de confisquer à Vince, le père de sang et de droit, son rôle de père : « Vince, je veux élever mon enfant avec George. » annonce solennellement Nina. Et Vince, blessé et agressif, lui rétorque : « Tu sais quoi ? Moi, je veux l’élever avec l’Homme invisible. »
L’Homme invisible, en tant qu’amant, prend même parfois les traits du diable, c’est-à-dire ceux d’une créature cruelle d’être incorrigiblement immatérielle : cf. la B.D. Journal (1) (1997) de Fabrice Neaud (avec le reflet de Stéphane qui se brouille peu à peu). On nous parle d’un « mal invisible » dans la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre. « C’est bizarre : On a cette chose en soi et on ne la combat pas, car on l’ignore. » (Martha à Karen dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) Dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, quand Mousse demande à Paul, le personnage homosexuel, s’il « a déjà aimé quelqu’un vraiment », celui-ci lui donne une réponse affirmative énigmatique : « Oui. Quelqu’un qui n’existe pas. »
L’invisibilité peut dire un contexte fictionnel noir, négatif, violent. « Tu es irréel et moi animal. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 212) ; « Dans ce monde froid, froid, on se sent vite transparents. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, parlant au nom de toutes les femmes lesbiennes) ; etc. Par exemple, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, c’est l’obscurité de la tanière qui rend les rats invisibles. Le film « Missing » (2004) de François Zabaleta traite des avis de recherche de personnes disparues, sur fond de meurtre non-élucidé. Le motif de l’Homme invisible suggère également une activité d’espionnage, de voyeurisme, de viol de la différence des espaces. Par exemple, le personnage du méchant Nazi du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, cherche à tout prix à se fondre dans le décor (« Je suis resté invisible. », p. 19) et suit en filature Madeleine dans une voiture noire discrète, « ordinaire, invisible à force d’être banale. » (p. 31) Dans le film « La Croisière » (2011) de Pascale Pouzadoux, , Raphaël va se travestir en femme pour passer inaperçu sur le bateau et espionner sa femme. Dans l’épisode 363 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 25 décembre 2018, André Delcourt, le père de Chloé l’héroïne, fait son coming out, après un « mensonge » et une disparition de plus de 35 ans : « À l’époque, je n’ai pas trouvé d’autre solution que de disparaître. »
Le lien entre invisibilité et viol ne doit pas nous étonner outre mesure. Ne perdons pas de vue que le célèbre mythe de l’Homme invisible a coutume d’agir fictionnellement avec une violence inouïe, puisque c’est une figure typique des films d’épouvante (comme on peut le constater dans le film « Matador » (1987) de Pedro Almodóvar, avec Diego qui se masturbe devant l’Homme invisible frappant violemment une femme).
b) Le personnage homosexuel voit un homme voilé ou bien s’enveloppe d’un voile qui le rend invisible :
Je vous renvoie au film « The Unveiling » (« Le sans voile », 1996) de Rodney Evans, au film « Rideau de Fusuma » (1973) de Tatsumi Kumashiro, à la photo Comme un ange (1986) d’Orion Delain, au roman Los Ambiguos (1922) d’Álvaro Retana (avec Julio l’homme-voile), au film « Belly Dancer » (2009) de Pascal Lièvre, au film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec « un hermaphrodite en voile de mariage »), à la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi (avec Ada, la femme-voile lesbienne), à la comédie musicale Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stéphan Druet (avec Ottavia la Blanca et son « voile matinal », décrit ironiquement comme un « abat-jour »), à la pièce Le Frigo (1983) de Copi mise en scène par Érika Guillouzouic en 2011 (avec le héros enveloppé d’un drap blanc), à la pièce Le Frigo (1983) de Copi (avec « L. » habillée en fantôme), au film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec l’amant-drap), à la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling, avec Valmont l’homme-voile), à tous les couturiers homosexuels des fictions (je vous renvoie à la partie « Couturier » du code « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).
Tout au long du roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, le corps humain se limite à un tissu fantomatique : « Encore plus désolant que tout à l’heure à présent qu’il est réduit à une couverture jaune tire-bouchonnée sur le matelas rayé… […] Dans la salle de bains il refuse de regarder les draps. Il les voit. Ils se sont dénoués. Ils vivent. Mais ils se taisent. » (p. 47) ; « Je ne peux pas lire le visage d’Hubert dissimulé par la toile bleue du transat replié. » (idem, p. 326) ; « À travers le rideau de ses mèches qui lui glissaient sans cesse devant la figure… » (idem, p. 406) ; « Hubert grogne, tout son corps enfoui dans le revers de sa robe de chambre, lové genoux au menton, empaqueté dans sa robe de chambre à demi recouverte par le drap. » (idem, p. 528) Dans le poème « Le Condamné à mort » de Jean Genet, on retrouve « les peaux de satin » et les draps humains : « Voile bleu ta tête couverte ».
Il est curieux de constater que certains héros homosexuels se prennent pour un drap : « J’ai souvent eu peur que ce tissu me domine, qu’il se fonde en moi. » (la jeune fille dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « [Zaza] ne peut pas vivre sans ses drapés. » (Georges dans la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « Cette fois-ci j’les enlève mes voiles. » (un des protagonistes homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Une lumière brillait derrière les rideaux de dentelle du salon des Becker. Les rideaux bougèrent comme quelqu’un en lissait les plis et s’écartait, mais Jane voyait encore sa silhouette, sombre et indistincte, qui l’observait depuis l’autre côté de la vitre. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 224) ; etc.
Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se met dans la peau d’une petite fille modèle ridiculement habillée en princesse par ses parents… et qui, à cause de son déguisement, ne peut pas exister. Pendant toute la pièce, paradoxalement, elle se déguisera en plein de personnages (surtout très machistes) afin d’acquérir une invisibilité : « Changer de vêtement pour ne pas être reconnue. » Elle croit que le fait de s’habiller en homme la transforme en homme (« Mon costume dit à l’homme = Je suis ton égale. ») et plus globalement en l’androgyne invisible : « Autre… mais indétectable. Presque un shoot. »
Il est à noter que dans les œuvres homosexuelles, l’Homme invisible est souvent un homme-voile : « La dentelle, c’est comme un miroir. » (Doña Augusta dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, p. 19) ; « Peut-être je disparais et ils me voient plus. […] Quelque chose vole devant moi, un grand drap bleu qui se pose en me recouvrant tout entier. Je regarde le miroir. Dedans, j’y vois ma tête qui me regarde aussi. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, pp. 84-85) ; etc. Dans le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, Elisa est la femme voilée, et Mahaut, au moment de lui faire l’amour, lui dit : « Je ne te vois plus. » Dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, la voix narrative enfile le jour de son mariage la robe mauve de l’invisibilité : « Je faisais de cette robe une seconde peau, un double de mon corps qui continuerait à vivre » (pp. 137-138) Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Phil, le héros homo, reçoit des vêtements filmés en chute libre et en slow-motion sur lui. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Kena et Ziki se retrouvent clandestinement sur les terrasses des toits de Nairobi (Kenya) où sèche le linge et des draps étendus.
Par ailleurs, on constate que le héros homosexuel est familier de la mode (il est parfois mannequin, ou styliste). « J’aime trop la haute couture. » (Marina, le travesti, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) Dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, l’univers des couturiers est associé à un « truc de pédés ».
Le personnage homosexuel refuse en général de connaître le sens de son attachement aux voiles et aux vêtements : « Le Docteur Feingold a prétendu que cette obsession vestimentaire trahissait une activité de substitution. Elle m’a dit que j’avais besoin de ritualiser mon chagrin et que cette manie de choisir des vêtements remplaçait dans mon esprit une expression plus profonde de la perte. J’ai eu envie de lui demander : ‘Et vous, docteur Feingold, vous vous êtes déjà interrogée sur ce que cela signifie, pour vous, de vivre seule dans un appartement blanc immaculé, avec un chat impeccable que vous appelez Bébé ?’ Bien sûr, je me suis contentée de l’écouter et d’acquiescer, car je n’avais aucune envie d’entamer de nouveau une conversation sur mon agressivité, mes limites et ma tendance à ‘résister au processus’, comme elle dit. Ce qu’elle ignore, c’est que ma vie est bâtie sur cette résistance au processus. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 67)
Le corps voilé représente souvent le corps violé : « C’est un moment fort où se réveille l’eau qui dort, un moment clair où je me confonds à ta chair. C’est le feu et la soie. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Y me semble de te voir en train de souffrir dans un voile transparent. » (Mélène à son ami Jean-Marc, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 55) ; « Le jeune homme flotte nu au-dessus du sol, le cou enveloppé de ce voile. » (la description du corps de Cyril, pendu, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 221) Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le couple homosexuel est figuré par un homme en costard et un autre portant une burka féminine sur le visage. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, apparaît, au moment du salut final, avec un voile de mariée sur la tête… car il s’est fait violer par la belle-mère de son copain. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite plein de personnage avec un drap blanc qu’il porte en toge, en voile de mariée. Et dès qu’il se met dans la peau de sa mère, il s’adresse à son père invisible lui parlant : « Ton père arrive ! Enlève ce rideau ! » Le drap enveloppe ici le personnage homosexuel comme dans un cocon incestuel.
c) Le personnage homosexuel parle d’une momie ou se considère comme une momie :
On retrouve le motif de la momie dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité : cf. le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le poème « El Cadáver » de Néstor Perlongher, « Le Bal des maudits » (1958) d’Edward Dmytryl (avec Marlon Brando au visage plâtré sur son lit d’hôpital), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, le spectacle Rêve d’Égypte (1907) interprété par Colette au Moulin-Rouge, la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora, la pièce La Sonate des spectres (1907) d’August Strindberg, le film « Maurice » (1987) de James Ivory (avec les bandages de Clive), le film « Hustler White » (1997) de Bruce LaBruce et Rick Castro, les tableaux de Charles-Louis La Salle, le poème « En cœur forgé » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, le vidéo-clip de la chanson « Remember The Time » de Michael Jackson, etc.
Des allusions récurrentes à la momie sont faites dans des intrigues qui n’ont parfois rien à voir avec elle : « Espèce de momie ! » (Santiago insultant Doris, l’héroïne lesbienne de la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Pietro Gentiluomo. Je l’ai dragué au musée du Vatican il y a bien dix ans, il était venu dessiner les momies égyptiennes, il retouchait des photos pour en faire des cartes postales, c’est son métier. » (la voix narrative du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 12) ; « Regarde, maman ! Il [le Jésuite] allait se tirer avec les joyaux de la momie de grand-mère ! » (la Princesse à la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Continuez à manger vos momies ! » (le Rat, idem) ; « Elle va pas recommencer, la momie !!! » (Romain, le coiffeur gay, s’adressant à la concertiste lesbienne Isabelle, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Pédé est « momifié » (p. 352) ; Solitaire raffole des momies « construites en série », et veut s’en acheter deux ou trois pour les exposer dans sa galerie.
N’oublions que l’Homme invisible, dans le célèbre film de James Whale, est couvert de bandelettes, et que donc la momie est symbole à la fois d’invisibilité et d’homosexualité. On retrouve les momies homosexuelles dans quelques œuvres de fiction. Par exemple, dans le film « Bandaged » (2009) de Maria Beatty, Lucille, l’héroïne lesbienne, a le visage bandé. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel met des bandes de scotch jaune partout sur le visage de son amant Omar. Dans le film « La Comunidad » (« Mes Amis les voisins », 2000) d’Alex de la Iglesia, Julia, employée d’une agence immobilière, traite deux clientes potentielles de « momies lesbiennes » en leur imaginant des positions sexuelles en forme de ciseaux, afin de les choquer et de s’en débarrasser. Dans le film « Adèle Blanc Sec » (2010) de Luc Besson, apparaît un merveilleux exemple de momie homosexuelle : au Musée du Louvre, la momie Patmosis reste scotchée devant la peinture de st Sébastien, le « saint patron » de la communauté homo…
Le personnage homosexuel se voit lui-même comme une momie dans un sarcophage : « Dans mes draps de papier tout délavés, mes baisers sont souillés. » (cf. la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer) ; « Et toi, mon vieux chien Médoro, compagnon fidèle de mon exil doré, vous tous, mes chers vieux petits adoptés, vous serez enterrés dans des petites amphores, accompagnés de ma momie, dans ma pyramide en cristal que j’ai fait bâtir sur l’Altiplano bolivien suspendu sur le lac Titicaca. » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Paul est décrit par Jean Cocteau comme une momie qui prépare sa sépulture lui-même parce qu’il est un « être-pour-la-mort » : « Il faisait plus que se coucher. Il s’embaumait. Il s’entourait de bandelettes, de nourriture, de bibelots sacrés, il partait chez les ombres. » Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), l’humoriste Samuel Laroque rentre dans la peau d’une Catherine Deneuve transformée en momie.
d) Le personnage homosexuel affirme être ou voir un homme invisible aux multiples facettes, comme un diamant travaillé :
Il est fréquemment fait mention des diamants dans les œuvres homosexuelles : cf. le film « Le Cargo de diamants » (1920) de Fritz Lang, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, le film « Les Diamants sont éternels » (1971) de Guy Hamilton, la chanson « Diamonds And Rust » de Joan Baez, le one-(wo)-man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set, la chanson « Paris » de Taxi Girl, le film « Fric-frac rue des Diams » (1974) d’Aram Avakian, la chanson « Diamonds » de Rihanna, etc. Ils renvoient en général au désir d’être objet et de se prendre pour Dieu : « Depuis que je chine au bazar de la quincaille stellaire, j’y ai dégotté de la fine émeraude à m’emperlouser d’éternité. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, pp. 9-10)
Dans la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès, Pancho, le Mexicain homosexuel, entonne la chanson « La Rockeuse de diamants » de Catherine Lara. Dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, Ray Smith lit Sutra de Diamant (p. 33). Dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, Helena est l’épouse d’un richissime diamantaire travaillant en Namibie. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Annonciade, le meilleur ami transsexuel M to F de Zize, est fardé de bijoux. Dans le film « Friendly Persuasion » (« La Loi du Seigneur », 1956) de William Wyler, Eliza, la mère de Jacques, propose à son fils et à son ami Jérôme d’aller se rendre à une « exposition de minéraux », ce qui semble incongru aux oreilles de Jacques. Et plus tard, les trois donzelles qui le convoiteront et le dégoûteront des femmes – les filles de la veuve Hudspeth – portent le nom de pierres précieuses : Opale, Perle et Rubis.
Dans toute l’œuvre romanesque et dramaturgique de l’Argentin Copi, on retrouve la femme-objet (bourgeoise-prostituée transsexuelle) parée de bijoux la désignant comme l’androgyne mi-homme mi-femme : cf. la pièce La Pyramide ! (1975) (avec l’épingle à cravate assortie d’un gros diamant), la nouvelle « La Baraka » (1983) (avec Mme Ada, voleuse de diamants et des bijoux de la Couronne d’Angleterre), le roman La Cité des Rats (1979) (avec la Reine des Rats se prénommant « Bijou » ; mais aussi l’Émir des Perroquets, tout de bijoux et de diamants orné, avec « une cicatrice qu’il porte autour de la cheville », comme l’androgyne blessé, p. 101), la pièce Les Quatre Jumelles (1973), etc. « À Ibiza Michael et moi nous avons trouvé un diamant sur la plage. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 139) ; « Je mets Michael et Patrizia à la porte avec leur part de diamants. » (idem, p. 145) ; « Elle [la cantatrice Regina Morti] n’a pas peur de se faire arracher les diamants dans le métro. » (cf. la pièce Une Visite inopportune, 1988) ; « Je vous ai donné toutes mes perles ! » (idem) ; « Il [le prince Koulotô] était le chef spirituel de deux cents millions d’âmes extrêmement pieuses qui lui faisaient cadeau tous les vendredis de son poids en diamants et d’un oiseau en papier, l’emblème de sa dynastie. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978), p. 93) ; « Il se peut que la lumière dont tu me parles sans cesse ne soit que celle du collier de diamants de feu de ta mère ou de la mère de ta mère ou de la Reine d’Angleterre ou bien d’une Pharaonne ! » (Lou à sa mère Solitaire dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986)) ; « Les lesbiennes ont des diamants dissimulés entre les miches ! » (Fifi, idem) ; « Tu crois que je devrais prendre avec moi la petite valise de diamants ? Non, qu’on les expose. » (cf. la pièce Eva Perón, 1969) ; « Sa beauté indiscutable se passait de l’intelligence. L’élégance avec laquelle elle portait un corsage entièrement brodé de diamants sous une hermine et une toque en plumes d’oiseau de paradis pour monter les escaliers de l’Opéra, la faisait paraître d’un naturel parfait chez les figurants de la jet society. » (la description de Maria-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983), p. 32) ; « Elle a beaucoup insisté pour que je m’ fasse percer l’oreille pour qu’elle puisse m’offrir un diam’s. Maintenant, je m’ fais traiter d’pédé pour faire plaisir à ma poupée. » (cf. la chanson « Marre de cette nana-là » de Patrick Bruel) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, il est question d’une prostituée russe, Katouchka, qui est surnommée par Yoann l’amant de Julien « Catouchatte », par jalousie. Celle-ci aurait couché avec Julien, et fait des défilés pour Karl Lagerfeld, à poil, « avec un diamant à la place de la chatte ».
Le diamant est parfois la métaphore de l’amant homosexuel : cf. le film « Le Chat croque les diamants » (1968) de Bryan Forbes, le film « L’Oiseau au plumage de cristal » (1968) de Dario Argento, le roman Garçons de Cristal (1981) de Bai Xianyong, etc. Dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, Chloé est comparée à un « diamant brut » (p. 155) par son amante Cécile. Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, une patiente lesbienne a reçu de la part de son amante septuagénaire Lili un diamant pour « leur » premier anniversaire de couple : « C’est pour ça que Lili c’est mon deuxième papa.»
Le diamant, aussi surprenant que cela puisse paraître, est symboliquement signe d’invisibilité : « Elle [Sylvia] montra du doigt une petite chouette d’or sommairement travaillée, aux ailes d’émeraude, la tête piquée de diamants avec deux topazes pour les yeux. […] Je revois cet oiseau plus nettement que son visage dont je ne perçois qu’un seul profil – l’autre moitié devenue invisible, à la manière d’un miroir. » (Laura, l’héroïne lesbienne, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 30) ; « On peut mettre un diamant dans une boîte d’allumettes, et une merde dans une boîte à Cartier. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Elle [Groucha] me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo. » (Yvon en parlant de la maléfique Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 264) ; « Jane se réveilla en pleine nuit. Elle sortit de la chambre et resta un instant dans la salle de bains, aussi étincelante qu’un coffret à bijoux, guettant des signes de vie dans l’appartement voisin. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 79) ; etc.
L’Homme invisible est parfois associé à un diamantaire au regard diabolique, possédant plusieurs visages (cf. je vous renvoie au code « Quatuor » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels), donnant l’impression spectaculaire et séduisante qu’il est plusieurs, infini, et éternel… alors qu’il n’est finalement qu’un, et qu’il est déjà mort : « Je travaille en solitaire. Au sens diamantaire du terme. » (Paola dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Je suis né une seconde fois et ai compris que je n’étais pas un, mais plusieurs. » (Cyril, le « méchant » du roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 33) ; « J’vois tes grands airs de diamantaire. T’as plus de mystère. Comme tu as changé. » (cf. la chanson « Mylène s’en fout » de Mylène Farmer) ; « Tu observes le bébé SS à la façon d’un diamantaire devant une pierre. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 148) ; « Dieu t’aime. Pour lui tu es le plus beau des diadèmes. » (Mgr Miriel à Valjean dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy) ; « Hugues ne disait rien. Il se contentait de triturer avec la pointe de son couteau la cire encore molle qui avait coulé sur la table en chêne. Il avait le visage durci et mauvais. À la lueur des bougies, ses traits paraissaient plus durs qu’à l’accoutumée. L’arête de son nez, rendue plus aiguë par les méplats ombrageux du reste du visage, semblait aussi coupante que du diamant. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 41) ; « Vous [Linda] êtes assise sur une faux ? C’est un croissant de Lune ? Attention, ça coupe ! Aïe, Linda ! Vous jaillissez de partout ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Il naît du pétrole un petit diamant fragile d’où coule le sang d’une rencontre trop bousculée, trop prétentieuse, trop généreuse avec les doigts gantés d’un orfèvre. Un cristal saigne : son pétrole est rouge. » (cf. la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) Cet homme-diamant est en général malveillant. Par exemple, dans la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, l’un des amants du héros est voleur de diamants.
Le diamant peut parfois indiquer la mort : mort du corps (par le viol), ou du moins du désir. « Alexis Guérande est mort. Alexis Guérande est mort, ce matin, à côté de moi. Il est mort, frappé à la tête par une balle de hasard, dans un moment de répit, dans un moment où les combats avaient cessé et où notre attention s’était relâchée. Juste une balle qui s’est logée dans sa tempe gauche, rien d’autre, quelque chose de très net, comme un éclat de diamant pur qui forme tout à coup un trou rouge au bout de ses sourcils. La mort a été instantanée. » (Arthur parlant d’un compagnon de tranchée, un poète breton de 20 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 175) ; « Elle [Jolie] avait autour du cou, pour dissimuler huit cicatrices de chirurgie esthétique, un million de dollars en diamants. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 167) ; « Le cerveau malade de cette idée s’obsède d’une pensée circulaire coupante comme un diamant et tournant sur elle-même jusqu’à une vertigineuse vitesse qui la stabilise en un effet stroboscopique. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 40)
e) Le caméléon (ou le lézard) symbolise un désir de toute-puissance dans la disparition :
Le caméléon est un reptile qui a la réputation de se fondre dans le paysage, de changer de couleur et d’identité(s). Pas étonnant, donc, qu’il soit repris comme symbole du désir homosexuel dans beaucoup de créations homo-érotiques : cf. le roman Le Caméléon (1994) de Claude Arnaud, le film « Furyo » (1983) de Nagisa Oshima, le film « Le Secret du Chevalier d’Éon » (1959) de Jacqueline Audry, l’album « Karma Chameleon » de Culture Club, le roman Le Lézard noir (1969) de Yukio Mishima, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, le film « Miwa : à la recherche du Lézard noir » (2010) de Pascal-Alex Vincent, la pièce The Night Of The Iguana (La Nuit de l’Iguane, 1961) de Tennessee Williams, le film « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » (1984) de Pedro Almodóvar (avec le lézard domestique), la pièce El Ritual De La Salamandra (1982) d’Hugo Argüelles, le film « Ma Mère préfère les femmes » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman, le film « La Salamandre » (1969) d’Alberto Cavallone, le film « Reptile » (1970) de Joseph Mankiewicz, le roman L’Amour Caméléon (1998) de François-Xavier Bellest, le roman Carnaval (2014) de Manuel Blanc (avec le héros homosexuel, passant de déguisement en déguisement), la chanson « Équivoque » de Jean-Luc Lahaye, les chansons « Caméléon » et « Espionne » de Catherine Lara, etc. Dans la série Demain Nous Appartient, André, l’un des héros homos, a un iguane.
Il est courant d’entendre le personnage homosexuel se mettre dans la peau du caméléon, ou bien qu’il soit comparé à cet animal soi-disant « invisible » : « Je suis un caméléon. Je change selon les saisons. Je change selon les amants ! » (Anne Cadilhac lors de son concert Tirez sur la pianiste : Récital schizophénik, 2011) ; « Moi, j’suis un vrai lézard. » (Paul, le personnage homo, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon) ; « Je me fous bien du qu’en-dira-t-on. Je suis caméléon. » (cf. la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer) ; « C’est un caméléon, un voyageur, un vagabond. Tragique imposteur, il se mélange dans ses couleurs. » (cf. la chanson « Caméléon » de Véronique Rivière) ; « Elles étaient une et cent à la fois, toutes se confondant en un instant, toutes défaillantes en un moment, toutes légères. » (la jeune fille dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je suis un masque, je suis un caméléon. » (Éric, le personnage homo de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « La peau du caméléon, c’est pour se cacher des autres animaux. » (Prune, en lecture de classe à l’école primaire d’Adèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Aujourd’hui, je suis un caméléon qui a des problèmes de santé. » (Jean-Marc, l’un des héros homosexuels de la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian Gray cherche à « multiplier ses identités, à se ré-inventer ». Au début du film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard Brackett, prof de lettres à l’université, décrit un auteur célèbre comme le caméléon homosexuel (« Avant, c’était une sorte d’iguane… ») que lui-même va devenir puisqu’il va faire son coming out. Dans le répertoire musical de Jann Halexander, l’homme noir est maintes fois présenté comme un caméléon, un Homme invisible sans couleur attitrée : « Ça va du noir jusqu’au très blanc. […] Invisibles, c’est mieux de goûter au luxe de l’indifférence. » (cf. la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… »)
Le caméléon est symboliquement la métaphore du désir de se substituer à Dieu : « Mon fils aussi [a beaucoup voyagé] ! Mais il a grandi si vite que je n’arrive même pas à me souvenir de son visage. Mais ce n’est pas illogique je pense. Comment pourrait-il avoir le même visage, n’est-ce pas, dans des endroits différents ? C’est dans tous les manuels de bienséance ! Mais je suis sûr qu’après tout, il vous ressemble ! J’ai remarqué. Chaque jour vous ressemblez à quelqu’un de différent. […] Je crois que vous êtes Dieu. […] Mon fils aussi, il est Dieu. » (Jeanne au marchand de melons dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Gatal, le héros homosexuel, est peinturluré en caméléon multicolore ; et son fiancé aussi (lui porte une immense manteau multicoloré, et surgit du ciel).
La crispation du héros homosexuel à être un caméléon illustre aussi son refus de s’accepter lui-même, de grandir, de changer, d’accepter ses métamorphoses naturelles : « Jane avait détesté la puberté, l’intrusion du sang et des seins, les messes basses entre filles et les invitations des hommes qui les suivaient en voiture en roulant au pas. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 29) Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique pour rajeunir. Il découvre horrifié sa gueule de « gros lézard qui mue » dans un double miroir.
Le problème de cette identification au caméléon, c’est également l’immatérialité subséquente en amour (l’amant devient insaisissable, inattendu, décevant, inconstant, fusionnel et destructeur), c’est l’angoisse individuelle de la perte d’identité : « Là résidait un des plus graves dangers de cette aventure : en passant d’une personnalité à l’autre, il courait le risque de se trouver, un jour, dans la peau d’un indifférent et d’y rester. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 94) ; « J’ai tellement aimé être aimée par toi. J’épousais tes contours caméléon, je me fixais à toi parasite. » (Cécile à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 42) ; « J’avais une dizaine de partenaires dont un Noir américain, une strip-teaseuse, un vieux peintre surréaliste. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 21) ; « De toute façon avec toi, on ne sait jamais quand tu es sincère et quand tu ne l’es pas, non mais c’est vrai, tu mens tout le temps, à la fin on sait même pas quand tu dis la vérité. Même Léo, qu’est-ce que tu crois, j’ai dû lui expliquer que tu étais Foucaldien, que tu te réinventais sans cesse pour qu’il ne soit pas choqué le jour où il te connaîtrait mieux et où, en deux minutes, il te verrait changer de discours en deux secondes. » (Polly, l’une des héroïnes lesbienne, parlant à son pote gay Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 119) ; etc.
Le caméléon devient l’amant homosexuel kaléidoscopique, sans visage parce qu’il en a 1000 : on n’a plus trop envie de lui faire confiance.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) L’Homme invisible, ou le désir/la peur d’être transparent :
L’homme invisible dont parlent certaines personnes homosexuelles semble être une projection fantasmée cinématographique de ceux (ou celles, si on parle des actrices) qu’elles auraient souhaité être : « Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton)
Je vous renvoie au documentaire « Transparent » (2005) de Jules Rosskam, à l’autobiographie Everybody’s Autobiography (1937) de Gertrude Stein, à la photo Unidentified Man (non datée) d’Andy Warhol, à l’essai Ceci n’est pas un fantôme (2011) de Pierre Katuszewski (traitant de la place des hommes transparents dans les œuvres de Bernard-Marie Koltès, Pier Paolo Pasolini, Edward Bond, etc.), au documentaire « The Invisible Men » (2012) de Yariv Mozer (sur les Palestiniens homosexuels), à la session « El Hombre Invisible : Homosexuales Y Otros Hombres Que Tienen Relaciones Sexuales Con Hombres En La Epidemia Mundial De VIH » (lors du 27e Congrès International de México City en mars 2008), à la biographie William Burroughs, The Invisible Man (1992) de Barry Miles (dans les années 1950 à Tanger, des garçons de la rue ont surnommé Burroughs ainsi), etc. Il existe en Suisse une association appelée Transparents et regroupant les parents transsexuels : la plupart des « transparents » ont eu des enfants dans le cadre d’un mariage précédant leur parcours transsexuel.
Ce n’est pas par hasard si le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz emploient la métaphore de l’Homme invisible pour dresser le portrait d’une dizaine de témoins homosexuels : « Des hommes et des femmes, nés dans l’entre-deux-guerres, ils n’ont aucun point commun sinon d’être homosexuels et d’avoir choisi de le choisir au grand jour, à une époque où la société les rejetait. Ils ont aimé, lutté, désiré, fait l’amour. Aujourd’hui, ils racontent ce que fut cette vie insoumise, partagée entre la volonté de rester des gens comme les autres et l’obligation de s’inventer une liberté pour s’épanouir. Ils n’ont eu peur de rien… » (p. 70) Ni que les publicités qui promeuvent les « familles homoparentales » décrivent les couples homosexuels comme des « parents invisibles » (et sans états d’âme, en plus ! alors que c’est concrètement dramatique).
Déjà, un détail qui a son importance : le créateur de l’Homme invisible, James Whale, était un réalisateur connu pour son homosexualité.
Ensuite, on peut dire que la recherche d’invisibilité caractérise beaucoup d’individus homosexuels : elle dit chez eux un complexe de supériorité et d’infériorité énorme (= je suis insignifiant). « Il est probable qu’un poète est un homme invisible. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « Une chose complètement invisible, je suis une Jeanne d’Arc, une voyante. » (Christine Angot, Quitter la ville (2000), p. 45) ; « Y’avait un côté super-héros pour le titre du spectacle. » (Océane Rose-Marie parlant de son spectacle La Lesbienne invisible, dans l’émission Dans les yeux d’Olivier, « Les Femmes entre elles », d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq, France 2, 12 avril 2011) ; « Physiquement, il ressemblait un peu à ses dessins : un être immatériel, un peu funambule, qui marchait à tâtons. » (Alfredo Arias parlant de Copi, dans l’article « Copi, ma part obscure » d’Hugues Le Tanneur, sur le journal Eden du 12 janvier 1999) ; « En réalité, je suis un homme tout ce qu’il y a de plus banal. » (Peter Gehardt, ironique, dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; etc.
Par exemple, en ce qui me concerne, à l’adolescence, je me mettais dans la peau de Ma Sorcière bien-aimée, la série nord-américaine, où l’héroïne, souvent, disparaissait comme par enchantement.
Dans sa biographie Saint Genet (1952), Jean-Paul Sartre évoque la vie d’homme invisible de Jean Genet (p. 101). Dans l’article « Écriture lesbienne : Stratégie de marque » de l’essai Les Études gay et lesbiennes (1998) de Didier Éribon, Nicole Brossard nous parle de « l’invisible lesbienne » (p. 54). Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Celia, la conservatrice de musées, s’adressant à Bertrand en lui disant que « la disparition, c’est ma spécialité. » Elle mène son manège à exécution puisqu’à la fin du film, elle disparaît sans crier gare.
L’invisibilité sera même envisagée comme une preuve indiscutable de la vérité de l’homosexualité ! « Les invisibles bis. » (un témoin homosexuel dans le documentaire « La Grève des ventres » (2012) de Lucie Borleteau) ; « La lesbienne (masculine) n’est pas invisible. Le problème, c’est qu’elle est plus que visible. » (une mère de femme lesbienne dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti) ; « Est-ce qu’elles se cachent ? Est-ce qu’on les cache ? » (des propos concernant les femmes lesbiennes, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) ; « Les associations LGBT se sont occupées de l’émergence de ceux qui furent longtemps invisibles. » (la voix-off dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre) ; etc.
Dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, Michel Bozon insiste sur la prétendue « invisibilité du lesbianisme » (p. 10).
Mais cette vie de marginal clandestin, vivant caché, n’est pas de tout repos, car un certain nombre de personnes homosexuelles s’engouffre dans le mensonge, le double vie, la paranoïa, l’exhibitionnisme, l’angoisse de ne pas être aimé, et la perte des repères. « Peu à peu, je fis mon chemin dans le milieu. Toujours dans un cadre très discret, je passais d’un appartement à un autre, d’un corps à un autre, aucune contrarié par le manque de plaisir, alors que dehors, j’étais l’être le plus anonyme dépourvu d’intérêt. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 114) ; « La discrétion, c’est être mort, invisible. C’est pas une option. L’option, c’est au contraire d’être encore plus visible. » (Wilfred de Bruijn dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt)
Par exemple, dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar, Keegan dit son angoisse d’être invisible. Lors de son concert à La Boule Noire (2007) à Paris, Jean Guidoni chante sa « peur qu’on ne le voie pas ». Le sentiment d’être invisible rejoint celui de l’abandon d’amour : « Personne n’a plus besoin de moi et on ne remarquera pas mon absence. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 301) ; « On aurait dit qu’ils avaient décelé ma personnalité, ou mon manque de personnalité, aussitôt qu’ils m’avaient vu. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 55) ; « Quelque chose d’étrange en moi les touchait. Mon absence au monde. L’oubli de mon corps. Mes 50 kg. Mon effacement progressif. […] On ne m’avait donc pas complètement oublié malgré mon désir de disparaître, devenir invisible. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 59) ; etc.
La théorie du Gender est en quelque sorte l’idéologie de l’Homme invisible. Par exemple, dans son excellent essai Le Genre démasqué (2011), Élizabeth Montfort fait mention de « cette école suédoise Egalia où il n’y a ni filles ni garçons, ni ‘il’ ni ‘elle’, mais les ami(e)s. Ils choisiront… plus tard. Ne rien révéler aux enfants de ce qu’ils sont, garçon ou fille, revient à les mettre dans un conditionnement terrible : celui du néant. Mon nom est personne ! » (p. 47)
Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, une des témoins intersexes qui se fait appeler « M est filmée comme un être translucide lumineux, sans visage. Comme un Homme invisible. D’ailleurs, elle se définit elle-même ainsi : « Comme je n’aimais pas mon corps, la question, c’était comment faire pour qu’il soit transparent, et transparent au milieu des autres. »
L’invisibilité est une stratégie de survie, mais aussi de l’homophobie homosexuelle. « Plus l’homosexualité s’affirme, plus ses limites deviennent incertaines. » (Jacques Fortin, Homosexualités, l’adieu aux normes (2000), p. 172) ; « L’archétype du pédé, un cliché sans visage. » (Nicolas Guilleminot, dans la comédie musicale Sauna, 2011) ; « Masculin ? Féminin ? Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. » (Claude Cahun, citée dans l’exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries, à Paris, en juin 2011) ; « Il y a tous les homos qui ‘se font voir’. Et il y a tous ceux que vous ne voyez pas. Je compare l’homosexualité à un iceberg où seule la pointe apparaîtrait et serait visble ; et c’est par cette pointe que vous jugeriez de l’iceberg entier. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc. Beaucoup d’auteurs homosexuels parlent à visage couvert dans leur roman, surtout pour ne pas avoir à se justifier d’être homo et d’aimer homosexuellement (cf. je vous renvoie au code « Déni » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le « vous » narratif est à la fois un « je » et une « non-personne », un être invisible en quelque sorte.
Le mensonge de l’invisibilité homosexuelle fait tache d’huile sur le couple homo. L’amant homosexuel est souvent défini comme un amour inaccessible, insipide, absent, un voleur, le maître de ce qui ne peut pas être montré, à savoir le mal ou le viol : « Cette nuit-là, j’avais rencontré mon Homni (Homme Non Identifiable). » (Lionel Vallet dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 50) ; « Il me fallait exorciser le diable [la culture ouvrière] en moi, le faire sortir de moi. Ou le rendre invisible, pour que personne ne puisse deviner sa présence. Ce fut pendant des années un travail de chaque instant. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 115) ; « Pendant des années, je pensais : ‘Je ne connais pas ce garçon’. […] Parfois, je pensais : ‘Est-ce qu’il me voit ? Est-ce qu’il sait que je suis là ?’. » (André en parlant de Laurent avec qui il est resté 10 ans en couple, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.
Par exemple, dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno fait l’amour avec un mort : l’Homme invisible.
L’Homme invisible est tout simplement la métaphore de la mort, du diable. « J’étais dans l’horreur de ma propre confusion. Je la voyais bien. Je la comprenais parfaitement. Je marchais avec elle en silence, en bataille, jamais en paix. Je n’y pouvais rien, j’étais dominé par cette force supérieure, invisible, inconnue, et qui m’entraînait vers le chaos intime. Je voyais de temps en temps en moi l’image de ma sœur Lattéfa qu’on disait possédée. Qui l’était. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 86) Il arrive d’ailleurs que certaines personnes homosexuelles en parlent comme le père absent, ou le frère décédé qu’elles n’ont pas connu. « La fille unique que je suis n’a jamais eu à se mesurer à un frère, donc à un garçon. Elle ne s’est heurtée qu’à un fantôme. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 40)
Cette invisibilité montre surtout que le désir homosexuel, en expulsant la différence des sexes, a du mal à s’incarner, à être aimant et à épouser l’Humain. « L’invisible est indivisible du visible pour les transsexuels, ce n’est pas une maxime philosophique, ce peut être la différence qui existe entre la vie et la mort. » (Larry Wachowski, homme transsexuel M to F, dans son discours au HRC’s Visibility Awards de San Francisco en octobre 2012) Il est comme en suspension. À l’instar des désirs de mort qui nous font souhaiter disparaître.
b) L’homme voilé :
Hervé Guibert, dans la photo Le Fiancé qu’il a fait de son partenaire Thierry, enveloppé d’un tulle blanc, et ressemble à un Homme invisible. On retrouve l’homme-voile dans la lettre De Profundis (1897) d’Oscar Wilde, dans l’autobiographie Red Carpets And Other Banana Skins (2006) de Rupert Everett, etc.. Par ailleurs, de nombreux couturiers, stylistes, modélistes, sont connus pour être homosexuels : par exemple Ted Lapidus, Michael Kors, Jean-Paul Gaultier, Karl Lagerfeld, Yves Saint-Laurent, Tom Ford, Julian Mc Donald, Dolce & Gabana, Giorgio Armani, John Galliano, Gianni Versace, etc.
Certaines personnes homosexuelles affichent leur hyphephilie, « l’amour des textiles » (Agnès Giard, Le Sexe bizarre (2004), p. 36) : « À l’intérieur de l’armoire, les vêtements tombaient l’un après l’autre des cintres. Au fond, accrochées ainsi que des marionnettes, deux poupées, de taille humaine, étaient enlacées comme pour danser le tango. » (Alfredo Arias dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 263) ; « Moi qui adorais me singulariser par mes tenues vestimentaires » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 57) ; « Me voilà, au milieu de toutes ces robes andalouses, à danser des sevillanas. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; etc. La toile ou le vêtement donne l’illusion d’une transcendance et d’une transgression de la différence des sexes : « J’adorais le ski (j’adore toujours) parce qu’il n’y avait plus ni homme ni femme une fois la combinaison enfilée. Seul le talent compte. » (cf. l’article « Tom Boy à l’affiche » de Bab El)
Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, dès le début, une très grande place est offerte aux draps, aux couvertures, aux tissus (en particulier corporels). « J’ai découvert à 27 ans que j’étais intersexuée. En trouvant mon dossier médical caché au fond d’une armoire ? Sur le compte-rendu opératoire, il était écrit noir sur blanc : ‘Tissu testiculaire’. » (personne intersexe qui se fait appeler « M »)
Pour ma part, dans mon enfance, j’étais fasciné par ce personnage du dessin animé « Le Sourire du Dragon » nommé Sheila la Furtive, qui portait une cape d’invisibilité.
c) La momie :
Je vous renvoie à la campagne publicitaire de l’association de prévention contre le Sida AIDES (dans ce spot, vers la fin, le héros gay est transformé en Homme invisible méconnaissable sur son lit d’hôpital). Dans le documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) de Marion Cajori et Amei Wallach, on voit la sculptrice Louise Bourgeois en train de couvrir de bandages un homme lors d’un happening « artistique ».
Le motif de la momie semble traduire chez certains auteurs homosexuels, une idolâtrie pour des hommes-objets et des femmes-objets qu’ils rêveraient immortels, et plus profondément un désir d’être objet. « Sabah faisait son come-back. Cette chanteuse libanaise mythique de plus de 80 ans qui était devenue, à force de liftings, une statue, une momie, une icône, une petite fille étrange à la chevelure flamboyante et très blonde. Une femme à la voix un peu rauque qui défie le monde et le monde arabe. » (Abdellah Taïa exprimant son adoration de la chanteuse vieillissante Sabah, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 66)
Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, cherche tellement à cacher son sexe anatomique mâle qu’il se colle dans le bas-ventre plein de sparadrap qu’il enlève douloureusement à l’eau chaude après chaque entraînement de danse classique. Cela lui laisse des marques au point que les médecins lui disent : « Il faut arrêter le sparadrap. ».
d) L’homme-diamant :
Je vous renvoie à la pluie de diamants qu’on voit au tout début du documentaire « Mirror, Mirror » (1996) de Baillie Walsh, ainsi qu’aux couronnes de diadèmes portées par certains hommes transsexuels lors de leurs spectacles ou des Marches des Fiertés. Dans ses créations, le plasticien homosexuel Andy Warhol emploie souvent de la poussière de diamant.
Certains sujets homosexuels se définissent ou sont définis comme des diamants : « Raymond Radiguet avait le cœur dur. Son cœur de diamant ne réagissait pas au moindre contact. Il lui fallait du feu et d’autres diamants. » (cf. la préface de Jean Cocteau, dans le roman Le Bal du Comte d’Orgel (1924) de Raymond Radiguet, p. 7) ; « Ce dandy fin de siècle [Jean Lorrain] avait le goût des bijoux aux enroulements inquiétants et des pierres ‘vénéneuses’. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 188) ; etc.
Le diamant est la métaphore de l’amant homosexuel narcissique, travesti et indiscernable, même si on a l’impression de voir en lui comme dans un miroir. « Maintenant que j’écris je songe à mes amants. Je les voudrais enduits de ma vaseline, de cette douce matière, un peu menthée ; je voudrais que baignent leurs muscles dans cette délicate transparence sans quoi les plus chers attributs sont moins beaux. » (Jean Genet, Journal du Voleur (1949), p. 24) ; « Vous avez un diamant brut dans les mains et ça ne sert à rien de brusquer les choses, you know the drill. » (cf. l’article « Moi vs le Roi des rois » de Didier Lestrade, publié en mai 2012 et où il parle de son « ex ») ; « Il peut y avoir du diamant dans leurs cœurs même à l’occasion de leur vie affective. Cessons de n’y voir que de la boue. » (Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 37) ; etc.
e) Le caméléon (ou le lézard) symbolise un désir de toute-puissance dans la disparition :
John Francis Bloxam publie des articles dans le journal Le Caméléon (1893). Truman Capote, quant à lui, rédige son essai Musique pour Caméléons en 1979. Le Caméléon est le nom d’un sauna homo de Paris, et The Chameleon celui d’un bar gay en Bulgarie. Marc Landreville, le photographe homosexuel québécois, est surnommé « Monsieur Lézard » ou « Monsieur Caméléon ».
Dans le documentaire « Personae » (2010), Jakob Gautel fait une centaine d’autoportraits de lui dans différentes tenues, défilant à toute vitesse, pour se donner l’impression d’avoir une identité infinie, presque invisible. D’ailleurs, ce réalisateur, présent lors de la projection au seizième festival « Chéries-Chéris » du Forum des Images de Paris en 2010, s’est défini justement comme un « caméléon » face à nous, public.
En juillet 2015, deux chercheurs de l’université de Canberra (Australie) qui étudient de longue date les lézards dragons barbus ont démontré que certains d’entre eux devenaient des femelles après avoir été incubés sous des températures élevées. Génétiquement, les lézards seraient identifiés comme des mâles en raison de leurs chromosomes (comme les humains). Ces lézards qui auraient changé de sexe en cours de développement seraient capables de se reproduire avec ses mâles qui n’ont pas subi cette transformation et ils feraient même plus d’œufs que des lézards nés femelles.
Certains sujets homosexuels (souvent queer) se présentent eux-mêmes comme des êtres indéterminés, « en construction », en perpétuelle mutation, tellement multicolores qu’ils en perdent leur identité, leur unicité, et leur couleur propre : « Je suis né dans une famille black, blanc et rainbow. » (Patrick Blosch, entendu lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », le samedi 10 octobre 2009, à la Salle des Fêtes de la Mairie du XIème arrondissement de Paris)
Le « devenir caméléon », selon certains sujets homosexuels, donnerait accès au « devenir Dieu » : « Jimmy était un arc-en-ciel, on ne voyait jamais de lui une seule couleur. » (Dick Mangan dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, p. 43) ; « Il n’est jamais en un seul endroit à la fois. » (Colette Godard, « Copi le Voyageur », dans la version manuscrite de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Le paradoxe de ce pur devenir, c’est l’identité infinie ; identité infinie du futur et du passé, de la veille et du lendemain, du plus et du moins, du trop et du pas-assez, de l’actif et du passif, de la cause et de l’effet. C’est le langage qui fixe les limites, mais c’est aussi lui qui outrepasse les limites et les restitue à l’équivalence infinie d’un devenir illimité. » (Gilles Deleuze, Logique du sens (1969), pp. 10-11) ; « J’aurais pu naître à n’importe quelle époque, j’aurais été bien nulle part. » (Shirley Souagnon, humoriste lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux (Suisse), sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012) ; etc.
Dans la préface de son roman Si j’étais vous (1947), Julien Green nous parle d’une « mécanique dans les transformations successives » (p. 10) que chaque individu schizophrène est amené à expérimenter pour vivre l’amour et se connaître soi-même.
Sur le flyer du spectacle de Charlène Duval Charlène Duval… entre copines (2011), Charlène prétend être toutes les femmes : « Riches, pauvres, belles, moches, vierges ou non, farouches ou nymphomanes, toutes auront leur place parmi les chansons interprétées par la plus glamour des survivantes du Music-hall. Une façon de démontrer que toutes ces femmes peuvent être réunies en une seule : Elle ! » Le discours de la femme-objet par excellence (donc de la femme violée), c’est qu’elle est toutes les femmes en Une (cf. la chanson « Je suis toutes les femmes » (1980) de Dalida, la chanson « Evergirl » du groupe Play, la chanson « Être une femme » de Michel Sardou, « Toutes les femmes de ta vie » du groupe L5, etc.).
Mais, une fois mise à l’épreuve du Réel et de la condition humaine, la théorie du « devenir caméléon multi-identitaire », séduisante intellectuellement, s’écroule. Le mensonge, la superficialité, la soumission, l’exploitation amoureuse, se profilent vite : « Un caméléon vit une double vie et se juge inauthentique. » (Michel Dorais, Mort ou Fif (2001), p. 54) ; « Harold Lang était un véritable caméléon en amour, qui pouvait devenir en un clin d’œil ce que l’autre voulait qu’il fût. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 201) ; « Au cours de ma vie, on le sait, j’ai souvent menti, de manière à ressembler à Monsieur Tout-le-monde. » (Ednar dans l’autobiographie romanesque Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p.166)
Un homme désire être caméléon généralement après un effondrement d’identité, dû souvent à une humiliation ou un viol : « Je me souviens que mon père, une fois que je m’enfuyais d’une bataille de gars, m’avait dit : ‘Cours pas comme ça, t’as l’air d’une tapette!’ J’étais humilié. À partir de ce jour-là, j’ai décidé d’être caméléon. J’ai appris à jouer un jeu. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 246)
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