Condamné

 

C’est compliqué à comprendre pour ceux qui ne vivent pas ma réalité, ou qui me suspectent d’être de mauvaise volonté pour trouver un boulot. Mais mes traces numériques, ma médiatisation, mes prises de position – passées comme présentes – sur des sujets très complexes et clivants, la mine d’informations que mon seul nom googlelisé charrie, tout cela me condamne professionnellement, socialement, amicalement, amoureusement et même ecclésialement. Je suis « grillé de chez grillé ». On ne veut plus de moi nulle part. Ni en tant que prof, ni en tant que journaliste, ni en tant que catéchiste, ni en tant que prêtre. Les seuls boulots qu’ils me restent, ce serait des boulots alimentaires, ingrats, où il ne faut ni parler ni écrire, où les compétences requises sont celles des invisibles et des « muets » de notre société.

 

Je tente de temps en temps encore ma chance. Par masochisme plus que par réalisme et besoin. Mais les rares fois où je me rends à des entretiens d’embauche, c’est une humiliation supplémentaire, une fin de non-recevoir.

Encore hier, je postule pour de simples cours particuliers de français à saint Germain-en-Laye. Je rends visite aux parents et à l’élève. La rencontre se passe objectivement très bien. J’ai largement les compétences pour le poste. Et ce matin, je reçois un texto me disant finalement « Non, nous n’allons pas donner suite », avec des excuses-bidon grosses comme une maison, limite absurdes.

 

C’est pas le problème de « trop parler » et de « trop dire ce que je pense publiquement ». Car les gens ne me lisent même pas. C’est plutôt tous les sujets complexes, clivants et soi-disant « effrayants » ou « extrêmes » aux yeux du Monde, auxquels sont associés mon seul nom et prénom. Le problème, c’est le simple fait que je sois public, à l’ère où tous les Humains vont être assurés par la Marque de la Bête (leur identifiant numérique) d’anonymiser et de cacher toutes leurs données personnelles, toutes leurs pensées intimes profondes, tout leur passé et leurs actions, vont être assurés d’être privatisés, « protégés » et invisibilisés. Moi, j’ai eu la démarche inverse de quasiment tout montrer. Il y a plus de 20 ans, je suis passé de l’autre côté de la barrière en me rendant public, et je me rends compte qu’aucun retour en arrière et aucun effacement n’est possible (et je ne le souhaite pas, d’ailleurs). Nos contemporains prennent maintenant Internet et Google pour argent comptant, comme un déguisement pour se fondre dans la masse, comme leur sérum de Vérité, en plus de leur drogue, comme leur maître décisionnaire. Ils sont régis par la peur et le qu’en dira-t-on. Moi, je n’ai pas peur de ça… mais en revanche, j’en paye le prix. Je ne peux plus trouver de travail qui me respecte et qui mobilise mes compétences.

 

Mon C.V. , je l’ai expurgé de toutes les mentions politiques, religieuses, « polémiques ». Je suis resté au plus neutre (par exemple, plutôt que de citer les titres de mes livres, je mets : « J’ai écrit des livres » ; mais je me rends bien compte que ma vie « racontable » s’arrête à 2009). Mais mon seul nom est tellement chargé qu’il me condamne. C’est la mort sociale et même numérique.