Je me trouvais il y a quelques semaines de bref passage à Boboland (Lyon) et je voyais de temps à autre des « couples » homos de 40-60 ans se balader par deux dans la rue de Saint Jean et non loin de la Cathédrale. Des hommes sexagénaires, à bonne distance l’un de l’autre, discrets, souvent barbus, habillés « djeune » et avec goût à la fois, sac en bandoulière, touristes mais pas beaufs. Bobos, quoi. De ces « couples » qui font des voyages leur principale activité (après viennent la cuisine, les amis, la lecture, les arts, les expos culturelles…). Le truc qui sent le renfermé alors que c’est malgré tout super aéré. Paradoxe.
En les observant, je me suis dit instinctivement : « Tout mais pas ça pour moi ! » Cette routine, cette vie de consommateurs masqués aux plaisirs raffinés, sophistiqués, exotiques, « humbles », « actifs », « humanitaires », « culturels »… nan mais quel ennui et quelle horreur ! Rien que pour ça, je n’aurais jamais pu vivre en « couple » homo, et encore moins l’afficher/l’assumer publiquement (même discrètement) ! Vu que les rares « couples » homos qui ne font pas « milieu » et qui sont fidèles choisissent en tout cas un train de vie sans Dieu, sans véritable don de sa personne aux autres, et centré sur des occupations élaborées, un esthétisme très sélectif et discrètement misanthrope, je n’aurais pas pu supporter longtemps la posture bobo, et plus profondément, le fait de faire « couple » homo en public. Très vite, je me serais senti dans une prison dorée peinte en vert ou en blanc, en train de vivre une imposture et une mascarade pathétiques. J’ai déjà connu cette impression détestable de vacuité le peu de temps que j’ai été en couple. Et je revis ce vertige dès que j’identifie accidentellement des « couples » homos planqués, universal travellers en villégiature « culturelle », au coin d’une rue. Le malaise pour eux, pour cette « solitude à deux », cette sincérité mensongère.
De prime abord, ma réaction pourrait faire très « homophobie intériorisée d’homo qui ne s’assume pas », très isolée et purement personnelle. Alors qu’en réalité, je pense d’une part qu’elle n’a rien d’une quelconque difficulté à s’assumer homo chez moi, et d’autre part que je dis tout haut ce que beaucoup de personnes homos (pour ne pas dire toutes) pensent tout bas.
Comme je l’avais déjà écrit dans un de mes premiers livres (Homosexualité intime, l’Harmattan, 2008), l’impression d’être mal assortis en « couple » homo n’est pas foncièrement une affaire de point de vue, de culture, de subjectivité, ou de personne en particulier (auquel cas vous pourriez jeter mon discours à la poubelle). C’est surtout objectif, naturel, universel, apaisé et vrai. Même les « couples » homos depuis longtemps ensemble se distendent, ont du mal à s’identifier à ce qu’ils vivent et à l’afficher, à s’émerveiller sur eux-mêmes et ce qu’ils vivent (même si, en grands groupes, ils persuaderont du contraire), tout simplement parce qu’il y a quelque chose d’intrinsèquement forcé, singé, artificiel, violent, caricatural, dans l’acte homosexuel. Sans différence des sexes, on a du mal à se projeter en couple, même quand les deux membres ressemblent à des jumeaux et ne composent pas un duo improbable de Laurel et Hardy. Un couple homme-femme, même mal assorti ou improbable, sera toujours plus probable, plus complémentaire et plus marié/mariable qu’un « couple » homo bien sous tout rapport et aux occupations fort étudiées, aux circuits non-touristiques improvisés fort programmés. La vie de « couple » homosexuel est objectivement et sincèrement gênante et invraisemblable : surtout pour ceux qui la vivent ; pas tellement aux yeux des autres. Oui. Dans l’homosexualité actée, il y a quelque chose qui ne s’agence pas, quand bien même les deux personnes le veuillent sincèrement. Je ne suis pas le seul à le sentir. Et le souligner ne remet en cause ni la valeur des personnes prises individuellement ni leur capacité à vraiment aimer pleinement et de manière plus rayonnante mais dans un autre cadre que la structure amoureuse homosexuelle.