La conférence du cardinal Robert Sarah « Le chant grégorien : du silence de l’âme unie à Jésus au silence de Dieu dans sa Gloire », qu’il a prononcée les 22-23 septembre 2018 dans l’Ain, a été publié le 2 octobre sur le site L’Homme Nouveau. Évidemment, ce journal traditionaliste pharisien, porteur d’un spiritualisme intégral christocentré et maçonnique identique à celui du cardinal, ne tarit pas d’éloges à son sujet, et n’y voit que du feu. Mais comme nous ne sommes pas tous aveugles, j’ai décidé de vous proposer cette petite étude de texte qui corrobore mes autres observations sur le cardinal Sarah et son appartenance inconsciente à la Franc-Maçonnerie (je dis « inconsciente » puisqu’il prétend ne pas en faire partie, et qu’il croit même être l’un des seuls prélats de la Curie romaine à la combattre). Je vous renvoie à mon article 1 et article 2.
Mes mots pourront paraître trop forts. Mais le cardinal Sarah fait exactement comme le traître Judas dans la Bible dans la scène de l’onction de Béthanie : il sacralise la liturgie comme un esthétisme (doré, soyeux, filandreux et délicat) de la pureté, de la pauvreté, de l’humilité, de la simplicité, de la déférence à Dieu, comme un travail de couturier de la haute ET du peuple d’en bas. Il fait du chant et du « silence d’adoration pour le Christ » (comme il le dit lui-même) une posture et une loi esthétiques, un formalisme « mélodieux » avec plein de règles strictes dont il détiendrait la recette, la perception, et dont il surveille scrupuleusement l’application. Le culte formel du Christ, les règles de bienséance et du « bien prier » – en l’occurrence ici, du « bien chanter » –, les vices de forme, semblent recouvrir plus d’importance à ses yeux que le Christ Lui-même et l’amour des gens désobéissants et bruyants.
Ce lyrisme de la simplicité silencieuse et pieuse est d’autant plus suspect et hypocrite qu’il sent la rétention d’une révolte intérieure et d’une exaspération réelles étant donné le contexte ecclésial explosif actuel. C’est comme si on était en plein champ de bataille et que le cardinal nous proposait une recette de cuisine, pour détendre l’atmosphère. Le calme et l’extase béate du cardinal Sarah, en plus d’être inappropriés aux besoins et aux urgences de notre temps, sentent la haine comprimée, la cocotte-minute sur le point d’exploser… explosion imminente dont il laisse quand même échapper déjà quelques gaz d’aigreur qui le trahissent : il étrille la musique « contemporaine », « commerciale », et notamment le « jazz » ; et vomit sur son époque et ceux qui ne vénèrent pas comme lui (« cette cécité », « cette surdité », « verbiage », « notre immersion dans un monde profane et sécularisé, sans Dieu et sans foi, saturé de bruits, d’agitation et de fureur mal contenue », « cet assemblage artificiel, ce magma informe mondialisé et dominé par l’argent et le pouvoir, qui est celui du nivellement si caractéristique du monde profane et sécularisé », etc.). Ce texte, en apparence rassurant, flatteur, positif, résonne comme un avertissement et une menace. Il est la parfaite illustration de ce que j’écris depuis un certain temps sur l’infiltration de la Franc-Maçonnerie dans la Réacosphère et dans l’Église Catholique côté conservateurs et traditionalistes, puisqu’on y retrouve les trois champs lexicaux de la Franc-Maçonnerie : 1) la lumière-tissu ; 2) l’architecture ; 3) l’humanisme intégral (hétérosexualité, pacifisme intégral), parfois déguisé en son extrême-inverse, le spiritualisme intégral (formellement christo-centré). Nous allons voir maintenant où se trouvent ces trois champs lexicaux, et à chaque fois, je conclurai les chapitres par un texte d’Évangile illustratif.
1) Tissu lumineux :
Dans le discours du cardinal Sarah, c’est la fête du tissu lumineux, des vendeurs d’étoffe rutilante, des scribes alchimistes et des orfèvres !
On retrouve le lexique du vêtement et du tissu : « revêtons » ; « sa parure visible et splendide », « au fil des siècles », « revêtir la Parole », « parement », « la châtelaine filant la laine à l’aide du rouet », « en lien », « faire parler les cordes vocales », « revêtu du vêtement royal », « déchirer », « en lambeaux », « toujours revêtu de sa soutane », « déracinés », « valse viennoise », « instrument à cordes pincées, la kora, qui est le luth africain », etc.
On retrouve aussi le lexique de la lumière et de l’or : « manuscrit enluminé du livre liturgique », « couverts d’ornements et d’enluminures », « ornements gothiques, armoiries, initiales en or », « les enluminures », « flamboiement », « jaillit » (3 fois), « nimbé de la Lumière incréée », « assortis », « tous les regards des enfants, petits et grands, convergent », « cristalline », « transfigurer », « lumineuse ».
On retrouve enfin le lexique du fil de l’écriture, de la calligraphie et de l’inscription (tables de la lois), si cher aux francs-maçons actuels : « lettres ornées », « le manuscrit enluminé », « Sainte Ecriture », « verset », « Bible », « sceau », « premiers manuscrits médiévaux », « incunables », « l’imprimerie », « psautiers », « antiphonaires », « lectionnaires », « évangéliaires », « lettres », « ouvrages », « moines copistes », « transcrire », « scriptorium », « copistes », « inscrite », « ponctue ». Aux scribes (dont beaucoup ont crucifié le Christ : je dis ça, je dis rien…), tous les honneurs !
Il ne faut jamais oublier que Judas, du temps de Jésus, n’était pas seulement gardien de la trésorerie : il veillait également à la bonne tenue cultuelle du Christ. Il n’était pas pour les effusions improvisées ni bruyantes ni désordonnées. Il fallait y mettre les formes, par respect pour la royauté et la grandeur de Jésus ! Dans l’atelier dentelle et couture du cardinal Sarah, on est très focalisé sur la forme (« formes », « formes les plus variées », « forme »), le décorum, l’image d’Épinal, l’exotisme pieux, la vitrine folklorique de la pauvreté. C’est la vitrine version bobo (bourgeoise-bohème) d’extrême droite : « dépouillée, élégante et raffinée », « à la fois les plus ordinaires et les plus nobles ». En gros, ça doit chic et élitiste, mais il ne faut pas que ça se voie. Il faut juste que ce soit suggéré et mâtiné de pudeur, d’humilité, de piété, de sobriété, de nostalgie pastorale (au sens littéraire du terme : les contes folkloriques pastoraux, avec le berger beatus ille et la bergère – « cantiques en langue bretonne », « la danse », « danse bretonne », « valses de Vienne », « pâturages », etc., Sarah adore !). Et puis surtout, chuuuut, les ouvrières doivent se taire dans l’atelier d’orfèvrerie. Ce n’est quasiment pas un travail fait de mains d’Homme, enfin ! C’est plutôt l’ouvrage de demi-dieux et d’anges !
Avec le discours du cardinal Princesse Sarah, on se retrouve face à du pur fétichisme, à un matérialisme cultuel, en fait. C’est de la bondieuserie et de la flamboyance rococo. Dieu le Père est transformé en Veau d’or : « le Père siégeant sur son Trône de Gloire, fait de jaspe – d’une couleur étincelante et transparente – et de sardoine – de couleur pourpre -, environné de l’arc-en-ciel de la fidélité de Dieu » (De qui parle-t-il ? Du vrai Dieu, ou du Pape qu’il veut être ? Là, j’ai un doute, tout d’un coup…). Le Christ est transformé en gravure de mode : « revêtu du vêtement royal ». Il devient plus un super-héros, un super-roi, une icône merveilleuse et une énergie, un enfant de crêche pastorale, qu’un homme pas encore ressuscité dans l’éclat complet de sa Gloire : « l’Agneau immolé, mais debout », « flamboiement de sa Gloire », « la Gloire de l’Éternel », « Jésus souverain »., « (Christ) représenté », « le Christ Pantocrator dans l’art byzantin », « Crucifié ressuscité », « la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire, et la louange », « Cœur de l’Agneau pour la vie éternelle ». L’Esprit Saint, quant à Lui, est transformé en publicité pour eaux thermales ou parfums : « l’Esprit Saint, source et fleuve d’eau vive jaillissant du Trône », « pureté », « cristalline », « une vague qui porte la voix », etc. Rien n’est trop beau pour la Trinité, pour sa Majesté… pour « la personne créée à l’image de Dieu Trinité » ! Mais la Croix, concrètement, est absente. Et l’Humanité aussi.
Diaprures, belles lettres, dentelles, falbalas, bougies, soutanes et habits religieux, orchestre philarmonique ou petit chœur traditionnel épuré, imposantes cathédrales, cérémonies bien ciselées et réglées comme du papier à musique… : je ne suis pas sûr que Jésus demande toute cette gloire matérielle. Il veut de la simplicité et de l’Amour : pas un esthétisme (matérialiste) de la simplicité et de la piété/dévotion/adoration/sacrifice/obéissance, pas une onction « pour les pauvres » sans les vrais pauvres.
Les propos du cardinal sont similaires à l’attitude de Judas au moment de l’onction de Béthanie : Marie la pécheresse verse du parfum sur les pieds de Jésus…et Judas récrimine : « Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie où était Lazare qu’il avait ressuscité. Là, on lui offrit un repas; Marthe servait et Lazare était parmi ceux qui se trouvaient à table avec lui. Marie prit un demi-litre d’un parfum de nard pur très cher, en versa sur les pieds de Jésus et lui essuya les pieds avec ses cheveux; la maison fut remplie de l’odeur du parfum. Un de ses disciples, Judas l’Iscariot, [fils de Simon,] celui qui allait le trahir, dit : ‘Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum 300 pièces d’argent pour les donner aux pauvres?’ Il disait cela non parce qu’il se souciait des pauvres, mais parce que c’était un voleur et, comme il tenait la bourse, il prenait ce qu’on y mettait. Jésus dit alors: ‘Laisse-la! Elle a gardé ce parfum pour le jour de mon ensevelissement. En effet, vous avez toujours les pauvres avec vous, tandis que moi, vous ne m’aurez pas toujours.’ » (Jn 12.1-11) Version cardinal Sarah, ça pourrait donner : « Nous aurions pu donner la richesse de la délicatesse de la liturgie au Christ et à la pauvreté du silence ! »
2) Architecture :
Le cardinal Sarah joue aussi le grand architecte du culte christique, le maître d’œuvre !
On retrouve dans ses mots le lexique de la construction, de la pierre, de l’architecture : « à l’ombre des cloîtres », « cette double porte de l’âme », « son support visuel », « représentaient », « représentée, figurée », « la châtelaine », « la salle», « la cellule », « sanctuaire de l’abbatiale », « cristalline », « l’autel, la pierre du Saint Sacrifice », « tout l’espace intérieur de l’église abbatiale, entre les colonnes, tout au long de la nef », « autour de l’autel », « Devant l’autel du Saint-Sacrifice », « sa cellule », « la Croix », « nombre d’abbatiales, comme à Sénanque, Bonneval ou Quimperlé », « la clef », « accéder », « à coup de haches », « partie forte », « nos églises », « comme une digue cède sous la pression d’un torrent de boue », « abimer », « démolir », « la terre », « un humus », « labours », « dans la terre », « glèbe », « la crèche splendide d’une église de Bretagne », « L’Abbaye sénégalaise de Keur Moussa, fondée par Solesmes en 1962 », « monastère Saint-Joseph de Séguéya », « la glèbe et la poussière de notre terre », « ta maison », « salle », « nous faire franchir pour que nous puissions entrer dans cette communion infrangible et lumineuse, celle de l’Eglise catholique, une demeure aux multiples visages », etc. En gros, le cardinal vénère davantage l’église-bâtiment que l’Église-Cœur.
On retrouve également le lexique de la règle, de la Loi pour la Loi, du plan, du processus , du savoir-faire : « éléments essentiels», « double fondement », « Il est établi », « ont élaboré », « l’Arche », « l’élaboration lente et progressive », « constitue », « le modèle de l’élaboration des autres formes de musique et de chant liturgiques », « le rythme syncopé », « la mesure » (deux fois), « la formation », « formation liturgique de qualité », « trois temps », « rythme à trois temps », « troisième pas », « rythme », « instrument », « au premier plan de la liturgie », « ce troisième pas », « cet assemblage », « le critère » (3 fois), « l’atelier », « fabrication », etc.
On retrouve enfin le lexique du corporatisme des métiers et de la hiérarchie pyramidale institutionnelle : « l’association Pro Liturgia » (fondée en 1988 qui milite pour « l’application exacte des décisions du Concile Vatican II »), « armes », « la cuirasse », « casque », « travail » (trois fois), « travailler », « travaille », « griots, ces musiciens messagers, conteurs et poètes, historiens et chroniqueurs », « responsable de fabrication des koras », « bibliothécaire », « près de sa stalle », « la main parfois posée sur la miséricorde », « réalisatrice », « véritable ardeur à transmettre un patrimoine immémorial à des enfants trop souvent déshérités et déracinés », « souffle du laboureur hersant la terre », « le laboureur, l’artisan, le ménestrel », « le moine », « des lames de bois que l’on percute avec des baguettes », « le paysan africain », « roi David », « votre président, M. Denis Crouan et, par son entremise, à chacun d’entre vous », « l’abbé, le prieur, le sous-prieur et le bibliothécaire », « des évêques, et celle des prêtres, leurs collaborateurs », « séminaristes, des novices et aussi, bien évidemment, des fidèles », « chefs de chœur », « les choristes et les musiciens », « les membres des équipes liturgiques », « responsables du choix des chants liturgiques », « sous la conduite de leur curé », « le recteur », « le Père Luc Bayle, moine de Keur Moussa, et successeur du Frère Michel Meugniot dans la direction de l’atelier », etc. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sens du protocole et de la déontologie sont là !
Avec le cardinal Sarah, on a affaire à une sorte de « Discours de la méthode » musicale christique, très codifié et protocolaire : « Rite romain », « liturgie catholique », « la liturgie monastique », « la liturgie des moines », « le phrasé cantillatoire », « la prosodie » (deux fois), « caractère modal », « respecte le rythme de la prosodie », « le rythme », « prière monastique », « silence comme condition du chant liturgique authentique », « chant liturgique », « la manière », « certaines formes », « faire prier », « promouvoir la liturgie en langue latine », « Le rythme est donc un élément très important », « beaux chants liturgiques », « Constitution Sacrosanctum Concilium », « Concile Vatican II » (comme ça, on ne pourra pas le suspecter de conspirationnisme sédévacantiste…), « reconnaissance par l’Église », etc. C’est son rôle, me direz-vous. Mais il y en a qui se prennent pour leur rôle (et là, c’est désastreux) et d’autres pas (exemple : le Pape François).
Le dandy des abbayes déambulant silencieusement dans leurs allées et leurs cloîtres rejoue toujours la même balade des gens pieux (Je viens te chanter la balade, la balade des gens pilleux…). Notre Drama Queen cardinalice s’extasie sur le travail musical et admirable de son chœur de tailleurs de pierres, sur le travail patient et minutieux de son cercle de petits artisans, de moines copistes et de religieuses chanteuses contemplatives. « C’est admirable : j’aime beaucoup de que vous faites. Même dans l’ombre (du silence, de l’invisibilité de la prière). Moi, je sais le voir… » promet-elle.
Le cardinal Sarah, encore une fois, défend un patrimoine culturel, des racines, une identité et une tradition de chrétienté, une civilisation grandiose, un Temple de pierres, et non Jésus : « véritable ardeur à transmettre un patrimoine immémorial à des enfants trop souvent déshérités et déracinés », « dépositaires de la mémoire culturelle de l’Afrique et de sa tradition orale », « culture ». Comme les francs-maçons écolos, il sacralise la création au détriment du Créateur : il parle par exemple de la « Merveille de la création », de « la réalité d’un humus doté d’une âme immortelle », des « plantes, des fruits, des animaux[…] oiseaux multicolores s’élançant vers le ciel, poissons dans l’onde bienfaisante de la rivière », « l’univers tout entier ». Dans un holisme panthéiste ampoulé, il évoque à plusieurs reprises (3 fois) « l’adoration du Dieu vivant », vénère le Vivant et ce qui « rend vivants » (c.f. je vous renvoie au code bobo « Je suis vivant » dans mon livre Les Bobos en Vérité). Il verse dans le millénarisme naturaliste et spiritualiste, où le formalisme et la Nature prennent la place du Christ : « ce rythme ‘ternaire’, sorte de ‘trinité’ naturelle inscrite profondément dans l’âme de chaque homme », « rythme ternaire est naturel », « l’authenticité du rythme qui respecte la nature humaine, et donc l’âme, dans sa relation silencieuse et aimante avec Dieu, son Créateur et Rédempteur », etc. Au passage, chez le cardinal Sarah, ce naturalisme christique et nataliste se déchainera contre le Gender et définit l’homosexualité comme « contre-nature ».
Il est d’ailleurs étonnant de voir comment, dans sa conférence, Sarah a déifié/personnifié l’outil que devrait rester le chant grégorien, pour en faire le nouveau Christ : « cette liturgie céleste », « silence sacré », « un silence absolu », « l’Office Divin », « déambulation processionnelle », « cette ronde majestueuse », « le beau déploiement de la liturgie de l’Église», « encore en chemin vers son accomplissement », « la genèse du chant grégorien », « sainte Liturgie », « le chant grégorien doit occuper la première place » (phrase qu’il détourne de son contexte d’énonciation pour l’isoler en Vérité dogmatique), « place éminente, la première », « la valeur intrinsèque inégalable de ce chant, inspiré par l’Esprit Saint », « chant liturgique jaillit », « chant liturgique constitue cette gestuelle », « l’Église dans sa sainte Liturgie », « Tolérer n’importe quelle musique ou chant, continuer à abimer la liturgie, c’est démolir notre foi, », « ce silence sacré », « son rythme ternaire », « la kora est l’apanage sacré des griots ». C’est le chant ou le silence ou le rite formel qui sont auréolés de sainteté ; très peu le Christ et les personnes de chair et de sang. L’expression « chant grégorien » est répétée 38 fois : c’est le personnage principal du discours sarahien (Jésus, à côté, est très peu cité, et c’est loin d’être le roi que sert le cardinal Sarah). À en croire le prélat, Dieu, comme dans les égrégores de la Franc-Maçonnerie, serait davantage le résultat et le produit d’une technique pour L’atteindre qu’un don gratuit de Dieu qui rejoint même celui qui n’a pas de technique : « le fruit de leur méditation silencieuse », « Seule la qualité du silence et de la prière personnels peuvent rendre sublime et profonde la prière communautaire. », « exténuant, mais régénérateur et sanctifiant », « compréhension profonde », « une ferveur sans pareille », « notre chant », « qui aboutissent au silence de l’adoration », etc. Incroyable inversion.
Le chant grégorien, c’est Dieu ; ce n’est plus un outil pour servir Dieu, ni un simple accompagnement : c’est Dieu ! Et le récepteur capable d’accueillir Dieu devient aussi un substitut de Dieu. On est vraiment dans l’égrégore : c’est le rituel qui créerait la divinité, et non l’inverse. Dans le discours du cardinal Sarah, le moyen a pris la place du But. Il y a un réel problème dans le sens de la prière. C’est presque unilatéral. Ça va de l’intérieur vers l’extérieur, et non, comme cela devrait être le cas, prioritairement de l’extérieur vers l’intérieur. C’est le priant qui, par la qualité de prière et sa docilité au rite méditatif silencieux, ferait advenir la divinité, et non l’inverse : « Du silence de l’âme unie à Jésus au silence de Dieu dans sa gloire », « naît du silence et conduit au silence », « prière monastique qui commence toujours dans l’intimité de la cellule et se poursuit jusqu’au sanctuaire de l’abbatiale. Seule la qualité du silence et de la prière personnels peuvent rendre sublime et profonde la prière communautaire. » « chant grégorien qui monte depuis l’autel, la pierre du Saint Sacrifice », « mouvement ascensionnel : qui monte », « le silence comme condition de la Parole, celle de Dieu », « C’est de l’intérieur du silence que Dieu parle, qu’il crée le ciel et la terre par la puissance de son Verbe. D’ailleurs, la Parole ne prend son importance et sa puissance propre que lorsqu’elle sort du silence… mais la réciproque est également vraie ici : pour que le silence ait sa fécondité et sa puissance réalisatrice, il faut que la parole s’énonce dans une élocution exprimée. », « La liturgie est comme une vague qui porte la voix, facilite le chant, rend la relation à Dieu plus profonde », « notre chant, uni à celui des anges et des saints, jaillit de ce silence sacré qui nous fait entrer dans la communion avec la Très Sainte Trinité. » On assiste à un glissement pervers et à un dévoiement de la prière… et le pire, au nom de la qualité de la prière ! L’Esprit Saint, telle une colombe libre, ne se laissera jamais mettre en cage.
Pour vous illustrer l’orgueil bâtisseur du cardinal Sarah, je reprendrais bien volontiers la parabole du pharisien et du publicain (qu’on pourrait aussi renommer « La parabole du silencieux et du bruyant » pour l’occasion) : « Jésus dit encore, à l’adresse de certains qui se flattaient d’être des justes et n’avaient que mépris pour les autres, la parabole que voici : ‘Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui–même : ‘Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers.’ Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !’ Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. » (Lc 18,9)
3) Humanisme intégral
En bon humaniste intégral qui se respecte, le cardinal Sarah salue des capacités, des qualités, des valeurs et des vertus humaines, que représente parfois le Christ mais qui ne sont pas le Christ : « prière », « l’écoute », « amitié », « fidélité », « soutien », « l’ouïe, et aussi la vue », « à l’ouïe et à la vue », « la foi », « la charité », « l’espérance du salut », « le silence », etc. C’est étonnant mais il reprend exactement les revendications du monde communiste et agnostique : « encouragement », « reconnaissance », « votre détermination », « engagement », « défendre », « défense », « défendez », « efforts », « réfléchissions ensemble », « unie », « promouvez », « avec ardeur », « chanté en commun », « communautaire, unanime, prononcée à voix haute, à pleins poumons, durant huit heures par jour », « culture », « l’éducation de l’enfant », « enseigne », « notre monde », « tout un peuple », « digne », « l’homme », « humaine », « essentiel », etc. Y compris pour dénoncer les « droits de l’homme », il se met à en créer des nouveaux. Il se situe du côté des soi-disant victimes (car ce sont plutôt des râleurs que des victimes) dont le droit-à-assister-à-une-messe-valide a été bafoué (« Telle est la souffrance qu’expriment tant de fidèles à la sortie de certaines Messes » (avec majuscules dans le texte : c’est dire s’il personnifie et sacralise le rituel christique à la place du Christ !), « vraie agression », « intrusion violente », « effraction de l’âme où Dieu s’entretient avec sa créature, comme un ami avec son ami », « cette violation d’un droit essentiel », « ce droit élémentaire de la rencontre de la personne humaine avec Dieu », « qu’on nous restitue d’abord le silence »), des victimes qui défendraient non seulement leur liberté d’expression, de culte et de croyance, mais surtout leur « choix et donc de la sélection des chants liturgiques » (ça, c’est la « liberté » défendue par le cardinal Sarah… On n’a pas la même notion de la « liberté » ni même l’objet de liberté…).
Autre détail d’humanisme intégral qui n’en est pas du tout un, en réalité : c’est la présence de l’hétérosexualité. L’hétérosexualité (ce culte de la diversité et des différences en soi, qui est le socle de la Franc-Maçonnerie, et le diable déguisé en différence des sexes) est très présent dans les mots du cardinal : « formes les plus variées », « aussi divers », « oiseaux multicolores », « splendide variété dans l’unité en Dieu des cultures », « aux mille voix », « aux multiples visages », etc. Comme je l’explique dans Homo-Bobo-Apo sur la Franc-Maçonnerie, le boboïsme est fondé sur l’intention (même l’intention de prière !). Et comme par hasard, le cardinal flatte dès le départ les intentions de son auditoire catholique (« Je vous assure de ma prière aux intentions qui vous sont chères »).
Ce qui frappe dans le discours du cardinal Sarah, c’est aussi le lyrisme échevelé. On retrouve exactement le style ampoulé et emphatique de la bourgeoise qui s’extasie : il emploie pléthore de superlatifs (« si délicate », « si méritants », « toujours plus fructueux », « très sainte de Dieu », « si délicate et subtile », « très humble », « les plus variées », « éminemment », « très lente », « la Très Sainte Trinité », « la communion avec la Très Sainte Trinité », « plus profonde », etc.), des listes d’adjectifs laudatifs (cette adjectivation frise la flatterie puante et la grandiloquence infantilisante : « crèche splendide », « visible et splendide » « délicate et subtile », « sa capacité irremplaçable », « au cours de sa lente et patiente éclosion », « présence réelle, visible, tangible, substantielle », « la place exceptionnelle et incomparable », « immense et cruciale », « ce merveilleux instrument à cordes pincées », « splendide », « légèreté diaphane »), un registre de langue touffu et désuet (vous savez ce que ça veut dire, « glèbe », « scories », « pantelant » ou « cantillation » ? vous savez ce que c’est que tous les termes techniques du monde monacal ? Moi, j’avoue que non… Et est-ce vraiment utile à la croissance de notre Foi ? Non. Le cardinal Sarah ne semble garder de la foi que l’aspect technique, gnostique, précieux et élitiste, extérieur… même s’il parle beaucoup de l’intériorité), des formules convenues de bienséance dans les sphères catholiques (« En vous assurant de ma prière », « profonde gratitude », « vos efforts si méritants »). Judas Junior sait où il met les pieds et sait se comporter en homme du monde (monde religieux, bien religieux), en parfait ambassadeur. Et toujours avec cette fausse humilité qui se dit trop elle-même pour rester véritablement humble : « très humble », « je n’hésite pas à déclarer avec insistance et humilité : je vous en supplie »). Oh oui… quelle humilité théâtrale !
Le problème, c’est qu’à force de jouer le parfait élève, ou plutôt le précepteur, il ne s’entend même plus parler. Il est facile de le prendre en flagrant délit de mysticisme, d’envolée lyrique chantant la magnificence formelle de la technique de prière et de chant : « une danse », « cantiques », « par excellence » (trois fois), « son grand geste », « gestuelle du silence », « balancement », « douce oscillation », « l’expérience ineffable », etc. Il s’envole, comme un ange (il est d’ailleurs fort probable qu’il se prenne pour un ange). Avec lui, on est dans la posture pieuse (simulant la Vision béatifique) : « silence de l’adoration du nouveau-né », « silence de la contemplation », « méditation silencieuse », « méditation », « la méditation et à l’adoration », « contemple » (2 fois), « contemplation silencieuse », « silence intérieur » (2 fois), « le silence dit ‘sacré’ », « un silence sacré », « intime », « l’intimité », « l’intimité de l’âme et de sa relation unique et ineffable avec son Créateur et Rédempteur », « la présence ou de l’absence de la contemplation », etc. Ou alors on est dans le réchauffé : il essaie de nous refaire du saint Augustin (« Chanter, c’est prier deux fois ») mais en raté : « prier, c’est chanter, c’est faire parler les cordes vocales de son cœur ». Il n’y a que les pharisiens anti-Pape-François de la Réacosphère pour trouver ça « beau et profond »…
Pour illustrer la dérive de l’humanisme intégral, voici un passage d’Évangile dénonçant les valeurs cérémonielles et rituelles spiritualo-mondaines : « Mes frères, ne mêlez pas des considérations de personnes avec la foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire. Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme aux vêtements rutilants, portant des bagues en or, et un homme pauvre aux vêtements sales. Vous vous tournez vers l’homme qui porte des vêtements rutilants et vous lui dites : ‘Prends ce siège, et installe-toi bien’ ; et vous dites au pauvre : ‘Toi, reste là debout’, ou bien : ‘Assieds-toi par terre à mes pieds’. Agir ainsi, n’est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon des valeurs fausses ? Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde ? Il les a faits riches de la foi, il les a faits héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’auront aimé. » (Jc 2, 1-5)
En résumé…
En résumé, le plus paradoxal et dichotomique (le plus bobo, quoi), c’est que le cardinal Sarah d’une part cache le Christ au nom du Christ (autrement dit, il met la forme – le chant grégorien – à la place de Celui qu’elle est censée chanter), et d’autre part fait la promotion d’un chant silencieux (autrement dit d’un chant muet, d’un anti-chant) : il chante dans le même temps les louanges du chant (mot répété 38 fois) ET du silence (mot répété 31 fois). Il faudrait savoir. Pire : je crois qu’au fond, il propose une louange du bout des lèvres et du bout du cœur, une louange comptable. Et il est fort probable que celle-ci déplaise fortement à Dieu.