Je remarque dans certaines paroisses catholiques parisiennes que je fréquente (et dont certaines sont excellentes) la présence – discrète mais suffisamment visible pour ne pas passer inaperçue – d’un ou deux « couples » d’hommes homosexuels, inséparables tout en se tenant savamment à distance. La mise en scène est très étudiée. Ils ne font pas étalage de leur statut de concubins. Cependant, ils ne s’en cachent pas non plus. L’œil un minimum averti les repère très bien dans l’assistance. Ils sont d’une discrétion et d’une « exemplarité » millimétriques : ils ne se tiennent même pas la main ; ils ne s’attardent pas en messes basses soufflées à l’oreille pendant l’office ni en regards appuyés et mielleux pendant le baiser de paix ; ils sont encore moins chaleureux entre eux que ne le seraient deux frères de sang. On comprend bien qu’ils ont compris que « malheur par qui le scandale arrive » et « malheur à celui qui choquerait un de ces petits qui sont les Enfants de Dieu ». En général, l’un des deux partenaires du duo, plus extraverti que l’autre, assure les relations publiques avec le reste des fidèles : il fait même quelquefois partie de l’EAP (Équipe d’Animation Paroissiale), sert d’enfant de chœur, lit les lectures, est sacristain ou organiste, fait la conversation ou des blagues aux petits vieux de la paroisse (qui l’« adorent »), jouit d’un capital sympathie et d’une place confortable dans la vie de la communauté.
Le plus étonnant, c’est de constater la complaisance des paroissiens à leur égard (parmi ceux qui comprennent… car beaucoup n’y voient que du feu : plus c’est gros, plus des fois ça passe). Elle ne me gênerait absolument pas si elle traduisait une amitié véritable et individuelle, si elle était le reflet d’un attachement à la Vérité et d’un courageux élan de Charité. Or, ce n’est pas le cas : en réalité, il y a beaucoup de mondanité, de non-dit, de peurs, d’hypocrisie et d’indifférence, derrière cet accueil gay friendly et cette intégration.
Les prêtres de la paroisse ont leur part de responsabilité dans l’intromission bien attentionnée de l’homosexualité actée dans l’Église. Pris entre deux feux, ils veulent accueillir tout le monde et considèrent que Jésus invite tout spécialement les pécheurs à sa table… donc ils croient bien faire en fermant les yeux. Mais ils oublient que Jésus condamne fermement le péché et qu’Il corrige les pécheurs. Il suffit de une ou deux unions homosexuelles dans une communauté ecclésiale, qui plus est investies et tenant des postes-clé dans les équipes paroissiales, pour que l’esprit de Vérité et de cohésion avec l’Église s’effrite, pour que 80% des paroissiens défendent l’Union Civile comme une nécessité et « l’amour homo » comme une « couple béni discrètement par Dieu ».
J’ai entendu pas mal de prêtres catholiques m’avouer que, sous la pression affective des « couples » homosexuels fréquentant leur assemblée et qu’ils n’osaient pas dénoncés, ils se sont retrouvés à taire leur opposition au « mariage gay », voire même à défendre ce « mariage ». Pour éviter, à leurs yeux, « la guerre civile » parmi leurs paroissiens, ils ont préféré ne pas me faire venir témoigner, alors même qu’ils étaient d’accord avec mes idées. Il était plus facile pour eux de me faire passer pour un cas isolé extrémiste que de prendre le risque de se mettre à dos les trois-quarts de leurs ouailles. « Tu sais, quand tu te retrouves, le jour de la rentrée paroissiale, devant cinq couples homos bien intégrés et engagés dans ta nouvelle communauté, tu changes de stratégie, tu rabats ton caquet, et tu caches ta présence aux Manif Pour Tous… ». Je comprends ces curés-là, mais je ne les justifie pas et ça me fait de la peine pour eux. Où se trouve leur courage de surmonter la mondanité et de défendre le discours de Jésus sur l’adultère, le concubinage et même l’homosexualité ? Où se trouve leur courage de défendre leur Église et Sa Vérité ?
Ce midi, je me suis retrouvé précisément dans une église parisienne où le parfait petit couple homo de la communauté siégeait au premier rang, toujours à la même place. Ces deux dandys bénéficient manifestement d’un passe-droit, d’un statut tacite de privilégiés dont la condition de vie est tolérée. Et ce privilège part toujours d’excellentes intentions : « Ce sont des exceptions. C’est la diversité du Peuple de Dieu. » ; « Du moment qu’ils ne s’affichent pas comme modèles… » ; « Ils sont très serviables et font du bien à la paroisse. » ; « La vie privée et sexuelle de mes paroissiens ne me regarde pas ! Je dois rester à ma place. » ; « C’est important de ne pas arrêter les gens à leur sexualité, à ce qu’ils font au lit. Seul Dieu sonde les cœurs. » ; « Ils ont accès à l’Amour de Dieu. De quel droit je les condamnerais et leur interdirais l’accès à l’église, aux messes, aux services liturgiques, à la présence de Jésus ? N’y a-t-il pas dans l’assemblée des personnes bien plus pécheresses qu’eux ? » ; « Qui suis-je pour juger ? » ; « Soyons discrets : l’amour de Dieu pour les Hommes est inconditionnel. » ; etc. C’est la sempiternelle confusion entre le jugement des personnes (indéfendable) et le jugement des actes (nécessaire et indispensable pour que la véritable Charité s’exerce), ou bien entre l’amour inconditionnel de Dieu pour les personnes et les conditions d’amour non-négociables que Dieu pose sur les actes humains.
Je disais donc que pendant la messe, je me trouvais juste derrière ce duo quarantenaire tiré à 4 épingles. Je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir de la tristesse à leur distant contact. Ce n’était pas de la jalousie chez moi, ni de la nostalgie enfouie, ni de la projection homophobe (même si, évidemment, c’est la première hypothèse, la plus criante, qui se présentera à nos esprits). Vraiment, c’était une tristesse saine et sainte. Tristesse pour l’Église catholique toute entière, tristesse pour ces deux hommes, tristesse pour les personnes homosexuelles, tristesse pour leur communauté paroissiale, tristesse pour ce non-dit et ce mensonge qui entourent ces deux hommes et l’homosexualité en général. Ce sont mes frères, et individuellement, je prie pour eux, sans bénir leur acte et leur « couple ». Mais je me suis fait la réflexion que de leur binôme se dégageait une plus grande tristesse, austérité, comédie, stérilité sociale et spirituelle, que la solitude d’une personne homosexuelle célibataire et catholique pratiquante. C’est mystérieux, cette distinction de rayonnements que je vois et que je n’invente pas. Mais elle est là et je ne peux pas faire comme si de rien n’était. L’union homosexuelle, même spiritualisée, même non-tactile, même intégrée culturellement, même bénéficiant d’une aura communautaire et solidaire, même serviable, même tacitement tamponnée et bénie par le curé de la paroisse, comporte son indélébile violence, tristesse, vacuité. Elle dit quelque chose de la corruption morale d’une paroisse.