Les frères dominicains n’ont pas aimé Angélica Liddell


 

En France, quel ordre religieux est très présent dans les médias (télévision, journaux, chaînes YouTube et Tik-Tok, réseaux sociaux), et incarne le plus le boboïsme carriériste catholico-maçonnique ?
 

Ce sont les dominicains. Ce qui s’explique, puisqu’il s’agit d’un ordre intellectuel et prêcheur, à la base. Je pense par exemple au frère Paul-Hadrien sur YouTube, à la sœur Véronique Margron (présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, la CORREF), au frère Thierry Hubert (producteur de l’émission Le Jour du Seigneur, sur France 2 : émission née en 1949 sous l’impulsion d’un autre frère dominicain, le frère Raymond Pichard), etc. Les dominicains, en plus de se transformer en journalistes, en communicants et en éditorialistes, plutôt que de rester d’humbles hommes de prière et religieux, ont tendance à prendre dans les médias la place des prêtres diocésains, pourtant davantage ancrés dans la réalité ecclésiale de terrain, en proximité avec les gens de paroisses.
 

Le boboïsme maçonnique de beaucoup de dominicains, j’ai pu le constater lors du Festival d’Avignon 2024, couvert catholiquement et médiatiquement par quelques frères venus de la Province de France (donc un détachement de reporters importés de loin, et pas du tout du coin) : le frère Rémy Vallejo (de Lille et de Strasbourg), et le jeune frère Thomas Carrique (de Strasbourg aussi). Les exceptionnels remplaçants des habituels frères Charles Desrobert et Thierry Hubert. Avec eux, on est bien loin du père diocésain Robert Chave, ordonné prêtre à Avignon (et le plus jeune prêtre de France !) en 1947, la même année que la fondation du Festival d’Avignon. Il avait créé en 1971 les Rencontres Foi et Culture pour faire le lien entre théâtre et liturgie, faciliter le dialogue entre l’Église et les artistes qu’il invitait chaque été. Aux côtés de son ami le chanoine Georges Durand, amateur de musique, qui lança Les messes du festival en juillet à Avignon, il participa également au rendez-vous annuel du Jour du Seigneur, la messe diffusée en direct des Chorégies d’Orange.
 

Ces dominicains ont à nouveau sévi, au moment de la représentation au Palais des Papes de « Dämon : el Funeral de Bergman », la pièce maîtresse et d’ouverture du Festival « in » d’Avignon, donc celle à qui les festivaliers ont vraiment déroulé le tapis rouge. Cette performance de la metteur en scène espagnole Angélica Liddell, écrite en hommage au réalisateur suédois Ingmar Bergman, était interdite (et c’était une première au Palais des Papes) au moins de 16 ans, et marquée par un anticléricalisme et une violence visuelle évidente. Moi, j’ai eu l’occasion de la voir en vrai le 1er juillet au soir. J’étais super bien placé, avec une amie, dans les premiers rangs et au milieu de la Cour d’Honneur. Les deux frères siamois dominicains, tout de blanc vêtus, se trouvaient sur la même rangée que nous, mais un peu plus loin.
 

La pièce d’Angélica Liddell était, il fallait s’y attendre, nulle, en plus de violente et blasphématoire. Mais bizarrement, ce n’est pas celle-ci qui m’a choqué (j’ai vu des œuvres tellement plus trash et iconoclastes que celle-là… ! Genre Golgotha Picnic. Elle m’a même paru « gentillette » en comparaison. J’ai retrouvé dans Dämon tous les poncifs du théâtre « contemporien » : peinture, sang, merde, sexe, sperme, nudité, cris, pornographie, machines, musiques assourdissantes, anticléricalisme et mimétisme sacrilège et iconoclaste. Toujours la même recette ! Pas de quoi en faire tout un plat). En revanche, ce qui m’a choqué, c’est plutôt la réaction de contentement des quelques cathos présents dans l’amphithéâtre, qui se sont forcés à dire qu’ils avaient bien aimé. Comme s’ils étaient terrorisés à l’idée de se montrer choqués, ou de dire que ça leur avait déplu, ou de critiquer. Car pour eux, « critiquer », c’est bizarrement « manquer d’esprit critique », c’est « mal », c’est « manquer de charité » (plus encore que de goût). Ils n’ont pas compris qu’il existe des critiques charitables et constructives, que l’indignation n’est pas forcément coupable, et que dénoncer le mal – quand il est concrètement acté – est même un devoir chrétien. Eh bien non : je les entendais tous chanter les louanges de Dämon (qui, je le précise, veut dire « démon », en allemand), chercher à sauver à tout prix la pièce de Liddell de son propre naufrage, à trouver des excuses ou même une profondeur, une beauté, un prophétisme, à la daube qu’on venait de voir. Leur mauvaise foi – pour ne pas passer pour des coincés ou des réacs – m’a consterné. Je me suis dit : « Il n’y a plus de catholiques prêts à défendre l’Église quand elle est objectivement attaquée. Il n’y a plus de morale, plus de sens critique. Les catholiques courbent l’échine devant les francs-maçons. » Et quand je souligne ça, ce n’est pas gratuitement ni pour diaboliser quoi que ce soit. C’est du concret. La pièce d’Angélica Liddell était truffée de références maçonniques : le Temple, les deux colonnes (de chaises roulantes), le Fils de la Veuve, la référence à La Flûte enchantée, la Chaîne d’Union, l’anticléricalisme, l’euthanasie, les surveillants, le viol de la vierge, le lexique de la lumière et de la pierre, le passage sous le bandeau, l’occultisme et le mariage avec les morts, la langue des oiseaux, le dithéisme manichéen, etc. etc.
 

Après la représentation, je suis allé voir les deux frères dominicains (le frère Rémy Vallejo et le frère Thomas Carrique : retenez bien leur nom : ils vont rester dans l’Histoire), encore assis sur leur fauteuil alors que la Cour d’Honneur se vidait peu à peu, et qui ne m’ont même pas demandé ce que j’avais pensé de la pièce… parce qu’au fond ils ourdissaient en silence, et avec un auto-contentement frétillant et malicieux, leur imminent plan d’idolâtrie laudative du lendemain. En effet, c’étaient eux qui allaient en personne animer et interviewer Angélica Liddell à la Chapelle des Italiens d’Avignon, lors de la traditionnelle Rencontre Foi et Culture, face à un amphithéâtre archi bondé (plus de 150 personnes) et curieux de connaître le regard que des ecclésiastiques pouvaient porter sur une œuvre qui les ridiculise, les injurie et les traîne dans la boue. Donc ils avaient prévu leur coup. Ils allaient (selon leur plan d’action) surprendre tout le monde, et notamment les bobos anticléricaux, en encensant la pièce au lieu de la sabrer (comme il eût été logique de le faire, en vrais garants de la morale catholique qu’ils sont censés incarner). J’ai même entendu le frère Rémy répondre à un jeune spectateur qui lui a demandé à l’issue de la représentation s’il avait bien aimé la pièce : « Oui : beaucoup ! ». J’ai alors compris que la Rencontre Foi et Culture du lendemain midi promettait d’être un sacré bal des hypocrites !
 

Et en effet, les intervieweurs dominicains ne m’ont pas déçu ! Ou plutôt, si : ils m’ont encore plus déçu que prévu. Car ils ont fait tomber le masque de leur idolâtrie, de leur hypocrisie sincère et de leur carriérisme, comme jamais je ne leur en aurais cru capables. Lors de la table ronde, les deux religieux ont passé leur temps à lécher les bottes d’Angélica Liddell, à jouer les admirateurs emballés par son œuvre, les groupies très émues de se retrouver face à leur « idole » (le frère Thomas a dit – je le cite – qu’il réalisait, grâce à cette conférence, « un rêve, qu’il avait vu la plupart des pièces d’Angélica, et qu’il lui avait écrit en 2009 une lettre d’admirateur qu’il n’avait jamais osé lui envoyer »). En réalité, ils n’ont parlé que d’eux, en se servant d’Angélica Liddell comme prétexte.
 

Pendant une heure, ils ont passé leur temps à étaler leur « science » théologico-cinématographico-théâtrale. Ils nous ont abreuvé de références pseudo érudites de connaisseurs théâtreux, cinéphiles et mélomanes, abreuvé de citations tirées de soi-disant « chefs-d’œuvre » incontournables ou magistraux, en s’égarant dans des comparaisons ou analogies anachroniques abusives et douteuses. La pièce d’Angélica Liddell les a fait penser par exemple à Salvador Dalí, à Lars von Trier, au Mémento Mori – « Souviens-toi que tu vas mourir. » – de la Bible, à saint Augustin, aux auto-sacramentales du Siècle d’Or espagnol, blabla blabla (je crois que Calderón de la Barca ou Lope de Vega ont dû se retourner dans leur tombe au moment de voir comparer leurs œuvres à celle d’Angélica Liddell !). Au bout du compte, ils n’ont absolument pas parlé de la pièce d’Angélica en elle-même. Ils se sont narcissiquement épanchés sur leurs propres sensations, impressions, citations culturelles et comparaisons, souvenirs, hommages, de groupies émues. Le frère Rémy a même trouvé le moyen de caser l’épisode d’accompagnement de sa mère mourante à l’hôpital en temps de confinement COVID, pour faire un parallélisme hors-sujet avec la scatologie vue la veille. Euh… Quel est le rapport avec Angélica ? Aucun. Juste une excuse pour parler de soi, prendre les gens par les émotions, et utiliser son idole pour briller et vibrer à sa lumière. « J’étais médusé. » a déclaré le frère Rémy. « Personnellement, j’étais très ému. » ; « C’était saisissant. » dit le Jour du Seigneur. « J’ai adôôôré! » s’est extasié le frère Thomas. Ça me fait penser à la parodie des critiques de cinéma snobinards faite par les Inconnus « C’est tout à fait bouleversif », qui ne tarissent pas d’éloges à l’égard d’œuvres médiocres pour faire leurs intéressants et jouer les anti-conformistes surpris, déconcertés, déroutés, emballés.

 

Et le pire, c’est que, dans un renversement objectivement schizophrénique et démagogique, ces dominicains sont capables de transformer la laideur en beauté, l’insulte en hommage, le blasphème en Révélation ou en parole divine. « Votre travail a une dimension quasi liturgique, déclare frère Thomas à Angélica. Dans Dämon, il est question d’Espérance et de pardon. C’est une Transfiguration. Une Épiphanie de beauté. Vous nous offrez un moment de communion, de mariage. » Et vas-y que je te chante la ritournelle du « bien par le mal », de la nécessaire traversée de la mort ou du laid ou du violent pour atteindre la « Lumière ». La Via Lucis, le De Profundis, la catharsis, et tout le bordel en « -is »… Non : je regrette, le blasphème n’a rien de « jubilatoire » ni de « libérateur » ni de « cathartique ». L’insulte ou l’accusation ne peut pas être un « je t’aime ». L’ombre n’est pas un révélateur de la lumière. Croire le contraire est un narcissisme de la destruction et du chaos. Le « bien par le mal » est une illusion en même temps qu’une hérésie : Dieu n’emploie jamais les moyens du diable pour se révéler et pour agir.
 

Il ne faut pas confondre la référence religieuse ou la citation papale ou biblique, avec Jésus ou avec un hommage ou une prophétie : le diable aussi, dans les tentations au désert, il cite la Bible. Donc la citation sainte n’est pas une référence. Ni un gage de Vérité. Tout comme la singerie de la religion n’est pas un hommage ; ni l’instrumentalisation de la Vérité à des fins sacrilèges et blasphématoires, la Vérité. Faut pas déconner. Et Angélica Liddell n’est ni un ange, ni le Messie en personne (bien qu’elle joue à l’être sur scène), ni une déesse ni la Vierge. Je vous rappelle à tout hasard, très chers frères prêtres, que ce n’est pas Marie-Madeleine qui est la déesse de Jésus, mais bien Jésus qui est le Dieu de Marie-Madeleine. Vous avez angélisé et même christisé Angélica (elle est née un dimanche!), pour concrètement laisser Jésus sur le carreau. Vous devriez avoir honte. Voir le comédien incarnant le Pape Jean-Paul II se faire branler par Angélica sur scène, je suis désolé mais ce n’est ni « géniaaal » ni « prophétique » ni « éclatant de Vérité », comme l’a prétendu le frère Thomas, en se basant sur la devise « Veritas » de l’ordre dominicain, pour ensuite conclure qu’« à chaque fois qu’il va voir des pièces d’Angélica Liddell, il sait qu’il va y trouver la Vérité » (euh… t’as fumé combien de joints avant de venir, toi?).
 

En donnant l’impression de l’accueillir comme une reine, de s’intéresser même à son passé, les deux intervieweurs en habit blanc n’en ont rien eu à faire, en réalité. Si bien qu’à la fin, Angélica Liddell, tellement embarrassée de tant de flatteries et de compliments non-mérités et disproportionnés, a conclu en disant « Je ne sais que dire… Je crois que le silence est notre meilleur maître. » Et la table ronde s’est achevée sur cette conclusion complètement pourrie, sur un simulacre de recueillement collectif, que les quatre dominicains entourant la vedette n’ont pas manqué d’interpréter comme une magnifique communion, une puissante prière, un point final magistral. C’est désolant ! Bande d’hypocrite ! de doucereux snobinards illuminés ! Vous avez posé des questions indigentes et incompréhensibles, qui n’ont mis en valeur que votre petite personne, mais certainement pas Jésus, ni finalement Angélica. Et vous parvenez à vous auto-persuader que ce qui s’est dit était « beau et juste » ?!? Mais vous vivez dans quelle Planète ? Vous faites honte au Christ, qui vous aurait certainement traités d’hypocrites comme les pharisiens et les scribes de la Bible !

 

Clou de cette mascarade : Trois questions narcissiques et nulles ont été prises au hasard par le frère Rémy dans le public (je dis « narcissiques » car les interrogeants se mettaient en avant plus qu’elles ne poussaient Angélica Liddell dans ses retranchements ou ne l’aidaient à dire des vérités). Moi, j’étais dans les premiers rangs et je levais désespérément la main. Le frère Rémy m’a vu deux ou trois fois mais ne m’a pas filé le micro. Pourtant, j’avais une question essentielle, cruciale même, à poser : « Tu parles beaucoup de Dieu dans ta pièce. Mais pour toi, qui est Dieu ? » Sans doute la question la plus pertinente qui soit (car elle est celle que le père Chave posait plus ou moins à tous les artistes qu’il recevait dans le cadre des « Rencontres Foi et Culture » qu’il a inaugurées). Sans doute la plus importante qui soit, car c’est Jésus lui-même qui l’a posée à ses propres disciples, en Mt 16 : « Pour vous, qui suis-je ? Un gourou de secte ? Un charlatan ? Un simple guérisseur et un faiseur de miracles ? Un prophète ? La réincarnation d’Élie ou de Jérémie ? Le successeur de Jean-Baptiste ? Vous parlez des rumeurs, vous parlez des autres, vous parlez du qu’en-dira-t-on. Mais VOUS, qui dites-vous que je suis ? »
 

Je n’ai malheureusement (ou heureusement!) pas pu lui poser cette fameuse question. Et pour des raisons soi-disant organisationnelles, de bienséance diplomatique, de respectabilité des horaires et du lieu – et au fond pour des raisons de carrière –, le frère Rémy a écourté brutalement la table ronde. Sur le coup, j’étais vraiment dégoûté. Pas par rapport à ma petite personne et à mon petit égo. Mais parce que je crois que j’allais poser vraiment LA question qui aurait pu sauver la conférence de presse toute entière, qui aurait permis à Angélica et à toute l’assemblée de sortir du paraître, de la mondanité et des salamalecs, pour aller à l’essentiel, à la Vérité de cœur de chacun, pour aller à Jésus.

 

Très frustré, et en colère face à ce clap de fin raté, j’ai donc attendu que le public descende des gradins de l’amphithéâtre, pour retrouver l’amie qui m’avait permis d’assister à cette rencontre. Je lui ai partagé mon mécontentement, ainsi que fait part de ma question manquée. Et alors que je m’apprêtais à quitter expressément les lieux, cette amie m’a dit, d’un ton insistant et presque injonctif : « Philippe, mais descends voir Angélica ! Elle est encore sur scène. Va lui poser ta question ! » Je n’avais pas envie. Mais par pure amitié, je me suis forcé à lui obéir. C’est grâce au fait que je parle espagnol que j’ai réussi à passer la barrière de vigiles et de fans entourant la « star du festival ». Je me suis donc entretenu brièvement avec Angélica en tête-à-tête. Et ce qu’elle m’a répondu m’a tellement surpris et retourné comme une crêpe que je suis sorti de cette conférence Foi et Culture à la fois furax et paradoxalement hyper heureux. Furax, parce que j’ai été le seul à entendre et à être témoin d’un miracle qui aurait mérité d’être vu par tous (et, dans l’ordre des choses, ce n’était pas à moi, mais aux prêtres, de faire ce travail de gynécologue de Jésus ! Bordel !). Et hyper heureux, parce que, malgré l’injustice, le gâchis et la frustration, de la situation, je ne pense pas que, si j’avais quand même pu poser ma question devant tout le monde, Angélica Liddell, se sachant filmée et écoutée par un grand auditoire, aurait eu la simplicité, l’humilité, et l’authenticité, de me répondre ce qu’elle m’a répondu en privé, en espagnol, et loin de toute pression extérieure. Il fallait, et c’est comme ça que Dieu fonctionne (dans le secret, l’invisible et l’interpersonnel), que personne n’entende et ne voie, sauf elle et moi.
 

La preuve que ma question « Qui est Dieu pour toi ? » posée en public n’aurait pas donné le même fruit, la même authenticité et le même lâcher-prise de sa part, c’est qu’en première réponse à celle-ci, Angélica m’a sorti une phrase très convenue, et dont elle et moi aurions pu nous satisfaire, en en restant là : « Dieu, c’est l’art. » Mais, comme je lui ai montré ma déception, et que j’ai insisté pour qu’elle aille plus loin, j’ai renchéri gentiment : « Nan mais d’accord, ‘Dieu est l’art’… Mais l’art, c’est pas une personne ! Alors que dans beaucoup de moments de ta pièce, tu t’adresses à Bergman en disant ‘Je t’adore ! Je t’adore ! Je t’adore ! Tu es mon Dieu !’ Donc pour toi, Dieu, c’est qui ??? C’est Bergman ou c’est Jésus ? » Et là, elle m’a répondu du tac au tac, d’un air mutin, joyeux et totalement spontané : « Jesús detrás de Bergman. » Traduction : « Jésus derrière Bergman. » Une phrase qui ne peut être dite que par un catholique authentique et fervent, c’est-à-dire par un croyant qui sait que Jésus est à la fois Dieu et Fils de Dieu, qui sait que Jésus se trouve discrètement présent dans chaque être humain. J’étais sur le cul. Angélica a craché le morceau. Elle a professé sa Foi. Elle a lâché un scoop dont elle ne s’est même pas rendu compte du prophétisme, de l’importance, du caractère miraculeux. Je le redis : il n’y a que les croyants en Dieu qui sont capables de dire que derrière tel ou tel Homme se trouve Jésus. Face à l’expression de ma déception qu’elle n’ait pas pu honorer ma question en grand groupe, elle s’est excusée, en rigolant de ma réaction, et en déplorant le manque de temps (« Ce sera pour une prochaine fois ! »), mais sans réellement avoir pris conscience d’avoir sorti une merveille. Je l’ai donc laissée à ses fans, en la remerciant pour sa réponse et en quittant la salle.
 

Au fond, le rôle de tout catholique, et a fortiori des prêtres, c’est de faire accoucher chaque personne qu’il rencontre de Jésus, de l’amener à faire d’elle-même et sans forcing sa profession de Foi personnelle en Jésus, de lui faire découvrir Jésus en elle, et que ce don vienne librement de la personne elle-même. Tout être humain est reflet du Christ, de sa beauté et de son amour. Il y a Jésus derrière. Et si tu ne le lui dis pas, ou tu ne le lui fais pas réaliser ni dire de lui-même, tu ne l’aimes pas, et tu faillis à ta mission profonde.
 

Par conséquent, ce moment surnaturel suspendu ne m’a néanmoins pas aidé à décolérer vis-à-vis des frères dominicains. Je trouve leur attitude scandaleuse. Ils n’ont pas joué leur rôle. Ils sont passés à côté de la Foi d’Angélica Liddell… car j’ai bien eu la confirmation : la nana, elle croit vraiment en Dieu-Jésus ! Et ni elle ni ces religieux en carton (je suis désolé), censés représenter ce dernier, ne l’ont vu ! Malgré les apparences, ils n’ont pas aimé Angélica Liddell. Ils ne lui ont pas posé les questions qui l’auraient vraiment mise en valeur, ou plutôt, qui auraient mis « Jésus derrière Angélica » en valeur. Ils ne lui ont pas permis de professer sa Foi en Jésus. En la flattant et en la centrant sur sa petite personne, ou sa petite création, ils se sont abaissés à la médiocrité de sa pièce, ils se sont mis eux-mêmes en avant, et n’ont pas permis à la metteur en scène de donner le meilleur d’elle-même, à savoir Jésus. Ils ont en revanche transformer – en croyant lui faire plaisir – son spectacle en profession de Foi qu’elle n’était pas, et qui était objectivement une merde, un blasphème et une apostasie… parce qu’Angélica Liddell n’y assume pas de défendre Jésus comme son Dieu. Sans doute pour des raisons d’image, de peur, d’argent, de carrière, de blessures personnelles, d’orgueil aussi, elle se complaît à endosser son personnage de folle à la fois agressive et mystique. Alors qu’au naturel, et dans l’interpersonnel, elle est beaucoup plus simple, humble, enjouée, et pas du tout perchée ni provocatrice ni anticléricale. Ce masque de folle messianique apostate l’arrange bien, lui donne une personnalité et un charisme qui lui permettent de ne pas se justifier et de prendre des faux risques (je parle de « faux risques » car les tabous qu’elle croit transgresser dans ses œuvres dramaturgiques ont été pulvérisés depuis des lustres, et ne choquent même plus les catholiques. La preuve ! On les insulte et ils disent « Merci ! » et « Bravo ! »).
 

Ce qui me met le plus en rogne dans cette affaire, c’est que le Monde (et Angélica elle-même) passe à côté de la vraie Angélica Liddell et de sa profession de Foi, à côté du vrai visage d’Angélica, à savoir Jésus. Angélica n’est pas le personnage de folle provocatrice ni la prophétesse mystique qu’on croit ou pour lequel elle se fait passer. C’est une femme simple, intelligente, sensible, profonde, qui a vraiment la Foi en Jésus, sans doute même plus que les frères dominicains présents, et sans doute même plus qu’elle ne le croit, mais qui, tout comme les dominicains, renie pour l’instant Jésus. Moi, je l’attends. Il faut qu’elle se réveille, car elle est tout-à-fait capable de ne pas faire de la merde.