Philippe Ariño, écrivain français homo et catho de 43 ans, qui vient de publier son essai Couples homosexuels : c’est quoi le problème ? (Éd. Falcon).
Face à Fiducia Supplicans, je suis traversé par 3 émotions très différentes ! La colère, le rire et la fascination.
1) La colère :
Fiducia Supplicans prouve une nouvelle fois que, même quand en apparence on parle de nous, homosexuels catholiques, on ne parle toujours pas de nous, ni avec nous !
Il y a des mesures nous concernant spécifiquement tellement plus urgentes que les bénédictions : nous sortir de l’isolement et de l’abandon, nous inviter, nous écouter vraiment (au lieu de parler de nous et à notre place), expliquer en quoi la pratique homo est/serait un péché, découvrir la richesse de la culture homo et la bonté/beauté des personnes homos, étudier l’hétérosexualité et l’homophobie, ouvrir le sacerdoce aux homos vraiment continents, nous aider à vivre la continence (si nous ne pouvons pas être prêtres ni nous marier), etc.
Moi, je ne veux absolument pas qu’on me bénisse. Je veux déjà qu’on m’aime (comme Jésus m’aime) !
2) Le rire (nerveux) :
On nous donne ce qu’on a jamais demandé. Et on ne nous donne pas ce qu’on demande depuis longtemps. Fiducia Supplicans est un cadeau empoisonné et un tissu de mensonges (j’en ai relevés 8) :
Mensonge n°1 : On nous dit que cette nouvelle bénédiction ne justifie rien, ne promeut rien. C’EST FAUX. Elle promeut implicitement l’acte homo, l’union homo en tant que couple et en tant qu’Amour. Puisqu’il n’est pas question, dans le texte, de bénédiction des personnes homos prises individuellement, ou de chacune des deux personnes composant le couple homo. Il est explicitement dit « bénédictions de couples de même sexe » (l’expression est utilisée 7 fois).
Mensonge n°2 : On nous dit que cette nouvelle bénédiction n’est pas sacramentelle, ni liturgique. C’EST FAUX : Elle est quand même distribuée par un prêtre, donc un ministre ordonné et qui distribue aussi les sacrements, et qui, quand il bénit, ne nomme en général pas le mal (en l’occurrence parce qu’il ne le voit pas dans la pratique homo fidèle et respectueuse), et ne nomme pas le chemin de conversion pour sortir de l’acte peccamineux (la continence et la séparation du couple). Donc, concrètement, sa bénédiction justifiera le couple-acte homo.
Mensonge n°3 : On nous dit que cette nouvelle bénédiction n’a pas valeur de sacrement donc elle n’a rien à voir avec le mariage. C’EST FAUX. Il faut prendre en compte la réalité intentionnelle et fantasmatique d’une loi ou d’un rite. Ces bénédictions sont demandées comme des sacrements, ou, en tout cas, comme ce qui y conduit. Tout comme l’Union Civile était demandée comme marchepied du mariage civil, la bénédiction est, en intention, demandée comme un avant-goût du mariage religieux. Et les couples bénis ne se satisferont pas très longtemps d’un geste religieux « entre deux portes » et « clandestin ».
Mensonge n°4 : On nous dit que les bénédictions traditionnelles ne seront pas dénaturées par les nouvelles bénédictions. C’EST FAUX. La bénédiction religieuse est toujours individuelle (même quand elle s’adresse à une foule). Pas collective. L’Amour ne sait compter que jusqu’à 1.
Mensonge n°5 : On nous dit que cette nouvelle bénédiction n’est pas normative, officielle, due à sa discrétion et à son caractère optionnel. C’EST FAUX. C’est une optionnalisation publique, massive et universelle. Et validée par le pape et le Dicastère. Toute minorité fait partie de la majorité, et impacte cette dernière. Et la majorité est composée de minorités.
Mensonge n°6 : On nous dit que cette nouvelle bénédiction est biblique et christique. (On nous parle des bénédictions dans la Bible). C’EST FAUX. Je n’ai jamais vu Jésus bénir des couples adultères ou homos.
Mensonge n°7 : On nous dit que cette nouvelle bénédiction est une aide ou une demande d’aide. C’EST FAUX. Ce n’est pas une demande d’aide pour trouver la force de vivre ce que demande l’Église (la continence) mais une demande d’adhésion, d’approbation.
Mensonge n°8 : On nous dit que cette nouvelle bénédiction est une manière de dire aux homos que l’Église et Dieu les aiment. C’EST FAUX. Nous aimer, c’est nommer le mal, nous demander la continence, mais en contrepartie, nous écouter, nous recevoir, nous offrir les moyens d’un apostolat de Feu incluant pleinement notre homosexualité. Et c’est aussi vous reconnaître humblement homophobes.
3) La fascination :
Alors que nous, homos catholiques, aimons le pape, tout en reconnaissant que Fiducia Supplicans est une erreur, nous nous retrouvons coincés entre les cardinaux progressistes qui nous veulent du bien (mais sans nous!), et les cardinaux conservateurs qui ne nous veulent rien du tout, mais qui ne veulent surtout pas parler de nous, nous laisser la parole, et qui se focalisent sur la notion de « péché » (sans jamais expliciter en quoi l’homosexualité serait un péché) et sur leur attaque contre le pape…
En fait, je découvre un phénomène hallucinant, à peine croyable, et qui n’est pas compris tellement il est paradoxal : malgré les apparences, les véritables artisans de Fiducia Supplicans ne sont pas les cardinaux progressistes, mais les cardinaux conservateurs et homophobes. Je sais que c’est difficile à croire, mais c’est la vérité !
Les traditionalistes anti-pape François se sont déjà, par le passé, illustrés par leurs vibrantes « suppliques » correctives, soi-disant filiales. Du moins, en France, ils en sont spécialistes ! En effet, pour exprimer leur désaccord (de manière doucereuse, non frontale, mais néanmoins très théâtrale, et en surjouant le désespoir éploré), ils usent en général de deux techniques discursives : soit ils habillent leur contestation ou leur indignation d’une posture faussement interrogative (ils publient des dubias, c’est-à-dire des « doutes », où ils disent hypocritement qu’ils « se questionnent »), soit ils habillent leur opposition d’une posture de passionaria éberluée et suppliante. Fiducia Supplicans porte donc, même si tout semble indiquer le contraire (mais c’est une stratégie de diversion des traditionalistes pour faire porter leur propre chapeau – ou calotte – à leurs ennemis progressistes : comme ça, ni vu ni connu), la signature du camp épiscopal et cardinalice conservateur. Eh oui !
Par devant, les cardinaux conservateurs nous ignorent. Par derrière, ils nous diabolisent (sous forme de « lobby », de groupe de dégénérés défilant à la Gay Pride ou dans les hémicycles, ou d’idéologie dangereuse nommée « Gender ») et ils nous méprisent (le cardinal Müller, par exemple, soutient que « l’homophobie n’existe pas » ; le cardinal Sarah a décrit le mouvement gay carrément comme « la deuxième Bête de l’Apocalypse »). Par ailleurs, au lieu d’éviter au pape et aux cardinaux progressistes de dire des conneries, ils les laissent faire, pour ensuite leur tomber dessus, en soutenant hypocritement qu’ils ne s’attaquent pas aux personnes mais à leurs discours et à leurs actes. Par exemple, à l’heure actuelle, le cardinal Sarah affirme publiquement que « s’attaquer à ‘Fiducia Supplicans’ ce n’est pas s’attaquer au Pape »… mais par derrière, il s’entoure de gens qui insultent et méprisent ouvertement le souverain pontife (son éditeur, en particulier), ou bien il emploie un langage volontaire métaphorique et surnaturel fort qui sous-entend qu’il associe le pape au « Diviseur », à l’Antéchrist et au « Prince du mensonge ». Il attend juste que la conclusion vienne des autres… Et il emploie sur les réseaux sociaux des mots cinglants (« hérésie », « diabolique ») qui violent son devoir de réserve, de respect et d’obéissance au pape, son serment cardinalice. Or, on peut être opposé à un avis ou à un document papal, sans sortir les grands mots, et sans lâcher ses chiens sur son ennemi, en soutenant après que « ce n’est pas lui mais ses chiens ».
Donc oui, le double jeu Docteur Jekyll and Mister Hyde de certains cardinaux me fait dire que Fiducia Supplicans non seulement les arrange beaucoup (il est une occasion en or pour s’en prendre à juste raison au pape !), mais est sans doute l’œuvre du camp qu’on n’attend pas et que personne ne soupçonnera : le camp conservateur. Le père James Martin, le cardinal Victor Manuel Fernandez, et les prélats progressistes, sont les « idiots utiles » de l’histoire. Les boucs-émissaires parfaits ! Et ça, c’est tout simplement fascinant. Le feuilleton ecclésial de l’année 2024 ! Je prépare les pop-corn ! C’est moi qui invite !