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Le saviez-vous ? À la base, la France n’était pas destinée à imiter l’association Courage : c’est un choix par défaut, qui ne correspond pas à son appel profond


 

Le saviez-vous ? À la base, la France n’était pas destinée à imiter l’association Courage sur son territoire : c’est un choix par défaut, qui ne correspond pas à son appel profond.
 

C’est vérifiable historiquement, ce que je vous dis. À la base, il faut savoir que la France ne s’orientait pas du tout, en 2014, vers la fondation d’une association Courage. Elle voulait viser plus haut. Lorsque la petite délégation de personnes homosexuelles continentes chapeautée par Mgr Rey (évêque de Fréjus-Toulon), et composée d’un Italien, d’un Libanais, d’un Norvégien et d’un Français (moi, en l’occurrence) homosexuels, a voulu rencontrer le Pape François au Vatican en 2014, il n’était absolument pas question de dupliquer Courage : parmi diverses rencontres, nous avons juste visité une antenne de cette association à Rome – … et encore, nous n’avons même pas réussi à côtoyer véritablement un groupe – mais nous étions porteurs d’un projet plus indéfini, d’un apostolat plus grand, plus puissant, plus audacieux et plus universel. Je me rappelle cette réunion où Mgr Rey avait pour projet de fonder une sorte de fraternité de personnes homosexuelles continentes prêtes à faire des vœux, quelque chose d’un peu public, pour officialiser la continence homosexuelle… Mais, en découvrant dans le groupe qu’en réalité, nous n’en étions pas du tout au même stade dans la volonté de s’engager dans un apostolat public ou dans le renoncement à la pratique homosexuelle (certains amis étaient en « couple »), voyant que le reste de mes camarades étaient des mecs « homos planqués » et que j’étais le seul à être sorti de l’anonymat, l’évêque a abandonné l’idée, à regret. La fracture s’est vraiment faite entre la continence (apostolat public de l’homosexualité) et l’abstinence (ce que propose Courage ou des prélats comme le cardinal Sarah ou Louis-Marie Guitton, à savoir un « accompagnement discret »). Courage s’est alors imposé comme un plan B « convenable », « obligé », une solution de repli, pour héberger toutes ces personnes homos planquées qui ne voulaient pas être publiques ni s’exposer (par peur de perdre leur travail, leur sécurité matérielle, leur réputation, l’horizon d’un mariage ou d’une ordination, leurs amis, leur famille, etc.) et qui souhaitaient quand même « entamer un chemin d’Église » en lien avec leur tendance sexuelle.
 

Mais ce que je veux que tout le monde sache, pour rétablir la Vérité des faits, c’est qu’à la base, il ne devait pas en être ainsi, et que les personnes homosexuelles françaises n’étaient pas originellement appelées à s’enfermer dans le bocal Courage ou Emmanuel, n’étaient pas destinées à imiter les Alcooliques Anonymes (sérieusement pris pour modèle par Courage Italie, y compris dans leur fonctionnement de déroulement de réunions : c’est le responsable de Courage Italie qui a dicté ensuite cette loi à Courage France… mais cette rigidité et invisibilité n’étaient pas du tout au programme en France). Courage a été choisi en désespoir de cause, ou par défaut. Il n’y avait pas de structure d’accompagnement vraiment catholique en France il y a 4 ans de cela… alors ben on s’est rabattus sur Courage. Je le sais car j’étais présent aux toutes premières réunions. J’ai vu comment nous sommes très vite passés de l’élan évangélique à la résignation, sous prétexte de « débuter », de respecter le rythme de chacun, le besoin d’anonymat de la très grande majorité des membres de Courage. L’analyse de l’homosexualité, de l’hétérosexualité, de l’homophobie, et toute la dimension sociale, politique, ecclésiale et universelle de l’homosexualité y a été très vite étouffée. Les réunions sont devenues juste un échange d’expériences personnelles, de prière commune, un espace de parole centré sur le témoignage « discret » de son vécu. Je crois que les prêtres-encadrants ont deviné la puissance et l’enjeu autour de la continence homosexuelle, mais l’ont jalousée puis stérilisée, pour l’orienter à leur profit et se donner le beau rôle (paternaliste), sans se laisser doubler.
 

Courage a été monté en France par politesse, par lâcheté. Je voulais juste le rappeler, et dire aussi que rien – à part l’orgueil et la peur de certains clercs « accompagnateurs » – ne nous attache à Courage, et que nous ne devons pas oublier que nous, catholiques homosexuels en France, étions (et sommes toujours) appelés à bien plus libre, plus vrai, plus grand, plus audacieux, plus intellectuel, plus engagé, plus saint, plus joyeux, plus novateur et inventif, plus explosif que ça. Nous n’avons absolument pas à nous aligner à l’Italie ni aux États-Unis. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais la France est un pays spécial, et nous devons juste l’assumer comme un don qui ne nous appartient pas mais qui est là et que nous avons le devoir d’honorer. Historiquement déjà, et même ontologiquement, nous, personnes homosexuelles françaises, avions un plus grand Feu, et une plus grande audace, que nulle part ailleurs. Nous n’étions pas taillés pour le bocal Courage. Et nous ne le sommes toujours pas. J’attends notre Réveil, et également une réponse plus nette à notre véritable vocation.

On peut tous être tendres : ce n’est pas pour autant de l’Amour


 

On peut tous être gentil, attentionné, doux et tendre avec quelqu’un en particulier. On peut tous tomber follement/sincèrement amoureux d’une (ou de plusieurs) personne de qualité et éprouver des sentiments forts pour elle, se sentir bien et être drôle/respecté avec elle, ressentir une profonde affection, avoir une préférence et un coup de coeur pour quelqu’un, donner des caresses, faire des cadeaux, être romantique, etc. Ça peut même se passer très bien au lit, sans d’ailleurs que la génitalité soit l’obsession du couple. J’ai envie de dire que, même si cela reste rare, intense, sincère, exceptionnel, et semble valoir le coup d’être vécu, c’est somme toute quelque chose de facile, de possible, de commun à tous, et à la portée de tous. Ça n’est pas un scoop, et ça ne veut rien dire de la prétendue « exceptionnalité » ou du prétendu « amour » qui se vivrait. On peut tous « tombés en passion amoureuse », et être, l’espace de quelques jours ou quelques mois, agréables, « transportés » (sur un nuage!) par une personne proche. Mais est-ce cela, aimer vraiment ? Non. C’est juste ressentir à deux des sentiments et des sensations plaisantes, se faire du bien et se donner du plaisir. C’est du respect humain, de la complicité humaine. Tout simplement.
 

Or aimer en Vérité, c’est autre chose. C’est accueillir la différence des sexes et la différence Créateur-créatures. Autrement dit, c’est expérimenter concrètement la Croix de Jésus, et connaître Jésus qui est l’Amour même. C’est supporter le mal. C’est accueillir dans sa vie un Mystère qui dépasse nos sensations et notre bien-être, et qui pour un temps ne nous attirera pas que du bien. Alors effectivement, tout lien sincère, plaisant et sentimental, n’est pas de l’Amour. Cela est particulièrement manifeste dans les relations amoureuses homosexuelles, qui, sans être de l’Amour, peuvent être l’occasion pour chacun de nous d’être « adorables ».

Homo et catho ? Lâche l’affaire


 

Être un gars homo et catholique n’est un cadeau pour aucun homme athée ou agnostique qui rêverait de former un couple avec lui. Il faut juste que les catholiques homosexuels le réalisent, l’accueillent avec paix et humour, et arrêtent de vendre du rêve, de s’illusionner eux-mêmes, de se lancer dans la recherche de l’« amour homo » (sur les applis et sites de rencontres), ou de penser qu’ils vont pouvoir allier Jésus et une pratique homosexuelle/leur copain. C’est peine perdue. Ça ne tient pas. Jésus est plus fort. Leur appartenance à Lui dépasse largement les plaisirs et les douceurs offertes par une vie de « couple » homosexuelle, même « fidèle » et intégrant des « partages spirituels respectueux de Jésus ». Pour tout Homme, a fortiori catholique, le « couple » homo constituera, à plus ou moins long terme, une incohérence, un déchirement, une contradiction, une imposture. Je le redis : une personne homosexuelle catholique se transforme en cadeau empoisonné si elle pratique son homosexualité, et en cadeau mondial si elle renonce à pratiquer son homosexualité et qu’elle l’offre aux autres dans la continence. Elle doit « juste » faire le deuil de sa croyance en « l’amour » homo. Et accepter qu’elle n’a pas sa place sur le marché amoureux homosexuel. Elle fera souffrir son partenaire de vie, ainsi que Jésus, et elle-même.

Mes frères cathos homos, vous n’êtes pas au rendez-vous


 

Chers frères cathos homos,
 

C’est rare que je m’adresse directement à vous comme ça. Par le passé, j’ai fait preuve de plus de patience et de longanimité. Sous prétexte que notre situation, surtout en tant que personnes homos ET cathos, n’est objectivement pas confortable. Mais je crois qu’en vous ménageant et en me satisfaisant des timides avancées, je ne nous rends pas service. Et comme la situation s’envenime mondialement et ecclésialement, et qu’en plus je ne me fais toujours pas entendre, je me vois obligé de « durcir » le ton.
 

Reconnaissez-le : vous n’êtes pas au rendez-vous de la sainteté à laquelle, nous, personnes homosexuelles continentes, devrions tendre. Et en plus, quand je dis ça, je ne parle même pas d’un rendez-vous que j’aurais moi-même fixé. Non. C’est le rendez-vous de Jésus, dont je me serais personnellement bien passé… mais j’ai eu à peine le choix : c’est Lui qui nous choisis et nous convoque, qui vient nous chercher. Et pour une mission aussi ingrate et incomprise que celle-là, franchement, heureusement que je n’ai pas su à l’avance ce que ça impliquait !
 

Vous me vantez les valeurs de discrétion, de prudence, vous vous targuez d’avoir mis votre homosexualité de côté, d’avoir « changé », d’avoir « géré », de « stabiliser la bête », parfois même d’avoir « guéri », d’être un « ex-gay », d’avoir « construit votre vie avec le Seigneur », d’avoir « oublié » à certain moment votre tendance dans le mariage ou le sacerdoce. Mais au fond vous refoulez. Au fond, vous n’exploitez pas cette homosexualité qui demeure en vous. Vous ne comprenez pas la dimension mondiale, apostolique, positive et joyeuse de l’homosexualité. Vous me suivez en cachette ou de loin, vous êtes contents (ou énervés !) que j’existe. Mais vous ne connaissez pas la vue magnifique des sommets dont je vous parle. Parfois, vous aimeriez bien m’aider, faire un petit bout de chemin avec moi. Un enthousiasme soudain, et une prise de conscience furtive (comme un flash) de la grandeur de l’apostolat de l’homosexualité vous traversent. Mais très vite, égoïstement et lâchement, vous revenez à votre quotidien, votre travail, votre façade sociale, votre sécurité, votre ministère de prêtre ou de séminariste, votre réputation, votre engagement dans le mariage, vos petites préoccupations, votre quête de respectabilité, votre matérialisme, vos thérapies réparatives et votre laïus romantique sur votre amitié (souvent fantasmée) avec Jésus. Vous dénigrez et relativisez votre homosexualité, vous vous trouvez mille excuses pour continuer votre vie comme avant et ne pas faire le grand saut. Vous me laissez me battre tout seul devant les journalistes, sur les réseaux sociaux, devant les caméras (qui elles-mêmes me fuient), devant les évêques, sur le front des communautés chrétiennes. Vous vous croyez mes supporters et mes amis. Mais vous ne l’êtes pas. En vrai, vous me laissez tomber. Mon vrai ami, c’est celui ou celle qui se bat concrètement avec moi sur le champ de bataille, celui qui a tout risqué et qui n’a pas honte de son homosexualité, qui connaît la puissance que la continence homosexuelle lui donne, qui n’a pas honte de moi, qui a compris que c’était drôle et profond l’homosexualité. À ce jour, je n’ai pas un seul partenaire catho homo continent qui ait fait le pas d’être public, qui joue le Jeu de l’apostolat public de la continence homo. Pas un seul. Il n’y a que Giorgio Ponte en Italie. C’est tout. Sinon, je suis vraiment tout seul. Nous sommes complètement isolés, nous les témoins homos continents. Nous jouons tout seuls dans un coin de notre immense cour. La fraternité de saints homos n’existe pas et n’est pas prête d’exister, quoi qu’en diront les organisateurs du parcours « Homosexualité » de Paray-le-Monial cette année consacré à la « sainteté ». Car il n’y a pas de sainteté sans martyre. Et martyre, ça veut dire témoignage PUBLIC. Pas « sacrifice » (Mt 12, 7) ni « groupe de convivialité privé ».
 

J’ai rencontré bien des flippés chez les « cathos pédés ». Pour les plus courageux d’entre vous, vous donnez tout au plus votre prénom et témoignage en circuit fermé, mais jamais votre nom (ou alors quand vous le donnez entier, c’est pour justifier la pratique homo comme de l’amour, ou à l’extrême inverse pour justifier l’homosexualité comme une irréalité). Vous vous planquez tous. Vous ne comprenez pas ce que je vis. Vous n’avez même pas bossé le sujet. Vous arrivez en touristes, les mains dans les poches, avec votre petite expérience existentielle à raconter (et rien d’autre : allez-vous repasser le disque de votre enfance en boucle ?), et avec votre mépris du « lobby gay ». Pour vous, l’homosexualité n’est pas un thème qui mérite d’être approfondi et abordé, sous prétexte que – et c’est vrai en plus – l’homosexualité n’est ni une identité, ni nous, ni de l’amour, ni notre raison de vivre. Vous n’avez pas compris la caverne d’Ali Baba qu’est la culture homo, les supers lunettes que notre homosexualité constitue pour comprendre le sens profond de la sexualité et de l’Église. Vous sous-estimez l’homosexualité. Vous la voyez comme une honte, une banalité, une infirmité, un danger, un détail de votre vie. Vous ne réalisez pas la liberté que procure la Vérité éclairée par l’homosexualité, la joie que donne l’explication publique de l’homosexualité, la force du don entier de sa personne (y compris avec cette dimension homo parfois prégnante en soi). Le pire, c’est que j’en ai vus, des mecs homos cathos qui avaient toutes les qualités requises pour être des supers compagnons de cordée et de combat dans l’apostolat de l’homosexualité, des supers évangelisateurs mais qui finalement me lâchaient en route, me disaient « Non, je peux pas te suivre. C’est trop haut et dangereux pour moi. J’ai pas la carrure. Je ne peux pas montrer plus haut avec toi » Je rencontre quelques graines de saints homos potentiels. Je les vois de mes propres yeux! Je connais parfois leurs plus intimes secrets. Et à peine commencent-ils à deviner cette bombe atomique qu’est l’homosexualité continente dans leur vie, pour le monde, pour l’Église, qu’ils me sortent, tout confus pour moi et tout déçus d’eux-mêmes : « Désolé. Je peux pas. Bats-toi tout seul. Et encore bravo. » C’est terriblement frustrant. La grande joie de la communion des saints cède systématiquement la place à l’immense déception du « J’aime beaucoup ce que tu fais ; je devrais le faire avec toi… mais non », la déclaration gênée du forfait. Vous m’avez bien eu. Je vis mille belles rencontres… et aussi mille abandons dans le même temps ! J’entrevois des trésors cachés indéniables, et pourtant vous, mes faux frères, me renvoyez sans cesse à mon incroyable isolement. Je serai donc toujours tout seul à me battre? Toujours entouré de lâcheté et de peur? Toujours regardé avec une admiration et une honte mêlées? Toujours méchamment soutenu ? Mon apostolat n’aura été pour l’instant qu’une succession d’abandons, de trahisons, de faux soutiens, d’incompréhensions, de jalousies, de mirages de fraternité, de mauvaise foi, d’amitiés fuyantes. Un vrai désert. Je ne savais pas que le nom choisi pour mon blog serait si malheureusement concret et prédestiné ! Vous, les cathos homos planqués, vous n’êtes pas mes amis. En théorie, nous aimerions l’être. Nous le sommes par petites touches. Dans le secret des mails, des discussions Skype, des balades en tête à tête. Mais vous êtes davantage des admirateurs spectateurs que des amis. Vous consommez de temps en temps du Philippe Ariño plus que vous ne me nourrissez. Vous avez peur – en me soutenant d’un peu trop près – de vous griller vous-mêmes et de perdre vos connaissances, votre job, votre place dans la communauté chrétienne. L’amitié que vous me proposez est majoritairement en carton, est une schizophrénie.
 

Un groupe de saints homos : désolé mais je n’y crois plus. Je pourrais jouer sempiternellement la comédie de l’esprit fraternel rassembleur rainbow catho, comme je l’ai déjà fait et comme je continuerai de le faire. Quelque part, dans un coin de mon cœur, j’en ai toujours envie car je crois aux miracles. Et j’ai souvent exprimé le désir de l’existence d’une fraternité sainte, d’une communauté de warriors homos ; et en plus, je ne peux pas en vouloir à certains d’être stratèges, de rester fidèles à leurs engagements, de ne pas avoir ma folie, et d’avoir déjà le petit courage d’être abstinents (cf. questions 242 et 243). On ne peut forcer personne à l’héroïsme. C’est éminemment personnel et libre, la continence. Mais je ne peux néanmoins pas mentir sur la situation objective en l’état actuel des choses : la communauté de saints homos, on en est très loin, elle ressemble à une utopie (le groupe Courage est d’ailleurs un bien pâle essai raté), et comme dirait Mylène Farmer, force est de reconnaître qu’il y a « un précipice » entre ma situation et la vôtre. Donner son nom publiquement, c’est un saut immense que personne n’a fait sauf moi. On ne joue radicalement pas dans la même cour. Vous, que risquez-vous à venir à Courage? Rien. Que risquez-vous à venir m’écouter? Rien. Que risquez-vous à vous inscrire au parcours « Homosexualité » de Courage : rien. Que risquez-vous, même, à raconter votre vie « en tant qu’homo et catho (et continent) » sous un chapiteau de Paray-le-Monial ? Rien. C’est pour ça que je ne pouvais pas rester dans ce mouvement. M’inviter à participer à cette semi mascarade, c’est comme faire connaître à un cachalot qui a goûté à la grandeur des océans la « joie » d’un poisson rouge dans un bocal exigu. Même si on lui dit qu’il n’y sera pas seul. C’est me forcer à rentrer dans du 6 ans. En revanche, qui oserait devant tout le monde se lever et me rejoindre à la tribune ou sur les plateaux télé, tout quitter (son travail, sa famille, son ministère sacerdotal, ses amis, sa santé, sa sécurité matérielle, etc.) ? Personne.
 

Vous me parlez de prudence. Vous jouez les hommes mariés discrets, les parfaits curés, les célibataires intégrés, les homos réconciliés, les miraculés, les écoutants apaisés, les amis. Mais au fond, vous êtes restés dans l’arrière-cour. Vous rentrez parfois dans le rôle de chantres de la chasteté. Mais de la continence, vous ne connaissez rien car sans l’apostolat public (qui est la chair même de la continence), vous n’expérimenterez que l’abstinence. Vous êtes toujours d’accord avec moi mais seulement en privé. Devant les autres, vous ne m’assumez pas. Objectivement, vous ne m’aidez pas. Et sur ce coup-là, je trouve que vous abusez. Parce que je ne fais rien et ne dis rien d’extraordinaire : je tombe parfois, comme vous; et je ne fais juste que défendre et essayer de vivre ce que nous demande notre Église et que vous devriez défendre vous aussi : pas de quoi me regarder comme un héros, un modèle inaccessible, un grossier personnage ou un extraterrestre excessif et fondamentaliste! Objectivement, vous n’êtes pas là. Vous restez bien au chaud dans votre placard. Je comprends. Mais ça reste en dessous de ce que nous sommes appelés à vivre. Et surtout, c’est insatisfaisant pour vous, c’est une aide énorme en moins pour vivre la continence (car l’apostolat booste la continence, individuellement parlant), un gâchis monumental pour le monde. Je me devais de vous le dire.

Les preuves que Jésus existe dans ma vie


 

Cet article est publié prochainement en espagnol sur Forum Libertas.
 

Quand on me demande depuis quand date ma conversion au catholicisme, je souris car à la fois je ne cesse d’être converti par Jésus chaque jour, à la fois je n’ai jamais vécu de grande conversion. Par exemple, je n’ai pas eu d’apparition, ni de révélation privée, ni de vision. J’ai une vie apparemment banale et aride. J’ai encore du mal à faire oraison. Je n’ai pas de gros miracle ni de big guérison ni de NDE (mort imminente) ni d’enfance malheureuse ni de vie de junkie à raconter. J’ai toujours été catholique depuis ma naissance (baptême le 8 juin 1980) et je n’ai jamais cessé d’aller à l’église. Pendant l’adolescence, pas de crise de foi. Certains catholiques rêveraient que j’aie connu un revirement spectaculaire, une rencontre avec Jésus digne des grands récits bibliques, une chute de cheval à la saint Paul, un avant catastrophique et un après grandiose, un chemin ascendant. Pour hurler au miracle ou à la sainteté, se servir de moi et de mon expérience pour dissuader de la pratique homosexuelle, pour dire que l’homosexualité est inexistante (« Philippe Ariño est un ex gay »), qu’elle se dépasse, ou bien que l’homosexualité vécue dans la foi est un chemin possible qui donnerait matière à faire un film et à convertir les autres personnes homosexuelles affligées. Désolé de les décevoir. Jésus est présent dans ma vie surtout parce qu’il y est invisible et en même temps présent de manière totalement inattendue, drôle, incroyable, évidente. Jésus est présent dans ma vie surtout parce que je suis pécheur, parce qu’il y a la Croix, parce qu’il y a la Vérité.
 

Alors, même si l’amour ne se prouve pas (l’Amour s’éprouve simplement, et il ne s’impose pas, sinon Il ne nous aimerait pas), en relisant ma vie, je vais essayer de vous dire maintenant quels sont les signes discrets – pour moi indéniables – que Jésus est omniprésent dans ma vie, qu’il me gâte à tout instant, et que je lui appartiens. J’en ai compté 14 (même si c’est un peu con d’assigner un chiffre à l’infini…) :
 

1) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il s’est manifesté par la vie de mon père. Je regarde tous les zigzags qu’il a vécus… et je me dis qu’avec autant d’imprévus, il n’y a pas de hasard. Je ne crois ni au hasard ni au destin, mais juste à un plan de Dieu sur nous qui nous laisse malgré tout libres. Et il est certain que la vie de mon père est guidée par le Christ ; et que mon papa, tout en restant libre, ne contrôle pas grand-chose. Il allait être père blanc missionnaire en Afrique. Contre toute attente, et contre l’avis de ses parents, il a tout quitté pour partir en France, sans parler français et sans travail. Il fallait qu’il rencontre sa femme et qu’il ait 5 enfants (dont un prêtre). En plus, mon frère jumeau et moi n’étions pas programmés et sommes arrivés « par accident ». La vie de mon papa (un homme de Dieu, bien pécheur) est tellement improbable que je sais qu’elle est providentielle.
 

2) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est que j’ai toujours cru en son existence, en sa présence, aux anges, aux saints. Je ne me suis jamais révolté. Et les catéchistes étaient ébahies de ce que je pouvais dire en séances de caté. Ma sensibilité pour la lectio divina, ce goût de Dieu, cette appétence, c’est venu très tôt. Ça sortait de moi mais ça m’était donné. Je me suis rarement ennuyé à la messe. C’était naturel pour moi de pratiquer : aller à la messe, c’était aussi indiscutable que d’aller à l’école ou de manger ce que j’avais dans mon assiette. Ça ne se négocie pas. Je crois qu’il y a un arbitraire de la foi. Et pourtant, mes parents n’ont jamais eu à me forcer. La foi est un don qu’on ne fait que cultiver librement. J’adore toujours autant les groupes de parole, et j’adore discuter de Dieu avec qui que ce soit. J’adore témoigner. Parfois, je jalouse (gentiment) les prêtres en homélie, car j’aimerais être à leur place quand leur homélie est médiocre.
 

3) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il s’est manifesté par les sacrements et notamment la confession. Il a fallu que j’attende mes 34 ans pour vivre des signes sensibles de la Présence de Jésus. Pile au moment où justement ma foi ne demandait plus de miracles. Par exemple, en 2014, lors d’une confession à la Basilique du Sacré-Cœur à Montmartre, un jeune prêtre (ça ne faisait que 3 mois qu’il était ordonné), au moment de l’absolution, a étendu ses mains sur moi… et ça a été le radiateur ! Il était pourtant à 60 cm de ma tête ! L’Esprit Saint, je l’ai senti passer. Sensiblement. Et ce prêtre n’a pas arrêté de me parler de « sainteté » juste avant ce miracle. Alors dans ces cas-là, difficile de nier que Jésus existe ! Par ailleurs, en 2016, pendant l’Année de la Miséricorde, j’ai été un fervent visiteur des confessionnaux, car mes tentations et mes chutes étaient grandes (masturbation ; et même après 5 années de continence, des chutes avec des hommes). Eh bien je peux attester que Jésus parle à travers les prêtres… même ceux qui disent des conneries. Jésus est dans les prêtres. Car ce qu’ils m’ont dit, même des voyantes extralucides n’auraient pas pu être plus précises ! Jésus habite les confessionnaux. C’est hallucinant.
 

4) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il s’est manifesté par la bonté des catholiques. Parmi les membres de l’Église Catholique, il y a le pire (car les fidèles catholiques désobéissants pèchent en connaissance de cause, donc c’est plus grave) et il y a le meilleur (car les fidèles catholiques obéissants sont proches de la Vérité et de la Charité en actes). J’ai découvert dans l’Église Catholique des gens bons, vrais, drôles, serviables, comme nulle part ailleurs. L’Église est la meilleure École d’Amour, le meilleur Chemin de Vérité. Jusqu’à preuve du contraire, je peux en témoigner. Et pourtant, Dieu sait si je connais les péchés de ses membres et que je ne me fais aucune illusion sur les gens d’Église !
 

5) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il s’est manifesté par saint Antoine de Padoue. Entre lui et moi, ça fonctionne mieux que le téléphone. Je lui parle, lui pose une question très précise, et ensuite, à travers la bouche d’un prêtre ou un événement, j’ai immédiatement la réponse. Une réponse toujours inattendue et vraie. Une fois, en 2014, je me trouvais à la Basilique du Sacré-Cœur, et devant la statue de saint Antoine, pendant que je discutais avec lui, je lui ai dit que les petites bougies qui étaient allumées à ses pieds étaient à l’image des êtres humains habités par la lumière du Christ. J’ai confié à saint Antoine que, de retour chez moi, j’allais écrire un article sur les bougies humaines. Puis je suis resté dans la Basilique pour assister à la messe de 22h. Et là, le prêtre polonais qui célébrait a commencé son homélie par ces mots : « J’ai envie de vous proposer une image : nous sommes tous des bougies humaines. » Je me suis mis à fixer le prêtre d’un air inquiet/intrigué, puis a regardé la statue de saint Antoine, en leur demandant intérieurement : « C’est quoi, ce sketch ? Elle est où, la caméra cachée ? » Saint Antoine me fait toujours des coups comme ça ! Il m’a même invité chez lui, en Italie. En effet, le seul prêtre qui m’a contacté spontanément en 2015 pour me faire venir en conférence en Italie, alors qu’il ne parle pas un mot de français ni d’espagnol, c’est don Giovanni Ferrara, de Padoue ! Lui et moi savons que c’est saint Antoine qui nous a réunis. Saint Antoine, par Jésus, est vraiment vivant. Et quand il veut un ami, il l’a !
 

6) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il me parle directement par la Bible. Pas de manière magique. Par exemple, quand j’ouvre ma Bible au hasard (comme le font certains charismatiques superstitieux), ça tombe toujours sur un texte sans intérêt (genre Les Maccabées…). Ça ne marche presque jamais ! haha. En revanche, Jésus me rejoint autrement. Les paroles de la Bible s’impriment en moi comme au fer rouge. Je trouve que ce qui est dit dans la Bible est vivant, sonne juste et vrai à l’instant où je l’entends. La Bible n’est pas un livre : c’est vraiment une personne qui me parle. C’est bouleversant de pertinence. C’est chirurgical. Jésus et ses prêtres m’ont donné le goût de l’exégèse, de l’étude de texte, et le don de l’interprétation. Je constate que ça marche aussi avec les films profanes, les romans païens, les événements du monde. J’aime décrypter, et il se trouve que je le fais bien, et que ça ne vient pas de moi.
 

7) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’il m’a rendu intelligent et visionnaire, alors que moi, je sais que je suis bête et superficiel. Et je le dis sans fausse modestie ni orgueil. Ça n’a rien à voir avec une question de mérite. Je n’ai pas (encore) de don de lecture dans les âmes, ni d’ubiquité, ni de guérison, ni de chant en langues, ni de prophétie. Mais j’ai un charisme de sagesse particulier, qui me vient de l’homosexualité continente, et qui me permet d’identifier qui sont les gens et ce qu’ils vivent dans leur sexualité et dans leur rapport à l’Église. Certains amis me disent que j’ai un scanner à la place du cerveau. Moi qui ai grandi devant la télé, et qui ai regardé des dessins animés et des films pendant toute mon enfance, moi qui écoutais les Spice Girls, je me dis que si je me retrouve à enseigner aujourd’hui les plus grands philosophes, mes professeurs, les évêques, et qu’on me prend pour un mec hyper intelligent voire devin, alors que j’ai tout pour être une pétasse homosexuelle décérébrée, c’est qu’il y a quelqu’un d’autre que moi qui permet ce prodige. C’est qu’il y a une intervention divine derrière tout ça. Je suis tenté de rigoler de l’« imposture (pourtant pleine de Vérité) » de ma propre situation !
 

8) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il m’a pris avec mon homosexualité. Il ne m’a pas accueilli à moitié, ni à la condition que je ne ressente plus cette attraction. Il m’a accueilli en entier. Et pire que ça : il utilise mon homosexualité pour L’annoncer Lui de manière hyper juste et originale. Quelle délicatesse ! Quel culot aussi de sa part ! Je sais qu’il me fait plein de cadeaux, plein de signes, de clins d’œil de connivence et d’amitié homoérotiques. Par exemple, je suis allé voir plus de 700 pièces de théâtre sur l’homosexualité à Paris. Eh bien Jésus s’arrange pour que je retrouve de manière très précise une bonne partie des symboles de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. C’est une manière pour lui de semer des petits cailloux sur ma route, de me confirmer sans arrêt dans la continence (abstinence pour Lui), et qui plus est, par mon homosexualité… ce qui semble paradoxal, et une entorse à sa propre volonté puisqu’Il n’a pas voulu mon homosexualité (Il la permet, simplement). C’est fou comme Il s’adapte à moi et comme Il compose avec moi, avec tout ce que je ressens, avec l’objet même de ma honte existentielle. Une fois, je venais de poster le code « Carmen » sur mon blog, dans mon Dictionnaire, et le soir-même, je suis allé voir une pièce (Les sex-friends de Quentin) au hasard à Paris parce que je savais qu’elle traitait d’homosexualité. Rien, dans le résumé, ne pouvait me mettre sur la piste que j’allais y entendre parler de Carmen tout du long ! Jésus me fait vivre un apostolat absolument insoupçonnable voire apparemment contradictoire. Un chemin que je n’ai pas voulu (car je n’ai pas voulu être homo et je n’ai pas voulu être appelé au célibat) mais qui me ressemble.
 

9) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il s’est manifesté à travers mes amis homosexuels et la « culture » homosexuelle. Et Il m’a été annoncé y compris par ceux qui le rejettent et qui ne croient pas en Lui (cf. le code « Se prendre pour Dieu » et « Amant diabolique » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Quelle meilleure preuve de son existence que cette apparente contradiction ? J’ai entendu dans les films, les pièces, dans les associations, dans la bouche de mes propres amis, une correspondance exacte avec ce que j’écris ou avec ce que Jésus dit dans la Bible, alors même qu’ils ne me lisent pas et qu’ils se disent athées. Au fin fond d’une discothèque gay, un gars qui cherchait à m’embrasser sur la bouche m’a qualifié sérieusement de « saint ». Comment pourrais-je, après ça, dire que Jésus n’existe pas ?
 

10) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est que je ne peux sortir avec personne. Ça fait un moment que je me suis fait une raison (même si les tentations sont toujours là). Sortir avec un mec, même adorable et attirant, même croyant, je ne peux pas. Et quand je dis que je ne peux pas, ce n’est pas de la comédie ni une plainte. Ce n’est pas techniquement. Car techniquement, je peux (carrément !). Ce n’est pas socialement ni religieusement. Car personne, ni même mon Église Catholique, ne me l’interdit et ne m’en empêche. C’est surnaturellement que je ne peux pas. C’est au niveau de ma foi et de ma joie intérieure que je ne peux pas. C’est sacramentellement que je ne peux pas. Jésus vient me chercher, et je ne peux pas lui résister (haha). Ma foi est plus forte que le plaisir, que le besoin d’affection, que le besoin de couple. Ma paix intérieure est soumise à la Vérité. C’est plus fort que moi. Ça me fait bien chier de découvrir ça. Mais cette appartenance est incassable. Et elle est donnée. Ce n’est pas vraiment un choix.
 

11) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il me rend insolemment libre. Ça m’étonne moi-même, cette liberté. C’est plus fort que moi : je ne supporte pas le mensonge ni la méchanceté ni l’injustice. Et quand je vois une hypocrisie ou un faux-semblant ou une tiédeur, je me sens appelé à ouvrir ma gueule. À l’inverse, quand quelque chose me plaît, je suis enthousiaste, surprenant et très joueur. Dans mes relations, j’aimerais être plus insouciant, plus relativiste, plus léger, moins exigeant, moins entier, moins libre : ce serait tellement plus reposant pour moi ! Mais je ne peux pas. Quelque chose me pousse à me dépasser, à me donner jusqu’à en mourir, à ne pas me satisfaire de l’acceptable. Par exemple des prêtres qui, pour notre bien, veulent gommer les chapitres du Catéchisme de l’Église Catholique sur l’homosexualité soi-disant « culpabilisants », je ne peux pas laisser faire. C’est la Vérité-Charité ou rien. Cette exigence-là, je sais qu’elle vient de Jésus. Ce n’est pas moi. Car elle est viscérale.
 

12) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est que je suis persécuté d’une manière absolument disproportionnée par rapport à ce que je fais, dis et suis, d’une manière absolument violente, absolument illogique humainement parlant. C’est donc qu’il y a dans ma vie un Mystère d’iniquité qui ne provient pas de moi et qui m’est donné surnaturellement, par le rôle de prophète (et nous sommes tous, par notre baptême, prophètes : ce n’est pas un titre ni une valeur mais un don, une responsabilité et un désir). Je constate qu’il existe dans ma vocation un « Signe de contradiction » (Luc 2, 34) qui est Jésus. Je ne vois pas d’autre explication. Ce n’est ni une question de mérite, ni de valeur personnelle. C’est de l’ordre d’une élection que je n’ai ni choisie, ni construite, ni rêvée. Les attaques que je vis à cause de l’homosexualité et de ma foi me prouvent que Jésus est vivant.
 

13) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est qu’Il me rend joyeux, drôle, doux, convivial, à l’écoute, et qu’avec lui je n’ai plus honte. Alors qu’à la base, je suis un peureux, une mauviette, un misanthrope, un gars mal dans ses baskets, un honteux. Cette force ne vient donc pas de moi. Il y a quelqu’un dans ma vie qui me rend meilleur et beau. Moi, sans Jésus, je suis un gros looser.
 

14) La preuve que Jésus existe dans ma vie, c’est que Forum Libertas me supporte comme chroniqueur ! Ça, ça vaut toutes les preuves de son existence, non ?

Tu es malheureux, un point c’est tout

Ils sont déconcertants, ces accusateurs qui nous rêvent malheureux parce qu’ils veulent nous imposer leur propre vision du bonheur. En plus, ils s’arrangent pour donner à leur condescendance et à leur censure l’apparat « éthique » de la compassion. À les entendre, ils nous souhaitent tout le meilleur du monde : « Franchement, tu me fais de la peine. Je souhaite que tu ailles mieux. » Ils s’attribuent même le beau rôle. Alors qu’en réalité, leur pitié juge. Et en plus mal, et sur la base de leurs propres fantasmes malveillants. Car ils ignorent tout de ce que nous vivons.
 

Par exemple, beaucoup d’hommes homosexuels, parce qu’ils me savent continent (eux disent « abstinent », car ils veulent assécher la continence), s’arrangent, dans le but de ne pas voir leur propre enchaînement à leurs passions, pour me rêver malheureux. Et le comble, c’est qu’ils voient leur mépris comme de la charité ! « C’est pour ton bien si je te méprise. Car TU VAS MAL. C’est pour te réveiller et que tu te plies à ma conception du bonheur d’être homo et d’aimer vraiment! » Ahurissante, la ruse du malin.

Éloge de la continence homosexuelle

Van-Gogh
 

La continence n’est pas autre chose qu’une bonne diète quand on a trop mangé ou que la peur nous paralyse. Loin de se réduire à une sèche abstinence ou à un concept spirituel évasif (« la Chasteté », « l’Amour d’amitié », « la Sainteté »), la continence ne peut apporter que du bien, que du repos réparateur, que de la liberté, que du soulagement, que la responsabilité enthousiasmante d’un régime/sevrage positif. Comme on est mal quand on agit par peur et sans regarder ses blessures ! Comme on est mal quand on vit l’indigestion et qu’on bouffe trop ! Comme on est mal quand on n’est pas à sa juste place en amour ! Je ne vois pas comment certains peuvent voir dans la continence un suicide (d’amour, de personne, de plaisir, de sexualité, un suicide social), une homophobie, une démarche triste et liberticide. Au contraire, la continence est justement la condition de la reconnaissance de l’homosexualité, la condition de la Paix et du don de l’homosexualité au monde entier, la condition de réconciliation du sujet homosexuel avec toute sa personne et avec Dieu. Si on est durablement homosexuel et qu’on peut difficilement prétendre au mariage heureux ou au sacerdoce heureux, elle est même le cadre qui assure aux personnes homosexuelles la vocation du célibat consacré, le Salut et le Bonheur éternels.

Code n°162 – Solitude (sous-codes : Amitié / Misanthropie / Haine du foot / Célibat / Vieux Gars / Continence / Solitude à deux)

Icône 161

Solitude

NOTICE EXPLICATIVE :

 

« Celui qui n’a jamais été seul au moins une fois dans sa vie peut-il seulement aimer ? » (…pour une fois que Garou sort une phrase intelligente dans ses chansons…)

 
 


L’homosexualité en tant que rapport blessé à l’amitié

 

Je vais aborder ici un des points centraux de l’homosexualité, à savoir d’une part le rapport blessé que l’individu homosexuel établit à lui-même et à sa propre unicité (peur d’être unique, difficulté à accepter son corps anatomique, son héritage personnel, sa liberté individuelle fondamentale), et d’autre part le rapport blessé aux autres et au corps social (le manque d’amis, la peur et la haine de la société)… donc finalement sa difficulté à se lancer pleinement et librement dans les deux options d’engagement d’amour qui le rendraient vraiment heureux – le couple femme-homme aimant ou le célibat consacré vécu dans la continence (abstinence pour Dieu) –, pour privilégier malheureusement leurs deux pastiches qui le rendent malheureux – le couple homosexuel « plus amical qu’amoureux », et le célibat libertin.

 

Au cœur de cette fuite de l’engagement se trouve, je crois, le fâcheux amalgame social entre « solitude » (réalité indiscutable et positive : c’est parce que nous sommes seul et que nous l’acceptons, que nous aimons et sommes aimé, que nous sommes libre et responsable) et « isolement » (un comportement plus qu’une réalité, un refus de s’ouvrir, sous prétexte de sacraliser/diaboliser son unicité, sa solitude fondamentale). Dans ce monde, on est tous seul, mais personne n’est isolé. Et je remarque que ça, les personnes homosexuelles en particulier, ne l’ont pas intégré dans leur cœur.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Désert », « Différences culturelles », « Île », « Substitut d’identité », « « Je suis différent » », « Promotion « canapédé » », « Boxe », « Homosexualité noire et glorieuse », « Différences physiques », « Manège », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Dilettante homo », « Innocence », « Appel déguisé », « Désir désordonné », « Moitié », à la partie « Musée Grévin » du code « Pygmalion », et à la partie « la bande de copains gays » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 
 

A – L’ISOLEMENT SUBI :

Film "O Fantasma" de Joao Pedro Rodrigues

Film « O Fantasma » de Joao Pedro Rodrigues


 

Beaucoup d’œuvres homosexuelles parlent de la solitude. Cela revient comme une marotte : cf. le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès, le film « Children Of Loneliness » (1934) de Richard C. Kahn, le film « Seuls » (1981) de Francis Reusser, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le roman Tu seras seul (1939) d’Alain Rox, la chanson « Madre Amadísima » de Haze et Gala Evora, la B.D. My lesbian experience of loneliness (2016) de Nagata Kabi, etc. Dans le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan, Cal (James Dean) est particulièrement solitaire.

 

On entend de la part du personnage homosexuel un grand sentiment de solitude, qui correspond bien souvent à un isolement amical concret, subi, et qui remonte parfois à l’enfance : « Je me sens très seul tout le temps. » (George, le héros homosexuel « veuf » du film « A Single Man » (2009) de Tom Ford) ; « Peut-être que j’étais populaire, mais je t’assure que je me sentais seul. » (Patrick, le héros gay qui était le gars le plus populaire de son lycée, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; « Personne ne peut me comprendre. » (Franz, le héros homosexuel de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Petit, j’étais seul au monde. » (l’un des héros homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « J’me rappelle qu’à 16 ans, j’avais aucun ami. » (Benji, le héros gay de la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Je me sens seul depuis l’enfance. » (Gabriele, le héros homosexuel du film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « J’ai pas d’amis. » (Aldebert dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « Il n’avait pas d’amis. » (le petit frère de Nikolay, homosexuel assassiné, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Encore seuls, nous, rats, comme d’habitude. » (Gouri, le narrateur du roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 129) ; « Au lycée, j’étais un peu seul, je ne connaissais personne. » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 23) ; « En même temps, c’est bête [de réactualiser ma page Facebook: j’ai pas d’amis. » (Raphaël Beaumont dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) ; « Gabrielle errait dans un désert de solitude. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 55) ; « Marcel n’avait pas d’amis à l’école. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 18) ; « Depuis la mort de sa mère, Chris était un garçon solitaire, mélancolique, terré dans son jardin secret. » (Arthur Dreyfus, La Synthèse du camphre (2010), p. 179) ; « Je pense qu’il est temps que vous ayez quelques amis. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, à son amante Mary, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 452) ; « Tout seuls dans nos vies. » (cf. la chanson « Réveille-toi » de Philippe Tailleferd) ; « Je suis seul. Je me sens seul. » (Didier dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « J’ai froid !!! La solitude !! » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Des cinés toute seule, des expos toute seule, des anniversaires toute seule… Toujours toute seule. » (John, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco) ; « Seul, j’l’ai toujours été. » (Hugo, le héros homo de la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; « Le seul ami que j’avais, c’était un Picard : Nicolas. » (Guillaume parlant de son parcours scolaire, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « Personne ne m’a jamais dit je t’aime. » (Bernard, le personnage homosexuel racontant sa souffrance au foot à l’école, et sa solitude amicale, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia) ; « Mes amis ont disparu avec mon boulot. » (Bernard, l’homosexuel de la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Les amis… leur soutien de façade… » (Jean-Louis dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; « Tante Eva, pensez-vous qu’aucune société ne veuille de moi ? » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Quand je vois la solitude dans laquelle vivent tous ces invertis… » (Laurent Spielvogel imitant André un homo sexagénaire, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Je suis sûre que ces enfants-là se sentent plus seuls que les autres. » (Rana parlant des personnes intersexes et transsexuelles, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Mon adolescence : un Grand Moment de Solitude. J’étais la Renoi du lycée. » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne blanche, dans son one-woman-show Chatons violents, 2015) ; « Solitude, solitude, solitude sans fin. Quel genre d’homme était-il ? » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 171) ; « Quand j’étais ado, l’école, c’était l’enfer. J’étais très seule. » (Catherine, la prof de maths lesbienne, dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel) ; « T’as pas d’amis. » (Otis s’adressant à son meilleur ami gay Éric, dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Sans amis, sans même une affection. » (c.f. la chanson « Le Garçonne » de Georgel) ; etc.

 

Par exemple, dans son roman Sodome et Gomorrhe (1922-1923), Marcel Proust décrit les invertis comme des « amis sans amitiés ». Dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009), de Bruno Dairou, le héros homosexuel évoque « ses solitudes issues des terreurs de l’enfance ». Dans le couple de jumeaux homos du film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, il y a d’un côté Antoine (« Antoine, c’est celui qui a des amis. ») et de l’autre Quentin… qui n’en a pas. Dans le film « Stadt, Land, Fluss » (« La Clé des champs », 2011) de Benjamin Cantu, Marko, l’un des héros homosexuels, n’a pas beaucoup d’amis et est quelqu’un de taciturne, de solitaire. Dans le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot, Lucas est un jeune étudiant introverti et homo. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca raconte toutes ses déboires amicales : « Elle est belle, l’amitié ! » ; « J’ai commencé à me fâcher avec la moitié de mes potes. ». Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan se moque de son amant Jonas parce qu’il n’a pas d’amis au collège : « Pourquoi t’as pas d’amis ? », et le force à avouer qu’il était amoureux de son unique ancien ami, Nicolas, qu’il a perdu. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John, le héros homosexuel, cherche la solitude dans les hôtels. Quant à son double mais enfant (10 ans), Rupert, il est décrit comme « un enfant très seul. » par Mrs Kureshi, sa prof de français. Dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev est montré comme sauvage, solitaire et misanthrope. Déjà, durant son enfance, il ne se mêlait pas à ses camarades pour jouer à la bataille de boule de neige. « J’étais très seul. Tout le temps. ». Et par la suite, il ne mange pas et ne se lie pas avec ses camarades. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf écrit en 1929 une autobiographie, Orlando, où elle se met dans la peau d’un homme du XVIe siècle qu’elle décrit comme foncièrement « seul ». Je vous renvoie à la partie « Musée Grévin » dans le code « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, consacrée aux personnages homosexuels réfrigérants et statiques comme des objets).

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Chez le héros homosexuel, la carence d’amitiés s’explique soit par un climat d’oppression sociale particulièrement violent et puéril, soit par une surprotection parentale et incestueuse : « À cette date, Olivier [le héros homosexuel] était un garçon très maigre, avec un appareil dentaire et des lunettes, timide et solitaire. Il était le souffre-douleur de la classe tout entière. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), pp. 69-70) ; « Tu finiras tout seul. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, n’a jamais eu beaucoup d’amis et décrit l’enfer qu’il a vécu au lycée. Dans le film « James » (2008) de Connor Clements, le jeune James est confronté aux moqueries de ses camarades à l’école. Dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary, Mark n’est jamais sorti de chez lui : ses parents l’ont gardé enfermé chez lui.

 

L’homosexualité semble être une réponse facile pour éluder la question de la blessure/de l’isolement amical. Par exemple, dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler et Jim, les deux amants, sont à la recherche d’un certain « caramacré, c’est-à-dire « l’Ami du Cœur ». Ce mythe angéliste de l’Ami-Amant est la preuve non de l’existence d’une véritable amitié entre les deux amants homosexuels, mais au contraire d’un vide amical vécu par chacun des deux membres du couple : « Je crois pas que j’aie jamais eu d’amis. » (Jim) ; « Je crois avoir jamais eu d’amis moi non plus. » lui répond Doyler en se serrant tout contre lui.
 
 

B – L’ISOLEMENT RECHERCHÉ ET LA SOLITUDE MASSACRÉE :

 

B – a) Mépris de l’amitié vraie :

Terriblement déçu par le manque d’amitiés, ou parce qu’il attendait trop d’une amitié sublimée, le héros homosexuel se met parfois à maudire ses camarades, ses pairs ou ses contemporains. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’amitié est souvent trahie dans les fictions homo-érotiques : je pense aux romans de Reinaldo Arenas, Jean Genet, aux pièces de Christophe Botti, de Tennessee Williams, aux films de Stephen Frears, Rainer Werner Fassbinder, de Pedro Almodóvar, de Luchino Visconti. Par exemple, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Arnold, l’un des héros homos, tente d’étrangler son meilleur ami gay Georges. Dans le film « Plan cul » (2009) d’Olivier Nicklaus, Olivier fait tout pour se débarrasser de ses amis qui passent dans son appartement, pour vivre son « plan cul » tranquille. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas a couché avec Franz, l’ex de son pote Gabriel, sans le lui dire. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Elliot commence à se méfier de l’amitié forte entre son fils Joey et le beau Vlad, un camarade de lycée un peu plus âgé que Joey.

 

Réagissant en bête blessée, le protagoniste principal décide de laisser l’amitié au second plan : « J’ai pas d’amis… donc pas d’ennui. » (Karine Dubernet dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « Je vous propose l’immobilité… de l’ami. […] L’amitié est plus radine que la traîtrise. […] Plus que celle des coups, je crains la violence de la camaraderie. » (l’inconnu à son amant dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès) ; « Je ne tiens pas à me faire des amis. » (Jim Stark, interprété par James Dean, dans le film « Rebel Without A Cause », « La Fureur de vivre » (1955) de Nicholas Ray) ; « Tu es timide et orgueilleuse… ce qui ne facilite pas le rapport avec les autres. » (le père de Claire s’adressant à sa fille lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Moi, je n’ai pas d’amis. Je suis mieux seul. » (Ibrahim s’adressant à son amant Rafa, dans le film « A Escondidas », « Fronteras » (2016) de Mikel Rueda) ; etc. Il va sacraliser son isolement (qu’il nomme « solitude ») en rupture radicale avec les autres (cf. le film « Prayers For Bobby », « Bobby : seul contre tous » (2009) de Russell Mulcahy)

 
 

B – b) Misanthropie/mépris du collectif :

On observe chez le héros homosexuel un passage de l’isolement subi à l’isolement choisi, comme s’il validait intérieurement l’opprobre qui lui a été fait. « [Luc avait] peu d’amis parce qu’il n’avait jamais vraiment rien fait pour en avoir. » (Jean-Marc, l’un des héros homos du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 35) ; « Personne ne peut me comprendre. » (Franz, le héros homosexuel de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Jonathan Brockett, inverti lui-même, il haïssait le monde qui, il le savait, le haïssait en secret. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 316) ; « C’était un homme très solitaire. » (Hall par rapport à son frère homo Arthur, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « Je vais te dire un grand secret : finalement, tu détestes le monde. » (cf. Phrase adressée à Emmanuel, le héros homosexuel du film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré) ; « L’enfer n’est pas pire que ce Monde. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « On vit dans un monde complètement merdique. » (Willy, le gamin transgenre M to F qui se prend pour une fille, dans le film « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael) ; « Il y a trop de personnes appartenant à mon passé que je n’ai plus jamais envie de voir pour que j’aie un compte Facebook. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 191) ; « Je suis agoraphobe. » (Joël, homosexuel, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; etc. Après avoir été rejeté, il se met à rejeter… même s’il présente sa collaboration à la haine comme aussi naturelle et subie que l’exclusion première : « Je ne suis pas fait pour les groupes. » (Larry, un des héros homosexuels du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Les gens me font peur. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Tu vécus ta révolte contre toute société. » (Ahmed parlant de lui-même dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je voulais être l’étrange sodomite, celui dont on ne parle pas. » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Tes grands discours sur la solitude des pédés, tu peux te les mettre où je pense. » (Eva s’adressant à son meilleur ami gay Adrien qui l’empêche d’être heureuse en couple, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, la narratrice lesbienne, avoue « le peu de goût qu’elle a pour les autres » (p. 171). Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie et Floriane, les amantes, se mettent à part du groupe et des autres : « Les autres, c’est des connasses. » (Floriane) Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, est rangé par le Commandant Denniston du côté des agents doubles « solitaires, sans attache ni famille ni amis ». Turing, profondément asocial et misanthrope, se persuade qu’il n’est pas isolé car il prend ses robots et ses machines pour des compagnons de vie, pour son amant d’enfance Christopher : « Je ne suis pas seul. Je ne l’ai jamais été. Je dois les empêcher de me laisser seul. » déclare-t-il face à son ordinateur baptisé « Christopher ». Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, le jeune héros homo, se jette dans les bras de Serge, bien plus âgé que lui, parce qu’il est blasé de l’Humanité : selon lui, « les vrais gens sont les gens bêtes et les gens méchants. » Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, les deux amants Thomas et François ne veulent pas sortir et s’organisent une soirée-télé, « un truc de vieux ». Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, il est clair que c’est la misanthropie, la haine des groupes et des soirées mondaines, qui attirent Carol et Thérèse vers le lesbianisme, et qui les attirent l’un dans les bras de l’autre. Dans le film « La Forme de l’eau » (« The Shape of Water », 2018) de Guillermo del Toro, Giles, le personnage homo âgé, vit une vie solitaire de vieux garçon : « Je n’ai personne à qui parler. »

 

Dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, Leo présente au départ sa mise à l’écart comme une nature : « Je sais bien que j’ai toujours été du côté de l’ombre, que je suis toujours resté en dehors. » (p. 30) Plus tard, le lecteur se rend finalement compte que chez lui, l’éloignement a été désiré, de son côté, par un consensus mou : « En fait, ce n’est pas juste parce que je n’ai pas été invité. Depuis toujours, je suis celui qu’on cache, celui qui est interdit de paraître. Je me suis accommodé de ce secret. J’ai même trouvé mon compte à cette dissimulation. Je n’ai pas eu le désir de les rencontrer… » (idem, p. 48)

 

Film "Männer Wie Wir" de Sherry Horman

Film « Männer Wie Wir » de Sherry Horman


 

L’isolement commence sur les bancs de l’école. Par exemple, le temps de la récréation à l’école et au collège n’est pas apprécié par le personnage homosexuel, comme dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Étienne n’aime ni les sports collectifs, ni ses camarades de classe. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, Laure et Lisa restent sur la touche pendant que les garçons jouent au foot. Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Jean-Marc déclare qu’il haïssait l’école quand il était petit. Dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, Ernst ne joue pas du tout au foot au collège. Dans sa chanson « Droit au but », Stefan Corbin décrit avec humour sa phobie du foot à son médecin. Dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, Éric, l’un des héros homos, n’est pas fort en sport et ne va pas jouer avec ses pairs. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Martin, le personnage hétéro sur qui pèsera une forte présomption d’homosexualité pendant toute l’histoire, est présenté comme un adolescent qui est très mauvais en foot, qui va à la place de gardien et qui a peur du ballon. Dans le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, Steve, le héros homo, regarde de travers ses pairs jouer au football, et ne se mêle pas à eux, par complexe et orgueil mal placés. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, les vestiaires de cours de sport sont montrés comme des lieux de commérages. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, ne joue pas au foot avec ses autres camarades, et il n’aime pas ça. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Segundo est dégoûté par la violence les matchs de foot et du monde masculin.

 

Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume s’entend dire par sa mère qu’il « n’a jamais été sportif », et il finit par se dire qu’il n’est pas un vrai garçon, voire qu’il est homo. Son père tente en vain d’inverser la tendance : « Bon, Guillaume, qu’est-ce que tu veux faire comme sport ? À partir de maintenant, je veux que tous les samedis, tu fasses du sport. Du foot, de la boxe… ou de la lutte gréco-romaine. » Guillaume fuit le service militaire et les sports collectifs : « L’armée, c’est comme le sport. Quelle angoisse ! »

 

SOLITUDE Guillaume

Film « Guillaume et les garçons, à table ! » de Guillaume Gallienne


 

Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, le père de Levi, le héros homosexuel, veut transformer son fils en champion de foot… mais visiblement, le forcing ne marche pas du tout ; et son petit copain, Chance, rejette également le foot comme il intègre peu à peu son identité « d’homosexuel » (il jette les photos des footballeurs qu’il a utilisées pour faire son article sur l’équipe de foot de son lycée).

 

C’est tout un symbole que le foot, le sport collectif par excellence le plus social et accessible à tous, soit rejeté par beaucoup de héros homosexuels : « Je détestais indifféremment tous les sports d’équipe. Ils n’évoquaient à mon esprit d’enfant trop sage que des idées de guerre, de loi du plus fort, de bêtise grégaire. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 18) ; « Mes petits frères me regardaient déjà comme un étranger, parce que je ne voulais pas faire de sport en club avec eux et que je préférais rester dans mon monde. […] L’arrivée au lycée m’a fait reprendre espoir. […] Je me suis fait de bonnes copines, et même un ou deux potes, des gars mauvais en sport comme moi. » (Mourad, l’un des deux héros homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 337) ; « Petit, je me sentais différent de mes camarades. […] Je délaissais les terrains de foot et toutes les occupations de mes camarades. De toute façon, ils ne m’auraient pas invité à jouer avec eux. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 61) ; « Willie faisait du tennis. C’est son père qui l’avait inscrit, pour faire du sport. Il n’aimait guère son corps, il aurait voulu qu’on le laisse en paix. Il jouait relativement mal et il restait des heures entières aux toilettes. » (Tristan Garcia, La Meilleure part des hommes (2008), p. 14) ; « J’aime pas le foot. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) La peur du foot dit non seulement la peur du corps social mais plus profondément le mépris de son propre corps. « J’étais gêné. Je suis un peu pudique, moi. J’aime pas me mettre nu devant les autres, et les douches, elles, ne sont pas individuelles. » (Julien, le héros homosexuel du roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet) ; « La natation m’a traumatisée à l’école. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Je restais regarder mes camarades dans les vestiaires, se tripotant. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; etc.

 

Le foot peut être le paravent de l’homophobie. Par exemple, dans le téléfilm Fiertés de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, le héros homo, reçoit un appel téléphonique anonyme de gars de son lycée qui se font passer pour homosexuels afin de lui soutirer son secret. Une fois qu’il confirme à demi-mot la rumeur pesant sur lui, ces derniers lui balancent : « Tout le monde savait que t’étais une pédale ! », avant de raccrocher. Quand la mère de Victor lui demande qui c’était, il invente une excuse : « C’est un remplacement pour un match de foot, et j’pourrai pas. »
 

Une fois que le héros homosexuel arrive à l’âge adulte, sa peur méprisante des adolescents se mute en mépris généralisé des êtres humains. Par exemple, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, Peyton, l’héroïne lesbienne, a écrit un essai intitulé Souvenirs d’une agoraphobe. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Benji reproche à Hugo (le personnage probablement homosexuel) de ne pas être assez « sociable ». Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, Tom, l’un des héros homos, est vétérinaire par misanthropie : « La vérité, c’est que je ne suis pas très à l’aise… sauf avec les animaux. Je ne suis pas très à l’aise dans ma propre peau. »

 

La misanthropie (haine du genre humain) est un thème que l’on retrouve de temps en temps dans les œuvres homosexuelles : cf. le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, la chanson « Sale Pédé » de Nicolas Bacchus, le roman Off-Side (1968) de Gonzalo Torrente Ballester (avec la misanthropie du personnage de Domínguez), le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec Stella, la lesbienne antipathique et vulgaire), le vidéo-clip de la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer, etc. Le héros homosexuel se montre réfractaire aux soirées amicales, aux groupes, à la société et au genre humain dans son ensemble : « Je voyageais seul. Oui. Le gay est très sensible. » (le narrateur homosexuel dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair) ; « L’homme est un monstre. » (Sévéria dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander) ; « N’aimer personne. Être seul, n’être aimé de personne. Être libre. C’est vrai que je n’aime personne, pas même vous, Garance. » (Lacenaire à Garance, dans le film « Les Enfants du paradis » (1943-1945) de Marcel Carné) ; « À tous les âges de la vie, il a éprouvé les mêmes répulsions : l’horreur des groupes, la terreur des familles. » (le narrateur homosexuel du roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 22) ; « Cela fait longtemps que je n’ai pas eu de visite. Les tête-à-tête me fatiguent. L’apprentissage des gens m’est une épreuve. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 167) ; « Si Jason [le héros homo] aimait la solitude, ce n’était que par éclats. […] Il avait de toute façon trop besoin d’un public pour se contenter longtemps de son propre reflet. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 32) ; « Dès son début, la vie ne lui fut que risettes, grimaces, faux-semblants et tartuferies d’andouilles. […] Toute Société n’est qu’une Immonde et Insatiable Salope. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, pp. 16-17) ; « Je me permets de dire que les humains ne sont pas les seuls ratés. » (le Dieu des Hommes dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 89) ; « Je suis un misanthrope élitiste assumé. » (Karl Lagarfeld cité dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; « T’as tourné le dos au monde. T’es qu’un pédé égoïste ! » (Ayrton s’adressant à son grand frère homo Donato, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; etc.

 

Cet éloignement des autres n’est pas d’abord délibérément méchant et cruel : il est surtout envisagé comme beau, parce qu’il se charge du désespoir esthétisé de la Drama Queen maudite « qui ne trouvera jamais l’amour », qui est une « victime incomprise » : « C’est impossible pour moi de nouer des liens avec quelqu’un. Les gens passent, ils s’en vont, ça défile, c’est pareil avec tout, au bout de peu de temps tout s’éloigne de moi à toute vitesse. Laisse-moi Paul. Je vous le demande. » (le narrateur homosexuel du roman La Peau des zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 529) ; « Il était triste parce qu’une fois de plus il était seul. Il se dit que son destin était de toujours être seul, de toujours perdre ce qu’il aimait. » (Tanguy, le héros du roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 179) ; « J’écrirai un jour un roman sur la solitude des gens dans les bars d’hôtel. » (Stéphane, le romancien bobo de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc.

 
 

B – c) L’isolement sous le prétexte d’une différence homosexuelle dite « radicale » :

Grâce au désir homosexuel qu’il découvre en lui, le héros se trouve une excellente excuse pour mettre l’amitié de côté, hors d’état de nuire : l’énonciation d’une nouvelle identité ontologique (« l’homosexuel »).

 

Par exemple, dans « La Chanson de Ziggy » du spectacle musical Starmania de Michel Berger, Ziggy, le héros homosexuel, confie à sa meilleure amie Marie-Jeanne que dans sa jeunesse, « pendant que les gars du quartier jouaient au football, il prenait des cours de ballet », ce à quoi cette dernière, dans une prise de conscience soudaine, met spontanément l’isolement de Ziggy sur le dos de la « différence » homosexuelle : « C’est pour ça qu’ t’avais pas d’amis… »

 
 

C – ISOLEMENT MAL COMBLÉ :

 

C – a) L’isolement sous le prétexte de la recherche d’amour homosexuel :

L’autre alibi trouvé par le protagoniste homosexuel pour écarter l’amitié de sa vie, c’est bien évidemment la quête ou la découverte de « l’amour », c’est-à-dire le couple homosexuel. « Je rentre chez moi seul, comme d’habitude. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Tu as un problème d’autonomie. Mais c’est un problème entre toi et toi, Marco. » (Laurent s’adressant à son amant Marco, idem)

 

Par peur de voir brisée sa solitude, de voir rompu le confort de son célibat libertin, il se réfugier dans l’inconfort de la relation amoureuse avec ses amis du même sexe. Par exemple, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Maurice, le père de Delphine, se désole de la solitude de sa fille : « Tu vas pas rester seule toute ta vie ? C’est terrible la solitude. » Celle-ci, secrètement lesbienne, lui répond : « Je ne veux pas me marier. »

 

D’abord, le héros homo éjecte les amis de l’autre sexe, sous prétexte qu’ils ne l’attirent pas sexuellement, et qu’ils ne suffisent pas à remplir sa vie (s’il est gay, il se débarrasse donc de ses amies filles ; si elle est lesbienne, l’héroïne s’éloigne de ses amis garçons) : « Les filles avaient toujours constitué la majeure partie de ses relations et amitiés ; mais l’absence de tout visage masculin sur qui poser son regard pendant les cours finissait par lui peser, et lui donnait parfois quelque accès de misogynie. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 47) ; « Au fil des années, entre Marc et elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne], la passion s’était lentement transformée en une charmante amitié amoureuse. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 54) ; « Qui a besoin d’un ami quand on a un p’tit ami ? » (Éric le héros homo, dans l’épisode 4 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc. Les amis en question, mis sur la touche, se rendent parfois compte qu’ils servent de bouche-trous ou d’appât, ou qu’ils sont les dindons de la farce (cf. Je vous renvoie aux codes « Destruction des femmes », « Parricide la bonne soupe », « S’homosexualiser par le matriarcat », « FAP la « fille à pédé(s) » », et « Duo totalitaire lesbienne/gay », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « On n’est pas vraiment les champions de l’amitié. […] Pour toi, je suis juste la solution de simplicité. » (Franckie à son ami homo Hugo, dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis)

 

Par exemple, dans le film « Boygames » (2012) d’Anna Österlund Nolskog, deux meilleurs amis, John et Nicolas, âgés de 15 ans, sont intéressés par les filles mais redoutent la première expérience sexuelle, alors ils décident de s’entraîner d’abord entre eux. Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, par misanthropie et haine du groupe de colo, Clara va peu à peu se lesbianiser.

 
 

C – b) Confusion entre amitié et amour :

Ensuite, le héros homosexuel trouve un moyen beaucoup plus pervers et subtil pour faire mourir l’amitié, avec les gens du même sexe cette fois : c’est le désir de fusion (cf. le film « Nous étions un seul homme » (1979) de Philippe Vallois), ou la projection amoureuse sur le meilleur ami (par exemple, dans le film lesbien « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, « Rafikie » signifie « Amie » en kényan). Je dis « pervers » car le massacre de l’amitié et le déni de l’autre se font avec une grande sincérité, au nom de l’amour. « Je choisis mes amis pour leur beauté. » (Lord Henry dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Je lui montrais comment faire une explication pour le bac en français. On avait un groupement de textes tiré des Fleurs du mal. Quand je relisais avec lui ‘Parfum exotique’, j’avais des frissons des pieds à la tête. J’avais l’impression que ça parlait de lui, de nous. » (Mourad, l’un des personnages homosexuels, parlant d’Esteban, un camarade de classe, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) ; « Son amitié est toujours mêlée de désir, de sensualité. » (Virginia Woolf regrettant l’attachement trop fusionnel de son amante Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc. Il est fréquent, dans le discours du personnage homo, que le terme « amitié » et celui d’« amour » soient mêlés. En général, c’est pour que le degré d’engagement, pourtant différent selon le nature de la relation, soit ou amoindri (dans le cas de l’amour), ou excessivement rehaussé (dans le cas de l’amitié)… en tous cas inadapté au réel : « L’amitié qui est l’amour, l’amour qui est l’amitié. » (Imre et Oswald, les deux amants du roman Imre : A Memorandum (1906) de Xavier Mayne) ; « Plus de 60% des gays ont eu le béguin pour leur meilleur ami. » (le drag-queen du film « Cost Of Love » (2011) de Carl Medland) ; « Les lesbiennes ont tendance à être copine avec leurs exs. » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Tu es ma meilleure amie : couche avec moi ! » (Ninette à sa meilleure amie Rachel, dans la pièce Three Little Affairs (2010) de Cathy Celesia) ; « À quel moment débute l’amour ? À quel instant finit l’amitié ? Avec toi, Ern, je n’ai jamais su. » (Chris s’adressant à Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 192) ; « Ne mélange pas tout. On est amies. » (Clara s’adressant à Zoé après qu’elles se soient embrassées sur la bouche, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Amant, ami… Toutes les combinaisons sont envisageables… » (Jacques s’adressant à son jeune amant Mathan dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Comment ça se fait que toi, Momo, mon meilleur ami, tu sois gay ? » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc.

 

Dans les fictions homosexuelles, l’amitié est presque systématiquement confondue avec l’amour : cf. le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, le film « An Intimate Friendship » (2000) d’Angela Evers Hughey, le film « Ami/Amant » (1998) de Ventura Pons, le film « Fremde Freundin » (1999) d’Anne Hoegh Krohn, le film « Mon ami, mes amants » (2002) de Jean-Daniel Cadinot, la chanson « Amis/Amants » du groupe What For, le film « The Secret Diaries Of Miss Anne Lister » (2010) de James Kent, le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, le film « Teens Like Phil » (2011) de David Rosler et Dominic Haxton (dans lequel l’amitié entre Phil et Adam sera détruite après un événement inattendu dans un parc, qui va plonger les deux garçons dans l’autodestruction et la violence), le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot, le film « El Sexo De Los Ángeles » (« Le Sexe des anges », 2012) de Xavier Villaverde (avec la relation ambiguë entre Carla, Bruno et Rai), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, la chanson « Équivoque » de Jean-Luc Lahaye, etc.

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, en apprenant que son meilleur ami d’enfance Stuart a fait son coming out, a fini par l’imiter. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, tombe amoureux de Christopher, son camarade de classe au pensionnat britannique, son unique ami. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu avoue que son premier émoi homosexuel date de l’adolescence, quand il est tombé amoureux de son meilleur ami à 13 ans. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo tombe amoureux du premier ami qui lui accorde de l’attention : il se masturbe en mettant le pull de Gabriel. Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, Smith est troublé par son beau colocataire, Thor. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, le mariage gay est défini comme un « mariage d’amis » : Dodo (Dominique) et Henri sont amis depuis 15 ans, et vont contracter un mariage pour toucher un héritage. Dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, Karma et Amy, deux lycéennes, cherchent à être populaires dans leur lycée en brisant leur amitié et en se faisant passer pour un couple. Dans la pièce En panne d’excuses (2014) de Jonathan Dos Santos, au moment où Guillaume doit faire du bouche à bouche à son meilleur ami Louis qui s’asphyxie, il pense immédiatement à mal : « Ça devient du porno gay, ton truc… On n’est pas des bêtes ! ». Dans le film « L’Apparition » (2018) de Xavier Giannoli, Jacques, le journaliste, érotise l’amitié entre Anna et Meriem, en suspectant Anna d’être lesbienne. Une ancienne de leur camarade dément le soupçon : « C’est pas du tout ce que vous croyez. » Dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, Cédric et Lucas sont en couple et vont se marier au Québec… mais Cédric est d’abord présenté pudiquement comme « son meilleur ami ». Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo nie sa proximité amoureuse avec Rémi, en se rabattant sur l’amitié : « On s’est rapprochés parce qu’on est meilleurs amis. » se justifie-t-il auprès de ses camarades de classe, avant de repousser les avances de Rémi.
 

Toute la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza joue sur l’insolubilité de la frontière entre amitié et amour. Damien raconte à Rémi (qui tombe amoureux de lui) qu’il a déjà connu dans son adolescence une ou deux expériences de touche-pipi avec un mec, « la bonne vieille amitié amoureuse ». Et Rémi, lui, veut l’amour avec Damien, sinon rien : « Je peux pas être ton ami ! Je veux pas ! Je ne veux plus ! Et j’ai même jamais voulu l’être ! »
 

Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, il est fait l’éloge de la transformation de l’amitié fraternelle en amour : « L’amitié qui tend vers l’amour peut tendre vers le désir. » (Scrotes s’adressant à son amant Anthony) D’ailleurs, Jim et Doyler, les deux adolescents irlandais, sont poussés dans les bras l’un de l’autre par les adultes homosexuels : « Nous sommes des dieux, Scrotes, et ces deux jeunes hommes sont nos jouets. » (Anthony s’adressant à son amant)

 

Dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, « la baise entre potes » (p. 64) ne semble poser aucun problème aux protagonistes homosexuels. Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Suzanne aime « faire l’amour en toute amitié » avec sa copine Melitta (p. 202). Dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel parle d’un de ses « camarades de frotti-froota » (p. 25). Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, il est question du « PCR » = « Plan Cul Régulier ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il tente de préparer le terrain pour les aider à se faire à l’idée qu’ils sont en couple : « Disons que vous êtes des amis. » Et Arnaud, tout de suite, atténue : « Non. On est un couple d’amis. » Il soutient à son père, au téléphone, que Benjamin est juste « un ami, un fucking friend ».

 

Très souvent, le héros homosexuel tombe amoureux de son meilleur ami : cf. le roman Zéro commentaire (2011) de Florence Hinckel (Medhi avec son meilleur ami), le film « Arisan ! » (2003) de Nia di Nata (où Nino est intéressé par son meilleur ami Sakti), le film « Cost Of Love » (2011) de Carl Medland (Dale amoureux de son meilleur ami Raj), le film « Nagisa No Sindbad » (« Grains de sable », 1995) de Ryosuke Hashiguchi (avec Ito, lycéen rêveur, secrètement amoureux de son meilleur ami Yoshida), le film « Ô trouble » (1998) de Sylvia Calle (Inès tombe amoureuse de Laura), le film « Sancharram » (2004) de Ligy J. Pullappaly (la jeune Kiran tombe amoureuse de sa meilleure amie d’enfance Delilah), le film « Jamie And Jessie Are Not Together » (2011) de Wendy Jo Carlton (Jessica est secrètement amoureuse de sa meilleure amie Jamie), le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser (Jan, allemand, tombe amoureux de son meilleur ami français Matthieu), etc.

 

Cette confusion est d’abord le fruit d’une projection et des rumeurs d’une société à l’esprit mal placé, focalisée sur la génitalité et le cul plutôt que sur la belle gratuité des rapports humains. Par exemple, dans la pièce Ninette Y Un Señor De Murcia (1964) de Miguel Mihura, l’amitié entre Armando et Andrés est jugée suspecte par leur voisinage, alors qu’ils sont de simples amis. Elle est aussi montrée comme un jeu amusant, à travers l’inversion.

 

Le glissement entre amitié et amour homosexuel semble aussi caractéristique de la période d’adolescence des protagonistes : cf. le film « Freude » (2001) de Jan Krüger (avec Johannes et Marco), le film « Heavenly Creatures » (« Créatures célestes », 1994) de Peter Jackson, le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, etc. « Ah la pension… j’ai que des bons souvenirs là-bas. J’ai rencontré Johnny là-bas. » (Maxime, le héros homosexuel de la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) Par exemple, dans le film « A Home At The End Of The World » (« La Maison du bout du monde », 2004) de Michael Mayer, Bobby et Jonathan, deux meilleurs amis, maquillent leur amitié adolescente en amour homosexuel afin de survivre et de tromper leur monde.

 

Le mot « amour » ou le verbe « aimer » servent de rouleaux compresseurs à l’amitié. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, quand Kévin demande à son amant Bryan « où est la limite entre l’amour et l’amitié ? », ce dernier lui fournit une réponse bien vague, et lui ferme le clapet avec l’argument de « l’amour » : « Je ne sais pas, là où on la met. S’il y en a une ! Qu’est-ce que je t’aime ! » (p. 297)

 

L’amitié particulière que disent vivre les héros homosexuels ressemble à une amitié forcée, poussée, surnaturelle, s’écartant déjà de la simple amitié et n’étant pourtant pas assez forte pour être qualifiée d’amour : « Depuis peu, les deux filles étaient toujours ensemble, comme si elles étaient ‘très amies’. […] Je cherchais ce que Marie entendait par ‘très amies’, sachant qu’elle ne disait jamais rien pour rien. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 46) ; « Ton amitié me trouble. Tu te rends bien compte que notre amitié est trop poussée. » (Jean-Jacques s’adressant à son amant Jean-Marc, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « J’ai envie de dire merde à notre amitié de merde ! » (George s’adressant à Joley son amant, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; etc.

 

Les protagonistes homosexuels, quand ils leur arrivent de sortir ensemble (ce qui arrive les trois-quarts du temps) et de ne pas s’en vouloir avec le temps, finissent par se résigner à conserver une amitié ensemble. Leurs cercles amicaux sont composés alors de leurs exs : « Juste amis ; plus du tout amants. » (Michael parlant de son colocataire Harold, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) Par exemple, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Rodin est un ex de Thierry, devenu ensuite ami.

 

La confusion entre l’amitié et l’amour peut également traduire chez le héros homosexuel une forme d’homophobie et de déni de ses actes homosexuels. Par exemple, dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Kai, le héros homosexuel, n’arrive pas à faire son coming out à sa mère et à assumer son copain Richard (« Tu dormiras dans la chambre d’amis. On fera semblant d’être amis. »). Et Richard rentre dans ce jeu en se faisant passer pour le meilleur ami de Kai pendant tout le film, pour justifier par amour l’homophobie intériorisée de son copain.
 

Enfin, la confusion entre l’amitié et l’amour exprime une désincarnation de l’amour. Par exemple, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Luce, l’héroïne lesbienne, utilise l’amitié pour fuir sa vie, et s’appuie sur celle-ci pour justifier que l’amour serait platonique et asexué. « Tu ne baises jamais. » remarque sa pote lesbienne Eddie. Luce lui répond vertement : « J’ai des amis. Ça me suffit amplement. » Le massacre de l’amitié par la sentimentalité ou la génitalité/sensualité est perturbant et dramatique. Par exemple, dans l’épisode 4 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Ruthie dit qu’elle n’aime pas sa « meilleure amie » Tanya d’amour, et a peur de lui faire de la peine en rompant leur relation.
 
 

C – c) Refus d’être seul = Refus d’être unique :

La confusion entre l’amitié et l’amour se caractérise par l’absence de liberté. Elle semble en effet être le fruit de la précipitation, et donc de la pulsion : « Je n’ai jamais eu d’ami-i avant. Parce que s’ils étaient séduisants, je pouvais les aimer pour ça et s’ils ne l’étaient pas, il n’y avait aucune raison pour qu’ils deviennent mes amis. » (Jérémy Patinier auteur, dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) Le héros homosexuel a eu tellement peu d’amis d’adolescence ou de personnes du même sexe qui se sont intéressées à lui, que tout d’un coup, dès qu’un meilleur ami se présente, il ne se laisse même pas le temps de l’amitié : il se fait des films et saute sur la case « amour » ou « sensualité » !

 

Mais bien plus qu’une affaire mûrement réfléchie de défouloir pulsionnel, la précipitation à décréter une amitié « amoureuse » indique plus fondamentalement une peur panique d’être unique/seul, donc une haine de soi, un doute angoissant d’aimer et d’être aimé : « Tu as sûrement peur d’être toi, peur d’être seul. » (le frère Antoine à Malcolm, le héros homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 110) ; « J’ai beaucoup de mal à m’endormir seul. » (Thierry, l’homosexuel débauché, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche ; épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; « Personne ne supporte d’être seul. » (Russell, l’un des deux héros homosexuels du film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh) ; « Nobody will be alone. » (cf. un écriteau dans le film « Permanent Resident » (2009) de Danny Cheng) ; « Vous me faîtes rire tous les deux, à chercher l’amour comme si vous en aviez besoin, comme si vous n’existiez pas par vous-mêmes. » (Polly, l’héroïne lesbienne s’adressant à Simon et Mike, ses potes gays, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 36) ; « Tu as peur de mourir seul ? » (Roméo avant d’embrasser Johnny, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc.

 

Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le héros homosexuel crache sur ce qu’il nomme « l’atroce, la solitude ».

 

Beaucoup de héros homosexuels font une fixette sur leur célibat, qu’ils vivent comme une honte suprême : cf. le film « Footing » (2012) de Damien Gault, le film « Saint Valentin » (2012) de Philippe Landoulsi, le film « Plan cul » (2009) d’Olivier Nicklaus, le film « Eu Não Quero Voltar Sozinho » (« Je ne veux pas rentrer seul », 2010) de Daniel Ribeiro, la pièce Célibataires (2012) de Rodolphe Sand et David Talbot, la chanson « C’est la misère » de Dick Annegarn, etc.

 

Le personnage homosexuel passe son temps à se rassurer sur le fait (angoissant pour lui !) qu’il n’est pas unique ni seul : cf. la chanson « You Are Not Alone » de Michael Jackson, le film « Du Er Ikke Alene » (« Tu n’es pas seul », 1980) de Lasse Nielsen et Ernst Johansen, etc. « No eres el único. » (le héros du ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « Tu ne seras plus jamais seul. » (Adam et Steve dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; etc. Par exemple, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, François se travestit en Dalida pour chanter en play-back la chanson « Pour ne pas vivre seul ». Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le héros homosexuel suicidaire, a du mal à vivre « comme si la solitude était une richesse ».

 
 

C – d) Renoncement à l’abstinence et à l’amitié chaste :

Il sent bien, même s’il ne le conscientise pas forcément, que l’enjeu de la survie de l’amitié, c’est la chasteté. Il évoque à de rares moments la possible importance de l’abstinence/continence, seules capables d’empêcher le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour. Mais en général, c’est pour les tourner en dérision, ou ne pas s’en juger capable/digne : « Chers amis, chers ennemis de l’abstinence… » (l’un des personnages de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Bien des années plus tard, quand j’ai succombé à nouveau dans des circonstances où l’abstention s’imposait, j’ai bien été obligée de reconnaître que je suis d’une faiblesse consternante. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 187) ; « Je ne suis pas faite pour le renoncement. » (Isabelle, l’héroïne bisexuelle du film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion) ; etc.

 

Bien souvent, il crie avant d’avoir mal en considérant « la continence comme un cauchemar » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 22) Il ne la valorise pas : elle lui fait honte, alors même qu’il ne la connaît pas. « Sa chasteté était pire que celle d’une vierge. » (Reinaldo Arenas dans le film « Avant la nuit » (2000) de Julian Schnabel) Par exemple, dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier craint plus que tout d’être perçu comme un puceau.

 

Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, la chasteté est tournée en dérision par les héros homosexuels. Et même le prêtre « catholique », le père Raymond, n’ose pas proposer le célibat continent à son « couple » de paroissiens gays, Bryan et Tom, mais plutôt le compromis bancal de la « maisonnée conjugale chaste », de la « vie commune ». Toute la pièce met au pilori le célibat, et notamment le célibat sacerdotal : « C’est comment, d’être tout seul ?!? » (Tom interrogeant le père Raymond) ; « Mon père, personne ne comprend pourquoi il faut que les prêtres fassent ce vœu. » (idem) ; « Dites-moi ce que ça fait de dormir seul !! » (Bryan torturant psychologiquement le père Raymond) ; « Tu vas écouter un gars qui est assez con pour vivre en chasteté toute sa vie ? » (Irène, la sœur de Bryan, s’adressant à Tom par rapport au prêtre) ; « Voilà une manière courageuse d’assumer ses sentiments. Tous les deux, vous faites la paire ! » (idem) ; etc. Et le père Raymond est porté responsable de la rupture temporaire entre Bryan et Tom quand il les appelle à la « chasteté ». Les deux amants, au départ séduits par le discours spirituel de leur curé, se retournent contre lui : « En quoi la solitude est une chose sainte ? Moi, je me sens seul. Comment on fait pour que ça s’arrête ?? » (Bryan s’adressant au père) ; « C’est ça, la Clé du Royaume ? : mortifier le corps pour que notre âme s’élève ?!? » (Tom au père).
 

En réalité, on voit bien que la continence n’est caricaturée que par le personnage homosexuel qui n’en vit pas et qui s’en veut de ne pas l’appliquer comme il voudrait : « Je me félicitais de ma force de caractère chaque fois que je repoussais une sollicitation. Je ne comprenais pas qu’en croyant me libérer, je devenais de plus en plus esclave de mon orgueil. Chacun de mes triomphes sur moi-même, c’était un tour de clé que je donnais à la porte de mon cachot. » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), p. 139) Il préfère penser qu’elle est un moteur à frustration, bien plus dangereux encore que le passage à l’acte homosexuel avec un ami de confiance, ou qu’un banal « plan cul » (« sans conséquence » dit-il), parce qu’elle décuplerait les pulsions violentes en lui.

 
 

C – e) Le célibat libertin : un pastiche violent de l’amitié chaste

Le héros homosexuel, plutôt que de vivre vraiment l’amitié et l’abstinence, va les travestir et se donner l’illusion de leur expérience en englobant dans son discours célibat ponctuel et célibat de vie sous le même vocable fourre-tout et bonne conscience de « célibat ». Même s’il fait les 400 coups, il se targue de connaître la grisante liberté du célibataire ! Il s’agit pour lui d’un célibat choisi, donc forcément, à ses yeux, noble ! Or, ce qu’il omet de dire, c’est que son choix n’est pas fixe, ni durable, ni entier, et qu’il n’implique pas toute sa personne, comme le fait le célibat continent donné à Dieu, ou bien l’amitié chaste. Donc il ne le rend absolument pas pur ni libre.

 

« J’étais célibataire, c’est-à-dire que je ne couchais pas plus d’une nuit avec un garçon. » (Denis, l’un des héros homosexuels du film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Il y a des soirs où il faut que je baise avec un gars. […] C’est pour ça que je vis seul : tous les matins, je sais jamais comment la journée va finir. Même s’il s’est rien passé, je sais que la possibilité est là… » (Claude, le héros homo du film « Déclin de l’Empire américain » (1985) de Denys Arcand) ; « C’était un être qui avait été tellement seul qu’il avait toujours besoin de se trouver entouré, sans jamais avoir besoin de personne en particulier. » (Liz décrivant Willie, un des héros homos du roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 99) ; « On n’a pas de colocataire à 30 ans passés. On vit avec son amant ou avec sa sœur. » (Michael, le héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc. Il ne goûte pas, en réalité, aux joies du célibat durable.

 
 

Polly – « En fait, excuse-moi de te demander ça, mais t’es un mec seul, non ?

Simon – Non-non. Je choisis quand je veux être seul, mais si je veux, je m’entoure. Regarde, cette nuit je suis allé dans les labyrinthes de buissons au-dessus du Louvre, tu sais, la nuit, les mecs y baisent dans les fourrés. Ben j’étais pas seul.

Polly – Ah ouais ? Je me demande ce qui peut motiver un mec à aller se faire enculer en pleine nuit dans un parc…

Simon – Ben j’aime bien le sexe. Et puis comme ça chuis pas seul, tu vois.

Polly – Non mais attends, moi aussi, ça m’fout les jetons d’être seule. Mais tu peux pas me faire croire que t’es pas seul parce que la nuit tu vas dans un endroit où y’a plein de mecs qui sont seuls aussi.

Simon – Ben si. Ne pas être seul, c’est s’entourer de gens qui se sentent seuls, non ? »

(cf. dialogue entre Polly l’héroïne lesbienne et Simon le héros gay, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 16)

 
 

C’est à travers l’enchaînement à ses amants que le héros cherche paradoxalement sa solitude perdue. « Je me perds entre les buissons, je croise des garçons auxquels je n’ai pas envie d’agripper ma solitude. Regards fermés, gestes lents, comme des funambules suicidaires. Ils font l’amour debout, le jeans baissé sur les chevilles. Sur leur visage un air triste d’avoir abandonné le combat. » (Simon dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 14-15) Mais il se retrouve face au mur incontournable de l’unicité fondamentale de l’Amour. Et comme il tente de contourner l’obstacle du renoncement, il ne récolte qu’un éternel retour à l’isolement : « J’habite seul avec maman, dans un très vieil appartement rue Sarasate. J’ai pour me tenir compagnie une tortue, deux canaris et une chatte. […] À l’heure où naît un jour nouveau, je rentre retrouver mon lot de solitude. J’ôte mes cils et mes cheveux comme un pauvre clown malheureux de lassitude. Je me couche mais ne dors pas. Je pense à mes amours sans joie, si dérisoires. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « J’ai rencontré probablement les personnes les plus solitaires, pas par goût. C’est un type de relations qui les plongent chacun dans son coin. Les rencontres entre eux sont souvent très éphémères et très frileuses. » (l’Étranger à propos des homos, dans le roman Solitude (1962) de François Dolto) ; « Pour être homo, il faut une aptitude à la solitude. […] À 60 ans, quand on est gay, on n’a plus qu’une main. » (un homosexuel abandonné de tous et se justifiant de devoir se satisfaire sexuellement tout seul car il n’a plus de valeur marchande dans le « milieu homo », dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Je me demande si je suis fait pour la vie de couple. » (Vincent, l’un des héros homos de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Cette solitude à deux, ça devient… mon lot de fille à pédés. » (Mathilde s’adressant à son meilleur ami homo Guillaume, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Moi aussi, j’me sens seule. » (idem) ; « Je sais pas être avec quelqu’un. Je ne sais qu’être seul. » (Jacques s’adressant à son amant Arthur, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Le héros homosexuel, étant donné qu’il refuse de choisir (pour un temps et librement) le célibat, finit par le subir, et oscille donc entre deux trains de vie : celui du libertin et celui du vieux gars célibataire. Jour/Nuit/Jour/Nuit. Les fictions homo-érotiques regorgent de héros homosexuels devenus vieux garçon ou vieille filles (cf. Je vous renvoie au code « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. Suze dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa, Tanguy dans le film « Tanguy » (2001) d’Étienne Chatiliez, le sketch La Solitude de Muriel Robin, le film « Le Placard » de Francis Weber, etc. « Si tu continues comme ça, tu finiras vieille fille. » (Louison s’adressant à Sidonie, l’héroïne lesbienne, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « T’es qu’une vieille fille manquée ! » (Léopold parlant à sa femme Marie Lou, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; etc. Par exemple, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, le mathématicien homosexuel Alan Turing vit seul et dans un tel laisser-aller qu’il dit qu’il aurait besoin d’une femme de ménage.

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’obsession du héros homosexuel pour une vie en solitaire est le revers de médaille d’une vie libertine obéissant au diktat de la couplisation généralisée de la société. Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les « pères » homosexuels de Gatal (le héros homosexuel vieux garçon), sont de véritables despotes avec leur fils unique : ils téléguident sa vie à sa place pour qu’il ne soit plus célibataire et qu’il procrée avec un homme : « Ça ne peut plus durer. Ça rime à quoi ?? » Ils sont la caricature de l’obsession sociale pour le couple. Mais le plus incroyable, c’est que le seul couple gay d’« amour » qui se formera dans la pièce va être rendu impossible, d’abord à cause des pressions alentours, mais aussi parce que ceux-là même qui essaieront de le former sont anti-couples : Gatal et son fiancé voulaient rester célibataires toute leur vie, et dénoncent le fait que leur société « considère le couple comme une unité indivisible ».
 
 

C – f) Les dégâts de l’amitié amoureuse

En général, dans les fictions, l’inversion entre l’amour et l’amitié est beaucoup plus douloureuse et dramatique que les deux anciens amis/nouveaux amants ne l’avaient prévue au départ : et du côté de l’ami qui n’aime pas son confident du même amour que lui, et du côté de l’amant qui se retrouve seul avec des sentiments non-partagés, et enfin pour les deux amis qui vivent une expérience charnelle qui dit un amour que la réalité de leur corps aurait dû arrêter mystérieusement à l’amitié. L’amour et l’amitié n’étant pas des amours de même nature (même s’il existe des croisements entre eux), leur uniformisation forcée crée fatalement des décalages, des incompréhensions, des déceptions, des frustrations, des souffrances, et des violences parfois réelles. La mixture entre amitié et passion dénature à la fois l’amour et l’amitié. Et ce détournement transgressif, d’abord inédit, ludique, puissant et séduisant, se retourne en général contre les deux amis apprentis sorciers. L’un d’eux se durcit, devient tyrannique et possessif ; l’autre a peur, ou bien se ramollit en voyant ses sentiments d’amour redevenir à nouveau juste amicaux. « Il faut que vous sachiez, Vincent, que j’ai, de l’amitié, une conception un peu, voire tout à fait, tyrannique et possessive. » (la figure de Marc Proust à son amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 91)

 

Les amitiés « particulières » (les bien nommées, tant elles réservent bien des mauvaises surprises !) des fictions homo-érotiques se chargent souvent de la violence des passions criminelles et fanatiques. Par exemple, dans le film « The Burning Boy » (2000) de Kieran Galvin, c’est le glissement de l’amitié à l’amour qui est très mal digéré par l’un des deux amants, et qui finit en incendie mortel pour l’autre. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, l’amitié prof/élève va virer à l’obsession et au fanatisme destructeur chez la jeune Juliette, qui s’insère de manière intrusive dans la vie intime de Madame Solenska. Dans le film « Heavenly Creatures » (« Créatures célestes », 1994) de Peter Jackson, les deux héroïnes Juliet et Pauline vont vivre une amitié passionnelle particulièrement destructrice, criminelle. Dans le film « Libertango » (2009) de Sara Hribar, Tamara est épuisée par la possessivité de sa colocataire Julija.

 

Dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago, l’« amitié pleine de tendresse » que partagent Agathe et Fanchette, une fois qu’elle s’actualise par des gestes amoureux à la fois consentis et forcés (c’est Agathe qui franchit le pas que Fanchette n’aurait jamais voulu faire : « Tu parles encore d’amitié quand c’est l’amour que tu m’inspires ??? » dit la première), se métamorphose en véritable damnation, en perte irrévocable de l’innocence, en déshonneur : « Oui, c’est vrai ! Notre amitié n’est pas innocente ! » s’exclame Fanchette, en pleurs, épouvantée par le massacre de l’amitié qu’elle et son amie viennent d’opérer.

 
 

C – g) Solitude à deux :

Le véritable drame qui frappe le couple homosexuel fictionnel, c’est un drame personnel au fond, qui ressemble à une « cruelle ironie » du Réel, mais qui n’est en fait que le reflet de la violence que chacun des membres du couple a fait au Réel en s’éloignant de Lui ! Fuyez la Solitude et Elle revient au galop, mais cette fois sous la forme du désagréable spectre de l’isolement, un spectre d’autant plus invisible qu’il a pris l’apparence corporelle et chaleureuse de la compagnie conjugale ! Le couple ne règle pas le minimum d’amour de son unicité que le héros se devait à lui-même, et que le partenaire aura du mal à fournir.

 

Avant d’être en couple, chacun des deux amis voulait en théorie combler le vide horrible de son célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans sa vie, il étouffe, devient imbuvable, se demande pourquoi on ne lui fiche pas la paix, pourquoi il ne s’est pas contenté de l’amitié ! « Ah, Pietro […] J’aurais dû te regarder vivre de loin, avec des jumelles, rester seulement un bon ami. Mais j’avais besoin de ton odeur comme cible de mon regard, l’as-tu jamais compris ? » (le narrateur homosexuel s’adressant à son amant, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, pp. 23-24) ; « I can’t believe it took me quite so long to take the forbidden step. Is this something that I might regret ? […] I thought that we would just be friends. Things will never be the same again. » (cf. la chanson « Never Be The Same Again » de Mel C. et de Lisa Left Eye Lopes ; traduction : « Je ne peux pas croire qu’il l’a fallu si longtemps pour franchir le cap interdit. Est-ce qu’il y a quelque chose que je regrette ? […] Je pensais que nous serions juste amis. Les choses ne seront plus jamais pareil. »)

 

Au fond, il existe un certain nombre de héros homosexuels qui expriment la nostalgie de l’amitié, la vraie, celle qui ne franchira pas la limite de l’amour charnel : « Parfois, nous oublions combien l’amitié est importante. » (Marcos, le personnage homo de la série télévisée espagnole Amar En Tiempos Revueltos (2005) de Rodolf Sirera, sur la chaîne TVE) ; « C’est important les amis. » (Zize, le travesti M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; etc. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle l’amitié est autant chantée dans les fictions homosexuelles (cf. je vous renvoie à la partie « la bande de copains gays » du code « Milieu homosexuel paradisiaque » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le roman À l’amitié (1937) de Francis Carco, le film « Giallo Samba » (2003) de Cecilia Pagliarani, le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, etc. Certains personnages homosexuels en arrivent même à avouer cyniquement qu’ils se sentent plus eux-mêmes avec leurs amis qu’aux bras de leur copain !

 

On touche là au paradoxe de ce qu’on pourrait nommer « la solitude à deux ». Beaucoup de héros « casés » ont l’impression d’être encore plus seuls en couple qu’à la période où ils étaient officiellement célibataires, comme si la structure du couple homosexuel les avait isolés encore davantage que leur célibat : « Après ma nuit avec ma cousine, rien de tout cela, sinon un sentiment d’inachevé et de solitude. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 72) ; « Seul, tu vis comme à deux, quand tu y repenses ! Moi, je vis comme pour deux ! » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « J’en apprends plus sur toi en une matinée qu’en un an ! En fait, je réalise que je ne sais rien de toi. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 418) ; « Au fond, je ne te connais pas aussi bien que je le crois. » (Stéphane s’adressant à son ex-amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Tu m’as ignoré, oublié, écarté. Tué. Tu ne m’as même pas regardé, Khalid, tu n’as même pas cherché à me prendre avec toi par les yeux. Non. Tu es resté tout seul dans ta gloire. Tout seul dans ton moment. Égoïste. Égoïste. Tu étais égoïste, Khalid. Et j’étais seul. Seul et à côté de toi. Seul et toujours accroché à toi… » (Omar s’adressant à son amant Khalid, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 132) ; « Moi je sais qu’Héloïse m’aime, mais je suis seule. Même s’il s’agit d’un lieu commun, de ces lieux communs que j’ai impitoyablement pourchassés, je pense qu’on est toujours seul. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 408) ; « Une bande de tout seuls ensemble : voilà ce qu’on est ! » (Marie Lou dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie-Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Voilà à quoi j’en suis réduit… toujours tout seul. » (Matthieu attendant son copain Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Je dois pas être fait pour la vie de couple. » (Jean-Louis dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; « Nous n’avons pas d’amis, Frank. Et nous n’en aurons jamais. » (Bill s’adressant à son amant Frank, dans la série The Last of Us (épisode 3, 2023) de de Neil Druckmann et Craig Mazin) ; etc.

 

Dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion, Loïc et Sébastien, pourtant en couple, ne se considèrent comme uniques et accompagnés que lorsque leur meilleure amie Marie, la parfaite « Fille-À-Pédés », vit au milieu d’eux. Sinon, c’est la grande déprime : « Je me sens seul… » soupire Loïc. « Moi aussi… » rebondit Seb. « Comment ça se fait qu’on se sente seuls ? On est deux… » s’étonne Loïc.
 

Il est intéressant de voir que, contrairement à l’idée reçue selon laquelle on serait isolé que si on n’est pas en couple, la solitude, ou mieux dit l’isolement, est souvent ressentie par les personnages homosexuels non dans le célibat mais précisément en couple homo : cf. le film « Being At Home With Claude » (« Seul, avec Claude », 1992) de Jean Beaudin, le film « Together Alone » (1991) de P. J. Castellaneta, le film « Together Alone » (2014) de Mateo Guez, le film « Como Ser Solteiro » (1997) de Rosane Svartman, la chanson « Les Uns contre les autres » de Marie-Jeanne dans la comédie musicale Starmania de Michel Berger, le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot, etc.

 

« Il jouit en moi comme il s’en retire, sans un bruit, sans un regard pour moi, sans un mot ou un geste. Je le regarde partir se laver dans la salle-de-bain dans une odeur de merde chauffée, le cul endolori, la bite encore dure, avec un sentiment violent de frustration. Il revient, s’installe pour dormir, me repousse quand je veux me coller à lui en m’expliquant ‘Ah non, ça m’empêche de dormir, d’avoir quelqu’un collé à moi. » (Mike, le narrateur homosexuel par rapport à son amant Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 98)

 

L’isolement peut être vécu/construit non seulement individuellement mais aussi conjointement par les deux amants du couple, qui se replient sur eux-mêmes : « Nous étions sauvages, ne nous mêlions pas aux autres. » (Cécile en parlant de son couple avec Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 41) ; « La plupart des gens étaient au courant désormais. Je cessai de voir les amis que j’avais, et eux non plus ne me donnèrent bientôt plus signe de vie. Ils ne me manquaient pas, Sylvia suffisait à me combler. » (Laura, l’une des deux  dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 45) ; « On n’a pas d’amis. On est trop snobs pour ça. » (Mitchell et son copain Alex, dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane)

 

Dans le cas du héros homosexuel qui va « voir ailleurs », son infidélité est le signe de ce refus d’être unique, et de son expérience d’un incompréhensible et pourtant véritable isolement dans son couple : « Il [Adrien, le héros homo] considérait d’ailleurs la fidélité sous un jour nouveau. La sexualité masculine conservait toujours quelque chose d’animal. Ni la tendresse ni l’amour – ce que transmettent les femmes – ne parvenaient totalement à dompter la puissance d’un désir brut, primitif, captivant. Ce désir de pénétrer et d’envahir la différence de l’autre ; de ne pas laisser la proie s’échapper. Car c’est elle, la proie, qui donne l’impression d’exister mieux. Elle est comme une extension de soi, un poids ajouté au sien. Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. Tous finalement refusent leur solitude, leur finitude, leur désert. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 51) ; « J’me sentais toute seule [‘avec toi’, ou ‘dans notre couple’]. » (cf. une phrase que répète plusieurs fois, éplorée, Adèle à son ex-compagne Emma, pour se justifier de lui avoir été infidèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION :

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

A – L’ISOLEMENT SUBI :

Film "Alone : Queer Lisboa" de Russell Sheaffer

Film « Alone : Queer Lisboa » de Russell Sheaffer


 

Beaucoup de personnes homosexuelles parlent de la solitude. Cela revient comme une marotte. « Nous étions tous de grands solitaires certes ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 105) ; « Toute ma vie, j’ai été très seul. Je ne dis pas ça pour me victimiser. Je kiffe trop ma solitude. » (Mateo, homosexuel et séropositif, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; etc. Par exemple, dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon dit que pendant ses années étudiantes ses chanteurs préférés ont donné corps à son sentiment d’isolement identitaire et affective : « La chanson de Françoise Hardy ‘Tous les garçons et les filles de mon âge’ semblait avoir été écrite pour évoquer la solitude des gays). » (pp. 99-100) Dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta, Paul, un témoin homosexuel suisse, se plaint de « l’isolement » qu’induit la condition homosexuelle : « L’intimité n’existe pratiquement pas. »

 

On entend de la part des personnes homosexuelles un grand sentiment de solitude, qui correspond bien souvent à un isolement amical concret, subi, et qui remonte parfois à l’enfance : cf. le docu-fiction « N’importe où hors du monde » (2012) de François Zabaleta (racontant l’histoire d’un enfant de 8 ans, muré dans son sentiment d’être différent des autres) « Mes souvenirs d’enfance sont rarement roses et mon adolescence a été difficile à vivre. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 12) ; « Matthew se sentait vraiment seul. » (un ami de Matthew Sheppard, dans le docu-fiction Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman) ; « Le problème n°1, c’est de sortir de la solitude. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « J’avais l’impression d’être complètement seule au monde. » (Noémie, jeune témoin lesbienne de 20 ans, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010) ; « Mon maître d’école fit remarquer à mes parents que je souffrais d’un manque d’affection et de tendresse qui démontrait à ses yeux, l’évolution d’une personnalité renfermée, amère, et presque sauvage. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 21) ; « Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J’ai connu la peur et la terrible solitude, les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretto) ; « J’étais plutôt rejeté. » (Jean-Paul Gaultier, le couturier racontant qu’adolescent, il venait trouver refuge chez sa grand-mère pour échapper à l’ambiance pesante à l’école et au collège) ; « Dès la maternelle, collé au instit, pendant la récré j’étais en échec scolaire, un élève très sensible instable, ayant peur de tout et du regard des autres. J’ai redoublé le CP et j’ai eu la colère de voir mes camarades passer d’un niveau alors que moi je restais dans la même classe, j’étais le rejeté, l’exclu de mes frères et sœurs qui ne comprenaient pas pourquoi je n’étais pas avec eux et ils me regardaient tous. » (cf. le mail d’un ami, Pierre-Adrien, 30 ans, juin 2014) ; « Face à mes bouffées de stress matinales, ma mère avait fini par s’inquiéter et appeler le médecin. Il avait été décidé que je prendrais des gouttes plusieurs fois par jour pour me calmer (mon père s’en moquait ‘Comme dans les asiles de dingues’). Ma mère répondait, quand la question lui était posée, que j’étais nerveux depuis toujours. Peut-être même hyperactif. C’était l’école, elle ne comprenait pas pourquoi j’accordais tant d’importance à ça. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 64) ; « Retarder artificiellement le moment de l’arrivée dans la cour de l’établissement puis dans le couloir. » (idem, p. 66) ; « Jamais je ne parvins à complètement m’intégrer aux cercles de garçons. Nombreuses étaient les soirées où ma présence était soigneusement évitée, les parties de football auxquelles on ne me proposait pas de participer. » (idem, p. 121) ; « La présence de ce téléphone, noir et fixe, m’horripilait. Avoir une conversation privée était impossible ; tout le monde entendait ce qu’on disait. J’avais l’impression qu’un espion nous guettait en permanence. […] Il ne m’apportait jamais de bonheur ; jamais la voix de mon père, en vain attendue ; jamais la voix d’un ami de lycée ; jamais le flux de la vie. Bête malfaisante tapie au centre géométrique de l’appartement, il ne pouvait transmettre que de mauvaises nouvelles. » (Dominique Fernandez, Ramon (2008), pp. 43-44) ; « Tapette : seule. Trav : seule. Seule. Seule. Seule. Seule. […] J’ai peur d’être seule, d’être exclue. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

Dans le film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, dit avoir vécu un véritable calvaire en pension chez les frères des Écoles Chrétiennes : « Ils étaient 119 sur moi ! »

 

Il est souvent question, dans les oeuvres homo-érotiques, de la trahison amicale. Par exemple, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Zoé trahit sa meilleure amie Clara, alors que c’était elle qui à la base l’a poussée à être lesbienne et avait éveillé en elle un désir homo : « J’t’aime plus, Clara. J’ai fait l’amour avec Sébastien. À cause de toi, j’ai failli faire une croix sur les garçons. C’est toi qui as un problème avec les mecs. Pas moi. »

 

La carence d’amitiés s’explique soit par un climat d’oppression sociale particulièrement violent et puéril, soit par une surprotection parentale et incestueuse : « Je me souviens que je restais toujours près de ma mère sur l’herbe. J’étais rassuré. J’étais spectateur, je regardais les autres jouer au loin. J’étais hors jeu. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 17) ; « Pas un ami. » (le dramaturge français Jean-Luc Lagarce dans son Journal 1977-1990) ; « En ce qui me concerne, jusqu’à l’âge de cinq ans, où j’ai été scolarisée, il m’était impossible d’échapper au climat délétère de la maison, impossible aussi d’apprendre à vivre avec les autres, ceux de mon âge, auxquels il faudrait pourtant bien que je me confronte le jour venu. Je n’ai pas pu non plus me réfugier dans les bras d’une grande sœur quand ma solitude était trop lourde à porter. Mes aptitudes à la relation à l’autre s’en sont ressenties. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 39)

 
 

B – L’ISOLEMENT RECHERCHÉ ET LA SOLITUDE MASSACRÉE :

 

B – a) Mépris de l’amitié vraie :

L’homophilie est une structure psycho-affective, une tendance ou, si l’on préfère, une période de latence occupant les six ou sept premières années de l’enfance. Il est donc courant qu’elle soit confondue avec des amitiés fortes vécues à cette même période, ou alors qu’elle se crispe et se fige en désir homosexuel profond par manque d’amitiés fortes justement. « Pendant des années, je me disais : ‘Non non, je confonds l’amitié avec le sentiment amoureux. » (Noémie, jeune témoin lesbienne de 20 ans, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010)

 

Terriblement déçues par le manque d’amitiés, ou parce qu’elles attendaient trop d’une amitié sublimée, beaucoup de personnes homosexuelles se mettent à maudire leurs camarades, leurs pairs ou leurs contemporains. Elles ont un passé lourd avec certains de leurs anciens amis. « J’affirmais, non sans un brin d’ironie, qu’un ami, ce n’était pas forcément la complémentarité d’un autre ami mais aussi sa propre complémentarité. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 59)

 

Par exemple, dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), Frédéric Mitterrand parle de son problème de sociabilité, du « malaise ressenti au contact de ses camarades » (p. 113). Quant à l’écrivain Jean Genet, il rejette ouvertement les amitiés. Il finit par se fâcher avec tous ses proches. « Pas d’amis, surtout pas d’amis. » (Jean Genet en 1952, cité dans l’article « Jacques Guérin : Souvenirs d’un collectionneur » de Valérie Marin La Meslée, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 70) ; « Il n’avait pas d’amis, il n’en voulait pas. Genet ne pouvait s’accrocher longtemps. » (idem, p. 72) La paranoïa de Violette Leduc lasse jusqu’à ses meilleurs amis. Virginia Woolf prend systématiquement ombrage de la réussite et du bonheur des autres. « Pour moi, écrit-elle un jour au poète Stephen Spender, les écrivains vivants sont comme des gens qui chantent dans la pièce d’à côté, trop fort, trop près… Je suis exaspérée dès qu’ils sortent un peu du ton, comme s’ils m’empêchaient de chanter ma propre chanson. » (Virginia Woolf citée dans l’article « Joyce, D.H. Lawrence et les autres » de Françoise Pellan, sur le Magazine littéraire, n°275, mars 1990, p. 53)

 

L’amitié est en général un terrain sur lequel les personnes homosexuelles sont arrivées assez tard, et qu’elles associent à la trahison. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains auteurs homos traitent directement de la trahison amicale, que ce soit par le biais du témoignage ou celui de la fiction : cf. l’autobiographie À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990) d’Hervé Guibert, le roman Termina El Desfile (1980) de Reinaldo Arenas, le film « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure, le film « Le Club des cœurs brisés » (2000) de Greg Berlanti, etc.). Par exemple, le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot assassine l’amitié, la dépeint comme un véritable panier de crabes. D’ailleurs, son auteur avoue que les trahisons amicales qu’il a connues durant ses années d’études ont vraiment servi de support à l’intrigue. Le même constat amer peut être fait chez le dramaturge argentin Copi. S’il y a un sentiment qui manque dans son œuvre, c’est bien l’amitié (la seule histoire d’amitié qu’on trouve dans toutes ses pièces, c’est celle entre Silvano l’ancien de 100 ans et le jeune Indien Pelito dans le roman La Vie est un tango, 1979). Tout nous porte à croire que l’homosexualité est un signe parmi beaucoup d’autres indiquant que l’amitié est en perte de vitesse dans nos sociétés contemporaines. De plus en plus de media nous présentent l’amitié femme-homme et la camaraderie entre semblables sexués, comme utopiques, impossibles, hypocrites, risibles, ou douteuses.

 

Par certains aspects, je comprends un peu la méfiance des personnes homosexuelles vis à vis de l’amitié, car elle se justifie en partie. C’est surtout à cause de l’amitié et en son nom qu’elles vivent parfois des amitiés amoureuses douloureuses et trompeuses, mais aussi que notre société bien-intentionnée ne voit pas souvent la violence de ce qu’elles vivent en « amour ». L’amitié est une richesse qu’elle emploie mal, le miroir à double tranchant, la couverture idéale de la société hétéro-gay friendly-homophobe (combien d’« amis » des personnes homosexuelles confondent leur relation avec elles et ce que celles-ci expérimentent dans leur « couple »…!).

 
 

B – b) Misanthropie/mépris du collectif :

L’isolement a pu commencé sur les bancs de l’école. « Je me sentais seul, du primaire au collégial. Je n’allais avec aucun groupe. Aller danser avec une bande d’hétéros ne me disait rien ; je cherchais une identité, un point d’attraction, mais rien ne se présente. J’avais pas un sentiment d’appartenance avec les gens de ma classe, ou même avec les gens de mon école. J’étais à part des autres. J’aimais surtout pas aller en éducation physique. J’ai jamais aimé ça. Dès le cours primaire, on peut être tellement méprisé. Je jouais à la corde à danser, aux élastiques avec les filles. » (un témoin homosexuel de l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 67) ; « Le reste de sa jeunesse de collège, au sortir de cette douleur, il le consacre à lui-même, dans un fabuleux égoïsme : ‘Autrui est tout à fait insupportable. La seule compagnie possible est soi-même. S’aimer soi-même est le commencement d’un grand amour.’ écrit Oscar Wilde trente ans plus tard. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 171) ; « J’ai souffert des autres pendant cette période. […] J’ai compris à quel point le monde est injuste. […] À partir de 14 ans, je me suis progressivement volontairement coupée des jeunes de mon âge, jusqu’à finir dans un isolement complet en prépa. J’étais devenue une fille repliée sur elle-même, asociale, complexée, effrayée de tout. » (cf. l’article « Tomboy à l’affiche » de Bab El) ; etc.

 

Pier Paolo Pasolini aux vestiaires de foot

Pier Paolo Pasolini aux vestiaires de foot


 

C’est tout un symbole que le foot, le sport collectif par excellence le plus social et accessible à tous, soit rejeté par beaucoup de personnes homosexuelles (et si les femmes lesbiennes se dirigent en masse sur les stades, ce n’est pas d’abord pour des raisons relationnelles et conviviales, mais prioritairement par fantasme identificatoire au machisme) : « Détestant les sports d’équipe, je réussis à presque tous les éviter à St Albans. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 121) ; « J’ai quatorze ans. Je ne suis pas très grand, plutôt frêle car je prends bien soin d’éviter les clubs de sport et je multiplie les excuses pour être dispensé des cours d’éducation physique au collège. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 18) ; « Je ne voulais pas vraiment d’amitiés masculines parce que, visiblement, la majorité des garçons était plus douée pour le football que pour autre chose. Sur quelles conversations aurions-nous pu trouver un terrain d’entente ? Je n’avais jamais touché à un ballon… » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 47) ; « Mon père pensait que le football m’endurcirait et il m’avait proposé d’en faire, comme lui dans sa jeunesse, comme mes cousins et mes frères. J’avais résisté : à cet âge déjà je voulais faire de la danse. […] Dans les vestiaires, je découvris, avec horreur et effroi, que les douches étaient collectives. Je suis rentré et je lui ai dit que je ne pouvais pas continuer ‘Je veux plus en faire, j’aime pas ça le football, c’est pas mon truc’. Il a insisté quelque temps, avant de se décourager. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 31) ; « J’aimais pas tout ce qui était sport en équipe – foot – c’était pas du tout mon truc. » (Tony, jeune témoin homo, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Quand ils ont renoncé leur homosexualité, leurs proches les ont rejetés » diffusée sur France 2 le 8 juin 2016) ; etc. Par exemple, dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon parle de sa « détestation des soirées où l’on regardait les matchs de football à la télévision » (p. 58). Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Christian, un des interviewés homos, dit son appréhension des salles d’éducation physique, sa peur des douches collectives où l’angoisse d’être identifié comme « désirant homosexuel » est vécue comme un cauchemar : « C’est extrêmement difficile à vivre. […] J’ose à peine regarder les autres. […] Quand c’était intime, j’étais dans le malaise. » Dans cette vidéo, le directeur de Change.org en Espagne, Francisco Polo, raconte que traumatisme et le grand sentiment de solitude qu’a été ce moment où on l’a forcé à jouer au foot avec ses camarades : il décrit cet épisode comme la crise originelle de son homosexualité.

 

Pour ce qui est de mon cas personnel, quand j’étais adolescent, je ne jouais au foot que lorsque j’y étais obligé, c’est-à-dire en cours de sport (collège/lycée) ou lors des activités extra-scolaires. Et l’ambiance dans les vestiaires, comme sur le terrain, constituaient pour moi une épreuve. Concrètement, ça me fichait le bourdon, et je faisais tout pour ne pas montrer mon corps ni pour développer mes capacités sportives et relationnelles dans le sport. Lors de la constitution des équipes, j’étais presque toujours choisi en dernier. Pendant les matchs de basket ou de football en équipe, je me mettais en défense et en retrait, planqué dans les goals. Et j’avais peur du ballon. Pour être exempté de sport, ou de piscine, il m’arrivait d’oublier mes affaires, de simuler une maladie, ou bien je prétextais un nez qui saignait, une foulure au pouce. Et parfois, je me faisais véritablement mal (aussi parce que je n’étais pas très téméraire et que je n’écoutais pas les consignes : j’y mettais de la mauvaise volonté à ne pas me dépenser jusqu’au bout dans l’effort ; je préférais prendre le rythme des filles et faire des cours de sport un prétexte pour papoter et ne rien glander). Étaient donc mêlés à ma hantise du football beaucoup de choses : haine de moi-même, peur des autres, misandrie voilée, paresse, dégoût, inaptitudes physiques objectives, etc. Certainement pas ma seule homosexualité (même si celle-ci est le prétexte désirant et identitaire facile que j’ai intégré intérieurement pendant des années pour ne pas m’avouer les merdes qu’elle cachait).

 

Film "Billy Elliot" de Stephen Daldry

Film « Billy Elliot » de Stephen Daldry


 

Une fois que le sujet homosexuel pratiquant arrive à l’âge adulte, sa peur méprisante des adolescents se mute souvent en mépris généralisé des êtres humains. La misanthropie (haine du genre humain) est une attitude que l’on retrouve très souvent chez lui : « Yves est quelqu’un qui a compris son époque mieux que n’importe qui, mais qui ne l’aimait pas. » (Pierre Bergé parlant de son amant Yves Saint-Laurent, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Il n’y a pas de problème de l’homosexualité. Notre problème, c’est les autres. En pays chrétien, bien entendu. Ce problème, il n’existe que dans les pays judéo-chrétiens. En dehors de cela, il n’existe pas. » (Nedra, homme homosexuel, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « Le seul problème que ça m’a posé était religieux. J’ai été chrétien. J’avais le sens du péché. Et donc ça m’a posé problème à cet égard. Jamais à l’égard de la société qui ne me paraît pas mériter tant de révérence. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « Bien entendu, je ne suis pas dupe. Je sais très bien que je sers d’alibi au Système. À la limite je sais très bien que je sers d’alibi – je peux être méchant ? – à une société que je déteste. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Comme le dit avec beaucoup de lucidité Alberto Mira dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), le « milieu homosexuel » finit bien souvent par constituer des « communautés de misanthropes » (p. 226).

 

On observe chez un certain nombre de personnes homosexuelles un passage de l’isolement subi à l’isolement choisi, comme si elles validaient intérieurement l’opprobre qui leur a été fait au collège : « J’ai été toute ma vie handicapée dans les relations avec les autres. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 40) ; « De toute façon, moi je n’ai jamais été dans le social. » (Catherine, femme lesbienne de 32 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 59) ; « J’ai tout le temps besoin de sécurité, de soutien, très négatif, pas d’avenir en vue, dépendant toujours de ma mère je vis toujours chez elle actuellement, l’inconnu m’effraie ainsi que les relations avec les autres, hommes ou femmes. Je n’aime pas me mélanger aux autres, j’ai très peu d’amis, rien ne m’intéresse, tout est fade. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; etc.

 

Après avoir été rejetées, certaines se mettent à rejeter… même si elles présentent leur collaboration à la haine comme aussi naturelle et subie que l’exclusion première. « Au départ, la distance prise par un homo avec la vie sociale ordinaire correspond à une nécessité, avant de devenir un choix délibéré. Parce qu’il se sent mis à l’écart, il fait le choix de se mettre à l’écart. » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 217)

 

Une fois qu’elles arrivent à l’âge adulte, leur peur méprisante des adolescents se mute en mépris généralisé des êtres humains, en misanthropie donc : « Misogynie ? Mettons que je sois très sensible à un certain côté étroit et borné, superficiel et pesamment matériel tout ensemble, chez la plupart des femmes. […] Le mot misanthropie me semblerait plus juste, dans le découragement qu’il implique vis-à-vis des êtres humains quel que soit leur sexe, et souvent sans s’excepter soi-même. » (Marguerite Yourcenar, Le Coup de grâce, 1938) ; « Je ne sais pas m’accorder, ni accorder aux autres, ces plaisirs intermédiaires qui font la vie de tous les jours. C’est la raison pour laquelle je ne suis ni un être social ni sans doute, au fond, un être culturel ; c’est ce qui fait de moi quelqu’un de si ennuyeux dans la vie quotidienne. Vivre avec moi, quel ennui ! » (Michel Foucault dans son interview pour Stephen Riggins, 1983) ; « La société ne pardonne pas, et elle me donne la nausée. Nous vivons dans une société hypocrite et conservatrice. » (Antonio Toig, ex-carmélite, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 300)

 

En société, elles se posent souvent en outsider. Par exemple, l’homme de théâtre Denis Daniel évoque son « caractère misanthrope » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 31). On connaît l’isolement social et la « sauvagerie » de personnalités telles que Gastón Baquero, Federico García Lorca, Marcel Proust (qui ne supportait pas les bruits et qui avait tapissé sa chambre de plaque de liège « à cause de son asthme »), Raymond Radiguet, André Gide, Constantin Cavafis, William Burroughs, James Baldwin, Marguerite Yourcenar, etc. Le compositeur Érik Satie n’ouvre jamais son courrier. Virginia Woolf, Oscar Wilde, ou encore Luis Cernuda, se mettent à dos tout leur entourage. Dans son essai L’Infidélité : La relation homosexuelle en question (2009), Christophe Aveline parle de « notre société agressive et cruelle » (p. 37). Dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel, Stefan Sweig évoque son « sentiment de terrible solitude ».

 

En lisant la biographie de la romancière nord-américaine lesbienne Carson McCullers, on ne voit que difficulté à s’ouvrir aux autres. Dès son enfance, elle s’est enfermée dans « une solitude due à la fois aux principes familiaux (on ne l’autorise pas à jouer avec les enfants du voisinage) et à son propre caractère, assez peu sociable. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 32) ; « Carson McCullers demeure une jeune fille gauche, timide, farouche, renfermée, apparaît pour l’heure comme très peu conquérante et sûre d’elle-même. » (idem, p. 45) ; « Elle ne s’entend pas très bien avec les garçons et les filles de son âge. Elle ne sort pas avec les autres filles, elle ne flirte pas avec les garçons. Ses camarades d’alors la décrivent comme ‘excentrique’, ‘bizarre’. » (idem, p. 49) ; « Caractérielle, égocentrique, jalouse des autres écrivains, elle finissait toujours par se brouiller avec eux après s’être jetée à leur tête. » (idem, p. 210)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

La misanthropie homosexuelle est camouflée par deux attitudes : l’idéalisation des Hommes dans un humanisme désincarné et angélique, ou bien la victimisation et l’arrogance dans un « fanatique besoin d’indépendance » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 97). Beaucoup de personnes homos développent en général un très mauvais rapport aux groupes, y compris les groupes LGBT (elles se méfient à juste titre des effets pervers de la ghettoïsation homosexuelle). Elles se sentent vite submergées par l’« impression grave d’avilissement au seul contact des autres dans un dîner » (Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (2001), p. 191), voient les rapports sociaux comme une compétition à gagner ou à perdre en solitaire. Loin de se remettre toujours en cause dans le processus d’isolement, elles préfèrent se dire qu’on les a rejetées injustement « parce qu’elles étaient homosexuelles » ou à cause de leur destin d’élus maudits.

 

Cet éloignement des autres n’est pas d’abord délibérément méchant et cruel : il est surtout envisagé comme beau, parce qu’il se charge du désespoir esthétisé de la Drama Queen maudite « qui ne trouvera jamais l’amour », qui est une « victime incomprise ». Mylène Farmer, l’icône préférée des Français homos, est très forte pour ce genre de mises en scène : « Je m’éloigne de tout. Je suis loin de vous. » (cf. la chanson « Agnus Dei ») ; « Un précipice entre vous et moi. » (cf. la chanson « Effets secondaires ») ; « Je n’ai trouvé de repos que dans l’indifférence. » (cf. la chanson « Désenchantée ») ; « Mais tu ne pourras rien changer : côté sombre, c’est mon ombre. » (cf. la chanson « Et tournoie… »)

 
 

B – c) L’isolement sous le prétexte d’une différence homosexuelle dite « radicale » :

Grâce au désir homosexuel que le sujet homosexuel découvre en lui, une excellente excuse pour mettre l’amitié de côté, hors d’état de nuire, peut être trouvée : l’énonciation d’une nouvelle identité ontologique (« l’homosexuel »). « L’homosexualité n’est pas une marque de différenciation par rapport aux autres, mais plutôt le signe d’une opposition radicale aux autres. » (Benedetti Carla citée dans l’article « Pier Paolo Pasolini » de Gian-Luigi Simonetti, sur l’essai Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 305)

 

Le masque essentialiste de l’homosexualité, l’identité factice de « l’homosexuel » (présentée pourtant comme « naturelle » et « amoureuse »), semblent servir d’écran bien pratique pour ne pas revenir au problème originel de la question de l’intégration sociale, de la haine de soi, de l’isolement amical et de la peur des autres : « Vous m’avez toujours dit ‘Jérôme, t’as pas des masses de copains’. J’ai quelques amis, des amis formidables. Mais au niveau de potes, au niveau de m’intégrer dans un groupe, j’ai jamais réussi. Et vous m’avez toujours demandé ‘Pourquoi, Jérôme ?’. Longtemps j’ai pas su. Maintenant, je sais. Maintenant, j’aimerais en parler à ma famille car le temps a suffisamment passé. » (Jérôme faisant son coming out à ses parents, dans l’émission Jour après jour sur l’homosexualité, sur la chaîne française France 2, novembre 2000)

 

Le sentiment d’isolement n’est pas basé sur une différence anthropologique, mais sur une auto-dépréciation injustifiable, sur une victimisation étiquetée « destin homosexuel maudit » ou « amitié consolatrice entre homos », sur une diabolisation appelée « homophobie sociale » (et surtout pas « responsabilité personnelle et relationnelle » !) : « J’ai eu la chance de rencontrer Marc qui était aussi seul que moi. À partir du jour où nous sommes devenus amis, ma solitude a été moins lourde. » (l’essayiste lesbienne Paula Dumont parlant de son meilleur ami Philippe, gay de surcroît, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 172) ; « Lui dirais-je combien j’avais pu, adolescente, me sentir infirme, monstrueuse, vouée à jamais à la solitude quand je m’éprenais d’une fille de mon âge ? » (Paula à son amante Catherine, op. cit., p. 42) ; « Je devais admettre que Proust avait raison : les homosexuels n’étaient que des parias voués à une solitude irrémédiable, des parias sur qui personne ne poserait jamais un regard aimant. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 109) ; « On a vraiment l’impression d’être seul au monde. » (Brahim Naït-Balk parlant de son homosexualité dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; etc.

 
 

C – ISOLEMENT MAL COMBLÉ :

 

C – a) L’isolement sous le prétexte de la recherche d’amour homosexuel :

En plus de l’« identité homosexuelle », l’autre alibi trouvé par la plupart des personnes homosexuelles pour écarter l’amitié de leur vie, c’est bien évidemment la quête ou la découverte de « l’amour », c’est-à-dire le couple homosexuel. « Jean Genet ne croit pas en l’amitié. Il me dit un jour que c’est aussi creux que la fraternité ou l’universalité. L’amour, c’est autre chose, cela l’intéresse parce que ça se passe du côté de la mort. Il aime très peu de gens. » (Tahar Ben Jelloun, « Une Crépusculaire Odeur l’isole », dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 30)

 

D’abord, elles éjectent les amis de l’autre sexe, sous prétexte qu’ils ne l’attirent pas sexuellement, et qu’ils ne suffisent pas à remplir leur vie (si elles sont gays, elles se débarrassent donc de leurs amies filles ; si elles sont lesbiennes, elles s’éloignent de leurs amis garçons) : « Sur le plan de l’amitié, je m’entends très bien avec les femmes. Je les considère comme des êtres précieux, intouchables, c’est le cas de le dire en ce qui me concerne. Un je-ne-sais-quoi en elles me fait peur, je ne sais pas comment m’y prendre et je sens bien que je ne les rendrai pas heureuses, et que je ne serai pas à la hauteur. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 41)

 

Les amis en question, mis sur la touche, se rendent parfois compte qu’ils sont les dindons de la farce (cf. Je vous renvoie aux codes « Destruction des femmes », « Parricide la bonne soupe », « S’homosexualiser par le matriarcat », « FAP la « fille à pédé(s) », et « Duo totalitaire lesbienne/gay », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

L’amitié avec les membres de l’autre sexe est un moyen de les mettre à distance. Et ceci est vrai aussi dans les rapports entre les hommes gays et les femmes lesbiennes. En général, leur amitié – ou mieux dit, « la collaboration » – a tout l’air d’un petit arrangement entre potes intéressés par un même butin : la conquête amoureuse de l’Homme invisible tout-puissant (dans le cas des fictions), et la possession d’un maximum de droits légaux pour légitimer leur identité homo « éternelle » et la force de l’amour homo (dans le cas de la réalité). Au-delà de ça, il ne reste plus beaucoup de gratuité et d’amour entre eux. C’est pour cette raison que le duo fictionnel gay/lesbienne se présent souvent dans les romans et les films homosexuels comme un couple despotique ou associé dans le crime ; et dans le cas des amitiés lesbiano-gays réelles, on constate que l’absence de séduction entre les hommes gay et les femmes lesbiennes influe aussi négativement sur l’envie même toute simple d’être amis et de passer du temps ensemble. Derrière l’auto-injonction publicitaire et militante à la mixité, à la parité, et à la fraternité homosexuelle, les deux camps se séparent de plus en plus, ne font plus la fête ensemble, ne se rejoignent que dans les centres LGBT et pour les Gay Pride, s’utilisent comme bouche-trous aux soirées, se détestent en secret (puisque l’autre « camp » leur rappelle la différence des sexes qu’ils ont unanimement rejetée dans leurs amours).

 
 

C – b) Confusion entre amitié et amour :

Ensuite, la plupart des personnes homosexuelles trouvent un moyen beaucoup plus pervers et subtil pour faire mourir l’amitié, avec les gens du même sexe cette fois : c’est le désir de fusion, ou la projection amoureuse sur le meilleur ami ou des garçons de passage. Je dis « pervers » car le massacre de l’amitié se fait avec une grande sincérité, au nom de l’amour. « J’ai couché avec beaucoup d’hommes. […] Malgré tout, j’avais peur de l’intimité, de l’amitié. Je trouve encore difficile d’avoir confiance en quelqu’un. » (André, 33 ans, sodomisé sauvagement par son père à l’âge de 13 à 16 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 130) ; « Pasolini développait de vraies amitiés avec ces garçons borgatari : il jouait au foot avec eux, faisait des virées nocturnes avec eux, dansait et allait à la plage avec eux. » (cf. la voix-off du documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler) ; etc. Il est fréquent, dans leur discours, que le terme « amitié » et celui d’« amour » soient mêlés. En général, c’est pour que le degré d’engagement, pourtant différent selon le nature de la relation, soit ou amoindri (dans le cas de l’amour), ou excessivement rehaussé (dans le cas de l’amitié)… en tous cas inadapté au réel.

 

Chez beaucoup de personnes homosexuelles, l’amitié est presque systématiquement confondue avec l’amour. « Bien amicalement. À Philippe Ariño. » (cf. la dédicace que m’a adressée le romancier Tony Mark en envoyant son livre Le Kama Gay (2012) plein d’illustrations sexuelles dans ma boîte aux lettres, le 23 mars 2012) J’ose même dire que cet amalgame est le propre des relations amoureuses homosexuelles et hétérosexuelles : « Je fais l’amitié comme je fais l’amour. » (le romancier français Jean-Louis Bory) ; « La fraternité est le premier mot qui vient à Stéphane pour définir leur relation, comme un ‘amour-amitié’. » (Roger Stéphane, Parce que c’était lui (2005), p. 34) ; « Notre relation a évolué vers une sorte d’amitié amoureuse. » (Paula Dumont parlant de son amie Marie, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), pp. 93-94) Par exemple, dans son essai dit « scientifique » L’Invention de la culture hétérosexuelle (2008), Louis-Georges Tin parle des amitiés viriles au Moyen-Âge en termes d’amour : il insiste sur « la ferveur qui entoure ces relations viriles et sentimentales » et sur le fait que « cela suppose un sentiment plus fort que la simple amitié telle que nous la concevons aujourd’hui. » (Louis-Georges Tin, p. 17)

 

Il arrive parfois que les individus homosexuel tombent amoureux de leur meilleur ami : « Au lycée, à l’âge de 13 ou 14 ans, je me liai d’une étroite amitié avec un garçon de ma classe, fils d’un professeur de l’université, alors embryonnaire, de la ville. Il ne serait pas excessif de dire que j’étais amoureux de lui. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 173)

 

La confusion homosexuelle entre amour et amitié est d’abord le fruit d’une projection et des rumeurs d’une société à l’esprit mal placé, focalisée sur la génitalité et le cul plutôt que sur la gratuité des rapports humains, de la belle camaraderie homophile. Je dis « belle » car l’amitié seule, dénuée de génitalité et de sentiments ambigus, est, à mon avis, la manière la plus belle pour un sujet homosexuel de vivre l’amour avec ses semblables sexués, et qui plus est homosexuels. Il n’aimera jamais tant ses amis homosexuels qu’en les laissant à leur juste place d’amis sans jamais tenter l’amour avec eux. L’amour homosexuel, pour rester beau et aimant, s’arrête à l’amitié. Il ne peut aller plus loin. Les personnes homosexuelles doivent redécouvrir le pouvoir de l’amitié (étant entendu l’amitié chaste homophile – entre deux personnes homosexuelles, et l’amitié humaine au sens large – celle qui unit l’individu homosexuel à sa société). C’est la « Philia » grecque, ni totalement distincte et étrangère d’« Éros », ni semblable à Lui. Dans l’Allemagne des années 1920-1930, certains idéologues pro-homosexualité essaient de lancer des mots comme Lieblingminne, amour chevaleresque, et Freundesliebe, « amour d’amis », en référence aux temps féodaux. « Selon Adolf Brandt, l’amitié entre hommes était l’une des plus belles vertus allemandes. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 159-160)

 

Dans ses lettres à Atticus, Cicéron (- 106 av. J.-C. – 43 ap. J.-C.), à son époque, avait déjà critiqué les détournements de l’amitié par l’homosexualité : « Une telle coalition de mauvais citoyens ne doit pas se couvrir de l’excuse de l’amitié. […] Il faut d’ailleurs fixer les limites et les bornes de l’affection dans l’amitié. »

 

Je crois que l’amour se dissocie de l’amitié sans la tuer (la différenciation n’est pas rupture) ni l’absorber. Il existe à mon sens de réelles différences non-excluantes entre amour et amitié. L’amitié se caractérise par l’absence de rapprochements corporels propres à l’amour (baisers sur la bouche, étreintes et enlacements plus prononcés, mots connotés amoureusement, sensualité différente, etc.) ; elle implique dans une moindre mesure l’exclusivité, étant par nature un don moins total que l’amour. Une fois qu’elle se privatise et qu’elle rejoint la génitalité ou la passion, elle se dénature. Un vrai ami n’est jamais trop proche ni trop lointain. Il préserve de la tentation narcissique aussi bien que de la tentation schizophrène, autrement dit des deux excès des désirs homosexuel et hétérosexuel : la ressemblance ou la dissemblance radicales. L’amitié permet de transcender les âges, les générations, les sexes, chose que l’amour conjugal ne peut pas (l’amour crée la génération, mais ne peut pas être inter-générationnel… ou alors il devient incestueux, consanguin ; l’amour intègre le sexe, mais pas l’uniformité des sexes… ou alors il devient stérile, homosexuel, tourné sur lui-même). Autant dans une relation d’amour – entre un homme et une femme, ou entre un célibataire consacré et Dieu – il y a forcément de l’amitié, autant l’inverse ne fonctionne pas : il n’y a pas d’amour à proprement parler entre deux amis. S’il y a de l’amour, leur relation n’est déjà plus simplement amicale. Elle devient autre chose. L’amour enveloppe l’amitié ; mais l’amitié n’enveloppe pas l’amour. C’est une affaire de différence de puissance. L’amour est plus puissant, plus entier, et plus unique que l’amitié. L’amitié, quant à elle, a aussi une force, mais moindre par rapport à l’amour, moins entière, moins unique. On peut avoir plusieurs vrais bons amis, mais on n’aura qu’un seul vrai amour. L’amour implique le don entier de sa personne à une autre personne unique. L’amitié, en revanche, n’est pas un don aussi entier.

 

Adrienne Rich, Lillian Faderman, Michel Foucault, ou Roger Peyrefitte, avaient semble-t-il déjà défendue la beauté de l’amitié bien avant moi. La seule différence – et elle est de taille ! –, c’est que pour ma part l’amitié et l’amour, même s’ils partagent beaucoup de points communs, sont radicalement différents et ne s’expriment pas par les mêmes actes ; alors que du point de vue de ces intellectuels, le concept d’amitié, par sa volontaire imprécision, se réduit généralement à une réification – ils parlent d’« amitiés particulières » –, à « une relation sans forme » (Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie », 1981) qui permettrait de passer insensiblement des relations amicales aux relations amoureuses sans la nécessité de l’engagement de vie (et du respect de l’amitié justement !). Le mot « amour » ou le verbe « aimer » leur servent de rouleaux compresseurs de l’amitié. Et ce crime se dit toujours sous forme de poésie queerisante bon marché : « J’ai toujours été attirée par le fluide, les zones grises de l’intimité entre les personnes et, oui, j’ai personnellement eu l’expérience d’être amoureuse d’une amie, et ce n’est peut-être pas particulier aux lesbiennes, mais depuis un certain temps, j’ai des expériences amicales avec des femmes qui sont mes ex. Avec votre ex, il est possible de maintenir une relation saine, d’être amies, et de sortir. Beaucoup vont penser que vous êtes ensemble et c’est de là que l’idée est venue d’écrire le film ‘Jamie And Jessie Are Not Together’ (2011). » (la réalisatrice lesbienne Wendy Jo Carlton, citée dans le livret du 17e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, du 7-16 octobre 2011, p. 32)

 

Certaines personnes homosexuelles chantent les louanges de l’amitié (homosexuelle) qu’elles mettent en opposition à l’amour (hétérosexuel). Par exemple, dans son essai Jeux uraniens (1913), la photographe lesbienne Claude Cahun propose des méditations sur le narcissisme et les « amours-amitiés », en esthétisant quelque peu l’amitié : « Mieux que l’amour, l’amitié est un art. » (cf. le chapitre « Amor Amicitiae »)

 

L’amitié particulière que disent vivre les personnes homosexuelles ressemble à une amitié forcée, poussée, surnaturelle, s’écartant déjà de la simple amitié et n’étant pourtant pas assez forte pour être qualifiée d’amour. On les entend souvent appliquer au couple homosexuel les bénéfices qui n’appartiennent majoritairement qu’à l’amitié chaste : elles cherchent à atténuer les défaillances imposées par l’union homosexuelle par des avantages qu’elles pourraient très bien trouver hors de cette structure (en amitié notamment, lors d’un échange intellectuel profond, ou pendant la communion exceptionnelle des grands rassemblements humains) mais qu’elles attribuent à celle-ci pour se rassurer d’avoir fait le bon choix. Et en effet, je veux bien croire que le « milieu homo » ou la relation de couple a pu être l’occasion pour certaines de sortir du tunnel après une épreuve, de se prendre en main, de se faire des amis, ou de trouver le réconfort dans les bras d’un amant. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’amour homosexuel soit un idéal d’amour équivalent au couple femme-homme aimant ou au célibat consacré, ni la voie royale de l’émancipation.

 

En fin de compte, beaucoup de personnes homosexuelles n’aiment pas l’amitié car elle fait barrage à leurs pulsions sexuelles. Elles la présentent bien souvent comme une rivale, une hypocrisie, voire un dangereux signe d’« homophobie intériorisée ». L’être aimé résisterait à « l’évidence » de l’amour homosexuel, « ne s’assumerait pas » ! : « Ce qui crevait les yeux, c’était qu’elle me demandait une fois de plus, comme elle l’avait déjà fait en 1964 et en juin dernier, (ce n’était que la troisième fois !) d’avoir avec elle des relations platoniques. Eh bien, j’en avais assez de ce sempiternel scénario ! » (Paula Dumont en parlant de son « ex » Catherine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 183)

 

Plus pervers encore : La vraie amitié n’est pas célébrée par ces nouveaux chantres homosexuels de « l’amitié » (je pense à l’interview et au livre de Geoffroy de Lagasnerie). C’est devenu plutôt un alibi idolâtre pour revendiquer sa petite volonté individuelle despotique et pour s’opposer à l’institution étatique de la famille et prendre sa place (ce que fit, en son temps, l’Union Civile, donc le PaCS, en contractualisation l’amitié pour, au final, que celle-ci se substitue au mariage femme-homme… d’où la gravité du PaCS. La proposition de remplacer les allocations familiales par les allocations amicales n’a rien de nouveau). Je vous renvoie au récent débat indirect entre Geoffroy de Lagasnerie (et les deux membres de son « trouple amical » tyrannique : Didier Éribon et Eddy Bellegueule) et Charlotte d’Ornellas (excellente, sur ce coup-là).
 

L’amalgame entre amour et amitié, que constitue universellement la pratique homosexuelle, en plus d’être inutile et peu comblant, est dangereux, car c’est un entre-deux (entre amour platonique et amitié amoureuse) sur lequel rien de solide sur la durée ne peut être construit. Il fait en général beaucoup souffrir. « Nous n’existions plus ensemble. […] Bien pis, nous nous détruisions. […] Quel était le bon sens de cette forme d’amour ? Un amour-amitié ou un amour-passion. Certes, je ne voulais pas m’enfermer dans une définition. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa relation qui bat de l’aile avec Yoro, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 140)

 
 

C – c) Refus d’être seul = Refus d’être unique :

La confusion entre l’amitié et l’amour se caractérise par l’absence de liberté : elle semble en effet être le fruit de la précipitation, et donc de la pulsion : certains sujets homosexuels ont eu tellement peu d’amis d’adolescence ou de personnes du même sexe qui se sont intéressées à eux, que tout d’un coup, dès qu’un meilleur ami se présente, ils n’en reviennent pas, ils ne se laissent même pas le temps de l’amitié avec lui : ils se font des films et sautent sur la case « amour » ou « sensualité » !

 

Mais bien plus qu’une affaire mûrement réfléchie de défouloir pulsionnel, la précipitation à décréter une amitié « amoureuse » indique plus fondamentalement une peur panique d’être unique/seul, donc une haine de soi, un doute angoissant d’aimer et d’être aimé : « Je ne pouvais me résoudre à la solitude. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 155) ; « Je crois que la solitude est l’état le plus désolant que l’être humain puisse connaître. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Ce qu’il y avait entre nous, c’était quelque chose de bien plus fort, à savoir la peur de la solitude. » (Paula Dumont évoquant son couple avec Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 78) ; « Il faut être diablement fort pour aimer la solitude. » (Pier Paolo Pasolini, cité dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler) ; « J’aime pas du tout la solitude. […] Ça, j’aime pas être seul. » (Bernard, homosexuel, interviewé dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc. Le titre choisi dans l’essai De Sodoma A Chueca (2004) d’Alberto Mira pour parler du poète Federico García Lorca est à ce propos très signifiant : « L’Angoisse d’être unique : Lorca et la peur de la solitude » (p. 231).

 

Par exemple, Jean Genet présente « la solitude de chaque être et de chaque chose » comme « la blessure secrète » où s’origine son œuvre (Jean Genet cité dans l’article « L’Éthique de l’art » de Thierry Dufrêne, sur le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 64).

 

L’unicité ontologique de tout être humain, l’écrivain Michel Bellin va jusqu’à la baptiser « l’Hydre Solitude » dans son autobiographie Impotens Deus (p. 35). La solitude semble à ses yeux catastrophique, diabolique : « Comme je me sentais seul, dramatiquement seul, ce n’était qu’avec moi-même que je pouvais communier. » (idem, p. 62) ; « Je suis fatigué d’être seul, si seul. » (idem, p. 85)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Beaucoup de personnes homosexuelles passent leur temps à se rassurer sur le fait (angoissant pour elles !) qu’elles ne sont ni uniques ni seules, et que leur vie ne prendra sens que si elles trouvent au plus vite « quelqu’un » (cf. le site Internet « No Eres El Único – Isla De La Ternura » consacré entièrement à la culture homosexuelle. Faites un petit tour sur les chat gays d’Internet : vous en croiserez, des solitudes mal portées !)… alors que leur singularité est pourtant une réalité physique et aimante. Malheureusement, elles ont tendance à diaboliser la solitude : « Dans mon affreuse solitude, je ne pensais pas retourner à l’église. » (Jean Cocteau dans son Livre blanc, 1928) Cette croyance d’être une moitié d’Homme est menée à son paroxysme par les personnes transsexuelles, qui prétendent souvent vivre l’isolement littéraire de l’androgyne coupé en deux : « Quand on est trans, on déteste le manque. On veut être complet. Mais personne n’est complet. » (la femme transsexuelle F to M interviewée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)

 

Dans mon cas personnel, je connais beaucoup d’amis homos qui me ressortent sans arrêt le même disque pour justifier leurs recherches amoureuses (souvent peu fructueuses) : « Je ne peux pas rester seul. C’est clair. Je ne suis jamais resté seul. » En réalité, ils ne se sont jamais libérés de l’illusion sentimentale de former un couple homosexuel d’amour : « Sentimentalement, je n’ai jamais été seul. »

 
 

C – d) Renoncement à l’abstinence et à l’amitié chaste :

La majorité des personnes homosexuelles sentent bien, même si elles ne le conscientisent pas forcément, que l’enjeu de la survie de l’amitié, c’est la chasteté, et plus encore la continence (= abstinence pour Jésus) dans le cas précis de l’homosexualité. « Un des avantages de la chasteté, c’est que tu regardes hors de toi. Tu regardes vers l’extérieur, et tu te consacres aux autres. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check)

 

Dans son essai Repères éthiques pour un monde nouveau (1982), Xavier Thévenot propose pour les sujets homosexuels l’amitié continente en tant que force à valoriser (sans la magnifier à outrance) : « Si certains sujets peuvent, il est vrai, sublimer leurs pulsions et vivre une amitié dans la continence, ils sont je pense, fort peu nombreux. Pour faire un tel choix, il faut une force d’âme et un équilibre psychologique de fond peu ordinaires. » (p. 95)

 

Je partage cet avis. Le célibat, contrairement à ce que les media veulent nous faire croire (en nous présentant les individus célibataires comme des malades ou des « pauvres types »), ce n’est pas qu’une image, une simple case dans un formulaire administratif, une étiquette qui indique « c’est libre et prêt-à-consommer ». Au contraire, il constitue un état transitoire (j’insiste sur cet adjectif, car le célibat, en soi, s’il ne s’inclut pas dans un processus d’engagement d’amour à vie, n’a pas de sens) qui peut être tout à fait fécond si et seulement s’il s’oriente vers un projet d’amour durable. Une société sans célibataires – ou, ce qui revient au même, avec trop de célibats subis (c’est-à-dire des « célibataires sérieusement célibataires volant la civilisation, et ne lui rendant rien », comme l’a écrit Honoré de Balzac) – est une société moribonde et totalitaire : elle lutte contre l’ensemble de ses membres, étant donné que nous avons tous été ou serons un jour célibataires, parce que nous connûmes l’état d’enfants, et connaîtrons peut-être le statut de veufs, de divorcés, ou d’individus durablement sans partenaire. Le célibat volontaire n’est pas une fuite de la sexualité. Au contraire, dans le meilleur des cas, il en est une des nombreuses expériences. Dans tout acte qui grandit l’Homme, il y a sexualité. Il y a des formes de la fécondité de la condition célibataire qui peuvent se révéler dans d’autres domaines que celui de la stricte reproduction sexuelle : l’action sociale, la vie spirituelle, la création artistique, l’engagement politique, etc. Le célibat bien vécu nous fait découvrir que nous ne sommes pas tous appelés à remplir docilement les restaurants pour couples hétéros ou homos les jours de saint Valentin, ni les plateaux télé en forme de camembert. Les célibataires de désir prouvent par leur choix de vie temporaire que le « Couple » ne constitue pas le seul lien amoureux à privilégier en tant que ferment de cohésion sociale : ils montrent que les paires femme-homme ne seront jamais constituées que de deux solitudes, libres de se choisir sans perdre chacune leur identité et unicité, dans une inexacte complémentarité. En outre, ils se dissocient du couple femme-homme sans lui voler la vedette, ni s’écarter de son projet vital : dans certains cas, il n’est pas faux de parler de paternité symbolique ou adoptive des célibataires auprès des autres.

 

Les célibataires nous dévoilent finalement que, pour vivre une sexualité épanouie, que nous soyons accompagnés ou seuls, la chasteté doit avoir sa place. Ce mot, étonnamment galvaudé par les Hommes de notre temps – car ils confondent « chasteté » avec « abstinence » –, désigne la maîtrise libérante des pulsions sexuelles, et la juste distance que toute personne doit instaurer (entre elle et ses œuvres, elle et son partenaire amoureux, elle et les autres, etc.) pour respirer et aimer vraiment. La chasteté n’est pas, comme le laissent entendre nos sociétés actuelles, réductible à la privation de toute sexualité, ni à la fuite de plaisirs charnels diabolisés dans un platonisme déréalisant. Elle est au contraire une invitation à retourner à la sexualité, mais cette fois sans s’en goinfrer (ou s’en priver en s’en goinfrant), en lui faisant véritablement honneur. Aimer chastement, c’est renoncer à toute forme « incestueuse » (étymologiquement « non-chaste ») du désir, c’est-à-dire de jouissance dans laquelle serait dominant le rêve fusionnel de consommer l’autre, le vœu de supprimer la distance entre les corps et de considérer l’amant comme un objet. La chasteté n’est pas l’apanage des célibataires puisqu’elle est à vivre aussi en couple femme-homme, et en société. Elle peut prendre la forme de la continence, c’est-à-dire de l’absence de génitalité, mais pas seulement. Dans un couple femme-homme aussi, pour que la relation d’amour soit possible et vivifiante, l’espace que propose la chasteté doit être laissé vacant (sinon, le couple femme-homme aimant se transforme en couple hétérosexuel !).

 

Malheureusement, aujourd’hui, le célibat continent choisi, parce qu’il est mal expliqué ou mal compris, a en général très mauvaise presse. « Je suis contre les chastetés. » (cf. la chanson « Chaleur humaine » de Christine & the Queens) Il est assimilé à tort à une bondieuserie ou une orgueilleuse fuite de soi et des plaisirs du corps dans un héroïsme désincarné jugé dangereux et inutile. Par exemple, Magnus Hirschfeld est connu pour son anticléricalisme et son rejet de l’ascétisme chrétien.

 

Les personnes homosexuelles évoquent à de rares moments la possible importance de l’abstinence/continence, seules capables d’empêcher le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour. Mais en général, c’est pour les tourner en dérision, ou ne pas s’en juger capable/digne. Selon certains intellectuels, le terme « homophilie » serait « teinté d’hypocrisie » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir, 1996) et une « euphémisation esthétisante d’une préférence sexuelle » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 218) que seules les personnes homosexuelles âgées utilisent encore. Dans son article « Orthodoxie » (dans l’essai Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 299), Nicolas Plagne caricature la continence en la présentant comme une attitude orgueilleuse, masochiste, frustrante, et vouée automatiquement à l’échec.

 

En 1908, Weindel et Fischer distinguent deux catégories d’homosexuels : les sensuels « qui vont au commerce de la chair », d’une part, et d’autre part, les intellectuels qui se limitent, en l’accompagnant de caresses sans doute, « au contact de l’esprit ». « Ceux-là par haine ou fatigue du sexe peuvent devenir des abstinents, mais des abstinents aux gestes déréglés, aux passions désaxées, aux sentiments dévoyés. » D’où « un lyrisme exaspéré par l’abstinence sexuelle » (pp. 9-10).
 

Si l’on remonte jusqu’au bout la chaîne, on comprend que le mépris de la continence est au fond une haine déguisée des deux dons universels et entiers de sa personne qui rendent vraiment heureux sur cette Terre : le mariage d’amour durable entre deux personnes de sexe différencié, ou bien le célibat consacré à Dieu en vue des noces célestes. La continence apparaît comme une remise en cause de l’homosexualité, un sas vers ce qui est appelé caricaturalement « l’hétérosexualité ». Par exemple, quand la chanson « Luca Era Gay » du chanteur Povia est sortie en Italie (elle raconte l’histoire d’un garçon qui est passé « du côté obscur de la force » après s’être cru homo), cela a été le tollé général dans les associations LGBT italiennes. Le célibat, cette phase de liberté, de réflexion, de pause, apparaît comme une transition « dangereuse » aux yeux des extrémistes de l’identité homosexuelle, parce qu’elle ne dirigera pas forcément les personnes bisexuelles vers la sacro-sainte « Vérité de l’homosexualité ».

 

Les sujets homosexuels qui à une période de leur vie se sont (mal) imposés de vivre la continence, se sentent à présent obligés d’en faire une grossière caricature pour se venger d’eux-mêmes et de leur pastiche raté. « Je ne suis pas fait pour la fête. Je ne bois pas. Je ne fume pas. Je suis calviniste sans être protestant. Je ne couchais pas avec Jacques de Bascher. C’était un amour absolu. » (Karl Lagerfeld dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) Mais c’est de l’hypocrite application du célibat (ou de sa fuite après tout) dont ils parlent, et non de sa concrète et épanouissante expérience ! Car les rares individus homosexuels qui ont décidé de vivre leurs penchants homosexuels dans un célibat continent temporaire et librement choisi savent que, oui, c’est possible, et souvent bien plus heureux que le couple homosexuel ou hétérosexuel ! (ce n’est pas moi qui vais vous dire le contraire…).

 

À travers le témoignage Libre : De la honte à la lumière (2011) de Jean-Michel Dunand, un ancien moine vivant maintenant en couple homosexuel et ayant créé la Communion Béthanie, on comprend que ce n’est pas l’abstinence/continence en elle-même qui rend malheureux mais le désir non-acté de son expérience, le fait de savoir qu’on doit la vivre sans la vivre concrètement ; car les simulations de démarrage de continence ne sont pas à proprement parler une expérience vraie de la continence : « L’abstinence maintenue à force de suractivité et de prières depuis le lycée vola en éclats : j’achetai un billet pour une séance. Les toilettes du cinéma étaient couvertes d’inscriptions identiques à celles des carrelettes des toilettes de la gare d’Albertville. Elles servaient de boîte aux lettres, de lieu de rendez-vous et les cabinets permettaient aux couples formés de passer à l’acte. J’y eus ma première véritable expérience sexuelle. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 47) ; « Je demeurais persuadé à cette époque que la continence proposée aux homosexuels, religieux ou laïcs, était la seule issue possible. » (idem, p. 52) ; « Cela peut aussi être une contrainte et devenir un drame. […] On peut donc vivre la continence sans être chaste et, malheureusement, je suis bien placé pour le savoir et pour témoigner autour de moi de la frustration et de la violence que l’abstinence sexuelle mal comprise ou non désirée peut engendrer. […] Je le redis haut et fort, je ne crois pas que Dieu appelle à la continence les personnes homosexuelles chrétiennes au même titre que ceux qui en font le choix par vocation religieuse. Mais Il nous convie à poser sur autrui le regard chaste qui le respecte. » (idem, pp. 124-125) Ce qui est dur, ce n’est pas de vivre la continence, mais de ne pas la vivre, justement ! D’en faire un volontarisme de capricieux. Le joug du continent est plus léger que celui qui l’envie/le conspue ne le sait ! Et en vérité, ceux qui méprisent la continence sont les religieux qui finissent par avouer qu’ils ne la vivaient pas quand ils étaient censés, par leurs vœux et leur ancien attachement à l’Église, la vivre : « Je ne pouvais pas vivre la chasteté. » (Antonio Toig, ex-carmélite, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, , p. 298) ; « Je ne regrette pas d’avoir déclaré que je n’avais pas toujours été fidèle au vœu de célibat imposé dans l’Église catholique romaine. » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, ex-prêtre catho espagnol, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 191) ; « Je suis sorti de la pénombre de l’église presque en courant, furieux. La chasteté ? La chasteté est un horizon impossible pour un adolescent dont la volonté s’écroule au contact d’un désir permanent, insatiable, ravageur. J’ai écarté d’office cette option. » (Arturo Arnalte, op. cit., p. 136). Cette haine de la continence, en plus de dire une haine de sa propre incarnation et de l’Incarnation qu’est l’Église, c’est un aveu qu’on ne vit pas ce que l’on dit.

 

Bien souvent, les personnes homosexuelles crient avant d’avoir mal en considérant la continence comme un cauchemar. Elles ne la valorisent pas : elle leur fait honte (« On ne va pas finir moine cloîtré, quand même ! »), alors même qu’elles ne la connaissent pas. Elles préfèrent penser qu’elle est un moteur à frustration, bien plus dangereux encore que le passage à l’acte homosexuel avec un ami de confiance, ou qu’un banal « plan cul » (« sans conséquence » disent-elles), parce qu’elle décuplerait les pulsions violentes en elles.

 
 

C – e) Le célibat libertin : un pastiche violent de l’amitié chaste

Certaines personnes homosexuelles, plutôt que de vivre vraiment l’amitié et l’abstinence, vont les travestir et se donner l’illusion de leur expérience en englobant dans leur discours célibat ponctuel et célibat de vie sous le même vocable fourre-tout et bonne conscience de « célibat » : « Leur mode de vie privilégié est une vie en solo : 57,3% des femmes [lesbiennes] et 66,9% des hommes [gays] ne vivent pas en couple contre 30 % des femmes et des hommes hétérosexuels. Au total, 1 femme sur 5 et 1 homme sur 4 ayant eu des pratiques homosexuelles dans l’année vit en couple cohabitant avec un conjoint de même sexe. » (Nathalie Bajos et Michel Bozon, Enquête sur la sexualité en France (2008), p. 256)

 

La particularité de ce célibat libertin, c’est qu’il n’est pas vraiment libre ni choisi. Les personnes homosexuelles, mais aussi gay friendly ou carrément homophobes, l’ont transformé, avec le temps, en destin ou en essence homosexuelle qu’il n’est pas : « Leur solitude semble structurellement liée à leur nature. » (Chekib Tijani, 700 millions de GEIS (livre retiré de la vente) (2010), p. 53) ; « La solitude amoureuse – c’est-à-dire la carence de partenaires – est constitutive à la nature gei. » (idem, p. 65) ; « Les homosexuels sont des gens charmants, qui sont drôles, qui ont des métiers très amusants, et qui sont célibataires, et qui ont une voiture ! (rires du public). Vous comprenez, c’est mon péché mignon. Je n’ai pas de chauffeur. » (l’actrice Alice Sapritch aux caméras de l’émission de télé française le Jeu de la vérité présentée par Patrick Sabatier dans les années 1980)

 

Même si elles font les 400 coups, elles se targuent de connaître la grisante liberté du célibataire ! Il s’agit pour elles d’un célibat choisi, donc forcément, à leurs yeux, noble ! Or, ce qu’elles omettent de dire, c’est que leur choix n’est pas fixe, ni durable, ni entier, et qu’il n’implique pas toute leur personne, comme le fait le célibat continent donné à Dieu, ou bien l’amitié chaste. Donc il ne les rend absolument pas pures ni libres ni adultes. Par exemple, dans la biographie (1995) que Josyane Savigneau a écrite sur la romancière lesbienne Carson McCullers (1995), elle évoque « une impossibilité quasi pathologique à vivre seule […] Tout au long de son existence, Carson ira volontiers se glisser de manière impromptue dans le lit de ses amis. Quelques-uns en concevront une gêne certaine, voire un sentiment de malaise, même s’il ne leur faudra jamais longtemps pour comprendre qu’il ne s’agissait en rien d’avances sexuelles, mais seulement d’un besoin enfantin de se blottir. » (p. 77) Ce faux célibat ne leur fait pas connaître les vraies joies du célibat durable.

 

La peur de la solitude est cet attachement capricieux à la fusion (pourtant concrètement impossible) avec l’amant, le refus infantile de la frustration : « J’ai peur. J’ai peur de la solitude sans toi. Et je m’arrachais à toi. » (Anne-Marie Schwarzenbach, La Vallée heureuse, 1939)

 

C’est à travers l’enchaînement à leurs amants que certaines personnes homosexuelles cherchent paradoxalement leur solitude perdue (comprendre « leur identité », « leur unité », « leur originalité »). Mais elles se retrouvent face au mur incontournable de l’unicité fondamentale de l’Amour. Et comme elles tentent de contourner l’obstacle du renoncement, elles ne récoltent qu’un répétitif retour à l’isolement.

 
 

C – f) Les dégâts de l’amitié amoureuse

En général, l’inversion entre l’amour et l’amitié est beaucoup plus douloureuse et dramatique que les deux anciens amis/nouveaux amants ne le prévoient au départ : et du côté de l’ami qui n’aime pas son confident du même amour que lui, et du côté de l’amant qui se retrouve seul avec des sentiments non-partagés, et enfin pour les deux amis qui vivent une expérience charnelle qui dit un amour que la réalité de leur corps aurait dû arrêter mystérieusement à l’amitié. L’amour et l’amitié n’étant pas des liens de même nature (même s’il existe des ponts entre eux), leur uniformisation forcée crée fatalement des décalages, des incompréhensions, des déceptions, des frustrations, des souffrances, des violences et des trahisons parfois réelles. Plus les jours et les mois se succèdent, et moins les partenaires homosexuels se surprennent… ou plutôt si ! : ils se découvrent, mais dans le mauvais sens. Tous deux portent tellement de masques à la fois (celui du mari, du père, du frère, du meilleur ami, du bon copain, du fils, du pote, du bébé, de Dieu, etc.) qu’ils sont amenés à se demander qui ils sont véritablement pour l’autre et pour eux-mêmes.

 

Dans la majorité des couples homosexuels qui nous entourent, on se demande quelle drôle de relation « amoureuse » il est en train de se vivre. Les amants homosexuels n’ont pas pour autant l’impression de s’enfoncer dans un mensonge flagrant puisqu’ils sont souvent tous les deux très sincères au départ et vivent quand même ensemble des moments authentiques ponctuels qui leur font oublier les désagréments persistants de l’amalgame des sentiments humains amoureux, amicaux ou filiaux, ces derniers étant en temps normal liés sans s’équivaloir. Mais au final, certains décrivent leur couple comme un « nous » dépassant et étouffant le duo. « Nous’, c’est cette entité autosuffisante, cette famille pas si facile à définir. Maris, amants, amis, frangins, tout à la fois ? » (cf. l’article « Gilbert and George » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 222) Les amants homosexuels forment une famille à deux en quelque sorte, mais cloisonnée sur elle-même. Pour cette raison, il n’est pas étonnant de voir arriver l’asphyxie chez bon nombre d’entre eux.

 

La mixture entre amitié et passion dénature à la fois l’amour et l’amitié. Et ce détournement transgressif, d’abord inédit, ludique, puissant et séduisant, se retourne en général contre les deux amis apprentis sorciers. L’un d’eux se durcit, devient tyrannique et possessif ; l’autre a peur, ou bien se ramollit en voyant ses sentiments d’amour redevenir à nouveau juste amicaux.

 

En mélangeant l’amour et l’amitié, certaines personnes homosexuelles s’imposent le statut instable et harassant du passionné qui croit vivre dix coups de foudre à la seconde. Elles tombent passionnément amoureuses de « l’homme (ou de la femme, pour les personnes lesbiennes) de leur vie », et quelques mois plus tard, les limites de chacun des partenaires ne manquant pas d’apparaître, naissent la déception, la dépression, la séparation, … puis après un temps de deuil « éthiquement correct » mais non réparateur, elles s’en retournent à une autre case « départ », et se lancent frénétiquement vers une similaire et épuisante recherche de « l’âme sœur » qui les dégoûte chaque fois davantage de l’amour (qu’elles croient) « véritable ».

 

L’amalgame entre amour et amitié est au fond dramatique : l’un et l’autre se détruisent quand nous les faisons fusionner ensemble. Certaines personnes homosexuelles camouflent leur gêne de cette confusion dans le cynisme dédramatisant. « Je fais l’amour de temps en temps comme on va à la piscine, rongée de culpabilité à mon tour parce que je n’aime ma partenaire que d’amitié. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 174) Elles savent implicitement que le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour équivaut souvent au massacre de l’amour aussi. Une fois qu’elles et leur compagnon sont unis par le sexe, elles se rendent compte qu’il est difficile de faire machine arrière et de s’avouer qu’ils se seraient davantage respectés s’ils étaient restés simplement amis, s’ils n’avaient pas grillé bêtement les étapes. La promesse des corps n’obéit pas à nos croyances en la banalité du passage de l’amour à l’amitié, ni les actes sexuels à nos intentions de les atténuer (la preuve en est que les relations avec les « ex » sont difficilement conservables… même si on joue un temps la comédie relativiste de l’oubli).

 

Les amitiés « particulières » (les bien nommées, tant elles réservent bien des mauvaises surprises !) se chargent souvent de la violence de l’indétermination et du manque du Réel (puisqu’elles ont rejeté le roc du Réel humanisant le plus fondateur : la différence des sexes).

 

Parfois, les personnes homosexuelles se rendent compte avec impuissance des dégâts de cette confusion entre amour et amitié… même si elles en tirent rarement les conclusions qui s’imposent. « En ce qui concerne l’amitié, je m’y trouve plus à l’aise que dans l’amour… et cela m’a valu bien des malentendus pénibles. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) Elles voient leurs sentiments chuter. Cela les panique parfois. Elles se sentent terriblement gênées de s’être embarquées dans un pétrin pareil, d’être beaucoup moins amoureuses de leur adorable copain que lui d’elles. Elles voient qu’elles aiment  « tiennent beaucoup » à leur amant, mais pas assez pour rester à vie avec lui et dire qu’elles l’aiment vraiment (certaines vont lui dire cyniquement qu’elles le quittent parce qu’« elles ne sont plus amoureuses », qu’elles « ne ressentent plus la petite étincelle ») : « Je me barricadais derrière les arguments les plus fallacieux pour ne pas voir ce qui aurait dû pourtant me crever les yeux, à savoir que nous n’étions plus dans une relation amoureuse, mais amicale. » (Paula Dumont parlant de son amante Solange, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 114)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se retrouvent prises à leur propre jeu de la séduction. Ce n’est pas qu’elles n’aiment pas leur partenaire. Elles « l’apprécient beaucoup », « l’aiment bien », éprouvent une « profonde affection pour lui », le considèrent comme un petit frère qu’on cajole, comme un « bon copain », un parrain, un confident qui avec le temps finira par devenir par la force des choses indispensable. Elles l’aiment … oui, c’est certain… mais pas d’amour. Et c’est là tout le problème. Leur union sentimentale, ce n’est pas rien, et pourtant, ça ne suffit pas : elle ne les comble pas un minimum comme l’amour vrai comble un maximum. Elles savent au fond qu’elles auraient très bien pu choisir avec leur partenaire « amoureux » l’option amicale qui les compromette moins et qui leur apporte tout autant (si ce n’est plus !), qu’elle aurait trouvé dans l’amitié les mêmes avantages que ceux qu’elles expérimentent dans l’amour homosexuel… excepté la jouissance génitale, les « je t’aime » à lire sur le portable, les croissants chauds servis au lit le dimanche matin, et le nounours à blottir contre soi la nuit, … bref, tout ce qui, sans l’amour véritable, ne fait partie que des « à-côtés » détestables de la passion amoureuse éphémère. Comme l’écrivait Oscar Wilde à son « ex » Lord Douglas, « Je me blâme qu’une amitié ait totalement dominé ma vie. » (cf. la lettre De Profundis (1897) d’Oscar Wilde)

 

Peu de personnes homosexuelles s’expliquent leur insatisfaction en amour. Leur amant semble pourtant de l’extérieur parfait, prévenant, disposé à faire des efforts sans doute encourageants, … mais au fond, disent-elles, « c’est toujours pas ça » : il est « bien » sans être « le meilleur », satisfaisant sans être comblant, convenable sans être irremplaçable (or l’amour, lui, nous donne toujours une personne géniale et irremplaçable à aimer !). Étant donné qu’elles se placent très souvent en victimes d’amour, elles ne tirent généralement pas les conclusions qui s’imposent sur le désir homosexuel, si bien que le mystère finit par s’épaissir. Malgré toute la sincérité du monde et l’apparente concordance de deux désirs, il y a un grain de sable dans l’engrenage de l’union homosexuelle, comme si l’amour, le vrai, ne se construisait pas uniquement à coup d’intentions et d’impressions d’amour partagées à deux : « Je me promets que cette fois, allons, puisque je l’aime et qu’elle m’aime, du moins nous le disons-nous, il devrait être possible de le faire. La lutte est interminable, mais il y a quelqu’un en moi qui ne veut pas, ne peut pas, n’ose pas, meurt de peur et frémit de plaisir. […] Je sais bien que si nous le voulions vraiment l’une et l’autre, la question ne se poserait plus. Qu’est-ce qui nous retient ? Impossible de le comprendre. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 45)

 
 

C – g) Solitude à deux :

Le véritable drame qui frappe le couple homosexuel, c’est un drame personnel au fond, qui ressemble à une « cruelle ironie » du Réel, mais qui n’est en fait que le reflet de la violence que chacun des membres du couple a fait au Réel en s’éloignant de Lui ! Fuyez la Solitude et Elle revient au galop, mais cette fois sous la forme du désagréable spectre de l’isolement, un spectre d’autant plus invisible qu’il a pris l’apparence corporelle et chaleureuse de la compagnie conjugale ! Le couple ne règle pas le minimum d’amour de son unicité que l’individu se doit à lui-même, et que son partenaire aura du mal à fournir.

 

Par exemple, sans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, Pierre Bergé déclare que « la solitude a été toute la vie d’Yves Saint-Laurent ». Et dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, il se voit reprocher par les amis ou la famille d’Yves Saint-Laurent de l’isoler : « Tu peux pas isoler Yves comme ça. Yves a des amis ! » (Loulou)

 

Avant d’être en couple, chacun des deux amis homos voulait en théorie combler le vide horrible de son célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans sa vie, il étouffe, devient imbuvable, se demande pourquoi on ne lui fiche pas la paix, pourquoi il ne s’est pas contenté de l’amitié !

 

Au fond, il existe un certain nombre de personnes homosexuelles qui expriment la nostalgie de l’amitié, la vraie, celle qui ne franchira pas la limite de l’amour charnel : « J’ai eu le sentiment que Martine aurait dû rester une amie, une confidente, et non quelqu’un avec qui faire ma vie. » (Paula Dumont en parlant de son couple avec Martine, dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 70) Le pire, c’est qu’au lieu d’un amant, beaucoup d’entre elles avouent qu’elles auraient préféré finalement un simple ami. « Pour être claire, tout au long de mon existence, j’ai rêvé avant tout d’une amie, c’est-à-dire une femme avec qui j’ai des affinités, auprès de qui je me sens dans un climat de confiance, de réconfort et de tendresse. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 101)

 

D’ailleurs, bien des personnalités homosexuelles assurent que s’il y a un terrain où elles ont trouvé un repos qu’elles n’ont jamais connu dans leurs amours, c’est bien celui de l’amitié (Ce n’est pas un hasard si, dans les années 1920-30, les mouvements homosexuels allemand avaient une revue qui leur était consacrée : Die Freundschaft.). Et même, quitte à choisir entre leur partenaire amoureux et leurs amis, elles ne sont pas rares à opter finalement pour les seconds, et à reconnaître que, durant leur vie, les seules relations satisfaisantes dont elles peuvent être fières ne sont quasiment que de nature purement amicale : « Si j’ai eu de grandes amours, des désirs intenses, je n’ai pas très bien réussi dans la vie, ni l’amour, ni le désir. Je crois cependant que j’ai réussi l’amitié. » (Jean-Paul Aron, Mon Sida, 1987) ; « L’amitié est le seul sentiment que le temps n’use pas. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 139) ; « Ce qui a compté le plus dans ma vie, c’est l’amitié. J’ai été mal servi au niveau de ma famille. J’ai plus de chance dans l’amitié qu’ailleurs. C’est une constante dans ma vie. » (Loren Ringer, entendu à Rennes en 2004) ; « Je crois en assez peu de choses dans la vie, mais l’amitié en fait partie. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 68) ; « Les amis restent le point central de votre équilibre. Sans eux, je n’aurais jamais pu faire face. Nombreux sont mes amis, qui me conseillent de le quitter. Beaucoup sauf un qui, samedi dernier encore, me rappelait qu’il était plus ou moins dans la même situation. Il vit avec un garçon qu’il aime et ne peut concevoir de s’en séparer. De mon côté, même s’il y a des chances que Snooze me trompe au sens propre comme au figuré, je ne peux m’empêcher de l’aimer, de le protéger, d’être présent. L’amour ne se contrôle pas. » (cf. l’article « Loup y es-tu ? » sur Le Blog de Chondre du 25 juillet 2011) ; « J’aimerais bien être votre ami. » (le journaliste homo s’adressant à Bertrand Bonello dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc.

 

C’est la raison pour laquelle l’amitié est autant chantée dans les fictions homosexuelles : cf. je vous renvoie à la partie « la bande de copains gay » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », ainsi qu’à la revue homophile L’Amitié (publiée en 1924).

 

Certaines personnes homosexuelles en arrivent même à avouer cyniquement qu’ils se sentent plus elles-mêmes avec leurs amis qu’aux bras de leur copain ! « Pendant toute une nouvelle période, je courus de nouveau les aventures, cherchant surtout à oublier et à me faire oublier. Beaucoup de mes amis m’avaient quitté pour se marier. Je courais m’amuser à la moindre fête, aux expositions de peinture, aux surprise-parties et, partout, je cherchais des amis. » (Jean-Luc, homme homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108)

 

Même si elles n’en ont pas conscience, beaucoup de personnes homosexuelles aspirent profondément à une amitié homophile désintéressée, et souffrent de la confondre avec un couple que leurs pulsions soi-disant leur imposeraient : « De mon côté mon cheminement humain est spirituel m’a amené sur un chemin tel que je ne savais plus comment partager mon vécu ni entretenir une relation amicale. Je me suis remis en question sur beaucoup de choses tout en approfondissant des sujets sur lesquels je cherchais des réponses, j’ai vécu des expériences et fait des rencontres qui m’ont amené à mieux me connaître. J’ai renoué depuis fin 2013 avec la socialisation homosexuelle car j’ai besoin de passer par là pour mon développement personnel. Je sais que le chemin que je suis est opposé au tien mais vu ta maturité je me disais que peut-être tu pourrais m’aider à y voir plus clair, si tu ne penses pas être capable de m’aider. Je te fais un résumé de ce que je vis (mais je préviens c’est long : je suis tourmenté) Voilà il y a 9 mois j’ai rencontré un gars avec qui je suis en couple depuis officiellement 7 mois. (J’en ai 27 et lui 34 bientôt). Le courant est vite passé entre nous deux mais sortant d’une rupture je lui ai dit dès le début que j’étais pas le genre de mec à être fait pour être en couple. J’aime ma liberté (plus au niveau du développement personnel et le sexe c’est occasionnel je drague et couche peu mais je dis pas non à des plaisirs occasionnels mais c’est pas ma priorité dans la vie). J’aime surtout les relations d’amitiés intimes avec beaucoup et éventuellement du sexe parfois si y’a un feeling plus profond mais chacun reste libre et indépendant. Le souci est que je pensais qu’en étant honnête dès le début il saurait à quoi s’en tenir ainsi il sait dans quoi il s’engage. Mais j’ai l’impression d’avoir été piégé car il ne comprenait pas et creusait constamment en me demandant ce que ça signifiait pour moi être en couple. Je pensais être clair mais il ne pigeait jamais (comme si ses sentiments l’empêchait de comprendre) et me faisait croire qu’il y avait moyen d’être en couple et libre. Étant donné qu’il est un homme bien, je me suis laissé aller, je me suis attaché à lui tout en gardant des distances mais il trouvait toujours un moyen de me faire comprendre qu’on était ensemble et prenait mal le fait que je dise qu’après 2 mois on n’était pas un couple. C’était seulement y’a 7 mois que j’ai accepté l’idée qu’on formait un couple (il m’a quand même mis au pied du mur sachant que j’avais des sentiments forts envers lui malgré mon indépendance). Quand il s’est senti rassuré, j’ai senti que je ne pouvais plus faire marche arrière, mes sentiments me piégeaient. À côté de ça, j’ai remarqué que parfois il me mettait à l’écart quand on était avec d’autres amis et me vantait ses plans culs et flirtait parfois avec d’autres sous mon nez, ce qui me blessait (le genre de réaction que j’ai après m’être attaché alors que j’aurais pas réagi ainsi si j’avais été émotionnellement indépendant tout en aimant fort la personne). Quand je lui en parlais, à chaque fois il réalisait (après des longues discussions) qu’il comprenait ma réaction et qu’il aurait dû faire attention et s’excusait. Mais la blessure était là. Je lui disais qu’il était libre mais devait mieux s’organiser pour que, quand on passe du temps ensemble, tout le monde profite (socialement ou sexuellement) et s’il a besoin de faire des trucs dans un contexte où j’ai pas ma place, qu’il m’invite pas. De mon côté c’est ce que j’ai toujours pensé être normal d’avoir sa liberté mais de ne pas tout mélanger. Mais pour lui, il faut tout partager. À côté de ça, y’a des petites remarques de sa part qui me blessent au niveau des valeurs, mes habitudes, mon look. Ça paraît banal mais j’ai l’impression qu’il me juge pour que je sois comme lui le veut et je me dis parfois « pourquoi il se case pas avec quelqu’un qui corresponde à ses critères? ». Mais voilà mes sentiments me rendent prisonnier je suis de plus en plus accro à lui (il m’aime profondément) au fil des mois même si au fond je sais qu’il faut mettre plus de distances. Mes sentiments me bloquent. Depuis deux semaines j’ai recommencé à prendre plus d’indépendance relationnelle avec des amis en me disant que ça m’aiderait à être indépendant affectivement ainsi je pourrais l’aimer mieux. Moi ce que je souhaite, c’est revenir à la case départ de notre relation en lui proposant une relation d’amitié amoureuse intime sans être en couple car ça lui permettrait d’être plus libre sans que je sois parfois blessé ; et moi je serais plus libre sans qu’il soit blessé (pour moi un couple ça bloque nos besoins et notre développement personnel car ça ferme les opportunités) tout en continuant d’être ensemble. Mais j’ai peur de relancer le sujet, je crains qu’il ne comprenne toujours pas et qu’il dise ou fasse des choses qui m’amènent à m’attacher de nouveau à lui et du coup je serais à nouveau prisonnier. Je me sentirais moins libre et plus dépendant de lui. Il m’avoue avoir beaucoup souffert d’abandon plus jeune donc il a besoin d’être rassuré en ayant un petit ami dans sa vie avec qui il peut être (trop) souvent ensemble. J’ai constaté qu’il s’attache vite, il est très intelligent mais trop perfectionniste et assez à cheval sur beaucoup de règles. D’un côté il aime la fantaisie semble être ouvert puis en même temps il donne l’impression d’être trop coincé et rigide. Il s’attarde trop sur des détails et à tendance à trop materner les gens à qui il s’attache. Ça m’oppresse parfois. Le fait qu’il aime rendre service est honorable mais y’a des moments où il s’inquiète trop et j’ai l’impression qu’il veut m’infantiliser moi qui ai réussi à travailler sur moi-même pour m’affirmer sur certains points. À côté de ça, c’est un homme adorable et généreux que je respecte beaucoup, je ne veux pas le blesser ni l’éjecter de ma vie car en général on s’entend bien mais on est quand assez différent. Je veux qu’on continue ensemble mais en vivant la relation différemment c’est tout. Je me pose des questions sur mes mouvements émotifs, ma façon de communiquer pour me faire comprendre et son aptitude. Comment gérer tout ça pour que personne en souffre et qu’on continue chacun en étant heureux ensemble tout en étant indépendant et libre? Je suis perdu… Voilà si tu as des conseils à me mettre en détail par écris ça m’aiderait comme ça en relisant plusieurs fois je peux réfléchir et trouver une façon de lui formuler les choses car je sais ce que j’ai à faire mais c’est difficile de lui faire comprendre. Merci d’avance. » (Robin, 27 ans, dans un mail d’août 2014)
 

On touche là au paradoxe de ce qu’on pourrait nommer « la solitude à deux ». Beaucoup de personnes homosexuelles « casées » ont l’impression d’être encore plus seules en couple qu’à la période où elles étaient officiellement célibataires, comme si la structure du couple homosexuel les avait isolées encore davantage que leur célibat : « Si je me penche sur la réalité de ma vie affective et sexuelle, elle était beaucoup moins rose. Idem pour ma solitude. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 78) ; « J’ai passé toute ma vie seule. » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « Au fond, tu n’as eu à aucun moment l’idée de la solitude amoureuse que tu m’imposais… » (Abdellah Taïa s’adressant à Slimane son « ex », dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 121) ; « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. Nous avions essayé de nous tenir chaud, de nous réconforter l’une à l’autre, mais la solitude était toujours là et ce n’était pas la vie. Martine et moi étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134) ; « C’est dur pour moi : je suis un affectif et la solitude me pèse…et puis les années sont là malgré tout. En 2 ans, je n’ai jamais réussi à construire une relation d’amour. Que de tentatives, d’espoirs vains, d’illusions et de désillusions ! et ce soir je vais rentrer seul… En fait, je n’aime pas aller au Cargo. L’ambiance festive me plaît et parler ‘homo’ m’est utile, mais le côté pathétique des homos me déprime. Je me sens totalement en décalage, perdu dans tout ça, noyé dans cette souffrance sous-jacente. J’ai juste envie de bonheur, de rire, de plaisir partagé, de douceur. Je connais trop la solitude, et même quand j’étais en couple je vivais seul. Parfois c’était pire qu’aujourd’hui. » (cf. mail qu’un ami quarantenaire angevin m’a envoyé en 2002) ; « Le fait de me retrouver seule [après 25 ans avec Margo] me confirma que j’avais été seule tout ce temps dans cette relation. » (Rilene, femme lesbienne, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles (surtout celles en couple homo), étant donné qu’elles refusent de choisir (pour un temps et librement) le célibat, finissent par le subir, et oscillent donc entre deux trains de vie : celui du libertin et celui du vieux gars célibataire. Jour/Nuit/Jour/Nuit (cf. je vous renvoie au code « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ma condition était l’archétype voulue d’une vie de femme, mes propos et mes réactions, ceux d’une fille vivant seule. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 130) ; « Tout se passe comme si, dans le village, les femmes faisaient des enfants pour devenir des femmes, sinon elles n’en ont pas vraiment. Elles sont considérées comme des lesbiennes, des frigides. Les autres femmes s’interrogent à la sortie de l’école ‘L’autre elle a toujours pas fait de gosses à son âge, c’est qu’elle est pas normale. Ça doit être une gouinasse. Ou une frigide, une mal-baisée.’ Plus tard je comprendrai que, ailleurs, une femme accomplie est une femme qui s’occupe d’elle, d’elle-même, de sa carrière, qui ne fait pas d’enfants trop vite, trop jeune. Elle a même parfois le droit d’être lesbienne le temps de l’adolescence, pas trop longtemps mais quelques semaines, quelques jours, simplement pour s’amuser. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 59-60) ; « Comme tu dis si bien je suis un Tanguy. Oui, le Tanguy en évolution, qui en souffre beaucoup et qui est aussi beaucoup répandu chez les homosexuels. J’ai eu 3 ans de chômage, et ça va faire 3 mois que j’ai repris un boulot de merde qui m’épuise psychiquement et physiquement. Je bosse pour Citroën en tant que larbin de manutention, chauffeur livreur et magasinier, pour un SMIC qui ne me donne pas envie de poursuivre. D’ailleurs, mon contrat va se transformer en CDI, mais j’en suis tellement dégoûté que je me dis qu’il faut que j’arrête, mais d’un autre côté je me dis qu’il faut que je prenne mon envol, Mais comment être motivé de prendre son envol quand aucune perspective de futur n’est envisageable à mon stade et savoir si je vais pouvoir continuer dans ce boulot… ? » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; etc.

 

Pour régler ce problème de la solitude perdue, que le duo homosexuel ne résoudra jamais (et ce n’est même pas de la faute des personnes qui composent le couple : c’est dû à la structure conjugale homosexuelle en elle-même), il arrive souvent qu’un au moins des deux partenaires aille « voir ailleurs ». Son infidélité est le signe de son refus d’être unique, et de son expérience d’un incompréhensible et pourtant véritable isolement dans son couple.

 

Vidéo-clip de la chanson "Lonely Lisa" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer

 
 

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Une « pastorale pour les personnes homosexuelles » ?

L’idée d’une pastorale ecclésiale spécifique aux personnes homosexuelles ne sera envisageable, viable, pas homophobe, vraiment respectueuse des personnes et fidèle à l’Église catholique, qu’à la condition de pointer vers la continence voire la disparition du désir homosexuel. Sinon, elle reste hyper choquante et inappropriée.