Existe-t-il un complot planétaire dont le « lobby gay » ou franc-maçon serait l’un des instruments, l’une des étapes ? Au risque de passer pour un paranoïaque que je ne suis pas souvent, je répondrais « Oui ». Je ne lui connais pas de nom précis. Je sais juste qu’il essaie de remplacer le corps et Dieu par les sentiments et la pulsion.
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Code n°48 – Différences physiques
Différences physiques
NOTICE EXPLICATIVE
Homosexualité : Le corps mal porté
La question tabou qui habite toute personne homosexuelle par rapport à l’homosexualité, et qui suit une croyance populaire relativement tenace et homophobe, c’est : Devient-on gay/lesbienne parce qu’on est laid(e) et qu’on n’a pas su plaire ? (sous-entendu : L’amour homosexuel est-il positif, vraiment libre, ou bien naturellement mauvais à la racine ?).
Cela vaut le coup de s’arrêter sur cette question, non pour y répondre et la justifier… mais pour la reformuler autrement:
Et si nous parlions de la haine de soi comme probable terrain porteur de l’homosexualité ? Et si nous abordions chez les personnes homosexuelles la question du mépris de son corps et de son sexe de naissance, un mépris « naturalisé » sous forme d’orientation sexuelle éternelle qui définirait un individu dans son entier pour éviter de se poser des questions et noyer le poisson ? Et si nous parlions ENFIN du lien entre corps biologique et désir (ou plutôt « manque de désir » dans le cas homosexuel) ?
Bizarrement, nos contemporains, en applaudissant à l’« identité homosexuelle », en validant/justifiant le désir homosexuel comme un désir d’amour, comme un signe de réconciliation extraordinaire avec son MOI profond, n’ont pas compris que le masque collé sur le visage des personnes homosexuelles n’était pas leur vraie peau, mais juste un cache-misère non pas d’une tête objectivement affreuse derrière, mais d’une honte existentielle et d’un manque d’amour de soi/des autres, encouragé par une société matérialiste violente qui privilégie la beauté plastique à la beauté du coeur, qui veut nous transformer en objets de consommation.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Haine de la beauté », « Différences culturelles », « Homosexualité noire et glorieuse », « Extase », « « Je suis différent » », à la partie « Diable au corps » du code « Ennemi de la Nature », à la partie « Foot » du code « Solitude », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
Ce n’est pas la laideur qui rend les personnes homosexuelles. C’est le sentiment de laideur
Nous entendons toujours le même croyance absurde de la part des membres de la communauté homosexuelle : la conscience – parfois précoce – d’être fondamentalement différents des autres (cf. je vous renvoie avec insistance aux codes « « Je suis différent » » et « Différences culturelles » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).
Cette différence homosexuelle dite « naturelle », « objective », « corporelle », qui ne serait pas le fruit d’un choix mais bien une donnée biologique voire génétique, repose en réalité sur des dissemblances physiques ressenties comme minoritaires, écartantes/écartées socialement, et qui deviennent ensuite, selon ce qu’en font l’entourage et la personne qui les porte, une « identité » intégrée mentalement et sexuellement. Cela peut provenir de la taille, de l’obésité, de la dentition, d’une voix suraiguë, de la maigreur, d’un handicap quelconque, d’une couleur de peau rejetée, d’un physique génériquement opposé au sexe biologique ou aux estampes des garçons et des filles télévisuels, d’un complexe de se savoir fragile, limité, ou insignifiant (la croyance et l’identification à l’Homme invisible rôdent…), etc. Difficile de ne pas faire le lien entre des physiques honteux d’eux-mêmes et l’affirmation d’une homosexualité. Cependant, ce lien n’est pas de causalité, mais de coïncidence, c’est-à-dire qu’il a été instauré davantage par le fantasme ou l’impression subjective que par la Réalité. L’homosexualité n’est pas une question de physique particulier – il n’y a pas de « corps homosexuel » (contrairement à ce que proclament certains militants homosexuels radicaux) – mais de rapport idolâtre à son corps et aux images médiatiques des corps sexués.
Pour moi, cette « différence physique homosexuelle » n’est ni vraiment innée ni vraiment acquise, ni totalement biologique ni à l’inverse totalement culturelle : elle est surtout symbolique, désirante, relationnelle ; elle a trait à un manque d’amour, à notre liberté fondamentale permise par notre unicité, unicité matérialisée entre autres par notre incarnation. Elle se joue dans les rapports de désir – des rapports souvent violents et peu pacifiés dans le cas du désir homosexuel – entre l’individu et son propre corps, et entre l’individu et le corps social.
Beaucoup de personnes homosexuelles ne se considèrent pas comme rentrant dans les canons de beauté mondialisés, ne sont pas, pour reprendre les mots de Pierre Loti, « leur genre », c’est-à-dire conformes au reflet projectivement valorisé d’elles-mêmes. La plupart d’entre elles n’ont pas cru en leur physique, n’ont pas désiré habiter leur corps sexué, ont refusé – puis adulé – le sport. Que cela soit à juste titre ou non n’est pas la question : la beauté d’une personne n’est pas mesurable à la plastique de son corps. Ce n’est pas tant le corps réel que la démarche, la manière de se tenir, un regard fuyant, une carcasse physique mal portée, la posture ou la stature chétive exprimant un « excusez-moi d’exister » qui indiquent une homosexualité. À l’âge adulte, il arrive que certaines personnes homosexuelles fassent payer leur sentiment de laideur physique aux autres en jouant les monstres qu’elles croient être, en accentuant leurs traits prétendument horribles par une humeur massacrante et une fierté provocatrice. « Verlaine vécut le drame de se croire tel : mal-né, environné sans fin de l’épouvante qu’il suscitait. » (cf. l’article « Poétiquement correct » d’Alain Borer, dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 40) Ou alors au contraire, elles se découvrent belles à vingt ans. Après des années de galère au collège et au lycée, l’heure de la vengeance esthétique sonne et la métamorphose est parfois spectaculaire. Elle ne dit pas pour autant une réconciliation avec soi-même : le narcissisme est souvent une auto-déclaration de haine déguisée.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
Dans certaines œuvres de fiction traitant d’homosexualité, le personnage homosexuel dit qu’il n’aime pas son corps. Je vous renvoie notamment au film « Les Complexés » (1965) de Franco Rossi, au film « Odio Mi Cuerpo » (« Je hais mon corps », 1975) de Leon Klimovsky, au film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec Harvey évoquant ses grandes oreilles), à la chanson « Dieu a-t-il les oreilles décollées et le Front National » de Nicolas Bacchus, à la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, à la chanson « Qu’est-ce que t’es belle » de Marc Lavoine et Catherine Ringer, à la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti (avec Chloé, l’hétéro rejetée à l’école parce qu’elle est rousse), etc.
En général, le héros homosexuel ne se trouve pas beau. Écoutez sa litanie de la dévalorisation de soi : « Je ne suis pas mignonne. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je suis petit, gringalet, moche. » (Marcel dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « J’aime pas trop ma mâchoire. » (le premier amant de Nathan s’adressant à ce dernier, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo) ; « Je suis maigrelet, maigre et laid. » (Ernst décrivant son adolescence, dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, p. 120) ; « Je suis d’une laideur ridicule. » (Emmanuel Fruges dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 193) ; « J’étais horriblement laid. » (Dzav parlant de lui quand il était enfant, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « J’ai toujours su que je n’étais pas une enfant comme les autres. J’étais assez vilaine, bien sûr, vous n’en serez pas surpris. Grosse et terne, déjà. Et comme si ça ne suffisait pas, j’étais malade. Hémophilie sévère, m’avait-on dit un jour, sans plus de précision. […] Une barrière me séparait de mes camarades. Je n’avais pas le droit de shooter comme eux dans un ballon, ni de courir comme une folle dans la cour. » (Corinne dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 214) ; « Ednar ne vivait que pour survivre. Il avait tant morflé dans sa jeunesse, qu’il avait fini par se détester lui-même car il ne s’était jamais senti réellement bien dans sa peau. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son roman très autobiographique Un Fils différent (2011), p. 141) ; « Je suis moche, juif, pédé. Je fume de l’herbe pour avoir le courage de me regarder en face. » (Harold, l’un des héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Jane avait détesté la puberté, l’intrusion du sang et des seins, les messes basses entre filles et les invitations des hommes qui les suivaient en voiture en roulant au pas. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 29) ; « J’ai vraiment un corps de base. Si j’étais une voiture, je serais sans option. Mon père m’a eue en soldes. C’est un radin. Moi, si je me mets à nue, je peux faire une pub pour Action Contre la Faim. Avec des mouches autour des yeux. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « J’ai un corps lourd, pas attirant. J’ai la physionomie d’un clown. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « C’est là ton problème : avoir cru qu’une femme ne pourrait pas être attiré par ton corps. » (Palomino, l’amant d’Eisenstein, idem) ; « À l’époque, je pensais que j’étais horrible. Ils me traitaient comme un chien galeux. » (Jean-Marie, homosexuel parlant de ses camarades scolaires, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « J’étais très maigre. Très seul. Tout le temps. On me surnommait le Corbeau blanc. » (Rudolf Noureev, dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes) ; etc.
Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Vianney organise via internet un « plan cul » avec Mike, mais lui demande de venir chez lui qu’à la stricte condition d’arriver « les yeux bandés » : « Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante. » (p. 84) Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand se désigne lui-même comme un « thon ». Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel commence son spectacle en disant qu’il était Superman et qu’il s’est transformé en nabot homosexuel : « L’homme du futur, plus fort et plus résistant, s’est transformé en nain efféminé. » Le comédien tourne en dérision sa petite taille, et dit qu’il aurait aimé être grand, blond aux yeux bleus : « 1m66, ça fait marrer. »
Cependant, ce sentiment paranoïaque d’être différent peut se fonder chez le héros homosexuel sur un substrat de réel : un handicap ou une difformité perçue comme minoritaire socialement parlant : « Je pense à mon corps maigre, à mon grand nez pointu. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 39) ; « Sir Philip regardait Stephen lorsqu’elle jouait avec les chiens dans le jardin, il observait la curieuse impression de force qui se dégageait de ses mouvements, la ligne allongée de ses membres – elle était grande pour son âge – et l’équilibre de sa tête sur ses épaules plus larges qu’elles n’auraient dû l’être. » (le père décrivant sa fille lesbienne Stephen, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 36) ; « Cette boule-là, c’était la confirmation que j’étais pas comme les autres. » (Gérard, l’un des héros homosexuels, racontant qu’à 16 ans il a eu peur d’une ex-croissance, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Willy était toujours malade. » (Éa parlant de Willy, le gamin transgenre M to F qui se prend pour une fille, dans le film « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael) ; « J’étais un enfant à la santé fragile. » (Willy, idem) ; etc. Physiquement, le personnage homosexuel n’est pas toujours « gâté » par la Nature : on peut penser à Devotee, l’homosexuel privé de bras et de jambes dans le film « Devotee » (2008) de Rémi Lange. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, est aveugle de naissance et n’a aucune idée de sa beauté plastique.
Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, raconte que quand il était petit, il était dyslexique et prenait des cours de rattrapage tous les samedis. Il marchait les pieds en canard et avait les oreilles décollées. Il louchait, ce qui l’obligeait à porter des lunettes. Il était appelé « Nanard, le vilain p’tit Canard » par ses camarades. Un tel traumatisme lui a, selon lui, bloqué la parole et lui donnait l’air d’« un autiste ». Et une fois arrivé à l’âge adulte, il complexe d’avoir une petite bite. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Adam, le héros homosexuel, est complexé par la taille de son sexe anatomique. Il va même faire un coming out pour assumer ce dernier, et descendre son pantalon devant tous les camarades de son lycée à la cantine.
On découvre peu à peu que le problème soi-disant « physique » du personnage homosexuel sort du cadre strictement naturel et privé du corps individuel, et concerne en fait une réalité relationnelle, désirante, sociale, un manque (ou un trop-plein) d’amour qui n’a rien à voir en soi avec son corps objectif : « À cette date, Olivier était un garçon très maigre, avec un appareil dentaire et des lunettes, timide et solitaire. Il était le souffre-douleur de la classe tout entière. » (Olivier, le personnage homo du roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, pp. 69-70) ; « Je me croyais malingre, mal bâti, rachitique, principalement parce que je ne plaisais pas aux filles. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 20) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Presque célèbre (2010) de Thomas VDB, Freddie Mercury a les « dents en avant parce qu’il suce des bites ».
Le héros homosexuel semble avoir des problèmes physiques (phobies, allergies, maladies bénignes…) liés davantage au psychique qu’à son corps extérieur… même si ce dernier finit par être le signe visible de son traumatisme interne. « Je suis fragile, moi. J’ai eu les oreillons petit. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) Par exemple, dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, Zac est asthmatique ; dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Scott est neurasthénique ; dans le film « Elle ou lui ? » (1994) d’Alessandro Benvenuti, Leo est victime d’allergies ; dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, fait des crises de tachycardie dans les dortoirs du collège ; etc. Le personnage homosexuel est généralement cru et encouragé dans sa douilletterie, dans sa simulation de maladie : « On lui avait recommandé de ne pas courir : le docteur Caronade […] interdisait à Fabien tout exercice violent. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 19) ; « Je suis allergique au pollen. » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; etc. Trop dorloté, le personnage homosexuel est aussi trop peu reconnu dans sa peur d’exister : « Ta scarlatine à dix ans, tu n’avais pas eu des tas de misères auxquelles les médecins ne comprenaient rien ! et puis ta bronchite chronique l’année de ton volontariat… » (la mère dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, pp. 29-30)
Ce n’est pas tant le corps visible que le corps invisible, fantasmé, insignifiant, non-désiré, qui tourmente le personnage homosexuel : « Je crois que mon plus gros problème est d’être jeune et beau. C’est mon plus gros problème parce que j’ai jamais été jeune et beau. Oh bien sûr j’ai été beau, et Dieu merci j’ai été jeune, mais les deux en même temps jamais. De toute façon, ça ne se remarquait pas. » (Arnold, le héros homosexuel du film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Vous auriez tant voulu être beau. […] Vous êtes quelconque… […] Quelques centimètres vous manquent. » (la voix narrative s’adressant à elle-même, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 123) ; etc.
C’est le corps trop désiré d’une vedette, une projection narcissique sur grand écran ou sur magazine, qui lui fait dévaluer son propre corps, par comparaison. « J’aurais aimé beaucoup de choses. J’aurais aimé être beau. » (Éric Caravaca dans le film « Dedans » (1996) de Marion Vernoux) ; « La seule chose que j’ai toujours voulue est d’être beau. » (Albert dans le roman Mademoiselle de Maupin (1835) de Théophile Gautier); « Il n’était pas aussi beau qu’il l’aurait voulu. » (Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 35) ; « ‘J’ai longtemps voulu être admiré, pensa M. Fruges. J’ai enragé de ma laideur.’ » (idem, p. 168) ; « De toute façon, je vois pas pourquoi j’me fais chier. Chuis pas normale. » (Marie, l’héroïne lesbienne par rapport à sa musculature, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma) ; etc.
On découvre que l’impression de vilenie vient du refus de se reconnaître unique, d’accepter ses limites corporelles : « Solitaire dans mon photomaton, j’suis pas belle. » (cf. la chanson « Amélie m’a dit » d’Alizée) Le héros homo n’aime pas son corps parce qu’au fond il dévalorise les autres ou au contraire les idéalise : « Malcolm est même trop beau pour moi, moi qui n’ai jamais eu aucune assurance sur mon physique. » (Adrien dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60)
Le héros homosexuel est souvent attiré par ce dont il croit manquer corporellement (poils, muscles, poitrine, minceur, etc.), par un inaccessible corporel. Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, le jeune Dany, homosexuel au corps glabre, est attiré par les hommes très poilus du torse.
L’impression d’être « négativement différent physiquement » peut aller jusqu’à la négation de sa propre sexuation : « Vous savez, Collins, je dois être un garçon parce que je sens exactement comme si j’en étais un, je me sens semblable au jeune Nelson de l’image, là-haut. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, à Collins, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 28) Le personnage homosexuel non seulement se trouve moche, mais en plus, peut avoir tendance à associer cette soi-disant laideur à son homosexualité pour ne pas remettre en cause le mépris qu’il se porte. « C’est laid, les gays. […] J’suis gay. » (les quatre personnages homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel)
Le personnage homo n’est pas « objectivement » moche. Quand il se croit « quelconque », son insignifiance ne vient pas, en réalité, de son physique, mais de son attitude à ne pas se rendre aimable. Son impression de laideur est juste obsessionnelle : comme il ne correspondra jamais complètement au « reflet projectivement valorisé de lui-même » que ses fantasmes ont construit, son purisme esthétique lui fera dire qu’il est incurablement affreux : « Quand je me regarde dans la glace, je ne me trouve pas magnifique. » (Frank l’homo dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) En somme, il ne sera jamais satisfait de lui parce que dans sa tête, il a décidé de ne pas l’être. Le mécontentement est une posture narcissique de principe chez lui : il serait magnifique qu’il n’en fera pas moins la gueule aux soirées. C’est tellement niais, de sourire ! C’est tellement con, la bonté ! Et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, pour cet esthète, c’est tellement laid, la vraie beauté ! Seul le mépris ou l’indifférence trouve physiquement grâce à ses yeux.
Au lieu de se reconnaître tel qu’il est, il arrive qu’il pousse l’orgueil jusqu’à s’enlaidir exprès, et se présenter comme un ignoble monstre : « Ces derniers temps, mon corps a poussé dans tous les sens, mon visage est devenu un tableau de bord de supersonique, tous les matins je découvre de nouveaux boutons. Je suis repoussant, un spécimen au bestiaire de l’horreur. » (Ernst décrivant son adolescence, dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, p. 112) ; « À cause des blessures que j’ai reçues à la guerre du Pacifique, mon aspect physique est tel que tout le monde est révulsé à ma vue, au point de vomir ou même de s’évanouir. » (Garnet Montrose dans le romanJe suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 10) ; etc.
Il y a parfois chez ce personnage homosexuel une forme de complaisance dans la paresse (une paresse qui a l’air éthique puisqu’elle se pare d’une sagesse stoïcienne : à quoi bon se fagoter comme il faut et se soigner physiquement puisque tout n’est qu’apparences et que tout passe ?), d’abandon complice à la laideur, d’héroïsme trouvé dans le fait de se laisser vaincre par le temps et la mort, de démarche militante à s’éloigner des poncifs physiques définis par la mode.
Dans l’extrême inverse, certains héros homosexuels redisent autrement leur haine du corps en devenant cette fois de vraies beautés à l’âge adulte. Il est rare que le personnage homosexuel revienne sur son passé ingrat (= un gras), sur la genèse de sa métamorphose corporelle, mais cela arrive quand même. Par exemple, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, un des clients du sauna avoue qu’il était obèse dans son adolescence, une « taille XXL, large comme une baleine » : « J’ai pas toujours été l’Adonis sculptural que vous avez devant les yeux. » Il nous fait comprendre que lui et ses compagnons au corps parfait sont en fait très mal dans leur peau, non d’être enfin parvenus à tailler leur corps selon leur convenance, mais parce qu’ils sont restés nombrilistes.
Ce n’est pas parce que le personnage homosexuel se dirige docilement vers les salles de sport qu’il aime pour autant son enveloppe corporelle. N’oublions pas que ce qui l’a motivé à la travailler, ce n’est pas l’amour de son corps : son corps ne sera que l’instrument d’une vengeance dirigée contre… son propre corps d’enfant ! C’est pourquoi le protagoniste homo peut tout à fait adopter le comportement apparemment contradictoire de Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall : elle commence par dire « Je déteste toutes ces sortes de sports pour les filles. » (p. 78), puis se lance quand même tête baissée dans l’escrime et l’équitation : « La passion de Stephen pour la culture physique s’accrut et envahit la salle d’étude. » (idem, p. 79) Se considérer comme un objet d’adoration, cela ressemble à une démarche d’amour et de réconciliation avec soi-même, pour se sentir mieux dans sa peau : c’est en réalité une nouvelle forme de détestation de soi.
Beaucoup de personnages homosexuels, pour masquer leur haine d’eux-mêmes dans le narcissisme, versent dans l’homosexualisation de leur corps (ils parlent d’un « corps homosexuel »), autrement dit dans une forme d’eugénisme positif qui réduit les êtres humains à leurs fantasmes asexués de toute-puissance et à leurs pulsions sexuelles. Par exemple, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2009), Océane Rose Marie explique que « LA lesbienne aurait l’index plus haut que l’annulaire ». Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Ziki et Kena s’amusent à s’habiller de vêtements féminins inhabituels pour Kena la garçonne : « Je te l’ai dit : mon corps est allergique aux robes. »
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Force est de reconnaître qu’il existe un lien de coïncidence (très connu par les personnes intéressées, mais si peu montré au grand jour, forcément…) entre laideur physique et homosexualité, entre complexes physiques et désir homosexuel. « Attends, Sonia, elle peut pas être lesbienne. Elle est trop belle. Tous les garçons, ils craquent sur elle. » (Clara, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa meilleure amie Zoé qui lui annonce que la belle Sonia est également lesbienne, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) Si les personnes homosexuelles n’avaient pas une sombre affaire de vengeance à régler avec leur propre corps/passé, jamais elles ne se sentiraient le besoin urgent d’aller se refaire une musculature de rêve dans les salles de sport ni une garde-robes impeccable et fashion pour être au goût du jour ; jamais certains artistes comme Océane Rose-Marie (qui, lors de son one-man-show La Lesbienne invisible (2009), part en guerre contre le « préjugé tenace » de la mocheté homosexuelle : « Je tiens à préciser que ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles. » ; traduction = « On peut être homo ET désirable ; si si, je vous assure, c’est possible ! » ou « L’homosexualité n’est pas une identité et un amour par défaut, motivée par un complexe, une peur, ou une souffrance »), ou encore des revues telles que Têtu (nous proposant des modèles gays « canons » pour leur couverture), ne s’insurgeraient autant contre la « fallacieuse réputation » de laideron-mal-dans-ses-baskets, de pauvre-type-incasable-et-pas-cool, de garçon manqué « pas baisable/mal baisée » ou de tapette quelconque sur la cour du collège, qui collerait à la peau de tout individu homosexuel (… en réalité, une réputation majoritairement colportée et pérennisée par les personnes homosexuelles elles-mêmes !).
Beaucoup de personnes homosexuelles disent explicitement ne pas aimer leur physique : « Je suis né le 30 mars 1933. […] J’étais très laid, un véritable petit singe. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 22) ; « Dès que ma mère a appris qu’elle était enceinte de moi, elle a hésité à me garder. Viens ensuite la naissance où l’accouchement fut une boucherie tant pour elle en perfusion de sang que pour moi avec l’oreille déchiré, je suis arrivé dès le départ dans la souffrance. […] À l’âge de 6 mois, méningite à haemophilus, les médecins ne savaient pas si j’allais en ressortir vivant, seul un groupe de prière a intercédé en ma faveur auprès du ciel pour que j’en ressorte indemne. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « J’étais si complexé par mon corps malingre. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 251) ; « Ce que j’ai trouvé difficile, c’est ma féminité, ma fragilité physique. » (un témoin gay dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 47) ; « Je hais mon visage. » (le peintre britannique Francis Bacon dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton) ; « J’ai été pendant l’enfance un vrai garçon manqué avant de me transformer à la puberté en une godiche timide, puis en boudin coincé vers vingt ans. » (cf. l’article « À trois brasses du bonheur » de Sophie Courtial-Destembert, cité dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 56) ; « Je me trouvais grosse et inacceptable. » (Louise Bourgeois parlant de son adolescence, dans le film documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) d’Amei Wallach et Marion Cajori) ; « J’étais maigre, ils avaient dû estimer ma capacité à me défendre faible, presque nulle. […] Quand j’ai commencé à m’exprimer, à apprendre le langage, ma voix a spontanément pris des intonations féminines. Elle était plus aiguë que celle des autres garçons. Chaque fois que je prenais la parole mes mains s’agitaient frénétiquement, dans tous les sens, se tordaient, brassaient l’air. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 16 puis p. 27) ; « Certains universitaires homosexuels, alors honnis et secrets, m’accordaient pleinement leur confiance et leur société, qui était instructive ; car, marginalisés par leur ‘vice’ comme moi par ma difformité, ils avaient spécialement développé leur culture, leur originalité ou leur talent ; ils faisaient généralement d’excellents professeurs. Passant moi-même pour un peu excentrique aux yeux du vulgaire, je me sentais comme normal en leur société. » (Paul Veyne, atteint d’une difformité physique à la tête, dans son autobiographie Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 159) ; « J’ai été mal dans ma peau jusqu’à l’âge de 20 ans. Je me trouvais moche, je ne plaisais pas. J’ai vite compris qu’il fallait que je séduise par autre chose que mon physique. J’avais l’humour caustique, un peu anglais. J’étais vieux à 20 ans et jeune à 40, l’âge où j’ai commencé à déboutonner mon corset. » (Stéphane Bern, Paris Match, août 2015) ; « Tu nais, coiffée de la tête jusqu’aux genoux, toute velue. » (la voix-off de Christine s’adressant à elle-même par le tutoiement, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « J’espère ne pas devoir faire les cours de natation. » (Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; « Je me sentais pas du tout bien dans ma peau. » (Lucas Carreno, femme F to M, pendant le débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; etc.
Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Christian, le dandy homosexuel de 50 ans, raconte son appréhension des salles d’éducation physique et sa peur des scènes de douches collectives dans les vestiaires. « C’est extrêmement difficile à vivre. J’ose à peine regarder les autres. Quand c’était intime, j’étais dans le malaise. »
Dans l’émission Radioscopie sur France Inter, le 6 mai 1976, quand Jacques Chancel demande à Jean-Louis Bory si « physiquement il se plaît », Bory lui répond spontanément : « Ah nan ! Devant ma glace, je ne me ferais pas ! » Il trouve qu’il a le pif énorme de son grand-père. Et il se rappelle avoir sorti une phrase qui avait blessé sa mère : « Tu aurais pu faire un effort avec papa pour me réussir physiquement parlant. »
La romancière lesbienne Carson McCullers est « cette adolescente trop grande et embarrassée d’elle-même se vivant comme ‘anormale’. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 198) Edmund White adolescent se sentait un Sissy Boy qui n’arrivait pas à « parler viril », à « paraître viril » (Edmund White, Un Jeune Américain (1984), p. 9). Marc Batard se décrit lui-même comme « le petit bâtard aux grandes oreilles » (Marcel Batard, sur le site www.e-llico.com, consulté en juin 2005). Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld ont porté, quand ils étaient tout petits, les cheveux longs. Jean Le Bitoux souffre pendant son adolescence de sa petite taille : « Je ne grandissais plus depuis des années. Je fus dix ans durant le plus petit de ma classe. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 30) Pierre Loti ne supportait pas de ne mesurer qu’1,62 m… et c’est pour cela qu’il portait souvent des souliers à ressort ou à semelle compensée. James Dean, le gringalet solitaire, vivait mal sa petite taille et sa mauvaise vue (il gardait même ses lunettes au lit !). Le comédien Fabien Tucci a un cheveu sur la langue. Federico García Lorca zozotait et refusait qu’on enregistre sa voix lors des interviews. Le dramaturge Copi « a une voix de viole de gambe » (cf. la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 67). Suzy Solidor complexa de sa voix étonnamment grave, Tennessee Williams de ses jambes paralysées, Cy Jung de sa cécité de personne albinos (« Bigleuse à 8 ans. Maboule à 18 » écrit-elle dans Tu vois ce que je veux dire, 2003), Montgomery Clift de ses grandes oreilles ; Frida Kahlo de sa pilosité et de son corps accidenté ; Harry Glenn Milstead (Divine) de son obésité, Gastón Baquero ou James Baldwin de leur peau noire ; Truman Capote de sa petite taille et de sa voix suraiguë ; Violette Leduc, Paul Verlaine, ou Érik Satie, de leur physique prétendument disgracieux ; le chorégraphe Mehdi Kerkouche, de sa petite taille et de son efféminement. Par exemple, dans l’émission de speed-datings Et si on se rencontrait… sur M6 (diffusée le 2 mai 2022), Enrique, un Vénézuelien homo de 38 ans, de son propre aveu, a été obèse et a les oreilles décollées. Par ailleurs, j’ai très clairement en tête cette photo d’Andy Warhol (1958) de Duane Michals, où l’on voit justement le plasticien se cachant le visage avec les mains pour ne pas être vu : pour moi, c’est la photo de la haine de soi par excellence.
Ce qui est pervers dans cette histoire de la haine homosexuelle de son physique, c’est qu’elle peut parfois reposer sur un substrat de réalité, sur une difformité ou une laideur presque « objective » : une maladie, un handicap, un visage disgracieux, on ne les invente pas ! Cela s’impose à certains individus. Mais c’est à nous, êtres humains, de distinguer, parmi les contingences humaines, ce qui relève de notre liberté, et ce qui nous est imposé. Dans toutes les situations, y compris celles où notre marge de manœuvre est limitée, nous avons à comprendre que rien n’est une fatalité, pas même notre corps. Si on ne peut pas le changer, notre liberté s’exprime au moins dans notre manière d’y consentir ou de « vivre avec » le mieux possible. Il y a toujours une décision qui se joue en chacun de nous d’aimer notre corps ou de le rejeter. Et c’est vrai qu’on remarque chez les personnes homosexuelles une tendance au rejet plus qu’à l’acceptation. On le constate à leur posture et à leur démarche corporelle. « Physiquement, il ressemblait un peu à ses dessins : un être immatériel, un peu funambule, qui marchait à tâtons. » (Alfredo Arias en parlant de son ami Copi, dans l’article « Copi, ma part obscure » d’Hugues Le Tanneur, dans le journal Éden du 12 janvier 1999)
La haine de son corps est la marque d’une peur/misanthropie enfantine, d’un désir de se couper de ses semblables/de se fuir soi-même… et comme on somatise parfois, ce qui au départ n’était pas naturel peut donner l’apparence « naturelle » de la maladie ou de la phobie : « Je m’inventais des maladies pour rester à la maison. Mon père était au travail et je me sentais bien dans ce cocon auprès d’elle [ma mère]. Au point que j’allais devenir phobique de l’école. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 18) ; « J’ai commencé à me détacher de ma mère. J’ai cessé de faire le malade. » (idem, p. 27) ; « Par souci de ma santé fragile et aussi pour éviter que je n’apprisse de vilaines choses, ma grand-mère m’avait interdit de jouer avec les garçons du voisinage. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 31) ; « Mon enfance fut maladive. On me diagnostiqua une maladie à l’époque où je ne connaissais pas encore l’existence de l’asthme. À cause de l’asthme, j’allais à l’école de manière sporadique. » (Patrick White cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « J’ai toujours vécu tellement protégé, quasiment sans sortir de chez moi. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 78) ; « Par la suite, elle surveilla mon alimentation avec une telle affectueuse tyrannie que les repas de famille devinrent pour moi une véritable supplice de Tantale. » (Denis Daniel en parlant de sa mère, dans son autobiographie Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 17) ; « Jusque là, ma famille m’avait volontairement soustrait à l’épreuve d’éducation physique avec l’aide d’un tas de certificats médicaux. » (idem, p. 24) ; « Tu connais, chère amie, mes goûts avérés ou plutôt mes dégoûts et mes allergies ! » (idem, p. 65) ; « Une véritable peur de la vie résulta de sa façon de nous élever, mon frère et moi. […] Au début de ma tendre enfance, je n’ai été privé que d’une chose : jouer avec d’autres enfants. Ma mère prétendait que j’avais une santé fragile et me gardait constamment auprès d’elle. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 76) ; « J’étais asthmatique et de terribles crises m’assaillaient parfois, me poussant dans un état plus proche de la mort que de la vie. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 61) ; etc.
Dans la série des douillets homosexuels faussement/vraiment malades, jugés « naturellement différents » alors que leur corps n’avait bien souvent que la forme de leurs fantasmes, de leurs peurs inavouées, et de leur dégoût d’eux-mêmes inconscient, on retrouve par exemple le peintre Francis Bacon, qui, étant petit, souffrait d’asthme et dû suivre des cours particuliers. Couvé par sa mère, Andy Warhol avait peur d’aller à l’école et simulait des maladies telles que la scarlatine, les allergies, ou les crises nerveuses pour arriver à ses fins. Malcolm Lowry, quant à lui, était un adolescent douillet et fragile. Jean Cocteau faisait croire à de fausses appendicites, scarlatines, rubéoles, pour ne pas se rendre au collège, et sa mère cédait à tous ses caprices. Afin d’éviter les rigueurs de l’internat au lycée, Paul Verlaine fut placé sur décision de sa mère dans l’Institution Landry. Tennessee Williams ne pouvait pas faire de sport comme les autres parce qu’à 11 ans, il se retrouva avec les jambes paralysées. José Lezama Lima, Marcel Proust, et Raúl Gómez Jattin, n’ont pas été épargnés par les attaques d’asthme qui les écartaient des jeux des enfants de leur âge. Federico García Lorca, qui faillit mourir du typhus à 14 ans, n’aimait pas le collège, et prétextait son handicap aux jambes qui le rendait boiteux pour ne pas faire de sport. Montgomery Clift était allergique à la laine. André Gide simulait des crises nerveuses pendant lesquelles il hurlait : « Oh ! Je souffre tellement ! Je souffre tellement ! ». Durant sa vie d’adulte, Pierre Louÿs se croyait tuberculeux et se donnait peu d’années à vivre.
Ce que beaucoup de personnes homosexuelles ont du mal à intégrer, c’est que cette haine de leur corps, même si elle peut s’expliquer scientifiquement et visuellement, n’a rien de profondément objectif, fondé, justifié : c’est dans leur cœur et leur regard que le problème de la « laideur/différence » physique homosexuelle se joue ; pas ailleurs. « On me dit que je suis mignon, mais je ne me plais pas. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 51) ; « Elle ne s’aimait pas et son corps, me semble-t-il, encore moins que le reste. Je pourrais écrire un florilège des expressions négatives dont elle se servait pour parler d’elle dans ses lettres : ‘une petite boulotte inculte’, ‘je me sens figée comme une vieille huile rance’, ‘tu vas serrer dans tes bras une bûche larmoyante’, ‘je tire au-dessus de ma tête le couvercle de ma poubelle’. Comment pouvait-elle se mépriser ainsi ? » (Paula Dumont par rapport à son amante Catherine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 170) Elles se focalisent sur un détail pour transformer ce dernier en énormité qu’il n’est pas : « Tout a commencé par le nez. J’avais un gros nez et personne ne voulait de moi. » (Harold Lang, cité dans l’autobiographie Palimpseste – Mémoires (1995) de Gore Vidal, p. 202) Le sentiment de laideur ne s’appuie pas sur la réalité, mais sur une jalousie par rapport aux modèles fantasmatiques médiatiques : « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet cité dans la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99) ; « Je n’étais pas mon genre. » (Pierre Loti, cité dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 301) ; « De cette période, je sais également que j’enviais ma sœur. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, parlant de la beauté de sa sœur, dans le roman Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 75) ; etc. La dévalorisation de son corps vient surtout du rêve narcissique déçu de ressembler à ses héros cinématographiques : « On se demande pourquoi on a souvent tendance à oublier les héros de notre enfance tels que Robin des Bois, Spock et l’incontournable Superman auxquels on voulait ressembler, que ce soit pour leur physique ou leur témérité. Alors assumons, messieurs ! » (cf. l’article « Megging, Messieurs ! » de Monique Neubourg, dans la revue Sensitif, n°44, mars 2010, p. 54) Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, quand on demande à Yves Saint-Laurent quel est le don de la Nature qu’il aurait aimé avoir et qu’il n’a pas, il répond : « la force physique ».
C’est un rapport blessé/méfiant au corps qui peut indiquer une homosexualité : « À 8 ans, Gide entre à l’École Alsacienne. Il a peur de la plupart des autres enfants mais s’attache passionnément à deux garçons en particuliers. Ils ont en commun d’être pâles, fragiles et délicats, comme Gide lui-même. » (Virginie Mouseler, Les Femmes et les homosexuels (1996), p. 28). Qu’on le veuille ou non, il existe un lien entre désir homosexuel et misanthropie/haine de soi. « Il n’aimera jamais le sport. Il n’aura jamais confiance dans son corps. » (Jean-Paul Sartre à propos de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 15) ; « Je ne me supporte plus moi-même. » (Nancy, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; « J’ai quatorze ans. Je ne suis pas très grand, plutôt frêle car je prends bien soin d’éviter les clubs de sport et je multiplie les excuses pour être dispensé des cours d’éducation physique au collège. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 18) ; « On voyait bien que Violette Morris n’était pas bien dans sa peau. Elle s’était coupée les seins. Elle avait des seins énormes. » (Marie-Jo Bonnet lors de sa Conférence « Violette Morris, histoire d’une scandaleuse », donnée le 10 octobre 2011 au Centre LGBT de Paris)
La volonté homosexuelle d’en finir avec son corps sexué peut aussi, malheureusement, résulter d’un manque d’amour et d’amitié dans la vie des personnes homosexuelles : « Jamais personne ne me dit que je suis belle. » (la femme transsexuelle F to M, portraiturée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)
La honte originelle de son corps est tellement injustifiée et honteuse à révéler que certaines personnes homosexuelles ont trouvé la parade pour l’innocenter : elles la naturalisent, et créent une « espèce » anthropologique homosexuelle. L’expression « corps homosexuel » revient à différentes reprises : chez Monique Wittig (Le Corps lesbien en 1973), Jean Danet, Gregory Woods, Sylvain Ferez (Le Corps homosexuel en-jeu en 2007), Camilla Storgaard (et ses « corps queer »), etc. L’argument naturaliste du « corps homosexuel » ou de la supposée « laideur qui rendrait naturellement homo », même s’il est homophobe et fallacieux (ce n’est pas notre corps qui commande nos désirs ni notre manière de le regarder avec bienveillance), arrange bien des personnes homosexuelles qui ne veulent surtout pas faire état de leur rapport souffrant/complexé à leur propre corps, qui ne sont pas enchantées de découvrir leur liberté et leur responsabilité dans le mépris de leur personne, qui ne souhaitent pas que l’on fasse la correspondance entre leur honte existentielle et un probable viol qu’elles ont/auraient subi dans l’enfance (et dans lequel leur corps est fatalement impliqué). Elles finissent par se rendre compte que le désir homosexuel n’est pas une réalité objectivable comme d’autres réalités corporelles : « La différence entre être homosexuel et être Noir, c’est qu’être Noir, ça n’a pas à s’annoncer : ça se voit. L’homosexualité, ça ne se voit pas forcément. » (Lionel, témoin homosexuel interviewé dans l’émission-radio Je t’aime pareil d’Harry Eliezer, spéciale « Papa, maman, les copains, chéri(e)… je suis homo », diffusée le 10 juillet 2010 sur France Inter) Par exemple, dans son film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014), le réalisateur homosexuel Daniel Ribeiro a choisi de mettre sur le même plan l’homosexualité et la cécité. C’est forcément touchant pour l’homosexualité (en plus de la mettre à l’abri du jugement moral), mais c’est quand même faux et abusif : la cécité n’est pas, contrairement à l’homosexualité, de l’ordre du désir, mais est principalement de l’ordre corporel.
C’est généralement à travers l’art que la honte homosexuelle de son corps passe le plus inaperçue, trouve sa plus belle justification/cachette. Par exemple, la communauté homosexuelle a tendance à se choisir comme représentantes des chanteuses ou actrices à l’anatomie atypique (Juliette, Marianne James, Anne Roumanov, Chantal Ladesou, Rossy de Palma, Sylvie Joly, Valérie Lemercier, Lady Gaga, Brigitte Fontaine, Catherine Ringer, Juliette, etc. ; rien d’étonnant que la série télévisée Ugly Betty soit aussi homo-érotique !). Les créateurs homosexuels aiment mettre en scène des personnages socialement rejetés pour leur physique, au faciès peu publicitaire, voire carrément monstrueux : je pense à Tracy l’héroïne obèse de la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, au Roi Jean le premier monarque sourd dans le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie, à l’Elephant Man (1980) de David Lynch, à Norma la femme défigurée du film « La Piel Que Habito » (2011) de Pedro Almodóvar, à la lilliputienne Jacqueline Mignot dans la nouvelle « La Césarienne » (1983) de Copi (« Elle était fort complexée vis-à-vis des autres femmes socialistes de sa génération », p. 65), à la Duchesse d’Albe dans la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi (« Sa laideur jetait un froid autour d’elle. », p. 12), etc. Finalement, ils semblent vénérer davantage des spectres immatériels et des esprits de morts exposés dans un Musée des Horreurs, que des corps vivants, existants, et nous ouvrant à l’universelle incarnation.
Un peu comme chez certains gothiques qui prennent plaisir à s’enlaidir et à se tatouer de partout pour masquer leur mal-être corporel, certaines personnes homosexuelles font mine de rentrer volontairement dans le jeu de leur soi-disant « disgrâce congénitale ». Cela pourrait s’appeler l’inversion du stigmate en orgueil paradoxal : « Au lycée, son intégration n’est pas facilitée par son apparence physique. En quelques mois, elle est devenue une adolescente longue et maigre, qui ne tardera pas à atteindre, prématurément, sa haute taille d’adulte, 1,75 m. Ce ne fut sans doute pas très facile à vivre, mais la jeune fille en tire un sentiment accru de singularité. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 44) ; « Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là. […] Je me suis toujours sentie moche, je m’en accommode d’autant mieux que ça m’a sauvée d’une vie de merde à me coltiner des mecs gentils qui ne m’auraient jamais emmenée plus loin que la ligne bleue des Vosges. » (Virginie Despentes à propos des femmes séduisantes, dans son essai King Kong Théorie (2006), p. 10) À l’âge adulte, il arrive que certaines personnes homosexuelles fassent payer leur sentiment de laideur physique aux autres en imitant les monstres qu’elles croient être, en accentuant leurs traits prétendument horribles par une humeur massacrante et une fierté provocatrice. « Verlaine vécut le drame de se croire tel : mal-né, environné sans fin de l’épouvante qu’il suscitait. » (cf. l’article « Poétiquement « correct » d’Alain Borer, dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 40) Alain Pacadis, après avoir eu honte de son physique, a entretenu l’image qu’il s’en faisait en devenant « crasseux, alcoolique et drogué, avec l’œil globuleux, le cheveux amidonné de gras, la démarche courbée par une scoliose soigneusement entretenue. » (cf. l’article « Alain Pacadis » de Didier Éribon, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 349) Drôle de manière de prendre le pouvoir sur sa propre haine de soi… Parfois même, certaines célébrités homosexuelles se vengent de s’être crues aimées uniquement pour leur plastique : Marlon Brando, par exemple, se laissa complètement aller à la fin de sa vie, en devenant obèse et hideux. D’autres même se suicident parce qu’elles ne supportent pas de vieillir et de s’enlaidir. Ils opèrent un acte iconoclaste sur leur propre personne… comme s’ils se doutaient d’être vraiment faits de chair et de sang.
Je vous propose de passer outre cette comédie homosexuelle de la dévaluation/adoration de soi dans la destruction de son corps, pour aller à l’essentiel de mon propos : pour moi, la mocheté physique homosexuelle n’existe pas. Pas une seule personne homosexuelle n’est laide, en réalité. Vous m’entendez : pas une ! En revanche, je crois que beaucoup d’entre elles ne se rendent pas désirables (… et certaines vont même jusqu’à se rendre trop belles plastiquement pour se rendre inaccessibles et indésirables !) Je pense en particulier à ces nombreuses femmes lesbiennes qui, par paranoïa du viol/de la sexualité (paranoïa qu’elles n’avoueront pour la plupart jamais), s’enlèvent tout sex-appeal pour décourager les garçons de les draguer ; je pense à ces hommes gays qui s’abandonnent vestimentairement et physiquement parlant – ne me regardez pas comme ça, s’il vous plaît… – pour ne surtout pas « faire mec » et plaire ; ou bien à ces dandys qui affichent une arrogance et une sophistication tellement parfaites esthétiquement qu’ils sont très peu avenants, même physiquement.
C’est le rapport au corps qui est souvent laid chez les personnes homosexuelles ; non leur corps réel. En fin de compte, elles sont complètement à côté de la plaque quand elles parlent en mal de leur corps. Si elles devaient mépriser quelque chose dans cette affaire, cela devrait être uniquement leur manière de se comporter gestuellement et de se tenir, leur démarche parfois superficielle et hautaine/honteuse, leur manque d’amour d’elles-mêmes, leur relation haineuse/blessée/envieuse à leur propre corps et aux corps des autres en général.
Parfois, elles aiment trop leur physique pour l’aimer vraiment tel qu’il est (c’est à dire comme une matière sacrée et fragile à la fois), et s’en servent pour s’isoler des autres : « Mon caractère, ma façon d’être, de me vêtir me différenciaient des autres élèves. J’étais grand pour mon âge et, grâce à mes parents, à ma mère surtout, j’étais toujours vêtu avec recherche ; l’éducation que j’avais reçue faisait de moi, je l’avoue, un garçon assez précieux mais, à seize ans, bien des jeunes gens ressemblent à des filles. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 82)
On a du mal à soupçonner cette haine de soi chez l’individu homosexuel bien fait, bien apprêté, très musclé, suffisant, fier de ses attributs physiques, narcissique à souhait, et sûr de son pouvoir de séduction donjuanesque. Qui, par exemple, ira voir dans l’assurance violente de l’acteur porno une auto-flagellation, une dévalorisation avilissante ? Et pourtant… se traiter comme un objet, n’est-ce pas autre chose que se détruire et s’enlaidir le cœur (et donc le corps) ?
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Code n°62 – Extase (sous-code : Frontière)
Extase
NOTICE EXPLICATIVE :
Extase : un « renoncement à soi » à doubles tranchants…
Extase vient du grec qui signifie « transport ». Il peut se définir comme : 1) un ravissement d’esprit qui, par une contemplation intense, transporte un être hors de la vie des sens ; 2) ou bien une vive exaltation qui suspend la sensibilité et la volonté ; 3) une vive admiration, un plaisir extrême qui absorbe tout autre sentiment.
L’extase est un leitmotiv des fictions homosexuelles. Elle est parfois recherchée par les personnes homosexuelles réelles. Un abandon et une sortie de soi qui s’apparentent à un don, à un magnifique cadeau, à un plaisir intense, mais qui ne le deviendra pas vu qu’ils ne sont pas vécus/donnés à l’amour dans la différence des sexes (sublimé par la naissance d’un enfant par exemple) ni dans l’Église.
Pourtant, la perte de sa liberté dans une excessive extériorisation de soi a quelque chose de grisant uniquement dans l’univers du fantasme imaginaire, des lettres, de l’instant (de consommation de drogues), du « politiquement incorrect » (« Mon corps m’appartient… ET je cherche à m’affranchir de mon esclavage corporel » disent dans un même mouvement les féministes lesbiennes qui haïssent la femme). En réalité, ce louvoiement extatique avec les limites imposées par notre condition humaine, s’il n’est pas connecté à notre Dieu (incarné en l’Église et en la différence des sexes aimante), entraîne paradoxalement vers un repliement sur soi, une schizophrénie, une perte de liberté, une tentative de suicide, un démarche de soumission à ses pulsions et à un amant qui nous domine, un sadomasochisme, une idolâtrie, un enchaînement à son imaginaire narcissique.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Miroir », « Substitut d’identité », « Icare », « Fusion », « Planeur », « Femme au balcon », « Ennemi de la Nature », « Voyage », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Adeptes des pratiques SM », « « Plus que naturel » », « Mort », « Se prendre pour Dieu », « « Je suis différent ! » », « Voyeur vu », et « Espion homo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
a) La sortie du corps par le fantasme de l’« Être-pour-les-autres » et de la transgression des frontières :
Dans les fictions homo-érotiques, il est souvent question de l’extase et du désir de quitter son corps humain : cf. le film « Les Corps ouverts » (1998) de Sébastien Lifshitz, le roman Beatriz Y Los Cuerpos Celestes (Beatriz et les Corps célestes, 2005) de Lucía Etxebarria, le roman Mon corps et moi (1925) de René Crevel, les romans Chroniques des quais (2005) et Au bord du gouffre (2004) de David Wojnarowicz, le roman Mi Alma Era Cautiva d’Antonio de Hoyos, la pièce Transes… sexuelles (2007) de Rina Novi, la pochette de l’album « Sleeping With Ghosts » du groupe Placebo, la chanson « Outside » de George Michael, le poème « El Éxtasis » dans le recueil Vivir Sin Estar Viviendo (1944-1949) de Luis Cernuda, le roman Extase (1892) de Louis Couperus, le roman L’Extase (1909) de Jacques Adelsward, le film « L’Extase et l’agonie » (1964) de Carol Reed, la chanson « Sextonik » de Mylène Farmer, le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure (avec la poésie lue), le film « Elle tuait en extase » (1970) de Jess Franco, la sculpture Extase de Roger Vène, le roman Oppiano Licario (1977) de José Lezama Lima, la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, la chanson « Diamonds » de Rihanna (« vision of ecstasy »), la chanson « Orgasmique » de Monis, le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, le film « Out Film » (2011) de François Emmanuel Charles, le film « Couple(s) au bord de l’extase : Peace, Love, et plus si affinités » (2012) de David Wain, le films « Bondage Ecstasy » (« Ecstasy Game », 1989) d’Hisayasu Sato, le film « Knives Out » (2019) de Rian Johnson, etc. Par exemple, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, la camionnette LGBT porte une énorme inscription qui est bien signifiante « OUT LOUD : Theater Group ».
Les héros homosexuels cherchent à transgresser les quatre piliers du Réel que sont la différence des sexes, la différence des générations, la différence des espaces et la différence entre Créateur et créatures. C’est pour cette raison que leur rapport aux frontières est idolâtre : « Hier encore, nous étions trois à la frontière. » (la toute première de la voix-off dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari) ; « De quel côté du monde la frontière vous rassure ? » (cf. la dernière phrase dans le one-woman-show d’Océane Rose Marie, La Lesbienne invisible, 2009) ; « Tu as brisé plus de barrières que n’importe qui. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West juste après qu’elle l’a fait jouir au lit, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc. Ils sont fascinés autant qu’horripiler par elles : cf. le roman Borderline (1930) de Kenneth McPherson, le roman On The Frontier (1938) de Wystan Hugh Auden, le roman Reivindicación Del Conde Don Julián (1970) de Juan Goytisolo, la chanson « Borderline » de Madonna, la chanson « Je te rends mon amour » de Mylène Farmer, la nouvelle « El Marqués De Sebregondi Llega Y Retrocede » (1988) d’Osvaldo Lamborghini, le roman Borderlands/La Frontera : The New Mestiza (1987) de Gloria Anzaldúa, le roman El Lugar sin Límites (1966) de José Donoso, le film « Le Marginal » (1983) de Jacques Deray, le film « Frontière chinoise » (1965) de John Ford, le film « Ce Lieu sans limite » (1977) de Arturo Ripstein, le film « Varuh Meje » (« Garde Frontière », 2001) de Maja Weiss, le film « Peau neuve » (1998) d’Émilie Deleuze, le film « Segunda Piel » (1999) de Gerardo Verda, le roman Piiririik (Pays frontière, 1993) d’Emil Tode, le film « Hors les murs » (2012) de David Lambert, le film « Fronteras » (2016) de Mikel Rueda (avec Rafa et Ibrahim l’immigré), etc. Par exemple, dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, le prénom du héros homo de l’histoire, Ander, signifie « ailleurs » en allemand. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Rachel, l’héroïne lesbienne, mariée de force à Heck, commence à s’homosexualiser en louvoyant avec les frontières : le balcon (« Heck panique dès que je m’approche du bord. »), les sentiments (« Est-ce que tu as déjà franchi la ligne ? » demande-t-elle à Luce, sa future amante).
L’extase, facilitée par l’orgasme érotique, l’émotion visuelle « artistique », la tendresse et l’absorption de drogues, ça a l’air « fun » comme ça, dans l’instant. Ça « transporte ». « On se tire à l’étranger. » (le couple lesbien Shirin/Atefeh dans le film « Circumstance », « En secret » (2011) de Maryam Keshavarz) ; « On va rester en extase toute notre vie. » (Burger dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; etc. La sortie de sa sphère de conscience produit les effets euphorisants de la cocaïne : « L’extase est sacrée. » (cf. le poème « Howl » (1956) d’Allen Ginsberg) ; « Sublimé, magnifié, déifié, dédoublé, multiplié, détaché de ton corps qui n’était qu’un décor te voilà prêt à survivre aux hommes et à la mode. » (cf. la chanson « Silverscreen » du Teenager dans la comédie musicale La Légende de Jimmy) ; « Comme si j’étais quelqu’un d’autre et que j’observais tout ce que je faisais. » (Franz, le héros homosexuel dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je me sens si différent. Comme si avant, j’avais un corps mais j’étais pas dedans. » (Didier, le héros qui croyait être hétéro, après avoir vécu son expérience homo, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Nous avons dû passer des heures à nous caresser. J’avais la sensation de vivre hors de mon corps, et hors du temps. » (Anamika, l’héroïne lesbienne racontant sa liaison avec Linde, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 30) ; « J’me sens tellement extérieur. Comme ces gens qui quittent leur corps. » (Martin dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « J’ai besoin de m’extérioriser. » (Jean-Paul dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor) ; « Mais l’extase aussi, c’est lumineux. » (Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Monbardo) ; « J’adore toutes les expériences. Surtout les sorties de corps. » (Érik Satie dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Je vais me transférer moi-même. » (le père Adam, homosexuel, dans le film « W imie… », « Aime… et fais ce que tu veux » (2014) de Malgorzata Szumowska) ; « Le corps extase, envie, mon corps genre, sexe, orgasme, comme un médium de plaisir, le terrain des amours et des haines, de soi et des autres, le terrain de l’autre. Le corps autre. » (la voix narrative de la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « Dans sa chambre, isolés du monde, j’étais revenu tellement de fois, avec enthousiasme, extase, sur ce pont, sur ce mystère. » (Omar en parlant de la chambre de son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 170) ; « J’étais en extase devant toi. Tout ce que tu disais, tes regards malicieux, tes sourires moqueurs, tes mimiques… tout me fascinait ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 81) ; « L’extase a toujours lieu, toujours, ça n’est jamais arrivé que mon âme ne s’envole pas pendant que mon corps s’imprimait dans le faux cuir, mais chaque fois j’ai peur de ne rien ressentir, d’arriver à ce point de saturation où une seule écoute gâchera à tout jamais le plaisir que je trouve à écouter cette scène presque chaque jour depuis si longtemps. […] Je connais deux ou trois minutes de pure extase. Le miracle a encore eu lieu, merci monsieur Puccini. » (le narrateur homosexuel parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, pp. 17-19) ; « Écrire ‘Orlando’ m’a procuré la plus grande extase que j’aie jamais connue. » (Virginia Woolf, l’écrivaine lesbienne parlant de son autobiographie, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.
Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Joachim, l’artiste bobo bisexuel, vante l’amour lesbien et soutient que l’extase orgasmique ne pourrait être véritablement atteint que par les femme : « Je suis persuadé que l’orgasme féminin est mystique. » Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, l’injonction « Dehors ! » est la formule magico-thérapeutique pour faire partir l’ennemi ou la moindre contrariété.
b) Une extériorisation dramatique :
Les contrecoups ou les moteurs de cette recherche d’un paradis hors de soi sont beaucoup moins poétiques : haine de soi et du monde, déception, dépression, réveil douloureux, schizophrénie, expérience du choc de ses limites par la souffrance ou la mort : « En prenant le plaisir que je voulais avec ma cousine, je fus envahie d’une extase aussi soudaine qu’étrange. […] C’est bien le curieux de la nature humaine qui porte souvent plus d’intérêt à la conquête qu’à ce qui pourtant déjà existe, si beau, dans sa maison. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 65-70) ; « Comme je chéris ces larmes, bien plus douces, sachez-le, que celles de l’extase ! » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 178) ; « Plus de centre, tout m’est égal… Je vis hors de moi et je pars… » (cf. la chanson « Comme j’ai mal » de Mylène Farmer) ; « Sans logique, je me quitte, aussi bien satanique qu’angélique. » (cf. la chanson « Sans logique » de Mylène Farmer) ; « Où suis-je ? Où ? C’est chez moi ici ? C’est bien chez moi, voici mon corps à côté de celui de mon chien. » (« L. », le narrateur transgenre M to F, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Ah ! n’être plus moi-même, murmura-t-il, cesser d’être moi-même pendant une heure ! » (Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 49) ; « Je voudrais être opium, me ferai narguilé, particule d’hélium, partir toute en fumée. » (cf. la chanson « Serais-tu là ? » de Mylène Farmer) ; « Fragile abîme, pâle horizon » (cf. la chanson « Réveiller le monde » de Mylène Farmer) ; « Voici la vie de pédé ! Étranglé et presque noyé pour mille misérables francs quand je ne faisais que chercher l’extase de l’aventure ! » (Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « C’est un peu ça. Des fois, j’ai l’impression d’être un étranger dans ce corps. Je ne sais pas si c’est le mot qui va bien. C’est plus l’impression de désaccord, de perte de contrôle, avec des envies, des pulsions et des idées que je préférerais ne pas avoir, dans lesquelles je ne me reconnais pas, qui me mettent mal à l’aise… Tu comprends ? » (Kévin parlant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 374) ; « Dalida est une fuite en avant vers nulle part. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Je n’ai jamais été à ma place. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Je suis un enfant hors de chez lui. Mon corps est un étranger. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « On m’arrêtera à la frontière. » (Tareq, le héros homosexuel syrien, dans le film « A Moment in the Reeds », « Entre les roseaux » (2019) de Mikko Makela) ; etc.
Il n’est jamais bon de se fuir et de prétendre retrouver un « plus que soi-même » loin de soi, loin de ses frontières (corporelles, humaines, spirituelles) de créature divine !
Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar, dans la forêt, propose à son amant Khalid de s’échanger les identités avant de l’assassiner : « On sort de soi. » (p. 138) Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte, qui vit pourtant hors de sa sphère de conscience, joue à être un fœtus qui n’est pas encore sorti du ventre de sa mère, et parle de lui à la troisième personne : « Je suis pourtant dedans. Je vais le raconter par dedans. »
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) La sortie du corps par le fantasme de l’« Être-pour-les-autres » et de la transgression des frontières :
Le rejet de la Réalité chez la majorité des personnes homosexuelles commence par le désir d’échapper à son corps mortel. Cela serait rendu possible grâce à l’extase, c’est-à-dire la sortie de soi, la séparation de la corporalité naturelle et de l’âme , l’expérience impersonnelle de l’absence qui n’est pas la vraie mort – puisque la mort est toujours irréductiblement personnelle – mais une fuite de sa sphère de conscience. Énormément d’auteurs homosexuels s’inspirent de l’extase : cf. le docu-fiction « N’importe où hors du monde » (2012) de François Zabaleta, la maison éditoriale de films gays Out Play, le magazine homosexuel Out, le festival Cinémarges à Bordeaux, etc. (par exemple, Zo d’Axa est le fondateur de la revue L’En-Dehors en 1891). Ils parlent de la nécessité de « s’affranchir de l’esclavage corporel » (cf. l’article « Procréation Médicalement Assistée » de Marcela Iacub, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 380) : « Ma peau me dérange, il faudrait l’arracher ! » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 21)
L’extase est entendue comme « un désir de ne plus être, un désir de rupture avec l’identité » (Néstor Perlongher, « Poesía Y Éxtasis » (1990), dans le recueil d’articles Prosa Plebeya (1997), p. 150). Néstor Perlongher, le poète homosexuel argentin, définit « l’éclair de l’extase » comme « un instant de fusion, de sortie de soi » (idem, p. 20) : « Rien n’est plus réel que l’extase. » (Néstor Perlongher, « La Religión De La Ayahuasca » (1992), idem, p. 164)
Symboliquement, l’extase est souvent illustrée par la traversée d’un miroir. Grâce à elle, le marginal homosexuel passerait d’une rive à l’autre (« Il se trouve de l’autre côté. Le dos tourné. Il est les autres » nous dit Néstor Perlongher dans son article « Poesía Y Éxtasis » (1990), et procurerait à l’individu qui s’y identifie la satisfaction de « se sentir Dieu » (p. 153). Par exemple, Walt Whitman aime à se définir comme un « poète cosmique ».
Les individus homosexuels pratiquants cherchent à transgresser les quatre piliers du Réel que sont la différence des sexes, la différence des générations, la différence des espaces et la différence entre Créateur et créatures. C’est pour cette raison que leur rapport aux frontières est idolâtre : ils sont fascinés autant qu’horripiler par elles : « Le passage des frontières et cette émotion qu’il me cause devaient me permettre d’appréhender directement l’essence de la nation où j’entrais. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 54) ; « Au début des années 1970, les frontières sexuelles s’estompent. » (la voix-off dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Je me regarde dans cet appartement, comme si j’étais ailleurs. Ailleurs ! J’ai toujours vécu en quelque sorte ailleurs, pays que connaissent tous ceux pour qui c’est l’appel d’un monde au-delà des apparences. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, 13 juin 1981, p. 40) ; etc. Par exemple, Néstor Perlongher revendique sa « passion pour les limites » et son irrésistible besoin de « se pencher au bord des abîmes » (Néstor Perlongher, Prosa Plebeya (1997), pp. 20-21). Il définit l’action du marginal homosexuel comme un « travail frontalier » (idem, p. 16).
A l’heure actuelle, le discours queer de l’idéologie du Gender utilise abondamment le lexique de la « frontière » à dépasser, à déconstruire, à travestir, à transcender, et en réalité à détruire. « La meilleure position sera alors peut-être celle que préconise Michel Foucault : ‘On doit échapper à l’alternative du dehors et du dehors, il faut être aux frontières.’ Aux frontières ? Oui, mais pour les abolir. » (Louis-Georges Tin, Homosexualités : Expression/Répression (2000), p. 16) ; « Tout l’enjeu de ce film est de savoir s’il faut ou non dépasser les frontières, tant bien géographiques que psychologiques. » (cf. le commentaire queer indigent du film « La Robe de mariée » (2009) de Viktoria Dzurenkova, dans la plaquette du 16e Festival Chéries/Chéris du Forum des Images, du 12 au 21 novembre 2010) ; etc. Selon Didier Roth-Bettoni, par exemple, l’amour homosexuel « transgresse toutes les barrières des genres » (Didier Roth-Bettoni, L’Homosexualité au cinéma (2007), p. 549). Ça ne veut rien dire, mais ça fait joli, combatif, élancé. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se propose de « passer d’un camp à l’autre ».
Comment l’extase se traduit dans le vécu des personnes homosexuelles ? En clair, le coming out (littéralement « sortie du placard » = révélation de son homosexualité) renvoie à l’euphorie éphémère/excitante de l’extase identitaire (une extase matinée d’orgueil d’avoir l’impression d’être un facteur de déstabilisation politique). « Moi, je suis une artiste brute. J’ai besoin d’aller jusqu’au bout de moi-même. » (David Forgit, le travesti M to F, dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; « Tu as encore ton extase ? » (Ernestito s’adressant à Alfredo Arias, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 229) ; « Ma vie est sur le bas-côtés. Je suis habitué à ce ton gris. Ça ne me gêne pas, c’est les autres que ça gêne. » (Florian dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 86) ; « Un homosexuel est un être aérien, sans attaches, sans lieu fixe qui lui soit propre […]. Nous sommes toujours suspendus en l’air, aux aguets. Notre condition aérienne est parfaite et c’est très bien que l’on nous ait affublés de noms d’oiseaux. Nous sommes des oiseaux parce que nous sommes toujours en l’air, un air qui n’est pas non plus à nous – rien n’est à nous, d’ailleurs – mais au moins il est sans frontières. » (Reinaldo Arenas, El Color Del Verano (1991), p. 480) ; etc.
D’ailleurs, l’homosexualité étant une sexualité plus extatique et anti-biologique, il est logique qu’elle concerne davantage les hommes : « Le sexe du garçon est très apparent, il est extérieur à lui-même et on le voit. Le sexe de la femme n’est pas très apparent, il est surtout intérieur à elle-même, et on n’en voit que l’entrée. […] Le mot ‘éjaculation’ veut dire lancer avec force, ‘lancer comme une flèche’. L’éjaculation procure un plaisir intense à l’homme, et à sa femme aussi s’il a su l’attendre. » (Inès Pélissié du Rausas, S’il te plaît, Maman, parle-moi de l’amour (2013), pp. 22-23)
Sur le terrain amoureux et de la pratique homosexuelle/homo-sensuelle, l’extase est rêvée comme une délectation de la luxure, des plaisirs interdits socialement, de la perversion (dans le sens de « non-contrôle des pulsions »), une jouissance de la transgression, un hommage à la sexualité spirituelle (cf. les liens entre homosexualité et tantrisme) : « Moi, l’homme du dehors, l’amoureux de la nature » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 69) ; « J’ai accueilli son sperme tiède dans ma bouche avec extase, comme une hostie. » (idem, p. 96) ; « Abdellah, mon ami, mon copain, qui se transformait pour moi en un corps qui n’existait que par et pour l’extase. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 12) ; « C’est très important et très rassurant quand on pratique le sexe à plusieurs. C’est comme si on faisait abstraction de nos corps et qu’il ne restait plus que notre amour ! » (cf. le dossier Têtu sur la fidélité dans la revue Têtu, n°65, mars 2002) ; « L’extase vespérale ! » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), p. 62) ; « Nous sommes arrivés à la plage pour nudistes si bien que Marc a pu se rincer l’œil tout à son aise. Il est notamment resté un bon moment en extase devant des éphèbes qui jouaient au volley sans un fil sur le corps. » (Paula Dumont parlant de son meilleur ami gay, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 146) ; etc.
Mais « l’être à l’extérieur » n’est effectif que dans le monde de la représentation et des utopies. « On vous donne un corps, diffusez-le ! » (Fabrice Hybert cité dans l’article « Art » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 48) Le fantasme de la déterritorialisation, qui serait permise par la puissance désirante extatique, traduit une volonté de « dépassement des différences et des identités » (Roberto Echavarren, Performance, Género Y Transgénero (2000), pp. 20-24), non une reconnaissance exigeante et humble des différences, ni un ancrage dans la Réalité. « Le sens de la réalité leur échappe parce qu’ils ont fait pour ainsi dire l’économie de l’étape œdipienne et que la séparation entre Moi et non-Moi n’existe pas pour eux. Leur vision du monde est de type fusionnel. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 97) ; « La générosité de Coco [homme transgenre M to F] était légendaire. Il avait fondé des foyers pour personnes en détresse : à Rome, à Paris, et maintenant ici. Son âme de mamma juive n’avait pas de frontière et le malheur des autres était une source inépuisable d’affection. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 95) ; « À la longue, cet art du subterfuge m’est devenu aussi familier qu’une seconde peau. Je passais de mon monde intérieur au monde des autres sans même m’en apercevoir. Je finissais par croire que toute ma vie se déroulerait sous le signe du faux-semblant. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 23) ; etc.
b) Une extériorisation dramatique :
Dans l’idée, l’extase se veut ouverture généreuse à l’universelle Humanité, à la transcendance divine, aux rêves humanistes de communion fraternelle, au « Cosmos », au dépassement de soi sublimant le sacrifice d’amour. On serait tous des anges qui feraient l’amour ensemble, chastement et libertinement ! En réalité, cette extériorisation est majoritairement schizoïde et narcissique, jusque-boutiste, comme en témoigne le cri de Narcisse dans les Métamorphoses d’Ovide : « Pourvu que je puisse me détacher de mon corps ! » L’extase renvoie à la mort, plus psychique que réelle, et à la victoire supposée de l’individu sur celle-ci : cf. le documentaire « Frida Kahlo, entre l’extase et la douleur » (2002) d’Ana Vivas
Beaucoup de personnes homosexuelles n’apprécient pas d’entendre que leur désir puisse être narcissique parce que dans le langage courant, narcissisme égale égoïsme. Or le narcissisme ne signifie pas seulement l’amour excessif de soi, mais plus radicalement la division du Moi avec lui-même, un désir de disparition, tout autant que la perte dans le moi : Narcisse sombre dans son image (… en séries) et bute sur ses limites. « Nul centre, mais toujours des décentrements, des séries. » (Michel Foucault, Dits et Écrits I (2001), p. 944)
L’extase exige la fusion destructrice et la rupture radicale avec soi-même, la substitution ou la superposition aux autres. La perdition dans la consommation mutuelle. La chute et la mort, en gros : cf. l’essai Algérie, l’extase et le sang (2002) de Michel del Castillo. « Mon extase dura plus d’une demi-heure. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 170) ; « C’est que vous étiez au-dedans de moi, et, moi, j’étais en dehors de moi ! Et c’est là que je vous cherchais ; ma laideur se jetait sur tout ce que vous avez fait de beau. Vous étiez avec moi et je n’étais pas avec vous. » (Saint Augustin, Les Confessions, IVe siècle, pp. 231-232) ; « Je flairais un brin d’allégresse, lorsque la sensation de ses doigts pour me pousser à danser contre lui pénétrait sur ma chair, créant une vive douleur. Cependant, je désirais cette souffrance pour reprendre conscience de mon corps, comme emporté loin de moi par la vague de plaisir. […] Ruisselant de sueur, il me mordillait les fesses en cherchant à introduire d’une manière décidée, son majeur dans mon orifice anal. La douleur me pinçait. En dépit du retrait que désirait ma conscience, mon corps finit sa course, prisonnier comme ces vers de terre au bout d’un hameçon. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 66-68) ; « Un soir, un peu plus calme que d’habitude, par une douce fraîcheur d’hiver, une envie, une folie peut-être, je me transportais hors de chez moi. J’avais comme le sentiment qu’il me fallait à tout prix remuer mon corps, complètement excité, dans une des boîtes de nuit de Paris. » (idem, p. 131) ; « C’est ça, la mort. La vraie mort. La mort directe, consciemment. […] Se détacher de son corps, du monde, en vitesse, dans l’effarement. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 94) ; etc.
On comprend aisément pourquoi certaines personnes homosexuelles ou icônes gays montrent dans leurs clips qu’elles partent en fumée ou en poussière (cf. les chansons « Remember the Time » et « Ghosts » de Michael Jackson, « Fuck Them All » et « Serais-tu là ? » de Mylène Farmer, « Frozen » de Madonna, etc.).
La pratique homosexuelle est liée à un contexte d’effacement des limites, de crise identitaire et d’effondrement social : « Quand quelqu’un va s’attaquer à l’homosexualité sous l’Occupation, on va bien rigoler ! J’ai commencé à travailler sur l’homosexualité à Ravensbrück… Je peux vous dire… C’est une époque où il n’y a plus de frontières. Tout est décuplé. » (Marie-Jo Bonnet, en pleine conférence « Violette Morris, histoire d’une scandaleuse », le 10 octobre 2011, au Centre LGBT de Paris)
Et soit dit en passant, la violence du coming out (= caricature de soi-même par la réduction identitaire à ses pulsions sexuelles) et du outing (= révélation forcée d’une homosexualité) illustre bien les liens de coïncidence entre extase homosexuelle et viol.
Je vous renvoie, en lien avec ce code sur l’extase, au code « Adeptes des pratiques SM » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, et notamment toute la partie dédiée à saint Sébastien.
Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.