Chers frères cathos homos,
C’est rare que je m’adresse directement à vous comme ça. Par le passé, j’ai fait preuve de plus de patience et de longanimité. Sous prétexte que notre situation, surtout en tant que personnes homos ET cathos, n’est objectivement pas confortable. Mais je crois qu’en vous ménageant et en me satisfaisant des timides avancées, je ne nous rends pas service. Et comme la situation s’envenime mondialement et ecclésialement, et qu’en plus je ne me fais toujours pas entendre, je me vois obligé de « durcir » le ton.
Reconnaissez-le : vous n’êtes pas au rendez-vous de la sainteté à laquelle, nous, personnes homosexuelles continentes, devrions tendre. Et en plus, quand je dis ça, je ne parle même pas d’un rendez-vous que j’aurais moi-même fixé. Non. C’est le rendez-vous de Jésus, dont je me serais personnellement bien passé… mais j’ai eu à peine le choix : c’est Lui qui nous choisis et nous convoque, qui vient nous chercher. Et pour une mission aussi ingrate et incomprise que celle-là, franchement, heureusement que je n’ai pas su à l’avance ce que ça impliquait !
Vous me vantez les valeurs de discrétion, de prudence, vous vous targuez d’avoir mis votre homosexualité de côté, d’avoir « changé », d’avoir « géré », de « stabiliser la bête », parfois même d’avoir « guéri », d’être un « ex-gay », d’avoir « construit votre vie avec le Seigneur », d’avoir « oublié » à certain moment votre tendance dans le mariage ou le sacerdoce. Mais au fond vous refoulez. Au fond, vous n’exploitez pas cette homosexualité qui demeure en vous. Vous ne comprenez pas la dimension mondiale, apostolique, positive et joyeuse de l’homosexualité. Vous me suivez en cachette ou de loin, vous êtes contents (ou énervés !) que j’existe. Mais vous ne connaissez pas la vue magnifique des sommets dont je vous parle. Parfois, vous aimeriez bien m’aider, faire un petit bout de chemin avec moi. Un enthousiasme soudain, et une prise de conscience furtive (comme un flash) de la grandeur de l’apostolat de l’homosexualité vous traversent. Mais très vite, égoïstement et lâchement, vous revenez à votre quotidien, votre travail, votre façade sociale, votre sécurité, votre ministère de prêtre ou de séminariste, votre réputation, votre engagement dans le mariage, vos petites préoccupations, votre quête de respectabilité, votre matérialisme, vos thérapies réparatives et votre laïus romantique sur votre amitié (souvent fantasmée) avec Jésus. Vous dénigrez et relativisez votre homosexualité, vous vous trouvez mille excuses pour continuer votre vie comme avant et ne pas faire le grand saut. Vous me laissez me battre tout seul devant les journalistes, sur les réseaux sociaux, devant les caméras (qui elles-mêmes me fuient), devant les évêques, sur le front des communautés chrétiennes. Vous vous croyez mes supporters et mes amis. Mais vous ne l’êtes pas. En vrai, vous me laissez tomber. Mon vrai ami, c’est celui ou celle qui se bat concrètement avec moi sur le champ de bataille, celui qui a tout risqué et qui n’a pas honte de son homosexualité, qui connaît la puissance que la continence homosexuelle lui donne, qui n’a pas honte de moi, qui a compris que c’était drôle et profond l’homosexualité. À ce jour, je n’ai pas un seul partenaire catho homo continent qui ait fait le pas d’être public, qui joue le Jeu de l’apostolat public de la continence homo. Pas un seul. Il n’y a que Giorgio Ponte en Italie. C’est tout. Sinon, je suis vraiment tout seul. Nous sommes complètement isolés, nous les témoins homos continents. Nous jouons tout seuls dans un coin de notre immense cour. La fraternité de saints homos n’existe pas et n’est pas prête d’exister, quoi qu’en diront les organisateurs du parcours « Homosexualité » de Paray-le-Monial cette année consacré à la « sainteté ». Car il n’y a pas de sainteté sans martyre. Et martyre, ça veut dire témoignage PUBLIC. Pas « sacrifice » (Mt 12, 7) ni « groupe de convivialité privé ».
J’ai rencontré bien des flippés chez les « cathos pédés ». Pour les plus courageux d’entre vous, vous donnez tout au plus votre prénom et témoignage en circuit fermé, mais jamais votre nom (ou alors quand vous le donnez entier, c’est pour justifier la pratique homo comme de l’amour, ou à l’extrême inverse pour justifier l’homosexualité comme une irréalité). Vous vous planquez tous. Vous ne comprenez pas ce que je vis. Vous n’avez même pas bossé le sujet. Vous arrivez en touristes, les mains dans les poches, avec votre petite expérience existentielle à raconter (et rien d’autre : allez-vous repasser le disque de votre enfance en boucle ?), et avec votre mépris du « lobby gay ». Pour vous, l’homosexualité n’est pas un thème qui mérite d’être approfondi et abordé, sous prétexte que – et c’est vrai en plus – l’homosexualité n’est ni une identité, ni nous, ni de l’amour, ni notre raison de vivre. Vous n’avez pas compris la caverne d’Ali Baba qu’est la culture homo, les supers lunettes que notre homosexualité constitue pour comprendre le sens profond de la sexualité et de l’Église. Vous sous-estimez l’homosexualité. Vous la voyez comme une honte, une banalité, une infirmité, un danger, un détail de votre vie. Vous ne réalisez pas la liberté que procure la Vérité éclairée par l’homosexualité, la joie que donne l’explication publique de l’homosexualité, la force du don entier de sa personne (y compris avec cette dimension homo parfois prégnante en soi). Le pire, c’est que j’en ai vus, des mecs homos cathos qui avaient toutes les qualités requises pour être des supers compagnons de cordée et de combat dans l’apostolat de l’homosexualité, des supers évangelisateurs mais qui finalement me lâchaient en route, me disaient « Non, je peux pas te suivre. C’est trop haut et dangereux pour moi. J’ai pas la carrure. Je ne peux pas montrer plus haut avec toi » Je rencontre quelques graines de saints homos potentiels. Je les vois de mes propres yeux! Je connais parfois leurs plus intimes secrets. Et à peine commencent-ils à deviner cette bombe atomique qu’est l’homosexualité continente dans leur vie, pour le monde, pour l’Église, qu’ils me sortent, tout confus pour moi et tout déçus d’eux-mêmes : « Désolé. Je peux pas. Bats-toi tout seul. Et encore bravo. » C’est terriblement frustrant. La grande joie de la communion des saints cède systématiquement la place à l’immense déception du « J’aime beaucoup ce que tu fais ; je devrais le faire avec toi… mais non », la déclaration gênée du forfait. Vous m’avez bien eu. Je vis mille belles rencontres… et aussi mille abandons dans le même temps ! J’entrevois des trésors cachés indéniables, et pourtant vous, mes faux frères, me renvoyez sans cesse à mon incroyable isolement. Je serai donc toujours tout seul à me battre? Toujours entouré de lâcheté et de peur? Toujours regardé avec une admiration et une honte mêlées? Toujours méchamment soutenu ? Mon apostolat n’aura été pour l’instant qu’une succession d’abandons, de trahisons, de faux soutiens, d’incompréhensions, de jalousies, de mirages de fraternité, de mauvaise foi, d’amitiés fuyantes. Un vrai désert. Je ne savais pas que le nom choisi pour mon blog serait si malheureusement concret et prédestiné ! Vous, les cathos homos planqués, vous n’êtes pas mes amis. En théorie, nous aimerions l’être. Nous le sommes par petites touches. Dans le secret des mails, des discussions Skype, des balades en tête à tête. Mais vous êtes davantage des admirateurs spectateurs que des amis. Vous consommez de temps en temps du Philippe Ariño plus que vous ne me nourrissez. Vous avez peur – en me soutenant d’un peu trop près – de vous griller vous-mêmes et de perdre vos connaissances, votre job, votre place dans la communauté chrétienne. L’amitié que vous me proposez est majoritairement en carton, est une schizophrénie.
Un groupe de saints homos : désolé mais je n’y crois plus. Je pourrais jouer sempiternellement la comédie de l’esprit fraternel rassembleur rainbow catho, comme je l’ai déjà fait et comme je continuerai de le faire. Quelque part, dans un coin de mon cœur, j’en ai toujours envie car je crois aux miracles. Et j’ai souvent exprimé le désir de l’existence d’une fraternité sainte, d’une communauté de warriors homos ; et en plus, je ne peux pas en vouloir à certains d’être stratèges, de rester fidèles à leurs engagements, de ne pas avoir ma folie, et d’avoir déjà le petit courage d’être abstinents (cf. questions 242 et 243). On ne peut forcer personne à l’héroïsme. C’est éminemment personnel et libre, la continence. Mais je ne peux néanmoins pas mentir sur la situation objective en l’état actuel des choses : la communauté de saints homos, on en est très loin, elle ressemble à une utopie (le groupe Courage est d’ailleurs un bien pâle essai raté), et comme dirait Mylène Farmer, force est de reconnaître qu’il y a « un précipice » entre ma situation et la vôtre. Donner son nom publiquement, c’est un saut immense que personne n’a fait sauf moi. On ne joue radicalement pas dans la même cour. Vous, que risquez-vous à venir à Courage? Rien. Que risquez-vous à venir m’écouter? Rien. Que risquez-vous à vous inscrire au parcours « Homosexualité » de Courage : rien. Que risquez-vous, même, à raconter votre vie « en tant qu’homo et catho (et continent) » sous un chapiteau de Paray-le-Monial ? Rien. C’est pour ça que je ne pouvais pas rester dans ce mouvement. M’inviter à participer à cette semi mascarade, c’est comme faire connaître à un cachalot qui a goûté à la grandeur des océans la « joie » d’un poisson rouge dans un bocal exigu. Même si on lui dit qu’il n’y sera pas seul. C’est me forcer à rentrer dans du 6 ans. En revanche, qui oserait devant tout le monde se lever et me rejoindre à la tribune ou sur les plateaux télé, tout quitter (son travail, sa famille, son ministère sacerdotal, ses amis, sa santé, sa sécurité matérielle, etc.) ? Personne.
Vous me parlez de prudence. Vous jouez les hommes mariés discrets, les parfaits curés, les célibataires intégrés, les homos réconciliés, les miraculés, les écoutants apaisés, les amis. Mais au fond, vous êtes restés dans l’arrière-cour. Vous rentrez parfois dans le rôle de chantres de la chasteté. Mais de la continence, vous ne connaissez rien car sans l’apostolat public (qui est la chair même de la continence), vous n’expérimenterez que l’abstinence. Vous êtes toujours d’accord avec moi mais seulement en privé. Devant les autres, vous ne m’assumez pas. Objectivement, vous ne m’aidez pas. Et sur ce coup-là, je trouve que vous abusez. Parce que je ne fais rien et ne dis rien d’extraordinaire : je tombe parfois, comme vous; et je ne fais juste que défendre et essayer de vivre ce que nous demande notre Église et que vous devriez défendre vous aussi : pas de quoi me regarder comme un héros, un modèle inaccessible, un grossier personnage ou un extraterrestre excessif et fondamentaliste! Objectivement, vous n’êtes pas là. Vous restez bien au chaud dans votre placard. Je comprends. Mais ça reste en dessous de ce que nous sommes appelés à vivre. Et surtout, c’est insatisfaisant pour vous, c’est une aide énorme en moins pour vivre la continence (car l’apostolat booste la continence, individuellement parlant), un gâchis monumental pour le monde. Je me devais de vous le dire.