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Code n°72 – Femme étrangère (sous-code : Princesse orientale)

femme étrangère

Femme étrangère

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Étrangère à son pays et à elle-même

… à l’image de l’éloignement homosexuel de la différence des sexes et de soi-même

 

 

Très prégnant. Et pourtant, difficile d’en faire une généralité. Mais oui, force est de constater que la grande majorité des personnes homosexuelles aiment les femmes étrangères. Non pas tant les étrangères réelles que les étrangères cinématographiques. Non pas tant des femmes que des hommes hyper-féminisés et hyper-masculinisés. Non pas tant les étrangères qui parlent une langue autre que la nôtre que celles qui emploient notre propre langue avec un fort accent qui frise la sophistication glamour, un brin de prononciation curieuse entretenant le mystère de son origine et incarnant la classe internationale, une exagération qui paraît si involontaire qu’elle se naturaliserait presque.

 

 

Voilà : la femme étrangère (cinématographique), c’est en quelque sorte la victoire apparente de la séduction queer (littéralement, queer signifie « étrange », « bizarre »), c’est l’alibi vivant parfait de la superficialité, c’est la magicienne qui arrive (si on l’imite bien) à faire passer pour vraie et crédible la transgression de la différence des espaces/des sexes. Sa comédie identitaire a tout de l’exotisme excusable, charmant, délicieux, accidentel, du non-choix. Exactement comme l’homosexualité, a priori.

 

 

Après, quand on voit concrètement l’opportunisme de cette fausse ingénue (En effet : qui croit encore à l’accent franglais de Jane Birkin ? à l’honnêteté de Céline Dion ? à la virginité d’Anggun ou de Paris Hilton ? à l’innocence de Björk, franchement ?), sa réputation de « suceuse » professionnelle, son passé de collabo (espionne allemande ou strip-teaseuse russe du Crazy Horse ?), sa carrière de prostituée et de femme violée consentante, il est difficile que la communauté homosexuelle assume complètement cette femme venue d’ailleurs et repartant on ne sait vers quel destin tragique et suicidaire.

 

Colette dans Rêve d'Égypte

Colette dans Rêve d’Égypte


 

L’exotisme folklorique de l’Étrangère suinte. Car l’étranger vit toujours sous l’épée de Damoclès de l’éphémère. L’Étrangère court toujours le risque que son étrangeté soit connue et de moins en moins étrange. D’ailleurs, dans les faits, elle est souvent la risée de tous et les gens finissent par parodier et par se lasser de son accent. L’Étrangère, qui dans un premier temps ravissait, charmait, minaudait, conquérait, montre la vanité des apparences et de l’anticonformisme de principe, rappelle à ses dépens la vacuité du désir homosexuel, vient révéler la violence de la pratique homosexuelle (et de la pratique libertine tout court). C’est ce qui explique que ses fans homosexuels l’idolâtrent autant qu’ils la détruisent. Ce sont les femmes réelles, nettement moins exotiques et médiatiques qu’elle, qui paient en général la note de la déception homosexuelle pour l’Étrangère médiatique…

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Bourgeoise », « Bergère », « Planeur », « Actrice-Traîtresse », « Reine », « Carmen », « Vierge », « Voyage », « Destruction des femmes », « Putain béatifiée », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Homosexualité noire et glorieuse », « Substitut d’identité », « Amour ambigu de l’étranger », « Amant diabolique », « Méchant pauvre », « Liaisons dangereuses », « Prostitution », « Femme fellinienne géante et pantin », et à la partie « Joséphine Baker » du code « Noir », dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) L’exotisme attrayant de l’Étrangère (cinématographique) :

Film "Kaboom" de Gregg Araki

Film « Kaboom » de Gregg Araki


 

Régulièrement dans les fictions homo-érotiques, la femme étrangère apparaît et séduit le personnage homosexuel : cf. le film « Robe d’été » (1996) de François Ozon (avec la femme espagnole), le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le spectacle-cabaret Dietrich Hotel (2008) de Michel Hermon, le téléfilm « L’Homme que j’aime » (2001) de Stéphane Giusti, la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec Regina Morti, la cantatrice italienne), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec la Reine des Rats, une sorcière provenant de l’Hémisphère Sud), la chanson « A Bailar Calypso » d’Elly Medeiros, le vidéo-clip de la chanson « Who Is It ? » de Michael Jackson, le vidéo-clip de la chanson « Too Funky » de George Michael, la chanson « Candle In The Wind » d’Elton John, le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh (avec Jane, l’héroïne lesbienne, la femme écossaise perdue en Allemagne), la nouvelle La Nuit est tombée sur mon pays (2015) de Vincent Cheikh, etc. Par exemple, dans le film « Social Butterfly » (2012) de Lauren Wolkstein, une Américaine de 30 ans fait irruption dans une soirée d’adolescents sur la Côte d’Azur : la plupart des invités se demandent qui elle est, et ce qu’elle fait là. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, est attiré par Paqui, la femme mûre espagnole, beaucoup plus âgée que lui ; elle lui apprend à danser les sevillanas, mais comme une femme. Plus tard, il se fait déflorer l’anus par Ingeborg, une assistance sexy norvégienne en Thalasso. Dans le roman The Age Of Innocence (1920) d’Édith Wharton, le personnage homosexuel adore « les femmes cosmopolites et étranges » (cf. le chapitre 20). Dans le roman Off-Side (1968) de Gonzalo Torrente Ballester, Domínguez se déguise en princesse russe. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Ana, la belle Suédoise, séduit avec succès Jérémie, le héros homosexuel. Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, André, un des personnages homo, se lâche sur la chanson « Salma Ya Salama » de Dadida et fait un strip-tease dans la boîte gay Chez Eva.

 

« J’avais pour patronne une Hongroise […] une dame sans âge. » (Pretorius, le vampire homosexuel au service de la bourgeoise Élisabeth de Bataurie, dans la pièce Confessions d’un Vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « J’adore les Russes. Enfin, surtout les femmes russes. Je suis une femme russe. » (Anne Cadilhac lors de son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « L’amie de ma tante a le teint pâle et les cheveux d’une rousseur typique. Son accent lui donne un charme indéfinissable. Quoiqu’elle soit assez maigre, fluette presque, je suis rapidement séduite. » (Alexandra, la narratrice lesbienne en séjour à Londres, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 17) ; « Celle qui parlait était une grande fille très brune avec un magnifique port de tête d’Espagnole. Malgré mon jeune âge et le peu de conscience des désirs qui m’agitaient, je me rendis bien compte qu’elle me plaisait beaucoup. » (idem, p. 224) ; « Je les regardais s’engouffrer tous dans l’escalier qui menait au balcon, lorsque je reconnus Perrette Hallery de dos… accompagné d’une magnifique femme en manteau de poil de singe, rousse à mourir sous son chapeau à voilette, la peau laiteuse et la démarche assurée. Le cliché de la belle Irlandaise, Maureen O’Hara descendue de l’écran pour insuffler un peu de splendeur à l’ennuyeuse vie nocturne de Montréal, la Beauté visitant les Affreux. […] La fourrure de singe épousait chacun de ses mouvements et lui donnait un côté ‘flapper’ qui attirait bien des regards admiratifs. Les hommes ne regrettaient plus d’être là, tout à coup. » (le narrateur homo parlant de la distinguée Maureen O’Hara, qu’il voit à l’opéra de Montréal, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; etc.

 

Dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), Charlène Duval, le travesti M to F, avoue être attiré par les « chansons de femmes exotiques ». Il chante la beauté troublante de celles qu’il appelle « les Brésiliennes », et qui ne viennent pas tant du Brésil que de son imaginaire cinématographique déterritorialisé. Les Brésiliennes en question ne sont pas véritablement des femmes : ce sont des travelos ou des transsexuels asexués, des extraterrestres incarnant la féminité dangereuse et machiste : « Prenez bien garde aux Brésiliennes… […] Les Brésiliennes ont des yeux incandescents. »

 

 

La princesse orientale Schéhérazade (le « piège à hommes » par définition) est un fantasme fortement homosexuel : cf. le roman La Noche Más Alegre de Scherezada. Escenas De Libertinaje Oriental (1915) d’Álvaro Retana, le poème « Abuela Oriental » de Witold Gombrowicz, le film « Les Mille et une Nuits » (1974) de Pier Paolo Pasolini, la chanson « Envole-moi vers les étoiles » de la comédie musicale Cindy (2005) de Luc Plamondon (avec Cindy déguisée en princesse orientale), le film « Taxi Zum Klo » (1980) de Frank Ripploh, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, le film « Brutti Di Notte » (1968) de Giovanni Grimaldi, le film « Pink Narcissus » (1971) de James Bidgood, le spectacle de marionnettes L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Philippe Robin-Volclair, la chanson « À demi nue » d’Oshen, le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) du travesti M to F Charlène Duval (qui se déguise en danseuse du ventre à un moment), la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi (avec deux des personnages homosexuels, Ahmed et Jean, qui portent une djellaba), les pièces L’Alligator et Thé (1966) de Copi et Jérôme Savary (déguisés en robe arabe), le vidéo-clip de la chanson « Todos Me Miran » de Gloria Trevi, le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz (avec la danseuse du ventre orientale), etc. « Je suis Sultana, la moitié de votre père. » (Sultana, la nouvelle copine du père de Chris, le héros homosexuel, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) Par exemple, dans la pièce Agatha Christie’s Lesson In Crime (2011) de Ken Starcevic, l’Indien effectue une danse très efféminée et ambiguë. Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Mona, l’héroïne lesbienne, s’entraîne à danser la danse orientale devant une danseuse du ventre, Samia Kamaal (la plus grande danseuse d’Égypte), diffusée à la télé. Dans l’épisode 364 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 26 décembre 2018, Chloé Delcourt se rappelle les soirées extravagantes que son père homo, André, organisait : « Il m’avait organisé une soirée : c’était les 1001 nuits. »

 

Film "“Taxi zum Klo” de Frank Ripploh

Film « “Taxi zum Klo” de Frank Ripploh


 

Le héros homosexuel, en se mettant dans la peau de la femme étrangère, cherche à attirer le regard des autres sur son originalité, tout en exprimant paradoxalement par son exhibitionnisme étrange son malaise d’être dévisagé de la tête aux pieds, de passer pour une bête curieuse et vulgaire (surtout s’il est travesti).

 

 

Quelquefois, la femme étrangère est en réalité une projection sentimentale/esthétique/asexuée du héros homosexuel sur son amant : cf. le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec Monica, la lesbienne italienne), le film « Unveiled » (2007) d’Angelina Maccarone, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, etc. « Chez Adrien [le héros homosexuel], chose étrange, la figure de la mère perdue aurait pris les traits de l’être métissé, les traits de l’homme à la peau noire : ceux de Malcolm. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 40)

 
 

b) L’Étrangère devient étrange et vénéneuse :

Petit à petit, l’irréalité et l’étrangeté, qui semblaient toutes-puissantes laissent place à la désillusion. L’Étrangère cristallise le mal-être existentiel du héros, qui, en marginal bobo ou drama queen, se sent littéralement étranger à sa propre vie. « Hier encore j’avais le cœur étranger à mon décor. » (cf. la chanson « Opaline » de Nourith) ; « Un taxi jaune éventre la nuit et l’étrangère en surgit. Le mascara coule de ses yeux gris et se mélange à la pluie. Dans les rues on sent l’énergie bouleversante odeur de vie. Le taxi la dépose au Chelsea où elle venait avec lui. À la radio ‘Call Me’ de Blondie. Contagieuse mélodie. Ronger sa mélancolie. » (cf. la chanson « L’Étrangère » d’Étienne Daho) ; « Yo quiero morir. » (Max, le héros homosexuel, s’improvisant sosie de Shakira, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « On est des étrangers partout. » (Maria par rapport à sa terre natale d’Albanie et son arrivée en Grèce, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; etc.

 

Le sentiment d’être une étrangère n’est pas plaisant du tout : c’est celui de ne pas se sentir aimé ni intégré là où on vit et où on croit aimer. « Oh oui, vraiment, on me fait souvent sentir que je suis une étrangère. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 184) ; « Je trouve une jeune personne sortie des Mille et Une Nuits à qui j’offre ma fortune : aussitôt elle m’abandonne ! » (Pédé parlant d’Ahmed, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; etc.

 

L’Étrangère est tellement distante et inaccessible que son fan homosexuel finit par la détester et par l’adorer dans un même mouvement. Par exemple, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, la vénéneuse Russe Varia Andreïvskaïa, présentée comme « une espionne russe digne d’un vieux James Bond » (p. 66), est l’incarnation du danger sexuel étranger : « J’étais frappé par un fort accent dans sa prononciation. En détaillant sa physionomie, je me suis dit qu’elle devait être russe. Au moment où j’ai fait cette découverte romanesque, j’ai compris que je venais d’avoir ce qu’on appelle un coup de foudre. » (Jason, le héros homosexuel, op. cit., p. 56) ; « Je lui trouvais une froideur de vamp rétro. Quelque chose d’Eva Marie Saint dans ‘La Mort aux trousses’, l’exotisme slave en plus. » (idem, p. 53-54) ; « Quand elle écrivait, elle devait appuyer très fort sur son stylo, car son ongle devenait blanc à l’extrémité, et rosissait à la base, sous l’afflux du sang. Ce détail me prouvait qu’elle n’était pas de marbre. Comme pour me confirmer cette découverte, en réalité sans doute parce que j’avais passé les bornes en la détaillant de manière assez insistante, elle est sortie de son immobilité de statue, a tourné la tête et m’a lancé un regard excédé. » (idem, p. 54) ; « De toute évidence, je n’existais pas à ses yeux. » (idem, p. 54) Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Atos Pezzini, el Divo, se fait insulter par une de ses actrices espagnoles de sa troupe après leur spectacle interlope : « Vieille pédale ! Va te faire enculer ! ». Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, se fait refouler par une danseuse de sevillanas espagnole pendant un festival andalou.

 

Le héros sent une attraction paradoxale pour cette femme interdite et scandaleuse sans qu’il comprenne pourquoi : « Ma mère, avant de partir, m’avait mis en garde contre les femmes étrangères : ‘Elles pourraient t’utiliser pour jeter des sorts à d’autres femmes. Éloigne-toi, toujours, toujours, des femmes étrangères.’ » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 45) ; « C’est la reine des rumeurs et des ouï-dire. Simone a la réputation d’être une fille volage et le fait qu’elle ait frayé autrefois avec un Boche n’arrange rien. C’est le genre de femmes que les gens bien-pensants haïssent. » (Thibaut de Saint-Pol, À mon cœur défendant (2010), p. 175)

 

L’attraction pour la femme étrangère, c’est aussi fatalement l’attraction vers l’inceste (elle est étrangère à notre génération), vers la prostitution (elle est étrangère à notre classe sociale), vers le viol et la guerre (elle est étrange dans ses pratiques sexuelles, et étrangère à notre pays) : cf. le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec Pierrette la femme intrus par qui le scandale arrive), le poème « Canción De Amor A Los Nazis En Baviera » de Néstor Perlongher (avec la figure de Marlene Dietrich), le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot (avec la guichetière), le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo (avec Rachel la Juive d’Europe Centrale), la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman (avec Leni Riefenstahl), le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq (avec Fina, la mère-porteuse), le film « Gigola » (2009) de Laure Charpentier, etc.

 

Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, veut transformer sa mère en étrangère pour mieux se l’approprier et vivre l’inceste avec elle : « Maman, j’adore quand tu parles espagnol. T’es encore plus belle que les secrétaires de papa. »

 

L’Étrangère est aussi cet(-te) amant(-e) manipulateur, intrusif, bisexuel, montrant son véritable visage diabolique, et refusant d’aimer le héros homosexuel : « Je n’appartiens à aucun endroit… vous oubliez que je suis l’étrangère. » (Angela Crossby, la femme bisexuelle s’adressant à son amante lesbienne Stephen, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 189) Ce partenaire sexuel peu fiable (cf. je vous renvoie aux codes « Méchant pauvre », « Liaisons dangereuses » et « Prostitution » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) rentre dans la peau de la femme « étrangère à elle-même », un peu folle, extravagante, superficielle, diabolique, étrange, dont l’ambiguïté inquiète. « Sans logique, je me quitte, aussi bien satanique qu’angélique. » (cf. la chanson « Sans logique » de Mylène Farmer) ; « Tu as toujours cet air étrange… » (cf. la chanson « Cet air étrange » d’Étienne Daho) ; etc.

 

Plus profondément, le fait que la quasi totalité des personnages homosexuels prennent les femmes pour l’Étrangère, même si ça a l’air fun de prime abord et à la gloire de l’esthétisme de la femme-objet, est le signe de leur incroyable et inconsciente misogynie. La femme réelle est mise à distance, reléguée à l’état de femme étrangère qu’on ne veut plus approcher, et qui ne viendra pas conquérir « notre espace corporel vital »…

 

Et plus profondément, l’attraction des héros homosexuels pour ce qui est étranger, ou leur souhait de changer carrément de nationalité, au-delà de l’humour et de la provocation légère, traduisent un racisme inversé, esthétisé… mais un racisme homophobe (dans le sens strict du terme « homophobie ») quand même. On peut le voir par exemple dans l’usage homosexualisant d’une féminisation xénophobe dépréciative : « J’lui trouve l’air tapette. Il paraît que tous ces messieurs en Georgie sont du genre folles tordues. » (Grady parlant de Bennett, dans le film « Fried Green Tomatoes », « Beignets de tomates vertes » (1991) de John Avnet)

 
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’exotisme attrayant de l’Étrangère (cinématographique) :


 

 

Un nombre non-négligeable de personnes homosexuelles aiment les femmes excentriques au physique atypique (Juliette, Anne Roumanov, Marianne James, Rosi de Palma, Alice Sapritch, Adriana Karembeu, Dolores O’Riordan, etc.), les femmes étrangères (Sade, Joséphine Baker, Marlene Dietrich, Greta Garbo, Anggun, Carole Fredericks, The Corrs, Maria Callas, etc.), les femmes un peu extra-terrestres (Cher, Björk, Mylène Farmer, Zazie, Jane Fonda, Lindsay Wagner, Jodie Foster, Brigitte Fontaine, Nabilla, Afida Turner, Arielle Dombasle, etc.), les femmes dont on ne comprend pas bien les paroles des chansons tellement elles cultivent leur accent étranger (Madonna, Jackie Kennedy, Jane Birkin, Carla Bruni, Axelle Red, Marilyn Monroe, Ingrid, Vanessa Paradis, etc.). Par exemple, le chanteur gay britannique Jimmy Somerville affectionne chez la chanteuse Donna Summer son côté « exotique » (cf. le documentaire « Sex’n’Pop, Part IV » (2004) de Christian Bettges). Frédéric Mitterrand s’est entouré de femmes étrangères durant toute sa vie : « Talitha, dont le prénom exotique me plaisait énormément. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 283) Le chanteur homosexuel Étienne Daho a fait appel, pour ses compositions, à des chanteuses venues d’ailleurs (Astrud Gilberto, Marianne Faithfull, Jeanne Moreau, etc.) qui incarnent tout à fait l’esthétisme queer & camp de l’Étrangère dont j’ai parlé en première partie de ce code. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert est filmée l’attraction de Yves Saint-Laurent pour les femmes algériennes : « Magnifiques, ces bijoux. Le toc, j’adore. » s’exclamera-t-il face à Loulou.

 

L’Étrangère, c’est apparemment la classe au féminin, en lettres majuscules.

 

 

Cette femme – réelle mais surtout médiatisée – est souvent la mascotte de la communauté LGBT : « Les femmes étrangères me fascinent. » (James Dean dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, p. 209) ; « Quelle femme singulière ! Ce mélange inextricable de véritable folie créatrice et de coquetterie… » (Klaus Mann en parlant d’Else Lasker-Schüler, dans Journal (1945), p. 33) ; etc.

 

 


 

Par exemple, on peut penser au nom La Barbare choisie par une association lesbienne française (association qui dura de 1999 à 2007). Ou bien à la présence de l’actrice Joséphine Baker, qui fut la marraine et l’ambassadrice de nombreuses soirées interlopes des Nuits parisiennes. Autre exemple marquant : Dalida, la femme égyptienne exilée, à l’accent étranger à couper au couteau, avait toutes les cartes en main pour plaire aux personnes homosexuelles françaises : classe + beauté + voix unique + malheur. Elle était l’Originalité indétrônable !

 

 

Souvent, Mylène Farmer, la plus grande icône gay en France, aime se mettre dans la peau de femmes étrangères : cf. les vidéo-clips des chansons « California » et « L’Âme-stram-gram », le film « Giorgino » (1994) de Laurent Boutonnat, la chanson « Dans les rues de Londres » (avec Virginia), etc. C’est la même chose chez Madonna : cf. le film « Evita » (1996) d’Alan Parker, le vidéo-clip de la chanson « Nothing Really Matters », le vidéo-clip de la chanson « Don’t Tell Me », etc.

 

L’étrangère n’est pas tant une personne réelle qu’une attitude, une manière de parler et de prononcer bizarrement les choses, une façon de bouger/de danser : cf. la chanson « Je ne veux pas travailler » de Pink Martini, le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont (avec l’imitation de Cristina Cardoula, la relookeuse de la chaîne M6), les chansons de Carole Fredericks, etc. Par exemple, un soir où je me trouvais dans une boîte gay au Liban – le Bardo – (c’était en avril 2013), sur les écrans géants défilaient en boucle des images d’un cours de sevillanas andalouses pour accompagner nos danses modernes.

 

 

Il est fascinant de voir comme le chanteur homosexuel Mika est envoûté par les femmes étrangères, qu’elles soient orientales ou occidentales.

 

Mika face à Aline Lahoud

Mika face à Aline Lahoud


 

Dans l’émission de télé-crochet The Voice 3, en tant que coach, il répète sans cesse la même phrase pour expliquer pourquoi il a craqué pour l’une ou l’autre des artistes qu’il a intégrée à son équipe : « Tu étais si étrange… » Par exemple, le 25 janvier 2014, il flashe sur la chanteuse libanaise Aline Lahoud et dit sa passion pour la diva libanaise Fairuz et d’autres chanteuses « qui conduisent leur orchestre d’un index levé », à la baguette. Le 8 février cette fois, il jette son dévolu sur la chanteuse métisse Mélissa Bon, toujours avec la même obsession pour le queer féminin : « Tu es étrange. Tu es Sadéenne. » (en référence à la chanteuse soul-jazz Sade)

 

Pour ma part, j’ai, depuis ma plus tendre enfance, été touché esthétiquement par les femmes étrangères. Aux mariages, je me rapprochais des femmes étrangères, qui jouaient un personnage qui les isolait (et moi, je m’isolais par la même occasion ! je me sentais isolé) en même temps qu’il les mettait en valeur. J’aimais beaucoup regarder le concours Eurovision de la chanson, pour y voir des chanteuses étrangères. Encore aujourd’hui, les actrices/chanteuses étrangères avec un léger accent, voire un énorme accent (Axelle Red, Tina Arena, Ingrid, Ace of Base, Céline Dion, Cristina Rus, Cristina Marocco, Nourith Siboni, Anggun, Noa, Madonna, Amina, Ofra Haza, Radia, etc.) charment ma fantaisie.

 

 


 


 


 

 

C’est assez flagrant. La princesse orientale est source de fantasme dans la communauté homosexuelle. Je pense à la période Bollywood de la chanteuse Zazie ou de Madonna. Pierre Loti, quant à lui, aimait à se travestir vraiment en princesse orientale.

 

Film "Pink Narcissus" de James Bidgood

Film « Pink Narcissus » de James Bidgood


 

Actuellement, dans les pays indiens ou orientaux, les chanteuses-danseuses des vidéo-clips façon Bollywood (en général, ce sont des top models super bien gaulées, qui se contentent de faire du play-back mais qui ne sont pas toutes chanteuses) sont des icônes gays. Certains de mes amis homos vivant là-bas ou originaires de là-bas en sont méga fans ! Côté DOM-TOM, beaucoup d’hommes gays se reportent sur le zouk ! Et moi aussi ^^…

 

Par exemple, dans la pièce Le Frigo de Copi mis en scène par Gilles Pastor en 2004, le comédien algérien « Kiki » fait une danse du ventre en costume de femme orientale. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, un homme homosexuel est filmé déguisé en danseuse orientale voilée, sur un char de Gay Pride à Paris. Rodolf/Dora Richter – premier homme trans M to F – se déguisait en danseuse orientale.

 

Sofia Essaïdi et Kamel Ouali

Sofia Essaïdi et Kamel Ouali


 


 

L’Étrangère n’est pas une femme réelle : c’est une actrice qui joue l’étrangère, et que les personnes homosexuelles peuvent devenir en l’imitant : « Tu n’étais pas contente de me voir pleurer, mais j’éprouvais une tendresse particulière pour la Princesse indienne de Patagonie. Le jour où on l’a fait prisonnière et où la sorcière de la tribu ennemie lui a arraché ses boucles d’oreilles, j’ai trouvé le monde injuste. J’aurais voulu pouvoir voler jusqu’à la Terre de Feu et la reprendre aux mains d’êtres aussi sauvages. Je sais : c’était un feuilleton radiophonique. Mais il me donnait un avant-goût des atrocités à venir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 157-158) ; « Les deux copines [Jacques et Luisito] prirent le chemin du retour, en récitant alternativement les noms d’actrices françaises et argentines. ‘Ginette Leclerc, Mona Maris, Martine Carol, Olga Zubarry, Arletty, Tita Merello, Leslie Caron, Elsa Daniel, Elvire Popesco…’ ; Ah non, celle-là n’est pas française’, protesta Luisito avec force. ‘Oui, elle est polaque ou roumaine’, dit Jacques. ‘Ou juive, comme toi. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 227-228) Par exemple, le dramaturge argentin Copi, à propos de sa toute première pièce Un Ange pour Madame Lisca (1962), dira que sa « Madame Lisca » est partie de « l’idée d’une femme d’Europe centrale, et d’une odalisque » (cf. l’article « Copi : Le Théâtre exaltant » de Michel Cressole, 1983)… mais il ne s’agit pas d’une femme connue, de chair et de sang.

 

 

b) L’Étrangère devient étrange et vénéneuse :

Petit à petit, d’étrange, la femme étrangère adulée par la communauté LGBT passe à dangereuse et à éloignée. Son irréalité (n’oublions pas que cette créature est avant tout cinématographique, comportementale) et son petit jeu trop visibles laissent place à la déception. L’Étrangère cristallise le mal-être existentiel des personnes homosexuelles, qui, en marginales bobos ou drama queen, se sentent littéralement étrangères à leur propre vie.

 

Le sentiment d’être une étrangère n’est pas plaisant du tout : c’est celui de ne pas se sentir aimé ni à sa place dans son corps/dans son milieu de vie. « Difficile d’imaginer ce brusque sentiment d’être étranger dans son propre pays ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 62)

 

L’étrangère est la jumelle narcissique de mort dans laquelle certaines personnes homosexuelles en dépression s’admirent avec émotion : « Ce jour-là, je courais vers une image, une femme. L’actrice égyptienne. Une grande star. Une grande dame. Souad Hosni. Elle passait à la télévision dans un feuilleton que j’adorais. Houa et Hiya : Elle et Lui. Je courais vers elle pour l’embrasser. Être pendant une heure avec elle, amoureux en pleurs, danseur libre, comédien de ma propre vie. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 32) ; « Je n’ai jamais oublié Souad Hosni. Je n’avais pas oublié son feuilleton Houa et Hiya qui me faisait courir dans mon adolescence, à la sortie du collège. J’avais depuis rattrapé mon retard en regardant presque tous les films qu’elle avait tournés. Je l’avais suivie de près, de très près, avec attention et une certaine admiration. Et puis, au début des années 90, après l’échec retentissant de son film ‘Troisième Classe’, elle avait disparu. Pendant deux ou trois ans, on ne savait pas où elle était. Elle se cachait en fait à Londres où elle soignait un mal de dos et une dépression chroniques. On la disait sans le sou, ruinée. L’État égyptien, qui payait pour son hospitalisation, avait fini par la lâcher, l’abandonner. En juin 2001, elle s’était suicidée en se jetant du balcon de l’appartement où elle résidait à Londres. […] Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver sa tombe. Face à elle, j’ai prié machinalement. J’ai lu des versets du Coran. J’ai dit des mots de ma mère. […] Je ne sais pas pourquoi je suis allé sur sa tombe. Mais je sais que dans les allées de cet immense et magnifique cimetière en ruine, je me suis vu dans ma fin, en train de partir définitivement. J’ai vu encore une fois le monde arabe autour de moi qui n’en finissait pas de tomber. Et là, j’ai eu envie de pleurer. De crier de toute mon âme. De me jeter moi aussi d’un balcon. » (idem, p. 91)

 

C’est aussi la femme « étrangère à elle-même » qui intéresse l’individu homosexuel, une femme un peu folle, extravagante, superficielle, diabolique, étrange, prisonnière de ses pulsions et de sa sincérité, une capricieuse dont l’ambiguïté inquiète : « Lattéfa était possédée mais je n’ai jamais su comment cela avait commencé pour elle. Pour quelle faute ? Quel crime ? Quel but ? Et jusqu’à quand allait-elle être étrangère à elle-même, juste à côté de la folie ? J’étais Lattéfa. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 86-87)

 

La femme étrangère cinématographique évoque le charme suranné de l’alliance entre timidité et audace, entre violence et charme ravageur. Elle est icône du viol consenti.

 

 

Plus profondément, le fait que la quasi totalité des personnes homosexuelles prennent les femmes pour l’Étrangère, même si ça a l’air fun de prime abord et à la gloire de l’esthétisme de la femme-objet, est le signe de leur incroyable et inconsciente misogynie. La femme réelle est mise à distance, reléguée à l’état de femme étrangère qu’on ne veut plus approcher, et qui ne viendra pas conquérir « notre espace corporel vital »…

 

Et plus profondément, l’attraction des personnes homosexuelles pour ce qui est étranger, ou leur souhait de changer carrément de nationalité, au-delà de l’humour et de la provocation légère (par exemple, Érik Satie se disait « anti-Français »), traduisent un racisme inversé, esthétisé… mais un racisme homophobe (dans le sens strict du terme « homophobie ») quand même.

 
 

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