Un soir que j’étais de sortie au bar Le Bon Accord en compagnie de Sébastien, un de mes seuls vrais amis homos de mon âge à Rennes, je suis tombé par hasard sur une soirée « Gogo Dancer » (vous savez, les mecs super-bodybuildés, aux muscles huileux, qui se trémoussent en string sur une mise en scène à deux balles, et qui font à un moment donné tomber « accidentellement » leur serviette de bain… le truc à priori débile, inesthétique, mais drôle quand on regarde ça à plusieurs et de loin… de très très loin). Mais avant que le type qui allait se donner en spectacle ce soir-là fasse son strip-tease et sa chorégraphie risible – lui-même jouait à fond sur le côté « second degré » de sa démarche –, j’ai trouvé un moment pour m’approcher de lui au comptoir du bar et entamer la conversation. Je lui ai demandé son prénom, et si sa mère était au courant de ses exhibitions, si elle en était fière. Il a rapidement rigolé de mes questions intimes et un peu « provoc ». J’ai ironisé sur son statut pseudo « volontaire » de bête de foires, et essayé de lui faire comprendre que pour en être arrivé là, il était beaucoup moins libre qu’il ne voulait bien le laisser croire. Ça le faisait marrer que je sois aussi révolté, que je mette en doute sa sincérité, que je m’insurge de sa situation à sa place, alors que j’aurais dû lécher la vitrine, comme les autres. Je lui disais : « Tu n’es pas pleinement libre. Quoi que tu en dises, en faisant ça, tu n’es pas libre ! » Il se marrait de plus belle, mais en me regardant tout de même avec des yeux attendris (un mélange de « cause toujours tu m’intéresses » et de « ça me touche beaucoup que tu ne me laisses pas faire »). J’insistais en assumant complètement mon rôle de gars révolté et impuissant face à « l’Irréparable » qui allait se jouer devant moi (et qui n’était, en soi, pas si grave…) : « Mais tu sais, rien de t’empêche, là, tout de suite, de changer d’avis, de tout annuler, de prendre tes affaires, et de partir. Tu es libre ! » Mes mots n’ont pas suffi. Il a quand même fait son strip-tease. Cela dit, mon discours, qui n’a pas été perçu comme moralisateur (et pour cause, il ne l’était pas : à aucun moment je ne l’ai jugé… et peut-être que j’ai été le seul client de la soirée à m’être intéressé à lui, à avoir osé le bousculer) n’a pas été vain. Après s’être rhabillé, il est venu me rejoindre au bar et avait l’air déçu que je parte aussi vite. Son « au revoir » était celui d’un homme qui avait été touché. Uniquement touché, je crois, par le rappel de sa liberté.