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Code n°8 – Amour ambigu du pauvre

Amour ambigu de l'étranger

Amour ambigu du pauvre

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La solidarité, comme tout don humain, n’est pas positive en soi. Cela dépend de comment elle s’exerce, et surtout si l’identité et la liberté de la personne assistée ont été honorées suite à l’échange, justement. Dans le cas des personnages homosexuels des fictions (et parfois des personnes homosexuelles réelles), on peut constater que la juste distance entre le bienfaiteur et l’étranger/le pauvre n’a pas été clairement observée, et que l’un comme l’autre ont cherché à empiéter sur le terrain de l’autre sans se respecter. Le plus riche s’est laissé attendrir par un élan de solidarité fusionnelle, un sincère désir de communion amoureuse avec son petit protégé, tandis que le nécessiteux profite de la situation, vit dans l’assistanat, et considère le sexe, le vol et le meurtre, comme des moyens de venger sa propre classe sociale ou race. C’est précisément cet amour excessif, passionnel, sacrificiel, peu distant, que l’on observe dans les œuvres homos, et chez les personnes homos réelles en mal d’exotisme, d’âmes à sauver. Il est fréquent en effet de voir que l’élan solidaire du héros gay, apparemment pétri de bonnes intentions et d’amour du prochain, rime le plus souvent avec usurpation d’identité, prostitution, tourisme sexuel, narcissisme bobo, indifférence aux vraies personnes dans le besoin, opportunisme petit-bourgeois. L’étranger n’est pas tant aimé pour lui-même que pour son image d’Épinal fantasmée, et l’occasion en or qu’il fournit de s’acheter un diadème de victime innocente, de preux défenseur des Droits de l’Homme, tout en déchaînant en toute légitimité sa jalousie sur les Puissants dont on rêve de ravir discrètement la place.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également les codes « Putain béatifiée », « Mère Teresa », « Témoin silencieux d’un crime », « Méchant Pauvre », « Bobo », « Prostitution », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Voyage », « Homosexuel homophobe », « Liaisons dangereuses », « Amant modèle photographique », « Poupées », et à la partie « Je suis une (plus grande) victime (que les autres) » du code « Homosexualité noire et glorieuse », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

Le personnage homosexuel aime le pauvre d’un amour ambigu, à la fois condescendant et fou :

a) Le pauvre-objet, exotique et lointain :

Salim Kechiouche

Salim Kechiouche


 

Beaucoup d’œuvres homo-érotiques chantent la charme discret et « involontaire » de l’étranger ou de l’indigent, le fameux Beatus Ille. « La transfiguration d’un état de misère » comme l’a écrit un jour un ami romancier angevin en 2003 : cf. le roman Aziyadé (1879) de Pierre Loti (avec le jeune Samuel), le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon (Victor et Selim l’ouvrier arabe), la toile Noa-Noa (1901) de Paul Gauguin, le roman Les Civilisés (1905) de Claude Farrère, le roman Malaisie (1930) d’Henri Fauconnier, le roman Prostitution (1975) de Pierre Guyotat, les romans L’Immoraliste (1902) et Si le grain ne meurt (1925) d’André Gide, le roman Incidents (1987) de Roland Barthes, le film « Caravaggio » (1986) de Derek Jarman, les romans La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) et Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto d’Halmar, le tableau Robinson et Vendredi (2007) d’Éric Raspaut, le roman Cet Arabe qui t’excite (2000) de Djallil Djellad, le film « Grande École » (2004) de Robert Salis (avec Salim Kechiouche), le court-métrage « Alger la blanche » (1986) de Cyril Collard, les films « Les Corps ouverts » (1997) et « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz (avec Yasmine Belmadi), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec les beaux Turcs à Istanbul), les films « Underground » (2007) et « Love Kills » (2007) de Tor Iben, le film « Fronteras » (« A Escondidas », 2016) de Mikel Rueda (avec Rafa et Ibrahim l’immigré), etc. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves regarde avec envie par la fenêtre le beau et jeune travailleur d’Oran au service de sa famille de colons. Dans le roman L’Autre Dracula (1997) de Tony Mark, le narrateur homosexuel dit être attiré par un « superbe et ténébreux gitan » (p. 35). Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la clocharde Berthe est surnommée « la Reine des Hommes » (p. 61). Dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien, Romane est lesbienne, et se prend de passion pour Yindee, une jeune femme thaï qui travaille avec elle en tant que vétérinaire. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, les deux amants Tomas (Allemand) et Oren (Israëlien, marié à une femme et avec un enfant) incarnent tour à tour la figure de l’étranger fascinant.

 

Au départ, le personnage homosexuel nous offre son hommage larmoyant au Tiers-monde. « J’me sens très proche de ces gens-là. Les gens qui n’ont rien. » (Benigno à Marcos, dans le film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar) ; « Et tous ces enfants qui meurent de faim chaque jour… et nous qui allons passer un repas somptueux… » (Jules, le héros homosexuel dandy, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Y’a plein de p’tits nouveaux. Ils sont mignons tout plein. Y’a pas beaucoup de Français… mais ça ne me dérange pas. Au contraire. » (Fabien Tucci, homosexuel, parlant de son boulot à Pôle Emploi depuis deux ans, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc. Mais peu à peu, on constate que ce ne sont chez lui bien souvent que des mots. Dans les fictions, par exemple, un certain nombre de personnages homosexuels se désintéressent totalement du sort du monde : Aschenbach dans le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, ou Sébastien dans « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, constituent de bons exemples de cette compassion homosexuelle qui pleure sur la victime sans lui venir en aide. Dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, le cadre humanitaire en Namibie sert de prétexte à la romance lesbienne entre Ambre/Helena. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, Finlandais, tombe amoureux de Tareq, un bel ouvrier syrien qui ne peut pas vivre son homosexualité dans son pays et qui a fui la guerre.

 

Le pauvre est considéré comme une poupée sacrée ; non comme un être vivant et libre. Par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le miséreux est un objet qu’on se dispute et qu’on s’arrache : « Ah, mes chéries […] Je vous ai invité un Arabe sublime comme cadeau du nouvel an. Ahmed rentre ! » (Micheline, le trans M to F) ; « Il est à moi, cet Arabe. Voleuse ! » (Daphnée s’adressant à Micheline) ; etc. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, sort avec son guide mexicain, Palomino : « Je me conduis en seigneur colonial. » Le pauvre est réduit à un double spéculaire narcissique, comme le jeune Franck dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta : « Quand on entre dans la cour, le garçon de la DDASS sort le premier. Il s’approche de la voiture, colle son nez à la vitre, me regarde, une main en visière de casquette. » (p. 49)

 

B.D. "Rocky & Hudson, les cow-boys gays" d'Adão Iturrusgarai

B.D. « Rocky & Hudson, les cow-boys gays » d’Adão Iturrusgarai


 

Dans les films homosexuels, le mélange inter-classes sociales n’est quasiment placé que sous le signe de la mort, de l’absence, du sexe, et de l’argent : cf. le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Mein Süsser, Kleiner Arsch » (« Mon beau petit cul », 1998) de Simon Bischoff, le film « L’Amant bulgare » (2003) d’Eloy de la Iglesia, etc. C’est le corps de l’ouvrier, et non le travail, qui est glorifié : cf. le film « Acla » (1992) d’Aurelio Grimaldi (avec les ouvriers musclés travaillant dans les mines), le vidéo-clip de la chanson « Cargo de nuit » d’Axel Bauer (réalisé par Jean-Baptiste Mondino), le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent (avec l’assistant agricole musclé du grand-père), etc. « Ô mon bel étranger, on ne se reverra plus. » (cf. la chanson « Étrange » de Nicolas Bacchus)

 

Film "Avant que j'oublie" de Jacques Nolot

Film « Avant que j’oublie » de Jacques Nolot


 

Dans les nouvelles d’Essobal Lenoir, on voit bien que le goût pour le monde ouvrier et la population issue de l’immigration n’a rien à voir avec un réel militantisme, mais qu’il est plutôt focalisé sur un fantasme égoïste de spectateur de films pornos obnubilé par son bas-ventre : « Je ne sais quoi m’attirait irrésistiblement vers la rivière. » (le narrateur homosexuel fasciné par les ouvriers de la fabrique de tuiles qui se baignent et pissent, dans la nouvelle « La Carapace » (2010), p. 15) ; « Tous ces Slaves trouvaient ma petite chambre tellement grande, et ils avaient tant besoin de tendresse… » (cf. la dernière phrase de la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010), p. 61) ; « Majid rapplique et s’enferme avec moi. Il ouvre au maximum la fermeture éclair de son bleu sous lequel il ne porte aucun sous-vêtement. Il sort son tuyau, active sa pompe et me lèche consciencieusement toutes les coulures encore tièdes, en compressant sa queue brûlante contre le marbre froid de mes cloisons. » (cf. la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010), p. 83) ; « On engagea donc un carreleur, un peintre et un plombier. […] Quelle jouissance que de voir les muscles sous la peau tendre des fesses du carreleur accroupi, d’autant plus que le plombier, en triturant mon système de chasse d’eau, me masturbait involontairement sans rien comprendre à mes dérèglements. » (idem, p. 92) ; « Le satyre qui ne sommeille jamais en moi cherchait des yeux un joli prolétaire contre la chaleur duquel je pusse plaquer ma libido, afin d’emporter à la maison une image pour mes travaux pratiques vespéraux. Hélas ! le prolo se fait denrée rare à Paname… » (cf. la nouvelle « La Queue du diable » (2010), p. 113) ; « Ce jardinier, on le dirait sorti d’un calendrier des Dieux du Stade. » (Tom, le héros homosexuel en parlant de son futur amant qui le fait fantasmer, Louis, le jardinier sexy de la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; « Si tu veux faire le potager tout nu, tu le fais. » (Graziella s’adressant à Louis, idem) ; etc.

 

L’attrait pour le pauvre est parfois purement sexuel et autodestructeur. « J’aime les p’tits délinquants ! » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Cody cherche des Arabes. Il est obnubilé, il dit ‘Je sens que je pourrais être une femme avec eux parce qu’ils se servent de ton corps comme celui d’une femelle, tu vois, comme si t’étais une objet de plaisir et que tu n’existais pas comme personne. » (Cody, le héros gay efféminé dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 91) ; « Le chauffeur de taxi râle. Il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? Je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Le Rebelle » (1980) de Gérard Blain, Beaufils explique son attirance pour la « racaille », la marginalité et la violence : « Il n’y a que cela qui me fait bander. » Ici, on est bien loin de la pensée humanitaire et humaniste en action ! Dans énormément d’œuvres homosexuelles, l’amitié de l’étranger est salie par le sexe et la prostitution, même si le personnage homosexuel continue de nous faire croire (et de se faire croire à lui-même) que c’est de l’amour vrai : « Noeli, un jeune Métis. C’est pour moi le début d’un amour, même s’il repose sur l’argent. » (le héros du roman Les Dollars des sables (2006) de Jean-Noël Pancrazi) Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, par exemple, « le banlieusard, beauté exotique » est invité comme gigolo par la Jet Set homosexuelle. Cela ressemble à de l’ouverture (… mais le souci, c’est qu’on ne dit pas de quelle ouverture il s’agit…). Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony baise des « chauffeurs mécaniciens » et des jeunes prostitués. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Grégory sort avec Gérard, un fils d’immigré italien. Et il se dit attiré par Michael, l’homme marié : « Son côté bière, son côté working-class. »

 
 

b) Le pauvre est aimé pour son malheur et comme substitut d’identité :

On constate souvent que l’amour homosexuel du miséreux implique de conserver le pauvre à terre plutôt que debout : il est question, comme le chante Catherine Lara dans la chanson « Les Secrets du Monde » du spectacle musical Graal, d’« aimer les faibles à genoux ». Il ne faudrait surtout pas que le nécessiteux se relève ou qu’il soit l’égal du héros homo ! : « C’est pourquoi il [Tanguy] aimait Misha : parce qu’il était le plus malheureux. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 95) ; « Zohr incarnait à mes yeux toute la misère de la nature humaine, je voyais en elle mon sombre destin. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 29) ; « Monsieur Goudron était un bienfaiteur. Il m’a pris chez lui quand je n’avais aucun moyen de subsistance. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, se défendant d’avoir eu une quelconque liaison avec l’écrivain âgé Goudron, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 290) ; etc. Par exemple, dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le héros désire « cette humanité pouilleuse » du haut de la terrasse de son père (une sorte de mélange Blacks/Blancs/Beurs)… mais « finalement, il n’en est jamais descendu, de sa terrasse ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, raconte comment il est sorti avec un certain Fabrice, un « escroc qui l’a ruiné après lui avoir fait vivre une vie de « princesse » : « Il s’est tiré avec la caisse. Plus rien. Une princesse déchue. » (idem). Puis il se retrouve entouré par des Roumains que sa situation de précarité l’a amené à connaître, et se prend pour la quintessence de la pauvreté roumaine : « J’étais comme une mendiante, une Roumaine… »

 

Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, une association LGBT d’une dizaine de membres prennent d’assaut un village de mineurs gallois pour les défendre contre les pressions gouvernementales à l’encontre des syndicats ouvriers… Ça part d’un bon sentiment. « On a subi les mêmes épreuves que vous. » leur soutiennent les militants homosexuels, dirigé par le jeune Mark. « Solidarité pour toujours ! » En réalité, ces bons samaritains s’imposent à une population qui ne leur a rien demandé (« Pourquoi viennent-ils ? On leur a écrit pour les remercier. » s’indigne Maureen, l’une des syndicalistes) Ça sent la course à la victime, l’instrumentalisation de la misère des autres pour qu’ils servent d’alibi à l’imposition des droits LGBT sous la forme de droits universels et de lutte des classes. Finalement, on lit derrière la démarche de ces héros homosexuels une forme de jalousie : « Les forces de l’ordre s’en prennent à ces pauvres gars plutôt qu’à nous ! » (Mark)

 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Vera, la sournoise héroïne lesbienne, joue d’abord les saint Bernard :« Tu connais mon penchant naturel à venir au secours des désespérés. » Mais son amante Lola, qui connaît ses calculs, la remet à sa place : « Tu es incapable d’une vraie générosité. Tu reprends d’une main ce que tu donnes de l’autre. »
 

Cela arrive très fréquemment que le protagoniste homosexuel ravisse l’identité de son amant étranger : « Je me suis mis à la place de mon prochain. » (Emmanuel Fruges, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 147) ; « Moi je me sens papou bizarrement certains matins… » (le héros de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’ignorais tout des ‘clochards célestes’ alors que j’en étais un moi-même, dans toute l’acception du terme, et me considérais comme un pèlerin errant. » (Ray Smith, dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, p. 14) ; « Maintenant clochardisé, installé assis dans la marge, non seulement Vincent Garbo n’effraie plus ni ne dérange, mais chacun et chacune semble lui reconnaître comme un droit à l’existence. Comme si sur ce mètre carré de bitume, j’avais enfin trouvé ma juste place. » (Vincent Garbo, le narrateur homosexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 93) ; « Tu partages le sang de Pablo, Doris, Roger, Hilaire, Esteban et les autres. Tu ne t’appelles plus Félix Perlman mais Vincent Braconnier. » (Félix, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 59) ; « Tu ne sais pas résister aux étrangers » (Teja, l’amant allemand et danseur, de Rudolf Noureev, dans le film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes) ; etc.

 

Dans son one-woman-show Free, The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon, pourtant née en France, s’identifie aux esclaves noirs chantant le blues, aux enfants faméliques des pubs d’Action Contre la Faim : « Moi, si je me mets à nue, je peux faire une pub pour Action Contre la Faim. Avec des mouches autour des yeux. » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian demande à George, le héros homosexuel pas du tout clochard, s’il est SDF et celui-ci confirme. Dans son one-woman-show Chaton violents (2015) d’Océane Rose-Marie, Océane, l’héroïne lesbienne, fait référence à sa soi-disant « sœur adoptive cambodgienne ».
 

Certains personnages homos se définissent volontiers comme les vrais pauvres (cf. je vous renvoie à la partie « Je suis la plus grande victime » du code « Homosexualité noire et glorieuse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : c’est le cas des Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, de l’association Les Gouines sans domicile fixe dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie, des faux SDF homosexuels dans la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, des « 2 travestis clochards » Mimi et Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, des clochards homos du bâti Lars Norén (2011) d’Antonia Malinova, etc. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk se qualifie lui-même d’« immigré ». Dans ses élans identificatoires, le personnage homosexuel réagit comme la bourgeoise qui a peur de toujours manquer, qui semble inconsolable, qui parle sans arrêt des effets de la crise économique dont elle pâtirait plus que les autres (comme la Marquise du film « Dans les ténèbres » (1983) de Pedro Almodóvar), ou en tout cas autant que les vrais pauvres : « Nous sommes pauvres, nous n’arrivons plus à soutenir notre train de vie. […] Je me vois obligé de monter une affaire de tricot, Michael et moi nous tricotons des ponchos toute la journée, les enfants nous aident parfois. Mais enfin, je ne me plains pas, c’était une vie plutôt agréable. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 96) Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, on voit parfaitement la violence condescendante de l’attrait sexuel de l’héroïne lesbienne Anamika pour sa future servante et amante Rani qu’elle a repérée dans un bidonville : « J’aurais voulu que la femme du bidonville [Rani] soit à mon entière disposition. Des images de films hindis dans lesquels le brahmin de la caste supérieure s’éprend de la domestique de la caste inférieure et lui fait passionnément l’amour ne cessaient de tournoyer dans ma tête. » (p. 20.) Parfois, les chiasmes employés indiquent à la fois la substitution aux pauvres et leur instrumentalisation via la prostitution : « Salam Aleikoum ! Aleikoum Salam ! Attendez-moi au fond, dans la chambre de droite. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) Dans la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob, le couple gay Jeff et Mimil aiment le monde entier… du fin fond de leur Cantal ! La substitution avec les pauvres tant adorés de loin est vite opérée : « On est vachement solidaires avec le Tiers-Monde. C’est nous, le Tiers-Monde ! » L’aide proposée aux vrais pauvres prend l’allure de la fuite : « Les mal-aimés, qui les venge ? […] Sauf qui peut. Sauve c’est mieux ! Sauf qu’ici, loin sont les cieux. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) L’aide « humanitaire » que l’homosexuel veut mettre en œuvre est finalement narcissique : à force de s’identifier aux victimes, il s’imagine qu’il est sa première victime à sauver, comme le personnage de Sébastien dans la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, qui veut créer S.O.S. Homosexuels pour secourir les internautes gays en détresse. Et le vrai pauvre voit clair dans la comédie de son faux ami homosexuel, puisqu’il lui reproche de s’être servi de lui sans l’avoir véritablement aidé à s’en sortir : « Enfant de la rue, tu m’as cueillie comme un fruit défendu. Enfant de misère, moi qui voulais te donner mon amour, toi qui venais aller-retour, tu n’m’as jamais dit : ‘Viens je t’emmène et je t’offre une autre vie.’ » (cf. la chanson « La Fille du soleil » de Candela dans le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon). Cependant, comme il est lui-même rentré dans le jeu de sa propre exploitation, au pire il jouera de cynisme dénégateur face au snobisme puant de son mac protecteur (comme le personnage d’Omar avec son riche amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa : « Il aimait ça, Khalid, ma force, mon côté mauvais garçon. Il aimait que je vienne d’un autre monde. Les pauvres. Ça le changeait, disait-il souvent. Il trouvait ça exotique. », p. 25), au mieux il sera plus direct dans la dénonciation de l’exploitation mutuelle : « Je vais te dire un grand secret : finalement, tu détestes le monde. » (cf. une femme s’adressant au personnage homosexuel d’Emmanuel dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré)

 

Le pauvre dont le héros homosexuel se réclame peut également être l’enfant approprié en cas de « mariage pour tous » (et tout ce qui va avec : adoption, PMA, GPA). « C’est le dossier de Tchang. Il a trois ans. Et on va le chercher dans 2 semaines. » (François annonçant par surprise à son compagnon Thomas la nouvelle de leur voyage en Thaïlande pour l’adoption d’un enfant, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener, quand le père de Claire la met en garde, elle et sa copine Suzanne, à propos de leur projet de mariage et d’enfant (« Vous jouez à la poupée avec un petit être vivant. »), elle s’entête dans une solidarité agressive : « Je veux un enfant et je l’aurai ! »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Les personnes homosexuelles qui pratiquent leur homosexualité ont tendance à aimer le pauvre d’un amour ambigu, à la fois condescendant et fou

 

AMOUR AMBIGU BD

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se désirent Hommes du Peuple engagés contre la misère. Et pourtant, concrètement, elles restent souvent éloignées des réalités humaines désagréables : dans les faits, les cadres de la rencontre entre les personnes homosexuelles et les pauvres qu’elles défendent ont presque toujours un rapport à la prostitution masculine, à la domesticité, à l’anarchisme, au militantisme politique, au populisme, bref, à une solidarité intéressée. « J’aime utiliser ma judaïté. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; « Le roi est généreux. Il veut que ses sujets gardent un bon souvenir de lui, car il ne connaît que trop bien le côté obscur de son âme. Louis II voudrait être un roi bienveillant, mais il sait que ce n’est pas le cas. » (cf. le documentaire « Louis II de Bavière, la mort du Roi » (2004) de Ray Müller et Matthias Unterburg) ; « J’eus affaire à un monsieur habitant une belle villa dans le Val de Marne, qui me désirait fortement vêtu comme l’homme de ménage du film ‘La Cage aux folles’. J’avais halluciné, concluant que ce fantasme me rabaissait complètement. Et puis, non sans gêne, il s’était plu à me dire que son sexe était un petit biscuit qui devenait grand comme une baguette. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 113) ; etc.

 

Il arrive à certaines personnes homosexuelles de s’émouvoir pour la condition précaire d’un misérable garçon qu’elles tentent de sauver de la galère, et celui-ci se laisse entretenir par elles, mais le contrat unit quand même deux égoïsmes cherchant à se substituer l’un à l’autre. « J’aime les petits Arabes. En effet. Pour une fois qu’on aime les p’tits Arabes pour autre chose que pour leur pétrole. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) Beaucoup de personnes homosexuelles ne désirent plus simplement compatir au sort du pauvre : après lui avoir écrit son holocauste, elles veulent se substituer à lui pour dire qu’elles sont les plus grandes victimes de tous les temps. Faire mémoire devient très souvent dans leur cas un prétexte pour pleurer sur soi. Elles aiment davantage le pauvre pour l’esthétique révolutionnaire qu’il incarne que pour lui-même, et dans la mesure où il justifie « en gros » leurs combats personnels. C’est le glissement de la révolution à l’anarchisme/rébellion dont parle Patrick Bougon concernant l’engagement politique de Jean Genet : « La position politique de Genet est moins propalestinienne qu’anarchiste. […] Ce qui intéresse Genet chez les Black Panthers et les Feddayin, c’est qu’ils sont des vecteurs de déstabilisation du pouvoir et de l’État. » (Patrick Bougon, « Politique et Autobiographie », dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 69) Leur soutien au pauvre est une adhésion de principe, non prioritairement de personne. Elles ne s’intéressent pas tant à la victime en elle-même qu’à l’occasion qu’elle leur fournit de s’attaquer aux mécanismes de pouvoir qui la rendent/rendraient victime. Concernant par exemple l’univers carcéral, les paroles de Michel Foucault sont assez claires : « En fait, je ne m’intéresse pas au détenu comme personne. Je m’intéresse aux tactiques et aux stratégies de pouvoir qui sous-tendent cette institution paradoxale qu’est la prison. » (Michel Foucault, « Michel Foucault, l’illégalisme et l’art de punir », entretien avec G. Tarrab en 1976, p. 87) En choisissant de défendre « la différence qui gêne(rait) », elles ont l’impression d’être ultra-révolutionnaires et dangereuses, mais elles se cachent ainsi à elles-mêmes le jugement dépréciatif qu’elles ont porté sur les porte-drapeaux de leur révolution : en simulant la fausse camaraderie, elles s’entourent d’individus que la société juge/jugerait peu fréquentables, parce que ce sont souvent elles-mêmes qui ont projeté sur elle leurs propres jugements sur les pauvres, alors que ce qui devrait présider à l’ordre de la solidarité, c’est la lutte pour les exclus contre l’exclusion, il semble que pour elles, c’est la lutte grâce aux exclus contre ladite « majorité » (… il serait plus juste de dire ceux de leur propre classe) qui l’emporte. Elles veulent sauver le Peuple sans Lui, en lui arrachant le haut-parleur des mains. « Nous devons dire que nous sommes plus frappés pour que les Arabes le soient moins. Nous devons crier pour les Arabes qui, eux, ne peuvent pas se faire entendre. » (Michel Foucault, Le Temps immobile, t. III, p. 430, cité dans Dits et écrits I (2001), p. 57) En quelque sorte, elles s’identifient aux victimes à défendre pour prendre leur place et reprocher ensuite à ceux qui ne les suivraient pas dans leur élan de solidarité universelle de ne pas agir comme elles. Elles sont les prophètes d’« une nouvelle orthodoxie dont le contenu importe finalement moins que le partage manichéen qu’elle établit entre amis et ennemis du genre humain, l’obligation qu’elle fait aux premiers de se ranger, sous prétexte de défendre les opprimés, du côté des puissants. » (Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs (2002), p. 13)

 

En règle générale, la solidarité homosexuelle est à entendre dans son sens passionnel, à savoir d’altruisme agressif, de « générosité dingue » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 221). Touche pas à pote ! Mon pauvre est à moâ ! Bien souvent paniquées par les nouvelles du journal, meurtries par le sort des populations télévisuelles, beaucoup de personnes homosexuelles, en mal de combat ou en panne d’identité, ont un besoin cannibale de se rendre utiles et d’aller vers les autres. Il leur arrive de crier dans leur salon de thé : « Je dois et j’ai besoin de faire ma vie avec les masses et les travailleurs manuels ! » (Edward Carpenter sur le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003) Elles s’inscrivent parfois dans les associations caritatives, parlent de voyages « humanitaires » et de « solidarité » à tout bout de champ, se persuadent qu’elles sont indispensables au bonheur de celui qui se trouve dans la détresse… alors que par ailleurs, elles ont tendance à voir la vie en noir, à peu s’occuper d’elles, de leur voisinage, de l’entraide à échelle humaine. Elles veulent pour les vraies victimes ce qu’elles refusent pour elles-mêmes. « Comme vous savez, je suis du côté de ceux qui cherchent à avoir un territoire, mais je refuse d’en avoir un » avoue Jean Genet (Jean Genet dans l’article « Une Crépusculaire odeur l’isole » de Tahar Ben Jelloun, dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 30). Le paradoxe de leur passion du pauvre se situe dans le fait que nous pourrions définir la plupart des personnes homosexuelles à la fois comme des amis de la Terre entière et des ennemis du genre humain. C’est par exemple ce qui peut expliquer que Michel Larivière décrive dans une même phrase Michel Simon comme un individu « misanthrope, anarchiste, toujours proche des exclus, des marginaux, mais vivant en solitaire, entourés de ses animaux familiers » (Michel Larivière, Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 311).

 

À force d’avoir le cœur sur la main, elles ont tendance à ne plus le laisser à sa juste place ! Peu de personnes homosexuelles ont la notion de la vraie générosité : pour elles, elle se limite à tout donner matériellement sans donner de sa personne, à s’émouvoir dans la mélancolie démissionnaire. Or, comme l’explique Mère Teresa, on aura beau donner tout son argent aux pauvres sans nous donner NOUS, notre don aura la froideur d’un chèque ou d’une pièce de monnaie.

 
 

a) Le pauvre-objet, exotique et lointain :

Beaucoup de personnes homosexuelles sont séduites par le jeune amant étranger : dans les cas les plus connus, il y a André Gide, Jean Genet, François Augiéras, Jean Sénac, Arthur Rimbaud, Pierre Herbart, Rachid O., Robert Lalonde, Claude Farrère, Daniel Guérin, Pierre Guyotat, Paul Bowles, Alberto Cardín, etc. Par exemple, pour leurs créations artistiques, Gilbert et George utilisent beaucoup de jeunes marginaux (cf. Patriots en 1980). Andy Warhol a fait de même. Juan Goytisolo dit être attiré par le « méridional sans cravate » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 391). En Espagne, le Marquis de Campo est connu pour sa passion pour les jeunes hommes prolétaires. Eloy de la Iglesia a toujours été attiré par les jeunes ouvriers pauvres. Le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini a trempé dans une affaire de détournement de mineurs à l’âge de 27 ans, et a fini par être assassiné par les voyous banlieusards qui l’attiraient tant : « Pasolini développait de vraies amitiés avec ses garçons : il jouait au foot avec eux, fait des virées nocturnes avec eux, danse et va à la plage avec eux. » (Kammerer dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » d’Andreas Pichler) Je vous renvoie également à la vie du colonisateur anglais Sir James Brook (racontée par Nigel Barley dans Un Rajah blanc à Bornéo, 2002). Certains auteurs homosexuels, issus de la bourgeoisie et dits « engagés », aiment à décrire par un « ultra-réalisme de pissotières » l’émergence inespérée de l’amour homo dans les bas-fonds des milieux défavorisés qu’on leur a/aurait cachés pendant leur jeunesse dorée : cf. les films « Orestie africaine » (1969) et « Le Père sauvage » (1980) de Pier Paolo Pasolini, le roman Le Garçon qui pleurait des larmes d’amour (2007) d’Alexandre Delmar, le roman The Servant (1948) de Robin Maugham, la pièce Quai Ouest (1985) de Patrice Chéreau, les films « The Last Days » (2005) et « Mala Noche » (1985) de Gus Van Sant, le documentaire « Les Mille et un soleils de Pigalle » (2006) de Marcel Mazé (avec le portrait de deux jeunes Maghrébins témoignant de leur quotidien dans des sex-shops parisiens), etc. Daniel Guérin, notamment, parle de sa « conversion » au monde des garçons prolétaires. En 1962, il publie Eux et Lui, livre autobiographique dans lequel il se met en scène à la troisième personne aux côtés des exclus, comme sur une jolie carte postale de la rencontre pacifique des peuples que tout (selon lui) opposerait.

 

Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment il tombe amoureux de Karabiino, un domestique inaccessible, qu’il n’arrivera pas à acheter, ni par l’argent, nu par la séduction, ni par l’émotionnel : « J’ai allumé la télévision. Sur Melody Hits, il y avait le clip de la chanson de Sabah. Karabiino connaissait le tube mais ignorait tout de la chanteuse. Il s’est arrêté de travailler. Je l’ai invité à venir s’asseoir sur le lit à côté de moi. Et on a regardé le clip ensemble. C’était joyeux. Triste. Bouleversant. Loin de tout. […] J’avais soudain envie de pleurer, mais je ne savais pas pourquoi. Karabiino, lui, avait les yeux fixés sur l’écran. Était-il heureux ? Avait-il oublié pour un moment son malheur ? À quoi pensait-il ? Qui, au fond, était-il ? Je n’avais pas de réponses. Je n’en avais pas besoin. Karabiino était un garçon offert à mes yeux, à ma mémoire, parfaitement lisible et complètement mystérieux. Je savais un bout de son histoire, de son rêve. Mais là, à côté de moi, il était comme un petit prince, un petit roi. Un petit Sphinx. Insaisissable. Ailleurs. Ailleurs en permanence. » (pp. 76-77)

 

AMOUR AMBIGU Ouvrier

 

L’ouvrier ou l’étranger pauvre-jeune-et-musclé à qui la communauté homo fait les yeux doux correspond davantage à un cliché publicitaire digne des Dieux du Stade qu’à une rencontre réelle avec le monde du prolétariat : « Il est par exemple frappant de noter qu’une image qui a longtemps été (et qui est toujours) une icône gay représente un (très beau) mécanicien portant deux pneus alors que la population gay vit dans des milieux sociaux autrement plus raffinés ou intellectuels. » (Hugo sur le site suivant consulté en octobre 2003) ; « Pendant que mon cousin prenait possession de mon corps, Bruno faisait de même avec Fabien, à quelques centimètres de nous. Je sentais l’odeur des corps nus et j’aurais voulu rendre palpable cette odeur, pouvoir la manger pour la rendre plus réelle. J’aurais voulu qu’elle soit un poison qui m’aurait enivré et fait disparaître, avec comme ultime souvenir celui de l’odeur de ces corps, déjà marqués par leur classe sociale, laissant déjà apparaître sous une peau fine et laiteuse d’enfants leur musculature d’adultes en devenir, aussi développée à force d’aider les pères à couper et stocker le bois, à force d’activité physique, des parties de football interminables et recommencées chaque jour. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 153) ; etc. Chez le photographe Orion Delain, par exemple, on constate de manière palpable que l’élan vers l’étranger tend plus vers l’esthétisme que vers l’amour réel. La séduction, l’obsession pour la beauté des corps, et la drague, court-circuitent les échanges relationnels qui promettaient d’être beaux, gâchent la gratuité de la rencontre (pourtant concrète) avec les habitants du monde de la pauvreté matérielle.

 

Il ne suffit pas, par exemple, qu’un individu devienne objet de désir sexuel applaudi pour sa plastique et ses charmes physiques/culturels par toute une communauté, pour qu’il soit véritablement aimé et respecté. Je pense par exemple au fantasme homosexuel de plus en plus répandu du Maghrébin dans l’industrie cinématographique du porno, fantasme interprété à juste raison par Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts dans Homo Exoticus (2010) comme un racisme positif ou une forme nouvelle de néocolonialisme contemporain. Ilmann Bell, dans Un Mauvais Fils (2010), analyse très bien le phénomène : « L’Arabe est aux homos ce que la Blonde est aux hétéros. » Et ce n’est pas parce que, de surcroît, l’étranger prend le rôle du dominateur (sexuel) dans un scénario où il serait montré à son avantage, et qu’il laisse apparemment au placard son ancestrale activité d’esclave passif pour endosser la casquette du violeur qui va « régler son compte » à l’Occidental dans l’obscurité d’une cave de « té-ci » miteuse, que la revanche des pauvres sur les riches est effective sur le terrain, que la communauté gay lutte efficacement en faveur de l’émancipation des étrangers, et que le film porno en devient pour le coup justicier, révolutionnaire, humanitaire. Le pauvre, même magnifié corporellement par la caméra et dans sa performance génitale, n’en est pas moins utilisé comme objet sexuel, et vu uniquement sous le prisme d’un regard machiste (que le caméraman soit une femme ou un homme, un Blanc ou un Beur, ne change rien à la violence de l’acte enregistré).

 

AMOUR AMBIGU Homo Exoticus

 

Enfin, il ne suffit pas non plus de s’annoncer sous les hospices de la fraternité et de la solidarité pour être concrètement aimant. L’amour du pauvre peut être agressif, exclusif et excluant, s’il est un prétexte pour haïr les soi-disant « opposants » à notre entreprise humaniste. On retrouve ce partage manichéen et paradoxal dans le discours « solidaire » et « républicain » d’un Federico García Lorca, prononcé le 6 juin 1936 : « Je suis frère de tous et j’exècre l’homme qui se sacrifie pour une idée nationaliste abstraite. » (Lorca cité dans l’essai La Littérature espagnole au XXe Siècle (1998) de Nicole Réda-Euvremer, p. 37)

 
 

b) Le pauvre est aimé pour son malheur et comme substitut d’identité :

Le regard porté par beaucoup de personnes homosexuelles sur la pauvreté est beaucoup trop compassionnel et inondé de larmes pour être authentique. « J’ai un amour malheureux pour le monde » déclare Pier Paolo Pasolini (cf. le reportage « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada). Jean Genet dit bien que ce qui l’a attiré chez le jeune Abdallah, son amant arabe, ce sont les « images d’une enfance misérable, inoubliable, où il se savait abandonné » (cf. l’article « L’Éthique de l’Art », de Thierry Dufrêne dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 64) plus que sa personne. On observe également cet éloignement du pauvre réel chez l’écrivain anglais Forster : « On se retrouve soudain sur les terres de E. M. Forster, où les classes inférieures (mâles) sont à la fois vénérées et totalement incomprises. » (Gore Vidal dans Palimpseste – Mémoires (1995), p. 231) Paul Julian Smith, dans son essai Laws Of Desire (1992), souligne que le regard soi-disant aimant et humaniste de Juan Goytisolo sur les jeunes hommes arabes est en fait lié à la réification et à la domination : dans les écrits du romancier espagnol, « les Arabes sont toujours observés, et l’homme occidental est celui qui écrit et pense à leur place. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 392)

 

Film "Le Fil" de Mehdi Ben Attia

Film « Le Fil » de Mehdi Ben Attia


 

L’homme pauvre est très souvent réifié par les individus homosexuels. Par exemple, l’acteur Brüno transforme les Mexicains en fauteuils de luxe (en l’honneur de la chanteuse Paula Abdul) dans le film « Brüno » (2009) de Larry Charles. Le plasticien homosexuel Michel Journiac a réalisé en 1973 un moulage d’après son propre visage : Journiac Travesti en voyou. Le pauvre de Jean Genet n’est pas un être humain de chair et de sang mais une marionnette de bois : « C’était le plus triste des mendiants. Son visage avait la qualité de la sciure de bois et presque sa matière. » (Jean Genet, Le Journal du voleur (1949), p. 35) Frédéric Mitterrand, dans La Mauvaise Vie (2005), ne fait guère mieux quand il décrit ses amants du bout du monde : « Il était le vrai petit chérubin des cartes postales. » (idem, p. 13) ; Mitterrand présente à juste titre sa frénésie de solidarité comme une folie incontrôlée, une pathologie personnelle proche de la fièvre acheteuse du panier percé : « C’était une de ces idées folles qui m’assaillent à chaque fois que je rencontre un enfant perdu au cours de mes voyages. » (idem, p. 15) Cet amour du jeune éphèbe avec un « air de gosse des rues » (idem, p. 31) est souvent lié à l’argent, à une tentative de possession : « Je le bombardais de cadeaux : l’entreprise de corruption était à l’œuvre sans même que j’en ai pleinement conscience. » (idem, p. 17) Dans son récit autobiographique Parloir (2002), Christian Giudicelli, prof de 50 ans, considère le pauvre étranger comme un fétiche dont on peut faire collection : « Au lieu d’étudiants ou d’artistes en herbe, j’ai collectionné un nombre impressionnant de paumés en crise de croissance auprès desquels je me sentais embarqué dans un voyage salutaire loin du monde des lettres. » (p. 21) Sa générosité s’annonce très égocentrée : « Amour bien ordonné commence par soi-même. Je prends avant d’offrir. Une fois rassasié, plein d’une nouvelle énergie, je me découvre généreux. » (idem, p. 100) Il s’amourache d’un jeune délinquant maghrébin (qui se sert de lui, de son narcissisme de donateur, et de son compte en banque) qu’il aime d’un amour fusionnel très distancé et immatériel (narcissique, donc) : « Cette fois, je suis de l’autre côté et lui se retrouve du côté d’où je viens, le bon côté. […] Je suis allongé sur mon lit et je tente de m’allonger sur le lit de Kamel, là-bas, à Fleury-Mérogis, de m’oublier, de n’être plus moi mais lui, afin de souffrir à sa place. » (idem, p. 120)

 

Film "My Beautiful Laundrette" de Stephen Frears

Film « My Beautiful Laundrette » de Stephen Frears


 

Il y a deux visages contradictoires en la personne homosexuelle (et en beaucoup de personnes non-homosexuelles d’ailleurs) : celui de la Mère Teresa et celui du profiteur concupiscent. Et le trait d’union entre ces deux masques, c’est la sincérité. Par exemple, Michael Jackson défend la forêt amazonienne, les peuples meurtris et les enfants abandonnés (cf. les chansons « They Don’t Care About Us », « Earth’s Song », et « Heal The World »)… mais par ailleurs pratique des actes pédophiles. Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon marque bien ses distances avec un monde prolétaire dont il est issu, qu’il est censé défendre, mais dont il se sert à des fins vengeresses personnelles : « Mon marxisme de jeunesse constitua pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la ‘classe ouvrière’ pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. En lisant Marx et Trotski, je me croyais à l’avant-garde du peuple. Je détestais la classe ouvrière dans laquelle j’étais immergé, l’environnement ouvrier qui limitait mon horizon. » (pp. 88-89) ; « Ainsi, quand je manifestais contre les succès électoraux de l’extrême droite, ou quand je soutenais les immigrés et les sans-papiers, c’est contre ma famille que je protestais ! » (p. 117) ; « J’étais politiquement du côté des ouvriers, mais je détestais mon ancrage dans leur monde. » (p. 73) Ces propos me font penser à ce que décrit Bruce Benderson dans Pour un nouvel art dégéréné (1998) : les Hommes bobos sont attirés (intellectuellement) par la misère, mais seulement pour la côtoyer de très très loin.

 

Vidéo-clip "Le Premier Jour" d'Étienne Daho

Vidéo-clip « Le Premier Jour » d’Étienne Daho


 

Certaines personnalités homosexuelles semblent être les maîtresses du Charity Business le plus odieux et le plus intéressé : « Les œuvres caritatives, c’était super pour devenir célèbres ! » déclare fièrement l’acteur Brüno, dans le film éponyme de Larry Charles (et malheureusement, ce n’est pas du second degré…). L’approche du pauvre par Federico García Lorca est également ambiguë : à la fois attendrie et moqueuse, comme l’explique son frère Francisco. « Il aimait déguiser les servantes, à qui il faisait jouer parfois de petits pantomimes. […] La servante jouait avec un accent très marqué de la Vega, et imitait dans ses mimiques la grande actrice Maria Guerrero. Federico l’avait déguisée avec un ornement ‘oriental’. Elle avait la peau très bronzée et il avait peinturlurée son visage de poudre de riz.  La pauvre femme ne se rendait pas compte, dans son ineffable simplicité, du comique de son jeu de scène, qui nous apprécions énormément, avec parfois la cruauté puérile des adolescents. » (Francisco García Lorca, Federico Y Su Mundo (1980), p. 74) On entend de la part d’un certain nombre de personnes homosexuelles la défense du tourisme sexuel au nom de la « solidarité envers le Tiers-Monde » : entretenir les jeunes gigolos, « n’est-ce pas un juste rééquilibrage entre le riche Nord et le Sud pauvre ? » (p. 138) écrit sans honte Denis Daniel dans son autobiographie Mon Théâtre à corps perdu (2006). Dans le cas de Marcel Proust, on observe la même dualité : à la fois l’écrivain sait mieux que personne que l’amour vrai ne se monnaie pas… mais cela ne l’empêche pas d’« aimer particulièrement le milieu des domestiques : il avait besoin de ce monde que l’on pouvait acheter ». (cf. l’article « La Douleur pour destin » de Pietro Citati, dans le Magazine littéraire, n°350, 1997, p. 25)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles aiment les pauvres non pour eux-mêmes mais pour l’occasion qu’ils leur fournissent de se mettre à leur place : « Les homosexuels sont souvent des immigrés d’un nouveau genre. » (p. 78) déclare Jean Le Bitoux dans son essai Citoyen de seconde zone (2003) ; « Nous sommes tous des Arabes gays. » (Éric, le chroniqueur « littéraire » de l’émission radiophonique Homo Micro sur Paris Plurielle, 106.3 FM, à Paris, le 22 juin 2006) ; « C’était mieux d’être un lépreux que de se sentir attiré par les hommes. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; etc. Sur le terrain associatif LGBT, l’éloignement du pauvre réel et l’arrivisme gagnent également une grande part du tableau idyllique du militantisme homosexuel : « Act Up est l’association de lutte contre le Sida dont la composition fait la plus grande part aux malades, alors même qu’elle ne s’investit alors aucunement dans l’aide directe. » (cf. l’article « Mobilisation gay en temps de Sida » d’Olivier Fillieule, cité dans l’essai Les Études gay et lesbiennes (1998) de Didier Éribon, p. 91) Certains groupes militants homosexuels agressifs, tels que le FHAR (visible dans les années 1970), Act Up, Les Panthères roses (association dont la première « action » a été lancée le 14 décembre 2002 à Paris, lors d’une manifestation contre la guerre en Irak), ou Les Sœurs de la Perpétuelles Indulgence, naissent précisément dans les moments où le gâteau des pauvres est partagés, où la lutte en faveur des réelles injustices sociales (pandémie du Sida, conflit armé, crise économique…) est à son zénith, où il y a de la souffrance et de la pauvreté à récupérer, des couvertures de victimes à tirer à soi, plus ou moins légitimement d’ailleurs.

 

Angela Davis et Jean Genet

Angela Davis et Jean Genet


 

L’identification injurieuse à l’étranger/au pauvre est pourtant faite avec le sourire, et passerait presque pour belle tellement elle « swingue » à l’unisson de la pensée politiquement correcte actuelle déroulant le tapis rouge à la « Tolérance », ce concept idéologique fumeux qui ne signifie rien (tout dépend de ce qu’on tolère). Je pense par exemple au final très World et United-Colour-of-Bande-de-Cons du concert d’Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « Lesbienne invisible »), le 6 juin 2011 à l’Européen de Paris, avec la brochette de femmes étrangères débarquant sur scène comme un cheveu sur la soupe, pour pousser la chansonnette en l’honneur de la « diversité [des ‘genres’] et des différences », au rythme des tambourins orientaux. Certains militants homosexuels se servent du visage pluri-ethnique d’une communauté homo internationale fantôme, ou de la « femme lesbienne du bout du monde » (de préférence afghane, incarcérée, et violée), pour obtenir des droits LGBT nationaux, et envoyer ses commissionnaires prêcher la Bonne Nouvelle de l’Amour homo à leur place jusqu’aux extrémités de la Terre (comme on peut le voir ci-dessous pour le cas de l’Espagne) : « Dans d’autres villes apparaîtront des groupes d’immigrés LGBT. Conjointement à leurs problèmes d’insertion, ces activistes peuvent jouer un rôle primordial en ouvrant la question homosexuelle et transsexuelle à leurs communautés d’origine en Espagne. Qui mieux qu’un gay maghrébin ou qu’une lesbienne péruvienne pour parler à ses semblables ? » (Jordi Petit, cité dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 58) Cette identification excessive à « l’homosexuel persécuté aux 4 coins de la Planète » donne parfois lieu à de grotesques méprises, limite insultantes pour les nations ainsi récupérées et diabolisées une fois que le pot aux roses est découvert. Ce fut le cas tout récemment avec la blogueuse syrienne qui tenait le site « A Gay Girl In Damascus » (= Une Fille Gay à Damas)… mais qui n’était en fait ni syrienne, ni lesbienne, ni une femme ! Un post annonçait début juin 2011 qu’elle avait été kidnappée par les forces de sécurité syriennes : on a découvert que cette « Amina Arraf », qu’on s’apprêtait à couronner mondialement de la Palme du Martyr de l’Homophobie, se trouvait être un personnage inventé par Tom MacMaster, un étudiant américain en Écosse… Well well well… On passe. Concernant la récupération des pauvres à des fins politiques égoïstes, le problème se pose de manière beaucoup plus locale et nationale dans le cadre par exemple des banlieues. L’« enfer » qu’endurent/qu’endureraient les quelques rares personnes homosexuelles qui habitent dans les tours – et que la grande majorité des membres de la communauté LGBT méconnaît, même si elle se plaît à les imaginer très nombreuses ET invisibles – constitue un prétexte en or pour prouver à l’ensemble de la population française que la sainte et affreuse déesse Homophobia existe, et pour convaincre nos politiques de l’urgence de la législation sur les « droits des homos ». Vanda Gautier, la metteur en scène, s’oppose justement à l’entreprise stigmatisante d’instrumentalisation de la souffrance du « pauvre homosexuel des cités », menée par certains militants homosexuels, spécifiquement au sujet des banlieues. « L’homophobie, ce n’est un ‘problème de banlieue’. Il n’y a pas plus de violence homophobe en banlieue qu’ailleurs. Elle s’exprime d’une manière particulière en banlieue, mais elle n’est pas des banlieues. » (Vanda Gautier lors de la remise du Prix Toleranz à la comédie musicale Place des Mythos de Catherine Regula, SIGL, Carrousel du Louvre, Paris, le samedi 3 novembre 2007)

 

Arthur Rimbaud à Aden

Arthur Rimbaud à Aden


 

La recherche parfois fiévreuse du pauvre homosexuel martyrisé peut dans certaines situations traduire tout simplement un désir de mort (« De nombreuses fois je me suis demandé s’il n’y avait pas une pointe de morbidité dans la fascination que le fait juif exerce sur moi » déclare par exemple Juan A. Herrero Brasas dans l’essai Primera Plana (2007), p. 25), ou bien une haine de soi très profonde (comme l’écrit Gilles William Goldnadel : « Les martyrocrates, ce sont tous ceux qui, par passion ou par intérêt, exploitent, magnifient ou fabriquent la souffrance de celui qui, a priori, présente le profil idéal de l’innocente victime à protéger » pour combler leur propre mal-être : cf. l’essai Les Martyrocrates (2004), p. 7). Inutile de dire que ces deux sentiments sont des moteurs puissants d’homophobie…

 
 

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Code n°10 – Androgynie bouffon/tyran

androgynie bouffon

Androgynie bouffon/tyran

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Vous vous souvenez des dessins animés de votre enfance, ou encore des B.D. dans lesquelles on voit un héros entouré de deux marionnettes – généralement un angelot et un diablotin – qui sont ses clones, et qui se disputent sans arrêt entre elles parce qu’ils ne sont jamais d’accord ? Vous visualisez les petites voix de la Conscience et de la Culpabilité qui se livrent bataille en lui pile au moment du choix cornélien, ou quand il est sur le point de faire une grosse bêtise ? Et bien je trouve que ces mises en scène de conflit intérieur entre deux personnages bouffon/tyran qui se mènent une vie impossible, mais qui pour autant restent inséparables (d’ailleurs, ils passent leur temps à s’échanger les rôles) sont typiques dans les œuvres artistiques traitant d’homosexualité. Sûrement parce que le désir homosexuel écartèle la conscience qu’il habite et la coupe en deux. Cette schizophrénie de l’âme, elle arrive généralement quand nos actes ne sont pas conformes à notre conscience et à nos bonnes intentions ; quand nous ne voulons pas assumer ce que nous faisons. Plus on se rêve éternelle victime – pour mieux mal agir en secret et en toute impunité –, plus on devient bourreau sans même s’en rendre compte. L’existence faite de dérision et de légèreté cache bien souvent des drames et des larmes invisibles. Derrière le Jean-qui-rie pleurniche Jean-qui-pleure (… et vice et versa). Comme le désir homosexuel est plus bien-intentionnel que fondé sur le Réel, il est logique qu’il nous encourage à vouloir porter les deux masques, en apparence antithétiques, de la clownesque bataille entre le valet lourdingue et son maître psychorigide. Dans les œuvres homosexuelles, ce duo fusionnel amusant est pourtant le signe d’un désir de viol chez celui qui les met en scène, la marque de l’écartèlement d’une conscience humaine en proie à ses désirs de rupture/fusion avec les autres. Il n’est pas rare que l’inconstance du désir homosexuel prenne, dans les créations artistiques, la forme de la farce sado-masochiste.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Doubles schizophréniques », « Désir désordonné », « Violeur homosexuel », « Jumeaux », « Adeptes des pratiques SM », « Moitié », « Homosexuels psychorigides », « Liaisons dangereuses », « Promotion ‘canapédé’ », « Défense du tyran », « Clown blanc et Masques », « Douceur-poignard », « Homosexuel homophobe », « Femme et homme en statues de cire », « Femme fellinienne géante et pantin », à la partie « Amant-marionnette ou marionnettiste » du code « Amant diabolique », et à la partie « Je suis fier d’être un monstre » du code « Homosexualité noire et glorieuse », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le couple homosexuel explosif est composé de deux marionnettes grand-guignolesques figurant un tyran et un serviteur qui lui est soumis :

Vidéo-clip de la chanson "Optimistique-moi" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer


 

On peut retrouver ces personnages chamailleurs dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut (avec le couple homo formé par Dieu et Satan, et entourant Bill), le spectacle-performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec les ombres chinoises du tyran et du bouffon), le Muppet Show (avec les grands-pères Statler et Waldorf), dans le film « La Femme et le Pantin » (1931) de Josef Von Sternberg (avec le maire et son bras-droit, Alphonso et Pacco), la chanson « Egotrip » du spectacle musical Starmania de Michel Berger (avec Stella Spotlight et Zéro Janvier), le « Medley Cette Année-là » au concert des Enfoirés en 1998 (avec Pierre Palmade et Patrick Juvet), la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec Cyrille, le héros homo, et Hubert, son journaliste-bras-droit), le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears (avec Omar et Johnny), le film « Vatel » (1999) de Roland Joffé, le tableau La Cour du roi doré (2007) de Thierry Brunello, le film « Sens unique » (1987) de Roger Donaldson, le film « Mont-Dragon » (1970) de Jean Valère (avec Madame la colonelle et sa servante), la pièce Le Cri de l’ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le poème « República » de Néstor Perlongher, le roman La Terrasse du roi lépreux (1969) de Yukio Mishima, le film « Une étrange affaire » (1981) de Pierre Granier-Deferre (avec Louis et son rapport exclusif avec son supérieur, le film « Mauvaise Passe » (1998) de Michel Blanc (avec Pierre, le prof de lettres dépendant de Tom, l’escort boy), le film « Beau Travail » (2000) de Claire Denis (entre l’adjuvant et le jeune légionnaire), le film « La Fille de Monaco » (2008) d’Anne Fontaine (entre l’avocat et son garde du corps), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le roman Prince et Léonardours (1987) de Mathieu Lindon, le film « Furyo » (1983) de Nagisa Oshima (Jack Celliers et le Capitaine Yonoi, jouant au chat et à la souris), le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp (avec sa Majesté Frédéric et son goûteur Nicolas), la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, la bande dessinée homo-érotique Batman (avec Batman et Robin en lutte contre le Joker efféminé), la chanson « L’Aventurier » d’Indochine (avec Bob Morane et Bill Ballantine), le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan (avec Élisabeth, la veuve Merteuil et calculatrice, et Brahim son bras-droit homo), le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec Louise et sa servante Gaby), les films du duo homo-érotique Laurel et Hardy (cf. le documentaire « The Celluloïd Closet » (1995) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman), la chanson « Ramon et Pedro » d’Éric Morena, le roman L’Agneau carnivore (1975) d’Agustín Gómez Arcos, la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas (avec le jeu ambigu entre le geôlier et le prisonnier), le film « Jan-Ken-Senso » (1971) de Shuji Terayama, le film « It’s Love Im After » (1937) d’Archie Mayo, le film « Holy Matrimony » (1943) de John M. Stahl, le film « Mon capitaine, un homme d’honneur » (1995) de Massimo Spano, les tableaux de Moktar, la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare (avec le couple criminel Macbeth-Lady Macbeth), la pièce Arlequin, valet de deux maîtres (2008) de Goldoni, le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon (avec le duo sadomaso formé par la grande Allemande robuste et sa compagne petite, toutes deux en couple lesbien, et qui violent les vierges), le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec le duo SM composé de la gouvernante stricte et de la femme-enfant ingénue), la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks (avec Igor et Freddie le Dr Frankenstein Junior), etc.

 

Par exemple, dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, les deux lesbiennes Lucie et Léonore doivent, lors d’un casting, interpréter une scène entre une Reine autoritaire et une servante. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François s’extasie devant Thomas, son amant qui l’a quitté, et se remémore « son air sournois et machiavélique qui lui va si bien ». Dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis, Fred (le héros homosexuel) et Alice (la « fille à pédé(s) ») se chamaillent comme les deux moitiés schizophréniques d’une même personnalité déchirée : « Tu joues la meilleure amie, et puis après, tu joues la parfaite hystéro qui m’arrache la moitié du visage ! […] Arrête de me toucher ! J’vais finir en morceaux avec toi ! » (Fred) Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, les deux amants Jean et Luc se comportent comme de vraies girouettes qui s’insultent, s’adorent, se déchirent, disent qu’ils se taisent pour en réalité parler encore plus : « Je parlais pour parler. » (Jean) Dans le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) du travesti M to F Charlène Duval, Madame Raymonde et Charlène Duval disent s’adorer « comme des copines », mais en même temps s’envoient sans arrêt des vacheries dans la gueule. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah humilie son amante Charlène devant les autres camarades, la traite comme sa bouffonne et arrive à s’en victimiser : « Tu m’auras bien fait du mal en tous cas. En même temps, je ne mets pas tout sur le dos. Moi aussi, je me suis laissée faire. […] Putain, t’es forte. Tu fais encore ta petite victime. Tu prends ton air de chien battu. […] Avec toi, je me sens mal. Je mens. Je me sens dure. Tu me donnes le mauvais rôle. ». Dans la pièce Lettre d’amour à Staline (2011) de Juan Mayorga, des couples étranges se forment : d’abord entre le poète Boulgakov et sa femme – qui se met dans la peau de Staline – (« Tu es la femme que j’aime. Comment puis-je imaginer que tu es Staline ? »), et ensuite entre Boulgakov et un Staline homosexuel (« C’est toi le poète et moi le lutteur. » affirme impérieusement le dictateur). On peut également penser au passage célèbre de Sodome et Gomorrhe où la rencontre amoureuse entre le très aristocrate Palamède de Guermantes, baron de Charlus et le valet Lupien est racontée avec beaucoup d’humour. Ce n’est que lorsque ces duos apparaissent dans le scénario de cette pièce que les enjeux de pouvoir se modifient entre les personnages. Les combinaisons par binôme indiquent deux choses : l’émergence d’un désir sexuel ambigu (= homosexuel) d’une part, et de la violence destructrice d’autre part. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, pendant le cours d’histoire, Nathan simule un malaise alors que le prof parle de l’accord (pacte de non-agression) entre Hitler et Staline pendant la Seconde Guerre mondiale, pour être amené à l’infirmerie par son futur amant Jonas, qu’il va draguer en même temps qu’humilier et manipuler.

 

Le dramaturge argentin Copi est le spécialiste des pièces où le personnage central est en proie à des voix intérieures délirantes, comme s’il ne s’éprouvait plus du tout jouer (d’ailleurs, quand Copi montait sur scène pour interpréter ses propres personnages, il arrivait qu’il soit complètement camé lui-même !). Il s’agit généralement d’un héros homosexuel hystérique et schizophrène, parfois transsexuel, semblant souffrir du syndrome Gilles de la Tourette : « Arrêtez ! Ma bonne m’assassine à coups de massue et mon chien afghan me mord les chevilles ! » (« L. », le héros travesti M to F en parlant de Goliatha, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Où est-elle, cette salope, que je la tue ! » (Jolie parlant de sa fille Graciela, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 75) ; « Ne tirez pas, Madame, je suis aveugle ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; etc. Le bouffon et le tyran de Copi sont généralement un adulte-petite fille envoyé(e) faire le tapin par une mère-transsexuel despotique ; mais ils peuvent être également un rat et son maître-courtisan, ou bien une matrone bourgeoise et son domestique. Ces partenariats violents renvoient presque systématiquement à l’inceste, à l’homosexualité, au viol, à la prostitution.

 

L’androgynie entre le bouffon et le tyran peut s’observer entre frères, et indiquer une transgression de la différence des générations : cf. le roman J’ai tué mon frère dans le ventre de ma mère (2011) de Sophie Cool, la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec Élisabeth et Paul, les frangins incestueux), etc. « Les jeux ne sont pas tout à fait faits, chère petite sœur. C’est toi ou c’est moi ! Puisque nous sommes jumelles ! On a commencé à se battre à l’intérieur du ventre de notre mère. » (la Comédienne s’adressant à Vicky, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Une dame ici ? Ce ne peut être que ma belle-sœur. Dites-lui que j’ai détesté sa robe de chambre et que je n’ai pas l’intention de les recevoir. » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; etc.

 

La dualité bouffon/tyran dans les œuvres homosexuelles fait également référence à la différence des espaces (on le voit plus largement dans le code « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » du Dictionnaire des Codes homosexuels), c’est-à-dire à la double appartenance du personnage homosexuel à des classes sociales dites « opposées ». « Quand c’est pas la Boche, c’est la Juive. » (Laurent Spielvogel imitant Marlène Dietrich puis Barbara, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Mon frère homo va épouser un des sujets de sa majesté. » (l’avocat dans le film « Non-stop » (2014) de Jaume Collet-Serra) ; etc. À la fin du film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, par exemple, la juxtaposition des deux enterrements (d’un côté les funérailles carnavalesques du père des parias homosexuels, Bob ; de l’autre la mise en bière totalement guindée et triste du Maire de la ville) montre la division intérieure vécue par le personnage homosexuel de Scott (Keanu Reeves), fils du maire côté jour et délinquant queer côté nuit. Dans le dessin animé South Park, Herbert Garrison discute à la façon d’un ventriloque avec une marionnette actionnée par sa main droite, qu’il appelle « M. Toque ». Pendant quelques épisodes, Garrison remplace « M. Toque » par « M. T-shirt », une simple brindille vêtue d’un T-shirt, qui porte sur elle le triangle rose, référence directe au symbole cousu sur la chemise des personnes homosexuelles sous l’Allemagne nazie. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le couple homosexuel est composé d’un tyran et d’un bras droit qui lui est soumis… et bien sûr, les rôles s’interchangent : « J’attire sans souci les hommes des plus exigeants. » (Gatal, le héros homo, parlant à ses deux « pères ») ; « Tu seras mon soldat si tu veux bien. » (Gatal s’adressant à son fiancé, qui est aussi son directeur à qui il obéissait comme un subalterne). Le fiancé de Gatal, en lui tendant sa main, lui fait le salut nazi.

 

Film "Peter Pan" de Walt Disney

Film « Peter Pan » de Walt Disney


 

Un jeu d’honneurs à sauver s’instaure parfois entre les partenaires homosexuels. La paranoïa amoureuse aussi. L’amant gay n’accepte pas la Règle d’or de l’Amour qui consiste à consentir à appartenir, à se donner entièrement soi-même sans peur de mal se livrer : « Je l’aime beaucoup et c’est quelqu’un de très important pour moi. Mais ça ne lui donne pas le droit de régenter ma vie. » (Bryan à propos de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 192) ; « Je suis voleur. Vous êtes Roi. Autrement dit, nous sommes deux frères. » (cf. le poème de Lacenaire adressé au Roi, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, met sur le même plan sa relation de subordination au commandant de bord de l’avion qu’il occupe avec la fellation : « Ben c’est le commandant… » dit-il avec un geste obscène.

 

Un bras de fer commence, en dépit du plaisir que les amants semblent partager ensemble. La comparaison (« je suis meilleur que toi/je suis un gros nul par rapport à toi ») est la condition de leur fusion, le centre névralgique de leur querelle. Ils ne peuvent rester ensemble que parce qu’ils se jaugent l’un l’autre et se reprochent sans cesse de trop se ressembler/de ne pas assez se ressembler. Leur conflit est par conséquent éminemment gémellaire, narcissique. Il suffit d’une pique de comparaison, d’une remarque-serpent où les points de suspension et les jugements implicites appuient là où ça fait mal (genre : « MOI, je suis aimable et attentionné. Contrairement à toi… ») pour réveiller l’autre de son sommeil et subir ses foudres. La comédie de pestes que se jouent le bouffon et le tyran, dans laquelle il n’y en a pas un pour rattraper l’autre, nous montre que l’amour homosexuel n’est pas un lien valorisant, mais un amour de la comparaison dépréciative : « Je me sens toujours nul à tes côtés. » (Bryan s’adressant à son amant Kevin, idem, p. 218) ; « J’ai tout pouvoir sur toi ! » (idem, p. 163) ; « En général, elle se plie à ma volonté. » (Vera l’héroïne lesbienne parlant de son amante Lola, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Si je comprends bien, ma relation avec Lola est sous ton contrôle ? » (Nina s’adressant à Vera, idem) ; « Je me demande si tu ne manœuvres pas dans l’ombre pour manipuler Lola. » (Nina s’adressant à Vera, idem) ; « Ta dépendance et ta soumission avec cette fille me gêne profondément. » (Nina s’adressant à son amante Lola, idem) ; etc. Trop se comparer aux autres témoigne d’un gros complexe d’infériorité/de supériorité ; ne pas assez se comparer aux autres rend tout aussi orgueilleux et indifférent.

 

Un rapport de force s’établit très vite entre le maître et l’esclave : selon le schéma dialectique hégélien, l’esclave dépasse son bourreau et cherche à le soumettre. Montent chez le picaresque valet des désirs de symbiose avec son chef : « Voglio far il gentiluomo/Et non voglio più servir. » (« Je veux moi-même être le maître et ne veux plus servir. », c’est la première phrase de Leporello dans l’Acte I, scène I, de l’Opéra Don Juan de Mozart, 1787) Le tyran et sa laquais sont unis dans un mariage fictionnel grotesquement forcé, comme on peut le constater dans le roman Le Corps du soldat (1993) d’Hugo Marsan, le roman Pompes funèbres (1947) de Jean Genet, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, la bande dessinée Rocky & Hudson, les cowboys gays (2013) d’Adao Iturrusgarai, etc. On retrouve l’amour entre le prisonnier et le policier dans le film « East Palace West Palace » (1996) de Yuan Zhang, le film « Shoot Me Angel » (1995) d’Amal Bedjaoui, le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault, le film « Hellbent » (2005) de Paul Etheredge-Ouzts, le film « À couteau tiré » (1983) de Roberto Faenza, le film « Le dernier saut » (1969) d’Édouard Luntz, le film « Lang Tao Sha » (1936) de Wu Yonggang, etc. Le dominant et le dominé sont unis à l’amour à la mort ! : « Maître et esclave côte à côte : elle le maître et moi l’esclave. » (Laura par rapport à son couple avec Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 38) ; « Who is the master ? Who is the slave ? » (cf. la chanson « Voices » de Madonna) ; « Les garçons préfèrent toujours ceux qui les malmènent. » (Laurent Spielvogel imitant André, un homme gay d’un certain âge, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « On n’arrive jamais à s’aimer sans se marcher sur les pieds. Moi, je suis avec toi parce que tu m’fais du bien. Toi, tu te sers de moi pour arriver à tes fins. On fait tout ce qu’on peut pour pouvoir se rendre heureux mais on n’est jamais contents tous les deux en même temps. Ego trip, toi tu fais ton Ego trip. Ego trip, moi je fais mon ego trip. Comment veux-tu qu’on s’aime ? » (Stella Spotlight et Zéro Janvier, dans la chanson « Egotrip » de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Parfois je me demande si je suis un des acteurs du scénario ou si je suis en train de rêver. Suis-je une victime, pauvre victime innocente de l’intrigue ? Ou bien suis-je, à mon corps défendant mais à mon esprit consentant, en train de manipuler les autres ? » (François, un des héros homos du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 109) ; « Toi et moi on est pareils. On se ménage parce qu’on joue chacun très bien au jeu de l’autre. Je connais très bien ton jeu. J’y joue très bien. Toi aussi d’ailleurs. Mais tu sais, je suis meilleur que toi. Je te bats quand je veux. Alors, ne me provoque pas. Je te préviens. » (Harold, le héros homo s’adressant à son colocataire gay Michael, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc.

 

Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, la relation bouffon/tyran entre Omar et Hassan II est transposée sur le terrain amoureux, entre Khalid/Omar : « Je suis au pied du trône. Aux pieds de mon commandeur. Mon bonheur n’est plus. Mon amour n’est plus. Je suis un condamné. Un fou du Roi. » (Omar face à Hassan II, p. 13) ; « Dans la nuit du mardi au mercredi, le palais est venu à moi. Cela a duré toute la nuit. C’était comme dans une pièce de théâtre. Un casting était organisé afin de choisir un bouffon pour le Roi. Un fou du roi. On est venu me chercher. » (Omar, p. 24) ; « Non, je ne serais jamais un bouffon du roi. Pourtant, au fond de moi, j’aurais bien aimé le devenir. » (idem, p. 25) À la fin du roman, les rapports s’inversent : Karim, l’amant riche qui couchait avec Omar, le gars du peuple, finit par devenir le bouffon : « Je n’étais pas la victime de Khalid. J’étais son bourreau. » (idem, p. 171) Dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, Jeanne n’arrête pas de demander au facteur de « cesser de la contredire ». Dans le film « The Servant » (1963) de Joseph Losey, on observe le même revirement brutal entre bouffon et tyran : un jeune et riche aristocrate engage un valet de chambre qui, peu à peu, exerce une totale domination sur lui. Les bourreaux et les victimes du film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Jours de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini se mélangent également, et collaborent en vue d’illustrer la dualité violente de la dictature de Salò. Dans le roman Radcliffe (1963) de David Storey, Léonard Radcliffe, soumis au joug de son amant Vic, avoue son propre despotisme sous-jacent : « Le pire dans tout ça, c’est qu’une partie de moi l’aime et l’autre partie de moi ne lui sera jamais soumise. » (Gregory Woods, Historia De La Literatura Gay (1998), pp. 132-133) D’ailleurs, à la fin de l’histoire, Léonard, jadis homosexuel soumis et passif, finit par tuer Vic et par devenir l’homosexuel actif et prédateur une fois incarcéré. Ici, le violé devient violeur. Presque systématiquement, l’androgynie bouffon/tyran n’est que la figuration fantasmatique d’un conflit paranoïaque et hystérique qui se joue à l’intérieur d’un même personnage, comme c’est le cas par exemple avec le protagoniste de la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, qui rêve d’être « à la fois gibier et chasseur ». Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, c’est la guerre entre les deux rivales Doris (l’héroïne lesbienne) et Peggy/Truddy (qui se dit elle-même « schizophrène ») : Truddy se fait passer pour la secrétaire de Doris, avant de dévoiler sa véritable identité et son plan machiavélique pour humilier sa maîtresse : « Alors comme ça, je ne sais pas jouer ? […] Moi, je ne sais pas jouer. Mais j’ai su te réduire en poussière rien qu’en jouant. » (Truddy) ; « Il est clair, Truddy Hobson, que tu es folle comme un âne. » (Doris) ; etc. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Jenko (le grand beau gosse) et son collègue Schmidt (le gros petit) se disputent beaucoup : « Tu me tires vers le bas. » (Jenko) ; « Tu étais une petite fleur et je t’étouffais. » (Schmidt) Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Il le juge ennuyeux, empoté en voiture, un peu trop plat, et finit par le tromper. Louis, le frère d’Antoine, s’étonne que leur couple prétende encore en être un : « Je ne comprendrai jamais comment un type aussi gentil peut te supporter… »

 

ANDROGYNIE Guignol

 

Dans les fictions homo-érotiques, la présence du bouffon et du tyran démontre plus fondamentalement que le héros homosexuel vit un conflit spirituel, voire une possession diabolique. « Il faut au moins un mentor et un disciple pour réussir une quête. » (la voix-off d’Audrey, l’agresseur homophobe, parlant d’Anton ou de Vlad, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Chacun de nous porte en lui le Ciel et l’enfer. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Comme le diable et son valet, on marche ensemble. Nous sommes unis comme un vieux couple. Pour le meilleur… après le pire. » (Lacenaire s’adressant à son complice Avril, dans la pièce Lacenaire (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; etc. Par exemple, dans la pièce Nationale 666 (2009) de Lilian Lloyd, Sophie est en lutte entre ses deux consciences, Louise la diablesse et Angélique l’ange. Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, Maxence, le héros homosexuel, est entouré du diable et de l’ange. Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, le psy (Dr Apsey) comme l’amant (Jonathan) sont tous deux les petites « voix » diaboliques de la conscience torturée du héros homosexuel Frank. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, à la fois le Rat est une simple marionnette en mousse inoffensive qui n’a que le pouvoir que Vicky, sa maîtresse, lui confère (« Ce Rat n’est qu’une marionnette, il est animé par une main, vous le savez mieux que personne, puisque vous l’avez fabriqué. Il serait incapable de tuer tout seul. » dira l’Auteur), mais il dépasse et domine Vicky qui soutient qu’il « a un esprit. C’est le Diable ! ».

 
 

b) Le bouffon :

La figure du bouffon, qui – soit dit en passant – est davantage une allégorie de la folie (dans le sens homosexuel du terme) qu’une allégorie de la joie, apparaît dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec l’acrobate-paysan Uloomji), le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron (avec Paulo faisant le clown devant son amant), le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or » (1967) de John Huston (avec Anacleton, le farfelu serviteur du Major), le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec les deux bouffons viscontiens face à la grande bourgeoisie), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le facteur fou), le roman Le Fou du Père (1988) de Robert Lalonde, le spectacle musical Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, le film « Le Fou du Roi » (1983) d’Yvan Chiffre, le film « Le Roi danse » (2000) de Gérard Corbiau (avec l’attachement de Lully à Louis XIV), le film « Casanova » (1976) de Federico Fellini, la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays, le film « Gosford Park » (2001) de Robert Altman (avec Arthur, le valet homo), la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard (avec Dzav déguisé en joker Jean Sans Peur), la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier (avec Bernard, le héros homo déguisé en bouffon), la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, etc.

 
 

Michèle – « Et vous Malcolm, que faites-vous ?

Malcolm – À vrai dire, en ce moment pas grand-chose, je distrais, comme dirait Adrien. »

(cf. le dialogue entre Malcolm, l’amant d’Adrien, et Michèle, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 55)

 
 

Par exemple, dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, Mrs Venable, en parlant du fauteuil de son fils homosexuel Sébastien dans lequel le Dr Cukrowiz s’assoit, signale que « c’est un siège de bouffon, très rare, qui date du XVe siècle ». Dans le film « Monsieur Max » (2007) de Gabriel Aghion, Max Jacob se définit comme un « clown triste », un « pitre ». Oscar est surnommé « bouffon » par Charles Newman, son patron, dans le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano. Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, le protagoniste homo Jason se présente comme un « bouffon » face à une Varia despotique. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, est traité par Brad, le méchant du film, de « Cendrillon » et de « bouffon ». Dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, le duo Bill/Étienne est qualifié de « lutins farfelus et fantoches ».

 

La figure du bouffon peut indiquer un désir de soumission ou l’impression de ne pas exister pour soi-même : « J’ai grandi en coulisses. Mon grand-père était un clown. » (le Machiniste de la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai besoin d’un mentor et j’ai besoin que tu m’épaules. » (Jean-Jacques s’adressant à son amant-bras-droit Jean-Marc, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; etc. Par exemple, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann est l’assistant soumis de Julien, son maître qui le méprise : « Mais qu’il est con… » ; « Tu vas répondre, feignasse ?! » ; « Toi, t’es nul. » ; etc. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, le cri final d’amour que pousse Rachel à Luce pour l’appeler en plein embouteillages est en réalité une insulte que son amante lui avait appris sur un stade de foot américain : « T’es qu’un branleur n°9 !!! » Le tout est filmé comme une magnifique déclaration d’amour…

 
 

c) Le maître cruel, le gendarme Flageolet :

N.B. : Je vous renvoie également au code « Homosexuels psychorigides » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

On retrouve le motif du méchant maître dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet (avec la coalition explosive entre les deux servantes Solange et Claire, tramant une machination pour se débarrasser de « Madame », leur maîtresse despotique et invisible), le roman Mon valet et moi (1991) d’Hervé Guibert, le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec le glacial Major Weldon interprété par Marlon Brando), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Burlesk King » (1999) de Mel Chionglo, etc.

 
 

Cyrille – « Comment me trouvez-vous, Hubert ?

Hubert – Effrayant, maître !

Cyrille – Vous serez toujours mon meilleur public. »

(Copi, Une Visite inopportune, 1988)

 
 

La tyrannie s’applique au moins à l’un des deux membres du couple homosexuel, sinon aux deux : « Nous sommes deux personnes. Nous sommes deux bourreaux aussi. » (Louis et son frère siamois, dans la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Vous savez ce que ça fait de vivre avec la Gestapo ? » (Larry, en parlant de Hank, son amant qui l’aime et qui ne supporte pas de le voir infidèle, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « J’avais l’impression d’avoir donné mon âme à un être qui met une fleur à sa boutonnière. » (Basile le peintre par rapport à Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; etc. Le bouffon menteur est bien souvent le « tyran du tyran », comme c’est le cas du personnage homosexuel Frank de la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes : le Dr Apsey, qu’il mène en bourrique, avoue leur gémellité : « À vos yeux, je suis un tyran […]. Mais la restriction vient de vous. Pas de moi. » Les jambes de Flageolet flageolent face à son nouvel arroseur…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

N.B. : Je vous renvoie également au code « Défense du tyran » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se sont d’abord senties méprisées, considérées comme des pauvres types ou des bouffons. « J’étais le clown de service… […] On m’incluait dans l’équipe non parce que j’étais bon, mais parce que j’étais drôle. Ce rôle me plaisait, je l’entretenais. […] Être le Guignol de service, brouiller sans cesse mon identité, c’était insupportable. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 22-30) Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans rappelle que « joker » a été, aux États-Unis, un des synonymes d’« homosexuel » (p. 271).

 

Une fois arrivées à l’âge adulte, pour se venger de ce ressenti ou de ce vécu honteux, certaines inversent la vapeur et se comportent en bouffons vengeurs. « Après dîner, nous faisons un enregistrement de L’École des femmes avec Jouvet. Cette pièce souvent si comique est proprement déchirante. Le vrai sujet est l’incompréhension humaine, Agnès victime et bourreau, ou précisément bourrelle de son bourreau. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, mars 1981, p. 19)

 

Pièce Les Bonnes de Jean Genet

Pièce Les Bonnes de Jean Genet


 

La scission androgynique bouffon/tyran du psychisme homosexuel/humain est décrite par bien plus de célébrités homosexuelles qu’on ne pourrait le croire : « J’ai déjà un titre provisoire : Confession d’un masque, et je voudrais, en écrivant là mon premier roman autobiographique, me disséquer moi-même, avec la double résolution dont parle Baudelaire : être ‘et la victime et le bourreau’. » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 73) ; « Je trouvais les personnages de valets de chambre fascinants. Ils vivaient dans l’intimité de leurs maîtres, connaissaient d’eux leurs caractéristiques les moins avouables. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des Singes (2000), p. 277) ; « C’est lui-même qui sera en même temps le tribunal et l’accusé, le gendarme et le voleur. » (Jean-Paul Sartre en parlant de Jean Genet, dans la biographie Saint Genet (1952), p. 31) ; « Farceur et espiègle, mais avant tout irrévérencieux, il a quelque chose d’un fou du roi dont les grelots seraient fêlés. » (Thibaut d’Anthonay à propos de Jean Lorrain, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, pp. 313-314) ; « Cette expérience m’était à tel point incroyable que, je préférais me taire, craignant sans doute de passer pour un être anormal et déséquilibré. Mais rien ne pouvait jamais m’ôter l’absolue certitude, que je n’avais pas rêvé ni été victime d’une hallucination. J’étais la victime et le témoin, c’est sûr, la cible d’un amour impossible. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 70) ; « Bien entendu, je ne suis pas dupe. Je sais très bien que je sers d’alibi au Système. À la limite je sais très bien que je sers d’alibi – je peux être méchant ? – à une société que je déteste. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Par exemple, Copi a joué à de nombreuses reprises Les Bonnes de Genet (et pas seulement en français ; il est allé les interpréter en italien à Turin). Dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev, très despotique (« Je préfère mourir qu’obéir. ») passe son temps à se faire passer pour la victime, en particulier de son mentor et amant Constantin Sergueïev (« Il m’opprime/m’oppresse. »).

 

Le présentateur homosexuel français Laurent Ruquier a quelque chose du bouffon toujours hilare… mais hilare de balancer les autres et d’organiser des arènes où sont dévorés ses invités.

 
 

Des rôles de bouffon/tyran, de dominé/dominant, de passif/actif, clairement identifiables dans le couple homo ?

Cette fusion entre le bouffon et le tyran n’est pas qu’identitaire. Elle a pu être relationnelle. Il est déjà arrivé dans l’histoire humaine que le serviteur et son maître « fricotent » ensemble. C’est le cas très connu des « mignons » efféminés qui entouraient rois et autres chefs. Par exemple, Lorenzo de Médicis (qui devint le personnage de la pièce d’Alfred de Musset Lorenzaccio en 1834) a été l’amant de son cousin Alexandre de Médicis, avant de l’assassiner par un complot. « La passion homosexuelle amène les accouplements les plus monstrueux. Le maître et son domestique, le voleur et l’homme sans casier judiciaire, le goujat en guenilles et l’élégant, s’acceptent comme s’ils appartenaient à la même classe de la société. Le millionnaire et le va-nu-pieds fraternisent ; le fonctionnaire et le repris de justice échangent leurs ignorantes caresses. » (cf. l’article « Criminel » de Michael Sibalis, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 111) ; « J’aime l’aventure, l’ambition. J’aime commander. Et les femmes soumises. » (Maïté, femme lesbienne, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Hegel serait ravi de voir l’apparent équilibre qu’ont trouvé Hitler et Röhm à s’utiliser l’un l’autre comme tyran et bouffon. « Il y aurait une raison pour laquelle Hitler choisit et prend le risque d’utiliser Röhm à un si haut niveau. Comme le dira Franz Pfeffer von Salomon, un ancien chef des SA, Hitler préfère choisir des hommes avec des points faibles, de sorte qu’il puisse actionner le ‘frein d’urgence’ en cas de nécessité. Grâce au point faible de Röhm, mais aussi toute la clique homosexuelle de la SA seraient sous contrôle. Röhm est lui-même conscient de sa dépendance à l’égard d’Hitler, à cause de sa propre homosexualité. En 1932, dans un accès de profonde résignation, il avoue franchement à Kurt Lüdecke, un compagnon d’Hitler à Munich dans les années 1920 : ‘Je le reconnais, pour ma honte que la vulnérabilité que tu m’as mentionnée m’a livré entre ses mains. C’est une chose terrible… J’ai perdu mon indépendance pour toujours… Tu sais comme moi comment Hitler peut jeter quelqu’un par terre… Et c’est nous, nous-mêmes, qui avons fait de lui ce qu’il est… Ma position est si précaire… Je fais mon job, le suivant aveuglément, loyal jusqu’au bout – il n’y a rien d’autre que je puisse faire.’. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 229-230) ; « Jamais dans l’histoire de l’Allemagne un homosexuel avoué n’avait accédé à ce niveau du pouvoir suprême, tout fragilisé qu’il fût, nous l’avons dit, par d’éventuelles menaces de chantage suspendues par Hitler lui-même au-dessus de sa tête comme autant d’épées de Damoclès. Dès lors un combat mortel est engagé ente Hitler et son ‘second’. » (idem, pp. 243-244)
 

Beaucoup de personnes homosexuelles soupirent d’agacement dès qu’on aborde la question de la domination et de la soumission au sein de leurs couples. En général, pour imposer une censure sur leurs actes, elles préfèrent caricaturer la gêne de leur société par rapport à la pourtant très marquée inégalité des rôles sexuels pendant le coït génital homosexuel (« plus marquée » ? Assurément ! Il suffit de faire un petit tour sur les sites de rencontres Internet gays, où la mention de la « passivité » et de l’« activité » revient bien plus souvent que le « 50/50 » ou l’« auto-reverse », pour s’en convaincre : l’inégalité génitale dans les couples homos, quoi qu’on en dise, est plus marquée entre deux hommes ou entre deux femmes qu’entre une femme et un homme) sous forme de questions stupides – « Qui fait l’homme ? Qui fait la femme ? » – pour ne pas avoir à y répondre, ou pour aboyer que le couple homo est totalement démocratique, que la question n’est pas de savoir qui fait quoi au lit, qui pénètre qui, mais uniquement de « tout faire » sans se poser de question, d’« inventer », de ne pas s’attribuer de rôles précis, de « sortir des carcans hétérosexistes », d’« improviser ». Pendant le coït homosexuel, tout serait question d’« amour », d’« échanges ». Ce n’est pas aussi simple. On voit bien au niveau des pratiques déjà simplement génitales qu’à l’intérieur des couples homos, les face-à-face se font plus rares, les « emboîtements » corporels sont moins évidents, la « syntaxe naturelle des corps » s’opère avec moins de poésie, la réciprocité est encore moins marquée, le réel occupe à priori moins de place, que dans un couple qui intègre la différence des sexes. Le fantasme, le jeu puéril, la mise en scène violente et humiliante, la sexualité régressive, la bestialité (dans les positions – à quatre pattes, contre le dos de l’autre, en fœtus – tout comme dans les pratiques – suçons, morsures, masturbation, fellation, sodomie, parfois même fist-fucking, scatologie et coprophagie), prédominent. La ressemblance physique entre les partenaires rassure dans un premier temps, mais sans la bouffée d’oxygène et l’espace qu’offrent les différences – et notamment la différence des sexes –, l’air vient vite à manquer dans le couple homosexuel, y compris pendant les coïts génitaux ; et cette carence ressurgit en violence, en pratiques de bouffon/tyran concrètes. « Il y a toujours des bars fétichistes, des clubs SM, avec des donjons et des esclaves. » (Bryan Safi, homosexuel, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) Dans les films pornos gays, on ne voit quasiment pas de rapport égalitaire entre les partenaires : ils sont toujours de type soumission/domination (exactement comme dans le porno hétéro). Nous ne pouvons pas faire l’économie de parler également des rôles génitaux pris par chacun des membres du couple homosexuel lors des coïts (j’évoquais un peu plus haut les adjectifs substantivés « Actif », « Passif », « Auto-reverse »), que ces coïts soient gays ou lesbiens importent peu d’ailleurs… même si une certaine idéologie sexiste et misandre cherche de plus en plus à nous faire croire aujourd’hui que cette répartition n’est due qu’à une affaire de pénétration et de possession d’un pénis, et que donc la tentation des rapports de domination/soumission ne menacerait que les hommes homosexuels, et pas du tout les femmes lesbiennes. Rien de plus faux ! Un autre régime de pouvoirs s’installe entre les femmes lesbiennes, tout aussi malsain et déséquilibré que pour leurs homologues mâles. J’en tiens pour preuve la place prédominante que peut occuper le sadomasochisme dans les sphères relationnelles et conjugales lesbiennes. Les femmes ne sont pas naturellement plus douces et plus sentimentales d’être dépourvues d’un pénis ! Bien au contraire ! Mes amies lesbiennes vous confirmeront en masse que les femmes lesbiennes, en général, se comportent entre elles en vraies harpies et despotes ! Dans le secret de l’alcôve comme en société !

 

Pour revenir plus largement aux rapports de domination amoureux, il me semble que l’absence de la différence des sexes dans tout couple homosexuel incite les partenaires à « marquer la différence » autrement… et de manière justement pas très heureuse, pas très maîtrisée, au final. On voit que des mécanismes comportementaux étranges, agressifs, se mettent en place, sans que les acteurs les décident vraiment. « Pour le psychanalyste Alfred Adler, la tendance à la dépréciation du partenaire, généralement normal, ne manque jamais. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 197) Des fossés inédits, qui ne seront pas forcément sexuels ou physiques d’ailleurs, apparaissent entre les amants : chacun se place en victime et reconnaît de plus en plus en l’autre son tyran. Et se profile le début de la fin de la relation. Par exemple, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, les relations amoureuses se suivent et se ressemblent inlassablement. On dirait que l’écrivain se cherche toujours des couples qui obéissent au même fonctionnement bancal, où l’un des amants endosse le rôle de la victime passive et complaisante, et l’autre partenaire plutôt le rôle du dominateur (parfois dominé par sa ventouse d’amant puéril et trop maternant !) : « J’étais dans la dictature amoureuse. Je précipitais les choses. Je ne voulais pas attendre. Il fallait le forcer à se révéler. » (Abdellah à propos de Javier, p. 41) Le plus bizarre dans cet arrangement déséquilibré, c’est que chacun semble apparemment y trouver son compte : « J’étais heureux et j’avais peur. Tu étais l’homme, le roi. J’acceptais ton pouvoir. » (Abdellah s’adressant virtuellement à son « ex » Slimane, p. 114) On entend Abdellah Taïa s’exprimer comme une amoureuse éconduite casse-pied, possessive, « attachiante », saoulante… aussi tyrannique que ladite « tyrannie » qu’il dénonce chez Slimane : « Je dois toutefois avouer que, même en plein enfer, une partie de moi était heureuse, aimait ça, ce machisme, cette dictature… Je me disais alors : ‘C’est ça l’amour, c’est ça l’amour… j’ai de la chance… Il faut tenir le coup… C’est ça l’amour…» (idem, p. 117)

 

Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent consent à ce que, dans son couple chaotique avec Pierre Bergé, ce dernier prenne la place du dictateur : « Un tyran, ça me va. » Et lorsqu’il trompe Pierre avec Jacques (l’amant de Karl Lagerfeld), Jacques le rassure : « Avec Karl, je fais le clown. Toi, en revanche, tu m’inquiètes. Tu me troubles. » Ce à quoi Yves lui répond : « Quand on aime, on est en danger. Moi, c’est ça qui me plaît. » Pierre Bergé n’hésite pas à brider et à humilier Yves quand ce dernier ne répond pas comme il faudrait aux journalistes : « Si c’est pour dire des conneries pareilles… » Le duo Bergé/Saint-Laurent a vraiment fonctionné concrètement sur le modèle inversant du dominant/dominé.

 

Autre exemple, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy diffusé dans l’émission Tel Quel sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012, Charlotte et Marion, en « couple », s’engueulent souvent parce que Charlotte ne se sent pas libre et que Marion veut l’aider ; même si elles veulent donner une image positive de leur couple, on les voit se prendre la tête devant les caméras : « Mais laisse-moi ! T’es chiante !! » (Charlotte)

 

Film "Les Enfants terribles" de Jean-Pierre Melville

Film « Les Enfants terribles » de Jean-Pierre Melville


 

L’échange des masques bouffon/tyran est parfois vécu dans le cadre de la relation simplement filiale, comme on le constate entre Didier Éribon et son père en fin de vie : « L’homme que j’avais connu, vociférant à tout propos, stupide et violent, […] dans les mois, les années peut-être, qui avaient précédé sa mort, avait cessé d’être la personne que j’avais détestée pour devenir cet être pathétique : un ancien tyran domestique déchu, inoffensif et sans forces, vaincu par l’âge et la maladie. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 31)

 

Quel que soit le type de relation (de parenté, amoureux, professionnel, politique…), on constate finalement que ces mises en scène bouffon/tyran, relatées très souvent par des personnes homosexuelles, visent à démontrer/occulter des réalités sexuelles et psychiques violentes telles que le viol, l’inceste, la prostitution, le sadomasochisme, l’infidélité, la schizophrénie, etc. Nous aurions tort de n’y voir qu’un vaudeville divertissant. Je pense aux violences conjugales vécues au sein de nombreux couples homos (par exemple, Sacha Buyse – de Secret Story 8 – qui s’est fait battre par son compagnon).

 
 

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Code n°11 – Animaux empaillés (sous-codes : Taxidermiste homo / Bestiaire / Homme-animal / Zoophilie)

animaux empaillés

Animaux empaillés

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

J’ouvre ici le dossier surprenant des animaux empaillés et des taxidermistes dans les créations artistiques parlant d’homosexualité. Comment se fait-il qu’on en voie autant dans les films et les romans ? Y a-t-il un lien entre homosexualité et animalité, ce lien qui fait tant peur à la communauté homosexuelle – puisque le spectre de la zoophilie refait surface –, mais auquel elle tient beaucoup parce qu’elle cherche à prouver que le désir homosexuel est naturel et que l’amour homo est bon, instinctif, évident ?

 

Ce qui est sûr, c’est que le fait de vouloir figer ainsi Mère-Nature pour s’en rendre créateur, comme le fait le taxidermiste avec ses animaux morts, c’est un projet osé, qui n’apparaît pas d’emblée comme particulièrement scandaleux ou violent aux yeux de celui qui l’entreprend. En effet, par l’art, l’audiovisuel, les progrès techniques, et les bonnes intentions, on croit magnifier la Nature, L’immortaliser, Lui donner un second souffle, en Lui enlevant de surcroît ses aspérités et ses finitudes. Ceci n’est vrai que sur le terrain des intentions, car concrètement parlant, il se trouve qu’en La réifiant, on La dévitalise vraiment, on La tue. Mettez la Nature sous verre ou en cage, et Elle meurt de ne pas être libre. Nous ne sommes que des créatures et non Créateur. Comme nous n’avons pas ce pouvoir divin d’insuffler la vie aux êtres vivants, notre entreprise de possession de la Nature se révèle bien souvent désastreuse et monstrueuse. Il n’y a qu’à se fier aux visages grimaçants et effrayants (dignes des plus célèbres films d’épouvante !) qu’affichent les animaux empaillés du taxidermiste des fictions homosexuelles, pour en avoir la confirmation ! Il n’y a qu’à voir l’effet refroidissant et déshumanisant des animalisations d’êtres humains, pour comprendre que c’est quand l’Homme rejoint l’animal qu’il devient le plus inconsciemment machinal et violent.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Cannibalisme », « Coït homosexuel = viol », « Désir désordonné », « Entre-deux-guerres », « « Plus que naturel » », « Jardins synthétiques », « Chiens », « Chat », « Aigle noir », « Araignée », « Femme-Araignée », « Corrida amoureuse », « Cheval », « Poupées », « Adeptes des pratiques SM », « Clown et Masques blancs », « Ennemi de la Nature » et « Fantasmagorie de l’épouvante », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le taxidermiste homosexuel est un personnage habituel des fictions homo-érotiques :

Norman Bates dans le film "Psychose" d'Alfred Hitchcock

Norman Bates dans le film « Psychose » d’Alfred Hitchcock


 

On retrouve des taxidermistes ou des animaux empaillés dans le film « Exotica » (1994) d’Atom Egoyan, les films « Psychose » (1960), « L’Homme qui en savait trop » (1955), et « Les Oiseaux » (1963) d’Alfred Hitchcock, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, le film « L’Étrange Monsieur Peppino » (2003) de Matteo Garrone, la chanson « Tigre de porcelaine » de Jean Guidoni, la pièce La Ménagerie de verre (1944) de Tennessee Williams, la chanson « Des gens stricts » du groupe Animo (où la discothèque ressemble à un Muséum d’Histoire Naturelle), le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé (avec le moineau statufié), le vidéo-clip de la chanson « Sobreviveré » de Mónica Naranjo, le film « Le Génie du mal » (1959) de Richard Fleischer, la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt, le film « Insatisfaites poupées érotiques du professeur Hitchcock » (1971) de Fernando Di Leo, le film « Cher Disparu » (1965) de Tony Richardson (avec l’embaumeur), le film « Sex Revelations » (2000) de Jane Anderson (avec la passion du couple lesbien pour les oiseaux), le téléfilm « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure (avec Monsieur Leclerc et son salon rempli d’animaux empaillés), la pochette de l’album Bijoux et babioles de la chanteuse Juliette, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron (avec le chien empaillé), le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch (avec la chouette-bijou), le film « Hush ! » (2002) de Ryosuke Hashiguchi (avec le coiffeur animalier homo), le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier (avec le renard mort tué par François), le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec la passion pour les oiseaux et les chats), le film « Les Biches » (1967) de Claude Chabrol (Jacqueline Sassard dessine des biches sur le Pont des Arts), le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee (avec la biche en bois), le film « Dans le village » (2009) de Patricia Godal (avec les cochons sauvages), le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall (avec le renard empaillé du Colonel Antrim, ainsi que l’énorme peau d’ours polaire surplombée d’une tête empaillée appartenant à Stephen), la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec le Dr Lebrun, taxidermiste), le film « Monster Butler » (2013) de Doug Rath (avec Wiggy, le taxidermiste, qui aidera Roy Fontaine, le criminel homosexuel, à effectuer ses meurtres), le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (dans la déco de la maison des amants Richard et Kai), la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas (avec Léo, le taxidermiste homo), le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (et l’oiseleur avec des canaris), le film « L’Ornithologue » (2016) de João Pedro Rodrigues, la chanson « Monsieur Vénus » de Juliette (avec l’amante lesbienne empaillée) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce « Copains navrants » (2011) de Patrick Hernandez, Grégoire, le cousin homosexuel de Vivien vivant à la campagne, est taxidermiste : « Il empaille les animaux. Il a toutes sortes de bêtes dans sa maison. » explique Vivien. Il est suspecté d’être un « Rural Killer » par Stéphane, un des amis homos de Vivien. Dans le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, Madame Sutphin est fanatique des oiseaux et lit des ouvrages ornithologiques. Dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, la grande folle cruelle, le Baron Lovejoy, vit entouré de ses « camarades empaillés ». Théron est collectionneur d’oiseaux dans le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli. Dans la pièce Le Clan des divorcées (2008) d’Alil Vardar, Brigitte, l’homme travesti, parle d’empailler des hommes. Dans la pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez, Jeannot affirme que « Les Oiseaux » d’Hitchcock est son film préféré. Brian, dans le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, se retrouve face au cadavre pétrifié d’une vache morte. Dans le film « Prisonnier » (2004) d’Étienne Faure, la maison de Julien est remplie d’oiseaux empaillés. Dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, Laura et Sylvia décident d’aller au zoo exprès pour « se prendre en photo avec les animaux » (p. 43) : Laura choisit les oiseaux ; Sylvia, les reptiles. Dans le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, Camille, l’héroïne lesbienne, « a l’impression d’être un oiseau ivre ou mort ». Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry ne se remet pas de la mort son animal de compagnie : « J’ai retrouvé Canardo sur le buffet du salon. Il avait été empaillé ! » Dans le roman À ta place (2006), Cécile, l’héroïne lesbienne, a, elle aussi, une drôle de surprise quand elle revient dans la domicile familial : « Je retournais de temps en temps chez mes parents, ils essayaient de rattraper les choses. La perruche morte, ils avaient acheté des oiseaux postiches, de cire et de plumes, c’était macabre. » (p. 78) Dans le one-woman-show La folle parenthèse (2008) de Liane Foly, c’est précisément au moment où la figure de Jeanne Moreau tient une conversation avec son ami homosexuel Pedro qu’elle lui parle de taxidermie : « Pedro, qu’en pensez-vous ? Je vais me faire empailler. » Dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, le jeune narrateur fait un drôle de cauchemar : « Une fois, j’ai réveillé tout le monde tellement j’ai crié fort. Je me rappelle que c’était à cause d’une pluie d’oiseaux morts qui tombaient sur moi. » (p. 14) Dans le film « New York City Inferno » (1978) de Marvin Merkins, Paul se rend chez un amant taxidermiste, un peu marabout, possédant chez lui des animaux empaillés, des têtes de sanglier, de cerf, d’oiseaux inquiétants. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, on voit Gabriel courir comme une folle perdue dans la forêt autrichienne : il tombe nez à nez sur une sculpture de cerf transpercée de flèches. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, la mère de Tom (le héros homo) possède un canard en plastique. Tom a enterré son lapin, sa poule, son chien. Et la mamie a continué le trafic d’animaux : « Pour le chien, j’ai revendu ses vêtements et fait un cerf-volant avec sa peau. »… même si elle conclut : « On n’est pas au Musée Grévin ! » Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, se retrouve à un moment prisonnier de deux animaux empaillés censés être fixés au mur du manoir. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, l’équipe de water-polo gay mange dans un restaurant autrichien avec plein d’animaux empaillés, et loge dans une auberge également remplie d’animaux morts. Jean, le capitaine, se réveille même en serrant une tête de cerf empaillée contre lui. « La queue du crocodile est très recherchée dans le commerce de luxe. » Dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet, Raymond, le personnage homo refoulé, fait du « commerce de peaux » avec l’Australie. Dans le film « See How They Run » (« Coup de théâtre », 2022) de Tom George, le très homosexuel Mervyn fait passer son amant italien pour son « neveu » pour cacher leur homosexualité. Et ce Gio est taxidermiste.

 

Appliqués au couple homo, les animaux empaillés peuvent signifier deux choses : d’une part, le désir de fusion et de possession de l’autre (… qui se traduira souvent par une infidélité entre partenaires) : « Exactement comme les chats portent leurs chatons, tu t’occupes de moi comme un animal de compagnie » (Judy Minx dans son one-woman-show au 3e Festigay au Théâtre Côté Cour en avril 2009) ; « Il [Adrien] considérait la fidélité sous un jour nouveau. La sexualité masculine conservait toujours quelque chose d’animal. Ni la tendresse ni l’amour – ce que transmettent les femmes – ne parvenaient totalement à dompter la puissance d’un désir brut, primitif, captivant. Ce désir de pénétrer et d’envahir la différence de l’autre ; de ne pas laisser la proie s’échapper. Car c’est elle, la proie, qui donne l’impression d’exister mieux. Elle est comme une extension de soi, un poids ajouté au sien. Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 51) ; et d’autre part, la bestialité dans les rapports charnels : « C’est un masochiste anal ! Il baise comme un animal ! » (Mimi en parlant de Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Pierre s’avoue animal avec son amant Benjamin : « S’il y en a qui connaît l’animal qui est en moi, c’est bien toi, non ? » Et il dira de lui : « Il n’est gentil qu’avec les animaux, j’ai remarqué. » Même si le fait de se faire empailler ressemble à un élan fétichiste valorisant et positif – le protagoniste s’embaume et se dorlote comme une momie –, il exprime souvent un sentiment d’abandon et un désir de mort : « À moins que je finisse dans un musée et que je me fasse empailler. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012)

 

Jean Marais et son chien

Jean Marais et son chien


 

L’animal empaillé est cet amant que le personnage homosexuel fait parler, sur qui il projette ses fantasmes amoureux les plus narcissiques, les plus réifiants : « Stephen commençait à s’abandonner à des rêveries kaléidoscopiques […]. Des chiens de porcelaine… Il y a, chez Langley, de jolis chiens de porcelaine… Cela fait penser à quelqu’un… oh, oui, à Collins, naturellement. » (Stephen la lesbienne parlant de sa nourrice Collins, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 47) ; « Quand je l’ai vu dans sa cage à l’animalerie, j’ai eu envie de le rendre heureux. Ce qui m’a le plus retourné, c’était son regard de mendiant. Il avait l’air tellement triste… Il était immobile. Il n’aboyait pas mais il me suppliait. Enfin, c’est ce que j’ai cru. » (Bryan, le héros homosexuel, en parlant de son chien Nicky, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 68 ; d’ailleurs, quelques pages plus loin, Bryan dira cette fois à son amant humain Kévin : « Tu es irréel et moi animal. », p. 212) ; « Et puis après, il va l’empailler. » (Bernard, le héros homosexuel, en parlant de la « bite » du trans M to F Géraldine, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Mon p’tit doigt me dit que t’étais branché nounours… » (Martin, hétéro, s’adressant à son pote gay Simon, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; etc.

 

Les animaux empaillés – mais ce que je vais dire est une évidence – indiquent également que le désir homosexuel est un élan infantilisant/puéril. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, lorsque le psychiatre présente à Guillaume, le héros bisexuel, un dessin d’un papillon, ce dernier y voit « deux rats qui se mangent »… restant ainsi sur le registre de la fusion infantile. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, l’un des héros homosexuels, le peintre d’art contemporain, se fait surnommer « Nounours ». Il est fréquent dans les œuvres homosexuelles que les héros parlent à leur peluche comme si elle était leur amoureux (comme Steevy Boulay avec son Bourriquet !) : cf. la chanson « Parler tout bas » d’Alizée (« Je voudrais dire, pas pour de rire, même si c’est con, ‘Je l’aime lui. »), le vidéo-clip de la chanson « Je suis gay » de Samy Messaoud (avec les peluches), etc. Ils symbolisent à mon sens le désir d’être objet. Par exemple, dans la nouvelle « La Carapace » d’Essobal Lenoir (publiée dans le recueil Le Mariage de Bertrand, 2010), le protagoniste homo rêve d’un vieillard qui le fixe du regard comme s’il faisait partie d’une collection d’animaux empaillés : « La nuit, je m’imaginais hypnotisé, épinglé dans ses collections, entre un papillon et une mygale. » (p. 14) ; « Tu es peut-être tout simplement dans ta chambre, avec cet ours stupide qui te regarde. Il ne connaît pas son bonheur ! Il veille sur toi depuis si longtemps. J’aimerais tellement être à sa place. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 303) ; etc.

 
 

b) Les animaux sont mis sous verre dans un musée, ou exposés sous forme de bestiaire dans la collection du personnage homosexuel :

Dany dans le film "Xenia" de Koutras

Dany dans le film « Xenia » de Koutras


 

Même si cela peut paraître très étonnant, il est souvent question de bestiaires et d’animaleries quand le sujet de l’homosexualité est traité dans les fictions. Pensez au roman Les Bestiaires (1926) d’Henri de Montherlant, au film « Zoolander » (2003) de Ben Stiller, au film « Toto Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (où zoophilie et homosexualité se marient sans problème), à la pièce The Zoo Story (1958) d’Edward Franklin Albee, au film « Jin Nian Xia Tian » (« Fish And Elephant », 2001) de Yu Li (avec la gardienne du Zoo de Pékin), au film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (qui débute au Muséum d’Histoire Naturelle), au film « Zéro Patience » (1993) de John Greyson (toujours avec le Muséum d’Histoire Naturelle), à l’opéra Le Carnaval des Animaux (1886) de Camille Saint-Saëns, à la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, au roman Le Livre de la Jungle (1894) de Rudyard Kipling, au film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (l’un des héros homos travaille au zoo), à la pochette de l’album Histoires naturelles (2005) de Nolwenn Leroy, à la pochette de l’album Ersatz (2008) de Julien Doré, à la pièce Animales Feroces (1963) d’Isaac Chocrón, au film « Je suis curieuse » (1967) de Vilgot Sjöman, au film « Animal Factory » (2000) de Steve Buscemi, au film « Les Minets sauvages » (1984) de Jean-Daniel Cadinot, à la chanson « Jesus Is Gay » de Gaël (où le « milieu homo » est baptisé de « l’Arche Delanoë »), la pièce Loretta Strong (1978) de Copi (avec Loretta Strong et son « rat en porcelaine »), le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec le coiffeur homosexuel secondé de son yorkshire « Joséphine »), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec Nono, le héros homosexuel, et son calendrier du facteur avec des photos d’animaux), le roman Les Animaux sentimentaux (2016) de Cédric Duroux, etc.

 

On retrouve les bestiaires dans les créations de Léonard de Vinci, Vladimir Maïakovski, Copi, Alfred Hitchcock, Mylène Farmer, Néstor Perlongher, Colette, Salvador Dalí, Jean de La Fontaine, Jean-Luc Hennig, etc. Beaucoup de personnages homosexuels se présentent comme les amis des bêtes (pas toujours vivantes, d’ailleurs !) : « J’adore tous les oiseaux. » (Océane Rose Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « J’aime les gens qui aiment les bêtes. Sans mes loups, je ne me sentirais pas tout à fait humain, juste un peu ado, juste un peu stupide. Les animaux te poussent sans cesse à s’interroger sur la joie, la simplicité, la fidélité, les inégalités, la dépendance. » (Chris s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 134) ; « Fais comme Arnaud. Achète une perruche. Ce sera plus simple ! » (Stef s’adressant à son pote Vivi, homo lui aussi, et qui veut un enfant, dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; etc. Par exemple, dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, Jeanne avoue avoir rêvé de « coït avec les animaux du zoo » : le lion et l’éléphant la « font jouir » (je cite). Dans la pièce En panne d’excuses (2014) de Jonathan Dos Santos, au moment où Guillaume doit faire du bouche à bouche à son meilleur ami Louis qui s’asphyxie, il pense immédiatement à mal : « Ça devient du porno gay, ton truc… On n’est pas des bêtes ! ». Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Bill, l’étrange voisin de Frankie, qui lui fait des avances et lui taille une pipe, possède une perruche blanche. Frankie, le héros homosexuel, a décoré sa chambre de plein d’animaux morts, photographiés ou peints : souris, hibou, poisson rouge aux dents pointues, etc. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, regarde avec fascination une coccinelle sous verre dans sa chambre. Par ailleurs, Dianne, la sœur jumelle de Phil, attire à elle magiquement tous les animaux. Elle tient ce don de leur père disparu. Cela fascine Phil : « Comment tu fais pour attirer les animaux ? »

 

Concernant la zoophilie à proprement parler, elle fait l’objet d’une étude encore plus approfondie de ma part dans le code « Chiens » du Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Sacha Baron Cohen

Sacha Baron Cohen


 

Je m’attarderai un peu plus sur un artiste homosexuel que je connais bien et qui nous donne les bonnes clés de la signification des bestiaires homosexuels : le dessinateur Copi. Pour moi, il est le Spécialiste des bébêtes. À tel point que Loretta Strong, l’un des personnages les plus emblématiques de son univers décalé, sort dans la pièce éponyme (1978) une réplique qui résume bien toute l’œuvre de l’Argentin (et peut-être même toute la production artistique homosexuelle !) : « Il n’y a que des bêtes mortes ! » (p. 131)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Dans toute sa production défilent les animaux, des plus domestiques aux plus insolites : cela va du rat à la langouste, en passant par l’escargot et l’araignée (cf. les albums Kang (1984), Du côté des violés (1976), toute la série des Femme assise, etc.) Ce sont en général de faux animaux : des marionnettes à main, des bestioles réifiés, des peluches, des déguisements animalier d’adultes, etc. Copi voit le monde et la Nature comme une salle de jeux en carton pâte déshumanisé : « Ensuite il est entré une petite fille de six ans environ avec mon chien empaillé dans les bras et elle me l’a donné. […] Je suis sorti dans la rue comme tous les jours. Ça n’a pas tellement changé par rapport à avant la catastrophe, exceptant le fait que tous les gens sont morts et empaillés. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972), pp. 31-32) Dans la tête de Copi, tout ce qui est vivant fini empaillé ! « Le bien, le mal n’existent pas dans le bonheur, dans le malheur. Les hommes sont des animaux, les femmes sont des animales. » (Cachafaz dans la pièce Cachafaz, 1993) ; « C’est une voyante ! Elle a une boule de cristal sur une petite table ronde, un hibou empaillé sur une perche. » (le narrateur homosexuel à propos de Delphine Audieu, dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 80) ; « À côté du hibou sur la cheminée je vois une photo de Marilyn petite, avec le hibou (celui qui est à présent empaillé ou bien un autre qui lui ressemble beaucoup) accroché à son épaule. C’est une petite fille maigre au nez crochu, on dirait un aigle, elle ressemble beaucoup à sa mère d’à présent. » (idem, pp. 81-82) ; « Quand j’étais petite, je mettais tous les jours une robe de communiante pour l’heure du thé, ainsi que mes sœurs. Nous avions chacune un petit pigeon empaillé au bord de la tasse. » (Jeanne dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968), p. 87) ; « Regarde comme elle [la mouette] flotte ! On dirait un canard en Celluloïd ! » (Ahmed à Jean dans la pièce La Tour de la Défense, 1974) ; etc. Le bestiaire de Copi agit comme un totem, le totem du dieu Schizophrénie, à l’image d’un carnaval des animaux que compose le Dieu des Hommes dans le roman La Cité des Rats (1979) : « Nous vîmes de notre cachette […] un thon à pieds de cochon et tête de mule, un éléphant à tête d’homme dont la trompe finissait par un ongle, un crapaud à queue de paon et tête de dinde, un griffon tel quel, une femme à queue et tête de kangourou portant un grand scorpion à tête de coq dans sa poche, et parmi eux le Dieu des Hommes avec les deux têtes du caniche et du fox-terrier à la place de la sienne, et une queue de lézard, et j’en passe des plus bizarres, telle une tortue de mer à tête de queue de poisson. » (Gouri, p. 135) Les animaux empaillés sont la preuve « vivante » (si on peut dire…) que le désir homosexuel est un désir idolâtre, puisqu’on les voit dépeints comme des veaux d’or : « On raconte que quand les ‘Boludos’ vous regardent dans les yeux vous restez figés dans la même position pour l’éternité. On a trouvé sur leur chemin d’innombrables statues en lave représentant des êtres humains et des animaux à l’expression effrayée. » (cf. la nouvelle « La Déification de Jean-Rémy de la Salle », dans le recueil Virginia Woolf a encore frappé (1983), p. 58) ; « Je suis rivé à la tête du boa dont les yeux de chien mort me font plus peur que jamais, je m’évanouis dans l’ambulance. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 59) Les animaux chez Copi sont en général des symboles du viol tant ils sont capables de réagir avec la cruauté humaine et de se mener une terrible guerre entre eux : je pense notamment au boa constrictor de la pièce La Tour de la Défense (1974) ; ou bien au Rat crevant un œil au renard en fourrure de « L. » dans la pièce Le Frigo (1983). L’homme-animal est une référence voilée à l’irrespect de la différence des générations, aux rapports inversés mère/enfant (si souvent traités par l’artiste !), à l’inceste : « J’ai peur qu’il naisse anormal, avec la tête de ma mère et le corps d’un animal ! » (Lou en accouchant de son bébé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986), p. 360) ; « La fille dévisagea son père et Jane se rappela le renard qu’elle avait trouvé à Londres sur le pas de sa porte en hiver en fin d’après-midi. Elle rentrait de la librairie, un sac de commissions à la main. L’animal s’était figé et elle avait été frappée par sa beauté. Jane s’était accroupie, sans quitter des yeux la tête au museau pointu. […] Le renard l’avait regardée dans les yeux et, l’espace d’un instant, elle avait cru qu’il allait la prendre dans sa main, mais il avait tressailli et s’était enfoui dans la nuit. » (Jane décrivant le rapport incestueux entre la jeune Anna et son père, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, pp. 44-45) ; etc. Dans la pièce Le Frigo (1983), Copi envisage même les unions zoophiles comme une forme d’amour homosexuel incestueux : le personnage de « L. » veut se marier avec le Rat (« Je pourrais te faire passer pour mon fils adoptif. », p. 47) Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, les hommes de la secte du Nouvel Ordre (présidée par le père de Smith, le héros homosexuel) portent des masques de tigre, de gorille, d’éléphant, de biche.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 
 

c) Le personnage homosexuel se présente sous les traits d’une créature hybride mi-humaine mi-animale :

C’est le cas dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (Molina, le protagoniste homosexuel principal, se définit comme la femme-araignée), les pièces de Bernard-Marie Koltès (l’homme-chien ou l’homme-cerf dans Combat de nègre et de chiens (1979) et Le Roi des Aulnes (1970)), les tableaux du peintre Paul (avec le motif récurrent de l’homme-singe), le film « La Femme Scorpion » (1972) de Shunya Ito, toute l’œuvre de Jean Cocteau (le Centaure y occupe une grande place), le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le film « La Criatura » (1977) d’Eloy de la Iglesia (avec la jeune femme et son chien-loup), le conte Lisa-Loup et le Conteur (2003) de Mylène Farmer, le film « La Féline » (1942) de Jacques Tourneur (avec Irena la femme-panthère), la B.D. homo-érotique Batman (1939) de Bob Kane et Bill Finger (avec l’homme-chauve-souris), le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, les tableaux du peintre Claude Ganiage, le conte La Petite Sirène d’Hans Christian Andersen, le vidéo-clip de la chanson « Frozen » de Madonna (avec la femme-chien), le vidéo-clip de la chanson « Comme j’ai mal » de Mylène Farmer (avec la femme-insecte), la pièce Loretta Strong (1974) de Copi (avec les hommes-singes ou les hommes-rats), la chanson « Allan » de Mylène Farmer (avec l’homme-oiseau), la pochette de l’album L’Autre de Mylène Farmer (avec la femme-corbeau), le film « Aimée et Jaguar » (1998) de Max Farberbock, le film « La Femme Reptile » (1966) de John Gilling, le film « Tropical Malady » (2004) d’Apichatpong Weerasethakul, le roman La Dame à la Louve (1904) de Renée Vivien, le one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007) (avec Madame H., le travesti M to F, et sa peau de renard baptisée « Montherlant », à qui elle s’adresse comme si elle était vivante), le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec la femme-cheval amazone), le film « Marnie » (« Pas de printemps pour Marnie », 1964) d’Alfred Hitchcock (toujours avec la femme-cheval), la pièce Entre Fous Émois (2008) de Gilles Tourman (avec l’homme-pingouin), le film « Johnny Minotaur » (1971) de Charles-Henri Ford, la chanson « Jardin de Vienne » de Mylène Farmer (avec le pendu qui se métamorphose en oiseau), les tableaux du peintre Éric Raspaut, la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner (avec l’homme-singe), le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus (où Tchang fusionne avec son cheval : « Il fait corps avec l’animal. », p. 141), la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, le film « Horse Women Dog » (1990) d’Hisayasu Sato, la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud (avec les personnages homosexuels pourtant tous sur le dos, comme des ailes, des bois de cerfs), la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars gays (avec Steeve l’homme-canard), les poèmes scatologiques de Raúl Gómez Jattin, Néstor Perlongher, Reinaldo Arenas, racontant des aventures zoophiles, etc. Par exemple, dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Lukacz joue à cache-cache avec Adam pour le draguer. Ils imitent des cris de chiens et de singes pour se retrouver au beau milieu d’un champ de maïs. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, beaucoup de personnages sont transformés en êtres hybrides mi-humain mi animaux : le chasseur en cerf (à cause de son voyeurisme pour un transsexuel M to F), les jeunes vierges en génisse, en oiseaux. Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, le perroquet surnommé « Barclay » de Géraldine, la bourgeoise, dit tout haut les phrases les plus vraies et les plus compromettantes des personnages. Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, se déguise en âne.

 

La comédie musicale La "Nuit d’Elliot Fall" de Vincent Daenen

La comédie musicale La « Nuit d’Elliot Fall » de Vincent Daenen


 

« Que laisserons-nous de nous, moitié-anges moitié-loups, quand nos corps seront dissous dans la langueur monotone du premier frisson d’automne ? » (le protagoniste homosexuel dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, dans la ménagerie infâme de nos vices, il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde : c’est l’ennui. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire)

 

Si, dans les fictions homo-érotiques, l’Homme est parfois animalisé, à l’inverse, les animaux seront aussi très souvent personnifiés, voire homosexualisés : on peut penser au lapin gay de Caroline dans le film « Gelée précoce » (1999) de Pierre Pinaud, aux loups homos du film « Les Loups de Kromer » (2003) de Will Gould, aux plantes carnivores des films « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz et « Les Filles du Botaniste » (2006) de Daï Sijie, au canard gay dans le film « Queer Duck : The Movie » (2005) de Xeth Feinberg, le film « Le Baiser de la Lune » (2010) de Sébastien Watel (racontant l’amour entre Félix, un poisson-chat, et Léon, un poisson-lune), etc. Dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011), Dubernet sort une devinette qui, blague mise à part, rapproche le désir homosexuel de l’instinct animal : « Comment appelle-t-on un dinosaure homosexuel ? Un tripothanus. » Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Dodo raconte une histoire d’un ours polaire homosexuel qui visite l’Afrique, ou encore celle d’un « cochon pédé ». Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, Vanessa, dont le frère Nicolas est gay, emploie l’expression « pédé comme un pingouin ».

 

L’Homme est réduit à définir comme un « individu » (la notion d’individu définissant tout être vivant, qu’il soit animal, végétal ou minéral) et non plus une « personne » (c’est-à-dire un être humain, le plus grand et le plus libre des vivants).

 

Par ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les œuvres homosexuelles nous expliquent que s’animaliser revient à se robotiser. Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel immature, a un rapport très particulier aux animaux qu’il voit partout (le renard dans la chambre de l’hôtel désaffecté, le lapin en peluche blanc géant Dido qui lui apparaît en rêve, les animaux de la forêt entourant la barque, etc.), un rapport qu’on pourrait qualifier d’idolâtre : tandis qu’il les prend pour des dieux vivants (par exemple, Dany se voit tout petit devant Dido : « Mais tu es devenu énorme ! »), il cherche aussi à les vider de vie (le jeune homme confond son vrai lapin blanc Dido avec un objet-peluche qu’il enterre sous un arbre). Dans le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, le monde du bas peuplé d’animaux et de monstres répond et soutient le monde du haut, futuriste et techniciste, créé par les humains.

 

Cette inversion humain >< animal illustre généralement un processus de robotisation de l’être humain par l’envahissement d’un monde végétal virtuel, comme le démontre la brillante nouvelle de Manuel Rivas El Pez Doncella, parue en 1998 dans le journal espagnol El País. Il est étonnant de voir que plus l’Homme prétend revenir radicalement à la Nature et développer son côté animal, plus il en perd son âme et rejoint la machine. Le lien de coïncidence entre l’animalisation et le « devenir objet », mal connu de notre époque, est pourtant manifeste dans énormément de créations artistiques traitant d’homosexualité, et mériterait d’être davantage approfondi.

 

La présence des animaux dans la vie du héros homosexuel peut être mentale, symbolique, et renvoie à l’animalité, à son comportement sexuel, à un désir désordonné qui l’habite. « La bête est plutôt du genre étalon. » (Bernard parlant à son nouvel amant, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Belle bête ! » (Jean-Paul, le pédé bourgeois, à la vue du docteur Louis, dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, la rencontre entre Antonietta, la femme au foyer soumise, et Gabriele, le héros homosexuel qui allait se tirer une balle dans la tête, se fait grâce à l’escapade de sa cage du mainate d’Antonietta, « Rosemonde », un perroquet mâle mais qui porte un prénom de femme. L’oiseau est ici la métaphore du désir de liberté et d’asexualité d’Antonietta. Il est aussi la voix de sa conscience qu’elle refoule, et la voix de la conscience qui ramène Gabriele à la vie : « Il y a toujours un petit perroquet qui vient vous rappeler que la vie est belle. » (Gabriele) Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, le perroquet surnommé « Barclay » de Géraldine, la bourgeoise, dit tout haut les phrases les plus vraies et les plus compromettantes des personnages.
 

Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Joséphine s’entend très bien avec Dallas, l’assistant-couturier homosexuel de Cecilia, avec qui elle a élaboré un cri de guerre bestial où chacun, par une chaîne d’union consistant à montrer ses griffes (pour mimer la chanson « Alexandrie Alexandra » de Claude François) se transmet une force venant à bout de toutes les épreuves : « Allez ! Que la Force soit avec toi ! » (Joséphine) : la Bête accompagne souvent l’homosexualité, et vice-versa.
 


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Photo noir et blanc prise par Hervé Guibert

Photo noir et blanc prise par Hervé Guibert


 

Un certain nombre de personnalités homosexuelles sont taxidermistes, sculpteurs ou peintres animaliers : c’est le cas de Christa Winsloe, Rosa Bonheur, Jean Cocteau, etc. Et beaucoup d’entre elles pratiquent la taxidermie : Pierre Loti, Vladimir Maïakovski, Hervé Guibert, Claude Cahun, Jeffrey Dammer (le tueur en série homosexuel qui était fasciné, petit, par les animaux morts), etc. Au niveau de la mode, Karl Lagerfeld a révolutionné la fourrure, la rendant bohème alors qu’elle n’était que chic. Dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, l’homme transsexuel M to F Concha Bonita (p. 30) « aime les oiseaux en porcelaine ». Jean-Claude Dreyfus fait une collection de cochons. Francis Bacon, quant à lui, adore prendre des photos d’animaux sauvages. Les noms choisis par les groupes musicaux homosexuels (tels que The Animals, Pet Shop Boys, etc.) ne sont pas non plus anodins. Le cinéaste et écrivain Christophe Honoré, se parlant à lui-même dans son autobiographie Le Livre pour enfants (2005), laisse justement libre cours à son inconscient de « taxidermiste qui s’ignore » : « Êtes-vous un grand amateur d’oiseaux ? Voilà, vous êtes-vous occupé d’oiseaux parce que les oiseaux ont captivé votre imagination […] ? » (p. 26) Dans le documentaire « Zucht Und Ordnung » (« Law And Order », 2012) de Jan Soldat, traitant du sadomasochisme, on voit des statues d’animaux dans l’appartement des deux interviewés. Je pense également aux pastiches de comptines chez Pierre Louÿs (notamment celui d’un Algérien pratiquant la zoophilie sur son âne). Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, les personnes homosexuelles sont comparées à un documentaire animalier sur les flamands roses. Tom, l’un des héros, est vétérinaire par misanthropie : « La vérité, c’est que je ne suis pas très à l’aise… sauf avec les animaux. Je ne suis pas très à l’aise dans ma propre peau. » Dans l’émission d’hôtellerie Bienvenue chez nous diffusée sur la chaîne TF1 le 23 août 2018, les hôteliers Stéphane et Patrick, en couple homo, possèdent un hôtel rempli d’animaux empaillés. Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Déborah, personne intersexe élevée en fille, et son amie Audrey, elle aussi intersexe, se baladent au Muséum d’Histoires Naturelles de Lausanne (en Suisse), et y observent les animaux empaillés, et notamment un « Chat : Monstre à tête double ».

 

Photo "Military Tailors" (1936) de Claude Cahun

Photo « Military Tailors » (1936) de Claude Cahun


 

Le lien entre l’homosexualité et les bestiaires, ou entre l’homosexualité et la zoophilie est identifié par des scientifiques et des sociologues de renom. « L’homosexualité et la masturbation proviennent en partie des conditions de la captivité. […] On retrouve les mêmes réactions chez les bêtes à cornes parquées (béliers ou taureaux). » (Paul Guillaume, La Psychologie des singes, 1941) ; « Les leçons de charme des lesbiennes ressemblent à une longue parade animale. » (Sigmund Freud) ; etc. Il se recoupe avec le concept d’« homosexualité de circonstance » que je développe dans le code « Entre-deux-guerres » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) et ne vient pas que de chercheurs dits « homophobes ».

 

Il est repris et causalisé par beaucoup d’« intellectuels » homosexuels et gay friendly pour prouver le bien fondé de l’homosexualité, et soutenir que le désir homosexuel est inné, naturel, et qu’il n’est pas un choix à condamner moralement : je vous renvoie au traitement de l’« homosexualité » dans le monde animal par André Gide dans Corydon (1920), aux travaux de Jean-Pierre Otte, ainsi qu’au documentaire « L’Homosexualité animale » (2001) de Bertrand Loyer, à l’essai Christianisme, tolérance sociale et Homosexualité (1985) de John Boswell, etc. « On a observé un comportement homosexuel chez 13 espèces appartenant à 5 ordres de Mammifères (Beach, 1968). En voici quelques exemples. Il se produit chez la truie, la vache, la chienne, la chatte, la lionne et les femmes du singe Rhésus et du Chimpanzé. » (Claude Aron, « Les Facteurs neuro-hormonaux », Bisexualité et Différence des sexes (1973), pp. 161-162) Pour prouver la pourtant évidente réalité que « l’homosexualité n’est pas contre-nature » (elle est justement très/trop naturelle chez l’Homme !), le Musée d’Histoire Naturelle d’Oslo (Norvège) présente une expo sur les « Animaux-homos » en octobre 2006. Dans son documentaire « Des Filles entre elles » (2010), Jeanne Broyon est toute fière d’interroger un paysan au Salon de l’Agriculture pour montrer que l’homosexualité féminine est normale : « Chez les animaux, l’homosexualité, ça se passe beaucoup » assure-t-il.

 

En plus de l’animalisation des personnes homosexuelles par elles-mêmes grâce à la « science » (plutôt la technique, à proprement parler), elles se servent du prétexte « artistique » ou « militant » pour laisser libre cours à leur déshumanisation par l’« amour » : « Queer est plus généralement cet art même du déplacement, touristique ou zoophilique, stylistique ou corporel, l’art d’être où rien ne vous attend. » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 15) ; Dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt, Tamàs Dombos, militant homosexuel hongrois, raconte son sentiment d’enfermement par la protection policière lors des premières Gay Pride de Budapest : « On avance dans des cages, comme les animaux d’un zoo. Voilà ce qu’on ressent quand on manifeste en Hongrie. » ; etc.

 

Les personnes homosexuelles défendant la légitimité des actes homosexuels en s’animalisant elles-mêmes (je vous dirige par exemple vers le récent article, mi-intox, mi-sérieux « Un Couple manchots gays adopte un petit avec succès » dans le journal Le Monde du 3 juin 2009), ne se rendent pas compte que, même si elles sortent dans un premier temps l’identité homosexuelle de la moralité, et donc de la culpabilité, elles l’engouffrent du coup sur le terrain très glissant et homophobe de la pathologie, de la zoophilie, de la pulsion bestiale, de la violence (quand bien même celle-ci, parce qu’elle est rendue instinctive, sera dé-moralisée, ne mériterait pas d’être condamnée). Ce n’est pas par hasard si le réalisateur de films X gays Jean-Daniel Cadinot affirme très sérieusement dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) qu’il « serait plutôt comme un cinéaste animalier. » (p. 70) Il existe des liens entre homosexualité et zoophilie (le récent film « La Sonde urinaire » (2006) de la très queer Camille Ducellier nous le rappelle !), quand bien même les « human pets », qui aiment sexuellement les animaux, forment une minorité dans les communautés homosexuelles et hétérosexuelles. Ce sont les personnes homosexuelles elles-mêmes – et non, comme elles se plaisent à le croire, les « méchants homophobes » extérieurs – qui, en cherchant à tout prix à « naturaliser » et à banaliser les actes homosexuels en s’appuyant sur la science et la faune, construisent l’absurde amalgame entre homosexualité et zoophilie. « À l’école, c’étaient les débuts de l’éducation sexuelle et ce n’est pas avec ce que l’on nous disait que j’aurais pu comprendre grand-chose… l’acte homosexuel, par contre, m’était inconnu. C’est lors de vacances scolaires que je l’ai découvert à l’âge de douze ans, avec un homme d’une trentaine d’années… Il m’a proposé de monter dans sa chambre pour me montrer quelque chose. Les choses en question, c’étaient des photos pornographiques que ce monsieur faisait venir de Suède, de Hollande, de tous ces pays qui ont une réputation de mœurs très libérales. Ces photos… il y en avait pour tous les goûts : homosexualité masculine, féminine, enfant en cours de puberté en état d’érection, et même des photos de femmes en train de ‘faire l’amour’ avec des animaux. » (Philippe, homosexuel séropositif, dans son autobiographie L’enfer est à vos portes, 1991) Même si elles se la jouent « rebelles sociaux » à travers l’animalité (« L’homosexuel demeure un loup, libre et fier, farouchement indépendant et sans doute encore sauvage, et rien ne l’oblige à se faire chien, animal domestique, embourgeoisé et de bonne compagnie. » Dominique Fernandez, Le Loup et le Chien, 1999), elles scient la branche sur laquelle elles sont assises !

 

Nolwenn Leroy

Nolwenn Leroy


 

Pour en revenir aux animaux empaillés, on peut également comprendre pourquoi l’association de la taxidermie et de l’homosexualité ne plaît en général pas beaucoup aux personnes homosexuelles. En plus de faire un peu psychopathe sur les bords (à la fin du film « Psychose » d’Alfred Hitchcock, Norman Bates, le taxidermiste déséquilibré, se voit quand même fortement suspecté d’être « un inverti »…), la fascination homosexuelle pour les bêtes pétrifiées indique que le désir homosexuel est un élan de mort plus qu’une force de vie. Et ça, en effet, ce n’est pas très réjouissant, et ça ne vient pas redorer le blason de l’homosexualité ! Quand Hervé Guibert, dans son autobiographie À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), explique sa passion pour les animaux empaillés, on comprend pourtant bien que la morbidité est certes magnifiée par l’esthétisme, mais qu’elle est quand même palpable ! : « Depuis que j’ai douze ans, et depuis qu’elle est une terreur, la mort est une marotte. […] Je ne cessai de rechercher les attributs les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon père de me céder le crâne qui avait accompagné mes études de médecine, m’hypnotisant de films d’épouvante et commençant à écrire, sous le pseudonyme d’Hector Lenoir, un conte qui racontait les affres d’un fantôme enchaîné dans les oubliettes du château des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu’aux stories sélectionnées par Hitchcock, errant dans les cimetières et étrennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d’enfants, me déplaçant jusqu’à Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillés comme Anthony Perkins dans ‘Psychose, la mort me semblait horriblement belle, féeriquement atroce… » (p.158-159)

 
 

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Code n°12 – Appel déguisé

appel déguisé

Appel déguisé

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ça hurle en moi « J’ai mal ! »… mais personne, pas même moi, n’y prête attention !

 

Le paradoxe du cri au secours du personnage homosexuel (et, a fortiori, de son émetteur artistique réel), c’est qu’il dénonce un viol/un fantasme de viol en même temps qu’il ordonne, par une injonction mi-sérieuse mi-cynique, qu’on le cache. Exactement comme l’injonction paradoxale de la demande de silence (l’interjection « Chuuut !!! ») qui, si elle est faite avec excès, finit par faire plus de bruit que le calme initialement réclamé. Sous prétexte que les personnes homosexuelles ne seraient pas les seules à souffrir, ou que le malheur ne serait pas typiquement homosexuel (ce qui est totalement vrai), beaucoup d’entre elles, par phobie d’une pathologisation de l’homosexualité sur leur personne, par peur d’une nouvelle stigmatisation victimisante/misérabiliste à leur encontre, vont par conséquent défendre avec véhémence l’idée inverse qui consiste à dire qu’elles et leurs pairs ne souffriraient jamais (ce qui n’est pas moins absurde). Mais leur hargne les trahit. Provocation, intimidations, obscénités, travestissement, colère pour « normaliser » un désir homosexuel qui n’a justement rien de « normal » (cf. « Mais on ne souffre pas !!! » hurlent les militants du FHAR), exhibition provocatrice, rires gras, scotch sur la bouche des « fouilleurs de merde », etc. : la communauté homo appelle avec insistance à ce qu’on ne l’écoute pas… mais paradoxalement, cette insistance appelle.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Manège », « Déni », « Solitude », « Milieu homosexuel infernal », « Homosexualité noire et glorieuse », et « Désir désordonné » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel lance un S.O.S. :

APPEL Copi Difficulté

 

On entend parfois les artistes homosexuels crier leur douleur, sur le mode dramatique ou parodique, comme par exemple dans le roman Biographie d’une douleur (2007) de Didier Mansuy, le roman La Difficulté d’être (1947) de Jean Cocteau, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi, le film « Quels adultes savent ? » (2003) de Jonathan Wald, le film « Keiner Liebt Mich » (« Personne ne m’aime », 1993) de Doris Dörrie, le film « Lost And Delirious » (« La Rage au cœur », 2001) de Léa Pool, le film « Ich Will Doch Nur, Daß Ihr Mich Liebt » (« Je veux seulement que vous m’aimiez », 1976) de Rainer Werner Fassbinder, la pièce Love ! Valour ! Compassion ! (1994) de Terrence McNally, le film « ¿ Por Qué Le Llaman Amor Cuando Quieren Decir Sexo ? » (1993) de Manuel Gómez Pereira, « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar, la chanson « Comme j’ai mal » de Mylène Farmer, le film « Tu crois qu’on peut parler d’autre chose que d’amour ? » (1999) de Sylvie Ballyot, le film « Help » (2009) de Marc Abi Rached, le roman Une douleur normale (2013) de Walter Siti, la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, la chanson « Au secours » de Véronique Rivière, la pièce Orage (et des espoirs) (2017) d’Alexis Matthews, le one-man-show Aimez-moi ! (2018) de Pierre Palmade, etc.

 

« Ma longue agonie n’est pas celle de ma vie mais celle d’une lignée de filles incapables de la flamme qui soutient une famille. » (Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « C’est terrible. Je suis tout seul. Dans le noir. » (Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; « Il fait toujours nuit pour moi. » (Léo, le héros homosexuel du film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; « Maintenant, je pleure. » (Jean-Pierre, l’homme rejeté par les deux femmes lesbiennes qui l’entourent, dont Fanny sa femme, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Tu crois qu’on sera heureux un jour ? » (cf. la réplique finale de Vincent à son amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Dans cette ville, on ne pouvait jamais être sûr de ce qui s’était passé. La souffrance s’imprégnait-elle dans les murs des bâtiments, les cris capturés telle une image sur une plaque photographique ? » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos de Berlin, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 39) ; « J’étais pas épanoui totalement. Il me manquait quelque chose. » (Jeanfi, le steward homo dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « J’ai jamais eu de chance avec les p’tits copains. J’ai toujours été spolié. » (idem) ; « Tante Eva, pensez-vous qu’aucune société ne veuille de moi ? » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Je me suis toujours trompé dans mes choix. » (George s’adressant à son amant Paul, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; « Être un homme libéré, tu sais, c’est pas si facile. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « C’est pas drôle d’être homo. Y’a des mecs dans la salle, ce soir ? Bande de salauds ! C’est vous qui nous faites souffrir ! » (Fabien Tucci, homosexuel, en pleurs, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Devenir gay, c’est pas très gai. » (idem) ; « ta vie est une période transitoire. » (Guen, homosexuel, s’adressant avec mépris à son amie lesbienne Ninon, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; « Arrête de faire semblant d’être ce que tu n’es pas. » (Ninon, idem) ; « Même si la racine de cet amour est bonne, comme l’est la racine de tout autre amour humain, son tronc et ses branches ont été courbés. Je ne sais pas pourquoi je suis attiré par ce désir déréglé. J’en souffre. Mais je refuse d’appeler l’arbre courbé un arbre droit. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, repoussant son élan physique et sentimental pour le jeune David, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 419) ; « Il y a une partie bonne et l’autre partie est une blessure infligée par le sitra ahra. Cette blessure, est-ce qu’elle vous fait mal ? Oui, elle me fait mal. » (Pawel parlant de son élan homosexuel, idem, p. 477) ; « C’est moi que je n’aimais plus. » (Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « J’aimerais être sous morphine tout le temps. » (Thibault, malade du Sida, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo) ; « Vous pensez que j’ai un problème ? » (Virginia Woolf confiant sa gêne par rapport à son incapacité à aimer et au désir passionnel que lui voue son amante Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.
 

Un dessin de Jean Cocteau de 1926, dans l’album Maison de Santé, représente un gnome nu tracé d’un trait tremblé, avec une bulle où figure un « J’ai mal ! » Dans son spectacle-cabaret Dietrich Hotel (2008), Michel Hermon parle du cri de l’enfant qui retentit dans la nuit parce qu’il est laissé seul : le spectateur comprend que l’enfant, c’est l’artiste lui-même. Dans le film « Mon Arbre » (2011) de Bérénice André, la petite Marie vit super mal d’avoir été conçue sans amour par ses quatre « parents » homosexuels.

 

À la fin de son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le comédien homosexuel, filme son public en leur demandant de compléter sa phrase « Le coming out… », par un hurlement collectif euphorique « ÇA PEUT FAIRE MAL ! ».
 

L’icône gay par excellence en France, Mylène Farmer, n’a pas été choisie comme porte-parole de la communauté homosexuelle par hasard. En effet, elle est la plus plaintive des chanteuses françaises : « 8, j’ai mal. » (cf. la chanson « Maman a tort ») ; « Pauvre humanité muette… » (cf. la chanson « Leïla ») ; « Comme j’ai mal, je ne saurai plus comme j’ai mal. » (cf. la chanson « Comme j’ai mal ») ; « Je suis saignée aux quatre veines. » (cf. la chanson « Agnus Dei ») ; « Elle a deux vies mais pas de chance, pas d’équilibre, mais elle fait de son mieux, elle penche. » (cf. la chanson « Lonely Lisa ») ; « C’est bien ma veine, je souffre en douce. » (cf. la chanson « Je t’aime Mélancolie ») ; « Je cherche une âme qui pourra m’aider. » (cf. la chanson « Désenchantée ») ; « Un sentiment de n’être rien du tout. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre ») ; « Si je suis en prison, et j’y suis, pourquoi pas une autre. Délivrez-moi, ta, talala. Je suis pas là, suis pas de ce monde. » (cf. la chanson « Monkey Me ») ; etc. Elle donne corps et voix à la plainte cachée de beaucoup d’individus homo-sensibles.

 
 

b) Que lamente le personnage homosexuel ?

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

C’est d’abord l’expression d’un vide existentiel, d’un dégoût de vivre, qui ne se rapporte pas à quelque chose de précis. Un malaise global qui renvoie à un Tout dont les contours sont difficiles à cerner, mais qui certainement touche un peu à l’ensemble des domaines de la vie (affectif, amical, professionnel, spirituel, etc.) : « Je suis dans le vide. J’ai rien. » (Didier à sa maman, dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « J’étais une épave. Je me sentais vraiment mal. » (Emory, le héros homo efféminé évoquant son adolescence, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je préfèrerais être heureuse. » (Petra, l’héroïne lesbienne du film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Quand je réfléchis, j’ai 38 ans et je n’ai rien vécu. […] Je suis en jachère. » (Marcy, l’héroïne lesbienne de la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim) ; « J’ai l’impression d’être un tableau… abstrait. » (François parlant de Dominique qui le prend pour une bête curieuse parce qu’il est homo, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos) ; « Je suis une caricature. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « J’ai besoin qu’on me tienne la main. Je suis fatiguée. […] J’me sens tellement seule, fragile, et provisoire. » (Charlène Duval, le travesti M to F, dans son one-(wo)man-show Entre copines, 2011) ; « Ma vie est un échec. Et je ne sais même pas comment j’en suis arrivé là… » (Hugo, l’homosexuel refoulé de la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Je ne sais rien faire. » (Gwendoline à la fin du one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « L’enfant sent en lui qu’il est porteur d’une minuscule fissure. […] C’est une chance et une souffrance. » (Damien, le travesti M to F racontant son adolescence et la perception de sa « transsidentité », dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Quant à moi, je serai la conteuse de ces malheurs. » (l’actrice parlant de la vie de Dorian Gray, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (2012) d’Imago) ; « Ah si ! J’ai une vie privée ! Privée de tout, c’est vrai… mais privée quand même. » (cf. le sketch « La Solitude » de Muriel Robin) ; « Elle doit être triste, ta vie. » (Greg, le héros gay s’adressant à son amie bisexuelle Jézabel, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Je n’en peux plus de toute cette merde. Je ne sais plus à quoi m’accrocher ! » (Mélodie, l’héroïne bisexuelle dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; « Personne ne m’a jamais respecté. » (Loïc, personnage homo, dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Pierre, le héros homosexuel, passe aux aveux : « Je ne suis pas sûr de m’aimer. » Quand Isabelle le flatte (« Vous n’avez jamais rien raté ? »), il lui répond laconiquement et cyniquement : « Seulement ma vie privée. » Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M envie Rana la femme mariée, et pense s’exiler en Allemagne pour se faire opérer et changer de sexe : « Tu crois que ta vie sera meilleure une fois que tu seras opérée ? » lui demande Rana. « Non, je n’en suis pas sûre. » rétorque Adineh.

 

Souvent, les plaintes du personnage homosexuel s’originent dans son insatisfaction personnelle par rapport au désir homosexuel, et à la relation amoureuse homosexuelle en général, même si la part de lui-même qui veut encore « y croire » vient les démentir : « Comment peut-on arriver à être heureux quand on est gay ? » (Didier dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « J’aurais aimé être un pédé heureux. » (Éric Caravaca dans le film « Dedans » (1996) de Marion Vernoux) ; « Qui a dit ‘Montre-moi un homosexuel heureux, je vous montrerai son cadavre.’ ? » (Michael, le héros homo du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Pourquoi être gay est-ce si difficile ? » (Eddie, déçu que Scott, qui l’a dépucelé, ne le rappelle plus et l’ait pris pour un simple « plan », dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Bon, vous savez quoi ? Être homo, c’est pas toujours gai/gay. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Tu cherches ta vie entière un amour, et quand tu l’as trouvé, tu souffres. Tu souffres autant que tu es heureuse. » (la voix narrative de la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Ma vie ne se résume à rien. Personne à aimer. J’ai été toute ma vie un homme seul. Un homosexuel. » (Hanz dans la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes) ; « Un homosexuel est un homme qui souffre et qui a mal. […] Depuis que je suis petit, mon existence est un calvaire. […] Personne ne m’a jamais dit je t’aime. » (Bernard, le héros homosexuel déclaré de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « J’arrive pas à déchiffrer les raisons de cet amour-là. » (Stéphane, le héros homosexuel s’adressant à son jeune amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson); « Est-ce que je ne suis pas en train de m’attacher artificiellement à un lien qui finalement ne vaut rien ? » (Adrien en parlant de sa relation foireuse avec Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 59) ; « Vous savez, dans la vie, j’ai couché avec plus d’hommes qu’on peut en dénombrer dans la Bible. Jamais un homme m’a dit ‘Je t’aime’… et que j’ai cru. Ça m’embête énormément. » (Arnold, le héros homosexuel du film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Ça fait cinq, […] si je repense à mes amours. […] Ils m’ont tous détesté à la fin […] on ne s’est pas vraiment aimés. » (Willie, le héros homosexuel du roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 279) ; « Plus je vieillis, moins le sexe m’intéresse. Je cherche quelqu’un à qui parler. C’est dur à trouver. » (le protagoniste du film « À la recherche de Garbo » (1984) de Sidney Lumet) ; « Cette succession d’états riches en émotions avait rythmé nos vies jusqu’à ce qu’elles s’y résumassent, sans autre perspective qu’attendre, jouir puis pleurer. » (la voix narrative lesbienne, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 8) ; « Je souffre de ne pas savoir quelle blessure vous me faites. » (le narrateur homosexuel parlant à l’inconnu du parc, dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès) ; « Mais de quoi étais-je donc le complice ?? […] Mais de qui étais-je donc complice ? » (Luca, le chanteur homosexuel du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Tu sais très bien que la vie que tu m’offres n’est faite que de pleurs, de déchirures et de tracas. » (Fanchette à son amante Agathe, dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago) ; « Y’a toujours au fond de moi une petite voix qui disait non à tout ça. » (Tom, le héros homo catho par rapport à la pratique homo, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « J’aurais mieux fait de me casser une jambe le soir de notre rencontre. » (Thomas s’adressant à son amant François, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « L’homosexualité, c’est pas pour moi. » (idem) ; « Amour, étoile que je n’ai pas. » (le chœur des prostitués homosexuels chantant dans la voiture, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « L’Amore Te fotte. » (cf. une inscription sur le mur dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Personne ne semble se rendre compte que j’existe. » (Nina, l’héroïne lesbienne dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Je ne suis rien. Je n’existe pas. » (idem) ; « Personne ne m’aime. Personne ne m’entend. » (idem) ; « J’ai peur de partir à la dérive. » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant en pleurs à son amante Vera, idem) ; etc.
 

Par exemple, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, les deux amants homosexuels s’avouent l’un à l’autre la souffrance qu’ils s’infligent en restant ensemble : « Je ne vais pas bien. » dit Franz à Léopold qui lui répond : « Moi non plus. » À la fin de l’intrigue, Franz est tellement au fond du trou (« Je suis malheureux ! Personne ne peut me comprendre. ») et tellement mal consolé par son ex-compagne Vera (« Pourquoi pleures-tu ? » lui demande-t-elle… ce à quoi Franz rétorque : « Parce que je suis malheureux ! Je passe par toute la gamme de la souffrance. Tant de malheur ! ») qu’il finit par se suicider par empoisonnement.

 

La détresse du protagoniste homosexuel est souvent profonde et superficielle, les deux à la fois, puisqu’il est complice de son propre malheur (et de la censure de celui-ci !) : c’est ce qui la rend amère et difficilement détectable. « J’ai pleuré. De vraies larmes, parce que Loche était parti sans moi, et de fausses larmes, parce que je voulais qu’on m’arrête, qu’on m’interroge. » (Julien Brévaille, le héros homosexuel du roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 69) ; « Je suis terriblement heureux et insatisfait. » (idem, p. 14)

 

Dessin de Keith Haring

Dessin de Keith Haring


 

Bizarrement, et contre toute attente, ce n’est pas l’homophobie sociale qui attriste le plus le héros homosexuel : son vrai problème, sa réelle souffrance, c’est l’homophobie intériorisée, c’est la méchanceté des personnes homosexuelles entre elles, c’est la lâcheté et la faiblesse de l’amour homo. Dans la B.D. Kiwi au paradis (1999) de Teddy of Paris, par exemple, les derniers mots du dessinateur après avoir dépeint le désenchantement de la découverte du monde homosexuel, s’adressent aux lecteurs en ces termes : « Bon courage à tous, il vous en faudra. » (Christophe Gendron, Triangul’Ère 1 (1999), p. 151) Difficile d’être plus clair.

 

Les personnages homosexuels se plaignent de leur communauté homosexuelle. Avec eux, on oscille entre jérémiades peu crédibles et invocation très sérieuse : « Quand je pense à la souffrance de tout le peuple gay… » (Omar, le héros homosexuel de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Si seulement nous pouvions ne pas nous haïr autant… C’est ça notre drame. » (Michael, le héros homo du film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin) ; « J’ai pour amis des folles comme moi, des amis pour passer un moment, pour rigoler un peu. Mais dès que nous devenons dramatiques… nous nous fuyons. Je t’ai déjà raconté comment c’est, chacune se voit reflétée dans l’autre, et est épouvantée. Nous nous déprimons comme des chiennes, tu peux pas savoir. » (Molina à son amant Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, p. 205)

 

Enfin, le cri poussé par le personnage homosexuel est un appel lancé à toute sa société pour qu’elle ne le laisse pas tomber, mais aussi, vu qu’elle ne répond pas comme lui l’espère, et qu’elle fait l’autruche, l’expression d’une profonde déception : « Et sous les apparences, le prix du vêtement, personne ne voit les plaies et le sang de celui qui survit. » (cf. la chanson « Retour à toi » d’Étienne Daho) ; « Personne ne sait consoler un vague à l’âme trop singulier. On vous répond que ça va passer, mais moi je sais que ça va rester. » (cf. la chanson « Pleurer en silence » de Mélissa Mars) ; « Pendant très longtemps, j’ai pas eu le droit de m’exprimer. » (Karine Dubernet dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « On m’accuse de distribuer ce que chacun vient déposer en moi. » (Julien Brévaille dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 176) ; « Il faut que je me rende à l’autre bout de la ville pour le baby-sitting : personne n’a encore compris que c’était plutôt moi qui avais besoin de me faire garder. » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 24) ; « Je suis jalouse, envieuse, pourquoi voudrait-on que je ne le sois pas ? Qu’est-ce que j’ai à moi, qu’est-ce qu’on m’a donné ? » (Cécile, l’héroïne lesbienne face à une famille, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 142) ; « Je ne suis pas seulement ta fille, mais une fille de la terre ! Tu me parles de misère, mais est-ce que tu connais la terre ? La terre de la pissotière, tu en connais l’odeur, ma mère ? » (Lou, l’héroïne lesbienne s’adressant à Solitaire dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « L’énorme bêtise, elle l’a faite en me quittant. Elle m’a trop fait souffrir. Elle m’a largué sans aucun état d’âme. » (Julien, le héros bisexuel, parlant de Zoé, la femme qui l’a quitté, avant qu’il ne devienne homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc.

 
 

c) Comment le personnage pousse son cri ?

D’abord, l’appel du personnage homosexuel est silencieux. Il passe par un murmure discret, et surtout par les regards de détresse. Des regards comme ceux que Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, perçoit dans le « milieu homosexuel » de son époque : « Et leurs yeux, Stephen n’oublia jamais leurs yeux, ses yeux d’obsédés, ces yeux tourmentés des invertis… […] Stephen apercevait leurs faces ravagées et pleines de reproches, aux yeux mélancoliques et obsédés d’invertis […] Des fusées de douleur, de brûlantes fusées de douleur… leur douleur, sa douleur, soudées ensemble en une immense et dévorante agonie. […] toute la misère de chez Alec. Et l’envahissement et les clameurs de ces autres êtres innombrables… » (pp. 562-571) On entend le monologue intérieur de certains héros homosexuels insatisfaits de leur relation amoureuse du moment. Leur appel prend alors la forme de l’exaspération contenue, du sentiment paniquant et assommant à la fois de ne pas se sentir à leur place, du malaise ruminé dans le secret et difficile à exprimer (parce qu’il concerne la personne soi-disant « aimée ») : « Michael ronflotait doucement à côté de moi. Sa main gauche était plaquée contre ma poitrine comme s’il avait voulu m’empêcher de bouger, me clouer sur place. Une angoisse suffocante m’étreignait le cœur. Je regardais le si beau profil de Michael, je pensais aux cadavres de codoms [préservatifs] dans le fond de la poubelle de la salle de bains et je me disais c’est pas ça, c’est pas ça que je voulais, c’est pas ce que je veux. » (Jean-Marc parlant de son amant Michael dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 260) ; « Je savais que c’était faux, que je n’aimais pas Michael d’amour mais là, juste à ce moment-là, je voulais le croire. » (idem, p. 299) ; « Arrête avec ces bouquins. Ça fait du mal à tout le monde. Même à toi, ça te fait du mal. Au fond, je suis sûr que tu souffres encore plus que moi. » (Suki s’adressant à son amie lesbienne Juna à propos de ses livres de magie, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc.

 

Il arrive cependant que le cri de détresse du personnage homosexuel se fasse visible et bruyant. Il prend alors davantage la forme de l’exclamation quand il exprime la révolte, et la forme de l’interrogation (qui n’attend pas forcément de réponse, d’ailleurs ; cela peut être une posture esthétique, ou une provocation « gratuite » et agressive) pour la dénonciation et les appels à l’aide : « C’est moi, Linda ! Mais moi je crie ! Vous m’entendez ?!? Allô !!! » (cf. une réplique de la pièce Loretta Strong (1974) de Copi) ; « Mais qu’est-ce qu’elle a, ma p’tite chanson ? » (un des protagonistes homos, parlant de la comédie d’amour qu’il sert à tous ses amants successifs, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Pourquoi est-ce que tu m’as laissé dans le noir pendant toutes ces années ? » (le héros homosexuel s’adressant à son père dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan) ; « M’entendez-vous ? Je crie, je hurle que vous ne m’aurez pas. Je lutterai. De toutes mes forces, je vous défie. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 52) ; « Je suis sûr d’être dans le vrai. Où est le mal Julien ? » (Pierre s’adressant à son amant Julien, dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?!? Si seulement j’étais un pervers, je mériterais qu’on me crache dessus ! Mais si à l’intérieur de moi je me sens doux et femme ! » (José María, le transsexuel M to F du roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá) ; « Alors putain, qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?!? » (Louis dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « Et ma vie, quand est-ce qu’elle commencera ? Quand est-ce que ce sera mon tour d’avoir quelque chose à moi ? » (Molina, le héros homosexuel efféminé du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, p. 239) ; « Il faut que je sache la vérité. La vérité sur la vie et sur l’amour. La vérité sur la vérité. J’étais au bord des larmes. Pourquoi une personne qui savait tout ne pouvait-elle pas me prendre à part et tout m’expliquer ? Comment se fait-il que les gens ne sachent rien ? Comment des milliards de personnes avaient-elles pu passer sur cette Terre pendant des milliers d’années sans jamais avoir trouvé la réponse à ces questions ? Je mourrais s’il me fallait encore attendre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 193) ; « Non, mais franchement. Sincèrement. Il faut que je comprenne. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Je me suis laissé aller à vivre mes sentiments. Est-ce un crime ? Je n’ai pas le droit d’aimer ? Si ! Mais pas lui, c’est ça ? Seulement, on ne choisit pas. Tu crois qu’on peut lutter contre ? Tu crois que je n’ai pas essayé ? Mais plus je me refusais d’y croire et plus je l’aimais ! Qu’est-ce que j’y peux ? » (Bryan, le héros homosexuel s’adressant à sa mère, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 336)

 

Souvent, le cri du héros homo s’épuise en mélancolie, en isolement de bête farouche, en auto-mutilation, en déni de souffrance. Son entreprise de destruction est dirigée essentiellement vers lui-même. Voilà le drame. « Cet isolement, c’est une sauvagerie, rien d’autre. Oui, une barbarie. Mais inoffensive. À la fin, ça ne détruira que moi. Ce qui m’attend, c’est de me consumer, de m’annuler. » (Leo, le héros homosexuel dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 66) ; « Tu dis : je suis l’homme sans ascendance, ni fraternité, ni descendance. Je suis cette chose posée au milieu du monde mais non reliée au monde. Je suis celui qui ne sait pas d’où il vient, qui n’a personne avec qui partager son histoire et qui ne laissera pas de traces. Ainsi, quand je serai mort, c’est davantage que le nom que je porte qui disparaîtra, c’est mon existence même qui sera niée, jetée aux oubliettes. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à son jeune amant Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Les personnes homosexuelles lancent un S.O.S.:

Étant donné la dureté des relations dans le « milieu homosexuel », et les tensions au sein de leur(s) couple(s), beaucoup de personnes homosexuelles crient leur souffrance, même si elles préfèrent bien souvent extérioriser leurs problèmes sur « les clichés »… et « la société » (dont elles font pourtant bien partie elles aussi, malgré ce qu’elles croient ; et sûrement, en effet, que la société, par son silence et son indifférence à leur douleur, pèchent par omission dans cette affaire !). Sans misérabilisme, sans faire du malheur une spécificité typiquement homosexuelle – les personnes homosexuelles ont bien assez tendance à se définir elles-mêmes comme une « race maudite » pour qu’on en rajoute une couche ! –, je vais simplement vous dresser maintenant une liste des lamentations de la communauté homosexuelle, celle que la presse gay spécialisée, et même S.O.S. Homophobie dans ses rapports annuels !, ne publient jamais (Si je ne le fais pas, de toute façon, un jour, les pierres crieront !) :

 

« De quel droit je m’inflige une telle douleur quotidiennement ? » (Keegan après son « changement de sexe », dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar) ; « Je me pose des questions, moi qui ai toujours crié sur les toits n’avoir aucun problème d’identité. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 16) ; « Seul le passé me donne le vertige. […] Si je me penche sur la réalité de ma vie affective et sexuelle, elle est beaucoup moins rose. Idem pour ma solitude. […] Allons donc, ma vie ne sera donc qu’une suite de malentendus ?! » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 9, puis p. 78, et enfin p. 111) ; « Je suis juste en train de mourir et je n’ai pas d’amour vers qui me tourner pour me poser des questions. […] C’est dommage, tout cet amour disponible… » (Jean-Luc Lagarce dans son Journal, mis en scène dans la pièce Ébauche d’un portrait, 2008) ; « Personne ne peut prétendre vivre la marginalité dans le bonheur. On peut simplement parfois en éprouver une jouissance. » (Jean-Paul Aron, « Mon Sida », dans Le Nouvel Observateur, 30 octobre 1987) ; « Je regrette toujours ensuite cet épisode sordide où je fais chaque fois l’épreuve de mon délaissement. » (le philosophe Roland Barthes concernant son expérience des backrooms) ; « Je dessine pour ne pas entendre. Les cris. » (Yves Saint-Laurent dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « J’aimerais partir. Ne rien faire. Pour tout oublier. Devenir sage. […] La vie est un enfer. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Oui, j’ai une vie ratée. » (Jean-Pierre, homme homosexuel de 68 ans, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Ses pulsions et ses désirs aplanis, il vécut totalement hors du circuit qui avait tant abîmé sa vie auparavant. » (Prologue à l’essai d’Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 9) ; « Dès son enfance, m’a raconté Maurice Pinguet, il avait compris qu’il était homo, mais il croyait que c’était là un rare malheur et qu’il n’aurait jamais la chance de rencontrer son semblable. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 64-65) ; « J’ai eu le sentiment d’une intensité terrible que j’avais gâché ma vie entière en ne suivant pas le Christ comme il le voulait. Alors où en suis-je à quatre-vingt ans ? Que vaut cette accumulation de livres que je laisse derrière moi ? » (Julien Green face au Saint Suaire de Turin, dans son autobiographie L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, 12 juillet 1981, p. 50) ; « Où trouverai-je la paix ? » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « L’existence que je mène me semble insignifiante et inutile. Totalement dépourvue de sens. » (Alexandre, jeune témoin homo de 24 ans, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010) ; « Je cherche à comprendre ce qui en moi te dérange. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, s’adressant aux gens, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

Le 5 juillet 1869, Carl Ernest Wilhelm von Zastrow (1821-1877), dans le box des accusés pour un viol homosexuel qu’il a commis : « J’appartiens à ces malheureux qui à cause d’un défaut de leur nature ne ressentent aucune inclination pour le sexe féminin. J’ai souvent parlé de ça avec des hommes, qui alors m’ont traité froidement et inamicalement, de telle sorte que je me suis retrouvé seul au monde. »
 
APPEL Cocteau
 

Il est rare que ce soit les personnes homosexuelles qui disent elles-mêmes leur souffrance… ce qui est plutôt logique, et pas spécifiquement homosexuel d’ailleurs : la souffrance reste une chose difficile à extraire de soi, quelle que soit notre orientation sexuelle. C’est à travers les témoignages des proches que nous apprenons le calvaire que vivent certaines d’entre elles, non du fait d’être simplement homosexuelles, mais de vivre leur homosexualité en couple. « Jean Genet est le garçon le plus angoissé que j’ai jamais connu de ma vie. Et le plus malheureux. » (Jacques Guérin, cité dans l’article « Jacques Guérin : souvenirs d’un collectionneur » de Valérie Marin La Meslée, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 72) ; « Un homme émasculé n’est pas une femme, c’est un homme désespéré. » (Robert J. Stoller, en parlant des hommes transsexuels M to F, dans « Faits et hypothèses », Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 218) ; « Cocteau souffrait énormément, et déguisait cette souffrance sous les calembours. » (Pierre Bergé, cité dans l’article « Cocteau est aujourd’hui le plus moderne » de Gérard de Cortanze, dans le Magazine littéraire, n°423, septembre 2003, p. 39) ; « Il y a de la souffrance que la scène communique. » (Georges Banu, « Jeux théâtraux et enjeux de société », dans l’ouvrage collectif Le Corps travesti (2007), p. 5)

 

Souvent, c’est une blessure familiale et en lien avec la différence des sexes que les personnes homosexuelles montrent. Par exemple, À la fin de son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan avoue qu’à travers son spectacle, il a essayé de réunir ses parents divorcés, le temps d’une heure fictionnelle.
 

À ce sujet, j’aimerais vous partager une anecdote personnelle. Je me souviendrai longtemps de la réaction du président de mon association homo angevine Tonic’s, Stéphane, à la fin de la brillante conférence sur la vision de l’Église catholique sur l’homosexualité, donnée par la sœur dominicaine Véronique Margron, le 4 mars 2002, au Centre spirituel de la Pommeraye (Maine-et-Loire). Toute une délégation de l’asso était venue armée jusqu’aux dents, en ayant pour but de régler son compte à la religieuse, parce que l’un des membres de Tonic’s avait « sensiblement » modifié l’intitulé du débat (initialement très neutre : « Homosexualité : qu’en dit l’Église ? » ; aux oreilles du jeune homme qui aurait entendu l’annonce à l’église Saint-Laud, la conférence s’intitulait « Comment lutter contre le fléau de l’homosexualité ? ». No comment…). Et comme le discours de Véronique Margron était non seulement juste mais en plus pas du tout jugeant, la bande de pirates homosexuels que j’accompagnais a baissé les armes au fur et à mesure du débat, et s’est même adoucie au point de n’avoir plus rien à dire (c’était drôle à voir !). Et au moment des questions et de l’échange avec le public, j’ai vu le chef de Tonic’s se lever précipitamment de sa chaise (il était assis juste à côté de moi). Stéphane, spontanément, a pris la parole. Je craignais le pire. Je m’attendais à l’éclat de voix, à l’injure, à la révolte. Mais en échange, on n’a eu droit qu’à une petite phrase, poignante, presque sanglotante, pure, dépouillée de toute théâtralité. Une sorte de « mécresse, j’ai bobo là » : « Vous savez, eh bien c’est pas facile tous les jours… » Et Stéphane s’est rassis tout de suite après, sans rien rajouter d’autre. Intérieurement, j’étais « soufflé ». Le beau gosse de Tonic’s, le modèle de tous dans l’asso, celui qui donnait une image reluisante et enviée de l’homosexualité (homme engagé associativement, en couple durable avec un autre jeune et bel homme, vivant une vie apparemment normale – labrador, boulot correct, entourage amical solide, etc.) venait de passer naturellement aux aveux. C’était magnifique. Et tellement révélateur !

 

Certaines personnes LGBT pleurent au fond leur non-acceptation d’elles-mêmes telles qu’elles sont. Par exemple, dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, ne semble avoir aucune intériorité : il a du mal à parler, est très introverti, ne peut pas dire ce qu’il ressent, n’a aucun avis sur rien. Quand il est triste ou bien souffre, il a du mal à pleurer (« Je ne sais pas pourquoi je pleure. Les hormones… »), à extérioriser ses émotions. Ce sont les autres qui crient à sa place. Par exemple, sa prof et chorégraphe de danse classique, Marie-Louise Wilderijckx, vient vers lui, plein de compassion après l’avoir maltraité pendant un cours : « Je sais que tu souffres. »
 
 

b) Que lamente la personne homosexuelle ?

Souvent, les plaintes des personnes homosexuelles s’originent dans leur insatisfaction personnelle par rapport au désir homosexuel, et à la relation amoureuse homosexuelle en général, même si la part d’elles-mêmes qui veut encore « y croire » vient les démentir : « Ce sont mon sentiment, ma faiblesse qui ont fait de moi un monstre. Oui, un monstre, puisque, au moment où je fais le bilan de mon existence, je m’aperçois que je n’ai jamais rien compris de la vie… » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 80) ; « Votre devoir à vous qui lirez ces lignes, c’est de vous approcher de ceux qui vivent actuellement dans l’erreur, de détester cette erreur enfin mise à nu. » (idem, p. 93) ; « Vous avez déjà vu, vous, de l’homosexualité épanouie ? Et même si cela arrive quelquefois, on ne fait pas un film sur une situation homosexuelle heureuse. » (le réalisateur homo Patrice Chéreau à propos de son film « L’homme blessé », tourné en 1983) ; « Maintenant je ne suis même plus attiré par quelque corps que ce soit. Comme si j’étais un asexué sans âme, comme si la tristesse avait pris possession de tout mon être. […] Alors c’est ça ma vie que je dois vivre ?!? C’est ça mon chemin de vie ? Vivre avec des types, ressortir mon sexe plein de merde, me faire défoncer le cul ?!? C’est ça la beauté de cette vie, de ma vie ?!? » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Par rapport à la relation affective, j’arrive pas à trouver une relation stable, fidèle. J’arrive pas à trouver une relation affective. Ça ne marche pas. Je ne savais pas que le chemin était si tortueux. » (Pascal, homosexuel et séropositif, mettant en grande partie sur le compte du Sida l’échec de ses « amours » homos, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; etc.

 

Les personnes homosexuelles réclament en général que vérité soit faite sur l’Amour et la sexualité. Même si elles ne savent pas le demander, elles souhaitent tout simplement qu’on les aime, et pas seulement qu’on les aime pour qui elles croient être, en tant qu’« homosexuels », mais qu’on les aime pour ce qu’elles sont. Le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, par exemple, termine par une phrase accablante d’un homme transsexuel, Claire, qui nous met devant l’urgence de ne pas prendre les binarismes identitaires « homo » et surtout « hétéro » actuels comme base de notre morale humaine : « Si ces codes (féminin/masculin ; hétéro/homo) n’existaient pas, je n’aurais peut-être pas eu besoin de me transformer. » Car cela crée des drames réels, lourds de conséquences.

 

Le bilan sur le couple homosexuel qu’on a l’occasion d’entendre de la part des personnes homosexuelles de notre entourage, est sensiblement le même : en amour, très peu ont trouvé/trouvent ce qu’elles cherchaient/cherchent. « Que vouloir de plus ? L’amour. C’est le point obscur de ma vie. » (Brahim Naït-Balk, Un homo dans la cité (2009), p. 11) ; « Jamais personne ne me dit que je suis belle. » (la femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) C’est comme si l’insatisfaction concernant le couple homosexuel (mais c’est sensiblement pareil pour le couple hétérosexuel) était généralisée. Quand bien même elles s’estiment parfois très bien servies, elles exposent à un moment ou un autre la vanité de leur désir et souffrent sur la durée des affres du désenchantement amoureux. Quelquefois, le retour en arrière sur leur parcours sentimental, même s’il n’est pas désespéré, leur donne le vertige. Certaines se fourrent dans de beaux draps en s’engageant dans une relation avec une personne qui semble les aimer davantage qu’elles ne l’aiment. Elles la trouvent « bien », l’apprécient beaucoup, c’est sûr … mais ne sont pas vraiment emballées ni spontanément attirées par elle. Elles expérimentent souvent un décalage culpabilisant, paniquant. Elles voudraient en théorie combler le vide horrible de leur célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans leur vie, elles étouffent, et se demandent pourquoi on ne leur fiche pas la paix !

 

Certains auteurs homosexuels, dans leurs autobiographies, se désarment enfin, osent se mettre à nu sans pleurnicherie, juste pour dire que leurs aventures amoureuses sont révélatrices chez eux d’une « grande fragilité dans le domaine sentimental » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), pp. 115) : « Si mon homosexualité consiste à chercher à combler la carence affective dont j’ai souffert quand j’étais petite, je me demande aujourd’hui s’il ne vaut pas mieux renoncer à la quête, vouée d’avance à l’échec, d’une compagne susceptible de panser les blessures de la petite fille que j’ai été il y a plus de cinquante ans. Car la gamine en souffrance sera de toute manière toujours là, à gémir sur ses plaies… » (idem, p. 114) ; « Quel gâchis que mes amours ! » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134) ; « Pendant des années, je pensais : ‘Je ne connais pas ce garçon’. » (André parlant de Laurent avec qui il est resté dix ans en couple, dans le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Tu sais, si ça n’a pas marché entre nous, c’est qu’il y avait des raisons. » (André s’adressant à Laurent, idem) ; etc.

 

Banderole d'Act Up

Banderole d’Act Up


 

Concernant maintenant le « milieu homosexuel », beaucoup de personnes homosexuelles ne se retrouvent pas dans leur communauté d’adoption. Pour vous l’illustrer, je voudrais vous retranscrire tel quel un extrait d’un mail qu’un ami homo, qui avait 40 ans à l’époque, m’a envoyé. C’était en 2002, pendant ma période étudiante dans la ville d’Angers, où je commençais à fréquenter les associations LGBT, et que j’allais au bar-boîte homosexuel Le Cargo : « C’est dur pour moi : je suis un affectif et la solitude me pèse… et puis les années sont là malgré tout. En 2 ans, je n’ai jamais réussi à construire une relation d’amour. Que de tentatives, d’espoirs vains, d’illusions et de désillusions ! et ce soir je vais rentrer seul… En fait, je n’aime pas aller au Cargo. L’ambiance festive me plaît et parler ‘homo’ m’est utile, mais le côté pathétique des homos me déprime. Je me sens totalement en décalage, perdu dans tout ça, noyé dans cette souffrance sous-jacente. J’ai juste envie de bonheur, de rire, de plaisir partagé, de douceur. Je connais trop la solitude, et même quand j’étais en couple je vivais seul. Parfois c’était pire qu’aujourd’hui. »

 

Ce que je ressens très fort de la part de mes frères communautaires, c’est un appel à témoin(s) pour que des personnes homosexuelles exemplaires, dont on puisse être fier, se lèvent et montrent un visage BEAU de l’homosexualité, délivrent un message fort et juste. « Pourquoi n’existe-t-il pas de modèles forts de la vie et de l’amour homosexuels ? » (Jean-Luc Hennig cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 8) La soif de modèles est profonde dans le « milieu homosexuel ». Peu de personnes gay ou lesbiennes osent formuler tout haut, comme Laura dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, un mécontentement relativement général : « Ce que j’ai perçu du milieu homosexuel et du monde homosexuel, ça ne me plaît pas. Je ne me reconnais pas là-dedans. […] L’homosexualité, ce n’est pas très net… Je me dis : ‘Ils sont frappés’. Moi, j’ai rarement connu des homos bien dans leur tête, en couple depuis des années. C’est n’importe quoi. […] Tu vois, moi, j’ai grandi et je n’ai pas eu de modèle homosexuel… Là, aujourd’hui, il n’y a pas un mec ou une nana que j’admire en tant qu’homosexuels. Pourtant, j’en ai croisé des gens ! Moi, j’aimerais qu’il y ait des modèles, des mecs intelligents, des mecs instruits, des mecs simples, artistes qui se fassent connaître. Moi, j’en ai marre des gens destroy. » (pp. 281-282) Ce qui est difficile et paradoxal dans cet appel à candidatures, c’est que presqu’à chaque fois qu’une personne homosexuelle s’avance pour parler de l’homosexualité en vérité dans les media, elle est très vite critiquée, jalousée, détruite, traînée en procès de haute trahison, accusée de crime de lèse majesté, par les communautaires homosexuels soi-disant « hors milieu » (comme ils disent tous d’ailleurs !) parce qu’elle ose montrer que le désir homosexuel est signe d’une blessure, d’une souffrance !

 

Pourtant, certaines personnes homosexuelles en appellent indirectement à entreprendre un travail d’homotextualité sur leurs œuvres artistique. « Quel lien a l’homosexualité avec la presse, les comédies musicales, les films de Disney, Judy Garland, Alaska ? » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 330) C’est toujours le même discours qui revient de la part des créateurs homosexuels : « Ma vie doit être légende, c’est-à-dire lisible. » dit Jean Genet ; Gus Van Sant, de son côté, assure que « tout est dans ses films » ; Andy Warhol affirme que l’essentiel se trouve dans ses toiles, qu’il n’y a pas de sens caché ; François Ozon déclare que l’homosexualité n’est pas problématisée dans ses films (« Dans mes courts-métrages, elle est donnée telle quelle. » cf. l’entretien avec Philippe Rouyer et Claire Vassé, « La Vérité des corps », dans la revue Positif, n°521/522, juillet/août 2004, p. 41) ; « Je crois que mon travail est un chaos parfaitement ordonné. » explique Bacon (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton)

 
 

c) Comment la personne homosexuelle pousse son cri ?

APPEL culs à l'air

Documentaire « Sex Life In L.A. » de Jochen Hick


 

D’abord, l’appel au secours est silencieux. Il passe par un murmure discret, un cri réprimé : « À moi aussi on me demandait ‘Pourquoi tu parles comme ça [= avec autant de manières efféminées] ?’ Je feignais l’incompréhension, encore, restais silencieux – puis l’envie de hurler sans être capable de le faire, le cri, comme un corps étranger et brûlant bloqué dans mon œsophage. » (le narrateur homosexuel du roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p.p. 84)

 

Plus tard, c’est souvent la voie de la question (agressive), voire de l’exclamation colérique qui est empruntée. « Je veux scandaliser les purs, les petits enfants, les vieillards par ma nudité, ma voix rauque, le réflexe évident du désir. » (Claude Cahun, Aveux non avenus, 1930) ; « Je ne suis pas heureux et je ne tiens pas à l’être. Le spectacle des gens heureux ou qui croient l’être autour de moi me paraît tellement répugnant que je le crains terriblement. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc. Je vous dirige par exemple vers le documentaire « Je suis homo et alors ? » (2006) de Ted Anspach. Il y a aussi le fameux « pétage de plombs » de Christophe Martet face à Philippe Douste-Blazy pendant le Sidaction de 1996, qui a fait chuter les promesses de don (« Je suis en colère, merde ! C’est quoi ce pays de merde !?! ») L’appel homosexuel à la société se fait sous forme de cri : « Il y a une énorme violence à l’intérieur d’Act Up, à cause du désespoir, de la colère, des deuils. On utilise ce désespoir pour le diriger quelque part. » (Didier Lestrade cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 519)

 

Même les femmes lesbiennes toquent inconsciemment à la porte des hommes pour qu’ils les respectent davantage dans leur identité de femmes, qu’ils les reconnaissent dans la douceur et le souci de leur plaisir à elles… y compris quand certaines hurlent « Osez le clito ! » pour réhabiliter l’importance du clitoris dans la sexualité conjugale lesbienne. « C’est avant tout un message adressé aux hommes… pour leur dire : Wouhou, l’oubliez pas ! » lance une militante à l’antenne de l’émission Homo Micro de Paris Plurielle du 3 avril 2006.

 

C’est en plein cœur de la nuit des années de découverte du Sida (fin des années 1980 – début des années 1990) que la communauté homosexuelle a lancé ses plus beaux appels de désespoir, à la fois aux personnes aimées (« Je veux que tu vives ! » est l’un des slogans choisis par Act Up lors des premières Gay Pride) et à sa société qui se défile (« Silence =Mort »).

 

Parmi les fréquentes « fausses questions » que les personnes homosexuelles dirigent à leur société par rapport à l’homosexualité, on trouve beaucoup celle-ci : « Pourquoi ce serait mal ? » : « Si encore c’était un crime… mais là, je vois pas où est le mal ? » (Jérôme, invité à l’émission Jour après Jour, spéciale « Coming out : Le Jour où j’ai révélé mon homosexualité à mes proches »), France 2, novembre 2000) Elles jouent les interloquées, pour cacher l’objet d’indignation derrière la monstration de leur propre indignation. Cette manière de fuir la quête du meilleur, et de se rassurer dans la comparaison au mal ou au pire, est à mon sens typique de l’interjection homosexuelle.

 
 

d) Un dépassement des frontières homosexuelles:

L’appel des personnes homosexuelles n’est manifestement pas entendu par les personnes non-homosexuelles, comme le souligne Alain Minc dans Épîtres à nos nouveaux maîtres (2002) qui qualifie les secondes de « mol-pensants » : « Mol-pensants’, nous le sommes, non parce que nous pensons faux, mais parce que nous ne pensons plus. ‘Mol-pensants’, car nous avons abdiqué devant les minorités. » (p. 8) ; « Une fois de plus, vous n’avez même pas eu à revendiquer. Par lassitude ou manque de réflexion, nous ciselons, de notre propre chef, les instruments dont vous avez besoin. » (idem, p. 97)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles poussent leur entourage à bout pour tester jusqu’où il est capable d’aller pour les aimer. Celui-ci peut entendre, en lisant leur prose, un appel agressif dissonant qui n’emploie pas les moyens que son but requiert, qui cherche l’autre en feignant de ne pas le chercher. On a reproché à des Hervé Guibert ou des Guillaume Dustan l’exhibitionnisme violent, au lieu de voir dans leur impudeur un mime des mécanismes d’exclusion dont les personnes homosexuelles sont parfois victimes. À mon avis, tout a un sens, et à plus forte raison l’agressivité. Dans ce que profère l’autre, il y a toujours une part de Vérité, même s’il me l’exprime méchamment et que sa volonté est justement d’évacuer la Vérité. Y compris en me jetant une pierre ou en m’agressant verbalement, il me dit quelque chose de la beauté de l’Homme sans même le savoir, car la grâce de son humanité de lui appartient pas, et dépasse sa cruauté. C’est pourquoi la Gay Pride et la visibilité tapageuse des personnes homosexuelles n’ont absolument pas à nous choquer : elles sont juste temporairement dignes d’intérêt, et fondamentalement secondaires et inutiles. Nous devrions nous laisser toucher par les appels au secours de certains individus homosexuels, souvent camouflés dans un discours stéréotypé et lapidaire, qui ne se donnent pas les moyens de leur plainte, qui s’auto-sabordent par le cynisme et l’ironie. Ils attendent une parole, une réaction de notre part. On retrouve cette demande malhabile chez l’Eva Perón de Copi qui, derrière la farce agressive, s’adresse à notre indifférence laxiste face à l’homosexualité : « Je suis devenue folle, folle, comme la fois où j’ai fait donner une voiture de course à chaque putain que vous m’avez laissé faire. Folle. Et ni toi ni lui ne m’avez dit de m’arrêter. […] Quand j’allais dans les bidonvilles […] et que je rentrais comme une folle toute nue en taxi montrant le cul par la fenêtre, vous m’avez laissé faire. Comme si j’étais déjà morte, comme si je n’étais plus qu’un souvenir d’une morte. » (Copi, Eva Perón, 1970) Il y a dans l’attitude de provocation de nombreuses personnes homosexuelles un acte d’illustration visant à exposer aux autres ce qu’ils leur laissent impunément faire, un miroir brisé qui se veut le reflet de la lâcheté sociale. Au fond, elles regrettent amèrement le silence de leurs proches concernant leur situation souvent dramatique. « Mes parents n’entendent pas mon murmure. Mes chuchotements ne parviennent pas jusqu’à leurs oreilles. Ils n’entendaient déjà pas mes cris, il y a des années de cela. » (Luca, le héros homosexuel du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 168) ; « Il m’arrive parfois de me poser la question sur ce que cela signifiait réellement : un groupe d’adultes qui feint ou qui ignore totalement nos complicités sexuelles. » (Berthrand Nguyen Matoko soulignant le silence complice de ceux qui n’ont pas dénoncé sa relation pédophile entre le père Basile et lui, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 37) ; « Je n’ai pas été un enfant à qui on disait qu’il était merveilleux. » (Stéphane Bern, Paris Match, août 2015) ; « À sept ans, ce garçonnet subit des attouchements sexuels de la part d’un collègue de travail de son père. Malheureusement, sachant que personne ne s’intéresserait à son problème, il ne put se confier. Adesse, sa mère, ne détectait pas les soucis de son fils, ni à quel point il était martyrisé par son frère. Il ne put jamais trouver les mots pour exprimer son désarroi et sa souffrance. […] Et voilà qu’en plus de toutes ces difficultés, un autre drame s’ajouta à son calvaire. Une nouvelle tentative d’agression sexuelle perpétrée par Octave [23 ans], l’un des meilleurs copains de son frère Hugues. À onze ans, la vie d’Ednar commençait par une descente aux enfers, cet abîme qui déjà le convoitait en le livrant à la merci et à l’incompréhension des personnes censées l’aimer et le protéger. Affecté par ce sentiment de culpabilité, cet enfant ne put dévoiler les secrets trop lourds à porter dans son cœur. Jamais dans sa famille il n’osa avouer son malheur dans le sous-bois. Il en parla à demi mots à ses copains de classe, qui eux non plus n’avaient pas le droit de répéter ces choses-là aux grandes personnes. À l’époque, il n’était pas permis aux jeunes enfants de dénoncer les perversités ni les égarements des anciens. […] Ce traumatisme inavouable fut l’un des plus grands secrets de sa vie. Et lorsqu’il devint adulte lui-même, il évoqua cette mauvaise rencontre comme ‘l’incident’ qui n’aurait jamais dû être […]. Décidément, le malheur s’acharnait sur cet enfant ; l’adolescent venait d’avoir treize ans, lorsqu’il tomba dans un autre piège. Cette fois un ancien collègue de son père l’attira chez lui dans un guet-apens ; lorsqu’il comprit le but de l’invitation, il voulut s’enfuir. L’homme le retint ; il se débattit, parvint à se libérer et, enjambant la fenêtre, il s’enfuit et escalada le mur du cimetière voisin. Dans le crépuscule, il prit la poudre d’escampette pour échapper au viol. L’homme le poursuivit, en vain. Là non plus, il ne put se confier à un adulte et, pire, c’est lui qui culpabilisait. » (Jean-Claude Janvier-Modeste parlant de lui à la troisième personne, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), pp. 12-14) ; « Il souffrait en silence ; personne ne décelait son mal-être, même pas Adesse, la mère aimante proche de son petit poète. » (idem, p. 16) ; « Cet enfant différent qui n’osait pas lui dire : ‘Maman, je souffre, j’ai besoin de savoir pourquoi la vie pour moi est synonyme de désarroi, et aussi pourquoi ma sexualité embarrasse autant les autres ? » (idem, p. 78) ; etc.

 

Face au mutisme social, elles se demandent quelles personnes seront vraiment capables de se laisser toucher par leurs appels. Elles font tout pour dissimuler leur souffrance, mais paradoxalement, elles regrettent que les autres ne la perçoivent pas, et leur reprocheront parfois d’y être indifférents !

 

Je reste convaincu que malgré leur auto-censure sur leur souffrance, les personnes homosexuelles sont finalement profondément blessées que leur société rentre dans leur jeu de la banalisation de l’homosexualité, qu’elle n’entende pas leur cri derrière leurs vociférations enjouées de Gay Pride : « C’est un poids de moins pour nous. Moi, je m’attendais à plus de cris et d’opposition. C’est cool ! » (Bryan s’adressant à sa mère et à la mère de son copain Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 358) ; « J’étais vraiment déçu… Si tout le monde accepte… » (Patrick, expliquant en boutade l’acceptation guillerette de son homosexualité par sa famille, lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », le samedi 10 octobre 2009, à la Mairie du XIème arrondissement de Paris) ; « On voulait juste s’amuser. On ne pensait pas avoir autant de succès. On s’attendait même à provoquer plus d’indignation, de scandale en affichant notre homosexualité. » (Jimmy Somerville dans l’émission Sex’n’Pop 4 (2004) de Christian Bettges) ; « Le premier défilé d’homosexuels à Paris eut lieu en juin 1977. Je me souviens de notre départ de la rue Bonaparte jusqu’à Montparnasse ; cette marche eut lieu dans une ambiance festive et plutôt carnavalesque. Les pédés dans les rues, c’était du jamais vu ! Les badauds alignés sur le trottoir, ébahis, applaudissaient notre culot. Certains nous encourageaient à poursuivre le combat, pendant que d’autres exaspérés nous manifestaient leur hostilité. Cette première marche eut surtout un impact médiatique inespéré ; la presse écrite de gauche plaidait notre cause et la télévision commentait la ‘provocation’ : le courage de la minorité silencieuse prenait des proportions extraordinaires. » (Jean-Claude Janvier-Modeste parlant de sa participation au FHAR, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), p. 173)

 

Et c’est vrai que la tolérance gay friendly de notre « démocratie de l’indifférence mutuelle », ainsi que les applaudissement actuels face à ce cri des sans-voix (que les sans-voix eux-mêmes renient !), sont révoltants. Il faut bien quelqu’un comme moi pour l’écrire, quand bien même les plaignants concernés se défilent et pourraient le faire mieux que moi !

 
 

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Code n°14 – Artiste raté

artiste raté

Artiste raté

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

sensibilité

B.D. Femme assise de Copi (le canari parle des homosexuels)


 

« Les homosexuels sont tous des artistes car ils sont plus sensibles et esthètes que les autres. » Qu’est-ce que c’est que cette blague ? Cela en étonnera plus d’un, mais je le dis quand même : il y a beaucoup de faux artistes, de créateurs sans talent, de rois du kitsch, de chanteurs de pacotille, parmi nous, gens « homosensibles » qui avons pourtant investi en grand nombre le monde des Arts comme si c’était « notre » fief privé. D’ailleurs, il est stupéfiant de voir en masse dans les fictions homosexuelles la figure de l’artiste homosexuel raté. Surtout quand on sait que cela ne correspond pas du tout au cliché de l’Artiste qu’on prête à tout individu homosexuel, ou presque, qui aurait, depuis son plus jeune âge, une prédisposition artistique « naturelle », une sensibilité et une créativité hors du commun… En réalité, nous ne devrions pas être étonnés : celui qui se prend pour Dieu – alors qu’il ne l’est pas – finit toujours par mal agir et par afficher la médiocrité de son orgueil en créant du laid. Et à l’évidence, l’homosexualité est une crise d’orgueil de l’Homme qui n’a pas reconnu ses limites, qui n’a pas regardé son désir homo en face, et qui veut être Dieu à la place de Dieu (cf. le code « Se prendre pour Dieu » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels). Alors bien sûr, on me dira que c’est dans la nature-même de l’artiste d’être raté : le ratage n’a rien de typiquement homosexuel, il est humain, et il serait le moteur principal de toute Inspiration artistique ! Et puis le vrai créateur a toujours connu, même dans son parcours artistique brillant, des hauts et des bas, soit pour atteindre le succès (parfois post mortem), soit pour le conserver. MAIS je persiste en disant qu’un Homme est d’autant plus artiste qu’il intègre l’échec (chose que font rarement les personnes homosexuelles), qu’il crée du beau et du sensé (chose que peu de créateurs homos font), qu’il a affronté ses démons (chose que ne fait pas la grande majorité des personnes homosexuelles qui banalisent leur désir homo et qui veulent défendre l’amour homo), et qu’il n’oublie pas de toujours se reconnaître créature face au Créateur (qu’est Dieu) malgré l’illusion de toute-puissance et d’auto-création que lui confère son acte artistique (mégalomanie à laquelle peu de créateurs homosexuels échappent).

 

Qu’on m’entende : je ne dis pas que l’homosexualité est un critère de nullité artistique. J’écris bien qu’il y a des grands artistes homosexuels. Mais ceux-là n’ont ni pratiqué ni justifié leur homosexualité. Il faut arrêter de mentir aux personnes homosexuelles et arrêter de les anesthésier par la flatterie d’une homophobie positive.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Faux révolutionnaires », « Dilettante homo », « Bobo », « Faux intellectuels », « Se prendre pour Dieu », « Bovarysme », « Patrons de l’audiovisuel », « Déni », « Homosexualité, vérité télévisuelle ? », « Promotion ‘Canapédé’ », « Peinture », « Homosexualité noire et glorieuse », « Planeur », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Amant narcissique », « Clown blanc et masques », à la partie « Divin Artiste » du code  « Pygmalion », et à la partie « Kitsch » du code « Fan de feuilletons », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Je préfère vous prévenir tout de suite. Ce code que vous allez lire, et les constats qu’il me fait faire, peuvent paraître cruels de l’extérieur, surtout à une époque où le relativisme est roi, où on nous dit que l’art, les goûts et les couleurs ne se discutent jamais et sont sacrés, où on fait croire à la masse que le statut d’artiste appartient à tout le monde (« Réveillez l’artiste qui est en vous ! Vous avez tous un destin de star ! »). Cela peut paraître aussi complètement caricatural, généraliste, et homophobe de faire un jugement de valeurs sur le talent d’une communauté entière sur la seule base d’une orientation sexuelle. Je vous rassure tout de suite : je ne dis jamais que le désir homosexuel fait de mauvais artistes, ni qu’il n’y a aucun vrai artiste qui soit homosexuel (mais pour qu’il soit bon, en revanche, il faut à mon avis qu’il ait fait un sacré travail de réflexion sur le désir homo… et là, on est loin du compte et c’est en effet très rare !) ! L’unique chose que je tente de faire, c’est d’indiquer une tendance au manque de créativité que le désir homosexuel impulse, tendance qui ne doit en aucun cas être transformée en généralité ou en espèce humaine clairement identifiée. Je sais que la nuance entre « tendance » et « généralité », entre « désir » et « personne », entre « coïncidence » et « cause », est tenue et mal comprise par notre société… mais elle est capitale, et je me battrai pour l’expliquer.

 

La figure de l’artiste raté et méprisé, revenant fréquemment dans les films et les romans homo-érotiques, ressemble à ce que les personnes homosexuelles peuvent être parfois. En musique, pour commencer, beaucoup d’individus homosexuels passent maîtres dans les arrangements musicaux de mauvaise qualité, les paroles insensées, et leur manque de voix (la musique disco est d’ailleurs associée directement aux premiers mouvements homosexuels). Ils qualifient eux-mêmes leur musique de « commerciale » – ou d’« anti-commerciale », ce qui revient finalement au même (la chanson « On est tous des imbéciles » de Mylène Farmer en fournit un parfait exemple). Au cinéma et au théâtre, nous les retrouvons en masse dans les sous-genres : péplum, porno, épouvante, comédie musicale, parodie, music-hall, ou mélo. Ils tournent souvent ce qu’on pourrait appeler des « films carte postale » à la trame narrative très légère, n’ayant pour arguments principaux que l’auto-mise en scène et la nostalgie pop. Au niveau littéraire, ils ne font guère mieux : les auteurs homosexuels sont souvent les écrivains des genres bâtards du monde des Lettres : romans à l’eau de rose, autobiographie pornographique, bande dessinée, science fiction, poésie, etc. Dans les années 1960, ils ont même été les vilains petits canards des surréalistes… Qu’on ne s’étonne pas de les voir figurer aujourd’hui parmi les écrivains les plus cités de La Littérature sans estomac (2002) de Pierre Jourde. Les membres du « milieu homosexuel » ne s’y sont pas trompés : peu s’intéressent à la production littéraire « communautaire ». Et pour cause ! Il n’y a pas grand-chose à en tirer.

 

Les créations d’un certain nombre d’artistes homosexuels sont à l’image de la grande machine capitaliste : un immense travail à la chaîne qui place la quantité et le profit avant la qualité. « Je suis une machine » proclamera avec fierté Andy Warhol, enfermé dans sa Factory. L’alliance de l’art homosexuel avec le marketing est particulièrement bien illustrée par le mouvement Pop Art, apparu aux États-Unis en 1964. Certains artistes homosexuels transforment l’art en marché juteux sans être véritablement inventifs, et se cachent derrière l’excuse de l’excentricité humoristique ou du militantisme pour justifier leur business. C’est ce qui arrive par exemple à Pierre et Gilles, à Andy Warhol (je vous renvoie à l’article « Un Échantillon de bêtise moderne : la fortune critique d’Andy Warhol » de Jean-Philippe Domecq, dans la revue Esprit, L’Art aujourd’hui, n°173, Paris, juillet-août 1991), à Salvador Dalí (André Breton l’avait surnommé, non sans raison, par l’anagramme de son nom : « Avida Dollars »… et le tableau Dollar Sign (1981) d’Andy Warhol va dans le même sens), à Keith Haring, à Mylène Farmer, à Jean Cocteau, etc., particulièrement prolifiques artistiquement, mais peu ingénieux quand leurs désirs de surface se sont davantage exprimés que leurs désirs profonds.

 

ARTISTE 1 Avida Dollars

Avida Dollars


 

Les œuvres artistiques homosexuelles prennent souvent la forme d’un bric-à-brac désordonné pour prouver que la transmission et la création sont davantage possibles dans la destruction ou le merdique que dans le beau et le constructif. Nous identifions dans leurs compositions littéraires le baratin surréaliste obéissant au procédé du flux de la conscience soi-disant « spontané ». À maintes reprises, les poètes homosexuels rallongent la sauce, volontairement, et surtout involontairement, un peu comme les chorales médiocres qui, pour se donner l’illusion qu’elles chantent juste, ralentissent les chants, soit pour masquer leur faiblesse vocale, soit pour s’écouter narcissiquement chanter (la note est étirée jusqu’à l’asphyxie).

 

Baignée à l’excès dans l’idéologique (en l’occurrence l’anti-fascisme moralisant), leur production artistique se politise/poétise bien souvent à l’excès. De nombreux artistes gays et lesbiennes imposent « une sorte de dadaïsme homosexuel psychédélique, une idéologie de la dérision, violemment antiautoritaire » (Hélène Hazera, « Gazolines », dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 213), et remettent au goût du jour tout ce qui serait soi-disant attaqué par le conformisme. Mais comme le conformisme en question est souvent le fruit de leurs propres fantasmes, ils finissent par être conformistes dans l’anti-conformisme, en croyant faire ainsi œuvre de sauvetage héroïque de la merde flottant sur l’océan artistique. En énonçant que l’art n’a pas de règles et qu’il doit être un espace de liberté totale, ils formulent implicitement d’autres poncifs encore plus rigides que ceux qu’énonceraient le classicisme tant redouté : l’obligation du scandaleux, du frivole, de « l’effet schizo », du fragmentaire, de l’insolite, de la neutralité, du doute, de l’émotionnel, du pluralisme, de la prolifération, de l’opposition, de la rupture avec les techniques dites « traditionnelles », de la surcharge (pour masquer le manque de contenu) ou du minimalisme (pour mimer le contenu), de la sincérité, de l’exhibition (au moins un acteur à poil par pièce : c’est le quota), de l’originalité « conceptuelle », du loufoque, du torturé, du laid, de l’insensé, de l’autoparodie, de la caricature, du nihilisme, de la bêtise, du paradoxe, de l’ambiguïté, bref, l’obligation du faire agressivement/légèrement authentique pour se dispenser de l’être.

 

ARTISTE 25 Copi porno

B.D. « Kang » de Copi


 

Non pas que les genres pornographico-autobiographiques, scatologiques, gore, camp, parodiques, sentimentalistes, journalistiques, etc., soient en eux-mêmes condamnables. Aucun style artistique n’est mauvais en soi. Seulement, c’est la suffisance et l’impression de contenu que leur utilisation systématique donne à beaucoup de créateurs homosexuels qui prêtent à sourire. Le « sans concessions », l’opposition, et le scandale n’ont jamais été à eux seuls des garanties de qualité, ne libèrent pas automatiquement les esprits, ne délivrent pas plus de sens et ne touchent pas plus au vrai qu’une création qui montre moins tout en suggérant plus, qui défend un message intelligible, plein d’Espérance, et assumé.

 

C’est le fait qu’ils refassent souvent du même « parce que ça a marché/choqué une fois », que ça a rapporté des sous, et que ça a parfait leur image de marque d’artistes anti-normes, qui rend leurs œuvres si médiocres. Les meilleurs ennemis de l’art sont bien toujours les mêmes : le goût du paraître, l’attachement à l’argent (y compris en se focalisant sur les « gens de peu »), le fuite du risque, une vision manichéenne du monde, l’anti-conformisme de principe, le refus de tendre à la Réalité universelle, l’absence de prétention à la perfection et à la Vérité. « Entre eux et moi, l’argent s’imposait, c’est vrai. […]. Comme si la culture ou l’art se limitait à cela. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant du « milieu homosexuel » qu’il fréquente assidument, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 122)

 

Chez beaucoup d’artistes homosexuels, l’invocation du style est un prétexte pour ne pas en user, et évacuer ainsi le sens des œuvres. Leur passion du détail les entraîne dans le sempiternel verbiage autour de leurs textes pour dissimuler qu’ils n’ont rien à en dire. En plaçant le style avant le contenu, par un travail mythique de transformation « du sens en forme » (Roland Barthes, Mythologies (1957), p. 217), ils focalisent paradoxalement sur le fond au détriment de la forme… parce qu’implicitement, ils veulent signifier que le fond n’existe pas : n’oubliez pas que la majorité d’entre eux voient la Réalité comme un miroir sans fond et qu’ils cherchent pourtant à se convaincre de sa réelle profondeur. Ils se persuadent que la superficialité de leurs œuvres artistiques a quand même son utilité parce qu’elle « questionnerait l’art » : Peut-on tout faire d’un point de vue artistique ? À partir de quand est-il possible de parler d’œuvre d’art ? L’art a-t-il un sens ? Qu’est-ce que l’art finalement ? etc. Je ne vous cache pas que nous aurions très bien pu nous poser toutes ces questions avec des créations de meilleure qualité. Mais eux se plaisent à croire que ce sont leurs œuvres « génialement merdiques » qui amorcent ce débat, et que sans elles, nous n’aurions pas poussé aussi loin la réflexion. Comme ils n’en retirent en général qu’une pensée évasive sur le sens de l’art, ils finissent, après être pris de court, par se tourner vers leur public pour lui demander (en faisant mine de ne pas s’y intéresser, ou pour le responsabiliser démagogiquement : politique populiste et « participative » oblige…) la signification de ce qu’ils ont réalisé. « Ce sont les regardeurs qui font le tableau » assure Marcel Duchamp. Cela donne généralement une mise en scène assez pathétique de l’auto-questionnement de l’intellectuel qui prétend en connaître autant (sinon moins) que son public, autrement dit de « l’artiste-qui-a-honte-de-se-dire-artiste ». C’est pourquoi la majorité des spécialistes de la réflexion sur le camp (Susan Sontag en tête) affirment que dans quasiment toutes les œuvres homosexuelles, « l’accent est mis dans la réception » (cf. l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 496). Généralement, un artiste homosexuel qui parvient au succès le doit davantage à la médiatisation autour de sa personnalité qu’à sa production. Par exemple, lors de sa conférence « Pierre Loti, l’Homme aux deux visages » à Savigny-sur-Orge, le 15 février 2007, le chercheur Georges Poisson explique que « Pierre Loti a été sauvé par sa personnalité plus que par son œuvre. »

 

ARTISTE 15 Copi Absence sens

B.D. « Kang » de Copi


 

Mais le grand public ne se laisse pas longtemps aveugler : il trouve plus intéressantes les réflexions suscitées par la critique des œuvres des artistes homosexuels que leurs œuvres en elles-mêmes. Le Saint-Genet (1952) de Jean-Paul Sartre l’illustre parfaitement puisque ce qui devait initialement n’être qu’une préface aux Œuvres complètes de Jean Genet a fini par dépasser l’œuvre maîtresse et par faire connaître l’auteur du Journal du voleur.

 

Je pense au final que les créations artistiques homosexuelles ne remportent pas un franc succès par leur manque d’idéal et d’Espérance, par la pauvreté de leur message, parce qu’elles ne se tournent pas assez vers l’universel incarné – Néstor Perlongher, par exemple, affirme que « la poésie n’est pas communication » et que « le poète doit faire des vers qui ne se comprennent pas » (Néstor Perlongher, « Poesía Y Éxtasis », dans Prosa Plebeya (1990), p. 149) –, parce qu’elles n’ont pas abordé la souffrance de manière dépassée et un minimum comprise. Moins le désir homosexuel est saisi dans toute son ambiguïté violente, plus la production artistique homosexuelle se transforme en plat sans saveur, et le public (gay ou pas d’ailleurs) ne s’y retrouve pas. Ce n’est évidemment pas l’homosexualité qui convertit beaucoup d’auteurs en artistes minables et cupides, mais bien un désir schizophrénique inconsciemment actualisé. Foncièrement, je n’ai rien contre Andy Warhol et ses alter ego (je me suis assez intéressé à leurs productions pour le dire !). Il est fort possible que dans d’autres circonstances, et une fois qu’ils auront fait jour sur certains désirs qui les aveuglent, certains artistes homosexuels qui se montrent encore médiocres, révèleront leur génie et leur humour avec brio. Je crois simplement qu’ils sont encore en dessous de ce qu’ils pourraient créer s’ils cessaient de s’inventer un personnage torturé qu’ils croient être eux et qui les divise en deux. Dans le cas précis de Salvador Dalí par exemple, Julien Green a tout à fait raison de défendre l’idée qu’« il y a deux Dalí » : l’un qui est un artiste artificiel assoiffé d’argent, et l’autre, plus profond, très généreux et créatif (cf. Julien Green dans l’émission Apostrophe diffusée le 20 mai 1983 sur la chaîne Antenne 2). Ce n’est qu’en mettant une certaine actuation de leur homosexualité de côté que les créateurs homosexuels décolleront et nous offrirons le meilleur d’eux-mêmes. Je ne désespère pas de connaître un jour le grand réveil artistique homosexuel (que des créateurs comme Patrice Chéreau, Manuel Puig, Cathy Bernheim, Hervé Guibert, Laurent Lafitte, Muriel Robin, Frédéric Martel, Jarry, Christian Faure, Océane Rose-Marie, ou Jean-Luc Revol, ont déjà bien amorcé) !

 

Je dois vous avouer ma « pathologie personnelle » concernant les œuvres sur l’homosexualité : je crois que je m’imposerai de les éplucher toute ma vie, car vraiment elles me passionnent, même si, d’un point de vue strictement personnel et gustatif, je les trouve dans leur ensemble de mauvaise qualité, nases, insipides, et affligeantes. Je peux rester planté devant une infinité de films qui agacent et ennuient la majorité des personnes homosexuelles, lire des navets de romans à l’eau de rose à tour de bras, j’ai quand même une endurance qui m’étonne moi-même pour ingurgiter la soupe artistique homosexuelle sans me révolter, sans bailler… tout cela si et seulement si on y parle d’homosexualité, bien sûr (si la création que je vois, en plus d’être nulle, ne parle même pas d’homosexualité, je me tortille sur mon fauteuil et m’impatiente comme tout le monde !). Suis-je maso ? Suis-je obsessivement homo-centré ? Peut-être bien ! Moi, je ne pense pas, puisque je ne vais pas aux œuvres homosexuelles dans une optique identitariste ou amoureuse, bref individualiste. Cependant, j’ai conscience que je peux donner l’impression que ma démarche de recherche du Désir par le biais du désir homosexuel est monomaniaque. En fait, si les gens pensent que je m’enferme dans mon thème, c’est qu’eux-mêmes ont tendance à vider l’homosexualité d’universalité, à enfermer les personnes homosexuelles dans « leurs » clichés, pour ne pas les analyser, ni voir ce qu’ils pourraient en tirer comme conclusions sur eux-mêmes. Ce que je constate pour mon cas, c’est que mon travail de recherche m’ouvre au contraire à l’Amour, même si j’avance à tâtons sur un chemin obscur, peu défriché et balisé, qui m’était à la fois totalement étranger et que j’apprends à rendre familier. Je peux m’intéresser pour ce qui n’attirerait pas d’emblée mes goûts (car si je désire vraiment aller vers ce que j’aime, si je veux réellement du contenu, de l’Art de qualité, il me suffit d’ouvrir ma Bible et d’écouter Jésus et ses saints !). Mais du coup, ce détachement affectif et sensitif narcissique de la plupart des « critiques » littéraires et artistiques actuels – qui pensent à tort qu’il faut forcément « adorer » ou « détester » une œuvre pour pouvoir en faire un bon papier, qu’il suffit de parler de ses petites impressions et de s’épancher sur ses vibrations du cœur (« j’aime/j’aime pas ») pour analyser une création à fond –, me permet de vraiment plonger au cœur des œuvres, en dehors de toute considération de goût, d’« avis », d’« opinion », d’« impression ». C’est cela, pour moi, le vrai travail d’analyse et de respect de l’œuvre artistique : s’appuyer sur ce qui est dit concrètement, et comment c’est dit. Le reste, c’est du blabla, de l’esbroufe, de la dégoulinade narcissique. J’ai trop vu pendant mes années de chroniqueur radio des pseudo critiques littéraires ou cinéma qui lisaient sans lire, qui voyaient sans voir, qui n’avaient aucun sens critique parce qu’ils se centraient sur leurs putains de goûts. J’avais envie de leur dire : « Qu’est-ce qu’on s’en fout de savoir si t’as aimé ou pas cette œuvre ! ‘De quoi elle parle et qu’elle est son sens ?’ C’est ça qui nous intéresse ! Putain de bordel de merde !!! » Alors, OUI, je ne suis pas un ennemi des œuvres homosexuelles, ni des artistes ratés. Je me rue dans leurs brancards pour qu’ils se réveillent. Car ils ont un cerveau pour aimer et pour créer ! Qu’ils ne l’oublient pas.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

ARTISTE 2 Like it is

Film « Like It Is » de Paul Oremland


 

Le personnage homosexuel est un artiste raté dans énormément de productions homo-érotiques : le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland (avec Kelvin, le producteur de musique dance), le film « Días De Boda » (2002) de Juan Pinzás (avec le personnage de Nacho), le film « Le Grand Alibi » (2007) de Pascal Bonitzer (avec le personnage de Philippe), le film « Amour et mort à Long Island » (1997) de Richard Kwietniowski, le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier (avec François, le journaliste plagiaire), le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee (avec Elliot, le peintre raté), le film « Ed Wood » (1994) de Tim Burton, le film « L’Ange bleu » (1930) de Josef Von Sternberg (avec le professeur Emmanuel Rath, humilié jusqu’au bout, en cours comme sur scène), la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, le film « Presque célèbre » (2000) de Cameron Crowe, le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec la figure du poète raté), la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou (où Satie y est décrit comme un compositeur de « musique d’ameublement »), le film « 800 Tsu Rappu Rannazû, Fuyu No Kappa » (1994) de Kazama Shiori, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (Aschenbach, le musicien raté qui se fait lyncher lors de ses concerts), le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault (avec Angelo en scénariste de séries B), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec le personnage de Tim), le film « Bouche à bouche » (1995) de Manuel Gómez Pereira (avec le personnage de Victor), le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber (avec François Pignon, présenté comme un homme sans relief), le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar (avec Enrique, le cinéaste de seconde catégorie), le film « La Fleur de mon secret » (1995) de Pedro Almodóvar (avec Leo, l’écrivaine de roman à l’eau de rose), le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon (avec Romain, le photographe raté), le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver (avec le héros Billy, qui n’arrive pas à faire carrière), le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni (avec Pablo, le poète raté n’arrivant pas à se faire publier), la chanson « Blues du Businessman » dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger (avec le businessman Zéro Janvier qui « aurait voulu être un artiste »), la pièce L’Anniversaire (2007) de Jules Vallauri (avec le personnage de Vincent, l’écrivain sans talent), le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011) de Karine Dubernet, le film « Diferente » (1962) de Luis María Delgado, la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne (avec France, l’écrivaine ratée), le spectacle musical Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le film « Quartet » (1948) d’Harold French, le film « Du mouron pour les petits oiseaux » (1962) de Marcel Carné (avec Jean Parédès, l’auteur de romans de gare), le film « Piège mortel » (1982) de Sidney Lumet, le film « La Tourneuse de pages » (2005) de Denis Dercourt, le film « Baba-It » (1987) de Jonathan Sagall, le film « Néa » (1976) de Nelly Kaplan (avec Sibylle Ashby, l’auteure de romans érotiques), la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd, le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec Jean-Marc, l’écrivain frustré), la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob (avec Jeff, l’artisan des objets en bois inutiles), le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec José, l’artiste contemporain aux meurtriers happening, et les très ambigus jumeaux Sulki et Sulku), la chanson « Fais-moi un chèque » (2011) de Jena Kanelle (où « le fric c’est chic »… au détriment de la qualité), la caricature Les artistes pédérastes (1880) d’Heidbrinck (avec les cercles artistiques homosexuels, dépeints comme malsains et frivoles), le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec Robbie, le réalisateur homo raté), le one-woman-show Nana vend la mèche (2009) de Frédérique Quelven (avec la poétesse ratée), le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco (avec Jézabel, l’artiste bisexuelle évoluant dans un milieu beaux-ardeux branchouille), le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche (avec Emma, l’artiste peintre lesbienne, et ses amis « artistes » qui pensent que disserter sur Klimt et Egon Schiele c’est « hyper profond »…), la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder (avec tous les acteurs à poil sur scène), la série Mon petit renne (2024) de Richard Gadd, etc.

 

« Je mets donc toute mon âme dans la musique, et mon cœur sombre d’un seul coup dans le chagrin de ce peintre raté qui voit se défaire devant lui un couple d’amis. » (le narrateur homosexuel parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « Mais je ne suis pas un artiste. » (Benjamin, l’un des héros homosexuels, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Même s’il prétend être un artiste, on voit très souvent que le personnage homosexuel a du mal à emballer les foules avec ses créations : « Rémi était romancier. Du moins se plaisait-il à l’affirmer. […] Il avait toujours aimé écrire, tout en sachant qu’il ne possédait pas le talent suffisant pour prétendre à l’originalité. » (Jean-Paul Tapie, Dix Petits Phoques (2003), p. 14) ; « Vous êtes un médiocre musicien. » (Wagner à Nietzsche, dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres Cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « Parfois, par association d’idées, Gabrielle repensait à son dernier roman Dernier amour que tous les éditeurs avaient refusé à ce jour. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), pp. 198-199) ; « Tous les trois ans un bouquin publié avec une sinistre régularité. […] Beaucoup de jactance. Beaucoup trop. Pour un écrivain. » (Vincent Garbo parlant du romancier François Letailleur, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, pp. 26-27) ; « C’est un esprit médiocre. » (Saint Loup au sujet d’un de ses assistants coiffeurs gay, dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; « Moi, je choisis des pièces contemporaines où il n’y a que des mecs à poil sur scène. » (Dominique dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Il avait transcrit en japonais : ‘Quoi ? Zob, zut, love’, des bulles presque courantes, n’ayant pas envie de faire un véritable effort de concentration. L’empereur Hiro-Hito en fut bouleversé et décida de le sacrer Prince des poètes du Soleil Levant. […] Ninu-Nip craignit d’être victime d’une plaisanterie douteuse. » (le narrateur de la nouvelle « Quoi ? Zob, zut, love » (1983) de Copi, p. 14) ; « Qu’est-ce que tu fais encore nu ? » (Junon trouvant Jupiter à poil dans une prairie, dans le film pourri « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, où tous les acteurs jouent à poil) ; « Ouais, j’suis un comédien raté. Et alors ? » (Dodo dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz) ; « Benjamin est chorégraphe. Comme tous les mecs qui ont raté leur carrière de danseur… » (Pierre parlant de son amant, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Écoutez-moi, vous le marchand, siffla Smokrev. Vous êtes un échec. Vous étiez un artiste médiocre dont tout le monde se moquait en société. » (le Comte Smokrev, homosexuel, titillant l’homosexualité continente de Pawel Tarnowski, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 482) ; etc.

 

ARTISTE 3 L'Anniversaire

Pièce « L’Anniversaire » de Jules Vallauri


 

Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homo, se fait d’abord passer pour un artiste incroyable : il demande à être appelé pompeusement « le Prince des Poètes » ou « L’Homme en noir ». Et puis au fur et à mesure, on découvre que c’est un homme pédant, un beau-parleur alcoolique, sans succès : « Je suis écrivain de littérature philosophique internationale… dans le porno. » Michèle, l’actrice de séries B qui passe la soirée à ses côtés s’étonne même qu’il démente son côté artiste : « Comment ?? Drogué, alcoolique et gay… Et t’es pas comédien ??? » Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, crée un jeu improvisé « le Jeu des Favoris ». Ninon, la bisexuelle, ne mâche pas ses mots : « C’est scolaire, homo, nul. » Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel se moque du cliché « ‘Le gay est doué dans l’art’ : mon cul ! ». Il raconte son essai raté de devenir musicien : « Un vrai désastre ! » Dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, Maryline, l’héroïne bisexuelle, prof d’arts plastique, est présentée ironiquement par Sandra comme « une artiste fonctionnaire (le rêve pour tout intermittent du spectacle…) »… mais Anne-Charlotte, une amie de Maryline, prend sa défense : « Maryline n’est pas fonctionnaire ! C’est une artiste ! ».

 

Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy avec son monocle, fait des dessins et des poésies anarchistes, et organise des spectacles scandaleux qui se finissent en baston. Quant à Atos Pezzini, le prof de chant homosexuel, c’est aussi une « vieille pédale » jouant dans des opéras-bouffe qui n’ont pas de succès et qui sortant avec des petits éphèbes dont il collectionne les photos de nus « Tout le monde se moque de vous. » lui balance le Noir Madelbos à propos d’Atos et de son jeune amant Alberto.
 

Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Nounours, l’un des héros homos, est un artiste d’art contemporain qui peint des vagins en forme de nénuphars roses. Tout le monde gaffe quand, spontanément, il trouve « ces trucs moches » ignobles à regarder.
 

Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, il n’y a que des trentenaires homosexuels bobos qui sont des artistes ratés : par exemple, Simon a présenté son film « A-mor(t) » en ouverture d’un festival à Beaubourg, et ce fut un gros bide : « Après le court-métrage de Simon, les gens huent. Nous sortons. Les yeux de Simon perlent, il se retient. » Polly, l’une d’entre eux, leur fait le reproche de ne « créer » que pour satisfaire au fond que leurs pulsions sexuelles : « Vous me faites penser aux gens qui regardent des photos d’art de modèles nus en ayant la gaule. Tous ces gens qui n’ont pas encore compris que l’art ne servait pas à bander lamentablement. » (p. 36) La fusion constante entre cul et monde artistique gâche les talents, et transforme ces beaux-ardeux (plasticiens, photographes, écrivains de fortune) en imposteurs sincères : « Tiens, c’est Léo Durand, il est un écrivain raté, vous avez le même âge et je sais pas pourquoi, j’ai l’impression que vous êtes faits l’un pour l’autre ! » (Vianney présentant un mec à Mike, op. cit., p. 94)

 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Pierre-André, un dentiste, prend Nina, l’héroïne lesbienne, pour « une grande artiste en mosaïques », ce qui fait bien glousser Lola l’amante de Nina, ainsi que Vera la copine de celle-ci : « Il lui a donné l’illusion d’être une artiste ! » (Lola) Nina se console comme elle peut : « Y’a au moins quelqu’un qui me reconnaît un peu de talent. »
 

Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe de Monceys, le héros homosexuel, est auteur de romans de gare. Dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Prentice, le jeune auto-stoppeur hétéro accompagnant le couple de vieilles lesbiennes, est un artiste de seconde zone : lors de ses shows de danseur, son chorégraphe lui demandait de pisser sur scène en guise de geste « artistique ». Dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, Nelligan Bougandrapeau, le héros homosexuel, dit qu’il a « passé son enfance à voir qu’il n’a aucun talent pour l’écriture ». Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Russell, le héros homosexuel, écrit des nouvelles de merde. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Duccio, le personnage homo, est un simple acteur figurant. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik, le héros homosexuel, conçoit des documentaires, et son prochain projet est un reportage « À la recherche d’Avery Willard » retraçant le parcours d’un photographe homosexuel qui a fait des nus à New York et qui est décrit comme un homme sans talent par ses proches collaborateurs. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Zach, le héros homosexuel, se décrit lui-même comme un réalisateur raté : « Je fais des films de mariage pourris et j’enchaîne les petits boulots. Je n’ai aucune relation stable. Je suis un 7 que les 9 rejettent. » Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, Tedd, le héros homosexuel, est dramaturge et écrit des pièces rétro qui n’intéressent personne ; il ne cache pas qu’il ne fait ça que pour l’argent : « Moi ce que je vise, c’est le fric. » Dans la série nord-américain Modern Family (2009-2011), Cameron, un des héros homos, est un clown raté qui n’arrive pas à faire rire. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, l’un des héros gays, a été jadis libraire, et écrit des romans narcissiques et indigents à souhait. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz, le héros homosexuel, n’a pas de boulot mais veut vaguement faire « quelque chose qui ait un rapport avec l’art ». Dans le film « The Comedian » (2012) de Tom Shkolnik, Ed, le héros homo, galère à Londres comme comédien stand up. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, se destine à aller dans une école artistique à Juilliard (Québec)… mais son parcours se révèlera de courte durée car c’est un caïd refusant de travailler et complètement instable. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ben se demande s’il arrivera à devenir célèbre avec ses toiles. Son amant à la fois le rassure et lui dit que ce n’est pas très important : « Il y a un nouveau peintre à la mode toutes les semaines… J’adore tes tableaux. Et je me fiche de l’avis des autres. » Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Paul est comédien dans du théâtre contemporain merdique reprenant du Shakespeare : Rodney a trouvé ça d’une « nullité » incroyable. Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, Vincent, le héros homosexuel, est montré comme un violoncelliste raté, qui ne gagne que des petits cachets. Dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric le héros homo se ridiculise devant tout le monde en ratant sa prestation publique de trompette dans l’amphi de sa High-school. Il est d’ailleurs surnommé « Trompette en l’air » par ses camarades après cela. Dans le film « Le Journal de Bridget Jones » (2001) de Sharon Maguire, Tom, le meilleur ami gay de Bridget, est l’artiste d’un « tube » tombé dans l’oubli et datant d’un disque sorti il y a 9 ans.

 

Le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) égratigne les artistes bobos homosexuels qui organisent des ateliers artistiques bidon : Océane Rose-Marie évoque avec un brin d’ironie ses « copines lesbiennes profs de peinture sur soie dans la Creuse ». Dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau, Lola la lesbienne est décrite comme une « comédienne ratée ». Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Levi fait partie d’un groupe de rock merdique, les Participe Présents, qu’il finira par quitter. Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank s’essaie à l’écriture (il dit qu’il « écrit sur les tulipes et les antiquités. »), et son copain, Jonathan, lui avoue qu’il ne sera pas un journaliste « assez doué ». Dans la pièce La Dernière danse (2011) d’Olivier Schmidt, quand Jack Spencer se vante à son amant Paul Wood d’« avoir du talent », celui-ci lui répond cyniquement : « C’est ce que tu crois… » Il finit quand même par réussir un peu dans le milieu de la danse, mais perd vite son titre, pour finir comme une misérable « star déchue » : « Jack Spencer, après avoir touché la lune, touche le fond » indique un article de journal. Paul Wood suit le même parcours que son copain : il était danseur de ballet de l’Opéra mais sa carrière a été de courte durée : « La roue tourne. Personne n’en sort indemne. » Dans le spectacle Charlène Duval… entre copines (2011), les journalistes se délectent à annoncer que « la carrière de Charlène Duval est finie ». Dans le roman Accointances, Connaissances, et Mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, Bertrand, homosexuel, est un acteur de seconde zone, subissant une retraite anticipée : « On ne parle plus beaucoup de lui dans les journaux à potins, sauf pour lui rappeler qu’il n’est plus rien, figurant dans le film de série B qu’est devenue sa vie. » (p. 36). Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John, le héros homo, fait des séries B puis sombre dans l’oubli et meurt d’une overdose. Par ailleurs, à deux reprises au cinéma – dans le film « Fame » (2009) de Kevin Tancharoen et le dessin animé « Anastasia » (1997) de Don Bluth et Gary Goldman, pour être précis –, j’ai vu des mises en scène de casting où c’est le personnage homosexuel ou androgyne qui est recalé, se ridiculise, et déprime les sélectionneurs (mais il doit y en avoir bien d’autres, à en croire les « best of du pire » que l’on retrouve sur des émissions de télé-réalité comme La Nouvelle Star de la chaîne française M6)

 

ARTISTE 4 Sulky

Sulki et Sulku dans le film « Musée haut, Musée bas » de Jean-Michel Ribes


 

Et le pire, c’est que le protagoniste homosexuel se rend parfois compte qu’il n’a pas la vocation d’être artiste : « J’ai pas de talent. » (Jean-Marc, l’écrivain raté et « sans envergure » de la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay) ; « J’étais même pas foutu de faire un cendrier qui était pas bancal. » (Jean-Luc, le héros homo ayant monté son propre atelier poterie, dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch) ; « Certains diront que j’ai écrit une œuvre illisible, inabordable, incompréhensible, inintéressante ou je ne sais quoi encore. Je ne cherche pas à nier qu’il s’agit d’une œuvre incommode […]. » (la figure de Marcel Proust, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 112) ; « Je ne suis qu’un violoneux de 3e ordre. » (la figure très queer de Sherlock Holmes dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder) ; « C’est pire que du Bacchus. » (cf. la chanson « Tango » dans le concert Chansons bleues ou à poing (2009) de Nicolas Bacchus) ; « J’ai essayé d’écrire, moi aussi. Un échec. » (Peter dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz) ; « Vous savez, je n’avais pas une ombre de talent, je ne savais que m’habiller et m’efforcer de paraître jolie. » (Angela, lesbienne et artiste de music-hall, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 236) ; « J’ai essayé et échoué toute ma vie. » (l’écrivaine lesbienne Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « J’ai l’impression de rater tout ce que je fais. » (Alma, l’héroïne lesbienne dans le téléfilm Under the Christmas Tree (Noël, toi et moi, 2021) de Lisa Rose Snow) ; etc. Les personnages lesbiens du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) sombrent dans la désespérance face à leurs limites de créateurs : « Je ne serai jamais un grand écrivain à cause de mon corps insupportable et mutilé… » (Stephen, p. 285) ; « Dégingandée, impuissante, désordonnée et terriblement découragée, Jamie luttait pour finir son opéra, mais, ces derniers temps, elle détruisait très souvent son travail, sachant que ce qu’elle avait écrit était sans valeur. » (p. 517) Dans les pièces de Tennessee Williams, en général, les artistes détruisent toujours leurs œuvres. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo arrive au même constat d’échec face à sa carrière de dessinateur : « J’ai raté ma vie. » Dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut, le professeur Foufoune, homosexuel, est un artiste frustré puisqu’il aurait voulu faire du cirque au lieu de travailler dans un asile psychiatrique. Dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ?, 2010) de Malu de Martino, Antonia, l’ex de Julia, se définit comme « poubellologue ». Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Max, le héros homosexuel, dit qu’il est un « acteur amateur en fin de droit ». Dans le film « Parking » (1985) de Jacques Demy, Orphée est un chanteur populaire qui sait qu’il mourra avec ses chansons, qui est souvent mécontent de ce qu’il produit, qui est tout aussi mécontent lorsqu’on lui fait savoir que ce qu’il produit est mauvais. Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon torpille les messes (« La messe est un spectacle. On raconte de la merde, ça rapporte de l’argent. »)… mais ensuite décrit son propre show comme un « mestacle »… Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel, aimerait savoir bien écrire, et pensait que son arrivée à Paris allait l’inspirer… mais il avoue que ce n’est pas magique.

 

Il se dit parfois que pour être moins ridicule et visible, il lui suffit d’assumer, voire de grossir, la nullité de ses œuvres : illusion narcissique s’il en est ! « C’est sûrement pas être artiste que d’frapper sur un piano. C’est sûrement pas être poète que d’chagriner la p’tite fille assise au bord du Styx. […] Les producteurs trouvent ça bien. Toi et moi on l’sait quand même, on n’est pas loin d’l’enfer. […] On est tous des imbéciles. On est bien très bien débiles. C’qui nous sauve c’est le style : équivoques et aussi paradoxes, et ça suffit. » (cf. la chanson « On est tous des imbéciles » de Mylène Farmer) ; « Sur fond d’musique baba ou variété débile. Stratégie oblique oblige. » (cf. la chanson « Mes Amis et moi » d’Arnold Turboust) ; « Peu importe le fond, la forme… Admirez ma technique ! » (Leni Riefenstahl dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « Elle attribue le succès du livre, moins à son fond qu’à sa forme. » (Françoise Dorin, Les Julottes (2001), p. 85) ; « Y avait rien de politique, rien d’artistique dans ce que Willie disait. Il n’était pas cultivé. C’était de la bouillie. » (Tristan Garcia, La Meilleure part des hommes (2008), p. 55) ; « C’était devenu un style, le style : tant que je parle, j’ai raison, je peux mentir ou j’ai rien à dire, j’ai raison – j’ai la parole, et ça s’appelle un livre ; William allait bien là-dedans. » (idem, p. 135) ; « Tout art est parfaitement inutile. » (Oscar Wilde cité par la conteuse dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mise en scène par Imago en 2012) ; « Moi, je suis une artiste brute. J’ai besoin d’aller jusqu’au bout de moi-même. » (David Forgit, le travesti M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; etc. Dans une auto-parodie qui sent l’aveu indirect, Essobal Lenoir, l’auteur du recueil Le Mariage de Bertrand(2010), arrive à s’étonner que son « éditeur ait accepté de publier son écœurant opuscule » (p. 168)

 

ARTISTE 5 Élie Sémoun

Saint-Brice par Élie Sémoun


 

Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, le personnage de Pietro dévoile très bien les stratégies de camouflage de la supercherie artistique mises en place par l’Homme qui ne veut pas renoncer à son titre de « génie » : « Il faut inventer de nouvelles techniques, impossibles à reconnaître, qui ne ressemblent à aucune opération existante, pour éviter la puérilité du ridicule, se construire un monde propre, sans confrontation possible… pour lequel il n’existe pas de mesures de jugement… qui doivent être nouvelles comme les techniques. Nul ne doit comprendre qu’un auteur ne vaut rien, qu’il est anormal, inférieur, que comme un ver, il se tord et s’étire pour survivre. Nul ne doit le prendre en péché d’ingénuité. Tout doit paraître parfait, fondé sur des règles inconnues… donc, non mises en doute… comme chez un fou, oui, un fou. Verre sur verre, car je ne sais rien corriger… et nul ne doit s’en apercevoir. Un signe sur un verre… corrige sans le salir… un signe peint auparavant sur un autre verre. Il ne faut pas qu’on croit… à l’acte d’un incapable, d’un impuissant. Ce choix doit paraître sûr, solide, élevé et presque prépondérant. Nul ne doit se douter qu’un signe est réussi ‘par hasard’. ‘Par hasard’, c’est horrible. Lorsqu’un signe est réussi, par miracle, il faut immédiatement le garder, le conserver… Personne ne doit s’en percevoir. L’auteur est un idiot frissonnant, aussi mesquin que médiocre. Il vit dans le hasard et dans le risque, déshonoré comme un enfant. Sa vie se réduit à la mélancolie et au ridicule… d’un être qui survit dans l’impression… d’avoir perdu quelque chose pour toujours. » Comme Lourdes, l’héroïne de la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, qui dit qu’elle « va remplir avec du vide », le faux artiste homosexuel essaie de substituer le travail de déguisement de la médiocrité de son œuvre artistique à l’œuvre artistique elle-même ! Dans Les Petites Annonces d’Élie Sémoun, Gérard Saint-Brice, le (très androgyne) directeur de théâtre contemporain proposant des mises en scène complètement rasoir et barrées, cultive une ambiguïté sexuelle qui parachève l’équation « théâtre-masturbation-intellectuelle = théâtre homosexuel ». Dans le film « À travers le miroir » (1961) d’Ingmar Bergman, la figure de l’artiste raté homosexuel renvoie clairement à l’inceste, puisqu’à un moment du film, Mino joue à son père écrivain une pièce intitulée Le Tombeau des illusions ou l’art fantôme. Il prononce ces mots : « Je suis roi d’un royaume qui est petit mais très pauvre. Je suis artiste ! Oui. Princesse. Artiste pur sang. Poète sans poèmes, peintre sans tableaux, musicien sans musique. Je méprise l’art fabriqué, résultat banal d’efforts vulgaires. Ma vie est mon œuvre vouée à mon amour pour toi. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’artiste raté :

Les artistes homosexuels n’ont pas souvent bonne réputation. Ils sont connus comme faisant partie intégrante du paysage audiovisuel et artistique, certes, mais passent pour des amuseurs plus que pour des artistes compétents. Par exemple, dans Palimpseste – Mémoires (1995), Gore Vidal est décrit par Latouche comme le « Lope de Vega de la télévision » (p. 420) car fait un travail de nègre trop prolifique et commercial. Il ne dément pas cet avis. « On disait que j’étais ‘le petit pisse-copie de Hollywood’, ce qui n’était pas complètement faux. » (idem, p. 482) Dans l’essai De Sodoma A Chueca (2004) d’Alberto Mira, Jacinto Benavente est qualifié de basique « dramaturge de théâtre de boulevard » (p. 108). Josyane Savigneau, dans sa biographie de Carson McCullers (1995), rapporte que Carson McCullers est considérée comme une « auteure mineure » (p. 11). Les papiers écrits sur les célébrités homosexuelles ou les icônes de la communauté gay ne sont pas dithyrambiques, c’est le moins qu’on puisse dire… : « Chez Mylène Farmer, c’est la sensation d’un trop. Trop de cordes, trop de nappes, trop de chœurs, pas la place de respirer. » (cf. la revue Télérama, mai 1999) ; « Mylène Farmer, c’est un peu comme la Joconde. Tout le monde la voit, mais personne ne l’entend. » (Samuel Laroque dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Oscar Wilde fut un créateur prolifique, public, commercial, de mauvaise qualité, trivial, répétitif. Il fut un plagiaire. » (Neil Bartlett, Who Was That Man ? A Present for Mr Oscar Wilde (1993), pp. 201-202) ; « Il n’a rien écrit, il ne chante pas, il ne peint ni ne joue, il ne fait que parler ! » (Richard Ellmann, Oscar Wilde, cité par Anne-Sylvie Homassel, « Le Soleil Wilde », dans Magazine littéraire, n°343, Paris, mai 1996, p. 30) ; « L’image que l’on retient de cet auteur est celle d’un raté, non seulement peu cultivé, mais aussi peu intelligent : un espèce de bouffon grotesque sans cour qui croit qu’il est difficile de comprendre la vérité et surtout qu’il est obligatoire de le dire. » (Pier Paolo Pasolini concernant Witold Gombrowicz, cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003)

 

Les critiques de la production artistique sur l’homosexualité fusent et concordent pour dire que les trois-quarts du temps elle rase les pâquerettes : « Les résultats ? Presque toujours médiocres, sinon consternants. Une grande partie de la production littéraire et artistique homosexuelle se confond avec les plus vulgaires manifestations de la sous-culture pornographique hétérosexuelle. […] L’homosexualité, à peine libérée, n’a rien eu de plus pressé que de débonder ses fantasmes en oubliant de se donner des contraintes intérieures, contraintes sans lesquelles il n’y a pas de véritable création. » (Dominique Fernandez, L’Amour qui ose dire son nom (2000), pp. 301-302) ; « Mièvrerie et fadeur de l’ensemble : plus le sentiment homosexuel cherche à s’exprimer, sans métaphores ni faux-semblants, plus il perd en force et en saveur. C’est une loi que nous aurons l’occasion de vérifier. » (idem, p. 69) ; « L’homosexualité a atteint un niveau de banalisation inimaginable précédemment. Cette normalisation tous azimuts ne va toutefois pas sans une forme d’affadissement, qu’on retrouve peu ou prou dans la plupart des cinématographies occidentales. » (Didier Roth-Bettoni, L’Homosexualité au cinéma (2007), p. 418) ; « Mal écrit surtout, et ennuyeux, pour ‘faire littéraire’. À de tels auteurs, la modernité a appris que la littérature n’avait rien à dire. Barthes leur a montré la ‘fatalité du signe littéraire, qui fait qu’un écrivain ne peut tracer un mot sans prendre la pose particulière du langage’. Il a appelé à une ‘écriture blanche’, ‘innocente’ par son ‘absence idéale de style’. » (Pierre Jourde, La Littérature sans estomac (2002), p. 189) ; « Les textes attaqués en deux principales espèces : parataxe voyante, minimalisme syntaxique, lexical et rhétorique (écriture blanche). Inversement, syntaxe complexe, métaphores flamboyantes, énumérations (écriture rouge). Ces deux manières a priori opposées, la blanche et la rouge, reviendraient plus ou moins au même. L’écriture blanche est un mélange de naturalisme et de romantisme dégradé au même titre que l’écriture rouge : du drapé, de la posture, de la déclamation, charriant des morceaux de réalisme. L’une cherche à se singulariser dans une affectation de détachement, l’autre dans le cabotinage. Dans les deux, le désir de la singularité pour elle-même engendre le poncif. À ces deux espèces de faux-semblants, on en a ajouté une troisième, plus récente. On pourrait la baptiser écriture écrue. […] Petits objets du quotidien, gens de peu, prose poétique, effets stylistiques discrets mais repérables. L’écriture écrue, elle aussi, part du principe de l’authenticité. Elle fait croire que son originalité tient à la modestie de ses objets. » (idem, pp. 38-39) Le bilan artistique homosexuel est tellement pitoyable que certains en arrivent à se demander : « Mais est-il vraiment indispensable d’être hétérosexuel pour avoir du talent, voire du génie ? » (Lionel Povert, Dictionnaire gay (1994), p. 11)

 

ARTISTE 6 Warhol Marilyn

La Marilyn Monroe d’Andy Warhol


 

L’artiste homosexuel connaît souvent « ce statut d’utilité frivole qui lui fait mesurer tout ce qui le sépare des véritables créateurs » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 299). Par exemple, sur l’aveu du « couple » Pierre Bergé/Yves Saint-Laurent, l’Empire YSL a démarré sur un gros coup de « bluff » et une manœuvre stratégique de Pierre Bergé. Saint-Laurent n’a eu le talent que du publiciste qui s’aligne et qui sent ce qu’attend de lui son époque. Et Pierre Bergé, le talent du gestionnaire cupide et profiteur. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves le lui rappelle vertement : « Espèce de raté ! T’es un parasite ! » Francis Bacon, quant à lui, est très surpris d’avoir autant de succès. D’ailleurs, il affirme haïr ses toiles : « Je n’ai pas le sentiment d’être créatif. Je fais partie de ces gens qui ont reçu une grande dose de chance. » (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton) Dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend que Jean Marais « se voit traiter de plus mauvais acteur de France » quand il interprète Œdipe-Roi de son amant Jean Cocteau. Lui-même confirme : « J’étais très très très mauvais. » Et en effet, il a été refusé au conservatoire, n’a été connu que grâce à ses relations et sa réputation sulfureuse (c’était l’artiste raté qui osait jouer presque nu, à l’époque). Autre cas : celui du réalisateur italien Pier Paolo Pasolini. Plus que pour ce qu’il a écrit ou fait, c’est sur ses intentions qu’il a été jugé surtout. « Bien sûr, ça a fait scandale. Comme tout ce qu’il faisait. » (Dacia Maraini dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2014) d’Andreas Pichler) Quelques jours avant sa mort, il interprétait le silence qui l’entourait comme un « symptôme d’incompétence » (idem). Bruno Ulmer, obnubilé par la publicité, fait un art pop de la redite, peu inventif (cf. le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre). « Je ne me sens pas un écrivain » dit Jean-Luc Lagarce dans son Journal : il déprime de ne pas parvenir à « vendre ses salades » (c’est comme cela qu’il qualifie ses livres). Andy Warhol, quant à lui, est très lucide sur la qualité de son œuvre : « Je suis peut-être célèbre mais c’est sûr que je ne produis pas du beau travail. Je ne produis rien. » (cf. le reportage « Vies et morts de Andy Warhol » (2005) de Jean-Michel Vecchiet) ; « Les choses que je désire montrer sont mécaniques. Les machines ont moins de problèmes. Je pense que quelqu’un devrait être capable de faire toutes mes toiles à ma place. » (Andy Warhol cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 452) Quentin Crisp ne déroge pas à la tendance homosexuelle à la médiocrité : « Emblème du ratage social, il ne fait rien de bien probant et se considère désormais comme un raté. À défaut de mettre son talent dans son œuvre, il va exceller à en mettre dans sa vie. » (Lionel Povert, Dictionnaire gay (1994), p. 151) ; etc.

 

Par exemple, dans son film « La Bête immonde » (2010), le chanteur et réalisateur Jann Halexander présente (avec sévérité ou réalisme ?) sa trilogie sur Stratoss Reichmann à travers son personnage d’Ariane : il lui fait dire qu’il fait des films et des romans de mauvaise qualité : Ariane parle en effet d’un artiste qui a écrit sur Stratoss Reichmann « un roman qui a donné lieu à un film en deux parties, sans grand intérêt d’ailleurs ».

 

Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, c’est assez pathétique : Bertrand Bonello se filme en train de douter de l’utilité de son travail, et en faire un reportage : « Je ne sais pas où ça va. ». Ses amis bobos essaient de le rassurer sur son projet vide comme ils peuvent : « C’est casse-gueule. Mais c’est ce que j’aime. Sans scénario. Sans rien d’écrit. » (Alice) Il se fait interroger par un journaliste homo sans discours, sans avis (« Je ne sais pas trop quoi dire… »), mal dans sa peau (« J’arrête pas de rougir… Je me demande ce que je vais devenir. » ; « J’ai même songé à disparaître. »), qui lui pose des questions creuses (« Est-ce que la contradiction est une valeur artistique, un espace ? »).
 

Pendant tout le film biographique « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, l’écrivain homosexuel Allen Ginsberg est décrit comme un auteur de pacotille : « Je pense qu’il n’a aucune valeur littéraire. » (une femme témoin s’exprimant au procès d’Allen Ginsberg par rapport au recueil de poèmes « Howl ») Il confirme sa réputation d’imposteur artistique puisqu’il dira lui-même de son vivant que son poème « Howl » n’est qu’un ramassis de « conneries sensibles » : « J’escroque un peu mon monde. » Et ses quelques défenseurs bobos ne trouvent, à sa décharge, que les intentions : ils ne parlent jamais de l’œuvre de Ginsberg en elle-même, mais de ce qu’elle « aurait voulu dire » : l’honnêteté, la sincérité, la provocation, une transcendance, la dénonciation sociale, la puissance des mots, etc.

 

Pour certains « artistes » homosexuels, la revendication de la nullité artistique agirait comme paravent voire comme une conjuration magique de cette même nullité. Tel artiste ose dire qu’il est médiocre = c’est donc qu’il est génial ! Par exemple, André Gide et Pierre Louÿs créent en 1889 la Potache-Revue. Paul Verlaine et Arthur Rimbaud inaugurent le mouvement littéraire « zutiste ». Andy Warhol vénère la « célébrité d’un quart d’heure ». Aymeric Peniguet de Stoutz dit qu’il « n’a absolument rien contre le léger et le ludique : ‘Le superflu, chose très nécessaire’ disait Voltaire ! » (cf. le Magazine Égéries, n° 1, décembre 2004/janvier 2005, p. 80) Vanité des vanités, tout est vanité ! (… surtout la vanité !)

 

Comme dans les fictions, c’est l’argument du style qui revient pour faire illusion, tout cela dans le but d’occulter le manque de fond. Roland Barthes souligne dans la pensée baroque « la prévalence de la forme sur le fond » (Roland Barthes, « La Face baroque », Le Bruissement de la langue, 1984). Selon ces pseudo artistes, l’Art n’aurait pas de but, ne devrait pas avoir de dialectique, sous prétexte qu’il n’a pas qu’un seul sens ni qu’une seule perception de Lui : l’Art « serait », de toute éternité. Par exemple, Gilles Deleuze et Félix Guattari, dans leur manifeste L’Anti-Œdipe (1973), pensent « l’art comme un processus sans but, mais qui s’accomplit comme tel. » (p. 443) ; « C’est cela le style, ou plutôt l’absence de style, l’asyntaxie, l’agrammaticalité : moment où le langage ne se définit plus par ce qu’il dit, encore moins par ce qui le rend signifiant, mais par ce qui le fait couler, fluer et éclater – le désir. Car la littérature est tout à fait comme la schizophrénie : un processus et non un but, une production et non pas une expression. » (idem, pp. 158-159) En général, le geste artistique que ces « artistes » cautionnent n’est pas maîtrisé, prémédité (la seule chose calculée, c’est le fait justement que ce ne soit pas calculé ! Belle hypocrisie !) : « Ma méthode de dessin ressemble à l’improvisation du jazz » déclare Jean Cocteau (cf. le documentaire « Cocteau et compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier). Parfois, cela donne des phrases qui ne veulent objectivement rien dire mais qui font profondes, une dégoulinade verbale ininterrompue et sans goût : « Le rôle de l’art consiste à saisir le sens de l’époque et à puiser dans le spectacle de cette sécheresse pratique un antidote contre la beauté de l’inutile qui encourage le superflu. » (Jean Cocteau cité par Gérard de Cortanze, « Le Journal de l’inconnu », dans Magazine littéraire, n°423, Paris, septembre 2003, p. 54) Vous comprenez cette phrase, vous ? (Moi pas). Comme l’explique à juste raison Élisabeth Lévy dans Les Maîtres censeurs (2002), « cette idéologie dominante qui se pense libérée de toutes les idéologies ne peut triompher qu’au prix d’une abdication fondamentale qui conduit à faire prévaloir l’émotion sur la compréhension, la morale sur l’analyse, la vibration sur la théorie. » (p. 17) Les artistes homosexuels s’appesantissent en général sur les sens pour délaisser le Sens.

 

ARTISTE 7 Cocteau

Lithographie de Jean Cocteau

 

Depuis un certain temps dans le cinéma homo-érotique, c’est la mode : beaucoup de réalisateurs (Pasolini dans « Salò ou les 120 journées de Sodome », Christophe Honoré dans « Métamorphoses », ou encore Karim Aïnouz dans « Praia Do Futuro ») se mettent à chapitrer leurs films. Le chapitrage, ça fait plus intello et un peu moins merdique. Ça donne un semblant de sens à ce qui ne prétend pas en avoir.
 

Le modèle du genre, dans le registre des œuvres homosexuelles bobos merdiques, c’est quand même les films de François Zabaleta. J’étale mes goûts, je m’écoute ressentir… et je vois ce que ça donne… et même si ça donne de la merde, ça serait quand même génial parce que je m’en rendrais compte. Par exemple, dans son film narcissique « Le Cimetière des mots usés » (2011), on y entend l’éloge du ratage artistique : « Julien s’abuse. Il n’a aucun talent. » (Daniel parlant d’un écrivain et ami à lui) ; « Dans le ratage, on est condamné à l’originalité. […] Le ratage n’est pas une stratégie. […] Il n’est pas donné à tout le monde d’être un vrai raté. » (Daniel) ; etc. Les héros de ce navet cinématographique s’écoutent parler, sans chercher à énoncer une quelconque vérité intelligente ou à donner un sens à leur verbiage. Leur manque de prétention suffit à leur tenir chaud : « Mots qui me viennent à l’esprit quand je pense à toi… » (Denis à son amant Luther) Zabaleta philosophe sur la nullité artistique. Il fait même créer à ses personnages homosexuels des « Musées des projets avortés ». L’un de ses héros, Denis, dit « s’entêter à être un artiste », mais comme il voit que ça ne marche pas, il finit par dénigrer tout talent artistique : « Le pire ennemi de l’artiste, c’est le savoir-faire. […] Est-ce que ça sert à quelque chose d’être un artiste ? »

 
 

b) On parle plus de l’image scandaleuse que va engendrer l’artiste que de l’œuvre en elle-même :

ARTISTE 13 Copi pages culturelles

B.D. « Kang » de Copi


 

« Ce n’est pas son œuvre qui faisait de Wilde un héros : c’était sa légende » dit-on du dandy britannique le plus connu de tous les temps, et célébré comme la crème de la crème des artistes homosexuels (cf. le documentaire « Pierre Louÿs : 1870-1925 » (2000) de Pierre Dumayet et de Robert Bober) Par exemple, l’essai Corydon (1905) d’André Gide semble avoir eu le succès de l’image, du scandale, mais n’a pas été jugé concrètement pour ce qu’il disait ; à propos de cet ouvrage, Guillermo de Torre affirme en 1956 que « Corydon n’est pas tant une œuvre absurde qu’une œuvre inutile » (cf. l’article « Anverso Y Reverso de André Gide », dans l’essai Metamórfosis De Proteo de Guillermo de Torre, 1956). Christine Angot est davantage connue pour le scandale suscité par L’Inceste (1999), et l’étonnement qu’un livre pareil puisse se vendre comme des petits pains, que pour la qualité de ce qu’elle a écrit. Dans son émission Apostrophe du 20 mai 1983 sur Antenne 2, Bernard Pivot dit combien le travail du peintre Salvador Dalí repose sur la fanfaronnade : « Dalí, c’est le fric, le scandale, l’esbroufe. » Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, l’excentrique Brüno (un mélange de Steevy, de Nabila et d’Afida Turner, mais à la sauce nord-américaine), affublé de la méritée réputation de « crétin sans talent », joue de son bagou – et par la même occasion de ses déhanchés de mannequin, de sa gueule et de son cul – pour faire illusion sur la bêtise de ses propos et la violence de ses happening. Avec le vidéo-clip de la chanson « Je suis gay » de Samy Messaoud, on comprend que l’intention (militante, « artistique », « provocatrice ») passe avant la création.

 

La victoire du paraître sur l’être fait beaucoup de bruit et de sensation, mais tout le monde ne mord pas à l’hameçon. Dans ses articles très connus sur le camp, la philosophe nord-américaine Susan Sontag croque à souhait ce qu’on pourrait appeler la « prétention prétentieuse » de ces artistes (homosexuels ou hétérosexuels, peu importe ; surnommés aujourd’hui « artistes des genres » ou « queer ») qui s’attribuent le label d’« artistes d’avant-garde » sans que personne, pas même ceux qui sont censés évaluer leurs productions, ne leur résiste : « Les critiques qui entendent louer une œuvre d’art se croient tenus en général de démontrer que chaque partie est indispensable et qu’il serait impossible de rien changer. Mais l’artiste, qui se souvient du rôle que jouent la chance, la fatigue, les distractions, se rend bien compte que les déclarations du critique ne correspondent pas à la réalité, qu’en bien des points le résultat pouvait être fort différent. L’impression que tout dans un chef-d’œuvre est d’une nécessité absolue ne vient pas du fait que chaque partie devait être présente, mais de la cohérence du tout. » (cf. l’article « À propos du style » (1968), p. 63) Susan Sontag tourne en dérision le tour de passe-passe de ces artistes qui saturent leurs œuvres d’art de style et de forme pour nous faire oublier qu’elles proposent peu de sens : « Il existe, à mon sens, entre ‘style’ et ‘stylisation’ une différence du même ordre que celle qui distingue la volonté de la bonne volonté. » (idem, p. 64) ; « Mettre l’accent sur le style, c’est faire peu de cas du contenu, ou refuser tout engagement par rapport au contenu. Il va sans dire que le mode de sensibilité exprimé par le ‘Camp’ est entièrement non-engagé et dépolitisé, ou, à tout le moins, apolitique. » (cf. l’article « Le Style Camp » (1968), p. 424) ; « De nombreux exemples de ‘Camp’ sont, soit des œuvres ratées, soit des fumisteries. » (idem, pp. 426-427)

 

Enfin, pour vous convaincre de l’océan de nullité dans lequel la culture homosexuelle est tombée, je vous suggère une idée toute simple : il vous suffit d’ouvrir un numéro de Têtu, la revue censée nous représenter, nous, personnes homosexuelles. Et vous aurez l’illustration de ce que j’ai essayé de vous montrer !

 

L’Art véritable, par définition, a deux vocations : celle de refléter le Réel (visible et invisible : je n’ai rien contre l’art contemporain ou non-figuratif et non-naturaliste, encore une fois) et celle de révéler la beauté de l’Homme. Toute oeuvre qui ne respecte pas ces deux critères, n’est pas, à mon avis, artistique. Et comme la majorité des oeuvres faites par les personnes actuelles s’appuient sur la justification du désir homosexuel sous forme d’identité et d’amour alors que le désir homosexuel est éloigné du Réel et qu’il défigure l’Homme dès qu’il cherche à se pratiquer, il est difficile de trouver parmi elles de véritables artistes dignes de ce nom.

 
 

3 – COPI : L’EXEMPLE DU FAUX ARTISTE

ARTISTE 10 Copi

Copi


 

J’ai décidé de terminer cet article consacré au code de l’« Artiste raté » dans les œuvres homosexuelles par un focus spécial sur une vedette homosexuelle que je connais plutôt bien puisque j’avais amorcé une thèse sur elle : il s’agit du dessinateur, dramaturge, et romancier argentin Copi (1939-1987).

 

ARTISTE 9 livre blanc

 

Avec son air goguenard et son culot (corrosif pour son époque), il est parvenu à embobiner un peu son monde à propos de ses qualités artistiques… et il continue surtout de le faire post mortem, puisqu’on voit au sein du monde du théâtre contemporain actuel ses pièces exploitées jusqu’à épuisement complet des troupes dans les théâtres nationaux de France et de Navarre ! L’art de manipuler les autres et de faire croire à son talent fictif, est-ce aussi du talent, quand bien même cette vocation soit plus travaillée, plus tardive, plus artisanale, et plus volontariste, que véritablement innée ? Si certains veulent y croire dur comme fer et applaudir aveuglément à l’intention et au mérite, à la flagrance queer, moi je n’y crois pas du tout. Copi, à mon sens, est un « artiste raté ». Un artiste raté réussi, c’est vrai, mais un artiste raté quand même ! Un chanceux plus qu’un talentueux. Il y en a, des comme ça, qui passent par les mailles du tamis de la célébrité. Mais ne nous excitons pas sur leur compte : c’est par accident (et parce qu’ils font un moment recette) qu’ils jouent dans la cour des grands ; non par une manœuvre maîtrisée et la reconnaissance méritée d’un réel talent. Je le dis sans peur ni aigreur personnelle.

 

ARTISTE 11 Kang Jus de culture

B.D. « Kang » de Copi


 

Copi a cultivé toute sa vie le double jeu, la contrefaçon. Déjà, à l’âge de 10 ans, on le découvre plagiaire du poète Lorca alors qu’il se voit offrir une bicyclette pour son beau poème. Par la suite, artistiquement, sa vie de jeune artiste fils-à-papa commence très bas : il erre dans les rues de Paris, et vend ses collages sur le Pont des Arts ou à la Coupole. Il est le père de La Femme assise, bande dessinée publiée dans le Nouvel Observateur, et connaît une petite notoriété dans les années 1960 grâce à elle. Touche-à-tout du milieu artistique, il collabore avec le monde de la publicité (« Perrier c’est fou ! », c’est lui). Il devient l’auteur de quelques romans et de pièces de théâtre telles que La Tour de la Défense ou Eva Perón, passées à la postérité bien après sa mort, notamment grâce au metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo. Quand Copi meurt en 1987, pas une ligne ou presque n’est traduite dans son pays.

 

ARTISTE 21 Femme assise Mauvais roman

B.D. « Femme assise »


 

Aujourd’hui, on déroule le tapis à l’œuvre de Copi, parce qu’il est l’un des premiers artistes homosexuels connus à être frappés violemment par le Sida, et que son franc-parler est irrévérencieux et d’une violence incroyable… mais il semblerait que notre intelligentsia artistique actuelle ait la mémoire courte : si on ne regarde que le public – qui, contrairement à ce qu’essaient de nous faire croire les adulateurs snobinards de Copi – est le principal roi à servir par les comédiens, et le meilleur juge d’une œuvre artistique, si on sort des considérations purement intellectualisantes d’artistes se flattant entre eux, on voit très bien que peu de spectateurs ressortent rassasiés par l’œuvre de Copi. Soit ils quittent précipitamment la salle (rappelons le tollé qu’a suscité la représentation de La Tour de la Défense au théâtre Fontaine de Paris, en 1981 ; ou bien le merveilleux flop de la version italienne de Loretta Strong au Théâtre Gerolamo de Milan ; ou encore les vives réactions au sein de la rédaction de Libé et parmi les lecteurs quand Copi a commencé à déraper avec son personnage de B.D. transsexuel « Libérette »…), soit ils s’emmerdent, soit ils ressortent choqués… et pour ne pas passer pour des cons, ils disent qu’ils ont adoré (ceux qui détestent n’ont pas trop l’énergie de chercher à dire pourquoi). Et pour cause ! Copi se fout bien de son public : « Je ne regarde jamais le public, cela me ferait retomber sur terre. » dit-il dans l’article « Copi lit sa copie, c’est du joli » de Jean-Jacques Samary, au journal Libération du 5 novembre 1994) Sinon, il lui offrirait davantage de qualité et de contenu dans ses œuvres !

 

ARTISTE 20 Copi Rien

B.D. « Femme assise »


 

Alors que le vrai artiste est toujours un chercheur de Vérité, Copi, lui, envisage le chemin de la Vérité comme une prétention. Par exemple, il présente son roman La Cité des rats (1979) comme un banal manuscrit qui n’a pas été écrit pour être publié et qui est retrouvé par hasard. Selon l’auteur, c’est une manière « d’innocenter la personne qui raconte, en ce qui concerne ses prétentions littéraires. Parce que rien n’est plus ridicule que les prétentions littéraires chez un personnage de fiction. » Copi préfère se cantonner à la médiocrité, à produire un « théâtre du pauvre » (cf. article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » (1987) de Michel Cressole dans Libération)… comme ça, pas de risque de tomber de haut ! Dans la pièce Cachafaz (1993), par ailleurs, le héros essaie d’écrire un tango et soutient « qu’il sent venir l’inspiration », alors que Raulito lui rétorque qu’« il ne sait même pas écrire ». Dans les créations de Copi, les personnages jouent même les stars involontaires, ou les écrivains du dimanche : « Je lui ai fait remarquer très poliment que mon succès à la télévision est tout à fait accidentel. » (la voix narrative le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 54) ; « J’avais déjà raté plus d’un roman, j’insistai, et puis je n’avais aucune idée de nouvelle, c’est tout. » (la voix narrative dans la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé », Virginia Woolf a encore frappé (1983), p. 78) ; « Je publiai mon premier roman qu’il adora mais qui n’eut aucun succès. » (la voix narrative en parlant de son éditeur dans le roman Le Bal des folles (1977), p. 9) ; « Est-ce que le lecteur soupçonne que j’oublie ce que j’écris ? En tout cas bon débarras, un roman de plus, une avance de plus. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles, p. 155) Les narrateurs de Copi font un livre comme un enfant « a fini » son dessin pour enchaîner sur un autre gribouillis… mais pour eux, ce sera pour un autre cachet : « Qu’est-ce que tu écris vite, me dit-il [l’éditeur]. Un roman en une semaine ! En effet, ça fait juste une semaine que j’ai commencé. Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Je n’en sais rien, je vais me mettre à dessiner, j’écrirai peut-être une autre pièce. Avec les 5000 francs qu’il me donne je partirai me reposer une semaine à Rome, j’ai envie de me balader. » (la voix narrative du roman Le Bal des folles, p. 163)

 

ARTISTE 8 Kang fric

B.D. « Kang »


 

Copi semble davantage attiré par l’argent qu’il peut se faire sur le dos de son statut d’exilé politique argentin persécuté par la junte militaire de son pays d’origine (l’Argentine, c’est « in » = l’argent-« in ») ou de son originalité homosexuelle, que soucieux de produire de la qualité. Déjà, dans toutes ses œuvres, l’obsession pour l’argent saute à la figure : cf. les B.D. Kang (1984), la Femme assise, l’Acte 2 de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986). Et puis certaines répliques de personnages ne trompent pas : « Nous sommes inondés de chèques ! » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne, 1986) ; « Je n’ai plus l’âge de présenter des modes de plage ! Mon éditeur attend mon manuscrit depuis l’année dernière ! Je ne suis le mannequin que vous avez connu, je suis devenue écrivain ! Comment qu’est-ce que j’écris ? Mes mémoires ! Qu’est-ce que j’ai d’autre à écrire ? En plus, je vis de ça, des avances de mon éditeur ! » (« L. » à Hugh dans la pièce Le Frigo, 1983) Par exemple, dans le roman La Cité des rats, la figure de Copi-Traducteur ne rêve que de mettre « le chèque de son éditeur dans sa poche » (p. 156). Copi, en bon intrus complexé, n’est pas dupe sur son succès : il comprend inconsciemment qu’il est reconnu non pas tant pour son talent que pour son étrangeté sexuelle et étrangère, celle qui amuse teeeeellement la bourgeoisie parisienne, qui le rend si « typique » et « folklorique » : « Je vais te présenter en ville comme un jeune artiste qui débarque d’un pays exotique. » (« L. » au Rat dans la pièce Le Frigo) ; « Je suis un mauvais comédien, mais je suis fidèle à l’auteur. » (Copi affirmant qu’il ne voit pas quelqu’un d’autre que lui jouer dans sa pièce Le Frigo, cité sur l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » de Michel Cressole, 1987) Mais Copi, sûrement par arrivisme, et pour ne pas contredire ses quelques fans, s’est lui-même servi de l’excuse de la différence culturelle pour gravir les marches de la gloire et de l’argent sans trop d’effort (et beaucoup de drogue !) : « Je ne suis pas un romancier à la façon française ou tout autre ; je ne suis pas non plus un écrivain d’Apostrophe et, si j’ai participé à cette émission une fois, c’est parce que je suis latino-américain. » (Copi, La Quinzaine littéraire, 16 janvier 1988)

 

ARTISTE 24 Copi fric

B.D. « Kang »


 

Copi ne cache absolument pas son arrivisme et le fait qu’il se laisse téléguider par son époque. Son but est d’être l’ère du temps : « J’ai le Sida. J’attrape toutes les modes. » (Copi s’adressant à Facundo Bo, et cité dans l’essai Le Rose et le Noir, les Homosexuels en France depuis 1968 (1996) de Frédéric Martel, p. 479)

 

ARTISTE 12 Copi mode

B.D. « Kang »


 

Le but de Copi n’est pas de porter son œuvre, d’y exprimer un Essentiel universel. Il l’abandonne comme une malpropre, accouche sous X. « Lorsque j’écris un roman […], il s’écrit presque tout seul, après quoi je l’oublie, car je ne garde pas en mémoire mes romans. » (Copi dans l’article « Copi : ‘Je suis un auteur argentin même si j’écris en français.’ » de Raquel Linenberg, journal La Quinzaine littéraire du 16 janvier 1988) « Toute création étant hasardeuse » (le Dieu des Hommes, dans le roman La Cité des rats, 1979), la technique « artistique » de Copi repose essentiellement sur l’écriture automatique (les répétitions phoniques automatiques, les associations de mots par sonorité, les calembours faciles, les interjections, les cris, les injures, les rimes décontextualisées, les improvisations, les happening… même si le dramaturge dira qu’il vomit les happening et qu’il n’en fait jamais).

 

ARTISTE 14 Copi Ygrèque

B.D. « Kang » de Copi


 

Chez Copi, il n’y a pas à proprement parler d’Art (ars en latin signifie « savoir-faire ») mais plutôt un « ignorer-faire ». Ses sources d’inspiration sont gangrenées de culture télévisuelle de bas étage et de presse people : « Je commence mon deuxième projet de roman. Rien que des images de la télévision italienne me viennent à la tête. Je n’avance guère. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles, p. 145) L’Eva Perón de Copi est d’ailleurs comparée à « une Lady Macbeth de soap bon marché » (cf. l’article « L’Eva Perón de Copi au Chili » de Maia Bouteillet, dans le journal Libération du 26 janvier 2001). Dans ses romans, on a l’impression de lire du Guillaume-Dustan-racontant-ses-courses-au-Monop’ avant l’heure : « Je rentre chez moi en zig-zag […] j’ai sommeil, je me fais un viandox […] Je décide de me coucher […] Je rentre dans la chambre. » (la voix narrative du roman Le Bal des folles, p. 37) Copi écrivait d’un trait. Alfredo Arias, son confrère argentin, nous dit bien qu’« il n’aimait pas se corriger. » Et c’est quand on regarde vraiment son écriture, sans idées préconçues, que la lumière se fait. « Il faut bien écouter le texte. Il est d’une pauvreté sans pareille, émaillé de grossièretés arbitraires. Comme si cela ne suffisait pas, les interprètes émettent par instants des cris inarticulés, des grognements, éructations, hurlements ou barrissements tels que l’on se croirait au zoo… En fin de compte, tout cela ne veut strictement rien dire. » (Maurice Rapin parlant de la pièce Eva Perón dans le journal Le Figaro, le 7 mars 1970) C’est pour cela qu’il est si facile de jouer du Copi, que ses pièces sont la manne des troupes amateur actuelles et des jeunes compagnies théâtrales qui sortent des Cours Florent. En effet, les comédiens ne sont pas obligés de coller au texte pour interpréter les pièces de Copi : même les trous de mémoire, les changements de texte, les impros, peuvent passer pour des reconstitutions fidèles du langage inénarrable du « génie révolutionnaire » du dramaturge.

 

ARTISTE 16 Copi Livre blanc nul

« Livre blanc » de Copi


 

Ce que fait Copi, c’est de l’art inversé, ni plus ni moins. Par exemple, dans le roman La Cité des rats, il explique très clairement que ses célèbres rats sont les allégories anagrammiques d’un art corrompu, travesti (cf. l’écriteau « RATS = ARTS »). On retrouve le même écho dans le dialogue entre « L. » et son Rat dans la pièce Le Frigo (1983) : « Hé bien, c’est ça l’art, mais on ne prononce pas ‘rat’, on prononce ‘art’. » Copi a tout de l’artiste « RATé » (même son gratte-papier de La Cité des rats s’appelle « Gouri » ! Ça ne s’invente pas !)

 

ARTISTE 19 Copi Fadaise femme assise

B.D. « Femme assise » de Copi


 

J’irai même plus loin en disant que l’« art » de Copi a pour but de détruire l’art même : « C’est le théâtre que je tue ! » déclame sa femme de ménage Madame Lucienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986). Les pièces de Copi sont généralement servies par une remarquable économie de moyen. Son théâtre n’est guère différent de son œuvre picturale, où prédomine la simplicité du trait. Côté bande dessinée, objectivement, même les dessins de Copi ne sont pas bien dessinés. Il a un mauvais coup de crayon, pas de technique, une mauvaise couleur, ils racontent des histoires parfois incompréhensibles. « On a cru assez longtemps que Copi dessinait parce qu’il ne savait pas écrire. Cette idée saugrenue empêchait de voir que Copi qui, en effet, ne sait pas écrire, ne dessinait pas non plus. » (Michel Cournot, « Des Cris à Montevideo », dans Le Nouvel Observateur, 3 décembre 1973) Tout comme pour le théâtre, on est invité, avec Copi, à un Concert du Vide, que même les amis de « l’artiste » ont bien du mal à défendre : « La conversation s’engage. Une conversation pleine de trous. Parce que, quand l’interlocuteur a envoyé sa réplique, s’ensuivent deux ou trois dessins où ça ne cause pas. […] On voit bien que ça pense, là-dedans. Copi a des silences éloquents, dirai-je. […] Déconcertant, voilà. Copi est déconcertant. » (Cavana parlant de la B.D. La Femme assise, 1988) Copi, selon René de Ceccatty, aurait même le génie de faire exprès d’être mauvais… (Si c’est pas géant, ça !) « Il y a peut-être dans l’arbitraire des rimes et du rythme des vers un équivalent de l’abstraction du dessin. Copi, comme chacun sait, était un faux-mauvais dessinateur. Il imitait l’hésitation du trait des enfants. Mais des détails qui ne trompaient pas indiquaient la maîtrise de l’expression. De la même manière, dans Cachafaz (comme il l’avait fait en français dans les Escaliers du Sacré-Cœur), il imite les ritournelles de l’opérette et les duos d’amour de l’opéra, les tirades tragi-comiques et les apartés mélodramatiques. Mais ce n’est pas pour autant une farce. Car à travers les excès de la situation théâtrale et sous le flots de sang, Copi avait en tête, aussi, un certain tableau social. » (Copi, Cachafaz (1993), p. 7) Quand on ne sait pas comment défendre un auteur, on lui invente des intentions militantes, on politise son œuvre, et le tour est joué !

 

ARTISTE 17 Copi Monde fantastique Goncourt

B.D. « Le Monde fantastique des gays »


 

La nudité (dans tous les sens du terme : rares sont les fois où on ne voit pas un comédien entièrement à poil dans les pièces copiennes) et la nullité de l’œuvre de Copi ont tout pour ravir les troupes de comédiens bobos, les artistes de seconde catégorie qui veulent « s’éclater » ensemble, se donner une image à la fois branchouille, incorrecte, révolutionnaire, MAIS professionnelle quand même. Avec Copi, c’est les copains d’abord. Comme l’explique Myriam Mezières, une de ses anciennes partenaires de scène, son théâtre permet de « militer tout en s’amusant » : « Jouer avec Copi c’était militer pour le pur plaisir. Ça tenait des jeux d’enfants. » (cf. la biographie Copi (1990) de Jorge Damonte, p. 71) Quand les défenseurs de Copi (= ses amis intimes) ne tarissent pas d’éloges pour son œuvre et son humour, on se demande toujours s’ils ne confondent pas les pièces et les romans qu’ils ont vus de lui avec les souvenirs de bringue vécus dans la sphère du privé : « Je me souviens de tant de verres bus ensemble, de tant de rencontres ratées dans mon bureau, du jeu compliqué passionnel et familial de nos rôles d’éditeur et d’écrivain. » (Christian Bourgois, dans la biographie Copi (1990) de Jorge Damonte, p. 6) La critique la plus lucide que j’ai lue sur le théâtre de Copi (et croyez-moi, ils sont rares, les articles qui n’encensent pas Copi, dans la presse d’aujourd’hui !), c’est celle du journaliste Gilles Sandier, qui ne se laisse pas du tout impressionner par l’épate-bourgeois qu’est l’œuvre du dramaturge argentin : « On dira que Grand-Guignol et folinguerie sont les masques de la pudeur de Copi. Soit. L’ensemble cependant, drame compris, constitue une amusette assez anodine, même si elle peut scandaliser encore quelques boétiens attardés. Cette amusette, drôle au début, ensuite s’éternise et s’appesantit. Elle ressortit au genre du théâtre pour copains, celui qu’on fait entre soi, dans le grenier, les soirs de nouvel an précisément. Mais on éprouve quelque gêne aussi à voir les homosexuels, au théâtre comme à la ville, non seulement se complaire à leur propre dérision (que les bien-pensants charitables diront « émouvante » ou tragique) mais surtout se conformer à l’image que les autres se font d’eux : des monstres assez dérisoires. Ces minauderies sophistiquées, ces hanches tortillées, ces piaillements appliqués, assortis de la drogue, de l’hystérie et de l’infanticide – avec tout l’humour noir qu’on voudra, celui qu’on reconnaît volontiers à Copi – n’amusent que deux sortes de gens : les copains et les poujadistes. Cela fait, il est vrai, de nombreux Français. » (cf. Gilles Sandier, « La Tour de la Défense de Copi : La Cage aux folles version rive gauche », dans Le Matin de Paris, le 26 novembre 1981)

 

ARTISTE 18 Copi Monde Fant Nègre

B.D. « Le Monde fantastique des gays »


 

S’il était encore vivant, Copi verrait certainement d’un très mauvais œil que je puisse porter un jugement de valeur sur son œuvre, et que je le présente comme un imposteur artistique, puisque pour lui, l’« Art » est incritiquable, et l’artiste est un demi-dieu (… camé et fumeur de marijuana) : « Je déteste l’introspection. Pourquoi jeter en pâture ce qui est au tréfonds de nous ? Cela tient généralement de la poubelle. La forme dramatique se suffit à elle-même. » (Copi par rapport à sa pièce Le Frigo, dans l’article « Au Festival d’Automne : Copi sur le ring », journal Le Figaro, le 8 octobre 1983) Il montre patte blanche et se désolidarise de toute forme d’intentions, comme si ses œuvres s’étaient créées toutes seules, sans lui : « Le théâtre est encore l’un des derniers arts où on réussit à faire scandale. Si je le recherche ? Non. Je n’ai ni perversité ni volonté de me venger de qui que ce soit. Je ne m’inspire de rien. Le Frigo est un spectacle avant tout visuel. […] Mon spectacle ne propose aucun symbole érotique. » (idem) Mais désolé, à moi, en tout cas, on ne la fait pas ! Toute création artistique a un sens (et plusieurs lectures pour tendre à ce sens, aussi imparfaites et innombrables soient-elles !) ; et si ses auteurs ne veulent pas qu’il y en ait un, c’est qu’elle en a un d’autant plus violent !

 

ARTISTE 23 Copi Cannes

B.D. « Kang » de Copi


 
 

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Code n°15 – Attraction pour la « foi » (sous-codes : Bouddhisme / Faux croyants / Religiosité de bazar / Églises « protestantes »)

attraction foi

Attraction pour la « foi »

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Le Pharisianisme rainbow

 

« On ne croit plus en Dieu mais on fait comme si. » (Philippe Muray, Festivus festivus, 2005)

 

Foi, ça vient de « fides » en latin, qui signifie « fidélité ». À partir de là, comment peut-on croire la majorité des personnes homosexuelles quand elles soutiennent mordicus qu’elles ont la foi (voire encore plus que les cathos pratiquants) alors même que tous les sondages et les discussions interpersonnelles prouvent qu’elles ne croient pas en la fidélité, en l’amour unique et éternel d’une vie, et encore moins en l’Église-Institution catholique ? (cf. Une étude BienEtreGay et le club TBM, réalisée auprès d’un panel de 1500 hommes gays en France – dont 16,4% interviewés sont en couple – en 2011, montre que 75% des gays ne croient pas au couple et à la fidélité) Bien entendu, seul Dieu sonde les cœurs et appelle chacun là où il est. Mais cela requiert un minimum de liberté, de choix et de cohérence. Dieu ne s’imposera jamais à nous.

 

Quand l’être humain cherche à aimer Dieu sans les hommes qui vont avec, ou bien les Hommes sans Dieu qui va avec, parce qu’il ne croit pas en l’hallucinante incarnation de Dieu en Jésus, il se coupe ET de Dieu ET des Hommes, pour devenir un pharisien, un croyant révolté ou planant. Les membres de la communauté homosexuelle, de par leur rejet quasi généralisé de l’Église-Institution catholique (= l’Incarnation et le prolongement même de Jésus), et de par leur déni du Réel et des Hommes (la plupart d’entre eux n’accueillent pas, une fois qu’ils se mettent en couple homo ou en recherche de couple, le roc principal du Réel qu’est la différence des sexes), deviennent alors, quand ils rentrent sincèrement dans une pratique religieuse occasionnelle, des parodies de croyants, ayant une foi superstitieuse et sensibleriste qui part dans tous les sens (cela peut aller de l’extase panthéiste dénuée de sens, au relativisme spirituel mettant toutes les religions sur le même plan, à l’animisme, à la sorcellerie, à l’occultisme, à l’idolâtrie pour l’art, à la voyance, à l’adhésion à une secte, à la création d’une Gay Church, au louvoiement avec les protestantismes modérés, à une religiosité matinée de psychologie, à l’art de vivre New Age ou bio, à la « bobo spiritualité » sans Dieu ni maître, en passant par la confusion entre art et foi ou entre sexe et foi, etc.), foi qui se retourne généralement violemment contre Dieu et contre les vrais croyants – jugés « hypocrites » et « prétentieux » – au moment où on s’y attend le moins. Les ennemis de l’Église sont bien à l’extérieur (le vers n’est pas dans le Fruit), mais le plus souvent, jouent à (se) faire croire qu’ils sont à l’intérieur (cf. je vous renvoie aux codes « Blasphème » et « Curé gay » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) et qu’ils sont même plus authentiques que les « pratiquants officiels ».

 

Comme la majorité des personnes homosexuelles, par peur de renoncer à certains actes et plaisirs de la chair auxquels leur désir homosexuel les appelle, n’obéissent pas concrètement à Dieu et à son Église, elles s’inventent des dérivatifs, des rituels vaguement religieux, des associations d’obédience chrétienne ou spirituelles (club de massage, groupes de parole, club de rencontres où l’on « prie Jésus », etc.) ou des couples dans lequel le nom de Dieu est invoqué, mais de manière suffisamment « light » pour que les modes de vie homosexuelle et les amours ne soient pas remis en cause.

 

Or, pour être un croyant authentique, l’important n’est pas de s’époumoner en criant vers Dieu, des larmes plein les yeux, « Seigneur ! Seigneur ! Je crois en Toi ! Je t’aime et je prie ! » sans bouger de son siège, mais d’aller concrètement vers Lui, de suivre Ses commandements, et de L’aimer non seulement Lui mais aussi à travers toute son humanité institutionnelle, communautaire, exigeante, fragile, défaillante, hypocrite parfois, infidèle parfois, incarnée, apostolique, catholique et romaine, bref, ecclésiale. Dieu ne se trouve pas que dans les étoiles ! Celui qui dit qu’il aime Dieu, qu’il est croyant, et qu’il aime les Hommes sans être pratiquant et sans aimer l’Église-Institution (y compris le Pape, les prêtres, et les fidèles catholiques), celui-là, j’ai maintes fois l’occasion de le constater, est un rêveur misanthrope, un menteur, un hypocrite, un faux humaniste, et un faux croyant. On n’est véritablement croyant que si on est pratiquant, et qu’on a choisi sa préférence confessionnelle. Non, je regrette, toutes les religions ne se valent pas. Ce n’est pas parce que beaucoup d’entre elles sont des reflets bénéfiques du Soleil que toutes Le laissent passer pareil/au mieux, et que le Soleil cesse d’être Un à travers l’une d’entre elles en particulier. Le problème est que beaucoup de relativistes religieux (prophètes de leur idée d’« œcuménisme » et du « dialogue inter-religieux ») diabolisent la préférence, en la présentant comme un fondamentalisme qu’elle n’est pas (tendre et croire en LA Vérité unique n’est certainement pas prétendre La détenir ; et choisir une religion en particulier, parce qu’on la juge meilleure, n’est pas exclure ni mépriser toutes les autres), parce qu’en réalité ce sont eux les fondamentalistes – de la neutralité, du non-choix – et qu’au fond ils souhaitent justifier leur propre dispersion et leurs fantasmes inavoués de possession de la Vérité.

 

La clé, pour une personne homosexuelle, pour s’accepter telle qu’elle est vraiment, en prenant en compte son désir homosexuel tout en restant fidèle à Dieu et à l’Église, c’est la continence. L’Église catholique la demande. Toutes les personnes homosexuelles que je connais qui ne la vivent pas, et qui restent dans l’illusion d’un parfait compromis, d’une solution intermédiaire (= « Je peux mettre Dieu au centre de mon couple, sans que ça n’altère ni mon amour pour mon conjoint, ni mon amour pour Dieu et son Église »), finissent par mettre l’Église-Institution à la trappe ou en veilleuse, par ne plus rayonner pleinement, et par être déchirées intérieurement. Personnellement, j’ai essayé, à une période de ma vie, de vivre ce « moyen terme » entre vie de couple homosexuel et vie de foi. Et je me suis rendu compte que, autant la reconnaissance de son désir homosexuel me paraît totalement compatible avec le don entier de sa personne à Dieu et au catholicisme, autant le désir homosexuel actualisé sous forme de couple ou de désir de couple n’est pas compatible avec l’accueil plein de l’Amour de Jésus. On ne peut pas servir deux maîtres. À un moment donné, il faut choisir, et mettre l’Église catholique et Jésus en premier !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Blasphème », « Se prendre pour Dieu », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Curé gay », « Magicien », « Planeur », « Voyante extralucide », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Artiste raté », à la partie « Sorcières » du code « Carmen », et à la partie « Bourgeoise-prostituée rentrant dans une église » du code « Bourgeoise », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Foi et homosexualité ont l’air de faire bon ménage :

Film "Avril" de Gérald Hustache Mathieu

Film « Avril » de Gérald Hustache Mathieu

 

Beaucoup de fictions traitant d’homosexualité abordent directement la question de la religion. En effet, un certain nombre de héros homosexuels montrent un attrait pour la « chose religieuse » : cf. le film « A Very Natural Thing » (1974) de Christopher Larkin (avec l’ex-séminariste homosexuel), l’opéra Litanies à la Vierge noire (1936) de Francis Poulenc, la B.D. Journal (1) (1997) de Fabrice Neaud, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le roman Moïra (1950) de Julien Green, le roman A Visitation Of Spirits (1989) de Randall Kenan, le film « Nos Vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot (avec le héros homosexuel qui part aux JMJ et qui s’engage au Secours Catholique), le film « Bloody Mallory » (2002) de Julien Magnat, les chansons « Post Vacant » et « Ave Maria » de David Jean, la chanson « Prière païenne » de Céline Dion, le film « Nazarín » (1959) de Luis Buñuel, le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche (avec le personnage d’Étienne), le film « Maurice » (1987) de James Ivory (avec le personnage homosexuel de Maurice, déchiré entre sa foi et son homosexualité), le film « Sacré Cœur ! » (2008) de Baptiste Lamy, le film « Innocenti » (2008) de Jean-Baptiste Erreca, le film « Alleluia » (2008) de Stéphane Marti, le film « Molinier Is My Revolution » (2008) de Tom de Pékin, le film « Miracle de la chute » (2008) de Denis Guéguin, le film « Makwan, une lettre du paradis » (2008) de Roberto Malini et Dario Picciau, le film « Dev’nir prêtre » (2008) de Mino D.C., le film « Nue jamais » (2008) d’Awatef Fettar, le film « Marie » (2007) de Pascal Lièvre, le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine (avec le couple Fabrice/Bruno qui se rencontre pour la première fois dans une église), le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa (avec Steven qui fait du chant gospel), la pièce Cachafaz (1993) de Copi (avec Raulito en « homme-bonne-sœur »), le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le film « 7e ciel » (2013) de Guillaume Foirest, le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls (avec le héros nu sous la douche, et qui porte une croix du Christ), le one-man-show Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (où Bénureau chante le Christ-Roi), le vidéo-clip de la chanson « Perfect World » de Gossip, le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon (avec Paul, le héros homo, faisant preuve de piété dans une église), le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco (avec Jézabel, l’héroïne bisexuelle born again), la série Chappelle’s Show (2003) de Neal Brennan, le vidéo-clip de la chanson « Take Me To Church » d’Hozier, la chanson « Prière » de Mylène Farmer, le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion (avec le chœur de pédales chantant « Alléluia »), etc.

 

"Priscilla, folle du désert" de Stephan Elliott

« Priscilla, folle du désert » de Stephan Elliott

 

Par exemple, dans le film « Mon arbre » (2011) de Bérénice André, Marie, la « fille » de deux couples homosexuels, vit une dévotion mystique précoce pour la Vierge : elle voit des apparitions mariales dans sa chambre (d’ailleurs, sainte Marie a parfois des réactions de mère-fouettarde autoritaire), va à Lourdes, demande le baptême. Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Marie-Muriel est la caricature vivante de la grenouille de bénitier bourgeoise, coincée et sotte : elle chante « Jésus revient. » Et Max, le campeur homosexuel, a des visions mystiques : il voit la Vierge en Marie-Pierre, aperçoit Moïse et saint Pierre. Le roman Jours de mûres et de papillons (2014) de Marie Evkine, la narratrice lesbienne se retire dans un monastère. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M prie le chapelet musulman. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, a pour amant Palomino Cañedo, un instructeur en étude comparative des religions. Ce dernier va lui proposer de le sodomiser, de mettre en place « une cérémonie d’initiation ». Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, fait résonner l’Alleluia de Haendel au moment de son coming out. Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018, Arthur, le héros homosexuel, chante du gospel en faisant la tournée des églises. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric, le héros homo, chante à la chorale de son église protestante américaine. Il possède un cadre de Jésus au-dessus de son lit, que Lily, une de ses meilleures amies, trouve « sexy ». Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Xavier, héros homosexuel très efféminé, porte en pendentif une croix du Christ.

 

Les grenouilles de bénitier frustrées et superstitieuses ne manquent pas dans la fantasmagorie homosexuelle : cf. le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, le film « Nazarín » (1959) de Luis Buñuel, le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache, le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1987) de Pedro Almodóvar (avec le personnage très dévot de Tina), le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar, la chanson « I Have A Dream » du groupe ABBA (« I believe in angels… »), etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Perfect World" de Gossip

Vidéo-clip de la chanson « Perfect World » de Gossip

 

Le héros homosexuel formule plus souvent qu’on ne pourrait le penser sa profession de foi à Dieu : « Je crois en toi, Dieu ! et je sais que tu crois en moi ! » (Claude dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « Libérée de ce passé, elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] s’aperçoit qu’elle croit encore aux miracles : retour de vigueur, espoir insensé. Elle croit à la naissance d’autres mots, d’autres émois. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 124) ; « There was a time that I pray to Jesus Christ. » (cf. la chanson « Mother & Father » de Madonna) ; « À l’époque, j’étais puceau et mystique. Je récitais des chapelets, à genou en prière. » (Guillaume, le héros homosexuel, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « J’ai très bien connu Michael… bibliquement. » (Guillaume parlant de son amour de jeunesse à 15 ans, idem) ; etc.

 

Dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, Rudolf Noureev, le danseur et chorégraphe homosexuel, en visitant la Sainte Chapelle de Paris, déclare : « J’aimerais vivre ici. » Son ami Pierre lui dit que c’est impossible : « Rudi, ce n’est pas si simple de vivre dans une église… » Mais Noureev insiste : « Je suis sérieux. ».
 

Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, le père Raymond, pourtant catholique, est en faveur de l’ordination des femmes. Et son « couple homo » (Bryan et Tom) de paroissiens cherche à le faire fléchir pour qu’il les marie… ce qu’il finira par faire : « C’est l’Amour de Dieu qui est là entre deux êtres qui s’aiment. ». Les héros homosexuels de cette pièce essaient de faire « évoluer » l’Église et d’avoir le beurre et l’argent du beurre : « Il s’agit d’une transition nécessaire. » ; « J’aime l’Église et je suis amoureux de Bryan. » (Tom) ; « On ne peut pas rajouter quelque chose à l’obéissance ? » (Tom ne parlant pas d’annuler l’obéissance à l’Église) ; etc. Ils sont même présentés/se présentent comme des croyants plus authentiques que les croyants traditionnels : « Bryan est le meilleur catholique que j’aie jamais rencontré ! » (Irène, la sœur gay friendly de Bryan, s’adressant au père Raymond) ; « J’avais tout organisé : l’avenir de l’Église. » (Bryan se prenant pour le pape) ; « Comme vous savez, on est tous les deux très croyants. On va à la messe tous les dimanches. On est des catholiques à la carte… » ; etc. Ils voient le coït homosexuel comme une célébration tout aussi catholique que les sacrements : « Pour Bryan, faire l’amour, c’est le huitième sacrement. » (Tom parlant de son amant « catho » avec qui il couche) ; « Je pense que faire l’amour c’est le huitième sacrement. » (Tom s’adressant au père Raymond) ; etc. À la fin, quand Tom met sa foi au second plan par rapport à l’acte homo, il fait son mea culpa auprès de Bryan : « Tu me pardonnes d’avoir cru en l’Église plus qu’en toi ? »
 
 

b) La religiosité de bazar : adolescente, superstitieuse, sectaire

Film "Entre Tinieblas" de Pedro Almodovar

Film « Entre Tinieblas » de Pedro Almodovar


 

Mais cette attraction vers la foi, observable chez beaucoup de personnages homosexuels, semble très passionnelle, excessive et éphémère. « Il était très vrai que les invertis étaient souvent religieux, mais aller à l’église était chez eux une forme de faiblesse ; ils devaient se faire, d’eux-mêmes, une religion s’ils en ressentaient un véritable besoin. Quant aux bénédictions, elles ne profitaient sans doute qu’aux églises et, pour le reste, n’étaient qu’affaire de superstition. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 532) ; « L’horoscope, ça ne peut être que moi. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Moi, j’y crois, aux signes ! » (Carole, l’héroïne lesbienne supersticieuse, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; etc. Ils se donnent l’illusion qu’ils suivent à la lettre les commandements de la Loi évangélique, mais il leur manque l’Esprit de gratuité, un peu à l’image du jeune homme riche de la Bible qui obéit scolairement aux commandements de Jésus sans Lui donner entièrement sa personne. Par exemple, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, Fabien adopte une vision superstitieuse et clientéliste de l’Église catholique : il la prend pour une « grande magicienne » (p. 132) : « Sa vie était pure, mais d’une pureté aride et revêche, excluant toute charité […] » (p. 139) Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, se dit pathologiquement superstitieux : « Je suis superstitieux. Dorénavant, il va falloir que je passe sous ce putain d’échaffaudage pour sortir de chez moi ! » ; « C’est pathologique chez moi. C’est ma mère qui m’a refilé cette superstition, avec son théâtre ! » Il croit aux horoscopes. Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Marcy, l’héroïne lesbienne, fait une lecture très personnelle et intéressée de la Bible en reprenant à son compte les Dix Commandements pour leur faire dire n’importe quoi ; et dès qu’elle a un souci, elle considère la Bible comme son prozac : « Vite ! Ma Bible ! » Dans son roman La Cité des Rats (1979), Copi propose une version totalement revisitée de la Genèse (p. 88). Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon présente son stand-up comme un « mestacle », c’est-à-dire un mélange entre « messe » et « spectacle ». Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Mona, femme lesbienne mariée, va voir une rebouteuse pour avoir un enfant.

 

Bien souvent, le héros homosexuel a un rapport de consommateur possessif, d’esthète, par rapport à Dieu : « J’attends Dieu avec gourmandise. » (la voix narrative du poème « Une Saison en enfer » (1873) d’Arthur Rimbaud) ; « Laurent est plus fidèle à son coiffeur qu’à la messe. » (cf. le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; etc. S’il n’est pas rassasié tout de suite par Celui qu’il appelle son « énergie vitale », il panique. Il change très vite de crémerie dès qu’il n’obtient pas les miracles visibles instantanés qu’il a réclamés. Il se raccroche fiévreusement à des signes spectaculaires qu’il trouve dans les sciences occultes, les superstitions populaires, la magie noire, la sorcellerie, l’astrologie : « Je suis superstitieux ? Superficiel ?? Je sais. » (le héros homosexuel métamorphosé en vitre, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Je suis très superstitieux. » (Frankie, le héros homosexuel du film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson) ; etc.

 
 

Khalid – « Tu me connais, Omar, je suis un peu superstitieux, un peu bizarre.

Omar – Pas plus que moi.

Khalid – Non, non, je le suis beaucoup plus que toi. »

(Khalid et Omar, les deux amants du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 131)

 
 

Par exemple, dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Angelo, l’un des héros homos (latents), est superstitieux et a peur de la série Paranormal Activity. Dans le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, Mona, l’une des héroïnes lesbiennes, pratique le spiritisme. Dans son one-man-show Elle est pas belle, ma vie ? (2012), Samuel Laroque exhibe une religiosité syncrétique qui part un peu dans tous les sens… ou plutôt dans le sens de la consommation, de la religion télévisuelle profane, de la superstition (« J’suis tellement dans la merde que du coup, j’suis allé voir une voyante, madame Moufassa. »). Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar adore un marabout qui pratique « la magie originelle » (p. 40). Dans la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks, l’astrologue d’Elisabeth est une grande tapette. Dans le film pornographique « New York City Infierno » (1978) de Jacques Scandelari, un devin/marchand d’encens invite Paul à coucher avec lui : « Vous aimeriez savoir quelque chose sur votre avenir ? » Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Nono s’est fait tirer les cartes au lycée ; et Vivi pratique les sciences occultes et va voir un marabout « pour se rassurer ». Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Marie-Ange, l’héroïne gay friendly, mêle prière et psychologie de bas étage. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, les personnages sont des gardiens, des messagers mystérieux, des esprits : le gardien, la directrice, etc.

 

Beaucoup d’auteurs homosexuels jouent avec les codes de la superstition populaire (les sorcières, la voyante, les chats noirs, les échelles, les miroirs cassés, la numérologie, etc.) : cf. la pièce La Tour de la Défense (1981) de Copi (la scène se passe au 13e étage). Les lieux religieux où se déroulent des apparitions et des miracles non-encore reconnus font les délices de certains artistes homosexuels athées mais en quête de spirituel : cf. la chanson « San Damiano » de Jann Halexander.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, le héros et maître de cérémonie, Michael, incarne le catho homo déchiré, qui culpabilise tous ses amis homos (parce qu’il les imite amoureusement et sexuellement sans se l’avouer à lui-même), qui « pratique religieusement » comme on va se soulager la conscience de continuer à mal agir parallèlement à la messe dominicale. Il a un discours assez ambigu vis à vis de Dieu : « J’ai trouvé Dieu. » dit-il à l’un de ses amis homos, Donald, qui lui répond : « Ou alors Dieu est mort ? », ce à quoi Michael lui rétorque « Oui, Dieu merci ! ». Harold, son colocataire, lui fait remarquer son incohérence : « Tu ne sais pas dans quel camp tu es. Si on dit un truc religieux, tu critiques. Si on nie Dieu, tu critiques. Tu sembles avoir des problèmes dans ce domaine. Tu ne peux vivre ni avec, ni sans. Tu t’accroches à cette compagnie d’assurances qu’est l’Église. » Michael lui répond : « Oui, je crois en Dieu. S’il n’existe pas, je n’ai rien perdu. S’il existe, je suis couvert. Je suis catho qui pèche la nuit et va à l’église le lendemain. […] Tu es un homme triste et pathétique. Tu es homosexuel et tu ne veux pas l’être. Mais tu ne peux rien y faire. Toutes les prières du monde, toutes les analyses n’y changeront rien. Tu sauras peut-être un jour ce qu’est une vie d’hétérosexuel, si tu le veux vraiment, si tu y mets la même volonté que celle de détruire. Mais tu resteras toujours un homo. Toujours Michael. Toujours. Jusqu’à ta mort. » Michael finit par nous offrir dans les dernières minutes du film une belle crise pédaloïde d’hystérie larmoyante, crise pédaloïde pseudo « catho » (je dis « pseudo catho », car dans les faits, la foi catholique vraiment vécue ne fait absolument pas déprimer par rapport à l’homosexualité : plutôt le contraire !) : « Donald !!! Donald !!! Qu’est-ce que j’ai fait ?? Qu’est-ce que j’ai fait ? Ça commence. L’angoisse. Je la sens. [Les yeux au Ciel] Seigneur, je n’y arriverai pas !! Je vais mourir. Je me sens si mal. » (Michael, icône de la culpabilité catho) Il termine sa soirée d’anniversaire par une messe de Minuit, pour prendre sa dose d’« opium du Peuple » : « Ça chassera peut-être mon angoisse… » Il n’a rien compris de l’Église puisqu’il s’en sert comme une solution-sparadrap sans lui obéir pleinement.

 

Michael et Donald à la fin du film "Les Garçons de la bande" de William Friedkin

Michael et Donald à la fin du film « Les Garçons de la bande » de William Friedkin


 

L’obsession spirituelle pour Dieu entraîne parfois le héros homosexuel à rentrer dans une secte, ou à être en contact avec des gens embrigadés dans des sectes. Les liens fictionnels entre homosexualité et sectes ne manquent pas : cf. la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner (avec les Mormons), le film « Family Fundamentals » (2002) d’Arthur Dong, le film « Prayers For Bobby » (« Bobby : seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy, le film « Hate Crime » (2005) de Tommy Stovall (avec le chrétien extrémiste), le roman My Guru And Myself (1980) de Christopher Isherwood, le film « Kaboom » (2011) de Gregg Araki, le roman Le Contenu du silence (2012) de Lucía Etxebarría, l’épisode « Le Baptême des morts » de la série Astrid et Raphaëlle (épisode 5, saison 5, 2024, avec le personnage lesbien d’Élisabeth, ex-mo, c’est-à-dire ex-mormone), etc. « Il [Le prince Koulotô] était le chef spirituel de deux cents millions d’âmes extrêmement pieuses qui lui faisaient cadeau tous les vendredis de son poids en diamants et d’un oiseau en papier, l’emblème de sa dynastie. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, p. 93) ; « C’est vrai que ce phénomène [culpabilité par rapport à l’homosexualité] touche beaucoup de Mormons. » (Michael, le héros homo du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « La culpabilité. En général, ça nous prend le dimanche. » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne du one-woman-show Chaton violents, 2015) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, l’assistante appartient à la secte Moon. Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, Smith, le héros homosexuel, est pris pour le Messie, l’Élu, et son père, le Suprême, est à la tête d’une secte hippie underground Le Nouvel Ordre. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim, l’un des jeunes héros homosexuels, est très catholique pratiquant ; mais il commence à « sécher » la messe dominicale dès qu’il va nager avec Doyler et tomber homosexuellement amoureux de lui. Le couple homosexuel plus âgé qu’eux, Anthony et Scrotes, essaie de les initier à la vénération d’une religion de substitution, la Phalange sacrée de Thèbes, mythe qu’Anthony raconte à Jim.

 
 

c) La tentation narcissico-pacifico-artistico-égocentrico amoureuse du bouddhisme (« Cause à un arbre ») :

L’attachement du héros homosexuel à une foi consumériste et narcissique anti-catholique prend souvent le visage de l’innocence, du flou artistique world, et de l’envolée lyrique vers le « Cosmos » et les pauvres-du-bout-du-monde : « J’ai prié, même si je ne crois plus en Dieu, mais plutôt à une sorte de grand tout englobant toutes les religions, la sagesse des anciens, le mystère de la vie, la beauté de la nature, la pureté de l’enfant qui naît. » (Cécile, une des héroïnes lesbiennes du roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 136) Par exemple, quand les personnages de Copi prient, ils invoquent le « Dieu du Monde » (Martin dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi).

 

Il est fréquent que le héros homosexuel choisisse l’art ou la Nature comme religions de substitution, comme voies de transcendance où ses émotions égocentriques vont pouvoir « s’éveiller » : « Écrire : c’est un sacerdoce, une entrée en religion. » (le narrateur homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 106) ; « Ma musique est une religion. » (la figure de Wagner dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; etc.

 

Pas étonnant que le personnage homosexuel trouve dans l’individualisme « universaliste », « humaniste » et coloré du bouddhisme – la « Religion de l’Ego » par excellence, la spiritualité de l’extinction du désir, de la liberté, de la notion de vie éternelle et unique – un nouveau moyen de se vouer un culte à lui-même sous prétexte de s’ouvrir aux autres. Le bouddhisme zen est pratiqué par de nombreux héros homosexuels : cf. la pièce L’Anniversaire (2007) de Jules Vallauri, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec le personnage homosexuel de Sébastien), le film « Pas de repos pour les braves » (2003) d’Alain Giraudie (avec le personnage de Basile Matin), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec les héros homosexuels fumant le calumet de la paix, dans une ambiance très New Age), la chanson « Heures hindoues » d’Étienne Daho, la chanson « Zen » de Zazie, la pièce Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne (avec Maître Dong, le père spirituel de France, l’héroïne lesbienne), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, le film « Bouddhi Bouddha » (2012) de Sophie Gallibert, le film « Bouddhi Bouddha » (2012) de Sophie Galibert (avec la séance de méditation bouddhiste qui dérape en sexe lesbien), le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, etc. « Le bouddhisme, c’est mon dada. » (Olivier, un des héros homosexuels de la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.

 

Par exemple, le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest présente la réincarnation comme une « réalité » (p. 303) ; et toute l’intrigue repose sur les « réincarnations passées » du peintre Jioseppe Campi. Dans le film « Une Petite zone de turbulence » (2009) d’Alfred Lot, Jean-Pierre pratique le « détachement bouddhiste ». Dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari), il y a énormément de sculptures bouddhistes dans la chambre de Mnesya : l’héroïne lesbienne fait ses exercices de méditation bouddhiste. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, la théorie du ying et du yang sert à justifier la supposée attraction homosexuelle entre les deux amis Schmidt et Jenko. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, Orphée est le nouveau Christ des Cités, un peu Jésus, un peu Bouddha (car il parle de « briser le cercle des réincarnations »)… Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Sonia, l’héroïne lesbienne, pratique le taï-chi sur la plage. Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine, le héros homo, dans son boulot de publiciste, est chargé de faire un dossier sur le bouddhisme khmer. Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Paul, l’amant de George, suit des cours de yoga. Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le père du héros homosexuel pratique le bouddhisme. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel allait proposer d’écrire Le Yoga pour les nuls avant de se lancer finalement dans la rédaction des Gays pour les nuls.

 

La louange du bouddhisme par bon nombre de personnages homosexuels rentre dans ce totalitarisme du neutralisme, de l’abandon du désir et de la liberté, de la mégalomanie pseudo minimaliste et pauvre, de l’indifférence à la souffrance des autres et à sa propre souffrance, du relativisme, dont ils se font les orgueilleux porte-parole : « Le bouddhisme, c’est précisément la neutralité. » (Japhy Ryder dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, p. 75) La glorification du vide, du néant, et des bonnes intentions du libéralisme économique le plus matérialiste et individualiste, en somme.

 

Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi, le héros bisexuel, porte un sweat du Che Guevara, se dit attiré par le bouddhisme et les philosophies orientales. Quant à son ami Damien, il prend des cours de taï-chi… mais il évite de s’entraîner à l’hôpital où il travaille comme infirmier, car ça a rouvert une plaie d’un de ses jeunes patients.
 

Le héros homosexuel ne croit pas, mais « fait comme si ». Parce que ça fait esthétique. « Je ne me définis pas vraiment comme athée. Je dirais que je suis un musulman laïc. Je me sens complètement intégré à la République française, laïque, tout ça pour ça. Mais la religion, c’est un truc trop profondément ancré dans l’histoire de notre civilisation. C’est plus culturel que religieux, en fait. Je pense que je ne crois plus du tout en Dieu, pour tout te dire. En même temps, j’ai gardé comme une nostalgie de ça. Les rites. Les fêtes. La rupture du jeûne, par exemple, quand on fait le ramadan en famille. C’est un mouvement tellement convivial. Ça me manque vraiment. » (Mourad, l’un des personnages homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 354-355) ; « Là-dessus, le bon sens et la religion sont tombés d’accord. Et parfois, elle [Ronit, la protagoniste lesbienne] sacrifie au rituel. Quand ça lui chante. Elle prépare des soupers du shabbat, chez elle, allume des bougies dans les immenses chandeliers en argent, fait rôtir un poulet. Il lui arrive même de prier. Bien qu’elle appelle ça ‘discuter avec Dieu’ et qu’il ne soit pas évident que ce soit une leçon d’humilité pour son âme. Elle part en vacances dans le sud des États-Unis et s’émerveille de la quantité de ciel qui s’offre à elle, chaque fois qu’elle décide de lever la tête. Elle a cette pensée : que l’on regarde en haut, en bas, le ciel est là, partout où nous allons. Nous pouvons choisir de le regarder ou non, mais quoi que nous fassions, il sera toujours présent, un objet de beauté et de lumière. Elle en éprouve un étrange réconfort. » (Ronit, l’une des deux héroïnes lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 303)

 

Il n’a pas compris que la foi n’était pas un joli refuge contre la souffrance et la peur humaine de la mort, mais un chemin de Vie : celui de la Croix. Il pense qu’il lui suffit de pénétrer dans un lieu saint (hors des temps d’office, de préférence), de susurrer une petite prière improvisée du bout des lèvres, d’apprécier la beauté de la liturgie catholique, de donner une pièce au mendiant du coin de la rue, pour s’assurer un Salut confortable et s’étiqueter « croyant » : « Ça va aller. J’ai la foi. » (Ronit, l’une des deux héroïnes lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 305) Il vivote d’espoir et d’optimiste, à défaut de (re)connaître l’Espérance, Celle qui sous-tend la réalité de la Résurrection, de la victoire définitive de la Vie sur la mort.

 
 

d) L’homosexualité décrétée « don de Dieu » (« Dieu m’aime comme ça et m’a donné mon compagnon ») :

Toile "Requiem" de Steve Walker

Toile « Requiem » de Steve Walker


 

Comme le héros homosexuel a tendance à confondre ses désirs ou ses sensations épidermiques avec Dieu, il finit fatalement par interpréter ses pulsions homosexuelles comme des signes du Ciel. À l’entendre, son homosexualité serait un don de Dieu, irréfutable, divinement justifié, une citadelle inattaquable. « J’ai réfléchi à ces deux états – être homosexuel, être juif. Ils ont beaucoup de points communs. » (Ronit, l’une des deux héroïnes lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 303) Il fait parler Dieu à sa place, et Lui attribue son désir homosexuel : « Je sais désormais que Dieu aime ce que nous sommes. N’en déplaise à tous ces frustrés de l’Église qui ont érigé la chasteté en valeur suprême ! » (Adrien, le héros homosexuel dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 105) ; « Dieu aime ma liberté au point, je crois, qu’Il accepte de ne pas regarder où elle me mènera. » (idem, p. 36) ; etc.

 

Ce serait même Dieu qui lui aurait donné son amant homosexuel, et qui bénirait leur union bien plus directement et plus profondément que les hautes instances du Clergé catholique. Dans son discours, on perçoit souvent une totale confusion entre Dieu et le sexe, entre Dieu et l’amant homosexuel. « Je crois qu’Il approuve. » (Paul en parlant de Dieu, face à son couple dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Vous êtes une fille étrange. Tombée du ciel. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Mon ange. Tombé du ciel. » (idem) ; etc. Son adhésion à la foi semble davantage obéir à des critères esthétiques et pulsionnels qu’à une vraie ferveur gratuite, dépassant le sensible : « Moi qui suis chrétien, je trouve ça beau d’aimer les corps : aimer la chair c’est aimer l’Homme. » (Chris s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 127) ; « Pierre, on dirait un gros bouddha en mousse, sauf dans les moments où il pique ses crises et me casse des objets sur la tête. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 68) ; « Mea culpa. Et sur mes lèvres les sourires de Pierre, de Jean, de Casimir. » (cf. la chanson « Ce je ne sais quoi. » du Beau Claude) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz, à l’occasion de la cérémonie d’enterrement du père (homosexuel) de Daniel, on a droit à la lecture du passage de l’Ancien Testament sur l’amitié entre David et Jonathan. Dans le film « Contra-corriente » (2011 de Javier Fuentes-León, Santiago compare son amant Miguel à Jésus, et la toile qu’il a peinte de lui au « Corps du Christ ». Plus tard, le visage du curé et de Santiago se superposent à l’écran. Lors de l’enterrement de Santiago (désolé de vous raconter la fin…), Miguel porte la dépouille de son amant comme une croix, et on assiste à un via crucis « New Generation ». Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam tombe amoureux de Lukacz qui a tout physiquement du Christ ; et inversement, Lukacz met la main sur le jeune prêtre. Le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino ne réunit que des couples homos juifs : Mounir et son amant Isaac, Oliver et Elio.

 

Le héros homosexuel attribue à Dieu l’amour homosexuel qu’il porte à son amant (cf. le code « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Et je prie… » (cf. la fin de la chanson « C’est lui » de Fred Actone ; s’il vous plait, on ne rigole pas…)

 

 

Il semble aimer la foi catholique pour les mauvaises raisons : « J’ai toujours gardé au fond du cœur une admiration pour Jésus, ce barbu au corps crucifié… Je ne veux pas blasphémer mais je ne peux pas non plus cacher mes fantasmes. » (Bjorn, un des personnages homosexuels du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 168) Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon Alexandra, la narratrice lesbienne, cherche à draguer une nonne dans un train. Dans le roman Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto d’Halmar, Deusto, le personnage homosexuel, tombe amoureux du prêtre Pedro Miguel qui lui vient en aide.

 

Le héros homosexuel donne à ses pulsions sexuelles la valeur sacrée d’une foi religieuse exceptionnelle (car « en temps normal, assure-t-il, il ne croit ni Dieu ni en l’Amour ») : « Je n’ai jamais été quelqu’un de religieux, mais j’ai le sentiment qu’une puissance qui dépasse le seul hasard a réuni nos vies. » (Bob à son amant Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 237) ; « Est-ce que tu crois à la réincarnation ou aux rêves prémonitoires ? Moi non, mais aujourd’hui je ne peux que douter. » (Randall à son amant Ernest, op. cit., p. 239)

 

Le bobo homosexuel aime bien spiritualiser ses vils instincts sexuels par la poésie métaphysique, pour les blanchir à la dernière minute. Il a le culot sincère de dire que s’il veut coucher avec son prétendant, « ce n’est même pas sexuel » : ça pourra même être ascétique et chaste les premières fois ! Leur coït aura la gratuité et la sobriété d’une prière silencieuse dans une chapelle ! « Ce sont des silences religieux, je veux dire : des silences comme ceux des églises. Nous avons la ferveur des communiants, leur gravité. » (Arthur et son amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 119) L’hypocrisie pharisianiste dans toute sa splendeur ! Ce que le héros homosexuel appelle « la foi », c’est en réalité sa croyance superstitieuse aux « coups de foudre », son narcissisme esthétisant pseudo « sobre », sa sensiblerie, sa propre défaillance face à ses pulsions. Et bien sûr, toujours à la lueur d’une petite bougie… (cf. la partie « Bougie » du code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Si on l’écoute, le héros homosexuel vivrait un sacrifice rédempteur même en se donnant sexuellement à n’importe qui, dans des lieux de débauche totale. Selon lui, on peut aller dans une backroom comme on rentre au couvent : cf. le vidéo-clip de la chanson « Jesus Is Gay » de Gaël, la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (où le protagoniste a pour livre de chevet Itinéraire d’un enfant trop gâté : Des jésuites aux backroom), etc.

 

Pièce "L’Opération du Saint-Esprit" de Michel Heim

Pièce « L’Opération du Saint-Esprit » de Michel Heim


 

Dans les œuvres homo-érotiques, on assiste souvent à des détournements libertins – à la fois provocateurs et sincères – des sacrements religieux. Par exemple, dans le roman Sperme (2011) de Jacques Astruc, le narrateur homosexuel donne au sperme une dimension sacrée. Dans la pièce L’Opération du Saint-Esprit (2007) de Michel Heim, on retrouve la thèse de l’amour homosexuel entre saint Jean et le Christ. À chaque fois que dans les fictions homosexuelles le génital et le spirituel se rencontrent, on est très proche du blasphème (cf. je vous renvoie au code « Blasphème » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), mais avec, en plus, la volonté d’honorer et d’immortaliser ce qu’on détruit. « Ces chapelets de capotes enfilées inopinément par l’auteur de ce mauvais pastiche de Proust sur ces pines à peine pubères, faisaient capoter son plaisir. » (cf. la nouvelle « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 96) ; « Rien ne semble pouvoir briser le cycle monotone du quotidien mélancolique de Maria qui vit et travaille à Paris. Jusqu’au jour où cette prostituée anglaise, esseulée, sera élue et révélée par l’Annonciation. » (cf. la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris)

 
 

e) La Communauté homosexuelle décrétée « Église véritable » par rapport à la Curie romaine (« Malgré les apparences, on est des croyants plus authentiques que les ‘officiels’ ») :

ATTRACTION Foi
 

L’homosexualisation de la religion ne s’arrête pas à la sphère individuelle. Quelquefois, le héros associe le « milieu homosexuel » à une nouvelle fraternité religieuse, à un ordre monastique plus solide et profond que ne le serait l’Église catholique, à une communauté plus solidaire et justicière (elle lutterait contre le suicide des jeunes, les injustices sociales, le Sida, etc.) : « J’avais cru deviner à sa façon de parler qu’il était de la confrérie. » (Jean-Marc, l’un des personnages homosexuels dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 73) ; « De là à dire que nous les homos nous vivons dans le péché… Nous suivons bien mieux les Dix Commandements : Aimez-vous les uns les autres, Tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin, etc. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc. Par exemple, à la fin de son one-man-show Elle est pas belle, ma vie ? (2012), Samuel Laroque sombre dans l’émotionnel spiritualiste : il demande sincèrement à son public de se faire un baiser de paix, « comme à l’église ». Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, lorsque Polly, l’héroïne lesbienne, lui demande de faire une pub de prévention contre le Sida, Mike, son pote homo, ironise : « Pour le Saint Sida ? » (p. 62)

 

Dans beaucoup de films ou vidéos-clips traitant d’homosexualité, les héros homosexuels jouent à la messe ou au mariage à l’église (mariage de fortune présidé bien sûr par le bon pote hétéro gay friendly) : le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, le vidéo-clip de la chanson « The Edge Of Glory » de Lady Gaga, le vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer, etc. « Pietro s’est décidé à changer définitivement de sexe, il veut devenir carmélite. » (le narrateur homosexuel parlant de son amant, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 146)

 

Film "La Mala Educacion" de Pedro Almodovar

Film « La Mala Educacion » de Pedro Almodovar


 

Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013), le travesti M to F David Forgit reprend tous les symboles religieux pour les associer au libertinage et à la prostitution : il porte un pendentif en forme de croix christique, ou porte une grande croix de bois. Il fait même dire à un des personnages qu’il incarne (Mémé Huguette) : « Comment ça se fait qu’on soit les seuls vrais bons catholiques ? » À la fin du film « In & Out » (1997) de Frank Oz, on nous fait croire que Peter et Howard se préparent à leur propre mariage à l’église, avant que le spectateur découvre qu’il s’agit du mariage tardif de la mère d’Howard avec son compagnon.

 

Afin de se donner l’illusion qu’il est un vrai croyant plus authentique que les croyants officiels, le héros homosexuel se met esthétiquement en marge (un peu mais pas trop) de l’église-bâtiment, pendant des messes ou des cérémonies religieuses publiques (genre le personnage homosexuel de Leo dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, au moment de l’enterrement de son amant Luca). Il prend la place de l’outsider incorrect-pécheur-et-caché, du Zachée sur la route, soi-disant plus saint que ces croyants bourgeois bien propres sur eux, qui occupent les premiers bancs de l’église, qui jouent leur « mascarade sociale de la foi ». « Les derniers seront les premiers » (c’est sainte Céline Dion qui l’a dit). On retrouve souvent cet orgueil puant de la spiritualité marginale et anti-institutionnelle chez les icônes gay que la communauté homosexuelle s’est choisies (cf. les chansons « Au diable nos adieux » de Zazie, « La Petite Cantate » de Barbara, « Les Champs de peine » d’Anggun, « Ave Maria » de Noa dans la comédie musicale Notre-Dame de Paris de Luc Plamondon, etc.), ainsi que dans la mise en scène de la prostituée rentrant dans une église (cf. la partie « Bourgeoise-prostituée rentrant dans une église » du code « Bourgeoise » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 
 

f) La séduction, la facilité, et l’excuse du protestantisme modéré :

Comme le personnage homosexuel veut quand même suivre une activité spirituelle et pieuse tout en ne perdant pas ses habitudes homosexuelles, il se rabat, en plus du bouddhisme, sur la branche du christianisme qui semble (je dis bien « qui semble ») la plus malléable et la moins claire sur la question de l’homosexualité, à savoir le protestantisme modéré. « On est de souche protestante. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Nous lisions ou regardions la télévision. Sylvia aimait lorsque nous nous caressions devant le petit écran sous l’œil tristement compréhensif du prêtre ou du pasteur chargé de clore les émissions de la journée. » (Laura dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 42) ; « Un temps, j’avais été tenté par la scientologie, la méditation, la réflexion, le jeûne. » (Bjorn, l’un des héros homosexuels attaché aux protestants et à son pasteur le père Elvström, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 168)

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, nombreux sont les héros qui se rapprochent de près ou de loin aux Églises réformées light (ou au contraire trop hard) : cf. le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, le film « But I’m A Cheer Leader » (1999) de Jamie Babbit, la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick (avec le télévangéliste), le film « Ô Belle Amérique ! » (2002) d’Alan Brown, le film « When Night Is Falling » (1995) de Patricia Rozema, le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, le film « The Prom’s Queen » (« La Reine du bal », 2004) de John L’Écuyer, le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky (avec Phil, le fondamentaliste évangéliste), le vidéo-clip de la chanson « Que mon cœur lâche » de Mylène Farmer (avec le Dieu-businessman), la pièce L’Opération du Saint-Esprit (2007) de Michel Heim (avec le Dieu chef d’entreprise), le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, le roman Sapphistry (1980) de Pat Califia, le roman Oranges Are Not The Only Fruit (1985) de Jeannette Winterson, le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, le film « Les Oranges ne sont pas les seuls fruits » (1989) de Beeban Kidron, le film « L’Ultime Souper » (1996) de Stacy Title, le film « Une Ville trop tranquille » (1997) de David DeCoteau, le film « L’Affaire Matthew Shepard » (2001) de Roger Spottiswoode, la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier (avec la télé-évangéliste), la pièce The Importance Of Being Earnest (L’Importance d’être constant, 1895) d’Oscar Wilde (avec le Révérend Chasuble, très à cheval sur « l’Église primitive »… mais aussi sur Miss Prism), la pièce Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman, etc.

 

Par exemple, dans le film « Children Of God » (2010) de Kareem Mortimer, Lena est la femme d’un pasteur (Ralph) secrètement homosexuel. Le film « Elena » (2010) de Nicole Conn nous présente une ribambelle de faux croyants : des cul-bénis ressemblant à des protestants évangéliques, des gourous de l’ésotérisme contemporain (avec notamment Tyler Montague, auteur de livres sur la « symétrie des âmes », surnommé d’ailleurs « le gourou de l’Amour » parce qu’il promeut l’amour universel bisexuel asexualisant/désexualisé), des pseudo artistes lesbiennes qui voient dans l’art une transcendance qui se substitue à l’Amour même. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Henri allait à la messe avec ses costumes gothiques quand il était jeune ; et Edmond, le père d’Henri, réellement homosexuel pour le coup, s’est protestantisé, version charismatique. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, une sorte de pasteur célèbre le mariage de Ben et Georges : il parle de l’amour comme d’une « énergie ». Dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, les deux héroïnes lesbiennes, Idgie et Ruth, évoluent dans l’univers très puritain et moraliste de l’Église baptiste (Ruth est d’ailleurs fille du Pasteur). Dans l’épisode 7 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, le pasteur de l’église évangélique que fréquente Éric le héros homo sort une prêche que le jeune garçon interprète comme gay friendly et comme un encouragement à pratiquer son homosexualité : « Nous devons tous apprendre à nous aimer nous-même avant de sincèrement aimer les autres. »

 

Dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, un flou est volontairement entretenu autour de l’appartenance religieuse des personnages homos (tout ça pour discréditer l’Église catholique et l’amalgamer avec d’autres mouvements beaucoup moins solides…) : on finit par découvrir que l’un des protagonistes (l’amant d’Eddie) a des parents mormons, et qu’il est lui-même mormon ; quant aux parents d’Eddie, ils sont baptistes et pas du tout catholiques.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Foi et homosexualité ont l’air de faire bon ménage :

Beaucoup de personnes homosexuelles dénigrent la religion, alors que leur désir de foi occupe paradoxalement une part importante de leur identité de femmes et d’hommes. « Il a une âme essentiellement religieuse et le sacré fait l’objet permanent de son souci. » (Jean-Paul Sartre en parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 205) Seul ce que nous idolâtrons et aimons mal en croyant l’aimer follement peut nous trahir, et donc mériter à nos yeux notre vengeance. Ce qu’écrit Marguerite Radclyffe Hall dans The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) est, pour cette raison, d’une étonnante actualité : « De nombreux invertis étaient profondément religieux et c’était sûrement l’un de leurs plus amers problèmes. » (p. 589)

 

Julien Green

Julien Green


 

Durant leur vie, certaines montrent un désir ardent de foi : pensons à Jean-Michel Othoniel, Maryse Choisy, Julien Green, Edward Carpenter, Randall Kenan, James Dean, Néstor Perlongher, Javier Gómez, Ernesto Jiménez, Julio Mariscal, Jean Delannoy, Gerard Reve, Nicolas Vitiello (qui a campé le personnage de l’Abbé Pierre au théâtre), Antoine Méry, etc. Par exemple, Andy Warhol allait tous les dimanches à la messe. Dans son film « Le Cimetière des mots usés » (2011), François Zabaleta filme longuement des images réelles de la grotte de Lourdes, en plan fixe, sans musique. Christophe Moulin, lors de son concert Petits Secrets (2007) au Palais des Glaces à Paris, dit son attrait pour Dieu.

 

Mais en général, les personnes homosexuelles aiment Dieu sans son incarnation, sans son Institution, sans sa matérialité humaine. « Aujourd’hui, je revendique le religieux. […] Il va de soi qu’il n’est lié à aucune pratique institutionnalisée. » (Gina Pane, Lettre à une inconnue (2003), p. 114) Elles ignorent ou bien oublient qu’« être croyant », ce n’est pas seulement « aider son prochain » et « avoir des valeurs », de jolis « principes humanistes ». C’est avant tout suivre Quelqu’un, Jésus. Un homme incarné qui nous a appris que son corps était l’Église-Institution catholique et romaine.

 

Comme elles ne voient l’Église que de loin, leur passion inavouée pour l’« Ennemi catholique » se traduit en général chez elles par une imitation inconsciente et volontaire des caricatures qu’elles se font de lui. Elles adoptent souvent de l’Église une version kitsch en ne choisissant de portraiturer que des grenouilles de bénitiers frustrées et superstitieuses auxquelles elles s’identifient, parce que ces grenouilles, ce sont partiellement elles quand elles obéissent à leur désir homosexuel : la bourgeoise-prostituée pénétrant dans une église après s’être fait violée est une icône gay classique (cf. la partie « Bourgeoise-prostituée rentrant dans une église » du code « Bourgeoise » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Les œuvres de José Pérez Ocaña, d’Antonio Roig, de Ronald Firbank, de Pedro Almodóvar, d’Alberto Cardín, de Nazario, de Pierre et Gilles, etc., empruntent abondamment à l’imagerie catholique pour la louer/la pervertir à la sauce kitsch et camp. Les personnes homosexuelles reprennent dans leurs écrits les thèses libertines traditionnelles – telles que l’union homosexuelle de Jésus et de saint Jean, la liaison entre Marie-Madeleine et Jésus, l’amitié biblique entre David et Jonathan, ou entre Ruth et Noémie, l’homosexualité de saint Paul, etc. –, regorgent de symboles christiques, fondent des congrégations – notamment les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (je vous parle tout de suite après) –, suivent fidèlement le Pape dans tous ses déplacements (l’Europride à Paris en 1997 juste après les Journées Mondiales de la Jeunesse ; la première Worldpride à Rome, toujours après les JMJ de Rome en 2000 ; la Worldpride de Jérusalem en 2005 ; la présence d’un groupe de militants homosexuels aux JMJ de Cologne en 2005 ; etc.), font de leurs rassemblements ou de leurs concerts de grandes messes-show. Elles réemploient (sans s’en rendre compte ?) le langage étiqueté religieux de leurs supposés ennemis, pour le détourner à leurs fins (on peut entendre des sujets transgenres dire avec une conviction grave qu’il nous faut « suivre le Droit Chemin de l’homosexualité » : cf. phrase de conclusion de l’exposé de l’homme transsexuel M to F Natacha aux Journées Annuelles de Réflexion (JAR) de l’association David et Jonathan au Mont Dore, en 2004). Elles ne font que reproduire ce qu’elles jugent aliénant chez les croyants pratiquants. « La naissance de Zohia est comme un miracle. » (la voix-off commentant l’arrivée au monde d’une petite fille obtenue par GPA au sein d’un couple lesbien, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy, diffusée dans l’émission Tel Quel, sur la chaîne France 4, le 14 mai 2012) ; « Et beaucoup plus tard, j’ai reconstitué ce que j’avais vécu naïvement, sans la moindre arrière-pensée, le schéma relationnel de cette communauté liée par un pacte dont le secret était l’érotisme masculin ou, pour m’exprimer sans voile, les relations homosexuelles qu’entretenaient les membres de son équipe de base, au centre de laquelle se trouvait le guide charismatique de base, le Männerheld – le héros des hommes. » (Nicolaus Sombart par rapport aux Wandervogel allemands, dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, p. 124) ; etc.

 
 

b) La religiosité de bazar : adolescente, superstitieuse, sectaire

La différence entre sensibilité à Dieu et sensiblerie, c’est que la seconde est égocentrée et peu tournée vers l’autre, le Tout Autre, alors que la première est aride, grave, pauvre, exigeante, réaliste et durable. Dieu nous demande de venir à Lui avec un « cœur d’enfant », certes, mais non pour autant un cœur de niais béat et capricieux, de diva pleurnicheuse en quête de sensations, d’adolescent pacifiste fuyant le monde et les autres, d’imbécile heureux anesthésié. Il nous veut attachés au Réel !

 

Or la foi de beaucoup de personnes homosexuelles a le goût de la bonne intention qui se fige en esthétisme, de la religiosité qui se disperse en syncrétisme métaphysique et artistique sans unité. Par exemple, dans son autobiographie Impotens Deus (2006), Michel Bellin avoue avoir une « piété pubère » (p. 79). Dans la biographie Federico Y Su Mundo (1980) que Francisco García Lorca dédie à son frère homosexuel Federico, il est bien dit que la croyance en Dieu de Federico García Lorca se limite à « une passion amoureuse religieuse où s’entremêlent le désir mystique, l’immersion dans un vague monde musical, le pathétisme et le désespoir, la sensibilité blessée, le panthéisme, la poésie, fondus en un accord exalté » (pp. 87-88) Une foi de midinette bien gentille… qui a parfois le goût de l’inceste ou du viol : « Au départ de presque toutes ces lamentables existences, il y a les mères. Les petites vies étriquées de ces êtres qui vivent à deux ou se contentent des sordides aventures d’urinoirs sont les résultats de la bonne éducation, les fruits de leçons trop bien suivies sur la crainte du péché, les dangers de la femme, tout ce qui fait la honte d’une religion mal comprise. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 104) ; « Pour m’éviter de sombrer dans un chagrin qui risquait d’éveiller de nombreux souvenirs, il [le père Basile] se contentait de marquer une priorité par des prières. […] Inconsciemment nos rapports se fortifiaient par le pouvoir infini de Dieu. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 38) ; etc. C’est comme si les personnes homosexuelles utilisaient Dieu comme un magicien pour en plus lui faire justifier leur homophobie, leur haine d’elles-mêmes : « Si Dieu voulait transformer un homo en hétéro, Il aurait le pouvoir de le faire, j’en suis certain. » (Alexander, homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi)

 

Par exemple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz sont filmés des témoins homosexuels, dont certains sont issus de famille de tradition catholique, mais ils se sont éloignés eux-mêmes de la foi (c’est le cas de Pierre, qui projette ensuite sur ses proches son propre jugement de ses actes : « J’étais dans le péché. ») ; d’autres jouent encore à être croyants pratiquants et s’imaginent déjà le jour de leur mariage religieux, tandis qu’ils pénètrent dans une église abandonnée en plein cœur d’une forêt : « Ce sera bien pour se marier, comme chapelle ! On viendra là ! Adjugé ! » (Yann s’adressant à son compagnon Pierre) D’ailleurs, Yann et Pierre racontent que la première question qu’ils se sont posées l’un à l’autre lors de leur première rencontre amoureuse, c’était « Quel est ton signe zodiacal ? ». Ça commençait fort !

 

Aleister Crowley

Aleister Crowley


 

Pas mal de personnes homosexuelles sont portées sur l’ésotérisme, les spiritualités de supermarché, la religion à la carte. « Marie s’était entichée d’ésotérisme indien. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 99) ; « Notre communion spirituelle était précieuse à mes yeux. Tu croyais aux mêmes choses que moi. Les saints. Les djinns. La sorcellerie. La superstition. Les encens. » (Abdellah Taïa écrivant à son ex-amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 116) ; « Christine n’est pas particulièrement dévote. C’est davantage une soif de culture qui l’anime. » (la biographe Marie-Louise Rodén parlant de la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « Benoît Berthe bouquine le cinquième tome de la saga ‘Harry Potter’ qui le passionne en ce moment. » (Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, Dieu est amour, Éd. Flammarion, Paris, 2019, p. 30) ; etc. Ce qui les attire dans la foi, c’est en général l’émotionnel collectif, la sensiblerie, la superstition, la magie, le spectaculaire, la sensation de bien-être (comme si on aimait Dieu « pour quelque chose » !), le refuge contre les épreuves de la vie, le recentrement sur soi, le côté « strict » ou « mise en scène »… bref, tout ce que la foi authentique n’est pas mais qu’elles prennent pour la foi réelle et qu’elles attribuent aux « mauvais croyants » (parce que le pire, c’est que beaucoup d’entre elles se prennent pour les seuls bons croyants !). Leur fascination pour la religiosité-loisir, l’occultisme, le paranormal, les bondieuseries, les miracles, les philosophies New Age, les messes noires, etc., est connue. Par exemple, Pavel Tchelitchew s’intéressa à l’occultisme. Le baron Friedrich Alfred Krupp était amateur de littérature sataniste et des « messes noires ». Charles Nebster Leadbeater pratiqua l’occultisme ; en 1883, il rejoignit à Londres la Lodge of the Theosophical Society ; il voyagea en Inde et au Sri Lanka où il assimila un nouvel enseignement de la magie. Érik Satie aimait beaucoup l’ésotérisme. Il est également étonnant de rencontrer un certain nombre de personnes homos dans la franc-maçonnerie. Et parmi mes amis homosexuels, j’en connais beaucoup qui consultent des voyantes et des astrologues. Par exemple, la romancière bisexuelle Lucía Etxebarría dit être fascinée par les sciences occultes. Nicolas Fraisse est homosexuel et magnétiseur. Par ailleurs, beaucoup de personnes homosexuelles font partie de la franc-maçonnerie.

 

Vidéo-clip de la chanson "Losing My Religion" de R.E.M.

Vidéo-clip de la chanson « Losing My Religion » de R.E.M.


 

L’obsession spirituelle pour Dieu entraîne parfois les individus homosexuels à rentrer dans une secte, ou à être en contact avec des gens embrigadés dans des sectes : « La plantureuse voisine avait trouvé une autre solution, une autre religion, proposée par une secte qui, selon la Chola, s’appelait l’‘Église scientifique’. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 187-188) Par exemple, le poète homosexuel argentin Néstor Perlongher a adhéré à la secte religieuse du Santo Daime au Brésil. Aleister Crowley se consacra à la magie noire et fonda une confrérie, l’Aurore Dorée. Schiller écrit Die Malteser, Les Maltais – et maintes rumeurs courent sur les relations entre l’Ordre de Malte et l’homosexualité. Dans le documentaire « Ma très chère sœur Olivia » (2012) de Pierre-Clément Julien, Olivia C., un transsexuel M to F, est franc-maçonne. J’ai rencontré pour ma part plein d’ex-Témoins de Jéhovah dans le « milieu homosexuel ». Et ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait énormément de personnes homosexuelles chez les Mormons (par exemple, Tyler Glenn, mormon et chanteur du groupe Neon Trees, fait son coming out après avoir nié être gay), les Scientologues, et autres membres de sectes. D’ailleurs, à Paris, juste en rentrant dans le quartier gay du Marais, non loin de la rue Sainte Croix de la Bretonnerie, on tombe comme par hasard sur le Centre mormon, juxtaposant les bars homos… (dingue, non ?) Quand j’ai étudié, en 2001, la question des sectes pentecôtistes au Guatemala (cf. Philippe Ariño, El Indio Ultramoderno. Las Sectas Pentecostales En Guatemala, 2002), j’ai été frappé de voir les similarités entre ces deux mondes que l’opinion publique oppose bêtement. J’ai eu l’impression que d’étudier les sectes, c’était exactement comme étudier les fonctionnements internes de la communauté homosexuelle !

 
 

c) La tentation narcissico-pacifico-artistico-égocentrico amoureuse du bouddhisme (« Cause à un arbre ») :

Documentaire "We Were Here" de David Weissman

Documentaire « We Were Here » de David Weissman


 

L’attachement des personnes homosexuelles à une foi consumériste et anti-catholique prend souvent le visage de l’innocence, du flou artistique world, et de l’envolée lyrique vers le « Cosmos » et le pauvre-du-bout-du-monde : « L’extase est sacrée. Tout Homme est un ange. » (Allen Ginsberg dans le film « Howl » (2010) de Rob Epstein) Le narcissisme New Age du bobo homosexuel se veut altruiste en théorie, « universel »… mais en pratique, son relativisme mou cache une vision très déçue, déterministe, pessimiste, manichéenne et misanthrope de l’Amour et du genre humain. Car si l’Amour était soi-disant « partout », même dans la guerre, la souffrance et le mal, si l’Amour, pour exister et devenir complet, avait absolument besoin du mal comme d’une moitié androgynique qui L’équilibrerait (Eros et Thanatos, le « Yin » et le « Yang », tous ces concepts manichéens…), Il ne serait plus Lui-même, plus aimant ; car l’Amour n’est qu’Amour !

 

Il est fréquent que les personnes homosexuelles choisissent l’art ou la Nature comme religions de substitution, comme voies de transcendance où leurs émotions égocentriques vont pouvoir « s’éveiller » (s’engouffrer, plutôt !). Par exemple, l’artiste performer lesbienne Gina Pane a suivi des études dans un atelier d’art sacré. Jean Cocteau, dans sa vie, a décoré de nombreuses chapelles.

 

Elles se piquent au jeu d’un holisme qui spiritualise les végétaux, les paysages naturels, les objets, les médias : « Je courais pour rencontrer le cinéma, entrer la bouche ouverte dans sa religion et ses images. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 31) ; « Sur le chemin, un cinéma populaire, Royal El-Guidida, s’est présenté devant moi. Sans réfléchir j’ai acheté un billet et j’y suis entré célébrer ma nouvelle vie, au milieu d’une salle remplie d’hommes de tous âges qui se donnaient les uns aux autres sans complexe, sans se cacher, non loin des agents de police qui surveillaient l’entrée. Retrouver ma première religion. Mon rêve de toujours. Le cinéma par la peau. La transgression naturelle. Les corps dans l’intensité sexuelle. Des va-et-vient entre la salle immense avec orchestre et balcon et les toilettes. Un film. Deux films. Des stars. Adil Imam. Yousra. Nour Cherif. Leïla Eloui. » (idem, pp. 98-99) ; « À l’Opéra, on s’est convertis. » (le couple homo de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy)

 

Pas étonnant qu’un certain nombre d’individus homosexuels trouvent dans l’individualisme « universaliste », « humaniste » et coloré du bouddhisme – la « Religion de l’Ego » par excellence, la spiritualité de l’extinction du désir, de la liberté, de la notion de vie éternelle et unique – un nouveau moyen de se vouer un culte à eux-mêmes sous prétexte de s’ouvrir aux autres. Le bouddhisme zen est pratiqué par de nombreuses personnes homosexuelles : Pier Paolo Pasolini, Allen Ginsberg, Jacques Adelsward, Laurent Dispot, Guy Hocquenghem, Néstor Perlongher, Michel Foucault, Alain Daniélou, Jack Kerouac, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Yukio Mishima, etc. Mylène Farmer a lu le Livre tibétain de la Vie et de la Mort (2005) de Sogyal Rinpoché. J. R. Ackerley a été attiré par l’expérience hindoue (cf. Journal hindou en 1932). Dans sa photographie Autoportrait (1927), Claude Cahun se déguise en statue de Bouddha. Lors de ses voyages, Yves Saint-Laurent achetait des statues énormes de Bouddha. Je vous renvoie également au film « Better Sex Through Yoga For Gay Men » (2003) d’Aaron Star.

 

Documentaire "Hot Nude Yoga" d'Aaron Star

Documentaire « Hot Nude Yoga » d’Aaron Star


 

La louange du bouddhisme par bon nombre de sujets homosexuels rentre dans cette focalisation nombriliste sur la conscience individuelle, dans ce totalitarisme du neutralisme, de l’abandon du désir et de la liberté, de la mégalomanie pseudo minimaliste et pauvre, de l’indifférence à la souffrance des autres et à sa propre souffrance, du relativisme, dont ils se font les orgueilleux porte-parole. Bref, la glorification du vide, du néant, et des bonnes intentions engendrées par le libéralisme économique le plus féroce.

 

Documentaire "Yoga Secrets"

Documentaire « Yoga Secrets » de Raymond Lewis


 

Beaucoup de personnes homosexuelles ne croient pas, mais « font comme si ». Parce que ça fait esthétique. « Tu aimais aller à la mosquée de temps en temps. Tu disais que tu aimais la gymnastique de la prière, être au milieu des inconnus en prière, dans la parole simple et directe avec Dieu. Dès qu’on s’est rencontrés, tu as arrêté de le faire. Tu n’osais plus. Notre lien est sacrilège aux yeux de l’islam. Tu n’arrivais pas à te débarrasser de ce sentiment. Je n’ai pas essayé de te faire changer d’avis. Moi-même je vivais dans cette contradiction. Moi-même j’avais besoin de croire. Je voulais croire. On a fini par trouver une solution. Je t’ai emmené à l’église Saint-Bernard et on a regardé les autres prier. Les églises, ce n’était pas nous à l’origine, cela ne représentait rien dans notre mémoire spirituelle. Rien ne nous attachait à elles et, pourtant, nous y sommes retournés plusieurs fois et nous avons fini par y découvrir une nouvelle spiritualité. Nous l’avons inventée ensemble, cette religion, cette foi, cette chapelle, ce coin sombre et lumineux, ce temps en dehors du temps. Ce christianisme non loin de Barbès. » (Abdellah Taïa écrivant à son ex-amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 118)

 

Elles n’ont pas compris que la foi n’était pas un joli refuge contre la souffrance et la peur humaine de la mort, mais un chemin de Vie : celui de la Croix. Elles pensent qu’il leur suffit de pénétrer dans un lieu saint (hors des temps d’office, de préférence), de susurrer une petite prière improvisée du bout des lèvres, d’apprécier la beauté de la liturgie catholique, de donner une pièce au mendiant du coin de la rue, pour s’assurer un Salut confortable et s’étiqueter « croyant ». Elles vivotent d’espoir et d’optimiste, à défaut de (re)connaître l’Espérance, Celle qui sous-tend la réalité de la Résurrection, de la victoire définitive de la Vie sur la mort.

 
 

d) L’homosexualité décrétée « don de Dieu » (« Dieu m’aime comme ça et m’a donné mon compagnon ») :

Comme les personnes homosexuelles ont tendance à confondre leurs désirs ou leurs sensations épidermiques avec Dieu, elles finissent parfois par interpréter leurs pulsions homosexuelles comme des signes du Ciel. À les entendre, leur homosexualité serait un don de Dieu, irréfutable, divinement justifié. Leurs grandes prêtresses télévisuelles les encouragent d’ailleurs à cela : « Laissez votre identité être votre religion. » (Lady Gaga citée dans le journal Métro, n°2008, mardi 17 mai 2011, p. 3) ; « Rupaul est une sorte de gourou, de Dalaï Lama pour la communauté homo. Mais il y a beaucoup d’hétéros qui regardent aussi. » (Rich Juzwiak, homosexuel, parlant de l’émission de télé-réalité transsexuelle aux USA Rupaul’s Drag Race, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel)etc.

 

Certains curés défroqués, vivant (depuis leur sortie de l’Église) leur homosexualité au grand jour, jouent les prophètes de ce qui, selon eux, est le « Véritable Évangile », l’Évangile « humaniste », plus proche des gens et de leurs réalités temporelles que l’Évangile du « Clergé d’en haut », en décrétant que « les homos » sont des créations de Dieu. Ils essentialisent, via une théologie de comptoir, l’homosexualité sous des prétextes divins, quitte à s’exprimer à la place de Dieu : « Moi, je voulais annoncer cette Bonne Nouvelle […] : Dieu nous aime ainsi, (homosexuels), parce que c’est ainsi qu’Il nous a créés, et Il l’a fait par pur amour. […] Et j’avais besoin de transmettre cette merveilleuse joie (‘Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile’, disait Pierre de Tarse) à mes frères, à la société et au monde. » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 190) ; « Je crois que dieu m’a fait comme je suis. » (Hezra, femme musulmane lesbienne, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Les beaux principes de la Bible sont parfois assez vite détournés, comme le démontrent ces propos d’Antonio Toig, ex-carmélite : « Mon engagement personnel consistait à m’accepter tel que je suis. Je ne pouvais pas me retenir davantage : je ne pouvais pas vivre dans le mensonge, je devais être libre et ce principe de liberté est celui qui se trouve dans la Bible. » (Antonio Toig dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, pp. 297-298)

 

Il existe même des prêtres catholiques gays friendly qui dénaturent le message de leur Église en disant qu’on peut être pleinement cathos et pleinement homos (sous-entendu « en couple »), pour faire croire qu’ils sont plus ouverts que le Vatican classique (cf. le documentaire « Monsieur le Curé de Saint-Eustache » (2001) de François Chilowicz, l’ouvrage collectif Dieu les aime tels qu’ils sont : Pastorale pour homophiles (1968) du pasteur baptiste Joseph Doucé, le livre Qui suis-je pour juger ? (2013) de Frigide Barjot détournant le sens complet des propos du Pape François, etc.). Par exemple, dans l’émission Infra-Rouge « Et Dieu dans tout ça ? » (2011) de Philomène Esposito, le curé de saint Merry (église parisienne accueillant l’association Devenir Un En Christ pour qu’elle puisse « fêter Dieu »), le père Jacques Mérienne, en appelle à la compromission : « Il faut créer un consensus. »

 

Et beaucoup d’individus homosexuels croyants reprennent à leur compte ce discours identitariste/amoureux simpliste mais aussi déculpabilisant : « Dieu nous a créés comme ça. » (les témoins homos ougandais dans le documentaire Ouganda : au nom de Dieu (2010) de Dominique Mesmin) ; « Nous rejetons formellement tout a priori de péché en ce qui concerne l’homophilie… Les pulsions échappent à notre volonté; elles viennent de Dieu, notre Créateur. » (cf. phrase du premier bulletin de création de l’association David et Jonathan, en novembre 1983) ; « Ce n’est pas de leur faute, Allah les a créés comme ça. S’Il ne l’avait pas voulu, l’homosexualité n’existerait pas. » (la mère musulmane de Brahim Naït-Balk, dans l’autobiographie de ce dernier, Un Homo dans la cité (2009), p. 89) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta, diffusée en juin 2011 sur la chaîne espagnole Play Cuatro, Vicente dit que c’est Dieu qui l’a voulu gay, et tous les témoins pensent avec lui que « Dieu les aime tels qu’ils sont » (comprendre « pleinement homosexuels pratiquants »).

 

Ce serait même Dieu qui leur aurait donné leur partenaire amoureux/sexuel, et qui bénirait leur union bien plus directement et plus profondément que les hautes instances du Clergé catholique : « Quand je suis revenue à moi, j’ai vu Jackie, assise là, tel un ange. […] Même si j’ai voué ma vie à l’Église et au catholicisme, j’ai su que mon Dieu aimait Jackie, et qu’Il m’aimait de l’aimer, elle. » (une femme lesbienne à sa copine, témoignant dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Pierre, c’est un don du Ciel. » (Bertrand parlant de son amant Pierre dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « Juste comme vous, mes juges, qui avaient un droit d’aimer les femmes, moi aussi j’ai le droit d’aimer les hommes. Vous comme moi tenons ce droit de Dieu. Si vous refusez de reconnaître ce droit, allors vous attaquez la justice de Dieu, qui a mis ce besoin d’amour dans mon cœur, comme dans le vôtre. Vous avez le pouvoir de me condamner. Je dois vous contester le droit de le faire. » (Fritz Feldtmann, le directeur du théâtre de Brenne, arrêté par la police pour homosexualité, le 3 octobre 1867) ; etc.

 

Dans leur discours, on perçoit souvent une totale confusion entre Dieu et le sexe/l’amant homosexuel. Leur adhésion à la foi semble davantage obéir à des critères esthétiques et pulsionnels qu’à une vraie ferveur gratuite, dépassant le sensible : « Notre neveu [Alfredo] avait beaucoup aimé le pompier qui faisait le Christ sur la croix. » (les tantes d’Alfredo Arias, dans l’autobiographie de ce dernier Folies-Fantômes (1997), p. 141) ; « Ernestito tomba à genoux devant Nacho comme il aurait pu le faire devant un saint d’une religion inconnue. » (Alfredo Arias, op. cit., p. 260) ; « J’ai accueilli son sperme tiède dans ma bouche avec extase, comme une hostie. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 96) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, y compris celles qui se disent « athées » (surtout celles qui se disent athées, d’ailleurs !), donnent à leurs pulsions sexuelles la valeur sacrée d’une foi religieuse exceptionnelle (car « en temps normal, assurent-elles, elles ne croient ni Dieu ni en l’Amour »). Le mot « amour » étant pour elles plus sacré que la réalité qu’il recouvre, les personnes homosexuelles bobos vont se mettre à voir l’Amour partout et nulle part en même temps, surtout dans l’abstrait, loin de l’humain et des institutions ecclésiales (et toujours dans un discours saupoudré d’anglais et de références musicales vintage… « Tree Of Life », quand tu nous tiens…) : « L’amour de Dieu s’applique parfaitement dans l’amour d’un homme (cf. le passage du gospel à la soul séculaire), que le contact avec Dieu n’est jamais plus beau que quand on l’établit seul, selon sa propre inspiration, hors des dogmes… Dieu, il [ton « ex »] peut le trouver en allant se perdre dans les champs, en se recueillant sous un arbre. Les catholiques sont en fait trop peu entraînés à la méditation, trop engoncés par les règles de la prière, la liturgie. Invite-le à se perdre une fois de plus dans cette nature qui t’entoure, laisse-le, attends-le dans la maison… Hold on ! Le rapprochement de Dieu est presque un leurre. ‘Plus prés de toi Seigneur’… Dieu est partout, on n’est jamais aussi prés de lui qu’à chaque seconde, pour peu que l’on ait la Foi… Le séminaire est une voie respectable, mais c’est un choix dont l’explication engage d’autres considérations que la seule Foi (talk about it)… J’ai du mal à comprendre le choix de cet homme… En t’aimant , comme tu le racontes, il commet un acte sacré, et sa foi dans votre couple est induite par sa Foi en Dieu et la prolonge (il ne s’agit pas de te mettre sur un piédestal)… My prayers go to you two guys… » (cf. un certain « Anonyme », le 9 mai 2012, en réponse à l’article « Moi vs le Roi des rois » de Didier Lestrade, où ce dernier raconte sur son blog sa rupture avec un amant catholique qui l’a quitté pour suivre entièrement Jésus)

 

Certaines personnes homosexuelles sont même prêtes à tomber amoureuses d’un croyant pratiquant catho, et à épouser intellectuellement/esthétiquement la foi de ce dernier (« Même si je ne suis pas croyant, je te trouve très beau quand tu pries… »), pour « croire par procuration » (mais surtout pas par elles-mêmes, pleinement, avec leur cœur ! Ça ferait trop mal ! Ce serait trop demandé…), pour se justifier de ne pas pratiquer institutionnellement et d’être « athées » (« C’est riche, la diversité des croyances et des points de vue »…), pour cracher sur l’Institution catho quand même, du simple fait qu’elles auraient « le droit » de le faire puisqu’elles aimeraient vraiment un catho et qu’elles auraient le recul nécessaire pour connaître la réalité de l’Église de près, pour se persuader qu’elles sont de vrais croyants quand même, des « saints de l’ombre », d’humbles esprits pieux anonymes ! Le pastiche misérabiliste (mais ô combien prétentieux et pharisien !) de la veuve de l’Évangile qui donne son trésor de trois piécettes…

 

Pier Paolo Pasolini

Pier Paolo Pasolini


 

Quelquefois, la bondieuserie homosexuelle va même jusqu’à la louange d’une forme d’ascétisme, de discours où le corps et la sexualité-génitalité n’existeraient plus… mais c’est oublier que les individus qui le profèrent s’abaissent et s’adonnent à l’acte sensuel et génital homosexuel bien plus que de raison, alternent les moments de remords ascétiques et les phases de gourmandise sexuelle intense. Les bobos homosexuels aiment bien spiritualiser leurs vils instincts sexuels par la poésie métaphysique, pour les blanchir à la dernière minute. Ils ont le culot sincère de dire que s’ils veulent coucher avec leur prétendant, « ce n’est même pas sexuel » : ça pourra même être ascétique et chaste les premières fois ! Leur coït aurait la gratuité et la sobriété d’une prière silencieuse dans une chapelle, la beauté transcendante et artistique d’un massage trantrique, aryuvédique ! L’hypocrisie pharisianiste dans toute sa splendeur ! Ce qu’ils appellent « la foi », c’est en réalité leur croyance superstitieuse aux « coups de foudre », leur narcissisme esthétisant pseudo « sobre », leur sensiblerie, leur propre défaillance face à leurs pulsions et à la luxure. Mais attention ! Toujours à la lueur d’une petite bougie (cf. la partie « Bougie » du code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Si on les écoute, ils vivraient un sacrifice rédempteur même en se donnant sexuellement à n’importe qui, dans des lieux de débauche totale. Selon eux, on peut très bien aller dans une backroom comme on rentre au couvent : « J’étais au bordel comme au cloître. » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 41)

 

Par exemple, lorsque j’ai assisté à la visite guidée du cimetière du Père Labaise… pardon… Lachaise, à Paris, le 8 février 2012, le guide, lui-même homosexuel, m’a montré les « chapelles d’amour » où se rencontrent les garçons pour faire l’amour ensemble. Ce haut lieu de la vie homosexuelle parisienne clandestine a été le théâtre de drôles de pratiques occultes : messes noires, magie noire, spiritisme… Aujourd’hui, la « Chapelle des sucres Beghin Say » est une backroom fermée. Mais le cimetière demeure un lieu d’activité homosexuelle intense.

 
 

e) La Communauté homosexuelle décrétée « Église véritable » par rapport à la Curie romaine (« Malgré les apparences, on est des croyants plus authentiques que les ‘officiels’ ») :

La religion sécuritaire pour Saint Sida

La religion sécuritaire pour Saint Sida


 

L’homosexualisation de la religion ne s’arrête pas à la sphère individuelle. Quelquefois, les personnes homosexuelles associent le « milieu homosexuel » à une nouvelle fraternité religieuse, à un ordre monastique plus solide et profond que ne le serait l’Église catholique, à une seconde famille spirituelle qu’elles auraient la chargent de sanctifier : « Je me piquai le doigt avec la pointe du compas qui traînait sur mon bureau. Je traçai avec mon sang au dos de l’image : ‘Seigneur, je te donne ma vie, pour toutes les personnes homosexuelles du monde entier.’ » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 51)

 

Certains membres de la communauté homosexuelle voient en la Gay Pride, dans les ambiances de discothèque, et dans l’engagement politique militant, une nouvelle religion. La puissance communionnelle qui s’y vit/vivrait, pourtant inhérente à tout rassemblement humain un peu conséquent et amical, est comparée très sincèrement à une « émotionnante » Gay Church : « Malgré la nudité de tous et de toutes, l’ambiance était, selon ce qu’on décrit ceux qui étaient présents ce soir-là, aussi spirituel que celui d’une église. […] La Licorería’ est devenue avec le temps un sanctuaire, où certaines nuits, en préparation d’une révolution mondiale future, ont lieu de mystérieux rites. » (cf. l’article « Crónica Auténtica De Lo Acontecido En Un Pub De Chueca Una Noche De Verano » de J. A. Herrero Brasas, dans son essai Primera Plana (2007), pp. 123-124)

 

Comme la majorité des personnes homoexuelles ne veulent pas s’attacher à une institution ecclésiale en particulier, elles se plient en général à un fondamentalisme athée – elles disent « humaniste » –, à une religion qui n’est pas encore clairement cataloguée socialement comme telle, mais qu’elles pensent être la seule juste. Nous pourrions la baptiser comme on veut : « Home-made Gay Religion », ou bien « Culte de l’Être suprême (= l’androgyne) », « Spiritualités plurielles et cosmiques », « Religion désincarnée », « Individualisme hédoniste et universaliste », « Secte des Cultures homosexuelles », « Gay Church », etc. Par exemple, dans son essai Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), Philippe Muray parle à juste titre des « sectes homosexuelles » (p. 51), religieuses pour une minorité d’entre elles, non-confessionnelles pour la majorité.

 

Comme certains protestants, beaucoup de personnes homosexuelles prétendent être plus croyantes et authentiques que leurs prédécesseurs catholiques : « Au bout du compte, je crois que les gays sont les gens les plus dévots. Ils devraient créer un saint gay. » (Víctor, témoin homosexuel s’exprimant dans le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta, diffusée en juin 2011 sur la chaîne espagnole Play Cuatro)

 

Le plus sérieusement du monde, certaines composent une parodie ecclésiale censée faire contrepoids à la réalité religieuse qu’elles ne connaissent pas – ou de trop près –, et qu’elles ont diabolisée à force de l’idéaliser. Par exemple, Michel Journiac, qui est passé à 18 ans par le petit et le grand séminaire, a organisé deux « Messes » en 1969 et 1975, c’est-à-dire deux « performances », intitulées Messes pour un corps ; il est allé jusqu’à faire communier son public au Corps du Christ avec du boudin qu’il avait confectionné avec son propre sang !

 

Loin de parler de rejet de la communauté homo par rapport à l’Église catholique, on pourrait dire qu’il s’agit plutôt d’une adoration inversée. Beaucoup de personnes homosexuelles construisent une version transversale de la religion pour se convaincre ensuite que la caricature nouvellement créée est fidèle à la vraie religion, et pour rejeter ouvertement devant les autres et la vraie religion et sa caricature… comme cela, elles se gargarisent de faire d’une pierre deux coups.

 

Dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, on voit bien que la caricature de croyants pratiquants reproduite par les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (mouvement associatif homosexuel créé à Castro en 1979, faisant de la prévention Sida en se déguisant en nonnes travesties ultra-maquillées) est tout sauf caricaturale dans l’esprit de ceux qui la construisent ou qui l’adulent (j’ai vu de mes propres yeux une salle de cinéma entière se lever pour ovationner le « courage » et la « sainteté profane » des Sœurs après la projection de leur documentaire, le 15 octobre 2011 au Forum des Images de Paris). Il s’agit bien, selon les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, de réactualiser le cliché vieillot de l’Église catholique « avec sérieux et avec dérision » : « Nous sommes un ordre agnostique. » ; « Nous sommes profondément sérieux. » Leur détournement des formules religieuses indique un attachement à ce qu’elles prétendent déformer (« Amen and the women ! »). Dans leur esprit, le déguisement prend le pas sur le Réel. « On n’est pas une parodie de bonnes sœurs. » (Sœur Belphégor) La dérision et le militantisme ne sont que les couvertures de leur schizophrénie spiritualiste. Une schizophrénie bien-intentionnée, qui prétend ne pas faire de mal à l’Église catho, voire même parfois L’honorer : « Je ne le fais pas par provocation. Même pas pour tirer sur l’Église. Si on voulait L’attaquer, l’Église, aujourd’hui, c’est comme tirer sur une ambulance ! » (Sœur Belphégor). Il y a de fortes chances que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgente pensent qu’elles sont plus humanistes, et quelque part plus vraies, que les croyants pratiquants réels : « Nous apportons beaucoup de joie et de paix spirituelle. » Elles font apparemment tout comme eux : elles ont leurs « messes », c’est-à-dire des moments de présentation des actions de l’association, qu’elles affichent comme des moments « forts » et « profonds » (« J’ai vu la ‘messe’. Ça a été comme un électrochoc. »). Elles organisent des « ressourcements », comme dans les retraites monastiques classiques, pour que chacun de leurs membres et sympathisants puisse se « réapproprier son corps » Elles accueillent dans leurs rangs des curés défroqués (« J’avais un deuil. Car j’avais été moine pendant 3 ans » déclare Sœur Quéquette dans le reportage). En s’éloignant de l’Église catholique, elles font leur petite cuisine spirituelle pseudo engagée… mais en réalité, cela équivaut à la « militance de l’indifférence » digne d’une Miss France, celle qui donne de « l’espoir » et de « l’optimisme » au lieu de l’Espérance, celle qui « célèbre l’amour et la joie » (et la paix dans le monde…), celle qui ne donne pas de clés vraiment solides pour trouver l’amour, et qui laisse les gens livrés à eux-mêmes (« On n’a pas à orienter. On a à écouter et à pacifier les gens. C’est ça, le travail des Sœurs : l’écoute, l’amour. »), celle qui « fait du bien » sans tendre vers le Meilleur (« Ça fait du bien. Ça nous donne de l’espoir. Ça donne envie de vivre. » déclare un témoin ayant vécu les « ressourcements » des Sœurs).

 

Au sein du « milieu homosexuel » international, on trouve un certain nombre d’organismes religieux homosexuels beaucoup plus sérieux que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, qui ne sont pas des associations d’Église à proprement parler (sauf Courage, survenue à la demande du cardinal Terence Cooke, archevêque de New York, à la fin des années 1970, et qui est la seule œuvre apostolique de l’Église catholique romaine, reconnue par le Saint-Siège), mais qui essaient de se faire entendre de Rome, tout en se défendant d’être des Gay Church : par exemple l’association Dignity (créée en 1969 aux États-Unis par le jésuite John McNeill), Catholics for equality (revendiquant actuellement l’introduction du mariage homosexuel aux États-Unis), Torrents de vie (une association protestante, mais qui n’est pas spécifiquement tournée vers le public homosexuel). David et Jonathan (créée en France en 1983, et qui est l’association chrétienne la plus rassemblante et fréquentée à l’heure actuelle), etc.

 

En règle générale, les associations chrétiennes d’accueil des personnes homosexuelles se montrent en théorie ouverte au dialogue avec l’Église-Institution, mais en pratique, elles restent encore fermées à Elle, étant donné qu’elles ne veulent pas encore poser de discours clair sur la question du couple homosexuel ni sur celle de l’appel ecclésial à la continence. En France, le statut quo est particulièrement visible avec David et Jonathan, qui reste campée sur ses positions par rapport à sa justification de l’identité homosexuelle et de la beauté du couple homosexuel, et qui marche au diapason du militantisme homosexuel profane. L’opposition à la Curie romaine est moins marquée chez des organismes LGBT chrétiens tels que Devenir Un En Christ (DUEC), la Communion Béthanie (créée par Jean-Michel Dunand, qui est une structure d’accueil et de prière qui veut se garder de tout discours interprétatif sur l’homosexualité), Aelred (à mon sens l’association homosexuelle catholique la plus solide qui existe en France, même si elle prône un ambigu « amour d’amitié », où l’amour platonique se mêle à un étrange brouillage de la frontière entre amitié et amour, quand bien même le passage à l’acte sexuel et au couple ne soit pas encouragé). Je ne dis que ces trois organismes ne sont pas encore clairs sur leur positionnement par rapport à l’Église, non du fait qu’ils se prononceraient « pour » le couple homosexuel (ils font déjà « moins pire » que David et Jonathan, et ont le mérite d’exister en tant que structures d’accueil chrétien), non du fait qu’ils s’opposeraient à l’Église-Institution (puisque ce n’est pas le cas), mais uniquement parce qu’ils ne se prononcent pas sur le couple homosexuel, et qu’ils ne proposent pas ouvertement la continence comme le meilleur chemin possible pour toute personne homosexuelle.

 
 

f) La séduction, la facilité, et l’excuse du protestantisme modéré :

Un peu après le bouddhisme, la confession religieuse qui a l’air de mieux « coller » avec la justification de la pratique homosexuelle conjugale, est le protestantisme. Je vous renvoie aux documentaires « Oranges Are Not The Only Fruit » (1989) de Melanie Chait et « Better Dead Than Gay » (1995) de Christopher O’Hare, au docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, ainsi qu’à la publicité « Love For All » pour la marque de vêtements Björn Borg (dans laquelle le spectateur découvre progressivement que le mariage religieux auquel l’assemblée va assister ne se fait pas entre un homme et une femme, mais entre deux prêtres devant une femme pasteure). Dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein » (« Tu ne seras pas gay », 2015) de Marco Giacopuzzi, on entend beaucoup d’interviewés homosexuels faisant partie du protestantisme : Alexander, Thomas, Sven (pasteur homo en couple avec Alexander)…

 

 

Pourquoi cela ? Parce que le protestantisme, contrairement au catholicisme, manque de docilité, d’unité, de chef clairement identifiable, de fermeté, mais aussi d’attaches au Réel et à l’Incarnation sacramentelle (cela me semble principalement dû au fait qu’il refuse de reconnaître la présence réelle de Jésus dans le Corps du Christ – autrement dit la transsubstantiation –, ce qui a forcément des conséquences sur son rapport au Réel, un rapport encore lointain, désincarné, livresque). Mais cette tolérance des Églises protestantes vis à vis du couple homosexuel n’est qu’un mirage que seuls les plus protestataires des protestants sont prêts à croire. Car si on écoute le protestantisme traditionnel (le plus nombreux), son refus de l’homosexualité pratiquée est identique à celui du catholicisme. J’ai entendu dire un jour que par rapport aux actes homosexuels, l’Église catholique formulait un « Non… mais… », alors que le protestantisme se situait plutôt dans le registre du « Oui… mais… », ce qui revient donc quasiment au même ! La majorité des Évangéliques, s’attachant littéralement aux écrits bibliques condamnant fermement les pratiques homosexuelles, se positionnent contre les bénédictions et le mariage des couples de même sexe. Pensons aux refus actuels de la bénédiction des couples homosexuels – et encore plus du mariage entre personnes de même sexe – de la part notamment de la Church of Scotland (Église presbytérienne d’Écosse, dite aussi The Kirk), de l’United Reformed Church (Église Réformée Unie, unissant les courants presbytérien anglais et congrégationnalistes britanniques), de la Fédération protestante de France et de l’Alliance évangélique, des Églises protestantes africaines (notamment nigérianes et rwandaises), de la Communion anglicane, de l’Église épiscopale des États-Unis, de l’Evangelical Lutheran Church in America (ELCA, Église luthérienne évangélique en Amérique, formée de quelques 10 000 congrégations totalisant 4,6 millions de fidèles), de l’United Methodist Church (UMC, Église méthodiste unie, deuxième plus grande Église protestante aux États-Unis avec 8 millions de fidèles), etc.

 

Seuls quelques groupuscules et Églises protestantes isolées donnent leur aval au couple homosexuel. Par exemple, aux États-Unis, les Églises Unitariennes-Universalistes bénissent des couples du même sexe depuis les années 1970. Les fameuses Metropolitan Community Churches (MCC), dont les membres sont majoritairement homosexuels, trouvent leur origine dans la première Église MCC fondée à Los Angeles par le révérend Troy Perry (lui-même homosexuel), avant les émeutes de Stonewall de 1969. Les MCC représentent, en 2003, plus de 300 églises à travers le monde, et plus de 40 000 membres répartis en 18 pays. Elles constituent également le lieu de naissance de douzaines d’organisations gay et lesbiennes ou de projets de justice sociale. Elles ont procédé à l’union de plusieurs couples de même sexe lors de la Gay/lesbien/bisexual Pride de New York en 1994, marche qui commémorait le 25e anniversaire de Stonewall. Un peu plus haut, l’Église Unie du Canada célèbre des mariages depuis que la loi le permet (2003). Des évêques anglicans canadiens ont béni en 2003 des unions de personnes du même sexe. En novembre de la même année, Gene Robinson qui vit ouvertement une relation homosexuelle durable, est élu évêque épiscopalien du New Hampshire. Mary Glasspool femme prêtre homosexuelle, élue en décembre 2010 évêque assistante du diocèse de Los Angeles, est ordonnée évêque le 15 mai 2010. Aux Pays-Bas, en 1986, la Remonstrantse Broedershap (Fraternité remonstante), la plus ancienne des Églises néerlandaises, fut la première Église européenne à accepter la bénédiction de couples non-mariés. Au début de 1997, le synode de l’Église Protestante du Nord de l’Allemagne (S.E.K.) décida de bénir des unions homosexuelles. Ce fut le cas, également, la même année, de Den Danske Folkekirke ou Folkekirken, l’Église évangélique-luthérienne nationale du Danemark. En octobre 2009, laSvenska kyrkan, l’Église évangélique luthérienne de Suède, approuva lors de son synode le mariage des couples homosexuels à l’église, autorisé par la loi suédoise depuis le 1er mai 2009. En 1998, au sein de la Confédération suisse, l’union synodale Berne-Jura, ainsi que la majorité des Églises cantonales alémaniques, acceptèrent la possibilité de bénir les couples homosexuels, sous condition de l’accord des communautés locales, et sans franchir le pas du mariage. En France, le pasteur baptiste (excommunié) Joseph Doucé célébrait les premières bénédictions d’unions homosexuelles en 1974, et créa le 10 octobre 1976 le Centre du Christ libérateur à Paris. En 2000 en Italie, la Chiesa Evangelica Valdese (Église évangélique vaudoise) accueillit favorablement l’organisation de la World Gay Pride, à Rome. Dernièrement, fin août 2010, le synode commun aux protestants vaudois et méthodistes italiens, réuni à Torre Pellice dans les vallées vaudoises italiennes, décida d’autoriser les bénédictions de couples homosexuels à l’église. En Grande-Bretagne, la Religious Society of Friends (Société religieuse des Amis ou Quakers) reconnaît en 2008 les partenariats homosexuels.

 

Il est logique que l’Église protestante, de par sa structure dispersée (que les plus optimistes appelleront plutôt « chance » et « ouverture à la diversité »), séduise davantage la communauté homosexuelle que l’Église catholique. La première offre davantage les brèches dont les personnes homosexuelles « croyantes », soucieuses de la reconnaissance religieuse de leurs unions amoureuses, rêvent pour justifier la « solidité sacrée » du désir homosexuel. Je connais un certain nombre d’amis homosexuels qui quittent précisément le catholicisme pour rejoindre le protestantisme modéré, voire le bouddhisme, parce qu’ils ont compris que l’Église catholique gardera fidèlement son cap, et ne justifiera jamais leur idéologie de l’identité homosexuelle éternelle, ou de l’amour homosexuel « sacré ». Néanmoins, ils se trompent en pensant que l’ouverture protestante à l’homosexualité ne soit pas homophobe : une grande majorité de protestants blesse et casse les personnes homosexuelles par un discours à la fois laxiste et rigide. Par exemple, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010, Alexandre, jeune témoin homo suisse de 24 ans, a été interné par des mouvements évangéliques : « Ils l’ont mis dans une clinique psychiatrique. » (le père d’Alexandre) Le pasteur de l’Église qu’il a fréquentée aux États-Unis lui a dit : « Tu es homosexuel. Tu es malade. Tu pourrais contaminer les autres. » Il lui a proposé une guérison.

 

 

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Code n°16 – Aube (sous-codes : Samedi / Minuit / Refus des fins)

aube

Aube

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

L’amie du petit déjeuner,

l’amie Aube Lalvée

 

AUBE Lalvée

la chanteuse Aube L (voir son site)


 

L’aube dans les fictions homo-érotiques – et parfois dans le réel – n’a en général pas l’éclat de la beauté du coucher de soleil de la veille, ni l’euphorie de la nuit de fête/de sexe. Plutôt le contraire ! Elle est le moment de l’atterrissage brutal dans le Réel, un atterrissage non-maîtrisé par le désir, par la liberté. L’heure du bilan de la violence et de la vanité de l’amour homosexuel pratiqué. Honteuses d’« avoir fait » sans en éprouver de culpabilité (puisque la société bisexuelle les a persuadées que c’était de l’amour), beaucoup de personnes homosexuelles demandent à rester dans le placard carnavalesque du samedi sans connaître la résurrectionnelle et concrète joie dominicale.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Vampirisme », « Ombre », « Morts-vivants », « Sommeil », « Mort = Épouse », « Drogues », « Funambulisme et Somnambulisme », « « Première fois » », à la partie « Haine de la Réalité » du code « Planeur », à la partie « Cendres » du code « Désert », à la partie « Carnaval » du code « Clown blanc et Masques », et à la partie « Festins non débarrassés » du code « Obèses anorexiques », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) L’horreur boréale :

Film "Les Promesses de l’aube" de Frédéric Chane-Son

Film « Les Promesses de l’aube » de Frédéric Chane-Son


 

Dans les œuvres fictionnelles homo-érotiques, l’aube est un leitmotiv : cf. le roman Celestino avant l’aube (1965) de Reinaldo Arenas, la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet (avec Alba –  « aube » en espagnol –, le personnage principal explosif qui se révèlera lesbienne au cours de l’intrigue), le roman Tous les matins du monde (1991) de Pascal Quignard, la pièce Minuit chrétien (2008) de François-Louis Tilly, la nouvelle La Nuit est tombée sur mon pays (2015) de Vincent Cheikh, la chanson « Les Filles de l’aurore » de William Sheller, le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, le roman Au vent crispé du matin (1913) de Francis Carco, le film « Petit Matin » (1970) de Jean-Gabriel Albicocco, les romans El Mañana Efímero (1957-1958) et Fin de Fiesta (1962) de Juan Goytisolo, le roman Fin De Fiesta (1930) de Federico García Lorca, le roman Termina El Desfile (1980) de Reinaldo Arenas, le film « Après après demain » (1990) de Gérard Frot Coutaz, le roman L’Horreur de l’aube (2000) de Philippe Olivier, le film « Out Back » (« Le Réveil dans la terreur », 1971) de Ted Kotcheff, les romans Partir avant le jour (1963), Demain n’existe pas (1979) et Minuit (1936) de Julien Green, le film « El Despertar » (1976) de Manuel Esteba, le film « La Fin de la nuit » (1996) d’Étienne Faure, le film « L’Aurore » (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau, le roman Demain il fera jour (1949) d’Henry de Montherlant, les poèmes « La Murga » et « Polvo » de Néstor Perlongher (où la voix poétique veut en rester au samedi), le film « The Night Before » (1973) d’Arch Brown, la chanson « Les Enfants de l’aube » de Bruno Bisaro (périphrase pour désigner les hommes homosexuels du Marais), le recueil de poésies Como Quien Espera Al Alba (1941-1944) de Luis Cernuda, la pièce Canción Para Un Atardecer (1973) de Noel Coward, le roman L’Aube (1962) de Dominique Fernandez, le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, le film « Midnight Dancers » (1994) de Mel Chionglo, le film « When Night Is Falling » (1995) de Patricia Rozema, le film « Cold Light Of Day » (1990) de Fhiona Louise, le roman Médianoche amoureux (1985) de Michel Tournier, le film « L’Examen de minuit » (1997) de Danièle Dubroux, le film « Les Rencontres d’après-minuit » (2013) de Yann Gonzalez, le film « La Nuit de Varennes » (1981) d’Ettore Scola, le roman Jamais avant le coucher du soleil (2003) de Johanna Sinisalo, la chanson « last Night » de Britney Spears, le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin (avec le Tex, le gigolo-cowboy, censé à minuit pile débarquer dans l’appartement d’Harold pour lui rouler une pelle et pour être sa petite gâterie), le film « The Long Day Closes » (« Une longue journée qui s’achève », 1991) de Terence Davies, le film « Tout droit jusqu’au matin » (1990) d’Alain Guiraudie, la chanson « Les Lueurs matinales » d’Étienne Daho, la pièce The Milktrain Doesn’t Stop Any More (Le Train de l’aube ne s’arrête plus ici, 1963) de Tennessee Williams, le film « La Promesse de l’aube » (1970) de Jules Dassin, la chanson « L’Alba » de Jeanne Mas, le film « Tout droit jusqu’au matin » (1990) d’Alain Guiraudie, le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, le film « Nuits blanches sur la jetée » (année) de Paul Vecchiali, l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero ») insistant sur minuit, etc.

 

AUBE jules dassin

Film « La Promesse de l’aube » de Jules Dassin


 

Certains personnages, dès qu’ils s’homosexualisent, se mettent à refuser les fins (de nuit, ou d’autre chose) : c’est le cas par exemple de Valentín dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, de la soirée « Un point c’est tout » du Fistclub dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard, etc.

 

L’aube dont il est question dans les fictions homo-érotiques n’a rien d’une renaissance ou du nouveau commencement. Ce n’est pas un moment généralement positif. Elle met fin à l’orgie. « Fini le théâtre ! Finies les belles robes et les couronnes de strass […] Le théâtre est fini ! » (les dernières répliques de Madame Lucienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « C’est toujours embarrassant, les matins après. » (Stéphane ayant recouché avec son « ex » Vincent pour une nuit, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) « On n’est pas raisonnables, ni toi ni moi. » (Vincent, idem ) ; « Oui, c’est la fête, enfin… la fin de la fête. » (Luc dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Où étais-tu entre le coucher et l’aube ? » (Michaël, le héros trans M to F, dans le film Gun Hill Road (2011) de Rashaad Ernesto Green) ; etc. L’aube exprime la léthargie, l’engourdissement pénible, le vide, l’absence de bien ou l’absence à soi, autrement dit une expérience de l’enfer (cf. je vois renvoie également au code « Drogues » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « L’inconfort se réveille avec les premiers rayons du soleil, mais cette fois, le malaise dure à peine aussi longtemps que l’aube. » (Ahmed et son amant Saïd, après leur première nuit d’amour, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 47) ; « Trente-cinq jours sans voir la terre, pull rayé, mal rasé, on vient de débarquer. Trente-cinq jours de galère et deux nuits pour se vider. J’avance sur ce quai humide. La sueur brûle comme l’acide. L’enfer va commencer. Bière chaude et narguilé, ‘Chez Mario’, tout oublier. » (cf. la chanson « Cargo de nuit » d’Axel Bauer)

 

Par exemple, dans le film « Infidèles » (2010) de Claude Pérès, un réalisateur et un acteur s’enferment dans un appartement, seuls, avec une caméra, toute une nuit, jusqu’au lever du jour, pour mettre à l’épreuve leurs désirs… mais cela tourne mal. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, le jour est associé à la folie : « Je préfère traîner la nuit dans les gares où au moins on choisit son délire du petit matin ! » Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi, Madame Garbo veut entreprendre un voyage vers la Chine avec son amante Irina, périple qui n’aboutira jamais : « J’ai besoin de quarante chiens et d’un traîneau solide pour arriver au transsibérien avant demain à l’aube. » Dans le film « Quatre heures du matin » (1938) de Fernan Rivers, Durand-Bidon est surpris, à l’aube, par sa belle-mère acariâtre, dans une baignoire avec un homme, tandis qu’ils rentraient d’une soirée « bien arrosée » : elle le suspecte pour le coup d’être homosexuel.  Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, l’aube est signe de malaise : Valentine roule tôt toute seule en montagne et ça la fait vomir ; Maria, quant à elle, a peur de l’aube (« Je veux bien me lever à l’aube, mais pas pour me perdre. »). Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd et Frankie, les deux amants homosexuels, font partie d’une troupe, Mc Manus Ballet, qui met en scène un spectacle intitulé After Dark. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, après leur coït, le matin, Oliver et Elio sont submergés par la mélancolie.

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, l’aube est en général l’expression du déni du viol vécu la veille, du ravissement amnésique après la nuit sexuelle fusionnelle : « Il n’est pas sûr du tout qu’il fera jour demain. Je ne distingue plus le jour ou la nuit. » (Nicolas Bacchus dans son concert Chansons bleues ou à poing, 2009) ; « Je veux que tu m’imagines à tes côtés, tel un éternel lever du jour. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Je rampais, recru, exsangue, la langue aussi râpeuse qu’un reg, jusqu’aux bottes du dernier garçon, jusqu’au dernier jean-braguette-slip-sperme avant l’aube laborieuse. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 107) ; « Margot se rappelle non sans effroi cette aube funeste aux pis glacés, où un très beau [taureau] vint la renifler sans crier gare, oubliant que le pavé du quai glisse plus que les touffes d’herbe, surtout mouillé d’une aube funeste aux plis lascifs. […] Alors, depuis : scronch, scronch ; tchouk, tchouk, tous les samedis soir, ni vue ni connue au milieu des taureaux qu’elle ignore de toute la morgue de son ruminant ministère. » (cf. la nouvelle « Margot, histoire vache » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 119-120) ; « Comme la balance du tonnerre les vagues de l’amour font des courbes qui nous jettent dans le corps l’une de l’autre jusqu’à l’aube. » (cf. la narratrice lesbienne du poème « Ton regard dans l’amour » (2008) d’Aude Legrand-Berriot) ; « C’est presque l’aube. […] C’est l’aube, et ta pensée me réveille. […] On ne tutoie pas l’aube. » (Daniel à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Avant la fin de la nuit, je reviens… » (cf. la chanson « Cap Falcon » d’Étienne Daho) ; « On était au bord d’un lac. On regardait un coucher de soleil. Soudain, tout s’est écroulé. On s’est endormis. Et ils nous ont trouvés. » (Graham en parlant de son amour d’adolescence avec Manadj, dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden) ; etc. Gueule et bite de bois assurées ! « Nous décidâmes de passer la nuit à Notre-Dame […] car nous craignions dans la nuit une attaque de l’ONU. Nous ne pûmes fermer l’œil de la nuit vu le vacarme général qui régnait à Notre-Dame et sur le parvis. Les prisonniers ayant fait sauter les verrous des caves de l’archevêché, ils organisèrent une fête au champagne dans la nef de la cathédrale. Les folles de Sainte-Anne jouaient de l’orgue à dix-huit mains et les autres buvaient et forniquaient partout, hommes et rats ensemble. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 95) ; « La nuit est une émancipation. » (cf. une réplique du film « Des jeunes gens mödernes » (2011) de Jérôme de Missolz) ; etc.

 

L’aube est l’instant de la rupture, de la fin de l’orgasme, des adieux (« Retiens la nuit » bis), de la prise de conscience amère de sa finitude et du caractère éphémère de l’amour qui est en train de se vivre : cf. le film « Une dernière nuit au Mans » (2010) de Jeff Bonnenfant et Jann Halexander, le roman Le Garçon enterré ce matin (1991) de Joseph Hansen, le film « Carne Trémula » (« En chair et en os », 1997) de Pedro Almodóvar (avec le lever du soleil accueilli dans les larmes), le film « Requiem à l’aube » (1976) d’Olivier Desbordes, la chanson « Regrets » de Mylène Farmer (« L’aube est là, reste là. »), la chanson « Mon Légionnaire » de Serge Gainsbourg (« J’rêvais pourtant que le destin me ramèn’rait un beau matin mon légionnaire »), le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, etc.

 

« À l’heure où naît un jour nouveau, je rentre retrouver mon lot de solitude. J’ôte mes cils et mes cheveux comme un pauvre clown malheureux de lassitude. Je me couche mais ne dors pas. Je pense à mes amours sans joie, si dérisoires. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « Ce soir, la dernière nuit du monde, restons tous ensemble regarder la lune. » (Claude dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « On nous trouvera enlacés, bouch’ contre bouch’, galvanisés, incendiés et confondus comme un rocher contre un rocher, comm’ deux statues qu’aurait sculptées la lave ardente du matin. » (Cachafaz à son amant Raulito dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « J’aimerais que cette nuit dure toute la vie. » (cf. la chanson « Le Grand Sommeil » d’Étienne Daho) ; « Ça me fait de la peine que ce soit fini. » (Valentín à son amant Molina, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 44) ; « Je me nomme Sidonie Laborde. Je suis orpheline de père et de mère. Bientôt je ne serai plus personne. » (cf. la dernière phrase de Sidonie, l’héroïne lesbienne et lectrice de la reine Marie-Antoinette, le lendemain de la nuit où elle a quitté pour toujours son amante, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « En quelques heures, tout bascule. Nous sommes réveillés à l’aube par des explosions. Leur violence fait vibrer mon lit et les meubles de ma chambre. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 186) ; « Je ne veux pas que demain arrive. » (Simone, l’héroïne lesbienne du film « 510 mètres sous la mer » (2008) de Kerstin Polte) ; « Les jours pouvaient être à Martin, mais les nuits étaient à Stephen. Et pourtant, Stephen restait éveillée jusqu’à l’aube avancée et sa victoire prenait l’aspect d’une défaite, se réduisait en cendres au souvenir des paroles de Martin : ‘Votre triomphe, s’il vient, viendra trop tard pour Mary.’ Au matin, elle allait à son bureau et se mettait à écrire, travaillant avec une sorte de frénésie, comme s’il s’agissait maintenant d’une course, épaule contre épaule, entre son ultime réalisation et le monde. » (Stephen, l’héroïne lesbienne se disputant son amante Mary avec Martin, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 560) ; « Voilà l’aube avec ses couteaux cinglants, une morsure à pleines dents. Une larme sur le miroir. Aucun son mais je crie dedans. » (cf. la chanson « Mon meilleur amour » d’Anggun) ; « ‘Je t’aime, Ednar, mais il m’est difficile de concevoir que tu aies trahi ma confiance !’ et sans attendre ma réponse, il disparut dans l’aube naissante sans se retourner. » (Dylan à son amant Ednar, après que celui-ci ait couché avec une fille, dans le roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 26) ; « Ces voleurs de sentiments, au petit matin ils s’enfuient. » (cf. la chanson « L’Amour et moi » de Jenifer) ; « Moi, mes histoires amoureuses, elles ne durent pas très longtemps. Il y a toujours un matin où j’en ai marre, ça me saoule, je prends mes affaires, et je dégage. » (Hugo Quéméré, dans l’épisode 435 de la série Demain Nous Appartient diffusée le 3 avril 2019) ; etc.

 
 

b) La peur du jour et du Réel, qui ressemble à une mort :

Souvent, l’aube est la porte d’entrée de la Réalité, de l’Humanité, de la Résurrection, d’un mercredi (des cendres) ou d’un dimanche (de Pâques), que l’héros homosexuel refuse de franchir par peur de sa liberté, par angoisse de renaître à la vie : « Parfois Dieu arrive si soudainement. » (cf. la toute dernière réplique de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, prononcée par le travesti Micheline) Il s’arrête, comme le vampire craignant la lumière, à l’obscurité (confortable et artificiellement éclairée) du samedi ou de l’aube (cf. je vous renvoie au code « Désert » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « J’aime pas les demains. Je veux rester dans aujourd’hui. » (Ada, l’héroïne lesbienne de la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Le lendemain s’est enfoui, s’est dérobé à mon approche. » (Geneviève Pastre citée dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Fasciné par les lointaines galaxies, je somnambulais sous un ciel noir que voilaient peu à peu les laiteuses brumes de l’aube. […] La nuit finissante transformait cette fenêtre en miroir, et c’était en soi-même qu’il semblait dangereux de se pencher. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 63-64) ; « C’est souvent le plus beau moment de la journée. Quand le soleil est levé, toute la féerie s’envole. » (Yohann, l’amant homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 260) ; « Tes lèvres sont fraîches comme la mer au clair de lune, mais le soleil levant succède à la lune. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 412) ; « La nuit se muait graduellement en aube, et l’aube brillait par la fenêtre ouverte, apportant avec elle l’intolérable chant des oiseaux. » (idem, p. 201) ; « Pour vaincre dimanche » (Yves Navarre, Portrait de Julien devant la fenêtre (1979), p. 154) ; « C’est le septième jour que la noce fut brisée. » (Pretorius, le vampire homosexuel de la pièce musicale Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Voilà. J’y suis. C’est là. Ce point de non-retour que je fuyais de toutes mes forces ; que je me refusais à admettre, à regarder en face. Je suis arrivée à cette révélation indécente de moi-même. Tout m’y poussait depuis des mois. Dès l’aube, à ce constat, ma pensée s’est affolée, faisant écho à mon corps frissonnant. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 166) ; « Esti [l’une des deux héroïnes lesbiennes] s’était réveillée à l’aube. C’était vendredi, elle avait beaucoup de choses à faire. Elle aurait dû commencer. Mais non. Elle restait allongée près de Dovid [le mari d’Esti] toujours plongé dans un sommeil profond, depuis la veille. Elle sentit son estomac se tordre. Elle songea aux travaux qui l’attendaient, aux repas à préparer. La nausée augmentait. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 256) ; « La nuit de mardi, j’ai fait un rêve ; un de ces rêves aussi familiers que ma propre peau, mais que je n’avais pas fait depuis longtemps. J’ai rêvé que je me préparais pour le shabbat, mais que j’étais en retard, très en retard. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, idem, p. 221) ; « Les vendredis soir je dîne au Plaza mais le service est devenu bien mauvais depuis leur résurrection parce qu’ils vous servent la première chose qui leur passe par la tête. » (le narrateur homosexuel du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 53) ; « Et au sixième jour, Dieu créa Karine. » (la voix-off de présentation du one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011) de Karine Dubernet) ; « Le moment était venu d’allumer les bougies. Le shabbat approchait. Tic. Tac. » (idem, p. 209) ; « Ce soir même, entre tous les soirs de l’année, il avait ce rendez-vous, un rendez-vous inespéré ; inespéré parce que, lui semblait-il, les occasions s’offraient invariablement aux autres, jamais à lui, et il fallait que, par un absurde caprice de sa mémoire, il eût oublié que le mercredi en question était le mercredi saint, le seul mercredi de toute l’année auquel il n’osât pas toucher. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 23) ; « C’est curieux, pensa-t-il dans un moment de calme subit, on dirait qu’à la veille de communier j’essaie de commettre tous les péchés mortels l’un après l’autre… Ce serait tout de même bizarre de mourir un mercredi saint ! » (idem, p. 24) ; « Que se passe-t-il ? Quelle fièvre ! Où suis-je ? L’aube déjà ? Le monde et ses apparats ! Mon Dieu, éteins la lumière le temps de rentrer chez moi ! » (Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « C’est uniquement à lui que j’ai tout raconté. Mon rêve dans la nuit du mardi au mercredi. Ce rêve-réalité. » (Omar, l’un des deux héros homosexuels du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 24) ; « Mercredi matin, c’était comme le jour du Jugement dernier. On avait tous peur. Le Paradis. L’Enfer. Pas de purgatoire. » (Omar, op. cit., p. 40) ; « Le soleil était devenu, année après année, une grande obsession morbide pour Khalid [l’amant d’Omar], vivant toujours les volets fermés chez lui]. Il en parlait tout le temps. Il en avait une connaissance scientifique, intime, amoureuse. Il voyait le soleil comme une menace sérieuse, certaine. » (Abdellah Taïa, Le Jour du Roi (2010), pp. 69) ; « C’est le dernier samedi que je passerai avec Pietro, je prie la mère supérieure de m’accorder une dernière soirée avec lui. […] Je pleure sur son épaule, je sais que c’est la dernière nuit. […] Le matin je suis réveillé par les cloches, comme toujours à Rome, mais aujourd’hui elles n’arrêtent pas, c’est le jour de la résurrection, paraît-il. J’ai froid au bras, Pierre est mort. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, pp. 148-151) ; « Vous voyez poindre la lumière froide de l’aube ? » (le très queer Capitaine Dave dans le film « Good Morning England » (2009) de Richard Curtis) ; « Ce qu’il faut craindre, c’est la lumière du jour. […] Une beauté, c’est de la joie jusqu’au lever du jour. » (Arnold, le héros homosexuel du film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Quelle lumière crue, implacable, quelle logique horrible ! » (José María après sa nuit de veille, dans le roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá) ; « Le dégoût. Ce terrible dégoût. […] Demain sera une journée pleine de dégoût. » (Michael dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Quand vient l’mardi, la Grande Zoa met ses bijoux, ses chinchillas. Et puis à minuit, la Grande Zoa autour du coup s’met un boa. » (cf. la chanson « La Grande Zoa » de Régine) ; « Fais pas l’enfant. Rendez-vous à minuit. » (Oliver, la trentaine, s’adressant à Elio, son jeune amant de 17 ans, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; etc. Par exemple, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Clara, l’héroïne lesbienne, se fait surnommer « Mercredi » (de la Famille Addams) par ses propres parents. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, lorsque la narratrice transgenre F to M se travestit en moine ermite, « un samedi soir, la veille de Pâques ». Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim et Doyler couchent ensemble le matin de Pâques 1916, et à l’aube d’un conflit sanglant entre l’Irlande et l’Angleterre. Doyler a du mal à voir arriver le jour : « On est le soir du Vendredi Saint et je ne pense plus qu’à Jim. »

 
 

Donald – « Où vas-tu ?

Michael – Il y a une messe de minuit. Je vais y assister.

Donald (ironique) – Prie pour moi.

Michael (blême) – Ça chassera peut-être mon angoisse.

Donald (seul invité à rester dans le salon) – En tous cas, moi, je pars dès que la bouteille est finie.

Michael – On se voit samedi ?

Donald – Si tu n’as rien de prévu. »

 

 (cf. le dialogue final du film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin)

 

Par exemple, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, minuit est lié à la mort, à la prostitution, à la déchéance et à l’errance humaine : « Plus noir qu’à minuit. » (cf. la nom d’un chapitre du film) Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, l’aube est désignée comme un moment de crise.
 
 

Aube de Résurrection

Aube de Résurrection


 

La déprime matinale du héros homosexuel est souvent contrebalancée (et au final, confirmée !) par un optimisme forcé et désenchanté : cf. le film « Les Promesses de l’aube » (2009) de Marie-Lise Giraudet, la comédie musicale Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stéphan Druet (avec Octavia, le transsexuel M to F, et son « voile matinal »), etc. L’aube apparaît alors comme une charmante déesse sépulcrale sans sexe : « J’ai longtemps attendu Aurore. […] Le matin qui s’agrippe mais que jamais on ne retient. » (cf. la chanson « Aurore » de Bruno Bisaro) ; « Dans mes bras de chrysanthèmes, l’aube peine à me glisser doucement son requiem. » (cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer) ; « Comme un fantôme qui se démène dans l’aube abîmée sans épiderme. Et nul n’a compris qu’on l’étreint à demi et… et nul n’a surpris son cri. Recommencer sa vie, aussi. » (cf. la chanson « Redonne-moi » de Mylène Farmer) ; « Et quand revient l’aube des hommes, je vous assure je reste belle. » (la prostituée-louve dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Quand je me réveille, je peux dire que j’ai fait la plus belle trouvaille de ma merdique existence : j’ai rencontré la Vénérable. Une petite vieille toute fripée de rides intelligentes. Avec deux rayons verts dans le regard. Comme depuis toujours, à cette aube elle m’apparaît sur fond noir, assise dans un fauteuil tapissé de velours rouge. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 96) ; « Quel maquillage porte à l’aube maman. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 27) ; « Au matin du sixième jour, soit on ressuscite, soit on meurt. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Après deux matins, à l’aube, Claude [l’héroïne lesbienne] se suicide. » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 122) ; etc

 

On finit par comprendre que c’est à l’aube que le héros homosexuel se retrouve nez à nez avec la mort (… du désir). Par exemple, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, Mimi, la « princesse » alitée et souffrant d’une mystérieuse maladie dont on a cherché pendant toute la pièce le remède, meurt à l’aube. Et contre toute attente, les chansons prétendument joviales « Je chante » de Charles Trénet (« Je chante, je chante soir et matin, je chante sur mon chemin. »), ainsi que « C’est une belle journée » de Mylène Farmer, évoquent contre toute attente le suicide. Dans le film « Les Lesbiennes ne portent pas de talons hauts » (2009) de Viktoria Dzurenkova, il est question de la « lumière froide de l’aube ». Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel, le héros homosexuel homophobe, ne veut surtout pas passer la nuit avec quelqu’un : il ne le supporte tellement pas qu’il tue les amants qui l’y obligent. Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, l’aube désigne une idolâtrie passionnelle qui va conduire la personne aimée vers la mort : en effet, Dorian Gray, le personnage homosexuel, tombe amoureux de la comédienne Sibylle Vayne (il dira d’elle qu’elle « a toute l’extase de l’aube »), puis en la répudiant, la pousse au suicide.

 
« Les rideaux n’étaient pas complètement tirés et l’aube lugubre de novembre s’insinuait dans la chambre. » (Jane l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 19) ; « Jane se glissa sans bruit dans l’appartement, surprise de voir le gris de plus en plus pâle d’une aube hivernale s’étirer à travers les carreaux. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 68) ; « L’aube commençait à poindre, la pièce passait du noir au gris. » (idem, p. 241) ; « Jane se pencha dans la cage d’escalier et vit la fille qui descendait dans la lumière grise de l’aube. » (idem, p. 244) ; etc.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’horreur boréale :

Il faut reconnaître que l’aube est davantage mentionnée dans les fictions homo-érotiques que dans la réalité, étant par définition un moment de silence… Mais si on prête bien attention, on en entend quand même bien. « À cette époque (années 1950-1960), dans les villes américaines, les homosexuels se réfugient dans la vie nocturne et sont appelés ‘twilight people’ – ceux qui ne rentrent chez eux qu’à l’aube. » (Kate Davis et David Heilbroner, Stonewall Uprising, Éd. First Run Features, 2010). Je vous renvoie à l’autobiographie Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997) d’Annie Ernaux, au conte « Avant la nuit » (1893) de Marcel Proust (publié dans la Revue blanche), l’autobiographie Antes Que Anochezca (1992) de Reinaldo Arenas, etc.

 

Autobiographie "Antes Que Anochezca" de Reinaldo Arenas

 

Dans le discours du sujet homosexuel, l’aube n’a souvent rien d’une renaissance ou du nouveau commencement. Elle est l’instant de la rupture, de la fin de l’orgasme, des adieux (« Retiens la nuit » bis), de la prise de conscience amère de sa finitude et du caractère éphémère de l’amour qui est en train de se vivre : « Plus tard, à l’approche de la première lumière qui annonce le grand jour, je me retrouvais dans sa chambre sans trop savoir pourquoi. Sa forte ombre qui tournait autour de moi bourdonnait des mots incompréhensibles, tel un chanteur aux mâchoires serrées. […] La sensation de beauté qui m’avait ébloui la veille, laissa la place à un visage banalement masculin, pas nécessairement très beau mais sexy, avec un air d’ivresse dans les yeux. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa première nuit de sexe homosexuel, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), pp. 66-67) ; « Combien de fois, à l’aube, alors que, sur les vieilles toitures de Clermont, l’affreux ciel des petits matins pâles cherchait sa vie, n’ai-je pas été saisi de nausées ? Tandis que je procédais à une toilette minutieuse, toujours comme ces femmes dont je me moque tant, j’ai vu dans mon miroir l’être de cendre que je suis vraiment. Par la porte entrouverte, j’apercevais un étranger, couché dans mon lit, satisfait après notre affreuse passion. Qui était-il ? qui nous avait poussés l’un vers l’autre, comme ‘les autres’ vers les putains ?… Quelle impasse ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 98) ; « Juste un bref commentaire sur le code « Aube » qui m’a rappelé ce patient qui revenait de ses escapades nocturnes au petit jour dans un état d’hébétude et d’amnésie après avoir subi les assauts de plusieurs hommes dans les boîtes du Marais pendant la nuit. » (un mail d’un ami reçu en 2010) ; « Les petites aubes sont terribles pour le cafard. Vers 3 heures du matin, c’est le moment que choisissent les idées noires pour vous foncer dessus. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 
 

b) La peur du jour et du Réel, qui ressemble à une mort :

Capture d’écran 2013-12-12 à 11.06.23

B.D. « Kang » de Copi


 

Parfois, l’aube est la porte d’entrée de la Réalité, de l’Humanité, de la Résurrection, d’un mercredi (des cendres) ou d’un dimanche (de Pâques), que l’individu homosexuel refuse de franchir par peur de renaître à la vie : « Il est 23h, j’ai la tête pleine de cendres. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 93) ; « Mais comme le jour arrive… Le jour arrive toujours. » (la romancière lesbienne Nina Bouraoui dans l’émission Culture et Dépendances, sur la chaîne France 3, diffusée le 9 juin 2004) ; « Elle m’a quitté à minuit. » (Simone de Beauvoir, parlant de son amante Nathalie avec qui elle a fait l’amour, dans une lettre rapportée dans la pièce-biopic Pour l’amour de Simone (2017) d’Anne-Marie Philipe) ; « Hôpital général de Brazzaville. À deux heures dix, passées de minuit, des sanglots suffoqués évoquaient les instants fatidiques de ma vie. Dans une chambre à la lumière tamisée, où s’entassaient des nouveaux-nés dans des berceaux semblables les uns aux autres, j’étais comme quelque chose qui s’éveillait et combattait sa propre existence. » (cf. la première phrase de l’autobiographie Le Flamant noir (2004) de Berthrand Nguyen Matoko, p. 11).

 

Je vous renvoie à la partie « Cendres » du code « Désert » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

À Paris, le nom de la salle de spectacle la plus importante du quartier homo parisien du Marais, à savoir Le Point-Virgule, renvoie symboliquement, à mon avis, au refus des fins, des points finaux.

 

La déprime matinale que ressentent beaucoup de personnes homosexuelles (et hétérosexuelles !) est souvent contrebalancée (et au final, confirmée !) par l’optimisme forcé et désenchanté : « Le jour sourit mauvais derrière mon carreau. » (cf. le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet) Dans leur esprit, curieusement, l’aube apparaît alors comme une charmante déesse sépulcrale sans sexe, ou un homme invisible angélique : « Après ta mort, j’ai eu peur. Peur que tu m’apparaisses, comme ça, dans le lit, à côté du mien. Je lisais, tu sais quoi ? les programmes de théâtre et de cinéma. J’imaginais que tu me donnais rendez-vous. On se retrouvait toujours après le spectacle, quand tout était calme, quand le lit avait été rendu au fantôme. Après, on parlait, on parlait, jusqu’à l’aube. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère morte, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 151) Par exemple, dans le documentaire « Ma Vie (séro)positive » (2012) de Florence Reynel, Vincent, 22 ans, homosexuel, à la fois pleure la misère affective dans laquelle il est constamment et périodiquement plongé, et tient quand même le discours combatif et gnangnan des contes de fée : « Un jour, j’aurai le Prince charmant. C’est tellement rassurant d’être avec quelqu’un, de passer une nuit avec quelqu’un. »

 

On finit par comprendre que c’est à l’aube que les individus homosexuels se retrouvent nez à nez avec la mort (… du désir/Désir).

 
aube
 
 

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Code n°17 – Bergère (sous-codes : Peau d’âne / Femme-objet / Joconde)

Icône 17

Bergère

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Pourquoi on a du mal à aimer une femme ? (La célébration homosexuelle de la femme-objet idéalisée… au détriment de la femme réelle : sois belle et tais-toi)

 

Rita Hayworth

Rita Hayworth

 

Les individus homosexuels aiment-ils particulièrement la femme ? Non. Ils peuvent la trouver « objectivement » belle, désirable, terriblement forte et attirante… mais en général, ils lui préfèrent la femme-objet (l’actrice, le mannequin, la chanteuse). Leur rapport avec la femme réelle, confondue avec la femme cinématographique, peut être passionnel, charnel, érotique, amoureux… mais en tous cas il n’est pas aimant : là est tout le paradoxe !
 

Même si la majorité des hommes gays n’ont pas d’attirance sexuelle pour les femmes, en revanche, il serait faux de dire qu’ils n’ont aucune attirance du tout, ni surtout aucune projection fantasmatique (voire érotisée) sur elles. Il y a du désir. Un désir idolâtre, peu fiable, misogyne en ses fonds, mais un désir quand même. Disons qu’ils sont fous de la femme-objet qu’ils ont confondue avec la femme réelle… si bien qu’ils méprisent inconsciemment la seconde en la réduisant à une équation esthétique et émotionnelle, à un montage sculptural, à une caricature de féminité, à un moule sur-féminin (qui force les femmes à être plus qu’elles-mêmes ! à être des hommes-objet ou des pères-objet !). Ayant parfois grandi dans des univers très féminins, dans des maisons de poupées bourgeoises, il arrive qu’ils soient à l’âge adulte les constructeurs et les annonciateurs de l’imagerie féminine qui sera adoptée par une société.
 

En général, l’égérie gay représente une vierge maternelle, une grand-mère transfigurée de lumière, la bergère gentillette des romans pastoraux, la Vénus végétale, la jumelle narcissique, l’Ophélie de Millais : Charpini & Brancato « J’aime bien mes dindons » (1933). Elle n’a pas de sexe et n’a jamais « péché » (comprendre « connu la génitalité »). Pour bon nombre de sujets homosexuels, le sexe et le corps des femmes a peu à voir avec « l’être femme », puisque n’importe qui peut être femme : il suffit, comme le recommande Néstor Perlongher, de « se laisser envahir par l’émotion du devenir femme » (Néstor Perlongher, « Sobre Alambres » (1988), p. 140) de se déguiser en star ultra-féminine, ou de faire intervenir la science, pour qu’un être né homme se convertisse en femme. Ce qui préoccupe la majorité des personnes homosexuelles, ce n’est pas tant la femme incarnée que son allégorie divine, scientifique et télévisuelle. « Je suis fascinée par les femmes hétérosexuelles » affirment certaines femmes lesbiennes (cf. le documentaire « Le Bal des chattes sauvages » (2005) de Véronika Minder). Elles ont pris l’exception de femme pour la femme universellement/uniformément exceptionnelle, si bien qu’elles sont tentées de délaisser les femmes réelles.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’identifient à la femme-objet, créature appartenant prioritairement au star system et qui se rêve sur-humaine : « J’ai voulu être hors du commun, dit-elle, dépasser la condition humaine. » (l’actrice française Jeanne Moreau citée dans l’essai Les Femmes et les homosexuels : la fausse indifférence (1996) de Virginie Mouseler, p. 166) Elles pensent vraiment qu’elle est l’incarnation de la femme réelle. Par exemple, Julien Green soutient que lorsqu’il voit jouer Brigitte Bardot, il ne peut plus parler de cinéma : « Dans les films d’elle que j’ai vus, elle ne joue pas, elle existe. » (cf. l’article « Julien Green, l’histoire d’un sudiste » de Philippe Vannini dans le Magazine littéraire, n°266, juin 1989, p. 103) Elles préfèrent la femme en photo qu’à table… même si la photo est parfois jolie et flatteuse pour la femme réelle. Ils glorifient la femme étrangère folklorique, l’extra-terrestre autiste et muette, la femme-musée qui fait tout pour ne pas être prise pour une potiche parce que précisément elle en est presque une. Le symbole le plus manifeste de leur désir de pétrifier la femme, de lui clouer le bec sans qu’elle cesse de sourire mystérieusement, c’est leur goût pour la Joconde.
 

Film "Xenia" de Panos H. Koutras

Film « Xenia » de Panos H. Koutras


 

Les personnes gays et lesbiennes (conjointement aux personnes hétérosexuelles machistes) sont souvent les parents de la femme-objet. Tout en rejetant son concept, elles le cautionnent par la photographie, la littérature, le théâtre, les arts plastiques, et le septième art. De nombreux réalisateurs homosexuels réactualisent le mythe de Don Juan en cherchant à s’entourer des plus belles femmes du monde et en les transformant en monstres sacrés du cinéma mondial.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles admirent la femme-objet au point de vouloir prendre sa place. Certaines études scientifiques avancent que 40% des garçons gays ont eu le désir d’être une femme (Jacques Corraze, L’Homosexualité (2000), p. 56). Ils le confessent rarement, car en effet, c’est un peu vrai et un peu faux à la fois. C’est faux dans les faits, puisqu’ils ne désirent pas être la femme réelle, mais la femme imagée qu’ils ont prise pour la femme réelle. C’est vrai en fantasme… et parfois un peu dans les faits, quand les désirs artificiels se sont partiellement actualisés par la chirurgie et l’artifice du travestissement ou des attitudes.

 

La majorité des personnes homosexuelles idéalisent la femme, et cette attitude, contrairement au cliché qui sévit surtout dans le « milieu » homosexuel, n’est pas proprement gay. Beaucoup de femmes lesbiennes croient tellement que la femme de magazine est la femme réelle qu’elles en déduisent, parce qu’elles n’atteindront jamais le degré de « perfection » de l’image, qu’elles ne sont pas de vraies femmes, ou même que la femme n’existe pas : « La féminité me paraissait assortie de tant de contraintes que je n’ai pas mis beaucoup de temps à décider que je ne voulais pas être une femme. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 54)

 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Poupées », « Reine », « Destruction des femmes », « Carmen », « Vierge », « Putain béatifiée », « Femme et homme en statues de cire », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Substitut d’identité », « Mère possessive », « Grand-Mère », « Tante-objet et Mère-objet », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Frankenstein », « Fleurs », « Jardins synthétiques », « FAP ‘fille à pédés’ », « Bourgeoise », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois », « Fan de feuilletons », « Télévore et Cinévore », « Femme allongée », « Actrice-Traîtresse », « Pygmalion », « Innocence » et « Don Juan », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel grandit dans une ambiance très féminine, et choisit la bergère comme femme idéale :

Tableau La Jeune Bergère de Georges Paul François Laurent Laugée

Tableau La Jeune Bergère de Georges Paul François Laurent Laugée

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité apparaît souvent l’image d’Épinal kitsch et sucrée de la bergère de la pastorale : cf. le film « Peau d’âne » (1970) de Jacques Demy, le roman Peau d’âne (2003) de Christine Angot, la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) Philippe Cassand (avec la référence à Peau d’âne), le vidéo-clip de la chanson « Tristana » de Mylène Farmer, le recueil Les Quarante Bergères : Portraits satiriques en vers inédits (1925) de Robert de Montesquiou, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman (avec l’amour de Nietzsche pour les paysannes), le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le film d’animation « Toy Story 2 » (1999) de John Lasseter (avec le personnage de Bo Peep), le film « Totò Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent (avec Sarah, la lesbienne Cacharel), la chanson « Duo des dindons » de Charpini et Brancato, etc. Par exemple, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Guillaume, le héros homosexuel, passe une heure à regarder une gravure d’une femme aux coquelicots. Et il ne touche pas à sa meilleure amie Mathilde parce qu’il la considère comme un bibelot : « Tu ferais la Madone de je ne sais quel tableau. »
 

« T’as vu ? C’est comme dans Peau d’âne. » (Anne, l’héroïne bisexuelle avalant dans sa bouche un bracelet à la bijouterie pour le voler, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma) ; « Je les regardais s’engouffrer tous dans l’escalier qui menait au balcon, lorsque je reconnus Perrette Hallery de dos… accompagné d’une magnifique femme en manteau de poil de singe, rousse à mourir sous son chapeau à voilette, la peau laiteuse et la démarche assurée. Le cliché de la belle Irlandaise, Maureen O’Hara descendue de l’écran pour insuffler un peu de splendeur à l’ennuyeuse vie nocturne de Montréal, la Beauté visitant les Affreux. […]La fourrure de singe épousait chacun de ses mouvements et lui donnait un côté ‘flapper’ qui attirait bien des regards admiratifs. Les hommes ne regrettaient plus d’être là, tout à coup. […] Maureen tenait le bras de son fils et je crus d’abord qu’elle était aveugle. Mais elle promenait autour d’elle ce regard curieux de myope qui ne voit pas ce qui l’entoure et qui se fie au flou des contours pour se guider. Mon rouquin n’avait pas menti au guichet, sa mère avait bel et bien un problème de vision ! » (le narrateur homo parlant de la mère de son futur amant rouquin Perette Hallery, à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; etc.
 

Le héros homosexuel met la féminité sur un piédestal, sous verre ou sous cloche, dans un joli herbier : « Ce que j’aime en une femme, en une vierge, c’est la modestie sainte ; ce qui me fait bondir d’amour, c’est la pudeur et la piété ; c’est ce que j’adorai en toi, jeune bergère ! » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous une soutane (1870), p. 202) ; « Tu es très belle avec ton poncho qui sent l’âne. » (l’héroïne lesbienne s’adressant à Bérénice dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie) ; « Lady Anna Gordon est l’archétype de la femme parfaite que Dieu trouva bon de créer. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, pp. 17-18) ; « Je respecte toutes les femmes hétérosexuelles de la salle. » (Shirley Souagnon s’adressant à toutes les « femmes hétérosexuelles » dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Y’a un proverbe antillais qui dit : ‘Avant d’épouser la bergère, regarde sa mère !’ J’ai regardé… et je me suis barré ! » (Rémi, le héros bisexuel, jadis en couple avec Marie, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; etc.
 

Il n’est pas rare d’ailleurs qu’il cherche à reproduire le paradis de dînette dans lequel il a grandi, le cocon majoritairement féminin et déréalisant de l’enfance. « Je reste presque seul, dans l’évident triomphe de mes seize ans, entouré de femmes qui prennent soin de moi, de leur affection excessive et peureuse. » (Vincent, le jeune héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) Philippe Besson, p. 14) ; « Au fil des ans, je m’étais habituée à la compagnie de personnes beaucoup plus âgées que moi. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 13) ; « Dans mes nuits, j’étais la poupée qu’on habille et qu’on déshabille. Est-ce une maladie ordinaire, un garçon qui aime un garçon ? » (cf. la chanson « Le Privilège » de Michel Sardou)
 

Bo Peep et Woody dans le film d'animation "Toy Story" de Pixar

Bo Peep et Woody dans le film d’animation « Toy Story » de Pixar


 

Beaucoup de personnages homosexuels n’arrivent pas à se détacher du salon de thé de leur(s) mère(s) : cf. le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Morte A Venezia » (« Mort à Venise », 1971) de Luchino Visconti (avec la famille de Tadzio, où les hommes sont inexistants), le roman Du côté de chez Swann (1913) de Marcel Proust, la pièce La Casa De Bernarda Alba (1936) de Federico García Lorca, le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent (avec le camping des femmes esseulées ou lesbiennes), etc. Par exemple, Maurice, le héros du film éponyme (1987) de James Ivory, n’est entouré que de femmes (ses sœurs, sa mère, ses tantes) durant toute sa vie. Dans le film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick, Sabu, le personnage homosexuel, a évolué pendant toute son adolescence dans le salon de coiffure de sa tante, en compagnie des clientes. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, dit ironiquement qu’il incarne le cliché parfait du « gay » : « Pas de père. Et entouré de femmes dominantes… ». Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric le héros homo est le seul garçon de sa famille : il est entouré d’une longue lignée de sœurs.
 

L’attachement précoce pour la bergère préfigure parfois une homosexualité. Par exemple, dans la nouvelle « L’Histoire qui finit mal » (2010) d’Essobal Lenoir, un papa raconte à son jeune fils une histoire d’amour anodine entre un prince et une princesse ; mais l’enfant n’y croit pas, et ré-invente complètement le conte de fée pour que le prince ait le choix de renoncer tout d’abord à la princesse, mais aussi à la solution « éthique » de rechange trouvée par son père – à savoir la bergère pour que Roméo finisse dans les bras d’un homme ! « Ah ! alors une bergère. C’est un prince qui veut épouser une bergère. Mais tu sais, à la fin, la bergère c’est toujours une princesse abandonnée par ses parents. » (le père, p. 6) En quelque sorte, la bergère est le stade intermédiaire vers une homosexualité exclusive.
 
 

b) La passion pour la femme-objet folklorique et cinématographique :

B.D. "Kang" de Copi

B.D. Kang de Copi


 

Le thème de la femme-objet revient extrêmement souvent dans les fictions homosexuelles : cf. le film « Potiche » (2010) de François Ozon, la pièce La Pyramide (1975) de Copi (mise en scène par Adrien Utchanah en 2010, avec la parodie du concours de Miss de Beauté), le film « Little Miss Sunshine » (2006) de Jonathan Dayton (avec le concours de Miss America), la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier (dans laquelle le maquillage féminin est présenté comme une dictature esthétique imposé aux femmes), la chanson « Material Girl » de Madonna, le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen (avec Göran, fan homo de Dolly Parton), le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque (avec le narrateur, fan de chanteuses comme Dorothée, Chantal Goya, Mylène Farmer, Catherine Deneuve, etc.), le film « Miss Congeniality » (« Miss Détective », 2000) de Donald Petrie (avec Vic, le conseiller relookeur des Miss), la comédie musicale Ball Im Berlin (Bal au Savoy, 1932) de Paul Abraham (avec Madeleine, un genre de Lili Marleen), « Les filles, c’est des garçons » de Gabaroche, la chanson « Transfert Trottinette » de Bilal Hassani (hommage à Britney Spears), etc.
 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. Kang de Copi


 

En général, les personnages homosexuels entretiennent une relation passionnelle avec une femme-objet médiatique. « J’adore Audrey Hepburn. Audrey Hepburn, c’est la femme de ma vie. » (Nicolas, le héros gay du film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan) ; « Nous adorerons Evita. Son image sera reproduite à l’infini en peinture et en statue pour que son souvenir reste vivant dans chaque école, dans chaque endroit de travail, dans chaque foyer. » (Juan Domingo Perón dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi, p. 86) ; « Pour moi sa vie était ma source d’inspiration ! Je n’ai jamais joué qu’un seul personnage : Madame Lucienne ! » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Je vous aime, Dalida. Je vous adore. Je peux vous embrasser ? » (la figure d’Élie Kakou dans le one-woman-show Sandrine Alexi imite les stars (2001) de Sandrine Alexi) ; « J’aime une comédienne : Sybil Vane. » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Ne trouvez-vous pas que seules les actrices sont dignes d’amour ? » (idem) ; « J’me voyais déjà monter des marches avec des stars. » (Fabien Tucci, homosexuel, originaire de Cannes, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « J’adore toutes les femmes. » (Simon, le héros homo, fan de Whitney Youston, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; « J’adore Géraldine Pellas. » (Jacques, le héros homo, en parlant d’une cantatrice qu’il écoute fort chez lui, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.
 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. Kang de Copi


 

Par exemple, dans le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache, le héros a une photo encadrée de Lady Di dans sa valise. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Quentin, le héros homo, sort avec Michèle, l’actrice de série B La Vie est plus moche. Dans le film « La Forme de l’eau » (« The Shape of Water », 2018) de Guillermo del Toro, Giles, le personnage homo âgé, peint des actrices. Dans le one-man-show Parigot-Brucellois (2009) de Stéphane Cuvelier, le personnage transsexuel M to F est fan de Karen Cheryl et de Simone de Beauvoir. Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain, le coiffeur homosexuel, regarde Julie Lescaut à la télé, et se déguise en Lady Gaga ou en Princesse Sarah dans ses soirées déguisées. Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, Rayon, le héros transsexuel M to F, a plein de photos d’actrices autour de sa glace. Dans le faux film « Servir et protéger » à l’intérieur du film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Billy Stevens, un soldat homosexuel, est fan de la B.O. du film « Beaches » avec Bette Midler, et ce signe trahit auprès de sa hiérarchie militaire son homosexualité. Toujours dans le film « In & Out », Howard, le héros central de l’intrigue, est fan de Barbara Streisand et de Gloria Gaynor. Dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, Elliot, le héros homosexuel, est fan de Judy Garland. Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, un hommage est rendu continuellement à la chanteuse Jackie Quartz (l’interprète de « Mise au point ») : Benoît, son fan homosexuel, a d’ailleurs placé un portrait d’elle pile au centre de son salon. Dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David est fasciné par Catherine Deneuve. Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Marcy se compare sans arrêt à Amélie Poulain ; et Sébastien, son meilleur ami gay, se prosterne devant la photo de la chanteuse Madonna, icône qui a remplacé la statuette de la Vierge dans l’appartement. Dans le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, les deux protagonistes masculins s’identifient à Meg Ryan et à Julia Roberts. Dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar, Esteban voue un véritable culte à l’actrice Huma Rojo. Dans le film « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar, Benigno regarde Alicia à son cours de danse à travers la fenêtre de son immeuble, comme un inventeur sa ballerine enfermée dans une cloche de verre. On retrouve cette image avec le tableau de Pierre et Gilles dans lequel une femme miniature enfermée dans un sablier est regardée par un homme géant. Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry exprime le désir de devenir majorette et pom-pom girl ; d’ailleurs, il compare la femme à « un beau tableau », « une belle statue ». Dans le sketch « Sacha » de Muriel Robin, Bruno, le héros homosexuel, imite ses idoles Dalida et Mylène Farmer à travers des play-back et des spectacles où il se travestit. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand dépeint les différentes catégories d’homos qu’il a identifiées dans la communauté LGBT, dont « les fans de femmes avec un grand F ». Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, « M. », un des héros homos, dit « qu’il est amoureux d’Audrey Hepburn, l’actrice de Breakfast At Tiffany’s […] et fan de Lio » (p. 39). Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Angelo, l’un des héros homos refoulés, après sa tentative de kidnapping de Carla Bruni dont il dit être amoureux, manque de peu d’être interné dans un hôpital psychiatrique, et est activement recherché par la police. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, l’un des héros homosexuels, est fan de l’actrice María Montez, et la défend bec et ongles : « Qu’est-ce que tu reproches à cette femme formidable ? » Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Graziella, l’agent de Tom (le héros homo) qui veut le forcer à paraître hétéro, lui soumet un test de questions pour savoir s’il arrive à rentrer dans la peau de son personnage. Et l’un des questions lui impose un choix cornélien impossible : « Lady Gaga ou Madonna ? » Tom prend sur lui pour répondre une seule des deux… mais le « naturel » ne tarde pas à revenir au galop : « Les deux ! Je les adore ! » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Petra, la femme du neveu de Ben (le héros homosexuel), est surnommée en boutade par Ben et George « Petra von Kant ». Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antionetta se rend compte que Gabriele, son ami homosexuel, a l’esprit et le cœur contaminés « d’actrices, de chanteuses, de présentatrices ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il leur propose trois options d’ateliers au choix : une visite au Musée de la Mode, un atelier de création de bougies parfumées, et un atelier Mylène Farmer. Dans le film « Sing » (« Tous en scène », 2016) de Garth Jennings, Gunther, le cochon homosexuel, se prend pour Lady Gaga. Dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, Ritchie, le héros homo qui se travestit le temps d’une soirée, est comparée à Nana Mouskouri.
 

Le héros homosexuel a tendance à considérer la star comme sa vraie mère biologique : « Toute l’année j’avais attendu de voir Mary Poppins avec mon idole, en vedette. » (Michael, le héros homosexuel du roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 89) ; « Dalida, ma Dali, mon idole. » (Karine Dubernet dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! , 2011) ; « J’me sens très proche d’elle. » (Philippe Mistral en parlant de Dalida, dans son one-man-show Changez d’air, 2011) ; « Oh ! C’est terrible !!! C’était comme une mère pour moi ! » (Romain, le coiffeur homosexuel, parlant de la cantatrice Isabelle, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « Ma mère, c’est Chantal Goya. » (Claude, le personnage homosexuel de la pièce Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Tu n’aimerais pas être actrice ? Si t’étais actrice, j’écrirais des rôles pour toi. » (Esteban, le héros homosexuel s’adressant à sa mère Manuela, dans le film « Todo Sobre Mi Madre », « Tout sur ma mère » (1998) de Pedro Almodóvar) ; « Le pire, maman, ce serait de devenir comme toi : une potiche. » (Joëlle s’adressant à sa mère Suzanne dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon) ; « C’est quoi le problème ? C’est sa mère, Sophie Marceau ? » (Alex par rapport à Gabriel le héros homosexuel, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; etc.
 

Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le jeune héros homosexuel, délaisse sa vraie mère (il ne pleure même pas sa mort) pour lui préférer la chanteuse Patty Pravo, même si les deux femmes fusionnent : « Ma mère était chanteuse. Elle pouvait chanter. » ; « Patty, c’est mon idole. » Dans une vision onirique, le jeune homme voit sa star sur un paquebot, en rouge, qui s’adresse à lui à distance, d’un bateau à un autre, et qui ne pourra pas le rejoindre. Comme s’il s’agissait de sa mère, elle lui demande de se couvrir pour ne pas prendre froid. « Patty Bravo est mon porte bonheur. » À la fin, la limousine noire de Patty s’arrête au bureau de tabac pour acheter le journal : elle se contente de glisser à Dany un doux « Amore » puis de s’en aller sans en dire plus. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu, le héros homosexuel, parle de sa mère en l’imitant comme s’il s’agissait de la mère cinématographique Loréal : « Parce que je le vaux bien. »
 

Pourtant, on l’avait mis en garde que la femme-objet n’est qu’une exception de femme qui n’est absolument pas représentative de toutes les femmes réelles. « Le portrait de votre femme n’est pas votre femme. » (Maria Casarès s’adressant à Orphée, dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) On l’a aussi prévenu que cette conception de la femme n’honore pas les vraies femmes : « C’est facile de faire la femme, mais être une femme, c’est autre chose. » (Luis à son amant transformiste Paulo, dans le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron) Mais rien n’y a fait.
 

En général, la femme est regardée comme une star-objet (c’est pour cela qu’elle est représentée parfois de dos) : « L’idéal est une panoplie de majorettes. » (Denis, le héros homo du film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta ; « Hillary pose devant ce photographe qui s’applique pour immortaliser la beauté de la jeune femme. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Maria fait partie du décor, comme un meuble de la pièce. » (Cyril, le héros du roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 28) ; « Catherine D. [sous-entendu Catherine Deneuve] est en chantier. » (le héros homosexuel dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Eva était incontestablement la plus séduisante dans son ensemble easy-wear Vivienne Wetswood en cachemire vert pâle orné de soieries noires. Elle ressemblait à une égérie des sixties. Ses lèvres avaient le goût du cappuccino. » (Antoine dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, p. 203) ; « Antoine aperçut Eva de dos, dans une splendide robe volantée mauve. » (idem, p. 216) ; « Je lui trouvais une froideur de vamp rétro. Quelque chose d’Eva Marie Saint dans ‘La Mort aux trousses’, l’exotisme slave en plus. […] Quand elle écrivait, elle devait appuyer très fort sur son stylo, car son ongle devenait blanc à l’extrémité, et rosissait à la base, sous l’afflux du sang. Ce détail me prouvait qu’elle n’était pas de marbre. Comme pour me confirmer cette découverte, en réalité sans doute parce que j’avais passé les bornes en la détaillant de manière assez insistante, elle est sortie de son immobilité de statue, a tourné la tête et m’a lancé un regard excédé. » (p. 54) ; « De toute évidence, je n’existais pas à ses yeux. » (Jason, le héros homosexuel décrivant la Russe vénéneuse Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 53-54) ; « Pour moi, Anna Morante est une image immobile, en deux dimensions. Seulement une image. » (Leo, le héros homosexuel du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 106) ; « C’est bien ainsi que tu les préfères : froides, flasques. » (le héros gay s’adressant à Stan à propos des femmes, dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé). Par exemple, dans le film « Morte A Venezia » (« Mort à Venise », 1971) de Luchino Visconti, Aschenbach embrasse des cadres où se trouvent les photos des « femmes de sa vie ».
 

C’est une attitude, une sensation, une posture esthétique, une corporalité sans âme (mais avec du style et de la sensiblerie !), que le héros homosexuel recherche chez les femmes de son entourage : « J’aime l’esprit des femmes, Vincent. J’aime leur esprit avant toute chose. Et puis, bien sûr, je prise leur élégance. » (Marcel Proust s’adressant à son jeune amant Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 92-93) ; « Je suis une femme par mon odeur. » (Hadda dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 185) ; « Ça ne retire rien à l’amour que je porte aux femmes. Que dis-je à l’amour ? Au culte que je leur voue. J’aime la féminité. Je la vénère. Profondément. » (Jason, le héros homo du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 120) ; « Une femme est authentique quand elle ressemble à l’image qu’elle a rêvée d’elle-même. » (Agrado le transsexuel M to F dans le film « Todo Sobre Mi Madre », « Tout sur ma mère » (1998), de Pedro Almodóvar) ; « Aaaaah les femmes… Y’a toujours quelque chose de dérangé dans ces machines compliquées. » (Monsieur de Rênal, le mari efféminé de Louise, dans la comédie musicale Le Rouge et le Noir (2016) d’Alexandre Bonstein) ; « Quelle machine compliquée que la femme. » (idem) ; etc. Par exemple, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi et Damien, les deux héros bisexuels, prennent la femme pour une machine. Ils se rencontrent dans une laverie, et dès qu’ils percutent une machine à laver, ils s’excusent en l’appelant « Madame ».
 

Dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti Charlène Duval affirme qu’elle « connaît les femmes par cœur » ; en réalité, elle voit la femme comme « une espèce », une femelle qu’on peut disséquer, et se propose d’opérer « une coupe psychologique de l’intérieur de la femme ». C’est la sur-féminité – une « féminité de laboratoire », pour ainsi dire – plus que la féminité réelle qui est célébrée par le héros homosexuel. Dans l’idée, cette sur-féminité peut donc être tout à fait portée par des hommes. Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet, Roberto le transsexuel M to F est défini par Yolanda comme son « idéal féminin ».
 

Le personnage homosexuel trouve dans la femme-objet la puissance de la matière – matière qu’il appellera inconsciemment « caractère » ou « personnalité » (cf. la chanson « Stronger » de Britney Spears, « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun, la chanson « La Reine » de Lorie, etc.). En s’identifiant à elle, il a l’impression d’être une dame de fer (violée et prostituée !), armé(e) contre tous les obstacles du Réel, dur(e) comme du béton : « Nous, les tantes, nous sommes résistantes. » (Gérard, un des personnages homosexuels de la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; « Nina Hagen, c’est nous ! » (Rudolf, le héros homosexuel s’adressant à ses deux amis Gabriel et Nicolas, à qui il offre les vinyles de la chanteuse, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Je suis sosie d’une chanteuse très très connue : je suis sosie de Mireille Matthieu. Et de Nana Mouskouri. » (Max, le héros homosexuel de la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « J’ai toujours pensé que comme j’étais une pédé passif, alors je pouvais être un femme belle et désirette, c’est dans moi, comme jouer à la poupée quand j’étais enfant, essayer les robes de ma mother quand j’étais teen et sucer des bites maintenant, quoi ! […] Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ? ’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina. » (Cody, le héros homosexuel américain efféminé s’adressant à son pote gay Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 92 puis p. 101) ; « À partir de maintenant, je m’appelle Samantha. » (Shirin, l’une des héroïnes, dans le film « Circumstance » (2011) de Maryam Keshavarz) ; « T’es la première femme qui m’ait attiré… depuis Lary Swan. » (Maurice, le styliste homosexuel, s’adressant à Kate travestie en homme, dans le film « Les Douze Coups de Minuit », « After The Ball » (2015) de Sean Garrity) ; etc.
 

Par exemple, dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa dit qu’elle est le sosie noir de Marilyn Monroe. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, se compare, avec ses 4 amis, aux Desperate Housewives ; il joue à être le sosie de Madonna ; il participe à un concours de Miss France ; et avec son meilleur ami travelo « Annonciade », qui ressemble à une vraie femme-objet, une prostituée avec des bijoux et beau manteau de vison. Dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013), le travesti M to F David Forgit à la fois célèbre la femme-objet et la détruit en incarnant trois générations de prostituée : la mère, la grand-mère et la fille. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas, Gabriel et Rudolf, les trois héros gays, forment le chœur fanatique d’une cantatrice transgenre des montagnes, une sorte de Sissi robotique : « Sissi est de retour !! » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, la cantatrice trans M to F Louvre est fêtée pendant son concert comme une diva divine. Davide, le jeune héros homosexuel, s’y identifie complètement.
 

Le personnage homosexuel préfère l’hyper-féminité (donc en réalité le fantasme de viol, qui peut tout à fait être incarné par un homme ou un personnage transgenre/transsexuel) à la vulnérabilité de la femme réelle : « Les femmes sont plus féminines ici. » (Dai, le père de famille hétérosexuel, parlant des hommes homosexuels du cabaret transformiste où il fait un discours, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Les filles qui se font violenter sont souvent hyper sexualisées. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 55) ; etc. « Arlette était la fille la plus belle que Silvano eût rencontrée à Paris, elle avait l’air d’un éphèbe. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 104) ; « Je ne sais pas ce que tu lui trouves à Marlène Dietrich. On dirait un vieux travelo. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Sidonie, je l’ai tant aimée. Mais les actrices sont des idiotes ingrates. Au fond, je crois que j’ai plus aimé l’actrice que la femme. » (Peter, le héros homo, par rapport à sa meilleure amie actrice Sidonie, dans le film « Peter von Kant » (2022) de François Ozon) ; etc.
 

La réification de la femme n’est pas réservée aux personnages gays masculins. Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen tombe amoureuse d’Angela, la femme-actrice lesbienne. Certaines héroïnes lesbiennes ont une conception de la femme tout aussi imagée et fanatique que leurs homologues homosexuels hommes. Pour elles, une personne ressemble d’autant plus à femme qu’elle devient glaciale et figée : « Elle fait plus femme, plus froide surtout. » (Ann Scott, Le Pire des mondes (2004), p. 77)
 

La femme-objet est même d’ailleurs bisexuelle ou lesbienne (je vous renvoie à la partie « prostituée lesbienne » du code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le vidéo-clip de la chanson « Comment t’appelles-tu ce matin ? » d’Élodie Frégé, la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora, le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly (Jeanne Moreau est imitée en femme lesbienne), etc.
 

Chez les héroïnes lesbiennes, l’adoration de la femme-objet va souvent jusqu’à la (simulation de) destruction de cette dernière… donc jusqu’à l’absorption fusionnelle. La femme-objet hétérosexuelle est une femme lesbienne en devenir. Les héroïnes lesbiennes s’y sont identifiées à l’excès dans le rejet. « Une fois, j’ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Je n’arrêtais pas de me demander : Pourquoi cette femme me ressemble ? Pourquoi elle est dans le magazine et pas moi ?!? […] Elle me ressemblait, et ça me rendait malheureuse. Cette femme dans le magazine qui me ressemblait, je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a explosé à la figure. » (la chanteuse Oshen, habituellement la « lesbienne invisible » interprétée par Océane Rose-Marie, en concert à L’Européen de Paris, le 6 juin 2011) Comme je l’explique au sujet de l’homosexualisation de l’homme-objet qui s’hétérosexualise et incarne l’« Éternel Masculin » (dans le code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), on constate exactement le même phénomène avec la femme-objet : plus une femme s’hétérosexualise et cherche à devenir objet, à représenter l’« Éternel Féminin », plus elle s’homosexualise et prend des traits androgynes, lesbiens.

 

Le héros homosexuel – ou dit homosexuel -, en s’identifiant à la femme-objet ou en étant identifié à elle, se met en danger de viol, car il est parfois pris pour une poupée gonflable à violer. Par exemple, dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Mardonio féminise son pote Secundo après avoir appris que le père de ce dernier, Noé, était homo : « La petite chatte arrive[…]Regardez sa maison de Barbie »

 
 

c) La première femme-objet officiellement mondialisée, Mona Lisa, attire le personnage homosexuel :

Expo Marcel Duchamp au Centre Pompidou (Paris) de septembre 2014 à janvier 2015

Expo Marcel Duchamp au Centre Pompidou (Paris) de septembre 2014 à janvier 2015


 

C’est curieux comme la Muse de Léonard de Vinci fait l’unanimité dans les créations artistiques homosexuelles : on la retrouve dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau (avec le poster de la Joconde dans la chambre de Chance, le héros homosexuel), le film « My Summer Of Love » (2005) de Paul Pavlikovsky (avec Mona, la lesbienne), le film « Miss Mona » (1986) de Medhi Charef, la chanson « Les Liens d’Eros » d’Étienne Daho («Elle est là ma Vénus allongée, […] sourire de Joconde apaisée »), le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (avec la caricature de la Joconde dans l’une des salles du manoir hanté), la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo, le roman Le Sourire de la Joconde (1953) de Jacento et Martinez Benavente, le film « Le Sourire de Mona Lisa » (2003) de Mike Newell, la chanson « La Joconde » de Juliette, le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le film « Potains mondains et amnésie partielle » (2001) de Peter Chelsom, le film « Mona Lisa » (1986) de Neil Jordan, la chanson « Mona Lisa » dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, la photo Lisa Lyon (1982) de Robert Mapplethorpe, la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd, la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer, le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent, la pièce Da Vinci contre Michel-Ange (2015) d’Alessandro Avellis, le film « La Princesse et la Sirène » (2017) de Charlotte Audebram (avec le poster de la Joconde dans l’appartement), etc.
 

La référence à Mona Lisa semble pourtant bien anodine. On l’entend parfois au détour d’une réplique, sans trop comprendre ce qu’elle vient faire dans le contexte d’énonciation : « Ne bousculez pas la Joconde. » (Henry dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, p. 92) ; « La Joconde et les tableaux de Dalí sont très beaux mais ils ne me font pas cet effet-là. » (Bryan parlant de son émoi homosexuel pour son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 210) ; « Mona Lisa sin sonrisa » (Yolanda dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « T’as le sourire de la Joconde sur la figure. » (Mégane dans la pièce Baby Doll (1956) de Tennessee Williams) ; « Je suis allée la voir, la Joconde. Y’avait une queue. Mais une queue ! » (Mireille, dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet) ; « Enlève le soutif : c’est Mona Lisa. » (Riki, homosexuel, s’adressant à son amie Marie à propos de sa tenue, dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion) ; etc.
 

Mais en réalité, il existe souvent une parenté symbolique, désirante, de type amoureux et incestueux, entre la Joconde et le héros homosexuel. Ils ont couché ensemble… au moins spirituellement parlant ! « Romain ressemble au fils qu’aurait pu avoir dans un rêve la Joconde avec le Petit Prince de Saint-Exupéry. » (Dominique en parlant de Romain, le héros gay, dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 16) ; « J’me fais James Bond… et la Joconde. » (un des protagonistes homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je mélange parfois les toiles de l’appartement. Il y a des visages, des Joconde, des objets mystérieux qui me regardent. » (le Comédien de la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Pédé dit que le tableau de la Joconde a été sa « grande passion anale ». Dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, Maxence, le peintre-poète « sensible », dit avoir « perdu son idéal féminin » : « De Vénus en Joconde, je ne l’ai pas trouvée. »
 

Dans la pièce Le Clan des Joyeux Désespérés (2011) de Karine de Mo, Mona Lisa indique l’inversion de sexes. En effet, au moment où Lili rentre dans l’appartement de Mona où celle-ci tente de se suicider au gaz et qu’elle repose inanimée, elle lit le pendentif de Mona à l’envers («Anom » = phonétiquement « à n’homme »)… et est tentée de lui faire un bouche-à-bouche lesbien, avant de se rétracter par acquis de conscience…
 

La Joconde est surtout l’être humain figé, empaillé, non-libre, violé… mais qui sourit quand même pour cacher son état. « Mylène Farmer, c’est un peu comme la Joconde. Tout le monde la voit, mais personne ne l’entend. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? , 2012) ; « If you were the Mona Lisa. You’d be hanging in the Louvre. Everyone would come to see you. You’d be impossible to move. » (cf. la chanson « Masterpiece » de Madonna) ; « Que si fuera un retratista, que si fuera un buen artista, yo sería su Mona Lisa y hasta un tango de Gardel… Y eso no lo trago yo. » (cf. la chanson « No Soy Para Ti » de Fanny Lú) ; « La Joconde, de près, c’est flou ! » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc. Elle est le paravent/le symbole du viol. Par exemple, dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, Catherine joue Mona Lisa et Jean-Paul (le héros homo) Léonard de Vinci lui chantant « Ti Homo » à la place de « Ti Amo » : Léonard de Vinci finit par déclarer à Mona Lisa qu’elle est « du caca ».
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

a) Né dans une dînette et une ambiance féminine:

 

Beaucoup d’hommes gays et de femmes lesbiennes ont grandi dans une ambiance presque exclusivement féminine, un monde de petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, entourés de leurs mères réelles et symboliques (les tantes, les cousines, les nourrices, les grands-mères, les sœurs, les voisines, les institutrices, les actrices, etc.). « J’avais 6 sœurs et une mère. J’ai grandi entouré de femmes. » (le chanteur homosexuel Halim Corto dans l’émission Je veux te connaître de la Radio de Nancy RCN, le 25 octobre 2011) ; « Je me sentais étouffer entre ma mère, mes sœurs, la voisine, l’amie de la famille qui était également notre professeur de piano, et ma grand-mère qui passait tous ses dimanches à la maison pour des après-midi de couture. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 29) ; « Ma famille maternelle est au courant de mon homosexualité parce que je suis très proche d’eux. Ma mère, ma tante et ma grand-mère qui sont définitivement les femmes de ma vie. » (Maxime, « Mister gay » de juillet 2014 pour la revue Têtu); « À l’école maternelle, j’étais toujours avec les petites filles pour les embrasser et faire des touches pipi en nous cachant de peur que leurs parents ne nous surprennent. […] Dès la maternelle, collé aux instits pendant la récré j’étais en échec scolaire, un élève très sensible instable, ayant peur de tout et du regard des autres. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu juin 2014) ; etc. Ce fut le cas de Pierre Loti, Reinaldo Arenas (très proche de sa grand-mère qui faisait, selon lui, « pipi debout »), Pedro Almodóvar, Costas Taktsis, Miguel de Molina, Hart Crane, Louis II de Bavière (fortement attaché à sa nourrice), Edward Morgan Forster (en 1956, il dédiera un livre à sa tante Marianne Thornton), Marcel Carné, Michel Tremblay, Marcel Proust, André Gide (très proche de son institutrice Anna Schackleton), Edward Carpenter (qui a passé son enfance avec les six dernières filles de sa famille), Wilfred Owen, Edmund White (qui a grandi en compagnie d’une sœur hyper virile), etc.
 

Dans son article « Entre El Papel Y La Pluma » publié dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, Xosé Manuel Buxán, évoque son enfance où il était admiré pour ses mimiques, ses talents d’acteur, sa précocité, par son entourage féminin… et surtout les clientes du salon de coiffure de sa mère, fidèles lectrices de revues people. Le dramaturge argentin Copi fut très attaché à sa grand-mère maternelle (Salvadora Medina Onrubia) ; plus tard, il passera ses dimanches à jouer à la canasta avec elle et son cercle d’amies de 80 ans. L’écrivaine nord-américaine Carson McCullers vit toute sa vie sous les jupes de sa mère, et de toutes les mères de substitution qu’elle trouvera sur son chemin : sa belle-mère, sa prof de piano, etc. ; à son sujet, Janet Flanner parle de l’influence catastrophique de son abusive « abysmal mother ». Dès l’âge de 10 ans, le jeune Cecil Beaton photographie ses sœurs, s’inspirant des portraits d’actrices publiés dans la presse. Charles Trénet a grandi uniquement entouré de femmes.
 
 

b) La femme-objet est confondue avec la femme réelle, quand bien même elle soit BIEN sacralisée:

Lady Gaga pour le défilé de Thierry Mugler

Lady Gaga pour le défilé de Thierry Mugler


 

On entend souvent dire que la communauté homosexuelle est naturellement féministe, véritablement respectueuse de la gent féminine, spontanément du côté des femmes. Des femmes-objets, c’est une évidence ! (… des femmes réelles, je ré-évaluerais fortement à la baisse le lieu commun…) Rien qu’à Paris, dans le Marais, il existe une Boutique Madonna, et une Boutique Mylène Farmer. « Ma vie est un repaire de chanteuses dont personne ne se souvient que moi. » (Pascal Sevran, Tous les bonheurs sont provisoires, 2005) ; « Copi connaissait par cœur le théâtre de Tennessee Williams et s’intéressait aux femmes, à ce qu’est la féminité et aux actrices comme personne. » (Myriam Mezières dans la biographie Copi (1990) de Jorge Damonte, p. 77) ; « Le corps des femmes ne m’excite guère plus que n’importe quel autre objet de première nécessité et d’usage quotidien. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, ayant vécu toute sa vie entouré uniquement d’homme, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « Tout est toujours l’idée d’une fille. » (Pierre Palmade, 7 janvier 2017, France 2, en préambule de la pièce Elles s’aiment depuis 20 ans de Pierre Palmade et Michèle Laroque) ; etc. Plusieurs créations homosexuelles se sont déjà consacrées directement à une actrice en particulier : le film « Callas Forever » (2001) de Franco Zeffirelli, le documentaire « Britney Baby, One More Time » (2001) de Ludi Boeken, les Marilyn Monroe d’Andy Warhol, etc. Je vous renvoie aux documentaires « Amoureuse de Greta Garbo » (2000) de Lena Einhorn, « Jodie : An Icon » (1996) de Pratibha Parmar, etc. Par exemple, Patrick Loiseau, le compagnon du chanteur Dave, vénère Françoise Hardy et se « looke » même comme elle. Lors de son concert à l’Essaïon (décembre 2007), Stéphane Corbin avoue s’identifier à Ally McBeal. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel se met dans la peau de Marlène Dietrich, Edwige Feuillère, Sylvie Vartan, Barbara, toutes ces femmes sophistiquées.
 

Les personnes homosexuelles sont-elles des « hommes à femmes » (à femmes-objets en l’occurrence) ? On est en droit de le croire quand on les voit entourées des monstres sacrés du cinéma. Les réalisateurs dudit « Cinéma de femmes » sont nombreux à être homosexuels : Edmund Goulding, Irving Rapper, Mitchell Leisen, Vincente Minnelli, etc. Par exemple, Werner Schroeter devient ce « Roi des Roses » (1984) chouchouté par Isabelle Huppert, Maria Malibran, Carole Bouquet, etc. Pour son film « Der Tag Der Idioten » (1981), il a travaillé avec 30 femmes dont toutes celles avec qui il a collaboré pendant 13 ans. Pedro Almodóvar, quant à lui, fait jouer ensemble les actrices espagnoles les plus charismatiques du cinéma espagnol (Carmen Maura, Penelope Cruz, Marisa Paredes, Rosi de Palma, Victoria Abril, etc.). Il se fait plaisir en réunissant dans « Volver » (2006) et « Habla Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) toutes les comédiennes qui ont tourné dans ses films. François Ozon dirige les grandes dames du cinéma français (Fanny Ardant, Isabelle Huppert, Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Charlotte Rampling, etc.). Il se taille la part du lion avec son film « Huit Femmes » en 2002, quand il réunit un casting des actrices françaises les plus fameuses. Pendant sa carrière, le cinéaste George Cukor construit un culte à la gent féminine toute entière (Marilyn Monrœ, Katherine Hepburn, Greta Garbo, Ingrid Bergman, Judy Garland, etc.). Dans le film « The Women » (1939), il met en scène rien moins qu’une centaine d’actrices (pas un seul homme à l’affiche !). Concernant Truman Capote, il fut aussi un homme à femmes (Jerry Hall, Deborah Harry, Bianca Jagger, Lee Radziwill, Marilyn Monroe, etc.). Le réalisateur Rainer Werner Fassbinder regroupe sur un même plateau les plus grandes artistes allemandes (Rosel Zech, Hanna Schygulla, Barbara Sukowa, etc.). Alfred Hitchcock a magnifié la femme – et notamment la femme fatale – à travers une pléiade d’actrices (Grace Kelly, Tippi Hedren, Janet Leigh, etc.). Youssef Chahine a travaillé avec beaucoup de grandes divas camp comme Dalida, Nebila Ebeid, Latifa… Bruce Benderson traduit une autobiographie de Céline Dion. Tout le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras est construit à la gloire des chanteuses italiennes des années 1950 : Patty Pravo, Raffaela Carrà, etc. À l’âge de 6 ans, le dramaturge homosexuel Copi a écrit un roman qui s’appelait Ce que sont les femmes : il dira de celui-ci qu’il est « un titre si génial qu’il n’en trouvera jamais d’aussi bon ». Mais dans son article « Désopilante » sur Le Quotidien de Paris daté du 11 février 1984, le journaliste Jacques Nerson souligne à juste titre que la Femme assise de Copi, le personnage qui a occupé le Nouvel Observateur pendant 10 ans, est « essentiellement passive ». Et ceci est vrai pour toutes les héroïnes copiennes.
 

« Les héroïnes du milieu sont souvent les stars qui symbolisent la femme-objet : cet être apprécié et sollicité pour ses qualités sexuelles tout en revendiquant d’être compris comme un être humain et fragile. » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 193) ; « Je n’étais pas épargné par l’identification aux stars de cinéma. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 275) ; « Mes goûts aussi, toujours automatiquement tournés vers des goûts féminins sans que je sache ou ne comprenne pourquoi. J’aimais le théâtre, les chanteuses de variétés, les poupées. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 29) ; « Moi. Petit. Adolescent des années 80. […] Je n’ai qu’une seule idée en tête. Une obsession. Une actrice égyptienne ; mythique, belle, plus belle que belle. Souad Hosni. Une réalité. Ma réalité. Je suis pressé d’aller dans mon autre vie, imaginaire, vraie, entrer en communion avec elle, chercher en elle mon âme inconnue. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 10) ; « Ce jour-là, je courais vers une image, une femme. L’actrice égyptienne. Une grande star. Une grande dame. Souad Hosni. Elle passait à la télévision dans un feuilleton que j’adorais. Houa et Hiya : Elle et Lui. Je courais vers elle pour l’embrasser. Être pendant une heure avec elle, amoureux en pleurs, danseur libre, comédien de ma propre vie. » (idem, p. 32) ; « Voilà une belle femme. » (le dramaturge argentin Copi parlant de l’actrice Brigitte Bardot, dans l’article « Au Festival d’Automne : Copi sur le ring » publié dans le journal Le Figaro du 8 octobre 1983) ; « Il y a un nom qui revient sans cesse dans mes livres, c’est celui d’Isabelle Adjani, qui est une sorte de déesse pour moi. » (Abdellah Taïa, interviewé dans l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle, le 25 septembre 2006) ; etc. Par exemple, en 2009, Eytan Fox a dirigé la série musicale Mary Lou, d’après les chansons de la célèbre chanteuse Tzvika Pik, fable moderne où un jeune homosexuel part à la recherche de sa mère.
 

Dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles, ce sont les fantasmes esthétiques et les accessoires (déguisements, maquillages, vêtements, images, etc.) qui font la femme ; pas l’être ni le corps sexué. « Être femme c’est seulement cela… s’habiller en femme. » (Copi, cité dans l’essai Habla Copi (1998) d’Osvaldo Tcherkaski, p. 50) ; « Le plus beau vêtement d’une femme, c’est sa nudité. » (Yves Saint Laurent, cité dans la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 54) Il suffit d’écouter le couturier français Yves Saint Laurent commenter son « invention » de la femme en smoking pour comprendre qu’il prend la femme pour un bibelot… un jolie bibelot, certes… mais un bibelot quand même («Cette femme androgyne, égale à l’homme par son vêtement, bouleverse l’image traditionnelle d’une féminité classique et déploie toutes les armes secrètes qui n’appartiennent qu’à elle. » cf. l’article « Yves Saint Laurent » d’Anne Boulay et Marie Colmant, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 414) Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, le goût du couturier homosexuel pour les femmes-bibelot est manifeste : « Magnifiques, ces bijoux. Le toc, j’adore. » s’exclame-t-il face à son amie Loulou en Algérie, par exemple. Mais dès qu’une femme prouve un peu son libre arbitre et son caractère, il s’en débarrasse. C’est ce qui arriva avec Victoire, son égérie de défilés, qu’il finit par jeter comme une malpropre, sans trop d’explication (à part une vague histoire de jalousie) : « Tu n’es belle que sophistiquée. […] Avec des cheveux comme ça, on dirait une souillon. Tu es d’une vulgarité, ma pauvre, c’est effarant. […] Laissez-la partir. Son style, ce qu’elle est, c’est déjà dépassé. »
 

 

La différence des sexes n’est plus reconnue comme un fondement du Réel, mais envisagée sous le prisme du paraître, de la subjectivité, de l’illusion, de la superficialité : « Qu’est-ce que c’est, un homme ? Qu’est-ce que c’est, une femme ? C’est ce qu’on en voit. » (la femme trans F to M, interviewée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)
 

C’est la femme – dans le sens de corporalité, de carcasse en acier, ou à l’extrême inverse, d’esprit – qui est célébrée par les sujets homosexuels, plutôt qu’une personne entière, une entité habitée par une âme et un mystère concret (celui de la sexualité, de l’Amour) : cf. le documentaire « Apparence féminine » (1979) de Richard Rein, les chorégraphes hyper efféminés Mehdi Kerkouche et Stéphane Jarny pour la cérémonie de Miss France 2016, etc. « Le corps de la femme que j’aime éveille en moi le respect et le sentiment du sacré. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 106) ; « Il est de ces hommes qui croient que les comédiennes sont des magiciennes. » (Jeanne Moreau parlant de Jean-Claude Brialy, dans l’autobiographie de ce dernier, Le Ruisseau des singes (2000), p. 9) ; « J’existais, pour ces femmes traditionnelles, fortes quand il le faut, prisonnières malgré elles des règles, comme moi. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 60) ; « En accordant dorénavant beaucoup de temps à mon entourage professionnel notamment féminin, je m’intronisais aussi plus que jamais en femme, au point que les conversations que je tenais ressemblaient aux leurs. En effet, lorsque j’arrivais le matin, c’était pour parler de vêtements ou de cuisine ; de même que pendant les heures de déjeuner, je traînais les magasins avec ce même entourage à la recherche de petits bibelots de décoration. Ma condition était l’archétype voulu d’une vie de femme, mes propos et mes réactions, ceux d’une fille vivant seule. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 130) ; etc.
 

Dans son article « Copi : Le Théâtre exaltant » (1983), Michel Cressole décrit la Madame Lisca de Copi (héroïne de sa toute première pièce) non pas comme une femme de chair et de sang mais comme une « idée de femme, une odalisque ». Dans son biopic « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013), Guillaume Gallienne, le narrateur bisexuel, imite les femmes par cercles concentriques grossissants (d’abord sa mère puis sa grand-mère puis ses tantes puis toutes les femmes) et les réduit toutes à une attitude, à un souffle, à du vent : « Elles ont toutes quelque chose d’unique. Toutes. Chacune de leurs attitudes. […] La plus grande différence des femmes, c’est leur souffle. Il varie tout le temps. »
 

Pourtant, il y a un paradoxe dans cette idolâtrie homosexuelle désincarnante pour la femme-objet. Par rapport à celle-ci, il arrive aux personnes homosexuelles de parler d’excitation sexuelle, comme Werner Schroeter qui assure à propos de la cantatrice Maria Callas qu’« elle est la vision érotique de son enfance, sa passion totale » (cf. l’article « Conversation avec Werner Schroeter » de Michel Foucault, dans Dits et écrits II (2001), p. 1079). « J’ai toujours aimé les femmes. […] J’étais sensible à la séduction du corps féminin et il m’arrivait d’en rêver la nuit. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 274) ; « Ce sont des fans très fidèles. » (Michael Michalsky, homosexuel, parlant de la relation des personnes homosexuelles avec leurs égéries féminines, dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « J’écrivis à Danielle Darrieux. Elle était belle, spirituelle, charmante, drôle, élégante, pleine de talent, j’étais fou amoureux d’elle. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 54) ; « J’avais dix, douze ans, j’étais déjà amoureux d’elle. » (Pascal Sevran à propos de l’actrice Jacqueline Joubert, dans son autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 32) ; etc.
 

Mais elles idolâtrent à ce point son corps qu’elles n’envisagent pas de la toucher. La femme-objet est cette mère symbolique sur laquelle pèse l’interdit de l’inceste fantasmé : « Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver sa tombe. Face à elle, j’ai prié machinalement. J’ai lu des versets du Coran. J’ai dit des mots de ma mère. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) Elles vivent avec leur actrice une forme de dépucelage à distance, de viol par l’image (qu’elles ré-écrivent souvent en idyllique coucherie symbolique) : « Mon innocence, je l’ai perdue en compagnie de Béatrice Dalle, elle est désormais pour moi ma marraine, ma référence, mon premier amour, […] mon totem. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 131) ; etc. Par exemple, dans la bande dessinée La Femme assise (2002), l’héroïne se fait appeler « Madame Copi » ; Copi, son auteur, a décidé de se marier à sa propre créature.
 

En réalité, les personnes homosexuelles, même si elles sont attirées émotionnellement et fantasmatiquement par les femmes, leur préfèrent la femme-objet et n’ont pas de désir érotique pour elle (c’est bien la seule chose qui manque tant, sur les autre plan, l’adoration, l’affectivité et la sensibilité sont là !) C’est l’hyper-féminité qu’elles célèbrent : « Je me suis souvent demandé pourquoi les gays aimaient autant les femmes hétérosexuelles. Il s’agit moins de la femme hétérosexuelle que de la femme hétérosexuelle au look exubérant. Elles ne ressemblent pas à la plupart des femmes de notre entourage. Elles sont excessives. » (Jan Noll, homosexuel, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) Ce n’est pas tant la femme que l’androgyne transgenre condensant à lui seul la différence des sexes, que les individus homosexuels cherchent à devenir. « Beaucoup d’égéries gays jouent avec la sexualité de manière outrancière. Or le sexe occupe une place très importante chez les homos. C’est presque une caricature. Par certains côtés, ça fait un peu penser aux drag-queens. » (Michael Michalsky, homosexuel, idem) Par exemple, toujours dans ce documentaire « Somewhere Over The Rainbow », le fameux chanteur noir homosexuel Sylvester est décrit par Steve Blame comme une « Diva masculine ».
 

La réification de la femme n’est pas propre aux hommes gays. Je connais beaucoup de femmes lesbiennes qui sont tombées amoureuses de la femme-objet cinématographique. On le voit aussi dans les reportages télévisés. Par exemple, dans l’émission Ça se discute (spéciale « l’homosexualité féminine », diffusée sur la chaîne France 2, le 18 février 2004), une des invités lesbiennes dit sa fascination amoureuse pour la beauté de Céline Dion. Dans le documentaire « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger, Oriane, une jeune femme lesbienne de 21 ans, présente avec humour aux spectateurs ce qu’elle appelle son « Mur des Lamentations », c’est-à-dire des modèles de mode féminins qui tapissent tous les murs de sa chambre. Toujours dans ce même documentaire, la fameuse série de bandes dessinées Martine est désignée par la réalisatrice comme le déclencheur du désir lesbien.
 

Parfois, beaucoup de femmes-objets venues du cinéma, de la mode, de la chanson, se lesbianisent, d’ailleurs. Par exemple, couronnée Miss Espagne deux fois, en 2008 et 2013, Patricia Yurena Rodríguez a fait son coming out en publiant sur Instagram une photo intitulée « Roméo et Juliette » où l’on peut la voir dans une posture très romantique en compagnie de la DJ et chanteuse espagnole Vanesa Klein.
 

Certaines femmes lesbiennes adoptent une conception de la femme tout aussi imagée, fanatique, et machiste, que leurs homologues homosexuels hommes. Pour elles, une personne ressemble d’autant plus à femme qu’elle devient glaciale et figée. La confusion entre la Femme-objet médiatique et la femme réelle revient fréquemment dans leur discours. « La femme n’existe pas, mais les femmes, bel et bien. » (Hélène Bregani dans le documentaire « Debout ! Une Histoire du Mouvement de Libération des Femmes 1970-1980 » (1999) de Carole Roussopoulos) Beaucoup d’entre elles déifient la femme (Teresa de Lauretis, par exemple, lui met un « F » majuscule) pour finalement mieux la faire disparaître, nier la réalité de la sexuation, et imposer les femmes-objets comme les seules représentantes (méprisables) des femmes réelles. Autre exemple: Stefan Sweig, l’écrivain allemand, a écrit en 1935 un seul opéra dont le titre est signifiant : La Femme silencieuse.
 

Chez elles, l’adoration de la femme-objet va souvent jusqu’à la (simulation de) destruction de cette dernière… donc jusqu’à l’absorption fusionnelle. « La pire faute de goût selon moi : essayer de ressembler à Britney Spears. » (Mylène, une femme lesbienne de 25 ans, dans la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 191) ; « Qu’en était-il des autres, asservies à leur mari et à leurs enfants, sans ressources personnelles, sans voiture, sans autre nourriture spirituelle que Marie-Claire, Elle ou Femme d’Aujourd’hui ? Bonne Déesse, quel obscurantisme ! » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 242) La femme-objet hétérosexuelle – et cela surprendra sûrement nos amies lesbiennes – est une femme lesbienne en devenir. Les femmes lesbiennes réelles s’y sont identifiées à l’excès dans le rejet. Comme je l’explique au sujet de l’homosexualisation de l’homme-objet qui s’hétérosexualise et incarne l’« Éternel Masculin » (dans le code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), on constate exactement le même phénomène avec la femme-objet : plus une femme s’hétérosexualise et cherche à devenir objet, à représenter l’« Éternel Féminin », plus elle prend des traits androgynes et lesbiens. Je me faisais encore la remarque en voyant les nombreux clichés de Grace Jones au vernissage de l’Exposition Jean-Paul Goude au Musée des Arts Décoratifs de Paris, le 10 novembre 2011. Il existe des liens très forts entre le monde de la prostitution féminine et le lesbianisme. Par exemple, dans le docu-fiction « Tierra Madre » (2011) de Dylan Verrechia, Aidee, l’héroïne, est lesbienne de jour, et strip-teaseuse de nuit dans une boîte. Je développe plus largement l’idée de la parenté femme-objet/lesbienne dans le code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

c) Devenir la Joconde :

La Joconde d'Andy Warhol

La Joconde d’Andy Warhol


 

Ce n’est pas un hasard si la Joconde a été récupérée par de nombreux artistes homosexuels. Certains disent qu’elle était en réalité l’amant caché de Léonard de Vinci, Salai. Pour commencer, l’homosexualité de Léonard de Vinci, le père de La Joconde, est passée à la postérité et fut même étudiée par Sigmund Freud. Et ensuite, comme le désir homosexuel dit un désir de devenir objet, et qu’à mon sens, Mona Lisa est la première femme-objet officiellement mondialisée de l’Histoire de l’Humanité, il est logique qu’on la retrouve énormément dans l’univers artistique homosexuel : cf. la sérigraphie Mona Lisa (1963) d’Andy Warhol (on dit d’ailleurs que la Marilyn Monroe de Warhol est la « Mona Lisa du XXe siècle »), la photo La Joconde aux moustaches (1919) de Marcel Duchamp, le tableau photographique Autoportrait à la Mona Lisa (1973) de Salvador Dalí, etc. Pour la petite histoire, le Mona Lisa était une résidence de luxe hébergeant des personnes homosexuelles à Nice. Plus proche de nous, le chroniqueur homosexuel français Steevy Boulay a une représentation de La Joconde dans sa cuisine.
 

Le tableau Autoportrait à la Mona Lisa de Salvador Dalí

Le tableau Autoportrait à la Mona Lisa de Salvador Dalí


 

Si on y réfléchit bien, Mona Lisa est un costume de travelo à elle toute seule : « Et cette Joconde du kabuki qu’est Tamasaburo, le plus célèbre onnagata, ne répond-il pas à un vœu de perfection aussi bien qu’à un désir homosexuel, comme Mishima lui-même le reconnaissait lorsqu’il lui dédiait une nouvelle. » (Georges Banu, « Jeux théâtraux et enjeux de société », dans l’essai Le Corps travesti (2007) de Georges Banu, p. 3) D’ailleurs, elle ne brille pas par sa féminité. Elle a un visage bien à elle, reconnaissable parmi mille, … et pourtant asexué.
 

La Joconde est également l’être humain violé, femme comme homme, figé et utilisé comme un objet : « J’attendis le moment idéal pour réaffirmer au père Basile, mon intention de tout quitter […], avec cet aspect froid que mon regard soutenait, l’ironie de mon sourire ; ce sourire qu’il appréciait à chacune de nos rencontres et qu’il comparait à celui, éternellement figé, de la Joconde. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant du prêtre pédophile qui abusait de lui, dans l’autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 47)
 
 

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Code n°18 – Blasphème

blasphème

Blasphème

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La haine jalouse de l’Église

 

Madonna en concert sur sa croix disco

Madonna en concert sur sa croix disco


 

Voici un code intrigant car il traite de toute la haine que les personnes homosexuelles pratiquant les actes homosexuels ont pour l’Église catholique… même si paradoxalement elles prennent très sincèrement leurs destructions pour un hommage.

 

Les dissensions entre la grande majorité des personnes homosexuelles et l’Église catholique ne datent pas d’hier. Lorsque les artistes homosexuels abordent iconographiquement le sujet religieux, ils choisissent presque toujours en toile de fond la perte de la foi et le blasphème. Mais parfois, la frontière entre agression picturale envers le clergé et agression réelle est franchie, et ceci, de plus en plus ouvertement et impunément (cf. l’interruption de la messe de Notre-Dame de Paris en 1991 par Act-Up, le mépris quasi systématique des ecclésiastiques ou des théologiens moralistes lors des débats télévisés, les pillages et provocations des Femen depuis 2013 en France et partout en France, etc.). Beaucoup de personnes homosexuelles dénigrent la religion, alors que leur désir de foi occupe paradoxalement une part importante de leur identité de femmes et d’hommes. Seul ce que nous idolâtrons et aimons mal en croyant l’aimer follement peut nous trahir, et donc mériter à nos yeux notre vengeance. Ce qu’écrit Marguerite Radclyffe Hall dans The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) est, pour cette raison, d’une étonnante actualité : « De nombreux invertis étaient profondément religieux et c’était sûrement l’un de leurs plus amers problèmes. » (p. 589)

 

L’Église catholique en veut-elle vraiment aux personnes homosexuelles ? Vu ce qu’en montrent certains médias, elles ont apparemment toutes les raisons de le croire. Et dans les faits, quelques-unes ont fait l’objet de réels rejets de la part d’ecclésiastiques et de certains fidèles à une époque où elles cherchaient une main tendue. Par conséquent, elles en déduisent que foi et homosexualité sont totalement incompatibles. Pourtant, leur déchaînement de haine anticléricale ne repose quasiment que sur leurs propres fantasmes cinématographiques (puisqu’elles n’ont pas mis les pieds à l’église depuis des lustres), sur leur mauvaise application (sincère et jalouse) des préceptes aimants et justes de l’Église catholique (Église qui les aime concrètement : je suis bien placé pour en témoigner !), et sur une violence à sens unique (cette violence hystérique qui les guide et qui reste totalement impunie par nos gouvernements occidentaux). Étonnant paradoxe : ceux qui condamnent les cathos de « fachos ! » sont les personnes les plus susceptibles d’agir en fachos.

 
 

 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Attraction pour la ‘foi’ », « Focalisation sur le péché », « Vampirisme », « Mort », « Se prendre pour le diable », « Se prendre pour Dieu », « Curé gay », à la partie « Viol de la vierge » du code « Vierge », et à la partie « Bourgeoise-prostituée pénétrant dans une église » du code « Bourgeoise », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) L’attaque anticléricale frontale :

En général, le personnage homosexuel des fictions homo-érotiques ne porte pas Jésus, son Père et l’Esprit-Saint, et leur Église, dans son cœur. « Du haut de ta croix, tu fais moins le malin ! » (Didier Bénureau s’adressant à Jésus en ricanant, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; « Il n’y avait plus de place pour Dieu, je l’ai chassé, il en avait trop pris pendant toutes ces années d’obscurantisme. » (Cécile après sa rencontre amoureuse avec Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 42) ; « Surtout pas. J’ai horreur de ce mot ‘au-delà’. ‘Au-delà’, c’est la mort. » (Thierry, le héros homosexuel de la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche ; épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; « Tant pis pour la Bible. Je veux mettre ma dent dans la pomme d’Adam. J’aime les filles et les garçons, j’aime tout ce qui est bon. Je suis bi-zarrement faite. » (Anne Cadilhac dans son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Tu oublies mon enfance athée ? » (Lou, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa mère Solitaire, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Dieu a-t-il les oreilles décollées ? » (Nicolas Bacchus pendant son concert Chansons bleues ou à poing, 2009) ; « Il n’aime ni Collins ni moi. Il veut garder pour Lui toute la douleur ; Il ne veut pas la partager ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne jalousant Jésus sur la Croix, dans le roman dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 43) ; « Stephen s’obstinait à crier en parlant au Seigneur, dans une sorte d’impuissant défi. » (idem, p. 51) ; « Dieu pourri ! » (Cachafaz, le héros homosexuel de la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Bien parlé ! On va bouffer Dieu ! Ainsi s’achèvera le schisme entre curés et athéisme. »  (Raulito s’adressant à son amant Cachafaz, idem) ; « Je me suis mise à croire en Dieu. Quitte à croire à des conneries, autant y aller jusqu’au bout ! » (Karine Dubernet dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « Tu m’as fait gay ! » (un personnage s’adressant à Dieu, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « C’est un connard, vulgaire, raciste. » (Pretorius, le vampire homosexuel parlant de Dieu, dans la pièce Confessions d’un Vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Je me fous de Jésus. » (Frank, le héros homosexuel de la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Croire au Big Boss providentiel, dieu de carton, pâte à modeler. » (cf. la chanson « Les Chiens perdus » du Beau Claude) ; « La messe est un spectacle. On raconte de la merde, ça rapporte de l’argent. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « J’ai cessé de détester Dieu. J’ai fait une sorte de pèlerinage. » (Jimmy, un des héros homosexuels, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc.

 

Le personnage homosexuel ne se contente pas d’ignorer Jésus et son Église. Vexé de ne pas rester fidèle à son identité d’Enfant de Dieu, à sa royauté et à la pratique qu’induit celle-ci, il se montre particulièrement agressif envers les membres du Clergé, qu’il ridiculise : cf. le roman L’Agneau carnivore (1975) d’Agustín Gómez Arcos, le vidéo-clip de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer (avec la statue de la vierge qui se brise au sol), le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Nazarín » (1959) de Luis Buñuel, le film « Niqâb, ni choix, ni kippa, ni Bouddha » (2008) de Laurence Chanfro et Hervé-Joseph Lebrun, le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, le one-man-show Petit cours d’éducation sexuelle (2009) de Samuel Ganes (attaquant la Bible), la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec la croix détruite par un espèce de mutant de l’Espace), la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel (avec des attaques gratuites contre l’Église), la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré (avec le mépris affiché des protagonistes pour les paroissiens catholiques réguliers, qui ne donnent rien aux mendiants en sortant de la messe), film « Jesús, petit criminel » (2016) de Fernando Guzzoni, etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Il est fréquent que le héros homosexuel présente Dieu et son Église comme de grands méchants ou des gens ennuyeux et inexistants qui ont la perversion/l’hypocrisie de se faire passer pour l’Amour : cf. le film « A Hard God » (1981) de William Fitwater, le film « Le Messie sauvage » (1972) de Ken Russell et Derek Jarman, le film « Bloody Mallory » (2002) de Julien Magnat, etc. « La religion m’inspirait une horreur instinctive. » (Roger dans le roman L’Autre (1971) de Julien Green, p. 41) ; « Dieu est cruel. » (Mrs Venable, la mère de Sébastien, dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « Where are you, God of the Death ? » (Didier Bénureau s’adressant à Jésus en ricanant, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; « J’aime le Seigneur, mais Il ne m’aime pas. Il n’aime pas que je sois gay. Et Il ne m’aimera pas tant que je ne changerai pas. » (Steve, l’un des héros homos, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Laetitia, je suis parvenu à la conclusion que l’Église primitive était dans l’erreur sur certains points. Il semble que des interprétations hérétiques se soient glissées dans le texte. Je sollicite l’honneur de vous demander votre main. » (Dr Chasuble dans la pièce The Importance To Being Earnest, L’Importance d’être Constant (1895) d’Oscar Wilde) ; « Qu’est-ce que j’ai à faire de votre religion, moi, déesse de la mienne ? » (la Reine s’adressant au Jésuite, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « J’ai été élevée dans l’orthodoxie juive, moi, et parfois, j’ai besoin d’afficher un symbole clair de rébellion. […] J’ai commencé à marcher, en femme indépendante que je suis. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 91) ; « Le pape, dont le vrai nom est Mister Puppy, est en réalité un dangereux trafiquant de blanches. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 62) ; « Je m’étais toujours moqué de la religion comme d’une béquille destinée aux masses. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 27) ; « Finalement, la seule chose qui a définitivement crevé en moi, au cours de cette crise, ça a été ma foi. Je me suis réveillé affamé d’une bonne faim, assoiffé d’une bonne soif, et réconcilié avec la vie. Je ne croyais plus en Dieu. Je ne croyais plus qu’à la force de mon amour. » (Mourad, le héros homosexuel, au moment de s’assumer en tant qu’homo, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) ; « Il fait froid là-dedans. Je n’y comprends rien et ça n’apporte rien. » (Bryan, le héros homosexuel rentrant dans une église, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 378) ; « C’est un peu contraire à mes principes, les trucs religieux. » (Hugo, le héros homosexuel de la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; « Ma mère, elle m’a rejeté. Elle est croyante. » (Geth dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Le clocher se dressait, haut et menaçant, au-dessus des tombes, tel un instrument de vengeance. Il ne manquait qu’une fille terrifiée courant dans l’allée en chemise de nuit pour la transformer en véritable affiche de film d’épouvante. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 72) ; « Jane n’arrivait pas à croire en Dieu et elle n’avait jamais vraiment été douée en sciences. » (idem, p. 86) ; « Au-dessus, Jésus levait les yeux au ciel depusi sa croix, avec l’air de vouloir maudire ce père qui l’avait cloué là. » (idem, p. 199) ; « Le père Walter leva la main droite et il redevint l’illusionniste qui avait hypnotisé les fidèles pour leur faire croire que leur dieu était parmi eux. » (idem, p. 209) ; « ’L’enfer n’existe pas’, dit Jane. ‘Avant, je faisais des cauchemars à propos des Russes, et après, j’ai fait des cauchemars dans lesquels Greta Mann m’attirait à une fête avec le diable. Parfois, les rêves se mélangeaient et les Russes étaient là avec Greta, en train de m’attendre. » (Frau Becker et Jane, idem, p. 215) ; « Ils ont trouvé le père Walter dans le cimetière avec les poignets tailladés. » (idem, p. 224) ; « Je ne sais pas ce qu’il y a de pire : l’Église ou la taule… » (Idgie, l’héroïne lesbienne du film « Fried Green Tomatoes », « Beignets de tomates vertes » (1991) de John Avnet) ; etc.

 

BLASPHÈME Caves du Vatican

 

Par exemple, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, Dieu est « le Dieu des Hommes », à savoir une pure invention humaine, qui ne mourra pas « tant qu’il sera dans les mémoires » (p. 89). Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy anarchiste efféminé, scande qu’il ne veut « plus de religion ! ». Dans son roman Les Caves du Vatican (1914), André Gide décrit le Pape comme un imposteur, un usurpateur diabolique. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Kanojo, l’héroïne lesbienne, tourne en dérision la « récitation des curés ». Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Vicky affirme que c’est Dieu qui est l’auteur de l’attentat qui l’a défigurée ; elle Le voit comme un extra-terrestre dans sa soucoupe volante : « Dieu périclite ». Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, les parents de Guillaume, pour le viriliser, l’envoient dans un pensionnat tenu par les Frères des Écoles Chrétiennes : il dit qu’il y vivra un calvaire. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, l’image du clergé catholique (et soi-disant homosexuel refoulé) est affligeante : les curés sont infantilisants, tyranniques et pervers. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire soutient que « Dieu tue tout le monde ». Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand présente le film « Des hommes et des dieux », mais aussi la vie de monastère, comme rasoir. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, dans l’établissement scolaire où George travaille (Saint Grace), le prêtre catholique qui connaît George depuis 12 ans, licencie ce dernier à cause de son récent mariage gay. La décision du prêtre semble motivée uniquement par l’image, la peur du scandale, le qu’en dira-t-on, et la bondieuserie (puisqu’il propose à la fin de l’échange de rupture avec George de « prier » : « Je crois toujours en Jésus-Christ notre Sauveur. Mais je préfère prier tout seul. » rétorque George à son confesseur. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd et Frankie, les amants homos, se lâchent contre les cathos. Frankie dit que sa mère « ne se saoule qu’au vin de messe ». Et Todd déverse sa haine plus franchement : « Saletés de cathos ! » Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine et Carole, les amantes lesbiennes, participent à des opérations-commando contre des conférenciers pro-Life réunis dans des églises. Plus tard, Carole se débarrasse de la croix du Christ qui se trouve sur la table de chevet de sa chambre, en la rangeant dans le tiroir. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien se moque de la foi chrétienne de son ami Rémi : « Quand t’étais petit, tu gobais un peu n’importe quoi ! » Dans le film « Dieu, ma mère et moi » (2016) de Federico Veiroj, Gonzalo, le héros homo, décide de se faire débaptiser (ce film fait l’éloge de l’apostasie). Dans le film « La Passion d’Augustine » (2016) de Léa Pool, Augustine, religieuse directrice d’un couvent-conservatoire, est féministe (elle rêve d’une « Papesse), désobéit à ses supérieurs, a vécu une fausse couche, délaisse l’habit religieux puis carrément ses vœux. Dans le film « Thelma » (2017) de Joachim Trier, la belle Anja va attirer dans ses filets la jeune et timide Thelma. Leur liaison donne lieu à des phénomènes physiques (crises d’épilepsie d’une grande violence pour Thelma) mais également surnaturelles, de nature démoniaque. La famille catholique et l’Église sont attaquées comme des repères sataniques du non-dit. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, le pasteur catholique de la paroisse des deux héroïnes lesbiennes Kena et Ziki est fortement homophobe et fait des prêches anti-mariage-pour-tous. Par ailleurs, Mercy, la mère de Kena l’héroïne lesbienne, est très croyante et catholique : on dirait même qu’elle est possédée. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric, le héros homo noir, « ne croit plus en Dieu. » (dans l’épisode 3 de la saison 1). Il refuse le bénédicité et ne donne pas la main aux membres de sa famille (dans l’épisode 6 de la saison 1). Il ne veut plus se rendre au culte évangélique protestant (« Tu sais très bien que maintenant je ne vais plus à l’église, maman. », c.f. épisode 7)… même s’il finit quand même par y aller en traînant les pieds.

 

Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Bram, le héros homo juif, déplore « sa triste tradition familiale ». Il voit la religion comme un terrible carcan qui l’empêche d’aimer : « On va devoir faire toutes nos traditions horriblement gênantes. » Le message-phare du film, c’est que l’homophobie vient des religions. Un autre personnage homo du film, Eytan, a lui aussi des soucis avec les résistances catholiques de ses parents et grands-parents « pratiquants ».
 

Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus pointe du doigt toutes les confessions religieuses comme autant de fondamentalistes du capitalisme spirituel mondialisé. L’ennemi, c’est clairement les religions, qui créeraient des guerres et qui agressent le narrateur par leur diversité.
 

Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, le curé Mgr Lanu, qui est censé présider l’enterrement est un homme invisible, que le public n’entend qu’en voix-off, se prend toutes les critiques des autres personnages : « On se tape Lanu à cause de toi ![…] On va devoir se frapper deux messes ! » (Franck s’adressant à Nicolas, le héros homo). Mgr Lanu est présenté comme un prêtre fouineur, démissionnaire, pervers, homosexuel.
 

Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, Tom et Bryan, le couple homo « catho », s’en prennent à leur curé pour le forcer à les marier. La sœur de Bryan y va plus franco : « Nique l’Église ! » Bryan refuse de parler à sa mère bigote qui met des cierges à l’église pour qu’il cesse d’être homo. C’est l’Église-Institution qui est mise au pilori : « Il faut que le père Raymond soit attaqué de tous les côtés ! » (Irène, la sœur gay friendly de Bryan) Tous les croyants pratiquants de la pièce sont présentés comme des doux rêveurs, des bébés, des gens frustrés et tétanisés par le corps, le sexe : « C’est l’Église qui vit dans un rêve. » (Irène s’adressant au père Raymond) Et le père Raymond est porté responsable de la rupture entre Bryan et Tom quand il les appelle à la « chasteté ». En revanche, la désobéissance à l’Église est montrée comme une sainteté : « Obéir, on va peut-être pas le garder, ce mot-là… » (Tom s’adressant à son amant Bryan) ; « On ne peut pas rajouter quelque chose à l’obéissance ? » (Tom s’adressant au père, et ne parlant pas d’annuler l’obéissance à l’Église) ; etc.
 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, le héros homosexuel catholique, est bourré de contradictions vis à vis de sa foi. Tandis qu’il pratique et va à la messe, à côté il fait les 400 coups ; il est capable, dans un même mouvement, de déclarer « J’ai trouvé Dieu. » et « Dieu est mort. Dieu merci ! » Rien d’étonnant qu’il soit alors présenté par son groupe de potes gays comme l’allégorie de la culpabilité mal vécue, de la soi-disant contradiction/hypocrisie religieuse : « Tu culpabilisais  parce que tu étais catho. C’est tout. » (Donald) ; « Tu ne sais pas dans quel camp tu es. Si on dit un truc religieux, tu critiques. Si on nie Dieu, tu critiques. Tu sembles avoir des problèmes dans ce domaine. Tu ne peux vivre ni avec, ni sans. Tu t’accroches à cette compagnie d’assurances qu’est l’Église. Tu es un homme triste et pathétique. Tu es homosexuel et tu ne veux pas l’être. Mais tu ne peux rien y faire. Toutes les prières du monde, toutes les analyses n’y changeront rien. Tu sauras peut-être un jour ce qu’est une vie d’hétérosexuel, si tu le veux vraiment, si tu y mets la même volonté que celle de détruire. Mais tu resteras toujours un homo. Toujours Michael. Toujours. Jusqu’à ta mort. » (Harold, le colocataire de Michael) Cyniquement et sans conviction, Michael les conteste à peine : « Oui, je crois en Dieu. S’il n’existe pas, je n’ai rien perdu. S’il existe, je suis couvert. Je suis catho qui pèche la nuit et va à l’église le lendemain. »

 

Et plus spécifiquement sur l’homosexualité, l’Église, dans la fantasmagorie homosexuelle, est désignée comme une cruelle institution homophobe, qui ferait semblant d’accueillir ses fidèles homosexuels pour mieux les étouffer et les pousser au suicide : cf. le téléfilm « Prayers For Bobby » (« Bobby, seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy, le film « Prom Queen » (« La Reine du Bal », 2004) de John L’Ecuyer, etc. « S’ils étaient intelligents, et charitables, et réalistes ! » (Pierre, le héros homosexuel à propos des catholiques, dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Il faudrait que l’Église l’accepte. Un point c’est tout ! » (Pierre, idem) ; « Je suis normal. Tu es normal. Ce sont eux qui ne sont pas normaux de nous condamner ainsi ! » (Julien à son amant Pierre, idem) ; « Je ne changerai pas pour vous, mon Dieu. Je veux que vous m’aimiez tel quel. » (Steve, l’un des héros homos, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Essobal ne luttera jamais assez contre ce pape rétrograde et opposé à l’usage des préservatifs dans le tiers monde, et contre l’Église catholique dont on sait tout le mal que depuis des siècles elle a causé à la civilisation et à la pensée occidentales, qui sans elle pourraient rivaliser avec les plus grandes cultures. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Une Vie de lutte » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 170) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Paresse » (2000) de Frank Mosvold, pour prouver que l’Église ne comprend pas les personnes homosexuelles, on nous montre un curé relativement jeune, campé sur ses positions, simulant la compassion, mais qui au final opère un chantage aux sentiments inhumain, et pousse ses ouailles à se haïr eux-mêmes, à refouler leur homosexualité. Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Anne-Lise attribue au Pape des paroles qu’il n’a jamais prononcées : « Je vous signale que le Pape qualifie encore l’homosexualité d’aberration. » Dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, Eve et Adam sont caricaturés comme un couple hétéro jaloux des homos et qui, par leur « invention » de la Bible, décident d’« apprendre à leurs descendants à haïr les gays » pour des millénaires. Dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm, Jocelyn, l’étudiant roux ultra-anticlérical et pro-«laïcité» qui veut virer le groupe de séminaristes intégré aux cours réguliers de philo à la fac, se trouve être précisément homosexuel.

 

Au départ, le blasphème opéré par le héros homosexuel ne se traduit pas directement par l’attaque du Clergé mais par la (simulation de) destruction de ses symboles religieux (statues, cimetières, lieux de culte, etc.). C’est souvent que les personnages homosexuels pratiquent des actes de vandalisme à l’intérieur des églises : cf. le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine (avec le vol de bougies), le film « Unveiled » d’Angelina Maccarone (avec l’héroïne lesbienne dérobant des cierges), le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon (on pisse dans le bénitier…), le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le caniche et le fox-terrier urinant contre l’autel de la Sainte-Chapelle), le vidéo-clip de la chanson « Alejandro » de Lady Gaga, etc. « J’irai cracher sur vos tombes » (cf. la chanson « Rêver » de Mylène Farmer) ; « Si j’étais un bon pédé, je jetterais des capotes à la tête du Pape. » (Frank, le héros homosexuel de la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; etc. Par exemple, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Floriane offre sa médaille de baptême en pendentif à son amante Marie : « De toute façon, je n’y crois plus. T’y crois, toi ? » « Non » lui répond Marie.

 

L’étau peu à peu se resserre autour des héros prêtres ou bien croyants catholiques. Les injures verbales fusent. « Ta gueule, China ! Ne prie pas en ma présence, vu ! » (Venceslao s’adressant à sa fille China, dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) Par exemple, dans la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, Pierre, le héros homosexuel interné dans un camp de concentration, attaque l’Église avec virulence. Dans le one-man-show Chroniques d’un Homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier s’en prend à un ami prêtre et le force au silence. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, pendant le cours de français d’Adèle (l’héroïne homosexuelle), les catholiques sont associés à la bien-pensance et à une censure de la pensée. Dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, Patty qualifie les catholiques de « poivrots ». Dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, la bonne du curé congédie son amant prêtre : « Ne m’appelez plus Marie-France ! La Marie-France, vous l’avez laissée tomber ! »

 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan, le héros homosexuel, fait croire à son futur amant Jonas qu’il a été abusé dès la classe de CM1 dans son école catholique de Saint Cyprien par un prêtre, qui l’aurait forcé à lui faire une fellation et qu’il aurait mordu au sexe : « Tu veux la suite ? Eh bien je l’ai mordu. J’étais comme un chien avec son os, tu vois ce que je veux dire ? » Et ce prêtre, en représailles, lui aurait donné un coup de calice coupant sur le visage : « Du coup, il a pris la coupe qui était posée sur l’autel. Schlaaa… Il m’a fait ça. » On découvrira plus tard que la balafre que Nathan porte sur sa joue ne vient pas du prêtre (« T’y avais quand même pas cru à cette histoire de curé ? ») mais d’un lynchage collectif qu’il a subi aux autos tamponneuses à l’âge de 9 ans dans un parc d’attractions appelé Magic World. Nathan n’est pas le seul personnage à manquer de respect à la religion : son jeune frère, Léonard, a placé une figurine sur ressorts ridicule de Jésus sur la plage avant de sa voiture, sous le pare-brise.
 

Et puis parfois, le blasphème vire au cauchemar. Certains héros homosexuels finissent par violer ou abattre les curés et les religieuses : cf. la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan (avec le prêtre défenestré). « Les bons apôtres, je les mange. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) ; « Tu parles du Sacré-Cœur ! Ici, c’est la Sacrée-Queue et tu vas me la sucer ! » (Mimi s’adressant à Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je me précipite sur lui et je lui tord le nez jusqu’à le faire saigner. » (le narrateur homosexuel avec le Pape, dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 57) ; etc.

 
 

 

b) Le blasphème par le pastiche provocateur :

Vidéo-clip de la chanson "Que mon coeur lâche" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Que mon coeur lâche » de Mylène Farmer


 

Le pire, c’est que l’acte de destruction de l’Église par le héros homosexuel se veut paradoxalement un hommage, un mimétisme qui prétend faire mieux qu’Elle (cf. je vous renvoie au code « Attraction pour la ‘foi’ » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). La sincérité de l’Homme qui obéit au mal va jusque-là : il singe un respect de façade pour l’Église (il y reste, d’ailleurs) afin de masquer sa jalousie de ne pas être aussi humble, doux et miséricordieux qu’Elle ; et surtout, afin, aux yeux du monde, de s’attribuer à lui seul les fruits positifs de l’Église. Le premier des blasphèmes, c’est bien celui de se substituer à Dieu ! Les pastiches homosexuels de l’Église (à la sauce libertine dix-huitièmiste) sont légion dans les œuvres homosexuelles : cf. le film « La Religieuse » (1966) de Jacques Rivette, le vidéo-clip de la chanson « Losing My Religion » du groupe R.E.M., la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, le film « Children, Madonna And Child, Death And Transfiguration » (1983) de Terence Davies, le film « Dogma » (1999) de Kevin Smith, le film « La Bible de Néon » (1995) de Terence Davies, le film « La Sonde urinaire » (2006) de Camille Ducellier, l’opéra La Passion selon Sade (1965) de Sylvano Bussotti, le film « Les Diables » (1971) de Ken Russell et Derek Jarman, le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky (avec Mona pratiquant le spiritisme), le film « Good As You » (2012) de Mariano Lamberti, le film « Mon Arbre » (2011) de Bérénice André (avec le Christ crucifié féminisé), le film « Totò Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois, 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado (avec la reprise d’un chant pseudo religieux qui n’est en réalité qu’une ode à la « masturbation » et à l’« orgasme », qu’Aldebert, le maître de cérémonie, veut que tout le public reprenne en chœur, comme à la messe), la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, etc.

 

B.D. "Le Monde fantastique des Gays" de Copi (planche "Prie-Dieu")

B.D. « Le Monde fantastique des Gays » de Copi (planche « Prie-Dieu »)


 

« Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « J’ai vu Dieu dans ton cul. » (Yanowski et Fred Parker, Le Cirque des Mirages, 2009) ; « J’ai branlé ce qu’il fallait pour obtenir le saint chrême et j’en ai déposé trois gouttes sur ses lèvres. » (Vincent Garbo en parlant de son amant Emmanuel, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 199) ; « J’avais une ribambelle de godes : ‘I believe in you ! » (Nathalie Rhéa dans le one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « La Jean-Paul II, la Pie XII, la Paul VI. La Benoît XVI, c’est différent : c’est une pédophile. » (cf. une réplique d’un des personnes homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Onze mille cierges, alcool et barbiturique. Je flotte dans les rues comme sous analgésique. Mon costume souillé de larmes et de suie, de la rue des Saints Pères à Soho tu me poursuis. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) ; « Je file à la messe nocturne demander au p’tit Jésus un petit peu plus de clients ! » (Lola, le prostitué transsexuel M to F partant « au boulot » dans son secteur, dans le film « Miss » (2020) de Ruben Alves) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, Wagner réutilise les éléments religieux à sa sauce en le présentant comme une religion : « Ma musique est une religion. » Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Marcy, l’héroïne lesbienne (qui a sa phase de grenouille de bénitier) revisite la Bible en faisant dire aux Dix Commandements ce qui arrange ses fantasmes. Dans son spectacle Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007), Madame H. (travesti M to F) nous fait une relecture biaisée de la Bible. Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca, le héros homosexuel, mêle libertinage et religiosité d’apparat : on le voit asperger les tombes de son sperme (« Sur vos tombes, j’irai cracher. Chacun, je les souillerai de mes déjections de pédé. »), se balader dans des monastères enflammés, vivre ses coïts homosexuels comme des messes (« Pour tes regards éperdus, mon sperme s’est répandu. » dit-il en prenant la position du Crucifié), insulter la morale (« La morale est une vermine. »). Dans le film « Mon Arbre » (2011) de Bérénice André, le jeune Marie (qui a 4 « parents : deux couples formés de 2 hommes homos et de 2 femmes lesbiennes) fait une bataille d’eau bénite de Lourdes avec une de ses mères, « Mamoune » ; et Jean-Paul, l’un des deux « papas », s’auto-flagelle parodiquement : « Blasphème ! Blasphème ! » pour surjouer ironiquement l’indignation. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel et un Noir sont en train de copuler pendant qu’ils se font lire un texte épiscopal ( = d’un évêque).

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Beaucoup de héros homosexuels, par provocation adolescente, ricanent en travestissant les gens d’Église, ou en s’imaginant faire l’amour avec Jésus ou un religieux : cf. le film « Le Cavalier noir » (1961) de Roy Ward Baker (où le personnage homo tombe amoureux du curé qui lui vient en aide), etc. « Appelle-moi Dieu. Appelle-moi Gode. » (cf. une réplique de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Mimile se souleva la soutane et nous montra son postérieur. » (le narrateur homosexuel parlant de Mimile, déguisé en faux curé, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 115) ; « Quand je lis ma Bible, je pète. » (Claudia dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Ces chapelets de capotes enfilées inopinément par l’auteur de ce mauvais pastiche de Proust sur ces pines à peine pubères, faisaient capoter son plaisir. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 96) ; « Ce n’était pas l’avis de Sa Satiété la Pipesse Jeanne-Paul II qui, cessant selon le principe d’Onan de sucer un vieux rabbin vierge et intégriste bien que circoncis, protesta que le préservatif, sous quelque avatar qu’il se présentât, constituait une offense à Dieu tout puissant, lequel n’avait pas eu besoin de ce vil ustensile pour engrosser Marie tout en la laissant impollué et séronégative. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « L’Apocalypse des gérontes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 130) ; « Oh je n’ai fait que prendre exemple sur Jésus… mais si vous voyez… Jésus (elle mime une folle sur la Croix – mime les clous, la couronne, la chaleur) » (Lise, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Dieu et le rat : ne forniquez pas sur l’antenne ! Nous sommes sujets à la censure interplanétaire. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Tchaïkovski fait une bonne sodomie à Jean Réno dans un presbytère. » (Rodolphe Sand dans le one-man-show Tout en finesse, 2014) ; etc.

 

Parfois, leur plaisir du blasphème passe par la tentative d’entraîner une âme consacrée à Dieu dans leur chute : « La religieuse était pleine de vie et, bien qu’elle ne fût pas jolie, je fus attirée par elle. […] J’étais insensiblement attirée et sous le charme de la sœur. […] Je concentrai mon esprit sur les pensées choquantes qui me traversaient l’esprit. Je l’imaginais déshabillée et en situation de me donner ce que j’aurais voulu d’elle sur l’instant. […] J’avais souvent pensé que dans les couvents, parmi ces femmes enfermées, certaines devaient entre elles trouver un peu de satisfaction… […] Face à cette fille sans coquetterie, je me voyais dans la peau d’un diable venu pour la tenter. […] Sachant qu’elle allait partir, avec une énergie et une détermination qui m’étonnèrent moi-même, je me précipitai pour lui prendre un baiser. Elle n’en fut pas surprise et se laissa faire, mais sans participer en rien. Aussi furtif que fût ce baiser, je compris qu’elle n’avait jamais embrassé personne avant moi. J’en ressentis instantanément comme une sorte de tristesse et j’eus le sentiment qu’il émanait d’elle une pureté à jamais inaccessible. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 221-224)

 

 

On retrouve la thèse de l’amour homosexuel entre saint Jean et le Christ dans la pièce L’Opération du Saint-Esprit (2007) de Michel Heim. Dans le roman Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto d’Halmar, Deusto, le personnage homosexuel, tombe amoureux du prêtre Pedro Miguel. Dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le bel héros homosexuel, pousse un prêtre qu’il séduit, à la débauche, par pure provocation et défi.

 

BLASPHÈME Aime

Film « W…imie » de Malgorzata Szumowska


 

Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam, le prêtre homosexuel refoulé, tombe amoureux du jeune et beau barbu Lukasz qui a tout du Christ physiquement ; et inversement, Lukasz drague le représentant du Christ qu’est Adam. Chez Adam, l’arrivée de l’homosexualité active qui pervertit son ministère arrive subrepticement à petits pas : d’abord, il se masturbe dans son bain ; puis, par accident, il surprend deux de ses gars dont il a la charge dans son centre de jeunes adultes, en train de se sodomiser (il tombe dans les filets du chantage diabolique d’Adrian) ; il se met à nier en boutade et en public la force du message christique (« Vous pensez que Jésus a parlé à quelqu’un d’autre qu’à lui-même ? »), en étant presque pris au sérieux ; et une fois saoul comme un Polonais, il danse la valse avec le portrait de Benoît XVI, dans une scène qui se veut à la fois touchante et pathétique. L’image de Dieu donnée dans ce film se veut a priori respectueuse et pudique ; mais au final, les protagonistes ne Le suivent pas, fuient Son Église, n’en font qu’à leur tête « par amour », et propagent l’idée d’un Jésus censeur et incompris par Ses scolaires suiveurs hétérosexuels : « Le Seigneur est tout près. Garde le silence. » indique un écriteau.

 

Le blasphème gay friendly des héros homosexuels est pétri de bonnes intentions, de spiritualité de bas étage, de bons sentiments. Par exemple, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), la jeune Sandrine allume une bougie dans une église, devant la statue de saint Antoine de Padoue, afin que son père revienne avec sa mère, que leur famille soit à nouveau unie, et que son papa abandonne sa récente vie homosexuelle ; Joséphine ange-gardien la voit faire, et une fois qu’elle est partie, elle arrive devant saint Antoine, éteint la flamme de la bougie, et, en gros, essaie de briser l’union de prière entre Sandrine et le saint : « De toute façon, on ne peut pas être deux sur le même coup. Joyeux Noël quand même, mon Toinou. » Comme quoi : il existe bien des anges diaboliques (qui se font passer pour des justiciers blancs)…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’attaque anticléricale frontale :

En général, les personnes homosexuelles pratiquant les actes homos et croyant en l’« identité homo éternelle » ne portent pas Jésus, son Père et l’Esprit-Saint, et leur Église, dans leur cœur.

 
BLASPHÈME Fourest
 

« Je suis né comme ça. Je suppose. Je ne me pose pas la question. […] C’est, je pense, l’intérieur qui commande. […] Il s’agit d’aimer. […] Dieu, c’est rien. » (Pierrot, homosexuel de 83 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Dans mon affreuse solitude, je ne pensais pas retourner à l’église ; il serait trop facile d’employer l’hostie comme un remède et de prendre à la Sainte Table un ressort négatif, trop facile de nous tourner vers le ciel chaque fois que nous perdons ce qui nous enchantait sur la terre. » (Jean Cocteau dans le Livre blanc, 1928) ; « C’est à cette époque que je suis devenue ce que je suis, à savoir agnostique, pour ne pas écrire franchement athée. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 70) ; « Je pensais que Dieu était un menteur. Je voulais qu’il meure. » (Dan, homme homosexuel converti au catholicisme, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Michel Foucault s’amusait, non des ridicules de chacun, mais des illusions de tous : aux yeux de cet incroyant qui regrettait peut-être la foi de son enfance, rien ni personne ne paraissait être sérieux en ce bas monde. Serein en toutes circonstances, il était persuadé de la médiocrité de toutes choses. Il n’en avait pas moins le sens de l’engagement, comme on verra ; le scepticisme n’a jamais empêché les prises de parti les plus résolues. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), pp. 67-68) ; « Il n’y a pas de problème de l’homosexualité. Notre problème, c’est les autres. En pays chrétien, bien entendu. Ce problème, il n’existe que dans les pays judéo-chrétiens. En dehors de cela, il n’existe pas. » (Nedra, homme homosexuel, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « Combien de milliers d’homos j’ai vus pour qui la foi était une angoisse démesurée ! Au confessionnal, on leur dit : ‘Tu es LE pécheur.’ Pas ‘un’ pécheur. LE pécheur, qui peut se relever, avoir la Grâce divine’. Non ! Tu es le pécheur, pour l’éternité. Tu ne t’admets pas !’ Et c’est ainsi encore maintenant. » (André Baudry, homosexuel, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « On m’a virée de l’Église. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Par exemple, pendant le concert Météor Tour du groupe Indochine à Bercy le 16 septembre 2010, les images d’un gros « FUCK GOD » inscrit sur le synthétiseur étaient projetées sur les trois écrans géants en gros plan. Dans la chanson « Les Mantes religieuses » de Jann Halexander, il est question de « Dieu insecticide ». La Gay Pride de São Paulo (Brésil) en 2015 a battu tous les records de vulgarité blasphématoire en affichant des Christs crucifiés.

 

Action d'Act-Up au Sacré-Coeur (Paris)

Action d’Act-Up au Sacré-Coeur (Paris)


 

La majorité des personnes homosexuelles ne se contentent pas d’ignorer Jésus et son Église. Vexées de ne pas rester fidèles à leur identité d’Enfants de Dieu, à leur royauté et à la pratique qu’induit celle-ci, elles se montrent particulièrement agressives envers les membres du Clergé : cf. l’essai Pamphlet contre les Catholiques de France (1924) de Julien Green, tous les films et propos du réalisateur espagnol Pedro Almodóvar (apparemment traumatisé par son passage scolaire chez les Jésuites…), l’essai Vidente En Rebeldía : Un Proceso En La Iglesia (1978) d’Antonio Roig, l’autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011) de Jean-Michel Dunand (avec la critique de l’habit monastique, p. 55), etc. Par exemple, Magnus Hirschfeld est connu pour son anticléricalisme et son rejet de l’ascétisme chrétien. Sergueï Eisenstein, le cinéaste russe homosexuel, a fait des dessins obscènes de la crucifixion. Le couturier Yves Saint-Laurent, avec La Vilaine Lulu, a également versé dans le satanisme « naïf ».

 

« Je bouffe du curé. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 23) ; « Les prêtres, on les trouve tels des mouches, aussi bien posés sur les uniformes de militaires que sur le caca des torturés politiques, courtisant riches et pauvres pour gonfler les caisses de leurs innombrables affaires en Éternelle Faillite. Ils sont influents dans toutes les couches de la population. Tout homme politique, syndicaliste ou militaire a un discret confesseur ou ami curé à travers lequel il règle ses affaires avec l’Église. Le confesseur du général Camps, tristement célèbre, a été inculpé récemment pour avoir participé à des tortures sur des prisonniers. Il n’est pas le seul prêtre dans sa situation. Si le vieux fantôme de Marx mettait jamais un pied en Argentine, c’est la classe du clergé qui s’accommoderait le plus vite d’une situation à la russe. L’Église est argentine, elle n’est pas séparée de l’État ! Le divorce n’existe pas, la contraception et l’avortement sont interdits. » (Copi à Paris en août 1984) ; « Je peux vous dire que j’insulte tous les jours le tout-puissant de cette merde qu’il a implantée en moi, moi qui est idolâtré sexuellement, attendant avec impatience mon premier rapport sexuel avec ces douces créatures qui sont les femmes. J’ai la rage. Je me dis quelquefois que je vais me faire sauter le caisson pour aller régler mes comptes là-haut, qu’il n’y a pas d’amour sans femme et que je mourrai sans leur amour. J’injure le seigneur car c’est lui qui nous a programmé ainsi, et si c’est son choix, Il ne peut pas s’amuser avec nous de la sorte. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu le juin 2014) ; etc.

 

Par exemple, lors de sa conférence au Centre LGBT de Paris à l’occasion de la sortie de son essai Délinquance juvénile et discrimination sexuelle en janvier 2012, le « sociologue » Sébastien Carpentier critique sévèrement les désastres humains que la psychiatrie et l’Église auraient engendrés depuis des siècles. Dans son roman autobiographique Par d’autres chemins (2009), Hugues Pouyé, prêtre défroqué ayant fait son coming out, règle ses comptes avec « la théologie et son lourd contenu dogmatique », avec l’Église et « ses données figées en vérités éternelles » (p. 31) : « L’Église a raté un tournant. Elle n’aime pas franchement le monde qui l’entoure. L’époque moderne lui fait peur. » (p. 74)

 

Et plus spécifiquement sur l’homosexualité, l’Église est désignée par les communautaires homosexuels comme une cruelle institution homophobe, qui ferait semblant d’accueillir ses personnes homosexuelles pour mieux les étouffer et les pousser au suicide : cf. le documentaire Ouganda : au nom de Dieu (2010) de Dominique Mesmin, le documentaire Les Règles du Vatican (2007) d’Alessandro Avellis (sa projection à la Médiathèque Fafala de Reims le 15 mai 2010, suivie d’un débat « Religions et Homophobie », a été prétexte à un déchaînement anticlérical), etc. « Pour moi, toute religion, quelle qu’elle soit, est synonyme d’obscurantisme, de conformisme, de conservatisme, de misogynie et d’homophobie. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 71) Il n’y a qu’à voir, sur Twitter, toutes les accusations infondées dont je fais les frais simplement parce que j’explique l’homosexualité avec un regard catholique (je pousserais les jeunes au suicide par mes conférences dans les établissements scolaires !).

 

Dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein » (« Tu ne seras pas gay », 2015) de Marco Giacopuzzi, Gaalh, la star norvégienne de dark metal, ouvertement homosexuel, explique que l’origine du mal ce sont les religions, et que pour cette raison « elles méritent d’être combattues » : « Il est important de se battre contre les religions pour faire comprendre au grand public qu’elles fonctionnent sur la séduction. » Toutes les Églises institutionnelles sont pointées du doigt dans ce documentaire… et tout le monde y passe : Dieu et ses prophètes ! : « Je me suis senti abandonné de Dieu. Je me suis souvent disputé avec lui. Dans ma chambre, face à la Croix. Je l’ai même traité un peu de tous les noms, parce que je ne savais plus ce qu’il attendait de moi. » (Daniel Bühling, jeune prêtre défroqué) ; « Qu’est-ce qu’un théologien ou un prêtre peut avoir à me dire sur ma sexualité ? et même sur la sexualité en général ?[…] Il faut que les non-croyants s’organisent. » (Ralf König, le dessinateur homosexuel) ; « Tout ça, au fond, c’est de la faute de saint Paul. Sa morale rigide est la source de nombreuses incompréhensions. » (la voix-off du documentaire) ; « C’était un type coincé qui n’a même pas connu Jésus. » (le dessinateur homosexuel Ralf König parlant de Saint Paul, idem)
 

De plus en plus de films actuels traitant du thème homosexuel pointent du doigt un unique ennemi au « bonheur » homo : l’Église Catholique (et un peu après, « les religions »). J’ai vu « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer. Et c’est d’autant plus vrai avec le film « Come as you are » (2018) de Desiree Akhavan, qui présente clairement la foi catholique comme la grande méchante. La propagande anti-catholique et gay friendly resserre son étau sur nous catholiques, désignés comme les principaux homophobes que la terre ait comptés (plus encore, même, que les Juifs et les Musulmans).
 

Globalement, l’Église est jugée d’office comme « dangereuse » pour les personnes homosexuelles. Par exemple, le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta, diffusée en juin 2011 sur la chaîne espagnole Play Cuatro, attaque le Pape qui n’accepterait pas « les » homos. Dans l’émission Infra-Rouge intitulée « Et Dieu dans tout ça ? » (2011) de Philomène Esposito, l’essayiste homosexuel Henri de Portzamparc traite le Pape Benoît XVI de « Benoît treize et trois » : « L’Église est obligée de se moderniser et de s’adapter aux réalités du monde ! […] Ce que dit le Pape, c’est une abomination pour nous ! ». Par ailleurs, dans le même reportage, le père Jacques Mérienne, le curé de saint Merry, à Paris, très branché David et Jonathan et Devenir Un En Christ, en appelle à la compromission : « Il faut créer un consensus. »

 

Agression de Mgr Léonard par les Femen à Bruxelles

Agression de Mgr Léonard par les Femen à Bruxelles


 

Au départ, le blasphème chez la plupart des personnes homosexuelles ne se traduit pas directement par l’attaque du Clergé mais par la (simulation de) destruction de ses symboles religieux (statues, cimetières, lieux de culte, etc.) : cf. le vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Que mon cœur lâche » de Mylène Farmer, etc. Par exemple, dans la scène de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, il y a une affiche « Dieu m’énerve ! » dans l’appartement de Pierre, le héros homosexuel. Dans l’émission Homo-Micro diffusée sur Radio Paris Plurielle le 15 mai 2006, Loïc, le régisseur, donne carrément à l’antenne la marche à suivre pour l’apostasie (= se faire débaptiser).

 

C’est souvent que les personnes homosexuelles – qui se gardent bien de dévoiler leur homosexualité – pratiquent des actes de vandalisme à l’intérieur des églises. Le phénomène iconoclaste hyper violent des Pussy Riot ou des Femen (ces prostituées ukrainiennes débarquant dans les églises et sciant des croix de calvaire à la tronçonneuse) n’aura échappé à personne ces dernières années.

 

Femen à ND de Paris le 12 février 2013

Femen à ND de Paris le 12 février 2013 (et toujours impunies par la loi française)


 

On voit bien que depuis une dizaine d’années (je ne vous remonterai pas jusqu’à la Révolution Française…), l’étau peu à peu se resserre autour des croyants catholiques et des prêtres. Les injures verbales fusent, dans une impunité totale et une indifférence quasi générale. « C’est fini, les familles hétéros, blanches et catholiques !!! » (Sergio Coronado sur la chaîne LCI le 3 février 2014 au Journal de 23 heures de Damien Givelet et Katherine Colley) À 16 ans, quand Arthur Rimbaud écrivait dans les jardins publics, il blasphémait tout haut « Merde à Dieu ! ». Aujourd’hui, les catholiques se font insulter à tour de bras (de « fascistes », d’« hétéros », d’« homophobes », d’« extrémistes », de « criminels »), et le pire, c’est que personne ne semble réaliser que l’insulte, la violence et l’homophobie ne se trouve quasiment que du côté de ceux qui prétendent les combattre. Les mass medias sont d’ailleurs en grande partie complices de cette désinformation sur l’origine des violences, en faisant croire qu’elles seraient réparties de manière équitable dans les deux camps qu’ils caricaturent, et que donc les « casseurs de cathos » ont bien le droit de se venger. Mais de se venger de qui et de quelles attaques, au juste ? Pour l’instant, la violence concrète, je l’ai surtout vue du côté des anti-cathos et des pro-mariage-pour-tous ; quasiment jamais chez les catholiques.

 

 

Et puis parfois, le blasphème vire au cauchemar : certaines personnes homosexuelles vont jusqu’à violer, maltraiter des prêtres et des moniales (cf. je vous renvoie au code « Violeur homosexuel » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « Dans ma prochaine nouvelle, j’me tape des curés dans la grotte de Lourdes. » (l’écrivain Ron l’Infirmier dans l’émission Homo Micro le 12 février 2007) Par exemple, Monseigneur Léonard (évêque belge) a souffert pas moins de 4 entartages ; des groupes commando perturbent les conférences des personnalités cathos telles que Christine Boutin ; mes interventions en « milieu scolaire » pour informer sur ce que sont vraiment l’homosexualité et l’homophobie sont censurées (et les établissements scolaires qui m’invitent reçoivent de nombreuses menaces) ; les Femen débarquent dans la rue pour gazer ceux qu’elles affublent de la réputation de « terroristes catholiques d’extrême droite » (cf. la « Manif de Civitas » le 18 novembre 2012 à Paris). En Italie, Rocco Buttiglione, député catho, est accusé en 2004 d’homophobie, tout comme le député Christian Vanneste en France, qui en 2007 a été attaqué en justice.

 

Les Femen sont des "victimes" selon Caroline Fourest, et sont "touchantes" selon Anne Hidalgo...

Les Femen sont des « victimes » selon Caroline Fourest, et sont « touchantes » selon Anne Hidalgo…


 
 

b) Le blasphème par le pastiche provocateur :

Le pire, c’est que l’acte de destruction de l’Église par les personnes homosexuelles pratiquant leur homosexualité se veut paradoxalement un hommage, un mimétisme qui prétend faire mieux qu’Elle (cf. je vous renvoie au code « Attraction pour la ‘foi’ » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, Aleister Crowley se consacre à la magie noire et fonde une confrérie, l’Aurore Dorée. Pavel Tchelitchew s’intéresse à l’occultisme. Le baron Friedrich Alfred Krupp est amateur de littérature sataniste et des « messes noires ». « Aujourd’hui encore, certains groupuscules néonazis entretiennent une forme d’ambiguïté. De nombreuses histoires circulent, sur fond de messes noires ou de satanisme. Dans leur esprit, nazisme et homosexualité participent de la même ambiance, d’une même esthétique. » (Philippe Broussard, Le Monde, 18 juin 1997) Charles Nebster Leadbeater pratique l’occultisme. En 1883, il rejoint à Londres la Lodge of the Theosophical Society. Il voyage en Inde et au Sri Lanka où il assimile un nouvel enseignement de la magie.

 

La sincérité de l’Homme qui obéit au mal va jusque-là : il singe un respect de façade pour l’Église (il reste à proximité d’Elle, d’ailleurs) afin de masquer sa jalousie de ne pas être aussi humble, doux et miséricordieux qu’Elle ; et surtout, afin, aux yeux du monde, de s’attribuer à lui seul les fruits positifs de l’Église. Le premier des blasphèmes, c’est bien celui de se substituer à Dieu ! « Laissez votre identité être votre religion. » (Lady Gaga dans le journal Métro, n°2008, le 17 mai 2011, p. 3) ; « Je ne pouvais plus me contenter de ce Dieu d’amour qui faisait toujours le bien. Je voulais connaître le vrai dieu, le dieu couroucé qui punit. C’est pour ça que j’ai choisi la Fraternité Saint Pie X. » (David Berger, homosexuel attiré par le sadomasochisme et ancien clerc, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Les pastiches homosexuels de l’Église (à la sauce libertine dix-huitièmiste) sont légion dans les discours et dans le monde artistico-médiatique LGBT. Dans leurs œuvres, José Pérez Ocaña, Antonio Roig, Ronald Firbank, Pedro Almodóvar, Alberto Cardín, Nazario, utilisent abondamment l’imagerie catholique pour la pervertir à la sauce kitsch et camp. Le meilleur exemple de détournement blasphématoire mimétique (et sincère), c’est quand même à ce jour la congrégation des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, ces religieuses gays très maquillées qu’on voit souvent aux Marches des Fiertés. Cette confrérie parodique été créée à Castro en 1979 : les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence se sont auto-ordonnées, et se présentent comme les prêtresses travesties d’une religion profane anti-cléricale : « Nous sommes un ordre agnostique. » (une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « Par les pouvoirs que nous nous sommes octroyés » (les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, idem).

 

Une Soeur de la Perpétuelle Indulgence

Une Soeur de la Perpétuelle Indulgence


 

Les exemples de pastiches provocateurs de l’Église catholique fleurissent dans les festivals de cinéma LGBTI. Par exemple, dans le générique du 18e Festival « Chéries-Chéris » au Forum des Images de Paris, on voit un militant LGBT habillé en évêque, avec un tee-shirt « No Pasarán ».

 

Dans le docu-fiction « Les Majorettes de l’Espace » (1996) de David Fourier, la critique du Pape par rapport au préservatif est opérée sans détour : Jean-Paul II serait le responsable de la pandémie du Sida dans les pays du Tiers-Monde. Le réalisateur fait parler le portrait du Pape réduit à une marionnette de carton animée. On est parfaitement dans le pastiche de détournement, ici !

 

Vidéo-clip de la chanson "Je te rends ton amour" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer


 

Beaucoup de personnes homosexuelles, par provocation adolescente, ricanent en moquant leurs quelques souvenirs d’enfance dévots, en s’imaginant faire l’amour avec Jésus ou un religieux. « Les journées de vacances ont passé ainsi, remplies de randonnées, de débats organisés ou informels, de projections de films et d’émissions de télévision sur le lesbianisme, de repas où nous nous attardions à table, raclant un fond de plat en déclarant avec allégresse : ‘Encore un que les hétéros n’ont pas eu !’ Ou parodiant des chansons, ou mieux encore, des cantiques, remis à jour pour les besoins de la cause. Celui qui m’a laissé le plus impérissable souvenir, c’est : ‘Je suis lesbienne c’est là ma gloire / Mon espérance et mon soutien / Mon chant d’amour et de victoire / Je suis lesbienne, je suis lesbienne.’ » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 240) Par exemple, Max Jacob appelle le Christ « Chéri » : « J’aime à sentir ton corps dans mes bras. » Il dira à Jean Cocteau : « Sois obstinément chrétien au travers des péchés, je t’en prie […] Crois-tu que les saints ne pèchent pas septante fois par jour ? » (Max Jacob cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 277) Le Christ est pour l’écrivain Michel Bellin le concurrent idéalisé de sa mère : cette dernière lui semble trop focalisée « sur son Christ, oui, son Christ chéri, son époux de substitution, cet étrange voleur d’énergies » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), p. 98), et c’est sans doute la raison pour laquelle il a voulu jalousement être ordonné prêtre (il ne l’est plus depuis) : pour être le mari de sa mère… ou bien le mari de Jésus !

 

Certains ex-prêtres ou ex-fidèles vivant ensuite leur homosexualité au grand jour jouent les prophètes de ce qui, selon eux, est le « Véritable Évangile », l’Évangile « humaniste », plus proche des gens et de leurs réalités que l’Évangile du « Clergé d’en haut », en décrétant que « les homos » sont des créations de Dieu. Ils essentialisent, via une théologie de comptoir, l’homosexualité sous des prétextes divins, en faisant parler Dieu à sa place : « Moi, je voulais annoncer cette Bonne Nouvelle […] : Dieu nous aime ainsi, (homosexuels), parce que c’est ainsi qu’Il nous a créés, et Il l’a fait par pur amour. […] Et j’avais besoin de transmettre cette merveilleuse joie (‘Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile’, disait Pierre de Tarse) à mes frères, à la société et au monde. » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 190) Ils détournent les belles vérités de la Bible pour justifier leurs fantasmes non conformes à l’Incarnation christique (toutes celles qui, sans leur citation complète, donnent à croire à la justesse de l’extinction de la raison et de l’Amour incarné : « Aime et fais ce que tu veux », « Ne juge pas et tu ne seras pas jugé », etc.) : « Mon engagement personnel consistait à m’accepter tel que je suis. Je ne pouvais pas me retenir davantage : je ne pouvais pas vivre dans le mensonge, je devais être libre et ce principe de liberté est celui qui se trouve dans la Bible. » (Antonio Toig, ex-carmélite, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, pp. 297-298) Ils sont persuadés, dans leur erreur et leur rébellion, qu’ils sont meilleurs et plus concrètement aimants que les catholiques pratiquants, que leur libertinage et leurs actes blasphématoires les conduiront à la rédemption : « Les gens pensent que c’est de l’érotisme mais c’est stupide. C’est profondément religieux. » (Edwarda face au tableau de la jeune fille à la salle de bain de Balthus, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; « J’ai accueilli son sperme tiède dans ma bouche avec extase, comme une hostie. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 96) ; « Malgré la nudité de tous et de toutes, l’ambiance était, selon ce qu’on décrit ceux qui étaient présents ce soir-là, aussi spirituel que celui d’une église. […] La Licorería’ est devenue avec le temps un sanctuaire, où certaines nuits, en préparation d’une révolution mondiale future, ont lieu de mystérieux rites. » (cf. l’article « Crónica Auténtica De Lo Acontecido En Un Pub De Chueca Una Noche De Verano » dans l’essai Primera Plana (2007) de J. A. Herrero Brasas, pp. 123-124) ; etc. Par le blasphème, ils injurient le Seigneur et désobéissent à son Église… mais avec des étoiles dans les yeux.

 
 

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Code n°19 – Bobo (sous-code : Bourgeois-bohème homosexuel / voir les 50 sous-codes bobos)

bobo

Bobo

 

 

AVANT-PROPOS sur les 50 sous-codes bobos

 

bobo 1 clope. jpg
 

Pour vous aider à suivre au mieux la logique de ce code si spécial, je vous engage à bien retenir les sous-codes répertoriés dans cet article CAPITAL, et surtout mon livre Les Bobos en Vérité, qui sont un peu le langage symbolique de l’idéologie bobo. Vous les repérerez, je pense, dans énormément de films, vidéo-clips et discours de nos contemporains, car nous baignons médiatiquement et politiquement dans une ambiance bourgeoise-bohème sans trop le savoir (D’ailleurs, le bobo s’est tellement en horreur lui-même que dès qu’il apprend que quelque chose est étiqueté « bobo », il cherche à le fuir : c’est sa marque de reconnaissance, la fuite de soi et la haine de la bobo-attitude). Merci, donc, de relire au moins deux fois les 50 mini-codes de l’univers « bobo » avant de vous jeter à l’eau, en sachant qu’ils fonctionnent comme les 186 codes du désir homo : ils sont plus à prendre comme des symboles d’un désir que comme une espèce humaine à part, des faits ou des actes réels (ex : tous les barbus qui aiment les bougies ne sont pas nécessairement « des bobos » : tout le monde est un peu bobo – surtout dans les moments où ça ne va pas et où on se centre sur soi en oubliant l’Église et la différence des sexes – et personne n’est « le bobo » véritablement ;-)).

 

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

HOMOSEXUALITÉ ET BOBOÏTUDE

Reflets d’une même hypocrisie contemporaine

(version rose ou verte)

 

Stuck In The Sound

Stuck In The Sound


 

Donnez-moi un clitoris, je n’en veux pas…

 

Vous aussi, vous soupirez dès que vous entendez les premières notes de la chanson « Je veux » de ZAZ qui a le courage « révolutionnaire » de manger avec ses doigts au Ritz, et qui défend « SA » vision individualiste et libertaire de la bonne humeur, « SON » indépendance et « SA » réalité ? Vous aussi, vous commencez à avoir une poussée d’urticaire dès qu’« on vous souhaite tout le bonheur du monde », comme Sinsémilia sur un air sautillant de guitare « à la Brassens » ? Vous aussi, vous trouvez que des films comme « Tree Of Life » sont insipides, et illustrent parfaitement le mauvais coton (ou la mauvaise guimauve verte, en l’occurrence…) que notre planète, en perte de Sens et en manque de Dieu, est en train de filer ? Bienvenue au club ! Le Festival d’Avignon et les Inrockuptibles, c’est ici ! 😉 Journalistes de Têtu et de Minorités.org, entrez ! Ce code est fait pour VOUS ! Et tous les autres, ceux qui haïssent tout ce qui « fait bobo », venez participer à ce grand exorcisme collectif que sera, j’espère, la lecture de ce code ! (car c’est fou la montagne de culpabilité, de complexes, d’agressivité, qui se cache derrière cette étiquette « des bobos »^^)

 

Film "Cabaret" de Bob Fosse

Film « Cabaret » de Bob Fosse


 

Pour résumer ce que je pense de l’adjectif « bobo » – employé à l’heure actuelle à toutes les sauces dès qu’on veut discréditer quelqu’un ou une idée –, je vais prendre un exemple simple : je vais partir de notre cher Francis Cabrel national (mais j’aurais pu parler aussi d’Yves Duteuil ; en revanche, j’ai écarté Florent Pagny et Yannick Noah, je sais pas pourquoi…). La différence entre Francis Cabrel et l’individu bobo, c’est que Francis, lui, il est vrai et aimant, il est dans la proposition, il ne fait pas semblant d’aimer la Nature et la Vérité, il agit en leur faveur ; alors que l’individu bobo, au contraire, il fait semblant d’agir (il crie « Allô le monde ? », comme la chanteuse Pauline, pour faire la morale à tout le monde, puis retourne fumer son shit), il est triste et agressif, et se place dans le registre de la révolte (cf. les chansons « Travailler plus », « Peuple d’Occident » ou le magistral « Plus on en fait », de Tryo), de l’opposition molle. Voilà, en gros, ce qui rend bobo : le manque de désir, le manque de Réel et la haine de soi/des autres, sous prétexte de défense du naturel (ici, comprendre par « naturel » toute pulsion).

 

Charlie Winston

Charlie Winston


 

Le bobo, je dirais que c’est le Mâle/mal du Siècle : la version Charlie Winston des romantiques déprimés et révoltés du XVIIIe, qui refusent Dieu et ont peur de désirer. « bobo » signifiait déjà littéralement « petite blessure » (Tamalou ? Gebobola), et actuellement, il renvoie aussi à la contraction des adjectifs « bourgeois » et « bohème » (l’expression est née sous la plume de David Brooks en 2000). Dans le langage commun, et grâce à des chansons populaires telles que « Les Bobos » de Renaud ou « Tes parents » de Vincent Delerm (vous savez, le chauffage à 17°C dans la baraque familiale…), l’homme bourgeois-bohème est passé très vite dans les esprits pour l’archétype du citadin « nouveau riche », qui mangerait bio, habiterait tel quartier précis, ferait des voyages « humanitaires », écouterait France Inter, lirait Télérama, et voterait à gauche pour faire illusion qu’il vit en réalité comme un soi-disant « bourgeois de droite ». Mais cette acception du terme me paraît spectaculairement réductrice, car elle ne considère absolument pas l’hybridité/la bipolarité – donc la richesse – de l’expression « bobo ». En effet, nos contemporains, parce que cela les arrange et leur permet d’extérioriser le phénomène social généralisé du boboïsme sur d’autres personnes qu’eux-mêmes (attitude bourgeoise s’il en est !), préfèrent oublier qu’il y a aussi, parallèlement à cette élite réduite de gens « bobos plus bourgeois que bohèmes », une foule beaucoup plus grande de bourgeois ratés et de gens « plus bohèmes que bourgeois », qui ne se considèrent absolument pas bobos alors que pourtant ils le sont, non pas au niveau du porte-monnaie, mais d’abord en désir (et parfois en actes). Être bobo n’est pas prioritairement une question d’argent possédé (même si, bien sûr, quand on a de l’argent, on est d’office plus exposé à devenir superficiel et à vivre pour le paraître), mais de fantasme (y compris sexuel et homosexuel). Oui monsieur ! On peut tout à fait être pauvre et snob. Pauvre et arrogant. On peut manger des graines au petit déjeuner et être obnubilé par les marques et la société de consommation. On peut défendre le « pauvre du bout du monde » tout en écrasant le « pauvre de son pallier ». On peut ne pas avoir la télé et être un geek qui croit tout ce que les médias lui disent. On peut être écolo et un beau salaud. On peut être un étudiant, un militant de la gauche radicale, un va-nu-pieds, parcourir le monde avec son sac à dos, faire du coach surfing, traverser l’Atlantique à la rame, et quand même vivre dans le paraître, comme le bourgeois… avoir un cœur sec, comme le bourgeois. Être bourgeois, ce n’est pas d’abord la conséquence directe de la possession d’argent (il est possible d’avoir de l’argent, de le faire fructifier, et de le partager avec les autres), mais bien un rapport non-détaché à l’argent, et une primauté laissée au matériel et aux bonnes intentions plutôt qu’aux humains et aux actes concrets pour les aider. Au fond, nous sommes tous potentiellement des bobos (et personne ne l’est complètement : « le bobo » reste une étiquette, un être mythique ; pas un être humain), parce que désirer le paraître et vivre pour soi, c’est humain. Après, la personne la moins bobo qui soit, c’est celle qui tolère dans l’humour l’idée qu’elle puisse être « un peu bobo » (de par son humanité) et qu’elle puisse être jugée comme tel, mais qui, en actes, essaie de lutter contre cette part sombre, artificielle, mondaine, de sa personnalité/de ses désirs.

 

saint Sean Penn

saint Sean Penn


 

Être bobo, pour moi, c’est être puriste sans chercher à être pur. C’est rechercher la Nature, la Vérité, la Réalité, l’Amour, la transcendance, par les mauvais moyens, c’est-à-dire en évacuant Dieu de sa vie et en se mettant à sa place. Pour le coup, l’Homme bobo est surtout un être qui manque de Désir, un révolté triste et « indigné », un individu qui oscille entre des phases de grandes violences et des phases d’anesthésie planante de drogué, un révolutionnaire frustré qui tue mal son ennui parce qu’il panique pour le sort du monde sans réellement le changer. D’un certain côté, il est touchant étant donné qu’il aspire à une radicalité, à une authenticité, à un retour aux sources, à la paix, à l’humanisme, à une spiritualité ; mais il est aussi hypocrite, pathétique et puant dès que son élan premier de grands changements, en théorie louable, se fige en diktat politique, en esthétisme, en égocentrisme « bouddhisant », en confort, en bonnes intentions non-suivies des actes, en haine des autres sous prétexte de défense des Droits de l’Homme, en libertinage liberticide, en « fascisme vert », en hédonisme ronflant, en indifférence, en humanisme athée. En gros, on devient bobo dès qu’on se place en unique créateur de soi-même, dès qu’on mise toutes nos espérances en l’être humain et en une Nature biologique censée dominer ce dernier plutôt qu’en Dieu fait homme, un homme libre de respecter mais aussi de dominer la Nature. Personnellement, je crois que le véritable humanisme se fait avec Dieu-Église. Si Dieu-Église incarné n’est pas là, l’Homme n’y est pas non plus, n’est plus à sa juste place, ne sait plus à qui donner son cœur, et on ne peut plus parler d’humanisme : on en reste alors à un pauvre optimisme anthropocentré/ethnocentré et hédoniste, qui bien souvent cache une grande désespérance en l’Humanité.

 

Comme le boboïsme est une idéologie de la contestation du « carcan bourgeois » que serait la différence des sexes, une pensée de l’ouverture inconditionnelle à toutes les différences (y compris les différences qui ne grandissent pas l’Homme, ou qui font appel à ses instincts « naturels » les plus pulsionnels), il était logique qu’il fasse très bon ménage avec un autre courant social qui s’avance aussi sous la bannière du « naturel » et de « l’Amour » : la bisexualité (baptisée parfois de « pansexualité »). De même que Marx proposait une société sans classe et les gender feminists une société sans sexe, les bobos queer pro-gay imposent un monde sans classe et sans sexe.

 

Nous allons maintenant observer les nombreuses passerelles qui existent entre les individus bobos et les individus homos/bis. C’est parti !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Amant triste », « Inversion », « Voyage », « Ennemi de la Nature », « Amour ambigu de l’étranger », « Femme au balcon », « Sommeil », « Trio », « Oubli et Amnésie », « L’homosexuel riche / L’homosexuel pauvre », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Drogues », « Dilettante homo », « Vent », « Peinture », « Amoureux », « Innocence », « Mère Teresa », « Méchant pauvre », « Cour des miracles homosexuelle », « Se prendre pour Dieu », « « Plus que naturel » », « Ville », « Artiste raté », « Morts-vivants », « Promotion « canapédé » », « Homosexualité noire et glorieuse », « Blasphème », « Désir désordonné », à la partie « Anti » du code « Faux révolutionnaires », à la partie « Afrique » du code « Noir », à la partie « Accident » du code « Passion pour les catastrophes », à la partie « Veuve » du code « Mort-Épouse », à la partie « Antiquaire homo » du code « Fresques historiques », à la partie « Mélomane » du code « Musique comme instrument de torture », à la partie « Mer » du code « Eau », à la partie « Bouddhisme » du code « Attraction pour la « foi » », à la partie « Ennui » du code « Manège », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

I – LA CONTRADICTION DES NOUVEAUX MATÉRIALISTES BISEXUELS :

 
 

Le bourgeois-rastaman révolté

 

Étant donné que les seules « valeurs révolutionnaires » qui aient du prix aux yeux du bobo sont l’inversion, la contradiction sociale, et l’opposition dans l’originalité, il était logique que la boboïsme s’oriente vers la bisexualité, et en particulier vers la sexualité des personnes jadis baptisées « les invertis » de la fin du XIXe siècle, à savoir les personnes homosexuelles.

 

 

Les films homo-érotiques mettant en scène un héros bobo, anti-système et homo malgré lui, sont nombreux : cf. le film « Humpday » (2010) de Lynn Shelton (dans lequel deux copains soi-disant « hétéros » se retrouvent, après une beuverie, en train de tourner un film porno ensemble), le film « Little Miss Sunshine » (2005) de Jonathan Dayton (avec l’oncle homosexuel bobo), le film « Un Élève libre » (2009) de Joachim Lafosse, le film « Good Morning England » (2009) de Richard Curtis (avec l’équipage underground du bateau aux mœurs très libérées : leur leader est une grande folle), le film « Le Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré, le film « El Niño Pez » (2008) de Lucia Puenzo, le film « Shortbus » (2006) de John Cameron Mitchell (dans lequel l’homosexualité est traitée comme un expérimentalisme artistique « conceptuel »), le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, tous les films de François Ozon et surtout « Le Refuge » (2009), le film « Totò Che Visse Due volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri, le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie MacDonald, le film « Patrik 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2008) d’Ella Lemhagen, le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier, le film « Brüno » (2009) de Larry Charles, le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman, beaucoup de films avec l’icône gay Julianne Moore, le film « Fire » (1996) de Deepa Mehta, le film « Harvey Milk » (2008) de Gus Van Sant, le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, la chanson « Ce soir c’est moi qui fait la fille » de Vincent Baguian (traitant du glissement d’un hétéro vers la bisexualité), la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H. (avec le couple Jonathan/Matthieu qui prévoit de « bruncher » chez leur amie Sophie), le roman Bohème (2012) d’Olivier Steiner, la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor (avec Jean-Paul qui est tout fier de boire son jus d’ananas bio du Gers), le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus (avec Zoé et sa compagne qui sont végétaliennes), la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener (avec Suzanne, la lesbienne végétarienne), le film « Bleus Cycle » (2013) de François Labarthe, le film « Bobo » (2012) de Bardi Gudmunsson, le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, etc. Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah, l’héroïne lesbienne, a sa mère qui travaille apparemment dans une ONG en Afrique. Et la mère de Charlène (la copine de Sarah), séparée de son mari, confectionne des bijoux. Dans son one-woman-show Chatons violents (2015) d’Océane Rose-Marie, Océane, l’héroïne lesbienne, croque les bobos dont elle fait aussi partie, de son propre aveu. Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Marilyn tombe amoureuse de Mona, une femme maghrébine avec qui elle va faire de la danse orientale dans un club.

 

Comme pour le bobo « l’amour n’a pas de sexe » (= comprendre « n’est pas sexué »), et que selon lui, dans les relations sexuelles humaines, il n’y a pas lieu de mettre la conscience avant l’expérience, la génitalité avant la « personne », la « relation », la « rencontre », l’« expérience sensible », la « surprise » – tous ces concepts qu’il poétise à l’excès, et vide de réalité –, il s’autorise tout et n’importe quoi en matière d’affectivité à partir du moment où, dans sa tête, il l’appelle « Amour » : « J’avais décidé de ne plus aimer les hommes. Mais toi, c’est différent. » (Arthur, le héros homosexuel, à son amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 44) Il se dit « ouvert » à tout, y compris à l’expérience homosensuelle. Même pas nécessairement « sexuelle » (selon sa propre définition de la sexualité). Avec un homme, avec une femme, peu importe : c’est l’instant et l’envie qui décideront pour lui !

 

B.D. "Bienvenue à Boboland" de Dupuy & Berberian

B.D. « Bienvenue à Boboland » de Dupuy & Berberian


 

Ce n’est pas un hasard que le couple gay soit l’un des archétypes du couple bobo dépeint par l’excellente B.D. satirique Bienvenue à Boboland (2008) de Dupuy & Berberian, (on ne s’étonnera pas non plus que le présentateur télé Franz-Olivier Lombard y soit baptisé « F.O.L. »…). Dans la pièce Nos amis les bobos (2007) d’Alain Chapuis, le chef du groupe des bobos est précisément homosexuel. Dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, Jean-Paul est le parfait « pédé bourgeois » qui rêve de voyage humanitaire en Thaïlande, dans son salon style colonial, mais qui est incapable de se séparer de son confort occidental ou de son petit roquet. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., pour leur première rencontre (premier « plan cul », en fait), Matthieu et Jonathan choisissent d’aller non pas au Marais (jugé trop « beauf ») mais dans un resto indien de Saint-Germain-des-Prés. Je pense également à Adèle, l’héroïne du film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, qui dès les premières images, porte son bonnet péruvien ; à la fin, dans ses cours de professeur des écoles « cools Africa », elle fait danser ses petits de maternelle sur une chorégraphie de danse tribale pour la kermesse de l’école. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael se rie du goût d’Emory, un de ses amis homos, pour la musique ethnique, qui serait « une de ses spécialités ». Dans beaucoup de films homo-érotiques d’ailleurs, les personnages homosexuels intègrent des milieux beaux-ardeux branchouille bobos : cf. le film « la Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, etc.

 

Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, est l’archétype de l’homo-bobo parisien : il est très attaché à ses petites affaires et ses fringues, est suspendu à son I-phone, organise des « slunch » (un néologisme de son cru, qui condense « souper + lunch »), se fait appeler « Jean-Kévin », travaille à la télé et dans la mode, voyage au Japon et mange dans des restos japonais, part vivre à la campagne pour quitter le stress parisien. Dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari, la protagoniste lesbienne Mnesya s’exprime comme un robot, et vit pourtant dans un refuge en pleine jungle indienne. Il n’est pas rare que l’homosexualité soit une résurgence, chez quelques personnages de fictions homo-érotiques, de la supposée « libération sexuelle » des années 1960. Par exemple, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, Hevina avoue à Cliff qu’elle s’est découverte lesbienne « depuis 1968 ». Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel finlandais, se fait chambrer par son amant syrien Tareq sur « son côté bohème ».

 

Certains héros homosexuels sont définis – ou se définissent eux-mêmes – ouvertement comme « bobos » : « C’est pas parce que t’es né chez les bobos que la vie es forcément PINK. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, la maman de Vita Sackville-West, Lady Sackville, reproche à sa fille lesbienne de rester enfermée dans « sa bulle bohème et dépravée » ; « La vie, c’est pas trop rigolo quand t’es élevé chez les bobos. » (idem) ; « Au Café de Flore y’avait déjà des folles. » (cf. la chanson « Et mon père » de Nicolas Peyrac) ; « cette classe de jeunes bourgeois-bohème dont Alice et toi faites partie » (Denis s’adressant à son amant secret bisexuel Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Le jeune Marius, il sort de la noblesse, mais il se la joue bohème. » (Valjean dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy) ; « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien. Mais l’amour infini me montera dans l’âme. Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, par la Nature, – heureux comme avec une femme. » (cf. le poème « Sensation » (1870) d’Arthur Rimbaud) ; « Je vais par les chemins. Un peu bohème. Je ne m’attache à rien. » (cf. la chanson « Boulevard des rêves » de Stefan Corbin) ; « Nous sommes bien dans notre peau, qu’on soit bobo, qu’on soit prolo. » (les protagonistes homosexuels de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « En écoutant la fin du troisième acte de La Bohème ce jour-là, je me fais une promesse qui me met un peu de couleurs aux joues et m’accroche un sourire de satisfaction. C’est un rêve encore, bien sûr, mais je sens que c’est l’ultime échappatoire avant le grand plongeon, un dernier accroire, comme dirait ma mère, avant la vraie chose, et je m’y vautre avec une évidente complaisance. » (le narrateur homosexuel parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 20) ; etc. Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane Belcour, le héros homosexuel quinquagénaire (aimant le « luxe et vivant en palace), est décrit comme un vieux beau « au look bohème travaillé ».
 

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les comportements homosexuels ne se rencontreraient qu’en milieu bourgeois et propret, on voit beaucoup d’homosexualité dans les sphères relationnelles « plus bohèmes que bourgeoises », les milieux « cools », « roots », et « babos » dépeintes dans les fictions : « Dormant dans des hôtels crasseux et mangeant des mets douteux, son bonheur tenait surtout au sentiment d’être un vrai routard. » (Dimitri dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 88) ; « Ça doit pas être facile d’être une lesbienne au Népal. » (Hélène parlant de Clothilde, le personnage lesbien de la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch) ; « On ne s’est jamais entendu avec les bourgeois. » (Alfonsine, la bourgeoise, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; etc.

 

 

Détrompons-nous ! Concrètement, le héros bobo bisexuel est aussi rastaman, anti-system, sans le sou, marginal, punk. Il fait certes plutôt partie de la famille de l’homosexualité de circonstance, de ceux qui viennent à la pratique homosensuelle et homo-érotique par « accident », par ignorance, par expérimentalisme (lui dira « par ouverture »), par l’absorption de drogues (comme on peut le voir avec le personnage du rastaman gay de la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays), plutôt que parce qu’il ressent précocement un désir homosexuel en lui. Mais la « grande folle » maraisienne sophistiquée n’est pas la seule à être un bourgeois dandy. Le bobo fictionnel est aussi un individu homosexuel tardif, avec un passif dit « hétérosexuel ». C’est l’homme bisexuel par excellence, qui n’ira pas forcément jusqu’à coucher avec des garçons, mais qui testera volontiers la fascination qu’il engendre chez les individus plus profondément homosexuels que lui. Le bobo est un séducteur né, ne l’oublions pas. Il drague tout ce qui bouge. Et les garçons (ou les filles, pour le cas lesbien), ça bouge aussi ! Dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, par exemple, Gilles, le voisin homo (plutôt « bi » en réalité, parce qu’il se doit d’être « trop open » et de rejeter les étiquettes, bien entendu), mal rasé, exerçant le métier d’ébéniste (détail important : contact avec la matière et la création, c’est capital), est le prototype du bobo. Dans le film « Qui a envie d’être aimé ? » (2010) d’Anne Giafferi, Alain (le frère d’Antoine, interprété par Benjamin Biolay), bobo alcoolique, dit avoir « un copain ». Dans le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, Sarah (Emmanuelle Béart) incarne également une parfaite bobo : elle se lance dans l’écriture de livres pour enfants (finalement, elle se lassera assez vite de ce métier : le bobo entame des tas de projets mais a du mal à les mener à terme), incarne la femme « moderne » capricieuse, indépendante, libertaire, la mère démissionnaire, la femme-enfant. Dans le film « Prête-moi ta main » (2006) d’Éric Lartigau, Charlotte Gainsbourg est aussi un beau spécimen de femme bobo bisexuelle : elle joue la bad girl au cœur tendre, bordélique, qui adore la peinture, les jouets en bois, et qui, par son incorrection, donne une leçon d’humanité à tout son entourage. Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, les personnages homos sont tous des trentenaires en perte de repères, rêvant de vivre en ermites en Inde, promouvant une économie solidaire (Burger et Claude se fabriquent leur pain eux-mêmes, par exemple). Dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, la « fille à pédés » lesbienne tricote des pulls pour les bébés gorilles du Kilimanjaro (une cause très utile).

 

Rastaman gay de la pièce "Bang, Bang" des Lascars Gays

Rastaman gay de la pièce « Bang, Bang » des Lascars Gays


 

Le héros bobo bisexuel est un enfant, et surtout un petit-enfant de mai 1968, de la supposée « Libération sexuelle » (celle qui a mal tourné…). Il est bourré de contradictions, écartelé entre les objets (= nouvelles technologies) et la Nature, son passé qu’il renie et son futur qu’il fuit, l’« éducation » permissive qu’il a reçue et ses désirs d’indépendance que celle-ci lui a imposés. Par exemple, dans la pièce Les Homos préfèrent les blondes (2007) d’Eleni Laiou et Franck Le Hen, Cosmos, le typique homosexuel, a des parents babas-cools. Dans le film « Saturn’s Return » (2001) de Wenona Byrne, Barney, le héros homosexuel, est fils de deux hippies « soixante-huitards attardés » qui l’ont abandonné depuis qu’il était enfant, et qui l’ont rendu dépendant des drogues. Dans le film « Margarita » (2014) de Dominique Cardona et Laurie Colbert, Margarita évolue comme nounou dans une famille de bobos de Toronto (Canada). Dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm (épisode 2 de la saison 1), la mère de Guillaume, le séminariste homo, est possessive, illuminée, babos et bobo, voulant partir en Inde alors qu’elle est sous anti-dépresseurs et qu’elle a été quittée par son mari. Dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, les parents de Karma (l’héroïne pseudo lesbienne) sont hyper bobos et consomment du bio.

 

Film "Unveiled" d'Angelina Maccarone

Film « Unveiled » d’Angelina Maccarone


 

Par certains côtés, le bobo se montre réfractaire à la modernité, à la civilisation, et à la consommation… et par d’autres, il ne peut pas vivre longtemps à la campagne, loin des gadgets de la société de consommation : « Tu vois Mimile, j’t’observe. Et j’me demande si tu ne regrettes pas ta p’tite vie de bourgeois parisien. » (Jeff à son compagnon Mimile, venu vivre avec lui au fin fond du Cantal, dans la pièce Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob)

 

Le bobo, même s’il est riche matériellement, s’auto-persuade qu’il est pauvre, non pas parce qu’il manquerait effectivement d’argent, mais uniquement parce qu’il a peur d’en manquer (concrètement, il faut comprendre que pas un riche ne supporte de se comprendre riche, ne s’imagine une seule seconde se définir comme tel !) : « Le fait est que je n’ai pas d’argent ! Vous avez déjà entendu parler de la crise économique ?!? » (la Marquise millionnaire du film « Entre Tinieblas », « Dans les ténèbres » (1983) de Pedro Almodóvar) ; « Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel. Ils sont trop gâtés, et puis c’est tout ! » (le protagoniste homosexuel imitant sa mère bourgeoise, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Mais j’avais un problème : quoi porter ? On ne s’habillait pas n’importe comment pour aller à l’opéra. […] Je n’allais tout de même pas me présenter devant le Tout-Montréal déguisé en cousin pauvre ! Même si je n’étais que le cousin pauvre du cousin pauvre ! […] J’aimais mieux faire artiste que péquenaud. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 39) ; etc.

 

Le bobo est un enfant gâté du capitalisme, qui voudrait avoir plus d’argent et d’honneurs, mais qui s’annonce comme un « plus pauvre que lesdits bourgeois » pour leur ravir discrètement leur place (cf. le film « Eat The Rich » (1987) de Peter Richardson), qui se déguise en pauvre pour arriver à ses fins. Revient très souvent dans son discours l’attaque contre « les riches », les banquiers (cf. la chanson « Paradis imaginé » du rappeur Monis) et contre les intellectuels bourgeois : « J’en ai bouffé, de la culturalité ! » (Prétorius, le vampire homosexuel précieux de la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Je les vomis. […] Je hais les mini et les super-puissants !!! » (Belle Espérance en parlant des riches et des « gens de la Haute » dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, 2010) ; « Sales bourgeois ! » (Daphnée, la bourgeoise-bohème par excellence, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; etc. Il exprime sa haine du libéralisme économique et du système capitaliste, en affichant comme un étendard son goût pour le dénuement matériel et un mode de vie champêtre en apparence spartiate et bordélique, en total décalage avec l’éducation étriquée qu’il aurait reçue. « J’en ai marre de la vie civilisée. » (Ray Smith dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, p. 89) Dans l’idée, il se positionne contre la mondialisation (… sauf quand celle-ci est au service de son idée de l’« humain » à lui !).

 

Qu’il soit matériellement riche ou non (il appartient généralement à la classe moyenne d’ailleurs), le bobo est tellement obsédé par l’intention (son refus de l’argent et de la propriété, son dégoût des fascismes historiques, sa soi-disant « clairvoyance » quant à la bobo attitude et ses limites, sa passion pour l’authenticité – humaniste dans l’idée mais misanthrope dans les faits –, etc.) qu’il en devient artificiel, et donc bourgeois. Il se veut, comme le personnage homo de Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, « plus bourgeois que bourgeois » : « Sébastien n’avait pas le snobisme de la caste ou de la fortune… mais c’était un snob tout de même. Il avait le snobisme de la beauté et de l’élégance des objets, du charme personnel et de la grâce physique des êtres. » Le bobo est un bourgeois rebelle, « chemise ouverte et chaîne en or qui brille », mettant les pieds sur sa table de bureau de publiciste, tutoyant (dans ses rapports professionnels) les gens qu’il veut soumettre en les appelant par leur prénom et en surjouant la fausse camaraderie. C’est un crooner et un dragueur des bacs à sable (en général « vieux beau »), un aristo « éclairé » qui aurait la simplicité et la distance qu’un bourgeois ordinaire n’aurait pas, tout en ayant miraculeusement conservé la « classe » et le sex-appeal du bourgeois : « J’ai la faiblesse de penser que nos dialogues valent mieux que les conversations de salon. » (la figure de Marcel Proust parlant à son amant Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 165) Bref. C’est un petit péteux.

 

Le héros bobo bisexuel fait partie de ces « riches » qui se rêvent « bourgeois partiels », « bourgeois ratés » comme dirait Pierrette (Fanny Ardant) dans le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon, car son désir homosexuel l’oriente davantage vers le paraître ou l’avoir que vers l’être et l’aimer. « Il faut que je t’avoue quelque chose : je ne suis pas riche. Je suis une mythomane. En fait, j’habite dans une chambre de bonne, rue Monsieur-le-Prince. Je ne m’habille en femme que pour sortir le soir. » (Micheline, le travesti M to F, s’adressant à son amant maghrébin Ahmed, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « J’ai beau être chauffeur-livreur, je suis le mec le plus snob de la planète. » (Eugène dans le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « J’ai du mépris pour les choses légères. » (Chris, le héros homo du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 49) ; etc. D’ailleurs, il habite en général dans un bel appart ou un loft savamment (et, quelque part, sobrement) décoré : cf. le film « The Bridge » (2005) de George Barbakadze (l’appartement aseptisé de Niko et Luka), le film « Rue des Roses » (2012) de Patrick Fabre (où Medhi et son jeune amant Axel vivent dans un superbe appartement), le film « Bug Chaser » (2012) de Ian Wolfley (où l’amant noir de Nathan possède une coquette demeure design), la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder (Léopold et Franz vivent dans un appartement épuré et « chic » à la fois, qui fait leur fierté, et où ils peuvent écouter leurs disques de jazz)etc.

 

Film "Bug Chaser" de Ian Wolfley

Film « Bug Chaser » de Ian Wolfley


 

En règle générale, il n’apprécie pas du tout d’être associé à ces bourgeois planqués ou ratés que sont les bobos. Pour lui, le mot « bourgeoisie » ne va pas avec militantisme homosexuel, anti-capitalisme, intellectuel clope au bec et muni d’un livre d’un auteur classique, bar « crade » de Saint-Germain-des-Prés, appartenance à la gauche politique et au socialisme, dénuement matériel, haine de la mondialisation, dénonciation de la société de consommation, piano-bar et clope, « plaisir de désobéir » (cf. le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier), tous ces séduisants concepts dont il s’imagine être le digne représentant. Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a « peur d’avoir l’air riche ». Dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silvano « aime le luxe » mais craint par-dessus tout que cela se sache (p. 30), que son identité de provincial « ploucos » débarquant à Buenos Aires soit démasquée. Dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, adaptée par Pierre Constant, le protagoniste veut qu’Abdallah cultive vestimentairement « une misère apparente ». Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, est le bourgeois qui prend la cause des pauvres, parce que ça fait bien. Il va tourner un film sur la Révolution communiste pour le style : « Mexico est à la mode pour tous les gens de gauche ». Dans le film « La Forme de l’eau » (« The Shape of Water », 2018) de Guillermo del Toro, Giles, le personnage homo âgé, aime porter des vêtements rétro qui « font décontracté et chic » à la fois.

 

Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, est l’archétype du bobo : il prépare du thé au jasmin, vit à Paris, fait brûler de l’encens dans son appart, se fait des plateaux sushis-bio avec sa voisine de pallier lesbienne, vit en couple homo avec Brice mais est contre le mariage gay, , aide aux Restos du Coeur, vote à gauche, mais diabolise la droite et se montre très sectaire avec ceux qui ne pensent pas comme lui.
 

Au bout du compte, « l’homosexuel » est ce jet-seteur écartelé entre Nord et Sud, symbolisant la fracture économique mondiale entre pays riches et pays pauvres, rêvant, comme le businessman de Starmania, à la fois d’« être un anarchiste et [de continuer à] vivre comme un millionnaire », « ne pouvant pas supporter la misère » et la voulant éternelle pour sauvegarder ses privilèges ou son rôle de bon samaritain. Il ne désire pas l’union entre ceux qu’il classe parmi les « riches » et ceux qu’il étiquette « pauvres » et qui doivent surtout le rester : dans les films homosexuels, le mélange inter-classes sociales ne s’opère quasiment que par le sexe, l’esthétique, l’émotionnel, la consommation, ou l’oppression.

 

Par exemple, dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, le héros homo sexuel Nicolas, pseudo artiste anticonformiste, est en réalité chef d’entreprise. Dans le film « Taking Woodstock » (« Hôtel Woodstock », 2009) d’Ang Lee, Elliot, le jeune garçon hippie homosexuel, devient businessman et va s’enrichir grâce au festival de musique. Dans le roman Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud, le protagoniste revendique son statut d’« esclave » alors que par ailleurs il dit qu’« il exècre la misère ! ». Dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque, le PS est qualifié de « Parti des Sodomites » à la place de « Parti Socialiste » (Jack Lang et toute l’équipe de Bertrand Delanoë et de François Hollande peuvent en effet se sentir implicitement visés…).

 

Jack Lang

Jack Lang


 

La sacralisation de la différence conduit forcément le bobo à la (l’auto-)contradiction, à la (l’auto-)trahison… puisqu’un beau jour, une différence viendra forcément s’opposer à la mienne ! Le bobo trouve sa fierté à accepter chez lui y compris ce qu’il trouverait honteux ou avilissant chez les autres (par exemple, quand il regarde une émission de variété ou de télé-réalité, il s’empressera de trouver sa démarche « géniale », exceptionnelle, décalée, sociologique, hilarante, limite subversive… quand il la trouvera « beauf » et « à vomir » chez les autres), car il se donne ainsi à lui-même les signes tangibles de son incroyable ouverture d’esprit. Même quand il fait preuve de mauvais goût, il se persuade qu’il a bon goût parce qu’il choisirait le mauvais goût en connaissance de cause : « Le charme de l’île Moustique tenait à son absence de charme ; et à son sens cultivé du snobisme, du ridicule et du mauvais goût. » (Emmanuel Pierrat, Les Dix Gros Blancs (2005), p. 22)

 

Dans les fictions homo-érotiques, les élites bobos homos, revendiquant leur marginalité pour gravir l’échelle sociale et s’assurer une place au soleil, et se valant de l’excuse de l’Art afin d’asseoir leur autorité, sont légion. On retrouve les « théâtreux branchouille », la « jet set d’écrivains de pacotille », les « adeptes mondains de design architectural », les « rats de musée contemporain », par exemple dans la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd (avec Richard et Emma, les bobos « néo-modernes »), la pièce Les Amazones, 3 ans après… (2007) de Jean-Marie Chevret (avec Annie, la bourgeoise adepte du mobilier design minimaliste ou étrange), le film « Grégoire Moulin contre l’Humanité » (2002) d’Artus de Penguern (avec Bénureau en bobo libertin néo-baroque), le film « Nos Vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot, le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec Sulku et Sulky), le film « Le Goût des autres » (1999) d’Agnès Jaoui (avec le couple de galeristes homos présomptueux), etc.

 

Côté chanson, le personnage bobo aime particulièrement les musiques peu populaires et alternatives : la musique métal ou punk par exemple (cf. le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel), la musique planante et soporifique à la Björk ou à la Portishead (cf. le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte – avec Kévin, le fan gay de Björk –, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude – avec Victor écoutant Björk, etc.), la musique électro (qu’on peut vraiment savourer qu’avec un gros coup dans le nez ou une bonne dose de poppers), la soupe « soul », la chansonnette de l’artiste autodidacte (au piano ou avec son orgue de barbarie), la fanfare tzigane ou africaine, etc. Tout du moment que ce n’est pas encore étiqueté « commercial » et que ce n’est pas trop connu !

 

 

En réalité, le bobo bisexuel est un consommateur qui ne veut pas se voir consommer, ni se « pétassiser »… pour mieux consommer en douce : « C’est simple, si la vie était un magazine féminin, j’habiterais un superbe loft duplex de 458 mètres carré mansardé avec poutre apparentes, beaucoup de cachet… Je ne pourrais pas travailler, ah ben non, je suis une femme libérée mais comment vous voulez que je bosse avec toutes les choses que j’ai à acheter… » (le Comédien dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je regarde pas la télé. Je déteste raconter des histoires grasses ou vulgaires. Et puis j’aime pas le foot. Je fais pas mes courses le samedi, et puis surtout pas au supermarché. J’achète même pas en fonction des pubs. J’essaie même pas d’être à la mode. » (Jarry, pourtant attiré par le strass et les paillettes, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman); etc.

 

Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Mathieu et Jean-Marc composent le parfait couple homo bobo de consommateurs. Ils vont à leur rendez-vous cinématographique annuel : le Festival des Films du Monde. Ce sont les amants globe-trotters, qui planifient à chaque vacances un voyage lointain et exotique hors des sentiers touristiques dits « classiques » (… et Dieu sait s’il en existe beaucoup en vrai, des couples homosexuels comme celui-là !). Une fois que Mathieu quitte Jean-Marc, ce dernier consomme autrement, en veuve déprimée : il se paye une nuit d’hôtel dans sa propre ville alors qu’il n’aspire qu’à retrouver son vrai lit, part sur un coup de tête en voyage sur une île, décommande des soirées amicales pour aller voir au cinéma un navet qui le déprimera encore plus, etc. Il ne voit pas pourquoi ses désirs futiles passeraient après ses désirs plus constructifs, puisque dans l’instant, rien ne les distingue, et qu’il ne faut, selon lui, « jurer de rien ».

 
 

II – LA DÉPRIME SPIRITUELLE :

 

L’obsession pour le naturel sensible

 

Film "A Marine Story" de Ned Farr

Film « A Marine Story » de Ned Farr


 

D’habitude, pour prouver la force de sa sincérité, le héros bobo bisexuel se focalise sur la Nature. Il est obsédé par la spontanéité, l’instantanéité des sensations et des pulsions, la recherche des origines, l’authentique « sobre », la création de Nature et des sens : cf. la chanson « La Bourgeoisie des sensations » de Calogéro (traitant de la bisexualité d’une femme qui part avec une autre après avoir été en couple avec un homme).

 

Film "Le Secret de Brokeback Mountain" d'Ang Lee

Film « Le Secret de Brokeback Mountain » d’Ang Lee


 

Dans un soubresaut de conscience citoyenne, et surtout pour pallier à son désert affectif intersidéral, il fuit la ville et la société de consommation, et décide de se mettre au vert (même s’il fume souvent comme un pompier, et qu’ouvrir son jardin aux « Roms », très peu pour lui !). Le bobo fuit la ville et la société de consommation : cf. le film « Leaving Metropolis » (2002) de Brad Fraser, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (avec Ed et Arnold, le couple homo « champêtre »), le film « El Niño Pez » (2008) de Lucia Puenzo (racontant la fuite de la ville vers une forêt), la chanson « Mon coloc » de Max Boublil (avec le colocataire écolo particulièrement à cheval sur les économies d’eau), le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, etc. « Je ne pars que pour six mois. Je ferai une tonne d’argent, et l’on va l’avoir, notre maison de campagne. » (Ginette s’adressant à sa compagne Lucie, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 30) ; « Moi, mon rêve, ce serait un mec proche de la Nature. » (Gwendo dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Oui. Le gay boit du thé. » (le narrateur homosexuel dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair) ; etc.

 

Film "Oublier Chéyenne" de Valérie Minetto

Film « Oublier Chéyenne » de Valérie Minetto


 

Le héros bobo bisexuel va jusqu’à se prendre pour la Nature même. Nombreux sont les passages de films ou les extraits de romans homo-érotiques dans lesquels il joue la symbiose parfaite avec le « Cosmos ». Par exemple, dans le film « Como Esquecer ? » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, Julia, l’héroïne lesbienne, affirme adorer rester sous la pluie, marcher face à la mer sur son ponton (vous savez, comme dans la pub du parfum Fahrenheit), accompagnée par les violons.

 

 

Le bobo se choisit comme nouveau Dieu le reflet embellissant de lui-même que lui renverrait la Nature. Cette Nature en question a pour particularité d’être prise pour un être humain, et surtout de ne pas être dominée par l’Homme (En gros, ce n’est pas une Nature biblique). Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, par exemple, Denis, la voix-off, nous dit qu’« on ne tutoie pas l’aube. » ; il nous montre les images d’une Nature capricieuse et dévastatrice (celle du tsunami sur Fukushima, au Japon), « le bruit de fond du monde ».

 
 

Allez viens, j’t’emmène au vent !… ou face à la mer

 

Film "Drôle de Félix" de Ducastel et Martineau

Film « Drôle de Félix » de Ducastel et Martineau


 

Dans les fictions bobos-homos, l’Homme se laisse entraîner par les éléments naturels, et particulièrement par les forces invisibles que sont le vent ou l’eau. « Je vais comme les gens de rien vers le destin. […] une brindille dans le vent, une goutte d’eau dans l’océan. » (cf. la chanson « Boulevard des Rêves » de Stefan Corbin) Le vent, dans ce cas, c’est le désir qui s’enfuit, qui se fige en esthétisme sentimentaliste et meurt ; c’est la liberté qui se liquéfie et se quitte : « J’entends le vent […] giflé par les rafales d’un vent d’est. » (Stefan Corbin lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011) ; « Comme une vague se retire pour mieux revenir, mes sentiments refirent surface avec une force inouïe, décuplée et incontrôlable. J’étais comme le capitaine d’un navire perdu en pleine tempête, sans savoir quoi faire. Parfois persuadé qu’il valait mieux faire demi-tour, parfois convaincu de mon insubmersibilité et qu’il fallait au contraire aller de l’avant. Mais peu importe puisque la barre ne répondait plus et que j’allais au hasard, porté par les vents, par cette force invisible qui s’appelle l’amour et qui n’obéit à aucune règle, à aucune loi ni à aucune logique. » (Bryan, le héros homo du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 36) ; « Encore un jour contemplatif où je fais l’idiot au bord de la falaise, les yeux dans les récifs. » (cf. la chanson « À force de retarder le vent » de Jann Halexander) ;

 

 

Le héros bobo bisexuel a trouvé dans les espaces de l’infini que sont l’océan et le ciel les lieux idéaux où déverser son âme et son désir pour ne plus jamais les retrouver : cf. la chanson « Parler aux mouettes » de Stéphane Corbin, le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, le film « Storm » (2009) de Joan Beveridge, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta (avec Luther, le héros homo habitant une maison-bateau en Californie), la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander (avec Prétorius se racontant face à la mer), le film « The Bridge » (2005) de George Barbakadze, le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec Dotty, l’héroïne lesbienne, face à la mer), le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser (avec Jan, le héros fixant l’océan), le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza (avec Toph et son amant Zach face à la mer, assis sur un toit), le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, etc. Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane, le romancier homo bobo, écrit des pages entières sur les bords de mer ; son ex-amant Vincent rentre dans le même « trip » sentimentalo-gélatineux maritime (« Je vais aller marcher sur la plage, en attendant… »), même s’ils se défendent ensuite tous les deux de sombrer dans le « cliché ». Bref, la mer et le vent constituent les parfaits miroirs narcissiques du bobo… et ce qu’ils lui font dire – c’était à craindre – c’est bien du vent ! des larmes de joie forcée et surtout de déprime à la Mickey 3D !

 

 

« Aimer jusqu’à l’aurore, aimer encore, aimer le ciel. » (cf. la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer) ; « J’aime les fleurs et le vent dans les branches. » (Aldebert dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « Impuissante, épuisée, Gabrielle regardait encore parfois la mer au loin comme le naufragé attend le secours d’une voile à l’horizon. Mais l’océan turquoise restait désespérément vide. Vide comme son âme qui ne trouvait pas le repos. » (cf. les dernières lignes du roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 209) ; etc.

 

On voit souvent, dans les fictions homosexuelles, l’image d’un rideau balayé doucement par le vent, comme la métaphore d’une démission ou d’un abandon du désir : cf. le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman, par exemple. « Dehors, par la porte-fenêtre encore ouverte, c’est toujours l’été, toujours le soleil, à peine un léger souffle qui fait se soulever un rideau, une chaleur, une douceur sur tout. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 22)

 

La simulation de contemplation émue de la mer – et plus globalement l’exposition à la beauté esthétique (un joli film, un paysage grandiose, un grand concert classique, une belle expo, un coucher de soleil…) –, c’est la technique de drague la plus cheap (… et la caution morale la plus navrante) que le libertin bobo ait trouvée lors de sa première rencontre réelle avec l’ami internaute qu’il ne connaît que depuis quelques semaines (ou heures) et sur lequel il va se jeter à corps perdu le soir même, pour ne pas passer pour un chaud lapin … et pourtant, elle marche quasiment à tous les coups ! À croire que les héros homosexuels sont vraiment les proies faciles du romantisme bon marché ! Il suffit de jouer l’épicurien, l’Homme contemplatif devant la Nature, pour devenir irrésistible et crédible en amour : « Il m’entraîne dans le métro, sans mot, c’est long, puis dans les labyrinthes du Louvre, sur une petite prairie isolée par une barrière de buissons aux branchages nus, l’herbe gelée crisse sous nos pas. Il enlève ses deux gros gants, son écharpe, son bonnet, son manteau, son pull, son tshirt, il ordonne ‘Fais pareil’. Quand il a fini, dans son petit slip made in India, il s’allonge dans l’herbe, sur le dos. Je le rejoins, transis de froid. Il se tourne et murmure doucement en grelottant ‘Maintenant respire, fort, à fond, le plus possible, sens les odeurs, ferme les yeux, le froid ça va passer quand tu auras oublié où tu es. On est bien là, non ?’ Je chuchote un ‘oui à peine audible, mais j’ai envie qu’il me prenne dans ses bras. Il ne le fait pas. Petit à petit, il tremble moins. Je le regarde. Il est apaisé et étrangement calme. Je l’aurais cru mort si son ventre ne se levait pas à intervalle régulier. Je le trouve beau, jeune, fort. Après un moment, il se rhabille, je l’imite. Je lui demande son prénom, il répond ‘H.’ et j’ajoute ‘Tu vois, ce qui est important, c’est de vivre chaque instant. Peu importe quoi, peu importe avec qui. Puis il dit ‘Adieu’ et il s’en va sans se retourner. Je hurle le plus fort possible ‘Connard, gros connard, sale pédé de merde, va crever. » (Mike, le narrateur homo, en parlant de « H. » qu’il rencontre à la gare du Nord, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 61)

 

Le bobo bisexuel se sert de la Nature pour satisfaire son narcissisme égocentré de dragueur à deux balles. Il déguise ses pulsions égoïstes et sexuelles en hédonisme, en amour des plaisirs naturels, évacue de sa vie la quête du Sens au profit de la glorification vaniteuse des sens. « Liberté des corps, égalité des sexes (c’est moi qui prend la mesure), fraternité et sonorité ! Soyez vous-même, réveillez vos sens ! Ne dites jamais la première chose qui vous vient par la tête, c’est toujours de la fatalité, un réflexe… Soyez naturel, dites la deuxième ! Vous verrez, la deuxième chose qui vous vient à l’esprit, c’est souvent, le corps… » (la « folle » militante, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier)

 

Comme le bobo bisexuel ne se choisit pas d’autre Dieu que lui-même et que son petit bagage de valeurs humanistes politiquement correctes (la tolérance, l’égalité, la différence, la solidarité, à peine le respect, etc.) qui ne veulent rien dire en soi, il lui arrive très souvent de faire preuve d’un holisme qui spiritualise les objets. Plus clairement, il prête des sentiments aux choses, aux animaux, aux paysages, bref, à tout ce qui possède très peu de désir et de liberté, contrairement à l’Homme : « Est-ce de l’une de ces statues que jaillit un gémissement nostalgique ? » (le narrateur homo de la nouvelle « Au Musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 112) ; « Les jours de pluie, mes jouets sont vivants. » (cf. la chanson « Parler tout bas » d’Alizée) ; « Les objets comme des collections de sable, témoins de nos escales dans le monde amoureux. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Autour de vous, le bourg défile à toute vitesse. Tu fixes les tours de brique et de silex du château de Dieppe. On dirait qu’elles te disent au revoir. » (Félix, l’un des héros homosexuels du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 23) ; « Autour de toi, la nature prend des notes. » (idem, p. 100) ; « Tu es peut-être tout simplement dans ta chambre, avec cet ours stupide qui te regarde. Il ne connaît pas son bonheur ! Il veille sur toi depuis si longtemps. J’aimerais tellement être à sa place. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 303) ; « Dans cette ville, on ne pouvait jamais être sûr de ce qui s’était passé. La souffrance s’imprégnait-elle dans les murs des bâtiments, les cris capturés telle une image sur une plaque photographique ? » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos de Berlin, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 39) ; etc. Ça s’appelle la schizophrénie animiste. Tout à fait.

 

Le bobo bisexuel applique une forme de « matérialisme vert », d’idolâtrie profane, si vous préférez. Paradoxal pour un être qui se veut détaché du matériel… Et beaucoup plus grave qu’on ne le pense, puisqu’à travers une idéologie apparemment alter-mondialiste et généreuse, il cherche à ne plus être libre et devient aussi matérialiste et superficiel que les matérialistes bourgeois qu’il prétend neutraliser : « Tout glisse et roule sur moi. Rien ne pénètre. » (Julia, l’héroïne lesbienne du film « Como Esquecer ? », « Comment t’oublier ? » (2010) de Malu de Martino) Il se présente comme un électron libre, un éternel errant (géographique et désirant), un globe-trotteur itinérant sans attache et sans but, totalement « free » dans sa tête, mais aussi peu libre : « Je suis habituée à ma vie de nomade. » (Helena, l’autre héroïne lesbienne du même film)

 
 

La sacralisation bobo du détail médiocre

 

Habituellement, le héros bobo bisexuel joue l’ermite-artiste s’émouvant lui-même d’être capable – dans l’adversité et le néant que serait sa vie – de capter malgré tout des petites choses de la vie (« ces petits rien qui font ces petits tout » comme le parodie l’humoriste Élie Sémoun) : cf. l’album Être amoureux : Petits bobos, petits bonheurs (2005) d’Élisabeth Brami, les chansons « Des milliers de baisers » et « Je t’aime encre » de Céline Dion, la chanson « La Liste » de Rose, le roman La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (1997) de Philippe Delerm, le film « C’est une petite chambre aux couleurs simples » (2013) de Lana Cheramy, etc. Sa fausse humilité s’exprime par un manque de prétention. Il choisit petit car c’est un petit joueur, qui s’installe dans sa timidité, sa lâcheté et une sobriété tellement forcée qu’elle en devient bourgeoise. « C’est ça le plus important : les petites choses. » (Camille, la mère dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) ; « Il y a toujours des raisons de s’émerveiller, de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. » (Stéphane Corbin lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011) ; etc.

 
 

L’Homme spirituel mais sans Dieu

 

Comment vivre sa spiritualité tout en renonçant à Dieu-Église ? Le personnage bobo bisexuel tente d’opérer ce tour de force impossible en misant toutes ses « forces » et ses espoirs sur lui-même et sur les Hommes. Autant dire qu’il se prépare à de grosses déceptions ! car l’Homme sans Dieu et sans Institution religieuse à son service devient vite un triste saint, un égoïste relativiste, un goujat (sans autre morale que ses envies du moment et ses petites « valeurs »), un indifférent, un salaud que rien ne touche : « J’étais soudain libre. Libre et libérée du fardeau de la connaissance, et donc de toute morale qui en découle. Seuls comptaient les sentiments. Et les sensations. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 27) ; « Je suis l’enfant insouciant. Je n’ai pas de morale. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 46-47) ; « D’ailleurs, rien n’est grave. » (idem, p. 30) ; « Je pourrais être, si l’on m’autorisait cette formule usée, le bel indifférent. » (idem, pp. 26-27) ; « Il faut passer par des chemins de traverse, porter un chapeau mou, une écharpe, avoir l’air de rien. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 56) ; etc.

 

Chez lui, l’indifférence individualiste est fêtée comme une singularité, une pureté, un luxe, une audace, une posture esthétique de dandy. « Cette indolence est ma signature, cette nonchalance. » (Vincent dans le roman En l’absence des hommes de Philippe Besson, p. 151) ; « Je suis éloigné de toute idée de provocation. Je dis les choses comme elles me viennent sans véritablement les réfléchir. » (idem, p. 142) ; « Vous êtes ainsi, n’est-ce pas ? indifférent. […] C’est en hommage à votre pureté absolue, à votre honnêteté quasi virginale que je souhaite témoigner. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à son jeune amant Vincent, op. cit., pp. 105-106) Péteux pédant pédé, je vous dis.

 

Le héros bobo bisexuel croit en une sainteté accidentelle et non-libre : cf. le film « Nazarín » (1958) de Luis Buñuel, le film « L’Évangile selon saint Matthieu » (1964) de Pier Paolo Pasolini, etc. « Le jeûne assis durera quarante jours et prendre fin comme il aura commencé, sans que je le décide vraiment. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 111) Et comme il essaie quand même de trouver parfois un sens à sa vie, et répondre à sa soif de croyance, il va souvent essayer de se créer une « home-made religion » sans Dieu, sans Institution ecclésiale, sans incarnation. Et là, c’est le ridicule assuré…

 

 

On le voit imiter les rites catholiques sans en assumer l’âme, en les instrumentalisant sous forme de folklore New Age ou bouddhisant pour s’autosacraliser lui-même. Comme le démontre très justement l’historienne Marie Pinsard, « chez le bobo, tout est rituel, rien n’est sacré ». Le bobo bisexuel s’habille tout en blanc, compose des « chansons du dimanche », adopte un nouveau calendrier avec des fêtes qui ne sont plus festives (la Fête du Sida, la Journée mondiale de la Lutte contre l’Homophobie, la Fête de la Musique, la Marche des Fiertés, etc.), fait brûler les barrettes d’encens dans son salon, s’embaume de toute sorte de crèmes relaxantes et d’huiles essentielles, fait des chemins de saint Jacques non-agréés avec ses amis randonneurs, met des bougies (on y revient tout de suite après) autour de sa baignoire et dans sa chambre à coucher, participe à des ateliers sophrologie ou massages, fout son canapé dans des endroits improbables (comme les Cranberries), etc.

 

Film "Contracorriente" de Javier Fuentes-León

Film « Contracorriente » de Javier Fuentes-León


 

« Là-bas, la marche est devenue une religion ! » (Suze, l’héroïne lesbienne partie « se ressourcer » en Ardèche, dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa)

 

 

Le héros bobo bisexuel rêve d’une cérémonie de mariage dans une yourte, dans une forêt « celtique », ou face à la mer (les églises-bâtiments, c’est ringard, c’est vrai…), brillante de mille feux et de mille pétales de roses (c’est bio, les pétales de roses), en partant en amoureux en pirogue, en bicyclette ou sur une caravane tzigane : cf. le film « Rachel Getting Married » (« Rachel se marie », 2008) de Jonathan Demme, le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, le vidéo-clip de la chanson « The Edge Of Glory » de Lady Gaga, etc. Par exemple, dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, Jean-Paul, le héros bisexuel, est obnubilé par le recyclage écolo et la sauvegarde de l’environnement : il fait même faire à sa femme une robe « en toile de maïs ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Only Gay In The World"

Vidéo-clip de la chanson « Only Gay In The World »


 

Les amis de fortune du héros bobo bisexuel (soit Monsieur le Maire, soit un pasteur évangélique complaisant, soit un homme politique, soit le pote-gay-friendly-qui-passait-par-là) jouent volontiers le rôle du prêtre catholique qui aurait dû, à ses yeux, les marier, lui et son/sa partenaire : cf. le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec le vieux couple de vieillardes lesbiennes, mariées in extremis par le jeune autostoppeur), toujours le vidéo-clip de la chanson « The Edge Of Glory » de Lady Gaga (avec le bon pote, « Black » évidemment, et son chapeau bobo), le film « Quatre mariages et un enterrement » (1993) de Mike Newell (trop exccccellent, l’« humour anglais » qu’on comprend pas…), la publicité « Love For All » pour la marque de vêtements Björn Borg (dans laquelle le spectateur découvre progressivement que le mariage religieux auquel l’assemblée va assister ne se fait pas entre un homme et une femme, mais entre deux prêtres devant une femme pasteure) ; etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Edge Of Glory" de Lady Gaga

Vidéo-clip de la chanson « Edge Of Glory » de Lady Gaga


 

Le héros bobo bisexuel est la version contemporaine des hypocrites pharisiens du temps de Jésus, un homme qui est « croyant » mais « non-pratiquant », qui dit qu’il a la foi mais qui n’agit pas en fonction, qui désire aimer mais n’aime pas en actes, qui se sert de l’Église (où il met rarement les pieds) pour se regarder le nombril et spiritualiser ses sens dans une religiosité sensibleriste : « Mes désirs étaient aussi forts que les bruits de la cloche de l’église. » (cf. une réplique du film « Dans le village » (2009) de Patricia Godal) ; « Libérée de ce passé, elle s’aperçoit qu’elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] croit encore aux miracles : retour de vigueur, espoir insensé. Elle croit à la naissance d’autres mots, d’autres émois. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 124) ; « Ça va aller. J’ai la foi. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 305) ; etc.

 
 

Le silence vide sacralisé

 

Pour continuer la liste de ces codes bobos qui « font religieux » mais qui sont concrètement vidés de sacré et d’incarnation humaine, on a le Roi des Rois : le Silence ! Le vide, le silence, la pudeur, chez le romantique bobo, sont sacralisés, deviennent des absolus en soi, des idéologies. Il ne vient jamais à l’esprit du bobo bisexuel de penser qu’il puisse exister des silences pleins, mais aussi des silences très vides et très creux (qui s’appellent « nullité »), des silences violents (qui s’appellent « censure », « démission de la pensée », « lâcheté » ou « drogues ») : cf. le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, le roman Le Contenu du silence (2012) de Lucía Etxebarría, la chanson « Mes silences » de Claire Keim, l’album « La Pudeur » d’Oshen (la Lesbienne invisible) ; etc. « Ce qui se produit a quelque chose de sacré, de miraculeux. » (Vincent à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 40) ; « Silence, le silence, c’est le mieux. » (Esti, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 263) ; « Il nous faut du temps, des insomnies, des engueulades, des retrouvailles à la bougie. Il nous faut du vent, un peu de pluie, de longues balades et pas de bruit. Non pas de bruit. […] Il nous faut aussi un jean usé que l’on partage. Deux trois secrets d’enfants pas sages. Il nous faut l’envie de rendez-vous, un très grand lit sans rien autour. Non rien. […] » (cf. chanson « Il nous faut » d’Élisa Tovati et Tom Dice) ; « Je parle, je parle, je parle. À chacun son fardeau et à moi l’innocence. Je dis tout ça, oui mais tu vois, je me défile. Oui j’ai dit ça et puis soudain, je reviens à la ligne. Car la pudeur est une robe que je porte. Car la pudeur, une frontière qui me conforte. Car la pudeur, la pudeur ne dira pas. La pudeur ne dira pas. » (cf. la chanson « Je parle je parle » de Pauline) ; etc.

 

 

Dans la vie du bobo bisexuel, au bout du compte, c’est l’amant et les pulsions – temporairement qualifiées de « sentiments » – qui finissent par prendre la place de Dieu : « Vous, comme ça, trônant dans ce décor mi-colonial mi-artiste. Vous, ma Gabrielle. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 143)

 
 

L’insupportable voix-off

 

 

Le plus fascinant dans la prétention silencieuse du bobo à se prendre pour Dieu, c’est qu’il laisse parler généralement son orgueil par une voix-off : une espèce de filet vocal fatigué et doucereux, parfois sirène (façon pin-up sixties suicidaire underground, venue d’outre-tombe), anesthésiant et infantilisant, qui raconte des fadaises ou des sensations, avec un lexique vaguement ésotérique : comme par exemple dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari, dans beaucoup de films de François Zabaleta et de Christophe Honoré, dans énormément de publicités et de bandes-annonces de films actuels. Les insipides navets oscarisés « The Tree Of Life » (2011, Terrence Malick) et « The King’s Speech » (2010, Tom Hooper), sans autre message « profond » que « l’important c’est d’être soi et de ressentir la vie », nous poursuivent ! Cette petite voix-off narcissique (qui se fait passer pour la voix de la conscience alors qu’elle est plutôt l’inverse : une voix de l’inconscient, autrement dit la voix des pulsions et du refoulé humain, pas spécialement connu pour être tendre… même si elle a des phases de mollesse), je trouve ça personnellement pervers et diabolique (le mot est lâché), en plus de creux !

 

 

C’est la voix de la sincérité (ou bonne intention) déconnectée de l’agir. La voix du schizophrène qui se sert du beau pour déconnecter celui-ci du bien et du vrai. Par exemple, dans le docu-fiction érotique « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, le héros homosexuel, Paul, se transforme en espèce de voix-off romantique qui à la fois communique dans le vide avec Jérôme son amant absent, mais en images, enchaîne les « plans cul » avec d’illustres inconnus (chauffeur de taxi, vendeur sur un marché, etc.).

 

Cette voix-off, qui initialement était censée illustrer un propos et être au service du Réel, est devenu un but. Et on la retrouve dans énormément de créations bobos bisexuelles d’aujourd’hui. Particulièrement dans la bande-annonce cinématographique actuelle. Nous, spectateurs, sommes conviés à assister au spectacle de l’exhibition émue du personnage (ou du réalisateur : on ne sait plus trop !) qui s’écoute parler, et qui avant tout veut nous anesthésier et nous faire CONSOMMER (de l’image technique, de la beauté plastique, du bon sentiment, du sexe, de la pulsion).

 

 
 

La folie bobo des bougies

 

 

Dernier reliquat pitoyable de religiosité chrétienne visible dans les œuvres de fictions homo-érotiques occidentales : la bougie (voire la guirlande lumineuse dans un lieu improbable : genre dans une forêt ou un lac la nuit).

 

Film "El Niño Pez" de Lucía Puenzo

Film « El Niño Pez » de Lucía Puenzo


 

Je me suis amusé à recenser dans les oeuvres toutes les fois où les personnages homos (se) sont représentés et (auto-)sacralisés autour d’une baignoire encerclée de bougies, ou un lit « nuptial » bordés de torches, ou une garden party décorée de lampions : cette icône top-bobo est juste omniprésente ! cf. le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta (avec les bougies dans le salon, et les barrettes d’encens), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell (surtout la scène finale, avec les bougies sur les rebords des fenêtres, pour fêter l’amour universel asexué et le dieu « Orgasm »), le film « Harvey Milk » (2008) de Gus Van Sant (avec la procession aux flambeaux à la fin), le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec Rosário et le travesti Tonia dans le cimetière décoré de bougies), le film « El Niño Pez » (2008) de Lucia Puenzo, le film « Les Yeux fermés » (1999) d’Olivier Py, le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman (avec les bougies autour du miroir), le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec les bougies autour de la baignoire de Dotty, l’héroïne lesbienne), le film « Seeing Heaven » (2011) de Ian Powell, le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin (avec l’appartement d’Harold et de Michael, décoré de lanternes et de lampions sur la terrasse new-yorkaise), le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer (avec les lampions sur la plage), la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), etc.

 

Film "Seeing Heaven" de Ian Powell

Film « Seeing Heaven » de Ian Powell


 

« Il [Simon] allume des bougies chauffe-plat qu’il pose sur le rebord de la fenêtre et sur la table de nuit, à côté d’une bouteille de vin rouge que je viens d’ouvrir. Dans la lumière vacillante, il me rejoint dans le lit où étendu sur le dos, je joue avec mes pieds. […] Il bande. J’embrasse son front, il s’endort. » (Mike, le narrateur homo du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 33) ; « Simon enfile une guirlande lumineuse autour de son cou et se laisse tomber dans un chariot de supermarché qu’il a trouvé dans la rue et monté tout seul. L’extrémité de sa guirlande le cloue irrémédiablement à une prise électrique. On écoute Chet Baker. » (idem, p. 78) ; « Nous allons dans la chambre, j’indique ‘Le lit droit devant, propre, draps changés ce matin, pour toi. Une bouteille d’Évian et un cendrier, des bougies. » (Mike racontant son « plan cul » avec un certain Vianney qu’il accueille chez lui alors qu’il a les yeux bandés, idem, p. 84) ; « Les amoureux sont là, au milieu de leur chambre, éclairée uniquement par des bougies. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 13) ; « Je me souviens que nous avons fait l’amour les lumières allumées. » (Denis à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « J’allumerai des bougies, j’mettrai de la musique exotique… » (cf. la chanson « J’attends que tu te déclares » de Mélissa Mars) ; « Jean-Luc voulait mettre des bougies quand on faisait l’amour, enfin, quand on essayait. » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc, devenu homo, dans la pièce La Fesse cachée (2011), p. 85) ; « Il [Bertrand] se glisse dans son bain chaud, savourant chaque seconde du contact de l’eau avec sa peau. Il a pris soin d’éteindre les lumières pour donner la place aux lueurs jaunes et orangées, quelques chandelles disposées autour de la baignoire. Un air de Vivaldi lui rappelle que le printemps est déjà bien loin derrière, que c’est plutôt l’hiver qui s’annonce sur la métropole. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 36) ; etc.

 

Film "Heavenly Creatures" de Peter Jackson

Film « Heavenly Creatures » de Peter Jackson


 

Par exemple, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il leur propose trois options d’ateliers au choix : une visite au Musée de la Mode, un atelier de création de bougies parfumées, et un atelier Mylène Farmer.
 

Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, l’appartement bobo aseptisé dans lequel le couple lesbien formé par Jane et Petra brille de mille feux : Petra offre des bains avec bougies à sa compagne (« Jane éprouva un bref instant de désarroi en voyant que la bougie avait diminué de plus de deux centimètres. », p. 42) ; et quand elles organisent des dîners mondains chez elles, il y a plein de bougies, et la description de ces dernières s’accompagne immédiatement, comme par hasard, d’un discours sur les nouveaux riches bourgeois-bohème (« La femme envoyée par le traiteur avait dressé la table et celle-ci resplendissait sous l’éclat du cristal, de l’acier inoxydable et des bougies. De temps en temps, des diamants ou de l’or envoyaient des étincelles de lumière scintillantes, mais les banquiers et leurs partenaires étaient vêtus avec le genre de modestie propre aux gens vraiment riches. […]Petra avait déclaré : ‘Les Glaswegiens s’habille soit comme des clochards, soit comme des nouveaux riches américains qui veulent en mettre plein la vue. ’ Jane avait mis un moment à comprendre qu’elle entrait dans la catégorie clodo de ce verdict, mais l’habitude de Petra de lui offrir de nouveaux vêtements l’avait trahie. », pp. 109-110).
 
 

« Je suis vivant »

 

La déprime éthérée du bobo bisexuel éloigné du Dieu-Église se dilue et s’alimente dans une forme d’hédonisme chronique (« Je suis vivant »), d’optimisme forcé (« Même si ça n’a pas duré, au moins, j’ai aimé, j’ai senti, j’ai joui » : Sandrine Kimberlain « J’ai aimé »), d’élan combatif appris (« Non, rien de rien, non, je ne regrette rien »), qui ne règle absolument pas les problèmes, n’aboutit pas à un changement profond de comportement, et ne constitue que la maigre consolation du perdant (« L’important, c’est d’avoir essayé, c’est d’avoir participé. ») : « Je me suis trompé quelquefois… mais j’ai aimé. » (Océane Rose-Marie, la lesbienne invisible alias « Oshen », lors de son concert à L’Européen de Paris, le 6 juin 2011) ; « Je ne savais pas que la vie c’était tant d’émotions ! » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 208) ; « Dans ce mal, je me sens vivant. » (Denis, le narrateur homo du film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Le corps cassé. Toujours vivant. Je traverse l’été. » (une femme dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Nous demeurons longtemps, vraiment, dans cette immobilité. Nous sommes au centre de ma chambre, au centre du monde. Nous sommes immobiles et vivants. Nous sommes au plus près du vivant. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 40) ; « Je suis vivant. J’ai mon sang. J’ai des organes. » (Claude dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « Mais je suis vivante. J’ai des pulsions comme tout le monde. » (Julia, l’héroïne lesbienne du le film « Como Esquecer ? », « Comment t’oublier ? » (2010) de Malu de Martino) ; « Je suis vivant parmi les vivants. » (cf. la chanson « De nous » de Stefan Corbin) ; « L’odeur du feu, la cheminée, un vieux berger dans la montagne. Je suis vivant. » (idem) ; « MAIS VOUS ÊTES VIVANTE ! » (Émilie s’adressant à son amante épistolaire Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 64) ; etc.

 

Quand l’esprit bobo dit qu’il « est vivant », il faut l’entendre non pas dans son sens positif et altruiste de « Joie vraie » et d’« Amour plein », mais bien de « jouissance » égoïste, de « bien-être » ponctuel. « Être vivant » se limite à « être sensitif », à verser dans la sensiblerie, la superficialité de l’épiderme, l’affectif ou le génital pulsionnel : « Kévin est là et bien vivant, je confirme ! Je souris en faisant allusion à la nuit que nous venions de passer ensemble. » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 360) ; « Martin me donne l’impression d’être terriblement vivant. » (Thierry, le héros homosexuel par rapport à son amour pour son compagnon Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « Pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi vivante. » (Catherine après sa nuit d’amour libertine en trio avec le couple marié Fanny/Jean-Pierre, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; etc.

 

Le personnage bobo homo utilise le sexe pour avoir encore la sensation d’être en vie… mais ce qu’il ne dit pas, c’est que pour se réfugier à ce point dans le sensitif, dans les plaisirs faciles, il faut être sacrément drogué, anesthésié, malheureux, hors de sa sphère de conscience, se conduire vraiment en animal ou en minéral. Bref : ne plus se sentir. Il cherche à tout prix à ce que son corps vibre, jouisse, exulte… parce que dans le fond, il ne sent plus son cœur, et a honte d’avouer sa haine de lui-même.

 
 

Vive les vieux !

 

Avec le temps, quand le héros bobo bisexuel est philosophe ou qu’il s’assagit « un peu moins négativement que prévu », il décline son désir de mourir en désir de vieillir.

 

Il se la joue alors GPI (Grand Patriarche Infréquentable), qui attend dignement la fin de vie, comme un animal blessé « à la Jean Genet » ou « à la Violette Leduc », qui ne se révoltera pas contre la mort mais bien contre les Hommes et toutes leurs Institutions, qui se laissera mourir (d’alcool, de sexe, de nicotine, de cancer… : « Encore un que les Boches n’auront pas ! ») avant que la Science et l’Église (car le bobo est un « bouffeur de curés » invétéré, ne l’oublions pas) ne lui mettent la main dessus : « Bientôt, en février, toute la tribu se réunira à nouveau, à l’occasion de l’anniversaire de la mort d’Alfred. Un rite dont elle se passerait bien. Elle n’a jamais pu supporter les larmes, ni les siennes ni celles des autres. Surtout en public. » (Gabrielle, l’héroïne lesbienne de 80 ans, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 87) ; « Depuis la mort de son mari, elle [Gabrielle] est consciente d’avoir sensiblement augmenté la consommation de cet ‘élixir de jouvence [whisky] préconisé par Marc, son ami de longue date et médecin traitant. Elle n’est pas dupe. Qu’a-t-elle à perdre à quatre-vingt ans ? » (idem, p. 15) « La silhouette d’une vieille femme apparaît. Pas très grande, des cheveux bouclés et gris, elle porte un tablier de cuisine sur une robe en toile un peu défraîchie. Elle me demande ce que je veux, d’un air pas très engageant. […] Elle hésite visiblement à me claquer la porte au nez. […] Le plus dur est fait : elle m’a fait entrer. Elle sort des tasses d’un vieux buffet et m’offre du thé. Elle reste froide et méfiante, mais accepte de répondre à mes questions. Je lui confie que j’enseigne l’histoire dans un petit lycée de Sarre. Elle me déclare qu’elle méprise les historiens et leurs mensonges. Je lui parle de mon projet de livre. Elle me dit qu’elle déteste les livres. Contre toute attente, elle ne s’oppose pas à ce que j’enregistre notre discussion. Mais elle me prévient : elle voue une haine féroce aux gens de mon pays. » (Théo, le narrateur du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 17-18) ; « Tôt ou tard, je parviendrai à l’apprivoiser. » (idem, p. 28) ; etc.

 

Par exemple, le héros bobo bisexuel aime s’imaginer à une autre époque que la sienne (surtout les années 1920 ou les années 1960-1970). Il est fondamentalement anti-traditionnaliste mais pourtant passéiste et nostalgique. Il n’aime pas les vieux (en tant que personnes réelles ; rappelez-vous qu’il veut faire table rase de son passé, et qu’il a dit « merde » à ses parents et grands-parents) mais le vieux ( = le « style ‘vieux’ », l’idée de « vieux », l’allégorie de vieillesse, les Bidochons et les Deschiens, la vieille aristo qui a la classe, le vioc en peinture, quoi). « La terre des temps anciens dans mes lignes de vie… » (cf. la chanson « La Terre des temps anciens » de Stefan Corbin) ; « T’as braqué un vide-grenier ? » (Glen ironisant sur le mobilier d’appartement de son amant Russell, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh) ; etc.

 

D’une part, il développe une passion pour tout ce qui est ancien (les vieilles pierres, le Vieux Campeur, les vieux meubles en bois, les vieilles cheminées, les jouets anciens, les vieux tourne-disques vinyles, etc.), pour le rétro (les vieux cons, Brigitte Fontaine, l’esthétique des années 1960-1980, les chanteurs rebelles des années Saint-Germain, l’ambiance jazzy ou cabaret des « années folles », etc.). Rétro-bobo-homo ! : cf. la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec Vivien, le héros homo, qui a l’habitude de faire les brocantes ; et Norbert, son amant, qui interprète des chansons d’Édith Piaf), le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier (avec une grande place laissée à la nana black jazzy), le film « Mathi(eu) » (2011) de Coralie Prosper (avec la chanson « La Vie en rose » d’Édith Piaf), etc.

 

Le héros bobo homo se dit fan des chanteurs seventies (excepté peut-être ceux du disco… encore que… il se contredit tellement qu’il peut épisodiquement se payer le luxe d’aimer le kitsch !) tels que François Hardy, Georges Brassens, Jean Ferrat, Anne Sylvestre, Barbara, Marie Laforêt, Jacques Brel, Léo Ferré, etc. : cf. la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim, le film « Mathi(eu) » (2011) de Coralie Prosper (avec la reprise de la chanson « La Vie en rose » d’Édith Piaf), le film « Une Nuit ordinaire » (1996) de Jean-Claude Guiguet (avec la chanson « J’ai rendez-vous avec vous » de Georges Brassens), le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander (avec les références à Anne Sylvestre), etc.

 

« Il se demandait si, comme dans la chanson de Barbara, à travers le visage de ceux qu’il avait aimés après Malcolm ou essayé d’aimer, ce n’était pas encore son image qu’il recherchait. […] Ils lui ressemblaient. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, pp 34-35) ; « Mais toi, tu es le premier – Mais toi, tu es le dernier’… Tu connais ? C’est une vieille chanson d’Édith Piaf que ma mère écoute parfois, ça s’appelle : ‘À quoi ça sert l’amour ?’ Les paroles sont géniales ! » (Kévin s’adressant à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 117) ; « Un dimanche après-midi, alors que nous étions chez lui, Kévin me fit écouter une chanson : ‘L’Hymne à l’amour’. J’eus les larmes aux yeux, la gorge serrée et les poils hérissés. Content de lui, il observa ma réaction et pleura avec moi. » (Bryan, idem, p. 140) ; etc.

 

Le bobo bisexuel aime se faire pleurer sur un air rétro : « Le jeune amant entend dans sa tête Jacques Brel qui chante ‘Voir un ami pleurer’, un des nombreux grands artistes que Bertrand lui a fait découvrir. Souvent Marcel doit aussi essuyer ses yeux mouillés. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 25) Chez lui, il y a une esthétisation top homo et ado de la souffrance, une souffrance liée à la musique du passé.

 
 

… et vive le vieux marin breton !

 

Film "Son Frère" de Patrice Chéreau

Film « Son Frère » de Patrice Chéreau


 

D’autre part, le personnage « intellectuel » bobo bisexuel adore « le » vieux marin breton, ou le papy qui sera son « pote » (du moment qu’il ne fait pas partie de sa famille de sang, ça va…). En général, il se plait à s’extasier devant les vieux clodos. Le vieillard duquel il se rapproche a un petit côté « maître spirituel non-agréé » : « C’était un barbu rastaquouère dans la quarantaine, installé dans la position du lotus, maigre, noueux, aux yeux d’un vert étonnant, à côté de qui j’avais justement décidé de m’asseoir pour avoir la paix, les contemplatifs étant rarement diserts. » (Jean-Marc, le narrateur homosexuel, décrivant sa rencontre avec le vieux « Lotus » sur l’île de Key West, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 133) ; « L’odeur du feu, la cheminée, un vieux berger dans la montagne. Je suis vivant. » (cf. la chanson « De nous » de Stefan Corbin) ; « Je viens de vider mon verre et de commander un autre demi quand un homme étrange entre et s’installe par le soleil et le sel, il a la tête du vieux loup de mer qui a parcouru tous les océans du globe, mais qui autrefois a dû avoir la beauté de ces marins que décrit Genet. » (Théo, le narrateur du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 124) ; « J’ai fait un autre rêve, voilà quelques jours. J’étais dans une espèce de restaurant en plein air, entouré d’arbres et de buissons. Je déjeunais avec un vieil homme – il me faisait un peu penser à mon père. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 304) ; « C’est bio, une vieille. » (Ali Bougheraba dans son one-man-show Ali au pays des merveilles, 2011) ; « Ils se bécotent, c’est mignon. » (Richard, le héros homosexuel regardant avec attendrissement et de loin Junn et Alan, le vieux couple de tourtereaux retraités hétéros qui se draguent comme des adolescents, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; etc.

 

Film "Shortbus" de John Cameron Mitchell

Film « Shortbus » de John Cameron Mitchell


 

Le portrait ému du vieux pépé « à la Léo Ferré », anti-conformiste, inflexible, vivant à la campagne, ayant encore une vie sexuelle débridée pour son âge, fumant comme un pompier, alcoolique, illustre bien la maladie du bobo moderne : l’obsession du « faire authentique » par son idée de l’anti-politiquement correct, par son idée de l’opposition… en utilisant si besoin est les exclus, les plus fous, les plus faibles, les plus innocents de la société, et donc parfois les plus susceptibles d’être moqués : cf. le vieux marin breton dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, Mathilde-Patachou dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Jeanne Moreau dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, la grand-mère baba cool du film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman, le grand-père déjanté dans le film « Little Miss Sunshine » (2006) de Jonathan Dayton, Élie le grand-père grincheux/attachant du téléfilm « Sa Raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand, la vieille mère de Michael discrètement/rebellement gay friendly dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, Marta la petite vieille du film « Hammam » (1996) de Ferzan Ozpetek, la grand-mère « mignonne » du film « Nos Vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot (avec qui on est invité à entonner « Les Amants de Saint Jean » en se balançant de gauche à droite sur notre fauteuil), le papy du film « Martin (Hache) » (1997) d’Adolfo Aristarain, le vieux du film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka, la rencontre avec le clochard du début du roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, Zulma la grand-mère travesti fumant de l’herbe et volant à l’étalage dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, le vieux couple de lesbiennes Stella/Dotty dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, le vieux couple d’homos Ben/George dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, le vieux descendant des Indiens apaches dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, : le vieux disquaire muet dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, la méchante tatie du film « Tatie Danielle » (1989) d’Étienne Chatiliez, le vieux couple de papy/mamie Baucis et Philémon dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, les vieux mineurs gays friendly (… qui font leur coming out pour certains) dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchusetc. D’ailleurs, le papy ou la mamie en question ne comprend pas trop ce qui lui arrive et ce qui lui fait mériter autant d’effusion filiale (cf. la réaction étonnée de la mamie que la chanteuse ZAZ serre dans ses bras, dans son vidéo-clip « Je veux »).

 

L’intellectuel bourgeois gauchiste (ou droitiste après tout ! Les extrêmes se rejoignent…) se met démagogiquement en scène en train de se laisser enseigner par des « gens de peu » que tout le monde prendrait pour des fous mais que lui seul serait capable d’approcher et de comprendre.

 

Je crois que cette identification au vieux rebelle, au-delà de la tendresse un peu condescendante, dit quelque chose de l’attitude du héros bobo bisexuel dans la vie : même s’il se la joue marginal cool, il se comporte en réalité très souvent en vieux gars ou en vieille fille coincé(e) et inflexible. Il fait passer son attitude pour de la pudeur ou un courageux refus des conventions… mais il y a beaucoup de frustration, de complexes, de peur chez lui. Il cache sa haine de lui-même derrière une fausse décontraction.

 

Et plus fondamentalement, l’attraction du héros homosexuel bobo pour les vieux désigne son désir homosexuel comme incestueux et immature. Par exemple, dans le film « Gérontophilia » (2013) de Bruce LaBruce, le jeune Lake est attiré sexuellement par les vieillards et tombe amoureux de l’un d’entre eux. Dans le film « C’est une petite chambre aux couleurs simples » (2013) de Lana Cheramy, Mister Jones, vieux peintre aveugle et admirateur de Van Gogh, est soigné dans une maison de repos par Bob, un jeune infirmier dont il tombe amoureux… et Bob va voir sa vision de la réalité transformée par l’imaginaire de Mister Jones.
 
 

Vivre dans une communauté (qui soit tout sauf religieuse !)

 

Comme le héros bobo bisexuel veut d’une Église sans Église, centrée sur ses « valeurs » et les gens qui pensent comme lui, il va absolument chercher vivre en groupe. De nombreux films à thématique homosexuelle chantent les louanges de la vie communautaire : cf. le film « Como Esquecer ? » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino) (dans lequel Julia, l’héroïne lesbienne, se remet d’une douloureuse rupture amoureuse entourée de ses amis homosexuels dans une baraque à retaper, aux bords de la mer), le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Sitcom » (1998) de François Ozon, le film « Pourquoi pas moi ? » (1998) de Stéphane Giusti, le film « Hammam » (1997) de Ferzan Ozpetek, le film « Tan De Repente », le film « Le Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon, le film « Tableau de famille » (2001) de Ferzan Ozpetek, etc.

 

Par exemple, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros homosexuel, avec son copain indien de l’époque, Nessan, décident d’« ouvrir » leur couple à leur ami Grégoire et son nouvel amant, Serge : « Pratiquement à chaque fin de semaine et durant les vacances nous nous retrouvions tous les quatre dans le pavillon. Cette cohabitation se passait sans anicroches et dans une ambiance plutôt festive et surtout amoureuse. À la maison, chacun avait son domaine : jardinage, ménage, repassage ; d’emblée, je m’imposais à la cuisine. » (p. 197) Dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009), Océane Rose-Marie se fait inviter un été dans la maison de campagne de « copines lesbiennes profs de peinture sur soie dans la Creuse ».

 

Mais comme le bobo bisexuel est fondamentalement un sauvage, un indépendant, un misanthrope et un anti-social, il finit par s’éloigner des sous-groupes dont il a voulu faire partie à un moment donné (un groupe, c’est déjà le début du fascisme institutionnel culturel, selon lui !). Par exemple, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, les personnages ne font jamais les choses ensemble, sauf sur des coups de tête, par accident. Le communautarisme, tout comme la vie de couple, se doivent d’être hasardeux et non-institués.

 
 

III – LA DÉPRIME ESTHÉTISÉE, PSEUDO «ARTISTIQUE» :

 

Le héros bobo bisexuel ne déprime pas qu’autour d’une bougie ou d’un crucifix. Le plus souvent, ce sera autour d’une toile, d’une œuvre d’art, d’un piano ou d’un disque. Il investit le terrain artistique comme moyen de reconquérir sa « divinité dans la sobriété » (voire dans le désordre et la destruction iconoclaste).

 

Grâce à l’art underground simulant les « petits moyens » et l’artisanat, il croit échapper à son identité de bourgeois. Il s’autoproclame « Maître du Bon Goût et de la Simplicité » … y compris en cultivant le soi-disant « mauvais goût » social, en posant pour les Inrock, en pratiquant une « incorrection jouissive », en « parlant cul » et en travaillant sa vulgarité verbale.

 

Mais en dépit de ses efforts pour prouver sa rébellion anarchiste contre la bourgeoisie, on voit bien qu’il finit par s’exprimer comme une bourgeoise : « Je n’ai pas des goûts de chiotte ! […] Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Mémoire d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 81) ; « Le hasard voulut que nous nous retrouvassions… » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 73) ; etc.

 

Il se pense « sans concessions », « alternatif », mais fonde une nouvelle élite de bourges et fréquente les musées branchouilles : par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Paul, l’un des deux héros homosexuels, se rend à la Foire d’Art contemporain. Dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Chantal et Brigitte, les deux travestis M to F, vont voir un film expérimental nommé Éclats de viande.

 

L’un des bobos artistes les plus en vue du moment dans les fictions homo-érotiques (peut-être même qu’il dépasse, en importance, le statut de chanteur, de musicien, et d’écrivain), c’est le photographe. Quand le héros homosexuel révèle à son copain qu’il est photographe, la messe est dite ! Le temps se suspend ! Le charme agit instantanément ! (cf. le film « Elena » (2010) de Nicole Conn). L’amant devient Dieu sur terre ! « Ma seule activité de loisir jusque-là avait été la photographie noir et blanc. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 18) ; « J’ai envie de vivre à la campagne et de vivre de mes photos. » (la tenancière lesbienne d’un bar, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 118) ; etc.

 
 

Promenade chorégraphique au ralenti

 

 

Le héros bobo bisexuel aime se montrer sensitif. Il se décrit arpenter la nuit les rues de sa ville en libre penseur (un poète muet en apparence, car on l’entend déverser son flot de pensées poétiques intérieures insignifiantes façon voix-off de Frédéric Mitterrand), parler du monde qui l’entoure (de préférence une jungle urbaine qu’une Nature virginale : il faut quand même qu’il se place en victime des Hommes et de la machine, toujours) avec un souci grotesque du détail, effectuer sa petite ballade chorégraphique de dépressif abasourdi par le triste/beau spectacle d’un monde à la dérive, au ralenti bien sûr, comme dans un film de la « Nouvelle Vague » : cf. le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec la promenade de Strella, le personnage transsexuel M to F en pleurs, en plein cœur d’Athènes), le film « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander (dans lequel on a droit à la ballade en forêt du héros, filmé au ralenti quand il marche, pleurant son amour impossible avec Philistin de Valence), le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye, le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre (avec la promenade chorégraphique finale de Rubén dans la ville), le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs (avec la ballade finale d’Erik, le héros homo, marchant comme une âme en peine dans New York), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec Donato, le héros homosexuel, montrant ses émotions pendant sa ballade en ville dans les parcs où jouent des enfants), le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs (avec la ballade dans Manhattan sur un air de piano), etc.

 

 

La musique joue un rôle primordial dans le sentimentalisme naturaliste bobo : « En conduisant, tu écoutes les violons hivernaux. » (Félix, le héros homo du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 231) ; « Tu entends Le Roi des Aulnes. La mélodie de Schubert accompagne chacun de tes mouvements ; sous l’œil aguerri des kapos, une chorégraphie conduit ton labeur. » (Félix au camps de concentration, idem, p. 99) ; « Ton absence, c’est comme si je me trouvais en silence dans un cimetière un matin d’hiver. » (Stéphane s’adressant à son ex-compagnon Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc.

 

Le héros bobo bisexuel prend souvent la position de la Drama Queen errante et solitaire, défilant comme un mannequin dans un paysage romantique naturalo-apocalyptique. Tout est chorégraphié dans sa tête : « La marche lente, complice… » (Luca, le narrateur lascif du spectacle musical déprimé Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Elle marche d’un pas régulier, calme et décidé à la fois. Elle regarde la vallée. Son village est minuscule vu d’ici. Elle décide de tout quitter : sa famille, son village, son pays. C’est agréable d’être seule. Pour la première fois de sa vie, elle est vraiment seule. Elle regarde les passants dans la rue. Leurs mouvements sont beaux. Brusquement, elle pleure. » (Rudolf, le héros gay se mettant dans la peau de sa grand-mère qu’il élève au rang de voix narrative de son nouveau roman, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; etc.

 

 

Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny, l’un des héros homosexuels, roule seul en voiture, pour ressasser ses doutes zé ses peines amoureuses. Dans les dernières images du film « Drift » (2000) de Quentin Lee, par exemple, Ryan, le personnage homo, nous offre, sur fond de violons, sa conclusion existentielle façon « carnet de voyage », les clichés de sa vie… Et ce récit « J’ai mangé une pomme » se veut profond, même si, au fond, il n’y a rien à en tirer, en plus de sentir l’optimisme forcé ramolli, plein d’espoir mais si peu d’Espérance: « Quand j’ai quitté Dane, tandis que je regagnais ma voiture, je me suis senti perdu mais pas désespéré. Je n’étais pas entier, mais il ne me manquait rien. Je me sentais seul, mais aimé malgré tout. J’étais pensif, mais pas triste. Je pars en voyage. Je veux rouler au hasard. C’est ça, l’esprit de la Californie, de l’Amérique. J’idéalise trop ce pays, parce que je ne suis pas américain. J’ai fait mon sac, avec mon portable, mon carnet. J’ai laissé un message à Joel. J’ai parlé un moment à Carrie, et laissé un message à Matt. Ce n’est qu’une fois parti, une fois loin de Los Angeles, que j’ai réalisé ma chance, et combien je peux être heureux. Si je devais mourir à cet instant, je serais heureux, parce que je n’ai aucun regret. »

 

 

Le héros bobo homo a un côté spectateur passif, oisif, et distant (lui dira « contemplatif ») de son propre confort/de sa propre douilletterie : il aime se décrire « attablé à un café » (Stéphane Corbin lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011), observant le monde d’un œil ému, amusé, nostalgique, et jaloux à la fois, dorlotant sa déprime, ou nourrissant son imaginaire libertin et pulsionnel (lui dira « amoureux ») de pensées pudibondes, d’images pieuses, de ralentis et de violons : « Maintenant, Ethan en a plus qu’assez de ces gens qui se promènent main dans la main et qui s’embrassent langoureusement le long de l’Ill. Il n’en peut plus de ces terrasses de cafés qui font face à la cathédrale et où les amoureux passent d’agréables moments dans une atmosphère romantique. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 21) ; « J’écrirai un jour un roman sur la solitude des gens dans les bars d’hôtel. » (Stéphane, le romancien bobo de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc.

 

 

Les artistes bobos bisexuels nous livrent souvent la même scène de sincérité narcissique peu profonde, que l’on peut voir dans les feuilletons-télé ennuyeux de début d’après-midi, ou dans les pièces contemporaines homosexuelles ronflantes (cf. l’excellent sketch parodique « Le Doutage » des Inconnus… avec une mise en scène d’une lesbienne dont le nom – Mylenie de Gouinaloux – est évocateur !), où deux personnages, derrière une fenêtre vitrée, « philosophent » sur le monde, le paysage et les passants qu’ils voient, sans se regarder entre eux : « L’agitation du café retombe un peu, étrangement. On dirait, tout à coup, que la pudeur reprend ses droits dans une sorte d’assourdissement des conversations. […] Mon regard s’évade. Vous demandez : à quoi pensez-vous ? Je réponds : précisément, à rien. Je regarde ce monde autour de nous, ce monde singulier des gens dans les cafés, ce monde qui est un instant, une réunion du hasard. Je pense que nous n’aurons plus jamais la compagnie qui est la nôtre en ce moment, que ceux qui sont ici, dans ce lieu, ne se connaissent pas entre eux, qu’ils se trouvent ensemble par coïncidence, qu’ils se disperseront sans éprouver un sentiment de perte, qu’ils ne se reverront pas, que cette assistance n’existe que le temps de boire un café, lire un journal, rédiger du courrier, raconter une enfance. Et c’est une idée qui m’intéresse, sans que je sache expliquer pourquoi. » (Vincent s’adressant à la figure de Marcel Proust, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 59)

 

Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, après sa rupture avec son amant Pierre, Rudolf, tout pendant qu’il déménage, se met à pondre un texte improvisé « Je marche, je marche, je marche, je marche… » (niveau poésie de CE2). Plus tard, il se met à écrire un roman où il se met dans la peau de sa grand-mère morte qui, du haut de sa montagne, observe son village, revient sur son passé, s’émeut face au flot de passants marchant dans la rue… puis qui pleure sans savoir pourquoi. Comme par hasard, Rudolf fond aussi en larme derrière la vitre de sa fenêtre. Dans son film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013), Guillaume Gallienne se raconte en partageant quelques-unes de ses « tranches de vie ».

 

Côté romans, discours et langage, maintenant, comme le bobo bisexuel est un bourgeois (ne l’oublions pas), il aime les sophistications langagières, même « cheap » (oh ! tiens ? un mot anglais !). Il va trouver ça charmant et original de truffer ses propos de mots étrangers, et surtout anglais, pour se distinguer. Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le bobo homo dandy, case des phrases en anglais par snobisme… et il se ridiculise : « I never look the publicity. »

 

À force de se rêver « Citoyen du monde » et de se projeter/de s’éparpiller sur ses écrans de télé (même s’il dit qu’il ne les possède pas ; ce sera Internet, sa nouvelle télé cachée), le héros bobo bisexuel a tendance à adopter une vision du monde et de lui-même éclatée, narcissique, kaléidoscopique, mercantile, un peu comme dans les publicités actuelles façon Benetton, ou les affiches de films nous montrant des mosaïques d’Humanité qui ne sont que des échantillons standardisés d’une diversité déshumanisée, programmée, attendue, imposée comme unique, avec des quotas précis et des personnages bien stéréotypés : cf. les affiches des films de Cédric Klapisch (« L’Auberge espagnole » (2001), « Les Poupées russes » (2004), « Chacun cherche son chat » (1995)), de Ferzan Ozpetek (« Saturno Contro » (2007), « Tableau de famille » (2001), « Le Premier qui l’a dit » (2010)), de François Ozon (« Huit Femmes » (2001), « Potiche » (2010)), d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (« Nés en 68 » (2008) , « Drôle de Félix » (2000), « Crustacés et coquillages » (2004)), etc. Comme il ne veut pas être prêt à affronter sa solitude, ses problèmes personnels, ni ses désirs profonds, qu’il fait tout pour ne pas régler la question de l’amour et de la place centrale de la foi dans sa vie, il se cherche des dérivatifs, des échappatoires écologistes, humanitaires, artistiques, sentimentales, sexuelles, émotionnelles. Et ça part dans tous les sens !

 

Film "Chacun cherche son chat" de Cédric Klapisch

Film « Chacun cherche son chat » de Cédric Klapisch


 

La confusion entre esthétique et éthique, entre art plastique et mode de vie, est le propre du boboïsme. Le protagoniste bobo bisexuel s’axe sur les goûts en les confondant avec l’Amour. Pour lui, c’est « profond » de confier qu’il aime les voyages, les massages tantriques, le thé aux senteurs exotiques inédites, un parfum particulier, les gants en laine, le vent dans les arbres, la musique classique aussi bien que le jazz manouche, les petits plaisirs simples comme les plaisirs sophistiqués… (cf. Sandrine Kiberlain, « Le Vent ») Il déverse sous forme de liste ce qu’il croit être, alors que les goûts, c’est ce qu’il y a de plus relatif, de plus superficiel et de plus extérieur à une personne.

 

 

Par exemple, dans le film « Plan B » (2010) du réalisateur argentin Marco Berger, top bobo soit dit en passant (je pense que le boboïsme est devenu pour le cinéma latino-américain actuel la nouvelle Terre promise à la mode, la bouée de sauvetage culturelle inattendue, vu la flopée de films bobos petits moyens que le continent exporte en ce moment aux cinémas d’art et d’essai occidentaux… surtout en Argentine !), Pablo et Bruno, les deux amants trentenaires bisexuels, pour se draguer, se soumettent des questions genre Quiz TéléLoisirs (« Si tu étais un minéral, que serais-tu ? » ; « Et si tu étais un jouet ou un animal ? » ; « De quel signe zodiacal es-tu ? », etc.), toutes ces QCM pour ados attardés, qui flattent l’Ego et où l’on s’épanche sur les goûts en pensant parler d’Amour.

 

Film "Plan B" de Marco Berger

Film « Plan B » de Marco Berger


 

Chez le héros bobo homo, la musique a une importance centrale dans la mise en scène pathos de sa conception de l’authentique : cf. le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec la scène du bobo bisexuel jouant un air de guitare sèche), le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman (avec la chanson à la guitare, pendant l’après-midi au ruisseau), le film « Tacones Lejanos » (« Talons Aiguilles », 1991) de Pedro Almodóvar (avec la chanson « Piensa En Mí » de Luz Casal), le film« Sex Revelations » (2000) d’Anne Heche (avec la chanson « Thank You » de Dido), etc. En gros, il vit son amour comme un clip. La musique constitue pour lui une coupure esthétique indispensable, un charme inégalable de la vie… qui généralement anticipent le passage au lit, ou parfois l’encadrent. Les films musicaux que sont devenues les œuvres à thématique homosexuelle ne se dispensent pas non plus de longs intermèdes totalement silencieux, « où le mutisme est musique » (c’est conceptuel et puissant, vous pouvez PAS comprendre).

 

Quand le héros bobo bisexuel parle d’amour, il se focalise tellement sur ses sensations qu’on a parfois l’impression qu’il se masturbe, ou qu’il se sert de son amant virtuel ou épistolaire pour oublier le caractère pathétique et égoïste de son film intérieur : « Raconte-t-on jamais autre chose que sa propre histoire ? » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 103) ; « Le silence me rend presque belle. » (une protagoniste de la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Lorsqu’elle écrit, des vagues émotions la traversent. […] Elle n’a jamais ressenti cela. Elle se sent vivante. » (Gabrielle, l’héroïne lesbienne du roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami p. 99) ; « Enfin, elle redécouvre l’état d’écriture, jubile à évoluer parmi les créations de son esprit, éprouve sa toute-puissance à l’égard des personnages, repousse les limites des mots, affronte le courage de dire. » (idem, p. 98) ; « J’ai relu vos lettres à défaut d’en recevoir de récentes. Qu’ils sont doux ‘les baisers de la Dame’ qui chavire avec moi et parle avec délices de ‘la révolution’ causée par notre rencontre. » (Émilie à son amante Gabrielle, op. cit., p. 137) ; etc.

 
 

La bohème, la bohème… ça voulait dire on est peureux (ça voulait dire on est vieux, aussi !)

 

Vous l’aurez compris. Le héros bobo bisexuel, parce qu’il a peur de désirer, est un faux bon-vivant, un faux détendu, un faux « cool » frustré et bourré de complexes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans beaucoup d’œuvres de fiction homo-érotiques, il est dépeint comme un triste sire (cf. le roman Bohemia Triste (1909) d’Antonio de Hoyos, le film « Up The Chastity Belt » (1971) de Bob Kellett, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault, le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee, « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland, le film « La Ley Del Deseo » (1986) de Pedro Almodóvar, etc.).

 

 

En somme, le bobo est un « p’tit con », un trouillard, un être ennuyeux, un faux révolutionnaire, un donneur de leçons, qui fait violence… et qui érafle – comme le montrent ces quelques lignes du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz – parce qu’il refuse de se frotter à la Vie, aux limites du Réel, et aux autres. « Dans le salon, on s’assied par terre, autour d’une table composée d’un morceau de plexiglas sur lequel sont dessinés (toujours au marqueur) un cendrier, un ordinateur et un téléphone portable, la plaque elle-même posée sur plusieurs parpaings de chantier. Un clou dépasse auquel Simon s’érafle, il porte aussitôt son doigt à sa bouche. Polly n’est pas très à l’aise encore, elle nous sert du café en en versant à côté, essuie avec sa manche. Claude discute un peu, puis finit par jouer de la guitare dans la chambre. Après c’est l’hiver et nous ne nous voyons plus pendant au moins trois mois. » (Mike, le narrateur homo décrivant le nouvel appartement du couple lesbien Polly/Claude, pp. 55-56)

 

Derrière son hédonisme optimiste et humaniste se cache en réalité une profonde misanthropie et un désir de mort. Par exemple, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis et Luther, le couple homo, rêvent leur vie comme un roman-photos qui fera date (cf. la séance collective de photomatons à la Gare de Lyon, le séjour en relais-château, les voyages en terres exotiques, etc.), mais qui ressemble curieusement aussi à une couronne mortuaire, à un album de vieillards : Denis présente déjà son testament à son compagnon (« Images que j’aimerais voir défiler avant de mourir. »).

 

Dans les fictions homo-érotiques, le héros bobo bisexuel a tendance à se mettre à la place des morts, des absents, des maudits d’amour, ou des personnes âgées, souvent dans l’optique pédagogique inconsistante de l’expression d’un « Carpe Diem » (= Profite de la vie avant qu’elle ne passe), dans l’optique narcissique de s’imaginer écrire ses mémoires comme s’il était un génie qui allait mourir prématurément à 25 ans, et surtout dans l’optique existentielle de se suicider à petit feu : cf. le film « Dead Poets Society » (« Le Cercle des poètes disparus », 1989) de Peter Weir (avec la scène d’observation de groupe des photos de classes en noir et blanc), tous les romans de Philippe Besson, tous les films homos-bobos intégrant la chanson « Bang Bang » de Nancy Sinatra (carrément le TUBE bobo par excellence : Nancy Sinatra, c’est, bien avant Amy Winehouse, Marilyn Monroe ou Lana del Rey, la première Prêtresse du désespoir amoureux hétérhomo, LA pin-up suicidaire préférée des bobos bisexuels !), etc.

 

 

« Je suis né à Paris à la fin du siècle dernier… Curieuse phrase et cette impression d’ancien combattant qui va raconter sa guerre ! Finalement, ça me va bien. Je ne l’ai pas toujours été. Je n’en avais pas très envie. Combattant. Je le suis devenu contraint et forcé le jour où j’ai décidé que je ne me laisserai plus faire, ni influencer ni modeler comme je ne voulais pas, comme je ne pouvais pas. » (le jeune Bryan, héros homosexuel âgé de 16 ans, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 18) ; « J’ai un curieux défaut. Celui de souvent penser à ceux qui ne sont pas là, à l’instant. » (idem, p. 44) ; « Encore une fois, penser à ceux qui ne sont pas là ! Toujours ce décalage, pourquoi ? Je me suis souvent posé cette question. Une seule réponse plausible : je me suis inquiéter pour ceux qui sont présents. Ça ne les rend pas invulnérables pour autant, mais c’est comme ça. Je n’ai peur que pour les absents ! Comment les protéger, les secourir ? » (idem, p. 242) ; « C’est troublant de penser qu’à un endroit – un même endroit – ont déambuler des gens qui ne sont plus. […] Désormais, des personnes que je ne connais pas vont habiter ce lieu, s’asseoir sur un nouveau siège de piano, s’allonger sur la même pelouse gelée en automne, dormir dans les mêmes chambres. C’est tout un sanctuaire qui s’échappe. Il ne me reste que quelques objets – et puis des souvenirs. » (Chris, le héros homo du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 55) ; « Lorsque j’ai le malheur de m’entrevoir dans une glace, je frémis d’horreur en reconnaissant mes frères et sœurs juifs partis en fumée. Six millions de fantômes veillent à mon chevet, attendant que je les rejoigne. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 183-184)

 

Le héros bobo bisexuel a trouvé en la veuve (mi-hippie, mi-class) sa plus belle ambassadrice de la beauté de sa propre retenue, de la noblesse de sa lâcheté, de la grandeur de son goût de la mort : « Une fois qu’elle a été sortie, je me suis mis à pleurer. Inexplicablement, je me suis mis à pleurer. J’ai pensé que je venais de vivre un des moments les plus dignes et les plus émouvants de mon existence. » (Vincent, le héros homo, suite à sa rencontre avec la femme en deuil, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 170) ; « Elle le dit de façon désincarnée, distante, presque médicale. Je suppose que c’est le seul ton qu’on puisse employer si on ne veut pas être secoué de sanglots, que cette distance est nécessaire pour ne pas s’effondrer. » (idem, p. 209)

 
 

IV – LA DÉPRIME SENTIMENTALISÉE ET ÉROTISÉE :

 

L’amour comme une carte postale naturaliste romantique

 

Après la politique, la religion et l’art, parlons d’amour et voyons maintenant comment la boboïtude s’articule dans les fictions avec la pratique homosexuelle et les considérations sentimentales. Car comme le personnage bobo bisexuel a une trouille gigantesque d’appartenir, de se donner totalement et de s’engager (alors que l’Amour vrai n’est pas autre chose que le don entier de sa personne à l’Amour dans l’altérité des sexes), il déprime et se contredit fatalement. Et ça donne de belles crises de mélancolie bobo-pédaloïdes !

 
 

L’intention d’aimer plutôt que le désir en actes

 

En amour, le héros bobo homosexuel (qui ne se voit ni bobo ni homosexuel, d’ailleurs : il aurait plutôt tendance à s’afficher « hétérosexuel », « bisexuel » voire rien du tout, pour ne pas être étiqueté, précisément !) s’annonce très souvent sous la forme du trio (cf. Je vous renvoie avec insistance sur le code « Trio » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels)… comme ça, il peut glisser vers la pratique homosexuelle ou l’infidélité sans en assumer la responsabilité ni les conséquences. « Ils me courent après tous les deux. » (cf. la chanson « Ma langue au chat » d’Élodie Frégé) ; « Toutes les hommes sont belles, toutes les femmes sont beaux. » (cf. la chanson « Toutes les hommes sont belles » de Lionel Langlais) ; « J’ai dans le cœur comme un poids, dans la gorge une épine, de n’avoir fait le choix : lui ou toi. » (cf. la chanson « Lui ou toi » d’Alizée) ; etc.

 

 

La prévalence du désir d’aimer sur l’amour en actes est capitale à saisir dans le fonctionnement du désir bobo bisexuel et asexuel (cf. j’en parle plus longuement dans la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « J’aimerais, j’aimerais » (2007) de Jann Halexander. « Je ne sais pas, fit Jason, en acceptant de croiser le regard de Mourad et de le soutenir. Je crois que je ne crois plus en rien. Et en même temps, je crois que j’ai envie de croire. […] J’ai envie de croire à l’amour, fit-il enfin, en essuyant ses joues d’un revers de main. » (Jason, le personnage homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 357). Pour le héros bobo bisexuel, l’amour ne se conjugue pas vraiment au présent : c’est une projection, une intention, une sincérité, une image d’Épinal, une sensibilité à l’art, plus qu’une réalité. Il défend un amour désincarné, platonique, asexué, résigné.

 

La particularité du héros bobo homo, c’est qu’il désire peu, et qu’il met en veilleuse ses désirs profonds, sa joie, son humour, son corps, pour se construire une prison amoureuse de volontarisme ou de hasard, où l’intellectualisme, l’esthétisme et l’instant passeront avant l’humain.

 

Là où mon désir est absent, dit le bobo, là seront mon cœur et mon destin ! : « Très souvent dans ma vie, ce que je prévois n’arrive jamais. C’est toujours au moment où je m’y attends le moins que tout bascule dans l’horreur. Quand je crois au bonheur, le temps et les événements, qui nous ignorent, en décident autrement et rien ne se passe comme prévu. Mais inversement, de sinistres soirées selon mes prévisions, finirent en feux d’artifices. » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 27)

 

Le bobo bisexuel pense que l’Amour est totalitaire, qu’Il s’impose à lui sans solliciter sa liberté, et surtout qu’Il l’étonnera en lui tressant dans la soumission ou l’insouciance ou le manque d’effort ou l’abandon une couronne d’Iphigénie maudite. Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, quand Mike demande à son pote gay Simon comment il gère sa relation avec Gilberto, celui-ci se contente de répondre mollement : « Rien à déclarer, ça avance tout seul. Ça m’étonne moi-même, mais je m’y fais. » (p. 79) Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane, le héros homosexuel, pense que l’amour vrai vient principalement quand on n’y croit pas : « Là encore, j’ai laissé couler. »

 

 

Être bobo, c’est être ennemi du désir durable et profond. C’est être ennemi de la liberté et de la volonté (même si, paradoxalement, la boboïtude procède de l’idéologie libertaire politisée). Pour le héros bobo, tout plutôt que montrer qu’il désire ! Car à ses yeux, aimer « c’est la honte ». S’il passe voir des amis, ce sera, selon ses plans, toujours « à l’improviste », pas programmé. S’il part en voyage, c’est « sur un coup de tête », sans prévenir personne. Et il croit qu’il n’aime vraiment quelqu’un que s’il ne lui montre pas qu’il l’aime, que si l’amour s’impose à lui sous forme de coup de foudre ou de long silence entendu.

 

Le bobo bisexuel considère que l’Amour est une question de « moment » (pas de « vie entière »), de hasard ou destin (pas de plan divin laissant libre), de sincérité (pas de vérité), de « feeling » (pas d’invisible incarné). « On ne fait pas l’amour en songeant à la fois d’après. C’est un acte qui n’existe que par lui-même, qui ne procède de rien, qui ne produit rien. C’est un événement, une circonstance. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à son amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 118) ; « La sincérité est inévitable. » (Madame Garbo dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi) ; « Quand j’ai été prêt pour Esteban, il n’était pas prêt pour moi. Et quand il a été prêt pour moi, c’est moi qui n’étais plus là pour lui. Alors quand on s’est revus, on a senti tous les deux qu’on avait laissé passer le coche. C’est comme ça en amour. Il y a un moment où les fruits sont mûrs, et où il faut les cueillir. Sinon, ils pourrissent, et c’est fini. » (Mourad, le personnage homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 350) ; etc.

 

Le protagoniste bobo bisexuel adopte la loi de la simultanéité amoureuse parfaite ; bref, de la fusion. L’Amour s’imposerait comme une évidence incontournable, sans que les partenaires du couple ne s’y attendent et soient libres de Le refuser. Il serait à la fois chimique et divin (cf. la théorie de la « flamme jumelle » du film « Elena » (2010) de Nicole Conn). Une telle conception totalitaire de l’Amour sent, en arrière-fond, la justification aveugle de la pulsion, et même du viol (« Je sais que tu es fou de moi ; Si tu te refuses à moi, c’est juste que tu n’oses pas encore te l’avouer et que tu nies l’Évidence. » ; « Tout arrive. Nous n’avons pas le choix. En amour, ce qui doit se faire se fait. Nous étions destinés. Si tu me résistes, c’est que tu es un ennemi de l’Amour ! »).

 

Le héros bobo bisexuel développe souvent l’idée selon laquelle, parce qu’il ne peut logiquement pas rencontrer « l’Amour de sa vie » en boîte ou au sauna ou sur Internet – parce que son « éthique » personnelle exige un autre cadre plus clean et plus naturel, et parce qu’il n’irait jamais dans ce genre de lieux-là habituellement (mon œil, ouais !) –, c’est forcément là qu’il Le rencontrera exceptionnellement. « J’ai rencontré un être qui m’a bouleversé, dans des conditions improbables. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 37) L’improbabilité sera pour lui la preuve que sa pulsion s’est transformée en amour vrai ! Par exemple, dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, on nous fait croire que l’amour peut naître dans une backroom : la tristesse et la compassion du client (Rubén) face au « prostitué qui se gâche » (Eloy), sont sublimées par l’esthétisme. Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, on retrouve aussi la croyance qu’un « plan cul » inaugure une superbe histoire d’amour : un vendredi soir après une fête chez ses amis dits « hétéros », Russell finit dans un club gay. Juste avant la fermeture, il drague Glen, et ce qu’il croit être juste l’aventure d’un soir devient… juste l’aventure d’un week-end (totalement sublimée sur les écrans) ! Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Julien, un ouvrier peintre en bâtiment tombe amoureux de la prostituée Rosa. Dans le film « Spring » (2011) de Hong Khaou, pareil : un jeune homme rencontre un étranger pour un plan sexe, et on fait croire aux spectateurs que cette expérience change à jamais la vie des protagonistes. Dans le film « Little Lies » (2012) de Keith Adam Johnson, Phillip tombe amoureux d’un escort. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel romantique et fidèle, vit dans l’illusion qu’il va « sédentariser » amoureusement Todd, le Don Juan qui se prostitue.

 

 
 

Surtout, je ne drague pas ! Je courtise sans le vouloir…

 

Comme le bobo bisexuel est un hypocrite et un suiveur, il n’assume pas sa drague même quand il drague vraiment : « Je me souviens ne pas t’avoir dragué. » (Denis s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Franchement, je ne vais jamais vraiment au sauna, mais là j’avais envie. C’est une chance qu’on se soit rencontré devant l’entrée ! » (« M. » parlant à Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 40) ; « Il [Simon] bande. J’embrasse son front, il s’endort. » (Mike décrivant son pote Simon avec qui il finit par ne pas coucher, op. cit., p. 33) ; etc.

 

Par exemple, il considère comme une forme de charité héroïque le fait de ne pas être allé jusqu’au bout dans la consommation sexuelle avec ses amants d’un soir, ou de ne pas avoir « craquer » le premier. « On était si bien finalement à se caresser tendrement la nuit durant, sans éprouver le besoin de pénétrer à tout prix. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 50) Il adopte l’attitude du client qui paye un prostitué sans forcément coucher avec, du dragueur qui se targue de ne pas « niquer » le premier soir (… juste le troisième…), ou de l’adepte des câlins et des moments de tendresse gratuite (soutenant que « le cul pour le cul, ça ne l’intéresse pas » ; que le vocable « homosexualité » est réducteur car il transforme les personnes homosensibles en vulgaires « baiseurs » ; ou que les massages, ça n’a absolument rien d’ambigu). Dans la série des clients bobos du « milieu gay » jouant aux « homos pas comme les autres » (ou « homos mais pas gays »), aux modèles de savoir-vivre et de sobriété, on retrouve le voisin âgé d’Emmanuel dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (au moment où Emmanuel se déshabille devant lui, le vieux monsieur le fait s’arrêter, et lui demande plutôt de lui offrir la gratuité d’un moment d’écoute collective de musique classique) ; ou encore le sénateur du film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, qui loue les services des prostitués tout en prétextant son désintérêt et le sacrifice de sa propre personne : « Je ne veux pas de sexe avec toi. Je veux juste discuter. »

 

Le libertin bobo feint la patience, la retenue (… pour mieux justifier sa précipitation dans les faits) : « J’avais envie d’être posé pour le découvrir. » (Matthieu à propos de son futur amant Jonathan, avec qui il va coucher le soir même, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) Oscar du Meilleur Acteur !

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, quand Larry se justifie de tromper allègrement son copain Hank (« Oui, je les aime tous ! Et Hank refuse de comprendre qu’il me les faut tous. Je n’ai pas la mentalité d’un homme marié ! »), Harold, leur pote gay, ironise direct (« La bohème, quoi ! »), en associant ainsi le libertinage, l’homosexualité et la boboïtude.

 

Face à ses actions sensuelles dictées par ses pulsions, il simule à merveille l’étonnement ou la surprise de la vieille effarouchée, genre « Je ne sais pas ce qui me prend… » : « J’ignore pourquoi j’éprouve ce besoin de vous jeter de la sorte cette mélancolie au visage, vous qui ne m’avez précisément rien demandé. » (la figure de Marcel Proust dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 133) Il ne se voit pas faire de comédie tellement il mise tout sur la sincérité, l’intention d’innocence : « Mots qui me viennent à l’esprit quand je pense à toi. » (Denis écrivant des mots fleuve à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta)

 

Parce qu’il se prend pour Dieu, il essaie de se rendre créateur des origines. Mais c’est ainsi qu’il se condamne à ne pas être libre. Il aime se rejouer la comédie de la « première fois », car c’est précisément lors des premières fois que notre liberté et nos désirs sont les plus menacés : « Depuis cette nuit-là, elles [Gabrielle et Émilie] s’écrivent, s’interrogent sans relâche sur la nature de leur sentiment, sur ce fol élan réciproque que rien ne laissait prévoir. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 12) ; « Que nous arrive-t-il ? Je sais à peine qui vous êtes, vous ne savez rien de moi. » (Gabrielle s’adressant à son amante Émilie, op. cit., p. 17) ; « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie parlant à Gabrielle, op. cit., p. 69) ; etc.

 

Le héros bobo bisexuel est celui qui prévoit tout en (se) donnant hypocritement l’illusion de ne rien prévoir, de se laisser happer inconsciemment par un imprévu calculé, par un amour qui s’impose (or l’Amour, le vrai, ne s’impose jamais… sinon, Il ne serait pas aimant). Il transforme ses viles pulsions en hasard indomptable, puis ce même hasard en évidence d’amour : « Tu n’étais pas comme moi qu’un usager anonyme du 7h19, gare du Ranci-Villecomble-Montmerveil ; mais quoique le hasard seul nous eût placés en vis-à-vis ce jour-là, notre rencontre s’inscrivit au premier instant comme une évidence dans son livre. […] Je ‘lisais Maurice, le roman d’Edward Morgan Forster, et toi aussi, mais tu le disais vraiment, et en version originale. Qui étais-tu, que voulais-tu ? Si je m’affichais avec ce livre, qu’il me semblait avoir suffisamment lu en voyant le film qu’en avait tiré James Ivory, c’était parce que j’aspirais à un amour aussi… comment dire ? Romantique. Par ce truchement, peut-être forcerais-je le destin ? […] Ainsi la coïncidence du livre constituait-elle un signe susceptible de m’encourager à t’aborder. […] Ma confusion augmenta quand je sus que nous portions le même prénom. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Un jeune homme timide » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 42-43) ; « Je m’entendis répondre sur le même ton qu’en effet je t’aimais, qu’il n’y avait plus de temps à perdre et que je voulais faire l’amour avec toi, même si je ne savais pas vraiment ce que c’était, l’amour. » (idem, p. 44) ; etc.

 

Il se donne bonne conscience en sacralisant une génitalité minimaliste, voulue trop fragile et épurée (la défaillance devient une valeur ajoutée à l’acte de consommation !) pour être véritablement légère et gratuite : « Je réchauffe ton corps […]. Même les tremblements, les tressaillements sont une chaleur. C’est un moment très long, très lent, très calme. Il ne se passe presque rien. Il y a juste cette étreinte silencieuse. Et ce presque rien, c’est tout. C’est immense. C’est la vie toute entière. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 39) Pour le héros bobo bisexuel, son imaginaire pulsionnel, qui repose prioritairement sur la matérialité corporelle extérieure, va acquérir une dimension sacrée, intérieure, grâce au silence. Le néant amoureux, le vide, ont valeur de Tout, de plénitude indicible, à ses yeux : « Nous, nous ne disons toujours rien. » (idem, p. 22) ; « Depuis notre très beau silence au milieu du salon devant la foule attentive, j’ai l’ardent désir de savoir la direction que va prendre cette histoire qui s’écrit. » (Vincent, le héros homo, s’adressant à la figure de Marcel Proust, op. cit., p. 29) ; « Vous reprenez, et j’ai peur, lorsque je vous entends reprendre, ainsi, un discours qui s’est suffi à lui-même, qui est assez. » (idem, p. 77) ; « Tant que je pourrai, je ne parlerai pas. » (la figure de Marcel Proust, op. cit., p. 86) ; « À nouveau, le silence. Épais, plein. » (Vincent, op. cit., p. 94) ; « Tant que je le pourrai, je ne parlerai pas. Je fais ce serment du mutisme, pour que tout demeure d’une pureté absolue, d’une blancheur intacte. » (idem, p. 103) ; « Écoutez le silence. » (Rudolf, l’un des héros homosexuels s’adressant à ses deux potes gays Nicolas et Gabriel, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; etc.

 

Le roman le plus beau de la terre !

Le roman le plus bobo de la Terre !

 
 

« Prends soin de toi… Je t’embrasse… Fais de beaux rêves »

 

Le bobo veut faire passer sa retenue/son abstinence pour noble, alors qu’en réalité il la fera voler très vite en éclat au moment opportun. Il refuse lâchement de s’abandonner à l’Amour qu’il considère comme une maladie, un terrible danger. Il a peur de se voir fragilisé par ses passions, de ne pas les contrôler… parce que dans le fond, il ne veut pas les connaître ni les contrôler : « Faire court. Moins lyrique. Moins grandiloquent. Moins ridicule. Elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] ne se pardonne pas les fadaises qu’elle lit sous sa plume. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 77)

 

Le personnage bobo bisexuel adore les au revoir laconiques, les amours impossibles, la symphonie des adieux, les « je t’aime » tus, la sobriété singée, l’Inachevé : c’est si romantique, l’absence ! « (Lettre non achevée, non envoyée.) » (Philippe Besson, En l’absence des hommes (2001), p. 128) ; « La lettre est restée de longs jours dans l’entrée avant d’être envoyée. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 62) ; « Demain, elle [Gabrielle] répondra. Demain, oui, c’est sûr. » (idem, p. 73) ; « La signature finale est illisible. » (idem, p. 101) ; « Le véritable je t’aime n’est pas sonore. » (le Comédien de la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Comme pour la première, je ne sais pas si je t’enverrai cette lettre, je ne sais pas si tu la liras… si tu riras… ou si tu pleureras. » (Bryan parlant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 313) ; etc.

 

D’ailleurs, quand il drague et veut à tout prix montrer « discrètement » qu’il est intéressé par l’internaute qu’il vient de connaître il y a à peine 3 heures, et avec qui il veut déjà coucher dans la seconde (… mais patience, patience… simulation de patience), le bobo bisexuel arrive généralement avec ses gros sabots et sort toujours la même artillerie lourde de la fausse pudeur. Par exemple, il termine ses mails/lettres par des formules laconiques bien appuyées du type « Prends soin de toi », « Je t’embrasse » « Fais de doux rêves, mon cher X… » : « Prends soin de toi. » (Chris écrivant à son amant internaute Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 40 et p. 44) ; « Prenez soin de vous. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 82) ; « Enfin j’ai reçu une lettre de ma cousine. Elle ne dit rien de ce que nous avons fait ensemble, sinon qu’elle finit sa lettre par ‘je t’embrasse’. Trois fois à la suite. Elle m’écrit surtout pour me dire le bien que je lui ai fait en lui prêtant la somme dont elle avait grand besoin et qui la sauve tout à fait. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 75) ; etc. Comme il n’assume pas d’aimer, il dit qu’il réserve son « je t’aime » à la personne de sa vie… pour finalement, dans les faits, ne jamais le vivre vraiment, et le distribuer comme un soi-disant cadeau originel à tous ses amants de passage…

 

Dans son roman semi-autobiographique Par d’autres chemins (2009), Hugues Pouyé évoque à juste titre la « désinvolture finalement assez travaillée des bobos » (p. 53) En réalité, il s’agit d’une fausse improvisation, d’un mensonge sur la rigidité/impulsivité mise en place : « Il n’y a pas de stratégie. Je ne sais pas avoir de stratégie. » (Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 17) ; « Je n’ai pas de stratégie, je l’ai déjà dit, mais je sais ce que je fais, je le sais très précisément. » (idem, p. 23) Chez le bobo, tout doit arriver avec le moins de désir possible (paradoxal pour quelqu’un qui se vante de parler d’Amour 24h/24…) : « Je n’ai rien cherché, rien forcé. Cela s’est produit, voilà tout. » (idem, p. 25) Cet hypocrite en puissance est sincère dans sa perversité, inflexible dans sa mollesse ou son relativisme, lâche dans son laisser-faire qu’il fait passer pour héroïque et détendu : « Son expression te paraît démesurément tendre, sincère. » (Félix à propos de Bob dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 152) ; « Je ne suis pas pervers. La perversité exige des efforts que je ne suis pas disposé à accomplir. Il y a dans la perversité quelque chose d’actif, de volontaire qui n’est pas dans mon caractère. Je ne cherche pas à peser sur les événements. Je les laisse survenir. Simplement, j’en mesure exactement la portée, les conséquences possibles. Je possède l’intelligence du monde et des hommes. On va ne pas m’aimer de tenir de tels propos. Qu’y puis-je ? J’en suis sincèrement désolé. Qu’on me croie lorsque j’affirme cela. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 25) Oui, on PEUT le dire : le bobo est puant.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

I – LA CONTRADICTION DES NOUVEAUX MATÉRIALISTES BISEXUELS :

 
 

Le bourgeois révolté

 

Voici venir « les nouveaux aristocrates » (p. 179) décrits par Vincent Petitet dans son roman Les Nettoyeurs (2006) ! Comme le soulignait à juste raison Pier Paolo Pasolini pour ouvrir son film « Teorema » (« Théorème », 1968), « La bourgeoisie change de façon révolutionnaire. » Au sens littéral du terme ! Et l’arrivée des « bobos » sur la scène publique, depuis 2000, et dans le langage courant, ne fait que le confirmer. Pas une dictature humaine, par le passé, ne s’est avancée sous la bannière du progrès, de la révolution, de la liberté, de la louange des différences, de l’Amour, de la fête, de l’Égalité, du retour aux origines et au Naturel, de l’anti-conformisme, de l’anti-fascisme, pour s’imposer avec une brutalité pourtant incroyable.

 

Les dandys romantiques actuels, baptisés « les bourgeois-bohème », s’opposent en théorie aux anciens bourgeois… mais au fond ils les rejoignent, au moins en désir. « Je suis un dandy, Liz, si tu as compris ça, tout est élégant, c’est simple, sincère et pur à la fois. Suffit de l’avoir en tête. » (Willie, le jumeau underground de l’écrivain Guillaume Dustan, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 99) Ils sont les défenseurs de l’indifférenciation sexuelle (concrètement, ils nous voudraient tous bisexuels en actes, et amoureux/asexués dans les discours : bref, pansexuels !), de l’idéologie du « pro-choix » (à savoir que c’est uniquement la conscience individuelle qui devrait dicter le vrai du faux, et non la morale ou une instance sociale collective), de la liberté sans cadre, de la Nature (en tant qu’abstraction transcendantale), d’un « art-de-vivre de l’abandon ».

 

Étant donné que les seules « valeurs révolutionnaire » qui aient du prix aux yeux de l’individu bobo sont l’opposition, l’inversion et la contradiction, il était logique que la boboïsme s’oriente vers la bisexualité, et en particulier vers la sexualité des personnes jadis baptisées « les invertis » au XIXe siècle, c’est-à-dire les personnes homosexuelles. « Je suis né auprès de deux soixante-huitards militants. J’ai eu une enfance très très heureuse et très très libérée. Mon père est quelqu’un extrêmement excentrique. C’est un peintre. Il m’a dit qu’il avait probablement des tendances homosexuelles cachées. » (Jonathan, séropositif et homosexuel, dans le documentaire « Prends-moi » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Il y a une rencontre sociologique, au cœur des grandes villes, entre homosexuels, militants ou pas, et femmes modernes, pour la plupart célibataires ou divorcées. Le cœur de cible de ce fameux électorat bobo. Mêmes revenus, mêmes modes de vie, même idéologie, ‘moderniste’, ‘tolérante’, multiculturelle. À Berlin, Hambourg et Paris, ces populations ont élu comme édiles trois maires homosexuels – et fiers de l’être – qui ont la conviction de porter un nouvel art de vivre, une nouvelle Renaissance. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), pp. 22-23)

 

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les comportements homosexuels ne se rencontreraient qu’en milieu luxueux et propret, on voit beaucoup d’homosexualité dans les sphères relationnelles bobos, « cools », roots, underground, dark, gothique et bohème. Concrètement, l’individu homosexuel est aussi rastaman, anti-system, sans le sou, marginal, punk, hippie. Il fait certes partie de la famille de l’homosexualité de circonstance, de ceux qui viennent à la pratique homosensuelle et homo-érotique par accident, par ignorance, par expérimentalisme (lui dira « par ouverture »), par l’absorption de drogues, plutôt que parce qu’il ressent précocement un désir homosexuel en lui. Mais la « grande folle » maraisienne sophistiquée n’est pas la seule à être bourgeoise. Le sujet bobo est aussi un individu homosexuel tardif, avec un passif dit « hétérosexuel ». C’est l’homme bisexuel par excellence, l’Indifférent à l’amour sexué, celui qui n’ira pas forcément jusqu’à coucher avec des garçons, mais qui testera volontiers la fascination qu’il engendre chez les individus plus profondément homosexuels que lui. « Le bisexual chic : s’injecter un brin de bisexualité sans en assumer une identité. » (la voix-off du documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) L’homme bobo est un séducteur né, ne l’oublions pas. Il drague tout ce qui bouge. Et les garçons (ou les filles, pour le cas lesbien), ça bouge aussi !

 

En général, les individus bobos, très tatillons sur les questions d’écologie, sont beaucoup plus permissifs et laxistes sur les questions de morale sexuelle – masturbation, avortement, bisexualité, homosexualité, mariage gay, etc. – du moment qu’elles ne polluent pas… « On est très hippie, ici. » (Veronica, la mère porteuse qui a accepté d’aider un couple homo français à avoir un enfant, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015) Par exemple, en France, c’est le mouvement des Verts (Noël Mamère) qui a célébré le premier mariage homosexuel à Bègles (c’était le 19 avril 2005). Ce n’est pas un hasard.

 

Comme pour eux « l’amour n’a pas de sexe » (= comprendre « n’est pas sexué »), qu’ils ne doivent pas mettre en avant la génitalité mais la « personne », la « relation », la « rencontre », l’« expérience sensible » – tous ces séduisants concepts intellectuels qu’ils poétisent à l’excès, et vident de réalité –, ils s’autorisent tout et n’importe quoi en matière d’affectivité à partir du moment où, dans leur tête, ils l’appellent « Amour ».

 

La population bobo participe à l’inversion sexuelle, ne serait-ce déjà que vestimentairement et physiquement. La nana bobo n’est pas forcément très féminine : elle ne se maquille pas toujours, aime s’habiller en garçon manqué ou se travestir, porte parfois un turban dans les cheveux, ou aime se couper les cheveux court, « à la garçonne ». Certains gars bobos portent des petites sockettes qui les féminisent, se font des queues de cheval, se maquillent de temps en temps, jouent parfois les femmes à barbe (cf. la pochette de l’album « Pays sauvage » d’Émily Loizeau), portent des chapeaux à la Charlie Winston ou à la William Pharrell. Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas, Gabriel et Rudolf, les trois héros gays (barbus… quand ils peuvent), portent tous les trois le même chapeau Charlie Winston : ils sortent tout droit du moule de l’anti-conformisme… et finissent par comprendre qu’ils sont des moutons comme les autres : « On est un peu homos clichés aujourd’hui. » En ce moment, la tendance est aux transgenres (ou « cisgenres », si on veut), avec les guichetiers et ouvreurs du Théâtre du Rond-Point (à Paris), en barbe pour le haut (mal coiffés, de préférence), et jupe pour le bas.

 

Album d'Émily Loizeau

Album d’Émily Loizeau


 

Maintenant, du côté des membres « déclarés » de la communauté LGBT, une grande majorité d’entre eux « se la jouent » aussi bohème et pauvres. « D’une certaine vie de bohème, insouciance du lendemain, des convenances et des idées établies, ces passages constituaient aussi ma défense et mon illustration. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 46) Beaucoup de personnes homosexuelles s’en prennent aux membres de la « bonne société » auxquels elles tentent de ravir la place. Par exemple, dans ses romans, John Banting s’en donne à cœur joie pour écorcher les bourgeois conservateurs. Dans les pièces de Joe Orton, on assiste également à la destruction de la famille bourgeoise. De leur côté, Pierre Dort et Roland Barthes, tous deux issus de la bourgeoisie, fondent en 1953 la revue Théâtre Populaire qui refuse le « divertissement bourgeois ». Comme son nom l’indique, le mouvement artistique britannique et nord-américain Pop Art, archi-bobo-homo, et ayant actuellement pignon sur rue dans le monde des médias et de l’art contemporain, se présente comme un « Art Populaire », proche des masses. Plus proches de nous, les sorties de « journalistes » ou d’« humoriste » telles que Sofia Aram ou Caroline Fourest sont clairement « anti-bourgeois ».

 

La majorité des personnes homosexuelles expriment leur haine du libéralisme économique et du système capitaliste, en affichant leur goût pour le dénuement matériel et un mode de vie en apparence spartiate et bordélique, en total décalage avec l’éducation étriquée qu’elles auraient reçue.« Les mondanités, c’est pas mon genre ! » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 324) Dans l’idée, elles se positionnent contre la mondialisation (… sauf quand celle-ci est au service de leur « humain » à elles !). Pour devenir discrètement bourgeoises, certaines imitent alors « le bobo », un personnage fortuné qui se déguise en pauvre pour se persuader et convaincre son entourage qu’il n’est pas riche matériellement afin de le rester, en désir ou concrètement. Elles sont obnubilées par l’idée de « faire authentique et simple » (en vivant à la campagne par exemple), quitte à rentrer dans l’artifice champêtre forcé pour arriver à se convaincre qu’elles ne sont pas bourgeoises.

 

Dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, Pierre Bergé, qui est l’archétype de la gauche caviar richissime, qui a exploité son amant Yves Saint-Laurent en pressant le citron du monde de la haute couture jusqu’à la dernière goutte, a quand même le culot sincère de soutenir, face à la mer et depuis sa résidence secondaire battue par les vents, qu’il est un grand révolutionnaire ayant toujours lutté contre les inégalités (surtout sous la présidence de François Mitterrand : « Le retour de la gauche au pouvoir m’a permis de reprendre une place dans l’échiquier politique. »), et que le monde de la mode s’est embourgeoisé et qu’il n’est plus ce qu’il était ! « C’est un métier qui a été livré aux commerçants. » Le bourgeois qui joue sincèrement au pauvre.

Hallucinant.
 

Qu’il soit matériellement riche ou non (il appartient généralement à la classe moyenne d’ailleurs), l’homme bobo bisexuel est tellement motivé par l’intention (son refus de l’argent, son dégoût des fascismes historiques, sa « clairvoyance » quant à la bobo attitude et ses limites, sa passion pour l’authenticité – humaniste dans l’idée mais misanthrope dans les faits –, son âme de poète, etc.) plus que par l’être ou le faire, qu’il en devient artificiel, et donc bourgeois. Tout ce qui est entaché de désirs non-suivis des actes, ou bien d’idéologies ultra-politisées bon marché, fait bobo : cf. le défilé anti-Lepen en 2002 dans le film « Ma Vraie Vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (on voit les personnages homos et gay friendly faire la manif), l’affichage d’un anti-sarkozysme de bon aloi dans le film « L’Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré ou dans « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le mépris de la bourgeoisie dans la chanson « Soyez pédé » de GierRé, etc.

 

L’individu bobo bisexuel se veut « plus bourgeois que bourgeois », plus raffiné et moins grossier que le « vieux cochon » riche (chanté par Jacques Brel). Il essaie de concilier discrètement ses rêves de bourgeoisie avec ses aspirations humanistes, autrement dit de vivre en homme bourgeois sans que cela se voie ni que lui-même s’en aperçoive : « Ne serait-il pas possible de jouir de la culture bourgeoise (déformée), comme d’un exotisme ? » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 63) ; « Lorsque j’ai vu pour la première fois ‘Le Prince et le Pauvre’, je voulais être les deux à la fois. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 34) ; etc. Ce n’est pas parce qu’il a renoncé à vivre concrètement dans le luxe qu’il y a renoncé en désir, dans son cœur (on est bobo surtout du point de vue du désir : pas d’abord matériellement). Par exemple, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), Paula Dumont avoue (seulement en boutade ?) qu’elle « regrette beaucoup de ne pas avoir été élevée chez les milliardaires comme Natalie Barney » (p. 104)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles et bisexuelles font partie des « riches » partiels, de ces enfants gâtés du capitalisme, de ces « bourgeois ratés » comme dirait Fanny Ardant dans le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon, car leur désir homosexuel les oriente davantage vers le paraître ou l’avoir que vers l’être, vers la haine que vers l’Amour. Par exemple, un nombre conséquent de films à thématique homosexuelle figurent au palmarès de festivals de cinéma super bobos (Festival de Cannes en France, Festival du film « indépendant » de Sundance aux États-Unis, etc.).

 

En règle générale, elles n’apprécient pas du tout d’être associées à l’image des bourgeois planqués. Pour elles, le mot « bourgeoisie » ne va pas avec militantisme homosexuel, anti-capitalisme, bar « crade » de Saint-Germain-des-Prés, starlette seventies qui fume sa clope avec un bon roman de la littérature classique, appartenance à la gauche politique et au socialisme, dénuement matériel, haine de la mondialisation, dénonciation de la société de consommation, tous ces séduisants concepts dont elles s’imaginent être les dignes représentantes. Elles acceptent difficilement que le cliché homo = bourgeois ne soit pas vrai comme elles l’imaginent – à savoir causalement – mais vrai « coïncidentiellement », à travers le moyen terme lâche que constitue la population bobo.

 

Il faut bien réaliser intellectuellement que le bourgeois ne s’imagine même pas bourgeois. Des gens comme Louis II de Bavière, Marcel Proust, ou encore Denis Daniel, disent détester les petits-bourgeois, mais restent pourtant très petits-bourgeois en actes et en attitudes parce qu’ils demeurent soumis à l’image et au matériel. « Tu sais combien j’ai souffert de cette réputation fallacieuse de grand bourgeois distant et froid. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 139) ; « Pierre et Gilles ignorent superbement l’élitisme des Beaux-arts et le populisme télévisuel. » (cf. l’article « Pierre et Gilles » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 365) ; etc.

 

Ils n’ont pas compris que c’est la haine de soi et des autres qui rend « petit-bourgeois », et non la simple intention affichée d’haïr la bourgeoisie, de cracher sur l’image du bourgeois ou sur l’argent des « capitalistes ». Je citerai volontiers Jean-Paul Sartre qui a si bien décrit l’élan paradoxal d’attraction-répulsion qu’expérimente les individus bobos vis à vis de leur milieu social : « Le héros romantique est un soldat perdu qui veut faire de sa vie une épopée de solitude en souvenir des victoires que ses ancêtres ont remportées pour de bon sur des champs de bataille ; c’est un noble en exil dans la société des bourgeois qui ont tué son roi. »

 

Qu’on le veuille ou non, l’anti-bobo-attitude et l’anti-bourgeoisie correspondent à une attitude bourgeoise aussi. « Festivus festivus, rejeton des soixante-huitistes, se retourne contre ceux-ci et les met en accusation. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 76) La dernière phrase de la chanson « Les Bobos » de Renaud l’atteste… : « Ma plume est un peu assassine pour ces gens que je n’aime pas trop. Par certains côtés, j’imagine que j’fais aussi partie du lot ! » Comme l’a largement prouvé Michel Foucault, l’idéologie bourgeoise a des effets réverbérants : elle est pour et contre elle-même. C’est une idéologie de l’idolâtrie (Rappelons-nous par exemple qu’Hitler, à son époque, quand il a cherché à créer une nouvelle élite, s’interdisait de la penser « bourgeoise » ; dans son manifeste nazi Mein Kampf (1924), il parlait en des termes explicites du « lamentable troupeau des petits-bourgeois », et affirmait que son « mouvement n’a rien à voir avec les vertus bourgeoises »).

 

Il n’y a pas plus bobo que l’anti-bobos. Par exemple, le romancier homosexuel Essobal Lenoir censure son identité bobo : « De la vie de bohème menée par Essobal durant ces années, nous ne dirons rien. » (il parle de lui-même à la troisième personne, dans sa nouvelle « Une Vie de lutte » (2010), p. 170) Pour nier qu’il est bobo, il use même de l’autoparodie : « Essobal Lenoir ne rate jamais une marche de la section Neuilléenne de lutte contre le Front National. Tous les week-ends, au golf, il est très farouchement opposé à toute forme d’antisémitisme, voire même de racisme, vous savez le truc des nègres et des bougnoules. » (cf. la nouvelle « Une Vie de lutte » (2010), p. 171) Mais pourtant, quand on l’écoute parler en vrai, on se rend très bien compte qu’il n’a pas renoncé à son identité de dandy esthète. Il s’exprime d’ailleurs comme une vraie bourgeoise sophistiquée : « Je n’ai pas des goûts de chiotte ! […] Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Mémoire d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 81) ; « Le hasard voulut que nous nous retrouvassions… » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 73) ; etc.

 

Avec le dramaturge argentin Copi, la même contradiction est observable. Tandis qu’il passe toute sa vie à mimer de manière iconoclaste la bourgeoisie dont il est issu, et à côtoyer des cercles artistiques homosexuels avant-gardistes et bohème, Copi n’a jamais cessé d’être snob : « Avec un ami, j’ai vendu des dessins sur le pont des Arts, mais je restais très bourgeois. […] Mon père qui m’envoyait de l’argent était en exil dans une ambassade. » (Copi dans l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur », publié dans le journal Libération du 15 décembre 1987) Même après sa mort, les metteurs en scène et les troupes qui montent actuellement ses pièces bigarrées n’échappent pas à l’embourgeoisement de leur démarche pourtant intentionnellement anti-bourgeoise (les mises en scène clinquantes de Lavelli au Théâtre de la Colline, ou de Marcial Di Fonzo Bo dans les grands théâtres nationaux parisiens, le montrent explicitement…). Le camp copien n’est plus une dérision, mais un luxe protecteur de faux rebelles.

 

Au bout du compte, l’individu bobo bisexuel est ce jet-seteur écartelé entre Nord et Sud, symbolisant la fracture économique mondiale entre pays riches et pays pauvres, rêvant, comme le businessman de Starmania, à la fois d’« être un anarchiste et [tout en continuant de] vivre comme un millionnaire », « ne pouvant pas supporter la misère » et la voulant éternelle pour sauvegarder ses privilèges. Il ne désire pas l’union entre ceux qu’il classe parmi les « riches » et ceux qu’il étiquette « pauvres » et qui doivent surtout le rester. Les personnes homos-bisexuelles sont la plupart du temps issues d’un milieu riche et aristocratique. « Parmi les gays, les classes aisées sont deux fois plus représentées et les bacheliers deux fois plus nombreux que chez les hétérosexuels. » (cf. l’article « Classes sociales » d’Éric Fassin, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 98) Si jamais elles ont eu le malheur de naître dans un milieu modeste et « beauf », elles feront tout par la suite pour conquérir une classe sociale plus valorisante à leurs yeux. Elles sont attirées intellectuellement par la misère qui règne dans un quartier, l’instabilité sociale, le monde ouvrier… mais pour les côtoyer de loin, ou s’en approcher juste le temps de la photo ou d’une manif’. « J’étais politiquement du côté des ouvriers, mais je détestais mon ancrage dans leur monde. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 73) Je vous renvoie à la partie « Riches » du code « Promotion « canapédé » » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour compléter.

 

Le pauvre, elles l’aiment surtout en musique et en peinture. Pas trop proche. Dans le monde bobo bisexuel élitiste, une grande place est laissée à la culture roots-cabaret, à la musique jazz, étrangère, world, pauvre (jouée par des « p’tits Africains », des « p’tits gitans », des « p’tits aveugles », des « personnes handicapées », des « p’tits drogués », des « gens de la rue » et des illustres inconnus). Du moment qu’elle est (encore) perçue comme inconnue des mass media, minoritaire, non-commerciale et non-populaire, « bio », elle ramasse en général tous les suffrages parmi les communautaires LGBT.

 

Comment comprendre chez le sujet bobo bisexuel ce mélange paradoxal d’intentions par rapport à la bourgeoisie et par rapport à leur révolution humaniste ? C’est bien simple. La sacralisation aveugle de la différence conduit forcément, à un moment donné, à la (l’auto-)contradiction, à la (l’auto-)trahison… puisqu’un beau jour, une différence viendra forcément s’opposer à la mienne ! « Le dandysme, ce n’est ni l’affection, ni la coquetterie, ni la mode. C’est tout le contraire. C’est la différence absolue. » (Jean-Paul Aron, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 57) Même si l’individu bobo bisexuel croit échapper à son identité de bourgeois en vivant chichement et en s’autoproclamant « Maître du Bon Goût » (y compris en cultivant le soi-disant « mauvais goût » social), il se choisit une nouvelle forme de marginalité bourgeoise. Il trouve sa fierté à accepter en lui ce qu’il trouverait honteux ou avilissant chez les autres (par exemple, quand il regarde une émission de variété ou de télé-réalité, il s’empresse de trouver sa démarche « géniale », drolatique, décalée, sociologique, limite subversive), car il se donne ainsi à lui-même les signes tangibles de son incroyable ouverture d’esprit. Même quand il fait preuve de mauvais goût, il se persuade qu’il a bon goût parce qu’il choisirait le mauvais goût en connaissance de cause : « Oui, c’est vrai ! Un bon sandwich avec un Coca-Cola. Il n’y a rien de tel ! C’est vrai. Avec une bonne crème glacée, bien sûr. » (Michel Foucault, « Une Interview de Michel Foucault par Stephen Riggins », 1983) Finalement, il n’est pas libre. Il fait l’inverse de ce qu’il croit qu’on attend de lui, mais comme cet « inverse » est souvent le fruit de ses propres fantasmes, il imite et se soumet aux autres/à l’image sans même s’en rendre compte.

 

L’individu bobo homo est bourré de contradictions : par certains côtés, il se montre réfractaire à la modernité, à la civilisation, et à la consommation… et par d’autres, il ne peut pas vivre longtemps à la campagne, loin de son I-phone (l’outil que les personnes homosexuelles ont possédé avant tout le monde, en exclusivité !) et il se munit des équipements audiovisuels dernier cri (qui ne feront, à ses yeux, « bourgeois » que chez les autres, pas chez lui, évidemment !) : l’écran plat dans le salon design, l’ordinateur portable Mac, le Smartphone, etc. Il passe énormément de temps sur Facebook et les réseaux sociaux, d’ailleurs.

 

Il a des tas de projets en tête, mais qu’il a du mal à mener à terme : « Depuis des lustres, chaque fois que nous déjeunions dans un restaurant, qu’il s’agisse d’une crêperie, d’une pizzeria ou d’un lieu exotique, il fallait que Martine nous empoisonne le repas à se lamenter que c’était ce commerce-là qu’il lui fallait et non un autre. Au cours des douze dernières années, elle avait eu des velléités d’ouvrir, outre de nombreux restaurants, tous plus branchés les uns que les autres, une carterie et un salon de thé réservé à une clientèle exclusivement féminine et cela à Annecy ! » (Paula Dumont parlant de sa compagne bobo-campagnarde Martine, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 118)

 

En réalité, l’individu bobo bisexuel est un consommateur qui ne veut pas se voir consommer, ni se « pétassiser »… pour mieux consommer en douce : « Elle avait toujours aimé traîner dans les boutiques, même quand elle n’avait pas d’argent à dépenser. » (idem, pp. 152-153) Par exemple, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check, Paul, un témoin homosexuel, raconte qu’il est resté 24 années avec son compagnon Jeff, avec qui il a vécu 24 ans dans diverses résidences à la campagne aux États-Unis : tout leur quotidien était fondé sur le matériel, les voyages, les maisons.

 
 

Boboïtude, jumelle de l’homophobie

 

Étant donné que l’individu bobo bisexuel a choisi l’indétermination, la marginalité et la contradiction comme identité et amour, il est logique qu’en acte, sa bobo-attitude se traduise tôt ou tard par une homophobie : « Lui, pense-t-il, il n’est pas homo et n’appartient pas à une communauté pré-définie ! Il est excité par des anges amoureux et il touche avec les yeux, c’est bien tout ! ». « Être homo, c’est devenu très commercial. » (François, l’homo fashion, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy)

 

Cette attitude bobo là, j’ai pu la voir chez toutes les personnes homosexuelles pratiquantes que je connais. En effet, le sujet bobo bisexuel a tendance à développer (et c’est là le paradoxe du désir homosexuel) une forme d’homophobie snobinarde, concomitante à son interminable coming out (qu’il présente comme « exceptionnel », « accidentel », les rares fois où il l’ose) et à sa timide défense d’une culture homosexuelle qu’il n’assume pas vraiment. On découvre chez lui un snobisme anti-« milieu gay » et anti-« folles » qui semble caractériser les anciens combattants désabusés du militantisme LGBT des années 1980-1990 (cf. les programmateurs de la chaîne Canal +, par exemple ; les rédacteurs de journaux alternatifs comme Minorités ; les militants d’Act-Up) tout comme les tenants de la presse gay actuelle (les journalistes de Têtu ou de Yagg en première ligne – Gilles Wullus, Thomas Doustaly, etc. –, les chroniqueurs d’émission comme Homo Micro sur Fréquence Paris Plurielle, les responsables des associations militantes LGBT, et les créateurs de sites d’« événementiel homosexuel » qui jouent les masseurs globe-trotteurs, relax, « bons vivants », pour masquer leur trouille de traiter des vrais problèmes et des sujets qui fâchent concernant l’homosexualité). Le « croquage de pédés » est un sport communautaire bobo très couru dans le « milieu homo » ! Il est porté par les néo-dandys homosexuels underground, bref, autant dire par la très grande majorité des membres de la communauté homosexuelle. Pour l’individu bobo homo, la follasse décervelée (qu’il rêve de sauter quand elle aura un peu mûri…), « c’est le beauf version gay » (cf. un « post » que j’avais lu sur le mur Facebook d’un de mes amis gay, le 20 avril 2011). Idem pour la fem et la butch côté lesbien. Si l’individu bobo devient homo, c’est qu’il acceptera de faire exception au « commun des homos », par « amour » (par dépit, moi je dirais…), qu’il concèdera à appartenir à la vulgarité d’une néo-communauté sexuelle « marchande », « caricaturale », « beauf » en ses fondements.

 
 

II – LA DÉPRIME SPIRITUELLE :

 
 

L’obsession pour le naturel sensible

 

D’habitude, pour prouver la force de sa sincérité, l’individu bobo bisexuel se focalise sur la Nature. Il est obsédé par la spontanéité, l’instantanéité des sensations et des pulsions, la recherche des origines, l’authentique « sobre », la création de Nature et des sens (ce n’est pas un hasard si l’une des revues homosexuelles françaises les plus connues après Têtu se soit choisi comme titre Sensitif…) Dans un soubresaut de conscience citoyenne, et surtout pour pallier à son désert affectif intersidéral, il essaie en général de fuir la ville et la société de consommation, pour se mettre au vert (même s’il a souvent la clope au bec) ! Tout ce qui renvoie à l’innocence virginal de l’enfance (Mistral gagnant, ou publicité des jambons Herta), à la nostalgie exotique et lointaine, au typique et à la couleur locale, trouve grâce à ses yeux. D’ailleurs, il aime filmer les plans de tables de cuisine et afficher sur Facebook ce qu’il mange (et encore mieux, ce qu’il a cuisiné !).

 

BOBO à table

 
 

 

Les réalisateurs bobos bisexuels aiment se prendre pour la Nature, et faire évoluer leurs personnages homos dans des cadres complètement sauvages et paradisiaques, qui n’ont pas été touchés par la main des Hommes, afin de prouver que l’homosexualité est belle et naturelle, tout simplement. On retrouve ce parfum naturaliste forcé dans des « films-carte-postale » tels que « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman, « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee, le film « Broderskab » (« Brotherhood », 2009) de Nicolo Donato, « Einaym Pkuhot » (« Tu n’aimeras point », 2009) d’Haim Tabakman, « Les Filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie, « Donne-moi la main » (2008) de Pascal-Alex Vincent, et tant d’autres… Le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León se veut une ode à la Nature, un bal d’émotions, de bruits de mer tout le temps pour bercer la romance homo qui nous est racontée. Je vous renvoie aussi au documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne (commençant par des images de photos de famille décomposée suspendues à des fils à linge, avec des pinces, dans un jardin).

 

L’individu bobo bisexuel a tendance à se choisir comme nouveau Dieu le reflet embellissant de lui-même que lui renverrait la Nature. C’est pour cela qu’il élit souvent résidence dans un cadre bucolique, champêtre, proche de jolis paysages. « Il y avait énormément de femmes qui vivaient dans cette région, et qui avaient des fermes. Il n’y a jamais eu aucun problème. Jamais jamais jamais. » (Catherine, une femme vivant à la ferme avec sa compagne Élisabeth, après avoir fait un grand voyage autour du monde, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Le bonheur, c’est simple… comme une promenade au parc. » (la voix-off parlant des « couples » homos dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy diffusé sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012 pour l’émission Tel Quel) ; « Je traîne dans les falaises. » (Stéphane Corbin pendant son concert Les Murmures du temps, au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey à Paris, en février 2011) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce autobiographique Ébauche d’un portrait (2008) de Jean-Luc Lagarce, on apprend que le dramaturge, citadin dans l’âme, a cherché à habiter une maison à la campagne. Dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic, Renaud Camus, issu d’une famille bourgeoise, vit à la campagne et joue à l’écrivain bohème… mais son accent bourgeois et son radicalisme idéologique le trahissent malgré tout. Dans le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre, le couple bobo homosexuel, Denis et Bruno, s’achète une grande maison à la campagne avec un labrador pour fuir l’enfer parisien ou strasbourgeois auquel il n’a pourtant pas renoncé.

 
 

Allez viens, j’t’emmène au vent !… ou face à la mer

 

La Nature adulée par l’individu bobo bisexuel a pour particularité d’être prise pour un être humain, et surtout de ne pas être dominée par l’Homme. Autant dire que c’est une conception anti-biblique de la Nature voulue par Dieu (une Nature que les êtres humains sont appelés à soumettre et à respecter). Par exemple, dans son docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011), François Zabaleta nous montre les images d’une Nature capricieuse et dévastatrice (celles du tsunami sur Fukushima, au Japon), « le bruit de fond du monde ». Dans les discours bobos-homos, l’Homme doit en général se laisser aller par les éléments naturels, et particulièrement par les forces invisibles que sont le vent ou l’eau. « Depuis ce jour d’hiver précoce, giflé par les rafales d’un vent d’est. » (Stefan Corbin lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011) ; « J’entends le vent. » (idem) Le vent, c’est le désir qui s’enfuit, c’est la liberté qui se liquéfie et se quitte.

 

Par exemple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, visant à prouver que l’amour homosexuel est simple et naturel, la nature est filmée longuement (vent dans les arbres, nuages, chèvres, etc.). Idem dès les premières images du film « L’homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman. La Nature y est à la fois personnifiée et vidée d’humanité, puisqu’Elle s’impose à l’Homme et est voulue toute-puissante, incontrôlable, indomptable… alors qu’objectivement, Elle n’a pas été créée ainsi.

 

L’individu bobo bisexuel a trouvé dans les espaces de l’infini que sont l’océan et le ciel les lieux idéaux où déverser son âme et son désir pour ne plus jamais les retrouver : cf. le vidéo-clip de la chanson « The Edge Of Glory » de Lady Gaga, le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier, etc. La mer et le vent constituent ces parfaits miroirs narcissiques… et ce qu’ils lui font dire – c’était à craindre –, c’est bien du vent ! des larmes de joie forcée et surtout de déprime !

 

La simulation de contemplation émue de la mer – et plus globalement l’exposition à la beauté esthétique (un joli film, un paysage grandiose, un grand concert classique, une belle expo, un coucher de soleil…) –, c’est la technique de drague la plus cheap (… et la caution morale la plus navrante) que le libertin bobo ait trouvée lors de sa première rencontre réelle avec l’ami internaute qu’il ne connaît que depuis quelques semaines (ou heures) et sur lequel il va se jeter à corps perdu le soir même, pour ne pas passer pour un chaud lapin … et pourtant, elle marche quasiment à tous les coups ! À croire que la majorité des personnes homosexuelles sont vraiment les proies faciles du romantisme bon marché ! « J’étais déjà amoureux avant même de l’accueillir à sa descente du train. […] Yann était devant moi, beau et aussi gauche que moi. Mon premier réflexe a été de l’emmener contempler la mer Méditerranée. Nous nous sommes promenés, nos doigts s’effleurant comme par mégarde. Nous avons flirté tout l’après-midi comme deux adolescents connaissant leurs premiers émois. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 83-84)

 

Comme l’individu bobo bisexuel ne se choisit pas d’autre Dieu que lui-même et que son petit bagage de valeurs humanistes politiquement correctes (la tolérance, l’égalité, la différence, la solidarité, l’écologie, … le respect, à la rigueur) qui ne veulent rien dire en soi, il lui arrive très souvent de faire preuve d’un holisme animiste qui spiritualise les objets. Plus clairement, il prête des sentiments aux objets, aux animaux, aux minéraux, aux paysages, bref, à tout ce qui possède très peu de désir et de liberté, contrairement à l’Homme (cf. l’article « Prenez garde aux objets domestiques » de la photographe lesbienne Claude Cahun, dans la revue Cahiers d’art spécial « L’Objet », du 1er février 1936). Il tutoie les étoiles, cause à un arbre, pense que les murs ont des oreilles et des mémoires. « New York me désespérait avec une grâce certaine où, la sereine langueur de la pollution piquée par le bruit et la chaleur, apportait un bonheur furtif et réparateur mais où, planaient irrémédiables, mon angoisse de vivre et l’attente de la mort. Damné jusqu’à la fin des temps, encombré de mes grandes jambes inutiles, j’étais seul, la nuit, plein de désirs inexaucés, sans savoir que mes seuls amis étaient les étoiles, émues, anonymes, de ma présence. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 118)

 

Par exemple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, on a droit à la séquence « émotion » de la femme lesbienne de 80 ans qui fait parler les murs de la gare de son adolescence : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?’. On peut parler à une gare ! Elle m’entend ! La gare voit encore mon père ! »

 

La bobo-attitude, c’est une forme de « matérialisme vert », d’idolâtrie profane, si vous préférez. Paradoxal de voir cela chez des êtres humains qui se veut détaché du matériel… et beaucoup plus grave qu’on ne le pense, puisqu’à travers une idéologie apparemment alter-mondialiste et généreuse, l’individu bobo cherche à ne plus être libre et devient aussi matérialiste que les matérialistes bourgeois qu’il prétend neutraliser. Amusez-vous par exemple à faire les courses avec lui : il regardera méticuleusement toutes les marques que vous choisissez, vérifiera tous les emballages, et vous traitera d’« égoïste » parce que vous faites vos courses à Leader Price ! Racontez-lui votre voyage humanitaire en terres lointaines : il n’écoutera pas votre récit, et se fixera sur la pollution « inadmissible » de l’avion que vous avez pris pour vous y rendre. Offrez-lui un cadeau, il louchera sur l’étiquette pour savoir comment il a été conçu et par quelles victimes. Même si, en théorie, il défend une noble cause, il a tort sur toute la ligne pour qu’il place cette cause avant l’humain. Et cela le rend inhumain, hyper matérialiste. Si on suit jusqu’au bout sa logique, les arbres coupés hurlent ! Les CDs en aluminium gravables qu’on achète à bas prix, ce sont autant de mineurs chinois qui crient d’être exploités ! En réalité, c’est lui qui rêverait d’hurler ses souffrances, et qui passe sa haine sur les objets. Oui, il existe bien un « fascisme vert », qui cache une forêt de solitude, une carence d’Amour !

 

Comme il ne veut pas se fixer, et qu’il n’a pas compris que la vraie liberté n’existait que dans un cadre et dans l’acceptation des différences des gens les plus proches de lui, l’individu bobo bisexuel part à la recherche de lui-même en parcourant le monde et en multipliant les voyages sans but. Il voyage davantage pour l’image que pour le Réel et les personnes qu’il pourrait rencontrer : « Les voyages, pour faire bien… » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 121) Il cherche à reproduire l’image d’Épinal romantique de l’électron libre, de l’éternel errant (géographique et désirant), du globe-trotteur sans attache, totalement « free » dans sa tête… et totalement « connecté ».

 

Il revient de ses voyages humanitaires en ayant un discours appris, en reversant les niaiseries (j’allais dire « aphorismes » ;-)) habituelles concernant la beauté de l’humanisme athée : « On reçoit beaucoup plus que ce qu’on donne. Les pauvres, ils n’ont rien et ils donnent tout » Mais dans les faits, il rentre avec une telle haine des Occidentaux et une telle fatigue d’aimer qu’on est en lieu de douter de la réalité/gratuité de sa démarche altruiste.

 

À force de se rêver « citoyen du monde » (« Yann Arthus Bertrand’s touch ») et de se projeter/de s’éparpiller sur ses écrans de télé (même s’il dit qu’il ne les possède pas ; c’est Internet, sa nouvelle télé), l’individu bobo bisexuel adopte une vision du monde (et de lui-même) éclatée, narcissique, kaléidoscopique, mercantile, un peu comme dans les publicités actuelles de Benetton, ou les affiches de films nous montrant des mosaïques d’Humanité qui ne sont que des échantillons standardisés d’une diversité lisse, déshumanisée, programmée, attendue, imposée comme unique, avec des quotas précis et des personnages bien stéréotypés (cf. les affiches des films de Cédric Klapisch – « L’Auberge espagnole » (2001), « Les Poupées russes » (2004), « Chacun cherche son chat » (1995) –, de Ferzan Ozpetek – « Saturno Contro » (2007), « Tableau de famille » (2001), « Le Premier qui l’a dit » (2010) –, de François Ozon – « Huit Femmes » (2001) ou de « Potiche » (2010) –, d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau – « Nés en 68 » (2008), « Drôle de Félix » (2000), « Crustacés et coquillages » (2004) –, etc.). Comme il ne veut pas être prêt à affronter sa solitude, ses problèmes personnels, ni ses désirs profonds, qu’il fait tout pour ne pas régler la question de l’Amour et de la place centrale de la foi dans sa vie, il se cherche des dérivatifs, des échappatoires écologistes, humanitaires, artistiques, sentimentales, sexuelles, émotionnelles, dépaysantes.

 

Par exemple, il veut absolument vivre en groupe. Je connais énormément de personnes homos-bisexuelles qui cherchent à constituer des grandes collocations d’artistes, des troupes de théâtre nomades, des familles de substitution, des clubs de randonnée pédestre, de massage, de sophrologie, ou de naturisme, dans des lofts ou des appartements bohème, à la campagne comme à la ville, parfois le temps d’une université d’été ou d’un camp de vacances. « Angéla était une belle fille d’une trentaine d’années qui voulait former un groupe de goudous. Elle détestait aller traîner en boîte à des heures indues et préférait participer à des petites bouffes entre copines, faire des randonnées, bref vivre au grand jour. Son projet m’a enthousiasmée et je l’ai rassurée que je serais un des piliers de son groupe. Je rêvais, moi aussi, comme beaucoup de mes semblables, d’une grande famille amicale où, peut-être, il me serait possible de rencontrer un jour l’âme sœur. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 208) ; « L’idée nous est venue que nous pourrions, à notre retraite, acheter chacune une maison dans un hameau, et être à l’origine d’une oasis pour goudous. » (idem, p. 239) Le mode de vie hippie, dans la mesure où il banalise la sexualité en général, s’accommode parfaitement de l’homosexualité, et rencontre un véritable succès dans la communauté LGBT.

 

Mais comme l’individu bobo bisexuel a sa sauvagerie, sa soif d’indépendance, un misanthropie anti-social, il finit par s’éloigner des sous-groupes dont il a voulu faire partie à un moment donné (un groupe, c’est déjà le début du fascisme institutionnel culturel, pour lui !). Pour lui, le communautarisme tout comme la vie de couple se doivent d’être hasardeux et non-institués. Dès qu’ils durent, ça le stresse et le « saoule ». Il revient vite à la Nature et à sa lubie adolescente : la contemplation de lui-même dans la carte postale naturaliste, dans les « petites choses ».

 
 

La sacralisation bobo du détail médiocre

 

D’ailleurs, il nous rejoue régulièrement et par période la comédie de l’ermite-artiste vivant dans des conditions spartiates, ou l’actrice dans son p’tit pull marine, mettant la médiocrité au-dessus de la qualité, l’exceptionnel et le détail au-dessus de l’universel et de l’unité, le dérisoire au-dessus de l’essentiel. Il s’émeut lui-même d’être capable – dans l’adversité et l’avalanche de malheurs que serait sa vie – de s’émerveiller des petites choses du quotidien (« ces petits riens qui font ces petits tout » comme le parodie ironiquement Élie Sémoun) : « Que je m’exprime objectivement ou subjectivement, c’est toujours cette véracité exceptionnelle, à travers la banalité de la condition humaine que je recherche. » (la photographe lesbienne Claude Cahun, citée dans l’Exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries, Paris, juin 2011)

 

Le bobo bisexuel a pour particularité de se complaire dans la médiocrité – lui pense que c’est de la « sobriété », de la «pondération », de la « tempérance »… mais c’est quand même, au final, de la lâcheté et de la médiocrité (cf. je vous renvoie aux codes « Artiste raté », « Faux intellectuels » et « Faux révolutionnaires » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Par exemple, le style littéraire de l’écrivain bobo bisexuel n’est pas très élaboré. Il repose avant tout sur la répétition, la rime « qui fait poétique » mais insensée, les homophonies inversantes (cf. les quiasmes, les oxymores faciles, le paradoxe homophonique, etc.), la succession d’infinitifs ou d’anaphores hasardeuses (« pour voir ce que ça donnera », dans le style « poésie transcendantale ») : « Des idées plein la tête, même dans le sexe, des idées plein le sexe. » (les acteurs anonymes de la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « Tout quitter. Fermer le grand théâtre de Bois-Rouge. Descendre le rideau sur cette comédie avant qu’il ne soit trop tard. Cesser de jouer. Partir. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 88) ; etc. Le « poète » bobo homo aime faire résonner les mots qui ne veulent rien dire, s’étirer les phrases sur un mode apparemment bref et laconique, pour leur donner du volume… genre brushing verbaux, échos d’outre-tombe, voix de Mylène Farmer: « Il n’y avait plus d’attente, plus de rendez-vous, plus de questions. Il n’y avait plus d’espoir. » (idem, pp. 208-209)

 

Musicalement, l’individu bobo bisexuel joue aussi « au pauvre », en intégrant à ses chansons des éléments de sobriété touchante : des sifflotements humains, des imitations vocales d’instruments de musique, des bâtons de pluie, des orgues de barbarie, des djumbés (tout ce qui fait réaliste, artisanal, ou exotique, ça lui plaît), des xylophones à la Yann Tiersen (le minimaliste des formes sonores et expérimentales qu’il choisit rejoint d’ailleurs le monde de l’enfance), des fanfares (c’est de la « musique bio », non ?), de la musique classique épurée (pour relever in extremis le bas niveau de la première partie du spectacle nullissime qu’il nous a proposé : cf. la pièce Golgota Picnic (2011) de Rodrigo Garcia ; c’est si bobo, la sacralisation des dissonances !), etc.

 
 

L’Homme spirituel mais sans Dieu

 

Il y a clairement derrière les bobos bisexuels gauchistes (et parfois droitistes) d’aujourd’hui, qui ne jurent que par « Les Droits de l’Homme », la « République », l’« Égalité des droits », la « Démocratie », la « Laïcité », et au fond, si on y réfléchit bien, par l’anti-christianisme acharné de Voltaire (1694-1778), une haine contre les religions et surtout l’Institution religieuse catholique. Ça fait un petit bout de temps que ce courant de pensée laïcard (et pas du tout laïc, en réalité, car la laïcité respecte le fait religieux), sentimentaliste, matérialiste, individualiste et peu humaniste, couve dans nos civilisations d’États modernes.

 

L’idéologie bourgeoise-bohème actuelle, qui s’est toujours présentée comme anti-bourgeois pourtant, se caractérise par sa défense d’un Homme divin sans Dieu-Église, et pourrait bien trouver sa source en France et dans le monde au moment des Lumières (quand ce n’est pas avant, bien entendu, avec le péché d’Adam), quand l’Humanité a voulu nier officiellement l’Incarnation divine de Dieu dans l’Église catholique, et fonder ce déni sur les États-Nations peu à peu républicains, « démocratiques » et populistes que nous connaissons aujourd’hui. Morceaux choisis de cet anticléricalisme bobo techniciste et sentimentaliste, porté par les plus célèbres dictateurs :

 

Robespierre et Carrier : « Il faut nettoyer la France de tout catholicisme, et la régénérer à notre façon. La république l’exige. »

Staline : « Plus de Dieu en 1937 ! »

Hitler : « Celui qui vit en communion avec la nature entre nécessairement en opposition avec les Églises. Et c’est pourquoi elles vont à leur perte ― car la science doit remporter la victoire. »

Vincent Peillon (ministre de l’Éducation en France, en 2013) : « On a laissé le moral et le spirituel à l’Église catholique. Donc il faut remplacer ça. […] On ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique. Il faut inventer une religion républicaine. Cette religion républicaine, qui doit accompagner la révolution matérielle, mais qui est la révolution spirituelle, c’est la laïcité. »

 

Comment vivre sa spiritualité tout en renonçant au Dieu-Église temporelle ? L’individu bobo bisexuel tente d’opérer ce tour de force impossible en misant toutes ses « forces » et ses espoirs sur lui-même et sur les Hommes (autant dire qu’il se prépare à de grosses déceptions ! car l’Homme sans Dieu devient vite un triste saint, un égoïste relativiste, un goujat sans autre morale que ses envies du moment, un individualiste, un humaniste agressif). Et en plus, c’est le ridicule assuré.

 

On le voit imiter les rites catholiques sans en assumer l’âme, en les instrumentalisant sous forme de folklore New Age ou bouddhisant pour s’autosacraliser lui-même. Comme le démontre très justement l’historienne Marie Pinsard, « chez le bobo, tout est rituel, rien n’est sacré ». Le bobo bisexuel s’habille tout en blanc, compose des « Chansons du dimanche », adopte un nouveau calendrier avec des fêtes qui ne sont plus festives (la Fête du Sida, la Journée mondiale de la Lutte contre l’Homophobie, la Fête de la Musique, la Marche des Fiertés, etc.), fait brûler les barrettes d’encens dans son salon, s’embaume de toute sorte de crèmes relaxantes et d’huiles essentielles, fait des chemins de saint Jacques non-agréés avec ses amis randonneurs, met des bougies (on y revient tout de suite après) autour de sa baignoire et dans sa chambre à coucher, participe à des ateliers sophrologie ou massages, etc. Il rêve d’une cérémonie de mariage dans une yourte, dans une forêt « celtique », ou face à la mer (fuck les églises : c’est ringard !).

 

 

Les individus bobos bisexuels sont la version contemporaine des hypocrites pharisiens du temps de Jésus, des êtres qui sont « croyants » mais « non-pratiquants », qui disent mais ne font qu’à moitié, qui désirent aimer mais n’aiment pas en actes, qui se servent de l’Église (où ils mettent rarement les pieds) pour se regarder le nombril et spiritualiser leurs sens dans une religiosité de la sensiblerie : « Et je prie… » (cf. la fin de la chanson « C’est lui » de Fred Actone) ; « On ne croit plus en Dieu mais on fait comme si. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 171) ; « J’étais maintenant un hayèm, un errant dans le désert, comme dans les poèmes d’Ibn Arabi. Vagabond. Sans le sens. Sans Dieu. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 92) ; « Chez Marcel, tout était cérémonial. » (Jean Cocteau parlant de Marcel Proust, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain) ; etc.

 
 

« Je te tiens, tu me tiens par la barbichette. Le premier de nous deux qui rira aura une tapette. »

 

Beaucoup de bobos bisexuels jouent même à imiter physiquement le Christ. Le prototype actuel du bobo homo à la mode, trop fashion et trop wild, et qui commence à faire pétasse du Marais (alors qu’il avait été justement créé pour ne pas faire cet effet-là ! Attention, les gars…), c’est le barbu (barbe de 3 jours et plus si affinités). De préférence cheveux longs. On le voit maintenant partout : chez les rédac’ chefs de tous les grands journaux de la presse gay, sur la Une des magazines homos, dans les défilés de mode, chez les DJay et les journaleux-théâtreux, parmi les snobinards péteux (avec la voix de Jean-Marc Lalanne) de Technikart ou des Inrockuptibles, et partout où les bobos homos veulent paraître « branchés et surtout pas gay».

 

BOBO Barbu Gilles Wullus

Gilles Wullus (« Têtu »)

BOBO Didier Lestrade Barbu

Didier Lestrade (« Minorités »)

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Joseph Macé-Scaron

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Thomas Doustaly (« Têtu »)

BOBO Rédac chef Yannick Barbe

Yannick Barbe (« Têtu »)

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Glenn Morrison (« The Advocate »)


 

Il suffit de regarder le trombinoscope de l’équipe de rédaction de Minorités.org pour en avoir le cœur net : par exemple Arlindo Constantino, Vincent Bourseul, Sad Punk, Stéphane Trieulet, Franck Contat, Michel-Ange Vinti, Maxime Journiac, Crame, François Vergne, Matthieu Piffeteau, Olivier Jubin, Mike Nietomertz, Richard Mèmeteau, Florian Chavanon, Renaud Mercier, Nicolas Jacoup, Manuel Atréide, Olivier « Babozor » Chambon, Marc Endeweld, Laurent Chambon.

 

BOBO équipe Têtu deux barbus

 

Justement, Didier Lestrade, le fondateur d’Act-Up Paris et de Minorités, a bien défini ce patron physique et psychologique du bobo-homo-qui-ne-sait-pas-encore-qu’il-est-bobo sous l’appellation subtilement anglo-saxonne de « dude » (c’est même pas « bear » ! C’est – je cite – « le quintessential dude gay ») Dans son article « Moi vs le Roi des Rois », on en a une jolie description : « Il y a le mec hyper bien foutu, le mec intelligent, le mec drôle, le mec wild, le ou les mecs américains. Et puis il y a le dude. On se dit ‘Non, c’est pas possible, pas le dude ! Pas le lad !’. Mais si, c’en est un, de la semelle de ses chaussures à la pointe de ses goûts musicaux, un mec calme mais drôle aussi, qui est prolo sans être malheureux, qui connaît la vie gay même si elle le fait chier un peu, qui aime le reggae et la techno, qui est catho sans que ça soit un problème (yet !), qui est si deep qu’il chantonne tout seul des airs haïtiens en se brossant les dents, qui n’a pas peur de parler et qui est prêt à découvrir la nature, qu’il ne connaît pas assez. Et qui a souffert mais ça, c’est tout le monde, OK ? Et la première fois que vous le voyez à la gare, vous savez que ce sera l’amour, en un regard, juste comment il est dans l’espace. » (Rassurez-vous : je ne comprends pas tous les mots non plus ^^).

 

Énormément d’acteurs et de comédiens des films actuels racontant des histoires homos peu caricaturales se font pousser la barbe : cf. le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (avec Richard, l’homosexuel barbu pratiquant le commerce équitable et cuisinant avec inventivité), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec Konrad et Donato, les deux ex-amants qui essaient de se faire pousser la barbe), le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, le vidéo-clip de la chanson « Take Me To Church » d’Hozier, etc. Et ce look hipster n’est qu’un reflet proche du réel : cf. la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert (avec Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, barbus, en scooter aux États-Unis).

 

BOBO barbu Contracorriente

Film « Contracorriente » de Javier Fuentes-León

BOBO Barbu tu n'aimeras point

Film « Tu n’aimeras point » de Haim Tabakman

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Film « Week-End » d’Andrew Haigh

BOBO Parade barbus

Film « La Parade » de Srdjan Dragojevic


 

Dans sa version féminine, le barbu bobo bisexuel est remplacé par l’ingénue bobo un peu barrée et lunaire : la romanichelle alcoolique Amy Winehouse ou bien Björk et son air de léthargie émerveillée :

 

 

Une sorte de femme-à-barbe un peu bi, un peu loufoque, qui s’appelle Lili Rose (ou un truc dans ce goût-là, avec des « L » : Lali, Louane, Loreen, Léa, Lala, Lola, Lilas… ; et puis qui fasse bien végétal, bien asexué et bien areligieux). Comme la fille de Vanessa Paradis.

 

Caroline-Rose dans l'émission "The Voice 2", 2013

Caroline-Rose dans l’émission « The Voice 2 », 2013


 
 

La folie bobo des bougies

 

Dernier reliquat pitoyable de religiosité chrétienne visible dans les œuvres de fictions homo-érotiques occidentales : la bougie (voire la guirlande lumineuse dans un lieu improbable : genre dans une forêt ou un lac la nuit). Je me suis amusé à recenser dans les docu-fictions homo-érotiques ou dans les reportages toutes les fois où les figurants se sont filmés et auto-sacralisés autour d’une baignoire encerclée de bougies, ou un lit « nuptial » bordés de torches : cette mise en scène top-bobo est juste omniprésente ! cf. le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta (avec les bougies dans le salon, les barrettes d’encens), le vidéo-clip de la chanson « Pour que tu m’aimes encore » de Céline Dion, le vidéo-clip de la chanson « It’s A Sin » des Pet Shop Boys, la performance Golgotha (2009) et le film « To Bring To Light » (« Le Chandelier », 2002) de Steven Cohen (avec l’omniprésence des ampoules électriques et des lampions colorés), etc.

 

Quand l’Homme moderne « philosophe sur Dieu sans Dieu… », cela donne une pathétique dégoulinade verbale de pensées métaphysiques dénuées d’intérêt (genre le film « Tree Of Life » (2011) de Terrence Malick), un défilé (au ralenti, svp : merci Frédéric Mitterrand) de cartes postales bucoliques où le « je » se raconte avec la fausse pudeur habituelle d’une voix susurrée (François Zabaleta, si tu nous reçois…), un bal de sensations à la « Amélie Poulain » ou à la Philippe Delerme qui n’apporte pas plus de sens et de beauté à l’existence (genre je raconte ma première gorgée de bière, ou bien comment j’aime casser ma crème brûlée avec ma cuillère, mettre ma main dans un bocal à poissons, écouter la pluie, sentir le vent sur ma peau, courir après des bulles de savon, … me masturber – cf. la chanson « La Voie Ferré » de Pascal Obispo – et prendre les autres pour des cons, aussi). Par exemple, l’écriture automatique d’un Guillaume Dustan, expliquant dans le détail ses courses au supermarché, avec le listing complet et passionnant des produits qu’il achète, c’est un grand moment de littérature, vraiment.

 

Le vide, le silence, la « pudeur », chez le romantique bobo, sont sacralisés, deviennent des absolus en soi (alors qu’il existe des silences bien vides…) : cf. le film « J’aimerais, j’aimerais » (2007) de Jann Halexander (entièrement muet, où tout est chorégraphié, figé dans l’esthétisme mélancolique : d’ailleurs, le sous-titre de ce film, c’est « Amour triste en Vendée »), le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou,(comme aime et fais ce que tu veux), etc.

 

Comme un malheur n’arrive jamais seul, l’individu bobo bisexuel, dans sa quête désespérée de palliatifs à son exil de Dieu, a tendance à se piquer au jeu de la psychanalyse de comptoir (attention : il a fait fac de « spychologie », a lu Élisabeth Badinter, Pierre Bourdieu, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Françoise Dolto, Simone de Beauvoir, etc.), de la simulation d’introspection de soi virant à l’analyse jugeante des autres. Il a tout vu, tout connu, tout comprendu de la vie avant tout le monde. Il sait lire dans les âmes. Gonflant sainte Honorine… Et là, le but inavoué est toujours le même : il cherche à justifier par la science son désir de ne plus être libre, de ne plus désirer ; à mépriser l’« Humanité aveugle » pour de « bonnes raisons » ; à camoufler les violences que sa négligence et son relativisme infligent à son entourage.

 
 

« Je suis vivant »

 

Sa déprime se dilue et s’alimente dans une forme d’hédonisme épicurien chronique (« Je suis vivant »), d’optimisme forcé (« Même si ça n’a pas duré, au moins, j’ai aimé, j’ai senti, j’ai joui »), d’élan combatif appris (« Non, rien de rien, non, je ne regrette rien »), qui ne règle absolument pas les problèmes, n’aboutit pas à un changement profond de comportement, et ne constitue que la maigre consolation du perdant (« L’important, c’est d’avoir essayé, c’est d’avoir participé. ») : cf. la chanson « Je suis vivant » d’Yves Jamait, la chanson « Entre nous et le sol » de Christophe Wilhem (« Me sentir en vie »), etc. « Le monde est vivant ! » (le dessinateur Moebius dans sa préface de la B.D. Pressions & Impressions (2007) de Didier Eberlé) ; « Je suis vivant. Le monde n’est pas seulement une chose posée là, extérieure à moi-même. J’y participe, il m’est offert, mais ce n’est plus ma vie. Je suis la vie. » (« C. » en épitaphe du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 6) ; etc.

 

 

Quand l’esprit bobo dit qu’il « est vivant », il faut l’entendre non pas dans son sens positif et altruiste de « Joie vraie » et d’« Amour plein », mais bien de « jouissance » égoïste, de « bien-être » ponctuel. « Être vivant » se limite à « être sensitif », à verser dans la sensiblerie, la superficialité de l’épiderme, l’affectif ou le génital pulsionnel.

 
 

Vive les vieux !

 

Avec le temps, quand le bobo bisexuel est un tantinet philosophe ou qu’il s’assagit « un peu moins négativement que prévu », il décline son désir de mourir en désir de vieillir. Il se la joue alors GPI (Grand Patriarche Infréquentable), qui attend dignement la fin de vie, comme un animal blessé « à la Jean Genet » ou « à la Violette Leduc », qui ne se révoltera pas contre la mort mais bien contre les Hommes et toutes leurs Institutions, qui se laissera mourir (d’alcool, de sexe, de nicotine, de cancer… : « Encore un que les Boches n’auront pas ! ») avant que la Science et l’Église (car le bobo est un « bouffeur de curés » invétéré, ne l’oublions pas) ne lui mettent la main dessus. Il aime s’imaginer à une autre époque que la sienne (surtout les années 1920 ou les années 1960-1970). Il est fondamentalement anti-traditionnaliste mais pourtant passéiste et nostalgique. Il n’aime pas les vieux (en tant que personnes réelles ; rappelez-vous qu’il veut faire table rase de son passé, et qu’il a dit « merde » à ses parents et grands-parents) mais le vieux (= le « style ‘vieux’ », l’idée de « vieux », l’allégorie de vieillesse, les Bidochons et les Deschiens, la vieille aristo qui a la classe, le vioc en peinture, quoi). Par exemple, lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey à Paris, en février 2011, le chanteur Stefan Corbin se met dans la peau d’un bicentenaire : « Imaginez quand on a 200 ans. »

 

D’une part, il développe une passion pour tout ce qui est ancien (les vieilles pierres, le Vieux Campeur, les vieux meubles en bois, les vieilles cheminées, les jouets anciens, les vieux tourne-disques vinyles, etc.), pour le rétro (les vieux cons, Brigitte Fontaine, l’esthétique des années 1960-1980, les chanteurs rebelles des années Saint-Germain, l’ambiance jazzy ou cabaret des « années folles », etc.). Rétro-bobo-homo ! Il se dit fan des chanteurs seventies (excepté peut-être ceux du disco… encore que… il se contredit tellement qu’il peut épisodiquement se payer le luxe d’aimer le kitsch !) tels que François Hardy, Georges Brassens, Jean Ferrat, Anne Sylvestre, Barbara, Marie Laforêt, Jacques Brel, Léo Ferré, etc. C’est le cas, par exemple, de Jann Halexander, de Patrick Loiseau, de Gaël Morel, de Jean-Marc Vallée, de Xavier Dolan, et tant d’autres. Beaucoup de films homo-érotiques bobos actuels adoptent maintenant une esthétique sixties-seventies-eighties dans la veine de films comme « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung, « Potiche » (2010) de François Ozon, « A Single Man » (2009) de Tom Ford, « New Wave » (2000) de Gaël Morel, etc. Ces productions à prétention non-commerciale, qui sont des imitations de films vieillots et maladroits tournés en Super-8, se veulent des reconstitutions historiques réalistes, alors qu’en réalité, les réalisateurs ont cherché à donner un corps vraisemblable et nostalgique à leurs fantasmes présents et à leurs sentiments amoureux mélancoliques. Le sujet bobo homosexuel aime se faire pleurer sur un air rétro (Amélie Poulain, sors de ce corps !) : « Mes goûts se portaient sur les Rolling Stones ou sur Françoise Hardy (dont le ‘Tous les garçons et les filles de mon âge semblait avoir été écrit pour évoquer la solitude des gays), puis sur Barbara et Léo Ferré, ou Bob Dylan, Donovan et Joan Baez, chanteurs ‘intellectuels’. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), pp. 99-100)

 

 
 

… Et vive le vieux marin breton !

 

 

D’autre part, l’intellectuel bobo homosexuel adore « le » vieux marin breton, ou le papy qui sera son « pote » (du moment qu’il ne fait pas partie de sa famille de sang, ça va…). « Un des frères de mon père devint voleur, fit de la prison et finit par être ‘interdit de séjour’ à Reims. […] Il avait disparu de ma vie et de ma mémoire depuis longtemps lorsque j’appris par ma mère que, devenu clochard, il était mort dans la rue. Il avait été marin dans sa jeunesse […] et c’est son visage, sa silhouette sur une photo de lui en costume de matelot posée sur le buffet de la salle à manger, chez mes grands-parents, qui reparurent à mon esprit quand je lus pour la première fois Querelle de Brest.» (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), pp. 40-41) En général, l’intellect bobo homo se plait à s’extasier devant les vieux clodos ou les papys (« incorrects ») de maison de retraite : cf. le documentaire « Zucht Und Ordnung » (« Law And Order », 2012) de Jan Soldat (avec le couple de vieux qui se torturent et se « fistent » l’un l’autre), etc. Le vieillard duquel il se rapproche a un petit côté « maître spirituel non-agréé » … qui malheureusement remplace et éjecte Jésus… et qui retire, comme le diable, la liberté. « Et un soir un homme m´a sauvé la vie. C´était pas Jésus, c´était pas Dieu, pardi ! Juste un homme de passage qui avait bien vécu : un sage. Il connaissait mon prénom, quel hasard ! Puis il m´a dit : ‘Je t´échange une histoire contre ta liberté.’ Assurément, j´ai accepté ! Et j´ai mis du temps à me rendre compte que, comme m´a dit ce sage à la fin du conte, quand t´as touché le fond du fond, soit tu crèves soit tu remontes. » (cf. la chanson « Contes, vents et marées » des Ogres de Barback)

 

 

L’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda démarre justement sur le témoignage d’un papy gay de 80 ans, Manuel Granda Terrón. On retrouve la même démarche à travers la description de la rencontre avec « Jean », le montagnard solitaire ermite, dans l’autobiographie Recto/Verso (2007) de Gaël-Laurent Tilium, à travers le vieil homme qui conseille Noor dans le docu-fiction « Noor » (2012) de Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci. Dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, la rencontre entre l’intellectuel de gauche et le vieux papy « typique » (p. 29) est scénarisée. Dans son documentaire « Les Invisibles » (2012), Sébastien Lifshitz s’extasie sur les histoires de cœurs des petits vieux homosexuels (en couple ou pas). Ceux-là même sont très attirés par les vieilles pierres, les vieilles maisons d’enfance.

 

 

Un jour d’hiver en 2011, un de mes amis homos (super méga bobo) m’a sorti cette phrase culte : « Mon rêve quand je serai vieux, c’est d’être un p’tit vieux indigne. » Voilà, je veux mourir la main sur le cœur ! Comme l’Auvergnat de Brassens ! Et gros fuck aux curés et aux bourgeois le jour de mon enterrement ! Pour le bobo, en effet, le temps s’est arrêté aux années 1930. Sans rire. Et il pense que les Édith Piaf et les Coluche (les seuls « saints bons larrons » à ses yeux) l’auraient applaudi dans ses conneries… sans réaliser que ce qui était subversif à une certaine époque ne l’est en général plus du tout à une autre.

 

Brel, Ferré, Brassens

Brel, Ferré, Brassens


 

Le portrait ému du vieux pépé « à la Léo Ferré », anti-conformiste, inflexible, vivant à la campagne, ayant encore une vie sexuelle débridée pour son âge, fumant comme un pompier, alcoolique, illustre bien la maladie du bobo moderne : l’obsession du « faire authentique » par son idée de l’anti-politiquement correct, par son idée de l’opposition… en utilisant si besoin est les exclus, les plus fous, les plus faibles, les plus innocents de la société, et donc parfois les plus susceptibles d’être moqués : cf. les émissions de Canal + raillant les personnes âgées tout en les présentant comme exotiques et sympathiques ; les documentaires de France 3 style Strip-Tease, qui laissent planer le doute sur la frontière entre le foutage de gueule et la compassion envers les gens atypiques portraiturés ; les phrases apprises qu’on fait dire à des vieux couples pour justifier des fantasmes homosexuels (« Le cœur a ses raisons que la raison ignore. » dit une vieille mamie secondée de son mari, dans le docu-fiction « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; le docu-fiction « Noor » (2012) de Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci (avec Noor, transsexuel F to M, servant du thé aux conducteurs de camion) ; etc. D’ailleurs, le papy ou la mamie en question ne comprend pas toujours ce qui lui arrive et ce qui lui fait mériter autant d’intérêt.

 

 

L’intellectuel bourgeois gauchiste (ou droitiste après tout ! Les extrêmes se rejoignent…) se met démagogiquement en scène en train de se laisser enseigner par des « gens de peu » que tout le monde prendrait pour des fous mais que lui seul serait capable d’approcher et de comprendre (cf. je vous renvoie à l’excellente analyse de Pierre Jourde de la « gaucho attitude » dans son essai La Littérature sans estomac (2002), pp. 161-162). Ces derniers lui offrent leur innocence et leur étiquette de « gêneurs sociaux », et ainsi, le bobo peut s’en retourner chez lui, tout content d’avoir trouvé un masque à son train de vie bourgeois habituel. Et surtout, il se sert d’eux pour leur faire dire ce qu’il a envie d’entendre.

 

Je crois que cette identification au vieux rebelle, au-delà de la tendresse un peu condescendante, dit quelque chose de l’attitude du bobo bisexuel dans la vie : même s’il se la joue marginal cool, il se comporte en réalité très souvent en vieux gars ou en vieille fille coincé(e) et inflexible. Il fait passer son attitude pour de la pudeur ou un courageux refus des conventions… mais il y a beaucoup de frustration, de complexes, de peur chez lui. Tout Homme qui se rapproche du mythique « bobo » est un handicapé des sentiments, de la relation, et cache sa haine de lui-même derrière une fausse décontraction, une fausse solidarité.

 
 

III – LA DÉPRIME ESTHÉTISÉE, PSEUDO «ARTISTIQUE» :

 

Le bobo bisexuel ne déprime pas qu’autour d’une bougie ou d’un crucifix ou en compagnie d’un vieux. Le plus souvent, ce sera autour d’une toile, d’une œuvre d’art, d’un piano ou d’un disque. Il investit le terrain artistique comme moyen de reconquérir sa « divinité dans la sobriété » (voire dans le désordre et la destruction iconoclaste).

 

Grâce à l’art underground simulant les « petits moyens » et l’artisanat, il croit échapper à son identité de bourgeois. Il s’autoproclame « Maître du Bon Goût et de la Simplicité » … y compris en cultivant le soi-disant « mauvais goût » social, en posant pour les Inrock, en pratiquant une « incorrection jouissive », en « parlant cul » et en travaillant sa vulgarité verbale.

 

Mais en dépit de ses efforts pour prouver sa rébellion anarchiste contre la bourgeoisie, on voit bien qu’il fonde une nouvelle élite de bourges (anti-conformistes, mais bourges quand même !). Les cercles bobos homos, revendiquant leur marginalité pour gravir l’échelle sociale et s’assurer une place au soleil, se sont succédées au long des âges et dans tous les continents, et se sont values de l’excuse de l’« Art » afin d’asseoir leur autorité. Par exemple, dans les années 1910-1920, Gertrude Stein et sa clique est plus proche de la bohème artistique que de la grande bourgeoisie nord-américaine. Dans les années 1950-1960 aux États-Unis se développe un mouvement littéraire et culturel très connu, précurseur de la vague queer bobo actuelle : la dénommée Beat Generation, dont les figures de proue sont les artistes homosexuels Hal Chase, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs (ces dandys underground s’adonnaient aux drogues, à l’alcool, au libertinage sexuel, au militantisme alter-mondialiste distant mais rassurant, au jazz, etc.). Dans les années 1980, la Movida madrilène, ou bien le New Wave britannique (un peu punk), sont également d’inspiration bohème. Aujourd’hui, l’élite bobo homosexuelle s’est déplacée vers la musique minimaliste (chanson à textes, un peu cabaret, un peu jazzy ; surtout pas qualifiée de « variété ») ou carrément électro, vers le théâtre contemporain iconoclaste et blasphématoire, vers le docu-fiction au cinéma ou les films expérimentaux.

 

L’individu bobo homosexuel porte aujourd’hui un nom qui, selon lui, passe mieux et est moins connoté négativement en société : c’est celui de promoteur du queer et du camp, ce courant artistique contemporain flou, néo-baroque, plutôt asexué et sentimental en intentions et bisexuel en actes, défendant un art sale, iconoclaste, marginal, anti-bourgeois, merdique, violent. « Le camp est le dandysme du temps moderne, une variante du snobisme raffiné. Il a résolu ce problème : comment peut-être dandy à l’époque d’une culture de masse ? […] Le dandy du XIXe avait la vocation du ‘bon goût et haïssait la vulgarité. Le connaisseur du Camp a découvert des plaisirs plus ingénieux. Il ne s’agit plus d’apprécier la poésie latine, des vins rares et des gilets de velours, mais de goûter aux plus épicés, aux plus communs des plaisirs, aux arts dont se délecte la masse. Il apprécie la vulgarité. » (Susan Sontag, « Le Style Camp », L’Œuvre parle (1968), pp. 421-445)

 

Le courant artistique kitsch et camp, qui se veut anti-normes bourgeoises, obéit lui aussi à un code bourgeois puisqu’il est à la fois iconoclaste et iconodule (tout bourgeois est contre lui-même, et s’adore !). Comme l’écrit à juste titre Povert, le camp est « héritier du dandysme » (Lionel Povert, Dictionnaire gay (1994), p. 112). Par exemple, dans la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, les amateurs naïfs (présentés comme « hétéros ») de la merde artistique populaire imposée par les mass médias (appelée « kitsch ») sont décriés comme « nocifs » par les comédiens queer présents sur scène… mais la dénonciation camp qu’ils nous proposent en retour, et qui est supposée faire contrepoids, est tout autant merdique, « trash bourgeoise », et totalitaire que le premier kitsch dénoncé.

 
 

Promenade chorégraphique au ralenti

 

Le bobo bisexuel aime se montrer sensitif, artiste itinérant et sans but, même et surtout quand il déprime façon « roman-photos ». « Se balader seule la nuit dans une rue déserte, sans aucune crainte. C’est être comme deux fois libre. » (la narratrice transgenre F to M dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) Il se décrit arpenter la nuit les rues de sa ville en libre penseur (un poète muet en apparence, car on l’entend déverser son flot de pensées poétiques intérieures insignifiantes façon voix-off de Frédéric Mitterrand), parler du monde qui l’entoure (de préférence une jungle urbaine qu’une Nature virginale : il faut quand même qu’il se place en victime des Hommes et de la machine, toujours) avec un souci grotesque du détail, effectuer sa petite ballade chorégraphique de dépressif abasourdi par le triste/beau spectacle d’un monde à la dérive, au ralenti bien sûr, comme dans un film de la « Nouvelle Vague » : cf. le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec la promenade hivernal au ralenti du couple Laurent/André sous la neige), le docu-fiction « Chandelier » (2002) de Steven Cohen (avec un mannequin queer marchant dans des bidonvilles, sans dire un mot ni aider les pauvres qui sont autour), le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud (avec la blonde pleurant dans le taxi pendant que le paysage urbain défile), etc.

 

 

Dans sa perception et son expression du monde, on a l’impression chez le bobo bisexuel qui se prend pour un artiste qui passera à la postérité, que tout est centré sur les goûts et l’image. Bref. Sur le narcissisme adolescent. Il rêve/règle sa vie (amoureuse, amicale, familiale, professionnelle) comme une partition, comme un concert. « Chacun veut montrer à l’autre les choses qu’il aime. On apprend, on découvre. On découvre tellement qu’on ne peut pas tout faire, on se dit ‘C’est pas la peine de se prendre en photo tout le temps, c’est naff, on fera ça plus tard’. On rencontre ses amis et sa famille et on fait en sorte que ça se passe bien, bordel. On dort ensemble, le plus possible. Skype sert enfin à quelque chose. Tumblr est notre terrain de jeux secret. On s’imagine ensemble aux Nuits Sonores, à Nordic Impact, à Berlin, à Londres, à New York, même si on n’a plus d’argent l’un comme l’autre. Le calendrier devient magique. Il laisse pousser sa barbe. Ses yeux vous regardent au plus profond de votre âme. Il vous rend beau. Vous prenez des forces. Vous lui donnez ce que vous avez. » (Didier Lestrade)

 

L’individu bobo bisexuel a un côté spectateur passif, oisif, et distant (lui dira « contemplatif ») de son propre confort/de sa propre douilletterie : il aime se portraiturer « attablé à un café » (Stefan Corbin lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011), observant le monde d’un œil ému, amusé, nostalgique, et jaloux à la fois, dorlotant sa déprime, ou nourrissant son imaginaire libertin et pulsionnel (lui dira « amoureux ») de pensées pudibondes, d’images pieuses, et de violons : « Le 8 décembre 1990, la neige, à gros flocons, blanchissait la ville. […] Je déambulais au milieu des passants qui se délectaient de vins chauds et achetaient des lampions pour les enfants. […] Le contraste entre le souvenir de ma précédente visite à Fourvière et ce que j’expérimentais ce soir-là, seul et désabusé, augmenta mon sentiment d’inutilité et de gâchis de mon existence. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 99) ; « Je suis allée m’installer dans un café. J’ai commandé un sandwich et une bière et j’ai mis à profit le temps ainsi gagné pour écrire une longue lettre où j’essayais de coller à ma réalité. J’ai dit mon quotidien, mes émotions, mes sensations, ainsi que les difficultés auxquelles je me heurtais à cause de la jalousie de Martine. Et surtout, j’ai essayé de ne pas me gargariser de romantisme à deux sous. » (Paula Dumont se décrivant en train d’écrire une lettre à son amante Catherine, dans son autobiographie La Vie dure (2010), p. 53) ; « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprès d’elle ? » (idem, p. 164) ; etc.

 

Dans la série des créations bobos bisexuelles de l’exhibition émotionnelle narcissique, on trouve tous les docu-fictions où la « tranche de vie », sans but et sans intérêt (en tout cas tel qu’elle est montrée…) est vénérée en soi, comme une œuvre d’art sacrée qui ne doit pas être expliquée (« À quoi ça sert de justifier l’art ?, nous soutient mollement l’individu bobo homo, l’art est sa propre justification ! Et le miracle qu’il offre tous les jours à nos yeux est aussi insignifiant que mon quotidien, que ma vie. »). Je pense par exemple à la série télé-réalité super bobo/bisexuelle – Ceux qui vivaient toujours des soirées parisiennes – qui circulait à un moment sur Youtube, dans laquelle un appartement avec ses jeunes adultes est filmé une minute chaque jour : du quotidien déproblématisé et ronflant, sans autre intérêt que de nous mimer le narcissisme inavoué de ses concepteurs… Je pense également au docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider, dans lequel Gabriel, homo et comédien, raconte ses sensations post-spectacle, le stress et le calme de l’« Artiste » avant/après une pièce. Ça n’apporte rien, mais tant pis : ça fait « posture esthétique ».

 

 

L’individu homo bobo trouve la voie de la création de naturel soit par l’écologie « militante », soit par l’art. Il est un homme du terroir, certes,… mais surtout un poète (dilettante) ! Il adore l’acte d’écriture en lui-même, vénère l’art pour l’art, tient le statut d’artiste pour indiscutablement révolutionnaire. Jamais il ne lui vient à l’idée qu’un écrivain puisse parfois écrire de la merde, que tout le monde n’est pas fait pour ça, et qu’écrire n’est pas toujours un acte divin ou militant. Il existe aussi des auteurs lâches et soumis, des gratte-papiers sans idées nobles à défendre, qui ne sont pas à leur place et qui ne méritent pas leur statut d’artistes.

 

Côté cinéma, on assiste à la même hypocrisie formelle. Le boboïsme est le kitsch de celui qui se la joue pauvre, « petits moyens », faux ratés : techniquement, le réalisateur bobo homo se plaît à rendre ses photos floues, aime filmer en super 8, ou tourner en caméra simple : cf. le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, le film « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung, le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer (intégralement tourné en caméra subjective), le film « Hooks To The Left » (2006) de Todd Verow (filmé sur un téléphone cellulaire), etc. Ça tremble, c’est faussement hésitant, et ça flanque la gerbe aux spectateurs… mais on s’en fout : ça fait authentique, ça fait « Nouvelle Vague », ça fait triste et beau à la fois, ça fait profond. C’est d’ailleurs sa prétention à la création d’authentique (tache qui devrait revenir prioritairement à Dieu) qui rend l’individu bobo bisexuel si prétentieux et faux dans la sincérité « sobre ».

 

Le philosophe Philippe Muray, dans son essai Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), n’y va pas de main morte pour dénoncer l’imposture des « artistes ébouriffants, plasticiens, directeurs de théâtre, lobbies persécuteurs », des «bien-votants » bobos et « leur mystique droitdel’hommiste », qui « nous invitent à lutter contre les ‘préjugés (mais jamais les leurs !) » et qui nous imposent « leurs exhibitions théâtrales ridicules dans des friches industrielles, encore plus leurs installations plasticiennes mortuaires, encore plus leur étalage de leurs états dépressifs, qu’ils prennent pour le nombril artistique du monde et dont personne n’a rien à foutre » (p. 97).

 

 

Ce qui est ultra-agaçant chez l’individu bobo bisexuel, c’est en effet sa suffisance dans la nullité. Il dit ou répète des bouts de tirades qu’il croit magnifiquement simples sur un ton ampoulé mais à peine audible (c’est bien cela, la sensiblerie, finalement), enchaîne les syllabes alors que ces associations phoniques ne veulent pas dire grand-chose, ou sont totalement apprises : « La vie sera belle. Les matins seront éclatants. Tout recommencera. Tout recommence toujours. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 79) Je pense en particulier au passage du docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, où Denis, le narrateur homo, va, pendant un quart d’heure, déclamer toute une série de phrases commençant par « Je me souviens… » (moi, je faisais ça dans mes rédactions de classe de 6e au collège… et encore…), saupoudrées de quelques citations d’auteurs connus (on dit « indices d’intertextualité ») censées « faire littéraire » et donner une consistance à ce qui n’est qu’un bric-à-brac bobo de sensations égocentrées : « Je me souviens de t’avoir regardé avec des yeux de labrador. Je me souviens d’avoir pensé à Horace et son Carpe Diem. Je me souviens, en te touchant, d’avoir eu peur de te casser. [etc.] » Le sujet bobo bisexuel nous livre souvent la même scène de sincérité narcissique peu profonde, que l’on peut voir dans les feuilletons-télé ennuyeux de début d’après-midi ou dans les pièces contemporaines homosexuelles (cf. l’excellent sketch parodique « Le Doutage » des Inconnus), dans laquelle deux personnages, derrière une fenêtre vitrée, « philosophent » sur le monde, le paysage qu’ils voient, les passants qu’ils regardent de loin, tout en fixant l’horizon sans s’observer entre eux, et en faisant chier la Terre entière.

 

Pire encore : comme il désespère de la vanité de son romantisme sans fond et de ses efforts artistiques pour devenir un Créateur d’Authentique, il arrive parfois que l’artiste bobo bisexuel essaie d’atteindre le Vrai par le recours à la violence. En pratiquant un art iconoclaste de la destruction, de la saleté, ou de la dérision « pure », il prétend « questionner » le monde de l’art tout en entier, ébranler nos certitudes et nos normes sociales. Il fait semblant de « réfléchir » sur des problématiques qui ont déjà été bouclées depuis des lustres (« À quoi sert l’art ? Peut-on tout dire et rire de tout ? Qu’est-ce qu’un acteur et qu’est-ce qui le distingue d’un personnage ou du public ? L’art peut-il se supplanter à la politique ? Pourquoi une mouche ? ») et que surtout il ne prétend pas résoudre. Il les fige en posture esthétique narcissique magnifiant le doute nihiliste, feint de réfléchir sur l’acte d’écriture/l’acte scénique, tombe à son insu dans la masturbation intellectuelle. Il se croit hyper profond et intéressant. En réalité, il emmerde tout le monde (y compris lui-même).

 

La confusion entre esthétique et éthique, entre art plastique et mode de vie, est le propre du boboïsme. L’individu bobo bisexuel s’axe en général sur les goûts en les confondant avec l’Amour pour se dispenser d’être et de penser (ceci ressort particulièrement sur les profils de présentation personnelle des internautes sur les sites chat de rencontres homos). Pour lui, c’est « profond » de confier qu’il aime les voyages, les massages tantriques, le thé aux senteurs exotiques inédites, un parfum particulier, les gants en laine, le vent dans les arbres, la musique classique aussi bien que le jazz manouche, les petits plaisirs simples comme les plaisirs sophistiqués, le fait de cuisiner (… si son copain n’est pas un fin gourmet et ne connaît pas l’art de la table, c’est quasiment une fin de non-recevoir !), etc. Il déverse sous forme de liste ce qu’il croit être, alors que les goûts, c’est ce qu’il y a de plus relatif, de plus superficiel et de plus extérieur à une personne.

 

Le bobo bisexuel vit sa vie en chanson. C’est un immense clip mélo, qui le transforme en héroïne tragique du pavé, qui rejoue son drame d’amour homo en mode REPEAT. « Il y a bien sûr l’option musicale. 50% des chansons, c’est autour du thème de l’amour perdu, il y a largement le choix. Pendant des années, ces morceaux passent au-dessus de votre tête, comme lorsqu’on frémit intérieurement devant l’entrée des urgences des hôpitaux, en espérant ‘Pourvu que ça ne m’arrive pas tout de suite’. Tout le sens de ces paroles vous échappe, le vrai sens des mots, la poésie du drame. » (Didier Lestrade)

 

 

Chez l’individu bobo bisexuel, la musique a une importance centrale dans la mise en scène pathos de sa conception de l’authentique. En gros, il vit son amour comme un clip. « Une fois rentrées à la maison, nous avons écouté Jessye Norman en nous serrant tendrement l’une contre l’autre sur le vieux canapé du salon où nous avions pris place. » (Paula Dumont parlant de son couple – raté – avec Catherine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 46) La musique constitue pour lui une coupure esthétique indispensable, un charme inégalable de la vie… qui généralement anticipent le passage au lit, ou parfois l’encadrent.

 

 

Quand il parle d’amour, il se focalise tellement sur ses sensations qu’on a parfois l’impression qu’il se masturbe tout seul et qu’il en oublierait presque l’identité de celui avec qui il le fait, ou qu’il se sert de son amant virtuel ou épistolaire pour gommer le caractère pathétique et égoïste de son film intérieur. En d’autres termes, il érotise, sentimentalise, et esthétise la pulsion. Il confond goûts et amour, l’amour avec son enveloppe, l’amour avec la sensation (limitée et auto-centrée) de celui-ci, l’amour avec un roman-photos adulescent : « Disparaissent alors le souvenir de son odeur dans le creux de ses pectoraux, les poils de son ventre, ses mains larges et ses pieds plus forts encore, la barbe pas entretenue, naturelle, lente à pousser mais si douce à caresser, le collier autour du coup, un simple cordon de cuir qui vient d’Éthiopie, une voix douce et masculine sans faire d’effort et tout un lot d’expressions écrites que je notais pour être certain de ne pas rêver. Hay ! Howdi ! À nous ! Je vais courir et après on se skype bébé ! Miss your smell at nite. PTR commence pas hein. Hé ma puce ! Et vous regrettez alors de ne pas avoir pris de photo de tous ces portraits et ces choses banales car on était si humbles qu’on oubliait carrément de le faire. Il n’y a pas de photo de lui dans les rues de sa ville, lui tenant parfois ma main, pas de promenade avec son chien, pas de photo à la gare quand il me raccompagnait. Nothing but heartaches. Le dude vous a mis TKO. Christ wins. » (Didier Lestrade)

 
 

La bohème, la bohème… ça voulait dire on est peureux (ça voulait dire on est vieux, aussi !)

 

Boîte lesbienne "Le Pulp" à la fin des années 1990, Paris

Boîte lesbienne « Le Pulp » à la fin des années 1990, Paris


 

Vous l’aurez compris. L’individu bobo bisexuel, parce qu’il a peur de désirer, est un faux bon-vivant, un faux détendu, un faux « cool » frustré et bourré de complexes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans beaucoup de documentaires et d’interviews, il se dépeint comme un Homme dépressif, désabusé, emporté par sa nonchalance, sa tristesse, et son indifférence : cf. le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler.

 

Souvent, dans la vie réelle, c’est un triste sire, sans beaucoup d’humour : cf. la pièce Le Cabaret des utopies (2008) du Groupe Incognito (où on assiste à la litanie mi-amusée mi-déprimée des trentenaires gauchistes déçus par leurs propres rêves « révolutionnaires »), la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, la pièce Golgota Picnic (2011) de Rodrigo Garcia, le sketch parodique des théâtreux bisexuels « Les Œils en coulisses » interprété par les Inconnus, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec la chanson « Bang bang » de Nancy Sinatra), etc.

 

 

L’individu bobo bisexuel adopte un narcissisme non seulement désenchanté, mais aussi mortel. Par exemple, il dit aimer les « chanteuses réalistes », un peu dark et délire mais quand même écorchées : Fréhel, Édith Piaf, Yvette Guibert, Mélanie Laurent, Rose, Brigitte Fontaine, Catherine Ringer (à la rigueur…), Barbara (évidemment !). C’est un déçu de l’Amour, un blasé des gens et de la société toute entière. Il ne croit plus en la politique ni en la gauche (qu’il a pourtant défendue vaillamment dans ses jeunes années), ni même en la Nature qu’il voit mourir avant l’heure. Il aborde le combat de vie comme un existentialisme, c’est-à-dire une lutte perdue d’avance ; et en partant de ce postulat défaitiste (lui dira « réaliste ») de la condition humaine, il pense que sa seule liberté s’exerce dans les efforts à donner un peu de sens et de beauté à son existence insensée, à travers un engagement politique et artistique, et à travers la recherche des plaisirs qui le consoleront tant bien que mal d’être mortel.

 

Comme le bobo est un bourgeois (ne l’oublions pas), il aime les sophistications langagières, même « cheap » (oh ! tiens ? un mot anglais !) ou un carrément « vulgos ». Il va trouver ça charmant et original de truffer ses propos de mots étrangers, et surtout anglais, pour se distinguer. Parce que l’anglais, il trouve ça parfait pour « déprimer en beauté » : « Et vous tombez amoureux. Et lui aussi. Cette fois, vous avez décidé de faire un sans faute, c’est comme si vous portiez une pancarte avec marqué dessus DON’T FUCK UP parce que l’expérience sert à ça, pas trop vite, pas trop lentement, one step at a time, vous retenez le flux au maximum jusqu’à ce que ça devienne intenable pour ne rien casser. Vous avez un diamant brut dans les mains et ça ne sert à rien de brusquer les choses, you know the drill, il suffit de tenir sur le cheval et lui montrer que vous lui faites confiance en serrant bien les jambes pour lui montrer que vous êtes bien en équilibre sur la selle et de là-haut vous voyez bien, au loin, vous regardez l’horizon et le cheval vous suit mais en fait c’est lui qui fait tout le travail. Ça vous revient naturellement, après toutes les chutes du passé quand le cheval s’emballe parce qu’il a peur ou qu’il veut vous tester mais là c’est pas la peine car il est sympa et il voulait une promenade lui aussi… » (Didier Lestrade) C’est ridicule, ado, mais sincère. On a juste honte pour lui…

 

Et quand il veut critiquer une personne d’une manière érudite qui cachera le fait qu’il n’a pas cherché à la comprendre, il sortira à peu près toujours les mêmes expressions qui font bien et qu’il croit rares : « téléphoné », « lénifiant », « logorrhée », « inepties », « éculé », « aphorismes », etc. Quand en revanche il est emballé par une œuvre ou une personne (toujours sans raison valable) et qu’il veut le montrer à tout le monde, il dira par exemple : « C’est lumineux, c’est frais, c’est jubilatoire.»

 

Derrière son hédonisme optimiste et humaniste de « Jean qui rit cyniquement/Jean qui pleure modestement » se cache en réalité une profonde misanthropie et un désir de mort. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il a tendance à se mettre à la place des morts, des absents, ou des personnes âgées, souvent dans l’optique pédagogique inconsistante de l’expression d’un « Carpe Diem » (= Profite de la vie avant qu’elle ne passe), dans l’optique narcissique de s’imaginer écrire ses mémoires comme s’il était un génie qui allait mourir prématurément à 25 ans, et surtout dans l’optique existentielle de se suicider à petit feu (cf. tous les documentaires bobos avec la chanson « Bang Bang » de Nancy Sinatra qui revient en boucle). « Il pleurait. De joie. De peur. De déchirement. De Paris. D’être là, pas loin de la tombe de Marcel Proust. » (Abdellah Taïa parlant de lui à la troisième personne, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), pp. 62-63) Par exemple, tous les films du réalisateur Gaël Morel se transforment en clips géants mélos, dans lesquels il se fait plaisir en nous faisant écouter des chansons zen et déprimées.

 

Même si le l’individu bobo bisexuel a un côté « romantique chaviré » féminisé, il préfère a priori faire preuve de moins d’exubérance de sa peine que prévu (n’oublions pas qu’il veut vénérer avant tout la sobriété). La noirceur fumeuse et alcoolisée à la Patrick Dewaere, Mano Solo, Guillaume Dustan, Patrice Chéreau, Renaud Camus, Thomas Doustaly, Didier Lestrade, Lou Reed, Bernard-Marie Koltès, lui sied davantage que la comédie chagrine de la Drama Queen maraisienne. Pour lui, l’homosexualité noire est plus crédible, plus radicale, plus brute, plus adulte, plus « mâle »… bref, moins théâtral, moins « pédale décérébrée »… moins homosexuel !

 
 

IV – LA DÉPRIME SENTIMENTALISÉE ET ÉROTISÉE :

 

Après la politique, la religion et l’art, parlons d’amour et voyons maintenant comment la boboïtude s’articule au quotidien avec la pratique homosexuelle et les considérations sentimentales. Car comme l’individu bobo bisexuel a une trouille gigantesque d’appartenir, de se donner totalement et de s’engager (alors que l’Amour vrai n’est pas autre chose que le don entier de sa personne à l’Amour dans l’altérité des sexes), il déprime et se contredit fatalement. Et ça donne de belles crises de mélancolie bobo-pédaloïdes !

 
 

L’intention d’aimer plutôt que le désir en actes

 

La prévalence, du désir d’aimer sur l’amour en acte, est importante à prendre en considération dans le fonctionnement du désir homosexuel (« J’ai dans mon autre moi un désir d’aimer comme un bouclier. » cf. la chanson « Tous ces combats » de Mylène Farmer). Pour l’individu bobo bisexuel, l’amour ne se conjugue pas pleinement au présent : c’est une projection, une intention, une sincérité, une franchise, une image d’Épinal, une sensibilité à l’art, plus qu’une réalité. C’est cela qui ne le rend si compliqué, si torturé.

 
 

Surtout, je ne drague pas ! Je courtise sans le vouloir…

 

La particularité de l’individu bobo bisexuel, c’est qu’il désire peu, et qu’il met en veilleuse ses désirs profonds, sa joie, son humour, pour se construire une prison amoureuse de volontarisme ou de hasard, où l’intellectualisme et l’instant passeront avant l’humain. Là où mon désir est absent, dit-il, là seront mon cœur et mon destin !

 

Quand on traîne un moment sur Internet et les sites de rencontres gay, on finit par être frappé par une chose : l’absence de désir et de foi en l’Amour parmi les inscrits. Ils sont a priori tous là pour l’Amour… et en même temps, concrètement, ils n’y sont. Dès qu’on teste un peu leurs attentes et leur capacité à s’engager vraiment, on tombe de haut. On a envie de se dire en les voyant : quelle tribu de « sans-désir » bobos ! si sincères mais pas vrais !

 

Être bobo, c’est être ennemi du désir durable et profond. C’est être ennemi de la liberté et de la volonté (même si, paradoxalement, la boboïtude procède de l’idéologie libertaire politisée). Pour le sujet bobo homo, tout plutôt que montrer qu’il désire ! Car à ses yeux, aimer « c’est la honte », c’est une faiblesse et une soumission. S’il passe voir des amis, ce sera, selon ses plans, toujours « à l’improviste », pas programmé. S’il part en voyage, c’est « sur un coup de tête », sans prévenir personne. S’il veut draguer, il préfère proposer de « prendre juste un verre ». Et il croit qu’il n’aime vraiment quelqu’un que s’il ne lui montre pas qu’il l’aime, que si l’amour s’impose à lui sous forme de coup de foudre ou de long silence entendu. Il considère que l’Amour est une question de « moment » (pas de « vie entière »), de hasard ou destin (pas de plan divin laissant libre), de sincérité (pas de vérité), de « feeling » (pas d’invisible incarné). Il adopte la loi de la simultanéité amoureuse parfaite ; bref, de la fusion. L’Amour s’imposerait comme une évidence incontournable, sans que lui et son amant ne s’y attendent et soient libres de Le refuser. Cet « Amour » serait à la fois chimique et divin. Une telle conception totalitaire de l’Amour sent, en arrière-fond, la justification aveugle de la pulsion, et même du viol (« Je sais que tu es fou de moi ; Si tu te refuses à moi, c’est juste que tu n’oses pas encore te l’avouer et que tu nies l’Évidence. » ; « Tout arrive. Nous n’avons pas le choix. En amour, ce qui doit se faire se fait. Nous étions destinés. Si tu me résistes, c’est que tu es un ennemi de l’Amour ! »).

 

L’individu bobo bisexuel aime se rejouer la comédie de la « premières fois », car c’est précisément lors des premières fois que notre liberté et nos désirs sont les plus menacés : « J’essaie de me rappeler. Le début. Ce qui m’a attiré. La nuit. Une boîte de nuit où je me rendais pour la première fois de ma vie. La foule branchée que je n’aimais pas. […] Il dansait. Seul. […] Plus tard, audacieux, je lui ai parlé, je l’ai complimenté. Il a levé les yeux, a souri et moi je suis tombé amoureux, immédiatement, instantanément. On appelle ça le coup de foudre. Moi, j’appelle ça la reconnaissance mutuelle. […] Je ne l’ai pas quitté. Il ne m’a pas quitté. On a dansé ensemble. Une fois. Un slow. ‘Pull marine’. Isabelle Adjani. » (Abdellah Taïa par rapport à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 108)

 

Il développe l’idée selon laquelle, parce qu’il ne peut logiquement pas rencontrer « l’amour de sa vie » en boîte ou au sauna ou sur Internet – parce que son « éthique » personnelle l’exige, et parce qu’il n’irait jamais dans ce genre de lieux-là habituellement (mon œil, ouais !) –, c’est forcément là qu’il le rencontrera exceptionnellement : cf. la chanson « Mon Fils » de Nicolas Bacchus (où le chanteur raconte comment il a rencontré son copain en boîte). L’improbabilité sera pour lui la preuve que sa pulsion s’est transformée en amour vrai comme par magie : cf. je vous renvoie à la partie « Paradoxe du libertin » dans le code « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Comme l’individu bobo bisexuel est un hypocrite et un suiveur sincère, il n’assume pas sa drague même quand il drague vraiment. Par exemple, il considère comme une forme de charité héroïque le fait de ne pas être allé jusqu’au bout dans la consommation sexuelle avec ses amants d’un soir, ou de ne pas avoir « craquer » le premier. Il adopte l’attitude du client qui paye un prostitué sans forcément coucher avec, du dragueur qui se targue de ne pas « niquer » le premier soir (… juste le troisième…), ou de l’adepte des câlins et des moments de tendresse gratuite (soutenant que « le cul pour le cul, ça ne l’intéresse pas » ; que le vocable « homosexualité » est réducteur car il transforme les personnes homosensibles en vulgaires « baiseurs » ; ou que les massages, ça n’a absolument rien d’ambigu). Le fantasme bobo par excellence, c’est de reproduire l’exploit de Richard Gere dans le film « Pretty Woman » (1990) de Gary Marshall : se payer une pute juste pour discuter avec elle, et la convertir magiquement en vierge, en amour de sa vie. Bienvenue dans la « Rue du Franc Bourgeois » !

 

Face à ses actions sensuelles dictées par ses pulsions, il simule à merveille l’étonnement ou la surprise de la vierge effarouchée, genre « Je ne sais pas ce qui me prend… » ou « Je ne suis pas celle que vous croyez… ». En réalité, il s’agit d’une fausse improvisation, d’un mensonge sur la rigidité/impulsivité mise en place. Chez l’individu bobo bisexuel, tout doit arriver avec le moins de désir possible (paradoxal pour quelqu’un qui se vante de parler d’Amour 24h/24…). Cet hypocrite en puissance est sincère dans sa perversité, inflexible dans sa mollesse ou son relativisme, lâche dans son laisser-faire qu’il fait passer pour héroïque et détendu. Il ne se voit pas faire de comédie tellement il mise tout sur la sincérité, l’intention d’innocence. Il transforme ses viles pulsions en hasard indomptable, puis ce même hasard en évidence d’Amour. Il veut faire passer sa retenue/son abstinence pour noble, alors qu’en réalité il la fera voler très vite en éclat au moment opportun, il refuse lâchement de s’abandonner à l’Amour qu’il considère comme une maladie, un terrible danger. Il a peur de se voir fragilisé par ses passions, de ne pas les contrôler… parce que dans le fond, il ne veut pas les connaître ni les contrôler.

 

L’individu homo bisexuel a le rêve secret d’être unisexué voire asexué comme un ange, d’être un simple et innocent amoureux (même quand il a été très génital en actes). « Le sexe avec toi avait cessé d’être uniquement du sexe. » (Abdellah Taïa par rapport à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 118)

 

Film "Shortbus" de John Cameron Mitchell

Film « Shortbus » de John Cameron Mitchell


 

Il se donne bonne conscience en sacralisant une génitalité minimaliste, trop fragile et épurée (la défaillance devient une valeur ajoutée à l’acte de consommation !) pour être vraiment légère et gratuite. Son imaginaire pulsionnel, qui repose prioritairement sur la matérialité corporelle extérieure, va acquérir une dimension sacrée, intérieure, grâce au silence. Le néant amoureux, le vide, ont valeur de Tout, de plénitude indicible, à ses yeux : « On a marché. On ne s’est pas dit grand-chose. C’était bien. Merveilleusement bien. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 48) Je pense par exemple à l’insupportable et satisfaite voix-off énamourée/marmonnée du film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta.

 
 

« Prends soin de toi… Je t’embrasse… Fais de beaux rêves »

 

L’individu bobo bisexuel adore les au revoir laconiques, les amours impossibles, la symphonie des adieux, les « je t’aime » tus, la sobriété singée (cf. l’album « La Pudeur » d’Oshen), l’Inachevé : c’est si romantique, l’absence ! « Je n’ai jamais répondu aux deux SMS pleins de bisous de Javier. Je n’avais plus rien à dire. » (cf. les dernières lignes du chapitre II de l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, p. 54)

 

D’ailleurs, quand il drague et veut à tout prix montrer « discrètement » qu’il est intéressé par l’internaute qu’il vient de connaître il y a à peine 3 heures, et avec qui il veut déjà coucher dans la seconde (… mais patience, patience… simulation de patience), il arrive généralement avec ses gros sabots et sort toujours la même artillerie lourde de la fausse pudeur. Par exemple, il termine souvent ses mails/lettres par des formules laconiques bien appuyées du type « Prends soin de toi », « Je t’embrasse » « Fais de doux rêves, mon cher X… » (J’en garde, croyez-moi, des souvenirs de fin de chat internet enflammé sur les sites de rencontres homos !) Comme il n’assume pas d’aimer, il dit qu’il réserve son « je t’aime » à la personne de sa vie… pour finalement, dans les faits, ne jamais le vivre vraiment, et le distribuer comme un soi-disant cadeau originel à tous ses amants de passage…

 

L’individu bobo bisexuel veut faire passer sa retenue laconique pour héroïque, alors qu’en réalité, il la fera voler très vite en éclat au moment opportun. Il refuse lâchement de s’abandonner à l’Amour qu’il considère comme une maladie, un terrible danger. Il a peur de se voir fragilisé par ses passions, de ne pas les contrôler… parce que dans le fond, il ne veut pas les connaître ni les contrôler : « Faire court. Moins lyrique. Moins grandiloquent. Moins ridicule. Elle [Gabrielle] ne se pardonne pas les fadaises qu’elle lit sous sa plume. » (Gabrielle, l’héroïne lesbienne du roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 77)

 

Il utilise le sexe pour avoir encore la sensation d’être en vie… mais ce qu’il ne dit pas, c’est que pour se réfugier à ce point dans le sensitif, dans les plaisirs faciles, dans les paradis artificiels extatiques, il faut être sacrément drogué, anesthésié, malheureux, hors de sa sphère de conscience, se conduire vraiment en animal ou en minéral. Bref : ne plus se sentir. Il cherche à tout prix à ce que son corps vibre, jouisse, exulte… parce que dans le fond, il ne sent plus son cœur, et a honte d’avouer sa haine de lui-même.

 

Finalement, le bobo bisexuel impose à la société (et s’impose surtout à lui-même) la rupture et la fusion amoureuses. Autrement dit, selon lui, nous devrions tous être des célibataires en libre service (qui couchons ponctuellement les uns avec les autres) et des femmes-enfants, séductrices et indépendantes. Il rentre (inconsciemment ?) dans la peau de la Mademoiselle ou de la Jeune Fille, véritable topic bobo (souvent entourée, dans ses clips, de boîtes à musique, de coloriages et de dessins animés enfantins) : cf. je vous renvoie à l’excellent essai Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille (2001) de Tiqqun (« Le concept de la Jeune-Fille n’est évidemment pas un concept sexué. Le lascar de boîte de nuit ne s’y conforme pas moins que la beurette grimée en porno-star. […] La Jeune Fille, à chaque instant, s’affirmera comme le sujet souverain de sa propre réification. », pp. 10-14) et aussi à la place prépondérante de la « Mademoiselle » (pseudo-romanichelle, avec des fleurs dans les cheveux, habillée en écolière ou en nuisette, on ne sait pas trop comment décrire son accoutrement) dans la fantasmagorie bourgeoise-bohème (cf. les vidéo-clips d’Olivia Ruiz, Brooke Fraser, Katie Melua, Vanessa Paradis, Mélissa Mars, Yaël Naïm, Mademoiselle K., Clarika, etc.).

 

 

D’ailleurs, les Mam’zelles (ZAZ, Mélanie Laurent, Vanessa Paradis, Charlotte Gainsbourg, Olivia Ruiz, Zazie, Juliette Gréco, Sofia Aram, Clémentine Célarié, Amandine Bourgeois, Ariane Ascaride, Dominique Bertinotti, Frigide Barjot et autres Zabou Breitman qui n’y connaissent rien à l’homosexualité même si elles sont toutes contentes de se dire « filles à pédés ») sont d’ailleurs les premières à signer les pétitions pour le « mariage homo ». C’est dire si la femme-enfant asexué(e) est devenu(e) l’horizon esthético-idéologique de mort de nos sociétés qui broient du noir façon « bobo ».

 

BOBO - Technikart Dalle Mademoiselle

Technikart Mademoiselle


 

Une chose est sûre : le bobo bisexuel est bien parti pour nous faire chier longtemps (c’est notre Guy Béart mondialisé) ! Pas indécrottable mais presque. Alors courage à vous tous ! L’Église catholique est là et sauve le mieux.

 

 

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