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Code n°75 – Fleurs (sous-code : Fleuriste gay)

fleurs

Fleurs

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Les fleurs sont les êtres vivants androgynes par excellence : elles ne possèdent ni organes génitaux, ni gamètes mâle ou femelle. C’est leurs principales caractéristiques. Symboles d’innocence absolue, de fantasme de se prendre pour Dieu, il était logique qu’elles soient récupérées par de nombreux artistes homosexuels, dans leurs créations comme dans le réel. Les personnes homosexuelles choisissent souvent la fleur comme étendards épinglés à leur poche de chemises, ou bien comme métaphores poétiques d’elles-mêmes. Toute-puissance de l’Être minéral désincarné, au corps éthéré et sans limite, synthèse inhumaine de la beauté et de l’amour (adolescent) : voilà ce qu’offrent les fleurs. La communauté homo a d’ailleurs choisi sa déesse d’identification : Ève, la femme végétale dont l’innocence florale ne tardera pas à voler en éclat dans le marais-cage du narcissisme (cf. Je vous renvoie au code « Femme végétale » du code « Bergère » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Amoureux », « Jardins synthétiques », « Se prendre pour Dieu », « Eau », « Ennemi de la Nature », « Innocence », « « Plus que naturel » », à la partie « Cuculand » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », à la partie « Plante carnivore » du code « Cannibalisme », et aux parties sur la « Femme végétale » et « Ophélie » du code « Bergère », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 
 

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FICTION

a) Le pouvoir des fleurs :

Film "Franswa Sharl" d'Hannah Hilliard

Film « Franswa Sharl » d’Hannah Hilliard


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, la fleur est fréquemment montrée comme un signe d’homosexualité : cf. le film « Homme aux fleurs » (1984) de Paul Cox, le film d’animation « La Princesse et la Grenouille » (2009) de Ron Clements et John Musker, le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec la fleur rouge sur l’oreille de Watson), le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen (avec les fleurs dans le générique du début), le vidéo-clip de la chanson « Mon Coloc » de Max Boublil, le film « Ken Burns » (2011) d’Adrienne Alcover (avec les fleurs tatouées), le tableau Jason, The Sexiest Of The Supreme Elves de Lorenn le Loki, le roman Les Hortensias (1896) de Robert de Montesquiou, la pièce Flor De Otoño (1972) de Rodríguez Méndez, le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin (avec l’orchidée), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, la pièce Flowers (1976) de Lindsay Kemp, la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le film « Ich Möchte Kein Mann Sein » (1933) de Reinhold Schünzel, le film « Illtown » (1996) de Nick Gomez, le film « Khochkach » (« Fleur d’oubli », 2006) de Salma Baccar, le dessin Il Papavero Rosa (1999) de Sandra Venturini, le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye (où la première image du film est un nénuphar), le tableau Osman (1972) de Jacques Sultana, la photo Le Marin (1985) de Pierre et Gilles, la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi, les photos Rose (1989) et Calla Lily (1986-1988) de Robert Mapplethorpe, le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine (avec des plans fixes sur une énorme fleur rose de bougainvilliers, qui entrecoupent les scènes d’action), le film « Frauensee » (« À fleur d’eau », 2012) de Zoltan Paul, le film « Soongava » (« Dance Of The Orchids », 2012) de Subarna Thapa, le roman Le Chancelier de Fleur (1907) de Robert de Montesquiou, le roman Le Silence des fleurs (2013) de Sophie Lapointe, le poème « Le Langage des fleurs » (1902) de Renée Vivien, le film « All Flowers In Time » (2010) de Jonathan Caouette, film « Spider Lilies » (2007) de Zero Chou (Jade, l’héroïne lesbienne, se fait un tatouage de fleur), la chanson « Monocle et col dur » de Juliette, etc.

 

Poème "Le Langage des fleurs" de Renée Vivien

Poème « Le Langage des fleurs » de Renée Vivien


 

La fleur renvoie à la beauté sacrée et réelle de la sexualité, de la virginité. « J’adore les fleurs blanches. » (Océane Rose Marie dans le one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Oui. Quelques hortensias. Ça devrait aller. » (la phrase finale de Lola, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Lesbos en fleur. » (le docteur Peloursat, dans la pièce 13 à table de Marc-Gilbert Sauvajon) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao, Philippe, l’un des héros homos, se retrouve à un moment donné en tenue d’Adam sur scène, avec une fleur de tournesol à la place du sexe. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, un narcisse est filmé en gros plan en éclosion… en hommage au narcissique Narcisse. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Eugenia arrange les fleurs dans la cuisine, pour le jour du « mariage » de Ben et George.

 
 

b) L’adolescent homosexuel se prend pour une jeune fille en fleur :

Le chanteur Federico Moura

Le chanteur Federico Moura


 

La fleur dit d’abord l’état béat et transitoire de l’enfance androgyne : cf. le roman À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919) de Marcel Proust, la chanson « Flower Power » de Nathalie Cardone, la chanson « L’Enfant-fleur » de Catherine Lara, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec la métaphore de l’enfant végétal), la chanson « Le Guide » de Stefan Corbin (et le narrateur et avec sa « salopette à fleurs »), etc. Par exemple, dans le roman L’Évasion de Kamo (1984) de Daniel Pennac, le jeune Kamo se fait appeler « Fleur ». Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis, le héros homosexuel, dit que lorsqu’il était petit, il voyait des visages humains à la place de tous les motifs fleuris des tapisseries de sa chambre d’enfant. Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, la chambre de Lord Henry est tapissée de lilas, de roses et de marguerites.

 

"Le Livre blanc" de Copi

« Le Livre blanc » de Copi


 

« C’est le champs de coquelicots où je cueillais des bouquets pour la fête des mères. » (Marco, le héros homosexuel se rappelant son enfance, dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault) ; « Ce fut même lui [Orphée] qui apprit aux peuples de la Thrace à reporter leur amour sur des enfants mâles et à cueillir les premières fleurs de ce court printemps de la vie qui précède la jeunesse. » (Ovide, Les Métamorphoses, Texte 4, X, 64-85) ; etc. Par exemple, dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo, le jeune héros homo de 13 ans, travaille avec ses parents dans la cueillette des fleurs.

 
 

c) Je suis une fleur :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Il arrive que le personnage homosexuel se considère comme la progéniture d’une mère végétale : « Quelles étaient les origines de cette femme ? […] Et d’où venait ce prénom, son prénom, Zhor ? D’un autre temps ? Zhor, une femme fleur. Toutes les fleurs ? » (Omar en parlant de sa mère, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 92) ; « Démerde-toi pour te réincarner en fleur, dans un champ vert et bleu. » (Vincent Garbo à Carole, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 89) ; « Je décide d’attendre sans bouger un long et profond sommeil qui ressemble à la mort comme je l’imagine. J’y vois maman dans une grande robe blanche. Elle me sourit, court dans un champ de fleurs bleues. On dirait qu’elle vole. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 88) ; « J’ai le charisme d’une feuille morte quand tous les jours je veux être une fleur » (c.f. la chanson « Il ou Elle » de Bilal Hassani) ; etc. Il s’agit souvent de la maman cinématographique : cf. le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec le générique fleuri du début, dans lequel chaque actrice est figurée par une fleur), le film « Miss O’Gynie et les hommes fleurs » (1973) de Samy Pavel, etc. Dans le générique du début du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, la tête des protagonistes lesbiennes est remplacée par un bouquet de fleurs.

 

Certains héros prétendent aimer énormément les fleurs : « J’aime les fleurs et le vent dans les branches. » (Aldebert dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) Ils les aiment tellement que beaucoup se prennent même (ou sont pris) pour des fleurs : cf. le film « Un Hombre Llamado Flor De Otoño » (1978) de Pedro Olea, le roman Notre-Dame des Fleurs (1946) de Jean Genet, la nouvelle « Fleur de chair » (2007) d’Yvan Quintin, etc. « Marie-Fleur est gouine de chez gouine. » (la mère du héros homosexuel, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Ils avaient rêvé d’avoir un fils comme lui, fonceur, costaud, bagarreur. J’étais le contraire : fragile de partout. Il m’appelait ‘Fleur de cristal’. » (Romain parlant de son père, dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 27) ; « Je ne supporte pas l’idée de flétrir. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Ne suis-je pas une adorable fleur ? » (Helena dans une nouvelle d’un ami homosexuel écrite en 2003, p. 10) ; « La forêt et moi, c’est la même chose. » (Julien Brévaille, l’un des héros homosexuels du roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 52) ; « Si tu étais un minéral, que serais-tu ? » (Pablo posant une question à son futur-amant Bruno, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago, un des deux protagonistes, a un nom de famille particulièrement significatif : il s’appelle La Rosa. Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Prior se compare à une fleur, l’orchidée. Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Benjamin, l’un des héros homos, au moment de se choisir une fleur d’identification, dit qu’il est un cactus.

 
FLEURS 3 Grand Schtroumpf
 

On retrouve le cliché du fleuriste homosexuel dans certaines fictions homo-érotiques : cf. le film « À cause d’un garçon » (2002) de Fabrice Cazeneuve, le film « Rachel Getting Married » (« Rachel se marie », 2008) de Jonathan Demme, le roman La Cité des rats (1979) de Copi (avec les géraniums ;ainsi que l’enterrement de la mère de la fleuriste), le film « Valentine’s Day » (2009) de Garry Marshall, le roman Monsieur Vénus (1889) de Rachilde (avec le jeune ouvrier fleuriste), : le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, etc.

 
 

d) Se prendre pour une fleur divine… ou même le Créateur des fleurs ! :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Le symbole de la fleur illustre chez le personnage homosexuel qui s’y identifie un fantasme de se prendre pour un ange ou pour Dieu : cf. le roman Les Lesbiennes, ces fleurs du bien (2011) de M. Milan, la pièce Le Langage des fleurs (1935) de Federico García Lorca, etc.

 

Par exemple, dans la pièce musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet, Álvaro nous apprend que les fleurs sont « son péché mignon ». Dans Notre-Dame des Fleurs (1946) de Jean Genet, le prostitué travesti qui a donné son prénom au titre de ce roman se surnomme « Divine ». Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, Audric a le pouvoir de créer des fleurs et s’intéresse à la botanique.

 

Bien évidemment, ce fantasme finit par se révéler éphémère : « J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! » (Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer, 1873)

 
 

e) L’amant homosexuel floral :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Les fleurs représentent également l’amour homosexuel ou l’amant homosexuel : cf. le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, le film « Say It With Flowers » (1934) de John Baxter, la chanson « Madeleine » de Jacques Brel (avec le bouquet de lilas que Madeleine ne recevra pas), le film « L’Invité de la onzième heure » (1945) de Maurice Cloche, le film « The Pollen Of Flowers » (1972) d’Ha Kil-jong, le tableau Robinson et Vendredi (2007) d’Éric Raspaut, le tableau Francis et Laurent (2007) de Kinu Sekigushi, etc.

 

Par exemple, dans le film « Imagine Me & You » (2005) de Ol Parker, l’idylle amoureuse entre Rachel et Luce s’entoure de fleurs. Luce est fleuriste de métier, déjà. La première fois qu’elles s’embrassent, c’est sur un coussin de fleurs et de roses odorantes dans l’arrière-boutique. Et tout leur « amour » est centré sur le lys : c’est la fleur préférée de Rachel, et celle-ci signifierait l’amour : « Le lys veut dire : Je te défie de m’aimer. »Dans la saison 2 de la série lesbienne The L World (saison 2), Shane s’amourache de la fleuriste qui vient lui livrer des fleurs. Dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot, Sidonie, l’héroïne lesbienne, doit broder un dahlia rose sur demande (ambiguë) de la Reine Marie-Antoinette : « Une broderie qui imiterait un dahlia… Vous voyez ? » Dans le film « Seijû Gakuen » (« Le Couvent de la Bête sacrée », 1974) de Noribumi Suzuki, on assiste à des scènes lesbiennes parmi les fleurs. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah et Charlène, les deux amantes, à chaque fois qu’elles s’adonnent à une séduction homosexuelle, portent comme par hasard, une robe fleurie. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony MacMurrough, un des héros homosexuels, se sent « comme une jeune fille avec sa fleur » ; et il voit ses amants-prostitués de manière similaire : « C’est drôle, cete façon qu’ils ont de vous déshabiller toujours de dos. Dévoilant la fleur de leur virginité. »

 

« Chaque fleur a son pot. Mais pas de fleur, pas de pot. » (Benoît, évoquant l’absence de compagnon dans sa vie, dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « Je lui montrais comment faire une explication pour le bac en français. On avait un groupement de textes tiré des Fleurs du mal. Quand je relisais avec lui ‘Parfum exotique’, j’avais des frissons des pieds à la tête. J’avais l’impression que ça parlait de lui, de nous. » (Mourad, l’un des personnages homosexuels, parlant d’Esteban, un camarade de classe, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) ; « Puis lui vint la conviction que cette femme était belle : elle ressemblait à une fleur étrange qui aurait poussé dans l’obscurité, quelque fleur rare, quelque fleur pâle sans tache ni imperfection. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, à propos d’Angela Crossby dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 173) ; « Elles s’en allèrent par les jardins […] car les jardins étaient doucement embaumés de l’odeur des giroflées et d’autres pâles fleurs […] Stephen pensait qu’Angela Crossby ressemblait à ces fleurs. » (idem, p. 189) ; « Ses mains encore dans mes cheveux. Ses yeux sérieux que je regarde de tout près bien qu’il fasse trop sombre maintenant pour y distinguer quoi que ce soit d’autre qu’un fugitif éclat de lumière. Alors une brusque exhalation de tout le corps – comme en ont les fleurs, par à-coups – venue on ne sait d’où, on ne sait de qui (peut-être à la fois de nous deux) nous inclut lentement dans le même remous, nous relie aux mêmes vibrations, comme si l’air entre nous les vêtements et jusqu’à la peau même tout avait disparu, abolissant jusqu’à la conscience claire d’être soi devant l’autre… » (Mireille Best, Hymne aux murènes (1986), p. 143) ; « Ahmed tourne le regard vers la Seine et l’île de la Cité, avec la Cathédrale Notre-Dame. Il se demande s’il y a encore un Quasimodo qui y vit, prêt à tout par amour pour lui. Il s’imagine en un grand Tzigane ténébreux et sensuel, dansant sur le parvis, mais en pleurs parce que son beau Phébus l’a laissé pour épouser un autre garçon, Fleur-de-Lys, alors qu’il est lui-même poursuivi par Frollo, un prêtre déterminé à en faire son amant secret. Dans ses fantasmes, l’Algérien adapte sans gêne les grands classiques français à sa guise ! » (p. 52) Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010) , p. 52) ; « Tu déboules comme une fleur. Il faut que j’assume ! » (Delphine en voulant à sa copine Carole de la forcer au coming out, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; etc.

 

Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, l’amour lesbien est véritablement mis sous le signe de la fleur. Déjà, Ronit est comparée à une belle plante : « Ronit était là. Telle qu’Esti en avait gardé le souvenir, et plus encore. Dès le premier coup d’œil, on voyait qu’elle ne vivait plus ici ; elle ressemblait à une fleur exotique qui aurait poussé de façon inopinée entre les pavés. Rose et somptueuse, elle était habillée comme les femmes des magazines ou sur les affiches. » (p. 85) Et lorsque Ronit et Esti s’offrent des fleurs (« Tiens. C’est pour toi. Des hortensias. », p.225), le lecteur comprend qu’elles vont finir par coucher ensemble. Dans leur cas, l’hortensia est la métaphore botanique (cucul à la base ; mais pas si élogieuse, au final) de leur « amour » qui grandit : « L’hortensia avait poussé à la diable, le sol était trop humide pour y ramper. Je n’aurais pu m’asseoir en dessous, même si je l’avais voulu. D’ailleurs, j’étais beaucoup plus grosse qu’à l’époque. Je suis pourtant restée longtemps accroupie, les paumes appuyées contre le sol humide, les ongles enfoncés dans la terre. Je me suis finalement relevée et, tandis que je retournais chez Esti et Dovid [le mari d’Esti], je tentais de gratter la ligne de terre emprisonnée sous mes ongles. Et plus je grattais, plus elle s’enfonçait, le noir s’incrustait dans le rouge. […] Cela faisait des années que nous nous étions approprié l’hortensia. Dedans, nous étions invisibles, hors de portée de la maison, des regards du dessus et alentour. Il y avait l’odeur, je m’en souviens. Un arôme puissant d’hortensia pourri et d’humus. Encore maintenant, l’odeur végétale des hortensias conserve son pouvoir. » (Ronit, op. cit., pp. 212-213)

 

Étant connotée amoureusement (comme la danse), la fleur est en général la représentation d’une génitalité irréelle, décorporéisée, non-reconnue, non-respectée : « Tu étais une petite fleur et je t’étouffais. » (Schmidt s’adressant à son ami Jenko, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller)

 
 

f) Les fleurs du viol :

Je vous renvoie à la partie « Plante carnivore » du code « Cannibalisme » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Par frustration due à l’éloignement du Réel, le héros homosexuel fictionnel cherche souvent à détruire les fleurs et l’amour désincarné qu’elles représentent. Par exemple, dans le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler, la jeune Mary vole le bouquet de roses, en voulant le faire passer pour une preuve incriminante du lesbianisme entre Karen et Martha. Dans le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen, Göran, l’un des héros homosexuels, détruit les fleurs du jardin de ses voisins, en signe de riposte contre leur « homophobie hétérosexuelle ».

 

Les fleurs peuvent indiquer l’existence d’un amour-trahison, la violence douce et trompeuse de l’amour homosexuel. « J’avais l’impression d’avoir donné mon âme à un être qui met une fleur à sa boutonnière. » (Basile le peintre, parlant de Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Avant que ses baisers ne deviennent couteaux, que ses bouquets de fleurs ne me fassent la peau, dés-adorer l’adorer. » (cf. la chanson « L’adorer » d’Étienne Daho) ; « Tu es la fleur empoisonnée de mon ultime sérénade, ma séductrice envenimée. » (Cachafaz à son amant Raulito, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « T’avais dans la tête une fleur dont les pétales te faisaient peur. C’est pas facile de vivre avec. » (c.f. la chanson « À quoi ça tient » de Romain Didier) ; etc.

 

Pièce "Nous sommes une femme" de Jean-Philippe Daguerre et Charlotte Matzneff

Pièce « Nous sommes une femme » de Jean-Philippe Daguerre et Charlotte Matzneff


 

Très souvent, la fleur est liée à un secret : cf. le film « Hana To Hebi » (« Fleur secrète », 1974) de Masaru Konuma, le film « La Flor De Mi Secreto » (« La Fleur de mon secret », 1995) de Pedro Almodóvar, la chanson « Les Fleurs de l’interdit » d’Étienne Daho, etc. Je pense qu’inconsciemment, ce secret, c’est le viol. « C’est un marchand de fleurs. Ma colline, mon coin non fumeur. C’est un garçon d’honneur, une vigne où le mistral se meurt. […] Et c’est pour aller vivre ailleurs qu’on abîme ce qu’on était hier. C’est comme un dard en plein cœur, une épine qui rougit de sa fleur. […] Ailleurs, l’herbe n’est pas plus belle. D’ailleurs, j’ai honte de celle, celle qui pour se faire aimer cachait son herbe folle, même s’il en restait un brin dans ses paroles. » (cf. la chanson « Marchand de fleurs » des Valentins). Dans l’épisode 7 de la saison 3 de la série Astrid et Raphaëlle (2021), intitulé « Les Fleurs du mal », ce qui lie – mais finalement aussi conduit à la mort – les deux amantes lesbiennes Françoise Martoli et Delphine Burand, c’est leur amour lesbien secret scellé par la création (par Françoise, horticultrice du Jardin des Plantes à Paris) de roses bleues. Le mari de Delphine, en découvrant le pot aux roses (… bleues !) les tuent toutes les deux par jalousie.

 

Film "Otto" de Bruce LaBruce

Film « Otto » de Bruce LaBruce


 

Dans le discours du héros homosexuel, la fleur renvoie parfois à la beauté de la sexualité flétrie ou abîmée par le (fantasme de) viol, le (fantasme d’) inceste, ou la (fantasme de) prostitution : cf. le film « The Flower Thief » (1960) de Ron Rice, le film « House Of The Black Rose » (1969) de Kinji Fukasaku, le film « Belle Salope » (2010) de Philippe Roger (avec Cédric, jeune prostitué, avec son bouquet de fleurs destiné à la base à sa mère internée dans une clinique psychiatrique), le roman Notre-Dame des Fleurs (1946) de Jean Genet, le roman Flor Del Mal (1924) d’Álvaro Retana, le recueil poétique Les Fleurs du mal (1857) de Charles Baudelaire, le film « Dahlia noir » (2006) de Brian De Palma, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz, le film « Les Filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie, etc. « Tu lis Les Fleurs du mal ‘aimé’ : c’est le livre le mieux pour l’été. » (cf. la chanson « Toc de mac » d’Alizée) ; « Cette fleur, il me l’a volée. » (la voix-off de l’ange se faisant sauvagement sodomiser, dans le film « Toto Che Visse Due Volte », « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « Le sexe est une fleur maudite plantée entre deux cornes de Satan ! » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 25) ; « Elle faisait vraiment vieille pute, dans son peignoir à fleurs. Peut-être était-elle réellement une pute, d’ailleurs. » (Corinne décrivant sa mère, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 226) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] avait erré jusqu’à un vieux hangar où l’on rangeait les outils de jardinage et y vit Collins [la femme que Stephen aime] et le valet de pied qui semblaient se parler avec véhémence, avec tant de véhémence qu’ils ne l’entendirent point. Puis une véritable catastrophe survint, car Henry prit rudement Collins par les poignets, l’attira à lui, puis, la maintenant toujours rudement, l’embrassa à pleines lèvres. Stephen se sentit soudain la tête chaude et comme si elle était prise de vertige, puis une aveugle et incompréhensible rage l’envahit, elle voulut crier, mais la voix lui manqua complètement et elle ne put que bredouiller. Une seconde après, elle saisissait un pot de fleurs cassé et le lançait avec force dans la direction d’Henry. Il l’atteignit en plein figure, lui ouvrant la joue d’où le sang se mit à dégoutter lentement. Il était étourdi, essayant doucement la blessure, tandis que Collins regardait fixement Stephen sans parler. Aucun d’eux ne prononça une parole ; ils se sentaient trop coupables. Ils étaient aussi très étonnés. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de, pp. 38-39). « Stephen s’enfuit sauvagement, plus loin, toujours plus loin, n’importe comment, n’importe où, pourvu qu’elle cessât de les voir. Elle sanglota et courut en se couvrant les yeux, déchirant ses vêtements aux arbustes, déchirant ses bas et ses jambes quand elle s’accrochait aux branches qui l’arrêtaient. » (p. 39) ; « Les senteurs des prairies émouvaient étrangement ces deux êtres […] Comme sa fille [Stephen], Anna avait été remuée par le parfum des reines-des-prés sous les haies ; car en ceci mère et fille ne faisaient qu’un, toutes deux ayant dans leurs veines l’ardeur du sang celtique sensible à toutes ces nuances. […] Dans cette prairie ensoleillée, un grand désir d’aimer s’était soudain emparé d’Anna Gordon, les avait possédées toutes deux, tandis qu’elles se tenaient ensemble, jetant un pont entre la maturité et l’enfance. » (idem, pp. 44-45) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Lucie, la serveuse sadique harcèle Jules, le héros homosexuel, avec ses roses, ainsi que les deux autres invités qu’elle surnomme « ses trois petites roses ». Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle offre un bouquet de fleurs à son frère gay William, pour l’enfermer de manière très incestuelle dans son homosexualité. Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, il y a des fleurs partout : sur les tapisseries (la mère de Kai), sur les tables de repas, dans la chambre de maison de retraite de Junn la mère du héros homosexuel Kai. D’ailleurs, ce dernier offre à sa chère et douce maman des hortensias violets. Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, toutes les prostituées, pour aguicher le client, porte une rose rouge à la main. Dans la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1, Hugo, le héros homo de 25 ans, dit qu’il ne peut pas se passer de voler : « Le cambriolage, j’y suis accro ! » (c.f. l’épisode 260, diffusé le 2 août 2018). Il cambriole les luxueuses villas de Sète, en laissant à chaque forfait, un bouquet de fleurs en souvenir. Bart Valorta, son complice, s’interroge sur ce curieux rituel : « Pourquoi les fleurs ? » Hugo lui répond : « C’est une manière de m’excuser. » Le Gentleman-cambrioleur… Hugo et Bart finissent par sortir ensemble et composer le Gang des Fleuristes (homosexuels) !

 

La fleur homosexuelle a donc souvent un parfum de désincarnation et de mort. « Le plus bel atout de la chambre était une cheminée en chêne sculptée de fruits et de fleurs.[…] Elle remarqua un visage parmi la flore sculptée et sursauta. Ses yeux firent la mise au point et elle en vit d’autres, joyeux et androgynes sous des cheveux emmêlés de lierre. Les sourires paraissaient bienveillants mais Jane les imaginait s’altérer avec les ombres, et elle espérait qu’ils ne perturberaient pas les rêves de l’enfant. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, demeurant dans la chambre de son futur enfant, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 39) Par exemple, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Matthieu, le héros homosexuel qui périt dès le début dans un accident de voiture se métamorphose, comme Narcisse : son corps écrabouillé contre la voiture, tripes à l’air, est associé à une composition florale (« On dirait un massif de fleurs. ») ; et quand Franck parle de sa mort, il associe son ami à un bosquet de tournesols jaunes. Dans la pièce Y’a un cadavre dans le salon ! (2022) de Claire Toucour, Simon (homosexuel latent) est poussé volontairement du haut d’un immeuble par son meilleur ami Julien qui veut se débarrasser de lui… et sa chute mortelle est amortie par un parterre de fleurs de fleuristes gays de la Gay Pride.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le pouvoir des fleurs :

Marcel Proust

Marcel Proust


 

Dans l’inconscient populaire, la fleur est fréquemment montrée comme un signe d’homosexualité… et on comprend pourquoi ! Beaucoup de personnes homosexuelles sont amatrices de fleurs (Jean Cocteau, Colette, Pedro Almodóvar, etc.), en portent sur elles comme un étendard (le gardénia à la boutonnière de Marcel Proust, le tournesol géant arboré par Oscar Wilde, la fleur de lys de Mylène Farmer, l’orchidée à la boutonnière des costumes voyants de Jean Lorrain, etc.). Par exemple, dans le documentaire « 68, Faites l’amour et recommencez ! » (2008) de Sabine Stadtmueller, le réalisateur Rosa von Praunheim parle toujours avec une rose devant lui en guise de faux micro (sûrement en référence à son surnom féminisé). Dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, Mateo, homosexuel et séropositif, porte à un moment une pâquerette accrochée à l’oreille. Le célèbre coiffeur gay polonais Antoine de Paris adorait la fleur de lys et l’offrait toujours ses amis gays. Romaine Brooks, lesbienne, également.

 

Jérémy Patinier

Jérémy Patinier


 
 

b) L’adolescent homosexuel se prend pour une jeune fille en fleur :

Schtroumpf Coquet

Schtroumpf Coquet


 

Quasiment toutes les fleurs sont hermaphrodites, c’est-à-dire qu’elles n’ont ni de sexe mâle ni de sexe femelle. Il est donc logique que ceux qui rêvent du sexe unique ou d’un dépassement de la différence des sexes, à savoir la majorité des personnes homosexuelles ou transgenres, s’y identifient. « Sans savoir pourquoi, j’adorais le film ‘Ne mangez pas les marguerites’ ! » (Lea Delaria, lesbienne, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel) Ils veulent retrouver « l’innocence radicale des fleurs » (Gilles Deleuze, Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1972/1973), p. 81).

 

Je vous renvoie au documentaire « Orchids, My Intersex Adventure » (2011) de Phoebe Hart (parlant des personnes dites « intersexuées »).

 
 

c) Je suis une fleur :

"Photo de la Honte" (moi à 7 ans, avec ma pâquerette)

« Photo de la Honte » (moi à 7 ans, avec ma pâquerette)


 

On entend parfois des individus homosexuels se déclarer enfants d’une mère végétale, en général cinématographique : « Elle [Cecilia] contempla sans se lasser la peinture de son fils. Une Mae West pointait entre les feuillages tropicaux, où abondaient fleurs, papillons. À ses pieds, une panthère noire. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 229)

 

Ils prétendent aimer énormément les fleurs, au point de s’y identifier : cf. l’essai Les Lesbiennes, ces fleurs du bien (2009) de Milan Roman, le projet Myosotis défendant les personnes trans (2019), etc. Petite anecdote personnelle : moi qui n’ai pas du tout la main verte, ni la folie des fleurs (je n’en ai même pas chez moi), je peux pourtant dire que j’ai eu inconsciemment, très jeune, ce que je pourrais appeler « un fantasme sexuel floral ». En effet, quand j’étais à l’école maternelle, chaque élève de ma classe avait eu le choix d’un petit symbole figuratif accompagnant l’étiquette de son prénom (cette étiquette se trouvait coller sur tous les bordereaux, les chemises pour classer les dessins, les peintures, le porte-manteau nominatif, etc.). Et moi, j’avais élu (comme par hasard…) la pâquerette comme dessin me représentant. Charmant, non ?

 

En ce qui concerne maintenant le cliché du fleuriste homosexuel, tout caricatural et réducteur qu’il soit, il n’est pas seulement fictionnel. Certains fleuristes se revendiquent ouvertement homosexuels, et font des compositions florales leur fond de commerce : pensons à Yann Cinquin, aux boutiques florales ouvertement LGBT Wax Flower, Orchidées et Compagnie, etc. Ce lien de coïncidence entre homosexualité et monde floral est connu, ou tout du moins deviné, même si les communautaires homosexuels préfèrent le juger « homophobe » pour ne pas l’analyser : « J’ai dit à ma mère : ‘Mais c’est quoi l’homosexualité ?’ Et ma mère m’a dit : ‘Ah tu sais, quand on va faire nos courses chez Leclerc, dans la galerie marchande, tu vois le fleuriste, c’est ça l’homosexualité.’ ‘C’est-à-dire ?’ ‘Ben, ce monsieur-là, il est un homosexuel. […] Je devais avoir 14 ans. » (Lidwine, femme lesbienne de 50 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 64) De mon côté, je connais personnellement des fleuristes homosexuels, qui m’assurent exercer ce métier par choix et par goût personnel des plantes. Et lorsque j’avais publié pour la premier fois ce code de la Fleur (dans l’ancienne version du site de l’Araignée du Désert), cela avait déclenché une réaction épidermique assez bluffante sur Facebook de la part d’un ami homosexuel (dont j’ignorais la profession) qui s’est senti démasqué – pire que ça, exorcisé ! – puisque sur mon Mur, il a commencé à sortir de ses gonds : « Comment tu sais que je suis fleuriste ? » ; « Laisse mes fleurs tranquilles ! » ; puis il a posté un lien Youtube d’une scène d’exorcisme du fameux film « L’Exorciste ». Alors que, voilà, j’ai quand même des codes plus trash que celui-là… 😉

 
 

d) Se prendre pour une fleur divine… ou même le Créateur des fleurs ! :

Le symbole de la fleur illustre chez les personnes homosexuelles qui s’y identifient un fantasme de se prendre pour un ange ou pour Dieu. Par exemple, dans son documentaire « La Villa Santo Sospir » (1949), grâce à un jeu de caméra filmant au ralenti et en marche arrière, Jean Cocteau se présente explicitement comme un créateur de fleurs.

 
 

e) L’amant homosexuel floral :

Dans le discours de certains individus homosexuels, les fleurs symbolisent également l’amour homosexuel ou l’amant homosexuel : « Stéphane avait le privilège des jonquilles. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 63) ; « Tout comme les femmes, nous sommes sensibles aux hommages floraux. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 97) Étant connotée amoureusement (comme la danse), la fleur est en général la représentation d’une génitalité irréelle, décorporéisée, non-reconnue, non-respectée.

 

« Le temps nous [lui et le père Basile] enveloppa dans un tourbillon difficile à définir, celui de la léthargie du bonheur. J’avais fini par me dévoiler comme une fleur qui étale ses pétales en plein soleil. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p.34)

 
 

f) Fleur/Fêlure :

Par frustration due à l’éloignement du Réel, beaucoup d’individus homosexuels cherchent à détruire les fleurs et l’amour désincarné qu’elles représentent : il n’est pas rare de les entendre réprimer leur romantisme, leur côté « fleur bleue » (expression tellement signifiante !), fustiger la gnangnantise des bouquets de fleurs après les avoir offert à foison.

Cette auto-punition indique à mon sens l’existence d’une homophobie intériorisée (la fleur étant spontanément associée aux univers féminins), d’un attachement excessif à l’esthétisme, d’un amour-trahison, de la violence douce et trompeuse de l’amour homosexuel.

 

Dans le discours des personnes homosexuelles, la fleur peut renvoyer à la perte des idéaux, à la beauté de la sexualité flétrie ou abîmée par le (fantasme de) viol, le (fantasme d’) inceste, ou la (fantasme de) prostitution : « Pourquoi donc le jeune Adrien Baillon, le plus masculin des homos de Montmartre, viril au lit et casse-cou dans les rues, sodomite actif et criminel aguerri, railleur des tantes et frère de pogne de Mignon, répond-il de toujours au sobriquet de reine de ‘Notre-Dame-des-Fleurs’ ? » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 183) ; « Je crois que tu as menti, ce soir d’été. On est descendus sur la terrasse pour sentir la fraîcheur de la nuit et on a entendu une voiture s’arrêter. On s’est déplacés silencieusement pour espionner. On a vu le beau garçon, l’athlète qui faisait de délicats dessins de fleurs. Il faisait chaud. Il était presque nu dans la voiture. Sa peau brillait, recouverte d’une fine pellicule de sueur. Le conducteur de la voiture était un homme plus âgé, aux cheveux blancs. Ils se sont embrassés sur la bouche. Et tu m’as dit que c’était son père. » (Alfredo Arias à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 165) ; « Je me rappelle plus particulièrement Pinkie Sikes avec sa chevelure teinte en rouge, ses escarpins à talons aiguilles et son incroyable entrain sur le pont. […] Pinkie, une fleur du Sud d’une grande indépendance avait, à mon avis, presque 50 ans. À coup sûr, elle devait son indépendance à quelque procédure juridique car elle avait dû être quelques années plus tôt, une créature éblouissante. En fait, elle était encore éblouissante, quoique plutôt grotesque à cause de son maquillage et de ses courageux efforts pour paraître moins que son âge, en portant des chaussures à très haut talons, des jupes courtes et des vêtements de petite fille. J’aimais beaucoup Miss Pinkie. Malgré ma timidité maladive, elle ne faisait presque pas peur. » (Tennessee Williams à 17 ans, Mémoires d’un vieux Crocodile (1972), pp. 40-41)

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko raconte comment, après avoir été violé par un homme adulte, il était « comme une fleur asséchée par un trop plein de soleil » (p. 40)

 

Dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), le journaliste homosexuel Brahim Naït-Balk raconte à propos des fleurs un épisode fascinant qui lui est arrivé et qui l’avait apparemment chamboulé : « Mon père avait été hospitalisé pendant de nombreux mois à la suite d’un accident dans la mine. Il avait partagé la chambre avec un homme d’une soixantaine d’années avec lequel mes parents avaient sympathisé. Dès qu’il me voyait, il paraissait enchanté. J’étais majeur mais loin de tout comprendre. Quand il a quitté l’hôpital, ma mère m’a dit : ‘Je lui ai promis que tu passerais le voir. Tu vas lui acheter des fleurs.’ Je n’en avais aucune envie, mais elle a tellement insisté que j’ai fini par céder, comme toujours. Je me revois dans ce village, devant sa petite maison, les fleurs à la main comme un imbécile. Je ne comprenais pas pourquoi les voisins me regardaient de travers… J’ai frappé, ma mère l’avait prévenu de ma visite, je suis rentré et il s’est jeté sur moi, cherchant à m’embrasser en me serrant à m’étouffer. Il était négligé, mal rasé… Les fleurs étaient tombées par terre, mais il se fichait royalement de mon bouquet. Alors qu’il m’embrassait de force sur la bouche, j’ai juste eu l’énergie de le repousser et de m’enfuir. » (p. 96) Les fleurs marquent ici la perte de l’innocence, la présence d’un désir incestueux et homosexuel qui ne rend pas libre.

 

D’ailleurs, dans les créations homosexuelles, on assiste souvent à une inversion de ce type : l’Homme est végétalisé, alors que la faune et la flore sont personnifiés. Généralement, cet échange signifie socialement une robotisation et une déshumanisation de l’être humain (cf. l’article « El Pez Doncella » (1998) de Manuel Rivas).

 
 

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Code n°76 – Focalisation sur le péché (sous-code : Péché « originel »)

focalisation

Focalisation sur le péché

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Pédé = Péché ?

 

Pièce Homosexualité de Jean-Luc Jeener

Pièce Homosexualité de Jean-Luc Jeener


 

« Pédé » n’est pas synonyme de « péché »… même si ces deux mots riment et que, par haine d’elle-même, la communauté LGBT, pourtant persuadée qu’elle ne croit ni en Dieu ni en l’existence du péché, essaie de les faire fusionner.

 

En effet, les personnes homosexuelles pratiquant leur homosexualité passent leur temps à parler du « péché », à dire que ce sont les autres (et surtout les catholiques) qui le font, qui les jugent, qui les réduisent et les enferment dans leurs actes peccamineux, alors qu’en réalité, c’est leur propre pratique qui les exclut de l’Église et du Salut, alors que ce sont elles seules (et leurs « amis » hétéros-gays friendly) qui se focalisent sur le péché, elles seules qui s’étiquettent « pécheurs », « exclus du Salut et du Pardon de Dieu », et « maudits », pour se tenir chaud dans la victimisation et ne surtout pas se remettre en cause, alors qu’au contraire les vrais catholiques rejettent le péché mais aiment le pécheur et défendent la distinction cruciale entre personne homo et acte homo. Ils savent que la Miséricorde de Dieu pour les personnes homosexuelles est immensément plus grande qu’elles ne L’imaginent.
 

Vidéo-clip de la chanson "Je te rends ton amour" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer


 

Pour une inversion incroyable et malhonnête, le diable réussit à faire croire aux esprits faibles et blessés qui lui obéissent que le péché le plus grave qui va faire mourir l’Homme, c’est la différence des sexes, donc le corps sexué, le mariage d’amour entre la femme et l’homme, la procréation aimante, et le célibat sexué consacré à Dieu. Alors que dans les faits, et aux yeux de Dieu, c’est la différence (des sexes) qui nous permet d’aimer, de Le connaître, et d’aimer totalement ; c’est l’accueil respectueux de la différence des sexes qui sauve vraiment tout être humain du péché. La sexuation, le mariage aimant entre la femme et l’homme, le célibat consacré, et parfois (si c’est donné) l’engendrement biologique dans la différence des sexes, ce sont les plus grands actes d’amour neutralisant le péché.

 

Les personnes homosexuelles, rejetant la différence des sexes de par leur désir sexuel, actualisent souvent cette inversion diabolique entre péché et sainteté (et d’autant plus quand elles pratiquent leur homosexualité et s’y identifient identitairement), au point de considérer que la différence des sexes est diabolique, et qu’elles deviendront saintes (ou des « pécheurs sanctifiés » !) une fois qu’elles l’auront évacuée de leur vie ou qu’elles chercheront à la détruire. Parfois, elles se rendent compte que le véritable péché réside dans la destruction et le mépris de la différence des sexes… et dans ces cas-là, elles sombrent dans une dépression de Drama Queen surjouant la victimisation de l’héroïne maudite et damnée, se confondant en excuses et en remords. Mais la plupart du temps, elles ne s’en rendent pas compte, et clament que le péché est une invention venant de l’Église, une création des gens « saints… et hypocrites ». Pire : elles considèrent qu’elles sont encore plus divines et éloignées du péché depuis qu’elles se prennent pour l’Incarnation du plus grand des Pécheurs, depuis qu’elles se prennent pour l’Incarnation vivante et individuelle de la différence des sexes, depuis qu’elles sont en couple homo, depuis l’opération chirurgicale leur ayant mutilé leur corps sexué, depuis leur divorce. Leur focalisation verbale sur le péché, qui se veut un pastiche ironique drôlissime et subversif de la bien-pensance « hétéro-patriarcale », une instrumentalisation camp de la culpabilité que la société ferait peser sur elles, est en réalité un appel et un rappel inconscient que l’éjection de la différence des sexes dans leur identité et dans leurs actes sexuels est concrètement peccamineuse et qu’elle les fait souffrir. C’est la raison pour laquelle elles reviennent sans arrêt, dans leurs créations artistiques, sur l’épisode de la pomme et du péché « originel » d’Adam et Ève raconté dans la Bible, épisode auquel elles s’identifient (y compris celles qui prétendent ne pas croire en Dieu). Nous devons écouter cet appel et le comprendre comme une illustration que les actes homosexuels sont vraiment des péchés graves dont pâtissent ceux qui les posent.
 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Homosexualité noire et glorieuse », « Blasphème », « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », « Clown blanc et Masques », « Cour des miracles », « Se prendre pour Dieu », « Désert », « Mort », « Mort = Épouse », « Jardins synthétiques », « Ennemi de la Nature », « Je suis différent », « Icare », « Vampirisme », « Déni », « Homosexuel homophobe », « Milieu homosexuel infernal », « Appel déguisé », « Désir désordonné », « Amant diabolique », « Femme et homme en statues de cire », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été dans un bois », « Se prendre pour le diable », « Curé gay », « Vierge », et « Attraction pour la ‘foi’ », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

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FICTION

 

a) Le péché est partout et je suis un damné du Jardin d’Éden :

Film "La meilleur façon de marcher" de Claude Miller

Film « La meilleure façon de marcher » de Claude Miller


 

Dans les fictions homo-érotiques, il est souvent question du péché : cf. la chanson « It’s A Sin » du groupe Pet Shop Boys, la chanson « Such A Shame » du groupe Talk Talk, la photo La Faute énorme de Duane Michals, le roman El Último Pecado De Una Hija Del Siglo (1914) d’Álvaro Retana, le roman El Pecado Y La Noche (1910) d’Antonio de Hoyos, la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener, le film « Sin In The Suburbs » (1964) de Joseph W. Sarno, le film « The Sins Of Rachel » (1972) de Richard Fontaine, le film « Ordinary Sinner » (2001) de John Henry Davis, le film « Saints And Sinners » (2004) d’Abigail Honor et Yan Vizinberg, le film « Pecata Minuta » (1998) de Ramón Barea, le film « Preaching To The Perverted » (1997) de Stuart Urban, la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, le film « Dirty Little Sins » (« Sale petit péché », 2005) de Kett Blakk, la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès (où il est fait mention des 7 péchés capitaux), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, le film « Paresse » (2000) de Frank Mosvold, le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler, la série It’s a Sin (2021) de Russel T. Davies, etc.

 

Film "Los Abrazos Rotos" de Pedro Almodovar

Film « Los Abrazos Rotos » de Pedro Almodovar


 

C’est l’épisode biblique du jardin d’Éden perdu et du « péché originel » d’Adam et Ève qui semble obséder le héros homosexuel : cf. le film « Fruits amers » (1967) de Jacqueline Audry, le film « Secret Garden » (« Jardin secret », 1987) d’Hisayasu Sato, la chanson « Sapho et Sophie » d’Alain Chamfort, le film « Big Eden » (2000) de Thomas Bezucha, Le film « Expelled To Eden » (2005) d’Eran Koblik Kedar, le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2004) de Frank Oz, la chanson « 1er novembre (Le Fruit) » du Beau Claude, la chanson « Quand tu m’appelles Éden » d’Étienne Daho, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron (avec la scène incestueuse finale de la pomme entre Julien et sa maman), la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia (avec le thème de la chute de la pomme), le recueil de poésies Sombra Del Paraíso (Ombre du Paradis, 1944) de Vicente Aleixandre, le roman Le Jardin des chimères (1921) de Marguerite Yourcenar, le roman Éden, Éden, Éden (1970) de Pierre Guyotat, le roman La Busca Del Jardín (1978) d’Héctor Bianciotti, le film « The Apple » (2008) d’Émilie Jouvet, la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer, le film « The Gardener Of Eden » (1981) de James Broughton, le film « Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal » (1997) de Clint Eastwood, le roman Invitados En El Paraíso (1958) de Manuel Mujica Lainez, les jardins picturaux des toiles de Pierre et Gilles, le film « Les Enfants du Paradis » (1945) de Marcel Carné, le film « Adam et Ève » (1995) de Joaquim Leitao, le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, le film « Les Majorettes de l’Espace » (1996) de David Fourier, les fresques La Création du Monde, Adam, Le Paradis de Michel-Ange (1475-1564), le film « Sotvoreniye Adama » (« La Côte d’Adam », 1993) de Yuri Pavlov, le roman Le Jardin d’acclimatation (1980) d’Yves Navarre, le film « De la chair pour Frankenstein » (1994) d’Antonio Margheriti et Paul Morrissey, le vidéo-clip de la chanson « Tristana » de Mylène Farmer (avec la pomme empoisonnée), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le film « La meilleure façon de marcher » (1976) de Claude Miller, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le film « Paradis perdu » (1939) d’Abel Gance, le film « Eden’s Curve » (2003) d’Anne Misawa, le roman Del Huerto Del Pecado (1909) d’Antonio de Hoyos, le film « Les Filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie (avec le meurtre du père dans la serre par le couple lesbien), le roman The Rubyfruit Jungle (1973) de Rita Mae Brown, le one-man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set (avec Blanche-Neige se faisant poursuivre par le chasseur Rocco), la chanson « Miss Paramount » du groupe Indochine (avec la mention du film « Le Jardin des Tortures »), le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma (avec le croquage de pomme filmé comme un péché acté), la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi (avec la métaphore du Jardin d’Eden inversé, avec une Ève violée : « Mon parc est semé de gens morts ! »), le film « Adam And Eve » (2006) de Stian Kristiansen, le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le roman La Pérdida Del Reino (1972) de José Bianco, la chanson « J’veux pas être jeune » de Nicolas Bacchus (où les amants homosexuels se rendent « jusqu’au jardin désert qu’ils n’avaient pas cherché »), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate (2011) de Karine Dubernet (avec la comédienne arrivant sur scène en Éve), le vidéo-clip de la chanson « Only Gay In The World » de Ryan James Yezak, le film « Gan » (« Un Jardin », 2003) de Ruthie Shatz Adi Barash (racontant l’histoire de deux jeunes prostitués de Tel Aviv), le film « Notre Paradis » (2011) de Gaël Morel, le film « Teens Like Phil » (2011) de David Rosler et Dominic Haxton, le film « Tchernobyl » (2009) de Pascal Alex-Vincent (filmant le dépucelage de deux adolescents dans une forêt), la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor (avec la mention de la pomme et du serpent), la chanson « Jardin d’Éden » de Zaho, etc.

 
FOCALISATION Adam & Steeve
 

« En réalité, je préfère les représentations du péché originel. Cette faute que nous continuons de payer, elle m’a toujours intéressé. Et le cri silencieux d’Ève chassée du paradis, il m’apparaît tout à coup que cela pourrait être le mien. » (Luca, l’un des héros homosexuels du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 43) ; « Sur un arbre, je veux croquer la pomme. » (Philippe par rapport à Bernard, dans la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier) ; « J’ai enfin trouvé mon alter ego. Car c’est moi qui fais l’homme. Accroche-toi comme tu peux à ma ceinture. Viens croquer dans la pomme. » (cf. la chanson « C’est moi qui fais l’homme » de Ginie Line) ; « Serpent, je ne mange pas de ce pain-là. » (OSS 117 s’adressant à son amant diabolique lui tendant sa pomme d’amour, dans le film « OSS 117 : Rio ne répond plus » (2009) de Michel Hazanavicius) ; « Ses yeux étaient immenses, ses cheveux tombaient en désordre sur ses épaules. La peau de son ventre faisait des plis, rentrait en elle-même. Je me suis rendu compte que nous étions nues. » (Ronit et Esti, les deux amantes du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 243) ; « Nous étions seuls au monde. La forêt nous avait éloignés de tout et, plus ou moins, libérés de tout. Nous étions nus. Nous avions enlevé nos vêtements rapidement. » (Khalid et son amant Omar, dans la pièce Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 137) ; « Melocotón et boules d’or, deux gosses dans un jardin. » (cf. la chanson « Melocotón » de Colette Magny) ; « Après l’avoir laissée dans le bâtiment Pouchkine, je sentis mon cœur déborder d’un savoir que je ne sus pas identifier sur-le-champ. J’avais tant de fois imaginé ce qu’avait dû ressentir Newton quand la pomme lui était tombée sur la tête, lui révélant brusquement les lois de l’attraction universelle. […]J’aurais aimé qu’il y ait eu un objet tout simple comme une pomme, quelque chose de palpable que je pourrais observer de près et tenir en main, humer et mordre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant de son émoi homosexuel, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 11) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] avait erré jusqu’à un vieux hangar où l’on rangeait les outils de jardinage et y vit Collins et le valet de pied qui semblaient se parler avec véhémence, avec tant de véhémence qu’ils ne l’entendirent point. Puis une véritable catastrophe survint, car Henry prit rudement Collins par les poignets, l’attira à lui, puis, la maintenant toujours rudement, l’embrassa à pleines lèvres. Stephen se sentit soudain la tête chaude et comme si elle était prise de vertige, puis une aveugle et incompréhensible rage l’envahit, elle voulut crier, mais la voix lui manqua complètement et elle ne put que bredouiller. Une seconde après, elle saisissait un pot de fleurs cassé et le lançait avec force dans la direction d’Henry. Il l’atteignit en plein figure, lui ouvrant la joue d’où le sang se mit à dégoutter lentement. Il était étourdi, essayant doucement la blessure, tandis que Collins regardait fixement Stephen sans parler. Aucun d’eux ne prononça une parole ; ils se sentaient trop coupables. Ils étaient aussi très étonnés. […]Stephen s’enfuit sauvagement, plus loin, toujours plus loin, n’importe comment, n’importe où, pourvu qu’elle cessât de les voir. Elle sanglota et courut en se couvrant les yeux, déchirant ses vêtements aux arbustes, déchirant ses bas et ses jambes quand elle s’accrochait aux branches qui l’arrêtaient. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), pp. 38-39) ; « Le jardin, au lever du soleil, lui sembla tout à fait étranger, comme un visage bien connu qui se serait soudain transfiguré. […]Elle prit soin d’avancer doucement, car elle se sentait un peu fautive. » (idem, p. 135) ; « La femme est l’avenir des pommes. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Dans toute femme, il y a une Ève malveillante qui sommeille. » (Rodin, l’un des héros homosexuels dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « Hedwig, tu me donnes un bout de pomme ? » (Tommy s’adressant au héros transgenre M to F Hedwig, dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; « Moi je suis comme le vent, j’emporte mon secret dans un jardin d’Éden, m’allonger dedans. » (cf. la chanson « L’Alizé » d’Alizée) ; « Mathilde et moi, c’est un drôle de paradis, un jardin luxuriant. » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 29) ; « Nunca me ha llamado la atención lo de Eva y la manzana, porque de Eva soy hermana y tentarse es cosa humana. » (cf. les paroles d’une chanson de Tita Merello, citée dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Nous [les Rats] lui [le serpent] exprimâmes notre admiration sincère et la Reine des Rats l’invita à passer les vacances de Pâques enroulé dans notre arbre si jamais à Pâques, lui, l’arbre et nous-mêmes nous nous trouvions encore en vie et en liberté. […]Le serpent répondit qu’il était hermaphrodite et qu’il se fécondait tout seul. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des rats (1979) de Copi, pp. 76-77) ; « Tant pis pour la Bible. Je veux mettre ma dent dans la pomme d’Adam. J’aime les filles et les garçons, j’aime tout ce qui est bon. Je suis bi-zarrement faite. » (Anne Cadilhac dans son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Je cherche un Adam pour croquer ma pomme. » (cf. la chanson « Avis au sexe fort » de Zazie) ; « Prions que l’enfer ne nous sépare pas. » (Valmont s’adressant à Merteuil, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « Mon prof d’éducation physique… Moi, il m’a tout appris. C’est lui qui disait : ‘Un hétéro, c’est un homo qui s’ignore tant qu’il n’a pas goûté au fruit défendu.’. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Comme disait ma grand-mère, à force de croquer la vie à pleine dent, on en perd son dentier. » (idem) ; etc.

 

Le « péché » dans le jardin, dont il est beaucoup question au sein de la fantasmagorie homosexuelle, en plus d’être un esthétisme décadent « innocent et folklorique », peut figurer le viol entre la femme et l’homme, ou bien l’acte homo, ou bien la perte de l’innocence, ou tout simplement la découverte de la différence des sexes. Par exemple, dans la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti, Ève est présentée comme l’origine d’un monde pécheur. Dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, Érik Satie dit qu’il est un mélange d’Adam et d’Ève, « des paresseux sans doute ». Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, la pulpeuse Eva, la belle tentatrice, essaie de faire succomber le jeune prêtre Adam, secrètement homosexuel. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Sissi, une cantatrice fantomatique transgenre des montagnes, raconte que, lorsqu’un de ses fans lui a lancé une pomme en plein concert, elle « en a perdu sa couronne » au moment où elle a croqué le fruit. Dans le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, après leur coït adultère, les deux amants (dont Paul) croquent la pomme ensemble. Dans la comédie musicale Adam et Steeve jouée à l’intérieur du film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, le couple homo formé par Adam et par Steeve remplace et répare le péché originel opéré par « les hétéros homophobes » Adam et Ève, le couple femme-homme défectueux : ce nouvel amour sans différence des sexes est qualifié de « Vérité du Ciel » même s’il n’est pas écrit dans la Bible. Le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan nous montre en premières images la mère de Steve, le héros homosexuel, cueillant une pomme sur un arbre. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, l’amour entre Frankie et Todd est mis sous le signe du péché originel dès le départ. Dans la cuisine, ils se parlent de « la cire sur les pommes pour les faire briller ». Puis ils rejouent la scène du jardin d’Éden dans un parc de la San Francisco, où Frankie, près de l’arbre où ils s’abritent, menace son amant de l’attraper dans sa toile d’araignée, telle une Ève maléfique. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Thérèse, l’héroïne lesbienne, croque une pomme rouge dans la voiture que conduit sa compagne Carol.
 

Quand le personnage homosexuel a l’humilité de reconnaître son désir homosexuel comme un « signe de péché », et l’acte homosexuel comme un péché, c’est-à-dire une action qui rejette la différence des sexes et Dieu, il parle ouvertement de « péché »… et ce n’est pas si rare, surtout chez les héros homosexuels croyants qui ont un tant soit peu la crainte de Dieu : « Longtemps, il [Adrien, le héros homosexuel] avait cru ce penchant, ce mauvais penchant, surmontable. Dieu serait plus fort que son désir. Il saurait même dissiper, extirper jusqu’à sa racine ce mal profond. Il avait bien fini par comprendre, de guerre lasse, que la blessure resterait longtemps. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 25) ; « Vous comprendrez que de tels péchés parfois sont difficiles à avouer. » (cf. la chanson « Partenaire particulier » du groupe Partenaire particulier) ; « Je m’étais peu intéressé au péché, à ce que ça signifie vraiment. Cette fois, c’est sûr, j’en ai fait un. Les gens qui croient ont raison de dire qu’il faut toujours expier. » (Bjorn, l’un des héros homosexuels du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 154) ; « La vie que je mène n’est pas parfaite, mais c’est ma vie, je l’ai façonnée d’après mes rêves en veillant à la tenir à distance du terrible glaive de Dieu. » (Michael, le narrateur homosexuel du roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 90) ; « Une brebis égarée, j’en suis une depuis un petit bout de temps… » (Luc, l’un des héros homosexuels du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 234) ; « Tous mes idéaux, des mots abîmés. […]Pourtant, je voudrais retrouver l’innocence. » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; « De ses flèches j’étais la cible. Je n’ai pas eu le choix. Renoncer me met au supplice. Mes prières montent vers toi. Dieu, pourquoi me sentir si coupable ? Pourquoi sentir l’orage en moi ? Dieu du Coran ou de la Bible. Donne-moi la force et la foi, enfin. C’était un amour impossible… Pourquoi me sentir coupable ? Pourquoi sentir l’orage en moi ? Pourquoi me sentir misérable ? Pourquoi sentir l’orage en moi ? » (cf. la chanson « L’Orage » d’Étienne Daho) ; « C’est une espèce de malédiction. Tu penses qu’on va aller en enfers ? » (Bryan s’adressant à son amant Tom, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « There’s no place in Heaven for someone like me. » (c.f. la chanson « No Place in Heaven » de Mika) ; etc.

 

Par exemple, dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque raconte qu’il taille une pipe à un prêtre exorciste qu’il compare à Shrek. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard, découvrant son homosexualité, file en panique au confessionnal. Dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le narrateur homosexuel croit en son « existence pécheresse » (p. 137) Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Kena, l’héroïne lesbienne, accepte de recevoir des prières de délivrance et d’exorcisme de sa communauté catholique kenyane qui la croit possédée parce qu’ils ont découvert son homosexualité : « Tu oublies les démons qui possèdent cette enfant ! » dit Mercy, sa mère, à son mari John. Le pasteur de l’église où Kena se rend tous les dimanches fait répéter à tous les fidèles qui imposent leurs mains sur la pauvre jeune femme : « Nous brisons ses liens avec les démons ! ».

 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola trompe sa copine Vera d’un commun accord avec Nina. Se profile la culpabilité : « Vera, est-ce que tu considères que ma liaison avec Nina est une faute ? » s’interroge Lola. Vera acquiesce : « Peut-être même un péché. » Lola conclut : « Cette femme est diabolique. Elle a trouvé le moyen de me déculpabiliser. »
 

Mais chez le héros homo, la reconnaissance du péché est souvent bien trop pleurnicharde et théâtrale pour être repentante et vraiment coupable. C’est un petit caprice sincère, une mise en scène pour pleurer le péché sans agir concrètement contre. « Je me suis baladé dans la rue des péchés. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’ils peuvent se les garder, leurs pèches ! » (Arthur, le personnage homosexuel à Atlanta, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) Par exemple, dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm (dans l’épisode 3 de la saison 1), Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, confesse auprès d’un prêtre sa première expérience homosexuelle passée avec un homme anonyme à Carthage (« Les détails s’imposent à moi de façon démoniaque. Pourquoi je me sens si coupable ? »)… pour mieux se justifier de succomber ensuite au péché dans les bras d’un autre séminariste, Guillaume. Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Richard reproche à Junn, la mère de Kai son amant décédé dans un accident, d’avoir culpabilisé ce dernier au point de le maintenir dans le secret de son homosexualité et de l’avoir conduit à la mort. Celle-ci semble se défiler… mais en réalité, elle souligne une culpabilité justifiée et inconsciente chez les eux amants homos : « C’est votre culpabilité. Je ne vais pas jouer au psy. […] Cette culpabilité, il l’a toujours ressentie. Je n’ai pas étouffé Kai. »

 

En général, c’est par la voie du sarcasme et du ricanement que le personnage homosexuel dramatise/croit dramatiser ses actes homosexuels en utilisant des termes religieux anachroniques/cinématographiques diabolisants qui ne correspondent pas (ou qui correspondent trop !) à ce qu’il a fait ou à ce que son entourage en aurait dit. Le héros homosexuel est soit affolé par l’existence du péché (le péché étant entendu comme la rupture avec Dieu ou l’absence de Dieu), soit excité (même sexuellement) par le péché (et l’interdit/l’orgueil qu’il génère) : « Je suis le roi des péchés. » (sa Majesté Ignace dans la pièce Iwona, Księżniczka Burgunda, Yvonne, Princesse de Bourgogne (1938) de Witold Gombrowicz) ; « Si vous aimez le show, vous brûlerez en enfer avec nous ! » (les héros homosexuels de la comédie musicale Adam et Steeve dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Tu ne m’emmèneras pas sur la voie du péché ! » (Nathalie face à Tatiana avec qui elle rêve de faire l’amour, dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa) ; « I’m a sinner. I like it that way. » (cf. la chanson « I’m A Sinner » de Madonna) ; « Pietro veut devenir carmélite pour expier mes péchés. Mais je n’ai pas de péchés ! Bien sûr j’ai des péchés, des très grands péchés, lui-même n’est-il pas un de mes péchés ? » (le narrateur homosexuel parlant de son amant Pietro, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 146) ; « Et voici la star des péchés, Ada la violente ! » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; etc.

 

Avant même d’avoir pris le temps de laisser parler la Miséricorde, le héros homosexuel décrète à la place de Dieu qu’il ira en enfer. Par exemple, dans le téléfilm « Prayers For Bobby » (« Seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy, Bobby, le héros homosexuel, joue sa drama queen écartelée, pour mieux se justifier d’une part de pratiquer son homosexualité, et d’autre part de se suicider : malgré ce qu’il prétend (« Je ne veux pas choisir le péché. »), en s’étiquetant « homosexuel » et en s’engageant dans une pratique homosexuelle, il veut absolument être pécheur, et ce, malgré les tentatives de sa mère pour lui apprendre la Miséricorde de Dieu (« Je crois qu’Il aime le pécheur, pas le péché. » lui dit-elle) : « Je ne voulais pas aller en enfer mais j’irai quand même. […]Tu as raison maman, je suis condamné à brûler en enfer. Je suis damné. Je voudrais ramper sous une pierre et dormir pour toujours. […]Je sens Dieu qui me regarde les yeux remplis de pitié. Il ne peut pas m’aider car j’ai préféré le péché à la vertu. » Dans le spectacle musical Luca, l’Évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le héros homosexuel se filme entouré de flammes dans un monastère, et passe son temps à soutenir qu’il est maudit : « Nous, les monstres du Créateur. » Même la bande-annonce du concert indique que « Luca est condamné à mort à cause de son homosexualité ». Le comédien sur scène se met à pasticher des phrases que les « homophobes catholiques » ou que Dieu auraient prononcées, et qu’il reprend à son compte : « Le Sida est la punition divine sur les homos et les drogués. » Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael est le prototype du catho homo sans cesse culpabilisé par sa foi (… en réalité par sa propre pratique homosexuelle en discordance avec sa foi) : « Je vais mourir !!! »
 

 

Quand le héros parle de la découverte de son homosexualité, le spectateur ne sait pas s’il cite les gens de son entourage, ou les pensées qu’il leur prête, ou les propos qu’il aurait entendus, ou même s’il dit ce qu’il est le seul à penser (tout semble mélangé) : « La Bible dit que nous sommes des pécheurs. » (l’un des amants de Paul, dans le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari) ; « Parfois, je pense que Dieu me punit. À cause de ce qu’on a fait ensemble. » (Esti, l’héroïne lesbienne juive, s’adressant à sa compagne Ronit, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 144) ; « Saïd est mort, tué par l’orage, un signe peut-être que Dieu n’approuve pas ce que les garçons s’apprêtaient à faire ce soir. » (Saïd et Ahmed, le couple homo maudit, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 48) ; « Quel péché ai-je commis pour être ainsi châtié de mon vivant ? » (le Jésuite dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Les rares condamnations à mort concernent le péché de tribadisme, c’est-à-dire d’homosexualité. » (la comédienne transgenre F to M dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; « Qu’est-ce que tu préfèrerais ? Qu’on se torture pour les péchés de nos ancêtres ? Mon grand-père était un nazi. Tu veux que je me suicide ? » (Petra, l’héroïne allemande s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 37) ; « Nos péchés sont têtus. Nos repentirs sont lâches. Nous nous faisons payer grassement nos aveux. Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux, croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; etc.

 

La croyance (et même la adhésion à la croyance) au désir homosexuel en tant qu’« identité pécheresse » (je ne parle pas ici des actes homosexuels, qui eux sont clairement peccamineux : le désir homosexuel, n’ayant pas visiblement fait l’objet d’un choix, peut tout au plus être considéré comme un « signe de péché », mais jamais comme un « péché » : le péché présuppose la liberté et la décision de se couper sciemment de Dieu) peut traduire chez le héros homosexuel une homophobie extérieure intériorisée : « Polly dit que le sida n’est pas une fatalité, que les pédés doivent arrêter de penser qu’ils le méritent. ‘C’est faux, c’est même archi-faux, affirme-t-elle, c’est comme quand vous pensez que vous méritez de vous faire agresser. Faut arrêter avec tout ça, on ne mérite pas le sida ni de se faire agresser quand on est pédé. Par contre, on peut se demander si cette propension des pédés à croire ça ne cache pas plutôt une forme d’auto-homophobie intériorisée. ’ Elle a tort. » (Mike, le narrateur homosexuel parlant de son amie lesbienne Polly, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 72-73)

 

Son entourage amical homosexuel ou gay friendly ou homophobe conforte le héros homosexuel dans ce « choix » qu’il aurait fait d’être condamné au péché : « Brûlez en enfer. » (cf. un écriteau d’une passante face au défilé de la première Gay Pride londonienne de 1984, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Elle va aller en enfer ! » (une des paroissiennes protestantes évangéliques parlant d’Elena après avoir découvert l’homosexualité de cette dernière, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « C’est péché. » (Kevin dans la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « Le seul intérêt de l’homosexualité, c’est le péché. » (le père de Claire, l’héroïne lesbienne de la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « C’est un péché. Dieu ne te le pardonnera pas. » (Rana s’adressant à Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Ils ont envoyé Evaristo au Yucatan. Comme ça, il pourra expier tous ses péchés. » (Amada concernant le héros gay, dans le film « Le Bal des 41 », « El Baile de los 41 » (2020) de David Pablos) ; etc.
 
 

b) Le péché est nulle part puisque j’aime et je suis homo !

Contrebalancement impressionnant. Cette focalisation homosexuelle sur le péché est souvent suivie immédiatement après d’une censure : parce que j’ai culpabilisé, c’est vous qui m’avez jugé ! et pour rien, en plus ! Régulièrement, le héros homosexuel se focalise sur le péché, mais par mauvaise foi, va soutenir que cette focalisation vient des autres et pas de lui : « Tu es la personne la plus immorale que je connaisse ! » (Larry s’adressant à son pote gay Emory qui lui renvoie son infidélité, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Ils ont commis le péché original. Ils n’auront pas d’héritiers. Mais quel amour est idéal ? Qui est normal ? » (cf. la chanson « Adam et Yves » de Zazie) ; « Ça ne peut pas être péché que d’aimer. Jamais je ne goûterai le regret, plutôt se haïr, se rendre, mourir à la guerre sainte. Ça suffit ! Et alors ? La foi sèchera mes larmes. Sûrement que le soleil s’éteint et que Lucifer me guide, et je serai une ombre comme la Tour de Babel… et ton amour, Père rappelle-toi !! L’Église promulgue que je suis une pédale de merde, si c’est ça mon péché, je suis coupable, comme une infâme Inquisition. Mais je n’ai tué personne. Je me sens coupable d’être seulement moi. Je ne douterai, je ne douterai pas de moi. Non. Je ne douterai pas de moi. » (cf. la chanson « Madre Amadísima » de Haze et Gala Evora) ; « J’ai pris ce que tu m’as donné, de mon plein gré. Ce n’est pas de ta faute, Thérèse. » (Carol, l’héroïne lesbienne consolant son amante Thérèse en pleurs, culpabilisant d’avoir couché avec elle, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; etc.

 

À la croyance que le péché serait partout, le héros homosexuel va opposer celle que le péché n’est nulle part à partir du moment où il y a la sincérité que le péché n’existe pas, où il est considéré que les personnes « aiment » et n’ont « pas choisi » leur désir homosexuel : cf. le roman Ser Gay No Es Un Pecado (1994) d’Óscar Hermes Villordo, le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, etc. « Allons bâtir ce nouveau monde où l’on ignore le péché. » (cf. la chanson « Au commencement » d’Étienne Daho) ; « La ‘faute’ n’existe pas. » (Aaron, l’un des héros homosexuels du film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman) ; « Nous ne cherchons pas de faute. » (le fiancé de Gatal s’adressant à son amant, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Ben, tu penses que tout ça est de ma faute ? » (Ben s’adressant à son amant George, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs) ; « De là à dire que nous les homos nous vivons dans le péché… Nous suivons bien mieux les Dix Commandements : Aimez-vous les uns les autres, Tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin, etc. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc. Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny, le héros homosexuel, range arbitrairement son homosexualité du côté de l’évidence, de la censure, du chantage aux sentiments, et à l’abri de la culpabilité : « Je ne peux pas changer ce que je suis. Est-ce que c’est vraiment de ma faute ? » dira-t-il en pleurs au révérend Ritchie. Plus tard, lors d’une prêche caricaturalement homophobe de Lena, la femme du pasteur Ralph (secrètement homosexuel), dans un temple protestant, il s’insurgera encore plus radicalement devant toute l’assemblée en rejetant sur la prédicatrice sa propre culpabilité (« Pourquoi cette question [de l’homosexualité] vous intéresse tant ? ») et en lui tenant le discours de l’anti-jugement soi-disant « déculpabilisateur » : « Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre. »

 

La procréation (et donc l’enfant) est parfois invoquée par le personnage ou le « couple » homosexuel fictionnel pour cacher la réalité du péché de la pratique homosexuelle. Au fond, le péché d’Adam (homosexualisé/bisexualisé) ou d’Ève (féministe/lesbianisée), c’est de s’auto-créer, c’est de chercher à avoir un enfant et à l’élever tout seul, sans former un couple avec quelqu’un d’autre, sans amour, sans différence des sexes : « Elle a fait un bébé toute seule, elle a fait un bébé toute seule, c’était dans ces années un peu folles où les papas n’étaient plus à la mode, hou hou, elle a fait un bébé toute seule. » (cf. la chanson « Elle a fait un bébé toute seule » de Jean-Jacques Goldman) ; « Je deviens mère mais je reste une femme libre. » (Isabelle, la postulante au titre de mère porteuse, auprès du héros homosexuel Pierre, qui lui répond « Moi aussi. », dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Oh femme unique, péché, désir, pour un serpent de Bible, a brisé son Empire. » (cf. la chanson « Ève lève-toi » de Julie Piétri) C’est d’incarner l’Amour à soi seul, sans la différence des sexes.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le péché est partout et je suis un damné du Jardin d’Éden :

Quand l’individu homosexuel a l’humilité de reconnaître son désir homosexuel comme un « signe de péché », et l’acte homosexuel comme un péché, c’est-à-dire une action qui rejette la différence des sexes et Dieu, il parle ouvertement de « péché »… et ce n’est pas si rare, surtout chez les personnes homosexuelles croyantes : « Clermont-Ferrand, ce 20 octobre 1968. J’accuse aujourd’hui ma mère d’avoir fait de moi le monstre que je suis et de n’avoir pas su me retenir au bord de mon premier péché. Tout enfant, elle me considère comme une petite fille et me préfère à ma sœur, morte aujourd’hui. De mon père, j’ai le souvenir lointain d’un officier pâle, doux, presque timide, perpétuellement en butte aux sarcasmes de son épouse. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 75) ; « J’ai désobéi à la totalité des Dix Commandements. » (Paul, racontant sa première visite au confessionnal après des années de débauche homosexuelle, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Je pense que les homosexuels éprouvent, peut-être inconsciemment, un tel poids d’opprobre sur leur être, au simple énoncé de ce mot, alors qu’il ne devrait s’agir que d’une lucidité sur leur vie, que la notion de péché est brouillée pour eux comme la surface d’une mare frôlée par les ailes d’un martin-pêcheur. » (Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 69) ; « La confession est dévalorisée par une sorte de contre-tabou, et très particulièrement chez beaucoup, beaucoup trop d’homosexuels même chrétiens, qui gèrent mal l’idée de péché qui lui est nécessairement associée. » (Idem (2005), pp. 71-72) ; « Ça n’a pas été facile de le dire. Surtout avec tout ce nuage noir de sida, de péché, de tout ce qui était interdit. » (Olivier, agriculteur homosexuel, dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre) ; « Le seul problème que ça m’a posé était religieux. J’ai été chrétien. J’avais le sens du péché. Et donc ça m’a posé problème à cet égard. Jamais à l’égard de la société qui ne me paraît pas mériter tant de révérence. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, Rich Juzwiak, homosexuel, face à ses proches à qui il cachait ses actes homos, développe l’étrange sensation de « se sentir étrangement coupable alors qu’on n’a rien fait de mal ».

 

Très jeunes, les personnes homosexuelles, par superstition, peur ou haine d’elles-mêmes, ou sous l’influence de films d’épouvante qui les ont traumatisées, se sont identifiées au mal (cinématographique) qu’elles ont vu ou imaginé en comprenant la Vérité biblique de manière très approximative : « J’ai peur. La même peur qu’enfant, lorsque je pénétrais dans des églises, et que je me sentais pointé du doigt par toutes les statues, accusé de choses que j’étais incapable d’avouer, n’ayant aucune éducation catholique, ni baptême, ni catéchisme, pourtant ne doutant pas que mes fautes étaient terribles. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 107)

 
FOCALISATION Adam et eve
 

Certaines se sont même crispées sur la scène primitive du péché dit « originel » de la Genèse, autrement dit, ont considéré leur origine sexuée, existentielle, comme un péché : cf. le documentaire « Forbidden Fruit » (2000) de Sue Maluwa Bruce, Beate Kunath et Yvonne Zuckmantel. « C’est par un chemin bien long que je choisis de rejoindre la vie primitive. Il me faut d’abord la condamnation de ma race. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 33) Certains auteurs gays se sont beaucoup intéressés au péché des origines d’Adam et Ève : Walt Whitman, Oscar Wilde, Pier Paolo Pasolini, Julien Green, John Cheever, Francis Bacon, etc. « L’attraction qu’a pour moi le sens du péché originel, c’est qu’il s’agit, je crois, d’une expérience universelle. » (John Cheever, cité dans le site La Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003) Dans son article « Cuba, El Sexo Y El Puente De Plata » (1986) compris dans son essai Prosa Plebeya (1997), le poète homosexuel argentin Néstor Perlongher parle de la « nostalgie ironique d’une perte » (p. 120). Le dessinateur homosexuel Ralf König, qui parle beaucoup du récit de la Genèse de manière parodique, a même un serpent chez lui ! Or, comme l’explique très bien Jean-Pierre Winter, cette obsession homosexuelle ou transgenre pour l’origine de l’existence humaine et finalement pour être sa propre origine, cache un péché d’orgueil, que le psychiatre associe à un mouvement paranoïaque destructeur : « Les personnes préoccupées de façon trop exclusive par la question de leur origine, ou des origines en général, ont tendance à se sentir exclues et persécutées. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 94)

 

Dans les cas où l’individu homosexuel parle du péché en tant que découverte de son homosexualité ou en tant qu’expérience sexuelle concrète, l’auditeur ne sait pas s’il cite (ironiquement) les gens de son entourage, ou les pensées qu’il leur prête, ou les propos qu’il aurait entendus, ou même s’il dit ce qu’il est le seul à penser (tout semble mélangé) : « J’étais dans le péché. » (Pierre, homosexuel, né dans une famille très catholique, témoignant dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Ma famille est très catho ; nous allions à l’église tous les dimanches. Au début, quand mes parents ont été au courant de mon homosexualité, ils ont flippé. Ils ont voulu me faire exorciser ! Ils ne comprenaient pas. C’était le mal, le diable. » (Cécile, témoin lesbienne dans la revue Têtu, n°69, juillet-août 2002) ; « Je voyais toujours le péché. Mes parents étaient très croyants. Pour eux, l’homosexualité c’était condamné, Dieu rejetait et haïssait les gais. Un dieu d’amour y paraît. Mes parents voulaient toujours me changer. J’étais coupable, j’étais pas bon, si je ne voulais pas, si je ne pouvais changer. Ils me faisaient lire des livres de témoignages de gais qui avaient réussi à changer et s’étaient mariés. J’étais un gros monstre, un déchet de la société. Si la religion n’avait pas été là, j’aurais peut-être pas essayé de me suicider. C’était super-opprimant cette idée du péché, de l’anormalité, de la faute, avec tout le monde qui y croit autour. » (un témoin homosexuel dans l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 75) ; « Son mal-être rebondissait instinctivement parce que, dans son for intérieur, il avait commis l’irréparable en s’abandonnant aux bras de son copain Dylan. […]Après les grands secrets de mes six, dix et treize ans, à ma vie s’ajoutait maintenant le ‘péché’ qui n’aurait jamais dû être. » (Ednar, le narrateur homosexuel parlant des viols pédophiles qu’il a subis, et les mélangeant avec la découverte de son homosexualité puis la pratique homosexuelle, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 19-20) ; « Dans le train, il y a quelques jours, une religieuse aux yeux brillants, protubérants, fixait le monde. C’était le visage de l’Inquisition. » (Annie Ernaux, Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), p. 44) ; « Tout se passe comme si, par ses déambulations quasi somnambuliques, le pédéraste cherchait à troquer sa solitude contre la participation à une malédiction collective. » (Roger Stéphane, Parce que c’était lui (2005), pp. 77-78) ; « Chaque fois que j’ai un orgasme, je ressens un très fort sentiment de culpabilité après coup. C’est normal, ils l’ont bien dit au catéchisme : se masturber, ce n’est pas bien. Il faut se retenir jusqu’au mariage, sinon on va en enfer. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 23) ; « Un des procédés les plus utilisés par les médias pour discréditer le combat des défenseurs de l’amour vrai et de la vie est de leur attribuer cette pensée plus ou moins secrète à l’égard des sidéens : ‘C’est bien fait, Dieu les a punis ! ’ Propos malveillants qui n’ont jamais été tenus que dans l’imagination désordonnée de journalistes en mal de calomnie ou, peut-être, par quelque chrétien égaré, en contradiction radicale avec les exigences de la charité. » (Thomas Montfort, Sida, le vaccin de la vérité (1995), p. 15) ; « S’ils savaient que je suis homo, j’crois qu’ils m’enverraient bouler, parce que l’homosexualité à la campagne, c’est considéré comme quelque chose de mal. » (Sacha, jeune Allemand homo, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; « J’ai l’impression que je serai mort bien avant la diffusion de ce film. Je ne sais pas pourquoi je vous parle. J’ai l’impression d’un retour de ce vieux poison. Je le ressens comme une punition. Parce que je donne une mauvaise image de ces pauvres chrétiens. » (Thomas, homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; « J’ai peur d’être un mauvais sujet, peur de ne pas être un homme bon. Et cette peur est tellement intense que je sens bien qu’elle m’éloigne de Dieu. » (Alexander, en couple avec Sven un pasteur, idem) ; « Enfant, le réalisateur allemand Rosa Von Prauheim éprouvait une vive crainte de la damnation. » (la , idem) ; « C’était un péché d’avoir des pensées impudiques et bien sûr de se masturber. Je tenais le compte du nombre de fois où je me masturbais et je me sentais horriblement coupable. Plus j’essayais de réprimer mes pulsions, plus ça m’excitait. Tout ça était vraiment terrible. » (Rosa Von Prauheim, le réalisateur homosexuel, idem) ; etc.

 

Par exemple, dans son essai L’Homosexualité au cinéma (2007), Didier Roth-Bettoni fait lui-même l’association entre Sida et péché quand il parle du film « Mensonge » (1991) de François Margolin : « Mensonge’ fait sans hésiter porter le poids du péché (le VIH) sur les homosexuels. » (p. 594). Dans la biopic « Ma Vie avec Liberace » (2013) de Steven Soderbergh, le pianiste virtuose gay Liberace avoue à la fois qu’il a la Foi et qu’il a toujours été catholique, et en même temps qu’il finira en enfer : « J’étais damné d’une manière ou d’une autre… »

 

La croyance (et même l’adhésion à la croyance) au désir homosexuel en tant qu’« identité pécheresse » (je ne parle pas ici des actes homosexuels, qui eux sont clairement peccamineux : le désir homosexuel, n’ayant pas visiblement fait l’objet d’un choix, peut tout au plus être considéré comme un « signe de péché », mais jamais comme un « péché » : le péché présuppose la liberté et la décision de se couper sciemment de Dieu) peut traduire chez l’individu homosexuel une homophobie extérieure intériorisée. « Je lui répétais sans arrêt que l’homosexualité était quelque chose de dégoûtant, de ‘carrément dégueulasse’, qui pouvait mener à la damnation, à l’enfer ou à la maladie. » (Eddy Bellegueule parlant de son petit frère Rudy qu’il veut transformer en « hétérosexuel », dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 53) Par provocation et par instrumentalisation de ce qui est considéré comme une blague, une grande part de la communauté homosexuelle va clamer haut et fort son attachement pour les « péchés » et son étiquette de « foyer de pécheurs qui ne se repentiront jamais », juste pour se rendre intéressante et donner une consistance à « l’homophobie » qu’elle est la première à s’infliger.

 
Focalisation Péché
 

L’entourage amical homosexuel ou gay friendly ou homophobe conforte parfois l’individu homosexuel dans ce choix qu’il aurait fait d’être condamné au péché. Par exemple, lors de l’enterrement du jeune Matthew Shepard en 1998 dans le Wyoming, des militants de la Westboro Baptist Church, emmenés par leur pasteur protestant Fred Phelps, ont manifesté avec des pancartes « God Hates Fags » (« Dieu déteste les pédés ») ou « Matt In Hell » (« Matthew en enfer »). On peut également penser au fameux écriteau « Les Pédés au bûcher » de la Manifestation Anti-PaCS à Paris en 1998 – écriteau dont on ne sait pas trop d’où il est sorti tellement il ne correspondait pas à l’esprit paisible de la Manif (il est même fort possible qu’il ait été élaboré par une personne homosexuelle soucieuse de se faire passer pour une personne du cortège afin de discréditer l’événement).
 
 

b) Le péché est nulle part puisque j’aime et je suis homo !

Contrebalancement impressionnant. En général, la focalisation homosexuelle ou transgenre sur le péché est suivie immédiatement après d’une censure : parce que j’ai culpabilisé, c’est vous qui m’avez jugé ! et pour rien, en plus ! « Ralf König a choisi d’ignorer la culpabilité. » (la du documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) L’individu homosexuel se focalise régulièrement sur le péché, mais par mauvaise foi, va dire que cette focalisation vient des autres et pas de lui : « Rien qu’une soirée, j’ai embrassé deux mecs. Certes, c’était un jeu stupide et les deux mecs sont hétéros, mais ça m’a plu. Pendant cette soirée, j’ai oublié mes parents et leur point de vue satanique sur l’homosexualité. » (Simon, un témoin homosexuel cité dans la revue Têtu, juin 2002) ; « Aux yeux des chrétiens, je suis un sataniste. De mon point de vue, bien sûr, je ne le suis pas. Satan n’est pas au cœur de ma vision des choses. Ce n’est pas un dieu. Il incarne la rébellion. Si je pouvais être mon propre dieu, tout cela lui serait égal. » (Gaalh, la star norvégienne de death metal, ouvertement homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay », 2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc.

 
FOCALISATION Trans
 

À la croyance que le péché serait partout, le sujet homosexuel va opposer celle que le péché n’est nulle part à partir du moment où il y a la sincérité que le péché n’existe pas, où il est considéré que les personnes « aiment » et n’ont « pas choisi » leur désir homosexuel. La procréation (et donc l’enfant) est parfois invoquée pour cacher la réalité du péché. Le péché d’Adam (homosexualisé/bisexualisé) ou d’Ève (féministe/lesbianisée), c’est de chercher à s’auto-créer, c’est de chercher à avoir un enfant et à l’élever tout seul, sans former un couple avec quelqu’un d’autre, sans amour, sans différence des sexes. C’est se définir comme un clone ou un « co-parent ». Et malheureusement, on y est !

 

Par exemple, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015 montre la mère porteuse (Veronica) au volant de sa voiture, en train de croquer une pomme tout en disant sa satisfaction d’offrir les deux bébés qu’elle porte à un « couple » homo. Incroyablement signifiant concernant le péché d’Ève. Tous les éléments y sont, et ce n’est même pas une mise en scène calculée. Satan se grille tout seul !
 

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles

 

Aussi étonnant que celui puisse paraître à nos contemporains athées et laïcistes, le climat social relativiste fortement gay friendly en Occident, tendant à banaliser et à idéaliser les actes homosexuels pour leur retirer toute négativité et culpabilité, tout caractère peccamineux, renforce paradoxalement la force du péché homosexuel (et le sentiment de culpabilité qui va avec). Dans bien des cas, surtout quand il s’agit d’homosexualité, c’est le bannissement systématique de cette bonne gêne, de ces appels intérieurs de la conscience, qui est vraiment perturbant, et non la gêne en elle-même. Beaucoup de personnes homosexuelles se matraquent à elles-mêmes « C’est pas de ta faute ! C’est pas de ta faute ! » (cf. le film « Will Hunting » (1997) de Gus Van Sant), parce que précisément elles s’infligent souvent la culpabilité de ne plus se reconnaître coupables pour des actes qui parfois la mériteraient. L’encouragement à renier ses erreurs n’a jamais été une preuve d’amour de soi. La phobie de la culpabilité demeure le plus sûr moyen d’expérimenter de vieux réveils de conscience inexpliqués et coûteux. Ce n’est pas pour rien si, par exemple, la scène d’aveux déchirés de Marthe, l’héroïne lesbienne du film « La Rumeur » (1961) de William Wyler, émeut autant certaines personnes homosexuelles encore aujourd’hui : « La répugnance et le dégoût d’elle-même qu’elle éprouve me bouleverse quand je revois le film. Et je pleure en me demandant pourquoi. Pourquoi est-ce que cela me bouleverse ?!? Ce n’est qu’un vieux film idiot… Les gens ne réagissent pas comme ça aujourd’hui… Mais je ne crois pas que ce soit le cas. Les gens éprouvent toujours un sentiment de culpabilité que je partage, même si on prétend assumer sa condition en s’écriant : ‘Je suis heureuse, bien dans ma peau, bisexuelle, homo’, on a beau dire ‘Je suis homo et fière de l’être’, on se pose toujours la question de savoir ‘Comment est-ce que je suis devenu comme je suis ? ’. » (Susie Bright citée dans le documentaire « The Celluloïd Closet » (1981) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman) L’embarras des sujets homosexuels face à leur désir ou à leur couple dit une part de la culpabilité justifiée qu’engendrent certains actes homosexuels. Loin d’être inquiétante, cette juste culpabilité est salutaire : elle dit que la conscience personnelle s’anime et se révolte à bon droit. Les personnes homosexuelles devraient s’accrocher à leurs gênes intérieures : elles sont de l’or en barre, des signes que leur conscience est encore en vie et qu’elle les appelle à se réveiller !
 

Vidéo-clip de la chanson "Such A Shame" de Talk Talk

Vidéo-clip de la chanson « Such A Shame » de Talk Talk


 
 

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Code n°77 – Folie (sous-code : Sacralisation du fou)

Folie

Folie

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

Le Rempart de la folie

 

Pet Shop Boys

Pet Shop Boys


 

Artistiquement, l’esthétique de la folie attire beaucoup les personnes homosexuelles : pour elles, le délire « transgressif » est davantage vecteur de Vérité que la Vérité même. Et la transgression de la différence des sexes qu’elles souhaitent mettre en place dans leurs amours leur apparaît comme une douce folie, qui apprendrait à la société une diversité raffinée, inaudible et rafraîchissante.

 

À d’autres moments, elles simulent le délire, par dérision cynique (quitte à abuser de la féminisation et à singer avec complaisance l’injure « folles ») mais aussi par peur ou désir de devenir vraiment folles. À l’image, elles cultivent l’ambiguïté du psychopathe et la présomption de démence, en chantant des comptines par exemple, ou en s’identifiant à l’ermite donquichottesque mis au ban de la société, mais qui malgré les apparences, dirait au monde les plus profondes vérités : en général, le mythe du vieux fou délirant, du « libre penseur » bohème, du sage étranger et pauvre (et homosexuel !), etc., les séduit intellectuellement beaucoup. Elles aiment ce qu’elles appellent « la littérature de la folie », l’écriture indécidable où on ne distingue plus bien si leurs auteurs ont réellement toute leur tête ou s’ils simulent la folie sous l’effet de drogues ou d’une vérité transcendante offerte uniquement aux simples d’esprit.

 

Mais dans les faits, la « folie » qu’elles promeuvent n’est pas du tout une folie mesurée, une folie libre, car elle est déconnectée du Réel (à commencer par son socle : la différence des sexes) et déconnectée des autres. Elle rime avec isolement narcissique. Certes, dans la Bible, il est marqué noir sur blanc que Dieu ne choisit pas des gens parfaits pour annoncer son Royaume, mais des fous. Et je crois personnellement que ce sont elles, les « folles », qu’Il élit aussi pour Le révéler. « Ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages. » (Paul, 1 Cor. 1, 27) Mais ceci ne devient effectif que dans l’accueil humble du Seigneur et de son ordre naturel.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Reine », « Bobo », « Amour ambigu de l’étranger », « Humour-poignard », « Cirque », « Se prendre pour Dieu », « Pygmalion », « Bourgeoise », « Artiste raté », « Déni », « Faux intellectuels », « Faux révolutionnaires », « Homosexualité noire et glorieuse », « Désir désordonné », « Femme étrangère », « Milieu psychiatrique », « Infirmière », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Amoureux », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Planeur », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Cour des miracles », « Doubles schizophréniques », « Androgynie Bouffon/Tyran », et à la partie « Carnaval » du code « Clown blanc et Masques », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Folie « géniale » et « vraie » :

Dans les fictions traitant d’homosexualité ou trouvant un fort écho chez le public homo, il est pas mal question de folie : cf. le roman La Folie en tête (1970) de Violette Leduc, le roman The Mad Man (1994) de Samuel R. Delany, le film « Florence est folle » (1944) de Georges Lacombe, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa, le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly, le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, la pièce La Cage aux folles (1975) de Jean Poiret, le one-man-show Jefferey Jordan s’affole ! (2013) de Jefferey Jordan, la reprise de la chanson « Crazy » de Seal par Aude Henneville dans The Voice France (première édition, en 2011), la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, le vidéo-clip « Let Your Head Go » de Victoria Beckham, la chanson « Can’t Get You Out Of My Head » de Kylie Minogue, le film « Totò che visse due volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec l’éloge bobo de la folie), le film « The Producers » (« Les Producteurs », 1968) de Mel Brooks, la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, la chanson « Loca » de Shakira, le film « Alice In Wonderland » (2010) de Tim Burton (avec le Chapelier dépeint en grande folle), la pièce Une Envie folle (2014) de Fabrice Blind, la chanson « Escargot » d’Éric Mie, etc.

 

Pièce Une Envie folle de Fabrice Blind

Pièce Une Envie folle de Fabrice Blind


 

En général, Le personnage fou est présenté comme un sage qui énonce de grandes vérités : cf. le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec la grand-mère Mathilde), le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson (avec le vieux marin), les chansons « Psychiatric » et « Maman a tort » de Mylène Farmer, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec les clowns blancs), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec Leonora qui va révéler de manière codée l’homosexualité de son cousin), le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber (avec le personnage de Félix Santini), le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec Madame Alison), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le facteur déluré), les personnages du Roi Lear (1604) ou de Macbeth (1623) dans William Shakespeare, le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec le personnage d’Augustine), la pièce Transes… sexuelles (2007) de Rina Novi, le film « Dernier des fous » (2005) de Laurent Achard, etc.

 

Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, dans ses accès de délires hallucinatoires, confond son lapin en peluche avec Dido son vrai lapin vivant… et il enterre son lapin en peluche avec la même tristesse hystérique que lui aurait causé la mort réelle de Dido. Le spectateur finit par comprendre que Dido a concrètement disparu en même temps que sa doublure-objet. Puis plus tard, dans l’hôtel abandonné, Dany discute, dans une sorte de rêverie éthérée et « poétique », avec le fantôme géant de son lapin Dido. On cherche encore le message caché et « puissant » de ces scènes « délire »… Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Frau Heike Becker est la vieille folle qui a des visions de fantômes mais qui dit la vérité. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare , Mathias Le Goff envoie un texto tendre à sa fille Victoire lui parlant de l’équipe de water-polo gay dont il a la charge : « Ton papa avec les fous. » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, sir Harold Nicolson, le mari-couverture de Vita Sackville-West, lesbienne, traite Virginia Woolf de « folle », et reproche à sa femme de s’enticher de « sa géniale malade ».

 

Selon la théorie inversante de certains créateurs homosexuels, le fou serait le sage (caché) et le savant serait un imbécile. Le génie fou serait même prioritairement homosexuel ! Par exemple, dans le roman Nightwood (Le bois de la nuit, 1936) de Djuna Barnes, Robin Vote, une jeune Américaine à l’allure androgyne, somnambule hantée par une légère folie, fascine son entourage. On retrouve la thématique du « surdoué » inculte et fou dans le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig, le film « Nell » (1994) de Michael Apted, le téléfilm « Le Petit Homme » (1991) de Jodie Foster ; ou dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, notamment. Par exemple, dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand se targue d’être à la fois « folle et sensée ». Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon dit qu’elle a intitulé son concert « Folie » puis se corrige en disant que c’est finalement « Free », en associant ainsi la liberté à la folie.

 

Vidéo-clip de la chanson "Désenchantée" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer


 

Dans les fictions homo-érotiques, la folie prend des allures de fête, de méga Gay Pride mondialisée : « Tous les fêlés sont des anges. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) ; « L’école de la folle sagesse peut sauver le genre humain. » (cf. une réplique dans la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Qui a plus de raison qu’un fou ? » (Louis II de Bavière dans la pièce Le Roi Lune (2007) de Thierry Debroux) ; « En moi le sage et fou vont apprendre à ne plus vivre seul. » (cf. la chanson « Dragon de feu » d’Étienne Daho) ; « Vous savez, la folie, parfois c’est charmant ! » (Monsieur Charlie dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Pourquoi se prendre la tête ? Faites comme moi : perdez-la ! » (le héros travesti M to F du one-(wo)man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Moi, je pense que l’avenir est aux Beurs, aux pédés, aux chômeurs, à tous les défoncés qui sont en train d’inventer une nouvelle culture, une nouvelle spiritualité. » (Nathalie, une des protagonistes lesbiennes du roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 151) ; « La folie est l’humour de l’intelligence. » (Nietzsche dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « En attendant d’être des rois, mes amis et moi sommes les acteurs d’une version de la folie des grandeurs, … sous une pluie de confettis » (cf. la chanson « Mes amis et moi » d’Arnold Turboust) ; « C’est mardi, mais c’est mardi gras. Aujourd’hui, les folles du Continental sont permises de se travestir, elles vont et viennent sans arrêt des galeries Lafayette qui se trouvent tout près, ce soir il y a un grand bal autour de la piscine. » (la voix narrative du roman Copi, Le Bal des Folles (1977), p. 129) ; « Avec tous ces papillons ! Je deviens folle ! » (China dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Moi, j’aime les vieux. Ils sont fous. » (Mégane dans la pièce Baby Doll (1956) de Tennessee Williams) ; « Je suis Foufou ! » (Frankie, bourré, dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson) ; « Il paraît qu’elle est folle. » (Louise, le personnage trans M to F, parlant de lui à la troisième personne, dans la chanson du téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « Depuis tu cueille les fleurs du mâle, heureux de vivre en diagonale comme un fou sur son jeu d’échecs. Allez savoir à quoi ça tient de naître noir, ou blond, ou brun, ou d’être gay. » (c.f. la chanson « À quoi ça tient » de Romain Didier) ; etc.

 

Souvent, les héros homosexuels s’affublent ironiquement du qualificatif de folie (de « folle » ou « grande folle »), comme pour forcer et neutraliser la présomption sociale de folie (et d’homophobie aussi !) qui pèse sur leur homosexualité : « Une folle à lier !!! » (Bernard à propos de son ami gay efféminé Emory, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Cette folle est très amusante, non ? » (Michael par rapport à Harold, son coloc aussi gay que lui) ; « Je croise sur le trottoir de la rue Bonaparte dix, quinze folles de boutique. […] Mon futur public, me dis-je méchamment. Non, ils ne lisent pas. » (le narrateur homosexuel à propos des personnes homosexuelles, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 15) ; « Tu es vraiment complètement folle. » (Mary, un transsexuel M to F s’adressant à Strella, également trans, dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras) ; « Il est barje. » (Alex parlant d’André, son beau-père homosexuel, dans l’épisode 364 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 26 décembre 2018) ; etc. La folie devient alors un féminin autoparodique, un savoureux cynisme, une préciosité de connivence interlope.

 

Par exemple, dans le film « Glückskinder » (« Laissez faire les femmes ! », 1936) de Paul Martin, Frank, le héros homosexuel, se tourne vers son compagnon Stoddard en s’exclamant : « Je viens d’avoir une idée complètement folle ! »… ce à quoi ce dernier lui répond « Venant de toi, ça ne m’étonne guère… ».
 

Chez le héros homosexuel, la folie est plus profondément une posture narcissique, un désir de se rendre intéressant(e) en jouant sa Drama Queen : « Je suis dingue. » (Donato s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « Vous allez penser que je suis complètement folle… » (Damien, le héros travesti M to F, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Je suis prêt à suivre tous les traitements que vous voulez. La camisole chimique. » (la mère folle dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; « Je suis folle ! Je suis folle ! Je suis folle ! Je suis folle ! Je suis folle ! Je vais me pendre à la vieille poutre apparente ! » (« L. », le héros transgenre M to F, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Promettez-moi que vous ne serez pas méchant avec moi dans votre gazette. On a propagé de telles insanités à propos de mon soi-disant mauvais caractère ! Il paraît que j’ai l’habitude de gifler mes partenaires. » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; etc. Le personnage gay ou lesbien trouve ça beau et drôle d’interpréter la tarée. « Folle n’est pas un emploi. C’est un rôle. » (Gérard, le héros homosexuel de la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; « Je l’ai vue à la télé et ça m’a rendu dingue. […] Notre seul point commun, c’est d’être cinglées. » (Strella, le héros transsexuel M to F parlant de la cantatrice Maria Callas, dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras) ; « Les yeux des filles, ça sert à quoi ? Ça sert à mettre le feu partout. Ça rend fou. » (Charlène Duval, le travesti M to F du one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Mélancolie. Par la porte opposée elle voit sa folie qu’elle va jeter plus loin de toi. […] C’est bien ça, un peu de déraison. Lonely Lisa. Devisée et tous à l’unisson. Lonely Lisa. C’est bien ça, un peu de déraison. » (cf. la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer) ; etc.

 

La folie ferait partie du « processus créateur »… Par exemple, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, le Traducteur-auteur joue au fou qui perd la tête (p. 155).

 

Parfois, le héros envisage son homosexualité et sa folie comme une snobisme victorieux : « Vous pensez que je suis folle, je suis juste sous l’emprise de mes hormones, je veux diriger l’empire des sens, être votre maîtresse à tous ! […] Oui, c’est ça dont on manque, de folie… de folles… Oui, c’est pour ça que moi je suis gay, voilà j’ai réussi à le prouver ! La folie, c’est la seule chose qui ne soit pas mondialisée. La folie c’est la véritable différence entre les gens, c’est la vérité. C’est quand on est fou qu’on est différent. La reine des folles, c’est moi ! Voilà ce qu’il nous faut : Une folle présidente ! » (le narrateur de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 101) Il prétend trouver dans la folie son identité profonde, la quintessence de son être : « Je suis folle donc je suis ! » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 32) ; « La sagesse : qu’est-ce que c’est ? » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Dans certaines fictions, le héros homosexuel cherche même à passer pour un fou (pour, par exemple, être exempté du service militaire) : cf. le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, le film « Yves Saint-Laurent » (2013) de Jalil Lespert, etc. « À la toute fin de l’entretien, je redis au psy mon espoir qu’on voudra bien me reconnaître pour fou. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 85)

 
 

b) La folie ma compagne/m’accompagne :

À ce propos, il est étonnant de constater que le protagoniste homosexuel est souvent entouré d’une femme folle (une mère, une sœur, une voisine, une amie, une « fille à pédé », la femme cinématographique, un être imaginaire, etc. ; je vous renvoie à la partie sur la « Mère folle » sur le code « Milieu psychiatrique » du Dictionnaire des Codes homosexuels) qu’il traite comme son bon laquais (qu’il s’autorise à massacrer verbalement ou physiquement) mais dont il ne peut pourtant pas se séparer : cf. le film « Diva Histeria » (2006) de Denis Gueguin, le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo (avec la voisine folle-dingue ricanante de Giulia), etc. « C’est ma voisine Ariane. Elle est folle. » (André dans le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Ça fait combien de temps que tu la supportes, l’autre folle ? » (Philippe, le héros homosexuel parlant à son compagnon, dans la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier) ; « Les actrices sont toutes des malades mentales. » (Doris, l’héroïne lesbienne de la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « J’aime une comédienne : Sybil Vane. […] Elle est devenue folle. » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Je savais que tu étais folle. Mais pas à ce point-là. » (Hugo le héros gay s’adressant à Julia sa meilleure amie lesbienne, dans le film « Como Esquecer », « Comment t’oublier ? » (2010) de Malu de Martino) ; « Cette folle perverse rêve depuis des années d’être tuée, elle est à la recherche d’un assassin, voilà : elle l’a trouvé : c’est moi. » (le narrateur homosexuel parlant de Madame Audieu, la voyante, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 110) ; « Je suis folle Karine. Folle. Et c’est follement beau d’être folle ! » (Petra dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Les pathologies – cleptomanes, mythomanes, pyromanes – me fascinent. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc.

 
 

Fred – « T’es complètement folle !

Alice – Non, Fred, c’est toi la folle ! »

(cf. un dialogue entre Fred, le héros homo, et sa meilleure amie hétéro, dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis)

 
 

c) Douce folie de l’amour homo :

Dans la fantasmagorie homosexuelle, c’est également l’amour homosexuel qui est envisagé comme une folie : cf. le film « Folle d’elle » (1998) de Jérôme Cornuau, le film « Le Fou du Roi » (1983) d’Yvan Chiffre, la chanson « Crazy For You » de Madonna, la chanson « Je t’aime » de Lara Fabian, etc. « Vous êtes aussi toquées l’une que l’autre. » (Marie-Louise, une brodeuse, par rapport au « couple » lesbien formé par Sidonie et la Reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « J’ai passé une nuit de folie, les garçons ! Faut que je vous raconte ! Anna l’actrice, elle s’appelle Anna et pas Vanessa, elle est folle ! » (Polly, l’une des héroïnes lesbiennes du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 34) ; « Je suis fou, mais je t’aime. » (Arsène parlant à Hector dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander) ; « La réalité, c’est que nous nous aimons comme des fous. » (Bryan par rapport à son couple avec Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 335) ; « Je suis fou d’amour, fou, fou ! » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’ai voulu être folle. Avoir un bonheur fou. » (l’héroïne de la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau) ; « T’es dingue. » (Jonas s’adressant à son amant Nathan, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc. Parfois, le trouble de la bisexualité est présenté d’ailleurs comme un symptôme de folie : « Je suis roi devenu fou. » (cf. la chanson « Indélébile » de Christophe Wilhem et Zaho)

 

La folie prend des allures de « magnifique passion » (un peu forcée, mais tant pis : la fin justifierait les moyens)… et pas du tout comme une idolâtrie ou un fanatisme qui enfermerait la personne : « J’ai toujours été folle des chaussures. Avec des paillettes. » (Zize, le travesti M to F dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Quand je quittais la scène, elles m’attendaient en coulisse par grappes ! Parfois elles montaient par le trou du souffleur ! Et plus je faisais la folle sur scène, plus elles m’adoraient. » (Cyrille, le héros homo de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je suis fou des enfants. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 68) ; « Mais vous savez, je l’aime énormément, cette petiiiiiite ! » (Carole Fredericks dans la version live 1989 de « Maman a tort » de Mylène Farmer) ; « Je l’aime comme une dingue. Je pensais pas qu’un jour, j’aimerais quelqu’un comme ça. » (Carole parlant de son amante Delphine, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; etc.

 

La folie est présentée par certains héros homosexuels comme une naïveté « fleur bleue » hors du commun, idyllique. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, au collège, s’est occupé de la déco de la fête du lycée, et trouve son immaturité à la fois touchante et ridicule : « Je faisais des étoiles en alu, et des nuages en coton. Il faut une folle pour ce genre de choses. » Celle-ci est mise en lien direct avec le premier émoi homosexuel (non-réciproque) d’Emory pour Peter, un gars hétérosexuel. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler propose à son amant Jim de « sécher » la messe et d’aller se baigner « pour qu’il soit avec lui, pour être fou »… et pour le draguer.

 
 

d) Le doute :

Derrière l’euphorie littéraire, cinématographique et intentionnelle, plane un sérieux doute sur la valeur de cette « folie » homosexuelle, et de son contrôle. Par exemple, dans le roman Los Alegres Muchachos De Atzavará (1988) de Manuel Vázquez Montalbán est remis en doute le délire soi-disant maîtrisé des « faux fous » homosexuels (p. 265). Le lecteur ou le spectateur sent qu’une fois confrontée au Réel, la folie et son pouvoir excitant tombent à plat et manifestent une fuite d’une souffrance/violence, d’une peur, que nous étudierons amplement dans le code « Milieu psychiatrique » du Dictionnaire des Codes homosexuels : « C’était notre seule façon de nous en sortir, la folie. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 89) ; « Le fou, il nous protège. » (cf. une réplique de la pièce musicale dans la pièce Toutes les chansons ont une histoire (2009) de Quentin Lamotta et Frédéric Zeitoun) ; « Tu es fou. » (Giovanna, amusée face au désir de son meilleur homo Léo de partir dans un pays imaginaire où chacun pourrait « se réinventer », dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; « Et ma folie me bouscule en m’éloignant des crépuscules. » (le héros du film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Folie « géniale » et « vraie » :

Dans le discours social actuel sur l’homosexualité, ou bien en bouche de beaucoup de célébrités homosexuelles, on entend une louange de la folie, souvent entendue d’ailleurs comme un synonyme d’homosexualité : « Plus ça va, moins je m’intéresse à l’écriture institutionnalisée sous la forme de la littérature. En revanche, tout ce qui peut échapper à cela, le discours anonyme, le discours de tous les jours, […] ce que les fous disent depuis des siècles dans le fond des asiles, ce que les ouvriers n’ont pas cessé de dire, […] ce langage à la fois transitoire et obstiné qui n’a jamais franchi les limites de l’institution littéraire, de l’institution de l’écriture ; c’est ce langage-là qui m’intéresse de plus en plus. » (Michel Foucault, Dits et Écrits I, 1954-1988 (2001), p.1280. Voir également Sa défense du fou p. 1003) ; « Je suis un fou qui aime l’humanité. Ma folie c’est l’amour de l’humanité. » (Vaslav Nijinski, Cahiers (1919), p. 7) ; « J’aurais aimé être une femme. Une vraie femme. J’aurais aimé être un fou. Un vrai fou. C’est ce que j’allais devenir, un jour. Fou comme les pirates de Salé qui ont terrorisé le monde aux XVIIe et XVIIIe siècles. Fou, corsaire, porté par un grand rêve et à la recherche d’un moyen pour le révéler aux autres, le crier, l’écrire. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 28) ; « Étrange tapette, insensée […] Attention, les tapettes deviennent folles. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, parlant de lui-même, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc. Dans la pensée queer actuelle, on nous offre des délires identitaires ou des travestissements comme de l’Esprit, comme des traits de génie (cf. le documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós et Violeta Salvatierra, la thèse La « folle » révolution autofictionnelle : Arenas, Copi, Lemebel, Puig, Vallejo (2009) de Lionel Souquet, etc.). Par exemple, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans explique que le « goût du scandale c’est le comportement dit de ‘folle » (p. 291).

 

À titre d’illustrations, dans une émission télévisée en 1983, Laurent Boutonnat avoue que ce qui l’a attiré chez Mylène Farmer, c’était son caractère « névrotique ». L’écrivain français Hervé Guibert se passionne pour Zouc, l’actrice déjantée. Dès l’âge de 9 ans, à l’école, le couturier Jean-Paul Gaultier dessinait des danseuses des Folies Bergère, et a trouvé dans l’univers de sa grand-mère la « liberté » et la folie fantaisiste qu’il recherchait pour fuir l’enfer scolaire. Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Barbara, la femme de Bertrand, joue la folle ou bien se voit définie ainsi : « J’avais envie d’être folle. J’avais envie d’être conne. » dit-elle quand elle s’habille de manière excentrique. Plus tard, elle s’empêtre dans son propre jeu : « Je crois que je deviens dingue. » Et sur scène, elle joue le rôle d’une folle : « Moi, rendue folle par les piqûres de la mouche » Les pseudonymes que se donnent un certain nombre d’internautes sur les sites de rencontres LGBT empruntent énormément au lexique de la folie, et sont quasiment signés « Dingo » : Delireman, Crazyboy, Loco69, Fol Bavard, etc. Certains théâtres parisiens où la programmation est particulièrement gay friendly portent la trace de la folie : par exemple, À la Folie Théâtre. Je pense aussi à l’agence de clubbing gay La Démence. Les témoignages d’auteurs homosexuels aussi : cf. l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias.

 

Chez certaines personnes homosexuelles, la folie est une posture narcissique, un désir de se rendre intéressant(e) en jouant le psychopathe inquiétant ou bien la Drama Queen humoristique qui feint la folie : « Je cherche un mari mais je ne suis pas folle vous savez. Bonsoir. » (cf. une annonce d’un profil lu sur un chat de rencontres gays en mai 2014, et pastichant le sketch de Florence Foresti – l’icône gay par excellence ! – qui parodie l’actrice Isabelle Adjani) ; « Je veux faire des films qui rendent les spectateurs fous, qui les pousse à commettre un meurtre. » (le réalisateur japonais Hisayasu Sato) ; etc. Il n’y a qu’à voir le succès que remportent des chanteuses ou des actrices borderline comme Judy Garland, Jeanne Mas, Mylène Farmer, Dalida, Maria Callas, Lady Gaga, Chantal Goya, Valérie Lemercier, etc., dans la communauté homosexuelle pour le constater !

 

Pensons également à la publicité « Perrier c’est fou ! » popularisée et interprétée par Copi à partir d’un personnage du Frigo, Goliatha, avec ses gros sourcils, et qui prononce la fameuse réplique « C’est fou, non ? ».

 

 

Certains critiques bobos n’hésitent pas à ratifier (d’un rire « jubilatoooire »… bien forcé) la « transcendance » de la « Folie » des « artistes » homosexuels : « Copi nous laisse une pièce d’une gaieté folle, si drôle que les spectateurs, de fou rire en fou rire, n’ont pas le temps de penser à l’incroyable défi de l’auteur. » (cf. l’article de Michel Cournot « Une Visite inopportune de Copi : Java-requiem », dans le journal Le Monde, daté du 22 février 1988)

 
 

b) La folie ma compagne/m’accompagne :

Vidéo-clip de la chanson "Je te rends ton amour" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer


 

Beaucoup d’artistes ou de réalisateurs homosexuels éprouvent une grande tendresse et une forte connivence de sensibilité avec le personnage de la femme hystérique incomprise et excentrique. « Quelle femme singulière ! Ce mélange inextricable de véritable folie créatrice et de coquetterie… » (Klaus Mann en parlant d’Else Lasker-Schüler, dans son Journal 1937-1949, p. 33)

 

C’est le cas par exemple de François Ozon avec le personnage d’Augustine dans le film « Huit Femmes » (2001), de Rainer Werner Fassbinder avec Petra von Kant dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (1972), de Pedro Almodóvar avec Gloria dans « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (1984) ou encore « Mujeres Al Borde De Un Ataque De Nervios » (1989), de David Forgit le comédien travesti M to F parodiant uniquement des prostituées hystéros dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) (par exemple Marie-Chantal qui laisse 17 messages sur répondeur, Mémé Huguette qui « simule la démence régressive »), de Didier Bénureau imitant la belle-mère acariâtre et cinglée, de Cyrille Étourneau avec sa Lucie la cruelle amoureuse dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013), de Thibaut de Saint-Pol avec sa Madeleine (surnommée « la vieille folle » ou « la vieille sorcière du Gaou ») dans le roman À mon cœur défendant (2010), etc. Pour eux, la folie est carrément un art, une stratégie géniale, un cri touchant et transperçant l’âme. Ils se refusent à la mépriser. Pire que ça : ils s’y identifient. Je me rappelle par exemple du fort succès, auprès du public homosexuel, qu’a rencontré le personnage de « Madame Foldingue » (interprétée par Claire Nadeau) dans les années 1980 dans l’émission Cocoricocoboy de Stéphane Collaro sur TF1.

 

Madame Foldingue

Madame Foldingue


 
 

c) Douce folie de l’amour homo :

« Quand on aime, on est ffffou… » ; « Grand fffou, va ! » Autant de répliques de films qui font tout de suite efféminées dès qu’elles sont prononcées en « live ».

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles affirment vivre la folie en amour. Une passion inénarrable (cf. l’autobiographie Fou de Vincent (1989) d’Hervé Guibert). « J’étais devenu un zombie. Un fou dans la nuit. Un mystique de l’amour. Un amoureux éconduit. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 53) Elles qualifient tout simplement de « folie » l’état amoureux. C’est très fréquent (cf. je vous renvoie aux codes « Amoureux » et « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 
 

e) Le doute :

Cependant, et malgré tout, l’éloge homosexuel de la folie laisse se profiler une angoisse, une insatisfaction, une souffrance et une violence qu’on étudiera plus en détails dans le code « Milieu psychiatrique » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels : « À vrai dire, je n’aime que les fous. Et cette folie est difficile à vivre. » (Thérèse, femme lesbienne de 70 ans dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Dans son château, le Marquis de Sade renouvelait ce qu’il appelait ‘les sept jours de Sodome et Gomorrhe’, où il sodomisait ‘en musique’ jusqu’à douze jeunes garçons dans la même matinée. Cette perversion et cette dépravation se terminèrent chez les fous à la suite de l’histoire des bonbons à la cantharide : un jour, Sade distribua aux prostituées et à leurs clients du domaine Ventre (l’un des anciens quartiers réservés de Marseille) des chocolats à la cantharide. Cette ‘blague’ érotique eut pour résultat non seulement une orgie collective qui dura deux jours, mais aussi deux morts. Arrêté, Sade échappa à la prison et à l’échafaud en simulant la folie. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 160) ; « Quand ma mère sent l’odeur de son parfum sur moi, elle me demande si je ne suis pas fou à porter un parfum de femme, celui de ma propre mère. Elle formule la thèse de la folie pour ne pas laisser échapper cet autre mot, ‘pédé’, ne pas penser à l’homosexualité, l’écarter, se convaincre que c’est de la folie qu’il s’agit, préférable au fait d’avoir pour fils une tapette. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 123) ; etc.

 

Au fond, je crois que nous avons affaire – avec les personnes homosexuelles adulant la folie – à de faux fous, qui parodient plutôt la véritable (et bonne) folie en s’enfermant dans l’image réductrice de folie diffusée à la télévision ou au cinéma (l’excentricité, l’exhibition, l’euphorie, le délire bruyant, le culot, l’originalité, etc.). Car la belle folie décrite par saint Paul dans la Bible comprend le Réel et l’Église, reconnaît la transcendance christique. Comme l’a exprimé le philosophe émérite Gérard Leclerc à l’Université d’Été du Printemps Français au Château de Lignière le 29 août 2013, « les plus fous des plus fous, ce sont ceux qui ont le plus le sens de l’absolu ».

 
 

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Code n°78 – Frankenstein (sous-code : Homme nouveau)

Frankenstein

Frankenstein

 
 

NOTICE EXPLICATIVE

Le transhumanisme et la création de cet être d’apparence humaine affranchi des limites de notre condition humaine (sexuation, procréation, souffrance, mort…) et baptisé Cyborg empruntent bien le chemin de l’homosexualité puisqu’on voit souvent, dans le discours des personnes homosexuelles et dans leurs oeuvres de fiction, la référence à Frankenstein.

 

Que dit la résurgence du personnage de Frankenstein (créé en 1818 par Mary Sheller) dans la fantasmagorie homosexuelle ? Une impression, chez certaines personnes homosexuelles, d’être un monstre ou un objet sacré : sûrement. Une envie de posséder et de réifier son amant : également. Une idolâtrie, surtout. Pour un Homme invisible, un Superman asexué (ou hyper-féminisé et hyper-masculinisé à la fois) qui libèrerait l’Humanité de toutes ses contraintes.

 

L’homosexualité est une forme d’eugénisme new look : elle célèbre l’existence d’un mythique « Homme nouveau » (inconsciemment, l’androgyne asexué ou pluri-sexué ; « consciemment », son actualisation humaine imparfaite, c’est-à-dire « la personne bisexuelle ») reposant sur la diabolisation d’un autre Homme nouveau présenté comme préhistorique (« l’hétérosexuel » ou « l’homophobe »).

 

L’homosexualité masculine semble émerger d’un sentiment de non-conformité par rapport à l’image masculine imposée par les médias, d’une peur fondée avant tout sur certaines images faussées de l’homme réel. « J’avais l’impression que d’être homosexuel faisait de moi un sous-homme. C’est pour ça que j’ai longtemps été mal parce que je courais après une espèce d’image masculine, qui est un archétype social, mais qui n’est pas une réalité en définitive. Je courais après ça… et moi, je suis pas comme ça. » (Olivier, témoin homosexuel de 37 ans, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) La même chose semble s’être produite pour l’homosexualité féminine : la comparaison excessive à la femme-objet a certainement été décisive. « Je n’étais pas bien belle. Je n’étais pas une pin up. J’étais toujours un peu rondouillarde… » (Micheline, femme lesbienne citée dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, p. 50)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles croient avoir échappé à l’identification à l’image idéalisée de l’homme-objet en la rejetant intellectuellement bien après l’avoir adulée. Mais ce processus d’intellectualisation arrive souvent trop tard. Ce n’est qu’après avoir intégré l’idée que l’image médiatique de la masculinité était leur réalité profonde qu’elles disent ensuite que rationnellement, elle ne doit pas l’être, qu’elles sont pleinement elles-mêmes sans les médias et en dehors de tout modèle humain marchand. C’est pour cela qu’elles tentent ensuite de reproduire, à coup de sincérité, de clichés photographiques, de maquillage (et parfois de scalpel !), le miracle du Frankenstein, sur elles-mêmes ou sur leurs partenaires sexuels.

 

Les créateurs de l’homme-objet, de « l’hétérosexuel », ce sont souvent les personnes homosexuelles elles-mêmes. C’est déjà le cas historiquement (le terme « homosexuel » est apparu en 1869, et a précédé celui d’« hétérosexuel », survenu un an après) ; c’est aussi le cas en image – avec toutes les représentations d’un Frankenstein fabriqué par un savant fou homosexuel – et parfois dans la réalité : nombreux sont par exemple les photographes gay qui ont réifié l’homme-objet en estampe sacrée, et lui prépare une place confortable dans l’espace public. Difficile maintenant, quand on se ballade dans une ville de France, ou quand on surfe sur Internet, d’échapper visuellement aux couvertures aguicheuses de la presse gay où s’étalent les mannequins Ken et des Frankenstein athlétiques, stoïques, antipathiques, et au regard « de braise »/éteint.

 
 

N.B. : Voir également les codes « Homme invisible », « Don Juan », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Morts-vivants », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Milieu homosexuel infernal », « Médecin tué », « Femme et homme en statues de cire », « Femme allongée », « Clonage », « « Je suis différent » », « « Plus que naturel » », « Pygmalion », « Amant modèle photographique », « Se prendre pour Dieu », « Femme fellinienne géante et pantin », « Différences culturelles », la partie « amant-objet » du code « Poupées », la partie sur le « corps morcelé » du code « Ennemi de la Nature » et la partie « mise en scène de son enterrement » du code « Mort », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel se prend pour Frankenstein ou le docteur qui l’a créé :

FRANKENSTEIN 1

Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman


 

Régulièrement dans les fictions traitant d’homosexualité, le mythe de Frankenstein apparaît : cf. le film « Frankenstein » (1931) de James Whale (dans lequel le monstre est créé par un couple d’hommes gay), la comédie musicale Big Manoir (2007) d’Ida Gordon et d’Aurélien Berda, le film « De la chair pour Frankenstein » (1974) d’Antonio Margheriti et Paul Morrissey, la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario (avec la création du Frankenstein macho), le roman El Anarquista Desnudo (1979) de Luis Fernández, le film « Frankenstein Monster » (1974) de Rossani Brazzi (avec notamment des bains entre femmes), le film « La Fiancée de Frankenstein » (1935) de James Whale (avec les docteurs Frankenstein et Prétorius), le film « Island Of Lost Souls » (1933) d’Erle C. Kenton, le film « I Was A Teenage Frankenstein » (1957) d’Herbert L. Strock, le film « House Of Horrors » (1946) de Jean Yarbrough, le film « Le Fils de Frankenstein » (1939) de Rowland V. Lee, le film « Frankenstein créa la femme » (1967) de Terence Fisher, le film « Insatisfaites poupées érotiques du professeur Hitchcock » (1971) de Fernando Di Leo, le film « The Making Of Monsters » (1990) de John Greyson, le spectacle musical Créatures (2008) d’Alexandre Bonstein et Lee Maddeford, la pièce Asseyez-vous sur le canapé, j’aiguise mon couteau (2013) d’Alexandre Delimoges (avec une Comtesse Frankenstein qui crée une créature gay), le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander (avec le vampire nommé Prétorius, exactement comme le créateur de Frankenstein), le film « Young Frankenstein » (« Frankenstein Junior », 1974) de Mel Brooks (Dr Frankenstein Junior et Frankenstein jouent au couple), la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec le Docteur aux faux airs de Frankenstein), le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec l’effrayant Docteur Lebrun), la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, le film « Lust For Frankenstein » (1998) de Jesus Franco (film érotique), le film « Tras El Cristal » (1987) d’Agustí Villaronga, le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys (avec Bryan dans le comas juste après son accident de moto), le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman (avec la scène d’embaumement du corps du Rav), le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard (avec le héros « instancé », pris pour un Dieu par sa mère), le film « Brüno » (2009) de Larry Charles, la chanson « Sensiblement modifiés » de Stanislas et Béatrice Rosen, le film « Smooth » (2009) de Catherine Corringer, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec Vera sur le billot, recevant des décharges électriques pour obéir aux diktats de la chirurgie esthétique), la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec la scène d’électrocution sur la chaise électrique), le film « La Piel Que Habito » (2011) de Pedro Almodóvar, le film « Opération d’un discours » (2008) de Camille Ducellier (avec les deux chirurgiens travaillent la plastique des corps), le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer (avec le Petit Chaperon Rouge sur la table d’opération, et se transformant en femme-araignée), etc.

 

FRANKENSTEIN 2

Clip « Dégénération » de Mylène Farmer


 

Régulièrement, le héros homosexuel crée l’homme-objet (= Frankenstein), c’est-à-dire l’hétérosexuel, l’homosexuel-le, le transsexuel ; ou bien est considéré comme un être bionique qui va être construit de toute pièce et téléguidé par son amant-savant fou : « J’ai créé un monstre : j’ai pris un transsexuel, j’en ai fait une lesbienne. Gniarc gniarc gniarc ! » (Édouard à Jenny, dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte) ; « María-José n’en était pas à sa première expérience chirurgicale. » (le transsexuel de la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, pp. 29-30) ; « Jane avait allumé les lampes pour repousser l’obscurité et le salon renvoyait un éclat blanc sous l’éclairage soigneusement réglé, si stérile qu’il n’aurait pu appartenir à la clinique de quelconque chirurgien esthétique. Il était facile d’imaginer un chariot entrant dans cet espace presque vide, poussé par des chirurgiens masqués, prêts à sculpter une beauté. Elle se les représenta un instant, leurs mains gantées s’activant profondément dans le sang. L’image évoquait trop la naissance venir et elle la chassa. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 135) ; etc. Par exemple, pendant toute la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank et son amant Jonathan surnomment le Dr Apsey (le psy de Frank) « Frankenstein » : l’homonymie entre le patient et son soignant laisse entendre la fusion amoureuse et identitaire des deux protagonistes. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, le médecin qui va opérer la narratrice transgenre F to M pour son changement de sexe se montre particulièrement cruel, despotique et infantilisant : « Il va falloir perdre cette habitude de s’excuser ou de remercier tout le temps. ‘Masque neutre’, vous vous rappelez ? Ça va venir. Une déconstruction, ça prend du temps. » Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le docteur Blaise Poppyx, homosexuel, va implanter des faux pectoraux et des poils sur le fiancé de Gatal.

 

Très souvent, les amants homosexuels fictionnels veulent s’opérer l’un l’autre… pour généralement ne faire plus qu’Un et se greffer ensemble : « J’vais te recoudre. » (Saint Loup à son compagnon Casta dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; « J’ai toujours aimé expérimenter. Observer jusqu’à quel point je pouvais transformer les gens. C’est mon côté docteur Frankenstein. » (Amande dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 95) Par exemple, dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Gabriel et son futur amant Léo se rapprochent en allant voir ensemble au cinéma un film où un robot monstrueux tient dans sa main un marié et une mariée qu’il écrabouille.
 

Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, tombe amoureux de Christopher, son camarade de classe au pensionnat britannique, son unique ami qu’il perdra brutalement. Plus tard, quand Turing crée une machine à décoder les messages nazis, il la baptise « Christopher », en hommage à son amant disparu. Il a la prétention d’humaniser les robots, d’être le père (incompris) d’un « Electrical Brain » qui réagirait « comme le ferait une personne » : « Vous ne comprendrez jamais ce que je suis en train de créer ! » Même si intellectuellement il sait encore faire la différence entre un Homme et une machine, il pense néanmoins que la machine « pense »… et mérite d’être aimée.

 

FRANKENSTEIN 6

Film « Frankenstein Monster » de Rossani Brazzi


 

Bien évidemment, le mythe de Frankenstein rappelle le désir de se prendre pour Dieu. Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar propose à Khalid, son amant, d’aller au cinéma voir le film « Re-Animator », relatant l’histoire d’« un homme qui réveille les morts » (p. 111) ; et à la fin de l’histoire, il le tuera pour mieux le posséder/ressusciter. Dans le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le Docteur Frank-N-Furter, le dieu transsexuel, crée Rocky, un parfait Monsieur Muscle ; il est la parfaite résurgence queer de Frankenstein. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la pièce commence par une femme sur scène (la narratrice transgenre F to M) qui se met en position fœtale, comme un monstre difforme sur une table d’opération : elle exprime en quelque sorte que son corps lui appartient et qu’elle serait son propre matériau.

 

FRANKENSTEIN 3

Film « The Raven » de Lew Landers


 

En général, la mégalomanie du Docteur Frankenstein aboutit à une hybridité machine-Homme monstrueuse : « Le laboratoire du corps humain transforme toute la beauté du monde en dégoût. » (le comédien prononçant son slam sur la sodomie, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) Le mythe de Frankenstein renvoie à une conception réifiante, violente, et marchande du corps humain : « Ça se ressoude tout seul. » (Irina parlant de son doigt cassé, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Quelqu’un est déjà entré là-dedans. Ou c’est un petit Frankenstein ? » (le skinhead gay s’adressant à Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, en l’agressant, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 96) ; etc. Par exemple, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, le Docteur Frankenstein est d’ailleurs clairement la figure du Pygmalion violeur : « Je viens de greffer un cerveau artificiel de mon invention ! » (le Professeur Vertudeau évoquant la lobotomie opérée sur la cantatrice Regina Morti) ; « Cette dame est ma créature. » (idem) « Je t’ai vu la violer sur la table d’opération ! » (l’Infirmière s’adressant au professeur Vertudeau à propos de Regina Morti) ; « Vous avez détruit mon chef-d’œuvre ! » (le Professeur s’adressant à l’Infirmière, idem) ; « Son regard croisa celui de Mann et elle eut un aperçu du professionnel qu’il était, un médecin qui connaissait les rouages secrets du corps féminin, un homme capable de vous démonter. » (Jane dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 175) ; etc.

 

Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, présente l’inconvénient de son métier : « Y’a le revers de la médaille : tu vieillis plus vite que d’habitude. » Il se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique pour rajeunir. Le résultat n’est d’ailleurs pas toujours à la hauteur de ses espérances. « T’as l’impression d’être un monstre et qu’il faut refaire toute ta gueule. ». Jeanfi parle « des effets mordants du peeling » et des ratés de son médecin qui le bronze de trop.
 
 

b) Le mythe eugéniste de l’Homme nouveau :

L’homosexuel fictionnel croit au mythe de l’Homme nouveau, auto-créé (sans Dieu) ou parfait comme une race tout juste sortie de sa table d’opération : cf. le film « The New Man » (1992) de Mike Hoolbloom, le film « The New Women » (2001) de Todd Hughes, le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, le film « Nouveaux Mecs » (1994) de Sonke Wörtman, le roman Borderlands/La Frontera : The New Mestiza (1987) de Gloria Anzaldúa, le film « Desi’s Looking For A New Girl » (2000) de Mary Guzmán, le film « Twee Vrouwen » (« Deux fois femme », 1985) de George Sluizer, le film « Un Homme un vrai » (2002) de Jean-Marie et Arnaud Larrieu, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, le film « Best Men » (1997) de Tamra Davis, le roman Un Garçon parfait (2008) d’Alain Claude Sulzer, la B.D. En Italie, il n’y a que des vrais hommes (2008) de Luca de Santis et Sara Colaone (au titre si ironique que cela ?), la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2004) de Frank Oz, etc.

 

La défense de l’Homme Nouveau s’engendrant lui-même suit en général une logique esthétique (et donc consumériste, marchande, conquérante, homosexuellement/minoritairement universaliste, pulsionnelle, pornographique) plus qu’une noble quête éthique : « Sébastien évoquait un dieu du stade. Il aurait pu symboliser la beauté aryenne la plus pure. » (Jean-Paul Tapie, Dix Petits Phoques (2003), p. 12) ; « Ce n’est rien, trois points de suture dans le prépuce et quatre dans le testicule et vous serez un homme neuf ! » (le lieutenant Kling au narrateur dans la nouvelle « La Mort d’un phoque » (1983) de Copi, p. 22) ; « Je me ressaisis avec énervement, on est gay, on a le devoir d’être plus fort que soi, d’être puissant, de bander dur et d’avoir un désir infaillible. C’est dans les films porno qu’on apprend cela, les seuls endroits où l’homosexualité existe de plein droit. Je lui fais l’amour avec autorité, sans déroger sous ses plaintes. » (Mike, le narrateur homosexuel, dans le roman Des Chiens (2011), p. 69) ; « Couchons-nous et demain, lesbiennes et pédales seront le genre humain. » (Cf. la reprise parodique de l’Internationale, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; etc. Je vous renvoie au chapitre « Un vrai mec » dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin (p. 63) : « Jake a fouillé dans la poche de son jean et m’a remis une carte chiffonnée, de couleur kaki, avec son numéro de portable. Dessus, JAKE GREENLEAF se détachait en lettres vert foncé entrelacées de lierre. En dessous, en minuscules, il était marqué : New Man. Cette référence à un homme nouveau m’a paru géniale et je le lui ai dit. » (p. 73) Par exemple, le voix narrative du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig fait l’éloge des Élisabéthains, cette « race anglo-saxonne » présentée comme supérieure. Le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet traite justement de l’idéologie sectaire de l’Homme nouveau, à travers l’exemple du monde lisse et inhumain du monde de l’entreprise qui construit des « nouveaux aristocrates » (p. 179), « une race d’hommes » (p. 180).

 

Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, l’être humain est mesuré comme un cheval : il doit correspondre exactement à l’idéal physique des eugénistes homosexuels, obnubilés par la « pureté » et le « pedigree » des couples homos qu’ils veulent former à tous prix pour assurer leur descendance. Toute la pièce tourne autour du culte de la Virilité, du couple homosexué, de la Fertilité de la semence des Mâles.
 

Par ailleurs, il est intéressant de noter que la prise de conscience du statut d’« Homme nouveau » arrive généralement après un viol : cf. la nouvelle El Lobo, El Bosque Y El Nuevo Hombre et Fresa Y Chocolate (1992) de Senel Paz, le film « Théorème » (1968) de Pier Paolo Pasolini, etc. L’Homme nouveau, c’est l’Homme violé, qui a vécu l’épreuve traumatisante du viol qu’il présente comme un rite initiatique merveilleux et révélateur d’une homosexualité « profonde », pour ne pas s’écrouler identitairement.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

a) L’importance du mythe de Frankenstein dans le désir homosexuel :

FRANKENSTEIN 4

Sourire pour la photo?


 

Commençons par ce beau clin d’œil : James Whale, le réalisateur du fameux premier film « Frankenstein » (1931), est comme par hasard homosexuel !

 

Je vous renvoie également au documentaire « Creature » (1998) de Parris Patton, aux nombreux croisements entre l’univers queer de la série La Famille Addams (avec le personnage de Lurch, notamment) et celui de Frankenstein. Dans le film « Gods And Monsters » (1998), Ian McKellen (acteur homosexuel) interprète le rôle de James Whale. Dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, on apprend que José Luis Amarilla va voir « El Jovencito Frankenstein » au cinéma (p. 30).

 

On décèle une parenté incestueuse dans cette affaire de Frankenstein homosexuel. Tout donne à penser que symboliquement la personne homosexuelle est le fils ou le père improbable de l’homme-objet (cf. le code « Tante-objet ou maman-objet » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, certains drag-king lesbiens copient Elvis Presley, le symbole de l’Éternel Masculin. Le père de l’écrivain Malcolm Lowry gagna un concours du meilleur Monsieur Muscles de sa région (cf. le documentaire « Le Volcan » (1976) de Donald Brittain). Le père de Gore Vidal était une star de l’athlétisme ayant représenté les États-Unis aux Jeux olympiques d’Anvers (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 64). Jean-Claude Brialy, dans son autobiographie Le Ruisseau des singes (2000), présente son père comme un homme-objet séduisant, beau et sportif.

 

Régulièrement, par le cinéma, la photographie, l’outil Internet, la danse, la psychanalyse, la chirurgie, certains artistes et intellectuels homosexuels créent l’homme-objet (= Frankenstein), c’est-à-dire l’hétérosexuel, l’homosexuel-le, le transsexuel ; ou bien se considèrent comme des êtres bioniques qui vont être construits de toute pièce et téléguidés par leur amant-savant fou : « J’aimerais changer de corps, le faire refaire au complet pour pouvoir me dire que je recommence ma vie à zéro. » (Jean-Philippe, un témoin homosexuel, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (2008) de Michel Dorais, p. 88) ; « Quand on est trans, on sait qu’on doit se réaliser. » (Marie, homme M to F, pendant le débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; etc. Par exemple, on doit à l’écrivaine lesbienne Cathy Bernheim une version « au féminin » de Frankenstein, Cobaye Baby (1987), ainsi que la biographie de l’auteur de Frankenstein, Mary Shelley (1987) et Mary Shelley – La jeune fille et le monstre (1997). L’Homme qui s’identifie à Frankenstein essaie, par ses propres moyens et par la science, de donner corps à ses fantasmes amoureux, à pulsions homosexuelles, à ses désirs narcissiques de mort/toute-puissance : « Je cherche Mister Perfection. » (Brüno dans le film « Brüno » (2009) de Larry Charles)

 

Par rapport au mythe de Frankenstein, les personnes homosexuelles adoptent très souvent une attitude de déni idolâtre : elle critique le Frankensteinisme chez les autres (cf. la parodie des dégâts de la chirurgie esthétique dans le one-woman-show Nana vend la mèche (2009) de Frédérique Quelven, avec l’agence fictive « Relooking Extrem ») pour mieux s’y soumettre dans les faits.

 
Concrètement, le mythe de Frankenstein, en des termes plus réalistes, instaure une dichotomie corps/âme : il s’agit du fantasme humain de mettre l’âme de quelqu’un dans le corps de quelqu’un d’autre. C’est du transfert de personnalités, ou plutôt de personne. C’est de la violation d’unicité du corps, et donc de la violation de personnes.
 
 

b) L’idéologie eugéniste de l’Homme nouveau (transhumanisme) :

FRANKENSTEIN 5

Film « Œdipe (N + 1) » d’Éric Rognard


 

Revient souvent dans les discours des personnes homosexuelles le complexe d’adolescence de ne pas être un « vrai garçon » et « une vraie fille » (et, pour le coup, de devenir un « vrai homme » ou une « vraie femme » avec le coming out ou le passage à l’acte homosexuel), ou bien chez les personnes transsexuelles ce désir de devenir « une vraie femme » ou « un vrai garçon » par la chirurgie : je vous renvoie aux documentaires « Enough Man » (2004) de Luke Woodward, « Glamazon : A Different Kind Of Girl » (1993) de Rico Martinez, « 100% Woman » (2004) de Karen Duthie, etc. « Comment une vie bascule à travers une main qui s’aventure… Je suis devenue une vraie femme. » (Thérèse par rapport à sa toute première fois lesbienne, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Et beaucoup plus tard, j’ai reconstitué ce que j’avais vécu naïvement, sans la moindre arrière-pensée, le schéma relationnel de cette communauté liée par un pacte dont le secret était l’érotisme masculin ou, pour m’exprimer sans voile, les relations homosexuelles qu’entretenaient les membres de son équipe de base, au centre de laquelle se trouvait le guide charismatique de base, le Männerheld – le héros des hommes. » (Nicolaus Sombart par rapport aux Wandervogel allemands, dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, p. 124) ; etc. Dans le premier numéro du premier journal homosexuel en Allemagne nazie Der Eigene, Adolf Brandt dédie le journal aux « individus forts » qui organisent leur vie selon leurs propres codes et refusent de se conformer à la morale des masses.

 

Même si cette conscience identitaire prend au départ l’apparence d’une enthousiasmante Renaissance, de l’« Orgueil », du « Progrès », de la « Beauté », du « Droit », de l’« Égalité », du jeu, elle dit en réalité une haine de soi et une honte injustifiée ; et les moyens employés pour les camoufler sont beaucoup moins poétiques. La croyance en l’Homme nouveau a été, rappelons-le, le centre névralgique de l’idéologie nazie pendant la Seconde Guerre mondiale ; elle est déplacée aujourd’hui vers le mythe du self-made man individualiste, hédoniste, athée, bisexuel : « Ainsi certains n’hésitent-ils plus aujourd’hui à laisser entendre qu’ils seraient de ‘pure condition homosexuelle’. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), pp. 111-112)

 

Le mythe de l’Homme nouveau auto-créé est défendu par de nombreuses personnalités homosexuelles : André Gide (cf. Corydon, en 1923), Stefan Sweig, William Burroughs, Monique Wittig (cf. Les Guerrillères en 1969), tous les défenseurs zélés du coming out (présentant l’annonce de l’homosexualité ou la rencontre avec leur « moitié » comme une résurrection), la grande majorité des personnes homosexuelles qui pensent que tous les couples femme-homme seraient « les hétérosexuels » et que « les homos » seraient tous des « victimes d’homophobie », etc. « L’homophobie qui peut exister, les inégalités hommes/femmes qui demeurent ne sont, en définitive, que des prétextes pour construire une nouvelle humanité, affranchie de toutes normes et de toutes références à un ordre quelconque. Une société où chaque individu dans la force de son vouloir est un nouveau dieu puisqu’il se définit lui-même dans un déni de la réalité. » (Élizabeth Montfort, Le Genre démasqué (2011), p. 82) Par exemple, dans l’Angleterre de la fin du XIXe siècle, le groupe d’intellectuels formé par Bertrand Russell, Lytton Strachey, E. M. Forster ou J. M. Keynes, faisait l’éloge des invertis, ceux qui pratiquent des plaisirs interdits et soi-disant « supérieurs » (« Higher Sodomy ») à la « banale » sexualité femme-homme.

 

Des penseurs comme Fabrice Hadjadj, ou encore Tony Anatrella, nous avertissent de l’inquiétant chemin qu’est en train de prendre notre monde social et scientifique de plus en plus techniciste, qui, obnubilé par son idée de progrès, transforme peu à peu l’Homme en machine asexuée et désincarnée, et vise un « post-humain » concrètement inhumain et activement bisexuel/asexuel : « On a séparé la sexualité de la procréation, puis la procréation de la conjugalité, ensuite la procréation de la parenté ; et si l’on veut à présent dissocier la procréation de la différence sexuelle en laissant entendre qu’un enfant peut se concevoir et être éduqué en dehors de cette différence fondamentale. La prochaine étape consistera à déshumaniser la conception d’un enfant en dehors de toute union sexuelle, du portage maternel et de l’accouchement. Certains se réjouissent déjà que la femme soit un jour libérée de la maternité grâce à la machine à ‘fabriquer’ des bébés. » (Tony Anatrella, Le Règne de Narcisse (2005), p. 113) La mutilation du corps que s’imposent les personnes transsexuelles en fournit l’exemple le plus extrême. Mais les couples homosexuels, en rejetant ce bloc fondamental du Réel qu’est la différence des sexes, rejoignent, au moins au niveau du désir, la même réification monstrueuse de Frankenstein.

 

Il existe toute une confrérie scientifique de chirurgiens qui exploitent le mal-être des personnes transgenres pour se faire du fric sur leur dos. C’est le cas du docteur Jean Chambry, visiblement homo, qui promeut la transition des transgenres (cf. l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6).
 
 

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Code n°79 – Frère, fils, père, amant, maître, Dieu

frère, fils, amant

Frère, fils, père, amant, maître, Dieu

 

NOTICE EXPLICATIVE

 
 

La relation « amoureuse » homosexuelle : pas ajustée

 

Film "I Think I Do" (1997) de Brian Sloan

Film « I Think I Do » (1997) de Brian Sloan


 

À première vue, le couple homosexuel ressemble à un grand feu d’artifice. On y découvre une infinité de désirs, y compris des désirs non-amoureux. Éros, Philia, et Agapê semblent s’être donnés rendez-vous pour fusionner ensemble, pour fêter la plénitude de l’androgyne. Le problème, c’est que dans cette énorme salade composée, on les a perdus en route ! On ne les retrouve plus que par bribes, car à la base, on n’a pas voulu les distinguer (le noeud du problème et là : on n’a pas cherché à les dissocier, à les définir, pour mieux les unir : tout s’est joué au niveau du refus du désir, de la liberté !). C’est pourquoi la relation homosexuelle est un « magma » informe qui n’a pas d’identité claire ni le goût extraordinaire qu’on attendrait de l’Amour vrai. Elle n’aide pas ceux qui la composent à se positionner pour vraiment se sentir à leur place, pour vraiment se sentir aimés. Comme elle a trait à un peu à tous les types de liens sociaux possibles (fraternité, amitié, spiritualité, paternité, camaraderie, etc.), la personne aimée dans le cadre conjugal homosexuel est amenée à porter les nombreux et inconfortables masques du frère, du fils, du père, du « bon copain », du maître, du Dieu, qui ne lui reviennent pas exactement, qui sont trop grands ou trop petits pour sa taille, et qui ne lui donnent pas une identité fixe assez solide pour un engagement durable et une confiance partagée à deux. Il est aisé de prétendre aimer sincèrement quelqu’un, sans prendre le temps de se pencher sur les raisons profondes de notre attachement à lui. L’amant peut servir de prétexte pour régler précipitamment toutes les blessures d’enfance que nous ne voulons pas affronter. Au départ, l’amour que nous lui portons prend l’apparence d’un enthousiasmant « best-of d’amour(s) »… avant de se transformer, au fil du temps, en épouvantable (ou ennuyeuse !) pieuvre à six têtes.

 

Comment peut-on qualifier le couple homo ? Quelle place y occupe le partenaire amoureux ? Est-il aimé pour qui il est vraiment, ou est-il juste un « bon copain », un compagnon de vie, un frère, un substitut paternel ou filial, quelqu’un qu’on « aime bien » mais qu’on n’aime pas pleinement, quelqu’un qu’on aime trop parce qu’on l’« adore » ? Toute personne homosexuelle en couple serait en droit de demander à son compagnon : « Tu me dis que tu es mon frère, mon fils, mon père, mon amant, mon maître, mon Dieu… mais qui suis-je vraiment dans l’histoire ? Suis-je unique ? M’aimes-tu vraiment ? Es-tu unique pour moi ? Qu’est-ce qui me rend plus spécial à tes yeux qu’un autre ? Qu’est-ce que nous attendons de nous ? Que faisons-nous ensemble, au juste ? Arrête de m’infantiliser ! Je ne suis pas ton père ! Qu’est-ce qui nous différencie de simples colocs’… à part le sexe ? »

 

N.B. : je vous renvoie également aux codes « Inceste », « Amant modèle photographique », « Poupées », « Inceste entre frères », « Infirmière », « Mère possessive », « Cannibalisme », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Pygmalion », et à la partie sur l’« amitié » dans le code « Solitude », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

En remettant en question la valeur de l’amour homosexuel tel que je le fais, je m’expose probablement aux foudres de certaines personnes homosexuelles qui prétendent – le plus sincèrement du monde ! – qu’elles aiment profondément leur partenaire ou qu’elles ont vraiment connu le « Grand Amour », souvent au prix de nombreux sacrifices qui suffisent à prouver la force surhumaine de leurs sentiments. Mais je continue de penser que la majorité d’entre elles confondent l’amour avec l’impression d’amour qui se dégage de différents types de liens (entre deux frères, deux amis, un élève et son maître, une personne malade et son visiteur, un acteur et son public, un père et son fils, etc.) qui peuvent assurément offrir des instants de complicité « forts » mais qui ne sont pas d’ordre purement aimant.

 

Étant donné que l’union conjugale homosexuelle n’est pas procréatrice mais réellement fantasmée (dans le sens de « réalité fantasmée » que j’emploie dans mon livre, à savoir une réalité forcée, où priment les fantasmes), l’identité des amants au sein du couple homosexuel devient fatalement floue. Quand certains sujets homosexuels essaient de parler de leur relation d’amour, nous ne savons jamais trop s’ils se réfèrent à une union paternelle, fraternelle, amoureuse, amicale, gémellaire, féodale, religieuse, ou autre. Ils définissent leur partenaire comme un père, un fils, un grand frère protecteur, un bon ami, un frère jumeau, un confident, un fidèle serviteur, un maître, un roi, un demi-dieu, mais ils ne sont convaincus par aucun de ces qualificatifs.

 

Dans un premier temps, comme le lien homosexuel touche un peu à tous les types de liens humains possibles, il ressemble à une étourdissante salade composée renfermant le meilleur. Nous pourrions dire que c’est un « best-of d’amour(s) » ! Mais à vouloir tout mettre dans cette salade, et surtout des éléments qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, elle finit par ne plus avoir de goût. Plus les jours et les mois se succèdent, et moins les partenaires homosexuels se surprennent… ou plutôt si : ils se découvrent, mais dans le mauvais sens. Tous deux portent tellement de masques à la fois qu’ils sont amenés à se demander qui ils sont véritablement pour l’autre et pour eux-mêmes. « Mon copain m’assure qu’il m’aime… mais m’aime-t-il vraiment d’amour, ou comme un simple ami, un substitut paternel, un tendre frère, ou un dieu tout-puissant, que je ne suis à l’évidence pas ? » À la longue, leur questionnement peut devenir très vite obsédant puisqu’il met en lumière une angoissante absence de projet de vie, et un refus mutuel de l’acceptation libérante de leur inaliénable unicité. « Je reste avec l’autre parce que je n’ai pas la force de le quitter et de m’aimer seul » pourraient s’avouer intérieurement à elles-mêmes beaucoup de personnes homosexuelles !

 

L’amalgame entre amour et amitié par exemple est beaucoup plus dramatique que ce que nos sociétés actuelles le pensent : l’un et l’autre se détruisent quand nous les faisons fusionner ensemble. Certaines personnes homosexuelles camouflent leur gêne de cette confusion dans le cynisme dédramatisant. « Je fais l’amour de temps en temps comme on va à la piscine, rongée de culpabilité à mon tour parce que je n’aime ma partenaire que d’amitié. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 174) Elles savent implicitement que le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour équivaut souvent au massacre de l’amour aussi. Une fois qu’elles et leur compagnon sont unis par le sexe, elles se rendent compte qu’il est difficile de faire machine arrière et de s’avouer qu’ils se seraient davantage respectés s’ils étaient restés simplement amis, s’ils n’avaient pas grillé bêtement les étapes. La promesse des corps n’obéit pas à nos croyances en la banalité du passage de l’amour à l’amitié, ni les actes sexuels à nos intentions de les atténuer.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se retrouvent prises à leur propre jeu de la séduction. Ce n’est pas qu’elles n’aiment pas leur partenaire. Elles « l’apprécient beaucoup », « l’aiment bien », éprouvent une « profonde affection pour lui », le considèrent comme un petit frère qu’on cajole, comme un « bon copain », un parrain, un confident qui avec le temps finira par devenir par la force des choses indispensable. Elles l’aiment … oui, c’est certain… mais pas d’amour. Et c’est là tout le problème. Leur union sentimentale, ce n’est pas rien, et pourtant, ça ne suffit pas : elle ne les comble pas un minimum comme l’Amour vrai comble un maximum. Elles savent au fond qu’elles auraient très bien pu choisir avec leur partenaire « amoureux » l’option amicale qui les compromette moins et qui leur apporte tout autant (si ce n’est plus !), qu’elle aurait trouvé dans l’amitié les mêmes avantages que ceux qu’elles expérimentent dans l’amour homosexuel… excepté la jouissance génitale, les « je t’aime » à lire sur le portable, les croissants chauds servis au lit le dimanche matin, et le nounours à blottir contre soi la nuit, … bref, tout ce qui, sans l’amour véritable, ne fait partie que des « à-côtés » détestables de la passion amoureuse éphémère.

 

Dans la majorité des couples homosexuels qui nous entourent, on se demande quelle drôle de relation « amoureuse » il est en train de se vivre. Les amants homosexuels n’ont pas pour autant l’impression de s’enfoncer dans un mensonge flagrant puisqu’ils sont souvent tous les deux très sincères au départ et vivent quand même ensemble des moments authentiques ponctuels qui leur font oublier les désagréments persistants de l’amalgame des sentiments humains amoureux, amicaux ou filiaux, ces derniers étant en temps normal liés sans s’équivaloir. Mais au final, certains décrivent leur couple comme un « nous » dépassant et étouffant le duo. « ‘Nous’, c’est cette entité autosuffisante, cette famille pas si facile à définir. Maris, amants, amis, frangins, tout à la fois ? » (Élisabeth Lebovici, « Gilbert and George », dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 222) Les amants homosexuels forment une famille à deux en quelque sorte, mais cloisonnée sur elle-même. Pour cette raison, il n’est pas étonnant de voir arriver l’asphyxie chez bon nombre d’entre eux.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

Le personnage homosexuel ne sait pas qualifier la nature de sa relation amoureuse homosexuelle autrement que comme un fourre-tout sans beaucoup de goût :

 
 

a) Mon amant homosexuel est mon frère :

Beaucoup de personnages homosexuels considèrent leur amoureux comme leur frère (…et plus si affinités) : « Es-tu un frère ? Es-tu un rêve ? À des milliers d’âmes anonymes. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre » de Mylène Farmer) ; « Vous êtes plus qu’un frère. » (Bernard s’adressant à son futur amant Didier, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Cyril et Sébastien Ceglia) ; « Je recherche mon frère, mon jumeau. » (Paul, le héros homosexuel du film « Seeing Heaven » (2011) de Ian Powell) ; « Si Hall meurt, je meurs. » (Arthur, le personnage homosexuel, parlant de son frère, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc. C’est le cas par exemple dans le film « Comme un frère » (2005) de Bernard Alapetite et Cyril Legann, dans la photo Comme des frères (1982) de Jean-Claude Lagrèze, etc. (J’évoque plus largement le cas des frères de sang qui couchent ensemble, à travers un autre code, celui de l’« inceste entre frères » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.) Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit et Esti veulent mélanger leur sang : « On pourrait devenir des sœurs de sang. […] Si on mélange notre sang, on sera sœurs pour toujours. » (pp. 214-215) Georges et Alexandre, les deux protagonistes homosexuels du film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, font de même. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, afin d’être au chevet de son copain Bryan à l’hôpital, Kévin se fait passer pour son frère. Un peu plus tard, quand Bryan sort de sa convalescence, l’effusion que son amant lui réserve au moment des retrouvailles n’étonne pas le lecteur : « Bryan, mon frère, j’ai envie de t’embrasser ! » (p. 233) Dans le film « Rose et noir » (2009) de Gérard Jugnot, quand on demande à Saint Loup et Casta quelle est la nature de leur relation, Casta répond par une entourloupe : « La vérité, c’est que nous sommes frères. » Mais la surenchère de Saint Loup (« On peut dire ça comme ça… ») laisse planer l’équivoque homosexuelle. En tombant sur certaines descriptions amoureuses de l’amant homo, on est surpris de voir qu’il est comparé maintes et maintes fois à un frère : « Rosário, je l’aime comme mon frère, comme mon petit ami. » (Tonia dans le film « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « Nous sommes comme des frères. » (Malik à son amant Bilal dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « Aujourd’hui, votre fils a plus besoin d’un frère. » (le héros homo évoquant son homosexualité à son père qu’il vouvoie et à qui il adresse une lettre à la troisième personne, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy)

 

Par exemple, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Arielle, la « fille à pédé », confond le frère de son meilleur ami Antoine, Gérard, avec un de ses amants : « T’as un nouveau prétendant ? » « Non, c’est mon frère. » répond-il. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, drague 18 ans après avoir perdu son amant de jeunesse Nathan, le frère de ce dernier, Léonard. Une façon pour lui de conjurer le sort et de retrouver Nathan. Dans le film « Knock at the Cabin » (2023) de Night Shyamalan, pour voler Wen, leur future « enfant » obtenue par GPA dans une clinique asiatique, Eric fait passer son « mari » Andrew pour « son frère » et le faire rentrer dans la salle d’accouchement comme si lui était le vrai peur de la gamine.
 
 

b) Mon amant homosexuel est mon fils :

Capture d’écran 2013-08-27 à 11.16.28

Film « Rue des Roses » de Patrick Fabre


 

Dans certaines œuvres de fiction traitant d’homosexualité, l’amant est considéré comme un fils. Je vous renvoie au roman Todos Los Parques No Son Un Paraíso (1978) d’Antonio Roig (avec la relation ambiguë entre Roig et Ronald), au poème « La Portée de quelques notes » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, au film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec une relation infantilisante et très mal vécue par les deux amants), au film « Rue des Roses » (2012) de Patrick Fabre (Mehdi est en couple avec un homme plus jeune, Axel), à la chanson « Quatre Vies » d’Emmanuel Moire, à la pièce Un cœur de père (2013) de Christophe Botti, etc. Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Joe accueille Roy comme un « fils prodigue ». Dans le film « Corps à Cœur » (1978) de Paul Vecchiali, Louis, un garagiste âgé, fait une déclaration d’amour inattendue à son employé Pierrot : « Je me disais que je t’aimais comme un fils. Je t’aimais. Mais pas comme un fils. Toi tu ne te rendais compte de rien. » Dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval, Fred traite son amant Max comme un môme, et lui chante la comptine de « La Petite automobile ». Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra et sa servante Marlène maintiennent une relation infantilisante : la première envoie la seconde faire des dessins. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien traite son amant Yoann comme un petit enfant qu’il amène au Parc Astérix. Et Yoann s’excite toujours autant d’y être emmené. Dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, Marie, l’amante d’Hannah, traite pour rire sa partenaire de « petit bébé » parce que celle-ci (24 ans) est plus jeune qu’elle : « Je me sens comme une pédophile… » dit-elle après l’avoir embrassée. Dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Frédérique traite sa copine Heïdi de « bébé »… et la différence d’âges de 10 ans entre elles n’aide pas, il faut le reconnaître. Et quand leur ami homo Jean-Luc parle d’avoir un enfant, il s’annonce déjà comme une mère possessive : « Je me connais, je serai une vraie maman poule. » Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William sort avec un homme marié, Georges, qui a le double de son âge, et qui l’infantilise en l’appelant « Sugar ». Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Petra traite son amante Jane de « bébé ». Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien traite son amant Yoann comme un petit enfant qu’il amène au Parc Astérix. Et Yoann s’excite toujours autant d’y être emmené.

 

FRÈRE 1

Film « Taxi Zum Klo » de Frank Ripploh


 

Le personnage homosexuel décrit son amant comme son propre « bébé d’amour » : « Mathilde s’extrait de mon ventre. » (la voix narrative parlant de son amoureuse, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 91) ; « Oh ! Pascal, Pascal !… J’ai pas de fils. Mais c’est un comme toi que j’aurais voulu. Un exactement comme toi. » (Pierre au jeune Pascal dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 253) ; « J’veux baiser qu’avec toi, ça s’dit pas. Et un bébé comme toi, ça s’prête pas. » (cf. la chanson « Caribbean Sea » d’Étienne Daho) ; « Mais de toi je ferai ce que je voudrai. » (Bruno s’adressant à son « fils » et amant Jérémie, parodiant Niagara, dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand) ; « Je serai de loin ta mère, comme ta mère. » (Khalid s’adressant à son amant Omar, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 150) ; « Chéri ! C’est maman ! » (Benjamin parlant à son amant Pierre dès qu’il arrive dans leur appart, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Ça va, bébé, t’as passé une bonne journée ? » (Arnaud s’adressant à son amant Benjamin, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Je suis sûr que t’étais l’enfant parfait. » (Bryan s’adressant amoureusement à son amant Tom, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Tiens compagnie à papa. » (un client s’adressant perversement à David, le jeune homosexuel de 14 ans, dans le cinéma porno, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; etc.

 

L’amant est aimé par le héros homosexuel comme ce dernier imagine qu’une mère aime son fils : « Et maintenant… on ouvre le petit paquet secret… celui que je tenais caché… avec quelque chose de très bon… pour accompagner le thé… du cake ! » (Molina à son amant Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 185) ; « On n’aime plus sa maman ? » (Franck à son « fils/meilleur pote » Matthieu, en lui fonçant dessus pour rire, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) ; « J’éprouve même ce que j’imagine être le sentiment d’une mère pour son enfant… Moi qui n’en aurai jamais. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 14) ; « Lui [Édouard, le copain de Georges], il cherche une mère… Ça tombe bien. » (Arnold parlant de Georges, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; etc. Le personnage homosexuel englue son amant d’une sollicitude très maternelle : « Je le forçais à sortir avec un sparadrap sur le nombril que je vérifiais quand il rentrait et je ne le laissais jamais sortir seul le soir. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 41) ; « J’aime Perón comme s’il était mon fils. » (la mère d’Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Mourad venait d’entrer dans la cuisine. Il souriait de joie en entendant son petit Jason si plein d’énergie pris d’un nouvel accès d’autoritarisme. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 333) ; « J’aime les hommes qui aiment leur mère. » (Léopold s’adressant à son amant Franz, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je me suis toujours demandé pourquoi elle m’aimait. J’ai vaguement pensé que j’étais un substitut maternel, comme on dit. Cette idée ne me plaît guère, mais il n’est pas mauvais de la regarder en face. » (Suzanne en parlant de sa compagne Héloïse, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 78) ; « Lola, viens ici. Je ne t’autorise pas à faire ce genre de caprice. » (Vera l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Lola, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Ça va ! Je suis pas ta mère ! » (Lola s’adressant à son amante Nina, idem) ; « Tu ne sais jamais rien. J’en ai assez de te materner, Nina. » (idem) ; etc. Par exemple, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine, l’héroïne lesbienne explique à son amante Carole que c’est en jouant au papa et à la maman sur la cour d’école qu’elle a vécu sa première expérience lesbienne : « On jouait au papa et à la maman. Comme y’avait pas assez de papas, j’ai fait le papa. » Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en psychothérapie Benjamin/Arnaud et essaie de les aider à s’assumer en tant que couple homo. Il s’y prend de manière progressive, par des petits exercices pratiques. Et notamment, il tente de leur faire la main de l’autre : « Finalement, c’est pas très dur. C’est comme prendre un enfant par la main. »

 

Souvent, l’attrait du personnage homosexuel pour les amants qui ont l’âge d’être son fils, mais qui ne se laissent pas manipuler comme des bébés, font place chez lui à l’amertume et au mépris jeuniste : « Je ne suis pas ton ‘petit Jan’. » (Jan résistant à la drague de son ami Matthieu, dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser) ; « Je m’étais fait l’illusion de retrouver en vous ma propre jeunesse, mais rien en vous ne me séduit. Il y a trente ans je vous aurais peut-être trouvé désirable, et encore je ne suis pas sûr de cela, et puis vous n’étiez qu’un nouveau-né. » (Cyrille au Journaliste dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., le couple Matthieu (28 ans) et Jonathan (23 ans) parlent, en plaisantant, de leur soi-disant « grande différence d’âges ». Et plus tard, ils s’infantilisent l’un l’autre sans s’en rendre compte : « Il est trop mignon quand il fait des dodos. » (Jonathan) Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, la relation amoureuse entre le très vieux et autoritaire Raúl et le très jeune Roberto commence à révolter mollement le second : « Je ne suis pas ton fils. »

 
 

c) Mon amant homosexuel est un simple ami :

Je reprends de manière beaucoup plus complète la confusion entre amitié et amour homosexuel dans mon code « solitude » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Cela dit, on peut quand même faire mention de quelques œuvres de fiction traitant du mélange entre amitié et amour homosexuel : cf. le film « Les Amis » (1970) de Gérard Blain, le film « I Am Not What You Want » (2001) de Kit Hung, le film « Mon Ami, mes amants » (2002) de Jean-Daniel Cadinot, la chanson « Amis, amants » du groupe What For, etc. Par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik décrit son amant Paul comme son « meilleur ami ».

 

Entre les personnages de fiction homosexuels, il est parfois question de sex friends, de « potes de baise » : « Elle était avec ses copines… enfin, ses exs… enfin, ses potes… enfin, ces autres gouines branchées. » (Océane Rose Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Entre amants, entre amours, entre amis. » (cf. une réplique de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je ne peux plus continuer avec Jo. Il ne se passe plus rien. On est passés d’une relation fusionnelle à une relation fraternelle. » (Matthieu parlant de la relation d’un an qu’il vit avec Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc. On ne sait pas trop si les héros entre eux sont amis ou amants… ou les deux. Par exemple, dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Henri présente son « mari » Dominique comme son frère… alors que c’est juste son meilleur ami.

 
 

d) Mon amant homosexuel est mon père :

L’amant homosexuel recherche un amant protecteur et paternel : cf. la chanson « Aime-moi comme ton enfant » de Catherine Lara, le roman Julia (1970) d’Ana María Moix, le film « L’Isola Di Arturo » (« L’Île des amours interdites », 1961) de Damiano Damiani, le film « Charlotte dite ‘Charlie’ » (2003) de Caroline Huppert (où Charlie est troublée en massant la mère de sa copine Babou), etc. Je vous renvoie au code de l’« inceste » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels. Par exemple, dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Tareq, le héros homosexuel, raconte que sa première fois homosexuelle, à l’âge de 17 ans, il l’a vécue avec un homme plus âgé que lui : « Je cherchais sûrement une figure paternelle. »

 

Dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, Sébastien appelle son amant Paul « mon papounet ». Dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Alex et Mitchell simulent une relation neveu/oncle. Dans le roman Deux femmes (1975) de Harry Muslisch, Laura soupçonne son amante Sylvia de ne pas avouer son homosexualité à sa maman parce qu’elle a aussi l’âge d’être sa mère : « Inconsciemment, tu lui tiens peut-être rancune d’être tombée amoureuse d’une femme qui lui ressemble. » (p. 60) Sylvia réagit ironiquement : « Ah bon, tu es ma mère, alors ? » Ce à quoi Laura lui rétorque dans une attitude de provocation vexée : « À cela près que je ne m’occupe pas de ton père. En tout cas je suis aussi une femme, et toi tu es une petite garce. » Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, une patiente lesbienne reçoit un beau diamant de la part de Lili, sa compagne lesbienne de 73 ans, à l’occasion de « leur » un an de vie ensemble : « C’est pour ça que Lili, c’est mon deuxième papa. » Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Russell appelle sincèrement son amant Glenn (du même âge) « Dad » ; et quand il lui annonce qu’il est orphelin, il lui propose à son tour de lui servir de substitut paternel : « Et si je faisais semblant d’être ton père… » Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte joue au petit enfant dont la vie s’est arrêtée à la mort de son parrain. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, drague ouvertement Samuel (joué par Omar Sy) et se faisant passer pour un enfant à protéger : « Tu m’adoptes ? »

 

Le personnage homosexuel s’adresse à son amant comme s’il était son père, ou bien est considéré par les gens de l’extérieur comme le fils de son petit ami : « N’oublie pas de me ré-enfanter. » (Daniel s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Désolé papa. » (Jack, 22 ans, à son amant Paul, du même âge, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Je ne sais pas si Harvey a deviné qu’on formait un couple : il se peut qu’il se soit trompé et nous ait pris pour père et fils. » (Michael en parlant de son couple avec Ben, dans le romanMichael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 80) ; « Et c’était cela la seule différence. C’était qu’une autre silhouette, un autre visage, se détachaient de l’arrière-plan pour se préciser aux côtés de son père… Pierre Gravepierre ! » (Pascal à propos de son amant Pierre, dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 131) ; « Physiquement, j’aime mieux qu’ils soient plus mûrs, je recherche plutôt un papa. » (Bjorn dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, pp. 159-160) ; « Douze ans de plus que moi… Il pourrait être mon père. » (Damien par rapport à son amant Norman, dans la pièce Les Deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Je suis dans ton ventre, je suis un fœtus, je m’oublie. » (Alice à son amante Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Salut Christine. Tiens, t’es venue avec ta mère ? » (Nathalie Lovighi sortant une blague acerbe à une amie lesbienne lors d’une soirée, dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au 3e Festigay de Paris en 2009) ; « Mon père… J’ai épousé mon père. Putain d’Œdipe… » (Marilyn, la videuse lesbienne de la boîte Le Gouine, parlant de sa compagne, dans le one-woman-show Paris j’adore ! (2010) de Charlotte des Georges) ; « Fermant les yeux, elle essaya de reconstituer le visage paternel, son beau visage qui parfois semblait inquiet ; mais l’image fut lente à se former et s’effaça aussitôt, car les morts doivent souvent faire place aux vivants. Ce fut l’image d’Angela Crossby qui subsistait tandis que Stephen était assise ans le vieux fauteuil de son père. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 186) ; « La voisine prit le nouveau-né dans ses bras, ouvrit son corsage, mettant à nu un sein bien rond d’où, tout gonflé comme il était, le lait sortait déjà. Elle le guida vers la petite bouche qui instantanément se mit à téter. Je m’imaginais tétant ce joli sein, et me renouvelai la promesse que je m’étais faite : posséder un corps féminin et en avoir tous les plaisirs possibles. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 27) ; etc.

 

L’amant est aimé par le héros homosexuel comme ce dernier imagine qu’un fils aime sa mère : « Tu crois qu’il est comme ma belle-mère ? » (Zize, travesti M to F, parlant de son mari à sa mère, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « C’est drôle, ça ne fait pas un mois qu’on se connaît et je te dis des choses que je n’ai jamais dites à personne, à part à ma mère ! » (Kévin à Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 100) ; « Aujourd’hui, après, quelques jours d’interruption ayant expédié au mieux mes obligations, j’ai enfin eu le temps de me faire cajoler par la bonne. J’ai acheté toutes sortes de produits sans regarder à la dépense, notamment une poudre parfumée que l’on indique en cas d’irritation de la peau chez les bébés. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 98) ; « Je t’aime. Je t’aime autant que ma mère ; peut-être même plus… Je t’aime. » (Tanguy à Gunther, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 89) ; « Valentín… je crois que depuis mon enfance, je ne me suis jamais senti aussi content. Depuis le temps où maman m’achetait un jouet, ou quelque chose comme ça. » (Molina après sa nuit d’amour avec Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 210) ; « Il [Adrien] avait aussi un immense besoin d’être aimé. Il y avait en lui un enfant qui cherchait à être protégé, consolé, un enfant qui requérait un amour total. […] Il était bien conscient que cet amour-là ressemblait à l’amour perdu de la mère. » (Adrien parlant de son jeune amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 40). Dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, Bonnard propose à son copain Dzav d’être sa mère.

 

Ce rapport incestueux avec l’amant apparaît au final comme une illusion : « Le téléphone sonne. Son cœur s’illumine à l’idée que Ginette ait finalement pensé à elle. Mais ce n’est que sa mère. » (Lucie dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 31) ; « T’es pas ma mère : t’es ma copine. » (Rosário à son amant trans Tonia dans le film « Morrer Como Um Homen », « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « L’homosexualité est une infantilisation. » (le père de Claire s’adressant à sa fille et à la compagne de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Le personnage homosexuel finit parfois par punir les amants mûrs qu’il s’est choisi comme pères de substitution, en affublant de qualificatifs âgistes ces prétendus « vicieux qui veulent jouer le rôle de sa mère » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 161). Forcément : n’étant pas son père réel, ils finissent fatalement dans son esprit par être des imposteurs !

 
 

e) Mon amant homosexuel est mon maître et mon Dieu :

Dans certains créations artistiques, le personnage homosexuel déifie son amoureux : cf. le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler (où un fan se laisse soumettre par sa rock star), le film « In The House Of Brede » (1975) de George Schaefer, le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, le film « Je t’aime, je t’adore » (2002) de Manuel Blanc, la chanson « Monsieur Amour » de Colette Mars, la chanson « Mon Secret » de Suzy Solidor, la chanson « Amen-moi » de Bilal Hassani ; etc. « Gérard et moi, c’était une allégeance absolue. » (Guillaume dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Excuse-moi. J’avais oublié que t’es un dieu. » (Bart s’adressant amoureusement à Hugo, dans l’épisode 268 de la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1 le 13 août 2018) ; « Je t’aime comme un fou, comme un soldat, comme une star de cinéma. » (Philippe s’adressant à Gabriel – et parodiant Lara Fabian – dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; « À cet instant je me sentis comme sainte Véronique, tant mon émotion était grande. » (Alexandra, la narratrice lesbienne, en train d’essuyer les sécrétions vaginales de sa jeune voisine, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 53) ; « Je voudrais le suivre où il ira. Il est ma vie. Je suis son Roi. Pour tout vous dire, je l’ai juste rêvé. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto) ; etc. L’amant est considéré comme un ange ou un demi-dieu : « Tu es un ange merveilleux. » (Pietrino à son amant Fefe dans le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « C’était bien le jour de Khalid. » (Omar, qui voit son amant comme un roi, comme le substitut d’Hassan II, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 90) Dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, David, l’amant homosexuel, est comparé à Dieu : « J’ai passé des semaines dans les bras du Bon Dieu. » (p. 12) Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago compare la toile qu’il a peinte de son amant Miguel au « Corps du Christ ». Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, appelle sa nurse Collins « sa déesse » (p. 29). Dans l’épisode 365 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 27 décembre 2018, André, le héros homosexuel, dit qu’il est sorti avec un bel Allemand, Otto, « beau comme un dieu grec ».

 

L’amour entre amants homos prend la forme de la relation entre un fidèle et son dieu : « Qu’en est-il de l’existence de Dieu ? Et de Mathilde ? » (la voix narrative dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 103) ; « J’ai subitement envie de la vouvoyer. J’ignore d’où me vient cette aspiration à la distance. […] Je vous en prie, madame. » (idem, p. 90) ; « Tu es celui que j’aime… comme Dieu. » (Pierre à son amant Julien, dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Elle est dure avec moi, je vous jure. Je lui lave les pieds comme si elle était Jésus et elle m’engueule, elle me parle mal. » (Polly parlant de son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 115) ; « Je t’idéalisais, je te consommais puis je t’ignorerai. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc. Par exemple, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur appelle son amant Jacques « mon ange ».

 

À ce propos, on observe très souvent dans les fictions homosexuelles que le verbe « aimer » est remplacé par celui d’« adorer » (qui signifie « vouloir être semblable à ») : « Comme les dieux qu’on adore adorer, j’adorais adorer. » (cf. la chanson « L’adorer » d’Étienne Daho) ; « Je t’embrasse et t’adore. » (Chris à Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 121) ; « Je veux que le monde entier sache combien je vous adore. » (Stephen à Angela dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 196) ; « Je vous adore, vous et vos naïfs stratagèmes… » (Émilie parlant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 58) ; « J’t’adore. » (Erika s’adressant à son amante Jézabel, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Je reconnais t’avoir adoré passionnément. » (Basile s’adressant à son amant Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « J’l’adore, c’est vrai. » (Yoann, le héros homosexuel, parlant de son amant bisexuel Julien, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Il l’aime et il l’adore. » (cf. la chanson « Insondables » de Mylène Farmer) ; « Je l’adore. Et tu l’adoreras aussi. » (Vita Sackville-West, lesbienne, s’adressant à sir Harold Nicolson à propos de Virginia Woolf, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

Cette adoration possessive n’est pas toujours comprise du héros homosexuel, qui voit dans l’attachement amoureux excessif de son partenaire une attitude déplacée et immature. Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, par exemple, Cachafaz n’apprécie pas de « se faire idolâtrer par un pédé ». Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Dan veut que son amant Gerry, avec qui il vit depuis une vingtaine d’années, « comprenne une fois pour toute qu’il n’est pas Superman » (p. 237).

 
 

f) Mon amant homosexuel est un peu tout et rien à la fois :

Le personnage homosexuel adopte une vision extra-large de son amoureux : il serait à la fois son frère, son ami, son « pote », son père, son voisin, son parrain, son cousin, son double, son confident, son roi, son Dieu. Dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, par exemple, Félix rencontre tout au long de son voyage des inconnus qui deviennent tour à tour les membres/les amants de sa symbolique famille parallèle élargie. Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, Rubén, un client de 40 ans appelle Eloy son jeune prostitué (au look christique) « mon amour, mon petit » ; ils découvrent qu’ils ont le même nom de famille ; et un peu plus tard Eloy révèle à son client qu’il vient d’une famille de 8 enfants, et qu’il a toujours aimé les douches serrés comme des sardines avec ses frangins en caleçon… et que ça aurait inconsciemment stimulé son homosexualité !

 

FRÈRE 2

 

Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, entretient une relation de séduction avec son grand-frère Ody, son parrain homo Tassos, ses amis de passage (qui parfois l’entretiennent financièrement et sont en général plus âgés que lui), son pote Stefanos (compagnon fashion victim rencontré aux toilettes), son père biologique Lefteris disparu puis retrouvé sous la forme d’un homme politique d’extrême-droite qui doit selon lui correspondre aux critères pileux de ses fantasmes de magazines. Ody laisse entendre à la fin que leur père biologique à lui et à Dany n’est peut-être même pas Lefteris. Dans le film « Vacationland » (2006) de Todd Verows, le héros homo embrasse son amant qui finit par changer de visage et prendre la forme d’un businessman puis d’un grand-père. Dans le film « Ma vie avec Liberace » (2013) de Steven Soderbergh dresse le portrait de Liberace, un pianiste virtuose absolument tyrannique autant que doucereux avec ses amants qu’il infantilise et exploite en les traitant tôt comme des dieux (il dira « Mon Sauveur !!! » ou bien « Je suis un peu toute ta famille. » à son amant Scott) tantôt comme des diables qui lui ont pourri la vie.

 

La relation entre amants est en général ludiquement/amoureusement indéfinie : « J’ai une infinie tendresse pour toi. Qui durera toute la vie. » (Emma s’adressant à Adèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Jonatán, mon père et mon roi, mon frère et mon amant. » (cf. la nouvelle « Jonatán » (2000) de Blas Matamoro) ; « Mon amour pour vous n’est pas celui qu’on porte à une amie, à une mère. Sinon, aurais-je un tel désir de vous bercer dans mes bras ? » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 176) ; « Il est le maître, le frère, mon jumeau. » (Julien Brévaille à propos de son amant Loche, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 65) ; « Mary n’aurait aucune place dans son cœur, dans sa vie, pour un enfant, si elle venait à Stephen. Elles seraient tout l’une pour l’autre si elles demeuraient dans cette parenté sans limites : père, mère, ami, amant, tout… étonnante plénitude ! Et Mary, l’enfant, l’amie, la bien-aimée. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 393) ; « Tandis qu’elle tenait la jeune fille dans ses bras, Stephen sentait qu’en vérité elle était toutes choses pour Mary : père, mère, amie et amant, et Mary toutes choses pour elle : l’enfant, l’amie, la bien-aimée. » (idem, p. 412) ; « Il s’appelle Robert Edwards. Il a vingt-trois ans. Il a soixante-dix-neuf ans. […] Il est ton père, ton frère, ton ami : tu le connais depuis toujours. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 232) ; « Croyez-en le vieux bonhomme désabusé que je suis devenu, et qui vous aime comme un père, un frère, un ami. » (la figure de Proust à son amant Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 183) ; « Sachez que je vous aime tout entière. […] Je vous aime femme, mère, amie, amante. » (Émilie à Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 107) ; « Ma Dame, aujourd’hui, je suis votre enfant. Consolez-moi. Aujourd’hui, je suis votre amie. Écoutez-moi. Aujourd’hui, je suis votre sœur. Gardez-moi. Aujourd’hui, je suis votre amante. Aimez-moi. Aujourd’hui, je suis à vos pieds. Sauvez-moi. » (idem, p. 156) ; « Le papa, c’est toujours Dieu. » (Thierry le héros homo, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « À toi mon frère que j’ai aimé comme un père. » (Didier Bénureau dans son concert Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Je peux pas encore aller la voir à l’hôpital, parce que je suis pas de sa famille. (En pleurant) Tu te rends compte, je ne peux pas aller voir ma femme à l’hôpital parce que je ne suis pas de sa famille, mais je suis TOUTE sa famille à moi toute seule ! Putain, je-suis-pas-sa-fa-mille ! Ils se foutent de ma gueule, moi je veux la voir, j’en ai rien à foutre que je sois pas mariée, j’ai bien le droit de voir ma femme, je dors avec elle toutes les nuits. » (Polly parlant de son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 115) ; « Dany, quand tu dis que tu m’aimes, tu m’aimes un peu comme un pote, c’est ça ? Alors comme un frangin ? Comme un cousin, donc ? Comme deux mecs en prison ? » (Billy Stevens, le personnage homo du faux film « Servir et protéger » s’adressant à son futur amant Dany en pleine guerre du Vietnam, en faisant mine de ne pas comprendre les sentiments que son camarade de tranchée qu’il porte sur le dos lui exprime, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Je suis voleur. Vous êtes Roi. Autrement dit, nous sommes deux frères. » (cf. le poème ironique que Lacenaire adresse au Roi, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « On dirait ma sœur. » (Benjamin parlant de son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Dans le roman L’Agneau carnivore (1945) de Agustín Gómez-Arcos, le protagoniste définit son amoureux comme « son frère amour, son seul dieu ». Dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017, Louison est grillée pour son homosexualité par des photos prises sur téléphone portable à une soirée, où elle enlace – à la base amicalement – sa meilleure amie Clara. C’est la confusion des sentiments : « Clara, c’était ma meilleure amie. C’était comme une sœur. » Louison finit par faire un vrai coming out.

 

Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne de 20 ans, se pose la question de rajouter à la liaison qu’elle a déjà avec Linde une mère de famille, et celle qu’elle maintient par ailleurs avec Rani sa domestique, une troisième relation amoureuse avec Sheela, une de ses camarades de classe : « J’avais l’esprit ailleurs, occupé à peser le pour et le contre afin de savoir si je devais avoir une relation amoureuse de plus, avec quelqu’un de mon âge, une jeune fille sans mari ni fils. Une jeune fille qui n’était ni ma domestique ni mon aînée. Une personne qui était plus ou moins mon égale. » (p. 64) Finalement, son cœur recherche non seulement des relations lesbiennes avec des personnes de chair et de sang, mais plus fondamentalement une union lesbienne divine : « L’exposé fut donné par une fille de terminale, qui parla de l’image de la déesse-mère dans la civilisation Harappan. Je songeai à Linde à chaque fois qu’elle disait ‘déesse-mère’. » (idem, p. 232)

 

Dans l’épisode 432 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 1er avril 2019, Barthélémy Vallorta dit à son amant Hugo Quéméré qu’il est pour lui à la fois « son chevalier servant, son ami, son amant».
 

 

Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), le libraire Pawel Tarnowski, homosexuel continent, repousse son élan physique et sentimental envers le jeune David : « Pawel cherche la source de cette douleur. Essaie de la comprendre. L’homme que je cherche est en moi. Quel est cet homme ? Est-ce l’icône de mon père perdu ? Est-ce donc cela la source de la blessure primitive : la sensation laissée par l’absence du père.[…]Il jeta un coup d’œil au sol. Le garçon y dormait immobile. Pendant un long moment, Pawel le tint dans son esprit comme un père tient un enfant de deux ans sur ses genoux. Puis, il se tourna et s’endormit. » (pp. 362-363) Le dialogue final (p. 476) entre David et lui montre bien le lien trop riche et trop diversifié qui les unit. David essaie de définir le regard que Pawel pose sur lui : « C’était le regard que posait parfois mon père sur moi. Est-ce que je suis comme un fils pour vous, Pawel ? » Pawel lui répond : « Oui, un peu comme un fils. » David rajoute : « Et un ami ? » Pawel de lui répondre : « Oui, ça aussi. » David prolonge, en prêchant le faux pour savoir le vrai : « Mais un jeune ami qui dit des choses puériles. » Pawel tente de s’en sortir sans rien révéler de ses sentiments amoureux mal ajustés : « C’est le cas parfois. Mais je vois l’homme que tu es en train de devenir. Un homme bon qui marchera avec moi le long de la Vistule lorsque cette guerre sera finie, qui me racontera des choses sages et corrigera ma pauvre philosophie. » Père, fils, ami, maître. On a la totale !
 

Mais au bout d’un moment, fatigué de cette dispersion ou de son amant multi-visages, le personnage homosexuel se demande à quoi il joue, qui il aime, et quelle est sa véritable place dans sa relation amoureuse avec l’amant trouble : « Is it my brother ? Is it a friend of mine ? » (cf. la chanson « Who Is It ? » de Michael Jackson) ; « Que sommes-nous ? Un couple ? » (Julien à son amant, dans la pièce Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henry) ; « J’ai voulu que tu sois toutes les femmes à la fois : amie, amante, sœur, mère, j’ai voulu m’abandonner dans une seule femme. […] Je t’aime je t’admire je t’adore, je te tue. » (Alice à Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Et toi, qui es-tu ? Si je suis de la famille, qui es-tu ? Mon frère ou ma sœur ? » (Kévin à son amant Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 159) ; « Quand on nous voit ainsi tous les deux, je me demande souvent ce que les gens pense de nous : voilà deux frères, deux amis ou deux amants ? » (Bryan à Kévin, idem, p. 423) ; « Dans les escaliers, je demande ‘Mais nous deux, on est quoi ? Des amants ? Un couple ?’ Il me regarde en levant les yeux au ciel. » (Mike à son amant Léo dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 100) ; « Je veux un tatouage, symbole de l’Amour. C’est juste un tatouage. Même si tu choisis le même que ton père, ça ne fera pas revenir ton frère. » (Jade, l’héroïne lesbienne du film « Spider Lilies » (2007) de Zero Chou) ; etc.

 

On comprend que le héros, en cherchant à donner différents masques inappropriés à son amant, pèche par narcissisme : « Je pensais que… Je t’ai aimé comme un frère, comme un fils, parce que je croyais que tu étais comme moi. » (Valcárcel à Herrera, dans le film « ¡ Harka ! » (1941) de Carlos Arévalo) ; « J’vois bien que je te demande quelque chose que tu peux pas me donner. » (Christophe à son amant Boris, dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Je l’aime pour ce qu’il ne sera jamais. » (Julien Brévaille à propos de son amant Loche, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 157) ; « Il y a une phrase dans son album : ‘L’homme doit être mari, père, soldat.’ Moi, je ne suis ni mari, ni père, ni soldat. » (Gabriele, le héros homo, s’adressant à son amie Antonietta, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; etc.

 

C’est alors que le vertige arrive : « Khalid, ami, frère, double de moi, traître, traître qui faisait le fier seul… » (Omar dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 91) Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc se fait plaquer par son amant Mathieu, beaucoup plus jeune que lui, après plusieurs années de vie commune. « Mais pourquoi me sentais-je encore responsable de ce trop bel acteur qui avait pris trop de place dans ma vie pendant sept ans et de qui j’avais été séparé depuis près de quinze ans ? Encore le rôle du père, du mentor, du Pygmalion que j’avais joué auprès de lui pendant si longtemps ? » (p. 43) ; « J’avais quand même vécu tout ce temps avec un gars de quinze ans mon cadet ! Au commencement, ce n’était pas très grave, j’en avais 39, lui 24, mais j’avais prédit dans un moment de découragement […] qu’un jour je serais un monsieur de 50 ans et lui un toujours jeune homme de 35… et c’est exactement ce qui s’était produit. » (idem, p. 228)

 

Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, occupe toutes les identités qu’il veut vis à vis des hommes qu’il essaie de séduire. Par exemple, Dick, l’homme dont il est amoureux, lui demande une imitation : « Fais-moi une imitation. » Et Tom imite la voix du père de Dick, et la ressemblance est tellement frappante que Dick dit « C’est éblouissant. » et se tourne vers sa compagne en désignant humoristiquement Tom comme son père : « Marge, je te présente mon père. » Plus tard, Tom, en s’écrivant à lui-même et en faisant parler Dick (qu’il a assassiné), qualifie leur relation ambiguë de toutes les catégories : « Je t’écris à toi, le frère que je n’ai jamais eu. Mon seul véritable ami. Tu es un peu mon fils. » ; « Tu es le frère que je voulais avoir. » Tom finira par assassiner son dieu humain qu’il idolâtre. Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin (mis en scène par Élise Vigier en 2018), Jimmy a vécu en couple avec Arthur pendant 14 années, et pleure son absence : « Il me manque mon ami. Il me manque mon amoureux. Il me manque mon frère. » Quant aux sentiments de Hall, le frère d’Arthur, à l’égard d’Arthur, ils oscillent entre adoration, amour conjugal, narcissisme et idolâtrie aussi : « L’adoration est-elle un blasphème ou la promesse de la Gloire éternelle ?[…] Arthur est mon âme. La prunelle de mes yeux. » Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, ne sait pas quelle place il occupe dans le cœur de son « amant » Nicholas : souvenir d’enfance ? plan cul ? petit copain ? troisième roue du carrosse ? Grand Seigneur ? (« T’habites un château de contes de fées. » lui fait la remarque Nicholas) Impossible de répondre. Face à son amie Tereza, Phil ne sait même pas lui dire « s’il a un copain » ou pas : « Je ne sais rien de lui. J’ai l’impression de ne pas le connaître. » Et effectivement, le « couple » finira par imploser.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

La majorité des personnes homosexuelles ne savent pas qualifier la nature de leur relation amoureuse homosexuelle autrement que comme un fourre-tout sans beaucoup de goût :

 
 

a) Mon amant homosexuel est mon frère :

Je vous renvoie à l’essai Comme un frère, comme un amant (1993) de Georges-Michel Sarotte. Parfois, la relation qui se vit entre deux personnes homos d’un même couple est plus fraternelle qu’aimante : « Dans leurs lettres, Annemarie Schwarzenbach et Carson McCullers disent s’aimer ‘comme des frères’. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 98) ; « L’aspect physique excepté, nous ressemblions à des frères, des jumeaux inséparables. Entre nous, il s’agissait d’une histoire de famille, pas du compagnonnage des petites amours. Moins épuisé, je ne doute pas que Claude aurait répondu à l’infirmière curieuse : ‘Ce monsieur qui vient me voir tous les jours, c’est moi. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 20)

 
« Roissy, terminal 2. Une agent de sécurité vérifie nos passeports. […] Elle remarque que nous avons le même nom. Beaugrand-Gérin. ‘- Vous êtes frères ? Vous vous ressemblez !’ Je lance un regard amusé à Ghislain. ‘- Non. Nous sommes mariés !’ Le visage de la femme-colosse s’empourpre d’un sourire gêné. ‘- Oh. Pardon…’. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, où ce dernier raconte qu’il va cherche avec son « mari » leur enfant acheté par GPA aux États-Unis, Éd. Broché, Paris, p. 10).
 

b) Mon amant homosexuel est mon fils :

Quelquefois, l’amant homosexuel est considéré, par celui qui prétend l’aimer, comme le fils que leur couple n’accueillera pas. S’instaure alors dans le binôme homosexuel un processus d’infantilisation incestueuse (qui n’a pas forcément à voir avec la différence d’âges entre les partenaires, d’ailleurs : deux personnes du même âge peuvent tout à fait s’infantiliser l’une l’autre sans qu’intervienne le fossé des générations). « Je me sentais bien. L’étonnement, l’espoir, m’occupaient tour à tour pendant nos rencontres. Son âge ne devint plus alors le handicap qui parfois, me frustrait en sa compagnie. […] tel le culte paternel. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 124-125) Par exemple, Peter Pears dit de son compagnon Benjamin Britten qu’il « lui était dévoué comme un petit enfant passionné et proche » (cf. « Apuntes biográficos » de Benjamin Britten, sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, Xavier sort avec Guillaume « qui pourrait être son fils ».

 

FRÈRE 3

Lord Douglas et Oscar Wilde


 

En ce qui concerne le phénomène d’imitation du lien parent/enfant, Sigmund Freud décrit les sujets homosexuels comme des êtres qui ont tendance à se lancer à la poursuite d’objets de désir qui leur ressemblent afin de pouvoir « les aimer comme leur mère les a aimés ». Et on observe en effet que la relation mère/fils (ou plutôt l’image que certaines homosexuelles s’en font : à la fois une idéalisation excessive, et un modèle impérieux/oppressant) est très souvent transposée dans la relation amoureuse homosexuelle. L’amant est aimé par la personne homosexuelle comme cette dernière imagine qu’une mère chérit son fils : « Je suis arrivé à t’aimer si fort (plus que tout au monde) que je me suis donné l’ordre de ne t’aimer que comme un papa. » (cf. une lettre de Jean Cocteau à Jean Marais, citée dans l’article « Jean Marais » d’Arnaud Lerch, le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 312) ; « Ce que je cherche, c’est le droit d’aimer, non pas pour la seule jouissance physique, mais pour le droit de tenir quelqu’un dans me bras. […] Je réclame cela parce que je n’ai pas de fils. » (Havelock Ellis, L’Inversion sexuelle (1909), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 367) ; « Il va dans le noir de son passé égyptien et, comme ma mère, j’ai envie de prier pour lui, de le soutenir, de loin, de près. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Karim, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 65)

 

Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013, quand le romancier Jacques Vialatte a vécu sa première grande histoire avec un homme et qu’il signale qu’elle a duré 9 mois, la présentatrice Sophie Davant sort une boutade qui fait rire tout le monde, mais qui reste un beau lapsus : « Le temps d’une grossesse, quoi… » (… même si, dans son esprit, elle parlait certainement de la nouvelle naissance que constituerait le coming out ou la rencontre de « l’amour » homosexuel). Dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre, Patrick raconte comment un jour, pour mentir à un de ses collègues sur son homosexualité, il s’est senti obligé de faire passer son « conjoint » pour son fils afin de justifier son absence et de se rendre à l’hôpital assister son amant. Il s’en veut encore de sa lâcheté homophobe.

 

Dans les relations amoureuses que Magnus Hirschfeld, homosexuel notoire, a entretenues en Allemagne dans les années 1920-30, on observe presque toujours un décalage générationnel et paternaliste : « Le secrétaire de l’Institut est un certain Karl Giese. C’est l’amant préféré de Hirschfeld, de 30 ans plus jeune que lui (il a donc 21 ans en 1919). Il ne distingue par une nature hautement sensible. Il sert Hirschfeld dans tous les détails de la vie domestique. Il l’appelle « papa », comme beaucoup de gens à l’Institut à cause de son rôle paternel. Ou encore Oncle Hirschfeld. Un autre amant est très attaché au maître de céans ; il se surnomme Tante Magnesia. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 112) ; « C’est là que Magnus Hirschfeld rencontre Li Shiu Tong, surnommé Tao Li, un jeune étudiant en médecine qui devient son compagnon. L’écart d’âge entre les deux est de 40 ans. Tao Li a donc 25 ans au début de leur liaison. Liaison hors du commun, homosexuelle, interraciale, intergénérationnelle. En outre, elle n’est pas monogame, puisque Hirschfeld garde sa relation avec Karl Giese. Ce ménage à trois ne vivra pas sans problème. Hirschfeld entretient financièrement ses deux amants. » (idem, p. 113)
 
 

c) Mon amant homosexuel est un simple ami :

J’aborde de manière très détaillée dans le code « solitude » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels le fréquent mélange qui est fait dans les sphères relationnelles homosexuelles entre amitié et amour… à tel point que je dis que l’amitié est la grande oubliée/ennemie de la communauté homosexuelle, puisque la drague monopolise la grande majorité des rapports interpersonnels entre individus homos. Dès qu’ils s’entendent bien, les sujets homosexuels ont tendance à passer très vite à la vitesse supérieure, et à ne pas se laisser le temps de l’amitié ; ils deviennent parfois amis, mais ce sera après avoir couché ensemble. Et quand ils sont en couple, étant donné que l’amour qu’ils vivent n’est pas trépidant, il semble qu’il n’y ait que la génitalité qui les empêche de dire ouvertement qu’ils ne sont que « de simples amis et pas plus »… alors que c’est bien souvent le cas : y compris quand le feeling est bon entre eux, ils ne sont pas plus que de bons amis. Ils se rendent compte que, mis à part les moments de sexe et de sensualité clairement conjugaux, mis à part l’officialisation sociale de leur statut de « couple », rien ne les distingue d’un duo formé de deux meilleurs amis ; et après leur rupture, si elle arrive un jour, ils comprennent très vite qu’ils auraient mieux fait d’en rester à l’amitié plutôt que de chercher à simuler l’amour fou. Ils vivaient côte à côte, certes, mais objectivement, au niveau de la force de leur lien, rien ne les distinguait de deux colocataires ou de deux amis… « Nous n’existions plus ensemble. […] Bien pis, nous nous détruisions. […] Quel était le bon sens de cette forme d’amour ? Un amour-amitié ou un amour-passion. Certes, je ne voulais pas m’enfermer dans une définition. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa relation qui bat de l’aile avec son amant Yoro, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 140)

 

Cet « amour d’amitié » (détournement du beau Philia grec ou thomiste), cette « amitié forcée » (et du coup dénaturée), ces « amitiés particulières » (nom donné traditionnellement aux couples homos, et qui me paraît si révélateur !), font dire à certains penseurs que la notion de « couple homosexuel » est discutable, voire inappropriée pour deux personnes du même sexe qui décident de composer un ménage. Dans son essai Le Règne de Narcisse (2005), Tony Anatrella préfère le terme de « duo » à celui de « couple » pour qualifier une union entre deux hommes ou entre deux femmes. Et Chekib Tijani, l’auteur du très contesté essai 700 millions de GEIS (2010), va jusqu’à mettre le couple homosexuel sur le compte de la simple camaraderie travestie en « amour » : « Un gei [c’est ainsi que Tijani définit l’individu homo] qui est en relation avec un autre gei n’a pas le sentiment de vivre en couple, ce sont deux ‘copines’. » (p. 63)

 
 

d) Mon amant homosexuel est mon père :

Parfois, l’amant homosexuel est vraiment considéré comme un père de substitution par les personnes homosexuelles : « Rech. son père de substitu. » (cf. une petite annonce lue dans la revue Têtu, n° 127, novembre 2007, p. 200) ; « Aujourd’hui, c’est le 19 juin, la fête des Pères, et comme tu es mon Miam, mon papa Miam, je ne t’oublie pas. » (Julien à son amant Pascal Sevran, dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 169)

 

FRÈRES 5

 

Si vous regardez les photos de Virginia Woolf avec Violet Dickinson, il est assez frappant de voir leur posture et leurs attitudes : on dirait que la première est une petite fille fragile se réfugiant sous les jupes de sa maman. Woolf semble avoir reproduit le même schéma avec ses autres amantes : « J’aime être avec elle, j’aime sa splendeur. […] Il y a sa maturité et sa poitrine épanouie : le fait qu’elle navigue, toutes voiles dehors, en haute mer, alors que je me contente de caboter le long des côtes ; son aptitude, je veux dire, à prendre la parole devant n’importe quel auditoire, à représenter son pays… à surveiller l’argenterie, les domestiques, et les chows-chows, sa maternité aussi… bref, le fait qu’elle est (ce que je n’ai jamais été) une vraie femme. » (Virginia Woolf en parlant de Vita Sackville-West dans son Journal, le 15 septembre 1922)

 

FRÈRES 4

 

Dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), Paula Dumont parle d’un couple d’amies lesbiennes à elle, Martine et Huguette, dans lequel s’est instauré un rapport de fille/mère très prononcé : elle évoque chez Martine « son besoin de trouver une mère poule qui la protège » (p. 117). Dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy de l’émission Tel Quel diffusée sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012, Charlotte appelle son amante Marion « bébé ». Dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, on nous raconte la rencontre entre Nicolaus Sombart et son amant beaucoup plus âgé que lui Carl Schmitt. « Est-ce pour cette raison qu’il a cherché en Schmitt, son amant beaucoup plus âgé que lui, un père de substitution ? Il aurait pu être son fils. » (p. 273)

 

Souvent, l’amant est aimé par la personne homosexuelle comme cette dernière imagine qu’un fils aime sa mère : « J’aimerais être nourri par vous, c’est-à-dire que j’aimerais être nourri par vous comme par ma mère. » (un patient homo dans l’article « Le Complexe de féminité chez l’homme » (1973) de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 442) ; « C’était une relation maternelle entre elles deux. » (Marie-Jo Bonnet parlant de la relation « amoureuse » entre Yvonne de Bray et Violette Moriss, lors de sa conférence « Violette Moriss, histoire d’une scandaleuse » le 10 octobre 2011 au Centre LGBT de Paris) ; « Je t’ai protégé de tout, probablement trop. » (Pierre Bergé s’adressant à Yves Saint-Laurent, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc.

 

Cette configuration relationnelle particulière est explosive. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans parle des couples lesbiens et des fréquentes « associations d’une partenaire jeune et d’une autre plus âgée » (pp. 48-49) : « Dans un cas, la personnalité de la jeune femme est étouffée, jusqu’à la rendre incapable ‘éprouver les sentiments naturels d’amour et le désir d’un foyer normal ; dans l’autre, si elle parvient à s’arracher à l’emprise de la plus âgée, elle laisse dans la vie de celle-ci un vide qui ne pourra jamais être comblé. »

 
 

e) Mon amant homosexuel est mon maître et mon Dieu :

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles, si on prête un peu l’oreille, on a l’occasion d’entendre que le verbe « aimer » est régulièrement remplacé par le verbe « adorer ». La relation d’homme à homme (ou de femme à femme) est souvent envisagée comme une relation d’Homme à Dieu : « J’aimais vraiment Alfred. Ce n’est pas assez dire que je l’aimais, je l’adorais. » (Marcel Proust en parlant d’Alfred Agostinelli, son amant qui se tua en avion, cité dans l’article « Chronologie » de Jean-Yves Tadié, dans la revue Magazine littéraire, n°350, Paris, janvier 1997, p. 22) ; « C’est une famille qui s’aime. Non. Qui ne s’aime pas ; qui s’adore. » (un amie de Francesca, parlant de la « famille recomposée » du couple lesbien Francesca-Olga + Florence l’enfant obtenue par PMA, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy de l’émission Tel Quel diffuséesur la chaîne France 4 le 14 mai 2012) ; « Tout au fond de moi, je suis figée d’amour. Paralysée par l’adoration. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 45) ; « Ernestito tomba à genoux devant Nacho comme il aurait pu le faire devant un saint d’une religion inconnue. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 260) ; « Mon corps était devenu ton corps. Mais tu voulais encore et encore plus. Quoi, plus ? Je ne savais plus quoi te donner… Tu exigeais que je sois là pour toi, tout le temps. Je l’ai fait. Avec plaisir. Avec amour. Avec dévotion, je t’aimais. Je t’adorais. J’ai quitté les autres, ma vie, mon chemin dans Paris, mes projets, pour toi. » (Abdellah Taïa s’adressant à son « ex » Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe, 2008) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 
 

f) Mon amant homosexuel est un peu tout et rien à la fois :

La relation entre amants homosexuels est en général ludiquement/amoureusement indéfinie : « Adieu aux baisers de mon tonton, pardon, de mon parrain. » (Kamel en parlant à/de son amant Christian, dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 164) ; « Manolo a toujours été mon père, mon frère, mon compagnon, mon mari, toute ma vie. » (Juan Rodríguez parlant de son copain décédé, Manolo, dans le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta sur la chaîne Play Cuatro, juin 2011) ; « Hubert fut mon ami, mon amant, le grand frère bienveillant qui m’a tant manqué lorsque j’étais enfant, et, qui sait ?, le père qui a disparu, qui sermonne et protège. » (Jean-Luc Romero, On m’a volé ma vérité (2001), p. 40) ; « Je pense à lui comme le grand frère qui m’a manqué, comme l’ami protecteur qui aurait pu m’aider. » (Kim Pérez Fernández-Figares, homme transsexuel, à propos de son amant Philippe, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 254) ; « La recherche d’un ami, d’un héritier spirituel, d’un compagnon et amant choisi à la fois pour sa beauté, son talent et sa distinction l’obsède. » (Michel Larivière parlant de l’écrivain français Robert de Montesquiou, dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997), p. 252) ; « Les hommes que j’érotisais ressemblaient à mon père, à mon frère surtout. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (2008) de Michel Dorais, p. 249) ; « J’ai fini par adopter les codes des garçons : marcher comme un mec, parler comme mon père et mes frères, regarder les filles comme mon père et mes frères les regardaient, me battre avec les copains comme un vrai mâle. » (une amie lesbienne, Stéphanie, 31 ans, en 2012) ; « Pierre est un compagnon. Et il est devenu un partenaire avec le PaCS. Et ensuite il sera mon mari. » (Bertrand dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « Comment t’appeler ? Frère de sang ? Frère de lait ? Copain, ami, amour ? » (c.f. la chanson « Copain ami amour » de Dave) ; etc.

 

Au départ, ça a l’air « fort », ce lien amoureux qui s’étire à foison dans l’envolée lyrique (« Tu es mon Tout, mon Roi, ma Lune, mon Ciel étoilé… »), qui semble exprimer une profonde plénitude. En réalité, quand on regarde les faits et ce que vivent véritablement les amants homosexuels, on se rend compte qu’il existe une forme de compromis incestueux, d’arrangement qui ressemble à de l’amour parce qu’en apparence il contente les deux membres du couple, mais qui au final est une paix bancale : « Martine, qui cherchait désespérément la mère qui l’avait abandonnée à trois jours, m’avait rencontrée fort à propos. Sous cet angle, nous étions complémentaires, moi qui jouais le rôle de l’adulte sérieuse et responsable et elle qui était perpétuellement en quête de protection. » (Paula Dumont dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 231) ; « Je voudrais rapporter le cas, que j’ai pu observer récemment, d’un jeune homme, fiancé à une jeune femme de la façon la plus bourgeoise, et qui tombe amoureux d’un homme plus âgé que lui, qu’il prend de son propre aveu d’abord pour modèle, puis pour maître et enfin pour amant. Cet amant lui-même, bien que ‘purement homosexuel’, me racontera plus tard que, nullement attiré par mon malade au départ, il n’avait été intéressé que par la présence de sa fiancée et la situation triangulaire créée lors d’un dîner. Lorsque le malade, jaloux de son amant, abandonna pour lui sa fiancée, cet amant se désintéressa complètement de lui. Interrogé par moi sur les raisons de ce revirement, il me dit : ‘L’homosexualité, croyez-moi, c’est vouloir être ce que l’autre est.’ » (Jean-Michel Oughourlian cité dans l’essai Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) de René Girard, pp. 469-470) ; etc. En fait, ce n’est pas parce qu’il y a consentement mutuel pour s’exploiter l’un l’autre, ou pour jouer vis à vis de son partenaire un rôle qui ne nous revient pas mais qui anesthésie pour un temps les problèmes, que l’exploitation et la comédie disparaissent et cessent d’entretenir le couple homosexuel dans le mensonge identitaire. Bien au contraire ! La barque se charge petit à petit.

 

FRÈRE 6

Christopher Isherwood et Don Bachardy


 

Bien souvent, sans même qu’elle puisse en parler directement à son partenaire, la personne homosexuelle se demande quelle est sa place dans son couple, quel rôle elle joue, quelle importance elle a aux yeux de son « chéri ». Cela peut engendrer en elle un questionnement très obsédant (j’ai connu personnellement ces bouffées d’angoisse quand je me voyais infantilisé ou traité de « petit écureuil » ou de « Titi » par certains de mes ex-amants !), mais aussi très libérant si elle se pose les bonnes questions. Elle peut mesurer qu’en donnant différents masques inappropriés à son amant, elle est entrée dans une comédie amoureuse qui flatte deux narcissismes, mais qui ne permet à aucun des deux partenaires du couple homo de se sentir pleinement à sa place : « Bien élevé. Énarque. Suffisamment jeune. Suffisant riche. Suffisamment beau. Supérieur. C’est pour ça qu’avant j’avais choisi Quentin. Supérieur, il l’était dans tous les domaines, enfin c’était ce qui me semblait à l’époque. Il avait 26 ans, moi 23. Il était beau. Il savait ce qu’il y avait de meilleur. Il suffisait de le suivre. Le seul problème c’est que Quentin avait si peur des gens qu’il se sentait obligé de les détruire. Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) ; « Aux côtés d’hommes, je m’ennuie très rapidement. Même en présence d’homosexuels. Je les considère comme des pères ou frères. Je dois coucher avec des hommes qui n’affrontent pas la vie. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, en revenant sur les fonctionnements complexes de leur couple, parle de ce décalage engendré par l’accumulation de rôles, et qui surcharge la structure conjugale homosexuelle sur la durée, au point de la rendre soit impossible et non-viable, soit hyper compliquée et lourde-dingue : « J’ai tenu comme j’ai pu. J’ai arrêté de travailler. Je suis devenu une petite femme. Ta conception de la femme. Je suis devenu Saâd, ton copain d’enfance. Je suis devenu une sculpture entre tes mains. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 117) Dans l’essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, Catherine est très ambiguë et torturée avec son amante Paula, alors que pourtant elle se veut d’une grande sincérité et d’une totale franchise. On a l’impression qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut. À la fois elle revient chroniquement vers Paula pour lui dire qu’elle l’aime d’amour (« C’est une forme d’amour, tu es de ma famille. », p. 167), mais elle refuse de lui appartenir et ne veut pas s’engager parce qu’elle ne se sent pas exactement amoureuse (« Ce que j’éprouve et éprouverai toujours pour toi, c’est de la tendresse », p. 184) Si elle fait un pas, c’est pour mieux reculer de trois pas ensuite. À quel jeu joue-t-elle ? Au fond, ce n’est pas tant qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut, ni qu’elle serait vraiment compliquée par nature ; il y a chez elle comme un mécanisme vital de résistance à l’entreprise homosexuelle de travestissement de l’amour, un juste rejet du contrat préétabli de la félicité homosexuelle tendu par une personne en face qui la couve du regard et qui prétend l’aimer à condition qu’elle endosse la pile très pesante de masques qui ne lui vont pas : le masque de la sœur, de la bonne copine, de la mère de substitution, de la sœur, de la fille, de la maîtresse, de la déesse, de la star, de l’amie.

 

Cette indécision de l’amant homosexuel qui se dérobe, qui glisse des doigts comme un savon, et qui fait vivre les montagnes russes émotionnelles à son compagnon qui veut le faire rentrer dans son jeu de rôles incestueux/amoureux pour mieux le posséder, semble insupportable, égoïste, insensée. Mais au fond, elle vaut de l’or, car elle nous rappelle qu’on ne peut pas tricher longtemps en Amour, et que le désir homosexuel est un désir tellement « touche-à-tout d’Humanité » qu’il finit par ne plus toucher grand-chose ni grand monde.

 
 

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Code n° 80 – Fresques historiques (sous-codes : Antiquaire homo / Scarlett O’Hara / Temps / Instant / Futurisme)

fresques his

Fresques historiques

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

L’espace-temps sentimentalisé et déréalisé

 

Sketch "Les Antiquaires" de Michel Serrault et Jean Poiret

Sketch « Les Antiquaires » de Michel Serrault et Jean Poiret


 

Quand on ne s’aime pas assez soi-même, qu’on s’éloigne de sa réalité sexuée et de la différence des sexes qui nous fonde, il n’est pas étonnant que l’on fuie dans le même mouvement la différence des espaces… et celle qui lui est concomitante : la différence des temps (passé, présent, futur) ! Ce code « Fresques historiques » se propose justement d’analyser le curieux rapport des personnes homosexuelles au temps (je dis « curieux » car il est de type idolâtre, c’est-à-dire d’adoration-répulsion-déni). Elles ont tendance à remplacer le trio (de l’Éternité !) passé-présent-futur par leur caricature passéisme-instant-futurisme (passéisme qui prendra souvent la forme du conservatisme de l’antiquaire : nous étudierons d’ailleurs la figure de l’antiquaire homosexuel). Autrement dit elles tendent à s’enfermer dans un passé mythique imaginaire pour mieux nier leurs véritables racines et histoires ; à se noyer dans la consommation pour mieux nier leur réalité quotidienne – au nom pourtant d’un hédonisme qui paradoxalement met la dégustation de « l’instant présent » au centre, le fameux Carpe Diem du bobo… – ; à s’annuler toutes perspectives d’avenir durable et heureux par une promotion pourtant obsessionnelle du progrès et par une fuite constante en avant (= « ça ira mieux demain, on ne sait pas de quoi demain sera fait, je suis en perpétuelles déconstruction et reconstruction, j’ai toute la vie devant moi pour m’éclater. »). Les époques convoitées par le public homosexuel ont souvent trait avec les civilisations héliocentriques (culte solaire), telles que la Grèce Antique, les Incas ou l’Égypte Ancienne.

 

Stéphane Bern à la Cour de Versailles

Stéphane Bern à la Cour de Versailles (Pas l’air tarte… ^^)


 

Le déni homosexuel concernant le Réel et Ses limites est particulièrement observable à travers le traitement de la mémoire opéré par la communauté homosexuelle. Beaucoup de ses membres refusent catégoriquement de poser un regard sur leur passé. Ils réécrivent souvent leur histoire personnelle sous forme de légende noire, comme si leur jeunesse « hétérosexuelle » n’avait été que mensonge, ou au contraire idyllique. Le passé qu’ils ressuscitent est prioritairement mythique, sentimental, impersonnel et folklorique. J’en tiens pour preuve la passion qu’énormément d’artistes homos développent pour les grandes fresques historiques kitsch (la Rome et la Grèce antiques, la Guerre de Sécession nord-américaine avec Scarlett O’Hara, la Révolution française, le règne de Sissi Impératrice, etc.). La reconstitution des temps dits « anciens » sert en général à la contemplation narcissique et à la fuite de la Réalité. La majorité des personnes homosexuelles partent, comme Marcel Proust, « à la recherche du temps perdu », mais en réalité pour ne pas affronter ce qu’elles ont à vivre dans le présent. Le travail de réactivation de la mémoire tel qu’elles le conçoivent n’est pas un acte volontaire et libre : le passage de la dégustation de la madeleine de Proust le montre parfaitement. Il est principalement impulsé par le culte de l’instant, la tristesse nostalgico-anachronique, et le désir d’isolement social. Il a donc peu à voir avec la vraie mémoire, celle qui fait aimer l’Humanité, qui est partiellement intelligible et contrôlée par le Désir. Pour beaucoup d’entre elles, « l’histoire officielle est une hallucination » (le poète argentin Néstor Perlongher, dans l’article « Néstor Perlongher : La Parodia Diluyente » de Miguel Ángel Zapata) et la tradition se confond avec le « détritus » (idem).

 

Il n’y a que l’instant, le ressenti sensoriel immédiat et l’imaginaire qui, en théorie, sont capables d’abolir le Temps. Mais ceci n’est vrai que si ceux-ci ne tiennent pas compte de l’Incarnation concrète du Temps dans laquelle ils s’inscrivent pourtant nécessairement.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Déni », « Faux intellectuels », « Artiste raté », « Peinture », « Pygmalion », « Wagner », « Parricide la bonne soupe », « Télévore et Cinévore », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Oubli et Amnésie », « Parodies de Mômes », « Fan de feuilletons », « Collectionneur homo », « Faux Révolutionnaires », « Jardins synthétiques », « Se prendre pour Dieu », « Animaux empaillés », « Poupées », « Planeur », « Entre-deux-guerres », « Reine », « Voyage », « Femme au balcon », « Bobo », « Grand-Mère », « Éternelle jeunesse », « Bovarysme », « Médecin tué », « Différences culturelles », « Conteur homo », « Voyante extra-lucide », à la partie « Cuculand » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », à la partie « Stars vieillissantes » du code « Actrice-Traîtresse », à la partie « Extra-terrestre » du code « « Plus que naturel » », à la partie « Décorateur homo » du code « Maquillage », à la partie « Fixette sur un amant perdu et déifié » du code « Clonage », à la partie « Grands Hommes » du code « Défense du tyran », et à la partie « Travestissement » du code « Substitut d’identité » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le passé désincarné, idéalisé ET méprisé :

Vidéo-clip de la chanson "Remember The Time" de Michael Jackson

Vidéo-clip de la chanson « Remember The Time » de Michael Jackson


 

Dans la fantasmagorie homosexuelle, le personnage homosexuel adopte souvent une conception mythologique, hachée et sentimentaliste du Temps. Il rentre (ou s’imagine rentrer) dans un espace-temps totalement littéraire et folklorique, comme s’il était dans la Machine à remonter le Temps : cf. le roman Le Parcours du rêve au souvenir (1895) de Robert de Montesquiou, le film « Le Nom de la Rose » (1986) de Jean-Jacques Annaud, le vidéo-clip de la chanson « It’s A Sin » du groupe Pet Shop Boys, la chanson « Sadness » du groupe Enigma, la comédie musicale Graal de Catherine Lara, le vidéo-clip de la chanson « Vogue » de Madonna façon « Cour sous Louis XIV » dans le MTV Show en 1990, la chanson « Le Boulevard des rêves » de Stéphane Corbin, la publicité Pepsi (2002) de Britney Spears, la tournée Aphrodite (2011) de Kylie Minogue, le vidéo-clip des chansons « Remember The Time » et « Black Or White » de Michael Jackson, le recueil Poèmes saturniens (1866) de Paul Verlaine, Les Chevaliers de la Table ronde (1933) de Jean Cocteau, les chansons « Libertine », « Pourvu qu’elles soient douces », et « Jardin de Vienne » de Mylène Farmer, le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo (avec l’attirance pour la culture gréco-latine), les tableaux et les textes modernistes du XIXe siècle, le vidéo-clip de la chanson « Sobreviveré » de Mónica Naranjo, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Games That Lovers Play » (1971) de Malcolm Leigh, le film « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey (avec l’Égyptien efféminé), le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, le film « Le Grand Blond avec une chaussure noire » (1972) d’Yves Robert, les tableaux Les Hardlanders de Thierry Brunello, les photos Statue Series (1983) et Athena (1988) de Robert Mapplethorpe, le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly (avec le décor gréco-romain de la boîte gay Le Guet-Apens de Pedro), le film « Maurice » (1987) de James Ivory (avec Clive, le fan de Grèce antique), les films « In & Out » (1997) et « Joyeuses funérailles » (2007) de Frank Oz, le roman Le Chant d’Achille (2014) de Madeline Miller (revisitant l’Iliade et la Guerre de Troie en se concentrant sur une histoire d’amour entre Achille et Patrocle), la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi (sur fond de nostalgie rétro années 1930 à Paris), le roman Les Nouveaux nouveaux Mystères de Paris (2011) de Cécile Vargaftig (qui est un voyage dans une machine à remonter le temps), le roman Reise In Die Vergangenheit (Le Voyage dans le passé, 1929) de Stefan Sweig, etc.

 

 

Beaucoup de personnages homosexuels sont en quête non pas de la véritable histoire mais d’un super-primitivisme (une préhistoire forcée et construite par la panmythologie) qui va leur permettre de se rendre créateurs de leur propre existence (cf. le noachisme antéchristique). Par exemple, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Guillaume, le héros homosexuel, voit la préhistoire comme une « multitude d’accouplements » bisexuels. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino Oliver, le personnage homo, est expert en Grèce Antique et en archéologie. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf écrit en 1929 une autobiographie, Orlando, où elle se met dans la peau d’un homme du XVIe siècle qui change de sexe.
 

Quand le héros homosexuel se tourne vers le passé, ce n’est pas tant pour l’honorer dans sa réalité que pour l’édulcorer, le noyer dans la nostalgie, le passéisme, les larmes, la reconstitution folklorique en carton-pâte ou bas-relief, la culpabilité, l’orgueil narcissique : « J’aimerais pouvoir remonter le temps. » (Delphine, l’héroïne lesbienne, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; « Je réalise que ce n’est pas la vie qui est importante – mais les souvenirs. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 194) ; « Pourquoi cette attirance pour les musées ? Il ne l’a jamais su. » (la voix-off de la mère de Bertrand, parlant de son fils, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; « Mon frère est un sentimental, il s’accroche aux souvenirs comme le caramel à la casserole ! » (un des héros de la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 15) ; « Toi Sodome, moi, Gomorrhe. Hein, Sodomette ? » (Jézabel, l’héroïne bisexuelle s’adressant à son pote gay Greg, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Mon émerveillement ne faisait que commencer. Les salles, ornées de fresques grandioses, auraient mérité la visite à elles seules. » (Éric, le narrateur homo parlant de la Villa Borghese, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 20) ; « Après le repas, Ethan reste seul à la table du Samothrace. Il laisse son regard se perdre dans les fresques. Tout doucement, il s’imagine à la grande époque grecque, lorsque le sanctuaire des Grands Dieux était en activité sur l’île de Samothrace. Il se demande quelle place il aurait occupé dans cette société. Comme beaucoup de gens, il ne s’imagine pas en simple paysan travaillant la terre. Il aurait plutôt été de ceux qui gravitaient dans les hautes sphères du pouvoir. Sans doute aurait-il tenu le rôle de grand prêtre. […] Il s’imagine habillé comme dans les péplums, d’un minimum de tissu, tous muscles dehors et il serait entouré par des femmes aussi belles que les représentations d’Athéna. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 64) ; « La fresque la plus imposante du lieu [le café Samothrace] représente la Grand-Mère. Elle est mise en scène de la manière la plus traditionnelle qui soit : assise, avec un lion à ses côtés. Son nom secret, dévoilé uniquement aux initiés, est Axieros et elle est la maîtresse toute puissante du monde sauvage. » (idem, p. 54) ; « Ahmed tourne le regard vers la Seine et l’île de la Cité, avec la Cathédrale Notre-Dame. Il se demande s’il y a encore un Quasimodo qui y vit, prêt à tout par amour pour lui. Il s’imagine en un grand Tzigane ténébreux et sensuel, dansant sur le parvis, mais en pleurs parce que son beau Phébus l’a laissé pour épouser un autre garçon, Fleur-de-Lys, alors qu’il est lui-même poursuivi par Frollo, un prêtre déterminé à en faire son amant secret. Dans ses fantasmes, l’Algérien adapte sans gêne les grands classiques français à sa guise ! » (Ahmed, le héros homosexuel du roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 52) ; « Les débris avaient été poussés dans les coins, quelques cartes postales et des photographies de magazines avaient été punaisées sur les murs. Une fresque d’amateur s’épanouissait sur l’un d’eux. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 239) ; « Si j’avais une machine à remonter le temps, j’irais nulle part. » (Shirley Souagnon disant qu’à toutes les époques elle aurait été persécutée, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Il y a trop de personnes appartenant à mon passé que je n’ai plus jamais envie de voir pour que j’aie un compte Facebook. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 191) ; etc. Par exemple, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2009), Océane Rose-Marie décrit la déco mérovingienne chez Chrysanthème, une de ses amies lesbiennes. Dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm (dans l’épisode 3 de la saison 1), Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, a dirigé des fouilles archéologiques à Carthage pour le musée du Louvre… et c’est là-bas qu’il a connu sa première expérience homosexuelle. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ted, l’un des héros homos, est scotché à sa télé devant Games Of Thrones, et se dit fan de Daenerys Targaryen, « la princesse exilée » : « Je l’adore ». Il se déguise même avec des costumes péplum chez lui.

 

La délicieuse peste Scarlett O'Hara dans le film "Gone With The Wind"

La délicieuse peste Scarlett O’Hara dans le film « Gone With The Wind »


 

En bonne Drama Queen qui se respecte, le personnage homosexuel s’identifie parfois à la Scarlett O’Hara du film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming et à l’époque de la Guerre de Sécession nord-américaine : cf. le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault, le film « Saved By The Belles » (2003) de Ziad Touma, le film « Sylvia Scarlett » (1935) de George Cukor, la chanson « Scarlet Woman » du groupe Taxi Girl, le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, le vidéo-clip de la chanson « Un point c’est toi » de Zazie, le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon, le roman Tiempos Mejores (1972) d’Eduardo Mendicutti, le film « Scarlet Diva » (2000) d’Asia Argento, le film « A Bit Of Scarlet » (1996) d’Andrea Weiss, la chanson « It’s All Coming Back To Me » de Céline Dion, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (avec « Scarlett », la chienne de Julie), la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec le Petit Chaperon Rouge en Scarlett), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (où Patrick Laviosa joue au piano « Autant en emporte le vent »), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec Madeleine O’Hara, la femme rousse violée), etc. « J’ai regardé ‘Gone With The Wind’ à 7 heures du matin. » (Jean-Marc, le narrateur homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 204) Par exemple, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, Émilie, l’amante secrète de Gabrielle, compare la résidence (« Bois-Rouge ») de cette dernière à « Tara, la propriété de Scarlett O’Hara, dans ‘Autant en emporte le vent’. Cela ne lui avait pas déplu, à elle [Gabrielle], d’être comparée à Scarlett de façon indirecte… » (p. 50) Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, propose à Mme Schmidt, une passagère à mobilité réduite, une occupation : « Tu verras, c’est génial, y’a le film ‘Autant en emporte le vent’. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca rentre dans la peau d’une actrice vieillissante qui fait des publicités, Marie-Astrid : « Dans ‘Autant en emporte le vent’, en 1939, c’est moi qui faisais le vent. »

 

Le protagoniste a tendance à se réfugier dans un monde de dînettes digne des petites filles modèles de la Comtesse de Ségur. On retrouve la passion pour l’époque de l’impératrice Sissi chez le personnage de JP dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, ainsi que le goût pour la mythologie bavaroise « à la Heïdi » à travers l’intérêt de beaucoup de personnes homosexuelles pour le film « The Sounds Of Music » (« La Mélodie du bonheur », 1965) de Robert Wise (cf. la chanson « So Lang’ Man Traüme Noch Leben Kann » du groupe Münchener Freiheit, le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, etc.). « Moi, j’étais de plain-pied avec les héroïnes de la comtesse de Ségur. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 39) ; « Bonsoir, Fairwell, Aufwiedersehen, goodbye… » (le diable et l’ange chantant la « Mélodie du bonheur » à Maxence dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; etc.

 

 

Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque célèbre les chanteuses de son enfance (Dorothée, Chantal Goya, Mylène farmer, etc.) et les dessins animés (Candy, les Schtroumpfs). Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur homosexuel, organise des soirées revival années 1980, et débarque déguisé en Princesse Sarah.

 

Notre héros homosexuel se met en mode « J’écris mes mémoires, à la lumière de la bougie (… à 19 ans, au XXIe siècle) », et s’imagine à des époques qu’il n’a même pas connues : « Je suis né à Paris à la fin du siècle dernier… Curieuse phrase et cette impression d’ancien combattant qui va raconter sa guerre ! Finalement, ça me va bien. Je ne l’ai pas toujours été. Je n’en avais pas très envie. Combattant. Je le suis devenu contraint et forcé le jour où j’ai décidé que je ne me laisserai plus faire, ni influencer ni modeler comme je ne voulais pas, comme je ne pouvais pas. » (le jeune Bryan, 16 ans, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 18)

 

C’est l’attrait passéiste qui semble le moteur de la formation du couple homosexuel fictionnel. Par exemple, à la toute fin du film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo et Gabriel, une fois en couple, font un exposé en classe sur l’Histoire de Spartes et la relation entre soldats. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah demande une aide aux devoirs d’histoire à sa future amante Charlène.

 

Film "Maurice" de James Ivory

Film « Maurice » de James Ivory


 

C’est un peu ridicule, ce jeu de rôle sincère. Certains héros homosexuels finissent par s’en rendre compte. Par exemple, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, Glen, pour se moquer du mobilier archaïque de l’appartement de son amant Russell, ironise : « T’as braqué un vide-grenier ? »

 
 

b) L’antiquaire homosexuel :

Cet enfermement immature et irréaliste dans des passés picturaux ou cinématographique ressort et est rappelé par un personnage bien connu de l’inconscient collectif au sujet de l’homosexualité : dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques apparaît la figure de l’antiquaire homosexuel : cf. le film « Les Arnaud » (1967) de Léon Joannon (avec Josseron l’antiquaire homo), la chanson « La Grande Zoa » de Régine, le film « L’Innocent » (1976) de Luchino Visconti, le film « Il y a des jours… et des lunes » (1989) de Claude Lelouch (avec Francis Huster en prêtre en couple avec un antiquaire), le film « Le Troisième Sexe » (1959) de Veit Harlan (avec le personnage de Boris), le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « Blacula » (1972) de William Crain, le film « Cent francs l’amour » (1985) de Jacques Richard, le film « Paradis perdu » (1939) d’Abel Gance, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Via Margutta » (1959) de Mario Camerini, le film « Professeur » (1972) de Valerio Zurlini, le film « L’Oiseau au plumage de cristal » (1968) de Dario Argento, le film « Diaboliquement vôtre » (1967) de Julien Duvivier (avec l’antiquaire joué par Claude Piéplu), le film « Gang Anderson » (1971) de Sidney Lumet (avec Martin Balsam), le film « Spéciale Première » (1974) de Billy Wilder, le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, le film « J’en suis » (1996) de Claude Fournier, le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (avec la mention d’un antiquaire homo), le film « Mon meilleur ami » (2006) de Patrice Leconte (avec le marchand d’art joué par Daniel Auteuil), le film « Faustrecht Der Freiheit » (« Le Droit du plus fort », 1975) de Rainer Werner Fassbinder (avec l’antiquaire homo Max), le roman Oh ! Boy ! (2000) de Marie-Aude Murail, le roman La Ligne de beauté (2008) d’Alan Hollinghurst (où Nick, le héros gay, est fils d’un antiquaire), le roman Le Malfaiteur (1948) de Julien Green, etc.

 

« C’est des enculés antiquaires ! » (Fifi en parlant des homos, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Elle doit me prendre pour un antiquaire, elle me dit que les seules folles qu’elle a comme clientes sont plus ou moins brocanteuses Porte-Clignancourt. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 87) ; « Moi, je voulais être antiquaire. Avec rien que de l’ancien. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je suis devenu antiquaire. Nous sommes, avec mon compagnon Raymond, spécialisés dans le Charles X. » (Laurent Spielvogel imitant André, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « On peut la retrouver rue des saint pères. Décorateur et antiquaire. » (cf. la chanson « La Grande Zoa » de Régine) ; etc.

 

S’il n’est pas antiquaire, le héros homosexuel en a au moins l’ambition : cf. la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec Vivi qui fait les brocantes), le film « Une Femme un jour » (1977) de Léonard Keigel (avec la brocanteuse Nicky), le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec le duo d’experts artistiques Sulky et Sulku), etc. « J’adore les antiquités. » (Thomas dans la pièce L’Anniversaire (2007) de Jules Vallauri) ; « J’adore les antiquités. » (un des personnages homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; etc.

 

FRESQUES Emory

Michael et Emory dans le film « The Boys In The Band » de William Friedkin


 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, l’un des héros homosexuels – le plus maniéré –, est antiquaire… mais il a apparemment un problème avec la différence des temps : « Le dernier bouquin que j’ai commencé à lire, c’était en 1912.»

 
 

c) Le Présent réduit à la pulsion de l’instant :

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Le héros homosexuel ne vit pas davantage au présent, qu’il délaisse au profit de l’instant, de la sensation immédiate, de la pulsion : cf. le ballet Alas (2008) de Nacho Duato (avec l’insistance sur l’instant), la chanson « L’Instant X » de Mylène Farmer, la chanson « Vertige » de Mylène Farmer, le roman Un Instant d’éternité (1988) d’Edgar Morgan Forster, etc. « J’avais de la difficulté à vivre le moment présent […]. Vivre rétrospectivement a toujours été l’un de mes plus graves défauts. […] Déjà, enfant, ma mère me reprochait d’être trop impatient. » (Jean-Marc, le narrateur homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 59) ; « Instant présent, tu es l’essence du voyage. » (cf. la chanson « Vertige » de Mylène Farmer) ; « Lorsqu’on s’y attend le moins, traverser Paris en courant, sur la seule magie d’un instant, du message clair de tes yeux. » (cf. la chanson « au Jack au mois d’avril » d’Étienne Daho) ; « Je choisissais les plus beaux et vivais une intense aventure de dix secondes avec chacun. » (le narrateur homo parlant du jeu des regards à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; « Il faut profiter de l’instant présent. » (Evelyn, la veuve gay friendly du film « Indian Palace » (2012) de de John Madden) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny et Romeo, en sortant ensemble, sont, selon la définition du premier, rentrés dans un rêve (« Il n’y a pas de notion de temps dans les rêves. ») puisque Roméo lui dira peu après : « On a perdu la notion du temps. »

 

Derrière l’éloge de l’instant, qui a l’air positif et enchanteur, se profile la croyance désenchantée en la vacuité de l’existence, en l’impermanence de l’amour : « Pas de passé, pas d’avenir. Pas de passé, pas d’avenir. » (cf. Johnny Rockfort dans la chanson « Banlieue Nord » de l’opéra-rock Starmania) ; « L’agitation du café retombe un peu, étrangement. On dirait, tout à coup, que la pudeur reprend ses droits dans une sorte d’assourdissement des conversations. […] Mon regard s’évade. Vous demandez : à quoi pensez-vous ? Je réponds : précisément, à rien. Je regarde ce monde autour de nous, ce monde singulier des gens dans les cafés, ce monde qui est un instant, une réunion du hasard. Je pense que nous n’aurons plus jamais la compagnie qui est la nôtre en ce moment, que ceux qui sont ici, dans ce lieu, ne se connaissent pas entre eux, qu’ils se trouvent ensemble par coïncidence, qu’ils se disperseront sans éprouver un sentiment de perte, qu’ils ne se reverront pas, que cette assistance n’existe que le temps de boire un café, lire un journal, rédiger du courrier, raconter une enfance. Et c’est une idée qui m’intéresse, sans que je sache expliquer pourquoi. » (Vincent s’adressant à son amant Marcel Proust dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 59)

 

Souvent, le héros homosexuel individualise le temps en propriété privée, en possession individualiste fugace, en mixture confuse entre passé/présent/futur célébrant l’éclat de l’Instant et de la Sensation immédiate : « De l’art dans chaque souvenir. […] Tout s’est rassemblé. Comme un musée de mon histoire, un art contemporain. » (le comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’ai eu un rêve. Le passé et le présent se confondaient. » (Maria, l’héroïne lesbienne dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas) ; etc. Par exemple, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, Vincent, le héros homosexuel établit son propre calendrier et se croit « en l’an 17 de son temps » (p. 63). Dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus fusionnent le monde de la Seconde Guerre mondiale et l’ère du numérique internet.

 
 

d) Le Futur réduit à une projection fantasmatique :

L’accueil que réserve le héros homosexuel au futur n’est pas meilleur que celui offert au passé et au présent… car sa fuite en avant se vit dans la rupture avec un passé diabolisé ou dans l’absence de conscience du Réel : « Je tuerai le passé. Lorsqu’il sera mort, je serai libre. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Je ne crois pas que le passé compte, murmure Simon, après on va rentrer dans des trucs psychologiques, le gourou Freud, tout ça, c’est une secte pour moi. » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 33) ; « Dans l’rétro ma vie qui s’anamorphose. » (cf. la chanson « California » de Mylène Farmer) ; « Ma mémoire aux portes condamnées, j’ai tout enfoui les trésors du passé. Les années blessées. Comprends-tu qu’il me faudra cesser… » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « La robe rouge du passé t’enserre, t’étouffe. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Qu’est-ce que je vous ai fait ? Parce que j’ai dû vous infliger quelque humiliation dans le passé dont je ne me souviens pas ou qui m’a échappé. » (la Comédienne s’adressant à sa sœur Vicky dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M noircit le tableau de son passé, évoque « le souvenir de l’enfermement dans lequel elle a passé son enfance ».

 

Le héros homosexuel désire tout simplement l’abolition du Temps : « Peut-être nous nous trouvions dans un temps passé ou futur que jamais mémoire d’homme n’avait enregistré (c’était là mon souhait secret). » (Gouri, le narrateur homosexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 125) ; « It’s too late. I’m in love. » (Charlène s’adressant à son amante Sarah au moment de l’embrasser, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; etc.

 

On entend souvent dans les chansons homo-érotiques qu’« il est trop tard » (cf. les chansons « La Veuve noire », « L’Horloge », « Allan » et « City Of Love » de Mylène Farmer ; « C’est trop tard » d’Alizée), parce que bon nombre de personnages homosexuels voient le Temps comme un ennemi (cf. Je vous renvoie à la partie sur la peur-panique de vieillir dans le code « Éternelle jeunesse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Beaucoup de films et de romans à thématique homo-érotique choisissent un cadre futuriste pour traiter d’homosexualité : cf. le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, la trilogie « Dead Or Live » (1999-2002) de Takashi Miike, le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le film « Metropolis » (1927) de Fritz Lang, le film « Le Cinquième Élément » (1997) de Luc Besson, le film « Papa, il faut que j’te parle… » (2000) de Philippe Becq et Jacques Descomps, le film « Amidonnée » (2001) de Cath Le Couteur, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario, le film « Fresh Kill » (1994) de Shu Lea Cheang, le film « Clandestino Destino » (1987) de Jaime Humberto Hermosillo, le film « Dandy Dust » (1998) d’Hans A. Scheirl, le film « Tigerstreifenbaby Warter Auf Tarzan » (1998) de Rudolf Thome, le film « Hey, Happy ! » [2001) de Noam Gunick, le film « Priscilla, folle du désert » (1994) de Stephan Elliott, le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, etc. Par exemple, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria va voir au cinéma un film de science-fiction dans lequel Jo-Ann, sa jeune et future partenaire de théâtre (avec qui elle jouera un couple lesbien), interprète une super-héroïne aux pouvoirs destructeurs.

 

Ce n’est pas hasard si les œuvres de science-fiction abordent souvent le sujet de l’homosexualité : cf. la pièce La Revolución (1972) d’Isaac Chocrón, le film « G.O.R.A. » (2003) d’Omer Faruk Sorak, le roman Venus Plus X (1960) de Theodore Sturgeon, le roman The Crooked Man (1955) de Charles Beaumont, la nouvelle The Crime And Glory Of Commander Suzdal (1964) de Cordwainer Smith, le roman La Main gauche de la nuit (1969) d’Ursula K. LeGuin, le roman When It Changed (1969) de Joanna Russ, le roman Dhalgren (1976) de Samuel R. Delany, les romans 334 (1976) et On Wings Of Songs (1979) de Thomas M. Disch, le film « Barbarella » (1968) de Roger Vadim, le film « Space Thing » (1968) de B. Ron Elliott, le film « Nowhere » (1997) de Gregg Araki, « (T) Raumschiff Surprise-Periode 1 » (2004) de Michael Herbig, etc.

 

Le déni de la réalité temporelle passé/présent/futur se résout presque systématiquement dans l’idéologie progressiste de la post-modernité transhumaniste, et concrètement dans la violence, avec toujours la fausse dichotomie « passé/futur » orchestrée par bons nombres de personnages homosexuels ou gays friendly. Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener s’opposent le progressisme « amoureux » (avec le couple Claire/Suzanne) et le conservatisme un peu caricatural du père de Claire (qualifié de « vieux schnock » par ses adversaires féminines lesbiennes : il s’écrit avec force face à l’homosexualité et toutes les lois qui l’accompagnent « Cette société du futur, je n’en veux pas ! »).

 

Les amants homos fictionnels effacent le passé de l’un et de l’autre, et regrettent de s’être précipités dans l’acte homosexuel, acte qui les extrait du Réel, et donc du Temps, en leur donnant l’impression d’être allés trop vite ou trop lentement, d’avoir été catapultés dans le passé ou le futur. « À chaque fois c’est pareil, ça marche et j’ai l’impression que je serais heureuse jusqu’à la fin de ma vie, et au bout de six mois, ça y est, on s’engueule pour un rien, on se parle mal, et surtout on se fait la gueule comme ça, tssss. […] J’ai perdu du temps, j’ai perdu du temps. » (Polly par rapport à son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 76-77) Par exemple, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard, le héros homosexuel, sent que depuis son coming out, le temps (= sa liberté, finalement) s’est accélérée et a été annulée : « Je veux ma vie d’avant !! » proteste-t-il contre son futur amant, Peter, qui s’amuse de l’irréversibilité de la situation de son copain qui dessert ses propres intérêt : « Ça, autant y renoncer. »
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le passé désincarné, idéalisé ET méprisé :

Parmi les personnes homosexuelles, il y a pléthore de passéistes, de nostalgiques et d’amoureux des civilisations passées. Je vous renvoie à l’essai Pier Paolo Pasolini et l’Antiquité (1997) d’Olivier Bohler, à l’essai Corydon (1924) d’André Gide, à la fascination pour l’hellénisme et l’Égypte chez Terenci Moix, à la passion de Yukio Mishima pour le Japon impérialiste des samouraïs, etc. « Je suis employée pour les Musées nationaux au service de restauration des œuvres anciennes. » (cf. l’article « À trois brasses du bonheur » de Sophie Courtial-Destembert, dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 57) ; « J’aimais les looks avec les catogans en cheveux blancs. » (Karl Lagerfeld dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; etc.

 

Illustrations Grèce Antique du dessinateur d'érotisme gay Roger Payne

Illustrations Grèce Antique du dessinateur d’érotisme gay Roger Payne


 

Énormément de films homo-érotiques sont construits sur la nostalgie musicale bobo-kitsch ou la reconstitution « historique » : cf. le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, le film « Priscilla folle du désert » (1994) de Stephan Elliott, le film « Muriel » (1994) de P.J. Hogan, le film « C.R.A.Z.Y » (2005) de Jean-Marc Vallée (avec les chansons d’Aznavour), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Aznavour en musique de fond), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Tacones Lejanos » (« Talons Aiguilles », 1991) de Pedro Almodóvar, le film « Lili Marleen » (1981) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Les Mille et une nuits » (1974) de Pier Paolo Pasolini, le film « La Belle et la Bête » (1946) de Jean Cocteau, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, etc.

 

Par exemple, dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic, Renaud Camus avoue son « amour du désuet », du kitsch littéraire vieillot. Beaucoup de personnes homosexuelles sont attirées par les cultures gréco-latines : Olivier Delorme, Raúl Gómez Jattin, Jean Cocteau, Oscar Wilde, Marguerite Yourcenar, Julien Green, Benjamin Britten, Friedrich Hölderlin, Pierre de Coubertin, Gustav Wyneken, John Addington Symonds, Jacques de Ricaumont, Siméon Solomon, Joan Joachim Winckelmann, Érik Satie, Sappho, Pier Paolo Pasolini, etc. En bouche d’un certain nombre de théoriciens queer ou d’esthètes bourgeois, la Grèce Antique est encore la terre-symbole d’un idéal pédérastique chantée par Jean Lorrain, Fersen, André Gide, et bien d’autres. Christian Isermayer, un historien d’art, était homo. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, l’équipe historique de water-polo gay des Crevettes pailletées s’est déguisée en Égyptiens antiques.

 

FRESQUES Statues

La plastique « parfaite » des statues grecques


 

Dans son autobiographie L’Amant pur (2013), David Plante raconte qu’il est un jeune écrivain américain amoureux d’une Grèce de chimères classico-érotiques. Dans son spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013), Alexandre Vallès chante son amour impossible en effleurant des bas-reliefs égyptiens : « Tu es la beauté incarnée, partie à tout jamais. »

 

Ludovic Le Floch et ses hommes-taureaux

Ludovic Le Floch et ses hommes-taureaux


 

Il est étonnant de voir toutes les personnes homosexuelles qui sont soit profs d’histoire-géo, soit grands collectionneurs, soit fanas des grandes épopées et des personnages qui ont marqué l’historiographie mondiale. Par exemple, dans le documentaire « Ma Vie (séro)positive » de Florence Reynel (diffusée le 2 avril 2012 sur la chaîne France 4), Vincent, homme homosexuel de 28 ans, rêve d’être archéologue et prof d’histoire.

 

L’anachronisme an-historique et la fuite vers les contrées lointaines est le propre du romantisme échevelé et, à notre époque si bisexuelle, de la boboïtude, particulièrement branchée vers l’esthétique seventies chavirée (cf. les films avec Julianne Moore tels que « Far From Heaven », « Loin du Paradis » (2002) de Todd Haynes, ou encore « A Single Man » (2010) de Tom Ford). Le plus grave, c’est que cet anachronisme a souvent une prétention commémorative et réaliste. Par exemple, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », est catapultée à l’époque moderne, dans laquelle elle marche dans une fête foraine. Les historiens menteurs nous annoncent avec aplomb et sincérité que la biographie qu’ils ont tordue est fidèle aux faits.

 

 

En bonnes Drama Queen qui se respectent, certaines personnes homosexuelles s’identifient parfois à la Scarlett O’Hara du film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming et à l’époque de la Guerre de Sécession nord-américaine. Par exemple, le réalisateur homosexuel Georg Cukor a créé de toute pièce le personnage de Scarlett. On retrouve la passion pour l’époque de l’impératrice Sissi dans le film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (inutile de souligner qu’aux États-Unis, l’un des qualificatifs signifiant « pédé » est « sissy »…), ainsi que le goût pour la mythologie bavaroise « à la Heïdi » à travers l’intérêt de beaucoup de personnes homosexuelles pour le film « The Sounds Of Music » (« La Mélodie du bonheur », 1965) de Robert Wise : cf. le documentaire « Les Refrains du nazisme » (2003) d’Olivier Axer et Suzanne Benze, la pièce autobiographique Ébauche d’un portrait (2008) de Jean-Luc Lagarce, les goûts du chanteur Jean-Sébastien Lavoie dans l’émission À la recherche de la Nouvelle Star en 2003, etc. Je suis moi-même grand fan du film « La Mélodie du bonheur ».

 

 

Quand l’individu homosexuel se tourne vers le passé, ce n’est pas tant pour l’honorer dans sa réalité que pour l’édulcorer, le noyer dans la nostalgie, le passéisme, les larmes, la reconstitution folklorique en carton-pâte ou bas-relief, la culpabilité, l’orgueil narcissique : « Tu aimais aller à la mosquée de temps en temps. Tu disais que tu aimais la gymnastique de la prière, être au milieu des inconnus en prière, dans la parole simple et directe avec Dieu. Dès qu’on s’est rencontrés, tu as arrêté de le faire. Tu n’osais plus. Notre lien est sacrilège aux yeux de l’islam. Tu n’arrivais pas à te débarrasser de ce sentiment. Je n’ai pas essayé de te faire changer d’avis. Moi-même je vivais dans cette contradiction. Moi-même j’avais besoin de croire. Je voulais croire. On a fini par trouver une solution. Je t’ai emmené à l’église Saint-Bernard et on a regardé les autres prier. Les églises, ce n’était pas nous à l’origine, cela ne représentait rien dans notre mémoire spirituelle. Rien ne nous attachait à elles et, pourtant, nous y sommes retournés plusieurs fois et nous avons fini par y découvrir une nouvelle spiritualité. Nous l’avons inventée ensemble, cette religion, cette foi, cette chapelle, ce coin sombre et lumineux, ce temps en dehors du temps. Ce christianisme non loin de Barbès. » (Abdellah Taïa par rapport à son amant Slimane, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 118) ; « La première fois que je me suis intéressé aux vampires, ça a été à 14 ans. Toutes les minorités se retrouvent dans le personnage du vampire. C’est le symbole du marginal de toutes les époques. Je crois que je suis né au siècle dernier. » (le romancier homosexuel Tony Mark, lors de la Soirée spéciale « Vampirisme et Homosexualité » au Centre LGBT de Paris, le 12 mars 2012) ; « Je vivais partout sauf à Montréal, à toutes les époques sauf à la mienne, dans toutes les couches de la société sauf dans celle où j’étais né (les imprimeurs sont une denrée plus que rare à l’opéra) ; je hurlais à m’en péter les cordes vocales mes amours malheureuses et je suppose que ça me consolait de mes amours inexistantes. » (Michel Tremblay évoquant son arrivée dans la vie adulte à 18 ans et sa passion pour l’opéra, dans son roman autobiographique La Nuit des princes charmants (1995), p. 38) ; etc.

 

Par exemple, lors de la conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon, à la Mairie du IIIe arrondissement le 18 novembre 2010, le romancier Christophe Bigot s’identifie à la Révolution française et à la figure très ambiguë de Camille Desmoulins. Autre exemple : le chanteur Stéphane Corbin dit que son album Les Murmures du temps (2011) a été « créé pour la nuit, dans l’esprit amoureux, à écouter des chansons nostalgiques », pour « faire revivre chacune des personnes, chacun des instants » ; il s’imagine dans la peau d’un centenaire. Adolf Brandt fonde en 1903 la Gemeinschaft Der Eigenen que l’on peut traduire par Communauté des propriétaires de soi. Laquelle se réclame ouvertement de l’idéal de la Grèce antique. Il ne s’agit pas tant, pour les personnes LGBT pratiquant leur homosexualité, d’allier le temps à l’Éternité (Celle qui reconnaît la finitude des choses humaines, Celle qui reconnaît la mort et la victoire de la vie sur celle-ci) mais plutôt de la réduire à l’immortalité (celle qui nie le Réel et les contingences humaines) : cf. le documentaire « Act-Up – On ne tue pas que le temps » (1996) de Christian Poveda.

 

Ça plane bien, en apparence… Mais qui s’éloigne du Temps et du Réel s’éloigne aussi des autres et de sa propre Humanité : « Pendant quelques années, cependant, je me suis sentie un peu en marge. Ni homme, ni femme, la figure de l’androgyne me fascinait mais je ne voyais pas comment concilier ma soi-disant virilité avec ce qui faisait de moi une femme, d’autant que j’étais censée être hétérosexuelle. Un jour, je me suis découverte lesbienne, et rétrospectivement je crois que l’union s’est faite en moi. […] Pour autant, je ne suis rien d’autre qu’une fille, une vraie, et qui en a dans le bonnet. Finalement, à travers toutes ces figures de mon passé, je vois le désir d’être avant tout une femme solide et indépendante, comme Elisabeth Première, mais en moins vierge, ou Margaret Thatcher, mais en moins idiote, et en moins laide aussi j’espère. » (cf. l’article « De la virilité des lesbiennes » posté par la journaliste lesbienne Septembre dans www.yagg.com 16 janvier 2010)

 

Les personnes homosexuelles pratiquant leur homosexualité, même si elles se vantent de ressusciter l’Histoire, sont au contraire Ses fossoyeurs. Elles vénèrent un passé qui n’existe que dans les livres et dans ce que l’époque platonicienne irréaliste a forgé avec la complicité de l’ère rationnaliste, sentimentaliste et individualiste des Lumières : « Le goût du Camp pour le passé est devenu sentimental à l’extrême. » (cf. l’article « Le Style Camp » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), p. 430) ; « J’ai toujours préféré la mythologie à l’Histoire parce que l’Histoire est faite de vérités qui deviennent à la longue du mensonge, et que la mythologie est faite de mensonges qui deviennent à la longue des vérités. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; etc.

 
 

b) L’antiquaire homosexuel :


 

Cet enfermement immature et irréaliste dans des passés picturaux ou cinématographique ressort et est rappelé par un métier bien connu de l’inconscient collectif au sujet de l’homosexualité. On trouve dans la communauté homosexuelle un certain nombre d’antiquaires : Robert Ness, Jacques-Kléber Aubier, Jean-Nérée Ronfort (retrouvé chez lui par son compagnon en 2012, et assassiné par trois prostitués roumains), etc. Par exemple, « Mademoiselle Az » est une antiquaire connue d’Évelyne Rochedereux (Évelyne Rochedereux, « Hommage aux camionneuses », citée dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 49). Yvonne Brémond d’Ars était également antiquaire. Jean-Luc Lagarce, dans sa pièce autobiographique Ébauche d’un portrait (2008), raconte sa liaison avec un antiquaire collectionneur. Les diverses résidences de Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent sont des salons des antiquaires. Pour ma part, j’ai rencontré pas mal d’antiquaires homosexuels, beaucoup exerçant à Paris ; et même des antiquaires lesbiennes vendant des libres sur les quais de Seine… ou en rase campagne !

 

L’antiquaire homosexuel a en effet un côté snob ou bobo qui l’oblige à se penser « hors milieu gay » et à migrer vers des bourgades provinciales pittoresques s’il n’a pas les moyens de vivre dans les beaux quartiers citadins tel que Montmartre. Je pense par exemple au petit village Percheron de La Perrière (Normandie, France), investi depuis les années 1990 par de nombreux antiquaires du Marais arrivés sur les lieux dans le sillage de la styliste Chantal Thomas.

 

« Les seuls homos qu’il y avait, c’était l’antiquaire du coin. » (Yann, un des témoins homos parlant de sa difficulté à trouver des référents ouvertement homosexuels à son époque, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Passée l’École Nationale des Beaux-Arts, Jean-Luc, devenu antiquaire, s’était installé à Clermont-Ferrand et avait ouvert, rue du Chevalier-Français, la classique boutique vert-noir à la devanture soigneusement vernissée : Antiquités-Décoration. […] Présentations, car le jeune antiquaire n’est pas seul : comme chaque soir, vers les six heures, un cénacle charmant se forme, par affinités, dans l’arrière-boutique de la rue du Chevalier-Français. L’élite intellectuelle de Clermont est là : un sculpteur célèbre, un tailleur, un fils de magistrat, un autre antiquaire. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, décrit dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 73) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. Très vite, grâce au premier argent si généreusement laissé par mon attaché d’ambassade, je me fis un nom dans la hiérarchie des antiquaires. […] Beaucoup d’hommes de tous âges venaient chez moi, par goût des objets d’art ou dans l’espoir d’une aventure. » (Jean-Luc, op. cit., pp. 86-88) ; etc.

 
 

c) Le Présent réduit à la pulsion de l’instant :

Les personnes homosexuelles pratiquant leur homosexualité ne vivent pas davantage au présent, qu’elles délaissent au profit de l’instant, de la sensation immédiate, de la pulsion. Derrière l’éloge de l’instant, qui a l’air positif et enchanteur, se profile la croyance désenchantée en la vacuité de l’existence, en l’impermanence de l’amour : « J’aurais pu naître à n’importe quelle époque, j’aurais été bien nulle part. » (Shirley Souagnon, humoriste lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux (Suisse), sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012)

 

Notre réalité corporelle spatio-temporelle est noyée par beaucoup de créateurs homosexuels dans l’art, le sentiment et le progrès, comme l’explique parfaitement la philosophe Susan Sontag : « Le Happening touche le spectateur en l’entourant d’une trame d’éléments de surprise, asymétriques, sans péripétie et sans dénouement ; il s’agit là de l’irrationalité du rêve, plutôt que de la logique habituelle de l’art. Les Happenings, comme les rêves, ignorent la notions du temps. N’utilisant ni l’intrigue, ni la chaine rationnelle du discours, ils ne connaissent pas le passé. Comme l’indique leur dénomination – Happenings (Choses qui arrivent) – tout s’y passe dans le présent. » (cf. l’article « Les Happenings : Art des confrontations radicales » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), p. 406)

 
 

d) Le Futur réduit à une projection fantasmatique :

L’accueil que réservent certains individus homosexuels au futur n’est pas meilleur que celui offert au passé et au présent… car leur fuite en avant se vit dans la rupture avec un passé diabolisé ou dans l’absence de conscience du Réel : « Dans le grand parc solitaire et glacé, deux spectres ont évoqué le passé… » (Paul Verlaine s’adressant à son amant Arthur Rimbaud, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 30) ; « Vous savez, cher Marcel, je dois les excuser, ces Argentins. Malgré tout, ils m’ont donné un foyer. Loin, très loin de ce passé horrible. Grâce à ces Indiens, j’ai pu survivre. C’est pour cette raison profonde que je suis prête à leur pardonner leur exubérance, leur exotisme. À dire vrai, ils ont quand même un peu de charme. » (Madeleine s’adressant à la photo de Marcel Proust dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 247) ; « La philosophie de Michel Foucault, son scepticisme, son relativisme ont pour point de départ un constat historique : le passé de l’humanité est un gigantesque cimetière de vérités mortes, d’attitudes et de normes changeantes, différentes d’une époque à l’autre, toujours dépassées à l’époque suivante. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 210) ; etc.

 

Pourtant, les apparences sont trompeuses car ils semblent chanter l’avenir et le progrès à tue-tête dans leurs créations et leurs discours. Je vous renvoie au journal mensuel homosexuel Futur (1952-1955). Par exemple Louis II de Bavière est connu pour avoir des projets grandiloquentes et mégalomaniaques : il fait construire des châteaux futuristes. Michael Jackson, Thierry Mugler, Andy Warhol, Yves Saint-Laurent se sont essayés au futurisme. « J’ai toujours rêvé de visiter les châteaux de Louis II de Bavière. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne)

 

Il est assez symptomatique qu’une chanteuse comme Mylène Farmer (l’icône gay française par excellence) célèbre le futur (jusque dans ses concerts High Tech et ses clips) tout en disant à chaque fois qu’il n’existe pas et qu’il vient toujours à manquer (cf. le titre de sa tournée 2013, « Timeless », ainsi que ses messages millénaristes). D’ailleurs, toutes les icônes gays jouent à être des prêtresses de l’espace : Jane Fonda, les Spice Girls, Björk, Mylène Farmer, Lady Gaga, Britney Spears, Madonna, etc.

 

De plus en plus avec les nouvelles législations mondiales fondées sur les « identités » sexuelles et les sentiments amoureux (« Union civile », « mariage pour tous », adoption, etc.), les personnes homosexuelles se font les chantres du progressisme égalitariste (qu’elles incarneraient, bien évidemment, par leur désir homosexuel et l’affichage de ce dernier). Elles – et leurs suiveurs politiques qui les instrumentalisent – font ainsi du passé table rase, justifiant leur démarche iconoclaste et mémoricide par l’idéologie de la modernité : « Nous ne sommes plus au XVe siècle. » (Nicolas Gougain par rapport à sa défense du « mariage gay », dans l’émission Mots croisés d’Yves Calvi, sur le thème « Homos, mariés et parents ? », diffusée sur la chaîne France 2, le 17 septembre 2012) ; « On n’est plus au XIXe siècle. » (une manifestante pro-mariage-gay et pro-égalité, dans le documentaire « Les lendemains tristes du mariage gay » (2013) de Matthias Barbier) ; « C’est un progrès indéniable. » (cf. le discours d’Erwann Binet, rapporteur officiel de la loi du « mariage pour tous » en France, à l’Assemblée Nationale, en avril 2013) ; etc.

 

Le déni de la réalité temporelle passé/présent/futur se résout presque systématiquement dans l’idéologie progressiste de la post-modernité transhumaniste, et concrètement dans la violence, avec toujours la fausse dichotomie « passé/futur » orchestrée par bons nombres de personnes homosexuelles ou gays friendly : « Ne nous y trompons pas : le postmodernisme n’a pas de grand dessein : son unique but est de déconstruire ce qui fut construit avant lui ; de fragmenter, d’éparpiller, d’émietter en une infinité d’individus qui ne sont plus guère en relations, mais seulement en communication. » (le Père Verlinde, « Les Attaques du démon provenant de l’extérieur de l’Église », dans les Attaques du démon contre l’Église (2009), p.189)

 
 

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Code n°81 – Funambulisme et somnambulisme (sous-code : Trapéziste homo)

funambule

Funambulisme et somnambulisme

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Inconfort existentiel et désirant

Film "Les Équilibristes" de Nico Papatakis

Film « Les Équilibristes » de Nico Papatakis


 

Il arrive que dans les fictions traitant d’homosexualité il y ait des personnages (homos ou non) exerçant le métier de funambule dans un cirque, ou s’improvisant équilibristes le long d’un muret, ou se levant la nuit pour prononcer tout haut ce que leur « conscience diurne » a censuré. Je vous épargnerai le laïus symboliste à deux balles du funambule qui serait l’allégorie de l’« admirable » inconfort de la condition humaine : la figure de l’artiste marginal, « révolutionnaire », asexué et bisexuel, entre Ciel et Terre, pris en deux eaux (homme ou femme ? être humain ou Dieu ?), non-positionné, désengagé, est suffisamment rebattue et applaudie comme modèle social, pour mériter d’être notre unique objet d’attention. En revanche, ce qui m’intéresse davantage, c’est le sens dépolitisé et déromantisé de ces scènes aériennes de funambulisme/somnambulisme. Car si les personnages homosexuels se sentent obligés de sortir de la mêlée pour voltiger dans les airs ou s’avancer dans la nuit quand personne ne les attend, c’est bien qu’ils ont quelque chose à fuir, qu’ils ont un fait violent, censuré, et pourtant réel, à annoncer : le viol ou le fantasme de viol de leur papa littéraire.

 

Parce qu’une part d’elles-mêmes désirent vivre à côté de leurs réalités, il existe souvent dans l’esprit des personnes homosexuelles un rapport douloureux au décalage (ressenti pourtant par tout être humain) entre le monde vécu et le monde perçu, qui fait qu’elles pensent que la vie est un songe, une gigantesque mascarade. Les œuvres homosexuelles traitent régulièrement des morts-vivants, en lien avec le funambulisme et le somnambulisme. En général, leurs scènes de rêve éveillé révèlent une réalité très noire qui énonce que la Réalité n’existe pas. C’est la raison pour laquelle bon nombre d’artistes homosexuels se revendiquent d’un symbolisme ou d’un surréalisme nihiliste.

 

Les personnes homosexuelles s’identifient souvent à ce peuple de zombies, marchant sans but, dans la nuit, téléguidés par leurs pulsions sur un lieu de drague. La somnolence métaphorique qui les gagne témoigne de leur révolte inconsciente et impuissante face à un désir de viol (ou un viol réel) qui aurait dû les choquer. De façon réitérée dans les fictions, l’état de semi-sommeil du somnambule est à la fois synonyme de moment de vérité, et de viol.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Icare », « Folie », « Planeur », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Aigle noir », « Sommeil », « Clown blanc et Masques », « Femme-Araignée », « Voleurs », « Extase », « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau », « Cirque », « Femme au balcon », « Magicien », « Corrida amoureuse », « Boxe », « Cour des miracles », « Morts-vivants », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Prostitution » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) L’acrobate funambule :

 

FUNAMBULISME Carte

 

Quelquefois, au détour d’une œuvre artistique traitant d’homosexualité, on aperçoit un funambule (qui peut être homosexuel d’ailleurs) : cf. la pièce Les Caprices de Marianne (1833) d’Alfred de Musset (avec la figure romantique d’Octave), le film « La Cage aux Folles II » (1981) d’Édouard Molinaro, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron (avec Paulo), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le spectacle Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, le film « Les Équilibristes » (1991) de Nico Papatakis, la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer, le film « When Night Is Falling » (1995) de Patricia Rozema (avec Petra l’acrobate lesbienne), le vidéo-clip de la chanson « It’s Ok To Be Gay » de Tomboy (avec la fée Clochette en funambule sur le lit de l’enfant futur gay), le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser (avec Jan, l’un des deux héros gays, jouant au funambule en bords de mer), la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias (avec les cigognes funambules), le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec l’équilibriste), etc.

 

Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Miguel prend en photo Santiago en train de faire le funambule sur leur plage secrète. Dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan, le héros homo, définit tout homosexuel comme « une espère de grosse feignasse qui marche sur un fil ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Optimistique-moi" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer


 

Ce funambule marche sur un fil et risque à tout moment de perdre l’équilibre et de tomber : cf. le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot, le vidéo-clip de la chanson « No Big Deal » de Lara Fabian, etc. Il symbolise la marginalité de l’homosexualité – une condition qui suspend l’être entre deux mondes – ainsi que le risque mortel que fait vivre le désir homosexuel. « J’étais sur un fil… et je suis tombée. » (Maryline, l’héroïne bisexuelle, dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas). Par exemple, dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, Uloomji, le futur amant de Timofei, tombe sous les roues de voiture de ce dernier après un numéro de funambule raté sur un mur. Dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, Luca, le héros homosexuel, a glissé sur une rampe et fait une chute mortelle dans l’Arno parce qu’il a joué à l’équilibriste : « J’avançais dans la ville, comme un somnambule. […] J’ai marché le long du parapet, à la manière d’un funambule. » (pp. 220-221) ; « Fasciné par les lointaines galaxies, je somnambulais sous un ciel noir que voilaient peu à peu les laiteuses brumes de l’aube. […] La nuit finissante transformait cette fenêtre en miroir, et c’était en soi-même qu’il semblait dangereux de se pencher. » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 63-64) ; etc.

 
 

b) Le somnambule :

FUNAMBULISME Kang

B.D. « Kang » de Copi


 

Dans la fantasmagorie homosexuelle, en lien étroit avec le funambulisme, il est question aussi de somnambulisme : cf. l’opéra La Somnambule (1831) de Vincenzo Bellini, le poème « Romance Sonámbulo » dans le recueil Romancero Gitano (1928) de Federico García Lorca, le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim (avec Anne-Lise la somnambule), le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (avec Élise la somnambule), le film « Los Amantes Pasajeros » (« Les Amants passagers », 2013) de Pedro Almodóvar (avec le coït avec une somnambule), le roman Die Schlafwandler (Les Somnambules, 1931) d’Hermann Broch, le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta (avec le personnage de David), le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, etc. Le héros homosexuel (ou un proche de son entourage) avance et se déplace pendant la nuit sans avoir conscience de son mystérieux voyage.

 

Roman Les Somnambules d'Ophélie Femmarty

Roman Les Somnambules d’Ophélie Pemmarty


 

Par exemple, dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephane Druet, la Reine de Cœur est somnambule. Dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Marianne est la femme somnambule qui parle toute seule dans le couloir, et qui au fond exprime inconsciemment l’homosexualité latente de son mari Frédérick. Dans le téléfilm nord-américain The Christmas House (Duel à Noël chez les Mitchell, 2022) de Rich Newey, Brandon, le héros homosexuel, avoue que lorsqu’il était petit, il était somnambule.

 

En général, le personnage somnambule laisse libre court à son inconscient et dévoile pendant sa promenade nocturne la terrible réalité d’un traumatisme (un viol ou un crime) qu’il a vu ou qu’il a jadis vécu. « Somnambule j’ai trop couru dans le noir des grandes forêts. » (cf. la chanson « En rouge et noir » de Jeanne Mas) ; « Elle marche comme une somnambule. » (Molina, le héros homosexuel parlant de Léni, la femme collabo, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, pp. 43-44) ; « Une fille comme moi, une fille comme il y en a mille, ça avance sur un fil en regardant devant soi. Volez-lui son cœur. » (cf. la chanson « Une Fille comme moi » de Priscilla) ; « T’es somnambule ou quoi ? » (Mariela s’adressant à son mari Miguel, qu’elle retrouve endormi dans la cuisine, et qui commence à s’homosexualiser sans qu’elle ne le sache, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León) ; etc.

 

Dans beaucoup de films homo-érotiques (« Du même sang » (2007) d’Arnaud Labaronne, « Les Nuits fauves » (1992) de Cyril Collard, « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, « Les Yeux fermés » (2000) d’Olivier Py, « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, etc.) et de créations théâtrales (cf. le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) décrivent les rituels de baise homosexuelle dans les backrooms, les parcs, les jardins publics et surtout les quais portuaires, comme une chorégraphie de somnambules qui se flairent comme des chiens. « Je me perds entre les buissons, je croise des garçons auxquels je n’ai pas envie d’agripper ma solitude. Regards fermés, gestes lents, comme des funambules suicidaires. Ils font l’amour debout, le jeans baissé sur les chevilles. Sur leur visage un air triste d’avoir abandonné le combat. » (Simon arpentant les lieux de drague homosexuels, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 14-15) ; « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’enfer. […] Onze mille cierges, alcool et barbiturique. Je flotte dans les rues comme sous analgésique. Mon costume souillé de larmes et de suie, de la rue des Saints Pères à Soho tu me poursuis. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) ; etc.

 

Dans la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare, c’est au moment de sa promenade somnambulique que Lady Macbeth cafte le meurtre qu’a opéré son mari Macbeth. Elle regarde ses mains blanches tachées du sang invisible du viol.

 

Pièce Macbeth de William Shakespeare

Pièce Macbeth de William Shakespeare


 

Couramment, le funambulisme et le somnambulisme sont associés à la folie, à un désir et un viol incestueux (cf. le vidéo-clip de la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer, la chanson « Les Pieds dans la lune » des Valentins, le film « Reflection In A Goldeneye » (1967) de John Huston, etc.). « Je déambule, je fais des bulles, je somnambule. » (cf. la chanson « Papa m’aime pas » de Mélissa Mars) ; « Sauras-tu me regarder ? Mais tu ignores mes signes, toi, mon cruel funambule. Alors je crache ces lignes, fracassé et somnambule. » (cf. le père d’Étienne Daho dans la chanson de ce dernier « Boulevard des Capucines ») ; « Vous pouvez coucher dans le lit. Moi, je peux dormir assise. » (Mme Simpson à Irina, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Sans ça, je pourrais piquer une crise de somnambulisme. » (« L. », le héros transgenre M to F, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le roman Le bois, la nuit (1936) de Djuna Barnes, Robin Vote, jeune Américaine à l’allure androgyne, somnambule hantée par une légère folie, fascine son entourage.

 
 

c) Le trapéziste homosexuel ou objet de fantasme homosexuel :

Film "Trapèze" (1956) de Carol Reed

Film « Trapèze » (1956) de Carol Reed (avec Tony Curtis)


 

Le personnage homosexuel des fictions homo-érotiques est parfois trapéziste, ou bien est attiré par un trapéziste athlétique et aérien : cf. la chanson « Le Trapéziste » de Jean Guidoni, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory (avec les laveurs de carreaux), le vidéo-clip de la chanson « À contre-courant » d’Alizée, le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (avec les oiseaux-trapézistes), le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Leperen (avec le laveur de carreaux), le roman Hablar Desde El Trapecio (1995) de Leopoldo Alas, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le roman El Mismo Mar De todos Los Veranos (1978) d’Esther Tusquets, le roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá, le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, le film « Victor, Victoria » (1982) de Blake Edwards (avec Richard di Nardo, l’amant homosexuel de Toddy), le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin (avec des images hommes aériens sautant d’un building à un autre, et figurant les vicissitudes et la rupture prochaine de la relation amoureuse lesbienne), etc.

 

FUNAMBULISME trapeze artist

 

Le motif du trapéziste renvoie à la dangerosité de l’idolâtrie homosexuelle pour les corps mis à mort ou en risque : « Plus je grandissais, plus je me suis dit que je deviendrai gay.’ dit Will à sa mère. À cela, cette dernière ne put que bredouiller : ‘Mais pourquoi ?’ Il lui répondit : ‘Parce que je veux jouir de moi-même. » (cf. dialogue du film « The Trapeze Artist » (2012) de Will Davis) ; « Je sais pas. J’suis pas trapéziste. » (Frédérique, l’héroïne lesbienne de la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « La Caille évoquait l’atmosphère empestée de la Gaîté-Rochechouart, où pour la première fois, il avait vu Bambou exécuter la voltige au trapèze. Un athlète le lançait ensuite en l’air, le recevait sur ses biceps, lui faisait faire trois grands sauts périlleux, avant de l’empoigner par un anneau de sa ceinture, et le présenter, vivant soleil, aux applaudissements du public. Il avait suffit d’un regard de la Caille pour découvrir chez cet acrobate, un personnage dont la souplesse n’était rien moins qu’équivoque. Mais que de temps passé ! » (Francis Carco, Jésus la Caille, 1914) ; « Mon grand-père le clown s’est suicidé en cours de spectacle. Il s’est pendu au trapèze, tout le monde croyait à un numéro comique ! Il a eu quinze minutes d’applaudissements avant qu’on s’aperçoive qu’il était mort ! » (le Machiniste dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; etc.

 

Les frères Ming et Rui au Teatro Zinzanni

Les frères Ming et Rui au Teatro Zinzanni


 

Par exemple, dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, la psychiatre lesbienne rêve qu’elle chute en trapèze… qu’on peut interpréter comme l’inceste familial ou une mauvaise gestion du complexe œdipien : « Je refais le rêve du cirque. Si… tu sais bien… le numéro de trapèze. Mon père, ma mère et moi… » (la psy)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

 

Une fois transposé dans le Réel, on voit qu’il existe des croisements esthétiques et désirants entre somnambulisme/funambulisme/trapézisme et homosexualité : cf. l’article « Le Numéro de Barbette » (1926) de Jean Cocteau, l’exposition « Des Jouets et des Hommes » (2011) au Grand Palais de Paris, etc. Par exemple, en 2014, le chanteur Stéphane Corbin a créé, avec 177 artistes, un collectif « contre l’homophobie », et qui s’appelle comme par hasard Les Funambules. Autre exemple. En d’autres endroits de son Journal, Thomas Mann, homosexuel, fait part de ses émotions homoérotiques, y compris vis-à-vis de son propre fils homo. « Vendredi 20 septembre 1919. Hier soir, j’ai remarqué de la lumière à travers la porte vitrée fermée de l’appartement des enfants, et comme je devais de toute façon réveiller Katia [sa femme] , qui s’était enfermée en me laissant dehors, nous avons fait une enquête. Il s’est avéré qu’Eissi était étendu dans son lit, incroyablement découvert et toutes lumières de la chambre allumées. Jeux pubertaires ou tendances à des actes de somnambulisme que nous avions déjà remarqués au Tegernsee ? Peut-être les deux à la fois. Quelle forme prendra la vie de ce garçon ? Quelqu’un comme moi ne « devrait » évidemment pas mettre d’enfants au monde. » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 121)

 

FUNAMBULISME Boston ce-somnambule-en-slip-sous_6ne2p_30g4mr

 

Par exemple, à Boston (États-Unis), en 2013, une sculpture de Tony Matelli a fait scandale dans le Campus de Wellesley College, car elle représentait un homme somnambule en slip et faisait peur aux étudiants. Elle a fait l’objet de pétitions pour son retrait.

 

Abdallah

Abdallah


 

Les personnes homosexuelles sont parfois de vrais trapézistes : Barbette, Abdallah Bentaga (l’amant de Jean Genet), ou encore Miss Urania, Will Davis, étaient homosexuels. Pendant ses concerts, Jean Guidoni joue au funambule (La Boule Noire, Paris, avril 2007).

 

Will Davis

Will Davis


 

Dans son spectacle Mugler Follies (2002), le couturier Thierry Mugler met en scène une femme dont le rêve est de devenir funambule.

 

Spectacle Mugler Follies de Thierry Mugler

Spectacle Mugler Follies de Thierry Mugler


 

Plus qu’un motif esthétique, l’association entre somnambulisme/funambulisme/trapézisme et le désir homosexuel illustre la dangerosité de la croyance et de la pratique homosexuelles, ainsi que la coïncidence entre homosexualité et viol/violence/inceste.

 

Commentaire dans le site Au Balcon

Commentaire dans le site Au Balcon


 

« Je voudrais te demander pardon. Je sais que tu ne me pardonneras jamais. Tu me l’as dit à l’époque, très fermement. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Mon désir de perfection me hante. C’est désagréable, j’en conviens. En plus, je t’ai fait peur dans la pénombre de la chambre que nous partagions. Tu as ouvert les yeux. On pouvait lire ton étonnement. Mais ça me prenait comme ça, de me réveiller vers deux ou trois heures du matin, comme un somnambule. J’allais jusqu’à l’armoire où se trouvaient tes vêtements que je revêtais, à moitié endormi. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère chez qu’il allait visiter la nuit, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 160) ; « Comme un magicien, il nous donnait l’illusion de flotter au-dessus d’une foule de cadavres. » (Romala Nijinski, la femme du célèbre danseur bisexuel Nijinski, dans sa biographie Nijinski, 1934) ; etc.

 

Gay Circus Charles Knie

Gay Circus Charles Knie


 

Les personnes homosexuelles, sans en prendre vraiment conscience, nous présentent la fébrilité de leurs « amours » qui ne tiennent qu’à un fil et sur un équilibre incertain. « Funambules aux yeux ouverts » (Christophe Aveline, L’Infidélité : La relation homosexuelle en question (2009), p. 23) ; « Les amants [homosexuels] sont des équilibristes qui se tiennent par la main, s’assistent mutuellement. C’est un jeu entre la vie et la mort du couple qui tient sur un fil. » (idem, p. 55)

 
 

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Code n°82 – Fusion (sous-code : Polysémie de l’adverbe « contre » ; Feu)

fusion

Fusion

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Pour percevoir que la chaleur du désir de fusion (typiquement hétérosexuel et homosexuel) avec l’être aimé est finalement bien glaciale et violente, il nous suffit de nous émerveiller de la beauté de notre unicité, et de comprendre que dans la vie, la fusion précède et génère toujours une rupture : une rupture de vie quand on essaie d’accueillir la différence des sexes comme un trésor (la plus belle rupture de vie, c’est la coupure du cordon ombilical), une rupture brutale à plus ou moins long terme quand la différence des sexes est crainte et rejetée.

 

Le désir homosexuel est un élan de fusion, à la fois réchauffant et étouffant, une force d’union mais surtout de rupture. Je vais vous l’illustrer en particulier à travers la présence réitiérée de la polysémie de l’adverbe « contre » dans les fictions et les discours homosexuels (exemple : je suis contre toi/collé à toi ; je suis contre toi/opposé à toi).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Moitié », « Amant narcissique », « Vampirisme », « Amoureux », « Désir désordonné », « Clonage », « Eau », « Substitut d’identité », « Île », « Extase », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Viol », « Pygmalion », et « Cannibalisme », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Le fantasme humain de la gémellité et de l’uniformité

 

FUSION Soleil

 

Pour allégoriser un désir de fusion amoureuse avec soi-même qui existait chez l’Homme bien avant qu’Il ne le conceptualise, Platon a imaginé dans son Banquet (-380 av. J.-C.) une race de créatures séparées par les dieux en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle : les androgynes. L’androgyne est l’être imaginaire idéal, affranchi des contraintes du temps et de l’espace, vivant du fantasme de retrouver la plénitude de la totalité originelle en lui-même, aspirant au retour au jardin d’Éden, maudissant la sexualité qui l’a coupé littéralement en deux.

 

Aujourd’hui, les androgynes existent toujours en fantasme dans la tête de nos contemporains (on le voit clairement dans le monde de la publicité, avec ces hommes-objets et ces femmes-objets coupés en deux, ou bien fusionnant ensemble dans les films pornos)… mais sans le savoir, on les appelle différemment. On les a baptisés « l’homosexuel » (en 1869) et « l’hétérosexuel » (en 1870). « L’homosexuel » comme « l’hétérosexuel », ces deux créatures scientifiques ne renvoyant pas à des êtres humains réels, sont des jumeaux, historiquement mais aussi symboliquement parlant, puisqu’ils traduisent une conception androgynique du couple amoureux : les couples « hétérosexuels » comme « homosexuels » se veulent formés de deux moitiés séparées l’une de l’autre, et censées, selon la mythologie scientifique, cinématographique ou sentimentaliste (le prince charmant et la princesse), se compléter parfaitement dans la fusion (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel = l’hétérosexuel » et « Moitié » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont prisonnières du mythe du bonheur dans la ressemblance parfaite. En adoptant une conception fusionnelle et conflictuelle de l’amour, elles se lancent à la recherche de leur moitié androgynique (par exemple, Alfred Jarry, a inventé le concept d’« adolphisme » qui n’est pas la communion de deux êtres différents fusionnant en Un, pas même de deux jumeaux, mais l’union des deux moitiés d’un même Moi). Elles envisagent de créer un couple neuf où chacun de ses membres trouverait à travers l’autre son miroir parfait dans lequel il se sentirait à la fois créé et Créateur. Par amour, elles promettent à leur partenaire d’être identiques à lui/elles (n’oublions pas que le mot homosexualité est composé du terme grec homo qui veut dire « même »), mais paradoxalement, elles n’en supportent pas l’idée et s’interdisent de penser qu’elles sont fantasmatiquement superficielles comme les miroirs. En refusant de se reproduire avec/par l’autre à travers la parentalité naturelle, parce qu’elles considèrent que le miroir leur permet de s’engendrer toutes seules sans l’aide de personne, elles décident que leur création se fera dans la copie parfaite (= l’image dans le miroir), et non plus dans l’original « imparfait » (= l’enfant).

 

Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. Mais celle-ci ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.

 

Ainsi, elles se retrouvent souvent devant une situation délicate par rapport à leur amant : à la fois elles l’aiment tel qu’il est, mais aussi comme un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisé, … donc elles ne peuvent l’aimer vraiment pour lui-même. « Nous nous regardons. Nous cherchons l’un dans le regard de l’autre celui qu’on aime, celui à qui on parle chaque jour au téléphone depuis plusieurs jours, celui à qui on envoie des petits cadeaux guimauves. […] Je dis ‘Je t’aime Vianney’, parce que c’est la dernière fois que je le lui dirais, et pendant une seconde, dans ma tête, c’est le souvenir du garçon que j’aime qui me revient. Ce garçon qui est tellement Vianney et pas du tout lui dans une adéquation à laquelle je n’arrive pas à me faire. » (Mike, le héros homo du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 87) Certes, aucun amour humain, même entre une femme et un homme qui s’aiment profondément, n’est dénué de convoitise et de narcissisme : au sein d’une union, on aime toujours l’autre un peu pour soi, on essaie toujours de se réparer un peu à travers lui (… et ceux qui prétendent le contraire ne sont pas dans le donner-recevoir de toute relation humaine). Mais force est de constater que l’amour homosexuel tend à enfermer le sujet sur lui-même ou à l’y ramener par le truchement d’un corps semblable. L’élan égocentrique du désir homosexuel est visible dans de nombreux couples homosexuels : on a souvent l’étrange impression que ces derniers se composent de deux solitudes qui ne n’existent pas chacune pour elle-même, vivant l’une à côté de l’autre sans être véritablement unies, exactement comme dans le couple hétérosexuel ou dans les échantillons de figurines Barbie et Ken exposées en rang d’oignons sous cellophane dans les supermarchés.

 

Sigmund Freud a été bien inspiré de souligner la composante narcissique du choix d’objet sexuel dans le désir homosexuel (il a juste oublié de l’appliquer aussi aux couples hétérosexuels en dissociant clairement le couple hétérosexuel du couple femme-homme désirant). La sexualité homosexuelle est à double face, à l’image du miroir. Mylène Farmer ne chante-t-elle pas dans sa chanson « Pourvu qu’elles soient douces », que le nec plus ultra dans le paysage homosexuel, « c’est d’aimer des deux côtés » ? Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé. La preuve en est que dans les œuvres homosexuelles, les personnages gays se font souvent leur propre déclaration d’amour devant la glace, et que l’amant est souvent associé au reflet dans le miroir. De surcroît, ce dernier n’est généralement pas un gentil écran plat : il a tendance à user de la menace et à sectionner son partenaire amoureux.

 

Les histoires d’amour homosexuel se construisent généralement sur un malentendu existentiel puisqu’elles réunissent deux personnes qui individuellement et originellement ont voulu être quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes (un dieu, une star de cinéma, une moitié d’Homme, un garçon quand elles sont nées filles, une fille quand elles sont nées garçons, etc.), et qui du coup désirent se substituer l’une à l’autre, ou ne faire qu’Un ensemble. « Je voulais me glisser dans son corps comme dans un pyjama. » (le juge Kappus parlant de son amant Julien, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 92) Elles ne se sont pas suffisamment tolérées elles-mêmes telles qu’elles étaient, en corps, en cœur et en esprit, pour ensuite être en mesure de s’accueillir mutuellement en vérité. La non-acceptation de soi, et la nécessaire épreuve douloureuse de ses limites qu’elle supprime, peut empêcher ensuite de bien aimer. Comme l’écrit très justement François Varillon, « l’amour ne se consomme pas dans l’absorption, ou fusion, de deux en un […]. Il veut à la fois la distinction et l’unité, l’altérité et l’identité. Dans la condition humaine, ce vœu profond : être non seulement uni à l’autre mais un-avec lui tout en restant soi, est incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance au royaume de l’amour. » (François Varillon, L’Humilité de Dieu (1974), p. 106) De manière presque générale, on peut affirmer à propos des unions amoureuses homosexuelles que la volonté de se substituer à l’autre a précédé le désir d’amour que la personne homosexuelle a ressenti pour son amant. « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet, cité dans la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’intéressent à leur amant non pas tant pour lui-même que pour combler leur propre vide existentiel. « Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) La jalousie apparaît alors comme l’expression détournée de l’adoration. Dans le couple homosexuel, nous assistons à ce que nous pourrions appeler une identification par absorption, comme l’exprime Olivier dans le reportage « Une Vie ordinaire » (2002) de Serge Moati : « Paradoxalement, je crois que j’étais un homme quand j’étais avec un homme. Je devenais un homme par rebonds, par personne interposée. » Certaines personnes homosexuelles vont se dérober à elles-mêmes sous le prétexte de l’union d’amour avec leur amant-paravent. « Je peux être caché derrière lui pour vivre sa vie. » (Laurent à propos de son amant bisexuel Jean-Jacques, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut)

 

Dans l’esprit de nombre d’entre elles, elles fusionneront avec leur amant, même si rationnellement, elles ont tout à fait pris conscience qu’elles n’y parviendront pas (la plupart d’entre elles savent encore faire la différence entre la réalité concrète et la science-fiction !). Elles parlent souvent de l’union corporelle fusionnelle avec leur amant(e), car l’amour homosexuel est à la fois un amour pour la personne aimée sans cette personne… ou sans soi-même.

 

Certaines personnes homosexuelles pensent avoir compris intellectuellement le piège du mythe de l’unité fusionnelle dans le couple, de la « solitude à deux sur une île » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 33), mais elles se voilent la face en attribuant ce piège uniquement aux couples femme-homme (qu’elles appellent à tort « hétérosexuels ») ou à l’institution du mariage. C’est ainsi qu’elles le réactualisent souvent dans les unions des semblables sexués. À en croire certains amants homosexuels, ils ont « toujours tout fait ensemble » (Mehdi et Christophe, « Pacsés… un jour mariés ? », dans le magazine Psychologies, juin 2004, n°231, p. 77), prétendent vivre une « relation fusionnelle » (Juliette et Sophie, op. cit., p. 76) depuis qu’ils se connaissent : ça a été « tout de suite, la fusion. » (David, 35 ans, en parlant de sa rencontre avec son copain Adrien, 24 ans, dans le recueil de témoignages Le Livre des Rencontres (2002) collectés par Michel Field et Julie Cléau, p. 144) Le fantasme de fusion est le propre des désirs homosexuel et hétérosexuel. Selon la promesse androgynique, tout Homme est censé rechercher sa « moitié » pour former un Tout autosuffisant avec elle.

 
 

Le désir fou de se substituer à l’amant réifié

 

Le désir de fusion, même s’il s’habille des meilleures intentions (la communion, le don total de soi, l’orgasme, la beauté de la symbiose passionnelle, le plaisir des sens, etc.), est en réalité un oubli de soi et de son partenaire, un désir de disparaître et de se fondre/se lover en l’autre, et j’irai même jusqu’à dire une tentative de viol. Car l’extase exige la fusion destructrice et la rupture radicale avec soi-même, la substitution ou la superposition forcées aux autres.

 

Le rapprochement homosexuel des corps se transforme en conflit à l’insu des amants homosexuels eux-mêmes. Nous le remarquons par exemple dans la polysémie de l’adverbe « contre », très utilisée par certains auteurs homosexuels (l’expression « être contre quelqu’un » peut signifier à la fois être « collé à lui » et « en opposition »).

 

L’humain a pressenti depuis longtemps déjà que la haine se trouve tout autant dans la dissymétrie foncière que dans la ressemblance « parfaite », la symétrie déshumanisée, l’écho, la rencontre policée et sans relief des semblables, l’uniformité, la plénitude orgueilleuse. Rien que l’expression « œil pour œil, dent pour dent » suffit à le démontrer. Il faut parfois pour des jumeaux ou des amants homosexuels beaucoup de temps avant de réaliser que l’amour « sans limites » qu’ils se vouent et qui leur apparaît irréprochable dans l’instant n’est pas si ajusté que cela. C’est sur la durée et avec un relatif éloignement qu’ils peuvent comprendre qu’un autre type de relation, moins fusionnelle mais non moins belle, est possible entre eux, sans pour autant gâcher les richesses objectives qu’offrent la gémellité ou l’homosexualité. La vraie rencontre humaine n’est délicieuse que dans la juste distance, celle qui sépare sans rompre, qui unit sans confondre. C’est le principal message de vie que les jumeaux et les personnes homosexuelles nous délivrent, bien souvent à leur insu.

 

La différence entre le désir de fusion destructeur et le désir d’Amour, c’est que le premier vise la fusion à travers l’effacement des corps et la substitution à l’autre – il dit « Je t’aime donc je suis toi » –, alors que le second cherche avec douceur la communion en sachant qu’elle sera incomplète tout en restant partiellement possible grâce à l’accueil d’un tiers. Le désir d’Amour respecte le mystère et la solitude des corps tout en prétendant goûter à la fusion. Au fond, il n’y a d’union d’Amour que dans la résistance à l’assimilation. La distance n’est pas seulement un mal nécessaire pour échapper aux méandres de l’amour platonique, mais une donnée inhérente à tout processus de différenciation sans laquelle il n’y aurait pas de soi distinct de l’autre, et donc d’amour véritable et incarné. L’amour ne peut être reconnu que dans un rapport de déliaison. Il faut un peu de déliaison pour qu’il y ait véritable liaison : c’est cela, la subtilité de l’union amoureuse authentique. Aimer quelqu’un, c’est le rendre autonome, lui laisser son espace de liberté, et lui donner les moyens de nous abandonner pour mieux le retrouver. Comme nous aimons trop l’autre pour le retenir, nous prenons le risque de le perdre. Et ce risque mesuré, c’est l’Amour.

 

En ce sens, l’excès de ressemblance dans le couple homosexuel, qui a rejeté la différence des sexes, peut être ferment de violence (cf. je vous renvoie aux codes « Clonage », « Cannibalisme », « Substitut d’identité », et « Vampirisme », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). L’accouplement sexuel entre deux clones est « l’impensable absolu » écrit Jacques André, le signe d’une irréelle synthèse du même avec le même, la « conjugaison entre l’incestueux et le totalitaire » (Jacques André, « L’Empire du même », dans l’essai Mères et filles, les menaces de l’identique (2003), p. 12). Dans les faits, le couple homosexuel ne parvient pas à la communion parfaite des semblables puisqu’il n’est pas concrètement composé de deux clones ; mais en désir, il y tend. Il reprend le « ne faire qu’Un tout en restant deux » de l’Amour vrai à son compte pour le détourner en « ne faire qu’Un à deux », et convertit le principe de respect de la différence, consubstantiel à l’amour, en une diversité évasive ou en un « égoïsme à deux » qui nie la différence par la schizophrénie et le mythe passionnel de la symétrie. « La symétrie, affirme Héctor Bianciotti, c’est l’amour, parce que c’est toujours deux en un. » (Héctor Bianciotti, « De La Melancolía De Las Perspectivas », 1983)

 

La fusion et la rupture sont deux phénomènes concomitants. On ne l’observe d’ailleurs pas uniquement chez les couples homosexuels : tout couple fusionnel finit par rompre… et initialement, on découvre dans l’histoire de chacun des partenaires qu’il s’est en général formé sur un terrain fissuré, sur la base de ruptures personnelles, familiales, amicales, sociales, non-assumées. Souvent, nous ne prenons pas soin d’analyser le désir homosexuel en relation avec une rupture ou la croyance infondée d’une rupture pensée comme définitive. Or, ce sont les personnes homosexuelles ou leurs personnages qui nous rappellent à l’ordre, comme Sonia dans le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, en parlant de sa relation amoureuse avec Chéyenne en ces termes : « C’est une fusion qui nous a séparées. »

 

Le désir amoureux de rupture et de fusion mène un jeu d’attraction-répulsion destructeur, appelé pulsion de mort. Je te rejette parce que j’étouffe, je m’attache à toi et me fonds en toi parce que je désire disparaître, nous nous détruisons à deux dans le fantasme de fusion parce que nous désirons nous manger.

 
 

Le déni homosexuel de la violence du désir de fusion

 

L’excessive identification projective sur l’entourage – « l’être-pour-les-autres » – et sur l’être aimé fait souvent souffrir, et pourtant, semble banale à celui qui l’opère car dans l’instant, elle peut flatter son Ego : « On est là tous à se déchirer et on est tous très bien, à tenir compte des autres, à se mettre dans la peau des autres. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 487)

 

Pour l’esprit bisexuel qui sépare unité et rupture de manière aussi radicale, du fait que pour lui elles se confondent, les unités comme les ruptures partielles de l’existence humaine seront vécues comme des véritables mutilations, des séparations abruptes, des viols. C’est ce qui fait le drame de l’individu qui vit du rêve de l’androgyne : il craint que la recherche de son unité agisse comme une rupture totale avec lui-même ; et paradoxalement, il croit que la rupture totale avec lui-même va lui permettre de ne faire plus qu’Un. Le viol devient alors, dans son esprit, son unité. C’est ce qui fait dire à Neil, le héros homosexuel du film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, que le viol pédophile dont il a été victime dans sa jeunesse l’a rendu unique. En effet, en parlant de son violeur, il lui reconnaît la découverte de son unicité : « J’étais son seul amour, son seul trophée. J’étais unique. » Le viol a le pouvoir de donner à ses victimes une impression d’unité dans la réification et la contrefaçon d’amour, alors que pourtant, comme le montre la scène du viol pédophile de « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar durant laquelle le visage d’Ignacio se scinde en deux à l’écran, il cultive en elles ce désir de l’androgyne, les brise en deux, et leur annonce que sans lui elles ne valent rien.

 

L’unité que le viol ou le désir de viol impose aux personnes homosexuelles est une unité des extrêmes, écartelante mais pas toujours désagréable. Le passage du fantasme à la réalité fantasmée à travers le viol peut donner une impression de diversité offerte par la fausse profondeur du miroir, comme l’exprime Pietro en s’adressant à son violeur dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini en ces termes : « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. En te parlant, je prends conscience de ma diversité. »

 

Bien sûr, à une ou deux exceptions près, nul amour humain n’est parfait (sauf celui de la Sainte Famille) : à tout couple il manquera des choses. Et l’engagement d’Amour vrai est un perpétuel ajustement, un « vouloir rester » plus qu’un « aimer en actes » 100% garanti. Mais dans le couple femme-homme qui s’aime, ce manque (appelé différence des sexes) permet au Désir de se glisser entre les deux partenaires. Dans le couple homosexuel, il s’immisce plus difficilement tant la fusion/division est désirée en son sein.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Film "La Vie d'Adèle" d'Abdellatif Kechiche

Film « La Vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche


 

Dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité, il est souvent question de la fusion : cf. le film « L’Un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, le roman Je vis où je m’attache (1978) d’Yves Navarre, le film « Átame » (« Attache-moi ! », 1989) de Pedro Almodóvar, le vidéo-clip de la chanson « Shut Up ! » de Mylène Farmer (avec la fin dans la fusion mortelle du couple d’amants transpercé par la flèche de Cupidon), le film « Bouche à bouche » (1995) de Manuel Gómez Pereira, la chanson « En nage indienne » d’Étienne Daho (« Serre-moi, si ton corps se fait plus léger, nous pourrons remonter. »), le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, le roman Deux larmes dans un peu d’eau de Mathieu Riboulet (racontant l’histoire de deux jumelles, dont l’une meurt à la naissance), le film « L’Âge atomique » (2012) d’Héléna Klotz, le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, la chanson « Chaleur humaine » de Christine & the Queens, le film « Corpo Elétrico » (2018) de Marcelo Caetano, etc. Par exemple, dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, le héros, Fusion Man est précisément homo.

 

 

Parfois, la recherche de fusion amoureuse apparaît chez le héros homosexuel comme la résurgence d’un manque de détachement avec ses propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Ma famille est beaucoup dans la fusion. » (le protagoniste homosexuel dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Il a un trouble de l’attachement. » (Diane parlant de son fils homosexuel Steve, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan)

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, a depuis sa naissance, une forte tendance à faire ventouse avec les membres de son entourage de qui elle s’entiche. D’abord, quand elle était petite, elle collait toujours aux basques de sa nurse, Collins, dont elle était secrètement amoureuse : « Ne soyez pas toujours dans mes jambes, voyons, Miss Stephen. Ne me suivez pas partout et ne m’observez pas sans cesse. Je déteste être surveillée. » (p. 38) Ensuite, et pendant toute sa vie, Stephen sera un pot de colle dès qu’elle éprouvera des sentiments amoureux pour une femme : « Tout leur semblait fondu et ne faire qu’un, comme toutes deux ne faisaient qu’un à présent. » (Stephen par rapport à sa compagne Mary, op. cit., p. 416) ; « étrange et torturante fusion avec Mary » (idem, p. 485)

 

FUSION deux femmes serrées

 

Souvent, le personnage homosexuel vit dans le fantasme de fusionner avec son amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître lui-même : « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, pp. 330-331) ; « On ne peut pas rester deux jours sans se voir. » (idem, p. 367) ; « Tu crois qu’on est enchâssés ? » (Schmidt s’adressant à son pote Jenko, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Je vais t’envelopper dans la chaude intimité de mon désir. » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Si demain tu veux t’enchaîner toi aussi, tu n’hésites pas. » (Jean-Jacques s’adressant à son futur amant Jean-Marc, en lui tendant des menottes, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Prétorius, j’ai fait de vous un vampire. » (Dracula à Prétorius dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « C’est un moment fort où se réveille l’eau qui dort, un moment clair où je me confonds à ta chair. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Nous sommes une, elle venue à moi. La greffe est intégrale. » (la narratrice lesbienne parlant de sa compagne Mathilde, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 64) ; « J’aimerais plonger en elle, la tête la première et qu’elle se fonde en moi, jusqu’aux pieds, en dedans. » (idem, p. 66) ; « Je veux que ça sorte de nous. Je veux que ça sorte de moi… Je te veux en moi. » (Charlie s’adressant à son amant Chris, dans film « Urbania » (2004) de Jon Shear) ; « Notre fusion » (la voix narrative à sa bien-aimée, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Ses mains encore dans mes cheveux. Ses yeux sérieux que je regarde de tout près bien qu’il fasse trop sombre maintenant pour y distinguer quoi que ce soit d’autre qu’un fugitif éclat de lumière. Alors une brusque exhalation de tout le corps – comme en ont les fleurs, par à-coups – venue on ne sait d’où, on ne sait de qui (peut-être à la fois de nous deux) nous inclut lentement dans le même remous, nous relie aux mêmes vibrations, comme si l’air entre nous les vêtements et jusqu’à la peau même tout avait disparu, abolissant jusqu’à la conscience claire d’être soi devant l’autre… » (Mireille Best, Hymne aux murènes (1986), p. 143) ; « Je l’ai rejoint dans le petit lit vert. Cela ne l’a pas réveillé. Il avait l’habitude. De moi. De mon corps. De nous. Deux. Un. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman dans Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) ; « Union, fusion, bonheur, ailleurs qu’avec moi, étaient donc possibles. Vraiment ? Pour lui ? Pour moi ? » (idem, p. 84) ; « Dès les premiers mots, j’ai su ce que nous venions de vivre intensément ensemble, cet échange, cette fusion, cette transformation, ce pacte, cette forêt noire […]. » (idem, p. 165) ; « Au début, c’est la fusion. » (Matthieu décrivant les habituelles positions de couples homos sur les canapés les premiers temps de leur formation, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « On reste ainsi, comme soudées l’une à l’autre. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 18) ; « Sans calcul, nous nous laissâmes aller, et bientôt, dans une complétude presque parfaite, chacune répondit à la douceur de l’autre, comme si nous ne faisions qu’une. » (idem, p. 63) ; « Quand je te regarde, c’est comme si je me remplissais de toi. » (Anna s’adressant à son amante Cassie dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « J’avais l’impression d’arriver plus à l’intérieur de Pierre que par tous les culs et les chattes du monde. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 40) ; « Jane rêvait d’Anna. Elles étaient seules dans le noir, les doux cheveux de la fille retombaient sur le visage de Jane. Elle eut l’impression d’être au lit avec elle et se mit à paniquer ; ce n’était pas ce qu’elle voulait, tout allait de travers. Les lèvres de la fille se posèrent sur les siennes et elles s’embrassèrent, la langue d’Anna frémissante et insistante. Jane comprit à nouveau ce qu’elle était en train de faire et tenta de la repousser mais quelque force supérieure les collait l’une à l’autre. Elle sentait le poids du corps de la fille, la douceur de ses seins, et elle se tortilla pour se dégager, tentant désespérément de s’échapper, mais elle avait beau se tourner dans toutes les directions, elle était piégée. Elle repoussa Anna de toutes ses forces, mais sans résultat, elles étaient verrouillées l’une à l’autre, et brusquement Jane comprit ce qui les retenait là. Elles étaient scellées, l’une au-dessus de l’autre, sous le plancher de l’immeuble de derrière. » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos d’une gamine mineure, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 222) ; « C’est normal que tu sois triste : deux oignons [allégorie de deux ex de Jérémy] qui se frottent, ça fait pleurer. » (le père de Jérémy Lorca consolant son fils gay, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, Frédéric Delamont recherche « un amour presque parfait, une véritable fusion », où « l’un sans l’autre, on n’est rien ». Dans son one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008), Jérôme Commandeur dit que « les pédés collent entre eux ». Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Jean-Pierre décrit le couple Fanny/Catherine comme le « Club Sandwich », la rencontre spontané du ying et du yang. De par son métier, Catherine travaille sur des matières déformables : elle déclare qu’elle rêve d’une fusion entre les corps humains qui se déformeraient par la seule action du contact des peaux. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, à la question posée à Rachel l’héroïne lesbienne « Comment on sait qu’on a trouvé l’amour ? », celle-ci répond : « On se sent juste à l’abri, au chaud. » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, l’amour lesbien, et le désir tout court, sont mis sous le signe de la fusion embrasante : « Ne joue pas avec le feu. » conseille sir Harold Nicolson à sa femme Vita Sackville-West, lesbienne, à propos de Virginia Woolf. Quand les deux femmes couchent ensemble, on voit en toile de fond le feu de cheminée. Et au début du film, Virginia conseille à Duncan de ne pas se laisser dévorer par son désir sexuel vis-à-vis de Vanessa : « Le sens-tu couler en fusion au-dedans de toi ? »

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille infernal : « On sera tous purifiés par l’eau chaude. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’adressant à son amant Palomino, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Je risque l’auto-combustion. » (Kai au contact du pied de son amant Richard sur son poitrail, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Cette nuit, ils ne font pas l’amour. Cette nuit, ils ne se défoncent pas. Plancher, sur le lit, les draps trempés. Il grelotte, il suffoque. Le thermomètre indique quarante de fièvre. Javier veille son ami. Passe la main sur son visage, le calme lorsqu’il s’agite trop, porte les verres d’eau, maintient le gant de toilette imbibé d’eau froide sur son front, caresse sa chevelure, sa nuque, lui raconte un tas d’histoires sans intérêt pour l’apaiser, le serre dans ses bras, embrasse sa joue en feu, l’aide à ingurgiter aspirine sur aspirine. Le jeune homme ne semble pas vraiment réagir. Les seules fois où il se lève, c’est pour se précipiter aux toilettes et vomir. Il refuse que le capitaine l’y accompagne, tire la chasse avant de sortir et revient se coucher illico. Javier est tenté un moment de l’emmener aux urgences, mais son amant l’en dissuade. Demain, il ira voir quelqu’un, promis. En attendant, il veut juste se reposer. S’il te plaît, mon amour. » (Antoine Chainas, Une Histoire d’amour radioactive, 2010) ; etc. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale. « On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike, le héros homo, rencontrant pour la première fois un internaute, Vianney, et l’accueillant chez lui les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Vianney part très vite. Je sens à nouveau le souffle de son corps, chaud cette fois, qui s’éloigne de moi et qui, en s’arrachant à moi, m’enlève une partie de moi-même que je viens à peine de retrouver et dont je dois déjà me détacher. » (idem, p. 86) ; « La même chose se renouvelait chaque jour : près de lui je brûlais de souffrance et loin de lui, mon cœur se glaçait. » (Stefan Zweig, La Confusion des sentiments (1928), p. 71) ; « ce bourreau à qui, malgré tout, j’étais attaché avec amour, que je haïssais en l’amant et que j’aimais en le haïssant. » (idem, p. 92) ; « En m’endormant, je rêvai que Linde et moi étions des particules tournant l’une autour de l’autre, se transformant brusquement en ondes, marées et courants. Mr Garg avait fait un commentaire à propos du dualisme que je n’avais pas noté. Si l’on croise un âne avec une jument, avait-il expliqué, on obtient une mule. La mule est-elle une ânesse ou une jument ? » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 31) ; « Ton regard… tes yeux. […] J’ai besoin de m’y perdre, de m’y noyer. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 317) ; « Ça brûle tellement le monde qu’on se jette en parallèle, ça brûle tellement qu’on cherche à se fondre. » (l’Actrice dans la pièce N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Que se passe-t-il quand une force qu’on ne peut pas arrêter rencontre un objet qu’on ne peut pas bouger ? » (Hache, la petite sœur de Rachel l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Avec lui, j’étais comme un papillon attiré par la flamme de la bougie. » (Fabien à propos de son attitude avec son amant Herbert, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Nous devrions tous baiser. Femmes, hommes, animaux, tous en même temps. Que nous finissions tous ensemble, et que le monde explose, et nous mourrons comme ça, heureux. » (Hernán s’adressant à Fede à qui il propose un plan à trois avec son partenaire régulier, dans le film « El Tercero » (2014) de Rodrigo Guerrero) ; « C’est toi qui enflammes mon cœur. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu) ; etc.

 

Comme vous pouvez l’entendre dans mon podcast sur les goûts musicaux lesbiens (ingrédient n° 16 sur le feu), dans les fictions homo-érotiques, et parfois les discours, il est fascinant de voir que les lesbiennes ont souvent le feu au corps : feu de la passion dévorante et possessive ; métaphore du désir homosexuel lesbien qui met en surchauffe, aussi. On l’entend dans leurs chansons et dans celles qui traitent d’elles : « Close to my fire » (2013) de Joe Bonamassa, « Sapho et Sophie » (1990) d’Alain Chamfort, « Radiate » (2018) de Jeanne Added, « La Grenade » (2017) de Clara Luciani, « Just need your love » (2016) de Hyphen Hyphen, « On brûlera » (2017) de Pomme, « Learn to live » et « Lash out » (2019) d’Alice Merton, « Combustible » (2018) de Cœur de Pirate, la toute fin de la chanson « Deux ils, deux elles » (2013) de Lara Fabian (avec le craquage d’allumette), « Feu de bois » (2018) et « Démons » (2021) d’Angèle, la fin du vidéo-clip de la chanson « Oui ou non » (2019) d’Angèle (finissant en enfer après son accident de voiture), « Pleurs de fumoir » (2022) de Hoshi, l’album Chaleur humaine (2014) de Christine and the Queens, etc. On le voit dans leurs films : « Fille de Feu » (1932) de John Francis Dillon, « Opalo de Fuego » (1980) de Jesús Franco, « Feu follet » (2022) de João Pedro Rodrigues , « The Firefly » (2015) de Ana Maria Hermida, « Gasoline » (2001) de Monica Lisa Stambrini, « Bonfire » (2018) de Lou Morin, « Fire » (1996) de Deepa Mehta (film lesbien indien), « Portrait de la jeune fille en feu » (2019) de Céline Sciamma, la série Chicago Fire (2012) de Michael Brandt et Derek Haas, « Foxfire » (2013) de Laurent Cantet, etc. On le lit dans leurs romans : Tout feu tout femme (2019) de Julio Lezzie, Smoke and Fire (2014) de Julie Cannon, Forbidden Fires (1996) de Margaret Anderson, Embrase-moi (2021) de Kyrian Malone, The Forge (1924) et The Unlit Lamp (La Flamme vaincue, 1924) de Marguerite Radclyffe Hall, etc.. On l’observe au théâtre : les ateliers lesbiens « Comme nous brûlons » de la Mutinerie à Paris. Côté militant, dans les premières Gay Prides londoniennes, certaines lesbiennes portaient des badges et des pancartes les désignant comme incendiaires : « Lesbian ignite » (textuellement, « Lesbienne, mets le feu ! »). Il y a 2000 ans, saint Paul parlait déjà du désir homosexuel comme un feu dévorant : (Rm 1, 18 ; 26-27) : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et contre toute injustice des hommes qui, par leur injustice, font obstacle à la vérité. […] C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement. » Et si, très inconsciemment, les lesbiennes nous prévenaient du feu des enfers et étaient les gardiennes-avertisseurs de la pratique homosexuelle ?
 

 

Lors de la Soirée Slam poétique « Les Grandes Histoires » du 7 décembre 2022 à la Matreselva (Paris), la slameuse lesbienne nommée Palma a sorti inconsciemment lors de son passage récité une référence entre lesbianisme et feu : « On se fait insulter comme un vrai couple de femmes, sans oublier jamais que ce qui compte c’est notre flamme. » Éminemment autobiographique.
 

 

 

Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, rien que le titre suggère la fusion des deux amants Thomas et François. Mais ce n’est pas tout : leurs rapprochements corporels amoureux sont mis sous le signe de la chaleur. Par exemple, ils improvisent chez eux une « Soirée feu-de-bois-peau-de-bête » Plus tard, on apprend que lors d’un dîner en amoureux dans un resto, François a brûlé au troisième degré Thomas en lui renversant des moules bouillantes dessus. Enfin, après une nouvelle dispute, François s’emporte : « Je te brûle ton marche-pied de la salle de bain ! » Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan, le héros homosexuel, raconte que, quand il avait 19 ans, il a été pris dans une tempête de neige alors qu’il se trouvait en voiture avec son amant Arnaud. Ils ont été rendus invisibles. Nathan s’est imaginé un accident dans lequel une voiture se serait encastrée dans la leur, et que leurs corps calcinés auraient été ensuite retrouvés sans vie, constitueraient les funestes carcasses noircies d’une homosexualité vécue dans l’ombre et stigmatisée socialement.
 

Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, l’un des héros homosexuels, rentre, on ne sait trop pourquoi, à l’intérieur d’un collège désert, et pénètre dans une des salles de classe où il répète ce qu’il lit sur les murs : « Physique nucléaire… Physique nucléaire… » Dans le film lesbien archi cucul « Elena » (2010) de Nicole Conn, Tyler Montague, le commentateur « psy » (branché développement personnel, avec un zeste de spiritualité), expose sa théorie quasi irrationnelle de la « flamme jumelle » : il considère en effet que les amants (homos, hétéros, peu importe ! il suffit d’être « amoureux » !) sont comme deux flammes qui ne vont en former qu’une seule, sans même avoir maîtrisé consciemment leur symbiose : « En amour, un plus un font… un. Nous avons rarement l’occasion de voir tout l’art de l’amour. Mais ce que nous désirons tous : être aimés… d’un amour total, heathcliffien, unique, fusionnel. » Ce gourou gay friendly fait d’ailleurs tout pour que le couple lesbien Peyton-Elena se forme « naturellement ». Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, la théorie du ying et du yang sert à justifier la supposée attraction homosexuelle entre les deux amis Schmidt et Jenko. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, une sorte de pasteur célèbre le mariage de Ben et Georges : il parle de l’amour comme d’une « énergie ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud, l’un des héros homos, croit, en amour et en matière de sexualité, au « principe de pressions réciproques », en s’appuyant sur un scientifique, Steinmann. Dans l’épisode 8 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, la formation du couple homo Éric/Adam est chimique et se forme en cours de chimie (sur un cours sur les valves pulmonaires et le cœur-organe !).

 

Au tout début du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Michel explique à Mélodie que pour ne pas perdre un savon qui s’amenuise dangereusement vers sa fin, il faut le faire fusionner avec un gros savon neuf… et cette « fusion », en plus d’être écolo, se veut une illustration scientifique des rapports humains amoureux aussi (que lui, Mélodie et Charlotte vont vivre dans le triolisme). En parlant des deux morceaux de savon, il dit ceci : « Ça les rassemble et les unit en un seul individu. »
 

Le désir homosexuel fonctionne par associations mentales abolissant la différence des sexes, mais aussi la différence des générations et celle des espaces : « J’imaginais le corps de Linde et la carte du pays fusionnant les limites entre plusieurs États afin qu’ils se chevauchent. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 57) Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent (30 ans) ne supporte tellement plus la fusion amoureuse avec Stéphane (50 ans) qu’il le bat régulièrement et finit par quitter : « On était l’un sur l’autre. C’était étouffant ! » Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, la relation d’« amour » entre Charlotte et Mélodie fait yo-yo : « J’comprends pas pourquoi tu ne me quittes pas. (Mélodie à Charlotte). Charlotte n’est pas prête à tout quitter ni à renoncer à sa relation hétéro avec Michel, pour suivre Mélodie, ce qui fait que cette dernière a l’impression de compter pour du beurre. Et c’est quand Mélodie s’éloigne que Charlotte revient à la charge. Mélodie en perd son latin : « Alors c’est que ça ? Faut que je te fuis pour que tu me rattrapes ? »

. Par exemple, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Hugo, le héros gay, embrasse pour la première fois Patrick, en regardant une aurore boréale. Le couple y voit un signe qu’ils sont « deux âmes-sœurs qui se retrouvent » et qui se seraient connues avant même leur naissance terrestre, dans d’autres vies…
 

Film "Mel & Jenny" de Nana Neul

Film « Mel & Jenny » de Nana Neul


 

De manière générale, la juste distance entre les amants homosexuels fictionnels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) Étant toujours forcée, la fusion contient logiquement sa part de menace qui lui est consubstantielle : « C’était étrange, ta dépendance. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, très possessif, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « C’est vrai que c’est pas simple, une greffe. Faut faire attention au phénomène de rejet. » (Thierry, le héros homosexuel s’adressant à son amant Martin, par rapport à sa propre intégration dans la famille de Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; « Toujours trop long à m’attacher et si long à me détacher. » (cf. la chanson « Au Jack au mois d’avril » d’Étienne Daho) ; « Lâche, c’est plus fort que toi, tu nous fais mal, ne t’éloigne pas de mes bras. » (cf. la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer) ; « Pas de ça chez moi ! Je te rends ton baiser ! » (Nathalie s’adressant à Tatiana dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa) ; « Elle m’a parlé de Sarah qui alternait les promesses et les refus, qui la repoussait et revenait la chercher quand Jane, découragée, renonçait. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 65) ; « J’ai juste envie de vomir à chaque fois que tu me touches. » (Édouard s’adressant à son amant Georges, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Vous n’êtes pas un peu serrés tous les deux ? » (le père de Chris s’adressant à son fils et à Ruzy l’amant de ce dernier, sans comprendre encore qu’ils sont en couple, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « J’étouffais. » (Aurora parlant de sa dernière relation lesbienne, dans le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio) ; « Moi qui nous croyais soudés… » (Georges s’adressant à son amant William, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Je brûle pour toi jusqu’à l’asphyxie. » (William s’adressant à Georges, idem) ; « Je vous trouve envahissante. Votre appétit m’étouffe. » (Fanny s’adressant à son amante Catherine, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Tu as pris toute la place. J’avais un tout petit bout de lit. » (Vlad, l’un des héros homosexuels, s’adressant au matin à son amant Anton dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier dit à son amant qu’il l’« étouffe ». Dans le film « Harakiri Children » (2008) d’Ivan Livakovic, deux hommes tombent amoureux et se retrouvent totalement isolés du monde… mais leur « nid d’amour » se révèlera être un véritable champ de bataille. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, le « couple » Gabriel et Philippe est en perpétuelle tension entre rupture et fusion : Gabriel est un chien fou très absorbant, tandis que Philippe est au contraire très distant, nonchalant et n’assume pas leur union ; et dès que les engueulades menacent la cohésion de leur tout, Gabriel se met toujours à promettre un PaCS pour rabibocher fiévreusement et artificiellement les choses. Même souci de « colle amoureuse qui colle mal », et où l’un des partenaires du couple est plus à fond que l’autre, avec le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider… alors que pourtant, tout semblait tenir sur la photo instantanée : « Nos deux cœurs sont collés ensemble. » (Laurent s’adressant à André) Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel ne veut pas rester « scotché » à son amant Franck (« Si on commence comme ça, dans une semaine, on en aura marre l’un de l’autre. ») alors que Franck veut plus de proximité et d’engagement (« Ça ne va pas m’amuser longtemps. »). Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, Alfredo et Carlos passent par toutes les phases de l’élastique tendu et détendu de la passion : attraction, processus de séduction et rejet… Dans le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, après leur engueulade, Michel plaque son copain Jean-Yves à cause de sa possessivité ou de son propre refus de s’engager : « Il commençait à s’attacher, alors… » Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, la relation amoureuse qui s’instaure entre Alfredo et Carlos est un processus complexe d’attraction, de séduction et de rejet. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, à maintes reprises, les crises d’étouffement physique de Charlène, l’héroïne lesbienne, coïncident avec les vissicitudes douloureuses de sa passion amoureuse pour Sarah. À la fin, Charlène finit par étouffer son amante avec un coussin tellement elle est odieuse. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian est en couple avec John, mais ça semble compliqué : John a toujours refusé de « s’engager »… et c’est au moment où Ian décide de partir au Mexique que John se met à lui dire qu’il est « l’homme de sa vie ».

 

Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Polly, l’héroïne lesbienne, tombe de haut quand la relation fusionnelle qu’elle a partagée depuis quelques mois avec sa compagne Claude, se solde par une rupture impromptue : « Putain, mais je comprends pas. On est tellement dans la fusion, avec Claude, elle m’a fait un vieux plan parano. » (p. 75) Son pote homo Simon s’énerve brutalement contre sa naïveté : « Non mais t’es dans la fusion, toi, Polly, et tu crois encore aux contes de fées lesbiennes. Franchement, il te faudrait quoi ? Que la merveilleuse princesse endormie te tombe dans les bras et qu’elle soit ta copie conforme, pas de soucis, pas d’angoisse, deux jumelles incestueuses qui sont le reflet l’une de l’autre, la parfaite copie ? » (p. 76)

 

Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Ils souffrent de vivre une relation sans forme, sécuritaire, sans avoir la force de rompre : « On ne peut pas quitter Adar. » avoue Antoine, « J’arrive pas à l’abandonner. » Louis, le frère hétéro volage d’Antoine, relève l’hypocrisie immature de ce fonctionnement de couple : « Tu sais, l’amour et la pitié, ça fait pas bon ménage. »
 

La fusion amoureuse homosexuelle n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’une refus de la solitude et de la liberté… d’une instrumentalisation mutuelle : « Tu comprends pas que je suis trop lâche pour te mettre dehors ?!? » (JP à son petit copain Ben, dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, épisode 3 « État secret ») ; « Quand tu t’y mets, t’es une sang-sue. Et c’est d’un ennui mortel. Je te jure que t’es d’un ennui mortel. » (Dick s’adressant à Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; « On s’aime beaucoup mais on s’empêche de vivre. » (Nathalie à son amante Louise, dans le film « La Répétition » (2001) de Catherine Corsini) ; « Je retrouve ta chair. Je passe d’un monde à l’autre. Cela n’est pas si difficile. D’abord, tu me prends dans tes bras. Tu as ce geste immédiat, instinctif de rechercher mon contact, d’être comme moi, d’imprimer ton corps sur le mien, d’atteindre ce moment où ils sont en symbiose, où leurs épousailles les transforment en un seul objet. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 63) ; « Je ne peux plus continuer avec Jo. Il ne se passe plus rien. On est passés d’une relation fusionnelle à une relation fraternelle. » (Matthieu parlant de la relation d’un an qu’il vit avec Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « S’aimer : résistance, dissonance. » (cf. la chanson « Love Song » de Mylène Farmer) ; etc. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Pierre Bergé se voit reprocher par les amis ou la famille de Yves Saint-Laurent d’étouffer ce dernier : « Tu peux pas isoler Yves comme ça. Yves a des amis ! » (Loulou)

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé dans les œuvres homo-érotiques ; le personnage homosexuel se sent à la fois « tout contre » son partenaire, et « contre lui » : cf. le roman Tout contre Léo (2004) de Christophe Honoré, le film « Saturno Contro » (2007) de Ferzan Oztepek, la chanson « Mujer Contra Mujer » (« Une Femme avec une femme ») du groupe Mecano, la chanson « Amoureuse » de Véronique Sanson (« Quand je me serre tout contre lui, quand je sens que j’entre dans sa vie, je prie pour que le destin m’en sorte, je prie pour que le diable m’emporte. »), la chanson « Les Uns contre les autres » de Marie-Jeanne dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho (« Tu es le soleil contre moi. »), la chanson « L’un contre l’autre » d’Élisa Tovati (« On était si bien l’un contre l’autre. Qu’est-ce qui nous a poussés l’un contre l’autre avec le temps ? »), le film « La Belle Image » (1950) de Claude Heymann, le film « Le Corps de mon ennemi » (1976) d’Henri Verneuil, le film « Contracorriente » (2009) de Javier Fuentes-León, le film « Peau contre peau » (1991) de François Ozon, le film « Grégoire Moulin contre l’humanité » (2011) d’Artus de Penguern, la chanson « À contre-courant » d’Alizée, etc.

 

L’adverbe polysémique « contre » symbolise un amour homosexuel à la fois rassurant et destructeur : « J’ai rêvé en m’endormant, hier soir, que je te chantais une chanson douce, une chanson française, et que nous nous endormions près d’une cascade en pleine nature, à la belle étoile, l’un contre l’autre – l’un dans l’autre… » (Chris s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 119-120) ; « Je me pose tout contre lui. » (Kevin en parlant de Joe, dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton) ; « Je la serrai contre moi. Jamais encore je n’avais été si proche de ce qui, chez elle, m’échappait et m’attirait. » (Laura en parlant de son amante Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 85) ; etc.

 

Les amants homosexuels sont très souvent en conflit parce qu’ils se placent systématiquement l’un contre l’autre, dans tous les sens du terme : « Depuis longtemps, nous n’avions pas été ainsi : corps contre corps. » (Kévin et Bryan, les héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 284) ; « Kévin pleurait toujours. Je le pris dans mes bras et le serai très fort contre ma poitrine. Nous étions face à face, corps contre corps, les yeux dans les yeux. Ce moment-là, je l’avais trop désiré. Encore une fois l’impression de rêver ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, op. cit., p. 317) ; « On continua de parler, dans la pénombre de ma chambre, dans la chaleur de mon lit, l’un contre l’autre. » (Kévin et Bryan, op. cit., p. 326) ; « Elle [Harriet] peut s’amuser à vous jeter contre moi. » (Auguste à Théo dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon) ; « Prends-moi dans tes bras, sans réfléchir, corps à corps, bouche contre bouche. » (Vincent à son amant Arthur dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 36-37) ; « Je me souviens de nous, marchant dans la rue, l’un contre l’autre, deux contre tous, à contresens. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Et j’ai compris. Khalid était mon ennemi. J’étais son ennemi. C’était écrit. Rien ne pouvait plus changer cette fatalité. J’ai fermé les yeux, moi aussi. Pour mieux me préparer au dernier combat. Le dernier round. Le dernier chapitre. L’un contre l’autre. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 163) ; « Ronit scruta l’obscurité, penchée vers la droite. Le mouvement la rapprocha d’Esti, elle se retrouva collée à elle, son flanc contre le sien. Elle fit la moue, perplexe. » (Ronit et Esti, les héroïnes lesbiennes, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 137) ; etc.

 

Par exemple, dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa raconte qu’elle préfère vivre seule et qu’elle a l’impression d’être contre le cul d’un cheval : elle rajoute que contre un corps, elle ne sait même pas où mettre ses jambes. Dans la chanson « Quelle heure est-il ? » de Bilal Hassani, l’étreinte vire à l’étouffement : « Je me sens serré dans tes bras. Des bras que je ne connais pas. Je me sens serré, s’il te plaît. Je suis trop serré contre toi. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles désirant être pratiquantes, il est souvent question de la fusion, une fusion très proche du narcissisme, d’ailleurs : « Je ne me rappelle pas comment, ni pourquoi, mon union avec Jimmie s’est faite sur le sol carrelé blanc de la salle de bains de Merrywood. […] Nous étions là, ventre contre ventre, en train de ne former plus qu’un. […] Nous nous sommes donc simplement enlacés, reconstituant ainsi le mâle originel que Zeus avait divisé. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 47) ; « À deux, nos âmes fusionnent, nos cœurs se fondent l’un dans l’autre. » (Felice Newman, Les Plaisirs de l’amour lesbien, 2003) ; « Il y a souvent dans les amours dites ‘marginales’ cette impression de pulvérisation, quelque chose qui se délite, qui s’émiette, qui laisse en effet insatisfait. Parfois une impression de tristesse douloureuse. Il y a la lassitude, l’incuriosité. Alors ça ! Le nombre de couples, homos ou hétéros, qui ne font pas assez durer leur musique parce que l’un ou l’autre n’est pas assez curieux de l’autre, ou qu’il ne l’aime pas assez pour accepter de passer derrière l’autre… » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko déclare qu’il a ressenti très tôt « des sentiments de fusions et d’effusions proches de son attirance envers les garçons » (p. 96).

 

Sans faire trop de psychologie de comptoir, on peut quand même voir dans la recherche de fusion amoureuse une résurgence d’un manque de détachement de certaines personnes homosexuelles avec leurs propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Schreber restait secrètement un petit enfant qui désirait être l’unique possesseur de la mère – possession rendue possible uniquement par son identification à elle, primitive et magique – une fusion symbolique et magique. » (White cité dans l’article « Faits et hypothèses » de Robert J. Stoller, sur Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217) ; « Le sens de la réalité leur échappe parce qu’ils ont fait pour ainsi dire l’économie de l’étape oedipienne et que la séparation entre Moi et non-Moi n’existe pas pour eux. Leur vision du monde est de type fusionnel. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 97)

 

Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013, on nous fait croire que la relation incestuelle, « fusionnelle » et de copinage entre le père homosexuel et sa fille biologique pourrait très bien se substituer à l’union conjugale passée du père et de la mère biologiques, par l’entremise magique du coming out (ils discutent « mecs » ensemble, peuvent faire du shopping et se conseiller vestimentairement). La séparation ou la rupture conjugale femme-homme est maquillée et surinvestie en fusion filiale, « grâce » à l’homosexualité.

 

À l’âge adulte, beaucoup d’entre elles vivent dans le fantasme de fusionner avec leur amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître elles-mêmes : « Il devient plus qu’un simple corps et se transforme en une extension de mon être. Je n’existe qu’à travers lui. Qu’en lui. Je n’ai plus de vie propre, je fusionne avec lui. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 54) ; « Il se fascine sur l’Autre et fuit sa propre conscience de soi. » (Jean-Paul Sartre parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 169) ; etc.

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale : « Antoine aime être auprès de Bruno. Il aime sa chaleur. Il en a besoin. Mais il arrive un moment où il faut se détacher et le corps n’obéit pas… » (cf. résumé du film « Chaleur humaine » (2012) de Christophe Predari dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 58) ; « Je crois que mon coloc veut me serrer. » (cf. la chanson « Mon Coloc » de Max Boublil) ; « Vous avez réussi à absorber ma vie entière. » (Oscar Wilde à son amant Lord Douglas, dans sa lettre De Profundis, 1897) ; « J’attends Slimane. Je suis Slimane. Tellement habité par lui. Respirant exactement comme lui. Dans Le Petit Robert, je cherche à le comprendre davantage. À me rapprocher encore plus de ce qu’il est. De ce qu’il fait quand il part au travail. Être là où je ne peux être avec lui. ‘FONDERIE : Atelier où l’on coule du métal en fusion pour fabriquer certains objets. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 107) ; « Disciple de Messmer ou adepte du mesmérisme, Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) croyait beaucoup au magnétisme et pour lui le courant érotico-magnétique était concentré dans l’organe sexuel masculin. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 79) ; etc.

 

Par exemple, pendant les trois longues heures du film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le spectateur n’a droit qu’à des gros plans très resserrés sur les visages des héros… quand ce ne sont pas des plans carrément flous d’être trop proches, ni des scènes filmées en caméra subjective. Il n’y a pas d’espace : ni entre les personnages (qui passent leur temps à s’embrasser), ni entre le réalisateur et ce/ceux qu’il filme. Cela montre bien que « La Vie d’Adèle », même dans sa forme, est un film égocentrique, narcissique, fusionnel et oppressant.

 

Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) suppose dans ses écrits que « le plaisir de l’homosexuel est supérieur au déplaisir de son partenaire – comme si, encore une fois, ils pouvaient être mesurés et comparés -, et que donc, la somme des deux étant positive, cette relation est justifiée. Nul besoin de dire qu’on est là sur une pente glissante extrêmement dangereuse, où l’on peut justifier toutes sortes de mise en esclavage d’une minorité par une majorité au nom du « bien commun ». Nul besoin non plus d’insister sur les germes de totalitarisme que contient cet utilitarisme sexuel ». (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 86)
 

La présence physique, et le rapprochement des corps ne sont pas systématiquement synonymes du rapprochement des cœurs. Parfois, ils peuvent même être un mirage occultant l’absence d’amour, l’incroyable isolement qui se vit dans le couple homosexuel : « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. Nous avions essayé de nous tenir chaud, de nous réconforter l’une à l’autre, mais la solitude était toujours là et ce n’était pas la vie. Martine et moi étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Souvent, la juste distance entre les amants homosexuels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) ; parfois même des viols : Vladimir Marinov nous parle à juste raison de cette « tension entre liaison et déliaison excessives » impulsée par les désirs dispersants tels que les désirs homosexuel ou hétérosexuel, qui ne sont que des variantes de la pulsion de mort. « La pulsion de mort n’est pas plus associée à un mouvement de déliaison outrancier qu’à un mouvement de liaison excessif ; les deux mouvements, poussés à l’extrême, peuvent devenir destructeurs ; de fait, ils sont complètementaires et inséparables. » (cf. l’article « Le Narcissisme dans les troubles de conduites alimentaires » de Vladimir Marinov, dans l’essai Anorexie, addictions et fragilités narcissiques (2001), p. 59) Dans les couples hétérosexuels comme homosexuels, il y a peu de place pour le Désir tant la fusion en leur sein est désirée : « Il n’y a pas de désir entre nous. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 334) ; « Dans le rapport homosexuel, il va y avoir un rapport de forces qui va s’établir… un rapport de forces qu’il faut essayer d’éviter. Mais entre deux hommes ou entre deux femmes, à cause du conditionnement qui nous entoure, il y a un rapport d’autorité, de domination, de possession qui essaie de s’exercer. Et c’est là qu’il faut suffisamment d’amour pour éviter ce rapport de possesseur à possédé. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Pensons également au nom de scène choisi par la chanteuse/le chanteur français(e) Desireless, ainsi qu’au titre de la pièce Parce qu’il n’avait plus de désir (2007) de Lévy Blancard. La fusion recherchée n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’un refus de sa propre solitude et liberté : cf. le magazine des sexualités gays qui s’intitule Prends-moi, l’essai Comme un seul homme (2012) d’Emmanuel Pierrat, etc. Je vous renvoie aux codes « Viol », « Pygmalion » et « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Ce qui est vrai en amour homosexuel (= cette violence de la fusion désirée) l’est aussi pour le rapport de beaucoup de personnes homosexuelles vis à vis du monde qui les entoure. On observe un manque de distance, un manque de chasteté, un manque de maturité, qui confinent à l’orgueil de se prendre pour Dieu et de s’auto-suffire : « Je suis vivant. Le monde n’est pas seulement une chose posée là, extérieure à moi-même. J’y participe, il m’est offert, mais ce n’est plus ma vie. Je suis la vie. » (« C. » en épitaphe dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 6) ; « Tu l’as dit toi-même. Je ne sais pas couper les liens que j’ai avec les autres. » (Xavier, homosexuel, s’adressant à sa fille, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne) ; « L’idée, c’est qu’on soit tous les deux le père biologique. Ce serait des jumeaux avec la même mère biologique et le sperme de nous deux. » (Christophe à propos de Bruno, son compagnon, avec qui il programme une GPA avec mère porteuse, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015) ; etc.

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Film "En chair et en os" de Pedro Almodovar

Film « En chair et en os » de Pedro Almodovar


 

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé par les personnes homosexuelles ; elles se sentent à la fois « tout contre » leur partenaire, et « contre lui ». L’adverbe polysémique « contre » symbolise en général un amour homosexuel rassurant et destructeur : « Le chanteur est arrivé : la foule s’est agitée, elle s’est compressée en direction de la scène. Le corps de l’homme s’est retrouvé poussé contre le mien, et à chaque mouvement de foule nos corps entraient en friction. Nous étions de plus en plus serrés l’un contre l’autre. Il souriait, gêné et amusé, le corps irradiant l’odeur de la sueur. J’ai perçu son changement d’état, son sexe se dresser progressivement et cogner le bas de mon dos. » (Eddy Bellegueule dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 177) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. » (idem, p. 193) ; « Je haïssais Chouaïb. Il ne m’attirait plus. Mais je voulais rester ainsi pour toujours, nu, collé à lui tout aussi nu, peau contre peau, vivant dans le chaos de cette guerre intime, sexuelle. » (Abdellah Taïa à propos de son cousin Chouaïb dont il est amoureux, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 23) ; « Je ne pouvais pas dormir. Excité par mes souvenirs encore tout frais de nous deux la veille du retour à Paris, intensément dans le désir et les sentiments bruts, silencieux, loin, puis proches, corps contre corps. » (Abdellah Taïa à propos de Javier, op. cit., pp. 39-40) ; « Slimane ne m’avait donc rendu que quelques pages de notre journal. Il avait gardé le reste pour lui, l’avait peut-être détruit. Brûlé. Tout ce que nous avions écrit ensemble, corps contre corps, mains jointes presque, il l’avait pris pour lui, volé pour lui.  La mémoire écrite de notre histoire lui appartenait désormais. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, op. cit., p. 110) ; « Slimane, je n’arrive plus à t’appeler cher Slimane, tellement je suis en colère. Contre toi. Contre moi. Contre cette injustice que tu m’imposes. Contre l’amour qui n’a plus aucun sens aujourd’hui pour moi et qui, pourtant, est encore là, au fond de mon cœur. Contre cette censure que tu te permets d’exercer dans notre ‘Journal amoureux’. » (idem, p. 112) ; « On s’oublie le long du corps de l’autre, de sa douceur et sa chaleur. On s’oublie réellement, je veux dire, on ne sait plus très bien où l’on et, on agit avec instinct, les yeux mi-clos, le cerveau éteint. C’est bon et vain à la fois. […] On devient deux corps étrangers posés l’un contre l’autre, encore chauds, encore endoloris par endroit. On est presque surpris par cette indélicatesse de l’autre de s’être laissé aller si promptement à ses instincts les plus vils. La recherche égoïste et rageuse du plaisir à l’encontre de l’autre. Je filme. Il me regarde avec étrangeté, sans ses lunettes écailles. Dans son regard, il n’y a ni douceur ni tendresse, juste un étonnement, un questionnement. Je murmure : ‘Quand on ouvre les yeux, on doit se souvenir contre qui on s’est échoué.’ » (Mike à son amant d’un soir, « P.-O. », dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 57-58) ; « Je flairais un brin d’allégresse, lorsque la sensation de ses doigts pour me pousser à danser contre lui pénétrait sur ma chair, créant une vive douleur. Cependant, je désirais cette souffrance pour reprendre conscience de mon corps, comme emporté loin de moi par la vague de plaisir. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 66) ; etc. Par exemple, en 1875, Heinrich Marx s’exprime à propos de l’acte sexuel entre un homme et un Uraniste : « Puisque l’Uraniste a un corps principalement charnu et tendre, en serrant les cuisses l’une contre l’autre, il offre une place pulpeuse à la place des organes féminins, qui est capable de s’adapter à l’organe d’amour de l’homme. Pendant la jouissance, comme dans l’amour ordinaire, l’homme et l’Uraniste sentent passer un courant magnétique. »

 

Entre fusion et confusion, il n’y a qu’une seule syllabe de différence ! (… et pas n’importe laquelle !). Enfin, pour la petite histoire, je ne crois pas que Fire Island soit un lieu de villégiature homo par hasard…

 
 

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Code n°83 – Grand-Mère

grand-mère

Grand-Mère

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Mémé-pédé

 

Tantôt jumelle, tantôt amant homosexuel, tantôt déesse, tantôt diablesse, il est évident que la grand-mère du héros homosexuel ou celle dont parlent de nombreux sujets homosexuels n’est pas la véritable grand-mère biologique que nous avons tous … même si les fantasmes s’appuient toujours sur un substrat de sang ou de réel pour asseoir leur vraisemblance. Elle est plutôt cet androgyne tout-puissant qui habite les esprits en plein effondrement identitaire ou désirant. Elle est cette femme-objet vieillissante (cf. je vous renvoie bien sûr à la partie « Star vieillissante » du code « Actrice-Traîtresse », aux codes « Tante-objet ou Mère-objet », « Bergère » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) créée par une société matérialiste qui asexualise, homosexualise, prostitue tout le monde. C’est mémé-pédé. Big Gay Grandmother !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Bobo », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Matricide », « Tante-objet ou Maman-objet », « Folie », « Voyante extralucide », « Destruction des femmes », « Mère possessive », « Mère gay friendly », « Inceste », « Doubles schizophréniques », « Reine », et à la partie « Star vieillissante et cruelle » du code « Actrice-Traîtresse », dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

Mamie chérie !

Mamie chérie ! Film « Vier Minuten » d’Hannah Herzsprung

 

On voit apparaître souvent la grand-mère dans les fictions homo-érotiques : cf. le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer (avec une femme âgée qui est une enfant), le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust (avec la « grand-mère très lettrée » du narrateur homosexuel), la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron (où la grand-mère est une figure d’indépendance), le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron (avec Grany), le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally (avec la grand-mère qui devine l’homosexualité de sa petite-fille avant tout le monde), le film « Serial Noceurs » (2005) de David Dobkin, le film « Les Petits-Fils » (2003) d’Ilan Duan Cohen, le film « Une voix d’homme » (2001) de Martial Fougeron, le film « Une grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, le roman À ta place (2006) de Karine Reysset (avec la grand-mère de Cécile), la grand-mère du film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman (avec la grand-mère ancienne artiste de cabaret), le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec Mamy, la grand-mère délurée), le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron (avec la grand-mère excentrique), le film « Im Sommer Sitzen Die Alten » (2009) de Beate Kunath, le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras (avec Mamie Alma, la grand-mère de Dany et Ody), etc.

 

Film "Le temps qui reste" de François Ozon

Film « Le temps qui reste » de François Ozon


 

Beaucoup de héros homos sont de bons p’tits fillots à leur mamie : cf. le film « Grandma’s Boy » (2006) de Nicholaus Goossen, etc. « Tiens, voilà la vieille qui passe là-bas. Tiens, voilà la vieille qui sort du grand bois. Ah ! Quelle merveille, La vieille, la vieille. Ah ! Quelle merveille, cette vieille-là… » (cf. la chanson « La Vieille » de Charles Trénet) ; « Comme disait ma grand-mère, à force de croquer la vie à pleine dent, on en perd son dentier. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Tous les week-end je gardais ma grand-mère. » (Jarry parlant du baby-sitting, dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Comme disait ma grand-mère, c’est dans les vieux box qu’on fait les meilleures confiotes ! » (Fred, le trans M to F, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; « Il serait pas un petit peu gay, ton mec ? ll a un chat, il kiffe les vieilles, il aime bien le shopping. » (Sonia s’adressant à sa pote Joëlle par rapport à Philippe le mari de celle-ci, dans le film « L’Embarras du choix » (2016) d’Éric Lavaine) ; etc. À les entendre, ils vivent avec elle. « Ah beh d’abord, y’a ma grand-mère que j’adore. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne). Par exemple, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau dédie une chanson « pour la maman de sa maman » : « À Mémé qui m’aimait tout autant. » Dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron, Mister Carter (70 ans) dit à John (15 ans) qui est amoureux de lui que le fait qu’un jeune homme tombe amoureux d’une femme beaucoup plus âgée que lui, c’est un truc de « Sissi » (= « de pédés »). Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo, l’un des héros homosexuels, va à l’anniversaire de sa grand-mère de 80 ans qu’il chérit tant. Dans le roman Deux Garçons (2014) de Philippe Mezescaze, Philippe, pour fuir la folie de sa mère, arrive à La Rochelle et s’installe chez sa grand-mère. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, maquille sa propre mère dans la salle de bain et lui redonne soi-disant sa féminité. « Ta grand-mère était très douée. » le complimente-t-elle. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, le héros homo allemand, a été élevé par sa grand-mère : « J’ai grandi avec ma grand-mère. ». Celle-ci a même supplanté sa propre mère : « Je n’ai pas de mère. ». Tomas attribue à sa grand-mère sa vocation de pâtissier puisqu’elle cuisinait des gâteaux aussi.

 

Film "Chicken" de Tikka Masala

Film « Chicken » de Tikka Masala


 

En général, cette mamie compose une personnalité haute en couleurs, extravagante, vaguement artiste et intellectuelle, femme du monde, vieille France, facho, extrême droite et odieuse : cf. le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Mamita, la grand-mère insupportable, bourgeoise et raciste sans s’en rendre compte : « Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel. Ils sont trop gâtés et puis c’est tout. »), le sketch de la « Belle-mère » de Didier Bénureau (avec la grand-mère qui passe des coups de fil compulsifs pour insulter la famille de sa fille Patricia), le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte (avec l’affreuse Grany), le one-man-show Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le film « Entre Tineblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar (avec la vieille Marquise grippe-sous), etc. Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, la grand-mère de Steve, le héros homosexuel, disait de lui qu’il n’était « pas commode ».

 

 

Dans les fictions homo-érotiques, la grand-mère est détruite/salie autant que valorisée. Le héros homosexuel la massacre pour prouver par son acte iconoclaste que SA mamie est toute-puissante et immortelle : cf. la chanson « Susan Boyle » de Max Boublil, le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec l’enterrement de la grand-mère), le poème « Abuela Oriental » de Witold Gombrowicz (avec la grand-mère profanée), etc. « Dans la famille Maboule, je voudrais la grand-mère. » (Micka jouant au Jeu de 7 Familles dans le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent) ; « La grand-mère est morte… » (Quentin Lamotta, Le Crabaudeur (2000), p. 71) Et dans le cas où il ne la tue pas, il s’imagine quand même, à sa mort, qu’il l’a tuée : « J’ai tué ma mémé !!! » (Marcel, un des héros homosexuels de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, lors de l’enterrement de sa grand-mère) ; « Grand-mère est morte. Grand-mère est morte. » (Lucie dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Quelques heures plus tard, Françoise put une dernière fois et sans les faire souffrir peigner ces beaux cheveux [ceux de la grand-mère morte] qui grisonnaient seulement et jusqu’ici avaient semblé être moins âgés qu’elle. Mais maintenant, au contraire, ils étaient seuls à imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune d’où avaient disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que, depuis tant d’années, lui avait ajoutés la souffrance. Comme au temps lointain où ses parents lui avaient choisi un époux, elle avait les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d’une chaste espérance, d’un rêve de bonheur, même d’une innocente gaieté, que les années avaient peu à peu détruits. La vie en se retirant venait d’emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand’mère. Sur ce lit funèbre, la mort, comme le sculpteur du moyen âge, l’avait couchée sous l’apparence d’une jeune fille. » (le narrateur homosexuel dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust p. 336) ; « Moi si j’étais demoiselle, c’est fou ce que je serais… vieux ! » (c.f. la chanson « Si j’étais demoiselle » d’Adrien Lamy) ; etc. Dans Du côté de Guermantes justement, le héros est vivement affecté par la disparition de sa grand-mère Bathilde, puis, peu à peu, emporté par le tourbillon des mondanités, il ne pense plus que très rarement à elle. Il prend alors parfois conscience de cet oubli et en éprouve de vifs remords. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François dénigre la grand-mère de son compagnon Thomas : il la compare à Élisabeth II sur un fauteuil roulant. Thomas se montre particulièrement susceptible : « Manque pas de respect à ma grand-mère. »

 

Pièce Quand les belles-mères s'emmêlent

Pièce Quand les belles-mères s’emmêlent


 

Dans les chansons « La Matriarche » et « À table » de Jann Halexander, la famille fête les 80 ans de la grand-mère, une femme âgée dont on se moque comme un animal de foire, qu’on expose « pour la galerie », qu’on massacre (« Mamie, on te descend. ») est considérée comme une sœur de martyre : « On n’a pas besoin de dire qu’on vous aime […] Grand-mère, Grand-mère, ne désespère pas! On est deux à haïr ces repas, On n’en peut plus de la famille. »

 

Le héros homosexuel a des raisons de lui en vouloir. Sa grand-mère le gave depuis tout petit d’images, de télé, de parures, d’objets, de gadgets, d’irréalité, d’illusions identitaires et amoureuses, et le maintient dans l’enfance, dans la douilletterie. Par exemple, dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel regarde la télé avec sa grand-mère (p. 12). Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton, en tant qu’assistant à domicile de personnes âgées (ergothérapeute), va faire des ménages chez Olga, une grand-mère qui passe son temps devant la télé et l’initie aux jeux télévisés. Celle-ci veut absolument le caser avec une femme, et tente même de le séduire, en maintenant avec lui une relation fusionnelle (elle l’appelle « mon chéri »). Dans le film « L’Homme d’à côté » (2001) d’Alexandros Loukos, Alkis, le héros homo, affirme subir tous les après-midi un feuilleton grec débile, Elvira, que sa grand-mère suit assidûment. Mais ce qu’il ne dit qu’à demi-mot après, c’est que cela lui plaît : « À force d’être scotché devant la télé, je devenais une Elvira ! » Dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard, le jeune Corentin est obligé de se farcir Derrick, Dallas, Plus belle la vie avec sa grand-mère Mamita. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, la grand-mère d’Étienne a provoqué une indigestion de dragées au point de rendre son petit-fils malade (et ça la fait beaucoup rire…). Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, l’un des héros homosexuel, aime la musique classique, et c’est sa grand-mère qui l’a initié à l’amour du classique… et qui inconsciemment le conduira à croire en ses sentiments homosexuels orientés vers le Prince charmant.

 

 

L’influence intrusive de la grand-mère dépasse le simple terrain des goûts pour aller jusqu’à l’intimité et la sexualité. En effet, mamie homosexualise son petit-fils soit en banalisant et en sacralisant l’homosexualité, soit en étant paradoxalement hyper homophobe et facho (ce qui est perçu tout autant comme une injonction par le héros homo) : cf. le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec la voisine de pallier mécontente), le vidéo-clip de la chanson « Too Funky » de George Michael (s’achevant par les plaintes de la vieille), le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec Mathilde – interprétée par Patachou – la grand-mère croqueuse d’hommes, libertaire et gay friendly), le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand (avec le personnage d’Hélène, hyper « open »), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec la grand-mère de Malik) ; etc. « Tu te rends compte ! Dire que je suis lesbienne ! [Imagine]… ma grand-mère ! » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’crois qu’elle aime pas les autres dames, mamie. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Si ça ne tenait qu’à moi, ces pédérastes seraient directement fusillés. » (la grand-mère de Bobby, dans le téléfilm « Bobby seul contre tous », « Prayers for Bobby » (2009) de Russel Mulcahy) ; etc. Par exemple, dans le film « Une femme sans tête » (20) de Lucrecia Martel, la grand-mère haït les gars maniérés. Dans le film « Tatie Danielle » (1990) d’Étienne Chatiliez, la grande-tante ne voit pas d’un bon œil les efféminements suspects de son petit-neveu Jean-Marie qu’elle surnomme méchamment « Jeanne-Marie ». Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Mémé Huguette crache sur « les pédés » : « Les pédés… Il faut toujours qu’ils se croient plus intelligents que les autres ! »

 

Film "Tatie Danielle" d'Étienne Chatiliez

Film « Tatie Danielle » d’Étienne Chatiliez


 

Mamie-gâteau, au contraire, peut se montrer très conciliante avec l’homosexualité de son petit-fils, et la travailler chez lui. Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, le couple homosexuel Robbie et Ilan loge chez la grand-mère. Dans le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, la grand-mère de Méral (l’héroïne transgenre F to M), sur son lit de mort, reconnaît le travestissement de sa petite fille comme vrai, le valide comme beau. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, c’est une grand-mère qui préside la cour des miracles homosexuelle de Bob. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, la mémère Berniece qui, au départ, était homophobe, organise le jour du mariage mais aussi du coming out de son fils Howard, une sorte de cercle d’alcooliques anonymes improvisé dans l’église avec toutes ses amies mamies qui vont déballer tous leurs secrets.

 

Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, la grand-mère d’Antonio et de Tommaso, les deux frères homos, a tout de la femme soumise-insoumise, qui s’est mariée par devoir, mais qui ensuite envoie tous ses carcans ballader avec l’âge : elle mange sucré, ne se médicamente pas toujours, boit plus que de raison, et finit même par se suicider en se goinfrant de gâteaux. Elle est présentée dans ce film gay friendly comme la conscience visionnaire, la sagesse incarnée qui valide la « justesse » de l’homosexualité de ses petits-fils : « Antonio me l’a dit. Mais je l’aurais compris sans ça. » dit-elle à Tommaso qui lui demande si elle savais pour l’homosexualité d’Antonio.
 

Dans les œuvres homo-érotiques, la grand-mère est souvent incestueuse, incarne le fantasme de viol (celle qui est violée ou/et qui viole) : cf. le film « Mémés Cannibales » (1988) d’Emmanuel Kervyn, le film « Cachorro » (2004) de Miguel Albaladejo (avec la figure de la grand-mère despotique), etc. « Mme Hammer grande bourgeoisie se parfume à l’eucalyptus. Maman reptile, charmante épouse, invite femmes à prendre le thé. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Je raccroche : grand-mère nous espionne. » (Stella, la « fille à pédé(s) » s’adressant à son ami gay Gabriel, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson) ; « On viole ta grand-mère dans le métro. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Ma tante rangeait derrière mon oncle, ma grand-mère derrière mon grand-père. D’un côté, j’en étais indignée. Mais de l’autre, j’aimais être un petit prince. Quand je serais grande j’aurais un harem plein de femmes. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 168) ; « Ma grand-mère est terrible. Elle fichait des fétus de paille dans le cul des guêpes pour les faire mourir. » (cf. les premières lignes de la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 11) ; « Cette méchante enfant tient de sa grand-mère. » (Karen, l’héroïne lesbienne parlant de la petite Mary, son maître-chanteur d’homosexualité, dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) ; « Quand mes lèvres la touchèrent, les mains de ma grand-mère s’agitèrent, elle fut parcourue tout entière d’un long frisson, soit réflexe, soit que certaines tendresses aient leur hyperesthésie qui reconnaît à travers le voile de l’inconscience ce qu’elles n’ont presque pas besoin des sens pour chérir. Tout d’un coup ma grand’mère se dressa à demi, fit un effort violent, comme quelqu’un qui défend sa vie. Françoise ne put résister à cette vue et éclata en sanglots. Me rappelant ce que le médecin avait dit, je voulus la faire sortir de la chambre. A ce moment, ma grand’mère ouvrit les yeux. Je me précipitai sur Françoise pour cacher ses pleurs, pendant que mes parents parleraient à la malade. Le bruit de l’oxygène s’était tu, le médecin s’éloigna du lit. Ma grand-mère était morte. (le narrateur homosexuel dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust p. 334) ; « Tu t’es tapé la vieille ??? » (Yoann découvrant que son amant Julien a couché avec sa belle-mère Solange, la cougar, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Quand j’étais petite, ma grand-mère avait inventé une enfant virtuelle, Olivia [qu’elle pouvait gâter et féliciter à l’envie quand moi je n’étais pas sage, pour me servir de leçon] Qu’est-ce que je détestais Olivia… J’ai fini par détester ma grand-mère aussi. Quand elle est morte, je n’ai eu aucun chagrin. » (Vera, l’héroïne lesbienne machiavélique dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la grand-mère « Babou » cache le secret de l’inceste maternel et interrompt son petit-fils bisexuel Guillaume qui commençait à le formuler : « Si je ressemble à maman, c’est parce que… » Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel et sa grand-mère juive qu’il imite s’adressant à lui, ont une relation très fusionnelle : « Maintenant je te tiens. Je ne te lâche plus. » Leur lien semble intéressé et matérialiste : « Tu aimais bien venir me voir quand t’étais petit. Tu venais pour mes robes, j’ai compris. » (la grand-mère)

 

La grand-mère transforme son petit-fils (futur homosexuel) en pute. C’est à cause d’elle que ce dernier rejoint le monde de la pratique homosexuelle et de la prostitution. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la grand-mère est clairement une figure d’inversion (de la différence des sexes – par l’homosexualité – et de la différence des espaces – par la prostitution) pour le héros bisexuel (en plus d’être une idole : « Ah beh d’abord, y’a ma grand-mère que j’adore. ») : la grand-mère Babou traite son petit-fils Guillaume de « Pupute » au lieu de dire « Pupuce » parce qu’elle met inconsciemment des mots à la place des autres.

 

Souvent dans les fictions parlant d’homosexualité, la grand-mère a tout de l’actrice séductrice et de la mère maquerelle qui exerce une influence soi-disant « délicieusement mauvaise ». Elle a d’ailleurs un nom de maquerelle ou de prostituée : par exemple « Poulouloulasse » dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi.

 

La grand-mère est jumelle d’orientation sexuelle puisque son petit-fils sous-entend qu’elle est lesbienne, ou bien elle-même le lui avoue : cf. le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, le film « Sex Revelations » (2000) de Jane Anderson, Martha Coolidge, et Anne Heche, la pièce Quand les belles-mères s’emmêlent (2014) d’Olivier Schmidt, Yvette Leglaire, Cédric Portella et Martine Superstar, etc. Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Catherine S. Burroughs est une vieille bourgeoise lesbienne réunissant autour d’elle le tout Key West gay. Dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, la grand-mère de Max vit en collocation avec une autre vieille dame. Le copain de Max, Fred, lui demande tout de suite : « Elle est lesbienne ? » « Mais non » lui répond Max. Dans le film « La Comunidad » (2000) d’Alex de la Iglesia, Julia traite deux vieilles visiteuses d’appartement (potentielles acheteuses) de « momies lesbiennes » en leur imaginant des positions sexuelles en forme de ciseaux, tout ça pour les virer précipitamment de chez elle. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, la grand-mère de Tom, Marie-Anne, est une vieille bique au caractère bien trempé, qui est armée d’un fusil de chasse, une femme intraitable, très branchée internet, indépendante, qui danse la country, qui a eu une relation extra-conjugale pendant la Guerre. Graziella, le présentatrice-télé, la surnomme ironiquement « John Wayne », et conseille à son petit-fils de l’imiter : « Prends exemple sur ta grand-mère : un vrai bonhomme. » Elle a tout de l’homme machiste dans un corps de femme, donc symboliquement du gay. D’ailleurs, à la fin, elle est qualifiée (toujours par Graziella) de « cougar qui se tape un gigolo gay ».

 

Il est même possible, dans certains cas, que la grand-mère fictionnelle soit le nom caché de l’amant homosexuel du héros. Par exemple, dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand, le héros homosexuel, a une proximité corporelle amoureuse avec sa grand-mère : « Je lui ai léché les aisselles. » Et celle-ci a tout fait pour que son petit-fils soit homosexuel : « Je suis soulagé ! Enfin un pédé dans la famille ! On a repris espoir au moment où tu as commencé à te maquiller ! » Elle a l’air également lesbienne : « Auto-reverse ! Comme mamie ! »
 

Elle est le reflet spéculaire narcissique du sujet homosexuel, une projection fantasmatique. Un miroir plutôt dark, abyssal, même s’il apparaît rose aux yeux du petit-fils. « Je fais toujours un bon café. Comme grand-mère. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Dans la famille Mer [on entend « Mère »], je voudrais la grand-mère. » (Laure, la petite fille transgenre F to M s’adressant à son père pendant le Jeu des 7 familles, dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma) ; « On se ressemble. » (Laura, la grand-mère-copine à son petit-fils Romain, dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon,) ; « Qui se ressemble s’assemble ! » (la grand-mère d’Étienne, le héros homo du film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau ; « Ses beaux yeux sont fermés. J’ose pas demander qu’on les ouvre. Et je le regretterai après le trop-tard : c’était ses yeux que je voulais voir. » (le jeune narrateur regardant la grand-mère morte, dans le  roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 71) ; « Le professeur tempêtait toujours pendant que je regardais sur le palier ma grand-mère qui était perdue. Chaque personne est bien seule. Nous repartîmes vers la maison. » (le narrateur homosexuel apprenant que sa grand-mère est condamnée par la maladie, dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust) ; « Je passais prendre la bouillotte et embrasser grand-mère, que je surprenais souvent à moitié déshabillée, danseuse obèse et déchue, environnée de tout un Niagara de dentelles, de chairs gélatineuses qui moutonnaient à l’infini par la grâce du double reflet de l’armoire à glaces et de la psyché. Ces miroirs étaient le seul luxe en ce logis. » (le narrateur homosexuel décrivant sa grand-mère dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 12) ; etc. Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie, le héros homosexuel, et sa grand-mère s’imitent mutuellement : ils prennent la même position dans le bar.

 

Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, le héros homo, s’identifie totalement à sa grand-mère : il a un tableau d’elle chez lui, va se recueillir sur sa tombe, et en fait même l’héroïne féminine de son futur roman s’exprimant à la première personne du singulier, à l’image d’une jumelle narcissique : « Elle marche d’un pas régulier, calme et décidé à la fois. Elle regarde la vallée. Son village est minuscule vu d’ici. Elle décide de tout quitter : sa famille, son village, son pays. C’est agréable d’être seule. Pour la première fois de sa vie, elle est vraiment seule. Elle regarde les passants dans la rue. Leurs mouvements sont beaux. Brusquement, elle pleure. »

 

Cette grand-mère fictionnelle n’est pas la grand-mère biologique. Elle est plutôt un concept asexué, un androgyne venu de l’Espace ou du cinéma : « C’est fou ce que vous ressemblez à ma grand-mère maternelle… » (le jeune homosexuel Kevin de 17 ans s’adressant à Jenny le chanteur transsexuel M to F, dans la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte) ; « La fresque la plus imposante du lieu [le café Samothrace] représente la Grand-Mère. Elle est mise en scène de la manière la plus traditionnelle qui soit : assise, avec un lion à ses côtés. Son nom secret, dévoilé uniquement aux initiés, est Axieros et elle est la maîtresse toute puissante du monde sauvage. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 54) ; « Ange de ma grand’mère, ange de mon berceau, ne devinez-vous pas que je deviens oiseau ? » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane, (1924), p. 200) ; « Antoine avait rencontré Eva, mais l’affaire n’était pas conclue. Cette grand-mère à la campagne semblait être un obstacle majeur à la signature de leur contrat physique. Antoine se demanda quelle tête pouvait avoir la grand-mère, c’était peut-être un grand-père, un jeune grand-père, plus jeune que grand-père, même. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 190) Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Mémé Huguette n’est pas tellement une grand-mère, mais plutôt une caricature d’hyper-féminité massacrée et massacrante (elle se définit d’ailleurs comme une « sorcière »), une voix de la conscience qui surgit d’outre-tombe et passe de corps en corps (« N’oubliez jamais ça : En chacun de nous sommeille une mémé comme moi. »), l’Androgyne agressif et capricieux, le retour du refoulé (asexué et caractérisé par la violence) : « Je suis bisexuelle. Bisexuée. Je porte les deux sexes. J’ai été envoyée par des extra-terrestres. » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Oliver fait des massages à son jeune amant Elio, massages ésotériques au pied que lui a appris sa grand-mère. Elio lui parle aussi de sa grand-mère et la définit comme une « drôle de sorcière ».

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, Colette n’est pas la grand-mère de sang du héros homosexuel Jason, mais la grand-mère symbolique qui l’entraîne vers la frivolité : « De la superficialité, bon sang de bonsoir ! De la souplesse ! » (p. 462)

 

Dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust, la grand-mère du narrateur homosexuel perd toute matérialité. C’est à la fois une déesse et un monstre : « Et penchée sur le lit, les jambes fléchissantes, à demi agenouillée, comme si, à force d’humilité, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionné d’elle-même, elle inclinait vers ma grand-mère toute sa vie dans son visage comme, dans un ciboire qu’elle lui tendait, décoré en reliefs de fossettes et de plissements si passionnés, si désolés et si doux qu’on ne savait pas s’ils y étaient creusés par le ciseau d’un baiser, d’un sanglot ou d’un sourire. Ma grand-mère essayait, elle aussi, de tendre vers maman son visage. Il avait tellement changé que sans doute, si elle eût eu la force de sortir, on ne l’eût reconnue qu’à la plume de son chapeau. Ses traits, comme dans des séances de modelage, semblaient s’appliquer, dans un effort qui la détournait de tout le reste, à se conformer à certain modèle que nous ne connaissions pas. Ce travail de statuaire touchait à sa fin et, si la figure de ma grand’mère avait diminué, elle avait également durci. Les veines qui la traversaient semblaient celles, non pas d’un marbre, mais d’une pierre plus rugueuse. Toujours penchée en avant par la difficulté de respirer, en même temps que repliée sur elle-même par la fatigue, sa figure fruste, réduite, atrocement expressive, semblait, dans une sculpture primitive, presque préhistorique, la figure rude, violâtre, rousse, désespérée de quelque sauvage gardienne de tombeau. Mais toute l’œuvre n’était pas accomplie. Ensuite, il faudrait la briser, et puis, dans ce tombeau — qu’on avait si péniblement gardé, avec cette dure contraction — descendre. » ; « Quand, quelques heures après, j’entrai chez ma grand-mère, attachés à sa nuque, à ses tempes, à ses oreilles, les petits serpents noirs se tordaient dans sa chevelure ensanglantée, comme dans celle de Méduse. Mais dans son visage pâle et pacifié, entièrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeux d’autrefois (peut-être encore plus surchargés d’intelligence qu’ils n’étaient avant sa maladie, parce que, comme elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c’est à ses yeux seuls qu’elle confiait sa pensée, la pensée qui tantôt tient en nous une place immense, nous offrant des trésors insoupçonnés, tantôt semble réduite à rien, puis peut renaître comme par génération spontanée par quelques gouttes de sang qu’on tire), ses yeux, doux et liquides comme de l’huile, sur lesquels le feu rallumé qui brûlait éclairait devant la malade l’univers reconquis. Son calme n’était plus la sagesse du désespoir mais de l’espérance. Elle comprenait qu’elle allait mieux, voulait être prudente, ne pas remuer, et me fit seulement le don d’un beau sourire pour que je susse qu’elle se sentait mieux, et me pressa légèrement la main. » La grand-mère est la pâte à modeler à travers laquelle le narrateur peut exprimer sa créativité et ses fantasmes de mort : « Nous entrâmes dans la chambre. Courbée en demi-cercle sur le lit, un autre être que ma grand-mère, une espèce de bête qui se serait affublée de ses cheveux et couchée dans ses draps, haletait, geignait, de ses convulsions secouait les couvertures. Les paupières étaient closes et c’est parce qu’elles fermaient mal plutôt que parce qu’elles s’ouvraient qu’elle laissaient voir un coin de prunelle, voilé, chassieux, reflétant l’obscurité d’une vision organique et d’une souffrance interne. Toute cette agitation ne s’adressait pas à nous qu’elle ne voyait pas, ni ne connaissait. Mais si ce n’était plus qu’une bête qui remuait là, ma grand-mère où était-elle? On reconnaissait pourtant la forme de son nez, sans proportion maintenant avec le reste de la figure, mais au coin duquel un grain de beauté restait attaché, sa main qui écartait les couvertures d’un geste qui eût autrefois signifié que ces couvertures la gênaient et qui maintenant ne signifiait rien. » (chapitre premier)

 

Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel fait de sa grand-mère l’archétype universel de la féminité à la fois éternellement grandiose et monstrueuse, à détruire : « Mamie Suzanne : on en a tous une comme elle.[…] C’est mamie-gâteau, celle qui nous berçait avec des comptines. » Il a grandi au milieu des photos de sa grand-mère : « Toutes ses photos épinglées dans le salon ». Cette femme est en réalité la vedette médiatique : « J’étais speakerine dans les années 1950 à la télé. » C’est elle qui l’a initié à l’homosexualité : « Je crois que c’est elle qui a inventé le concept de cougar. » La mamie en question se voit confier par son petit-fils le zizi dont il ne veut plus : « Tiens ! Ton morceau ! » lui dit-il en ouvrant sa braguette. Le portrait de la matriarche se délabre pourtant très vite : Mamie Suzanne se montre agressive, alcoolique, humiliante. Elle a poussé son petit-fils dans l’eau d’un lac et a failli le noyer, quand il était petit. En riant méchamment, elle raconte qu’elle l’a fait également tomber lors d’une fête de famille, et qu’il s’est ouvert le menton. Jefferey finit par se venger de sa grand-mère adorée : « ‘Sacrée salope’. Ce qui me fait revenir à Mamie Suzanne ! » Au bout du compte, il sacralise le monstre : « Mamie Suzanne, elle restera toujours, elle vous fera chier jusqu’au bout. »
 

La grand-mère des fictions homo-érotiques est en général un costume de travelo à elle seule, un pass pour la transgression de la différence des générations, des espaces et des sexes via la réification, pour le déni de sa condition humaine : cf. la pièce Mon beau-père est une princesse (2014) de Didier Bénureau. « Regarde, maman ! Il [le Jésuite] allait se tirer avec les joyaux de la momie de grand-mère ! » (la Princesse s’adressant à sa mère la Reine, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Nos grand-mères se fardaient pour tâcher de causer brillamment. Dans ce temps-là le rouge et l’esprit allaient de pair. Mais que cela est loin de nous ! » (Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, p. 68) ; etc. Par exemple, dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011), Karine Dubernet imite sa grand-mère, Simone, une femme-tigresse avec une fourrure de panthère.

 

Il n’est pas rare que la mamie des créations homosexuelles soit une forme de cerbère à trois visages générationnels différents (la fille/la mère/la grand-mère), toutes des femmes violées puis prostituées : cf. le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Laurent imitant sa mère puis sa grand-mère), etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, on voit se succéder trois personnages féminins interprétés par le même comédien : d’abord la mère (prostituée au Bois de Boulogne), puis Mémé Huguette (d’extrême droite, islamophobe, réac’, anti-racailles, ancienne collabo pendant la Seconde Guerre mondiale, ultra catho… et prostituée !) et enfin Gwendoline (collégienne en classe de 6e, et déjà prostituée puisqu’elle se fait pénétrer et sodomiser avec plaisir dans des tournantes). Ce spectacle est l’étalage de trois schizophrénies. Même cas de figure avec le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, dans lequel Guillaume, le héros bisexuel, commence par imiter sa mère, puis sa grand-mère et ses tantes, puis les jeunes filles dans la piscine, pour se forger une identité postiche.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Finalement, la grand-mère conduit parfois son petit-fils homosexuel vers la mort. Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, on apprend que le frigo de « L. », le héros transgenre M to F, est un cadeau de son arrière-grand-mère, autrement dit une femme sans âge, d’outre-tombe.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

La grand-mère est LA grande DIVA de la communauté homosexuelle, la chouchoute toutes générations confondues : « Ta mémé, c’est notre reine. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 21) ; « La grand-mère qui m’a adopté. » (c.f. la chanson « L’Ossau » de Sébastien Delage) ; etc. Je pense par exemple aux grands-mères et arrière-grands-mères du présentateur Olivier Minne.

 

Beaucoup de personnes homos sont de bons p’tits fillots à leur mamie. À les entendre, c’est le grand Amour… « Lorsque ma grand-mère est morte, il y a 6 ans, j’ai eu le sentiment que je ne m’en consolerais jamais. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 27) ; « J’aimais une vieille dame de 63 ans qui sentait la verveine et le citron. Je l’adorais. Je dormais avec elle, je me blottissais contre elle dans le noir. Elle me disait souvent : ‘Prends la chaise, ma chérie, et grimpe jusqu’au tiroir du haut du bureau’ – et j’y trouvais quelque chose de bon. Un petit gâteau, ou parfois, pour mes délices, des kumquats. Mon premier amour fut ma grand-mère, que j’appelais Mommy. » (l’écrivaine lesbienne Carson McCullers, citée dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 27) ; « Quoiqu’il fût sexuellement attiré par les jeunes gens, sur le plan des émotions comme de l’intelligence, c’étaient les femmes plus âgées, belles et cultivées, souvent les mères de ses amours, qui le séduisaient. » (Gabriel Josipovici concernant Marcel Proust, « Jean-Yves Tadié », dans Magazine littéraire, n°350, Paris, janvier 1997, p. 29) ; « Ma famille maternelle est au courant parce que je suis très proche d’eux, ma mère, ma tante et ma grand mère qui sont définitivement les femmes de ma vie. » (Maxime, « Mister gay » de juillet 2014 pour la revue Têtu) ; « J’ai de ma grand-mère une photo où elle est debout, la main sur la poignée de portière d’une limousine : habillée ostensiblement en femme, avec manteau croisé à col de fourrure, chapeau incliné sur l’œil, gants, collier de perles ; et, sous la voilette, quel air autoritaire, méchant ! […] Son cœur était-il capable d’amour ? […] Pour la fête des Rois chez le couturier Paul Poiret, en 1923, il fallait se costumer. Maurice Sachs, dans son livre ‘Au temps du Bœuf sur le toit’, sorte de journal des Années folles, a fait la liste des invités, parmi lesquels Mme Fernandez, en Marie Stuart. Ce choix peut paraître étrange ; pour une battante comme ma grand-mère, prendre les traits d’une reine vaincue et décapitée ! » (Dominique Fernandez parlant de sa grand-mère paternelle, dans la biographie Ramon (2008), pp. 87-89 puis p. 93) ; « Je préfère qu’elle ne sache pas mon existence et qu’elle soit en vie, plutôt qu’elle meure sous le choc émotionnel. » (Iris, homme M to F, initialement appelé Gabriel, et cachant sa « transition » sexuelle à sa grand-mère, comme s’il était sa propre mamie et que c’était sa vie contre la sienne, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc. Par exemple, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, Catherine, une femme lesbienne de 32 ans parle de « sa grand-mère qu’elle adorait, qui était la mère de sa mère et qui l’avait un peu élevée. » (p. 106).

 

Film "Drôle de Félix" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Drôle de Félix » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Certaines ont grandi dans une ambiance de petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, entourés de leurs mères réelles mais surtout symboliques (les tantes, les cousines, les nourrices, les grands-mères, les sœurs, les voisines, les institutrices, les actrices, etc.). « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours aimé les vieilles dames. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 308) Par exemple, Marcel Proust, lorsqu’il dut remplir un questionnaire à l’école, écrivit ceci : « Mon plus grand malheur serait de ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère ». Il adorait sa grand-maman, une femme un peu fantasque et originale.

 

Quant au dramaturge homosexuel argentin Copi, il était très attaché à sa grand-mère maternelle (Salvadora Medina Onrubia). Une fois adulte, il passera ses dimanches à jouer à la canasta avec elle et ses amies de 80 ans. C’est elle qui lui donnera son surnom « Copi », d’ailleurs (à cause de la mèche de cheveux au sommet de sa tête : « copo » en espagnol signifie « flocon »).

 

Le couturier homosexuel Jean-Paul Gaultier porte aux nues sa grand-mère à qui il prétend tout devoir. Comme il était « plutôt rejeté » à l’école, il dit « qu’elle lui a donné confiance ». Chez sa grand-mère, il regardait la télé, s’émancipait et quittait l’enfer scolaire. Elle est devenue très vite sa Muse : « Elle a été le moteur. Elle était au centre. Ce que je faisais chez ma grand-mère, c’est la liberté. » (cf. le reportage au Journal Télévisé de la chaîne TF1, le 27 janvier 2014)

 

 

Pour ma part, j’ai très peu connu mes deux grands-mères, car elles sont toutes les deux mortes lorsque j’étais petit, et parce qu’elles étaient très éloignées géographiquement de moi (l’un était en Espagne, l’autre en Dordogne)… donc il va m’être difficile de partir dans une longue dissertation. L’image que j’en garde, ce sont celles de femmes fortes, inflexibles et acariâtres, que je n’ai vues que dans leur période où elles avaient été obligées, à cause de la vieillesse et de la maladie, de devenir des agneaux.

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la grand-mère est détruite autant que valorisée par les personnes homosexuelles : « La féminité outrancière d’une catégorie d’homosexuels – ceux qui se désignent eux-mêmes comme folles – met en scène la figure enviée mais détestée de la mère. » (Michel Schneider, Big Mother (2002), p. 247) ; « J’avais juste une envie de lui fracasser la tête contre le mur. » (Irène, une femme lesbienne de 65 ans jadis mariée avec un homme, parlant à sa vieille propriétaire homophobe, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « J’ai toujours kiffé les vieilles en fait ! Ma première best friend aurait 109 ans aujourd’hui… Elle est partie trop tôt malheureusement (94 ans). Du coup, je ronge mon frein avec la pisseuse Danielle Schwartz que je kif… Une vieille et un pédé ? Et pourquoi pas l’Élysée dans 3 ans ?!? » (David Forgit, sur Facebook le 21 avril 2019) ; etc. Par exemple, le chanteur Mika décrit sa mère comme une ensorceleuse qui obtient tout ce qu’elle veut, qui arrive toujours à ses fins, la reine de l’artifice (… avec des dentelles et les formes qui embrument le jugement). Il se prend pour elle : « Je deviens ma grand-mère. » (cf. émission du 16 avril 2016). Certaines personnes homosexuelles massacrent iconographiquement la grand-mère lors de leurs spectacles de travestis ou pendant des Gay Pride, pour prouver par leur acte iconoclaste que leur mamie est toute-puissante et immortelle (cf. le titre de la vidéo « Jean-Paul Gaultier déshabille sa grand-mère »).

 

BBjane Hudson

BBjane Hudson


 

Une grande partie des personnes homosexuelles ont des raisons de lui en vouloir. Elle les a gavées depuis toutes petites d’images son petit-fils d’images, de télé, de parures, d’objets, de gadgets, d’irréalité, d’illusions identitaires et amoureuses, et les maintient dans l’enfance, dans la douilletterie : « Ma grand-mère nous emmenait à l’Éden. Elle était passionnée de cinéma et connaissait le nom de tous les acteurs. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 34) ; « Mishima, lui, a été très tôt sous la tutelle d’une grand-mère tyrannique, malade, au caractère fantasque et baroque, violemment présente avec son goût prononcé pour la mise en scène et le théâtre kabuki. » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 12) ; « J’ai tellement insisté [pour aller voir le spectacle de magie de Fou Man Chou] que ma grand-mère a dû enfiler sa robe à volants, ses mitaines de dentelle, son petit chapeau et ses chaussures à talons. Nous avons pris le train. Pour moi, c’était comme si nous étions partis pour toujours. Légers, sans valise, à la gare centrale. Elle m’a acheté des bonbons. Comme ça, la panoplie nécessaire aux rêves était complète. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 150) ; « Ce spectacle de Fou Man Chou est resté inscrit dans ma mémoire, m’accompagnant toute ma vie, comme l’expression de l’esprit et de la bonté de ma grand-mère. » (idem, p. 151) ; « Tu n’étais pas contente de me voir pleurer, mais j’éprouvais une tendresse particulière pour la Princesse indienne de Patagonie. Le jour où on l’a fait prisonnière et où la sorcière de la tribu ennemie lui a arraché ses boucles d’oreilles, j’ai trouvé le monde injuste. J’aurais voulu pouvoir voler jusqu’à la Terre de Feu et la reprendre aux mains d’êtres aussi sauvages. Je sais : c’était un feuilleton radiophonique. Mais il me donnait un avant-goût des atrocités à venir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, op. cit., pp. 157-158) ; « Mamie Jeannine a divorcé lorsque mon père avait 3 ans. Elle a quitté son mari pour Jacques Larue, cet homme dont elle est tombée passionnément amoureuse. Mamie était d’une incroyable modernité ! À l’époque, ça ne se faisait pas de divorcer, ni de porter de pantalon, ou d’avoir les cheveux coupés court à la garçonne ! Mais mamie s’est toujours moquée du qu’en-dira-t-on. Elle était libre ! […] Avec mamie, on discute des heures, ‘on blague’, comme elle dit, et on rit. Des bavards invétérés ! Je l’ai convertie à la sitcom britannique hilarante ‘Absolutely Fabulous’. Une mamie branchée, croyez-moi ! D’une incroyable modernité. Parfois, on va au cinéma tous les deux. Je me souviens comme si c’était hier du jour où nous sommes allés ensemble au multiplex voir le film ‘Pourquoi pas moi’. Une comédie kitsch sur le coming out. […] Un nanar totalement oublié mais qui tient une place à part dans mon coeur tant il est lié à un moment crucial de ma vie. Mamie a adoré ! Évidemment, elle a tout compris, pas besoin de mettre des mots. Juste son regard, doux, malicieux et bienveillant, suffit à exprimer tout l’amour qu’elle me porte. Je sais qu’elle m’aime comme je suis. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, Éd. Broché, Paris, pp.36-39) ; etc.

 

La grand-mère est incestueuse, incarne le fantasme de viol (celle qui est violée ou/et qui viole) : « Je me sentais étouffer entre ma mère, mes sœurs, la voisine, l’amie de la famille qui était également notre professeur de piano, et ma grand-mère qui passait tous ses dimanches à la maison pour des après-midi de couture. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 29) ; « L’histoire dramatique de ses mère et grand-mère a déterminé beaucoup de choses dans la vie de Rosa Bonheur. D’abord la bâtardise. » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 213) ; « Enfant, je partageais ma chambre avec ma grand-mère maternelle. Une fois qu’elle avait marié ses quatre filles et son fils, elle s’était réfugiée chez nous. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 149) ; « C’est vrai, je suis un fantôme très sensuel. J’aime caresser les êtres chers. C’est vrai, j’aime caresser les jambes de mes filles, leurs seins. Je me permets même de caresser le sexe de mon fils. Un fantôme peut accéder aux désirs les profonds, n’est-ce pas ? » (la grand-mère d’Alfredo Arias s’adressant à son lui, op. cit., p. 164) Le petit-fils homosexuel a parfois été d’accord avec cet abus puisqu’il a consenti mollement à dormir dans le même lit qu’elle, à s’habiller comme elle, à être son substitut marital : « Je voudrais te demander pardon. Je sais que tu ne me pardonneras jamais. Tu me l’as dit à l’époque, très fermement. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Mon désir de perfection me hante. C’est désagréable, j’en conviens. En plus, je t’ai fait peur dans la pénombre de la chambre que nous partagions. Tu as ouvert les yeux. On pouvait lire ton étonnement. Mais ça me prenait comme ça, de me réveiller vers deux ou trois heures du matin, comme un somnambule. J’allais jusqu’à l’armoire où se trouvaient tes vêtements que je revêtais, à moitié endormi. » (Alfredo à sa grand-mère, op. cit., p. 160)

 

La grand-mère a quelquefois transformé son petit-fils (futur homosexuel) en pute : « Tu me rappelais souvent que le premier mot que j’aie prononcé était ‘pute’. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 164) C’est à cause d’elle que son petit-fils rejoint le monde de la pratique homosexuelle et de la prostitution : « Je t’avais demandé ce que voulait dire le mot ‘pute’. Tu m’avais expliqué que c’était une femme qui se donnait aux hommes contre de l’argent. Et sans que j’insiste, tu as voulu préciser ce que signifiait puto, pute au masculin. Tu m’as dit que c’était de cette façon qu’un homme allait par plaisir avec un homme, mais qu’il devait payer. Je t’ai demandé pourquoi. Tu m’as dit que ces hommes-là étaient généreux. Je ne comprenais toujours pas. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, op. cit., p. 161) ; « Là, tu donnais ta version de Carmen Miranda, la chanteuse brésilienne, si petite, si nerveuse. Tu l’imitais à la perfection. » (la grand-mère s’adressant à son petit-fils Alfredo, op. cit., p. 159).

 

Il arrive que certaines mamies de certains sujets homosexuels aient tout de l’actrice séductrice ou de la mère maquerelle qui exerce une influence soi-disant « délicieusement mauvaise » : « Ma grand-mère, un bon écrivain de théâtre, riait comme une folle quand je lui lisais mes pièces. Elle voyait en son petit-fils une méchanceté qui lui était propre […] une certaine méchanceté pour critiquer les autres. ». (cf. l’article « Entretien de Copi avec Michel Cressole : un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur », dans le journal Libération du 15 décembre 1987) Elle a même quelque chose d’antéchristique et du démon : « Votre grand-mère à des aptitudes similaires. » (Thierry Ardisson s’adressant à Nicolas Fraisse, magnétiseur homosexuel et capable de décorporation, dans l’émission Salut les terriens ! de la chaîne C8 diffusée le 25 mars 2017).

 

Ce sont les incarnations partielles de la « femme libérée », de la collabo, de la traîtresse par excellence : « J’ai repensé à cette femme étrange qu’était ma grand-mère. […] Sans doute n’avait-elle jamais oublié cette journée d’épouvante, les cris, les coups peut-être. Et les semaines qui suivirent, le temps que ses cheveux repoussent. […] Elle voulait être une femme libre, elle aimait sortir le soir, elle s’adonnait aux plaisirs, à la sexualité, elle passait d’un homme à l’autre, sans avoir trop l’intention de s’attacher, de se fixer bien longtemps. Ses enfants étaient sans doute pour elle un embarras, et la maternité un destin subi plutôt qu’un choix de vie. À l’époque, la contraception n’avait pas cours. Et l’avortement pouvait conduire en prison. Ce qui lui arriva d’ailleurs après la guerre : elle fut condamnée à une peine de prison pour avoir avorté. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 75)

 

Il est fort possible que certaines personnes homosexuelles aient été en contact avec ces matrones ancestrales malheureuses (ou trop bien installées) dans leur place de femmes mariées et de mères, voulant dompter les hommes pour se substituer à eux, ou bien cherchant à les castrer. Par exemple, le romancier homosexuel cubain Reinaldo Arenas était très proche de sa grand-mère qui faisait, selon lui, « pipi debout », et qui était « une sorcière ». Yukio Mishima, quant à lui, a subi le despotisme d’une grand-mère excentrique très exigeante, lui ayant prodigué une éducation particulièrement anxiogène.

 

Certaines grands-mères, même, prennent plaisir à homosexualiser leur petit-enfant pour se venger de leurs propres échecs amoureux ou mauvaises expériences de la différence des sexes. En ce moment, on voit fleurir çà et là dans les mass médias des femmes présentées comme des « Mamies Courage », qui encouragent leur petit-fils ou leur petite-fille sur la voie du coming out, du mariage gay, de « l’homoparentalité ». « S’il y a besoin d’une grand-mère pour ces enfants, je me porte volontaire. » (Kathy la mère de Veronica, la mère porteuse pour le couple homo Bruno/Christophe, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015)

 

 

Certaines fois, la grand-mère est carrément jumelle d’orientation sexuelle avec son petit-fils puisque ce dernier sous-entend qu’elle est lesbienne, ou bien elle-même le lui a révélé : cf. le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz. « Un jour, tu seras sur une île antique où les femmes ont été libres de s’aimer entre elles. » (la grand-mère s’adressant à son petit-fils Alfredo Arias, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997), p. 160) Par exemple, la grand-mère de Copi était lesbienne : « J’avais 16 ans quand elle est venue voir ma première pièce représentée, avec les meilleures comédiens argentins. Une des vieilles comédiennes avait été sa maîtresse. » (cf. l’article « Entretien de Copi avec Michel Cressole : un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur », dans le journal Libération du 15 décembre 1987) D’ailleurs, elle a écrit des pièces où « des lesbiennes trompent leurs maris dans les années 1920-40 ».

 

Thérèse, grand-mère lesbienne, dans le documentaire "Les Invisibles" de Sébastien Lifshitz

Thérèse, grand-mère lesbienne, dans le documentaire « Les Invisibles » de Sébastien Lifshitz


 

Néanmoins, avant que ce code ne fasse peur aux vraies grands-mères qui le parcourraient trop rapidement, il est important que vous lisiez ce qui suit. La grand-mère dont nous parlons dans ce Dictionnaire est davantage une construction mentale des personnes homosexuelles, le modèle-pantin que leur imaginaire déforme à loisir, que la grand-mère de sang : « C’est notre côté vieilles taties. » (une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « Il mettait très bien en scène les dames âgées. » (Jean Cocteau parlant de son amant Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain) ; etc. C’est pour cela qu’elle finit, avec le temps, par se transformer petit à petit, dans les discours et les représentations mentales, en sorcière diabolique ou en déesse immaculée : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pour la première fois après l’accident. Nous étions à notre porte, sur la terrasse. Elle est rentrée comme une folle dans le poulailler et, pour se venger de sa tragédie, elle a égorgé, une à une, toutes les poules qui essayaient de s’envoler avec terreur. J’ai compris l’absurdité d’avoir des ailes sans pouvoir voler. Elle a fini par saisir le coq qu’elle a achevé avec les dents. Un nuage laissa filtrer les rayons d’une lune grise qui illumina le terrible visage monstrueux, ensanglanté par le sang du coq. Quelque temps après, elle est repartie. Elle a disparu dans la nature. Peut-être a-t-elle cherché dans la jungle la compassion des bêtes […]. Ce poulailler devint ma scène : il avait été le décor d’une véritable tragédie, je pouvais donc l’habiter de mes fantaisies. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167) ; « Cette nuit j’ai fait un rêve : dans ma chambre je regardais un miroir et n’y voyais que ma tête ; j’avais sur la tête une coiffure féminine, quelque chose comme un chapeau ou plutôt un fichu, comme les vieilles femmes en portent à la maison, chez nous ; j’avais un visage rond, joli, qui me plaisait bien ; j’avais des cheveux sombres, mais mon visage n’était pas aussi passionné que celui de ma grand-mère. » (cf. le témoignage d’un homme homosexuel dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 437) ; etc.

 

La grand-mère dont il est question est en réalité le reflet spéculaire narcissique du sujet homosexuel, une projection fantasmatique, une moitié androgynique/schizophrénique. Un miroir plutôt dark, abyssal, même s’il apparaît rose aux yeux du petit-fils : « Sur le front de Slimane, il y a quatre rides. Au bout de son nez, il y a comme une petite fissure. Slimane dit que sa grand-mère Maryam a la même. » (Abdellah Taïa parlant de son ex-amant, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 104) ; « À côté des maisons anglaises construites par la compagnie des chemins de fer anglais, il y a longtemps, s’étendait une mare de pétrole noir ou d’huile noire, déchet de locomotives. Nous aimions nous en approcher ensemble, et nous contempler dans ce miroir noir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 156-157) ; « Ma grand-mère – et ça, ça fait partie de mon hérédité – à l’époque de la Commune, était communarde, bien sûr. Je rougierais d’avoir des parents qui n’étaient pas communards. Elle s’est fait flaquer une fessée à 15-16 ans par les Versaillais parce qu’elle avait crié ‘Vive la Commune !’. J’ai par conséquent dans mon sang une grisette qui s’était fait déculotter par les Versaillais parce qu’elle avait crié ‘Vive la Commune !’. Et ça j’y tiens ! Et elle vit en moi ! » (Jean-Louis Bory parlant de son insoumise grand-mère au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Grand-mère Gay Pride

Grand-mère Gay Pride


 

La grand-mère est en général un costume de travelo à elle seule, un pass pour la transgression de la différence des générations, des espaces et des sexes via la réification, pour le déni de sa condition humaine : « Elle est une synthèse de toutes les stars vieillissantes. » (Jean-Philippe, travesti M to F, concernant son personnage de Charlène Duval, cité par David Lelait, « Charlène Duval », sur le site www.e-llico.com, consulté en juillet 2005) Elle est un rôle plus qu’une réalité. Elle est un fantasme et un désir homosexuel/hétérosexuel plus qu’un être de chair et de sang. Par exemple, le fameux transformiste Michou fut élevé par sa grand-mère Élise, avec qui il a une relation très forte ; il donnera sa vie aux personnes âgées de l’arrondissement de Montmartre et passe son temps à les imiter/détruire « tendrement » (cf. le journal Direct Matin, n°904, le 17 juin 2011, p. 12).

 

 

Là où on rigole un peu moins, c’est que cette grand-mère (un peu réelle mais surtout cinématographique et fantasmatique) conduit parfois son petit-fils homosexuel vers la mort (une mort au moins psychique et désirante dans un premier temps) : « Dans un rêve ancien, ma grand-mère me plongeait un poignard dans le cœur. Le sang coulait à flots, je criai si fort que je me réveillai. » (cf. le témoignage d’un homme bisexuel dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 440) ; « Slimane aime sa mère, bien sûr. Mais sa grand-mère, il la vénère. Celui lui pose problème encore. » (Abdellah Taïa parlant de son ex-amant, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 105)

 
 

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Code n°84 – Haine de la beauté (sous-code : Beauté du diable)

haine de la beauté

Haine de la beauté

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

 

Victimes de la beauté plastique et corporelle

donc fatalement ennemies

de la Beauté plus profonde

 
 

On entend souvent dire que les personnes homosexuelles auraient une sensibilité particulière pour l’art, une acuité plus accrue pour créer et apprécier la Beauté que n’importe qui. Elles seraient nées esthètes (mélomanes, épicuriennes, stylistes, etc.) sans le vouloir, comme par magie ! Cette idée reçue a la peau dure, et me semble en réalité un énorme canular que la société a orchestré pour les asservir tout en les flattant démagogiquement, et pour les réduire au silence à propos des violences qu’elle leur a infligées. Un « Va dessiner » qui résonne comme un souriant « Dégage ». Ce n’est pas parce qu’on adore la Beauté qu’on L’aime, et qu’on ne La dénature pas/détruit pas. L’idolâtrie cache toujours une haine jalouse. Et les personnes homosexuelles, parce qu’elles ont voulu/veulent posséder la Beauté comme un objet avec lequel elles pourraient magiquement fusionner afin de s’oublier elles-mêmes, n’ont pas une relation chaste à Celle-ci. Leur manque de distance par rapport à la Beauté (se) traduit en général (par) la création de kitsch et de camp (des arts de mauvaise qualité, il faut le dire), et par la croyance de la toute-puissance de la mort, de la méchanceté, et de l’artifice.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Différences physiques », « Maquillage », « Pygmalion », « Reine », « Amant diabolique », « Scatologie », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Adeptes des pratiques SM », « Actrice-traîtresse », « Homosexualité noire et glorieuse », « Se prendre pour le diable », « Défense du tyran », « Femme fellinienne géante et pantin », « Artiste raté », à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », à la partie « Vomi » du code « Obèses anorexiques », et la partie « Kitsch » du code « Fan de feuilletons », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

La passion destructrice pour la Beauté

HAINE 1 Bête

Film « La Belle et la Bête » de Jean Cocteau


 

Il est difficile d’expliquer pourquoi bon nombre de personnes homosexuelles, connues pour être les rois des esthètes, sont attirées par le bas de gamme kitsch, l’idiotie, et le laid. L’une des raisons que j’invoquerai, c’est leur rapport fanatique à la Beauté. Dans leurs rêves asexués, parce qu’elles ne se sont fiées qu’à un certain type de beauté (la moins intéressante, la plus évidente et superficielle, à savoir la beauté plastique défendue par les magazines de mode), pour délaisser la vraie Beauté (la Beauté grave de la Croix et de la Résurrection), elles s’imaginent naïvement que le beau est forcément bon, innocent, et tout-puissant. Elles confondent l’esthétique avec l’éthique au point qu’elles se disent qu’elles aiment d’amour ce qu’elles trouvent visuellement beau.

 

Mais un beau jour, pendant qu’elles berçaient la Beauté en orgueilleuses mamans, elles ont découvert avec amertume le divorce parfois possible entre esthétique et éthique : ce qui est beau peut aussi faire le mal ; leur actrice hollywoodienne a desservi les systèmes politiques les plus abjectes ; et la vraie Beauté, parce qu’Elle aiment tous les Hommes et qu’Elle se laisse toucher, a consenti à se rendre potentiellement faible et instrumentalisable. Et ça, elles ne l’ont pas digéré : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. […] Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié ! » (le début du roman Une Saison en enfer (1869-1872) d’Arthur Rimbaud)

 

Depuis, certaines fuient la beauté comme la peste. « La beauté est trop amère, je suis un homme blessé » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 71). Finalement, elles reprochent à la Beauté d’être belle, forte et fragile à la fois, foncièrement bonne, et de n’être que cela. Parfois, elles regrettent qu’Elle ne se laisse pas dénaturer, même si Elle se laisse exploiter. Elles la voudraient objet magique soumis à leur volonté, instrument de pouvoir et de séduction, bijou qu’elles pourraient conserver dans leurs coffres, ou engendrer par l’art.

 

Paradoxalement, à la conviction qu’elles peuvent prendre la Beauté dans leurs mains et La créer elles-mêmes, va se superposer, du fait de leur échec, la conviction que la Beauté n’existe pas ou qu’Elle est inaccessible, inintelligible, diabolique, laide, dangereuse. Elles se vengent de leur propre naïveté en mêlant les extrêmes esthétiques, le très beau et le très laid. Comme Sylvano Bussotti, Hervé Guibert, Manuel Puig, et bien d’autres, elles passent insensiblement de la scatologie au raffinement glamour, du conte enfantin au gore. Le chœur des sorcières shakespearien dans Macbeth (1606) énonce le curieux credo esthético-éthique de la communauté homosexuelle : « Le hideux est beau, le beau est hideux. » Fini la beauté fade ! Maintenant, c’est la fascination pour la laideur, la monstruosité, la vieillesse ou la méchanceté qui gagne à leurs yeux une relative dignité, qui se pare de lucidité.

 

Tandis qu’elles continuent de croire que « tout est beau » (Andy Warhol, cité sur le site http://www.st-ambroise.org) avec des cœurs dans les yeux, certaines personnes homosexuelles établissent une frontière étanche entre beauté et bonté, et se servent de l’excuse de l’art pour instaurer un lien entre Beauté, Amour et mort. Elles vont ainsi trouver particulièrement belle non pas la mort en elle-même mais la représentation de la mort, la mise en scène du risque (notamment à travers la corrida, la boxe, le cirque, l’art gothique). Elles partent du principe que la Beauté est quelque chose qui ne durera jamais, que c’est la mort qu’elles admirent en Elle. Elles se passionnent, comme Luis Cernuda, pour « la splendeur de la fugacité et la beauté éphémère ». Elles croient que seule l’irruption subite de la mort dans la beauté arrivera à concilier la Réalité et leurs désirs.

 

C’est pourquoi elles peuvent trouver le mal beau. Elles sont esthétiquement attirées par les méchantes de dessins animés (Vampirella ou Cruella fait l’unanimité quand il s’agit pour certaines de se déguiser à l’occasion d’un bal masqué ou d’Halloween). Cette attraction pour la « beauté du diable » n’est pas très évidente à expliquer – en effet, comment peut-on fêter la Beauté par sa presque-négation ? –, mais force est de constater qu’elle est une réalité de leur désir. L’Homme qui amalgame l’éthique avec l’esthétique, et surtout qui fait passer l’esthétique avant l’éthique – alors que pourtant, l’esthétique obéit à l’éthique, comme la beauté obéit à la Réalité –, ne fait attention qu’à ce qu’il veut en oubliant la manière dont il le veut, est tenté de faire de l’échelle de ses désirs (j’aime/j’aime pas) son échelle de valeurs (c’est bien/c’est mal) ou de goûts (c’est beau/c’est laid). Et il souffre de placer ses désirs avant ce qu’il sait bien ou mal, de cette désunion entre ce qu’il veut et ce qu’il est, ce qu’il voit « beau » et ce qui devrait être dans l’idéal. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’une éthique humaniste préside à sa passion pour la beauté et pour la laideur. Tout ce qu’il produit, même de laid, il le fait au nom de la beauté (donc pour lui de l’amour !). La destruction de la beauté, venant de certaines personnes homosexuelles, n’est par conséquent pas sciemment exécutée : en aucun cas elle ne doit être rangée du côté de la perversion morale.

 
 

Le désir de mort décliné en goût de la merde : le kitsch et le camp « queer »

Pour une majorité de sujets homosexuels (mais on pourrait dire de même pour leurs alter-ego hétérosexuels), la merde, c’est un peu comme la madeleine de Proust : un fétiche du désir. La scatologie et le goût de la pisse s’étalent dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques, et concernent également la personne homosexuelle lambda, même si celle-ci préfère les attribuer uniquement aux artistes étiquetés « atypiques » ou aux soi-disant « détraqués du ‘milieu’ » (cf. je développe beaucoup plus le thème dans le code « Scatologie » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Sans aller jusqu’à ces extrêmes, et quand leur esprit romantique impose la décence et le refus de la saleté, certaines personnes homosexuelles en restent généralement à la frontière du fantasme de merde légèrement actualisé (humour « pipi caca » ou « en-dessous de la ceinture », saleté couplée paradoxalement à une scrupuleuse coquetterie, focalisation sur le sexe, grossièreté langagière, etc.).

 

La régression au stade anal, bien avant de mériter d’être jugée odieuse ou gamine, doit à mon avis être comprise comme une difficulté d’avoir un corps « propre », au double sens du terme : non sale et à soi. Il existe dans l’usage de la scatologie une revendication légitime du droit à reconnaître les merdes de l’existence. Certaines personnes homosexuelles demandent en effet à la société sur-protectrice qui les a gavées pourquoi, depuis leur enfance, elle leur a barré l’accès à la merde (laideur, difformités, mort, privations, risques, efforts, combats, interdits, rappel des limites et des manques, etc.), celui qui leur aurait permis de comprendre que la Vie est plus forte que la mort. Arrivées à l’âge adulte, leur quête de la merde se fait alors plus autoritaire… et s’exprime parfois radicalement par le désir de la produire elles-mêmes et de la goûter ! Elles désirent montrer la merde qui se cache derrière le maquillage social (c’est pourquoi elles présentent souvent la blancheur comme perdue ou trompeuse), signaler que ce maquillage est lui-même de la merde, ou que la merde proprement dite n’est pas plus méprisable que celui-ci puisqu’elle peut embellir et dissimuler une réalité sociale jugée insupportable.

 

Pour dire une sexualité insatisfaisante et un rapport au monde décorporalisé, beaucoup de personnes homosexuelles élaborent une esthétique du mauvais goût appelée « kitsch ». Ce dernier procède de ce que j’appellerai un « baroque narcissique ». Bon nombre d’artistes homosexuels actuels ont tendance à se revendiquer du baroque pour conspuer le classicisme qu’ils jugent « mauvais » et d’arrière-garde. Ils s’éloignent à mon avis du vrai baroque, le « baroque humaniste », celui du métissage universel, prôné par Alejo Carpentier. Le baroque humaniste, contrairement au baroque narcissique, n’est pas un courant artistique créé pour s’opposer au classicisme et instaurer une élite néo-baroque, mais bien une maison universelle censée abriter aussi les soi-disant auteurs « classiques » : « Le baroque doit se voir comme une constante humaine. » (Alejo Carpentier, Razón De Ser (1980), pp. 38-65)

 

Le kitsch fait partie du baroque narcissique étant donné qu’il mêle l’amour du beau et de la merde, de la démocratie et du totalitarisme. Tous les régimes politiques, religieux, artistiques, qui jadis se sont caractérisés par leur volonté de détruire l’Homme et sa liberté, en sont les plus gros producteurs. Comme le souligne José Amícola dans son essai Manuel Puig Y La Tela De Araña Que Atrapa Al Lector (1992), « le kitsch relie tous les éléments les plus réactionnaires sous une forme artistique » (p. 127).

 

Nos sociétés actuelles attribuent à cet art « tape-à-l’œil » ou « pacotille » une légèreté qu’il n’a pourtant pas, puisque le kitsch est l’attrait pour le maquillage des systèmes despotiques. S’appuyant généralement sur le folklore et le divertissement bon marché pour amortir sa réelle violence, il est le vernis esthétique appliqué par les dictatures quand celles-ci cherchent à occulter l’absence totale de culture. Milan Kundera lui a probablement donné la meilleure définition qui soit : « Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde. […] Il est un paravent qui dissimule la mort. » (Milan Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être (1984), pp. 357-367) Les défenseurs du kitsch se proposent de sauver ce qui est destiné à la poubelle, à la fois pour dire que tout est artistique et que rien ne l’est si l’élite bourgeoise qui définit le bon du mauvais goût ne décide pas d’y investir son argent et son idéal de vie.

 

La différence entre le kitsch et l’art de qualité a l’air très mince. Sur la photo instantanée, ils semblent quasiment identiques. C’est sur la durée que le kitsch jaunit, car il privilégie l’image (autrement dit l’intention) à la Réalité. Le kitsch surgit de ce qui est humain et du regard amer que portent les Hommes sur leurs propres actes (pensez aux réactions que nous pouvons parfois avoir face aux photos de mariés exposées dans les magasins des photographes, condamnées au kitsch ou sauvées de lui selon notre clémence et notre paix intérieure). Tout est kitsch. On pourrait même dire qu’il y a du « kitsch presque objectif », selon la formule de l’éminent Jean-François Frackowiak, celui qui touche à la naïveté, à l’innocence touchante, à la bonté : il suscitera parfois le même rejet que les « bons sentiments ». Mais une chose devient « plus kitsch que les autres » quand l’Homme rentre à l’excès dans le paraître, le narcissisme, ou la jalousie.

 

Le kitsch est étroitement lié à la haine de la contrefaçon matérialiste, exprimée paradoxalement par un surinvestissement dans le paraître. En ce sens, « les filles et les garçons sans contrefaçon », autrement dit les personnes homosexuelles, méritent tout à fait leur titre d’« enfants du kitsch ». Ce n’est pas sans raison que Severo Sarduy allie homosexualité et kitsch quand il qualifie le mouvement artistique néo-baroque de « kitsch, camp et gay ». On retrouve le kitsch dans la naïveté paradisiaque des photos-peintures de Pierre et Gilles, dans l’accoutrement outrancier de Marianne James en cantatrice allemande, chez les artistes du Pop Art, dans les décors psychédéliques de Pedro Almodóvar, dans le dépouillement grunge et misanthrope du bobo underground, dans les « mises en scène-masturbation-intellectuelle » de Marcial Di Fonzo Bo, ou bien encore dans l’esthétique de Jean-Paul Gaultier. Les personnes homosexuelles sont souvent des grands amateurs de cet épate-bourgeois facile qu’est le kitsch. Arthur Rimbaud, par exemple, avoue sa passion pour les « peintures idiotes » et les « refrains niais » ; Paul Verlaine revendique les « images d’un sou » et les bibelots d’une culture de masse en désuétude (Daniel Grojnowski, « Sentes buissonnières », dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 45). Beaucoup de sujets homosexuels se désignent eux-mêmes comme des consommateurs incultes, des « enfants gâtés du capitalisme » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 114), des « dandys déliquescents » (Jérôme Dahan dans la revue Platine, n°11, avril/mai 1994, p. 13) assumant avec fierté des goûts minables qui n’iraient pas avec leur rang. Leurs personnages (et parfois eux-mêmes) regardent les mauvais feuilletons de début d’après-midi pour mamies-gâteau, adulent les chanteurs-paillettes, et se montrent assez peu cultivés derrière leurs faux airs de premiers de la classe. Leurs goûts oscillent entre les extrêmes : elles peuvent aimer à la fois la mauvaise variet’ musicale et l’opéra classique, se forcer à consommer ce qui leur est présenté comme « de qualité » ou de se laisser aller à apprécier de la merde commerciale. Dans les deux cas, c’est souvent le paraître qui l’emporte sur le goût. Le kitsch attire l’œil et lui seulement, alors que l’art se prétend plus cérébral et veut aussi parler davantage au cœur.

 

Incroyable mais pourtant vrai : ce qui plaît à beaucoup de personnes homosexuelles dans la culture camelote, c’est (excusez l’expression, mais je n’ai pas d’autres mots) qu’on les prend pour des connes. Elles se rendent compte de l’hypocrisie sadique et souriante des médias ou du monde bourgeois, mais elles aiment ce culot-là. Il les fascine et les attire : on ose « se foutre de la gueule » de personnes aussi intelligentes et importantes qu’elles, apparemment en toute innocence, dans l’indifférence générale… et elles trouvent cela scotchant ! Elles développent une réelle passion pour la nullité, pour la bêtise télévisuelle, mais pas n’importe laquelle : la bêtise très sincère, qui se prend au sérieux, qui n’a pas conscience d’elle-même, qui est énoncée par la bimbo blonde ou la bourgeoise ultra-sophistiquée qui souhaitent réellement le bonheur de l’Humanité tout entière (et des bébés phoques !). Qui, je vous le demande, a bien pu favoriser le surprenant come-back de Chantal Goya dans les années 1990 ? Qui attaque et défend encore les stars oubliées, si ce n’est la communauté homosexuelle ? Il s’agit de renverser certaines valeurs en remettant à la mode ce qui a été effacé. Ce n’est pas compliqué : à partir du moment où en apparence et à l’image on leur veut du bien, les personnes homosexuelles adorent qu’on les berce d’hypocrisie, qu’on leur fasse avaler des couleuvres qu’elles engloutissent volontairement pour montrer à l’infantilisation qui elle est, qu’on les traite comme des débiles ou des gamins qu’elles ne sont plus. Car elles prennent un malin plaisir à contenter ceux qu’elles détestent, en pensant se venger d’eux en leur obéissant exagérément.

 

Certes, elles adorent qu’on les prenne pour des connes, mais attention : elles seules se donnent le droit de l’avouer. En règle générale, elles gardent le secret sur leur passion. La dévoiler reviendrait à montrer au grand jour leur goût secret pour la soumission et l’infantilisation, et donc leur retirerait tout le prestige d’avoir été les seules à avoir su déceler le « second degré » du totalitarisme, ou le « bon goût du mauvais goût ».

 

Ne nous trompons pas. Le kitsch homosexuel n’est pas uniquement réductible au folklore Gay Pride, ni même à la surcharge que nous observons dans l’appartement d’un Renato de Cage aux Folles : il peut être au contraire assez minimaliste et dépouillé. C’est alors l’excès de dépouillement qui évoque le charme ronflant du kitsch. Le rapport de distance des personnes homosexuelles avec le kitsch oscille entre proximité et rupture absolues. En général, elles aiment que leurs goûts de daube ne soient pas pris totalement au sérieux, que leur fausse distance par rapport à leur attrait pour la merde et le totalitarisme culturel soit tenue secrète. Elles vont alors se construire un écran cynique à leur passion du kitsch, appelé « camp ».

 

Ce courant « artistique » découle naturellement du rose du kitsch : il n’est que sa face cachée, noire et agressive. On compte beaucoup de représentants du camp parmi les personnes homosexuelles. Ceux-ci rêveraient que la frontière entre le kitsch et le camp soit infinie. En réalité, elle est dérisoire : ce sont encore une fois les deux marionnettes d’une même conscience qui simulent le duel, car finalement, le kitsch et le camp se rejoignent totalement dans les extrêmes, dans l’inversion.

 

La distinction entre eux serait d’abord chronologique : le camp est historiquement un néo-kitsch apparu dans les années 1960. Par ailleurs, le kitsch et le camp divergeraient quant à l’intention : le camp constituerait une forme de kitsch consciemment produit (contrairement au kitsch qui serait « naïf », « populaire », « bête », « commercial »), un « kitsch second degré », ou plus radicalement un « anti-kitsch ». La différence se ferait aussi dans la thématique : le camp se vengerait du kitsch par un goût de la laideur davantage marqué (pornographie, scatologie, films d’épouvante, drogues, apolitisme ou militantisme anti-« système », nihilisme seventies, etc.), un irrespect systématique pour tout ce qui est commun, un rejet de la naïveté, un humour beaucoup plus trash et décalé, ou une totale « neutralité ». En ce sens, un homme tel que Frédéric Sanchez, qui s’habille « classique », en noir, pour ne pas rentrer dans les « clichés homos », qui affirme haut et fort que « ni Sheila ni Dalida ne donneront de la voix dans son mange-disque », qu’« il déteste le kitsch » et qu’il est un « anti-DJay » (cf. l’article « Frédéric Sanchez, Illustrateur sonore », sur le site www.e-llico.com, consulté en juin 2005), est le prototype de l’Homme camp, donc kitsch, car l’anti-kitsch est aussi une attitude kitsch. « L’essence du Camp, c’est ça, non ? Ridiculiser, essayer de détruire quelque chose qu’on aime, pour démontrer que c’est indestructible » fait remarquer à juste raison Emir Rodríguez Monegal (dans son article « El Folletín Rescatado, Entrevista A Manuel Puig » (1972), Revista De La Universidad de México, vol. XXVII, n°2, octobre 1975, pp. 25-35). Rien n’est totalement kitsch en soi, et tout est fatalement kitsch puisque tout ce qui est humain est kitsch. Se révolter contre l’humain, c’est être à nouveau humain. Le camp est contre lui-même et contre le kitsch, c’est-à-dire qu’il se nie et s’adore. Il gomme ses origines, fait un « kitsch du kitsch » en croyant s’en éloigner, croit qu’il ne copie pas parce que précisément il copie dans l’inversion. Voilà son paradoxe. La meilleure façon d’échapper au kitsch totalitaire, c’est finalement de ne pas le fuir à tout prix, de tolérer d’être un peu kitsch par la force des choses, non parce que nous l’aurions désiré mais à cause de notre (amour de la) condition humaine. Sinon, nous nous condamnons à y retomber sous une forme plus masquée en créant un kitsch ironiquement intentionné, totalitaire en somme.

 

Ce n’est pas par hasard que le monde intellectuel voit en général le kitsch et le camp comme des sous-genres artistiques gémellaires puisque ces derniers sont une atteinte à l’intelligence humaine alors qu’ils se prétendent justement « géniaux de subtilité (ou de nullité) », l’un par le rêve sucré, l’autre par l’horreur gore. La dictature du camp est celle qui se place en grande ordonnatrice du bon et du mauvais goût. Ses promoteurs homosexuels pensent qu’ils peuvent se permettre, parce qu’ils possèdent à eux seuls la définition du bon goût, de franchir de temps en temps la frontière d’un mauvais goût qui auraient aussi la saveur d’un inédit et transcendant « bon goût » réservé à leur élite bobo. Pour eux, il y a un « mauvais ‘mauvais goût’ » et un bon « mauvais goût » (le « mauvais goût sain » comme dirait le Prétextat Tach d’Amélie Nothomb, dans le roman Hygiène de l’assassin, 1992) dont eux seuls connaîtraient la recette.

 

Du coup, ils ne voient pas qu’ils font de la merde à force de dire qu’ils la font. Ils se présentent comme des artistes d’avant-garde, ceux qui « sentent » le beau dans la laideur, qui trouvent, à l’image des décadents de la fin du XIXe siècle, la rédemption dans la médiocrité. Ils se plaisent à croire – sûrement parce que la société les y a aidé – que les personnes homosexuelles sont de grands créateurs. D’un point de vue uniquement quantitatif, c’est indéniable. Mais qualitativement, il y a de quoi nuancer… (cf. je vous renvoie au code « Artiste raté » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels)

 

Les personnes homosexuelles, comme tout être humain, ont à apprendre à aimer la Beauté et à découvrir qu’Elle les aime. Car elles ne L’aiment pas assez, c’est une évidence !

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La beauté plastique désincarnée, élue déesse innocente et toute-puissante de la communauté homosexuelle :

 
 

À force d’étudier des œuvres de fictions traitant d’homosexualité, on constate très vite qu’il existe un antécédent lourd entre Beauté et homosexualité (cf. le roman Marcos, Amador De La Belleza (1913) d’Alberto Nin Frías, le film « Une Grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, le film « The Pretty Boys » (2011) d’Everett Lewis, le film « O Beautiful » (2002) d’Alan Brown, le roman Toutes les filles son belles à vingt ans (2014) d’Andromak, le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald, etc.). La Beauté est le lieu d’une blessure secrète… la blessure de l’idolâtrie. Beaucoup de héros homosexuels semblent obnubilés par la Beauté : « Je vous avais dit : j’aime le beau et je mourrai beau. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Manifestement, il a tout pour lui : beau, intelligent. » (Guillaume, le héros homosexuel, par rapport à Grégory le petit copain de Gérard, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Il est beau. » (Elio parlant d’Oliver, son amant, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; « Le cœur de l’homme est touché par la beauté, si infime soit-elle, de la taille d’une fourmi ou d’une araignée. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 259) ; « Et oui, Dieu était une femme… allez y touchez, touchez… Je comprends, vous êtes impressionnés… Moi, aussi, à chaque fois que je me regarde dans une glace… Ça me fait pareil… C’est tellement beau. J’comprends que vous ayez tous les yeux fixés sur moi. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 22) ; etc. Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, c’est grâce à l’adjectif « guapa » (« belle » en espagnol) que Mariela devine l’homosexualité de son mari Miguel. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, l’un des personnages homosexuels, a scotché, pendant son adolescence, sur un beau garçon ; et, les yeux fixés dans le vide, comme ensorcelé, il n’arrive pas à se défaire de son souvenir : « Il est absolument beau. » Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel insiste pour que ses neveux soient des tops models : « On a envie que nos neveux soient cultivés. Et surtout beaux. Oui, c’est très important pour nous, les gays. »

 

Certains personnages homosexuels sont d’ailleurs connus pour être les incarnations vivantes de la beauté (cf. je vous renvoie au code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), et donnent aux homosexuels la réputation d’être les hommes les plus beaux de la Terre : « Déjà que vous nous piquez tous les beaux mecs, laissez-moi au moins notre intuition ! » (Alice à son meilleur ami homo Fred, dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) ; « Je veux être beau. Je veux qu’on me désire et que tout le monde ait envie de coucher avec moi. » (Pierre, le héros homosexuel de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Salut ma beauté ! » (Ninon, la lesbienne claquant la bise à son pote homo Guen, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc. Par exemple, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Martin, « l’homo » présumé, a la réputation d’être beau. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo raconte à son amant Rémi une métaphore de leur couple : celle d’un canard jaune (Rémi), plus beau que les autres, qui tombe amoureux d’un lézard (lui, en l’occurrence), et ensemble ils font du trempoline pour sauter jusqu’aux étoiles. D’ailleurs, Léo présente Rémi comme un garçon qui se distingue par sa beauté : « Toi, t’es jaune, mais beaucoup plus beau que les autres. »

 

Mais de quelle beauté/Beauté parle-t-on au juste ? Celle avec un petit « b » (la beauté visuelle, plastique, réifiée, esthétique, inconsciente, présentée comme immortelle, mais qui est figée, éphémère et mortelle) ou celle avec un grand « B » (la Beauté intérieure, éternelle, libre, consciente d’Elle-même, résurrectionnelle, celle qui comprend et dépasse la mort, la vieillesse, la maladie, la haine) ? Il semblerait que le héros homosexuel les ait fait fusionner au profit de la « petite » beauté… même si, en intentions, c’est moins clair. En général, il choisit le camp de la beauté plastique et superficielle : « Moi qui suis chrétien, je trouve ça beau d’aimer les corps : ‘aimer la chair, c’est aimer l’Homme’. » (Chris parlant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 127) ; « Je choisissais les plus beaux et vivais une intense aventure de dix secondes avec chacun. » (le narrateur homo parlant du jeu des regards à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; « À 18 ans, j’allais me faire des soins en institut de beauté. » (le protagoniste homosexuel dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (le narrateur homo de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 22) ; « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 81) ; « Il rêvait d’être un acteur célèbre, adulé. Il se voyait beau comme Matt Damon, Brad Pitt ou Johnny Depp, s’imaginant baraqué, avec des jambes hypermusclées qui lui permettraient de bondir et de courir après des bandits pour les arrêter. Il remporterait un oscar ou deux, ferait la une de tous les journaux et serait poursuivi par des paparazzis. Il voulait tant qu’on l’aime… » (Marcel, l’un des héros homos du roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 18)

 

Très souvent dans les fictions, la Beauté est associée à l’innocence absolue, tellement absolue qu’Elle ne laisserait plus de place à la conscience, à la liberté humaine, et finalement au désir : « La vraie beauté n’en a jamais conscience. » (cf. la chanson « Vis-à-vis » d’Étienne Daho) ; « Tu sais pas encore que t’es vraiment beau. Ça te rend si séduisant. » (Jacques, le héros homosexuel quinquagénaire s’adressant à son jeune amant Mathan de 19 ans, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Les privilèges de la beauté sont immenses. Elle agit même sur ceux qui ne la constatent pas. » (Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Sa beauté indiscutable se passait de l’intelligence. L’élégance avec laquelle elle portait un corsage entièrement brodé de diamants sous une hermine et une toque en plumes d’oiseau de paradis pour monter les escaliers de l’Opéra, la faisait paraître d’un naturel parfait chez les figurants de la jet society. » (cf. la description de María-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 32) ; « Ralph était merveilleusement beau, et la parfaite beauté physique a souvent l’étrange effet de spiritualiser la passion qu’elle inspire. » (Ramon Fernandez, Philippe Sauveur, 1924) ; etc. Par exemple dans le roman L’Amour en relief (1982) de Guy Hocquenghem, la Beauté est figurée par un jeune Tunisien aveugle qui ne devine rien de la grâce qu’il dégage. Même scénario avec le personnage de Rob, l’homosexuel aveugle à l’intrigant et innocent éclat, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, ou encore avec le personnage de Léo dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro.

 

À entendre le héros homosexuel idolâtre et esthète, la « Beauté » serait inviolable, intouchable, à l’abri de la critique, toute-puissante, virginale, incapable d’être dénaturée par l’Homme. Elle serait la Présence céleste descendue Elle-même sur certains objets « artistiques » ! « La Beauté est une des formes du Génie. Que dis-je? Elle surpasse même le Génie, n’ayant pas comme lui à se démontrer. » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, p. 41) ; « Que la beauté soit toujours dans nos vies.» (Romeo détournant l’écriteau « Que la beauté vive en cette demeure » qu’il lit dans la maison de peintre qu’habite son futur amant Johnny, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc.

 

Le personnage homosexuel ne croit pas en l’Incarnation divine, mais plutôt en la Matérialisation divine. Au fond, il n’aime pas la Beauté réelle, quotidienne, incarnée, relationnelle, tachetée d’imperfections. Il adule la beauté plastique. Autrement dit, il est médusé devant la beauté comme il l’est face à une œuvre d’art. Dans son esprit, l’Éthique fusionne avec l’esthétique (il pense que ce qu’il trouve beau, il l’aime d’amour), l’Amour se confond avec l’art (… ou, ce qui revient au même, se dissocie totalement de l’art et de la Beauté) : « J’aimais tout de lui, ses tableaux, ses vêtements… Tout ce qui le concernait me fascinait. Il n’y avait pas une seule ombre au tableau. Il était drôle, généreux et toujours plus beau ! » (Bryan par rapport à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 16) ; « Aimer un garçon, ça ne veut rien dire. Ce n’est pas pour ça qu’on est homo. D’ailleurs, je ne l’aimais pas. Je le trouvais beau, c’est tout ! » (idem, p. 32) ; « Kévin avait raison, nous fîmes plein de choses ensemble. À commencer par la peinture, nous y consacrions tous nos mercredis après-midi… puis tous nos week-ends… puis n’importe quand ! C’était un fabuleux prétexte pour nous retrouver. Comme promis, il fut très patient même si, au début, il prenait un peu trop au sérieux son rôle de professeur. Je n’en avais jamais eu d’aussi beau. Pour la première fois de ma vie, j’étais amoureux de mon prof. » (idem, p. 82) ; « Cette fichue peinture à la fois nous réunissait et nous séparait » (idem, p. 82) ; « Quoi que maman dise, elle était belle, cette infirmière : je l’aime. » (cf. la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer) ; « Tu es belle. Je t’aime. » (Petra à son amante Karin, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je regardais les beaux objets fractals illustrant le volume et voyais Sheela, Linde et Rani dans l’un d’eux. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 64-65) ; etc.

 

Parfois, le protagoniste homosexuel préfère sa beauté à lui-même, à sa personne, ou aux autres : « Ce nouveau Narcisse s’éprendra de sa propre beauté. » (la conteuse à propos de Dorian Gray, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mise en scène par Imago en 2012) ; « Je choisis mes amis pour leur beauté. » (Lord Henry, idem)

 

Il a tendance à ne pas lier la Beauté à l’Humanité incarnée, sexuée, réelle, libre dans son chemin vers la mort-vaincue-ensuite-par-la-Vie. Il parle plutôt d’une beauté aérienne, minérale, dévitalisée, inaccessible, fétichisée : « Puis lui vint la conviction que cette femme était belle : elle ressemblait à une fleur étrange qui aurait poussé dans l’obscurité, quelque fleur rare, quelque fleur pâle sans tache ni imperfection. » (Stephen, l’héroïne lesbienne à propos d’Angela Crossby, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 173) Cette beauté abstraite a la fadeur « idyllique » de l’androgynie angélique (dans le double sens d’« androgyne » : une « moitié d’être humain », ou bien un « ange asexué, ni homme ni femme ») : « À ce moment, elle ne connaissait rien d’autre que la beauté et Collins, et les deux ne faisaient qu’un seul être, qui étaient Stephen. » (Stephen, l’héroïne lesbienne parlant d’elle-même, op. cit., p. 26) ; « Faisons à nous deux un héros de roman. […] J’irai dans l’ombre à ton côté. Je serai l’esprit. Tu seras la beauté. » (Cyrano à Christian dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Arlette était la fille la plus belle que Silvano eût rencontrée à Paris, elle avait l’air d’un éphèbe. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 104) ; « Plus beau que jamais, il ressemblait à un ange… à mon ange. » (Ednar à propos de son amant Dylan, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 37)

 

Tout en considérant la Beauté comme inviolable par les autres, le héros homosexuel, parce qu’il se croit aussi divin qu’Elle, va tenter de L’approcher, de La posséder, de la mettre en boîte ou sous verre : « Hillary pose devant ce photographe qui s’applique pour immortaliser la beauté de la jeune femme. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Je les regardais s’engouffrer tous dans l’escalier qui menait au balcon, lorsque je reconnus Perrette Hallery de dos… accompagné d’une magnifique femme en manteau de poil de singe, rousse à mourir sous son chapeau à voilette, la peau laiteuse et la démarche assurée. Le cliché de la belle Irlandaise, Maureen O’Hara descendue de l’écran pour insuffler un peu de splendeur à l’ennuyeuse vie nocturne de Montréal, la Beauté visitant les Affreux. […] La fourrure de singe épousait chacun de ses mouvements et lui donnait un côté ‘flapper’ qui attirait bien des regards admiratifs. Les hommes ne regrettaient plus d’être là, tout à coup. » (le narrateur homo observant son futur amant accompagnant sa jolie maman rousse à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; etc. Par exemple, dans le film « Death In Venice », « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le débat entre le musicien homosexuel Von Aschenbach et son ami Alfred tourne précisément autour de la prétention homosexuelle à la création de la Beauté. Bien évidemment, c’est Aschenbach qui défend le pouvoir absolu du créateur sur Elle, contrairement à son acolyte qui ne pense pas que la Beauté vienne uniquement de l’artiste et de ses sens (« La beauté, fruit du labeur… Quelle illusion ! »).

 

Le goût de la beauté plastique entraîne le héros homosexuel vers le purisme, la maniaquerie, l’orgueil du Pygmalion (qui exploite et consomme son amant, qui se prend pour Dieu), la grâce mortelle des objets (un objet, c’est froid et inerte comme la mort, rappelons-le), et pour le coup, son fanatisme possessif/fétichiste le détourne de la pureté, de l’Amour vrai, et du monde vivant : « Seul Jioseppe Campi est capable d’imiter la beauté ! » (Campi, le sculpteur déifié du roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, p. 12) ; « Je remarque toutes les fautes de goût de cet appartement. […] Je cherche la place que tu vas prendre entre tous ces meubles. » (le héros de la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des personnages homos aime faire venir dans son appartement parisien des gigolos « banlieusards » qu’il considère comme de jolis bibelots, des « beautés exotiques ».

 

Le rapport passionnel du héros homo à la beauté plastique est potentiellement violent et déshumanisé, car il possède de fortes accointances avec l’inceste (inceste avec un proche parent, ou même plus simplement avec une mère symbolique telle que l’actrice), avec le manque de chasteté et de distance par rapport à l’objet de désir. Dans les œuvres homosexuelles, à chaque fois qu’il est question de Beauté, l’inceste ou le viol rôdent très souvent dans les parages ! (cf. le film « Belle Maman » (1998) de Gabriel Aghion) : « Il y a des centaines de photos de maman. Elle était si belle… Il ne fallait pas la toucher tant elle était si belle… » (Thomas, dans le bâti Lars Norén (2011) d’Antonia Malinova) ; « Regarde : tu es beau, intelligent, bon élève. Tes parents vivent dans le mythe d’un fils parfait. » (Chris à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 112) ; « Aujourd’hui, c’est moi l’homme. Un homme pour mon père. Beau et fort pour mon père. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 35) ; « C’était l’heure matinale où sortait le jeune et beau papa du huitième, dont il était justement dommage qu’il fût papa, ou plus exactement qu’il eût commis cette faute de goût avec une maman. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 70) ; « La beauté de sa mère était toujours une révélation pour elle ; elle [Stephen] la surprenait chaque fois qu’elle la voyait ; c’était l’une de ces choses singulièrement intolérables, comme le parfum des reines-des-prés sous les haies. […] Anna disait parfois : ‘Qu’avez-vous donc, Stephen ? Pour l’amour de Dieu, chérie, cessez de me dévisager ainsi !’ Et Stephen se sentait rougir de honte et de confusion parce qu’Anna avait surpris sa contemplation. » (Stephen, l’héroïne lesbienne à propos de sa propre mère, Anna Molloy, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 49) ; « Ma mère était belle. Sa beauté était sans doute sa liberté. Les voisines la jalousaient. La maudissaient. Elles avaient raison. Ma mère était belle mais je ne le voyais pas. Ma mère était jeune. Elle était ma grande sœur. C’est le rapport qu’elle a imposé entre nous. » (Stephen, op. cit., p. 36) ; « Sa mère était tellement parfaite que tout ce qui lui advenait devait à son tour être parfait… […] Elle avait été la belle Anna Molloy, très admirée, très aimée et sans cesse courtisée. » (idem, pp. 112-113) ; « Mes deux cousins, ces deux beaux mecs de mon âge que j’avais repérés au cimetière » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 409) ; « Non ! Mais t’es beau, t’es bien foutu… T’es bourré de talent. Tout ce que tu tentes te réussit, […] tu séduis qui tu veux. » (le père de Bryan à son fils homosexuel, op. cit., p. 412) ; « Il passa de plus en plus de temps devant son écran, se créant tout un univers de rêve. Il avait ainsi un père qui ne l’eut pas abandonné et une mère qui ne chercha pas tant à le contrôler en voulant trop le protéger. Son oncle n’hésiterait pas à lui offrir son corps et sa beauté, car Marcel adulait son oncle, homme séduisant toujours entouré de beaux mecs aussi attirants que lui. Il lui arriva souvent de se branler en rêvant à ce type au charme irrésistible qui dormait dans la chambre d’à côté, ou en train de lui faire l’amour. » (Marcel par rapport à son oncle Alain, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 19) ; « Ça doit être mon père qui m’a fait ainsi [= homosexuel] ! Il était trop beau lui aussi ! Comme un gamin-papillon, j’étais fasciné par sa beauté d’homme solitaire. Peut-être que je m’y suis brûlé les ailes ! Je devrais jeter toutes ces photos que j’ai de lui ! Cesser de penser que j’aurais hérité de lui cette attirance pour les garçons. Un désir refoulé qu’il m’aurait transmis en quelque sorte. Et tout cela, parce qu’il nous prodiguait, à moi et à mon petit frère, la tendresse de la mère perdue. » (Adrien parlant de son jeune amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60)

 
 

b) À force d’être trop désincarnée dans l’idolâtrie, la Beauté apparaît décevante, voire monstrueuse et diabolique :

La découverte progressive que la vraie Beauté ne se possède pas (sinon, on La fait mourir et Elle pourrit dans nos coffres : n’oublions pas qu’Elle n’est belle qu’à la condition d’être vivante et libre !) engendre chez le héros homosexuel une auto-dévalorisation de soi, une comparaison excessive avec l’amant fantasmé pour ses atouts physiques, un désir de fusion frustrant et potentiellement obsédant, une suspicion croissante par rapport à la beauté plastique/à la vraie Beauté : « Mais pourquoi la Beauté n’est-elle pas contagieuse ? » (Helena dans la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare) ; « Je sais qu’on peut tout pardonner, sauf la beauté et le talent. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; « Beaucoup trop jolies pour être honnêtes. Beaucoup trop. » (cf. la chanson « Beaucoup trop jolies » de Véronique Rivière) ; « Tu réjouis mon œil et embellis mon âme. Je ne peux m’empêcher de te regarder. Tu me fascines. Tu es beau, tu es trop beau. Chaque détail de toi me chavire. On dirait que tu as été fait pour ça. Pour me séduire. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 211) ; « En plus, t’as toutes les qualités que je n’ai pas. […] T’es beau, t’es nature, t’es droit et fidèle. Tu dis toujours la vérité. Moi, je fais tout le contraire. » (Kévin à Bryan, op. cit., p. 325) ; « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (Bryan à Kévin, op. cit., pp. 330-331) ; etc.

 

La beauté physique n’étant pas à la hauteur des espérances du héros homosexuel, ce dernier dévalue à la fois la beauté et la Beauté : « J’ai misé trop haut sur l’échelle de la beauté. » (Zach, le héros homosexuel, après s’être pris un vent par Nate, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « La beauté se détraque. » (Charlène Duval lors de son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Le laboratoire du corps humain transforme toute la beauté du monde en dégoût. » (Jérémy Patinier, La Fesse cachée (2011), p. 98) ; « La Nature est injuste ! La Beauté est injuste ! Et bien le corps aussi ! » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Mais pourquoi toute ma vie ai-je été esclave de la beauté ? » (Jacques, le héros homo quinquagénaire, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « J’ai bien trop su salir le beau que tu mettais dans nos nous. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc. Comme son attrait pour les belles choses a un goût amer d’inceste ou de possession (prostitution ?), la beauté finit par laisser de marbre et par provoquer le dégoût : « Elle me répète qu’elle m’aime et je joue avec elle comme un petit animal effrayé. Ses baisers me donnent la nausée. La manière dont elle s’est jetée dans mon lit, dont elle s’est couchée contre moi, sans que je lui demande rien, me dégoûte. […] Son insouciance, sa beauté me répugnent. » (Heinrich en parlant de Madeleine, dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 65) ; « Il n’y a rien de plus monstrueux que la beauté d’une strip-teaseuse. » (l’Auteur dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi)

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Harold, l’un des héros homosexuels, crie sa douleur de ne pas être né aussi beau qu’il le voudrait, et sa vengeance contre la beauté des autres : « Il a une beauté naturelle peu naturelle. » (dit-il par rapport au beau gosse décérébré Tex) ; « La beauté est superficielle !… Et c’est éphémère. Si éphémère. » Il écorche, au passage, la beauté de son colocataire Michael, gay lui aussi : « Michael est le charme… désincarné. » Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy anarchiste efféminé, scande qu’il ne veut « plus de religion ! » et déclare la mort de l’art : « Merde à la beauté ! »

 

Dans l’esprit du héros homosexuel, la beauté est liée à la mort, s’annonce comme une catastrophe : cf. le roman El Amargo Don De La Belleza (1996) de Terenci Moix, le film « Fatal Beauty » (1987) de Tom Holland, le vidéo-clip de la chanson « Beau Malheur » d’Emmanuel Moire, le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson (avec le concours de beauté détruit par un violent orage en 1974), le film « Smukke Dreng » (« Beau garçon », 1993) de Carsten Sønder (où la beauté est liée à la prostitution), la chanson « Beau » de Lou (parlant du suicide d’un homosexuel), etc. « Tu es tragiquement beau. » (Mike à « M. », dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 39) ; « Moi, le premier jour, je me suis dit : ‘Tiens, il est beau !’ Le lendemain aussi… Le troisième je te cherchais partout, et le quatrième tu me manquais déjà. Ensuite, tu m’as pourri la vie ! » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 112) ; « Kévin se faisait draguer aux mariages, moi je repérais les beaux mecs dans les cimetières. On faisait une sacrée paire ! » (idem, p. 409) ; « La beauté peut blesser aussi profondément qu’un glaive à deux tranchants. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 137) ; « La beauté est le début de la terreur. » (une réplique prononcée dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger) ; « Une figure admirable, c’est pire que tout. » (l’héroïne de la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau) ; « Rhabille-toi où je vais mourir. (Anthony, le héros homosexuel s’adressant à son jeune filleul nu, Jim, aussi homosexuel, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc.

 

Dans la chanson « L’Adorer » d’Étienne Daho, par exemple, il est question de « l’infidèle à la beauté assassine ». Dans la pièce Confessions d’un Vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Prétorius décrit le « visage beau et terrifiant » d’un inconnu qu’il a rencontré. Pendant le concert du groupe Indochine Météor Tour à Bercy le 16 septembre 2010, sont intercalées sur écrans géants des scènes de guerre avec des images de majorettes, de reine de beauté. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homosexuels, n’a qu’une ambition dans la vie : « Mourir jeune et joli. »

 

La Beauté, comme la Vérité (cf. « Y’a que la Vérité qui blesse ! ») ferait mal : « N’avons-nous pas souvent été blessés par ceux qui ‘ne font que dire la vérité’ ? Les pensées véritables ne doivent pas toutes être dites. […] Nous ne devrions pas nous précipiter pour ouvrir grand les portes et autoriser la lumière à éclairer des lieux discrets. Car ceux qui ont vu les mystères cachés nous parlent de beauté, mais aussi de douleur. Et il est préférable que certaines choses demeurent invisibles, que certains mots ne soient pas prononcés. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), pp. 99-100) ; « Quand on se réveille, je propose que l’on retire nos bandeaux, mais Vianney trouve ça prématuré. Il geint ‘Pas cette fois, s’il-te-plaît…’ Avant qu’il ne parte, je lui raconte l’histoire de La Symphonie Pastorale de Gide. Vianney dit que c’est triste, cette fille aveugle à qui on fait croire que le monde est beau, et qui, quand elle recouvre la vue, s’aperçoit qu’on lui a menti. » (Mike racontant son « plan cul » avec un certain Vianney, un garçon laid qu’il accueille chez lui alors qu’il a les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 85-86) ; etc.

 

Dans beaucoup d’œuvres de fiction homo-érotiques, la beauté n’est pas présentée comme un atout, une valeur positive et humaine. Tout le contraire ! C’est plutôt un handicap, un cadeau empoisonné qui assigne un sombre destin. « Il y a des moments, je voudrais être laid, ne plus séduire, ne plus être désiré. » (Malcolm dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « Vous devez fatiguer de vous faire dire que vous êtes beau. » (Amanda s’adressant au héros homosexuel Nelligan, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; etc. Par exemple, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le personnage du Don Juan homosexuel, Vincent Garbo, est « irrémédiablement affligé d’une beauté plus proche d’une inhumaine perfection que de l’harmonie d’un beau dans la nature toujours composé de quelques baveux détails » (p. 39). La Beauté est considérée comme un danger mortel et diabolique, qui soumet et asservit à la fois celui qui La porte et son adulateur. Ce dernier perd tous ses moyens, ne semble avoir aucune résistance face à Elle : « La chasse d’eau, c’est mon éjaculation. Dès qu’un beau gosse me sort sa jolie queue molle et commence à la manipuler, je gicle. » (le personnage du « chiotte public », dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 82) ; « Je suis devant lui. Je rêve. […] Il a du charme. Détermination. Cruauté. Tendresse. Tout est là. Je le reconnais. […] Il m’attire, il me domine. Je suis à lui. Il est le Roi. Le roi Hassan II. Il est beau. Je l’aime. Sans douter, je l’aime. On m’a appris à l’aimer. À dire son nom. À le crier. Il est beau. Il est important. Tellement beau, tellement important. » (Khalid, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 9) ; « Et s’il y avait de la divinité dans tout ça, c’était dans la beauté elle-même. C’était à la beauté même qu’il fallait rendre un culte. » (idem, p. 78) ; « Je t’ai vu descendre du ciel, un matin d’hiver. Je t’ai vu seul, sombre et silencieux. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 453) ; « Je tremble devant votre beauté et votre pouvoir. » (le Rat à la Reine, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Agnès me plaisait parce qu’elle était belle et que mon point faible, à moi, c’est la beauté des femmes. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, pp. 222-223) ; « Et puis, il est si beau ! » (Adrien, excusant toutes les infidélités de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 45) ; « Putain, ce salaud, plus il est dégueulasse, plus il est beau. » (Doumé à propos de son amant Willie, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 157) ; « Quand la porte s’est ouverte, je suis resté planté devant elle comme une grosse merde. Elle portait une robe noire moulante et décolletée, qui faisait ressortir sa peau laiteuse, ses seins pareils à deux blocs de beurre frais. Aux pieds, elle avait des mules en soie noire, avec un liseré genre plumes d’autruche de la même couleur. Elle avait des ongles vernis eux aussi de la même couleur, enfin si on considère que le noir est une couleur, aussi bien ceux des mains que ceux des pieds, comme j’ai pu m’en rendre compte quand elle a négligemment fait glisser sa mule gauche pour caresser son mollet droit avec ses orteils. Sa tenue, ça faisait limite pute du quartier rouge à Amsterdam, sauf que sur elle c’était superclasse, je sais pas comment vous dire, elle était superbelle, et superflippante. Je m’assois sur le tabouret en ébène. Elle m’apporte un verre avec une substance un peu trouble dedans, genre sirop d’orgeat ou de gingembre, vous voyez ce que je veux dire ? Je lui demande ce que c’est. Elle me dit de deviner. Je goûte. Un machin indescriptible. Amer, mais avec une note de citron, de sucre, et un arrière-goût un peu fade aussi, limite farineux, sauf que la farine ça a pas de goût, alors je dirais limite lacté, mais plus comme du lait en poudre que comme du vrai lait. Je lui dis que je ne devine pas. Et alors là, véridique, elle me fait : ‘C’est un philtre d’amour.[…] les auréoles des seins qui pointent sous le tissu, qui ont l’air de vouloir le transpercer […] Elle me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo. » (Yvon en parlant de Groucha dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 262-264) ; « Corinne, assise à ses pieds, observait Jason, incrédule. Avec son maillot de bain qui représentait des têtes de mort sur fond noir, il ressemblait vraiment à un messager des dieux de l’enfer. ‘Encore une beauté d’archange, songeait-elle. » (Corinne, op. cit., p. 83)

 

Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), la beauté est considérée comme dangereuse, comme une occasion de tomber. Pawel Tarnowski, homosexuel continent, parlant de Goudron, l’écrivain plus âgé que lui et qui a tenté de le pervertir dans sa jeunesse, évoque la faiblesse de ce dernier pour sa beauté juvénile : « L’écrivain qui ne cherchait qu’une aventure amoureuse, ne l’aurait pas regardé deux fois s’il n’avait pas été séduisant. » (p. 173) Plus tard dans le roman, le Comte Smokrev, libertin et pédophile, ayant reconnu chez Pawel la même faiblesse homosexuelle pour la jeunesse qu’il éprouve lui-même, tente de le mettre à l’épreuve par rapport au jeune David, que Pawel a pris sous son aile : « Nous apprécions tous les deux… la beauté. [Il jeta un regard subtil à David de l’autre côté de la pièce.] Il représente un danger pour vous. » (Smokrev, p. 483)
 

On observe chez beaucoup de héros homosexuels vieillissants un mépris croissant pour la Beauté, et pour leurs pairs homosexuels plus jeunes et plus beaux qu’eux, mépris qu’ils ont du mal à s’approprier tant par ailleurs ils connaissent leurs fantasmes de jeunesse et leur célébration du jeune éphèbe gay. Le jeunisme, étant un mouvement idolâtre (puisqu’il fête la beauté de magazine en croyant honorer la vraie Beauté), s’accompagne bizarrement d’un mépris des petits minets homosexuels : « Sans passer pour des imbéciles, ils n’étaient pas, pour la plupart, des intellectuels. […] Ils fréquentaient plus volontiers les salles de musculation que les salles de lecture. […] Ils ne différaient pas, en cela, de beaucoup de gays de leur âge. […] C’étaient tous de charmants égoïstes, comme on l’est à cet âge, et un peu plus encore quand on est beau et gay. » (Jean-Paul Tapie, Dix Petits Phoques (2003), pp. 134-140) Le héros homosexuel, tandis qu’il essaie de s’attirer les faveurs des petits jeunes qu’ils idéalisent dans l’angélisme, se venge de sa faiblesse sur la nouvelle jeunesse homosexuelle, en la qualifiant très fréquemment de « superficielle », d’« arrogante », de « lâche », de « naïve », d’« ingrate », d’« inexpérimentée », etc.

 
 

c) Une obsession/déception de la beauté plastique qui va jusqu’à la violence et la destruction :

HAINE 2 Francis Bacon

Tableau « A Terrible Beauty » de Francis Bacon


 

La déception du héros homosexuel par rapport à la beauté s’accompagne en général d’un mouvement incontrôlé de destruction ou de viol, visant paradoxalement non pas à détruire la beauté mais à la restaurer/à la transformer en Beauté par la laideur et l’agression.

 

On voit en effet le personnage homosexuel fictionnel perdre la boule uniquement parce qu’il ne se remet pas de la beauté qu’il contemple : « Tu es beau, calme, irrésistible, mais pas de doute : envahissant. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 210) ; « Il est même trop beau pour moi, moi qui n’ai jamais eu aucune assurance sur mon physique. » (Adrien en parlant de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60) ; « Tu es beau, tu es trop beau, c’est inhumain ! » (Bryan à son copain Kévin, op. cit., p. 300) ; « Comment fais-tu ? T’es trop beau. T’es infernal. » (idem, p. 317) Le roman Le Pavillon d’or (1956) de Yukio Mishima raconte justement comment un moine, rendu fou par la perfection d’un temple, devient incendiaire : « Je voudrais tordre le cou à celui en qui j’ai cru si fort, celui en qui mes lectures savent bien que j’ai cru : le dieu du Beau. » (p. 73) ; etc. Dans la comédie Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, la beauté est réduite à un trophée diabolique (= le prince charmant) que l’ensemble des divas cherchent à posséder, se disputent, et finissent par détruire dans un emballement collectif incompréhensible : une fois qu’elles l’ont écartelé, elles regrettent amèrement d’avoir « tuer la Beauté même ». Dans la poésie Le Condamné à mort (1942), Jean Genet tient un double discours quant à la beauté : à la fois il l’adore (« La beauté, toujours je l’ai servie ! ») et il la hait (« Mutile la beauté ! »). Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca se montre particulièrement impitoyable face à ses prétendants amoureux si seulement ils ont le malheur de ne pas correspondre à ses critères physiques.

 

Le héros homosexuel jalouse la Beauté et veut La violer : « Promettez-moi d’apprendre à salir la beauté, mon ami. » (Jacques s’adressant à son ex-amant Mathieu, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « J’ai remarqué qu’Antoine, il est beaucoup plus musclé que moi. […] Il est drôlement bien foutu. » (Julien parlant de son voisin de pupitre, le bel Antoine, dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet) ; « Cette perfection avec laquelle tu m’humilies… je me souviens avoir eu envie de te profaner, de te faire payer ta beauté. » (Denis à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Ô beauté, ô splendeur, bonté ! Puissé-je ne vous avoir jamais rencontrées !… Mon sort est de vous annihiler, je suis voué à votre destruction… Je vous ai en mon pouvoir, et je veux vous détruire. » (Claggart dans l’opéra Billy Budd (1951) de Benjamin Britten) ; « C’est le rêve de ta vie de te faire bien empaler, enculé efféminé, petite Reine de la Beauté du podium de ton quartier. » (Fifi d’adressant à Pédé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Nous étions deux filles. Vous étiez la plus belle à l’orphelinat. Quand on nous passait en revue vous étiez toujours la préférée des parents d’adoption. » (Vicky à la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai été beaucoup plus belle que vous. » (idem) ; « Je ne sais pas quand, ni où, mais je sais que je te baiserai. J’en fais la promesse sur la tombe de ton pote. T’es trop beau ! Je n’y suis pour rien si tu me fais bander ! » (Laurent parlant à Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 459) ; etc. Dans le film « Nettoyage à sec » (1997) d’Anne Fontaine, par exemple, Jean-Marie se fait sodomiser par le beau et provoquant Loïc dans le sous-sol de son pressing, avant de lui coller le fer à repasser brûlant sur la figure et de le tuer en le jetant violemment par terre. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, est dessinatrice et détruit ses croquis et ses toiles.

 

Ce que le héros homosexuel reproche à la Beauté, c’est au fond le mal qu’il Lui fait en cherchant à la posséder pour lui seul, c’est l’espoir démesuré et égocentrique qu’il mise sur Elle. « Nous avons été cruels et nous avons été splendides. » (Dorian Gray à son amant Basile, suite à la mort de Sybille qui s’est suicidée parce que Dorian l’a répudiée, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mis en scène par Imago en 2012) Par exemple, dans les fictions homo-érotiques, quand le nom de la « Beauté » est applaudi, c’est généralement une diversion pour occulter de sombres pratiques ou un mensonge identitaire : cf. le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton (avec le sauna et sa magnifique déco gréco-latine), le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot (avec le personnage homo de Marcel, surfant sur des sites Internet homos, et mentant sur ses attributs physiques, pour draguer : il se décrit « comme étant beau, grand et découpé. » p. 19)

 

C’est parce qu’il atténue la brutalité et la réalité du viol par l’esthétique, par la « Beauté », que le héros homosexuel se met parfois à désirer le viol. Il lui arrive de trouver le diable beau : cf. la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec le dandy esthète homosexuel et cruel, le baron Lovejoy), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, le film « Dirty Love » (2009) de Michael Tringe, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, etc. Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, au moment où Mike, le narrateur homosexuel, apprend par son amant d’un soir qu’ils ont baisé sans capote alors que ce dernier lui avoue après-coup qu’en fait il est malade du Sida, que l’état de beauté est décrété : « Je trouve R. très beau, d’une beauté troublante. Toujours à quatre pattes dans la lumière tamisée de la chambre, sur la couette blanche, avec cette odeur de merde qui flotte dans l’air et dans le fond de nos bouches ce goût amer d’amour triste, comme s’il n’y avait plus que nous au monde. » (pp. 71-72)

 

Le protagoniste homosexuel sacralise le viol ou la souffrance en estampe magnifique, en beauté désirable (cf. la chanson « Les Liens d’Éros » d’Étienne Daho) : « Nature du décès : j’me suis fait violer par trois beaux jeunes hommes. » (Lucienne dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « Rien n’est plus émouvant qu’une belle femme qui souffre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 77) ; « Tu avais le visage dévasté par le chagrin. Que tu étais beau ! » (Bryan face à son amant Kévin en deuil pour lui, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 462) ; « J’aime trop pétrir ses fesses de coureur, me coller à son dos cambré de statue. Je le renverse dans le lit : il m’est livré. Il est à moi. Alors je sais que son sexe m’appartient. Je le saisis d’un coup, son sexe bandé et chaud dont il est si fier, son gros membre de beau garçon. J’avale son gland rose, son bourgeon gonflé prêt à donner sa sève. Je le sens si bien quand il me prend, bien large et vigoureux. J’aime qu’il me déchire, qu’il m’éventre tout entier du bas en haut. Enfin, je suis si terriblement heureux quand je danse empalé sur lui. » (le narrateur du roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc, p. 97) ; « Tu pries pour que ton frère, comme toi, au même moment, soit blotti dans les bras d’un beau jeune homme plein de vigueur, et qui prendrait soin de toi comme d’une poupée. » (Félix à propos d’un soldat allié, Bob, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 132) ; « ‘Maintenant, je suis Nelson. Je suis au milieu de la bataille de Trafalgar… J’ai reçu des balles dans les genoux !’ Pourtant, c’était réellement beau de souffrir. » (Stephen, l’héroïne lesbienne se mettant mentalement dans la peau d’un héros, dans le roman Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 32) ; « Hugues n’était vraiment pas mal, dans le genre austère. Mourad lui trouvait un petit quelque chose de Corto Maltese. Le côté baroudeur, pirate des mers du Sud. Il avait sûrement une belle cicatrice de guerrier quelque part. » (Mourad, l’un des personnages homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 82) ; etc. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xav est obsédé par un « homme défiguré, avec une cicatrice », mais persiste à le trouver charmant : « Il a la gueule coupée en deux, comme dans mon rêve. Mais il est quand même beau ! »

 

HAINE 3 Divine

Divine


 

Il est fréquent que le héros homosexuel s’identifie à la femme cinématographique qui use de sa beauté comme d’une arme redoutable qui manipule les hommes : « Sa sœur cadette, la duchesse de Malaga, était réputée être la plus belle femme d’Espagne et avait fait tourner la tête à plusieurs couronnes jusqu’au moment où, à sa majorité, elle dût décider entre trois jeunes rois et qu’elle déclara tout simplement qu’elle entrait dans les Ordres. » (cf. la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 9) La beauté fatale, en tant qu’instrument de vengeance et de pouvoir maléfique, est généralement enviée, désirée par le personnage homosexuel : « À présent, les choses vont changer Alba. Je suis belle et je veux que ça se sache. » (Claudia à sa compagne Alba dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Je m’imaginais une jeune fille très belle, très intelligente, très perverse. » (l’Auteur en parlant de l’héroïne qu’il a créée, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’étais Marlon Brando. Un vieil homme qui avait de la classe et de la cruauté. Un vieil homme irrésistible, généreux, impitoyable, sanguinaire. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 168) ; « Le sourire éthéré dont s’auréola le visage de l’ange me fit soupçonner quelque chose de pas catholique. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 114) ; « Pour tirer par la queue le beau diable qui se débattait derrière moi » (idem, p. 116) ; « Il lui fallait se conforter dans l’idée décevante que les gens beaux […] sont généralement méchants. » (Corinne dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 79) ; « Le cynisme, c’est l’humour des gens qui sont beaux. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, la beauté cristallise la violence de la jalousie : Dorian Gray, par sa beauté, inspire la « terreur » à Lord Henry ; et il est captif de sa propre image : « Je suis jaloux du portrait que tu as fait de moi ! » (Dorian à son amant-peintre Basile, idem)

 

Parfois, dans le discours du héros homosexuel, l’adverbe « atrocement » ou « affreusement » est prononcé avec une telle jouissance frétillante qu’il pourrait être remplacé par « joliment » : « Il [Mourad, un des deux personnages homosexuels] était un inconditionnel d’Amande. Elle était pour lui le condiment sans lequel l’atmosphère aurait affreusement manqué de saveur. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 415) ; « Mourad jubilait. Amande était une peste, mais sa méchanceté avait une drôlerie sans équivalent. Il suffisait de la lancer sur une piste, et elle démarrait au quart de tour, brossant des portraits comme une virtuose, se dépensant sans compter. » (idem, p. 83) ; « La lumière de la lune se suffisait à elle-même, et les éléments du décor se recomposaient harmonieusement, lui révélant, sans plus de raison ni avec moins d’évidence, que l’horreur du monde a pour revers son inexprimable beauté. » (Jason, l’autre héros homo du même roman, p. 246) ; etc.

 

Le héros homosexuel se rend parfois compte que la beauté plastique est le ressort classique employé par tout système totalitaire humain… mais il est quand même prêt à mordre à cet hameçon facile comme si c’était du pain béni : « J’ai toujours été écœurée par le militarisme, et la tradition prussienne est ce qu’il y a de pire. Sa mécanique humaine est effrayante. Pourtant, ils sont beaux ces jeunes hommes dans leurs uniformes. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 49) Par exemple, dans le film « Un Héros très discret » (1995) de Jacques Audiard, le Capitaine plaque tout pour suivre un bel Américain : « Il s’appelle Marlon, il a 20 ans, il vient de Virginie, il est beau comme un char d’assaut. Il me fait découvrir le jazz et le charme violent des armées victorieuses. Ah, Albert, l’amour, l’amour ! »

 
 

d) Le mélange sacralisé du beau et du laid :

Dans son désir de substitution à la Beauté, le héros homosexuel essaie de troquer la Beauté contre la laideur (comprendre, dans son esprit, « contre lui-même ») ou contre la cruauté. Pour cela, il use majoritairement de l’inversion. « Tout cela rappelait Malcolm et portait Adrien à chercher l’amour des Noirs. Il s’interrogeait souvent sur les raisons secrètes du désir de cette beauté-là. Un désir de puissance, de virilité ? D’inverser l’ordre de l’Histoire ? D’aimer l’absolument autre ? Peut-être tout cela à la fois. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), pp. 34-35) ; « Moi, je faisais la Belle et Dalida la Bête. » (la figure momifiée de Catherine Deneuve dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque) ; « Vos gueules, les moches ! […] Nous, les belles… » (Gwendoline, la lycéenne transgenre M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « Excusez-moi, il faut que j’aille chier. Pardon… que je me repoudre le nez. » (la mère, autre personnage transgenre M to F, idem) ; « Avant, ça sentait le vomi. Maintenant, le vomi à la rose. » (Michael, l’un des héros homosexuels du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc. En effet, il va très souvent présenter la Beauté comme laide, et le laideur comme belle. Et cette profession de foi artistique constitue, selon lui, le summum de la Beauté (… et pour les lecteurs avertis que nous sommes appelés à être, elle est dans le fond le summum du déni du fantasme de viol, et parfois du viol réel).

 

Par exemple, dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, un Festival de la Laideur est inauguré. Dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, la scatologie surgit au beau milieu de la soirée d’anniversaire très habillée. Dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, le couturier homosexuel Saint Loup, passé maître des diaprures et du raffinement, offre pourtant une scène de diarrhée dantesque. La pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier s’affaire à détruire les archétypes de la beauté physique… pour en imposer d’autres tout aussi rigides ! : ceux des rondeurs, des différences anatomiques « rejetées », des complexes, de la laideur, etc. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Lucie, la diva-chanteuse de cabaret, censée être gracieuse, chante des chants grossiers (« Va chier !! »). Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand arrive en tutu sur scène alors qu’il est bien grassouillet. Dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque, la Schtroumpfette fait des films d’épouvante.

 

Dans la croyance de l’artiste homo bobo, le beau surgirait de la merde, la poésie déborderait des latrines et se trouverait au cœur des backroom : « Comme dans un conte de fées, l’ogre se transforma en un prince de légende […] dont on peinait à croire qu’il était issu de cet œuf pourri. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 117) ; « Les hauts murs du musée vomissaient massivement des chapelets de chairs marmoréennes, de musculeuses cuisses de facture classique, figées dans leur éternité. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Au Musée » (2010) d’Essobal Lenoir 2010, p. 107) ; « J’essaie même pas d’embellir. Tout est moche, de toutes façons. » (Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Pour apprécier la beauté, il faut connaître la laideur. » (Leevi, le héros homosexuel, dans le film « A Moment in the Reeds », « Entre les roseaux » (2019) de Mikko Makela) ; etc.

 

Le héros homosexuel célèbre le très beau et le très moche comme le plus raffiné, le plus jubilatoire, le plus rare (et parfois le plus drôle) des mélanges : cf. le film « Belle Salope » (2010) de Philippe Roger, la pièce Amour, gore et beauté (2009) de Marc Saez, la chanson « Ugly/Pretty » de Christine & the Queens, etc. « Pourtant, qu’il est beau d’être moche ! » (cf. la chanson « Jolie à tout prix » du concert Tirez sur la pianiste (2011) d’Anne Cadilhac) ; « Tu es très belle avec ton poncho qui sent l’âne. » (Océane Rose Marie à son amie Bérénice, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Ahmed tourne le regard vers la Seine et l’île de la Cité, avec la Cathédrale Notre-Dame. Il se demande s’il y a encore un Quasimodo qui y vit, prêt à tout par amour pour lui. Il s’imagine en un grand Tzigane ténébreux et sensuel, dansant sur le parvis, mais en pleurs parce que son beau Phébus l’a laissé pour épouser un autre garçon, Fleur-de-Lys, alors qu’il est lui-même poursuivi par Frollo, un prêtre déterminé à en faire son amant secret. Dans ses fantasmes, l’Algérien adapte sans gêne les grands classiques français à sa guise ! » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 52) ; « Quant à moi, rien ne me fait jouir de la chasse comme un beau pet tonitruant émis à contretemps, suivi d’un long étron qu’on largue en plein milieu du trou dans un clapotement vif éclaboussant les fesses d’un conspirateur heureux de sa délivrance. » (le personnage du « chiotte public », dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 86) ; « Dites non au bonheur, dites non à la beauté ! » (le héros travesti du one-man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Les créatures du dortoir, lasses que leur beauté fût un sinistre drame, vouèrent un culte à la laideur. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 53) ; « Vestale de la Beauté monstrueuse » (Warda dans le roman Hawa (2011) de Mohamed Leftah) ; « Le trottoir, c’est mon Royaume ! Sur le trottoir, je suis née, la pissoire c’est mon Palais. » (Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’observe la saleté de la gare de Florence, cette saleté que les gens laissent derrière eux, celle que les courants d’air transportent. Je respire les odeurs de friture, d’urine, de combustible mélangées. Je vois l’épaisse couche grise qui recouvre tout, qui finit par se déposer sur les peaux. […] Il est malsain, sans doute, ce goût pour la laideur ordinaire. » (Leo dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 21) ; « Il [Florencio] alla s’asseoir sur le bord du divan, luttant contre la nausée que l’odeur du vomi lui donnait. » (cf. la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 19) ; « Iris urinait contre une roue de la voiture pendant que Carina poudrait de poivre ses moustaches en bavardant avec elle. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 44) ; « Est-ce que tu vas t’arrêter ? Parler de sperme, franchement… Tu te crois dans un salon mondain, enfin ? » (Luc à son amant Jean, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Mimi chia, elle avait mal au ventre après toutes ces émotions. Les eunuques la parfumèrent d’encens. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978), p. 95) ; « Son visage et ses beaux cheveux blonds étaient couverts d’excréments. » (cf. la description de la « jolie » Truddy, dans la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 33) ; « Madame est bonne ! Madame nous adore. Elle nous aime comme ses fauteuils… comme son bidet, plutôt comme le siège en faïence rose de ses latrines. Et nous, nous ne pouvons pas nous aimer… la crasse n’aime pas la crasse. » (Solange et Claire dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet) ; « Toi, Saïd, mon fils unique, tu épouses la plus laide femme du pays d’à côté et de tous les pays d’alentours […]. Mais surtout, tu n’aurais pas le courage de… la traiter en femme moche. Tu vas vers elle à contre-coeur : vomis sur elle. » (la mère s’adressant à son fils, dans la pièce Les Paravents (1966) de Jean Genet) ; etc.

 

L’inversion entre le beau et le laid, même si le héros homo ne la conscientise pas ainsi, dit sa déception de lui-même et du monde, son refus d’aller chercher la Beauté au-delà du paraître et des objets, et enfin son plan de vengeance dirigé contre la beauté plastique et contre son propre attachement crispé à celle-ci. En effet, il considère qu’une personne belle physiquement ne peut pas être homosexuelles, même si parfois il lui arrive de rire de ce raccourci. « Attends, Sonia, elle peut pas être lesbienne. Elle est trop belle. Tous les garçons, ils craquent sur elle. » (Clara, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa meilleure amie Zoé qui lui annonce que Sonia est lesbienne dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) Beaucoup de personnages homosexuels, y compris dans l’opposition, nient et finalement cautionnent à leur intuition le lien qui existe entre homosexualité et laideur. Par exemple, l’humoriste Océane Rose-Marie, lors de son one-man-show La Lesbienne invisible (2009), part en guerre contre le « préjugé tenace » de la mocheté homosexuelle : « Je tiens à préciser que ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles. » Et en effet, ce n’est pas la laideur mais le sentiment de laideur qui semble, dans les fictions comme dans la réalité, moteur du désir homosexuel. Mais certains esprits homophobes le laissent croire, sans doute parce que cela correspond à une croyance et un ressenti intime du personnage homo. Par exemple, dans l’épisode 259 de la série Demain Nous Appartient, diffusé sur TF1 le 1er août 2018, le méchant Don Juan Raphaël dit à Sandrine, l’héroïne lesbienne, qu’il ne serait jamais sorti avec elle parce qu’elle serait « trop moche », et que c’est à cause de sa laideur qu’elle n’a pu s’offrir que des femmes à l’âge adulte.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La beauté plastique désincarnée, élue déesse innocente et toute-puissante de la communauté homosexuelle :

À force d’entendre le discours des personnes homosexuelles, on constate très vite qu’il y a chez elles un lourd antécédent entre Beauté et homosexualité. La Beauté est le lieu d’une blessure secrète… la blessure de l’idolâtrie : « La seule règle de vie qui semble légitime, c’est le souci de la beauté. » (Pierre Louÿs dans le documentaire « Pierre Louÿs : 1870-1925 » (2000) de Pierre Dumayet et de Robert Bober) ; « J’ai une théorie. Les Alexandre sont tous beaux. » (l’écrivain Ron l’Infirmier dans l’émission Homo Micro le 12 février 2007) ; « Nous aimons les belles choses. Et la majorité des homos aiment les belles choses. D’ailleurs, la mode est lancée par les homosexuels. » (Bernard et Antoine, en couple depuis 35 ans, mais avec infidélité consentie, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc. Sans doute aussi la blessure de l’inceste : « La beauté masculine dans ce qu’elle peut avoir de plus fin. » (Dominique Fernandez en parlant de son père qui l’a abandonné, dans la biographie Ramon (2008), p. 13)

 

Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans insiste sur « l’attrait de la beauté angélique des éphèbes » (p. 346) chez beaucoup de personnes homosexuelles.

 

Par exemple, l’ancien ministre de la culture français, Jack Lang, est imité, non sans raison, par le comique Laurent Gerra comme un idolâtre de la beauté masculine (il répète sans arrêt : « Quel bel homme ! »).

 

Certains hommes homosexuels sont d’ailleurs connus pour être les incarnations vivantes de la beauté (cf. le code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), et donnent aux homosexuels la réputation d’être des mecs plus beaux que la normale (exemple : James Dean, Marlon Brando, Ricky Martin, George Michael, Zakary Quinto, etc.)… contrairement aux femmes lesbiennes qui seraient soi-disant devenues « lesbiennes parce que trop moches ». Dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2008), l’humoriste Océane Rose-Marie joue justement à moquer et à s’insurger contre ce cliché fallacieux mais tenace sur les femmes lesbiennes : « Ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles ! »

 

Mais de quelle beauté/Beauté parle-t-on au juste ? Celle avec un petit « b » (la beauté visuelle, plastique, réifiée, esthétique, inconsciente, présentée comme immortelle, mais qui est figée et mortelle) ou celle avec un grand « B » (la Beauté intérieure, éternelle, libre, consciente d’Elle-même, résurrectionnelle, celle qui comprend et dépasse la mort, la vieillesse, la maladie, la haine) ? Il semblerait que l’individu homosexuel, globalement, les ait fait fusionner au profit de la « petite » beauté… même si, en intentions, c’est moins clair. En général, il choisit le camp de la beauté plastique et superficielle : « Dans sa jeunesse, ma tante est une belle jeune femme, très douce, très tendre et très élégante, de vieilles photos l’attestent. Allez savoir si ce n’est pas là que j’ai pris, très tôt, mon goût marqué pour les très belles femmes douces, charmantes, élégantes ? » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), pp. 19-20) ; « Moi. Petit. Adolescent des années 80. […] Je n’ai qu’une seule idée en tête. Une obsession. Une actrice égyptienne ; mythique, belle, plus belle que belle. Souad Hosni. Une réalité. Ma réalité. Je suis pressé d’aller dans mon autre vie, imaginaire, vraie, entrer en communion avec elle, chercher en elle mon âme inconnue. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 10)

 

Très souvent dans le discours des personnes homosexuelles, la Beauté est associée à l’innocence absolue, tellement absolue qu’Elle ne laisserait plus tellement de la place à la conscience, à la liberté humaine, et finalement au désir : « La vie est une orgie de beauté et d’expériences. » (José Pascual cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 147) ; « Tu aimais la beauté, Yves. » (Pierre Bergé s’adressant dans un hommage post-mortem à son amant Yves Saint-Laurent, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc. La « Beauté » serait inviolable, intouchable, à l’abri de la critique, toute-puissante, virginale, incapable d’être dénaturée par l’Homme. Elle serait la Présence céleste descendue Elle-même sur certains objets « artistiques » ! La grande majorité des membres de la communauté homosexuelle ne croient pas en l’Incarnation divine, mais plutôt en la Matérialisation divine. Au fond, ils n’aiment pas la Beauté réelle, quotidienne, incarnée, relationnelle, tachetée d’imperfections. Ils adulent la beauté plastique. Autrement dit, ils sont médusés devant la beauté comme ils le sont face à une œuvre d’art. Dans leur esprit, l’Éthique fusionne avec l’esthétique (ils pensent que ce qu’ils trouvent beau, ils l’aiment d’amour), l’Amour se confond avec l’art (… ou, ce qui revient au même, se dissocie totalement de l’art et de la Beauté). Ils ont tendance à ne pas lier la Beauté à l’Humanité incarnée, sexuée, réelle, libre dans son chemin vers la mort-vaincue-ensuite-par-la-Vie. Ils parlent plutôt d’une beauté aérienne, minérale, dévitalisée, inaccessible, fétichisée : « C’est tellement beau que ça en devient irréel. » (Francine en parlant de « ses » jumelles qu’elle aurait eues avec sa compagne Karen, le jour de la naissance à la maternité, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) Le beau serait dans l’impossible, dans les airs. Par exemple, dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, quand Jacques demande à Madeleine qu’est-ce qu’elle est en train de lire, elle lui répond : « C’est une pièce de théâtre. Un long monologue. C’est beau. Insaisissable. » (p. 265)

 

Tout en considérant la Beauté comme inviolable par les autres, certains individus homosexuels vont tenter de L’approcher, de La posséder, de La mettre en boîte ou sous verre, parce qu’ils se croient aussi divins qu’Elle : « Quel malheur que je ne sache ni dessiner ni sculpter. Autrement, je ferais volontiers ton portrait ou ton buste, pour éterniser ta beauté. » (Ernesto s’adressant à Nacho, dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 257) Le goût de la beauté plastique les entraîne souvent vers le purisme, la maniaquerie, l’orgueil du Pygmalion (qui exploite et consomme son amant, qui se prend pour Dieu), la grâce mortelle des objets (un objet, c’est froid et inerte comme la mort, rappelons-le), et pour le coup, leur fanatisme possessif/fétichiste les détourne de la pureté, de l’Amour vrai, et du monde vivant. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, il est étonnant de découvrir la beauté « objective » et clinquante des appartements de Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent… mais de constater qu’elle vidée de joie et d’âme car elle est purement narcissique et matérialiste.

 

Leur rapport passionnel à la beauté plastique est potentiellement violent et déshumanisé, car il possède de fortes accointances avec l’inceste (inceste avec un proche parent, ou même plus simplement avec une mère symbolique telle que l’actrice), avec le manque de chasteté et de distance par rapport à l’objet de désir. Dans leur discours, à chaque fois qu’il est question de Beauté, l’inceste ou le viol rôdent très souvent dans les parages ! « Tatoué comme une bête à l’abattoir, je revêtais désormais une beauté étrange et maladive dans le grand silence de mon secret […]» (Berthrand Nguyen Matoko évoquant le viol consenti qu’il vient de vivre, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 70)

 

Par exemple, dans le documentaire « Beauty And Brains » (2010) de Catherine Donaldson, on voit que les concours de beauté sont une manière pour certaines personnes transgenres du Népal de camoufler/vaincre les viols et les abus qu’elles ont subis.

 

Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte comment sa grand-mère, pour préserver les idéaux de beauté de son petit-fils, camoufle l’acte de prostitution qu’ils observent ensemble dans une rue par une supposée relation filiale « belle » entre un père et son fils : « Je crois que tu as menti, ce soir d’été. On est descendus sur la terrasse pour sentir la fraîcheur de la nuit et on a entendu une voiture s’arrêter. On s’est déplacés silencieusement pour espionner. On a vu le beau garçon, l’athlète qui faisait de délicats dessins de fleurs. Il faisait chaud. Il était presque nu dans la voiture. Sa peau brillait, recouverte d’une fine pellicule de sueur. Le conducteur de la voiture était un homme plus âgé, aux cheveux blancs. Ils se sont embrassés sur la bouche. Et tu m’as dit que c’était son père. » dit Alfredo à sa mamie ; ce à quoi elle lui répond : « C’est vrai, un père qui aime profondément son fils. » (p. 165)

 
 

b) À force d’être trop désincarnée dans l’idolâtrie, la Beauté apparaît décevante, voire monstrueuse et diabolique :

HAINE 4 Grimace

Photo par Shawn Shawhan


 

L’attachement excessif à la beauté plastique humaine entraîne fatalement chez certaines personnes homosexuelles une déception du Réel vivant, et une angoisse du temps qui passe : « Je pensais que l’amour protégeait du malheur. Que la beauté, la candeur, la jeunesse protégeaient de tout. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 237) ; « J’imaginais Lole couchée dans le petit lit, regardant le plafond et les murs où étaient accrochées les photos et les affiches de sa fille Clara, chanteuse folklorique argentine. Elle devait regretter la beauté de Clara, la beauté radieuse de ces photos. Elle devait serrer les poings pour retenir ses larmes. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 71) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. […] Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 

La beauté physique n’étant pas à la hauteur de leurs espérances, elles dévaluent à la fois la beauté et la Beauté : « Un beau visage, c’est le commencement de la souffrance. » (Julien Green dans l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 20 mai 1983) ; « Plus tard, à l’approche de la première lumière qui annonce le grand jour, je me retrouvais dans sa chambre sans trop savoir pourquoi. Sa forte ombre qui tournait autour de moi bourdonnait des mots incompréhensibles, tel un chanteur aux mâchoires serrées. […] La sensation de beauté qui m’avait ébloui la veille, laissa la place à un visage banalement masculin, pas nécessairement très beau mais sexy, avec un air d’ivresse dans les yeux. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 66-67) ; etc. Comme leur attrait pour les belles choses a un goût amer d’inceste ou de possession, la beauté finit par les laisser de marbre et par provoquer le dégoût. Dans leur esprit, la Beauté est liée à la mort, s’annonce sous la forme d’une catastrophe. Tout comme la Vérité (cf. « Y’a que la Vérité qui blesse ! »), Elle ferait mal.

 

Elle n’est pas présentée comme un atout, une valeur positive et humaine. Tout le contraire ! Elle serait plutôt un cadeau empoisonné, qui assigne un sombre destin : le destin de la star suicidaire. Beaucoup d’individus homosexuels La considèrent comme un danger mortel et diabolique, qui soumet et asservit à la fois celui qui La porte et son adulateur. Ce dernier perdrait tous ses moyens, ne semble avoir aucune résistance face à Elle : « Genet n’aime que l’apparence, ne se soumet qu’à l’apparence, laquelle est à la fois le Mal, l’Autre et la Beauté. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 122) ; « Je ne suis pas innocente. J’ai toujours succombé à la beauté. J’écris pour dire ce ravissement-là. » (la romancière Nina Bouraoui dans l’émission Culture et Dépendances, sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004) ; « L’infernale beauté de Tarik Ramadan […] Sa beauté est infernale. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), pp. 10-11) ; « J’ai vu ses beaux yeux bleus, en effet, et j’ai fait comme tout le monde : j’ai oublié la démocratie. » (Philippe à propos du beau dictateur de Syrie, idem, p. 90) ; « Ce jour-là, une envie de meurtre flottait comme un parfum vénéneux chez Concha Bonita. Elle dormait tranquillement sans soupçonner combien ceux qui l’entouraient souhaitaient la voir disparaître à jamais. Ses cheveux dessinaient des arabesques sur l’oreiller argenté. Ses traits étaient parfaitement harmonieux. Elle avait victorieusement résisté aux années. Concha était belle comme un félin sauvage, sans âge, puissant, toujours prêt à bondir. » (Alfredo Arias en parlant de l’homme transsexuel M to F Concha Bonita, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 30) ; « Sa beauté me détruit. » (Christophe Honoré en évoquant Sébastien, un camarade de classe, dans son autobiographie Le Livre pour enfants (2005), p. 74) ; « Estelle avait un fils, Stéphane, né d’un premier mariage malheureux, et ce fils venait de partir à Paris où il voulait faire, disait-il, des études de théâtre. Il était beau et séduisant, avait la beauté du diable, ne laissait personne indifférent ; il suscitait tantôt un malaise immédiat, tantôt un vif intérêt. Il aimait et sentait la musique er les beaux-arts, il dessinait, il jouait de plus d’un instrument. Or, un jour de la même année 1983, Estelle, devant témoin, apprend, de la bouche même de son fils, avec les détails les plus crus, que ce fils, délibérément (il était hétéro), s’était engagé comme prostitué homo dans un ‘sauna’ à Paris. C’était par ‘perversion’, en un sens technique de ce mot, que Stéphane en personne employait en me parlant de lui-même. Celui qui se souille ainsi le fait pour souiller par là un monde hostile, pour défier la censure maternelle et, avant tout, pour châtier son père qui l’avait abandonné. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 233) ; « Le dark coexiste avec la beauté d’une manière parfaite. » (le chanteur homosexuel Mika dans l’émission The Voice 5 sur la chaîne TF1 le 5 mars 2016) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand est obsédé par le monde de la peinture, et c’est sa mère qui l’a initié à cette drogue : « On passait des heures devant les agneaux à deux têtes. Il était bouleversé. Nous étions en plein syndrome de Stendhal. Ivres de beauté. » (la voix-off de la maman) Mais curieusement, pendant tout le reportage, le passionné de peinture va se mettre en quête du motif de la monstruosité dans les œuvres picturales qu’il observe, au point d’en faire son sujet d’étude : il veut « un truc qui soit à la fois beau, à la fois pas beau ».
 

À l’intérieur même du « milieu homo » (et plus largement dans notre société, qui paradoxalement est obsédée par la beauté médiatique pour mieux délaisser et détruire les vrais Beautés des gens dits « ordinaires »), on observe un mépris croissant des individus homosexuels « âgés » pour leurs pairs plus jeunes et plus beaux, mépris qu’ils ont du mal à s’approprier tant par ailleurs ils connaissent leurs fantasmes de jeunesse et leur célébration du jeune éphèbe. Le jeunisme, étant un mouvement idolâtre (puisqu’il célèbre la beauté de magazine en croyant célébrer la vraie Beauté), s’accompagne bizarrement d’un mépris des petits minets, qualifiés très fréquemment de « superficiels », d’« arrogants », de « lâches », de « naïfs », d’« ingrats », d’« inexpérimentés », etc.

 
 

c) Une obsession/déception de la beauté plastique qui va jusqu’à la violence et la destruction :

La déception des personnes homosexuelles par rapport à la beauté s’accompagne en général d’un mouvement incontrôlé de destruction ou de viol, visant paradoxalement non pas à détruire la beauté mais à la restaurer/à la transformer en Beauté par la laideur et l’agression. Ce qu’on idolâtre, on veut le détruire, comme le montrent ces paroles de l’homme transsexuel Humberto Capelli, qui chante en théorie la beauté du sexe… pour mieux détruire concrètement le sien : « Le sexe est si beau, si frais, si merveilleux. » (cf. l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 251)

 

Par exemple, le one-woman-show transgenre Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, proposant un spectacle travesti détruisant la beauté féminine et masculine, est comme par hasard l’initiative et la création d’un groupe « artistique » qui a choisi de s’appeler « Embellie radicale ».
 

On voit même certaines personnes homosexuelles perdre la boule uniquement parce qu’elles ne se remettent pas de la beauté qu’elles contemplent : elles jalousent la Beauté et veulent La violer. Comme le souligne à juste raison Diane de Margerie à propos de l’écrivain japonais Yukio Mishima, « Chez lui, on trouve le désir de profaner et de tuer la beauté parce qu’elle est trop belle » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 21)

 

Ce qu’elles reprochent à la Beauté, c’est au fond le mal qu’elles Lui font en cherchant à La posséder pour elles seules, c’est l’espoir démesuré et égocentrique qu’elles misent sur Elle. Par exemple, quand le nom de la « Beauté » est applaudi, c’est généralement une diversion pour occulter de sombres pratiques (prostitution, « plans cul » d’un soir, luxure, consommation des corps, etc.) ou un mensonge identitaire.

 

C’est parce qu’elles atténuent la brutalité et la réalité du viol par l’esthétique, par la « Beauté », qu’elles se mettent parfois à désirer le viol. Par exemple, il leur arrive de trouver le diable beau.

 

Elles sacralisent le viol ou la souffrance en estampe magnifique, en beauté désirable : « Héba, la demi-sœur, est celle qui m’a le plus touché. Je pourrais même dire que, quelque part, je suis tombé amoureux d’elle. Dans une Égypte qui voile de plus en plus ses femmes, Héba était libre, avec sincérité et conviction. Elle était belle comme une star de cinéma, comme Mervat Amine, dont j’avais aimé tant de films, surtout les comédies romantiques. Elle fumait avec élégance et sans provocation. Elle était habillée en permanence en noir, ce qui donnait encore plus de charme à sa silhouette très allongée. […] Les hommes étaient subjugués, ils la mangeaient des yeux mais n’osaient pas lui manquer de respect. Elle passait, et tout le monde se posait cette question : Mais qui est cette femme ? C’était une star. Et pas que pour moi. C’était une femme-mystère avec un peu de tristesse dans les yeux. Un être exceptionnel autour duquel on pourrait construire un film, écrire un roman, un recueil de poésie. […] En présence d’une femme qui n’a rien oublié du passé et de ses blessures, qui n’a pas encore tourné la page et qui était dans cette douleur, devant nous, simple, sans manières artificielles. Digne. Belle. Belle. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 69-71) Par exemple, dans son roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), Marguerite Radclyffe Hall célèbre « la tristesse de toute beauté » (p. 251)

 

Il est fréquent que les personnes homosexuelles s’identifient à la femme cinématographique qui use de sa beauté comme d’une arme redoutable qui manipule les hommes, à celle par qui le scandale arrive : « Mes tantes paternelles étaient au nombre de trois. Elles étaient toutes les trois célibataires. […] Il semble que l’aînée, la plus belle, ait souffert d’une déception amoureuse et qu’elle ait dans son désespoir décidé de vivre recluse et d’entraîner ses frères et sœurs dans un même renoncement. Les femmes ont suivi. Les hommes se sont échappés. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 105) ; « Mon ami artiste avait esquissé l’aînée, la belle, celle qui avait provoqué le drame. » (idem, p. 112) La beauté fatale, en tant qu’instrument de vengeance et de pouvoir maléfique, est généralement enviée, désirée par la communauté LGBT. Parfois, dans la bouche de certaines personnes homosexuelles, l’adverbe « atrocement » ou « affreusement » est prononcé avec une telle jouissance frétillante qu’il pourrait être remplacé par « joliment ».

 

Même si elles se rendent parfois compte que la beauté plastique est le ressort classique employé par tout système totalitaire humain… elles sont quand même prêtes à mordre à cet hameçon facile comme si c’était du pain béni : « Cette année, les cadets de cinquième année étaient d’une particulière beauté. Au moment d’aller à la douche, quand nous étions tous forcés de nous déshabiller, la beauté de leur corps athlétique imposait un silence presque religieux. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 194)

 

L’obsession des personnes homosexuelles pour la beauté plastique, et donc pour un vernis kitsch dissimulant la mort, dévoile des pratiques et des viols qu’elles ont pu vivre. Par exemple, dans le documentaire « Beauty And Brains » (2010) de Catherine Donaldson, on nous montre que les concours de beauté sont une manière pour certaines personnes transgenres du Népal de camoufler/vaincre les viols et les abus qu’elles ont subis par le passé. Autre exemple : pendant le concert Météor Tour du groupe Indochine (à Paris Bercy, le 16 septembre 2010), des images de guerre sont intercalées à des documents d’archives sur les majorettes et les reines de beauté de la Seconde Guerre mondiale. Il existe une corrélation non-causale entre la glorification de la beauté plastique et les guerres : il est temps que nous nous en rendions compte !

 
 

d) Le mélange sacralisé du beau et du laid :

La soumission (inconsciemment devinée) à la beauté plastique, et au cortège de mauvaises actions qu’elle implique, est généralement illustrée/camouflée par un écran kitsch & camp, ces deux courants artistiques plaçant l’inversion destructrice sur un piédestal. En effet, de nombreux individus homosexuels vont présenter le beau comme laid, et le laid comme beau ; et cette profession de foi artistique constitue, selon eux, le summum de la Beauté (… et pour les lecteurs avertis que nous sommes appelés à être, elle est dans le fond le summum du déni du fantasme de viol, et parfois du viol réel).

 

HAINE 5 couple lesbien

 

Dans les œuvres homosexuelles, surtout celles écrites par des artistes homos dandys, ou par ceux qui se revendiquent héritiers du Marquis de Sade, le beau et le laid sont sans cesse mêlés : je vous renvoie par exemple au roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana, à la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, etc. Dans le film « Salò O Le 120 Gionate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, on passe insensiblement du raffinement précieux (avec notamment le discours caressant des conteuses) à l’horreur totale (les scènes de torture).

 

Par exemple, dans la pièce Orphée (1926) de Jean Cocteau, la phrase que le cheval dicte à Orphée, c’est « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers et Orphée la trouve extraordinaire, magnifique… » Quand on décompose les initiales, ça fait « M.E.R.D.E.».

 

Dans le recueil de nouvelles Le Mariage de Bertrand (2010) d’Essobal Lenoir, on est proche du détournement de la naïveté des contes pour enfants. On a du « trash », de la scatologie, au beau milieu de la reconstitution d’un monde imaginaire pourtant très enfantin et poétisé. Par exemple, dans la nouvelle « La Carapace », on assiste à la description d’un gamin qui a du mal à faire caca, et qui a des délires scatologiques, mais cette poussée s’emballe en envolées lyriques, en délires scatologiques. Dans la nouvelle « Kleptophile » (2010) du même auteur, au rayon parfumerie d’un grand magasin, la description des produits cosmétiques est associée à la sueur, à la bestialité, au mensonge.

 

Dans la croyance de l’artiste homo bobo, le beau surgirait de la merde, la poésie déborderait des latrines et se trouverait au cœur des backroom. Par exemple, Sylvano Bussoti combine dans son univers l’extrême beauté (je rappelle qu’il est décorateur, dessinateur, illustrateur, calligraphe) et l’extrême laideur (il montre un goût prononcé pour la scatologie et le sadomasochisme). De même, le romancier Hervé Guibert a commencé sa carrière en écrivant des contes pour enfants… pour finir par des écrits extrêmement sombres, parfois scatologiques. Manuel Puig, quant à lui, oscille insensiblement du raffinement glamour au pipi caca, des paillettes à la laideur camp : « Dans les dorures et les diaprures, la scatologie fait irruption. On croit rêver, et l’on se réveille en se tenant les tripes. » (Albert Bensoussan dans son prologue au roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 3) Chez Jean Cocteau, le beau et le laid se côtoient aussi très souvent (cf. le film « La Belle et la Bête », 1945). Derek Jarman, le réalisateur britannique, se passionne à la fois pour le théâtre élisabéthain… et pour l’esthétique de Ken Russel, l’humour punk kitsch !

 

La haine de la Beauté vient paradoxalement du bourgeois esthète homosexuel : pensons aux contes d’horreur macabre sensationnaliste El Monstruo (1915), El Árbol Genealógico et El Caso Clínico d’Antonio de Hoyos. Ils sont nombreux, ces auteurs nés dans des milieux sociaux plutôt aisés (Paul Verlaine, Alexandre Delmar, Philippe Besson, etc.), qui dans leurs romans, se plaisent à placer leur personnage homosexuel dans des décors et des contextes sordides qu’ils n’ont jamais connus personnellement, pour donner plus de réalisme et d’impact à leur désir d’authentifier l’amour homosexuel.

 

Beaucoup d’individus homos célèbrent le très beau et le très moche comme le plus raffiné, le plus jubilatoire, le plus rare (et parfois le plus drôle) des mélanges. « Visconti pouvait aussi bien être distingué, élégant et aristocrate que tigre sauvage rugissant des insanités. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 279) Ils ont un amour du beau qui va jusqu’à l’affreux : « Le Camp n’a que des prétentions esthétiques. […] Le dernier mot du Camp : affreux à en être beau ! » (Susan Sontag, « Le Style Camp », L’Œuvre parle (1968), pp. 442-450) ; « Je suis pas jolie. Mais je suis marrante. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla).

 

Tous les auteurs homos que je connais qui passent du raffinement esthétique à la merde, ou inversement, expriment la difficulté à habiter leur corps, à le considérer comme unique et beau. Ils adoptent un discours de grande bourgeoise libertine, de Sœur de la Perpétuelle Indulgence au milieu d’un sauna, mais ils n’assument pas tant que cela de parler à visage découvert. Ce sont des révolutionnaires trouillards.

 

L’inversion entre le beau et le laid, même s’ils ne la conscientisent pas ainsi, dit leur déception d’eux-mêmes et du monde, leur refus d’aller chercher la Beauté au-delà du paraître et des objets, et enfin leur plan de vengeance dirigé contre la beauté plastique et contre leur propre attachement crispé à celle-ci.

 
 

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