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Code n°184 – Voyante extralucide (sous-code : Cartomancienne)

voyante

Voyante extralucide

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La voyante extralucide est le personnage chouchou de la communauté homo. Souvent, dans les fictions, le personnage homosexuel va la consulter, ou bien s’identifie à la cartomancienne qui lit les boules de cristal et le tarot. Le meilleur exemple à mes yeux, ce sont les clichés pris par Pierre et Gilles pour sublimer la comédienne Marie-France. La voyante peut prendre la figure la mère, mais elle est plus souvent l’actrice qui joue le rôle de la dangereuse Gitane par qui le scandale arrive, cette femme mystérieuse et étrangère qui trompe par amour parce qu’elle veut justement manipuler l’amour et le futur. La voyante, dans l’iconographie homosexuelle, est source de fantasme, et parle du désir homosexuel à voix basse. C’est pour cela qu’elle mérite d’être écoutée.

 

Marie-France par Pierre et Gilles

Marie-France par Pierre et Gilles


 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Carmen », « Magicien », « Regard féminin », « Se prendre pour Dieu », « Mère gay friendly », « Reine », « Attraction pour la ‘foi’ », « Fresques historiques », « Mort = Épouse », « Femme fellinienne géante et pantin », « Amant diabolique », « Destruction des femmes », à la partie « Amour sorcier » du code « Liaisons dangereuses » et à la partie « Carte » du code « Inversion », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel va consulter une voyante, ou bien s’y identifie :

Marnie dans la série True Blood

Marnie dans la série True Blood


 

On retrouve la voyante dans le film « Jeepers Creepers » (2001) de Victor Salva (avec la voyante noire), la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le roman Le Visionnaire (1934) de Julien Green, le roman Un Salon blanc et vieil or (2003) de Catherine Bourassin, le film « Hammam » (1996) de Ferzan Ozpetek (avec la voyante qui lit l’avenir dans le marc de café), le film « Tiresia » (2002) de Bertrand Bonello, le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin (la mère du héros gay Dominique a ses dons de voyance), la chanson « Noche de Tarot » de Marta Sánchez, la chanson « ExtraTerrestre » (2011) d’Arielle Dombasle en duo avec Philippe Katerine (où Dombasle dit qu’elle « est extralucide »), le film « Elena » (2010) de Nicole Conn (où Tyler Montague est le voyant, l’entremetteur entre Elena et Peyton), le film « Los Amantes Pasajeros » (« Les Amants passagers », 2013) de Pedro Almodóvar (avec la voyante provinciale), le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli (avec Félicité, la cartomancienne à barbe, appelée aussi « Nounou » ou encore « la Barbue »), etc. Par exemple, dans le téléfilm Under the Christmas Tree (Noël, toi et moi, 2021) de Lisa Rose Snow, les deux amantes lesbiennes Charlotte et Alma se rendent à une fête de Noël démoniaque où l’une est déguisée en démon et l’autre en ange, et toutes deux se rendent ensemble voir une cartomancienne qui leur tire les cartes et leur annonce un couple durable.

 

Florence Lee

Florence Lee


 

La voyante sert parfois de substitut au médecin… ou à Dieu. « C’est une voyante ! Elle a une boule de cristal sur une petite table ronde, un hibou empaillé sur une perche. » (le narrateur homosexuel à propos de Delphine Audieu dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 80) ; « Vous êtes psychiatre ou voyante ? » (le père d’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc. Dans le film « L’Homme que j’aime » (1997) de Stéphane Giusti, par exemple, lors d’une discussion à Act-Up Marseille, Martin, à qui un autre militant demande depuis combien de temps il n’a plus fait de bilan médical, répond : « Je préfère aller voir une voyante. » Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle, la sœur de William (le héros homosexuel), lit dans les tarots et fait appel à la voyance. « On va voir ce que disent les cartes… […] La nuit entre deux rondes, j’interroge les arcades du futur. » Voyant que ses prédictions se révèlent justes, Georges, l’amant de William, lui propose de se professionnaliser : « Vous n’en ferez jamais un métier, de la voyance ? »

 

Il n’est pas rare que certains personnages homosexuels se prennent eux-mêmes pour une voyante (c’est une manière pour eux de se croire irrésistibles)… même s’ils tournent de temps en temps leur orgueil mégalomaniaque en dérision. « Tu sais que je suis un peu voyante à mes heures. Je tire toujours les cartes. » (Jean-Luc, un des personnages homos de la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali) ; « L’horoscope, ça ne peut être que moi. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Joséphine est un peu voyante. » (Jerry, travesti en Daphnée, s’adressant à Alouette à propos de Joe travesti en Joséphine, dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder) ; « Je ne suis pas voyante mais vous ne rentrerez pas seul ce soir… » (Fripounet, le serveur efféminé de la boîte gay Chez Eva, draguant lourdement le héros hétéro Alexandre, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc. Dans la pièce Une heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat, Claire, qui a des visions, dit en blaguant : « Je ne suis pas du tout voyante. »

 

Quand cette voyante est homosexualisée et jouée par un homme, elle figure en général l’amant diabolique, séduisant et ensorceleur, qui envoûte le héros gay (cf. je vous renvoie à la partie « Amour sorcier » du code « Liaisons dangereuses » et au code « Amant diabolique » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Vous aimeriez savoir quelque chose sur votre avenir ? » (un devin, marchand d’encens, s’adressant à son futur « plan cul » Paul, dans le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari) ;

 

La voyante fictionnelle est souvent considérée comme une mère – spirituelle ou de sang – par le héros homosexuel, voire une prostituée : « Le don de la clairvoyance de votre mère est célèbre aux quatre coins du globe ! » (Monsieur Charlie s’adressant à Audric, dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Maman était une extralucide de première ! » (Audric, idem, p. 17) ; « Tu ne savais pas que je sais lire dans les tarots. » (la prostituée « Quarante » dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; etc. Le personnage gay serait l’héritier direct de la puissance du devin extralucide asexué. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Noémie joue la cartomancienne : l’âme de la mère de Kévin (le héros homosexuel) s’incorpore en elle et ce dernier se jette alors sur Noémie en hurlant « Maman !!! ». Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, par exemple, Chance, le héros homosexuel, associe sa mère décédée à une voyante. Et quand il rencontre le drag queen « Claire Voyante », celui-ci défend mordicus son titre de médium (« Voyante, je le suis. »), et somme le jeune homme, comme lors d’un lavage de cerveau, de croire en la « réalité » de ses dons paranormaux, de l’homosexualité, et de l’inversion de sexe : « Et n’oublie pas, Chance. C’est une illusion dont tu dois convaincre tout le monde. À commencer par toi-même. » Mais, au grand dam du personnage homo, sa voyante adorée est souvent une mère démissionnaire et distante, qui finit par trahir. « D’une autre voix qui rit, je l’entends dire : ‘Je ne suis pas ta mère. Je suis Hadda. Bientôt voyante. Bientôt sorcière. Je ne suis pas ta mère. » (Omar parlant de sa « mère » dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 146) ; « Je suis Hadda. Un peu sorcière. Un peu voyante. Malgré moi. » (Idem, p. 189) ; etc.

 

Film "Ghost" de Jerry Zucker

Film « Ghost » de de Jerry Zucker


 

Généralement, la voyante est un oiseau de mauvais augure. Par exemple, dans le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally, la gitane rencontrée par le couple de lesbiennes leur pronostique une vie courte. Dans le roman Boquitas Pintadas (Le Plus beau tango du monde, 1972) de Manuel Puig, Juan Carlos va consulter une voyante et celle-ci lui annonce de grands malheurs en amour. La voyante cinématographique des homosexuels fictionnels prédit souvent de terribles catastrophes, des ruptures, des changements soudains, un destin maudit, un succès fulgurant. Elle impose une vie où la liberté n’a plus sa place. Et comme beaucoup de personnages homosexuels rêvent d’un destin d’Iphigénie, se prennent pour des êtres maudits par l’Amour, vivent à l’affût des coups de foudre et des situations où l’instant prédomine, fait sa loi, et prive de désir, ils l’écoutent comme un prophète.

 

b) La femme-objet idéale du personnage homosexuel est une cartomancienne (souvent lesbienne/transsexuelle) :

 

Concernant la cartomancienne, je vous renvoie au film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, au film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, à la chanson « Mon Rêve » de Christine Bonnard (la femme en jaune) de la comédie musicale Non, je ne danse pas ! (2010) de Lydie Agaesse, au film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan (avec Diane, la mère), à la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet (avec Madame Mime et la Reine de Cœur jouant aux cartes ensemble), au film « Le Testament d’Orphée » (1959) de Jean Cocteau, au film « Ce que je sais d’elle… d’un simple regard » (2000) de Rodrigo Garcia (avec la cartomancienne Lilly), au téléfilm « Marie Besnard, l’empoisonneuse » (2006) de Christian Faure (avec Madame Beaujean), à la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron (avec Madame Lefontaine), le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (la mère d’Henri joue au cartes toute seule), etc. Dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, la mère de Dominique excelle dans l’art du tarot. Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (précédemment citée) de Christophe et Stéphane Botti, Audric croit au pouvoir des cartomanciennes. Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, « Rayon », le transsexuel M to F habillée en femme avec son fichu, propose à Ron de jouer aux cartes dans leur chambre d’hôpital. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Grace, la mère toxique de John le héros homosexuel, joue aux cartes. Dans la pièce L’Argent de la Vieille (2024) de Rodolfo Sonego, Amanda Lear campe le rôle d’une comtesse odieuse qui adore soumettre les gens à son pouvoir de joueuse virtuose de belote. Elle est souvent habillée en violet et dit que « les cartes ne mentent jamais ».

 

Le lien entre homosexualité et voyance est relativement présent dans les fictions traitant du désir homosexuel aussi parce que la voyante est le symbole de la féminité mystérieuse, inaccessible, toute-puissante, dangereuse (il y a de la misogynie dans l’adoration homosexuelle pour la voyante). Beaucoup de personnages gays et lesbiens s’identifient à cette gitane un peu macho, qui domine en amour, qui représente le summum de la séduction. Dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, par exemple, Kévin, le personnage homosexuel, tire les cartes à Pierre pour le draguer. Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, Mechita tire aussi les cartes à Venceslao. La cartomancienne est généralement la meneuse d’hommes, celle qui les manipule : je pense notamment au sublime personnage de peste d’Isabelle dans le film « Maverick » (1994) de Richard Donner (personnage joué par l’actrice lesbienne Jodie Foster, comme par hasard…) qui se conduit comme un cow-boy et fait tourner les hommes en bourrique ; on peut se remémorer également la Mylène Farmer androgyne qui joue aux cartes dans le salon de précieuses du clip « Libertine » ; on mentionnera par ailleurs le duo lesbien Chanel/Pierrette dans le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (ces deux femmes se retrouvent pour jouer aux cartes ensemble dans leur chambre).

 

Film "Maverick" de Richard Donner

Film « Maverick » de Richard Donner (Jodie Foster, icône lesbienne)


 

C’est pour cela que le héros homosexuel cherche parfois à l’assassiner : cf. le film « Curse Of The Queerwolf » (1988) de Mark Pirro, le roman Le Bal des folles (1977) de Copi (avec l’assassinat gore de Delphine Audieu), le film « The Cost Of Love » (2010) de Carl Medland (avec le travesti M to F déguisé en voyante et frappé), etc. « Ayez pitié d’une pauvre femme par-dessus vieille ! J’allume la boule. Vous la voyez votre petite Delphine pendue ? Monsieur, me dit-elle, je me sens mal. Mes sels ! Je la gifle. Je l’attrape par les cheveux, lui cogne le front contre la boule de cristal, elle râle, elle s’affaisse sur sa chaise, elle a une grosse boule bleue sur le front, un filet de sang coule de son oreille. En bas on entend le bruit régulier de la caisse, je regarde par la fenêtre, le boulevard Magenta est toujours le même. La vieille continue de râler, je l’étrangle, elle meurt assise. Je me recoiffe de mon peigne de poche, j’enfile mon imperméable. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 89)

 

La voyante est l’allégorie de la féminité fatale : celle qui subit le viol à distance, par personne interposée. « Oh mon Dieu ! Je vois une chose terrible !! oh mon Dieu… terrible malheur ! ». Elle s’évanouit, subit les souffrances du monde à distance. C’est une déesse violée, un pantin qui semble prêter son corps et son esprit à la vie des autres, qui n’existe pas pour elle-même. C’est un fétiche. Il n’y a qu’à voir tous les objets et les bijoux scintillants qui l’entourent pour le comprendre. Un déguisement de transgenre à elle toute seule !

 

Film "Reflets dans un oeil d'or" de John Huston

Film « Reflets dans un oeil d’or » de John Huston


 

Enfin, la voyante touche aussi le public homosexuel car elle l’introduit dans l’univers des fantômes, de l’invisible, de l’Homme invisible, et donc de l’androgyne. D’ailleurs, cette femme n’est pas réellement une femme : elle est plutôt figure d’inversion (transidentitaire). Le fait qu’elle soit très souvent cartomancienne dans les œuvres homos le prouvent : la voyante fait de la carte un miroir d’elle-même, une invertie en quelque sorte. Et puis, dans les œuvres homosexuelles, la voyante est souvent lesbienne/transsexuelle. On la voit généralement habillée en violet ou en mauve (la couleur du lesbianisme ou de la bisexualité) : cf. le film « Good Morning England » (2009) de Richard Curtis (avec la lesbienne mauve), la pièce Hors-Piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt (avec Francis, le héros homosexuel habillé en violet), le film « Potiche » (2010) de François Ozon (avec Suzanne, la femme en violet), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Léonor la lesbienne en violet), le film « Bettlejuice » (1988) de Tim Burton (avec le violet associé au lesbianisme), etc. « Comme à cette heure il fait encore un peu froid dans le petit salon, elle [Gabrielle] jette un châle mauve de velours chenille sur ses genoux. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 98) ; « Mamie, à la scholle, elle porte sa robe à dentelles violette. » (Laurent Spielvogel imitant dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc. Je pense à Élie Kakou jouant la voyante dans ses sketchs (avec son voile en tricot violet de Mme Sarfati) ; à la tante de Sonia (habillée de mauve) dans le film « Días De Boda » (2002) de Juan Pinzás ; à Elisabeth Taylor en Leonora (tout de violet vêtue) jouant au black-jack dans le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Secundo voit les yeux fermés « une femme habillée en mauve porte une robe avec des petits fleurs ». Même le personnage de Laurette surnommée « Miss Tarot » dans le film « Camping 2 » (2010) est habillée en violet (et Dieu sait s’il y a des références homo-érotiques dans les films de Fabien Onteniente !). Et pour finir, dans le récent Disney « La Princesse et la grenouille » (2009), je trouve le Dr Facilier, (celui qui joue le rôle du méchant marabout, et qui est d’ailleurs habillé en violet) particulièrement efféminé. La voyante se prend pour un homme : ce n’est pas un hasard si très souvent, les voyantes se font appeler « Madame Soleil ». (symboliquement, le soleil, contrairement à la lune, est figure de paternité)… Ce n’est pas non plus anodin que, dans le dessin animé de Disney « Robin des Bois » la scène de la voyance (où le Prince Jean se ridiculise une énième fois) soit aussi le seul moment où Robin des Bois se travestisse et joue la femme castratrice. Il y a un lien fort entre l’homosexualité et la voyante. Elle est la jumelle narcissique, l’autre moitié androgynique et cérébrale du héros homosexuel. Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Jolie lit dans les pensées de Silvano : « Elle le gifla. Il en resta bouche bée. Qu’est-ce que tu es en train de penser de moi, salaud ? demanda-t-elle. » (p. 91). Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Mike, le héros homosexuel, traite ironiquement de « voyante » sa meilleure amie lesbienne Polly : « Mademoiselle Polly Martin la voyante » (p. 119).

 

Le Dr Facilier dans "La Princesse et la Grenouille" de Walt Disney

Le Dr Facilier dans « La Princesse et la Grenouille » de Walt Disney


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Didier

 

Certaines personnes homosexuelles se sont exercées à la voyance et à l’astrologie (Didier Derlich, Aleister Crowley, Max Jacob, Alain Joseph Bellet, etc.). Il est à ce titre amusant de taper sur les moteurs de recherche Internet l’association de mots « voyance et homosexualité » pour découvrir combien le milieu de la voyance a trouvé son public homosexuel !

 

VOYANCE En secret

 

Les sites de médiums spécialisés dans la gestion des amours homosexuelles fleurissent ! D’ailleurs, il faut voir, dans les dialogues de chat des sites de rencontres homos, l’importance que prend la mention du signe zodiacal dans les questions posées… Et les astrologues, dont le fantasme et la peur (notamment par rapport à la sexualité) sont le fond de commerce, ont tendance à alimenter la croyance en l’identité homosexuelle et à la pratique homosexuelle.

 

VOYANTE Maghreb

 

Pour ce qui est des cas connus de rapprochements entre la communauté homosexuelle et les voyants, on sait que Truman Capote, durant son enfance à la Nouvelle-Orléans, est fasciné par Madame Fergunson, une voyante extralucide. La grand-mère de Reinaldo Arenas, Brigida, était voyante, et l’a fortement influencé. En France, le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, homosexuel, a une soeur, Aïcha, qui est voyante (elle se fait appeler « Madame Aessa »). Quand le chanteur Mika parle de sa grand-mère, il la décrit comme une charmeuse et une ensorceleuse qui arrive toujours à ses fins. Dans l’autobiographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias, il est question de Dolly, une cartomancienne. Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, on voit apparaître la figure de la voyante. Jean-Luc Lagarce dans son Journal dit qu’il va consulter une voyante cartomancienne. Paula Dumont, dans sa biographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), décrit les démêlés qu’elle a eus avec une voyante extralucide. Quant à Jean-Claude Brialy, dans son autobiographie Le Ruisseau des singes (2000), il illustre très bien ce lien entre désir homo et voyante : « Un jour, j’osai frapper à sa porte et lui demandai de me dire l’avenir. Elle posa son regard de danseuse orientale sur moi, sa main longue et blanche sur les tarots, et me prédit une carrière artistique et une réussite sans problème. » (p. 34) La voyante dont Abdellah Taïa parle dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) semble immatérielle, irréelle : « Elle était petite de taille, sans âge et portait des habits noirs. Elle était sans doute une mendiante et elle avait hérité d’un certain pouvoir. Elle savait faire. Elle savait toucher. […] Elle était entrée en moi, dans mon esprit, mon âme lui appartenait, elle la regardait avec douceur, avec brutalité. […] Et enfin, de sa main droite, elle a bouché mes narines. Plus d’air. Le grand sommeil. Le noir paisible. […] La dame en noir a lâché mon nez et de sa bouche a soufflé sur moi. » (pp. 93-94)

 

B.D. les 7 Boules de cristal de Hergé

B.D. Les 7 Boules de cristal de Hergé


 

Personnellement, je ne suis jamais allé voir une voyante (c’est ma religion qui ne me le conseille pas ;-))… preuve que ce que je dis sur les voyantes vis à vis des personnes homosexuelles est à prendre avec des pincettes, prioritairement dans son sens fantasmatique et non littéral (même si, dans mon entourage amical homosexuel, un certain nombre de personnes vont voir des voyantes, ou s’exercent à l’astrologie et au spiritisme, c’est un fait réel que j’ai l’occasion d’observer vraiment).

 

Ma toute première B.D. (avec le personnage de Rufus)

Ma toute première B.D. (avec le personnage de Rufus ; et la voyante à droite)


 

En revanche, quand j’avais 8 ans, j’ai dessiné une B.D. qui s’inspirait énormément des Cigares du Pharaon d’Hergé. Et il y avait dans mon histoire un personnage – dont le nom ne me revient pas – qui était quasiment plus important que le personnage masculin que j’avais initialement choisi pour héros, et qui ressemblait d’ailleurs à un bulldog : c’était la voyante extralucide. Je l’avais dessinée spontanément avec une toge mauve. À l’époque, j’avais été aussi très impressionné par le personnage de Mme Yamilah (habillée elle aussi en mauve) dans l’album de Tintin Les Sept Boules de Cristal : elle incarnait pour moi un fantasme identificatoire puissant. J’adorais la scène du music-hall où cette femme étrangère vit le viol à distance, annonce de manière esthétiquement belle un grand cataclysme en provoquant un scandale pas possible dans le théâtre. Oui, dans mon univers fantasmatique, j’ai aussi eu une aventure avec celle qui prédit la Bonne Aventure.

 

 

Pour finir ce chapitre, je proposerai bien une lecture sociale plus large pour expliquer ce curieux attrait des personnes homosexuelles pour ce cliché de la voyante. Il me semble en effet assez symptomatique que dans nos sociétés de plus en plus maternantes et féminisantes, cherchant à mettre à plat les limites du Réel ainsi que les règles de la Loi symbolique du Père, on fasse de plus en plus fait la louange des voyantes et de l’Intuition féminine en général. Ce mythe contemporain misandre de l’exceptionnelle « Intuition des femmes » est la nouvelle trouvaille des hommes et des femmes féministes. Il repose sur la croyance en un pouvoir particulier que possèderaient uniquement les femmes, les mères, et ceux qui, comme les personnes homosexuelles, auraient depuis la naissance une sensibilité « féminine », une finesse de perception, une acuité spéciale, pour déceler la Vérité, lire dans les âmes, avoir des rêves prémonitoires, comprendre avant tout le monde ce qui se passe au cœur de l’Homme (normal : elles ont fait des études en « psycho » et elles ont naturellement un « cœur de mère »…) Et je peux vous dire que beaucoup de personnes homosexuelles y croient, à cette blague ! « Mon fils était un héros. Moi, je le savais. Il est des dispositions que seule une mère perçoit. » (la psychiatre dans le roman, Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 220) ; « Quand il y a de l’amour, on peut tout comprendre. » (la mère de Paulo dans le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron) ; « On a sept vies quand on est une femme. » (cf. la chanson « Sept vies » de Tina Arena) ; « Las mujeres somos las de la intuición. » (cf. la chanson « Las De La Intuición » de Shakira) ; « C’est fou, les mères, on a un sixième sens ! » (Grany dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte) ; « Je dois avoir un sixième sens, comme maman ! » (le héros de la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Déjà que nous piquez tous les beaux mecs, laissez-moi au moins notre intuition. » (Alice dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) Dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau, Maya la lesbienne défend « l’intuition féminine ». Je vous renvoie également à la série française Clara Sheller de Renaud Bertrand (surtout l’épisode 2 de la première saison, en 2005, intitulé « Intuition féminine »). En me baladant au SIGL (Salon International Gay, Lesbien & friendly) organisé au Carrousel du Louvre de Paris, le 3 novembre 2007, je me suis rendu au stand de l’association des « parents d’homos », Contact, pour y croiser une femme que je connais assez bien, Christiane, puisqu’on la voit dans presque tous les plateaux-télé dès qu’il faut qu’une mère-courage témoigne du coming out de son fils. Amusé, je l’entendais jouer inconsciemment la féministe gay friendly : « Ce que femme veut… [Dieu le veut !] » Je n’ai rien dit. Je me disais juste en moi-même qu’à travers la bataille pour la reconnaissance de l’identité homosexuelle, certaines personnes (surtout des mères) en profitent bien pour prendre leur vengeance sur les hommes et s’annoncer en grandes prêtresses extralucides de la « tolérance » et de la « compréhension maternelle symbiotique ».

 
 

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Code n°185 – Voyeur vu

voyeur vu

Voyeur vu

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

Le voyeur vu… ou l’homophobie du désir homosexuel

 

Le désir homosexuel, au niveau de la sexualité, rejette la différence des sexes dès qu’il se pratique. Il expose donc la personne qui s’y adonne à vivre les illusions d’optique du narcissisme, le traumatisme des mirages de l’identité excessivement projetée ou de l’amour projeté hors de la sphère de conscience et de corporéité humaines. Elle devient son propre espion, son propre ennemi, son homophobe.

 

VOYEUR VU Antifas

 

Autrement dit, cette personne qui rejette chez elle et chez les autres la différence des sexes a tendance à plonger dans le nombrilisme à la fois extraverti et intériorisé, dans la paranoïa et l’exhibitionnisme. Elle a du mal à trouver une juste distance avec elle-même et avec les autres. La peur et la haine de soi jaillissent souvent en voyeurisme inconscient qui se laisse piéger lui-même par son propre jeu. C’est le propre de la psychose : « Dans une psychose, les transformations ‘en contraire’ sont très fréquentes, le désir de battre devient envie d’être battu, le désir de dévorer devient la peur d’être dévoré, le plaisir de regarder du schizophrène se transforme en peur d’être épié (c’est la direction de la pulsion qui est transformée et aucunement la représentation de l’objet). L’exhibitionnisme lui-même peut nous proposer une solution acceptable, car il y a sans doute dans le travesti l’identification avec l’objet qu’on aimerait regarder, satisfaisant ainsi d’une façon narcissique un voyeurisme ‘retourné’. » (Docteur Hans Werner, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 306)

 

C’est la raison pour laquelle, dans les fictions homo-érotiques, beaucoup de héros homosexuels vivent un violent retour de boomerang à cause de leur indiscrétion et de leur peur d’exister. Ils sont à la fois voyeur et voyant. Le voyeurisme est une activité qui dit un mal-être ou un effondrement identitaire caché (quand on est mal dans sa peau, on s’image que tout le monde est témoin de notre humiliation ! que tout le monde nous regarde), ou bien le fait qu’on désire être violé ou revivre un viol (oculaire ou physique) qu’on a réellement vécu.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Miroir », « Espion homo », « Poids des mots et des regards », « Regard féminin », « Lunettes d’or », « Homosexuel homophobe », « Amant modèle photographique », « Témoin silencieux d’un crime », « Main coupée », « Doubles schizophréniques », « Photographe », « Femme au balcon », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Passion pour les catastrophes », à la partie « Photo chiffonnée » du code « Actrice-Traîtresse », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Espionné :

VOYEUR VU Stores

 

Beaucoup de personnages homosexuels des fictions se sentent espionnés quand ils espionnent (cf. je vous renvoie au code capital « Poids des mots et des regards » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « J’arrive escorté de mouches. Je les reconnais : des mouches soviétiques espionnes. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Un Russe, messager de l’Enfer. » (idem) ; « Arrivé à cette page, il s’aperçut qu’il y avait quelqu’un qui le regardait. » (Copi, Un Livre blanc (2002), pp. 60-63)

 

VOYEUR VU Livre Blanc

Album « Le Livre blanc » de Copi


 

C’est parfois à raison, car on les observe vraiment. « Lâche-moi un peu. Arrête de m’espionner. » (Paul s’adressant à son amant Erik dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs) ; « Antoine éteignit la lumière, puis tenta de faire une mise au point sur la fenêtre d’en face. […] Il lâcha les jumelles. Il les ramassa et regarda de nouveau. Dans une pièce aux murs couverts de masques africains, Martine Van Decker, immobile, murmurait d’interminables borborygmes en l’observant. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 248. Dernière phrase du roman) ; « Je te rappelle qu’il y a un judas. Je te regarde depuis toute à l’heure. » (le compagnon s’adressant à Jérémy, surpris d’être observé, dans le one-man-show Bon à marier (2015) de Jérémy Lorca) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Gabriel, le héros gay, est espionné par sa mère, qui fouille dans son ordinateur portable. Dans le film « Zenne Dancer » (2012) de Caner Alper et Mehmet Binay, la famille d’Ahmet, très conservatrice, n’admet pas son homosexualité et engage un homme pour l’espionner.

 

Film "Vampire Diary" de Mark James & Phil O'Shea

Film « Vampire Diary » de Mark James & Phil O’Shea


 

Chez le héros, cette sensation d’être espionné est à la fois un sursaut de sa conscience et un sentiment infondé qui montre une schizophrénie narcissique ou une paranoïa. « Moi, j’aimerais beaucoup qu’il y ait des messieurs qui me suivent toute la journée. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) Par exemple, dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, le narrateur est espionné par sa mère Félicité, et lui rend la pareille : « Mais souvent aussi c’était son tour d’être épiée. » (p. 28) Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, réclame toute l’attention à lui tout seul : « Personne ne me regarde ! » Dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le « vous » narrateur agit comme une auto-hypnose. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Leopold croit qu’il a tué un de ses clients parce qu’il l’a poussé au suicide : « Franz, j’ai tué quelqu’un, un de mes clients s’est tué la cervelle. […] Je me sens comme si j’étais quelqu’un d’autre et que j’observais tout ce que je faisais […] comme si tout le monde savait que j’avais tué quelqu’un. » Dans le film « Dans le village » (2009) de Patricia Godal, la protagoniste vit avec « cette impression bizarre d’être observée ». Le voyeur vu est l’un des signes de la schizophrénie, c’est-à-dire un mélange entre voyeurisme et paranoïa. Le héros homosexuel, s’étant confondu avec son reflet dans le miroir ou bien avec l’objet de ses désirs, se croit espionné, et hurle donc à l’usurpation d’identité.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Au départ, le personnage homo faisait « son intéressante » en rentrant dans un rôle d’espionne espionnée, bref, en jouant « sa grande folle perdue » en danger ET dangereuse : « J’avais toujours le sentiment d’être épié. Pas par les autres. Par moi-même ! » (Jim, l’un des héros homosexuels, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Il est toujours sur le trottoir, il ne quitte pas les yeux de ma fenêtre et à chaque fois que j’écarte le rideau il me sourit. Je vais tout de même essayer de le larguer, je descends dans le hall de l’hôtel rasé de près et avec des lunettes noires, habillé d’un blouson en patchwork de satin que j’ai gardé depuis six ans, par hasard dans ma valise, je me suis coiffé bien en arrière avec les cheveux bien collés au crâne. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 107) ; « Il y a un espion dans la maison. […] C’est Laure la traîtresse. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, 130) ; « Oh l’espion ! J’étais surveillé, photographié, sans m’en apercevoir ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 115) ; « Je suis absolument bouleversée, il vient de m’arriver une chose atroce ! Je me suis fait violer par mon chauffeur, c’est le mari de ma gouvernante, ce sont des gens terrifiants, elle s’habille en gitane pour me faire honte lors de mes réceptions. Elle surveille tous mes gestes, je l’ai surprise à me photographier dans ma baignoire ! Et son mari est un colosse qui m’a violée à deux reprises ! » (« L. », le héros transgenre M to F s’adressant à Hugh dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Goliatha, le rat me regarde ! J’ai peur ! » (« L. » parlant à sa bonne, idem) ; « Vous avez vu ? Elle m’espionne ! » (la mère dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Elle me regardait avec des jumelles. » (le narrateur homosexuel parlant de son amant le Rouquin, dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 110) ; « Depuis trop longtemps j’ai toujours refusé qu’on me photographie. » (Vincent Garbo, le héros homosexuel pourtant narcissique à souhait, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 60) ; etc.

 

Dessin de Roger Payne

Dessin de Roger Payne


 

Le fait d’être vu en train d’espionner semble être source d’excitation sexuelle chez certains protagonistes homos. Une satisfaction donjuanesque. Par exemple, dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le voisin de cabine de douche du héros l’autorise à le regarder se masturber : « Tu peux regarder si tu veux… » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, découvre que son voisin de l’immeuble en face du sien, à San Francisco, l’espionne en cachette. Non seulement il ne résiste pas à cette intrusion oculaire, mais il l’entretient : il se désape et s’offre cul nu à lui. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance observe son futur copain – et voisin – Levi par la fenêtre, d’un immeuble à un autre, ou plutôt d’une maison à une autre, et Levi finit par voir qu’il est observé. Dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, la narratrice lesbienne, espionne et prend plaisir à être épiée. Elle décrit d’ailleurs cette même jouissance puérile chez toutes ses partenaires sexuelles : « Tout à ce qu’elles disaient, elles ne remarquèrent pas que je les observais. […] Elles refermèrent soigneusement la porte de côté derrière elles. J’avançai vers la vieille porte et cherchai un trou qui me permettrait de voir. Je les essayai tous. » (pp. 46-47) ; « Je ressens en sa compagnie des sensations qui me plaisent beaucoup. Elle m’habille, me déshabille, et je peux à loisir me montrer dans le plus simple appareil. Ce que j’aime le plus en ce moment, c’est de me présenter vêtue seulement en haut. Je me promène ainsi assez longtemps devant elle, feignant de chercher dans mes armoires des vêtements ou des objets dont, on s’en doute, je n’ai nul doute. Je l’observe du coin de l’œil pour voir si elle s’intéresse à moi et si mon manège éveille en elle quelque chose. D’abord, ses yeux se baissent à la vue de ma nudité, puis elle se met à regarder. À cet instant, bien qu’elle ne me touche pas, j’éprouve une sorte de plaisir. » (idem, p. 95) ; « J’aimais qu’elle me scrute ainsi. » (Alexandra parlant de sa bonne/amante, op. cit., p. 122) ; « À travers le miroir, on voyait bien la chambre et le lit. Au bout d’un moment, on vit la bonne entrer. Elle se mit à se déshabiller, puis, s’allongeant sur le lit langoureusement, bien en face de nous, se caressa tour à tour le bout des seins et le plus sensible. Je sentais que Marie était tétanisée par la peur que cela ne me déplaise. Dans un effort d’audace, pourtant, elle me prit par la taille. De l’autre côté du miroir, la bonne, se sachant observée, les cuisses bien écartées, faisait avec ses doigts des mouvements qui laissaient voir toute la profondeur de son intimité. Malgré l’état de peu de réceptivité dans lequel j’étais, j’en fus vite troublée. Ses poses étaient terriblement provocantes, et bientôt je sentis monter en moi une envie féroce de me satisfaire. Marie, dans le noir où nous étions, avait beaucoup plus d’assurance et me caressait presque. » (idem, p. 152) ; etc. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, l’un des plans cul de Erik, nommé Russ, aime que ses voisins de l’immeuble d’en face puissent le surprendre en train de niquer : « J’aime m’exhiber. » dit-il. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, lorsque Pascal, le héros homosexuel, fait l’amour avec un homme dans les fourrés, il n’est pas du tout molesté par un voyeur qui leur demande la permission de les mater (« Je peux pas rester ? ») pour se masturber et jouir du spectacle. Le partenaire de Pascal, halluciné, ne comprend d’ailleurs pas pourquoi Pascal se complait à ce type de viol visuel d’intimité (« Ça te gêne pas qu’on te regarde ??? »). Dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David et Philibert, au début du spectacle, sont observés par les voisins de l’immeuble d’en face ; et à la fin de la pièce, ils parodient des spectateurs qui les regardent comme des statues du Musée Grévin. Dans le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, l’héroïne observe par le trou de son mur sa voisine noire dans sa salle de bain ; la première fois que celle-ci se sait espionnée, elle hurle d’effroi. Mais au fur et à mesure que le voyeurisme se répète, la voisine se laisse faire avec complaisance et consentement lesbien. Dans le film « Shortbus » (2006) de John Cameron Mitchell, la scène finale montre que les deux amants homosexuels (Jamie et Jamie) se regardent l’un l’autre à la fenêtre dans des immeubles qui se font face, sans s’y attendre, et surtout sans parvenir à communiquer et à s’aimer vraiment. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, le couple Julien/Yoann est filmé en « sextape » par la belle-mère de Julien, Solange. Plein de photos ont été prises pour exercer un chantage. Ça n’a pas l’air de déplaire à Yoann, tout excité d’avoir été capté dans ses ébats intimes : « Elle nous a pris en photo !! » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Meri, le prostitué transsexuel M to F, dit qu’il « aime regarder ses clients dans les yeux pendant qu’il les excite » Dans les dessins érotiques de Roger Payne, très souvent le voyeur est aperçu par celui qui est maté en cachette.

 

Roger Payne (le voyeur vu dans le miroir par celui qui  jouissait de lui-même devant sa glace)

Roger Payne (le voyeur vu dans le miroir par celui qui jouissait précisément de lui-même devant sa glace)


 

Comme pour illustrer inconsciemment cette fusion entre le spectateur et l’acteur, certains couples homosexuels se filment pendant leur coït sexuel : cf. les films « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) et « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, « Saturn’s Return » (2000) de Wenona Byrne, le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, etc. « Sur un site de rencontre je discute avec P.-O. Je lui explique que je cherche un garçon qui accepterait que je filme notre rencontre. Il écrit qu’il accepterait. Je garde ma caméra numérique au poing. » (Mike, le narrateur homosexuel dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 56) ; « Ahh, qu’est-ce que ça rend sûr de soi de tenir une caméra, hein ? Et si moi je la prenais et que je te filmais ? » (P.-O. s’adressant à son Mike, op. cit., p. 57) ; « Je décide qu’on baisera là, pour le clignotement rouge sur nos peaux, sur la sienne surtout. Je tiens la caméra à bout de bras pour avoir un grand angle sur nous. » (Mike, op. cit., p. 57) ; etc.

 

Angela dans le film "Tesis" d'Alejandro Amenabar

Angela prise à son propre jeu, dans le film « Tesis » d’Alejandro Amenabar


 
 

b) L’arroseur arrosé :

Après avoir espionné, le voyeur finit par être observé à son tour, comme l’arroseur arrosé : cf. le film « La Fenêtre d’en face » (2002) de Ferzan Oztepek, le film « Robe d’été » (1996) de François Ozon (avec le personnage de Luc), la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron, la chanson « Vis-à-vis » d’Étienne Daho, le roman Detrás Del Rostro Que Nos Mira (1967) d’Héctor Biancotti, la chanson « Who’s Zoomin’ Who » d’Aretha Franklin, le film « Les Résultats du Bac » (1999) de Pascal Alex Vincent, le film « Feux croisés » (1947) d’Edward Dmytryck, le film « Les cinq sens » (1999) de Jeremy Podeswa, le film « Hubo Un Tiempo En Que Los Sueños Dieron Paso A Largas Noches De Insomnio » (1998) de Julián Hernández, le film « Watching You » (2000) de Stephanie Abramovich, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, le film « Le Troisième Œil » (1989) d’André Almuro, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, etc. Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, le concept de l’émission Stars chez eux dirigée par Graziella, la présentatrice télé psychopathe, c’est, « », de « piéger les stars qui croient piéger leur public ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, rentre de force dans une boîte échangiste et tombe sur une femme qui se fait pénétrer par des hommes, et qui l’oblige à prendre part à la sauterie : « Viens participer au lieu de regarder ! » Il finit par rentrer dans le jeu.

 

« J’ai lâché prise mon Dieu, ça vous étonne ? Prise à mon propre piège » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 105) ; « J’aime les scandales quand ils concernent les autres. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Pour la première fois une voyeuse se sentait regarder. » (idem, p. 141) ; « Ce à quoi je parviens le plus difficilement à croire c’est à ma propre réalité. Je m’échappe sans cesse et ne comprends pas bien, lorsque je me regarde agir, que celui que je vois agir soit le même que celui qui regarde, et qui s’étonne, et doute qu’il puisse être acteur et contemplateur à la fois. » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, p. 84) ; « Si le subtil lecteur pouvait porter son regard plus loin, au-delà de la place, jusqu’à la fenêtre de l’hôtel particulier rose, là-haut, il apercevrait Boléro de Ravel en train de cadrer Tarzan dans le viseur meurtrier de son fusil de chasse. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 104) ; « Sur le moment, il me semble qu’un tiers se tromperait à prétendre me désigner lequel, de mon reflet ou de moi, est l’original et lequel la copie. […] Moi Vincent Garbo regardant celui qui me regarde, la bénéfique utilité du miroir se retourne en maléfice : non seulement mon reflet a pour moi cessé d’être la preuve que je peux être vu, que je suis dans cette pièce et que je pourrais en sortir, mais il me persuade même carrément du contraire. Je ne serais pas du tout surpris de voir l’autre quitter le miroir et d’être obligé d’attendre qu’il y revienne pour pouvoir exister encore un peu. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 53) ; « Maintenant il va falloir faire davantage attention aux services secrets. » (Jean-Marc s’adressant à son amant Jean-Jacques… alors que c’est lui l’infiltré, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Pourquoi tu t’excuses ? C’est pas grave si tu me regardais. » (Arthur s’adressant à son futur amant Julien, dans le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann) ; « Je suis mon agent double. » (c.f. la chanson « Espionne » de Catherine Lara) ; etc.

 

Film "Salo ou les 120 journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini

Film « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pier Paolo Pasolini


 

Ce jeu miroitant des regards peut se terminer très mal pour le héros homosexuel (cf. je vous renvoie au code « Témoin silencieux d’un crime » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, un jeune chasseur est transformé en cerf pour avoir osé surprendre un homme transsexuel M to F dans une forêt. Dans le film « Rear Window » (« Fenêtre sur cour », 1954) d’Alfred Hitchcock, Cary Grant est témoin d’un meurtre qu’il a observé depuis sa fenêtre, et le tueur finit par lui rendre visite pour l’éliminer. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Rinn, l’une des héroïnes lesbiennes, force son amie Suki à l’embrasser sur la bouche, par jeu et « pour s’entraîner ». Cela finit mal car elles sont surprises par Juna et Kanojo. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Étienne, le héros homo, a eu l’indiscrétion de filmer le coït de son meilleur ami avec une fille : le couple coupera les ponts avec lui. Dans la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, Jenny, le héros transsexuel M to F, devient le voyeur vu alors qu’il espionnait ses voisins dans l’immeuble d’en face. Dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, Léni était espionne, mais va retourner sa veste en s’engageant dans la voie du contre-espionnage. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, Odetta est piégée par son propre voyeurisme puisqu’elle finit par être pétrifiée comme les photos qu’elle prend. Il arrive le même sort au professeur d’Angela dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, mort bouche-bée devant son écran de cinéma. Dans le film « Une Vue imprenable » (1993) d’Amal Bedjaoui, Alexandra et Léa s’observent aux jumelles d’un appartement à l’autre. Dans le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, Philippe filme et observe par la fenêtre les coïts de ses voisins homos… qui à la fin deviendront accidentellement voyeurs de leur voyeur. Dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, Charlie et Dean regardent depuis la rue un couple homo s’embrassant à sa fenêtre… et on découvre ensuite que ce couple n’est autre qu’eux-mêmes. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, tous les personnages homosexuels finissent par payer de leur vie le fait d’avoir été voyeur : « Il avait un drôle de truc dans l’œil. » dira Henri par rapport à Michel qui finira par le tuer. Dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, Ati et Shirin, les héroïnes lesbiennes qui se mataient entre elles et qui regardaient des émissions de télé-réalité, se retrouvent espionnées par des caméras de surveillance placées par le mari de l’une d’elles. Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie, l’héroïne lesbienne, est matée aux jumelles (d’un Happy Meal au Mc Do !) par Anne, la « fille à pédé », et finit par se sentir agressée : « J’en ai marre de tes conneries de gamine. » Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, après avoir vu la nudité violente d’un homme transsexuel M to F portant une chevelure de rousse, un jeune chasseur, traumatisé, tente de fuir en courant la forêt mais fait tomber son fusil et finit par se métamorphoser en cerf. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le fiancé de Gatal (le héros homo) fouille dans l’ordinateur de ce dernier, avant que Gatal ne découvre, avec vidéos caméra à l’appui, que ce dernier l’a trompé avec un autre homme dans un hôtel. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, les deux amantes Thérèse et Carol passent leur temps à s’observer l’une l’autre, à se photographier à l’insu de l’autre… et finalement, elles finissent par se faire espionner par Tommy dans un hôtel de passe.

 

Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton, le héros homo, regarde sur internet les agressions homophobes filmées : elles le vampirisent, le fascinent, l’obsèdent… et finalement, c’est ce qui va lui arriver à la fin du film. Avec son amant Vlad, il est témoin d’une agression mortelle homophobe dans la rue, pendant qu’ils sont en voiture. Pour élucider ce meurtre homophobe, Anton joue aux espion, secondé par son amant Vlad. Cet espionnage se retourne contre Vlad : « Je te filme avec les lunettes. Je vais te filmer. » (Anton) Et Vlad, lui aussi, met sur écoute Anton (notamment quand ce dernier est en train de dîner avec un potentiel suspect), ce qui lui fait vivre une angoisse terrible.
 

Tout le polar The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh est construit sur la paranoïa (qui se révèlera justifiée et soutenue par l’auteure elle-même) de l’héroïne lesbienne Jane. Cette femme a l’intuition d’un viol et d’un meurtre à propos d’une fille (la jeune Anna, 13 ans, abusée par son père, le Dr Mann) et de sa mère (Greta, ex-prostituée, assassinée par le Dr Mann aussi). Et elle vient d’emménager avec sa compagne Petra dans un immeuble qui fait face à une autre bâtisse qui recèle précisément le nœud de son intuition (le corps de Greta, planqué sous un plancher). Jane se sent donc constamment épiée, parce qu’elle-même épie ses voisins. Et elle manque, à la fin, de se faire violer et tué par Mann. Le piège de son voyeurisme s’est presque refermé sur elle : « Jane écarta les rideaux. Dehors, la cour était mal éclairée, mais elle distinguait le bâtiment qui s’élevait derrière, une version délabrée de leur propre immeuble, ses fenêtres vides enfoncées dans l’obscurité comme des orbites dans un crâne. ‘Pas très inspirant, comme vue. ’ dit Jane. ‘C’est normal, une dépendance derrière la maison ! Et comme cet immeuble est vide, on n’aura pas de vis-à-vis. ’ répond Petra. » (p. 16) ; « Il était étrange que les fenêtres aveugles et les balcons vides de l’immeuble l’aient mises mal à l’aise. Lorsqu’elle était petite, elle détestait les windaehingers : ces femmes qui se penchaient aux fenêtres des immeubles pour surveiller la rue en contrebas. Certains jours, vous aviez l’impression de ne plus pouvoir marcher droit tant leurs regards pesaient sur vous. La sensation d’être observée s’était logée en elle. Peut-être était-ce la façon dont l’enfant se manifestait ; elle avait parfois l’impression qu’il la surveillait avant de décider de naître. » (p. 26) ; « Jane ne pouvait se débarrasser de l’impression que quelqu’un l’observait en rigolant. » (p. 27) ; « Jane eut soudain la conviction que quelqu’un l’observait. » (p. 40) ; « affronter le froid et la sensation d’être observée par des yeux invisibles. » (p. 58) ; « Elle avait désormais l’impression que le bâtiment la regardait avec les yeux d’Alban. » (p. 138) ; « Une lumière brillait derrière les rideaux de dentelle du salon des Becker. Les rideaux bougèrent comme si quelqu’un en lissait les plis et s’écartait, mais Jane voyait encore sa silhouette, sombre et indistincte, qui l’observait depuis l’autre côté de la vitre. » (p. 224) ; « Tout ce que je vois c’est que vous fourrez votre nez dans quelque chose qui ne vous regarde pas. C’est peut-être de vous qu’Anna devrait se méfier. » (Maria, la prostituée, s’adressant à Jane, idem, p. 168) ; etc.
 

Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta accueille dans son appartement le temps d’une journée Gabriele, son voisin de pallier homosexuel habitant dans l’immeuble d’en face. Depuis la maison d’Antonietta, ce dernier regarde son appartement avec étonnement (« C’est étrange de me regarder de l’immeuble d’en face… »), comme s’il se retrouvait à la place de sa voyeuse qui lui a avoué qu’elle le scrutait incessamment et obsessionnellement depuis qu’elle l’avait découvert : « Ça fait depuis ce matin que je te regarde. » ; « Moi je regarderai ta fenêtre tous les jours. ».
 

Ce retour de bâton du voyeurisme symbolise l’homophobie (ou les contradictions) du désir homosexuel pratiqué, un désir qui est pour et contre lui-même, qui n’encourage pas le héros à assumer ses actes : « Delphine, c’est pas les autres qui te regardent. C’est toi qui te surveilles. T’es ton propre flic. » (Carole reprochant à Delphine de ne pas assumer leur « couple », dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini) ; « Les jeunes hommes gays étaient condamnés à n’être qu’un spectacle et jamais un public. » (Manuel Vázquez Montalbán, Los Alegres Muchachos De Atzavará (1988), p. 180) ; « S’il ne le sait pas, moi, je le sais ! […] J’en vois partout parce qu’il y en a partout ! Ça sort des placards ! » (Sibylle par rapport à l’homosexualité de Nelligan Bougandrapeau, le héros homo, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « On est spectateurs de sa vie. » (Matthieu, l’un des héros homosexuels de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « L’intrigue va se nouer toute seule. C’est le crime l’important. Le coupable peut être n’importe qui. Il peut se trouver même dans le public. J’ai vu une comédie policière où le coupable était le machiniste du théâtre. » (l’Auteur dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai un mec à l’intérieur de moi qui me dit : ‘Il faut pas que t’aies un mec à l’intérieur de toi ! » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc. Par exemple, dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron, John, jeune homme de 15 ans, tombe amoureux d’un papy de 70 ans, Mr Carter. Il l’espionne avec ses jumelles, d’un immeuble à l’autre, et finit par essuyer son premier chagrin d’amour. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le héros homosexuel espionné par sa mère possessive puis espionnant passivement l’homme qui le fascine visuellement, Jean, finit par se prostituer dans les gares de Paris puis par assassiner l’objet de ses fantasmes une fois qu’il a pu enfin coucher avec. Dans le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler, Karen et Martha, deux responsables d’un établissement scolaire, se voient outées par Mary, une de leur élève-voyeuse : Martha voit son homosexualité découverte à son insu. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le père Adam (homosexuel encore refoulé, sauf à la fin) surprend Rudy se faire sodomiser par Adrian. Cette espionnage se retournera contre lui sous forme d’outing puisqu’Adrian écrira à la peinture rouge sur la porte de la maison d’Adam : « LE PRÊTRE EST UNE PÉDALE ! » Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le héros a eu honte d’avoir été vu en train de donner un baiser sur la bouche homosexuel par un vieux du vestiaire, et tue son camarade de douche pour se venger de ce regard extérieur qui a reflété la réalité de l’acte homo.

 

Dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, Jean-Marc est le héros homosexuel infiltré chez les Virilius, chargé de regarder ce qui s’y passe. « Je suis comme un espion industriel. » déclare-t-il. Mais il ne maîtrise pas tant que cela sa dissimulation puisqu’il tombe amoureux du chef de la bande : « Aujourd’hui je suis un caméléon qui a des problèmes de santé. On ne peut pas mélanger le rose parmi les bruns. » Pire : les Virilius découvrent que leur numéro 2 est un traître et ils le maltraitent en le tabassant/violant homosexuellement : « Maintenant, il va falloir faire davantage attention aux services secrets. » (Jean-Marc à Jean-Jacques) L’objet de son espionnage (son homosexualité), c’est lui-même qui se l’impose et qui le transforme en homophobie, en déni : « Je ne suis pas un infiltré gay ! Je ne suis pas un infiltré gay ! »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Espionné :

Film "Blokes" de Marialy Rivas

Film « Blokes » de Marialy Rivas


 

Beaucoup de personnes homosexuelles se sentent espionnées quand elles espionnent (cf. je vous renvoie au code capital « Poids des mots et des regards » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « Nous habitons un gros building. D’une fenêtre de l’appartement, je voyais un voisin se promener nu. Je me levais quand elle dormait pour l’observer, lui. » (Justin, marié, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 249)

 

Pedro Almodovar

Pedro Almodovar


 

Ce sentiment d’être espionné est parfois infondé, et montre une schizophrénie narcissique ou une paranoïa. Par exemple, dans son Journal. 1937-1949, Klaus Mann parle de son constant « délire de persécution » (p. 328). Beaucoup de personnes homosexuelles font « leurs intéressantes » en rentrant dans un rôle d’espionne espionnée, bref, en jouant « la grande folle perdue » qui cache mal sa complicité au viol oculaire qu’elle subit : « Elle est là, murmura-t-elle. Elle m’espionne. Elle est toujours là. » (la Chola parlant de sa voisine de palier, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 237)

 

Ce fantasme de persécution oculaire, c’est le syndrome classique de la star ou de la personne qui se prend pour une star : cf. la chanson « Flash » de Jeanne Mas, la chanson « Paparazzi » de Lady Gaga, le vidéo-clip de la chanson « Piece Of Me » de Britney Spears, le vidéo-clip de la chanson « Todos Me Miran » de Gloria Trevi, etc.

 

 

Il n’est pas étonnant que les émissions de télé-réalité (et spécialement Loft Story, Les Anges de la Télé-Réalité et Secret Story), où les participants jouent le jeu d’exhiber leur intimité et d’être matés, aient été plébiscitées et habitées par des personnes homosexuelles : Steevy Boulay (Loft Story 1), Thomas (le vainqueur de Loft Story 2), Benoît (le vainqueur de Secret Story 4), etc.

 
 

b) L’arroseur arrosé :

Film "Pornography: A Thriller" de David Kittredge

Film « Pornography: A Thriller » de David Kittredge


 

Le trop-plein de lucidité/de peur de certaines personnes homosexuelles par rapport aux comportements humains les transforme finalement en voyeurs-girouettes. « Sentir et se regarder sentir, pour lui, c’est tout un. » (Jean-Paul Sartre en parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 70) ; « L’espion et l’espionné ne font qu’un. » (idem, p. 89) ; etc. C’est le cas de Christopher Hugh Auden, par exemple : « Malgré sa grande capacité de perception, il manquait à Auden quelque chose en matière de relations humaines. Il planifiait trop les situations, il faisait en sorte que chacun devienne trop conscient d’être observé. […] Parfois, il donnait l’impression de mener un jeu intellectuel avec lui-même et avec les autres, si bien qu’à la longue, il restait finalement assez isolé. » (Stephen Spender, Un Mundo Dentro Del Mundo, « Poeta Entre Dos Países », sur le site www.islaternura.com. C’est moi qui traduis) Autres exemples. Dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, James Dean est qualifié par Ken Kendall d’« éternel spectateur » (p. 104), à l’affût de ce que vont voir et penser les autres de lui. Le rappeur gay Mykki Blanco (interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) dit qu’il essaie sur scène d’ « incarner à la fois le mac et la pute ».

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, par sincérité et auto-centrisme, ne se voient plus agir et tombent dans les pièges du voyeurisme, de la violence, de la paranoïa, de l’exhibitionnisme : « En me relisant aujourd’hui je trouve impardonnable de m’être dupé moi-même à ce point. » (Ann Scott citée dans la préface de Sandrine Mariette, Le Pire des mondes (2004), p. 7) ; « Gore Vidal était extrêmement mythomane. Il aimait se mettre en avant. » (Didier Roth-Bettoni dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel) ; etc.

 

Ce retour de bâton du voyeurisme symbolise l’homophobie (ou les contradictions) du désir homosexuel pratiqué, un désir qui est pour et contre lui-même : « Je me promène aux Champs. Je n’accoste personne, jamais. C’est les types qui viennent. Vous voyez bien quand un type vous regarde. Remarquez, on ne peut jamais savoir ; il y en a qui restent là à vous regarder pendant cinq minutes, et si vous leur parlez, ils disent : ‘Qu’est-ce que vous me voulez, ça va pas non ?’. Des refoulés. » (Pierre Benichou, Le Nouvel Observateur, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 44) ; « Et le jeune homme reste sur ses gardes, soupçonne qu’on le soupçonne, feint de feindre pour mieux dissimuler ; achète des livres traitant de l’amour hétérosexuel, prend des précautions avec ses amis, évite de confier son numéro de téléphone et ne reste pas indifférent au cours des entretiens où l’on démolit les pédérastes. Dans l’obligation personnelle d’avoir recours aux subterfuges, il sombre en général dans la dissimulation. » (Jean-Louis Chardans, op. cit., p. 12) ; « Je dérobais dans la chambre les vêtements de ma sœur que je mettais pour défiler, essayant tout ce qu’il était possible d’essayer : les jupes courtes, longues, à pois ou à rayures, les tee-shirts cintrés, décolletés, usés, troués, les brassières en dentelle ou rembourrées. Ces représentations dont j’étais l’unique spectateur me semblaient alors plus belles qu’il m’ait été donné de voir. J’aurais pleuré de joie tant je me trouvais beau. Mon cœur aurait pu exploser tant son rythme s’accélérait. Après le moment d’euphorie du défilé, essoufflé, je me sentais soudainement idiot, sali par les vêtements de fille que je portais, pas seulement idiot mais dégoûté par moi-même, assommé par ce sursaut de folie qui m’avait conduit à me travestir. » (Eddy Bellegueule dans l’autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 28-29) ; etc. Le « voyeur vu » montre que le désir homosexuel est intrinsèquement homophobe. Ce motif allégorique symbolise que l’homosexualité est de la haine de soi, de la honte, du manque de confiance, de l’humiliation et de l’agression externe… le tout sublimé par une idolâtrie visuelle.

 
 

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