Vidéo-clip de la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer
En écho à l’essai La Tentation de l’innocence de Pascal Bruckner (un livre que j’aime beaucoup), je vais traiter ici du code de l’innocence dans les œuvres homosexuelles, c’est-à-dire de toutes les fois où les personnages homosexuels se représentent comme des anges, se rêvent sans taches et sans blessures, et ceci de manière presque inversement proportionnelle à leur pureté effective puisqu’en général ils sont (ou se sentent) coupables d’un viol qu’ils ont subi (ou qu’ils ont fait subir). Ce qui est pratique avec l’innocence, même si le pacte qu’elle nous propose est objectivement odieux, c’est qu’elle nous propose d’être éternellement blanchis, d’être des légumes insensibles et en bonne santé ou bien des zombies bienheureux baignant dans une complète béatitude immatérielle, à condition que nous cédions notre liberté. Et c’est en effet une vraie tentation humaine que l’évitement de la souffrance et de la culpabilité à tout prix, surtout dans les moments où notre responsabilité nous pèse comme un joug parce que nous avons mal agi. Ce fut la tentation du diable, c’est dire ! Alors vive la vieillesse, la fatigue de l’engagement, la lourdeur de notre condition humaine, l’exigence de nos idéaux, les merdes qui nous arriveraient à cause de notre liberté ! Les personnages homosexuels, en pleurant l’époque irréelle où ils auraient été Adam et Ève tout à la fois, nous rappellent combien il est douloureux de délaisser ses idéaux plutôt que de les vivre.
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FICTION
a) La nostalgie de l’innocence :
Roman À mort l’innocent ! d’Arthur Ténor
Souvent, dans les fictions homo-érotiques, le personnage homosexuel, en rupture avec ses idéaux profonds, rêve de retrouver l’innocence de l’ange ou de l’enfant : cf. le roman Les Innocents (1952) de Francis Carco, le film « Les Innocents » (2003) de Bernardo Bertolucci, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, l’album Le Square des innocents (1974) de Catherine Lara, le film « L’Innocent » (1976) de Luchino Visconti, le roman Journal d’un innocent (1996) de William Cliff, le roman L’Innocent (1931) de Philippe Hériat, le roman El Inocente (1966) de Juan José Hernández, la pièce El Inocente (1968) de Joaquín Calvo Sotelo, le roman La dernière innocence (1953) de Cécile Bertin, le roman The Age Of Innocence (1920) d’Édith Wharton, le film « Born Innocent » (1974) de Donald Wrye, le film « Neige » (1981) de Juliet Berto et Jean-Henri Roger, le film « Pequeña Paloma Blanca » (2003) de Christian Barbé, le film « Innocence » (2003) de Bernardo Bertolucci, le film « Up The Chastity Belt » (1971) de Bob Kellett, le film « Ah ! Si j’étais restée pucelle » (1969) de Günter Schlesinger, le film « I’m Cool I’m Good » (2010) de Stanya Kahn, le film « Innocenti » (2008) de Jean-Baptiste Erreca, le film « Le Sexe des anges » (2011) de Xavier Villaverde, le film « The Innocence Of Muslims » (« L’Innocence des musulmans », 2012) de Nakoula Basseley Nakoula, le roman L’Amant pur (2014) de David Plante, le film « Innocent » (2005) de Simon Chung, etc.
« Moi aussi, tout petit, je croyais en moi. Mais j’ai changé. » (Môn, l’un des héros transgenres M to F s’adressant à Chaï, dans le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun) ; « Nous reste-il du temps pour redevenir innocents ? » (cf. une réplique dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Tous mes idéaux, des mots abîmés. […] Pourtant, je voudrais retrouver l’innocence. » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; « Ai-je jamais été innocent ? Si je l’ai jamais été, c’est parti très vite. Très vite, je crois avoir compris les jeux des grands, leurs enjeux, leurs discussions murmurées, leurs sous-entendus, leurs lâchetés, leurs espérances. Très vite, je n’ai plus été dupe. J’ai perdu ça : la naïveté, la fraîcheur, l’inconscience. » (Vincent, l’un des héros homosexuels du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 24) ; « J’étais innocent. » (Robbie, le héros homosexuel du film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; « Mais comment retrouver l’innocence du commencement, la belle frénésie des toutes premières heures et la virginité perdue ? » (idem, p. 117) ; « Quand j’étais petit, j’avais des rêves, des ambitions. […] Maintenant, je vivote. » (Benoît, l’un des héros homosexuels parlant de l’amour, dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; etc.
b) Qui veut faire l’innocent fait le coupable :
Film « Sexe des anges » de Xavier Villaverde
Le héros homosexuel est parfois tellement attiré par l’innocence qu’il tente de la dérober, de la prendre de force : « En société, j’imaginais les femmes qui m’entouraient déshabillées et offertes, et très vite, dans un état presque halluciné, je leur prêtais des postures ou des situations que je n’ose décrire, même dans mon carnet… Ma cruauté, dans ces instants, me préparait à l’idée qu’un jour je n’aurais plus vraiment de limite et que mon « vice » m’avalerait entièrement. Je combinais et raisonnais de plus en plus en fonction de lui, sentant bien que, quand j’étais dans ces étranges dispositions, en crise, comme on dirait, c’était lui qui déterminait tout ce que je pensais et faisais. J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. […] Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Quand tu m’as connue, j’étais innocente et je le suis toujours. » (Rosa, la prostituée, s’adressant à son client Jules, juste avant de vivre un échange sexuel SM, dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; etc.
Par excès de purisme ou de perfectionnisme, beaucoup de personnages homosexuels jettent l’éponge de leurs idéaux profonds, ou bien cherchent, quitte à être jusque-boutistes, à reconquérir leur innocence par un don sacrificiel d’eux-mêmes dans la débauche. Une sorte d’innocence inversée : cf. le roman L’Innocence du diable (2001) d’Éyet-Chékib Djazari, le film « Totò Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec l’ange qui fait caca), le film « Tchernobyl » (2009) de Pascal Alex-Vincent, le film « Notre Paradis » (2010) de Gaël Morel (Vassili rencontre Angelo inanimé dans le Bois de Boulogne), le roman La Pérdida Del Reino (1972) de José Bianco, etc. Par exemple, beaucoup de pièces de Tennessee Williams traitent de la perte de l’innocence.
À travers la tournure interrogative notamment, on trouve la simulation d’innocence en rapport avec l’homosexualité dans des films tels que « Pourquoi pas moi ? » (1999) de Stéphane Giusti, « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, ou bien « Pourquoi pas ! » (1977) de Coline Serreau. En générale, cette simulation cache de noirs desseins : « Je suis l’enfant insouciant. Je n’ai pas de morale. » (Vincent, le héros homosexuel de 16 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 46-47) « On ne peut pas être innocents deux fois. » (Maria, l’héroïne jouant le rôle d’une lesbienne, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas) ; « Je ne me souviens plus de ce que j’ai fait ces quatre derniers jours mais l’important est de savoir que je n’ai pas tué. Mon roman n’existe plus tant pis mais je suis innocent, c’est le principal. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977), pp. 133-134) ; « La dignité… ça fait longtemps qu’elle m’a quittée, celle-là… » (Jack, l’un des héros homosexuels de la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « La plus grande chute est celle qu’on fait du haut de l’innocence. » (Merteuil dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller) ; etc. Par exemple, dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan explique qu’il « voit du sexe partout même dans les comptines pour enfants » : selon lui, « Au clair de la lune » est une chanson « érotique », et « Les 3 Petits Cochons, là, c’est carrément dans une soirée SM ! »
Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola s’amuse d’entretenir ouvertement avec Nina une relation lesbienne « extra-conjugale » qu’elle qualifie de « liaison somme toute bien innocente » auprès de sa copine régulière Vera.
Film « Innocent » de Simon Chung
Parfois, le héros homosexuel a vraiment été dépossédé de son innocence par un véritable viol, ou par un viol psychique (harcèlement) : cf. le roman À mort l’innocent ! (2007) d’Arthur Ténor. « Mon cœur, tu l’as volé, et sans détour. » (Benji s’adressant à son amant Maxence qui lui a fait perdre son innocence et sa virginité, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Partager mon ennui le plus abyssal au premier venu qui trouvera ça banal. » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer) ; « J’aime être propre : avant et après. […] La douche, c’était le grand moment. » (Eloy, le prostitué libertin en pleurs dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre) ; etc.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
a) La nostalgie de l’innocence :
la chanteuse Björk
Comme l’explique Jean-Louis Chardans dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), les personnes homosexuelles dites, à une certaine époque, « pédérastes » ont parfois été surnommées aussi « catamini », autrement dit « chattemittes, ceux qui jouaient les innocents » (p. 126).
L’innocence a toujours exercé dans la communauté homosexuelle une grande fascination. Je vous renvoie à l’essai Preservation Of Innocence (1949) de James Baldwin, à l’autobiographie Journal d’un innocent (1976) de Tony Duvert, au roman biographique Si tout n’a pas péri avec mon innocence (2013) d’Emmanuelle Bayamack-Tam, etc.
Beaucoup de personnes homosexuelles sont fascinées par l’innocence (plus cinématographique et littéraire que réelle) : « C’était l’enfance, le temps de l’innocence. » (Stéphane Corbin lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey en février 2011) ; « Dors comme une enfant innocente. » (Ebba, au lit avec son amante la reine Christine, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; etc. Par exemple, l’histoire du Petit Prince de Saint-Exupéry est l’un des livres favoris de James Dean, Néstor Perlongher, Mylène Farmer, Jacques-Yves Henry. Je vous renvoie au code « Conteur homo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup de chanteuses ou d’actrices un peu lunaires (Jackie Kennedy, Valérie Lemercier, Björk, Mylène Farmer, Charlotte Gainsbourg, Vanessa Paradis, Céline Dion, etc.) sont des icônes gays.
Il est extrêmement fréquent, dans le discours des personnes homosexuelles, d’entendre la confusion entre sincérité et Vérité, ou bien entre perfectionnisme et perfection, purisme et pureté, intentions et Réalité. « Mais je suis pur et vertueux ! » (Jean-Louis Bory, ironique au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) Pas étonnant que la déception et la dépression subséquentes à cette idolâtrie pour l’innocence arrivent vite. Par exemple, dans son article « Cuba, El Sexo Y El Puente De Plata » (1986) sur son essai Prosa Plebeya (1997), Néstor Perlongher parle de la « nostalgie ironique d’une perte » (p. 120).
b) Qui veut faire l’innocent fait le coupable :
Film « La Vierge des tueurs » de Barbet Schroeder
« Qui fait l’ange fait la bête. » écrivait Pascal. Par excès de purisme ou de perfectionnisme, beaucoup de personnes homosexuelles jettent l’éponge de leurs idéaux profonds, ou bien cherchent, quitte à être jusque-boutistes, à reconquérir leur innocence par un don sacrificiel d’elles-mêmes dans la débauche. Une sorte d’innocence inversée. Dans leur discours dénégateur de la violence sexuelle qu’elles vivent, c’est très marqué, cette croyance en une pureté déchue et ressuscitée par l’esthétisation de la chute. Je l’ai entendu en bouche de la totalité de mes amis gays libertins, gros consommateurs de sexe.
Parfois, elles ont vraiment été dépossédées de leur virginité par un véritable viol, ou un viol auquel elles se sont identifiées. « Au fil de ces rencontres, je fins par me faire ‘prendre’. Assurément. Puisque j’avais ressenti ce corps étranger qui me pénétrait lentement et sûrement. Mais de la façon la plus banale sans doute. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 114) Par exemple, le romancier québécois Denis-Martin Chabot raconte dans l’émission Homo Micro (diffusée sur Radio Paris Plurielle le 27 mars 2006) que son roman Innocence (2007) retrace « cette fameuse perte de l’innocence que nous avons perdu ce 11 septembre 2001 ».
Au fond, les personnes homosexuelles ne croient ni en la pureté ni en l’innocence. « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; « Je trouve ça tellement élégant, la manière dont il bafoue l’innocence. » (Celia, la conservatrice de musées face à un tableau « monstrueux », dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc. Le désir homosexuel exprime ce rapport idolâtre déçu avec la virginité.
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Le désir homosexuel ayant fui la différence des sexes et donc le roc du Réel humain, entraîne ceux qui s’y adonnent ou y identifient dans une forêt (= métaphore de la sexualité) qui a tout, en apparence du jardin classique rêvé. Au départ, il ressemble même à un joli cocon incestuel/incestueux, à un décor scintillant de fleurs et de feuilles cousues main par les photographes Pierre et Gilles. Mais peu à peu, cet espace vert montre son vrai visage de Jardin d’Éden inversé, de parc en papier mâché, de scène du péché originel (= le viol entre l’homme et la femme, ou le viol homosexuel homophobe.
Film « The Wizard Of Oz » (1939) de Victor Flemming
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FICTION
a) Le joli jardin d’enfant :
Vidéo-clip de la chanson « Barbie Girl » d’Aqua
Fréquemment, dans les fictions homo-érotiques, il est question d’un jardin ou d’une forêt où le héros homosexuel se trouve. Un jardin enchanté : cf. le film « The Garden » (1990) de Derek Jarman, le roman Archaos ou le Jardin étincelant (1975) de Christiane Rochefort, le film « Pink Narcissus » (1971) de James Bidgood, le film « The Hanging Garden » (« Le Jardin suspendu », 1997) de Thom Fitzgerald, le roman Le Jardin des chimères (1921) de Marguerite Yourcenar, le roman La Busca Del Jardín (1977) d’Héctor Bianciotti, le film « Les Enfants du Paradis » (1945) de Marcel Carné, le film « The Garden Of Eden » (1928) de Lewis Milestone, la chanson « L’Alizé » d’Alizée, la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer, le roman The Rubyfruit Jungle (1973) de Rita Mae Brown, le film « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure (avec la jardinerie de Cédric), le film « Les Lèvres rouges » (1971) d’Harry Kümel (avec la serre), le film « The Pleasure Garden » (1953) et le film « The Gardener Of Eden » (1981) de James Broughton, le film « Jubilé » (1978) de Derek Jarman (avec le jardinier homosexuel), le film « Le Jardin des délices » (1967) de Silvano Agosti, la chanson « Le Jardinier qui boite » de Charles Trénet, le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat (avec Juan le jardinier homo), le film « Sotvoreniye Adama » (« La Côte d’Adam », 1993) de Yuri Pavlov, le film « El Jardín Secreto » (1984) de Carlos Suárez, le film « Más Allá Del Jardín » (1997) de Pedro Olea, le film « Proteus » (2003) de Jack Lewis et John Greyson (avec le botaniste), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le roman Aux jardins des acacias (2014) de Marie-Claire Blais, le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma (avec la forêt comme lieu d’asexuation), le film « Alice au pays des merveilles » (2010) de Tim Burton, le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan (avec le jardin d’Allan), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec les petits oiseaux en pleine ville de New York), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec le fantasme de Bilal, le bel ouvrier-jardinier en train de travailler dans le jardin, et regardé avec envie par le colon Malik), le film « Autoportrait aux trois filles » (2009) de Nicolas Pleskof (avec les fondus enchaînés d’objet ou de lampe électrique à des images de plantes, du soleil), le film « Big Eden » (2001) de Thomas Bezucha, le vidéo-clip « Only Gay In The World » de Ryan James Yezak (avec un jardin des origines version gay), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec les fruits en plastique dans l’appartement de Vivi, l’un des héros homosexuels), le film « Friendly Persuasion » (« La Loi du Seigneur », 1956) de William Wyler (Jean Birdwell est pépiniériste), La pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, etc.
Film « Make A Wish » de Cherien Dabis
Ce jardin apparaît comme une image d’Épinal figée, une vision extatique irréelle paradisiaque, une réminiscence d’une enfance idéalisée, d’un état intra-utérin fusionnel avec la mère (cinématographique), une rêverie édénique d’un « amour » homosexuel merveilleux, un décor de théâtre ou de cinéma. « Laisse-moi m’envoler vers un autre Jardin d’Éden. » (Benji s’adressant à son amant Maxence, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Nous étions seuls au monde. La forêt nous avait éloignés de tout et, plus ou moins, libérés de tout. Nous étions nus. Nous avions enlevé nos vêtements rapidement. » (Khalid et Omar, les deux amants du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 137) ; « Melocotón et boules d’or, deux gosses dans un jardin. » (cf. la chanson « Melocotón » de Colette Maniot) ; etc.
Film « Amnésie- L’Énigme James Brighton » de Denis Langlois
Par exemple, dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, le héros est jardinier et patron d’une pépinière. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Louis, l’amant-jardinier sexy, est comparé à un « buisson qui court » par Tom, son futur amant. Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, Audric a le pouvoir de créer des fleurs et s’intéresse à la botanique. Dans le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, la forêt d’Aurore est réduite à un décor de jeux vidéo. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, la Nature est réenchantée par les mythes grecs (peu réputés pour leur douceur…). Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, Chloé, l’héroïne lesbienne, adore les jardins artificiels. Les premières images du film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye sont des nénuphars dans des bocaux. Dans son roman La Cité des rats (1979), Copi a construit une forêt tropicale aux dimensions disproportionnées puisqu’elle est regardée par des rats bisexuels voyant « des cerises grosses comme des pastèques » (p. 132). Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Irène et Tonia, les deux hommes transsexuels M to F, se retrouvent dans une serre, un jardin synthétique. Dans le film « Temps de chien » (2011) de Viva Delorme, une jeune paysagiste lesbienne s’occupant des espaces verts d’une ville trouve un chien abandonné dans la forêt où elle travaille. Dans le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, Georges et Alexandre s’enferment dans une serre pour y vivre leur amour pédophile interdit. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, à plusieurs reprises, les amantes Virginia Woolf et Vita Sackville-West se retrouvent dans une serre.
Le plus souvent, le jardin des fictions traitant d’homosexualité est une composition, une reconstitution humaine. Il s’agit d’un jardin synthétique, artificiel : « Je déteste la campagne. Je n’apprécie la nature que dans les jardins des villes. » (Dominique, le héros homosexuel du roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 67) ; « Je viens de l’autre côté du miroir, […] du côté du faux jardin. » (la voix narrative de la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; etc.
Il dit la vanité de l’orgueil humain. D’ailleurs, il arrive que le héros homosexuel se prenne pour un arbre ou une forêt, cherche à devenir l’androgyne ou Dieu : « Élève-toi avant que les chênes ne t’étouffent. […] Toi, tu n’es qu’un arbre banal. » (Négoce, le héros homosexuel de la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Le vieil ami Tarzan a tout juste fini de se construire un enfant avec un bon tronc d’arbre, des lianes, un singe et des feuilles en matière plastique collées ensemble une à une. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 102) ; etc. Mais cela le fait en réalité devenir objet. Par exemple, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Cameron Drake, l’acteur hétéro jouant au cinéma le rôle d’un gay, est décrit comme un « nain de jardin ».
B.D. Le Livre blanc de Copi
Le jardin homosexuel fictionnel est souvent figuré par la métaphore asexuée et hyperféminisée de la jeune fille en fleur, de la Mère-Nature narcissique, allongée et suspendue entre Ciel et marécage, adoptant une posture alanguie et mortuaire qui la rend immortelle : cf. le tableau Ophélie (1852) de John Everett Millais, le poème « Ophélie » (1891) d’Arthur Rimbaud, le film « Hamlet » (1990) de Franco Zeffirelli, la chanson « Ophélie » de Dave, les toiles d’Ophélie de Gustave Moreau, les toiles Reproches d’Hamlet à Ophélie, Le Chant et la folie d’Ophélie et Le Suicide d’Ophélie (entre 1824 et 1859) d’Eugène Delacroix, etc.
Olympia Dukakis dans la série Les Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin
La (vieille) jardinière apparaît très fréquemment dans les créations homosexuelles : cf. le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « 200 American » (2003) de Richard Lemay, la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (avec la mère de JP, le héros gay, dans son jardin), le téléfilm « Sa Raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand (avec le personnage d’Hélène), le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec Rose, la « belle-mère » de Jean-Marc), le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte (avec la tatie du héros homosexuel), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally (avec la grand-mère d’une des héroïnes lesbiennes, devinant, dans son jardin, l’homosexualité de sa petite-fille), le film « And Then Came Summer » (« Et quand vient l’été », 2000) de Jeff London (avec la tante qui jardine), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, etc.
« Ma mère prenait du temps pour jardiner, alors que notre jardin n’était qu’un petit carré d’herbe à peine plus grand qu’un tapis. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 32) ; « Nos maris ont beaucoup de travail… et nous avons beaucoup de jardins. » (Marianne s’adressant à Irène dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset) ; « Derrière lui [Antoine] , Eva souriait, magnifique dans une robe Fendi en mousseline imprimée de motifs floraux. » (Antoine dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, p. 195) ; « Les fleurs aussi c’est essentiel. » (Catherine dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Ma mère est allée s’enterrer encore vivante, un bouquet de fleurs entre les dents. » (Jeanne dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « J’vais au jardin préparer les plantes pour le cimetière. » (Marcelle, la mère de la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti) ; « La rose du matin est éclose à midi. » (Suzanne, la mère, dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon) ; « Démerde-toi pour te réincarner en fleur, dans un champ vert et bleu. » (Vincent Garbo s’adressant à Carole, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 89) ; « Dans toute femme, il y a une Ève malveillante qui sommeille. » (Rodin, le héros homosexuel de la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « C’est mal fichu, une fille. Il manque l’essentiel ! […]C’est pas drôle d’être homo. Y’en a marre, je deviens hétéro. Comment ça marche, une fille ? Ça mange quoi ? Ça boit quoi ? Faut arroser combien de fois par jour ? » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc.
Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Catherine S. Burroughs est la femme végétale, adepte des fleurs. D’ailleurs, sa copine Muriel est fleuriste de métier. Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, « Chantal » est le nom de la fleur à qui Sébastien, le héros homo, parle, comme si elle était une personne à part entière. Dans son roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, Michael, le héros homosexuel, voit en sa mère une fleuriste, une forêt moderniste à elle seule : « J’avais repensé à l’amour de maman pour les hortensias. […] Maman était une authentique magicienne de l’hortensia. » (p. 109) Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, la Tante Ève est obsédée par son idée d’organiser une garden party. On peut véritablement parler de pouvoir hypnotique de cette mère végétale, car au moment où Ben, son copain, lui reproche « d’attribuer beaucoup de pouvoirs à sa mère », ce dernier lui répond avec désinvolture « ‘Vraiment ? ’, les yeux rivés sur le plafond fleuri » (idem, p. 153).
Bien plus souvent qu’on ne le croit, les créateurs homosexuels livrent la femme au végétal, à l’inconscient, à l’inhumain, au minéral, à l’insensible : cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer, le film « La Fille aux jacinthes » (1955) d’Hasse Ekman, le roman À l’ombre des jeunes filles en fleur (1919) de Marcel Proust, le roman Notre-Dame des fleurs (1944) de Jean Genet, la chanson « The Rose » de Bette Midler, la chanson « La Flor De Mi Secreto » (« La Fleur de mon secret », 1995) de Pedro Almodóvar, la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan (avec la figure de la mère et ses fleurs coupées), le vidéo-clip de la chanson « Gourmandises » d’Alizée, le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre (avec Cléopâtre, la fleuriste, ainsi que Marianne), le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Marie, la femme végétale), le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs (avec Eugenia arrangeant les fleurs du jour du mariage de Ben et George), etc.
Il existe une confluence entre la femme végétale et la femme-objet. Les deux sont déshumanisées et désincarnées. Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Benjamin s’adressant à son amant Pierre à propos de leur projet de mère-porteuse avec Isabelle (« Faire un enfant, ça fait plus hétéro avec l’actrice. »), se compare comme par hasard à une fleur (le cactus) et Pierre lui répond qu’il a cueilli Isabelle comme une fleur : « Les actrices aussi ont le droit de faire des enfants. » Dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel observant le public de l’Opéra de Montréal, décrit les femmes-objet soumises comme « des jeunes filles à la remorque de leurs parents, poncées, étrillées, enrégimentées dans l’opéra par des mères qui avaient elles aussi été des fleurs de tapis, jadis, mais qui avaient appris à les fouler avec le temps » (p. 43). Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, George, le héros homosexuel, voit toujours dans le nez des filles et des femmes, une tulipe. Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, la belle-mère cachée de Nicolas, le héros homosexuel, se prénomme Rose.
b) Le jardin des supplices :
En réalité, le jardin homosexuel est le paradis de l’artifice anti-écologique, le théâtre du péché, du viol, de l’inceste, du meurtre homophobe, du cauchemar qu’est l’éloignement du Réel : cf. le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio (avec Alicia, l’héroïne lesbienne abandonnée, trouvée dans une serre), le film « Les Filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie (avec le meurtre parricide par le couple lesbien), le roman Le Jardin d’acclimatation (1980) d’Yves Navarre (avec Bertrand qui a subi une lobotomie orchestrée par sa famille qui veut le transformer en hétéro), la chanson « Miss Paramount » du groupe Indochine (avec la mention du film « Le Jardin des tortures »), le film « Notre Paradis » (2011) de Gaël Morel (se rapportant au lieu de prostitution masculine), le one-man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set (avec le chasseur pourchassant Blanche-Neige), le film « The Apple » (2008) d’Émilie Jouvet, la chanson « Jardin de Vienne » de Mylène Farmer (parlant du suicide), le film « Secret Garden » (« Jardin secret », 1987) d’Hisayasu Sato, le film « Khochkach » (« Fleur d’oubli », 2006) de Salma Baccar, le film « Gan » (« Un Jardin », 2003) de Ruthie Shatz Adi Barash (racontant l’histoire de deux jeunes prostitués de Tel Aviv), le film « Le Jardin des arbres morts » (2014) de Yarriv Mozer, la chanson « L’Amour interdit » d’Hervé Vilar (avec le « jardin maudit »), etc.
Le jardin ou la forêt homosexuels n’annoncent rien de bon : « Le plus bel atout de la chambre était une cheminée en chêne sculptée de fruits et de fleurs.[…] Elle remarqua un visage parmi la flore sculptée et sursauta. Ses yeux firent la mise au point et elle en vit d’autres, joyeux et androgynes sous des cheveux emmêlés de lierre. Les sourires paraissaient bienveillants mais Jane les imaginait s’altérer avec les ombres, et elle espérait qu’ils ne perturberaient pas les rêves de l’enfant. » (Jane, l’héroïne lesbienne dans la chambre de son futur enfant, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 39) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] avait erré jusqu’à un vieux hangar où l’on rangeait les outils de jardinage et y vit Collins [la gouvernante de Stephen] et le valet de pied qui semblaient se parler avec véhémence, avec tant de véhémence qu’ils ne l’entendirent point. Puis une véritable catastrophe survint, car Henry prit rudement Collins par les poignets, l’attira à lui, puis, la maintenant toujours rudement, l’embrassa à pleines lèvres. Stephen se sentit soudain la tête chaude et comme si elle était prise de vertige, puis une aveugle et incompréhensible rage l’envahit, elle voulut crier, mais la voix lui manqua complètement et elle ne put que bredouiller. Une seconde après, elle saisissait un pot de fleurs cassé et le lançait avec force dans la direction d’Henry. Il l’atteignit en plein figure, lui ouvrant la joue d’où le sang se mit à dégoutter lentement. Il était étourdi, essayant doucement la blessure, tandis que Collins regardait fixement Stephen sans parler. Aucun d’eux ne prononça une parole ; ils se sentaient trop coupables. Ils étaient aussi très étonnés. […] Stephen s’enfuit sauvagement, plus loin, toujours plus loin, n’importe comment, n’importe où, pourvu qu’elle cessât de les voir. Elle sanglota et courut en se couvrant les yeux, déchirant ses vêtements aux arbustes, déchirant ses bas et ses jambes quand elle s’accrochait aux branches qui l’arrêtaient. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), pp. 38-39) ; « Le jardin, au lever du soleil, lui sembla tout à fait étranger, comme un visage bien connu qui se serait soudain transfiguré. […] Elle prit soin d’avancer doucement, car elle se sentait un peu fautive. » (idem, p. 135) ; « Nous [les Rats] lui [le serpent] exprimâmes notre admiration sincère et la Reine des Rats l’invita à passer les vacances de Pâques enroulé dans notre arbre si jamais à Pâques, lui, l’arbre et nous-mêmes nous nous trouvions encore en vie et en liberté. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 76) ; « Le serpent répondit qu’il était hermaphrodite et qu’il se fécondait tout seul. » (idem, p. 77) ; « Mon parc est semé de gens morts ! » (Copi, La Journée d’une rêveuse, 1968) ; « Nunca me ha llamado la atención lo de Eva y la manzana, porque de Eva soy hermana y tentarse es cosa humana. » (cf. les paroles d’une chanson de Tita Merello, dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « L’hortensia avait poussé à la diable, le sol était trop humide pour y ramper. Je n’aurais pu m’asseoir en dessous, même si je l’avais voulu. D’ailleurs, j’étais beaucoup plus grosse qu’à l’époque. Je suis pourtant restée longtemps accroupie, les paumes appuyées contre le sol humide, les ongles enfoncés dans la terre. Je me suis finalement relevée et, tandis que je retournais chez Esti et Dovid, je tentais de gratter la ligne de terre emprisonnée sous mes ongles. Et plus je grattais, plus elle s’enfonçait, le noir s’incrustait dans le rouge. […] Cela faisait des années que nous nous étions approprié l’hortensia. Dedans, nous étions invisibles, hors de portée de la maison, des regards du dessus et alentour. Il y avait l’odeur, je m’en souviens. Un arôme puissant d’hortensia pourri et d’humus. Encore maintenant, l’odeur végétale des hortensias conserve son pouvoir. » (Ronit, l’héroïne lesbienne parlant de l’hortensia, qui devient pour elle et sa compagne Esti le symbole de l’amour lesbien, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 212-213) ; « On est paumés en pleine forêt tropicale. » (Thomas s’adressant à son amant François, en Thaïmande, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « J’ai un vrai verger dans le cul. » (le narrateur homosexuel à propos de la sodomie, dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair) ; etc.
Film « Suddenly Last Summer » de Joseph Mankiewicz
Par exemple, sans sa chanson « J’veux pas être jeune », Nicolas Bacchus se voit entraîné avec son amant « jusqu’au jardin désert qu’ils n’avaient pas cherché ». Dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz, Mrs Venable, la mère possessive de Sébastien (le héros homosexuel qu’elle a poussé vers la mort), possède un drôle de jardin en carton pâte, avec des statues de squelettes, des arbres exotiques improbables, des plantes carnivores… une sorte de Musée des Horreurs où va éclater le secret du viol de Sébastien. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio enlève le noyau d’une pêche pour s’y branler. Oliver, son amant, découvre cela, et ironise : « T’es déjà passé au règne végétal. À quand le règne minéral ? Tu as déjà renoncé au règne animal c’est-à-dire moi… » Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, est rejoué le péché originel : un prêtre catholique, Adam, court dans une forêt ; puis se fait tenter en vain par une femme, Eva, dont il rejette les avances ; ensuite, il tombe amoureux du jeune Lukacz, qui a tout physiquement du Christ ; et cet amour s’avère réciproque. Par ce film, on comprend que le péché d’Adam, c’est de vouloir séduire et posséder son père (ou son fils) : c’est un péché d’inceste. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Ody porte son petit frère (homosexuel) Dany sur son dos dans la forêt, après une course-poursuite pendant laquelle Dany a tiré sur quelqu’un à l’arme à feu. Cette fuite violente du Réel est contrebalancée par des images d’une Nature digne des plus grands films d’animation Disney : tous les animaux de la forêt (biche, canards, chouette et même le lapin en peluche) s’animent sur la rive entourant la barque des deux héros. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Lors d’une fête, Louis et Nathan se donnent rendez-vous au vert (« Pars pas : on se retrouve dans le jardin. » dit Louis par texto) et s’embrassent pour la première fois dans une verrière : cette scène déclenchera sur eux une violente vague d’homophobie.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
Tableau Girl In Garden de Pierre et Gilles
Une sexualité végétale et végétative, figée et organisée comme un jardin d’enfant féminisé
B.D. Le Livre blanc de Copi
La communauté homosexuelle a un goût prononcé pour les « jardins carte postale », la Nature artificielle/aseptisée, au détriment de la Nature réelle. Il faut que ça scintille, que la mort ou la violence ou le rappel des limites humaines soient totalement évacués. Grâce à la littérature, à la peinture, aux films, mais aussi à leur folie des grandeurs et leur fièvre acheteuse, certaines personnes homosexuelles ont construit concrètement dans leur petit « chez-soi » des jardins merveilleux, parfois avec du goût et du raffinement : Michael Jackson, Louis II de Bavière, Pierre et Gilles, Yves Saint-Laurent, Pierre Bergé, Jean Lorrain, Marcel Proust, Jean Cocteau, etc. « Nul mieux que Jean Lorrain n’a pu rendre la touffeur équatoriale de certains jardins déjà plus ou moins abandonnés, les palmiers géants, les cocotiers hauts de vingt mètres, dressés en colonnade de mosquée, le jaillissement fou d’ombelles et de palmes des bananiers, les fougères qui étaient leur dentelure sur les velours d’invraisemblables mousses. La décomposition lente des végétaux attirait cet esthète, comme un charme ajouté à cette frénétique torpeur. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 188)
Le Jardin Majorelle arabisant de Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent au Maroc
Par exemple, pendant la période artistique baroque appelée « Art Nouveau » (1880-1910), les artistes homosexuels obéissent au principe de l’imitation de la Nature, ce qui entraîne le goût des lignes sinueuses, des jardins synthétiques, des espaces lointains exotiques, et des modèles gothiques.
Le fantasme de créer une forêt et une Nature tout seul est très marqué chez certaines personnes homosexuelles. Par exemple, dans le documentaire « La Villa Santo Sospir » (1949), grâce à un jeu de caméra filmant au ralenti et en marche arrière, Jean Cocteau se présente comme un créateur de fleurs.
Photo de Sheila Legge par Claude Cahun
La cristallisation de la forêt en jardin artificiel se présente souvent sous la forme d’une féminisation, d’une préciosité de femme-enfant mythique. Bien plus souvent qu’on ne le croit, les créateurs homosexuels livrent la femme au végétal, à l’inconscient, à l’inhumain, au minéral, à l’insensible : cf. les tableaux photographiques de Pierre et Gilles, la photo L’Apparition du fantôme du sex-appeal (Sheila Legge In Trafalgar Square, 1936) de Claude Cahun, etc. Dans le générique de son film « Huit Femmes » (2002), François Ozon attribue à chacune de ses héroïnes une fleur.
« Ce qui me plaisait plutôt, c’était de lui [Philomène] ressembler dans sa féminité. En effet, sa façon de marcher, de s’habiller ou de se tenir, dégageait un moment de magie qui me séduisait. Je la comparais de surcroît à une fleur sauvage, poussée au milieu d’une plate-forme cultivée. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 48)
Dans mon mémoire de DEA (Master 2) Le Sablier de Néstor Perlongher (2003), j’avais vu que le subconscient des personnes homosexuelles (la partie supérieure de leur sablier psychique) était souvent habité par une femme végétale, une Ève primitive, une prostituée-vierge damnée de toute éternité, qu’elles cherchent à rejoindre en empruntant le chemin incestueux et impossible de l’état intra-intérin désincarné.
b) Le Jardin des supplices :
Film « The Ballad Of Genesis And Lady Jaye » de Marie Losier
Le Jardin d’Éden que semblent rechercher le désir homosexuel est en réalité l’enfer, un lieu où le fantasme de viol (ou bien le viol réel) s’exprime, où la sexualité est évacuée au profit de la génitalité et du sentiment désincarné. Charles Trénet a été trouvé nu quand il avait 15 ans, en train de s’amuser avec son camarade Max Barnes dans un jardin de l’Hôtel Mustafa Ier. J’étudie plus longuement la figure de l’actrice morte dans les codes « Mort-Épouse » et « Femme allongée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Mais le motif d’Ophélie, le fameux personnage d’Hamlet (1598) de William Shakespeare (auteur lui-même homosexuel), a inspiré quelques artistes homosexuels, tels que le peintre français Eugène Delacroix, qui s’est intéressé à trois reprises (entre 1838 et 1844) à Ophélie, cette naïade noyée qu’il décrit comme « une branche fleurie à demi tombée dans les flots », à travers trois toiles : Reproches d’Hamlet à Ophélie, Le Chant et la folie d’Ophélie et Le Suicide d’Ophélie.
Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte qu’il a installé trois statues de ses tantes adorées, « ces trois femmes qui désormais régnaient entre les fleurs du jardin » (p. 148), en éloge funèbre.
Film « La Mala Educación » de Pedro Almodóvar
Le jardin (réel ou symbolique), c’est là où les personnes homosexuelles pratiquantes ont enterré la différence des sexes et leur Désir pour leur préférer la peur et la violence, ont cherché fiévreusement leur origine pour ne pas affronter leur véritable Jardin secret (= Dieu). « Les personnes préoccupées de façon trop exclusive par la question de leur origine, ou des origines en général, ont tendance à se sentir exclues et persécutées. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 94) Il est le lieu de l’asexuation et du mépris du corps humain sexué : c.f. le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018.
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Quand il y a des enjeux de vie et de mort, de liberté humaine bafouée, de violence, le jeu, même invoqué sous de séduisants prétextes artistiques, humoristiques, amicaux, politiques, amoureux, sexuels, s’arrête vite… S’il se prolonge, il se transforme en viol, en manipulation. Or comme le désir homosexuel, de par son rejet de la différence des sexes (qui est LE « roc » du Réel par définition, sans lequel aucun d’entre nous ne seraient là pour en parler), n’est pas ancré dans la Réalité, il a du mal à connaître et à faire connaître à celui qui s’y adonne la claire distinction entre le jeu et les limites de celui-ci. C’est la raison pour laquelle, dans les œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité, voire parfois dans la vie concrète des personnes homosexuelles, le jouet conduit régulièrement au viol et à la mort ; le jeu tourne au drame. Oui, la Réalité a ses règles ; et c’est quand on y consent qu’on vit pleinement heureux, qu’on peut vraiment s’amuser sur cette Terre. À prendre l’existence humaine trop au sérieux ou au contraire trop au ludique/au virtuel/à la légère, les personnes homosexuelles, en célébrant les jeux pour se fuir elles-mêmes et fuir les autres, passent souvent à côté du vrai Jeu, celui de l’Amour, de la Joie, et même de la sexualité, celui qui fait comprendre que le bonheur profond est d’appréhender les limites du Réel pour mieux vivre/jouer avec, et de savoir s’imposer des contraintes.
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FICTION
a) L’homosexualité ludique :
Cf. je vous renvoie au code « Humour-poignard », à la partie « Carte » du code « Inversion », et à la partie « Bilboquet » du code « Parodies de Mômes », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
Film « Claire Of The Moon » de Nicole Conn
Très souvent, dans les œuvres homo-érotiques, il est question du jeu : cf. le roman Jeux d’enfance (1930) de Giovanni Comisso, la nouvelle « La Servante » (1978) de Copi (avec l’enfant-rat qui joue au train), le film « L’Arbre et la forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec les enfants jouant à « 1, 2, 3, Soleil »), le film lesbien « Poker Face » (2011) de Becky Lane, le bâti Norén Lars (2011) mis en scène par Antonia Malinova (avec Thomas, le héros à l’homosexualité latente, et fan d’échecs), la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi (avec le jeu de cartes), le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec la mention du jeu de cartes), la chanson « La Tapette en bois » de Jacki, le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent (avec les deux amis homos de Ricky jouant au Jeu des 7 familles), la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet (avec Mme Mime et la Reine de Cœur jouant ensemble aux cartes), la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti (avec les cinq adolescents qui jouent à Action ou Vérité), le film « Games That Lovers Play » (1971) de Malcolm Leigh, le film « Historia Du Kronen » (1994) de Montxo Armendariz, le film « La Règle du jeu » (1939) de Jean Renoir, le film « Hors Jeux » (1980) d’André Almuro, le vidéo-clip de la chanson « Rumour » de Chlöe Howl (avec les jeux d’échecs), le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha (les trois amis homos – Gabriel, Nicolas et Rudolf – se retrouvent régulièrement pour jouer au ping-pong), le film « Imitation Game » (2015) de Morten Tyldum, la chanson « Quand il n’y aura plus personne » du Beau Claude (avec l’amour considéré comme un jeu), etc.
Certains héros homosexuels aiment jouer et se disent fascinés par les jouets/jeux : « Dans la famille Mer [on entend « Mère »], je voudrais la grand-mère. » (Laure, l’héroïne lesbienne, parlant à son père pendant le Jeu des 7 familles, dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma) ; « Ginette [l’une des héroïnes lesbiennes] est certainement trop occupée à jouer aux cartes avec les copains. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 31) ; « Quand elle [Solange] était petite, à l’âge de 5 ans, elle était fascinée par un enfant qui vivait sur le même palier, de 2 ans son aîné, qui passait sa journée assis dans l’escalier en train de jouer au bilboquet […]. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 112) ; « Je suis allé à Las Vegas. Ça me semblait une destination assez gay friendly. Et là, je suis devenu un joueur professionnel : poker, black jack… J’étais très doué. » (André, homosexuel, dans l’épisode 365 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 27 décembre 2018) ; « Sauf que je joue pas. » (Hugo Quéméré, le héros homo, s’adressant à Julien à propos des sentiments qu’il a pour Barthélémy, dans l’épisode 441 de la série Demain Nous Appartient diffusé sur TF1 le 12 avril 2019) ; etc.
Par exemple, dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, l’imaginaire du narrateur homosexuel est habité par « une statue en train de jouer au bilboquet […] (la statue, c’est-à-dire l’enfant, est juste au milieu de la place) » (p. 18). Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle, l’héroïne lesbienne grandit dans une famille qui comate devant les jeux télévisés. Dans la mise en scène (2011) d’Érika Guillouzouic de la pièce Le Frigo (1983) de Copi, la scène préparée par le protagoniste homosexuel ressemble à une immense salle de jeux d’enfant, avec des peluches partout. Même topo avec le vidéo-clip très gay friendly de la chanson « Papa m’aime pas » de Mélissa Mars. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Thérèse, l’héroïne lesbienne, vend des poupées et des trains dans une boutique de jouets.
Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, est très jeu, mais aussi très compétition jalousie : il joue avec sa meilleure amie lesbienne Camille à un blind-test Années 80, aux échecs avec l’hétéro beauf Stan, et propose même en fin de soirée à ses deux rivaux Ninon et Stan de mesurer leur côte de popularité auprès de Camille en jouant à un « Jeu des Favoris », sorte de guerre qui occupe tout le scénario de la pièce.
Il arrive que le héros homosexuel se définisse lui-même comme un jouet : cf. la chanson « Comme un yoyo » de Jenifer, la chanson « Boule de flipper » de Corynne Charby, etc. Par exemple, dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, Bill dit qu’il est un jouet : « Bill comme Bilboquet » se présente-t-il aux gens pour qu’ils se remémorent facilement son prénom. Par exemple, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, la rencontre entre Rémi et Damien est mise sous le signe du jeu. Lorsque Rémi se coince l’écharpe dans la machine à laver, Damien le sauve in extremis de la strangulation, en le comparant à un yoyo : « Heureusement que j’étais là, sinon, vous auriez joué au yoyo toute la journée. » Rémi espère qu’il sera envisagé avec le temps « comme un être humain et non plus comme une balle magique ».
C’est par le jeu que l’homosexualité de certains personnages émerge. Par exemple, dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, la course-poursuite entre meilleurs amis vire au sérieux : Jan et Matthieu couchent ensemble. Dans le film « En colo » (2009) de Pascal-Alex Vincent, lors d’un jeu Action ou Vérité, le jeune Maxime découvre son homosexualité en embrassant un garçon de son âge pour relever un défi. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu raconte qu’avec son « ex » Maximilien, leur union est due à « un Action/Vérité complètement bourrés ». Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, Tommaso, le héros homosexuel, pour expliquer à son frère Antonio qu’il est vraiment gay, revient sur son amitié particulière avec son camarade d’enfance Sasa : « On n’a jamais joué aux petites voitures, avec Sasa… »
Film « Summer Storm » de Marco Kreuzpaintner
Le jeu est cet espace indéterminé de transition entre rêve et Réalité, où le fantasme amoureux homosexuel peut facilement se glisser, et passer pour plus réel que la Réalité même : « Si tu étais un jouet, tu serais quoi ? » (Bruno posant cette question à son futur amant Pablo pour le draguer, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger) ; « Avec Malcolm, j’ai l’impression que le jeu est devenu réalité. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 91) ; « Ok, tout ça n’était qu’un jeu, ok, on s’est pris au sérieux, le rire au fond des yeux. » (cf. la chanson « Nuit magique » de Catherine Lara) ; « Alors quoi ? Continuons à jouer ! » (Valmont en train de se travestir en drag-queen, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « Tu veux jouer à 50 minutes Inside ? » (Un homme en boîte homo draguant Jérémy en boîte, dans le one-man-show Bon à marier (2015) de Jérémy Lorca) ; etc. Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit, l’héroïne lesbienne, propose un jeu à sa copine Esti, mais celui-ci prend une toute autre tournure : « ‘J’ai un nouveau jeu, Esti, ai-je dit. J’essaie de te faire rire et toi, tu ne dois surtout pas bouger, d’accord ?’ Je commençais à me demander s’il n’y avait pas un malentendu. Allait-elle se redresser d’un bond, m’accuser des pires choses ? Je me suis penchée pour voir son visage. Elle avait les yeux fermés, un sourire aux lèvres. […] Elle s’est retournée et a posé ses lèvres sur les miennes. » (Ronit p. 220) ; « On jouait à des tas de jeux ensemble. Et un jour, nos rapports ont un peu changé de nature. » (Graham en parlant de son amour d’adolescence avec Manadj, dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden) ; etc. Dans le film « Boygames » (2012) d’Anna Österlund Nolskog, deux meilleurs amis, John et Nicolas, âgés de 15 ans, sont intéressés par les filles mais redoutent la première expérience sexuelle, alors ils décident de s’entraîner d’abord sur eux-mêmes. Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Clara et Zoé commencent à se chamailler pour rigoler, puis finissent par s’embrasser sur la bouche. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Lukacz joue à cache-cache avec Adam pour le draguer : ils imitent des cris de chiens et de singes pour se retrouver au beau milieu d’un champ de maïs.
L’amour homosexuel que vivent certains personnages n’a pas l’air très solide ni très sérieux car il s’annonce par la voie du divertissement puéril. Par exemple, dans la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier, Bernard essaie de draguer Philippe en lui apprenant à jouer du xylophone. Dans le film « I Want Your Love » (2010) de Travis Mathews, deux amis négocient leur passage à l’acte homosexuel sous forme de jeu… mais leur relation va devenir complexe, ambiguë. Dans le film « Une Femme un jour » (1977) de Léonard Keigel, quand le fils de Nicky voit sa propre mère au lit avec une femme (Caroline), il ne peut s’empêcher de leur demander : « Qu’est-ce que vous faites ? » ; et sa mère de lui répondre spontanément : « On joue. »
b) Jeu en tant que fuite du Réel :
En général, le héros homosexuel a recours au jeu car il veut fuir sa réalité (qu’il juge insupportable ou futile, et qu’il nomme paradoxalement « jeu ») et donner libre cours à ses pulsions : « Tout quitter. Fermer le grand théâtre de Bois-Rouge. Descendre le rideau sur cette comédie avant qu’il ne soit trop tard. Cesser de jouer. Partir. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 88) ; « De toute façon, j’ai gagné le jeu. » (Raul, le héros gay qui a réussi à se faire sucer dans une glory hole par Victor, dans le film « Plus on est de fous », « Donde caben dos » (2021) de Paco Caballero) ; etc.
Il semble voir le monde à travers le prisme des médias et de ses jeux vidéo : « J’avais l’impression que je luttais pour rien. Comme dans ces jeux vidéo, où lorsqu’on coupe un ennemi en deux, chaque moitié redevient un ennemi potentiel. » (Bryan en parlant de son « amour » pour Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 35) ; « C’est comme un site de rencontre de cul, sauf que c’est en direct, non ? » (Simon, l’un des protagonistes homosexuel parlant du sauna, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 40) ; « J’ai oublié ma Playstation chez toi. » (Thomas s’inventant une excuse-bidon pour revenir voir son ex François, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « Vous savez d’où ça vient les lesbiennes ? Ça vient du WiFi. » (l’humoriste « hétéro » Arnaud Demanche se mettant dans la peau d’un internaute, dans son one-man-show Blanc et hétéro, 2019) ; etc.
Andrew et Justin dans la série « Desperate Housewives »
Il est question des jeux vidéo, d’Internet et des rencontres amoureuses que cet outil permet, dans énormément de fictions homo-érotiques actuelles : cf. le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « VGL-Hung » (2007) de Max Barber (avec les jeux vidéo), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, le film « Fragments d’hiver » (2009) de Guillaume Van Haver, le film « Le Suivant » (2011) de Frédéric Guyot, le film « K@biria » (2010) de Sigfrido Giammona, le film « Des jeunes gens modernes » (2011) de Jérôme de Missolz, le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann (Monsieur Chateigner va sur Internet pour trouver ses « plans »), le roman Sex Workers As Virtual Boyfriends (2002) de Joseph Itiel, le film « Amen » (2010) de Ranadeep Bhattacharyya et Judhajit Bagichi, le film « Fragments d’hiver » (2009) de Guillaume Van Haver, le film « Bébé requin » (2004) de Pascal-Alex Vincent, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, le film « La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu » (1998) de Judith Cahen, le film « Internet Obsession » (2002) de Dominick Brascia, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, le film « Independance Day » (1996) de Roland Emmerich, le film « On-Line » (2001) de Jed Weintrob, le film « Anonymous » (2004) de Todd Verow, le film « Espace détente » (2004) de Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h, le film « Sugar Sweet » (2001) de Desiree Lim, le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar (avec Stéphane, le héros homosexuel passant son temps sur sa console avec Mario Bros II), la chanson « Sextonik » de Mylène Farmer, le film « Orange et Pamplemousse » (1997) de Martial Fougeron (avec les rencontres sexuelles par Minitel), le film « Plan cul » (2010) d’Olivier Nicklaus, le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs (où Érik rencontre ses « plans cul » par téléphone), le vidéo-clip de la chanson « Kelly Watch The Stars » du groupe AIR (avec les deux chanteurs jouant à un jeu vidéo des années 1970), le film « Sexual Tension : Volatile » (2012) de Marcelo Mónaco et Marco Berger, le documentaire « Moi, Luka Magnotta » (2012) de Karl Zéro et Daisy D’Errata (relatant l’histoire vraie de Magnotta, acteur porno occasionnel et mannequin raté, qui fut le premier web killer), le film « Bug Chaser » (2012) de Ian Wolfley (où Internet est source de grande angoisse pour Nathan), la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti (le jeune Mathan est toujours fourré sur Internet), etc.
Dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité, les personnages sont accros à informatique et aux jeux amoureux en réseau. Par exemple, dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, Laura compare un garçon jouant dans un bar sur un flipper (un jeu où il faut apparemment détruire des villes en lâchant des bombes) à un vrai guerrier (« Un soldat qui bombarde de vraies villes éprouve la même excitation que ce garçon. », p. 59) : preuve que le monde des jeux vidéo est considéré comme réel… Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ted, l’un des héros homos, parle d’un « clown géant » auquel il doit faire face, lors d’un jeu de rôle où il ne distingue pas la réalité de la fiction. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, anime des jeux télé et est constamment sur Internet ou son I-phone. Dans le film « Simple appareil » (2009) de Jean-Christophe Cavallin, Pierrick et son internaute passent la nuit ensemble dans la chambre de Pierrick, près du Canal Saint-Martin, à se raconter leurs blessures intimes. Dans la pièce Le Gang des potiches (2010) de Karine Dubernet, Nina, l’héroïne lesbienne, a fait du piratage Internet avant de se lancer dans les hold-up. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Roberto va sur les « chat » Internet pour draguer. Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, Benji, le héros homosexuel, trouve ses « plans cul » sur le site saunavirtuel.com avant de se rendre au sauna ; son corps et la machine ne font qu’Un : « Je clique, je trique. » Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, Benoît passe son temps sur Internet pour dégoter ses aventures sexuelles successives. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Norbert est allé voir ailleurs sur Internet et a trompé son copain Vivi. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, Tedd, l’un des héros homosexuels, travaille chez IBM. Dans la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau, le téléphone est montré comme un cordon ombilical sans lequel il est impossible de vivre. Dans les pièces de Copi, telles que Loretta Strong (1974), La Tour de la Défense (1981) ou encore Le Frigo (1983), le téléphone occupe une place capitale : il dit la schizophrénie des personnages transgenres. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., la relation entre Matthieu et Jonathan débute sur Facebook ; les deux sont férus de l’application Grindr et des sites de rencontres, même s’ils n’hésitent pas à les renier pour se racheter une réputation. Dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari, la protagoniste lesbienne Mnesya parle à ses écrans d’ordinateur et se prend elle-même pour un robot : « Moi, je ne suis qu’un processeur de données. » Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Lukazc joue à cache-cache dans un champ de blé pour séduire Adam. Dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin, Anna et Cassy, deux amantes, croient que si elles se déconnectent de Skype, elles et leur amour vont disparaître. C’est d’ailleurs ce qui leur arrive. Leur amour ne tient qu’à une connexion informatique. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam ose faire pour la première fois son coming out à sa sœur via Skype. Dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, Paul, l’un des héros homosexuels, se rend sur le site de rencontres gays Manhunt (textuellement : « Chasse à l’homme »). Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas crise de ne pas avoir de connexion internet en plein coeur de la montagne autrichienne, et se cherche des « plans cul » sur réseau. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca s’inscrit sur GrindR et cherche ses amants par ce biais. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Simon, le héros homo, est accro à ses mails et aux réseaux sociaux. Il crise dans son lycée quand les courriels ne lui parviennent pas : « Pourquoi y’a du réseau nulle part dans ce bahut ?!? Franchement, ça craint ! » Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel, est suspendu à son smartphone et aux applis. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Xavier, héros homo, drague sur Grindr.
Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Patrick, le héros gay, a créé une application algorithmique prédictive de l’Amour asexué baptisée « Cassandra », mêlant alchimie (maçonnique) et mathématiques : « Les chiffres ne mentent pas. L’Amour c’est chimique. La chimie, c’est des chiffres. Et les chiffres, c’est le rayon de Cassandra. » dit-il. Madelyn, la meilleure amie d’Hugo (le futur amant de Patrick) s’extasie de voir que les statistiques (de compatibilité) pourraient construire l’Amour : « Qui aurait cru que l’Amour c’était une question de chiffres ? »
« Deux choses me tenaient à cœur : avoir un chien et un ordinateur. Aucun rapport entre ces deux souhaits, si ce n’est que les deux allaient occuper une place importante dans ma vie. » (Bryan, l’un des héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 21) ; « Dix jours chez eux [mes grands-parents] sans ordinateur ni Internet… le Goulag ! » (idem, p. 29) ; « La chance qu’on avait d’avoir des ordinateurs et Internet. Merci Bill ! » (Bryan faisant un hommage à Bill Gates, op. cit., p. 149) ; « Jonathan squatte l’ordi la plupart de la journée. » (Matthieu parlant de son amant dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Je suis une victime du téléphone. » (une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Marcel revenait au plus tôt à la maison et s’enfermait dans sa chambre, devant son ordinateur. À l’âge de seize ans, il comprit rapidement le caractère égalitaire de cette invention. » (Marcel, l’un des héros homosexuels dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 18) ; « J’ai pour me tenir compagnie un I-phone et deux Blackberry. » (un des protagonistes homosexuels, rentrant dans la peau du « gay lambda », sur l’air de « Comme ils disent » d’Aznavour, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Heureusement qu’il y a Facebook ! » (Raphaël Beaumont dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) ; « Avant d’être un homme, avant d’être mon amour, tu es un fond d’écran. » (Denis à son amant Luther, avec qui il entretient une relation semi virtuelle depuis 19 ans, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Je rêve d’une application Shazam pour les odeurs. » (Richard s’adressant à son amant Kai, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Mon Beyto, il comprend mieux les ordinateurs que celui qui les a inventés. » (le père de Beyto, parlant de son fils gay, dans le film « Les Amours de Beyto » (2020) de Gitta Gsell) ; etc.
L’outil virtuel et ludique donne lieu à bien des quiproquos, ou même à certaines formes de mort. Par exemple, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Max rencontre nana sur le net en pensant que c’est un mec. Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, le symbole Apple de l’ordi de Léo (le héros homosexuel) est en tête de mort.
c) Jeu-schizophrénie :
Le jeu mis en place par le personnage homosexuel n’est pas souvent synonyme de joie et de maîtrise. Au contraire. Bien souvent, le héros ne rigole pas du tout, même quand il propose quelque chose d’objectivement farfelu et ludique : « Ce n’est pas un jeu. » (Frédéric Delamont, le héros homosexuel psychorigide du film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp) Par exemple, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Anne veut sérieusement un Happy Meal (pour les enfants) au Mc Do, et finit par agresser la restauratrice : « Je VEUX le jouet ! ». Ça saoule sa copine Marie : « J’en ai marre de tes conneries de gamine. » Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Kanojo profite des jeux vidéo que lui propose son amie Juna pour draguer celle-ci lourdement. Elles enchaînent les jeux de plus en plus violents : « Tu vois que tu es violente toi aussi. » s’en amuse Juna. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien asocial homosexuel, pense que, par le jeu, l’homme et la machine se rejoindront pour s’aimer. Toute sa vie, il l’a passée à se fuir lui-même dans l’idolâtrie ludique : « Je suis très bon aux jeux, aux casse-tête. »
Il ne maîtrise pas le jeu qu’il joue parce qu’il n’y a mis ni liberté, ni véritable conscience de faire. Il a agi pour/par l’image, par intentions plus que réellement et constructivement. Par exemple, dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, on trouve un bon exemple de la simulation mi ludique mi fatale de la détronisation du roi des parias homosexuels, Bob, qui à tout moment peut être agressé par les joueurs rieurs qui l’entourent. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, le grand jeu de Guillaume, c’est de se faire passer pour sa mère auprès des membres de sa propre famille ; il imite même sa façon de marcher… et tout le monde se fait avoir. Son jeu le conduira à surprendre son père cul nu dans la salle de bain.
Certains personnages homosexuels, en ne distinguant plus la fiction de la Réalité, personnage et personne, rôle (de théâtre) et action (dans la vie), ou bien en confondant sincérité et Vérité, deviennent des acteurs schizophrènes qui ne s’éprouvent pas jouer : cf. le roman Versteck Spieler (Un Joueur caché, 2010) de Marcus Urban, le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec le Roi jouant à la poupée), le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin (avec les jeux d’argent dans les rues de San Francisco), etc.
Par exemple, dans le film « Unconditional » (« Inconditionnel », 2012) de Bryn Higgins, Owen se travestit, et ce qui semblait un jeu devient sérieux. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Marilyn qui au départ devait simuler un couple avec Chris (le héros homosexuel) finit par tomber amoureuse de lui. Dans le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig, le jeu est associé à la torture nazie, par le flou qu’il impose entre folie et Réalité (« Sur cet échiquier, tout est faux ! » s’exclame le héros, complètement ensorcelé par un jeu qu’il feint d’écarter pour mieux s’y enchaîner). La dimension ludique et distancée que propose les jeux est totalement gommée par les personnages de cette pièce (« C’est un combat à mort » déclare par exemple McConnord).
Le jeu qu’ils mènent cache parfois un désir de devenir quelqu’un d’autre que soi, ou bien un objet : « J’ai toujours adoré jouer à la poupée. » (Marina, le travesti M to F, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « Avec une perruque, j’accepte votre regard, je déclare votre jugement moins lourd sur moi… vous pouvez me trouver belle et laide, vous pouvez me regarder, me dévisager avec un sourire aux lèvres, une larme dans les yeux ou plisser le front, je ne suis plus moi-même… Je m’en fous je ne suis pas là. Je joue pour moi, pas pour vous. » (l’Actrice dans la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « ‘Je’ a disparu. Je suis plus moi même… C’est plus moi dans le jeu. » (idem) ; « Cette gamine est fantasque, toujours en train de s’attifer et de jouer la comédie… C’est drôle. » (Collins à propos de Stephen, la jeune héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 28)
Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, la Comédienne dit que quand elle interprète un rôle, elle « n’a pas l’impression de jouer » ; « Ce qu’il y a de plus éprouvant, c’est que soi-même on devient théâtral. » ; « Si au moins je sentais le personnage… ; « Je n’ai pas l’impression de jouer la comédie mais d’imiter une actrice de cinéma détestable, comment s’appelait-elle ? » ; « Tu te laisses emporter par le personnage ! Nous ne sommes pas en train de jouer ! » (Arthur à la Comédienne, op. cit.)
Tout porte à croire que le « jeu » dont parlent les personnages homosexuels n’est que l’expression de leur ébahissement inconscient et jaloux face à leur propre reflet narcissique : « Épreuve du miroir. Le jeu des 7 erreurs. » (Djalil à sa mère, dans la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti) ; « Poète, on se prend à son jeu. C’est le charme. […] Je me suis fait pleurer moi-même en l’écrivant. » (Cyrano de Bergerac par rapport à sa propre lettre envoyée à Roxane dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Les jeux ne sont pas tout à fait faits, chère petite sœur. C’est toi ou c’est moi ! Puisque nous sommes jumelles ! On a commencé à se battre à l’intérieur du ventre de notre mère. » (la Comédienne à Vicky dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Les jeux sont faits, ma sœur. Dieu est avec vous, le Diable est avec moi ! » (idem) ; « Je vais jeter cet ordinateur ! » (Fanny, l’héroïne bisexuelle de la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; etc.
Chose curieuse (mais logique !) : dans certains films, le jeu est simultanément une marque d’homosexualité et une marque d’homophobie : « Tu veux jouer aux cartes ? » (Allan quand il veut détourner la conversation parce qu’il est suspecté par Max d’être homo, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; « Ton petit jeu, ça suffit. » (Marc s’adressant à son amant Sieger qui n’assume pas leur « amour », dans le film « Jongens », « Boys » (2013) de Mischa Kamp) ; etc. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, la photo de Nathan et de Louis s’embrassant secrètement à une soirée de jeunes circule sur les réseaux sociaux : Nathan fait croire que c’était un jeu, pour faire mentir son acte. Le personnage homosexuel joue avec lui-même un jeu de cache-cache identitaire destructeur.
Ce n’est pas un hasard si le jeu, dans les fictions homo-érotiques, de désincarné, passe à violent (puisque ce n’est qu’en rejoignant le Réel qu’on rejoint l’Amour) : cf. le roman Le Jeu dangereux (1931) de Stefan Zweig, la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt (avec la métaphore du jeu amoureux qui termine mal : l’un des deux amants retourne sur lui le revolver qu’il pointait désespérément sur l’autre), le film « Roulette Toronto » (2010) de Courtney Trouble, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (et les jeux vidéo avec port d’armes à feu), le film « Sala Samobójców » (« Suicide Room », 2011) de Jan Komasa (racontant l’histoire d’un club virtuel de suicide), le roman Les Jeux funéraires (1981) de Mary Renault, le vidéo-clip de la chanson « The Power Of Goodbye » de Madonna (avec le jeu d’échecs qui s’achève par une rupture amoureuse), le roman El Juego Del Mentiroso (1993) de Lluís Maria Todó, le film « Jeux de nuit » (1966) de Mai Zetterling, le film « The Devil’s Playground » (1976) de Fred Schepisi, le film « To Play Or To Die » (1991) de Frank Krom, le film « Fucking Amal » (1998) de Lukas Moodysson, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, les tableaux The Entwined (1996) et Obsession (1996) de Christopher Cheung, le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol (avec la description de l’univers totalitaire d’Internet), le film « Les Résultats du Bac » (1999) de Pascal-Alex Vincent (où l’on voit des jeux vidéo avec port d’arme à feu), le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard (traitant toujours des jeux avec port d’arme à feu), le film « Wild Side » (2004) de Sébastien Lifshitz (avec la cruauté des jeux d’enfants), la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan (où un fils homosexuel torture son père en lui organisant un petit jeu d’anniversaire), le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria (avec le parallélisme entre le jeu de cartes et un enterrement), le film « Allez » (2011) d’Oliver Tonning, le film « Cannibal » (2005) de Marian Dora, la chanson « Parce que » de Daniel Darc et Bill Pritchard, etc.
Film « No Regret » (2006) de Lee-Song-Hee-Il
Par exemple, dans le film « En colo » (2009) de Pascal-Alex Vincent, les camarades de Maxime, le héros prochainement homosexuel, exercent sur lui leur homophobie en le testant sur sa sexualité et en le soumettant au chantage de l’aveu. Le tout sous prétexte de la blague : « Ça va, on peut rigoler ! » Ils ne se rendent pas compte de leur méchanceté. « Tu ne sais pas jouer ? » (Mardonio s’adressant à Segundo en le suspectant d’être homo, dans le film « Mon Père », « Retablo » (2018) d’Álvaro Delgado Aparicio). Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, le « Jeu de la bouteille » organisé par le méchant Fábio piège Léo, le héros homosexuel aveugle, qui est sur le point d’embrasser un chien (Pudding) sans le savoir, en s’imaginant embrasser une très belle fille. Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, lors d’un exercice de formation de police (une simulation d’émeute), Marc frappe violemment son collègue (et futur amant) Engel. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand, homosexuel, instaure le jeu « Gay/pas gay » pour en réalité (simuler d’)outer tout le monde. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud, l’un des héros homos, est accro aux jeux vidéos : au départ, on croit qu’il joue à des jeux violents hyper hétéros (« Mais tire ! Tire, bordel !! »), pour finalement découvrir qu’il joue aux Pokémon. Dans la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1, Hugo, le héros homo, drague Bart Valorta pendant une baignade… et dans un premier temps, Bart résiste et le repousse violemment. Hugo lui reproche ses barrières : « La prochaine fois, tu arrêteras de faire ton p’tit joueur » (c.f. l’épisode 260, diffusé le 7 août 2018).
Souvent, on observe dans les œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité un revirement de situation tragique entre le monde ludique et le retour au Réel : « Arrête ce p’tit jeu, Romane, c’est ridicule. T’as rien trouvé de mieux pour me provoquer ? » (Alain Richepin s’adressant à sa fille Romane qui roule un gros palot à sa copine Yindee devant lui, dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien) ; « Je peux pas me détendre tranquille sans que tu me bousilles mon jeu ? » (François, homosexuel, face à son amant Thomas, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « I play with a gun, but just for the fun. » (cf. la chanson « I Hate You » de Mélissa Mars) ; « Je regarde distraitement les enfants qui jouent à s’envoyer des bateaux à voile dans le bassin, je referme le cahier, je pense à la mort de Piggy, Monnie et Rooney. » (le narrateur homosexuel repensant aux trois enfants dévorés par un requin, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 92) ; « Si la syphilis causait autant de ravages que le sida et terrorisait pareillement les pédérastes de la fin du XIXe siècle, des adolescents n’auraient certes pas enfilé de capotes pour jouer à touche-pipi ! » (Essobal Lenoir, « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010), p. 97) ; « Continuons de jouer ! Ce que c’est beau, ce que nous jouons. » (Dorian après avoir assassiné son amant Basile, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Petra et elle s’étaient écartées l’une de l’autre et se tenaient à présent face à face sur le canapé, comme si elles s’apprêtaient à entamer un match de boxe ou un jeu de ficelle. » (Jane, l’héroïne lesbienne en couple avec Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 54) ; « Anna vient ici de temps en temps. Elle habite dans l’appartement d’en face depuis toujours. Le cimetière était son terrain de jeu. » (idem, p. 204) ; « Quand je pense qu’il y a quatre millions de chômeurs… et moi qui fais du yoyo… » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Sidney, l’héroïne lesbienne, oute tous les présentateurs-télé et se moquent de ses concurrents du monde médiatique : c’est son jeu. Cela va se retourner contre elle puisque sa grande rivale, Truddy, qui se fait passer pour son assistante, échafaude un terrible plan de vengeance et de ridiculisation qu’elle finit par dévoiler : « Alors comme ça, je ne sais pas jouer ? […] Moi, je ne sais pas jouer. Mais j’ai su te réduire en poussière rien qu’en jouant. » Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Rinn, l’une des héroïnes lesbiennes, force son amie Suki à l’embrasser sur la bouche, par jeu et « pour s’entraîner ». Cela finit mal car elles sont surprises par Juna et Kanojo. Suki est inanimée suite au baiser.
Film « L’Inconnu du Nord-Express » d’Alfred Hitchcock
Le jeu auquel jouaient les héros vire inexplicablement au cauchemar. Par exemple, dans le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon, la guerre que se livrent « pour de rire » (comme dit Catherine) les neuf protagonistes féminines tourne au drame quand le père finit par se suicider pour de vrai à la fin. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire, le criminel, semble toujours jouer même quand il frappe mortellement… et d’ailleurs, la cible humaine qui lui vaudra la condamnation à l’échafaud, c’est un joueur d’argent ! Dans « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar, Antonio (Antonio Banderas interprétant le rôle d’un psychopathe homo ultra possessif, prêt à tuer par amour) joue au tir à la carabine dans une fête foraine, et annonce déjà son dramatique passage à l’action. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le délire travesti des deux meilleurs amis Matthieu et Franck, ainsi que la fête avec la mère, annonce l’accident de voiture où Matthieu va mourir tragiquement. Dans le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le tour de manège se transforme en piège mortel pour tous les jeunes passagers à bord. Dans le vidéo-clip de la chanson « Kelly Watch The Stars » du groupe AIR, Kelly, jouant un match de ping-pong de compétition, reçoit une balle dans la tempe et se retrouve momentanément dans le coma. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, la bataille de boule de neige, en apparence inoffensive et enfantine, va virer à la guerre mortelle puisque Paul reçoit à la poitrine une pierre dissimulée dans une boule de neige (Dargelos, son amant-ennemi, lui a fait ce joli coup fourré), et perd connaissance ; et à la fin du film, on retrouve cette idée de jeu mortel quand Paul est étendu mort sur la table de billard (tout un symbole !), et que sa sœur Élisabeth le veille. Dans le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, Philippe filme des jeunes en train de jouer aux jeux vidéo avec arme dans un salon public. Dans le film « Action ou Vérité » (1994) de François Ozon, le jeu et les rires cessent immédiatement dès que Rose sort sa main ensanglantée du sexe de sa copine Hélène qui a ses règles. Dans la séquence 12 des didascalies de la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès, le personnage du Rouquin se tire une balle en manipulant son arme à feu comme un joujou. Dans le vidéo-clip de « Libertine » de Mylène Farmer, Libertine, frappée violemment à la tête par une bouteille de vin rouge, s’écroule sur une table de poker. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, c’est toujours à travers un jeu-mensonge, qui va de plus en plus loin (d’abord le béret, ensuite l’Action-Vérité, ensuite le foot, la danse, puis la bagarre), que l’illusion du changement de sexe se fait plus concrète dans l’esprit de Laure, une adolescente qui se prend pour un mec et qui essaie de faire croire à son entourage qu’elle est un garçon ; la violence de cet éloignement du Réel par le jeu de rôle n’apparaît qu’à la fin, quand l’héroïne est obligée de dévoiler sa véritable identité à la face du monde et d’affronter sa propre haine de soi (haine de soi qu’elle faisait passer pour un « jeu sérieux »). Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homo, est invité à jouer aux échecs avec l’homme dont il est amoureux, Dick, et qui est nu dans sa baignoire. Cette partie nourrit un quiproquo qui conduit Tom a tué Dick un peu plus tard dans l’intrigue.
Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la jolie prostituée, fait promettre au jeune Moustique qu’elle a dépucelé de jouer à un jeu jusqu’au bout. Ce dernier promet avant de savoir quelle en est la teneur : « À quoi on joue ? » demande-t-il, excité. Il déchante quand elle lui demande de lui enfoncer dans le ventre un gros couteau de cuisine : « Tu vois ce couteau ? Tu vas me l’enfoncer dans le ventre. C’est pour avoir une chance. Une chance sur deux. » Par « amour », il va obéir à sa demande. Mais, pris de remord, Moustique se jettera dans les bras de la prostituée nommée « Quarante », comme si c’était lui qui avait reçu le coup de couteau : « Pourquoi elle m’a fait ça, Quarante ? »
Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, le héros homosexuel, force tous ses invités gays à jouer, en fin de soirée bien arrosée et pendant un orage, à un jeu dangereux et diabolique : « Mais tu tombes bien. On allait justement faire un petit jeu… » annonce-t-il à Alan, le héros hétéro qui souhaitait prendre la poudre d’escampette. « Écoutez tous. On va jouer ! » Harold, son colocataire, le voit venir puisqu’il lui demande cyniquement : « ‘Le Jeu de la vérité’ ? Ou bien ‘Meurtre’ ? Vous vous souvenez de ce jeu ? Deux jeux identiques. Dans les deux cas, on tue quelqu’un. » Michael met en place un jeu machiavélique qui vise à ce que chacun des convives appelle par téléphone son plus grand amour homosexuel et s’avoue tout seul la vanité de l’amour homosexuel et de l’amour/de la vie en général (« On est tous acteurs de nos vies. Certains restent sur le bas côté. » dit-il laconiquement). Notre maître de cérémonie machiavélique fixe les règles du jeu lui-même : il crée un système de points, régressif si les candidat ne vont pas jusqu’au bout de l’humiliation. Comme par hasard, lui et Harold seront les seuls à ne pas passer aux aveux. Ceci s’explique en partie par le fait qu’ils sont tous deux anciens amants ; et leur relation apparaît comme diaboliquement ascétique. Ils partagent le secret de leur auto-homophobie (pléonasme), de leur haine de soi et de leur misanthropie cynique. C’est pour cela qu’Harold ne mordra pas à l’hameçon des manigances de Michael : « Toi et moi on est pareils. On se ménage parce qu’on joue chacun très bien au jeu de l’autre. Je connais très bien ton jeu. J’y joue très bien. Toi aussi d’ailleurs. Mais tu sais, je suis meilleur que toi. Je te bats quand je veux. Alors, ne me provoque pas. Je te préviens. » Quand tous les invités seront partis, Michael s’effondra dans les bras de Donald, en pleurant amèrement sa tentative ludique de vengeance généralisée.
Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, la jeune Sigrid essaie de « s’amuser » avec sa partenaire amoureuse, Helena, beaucoup plus âgée qu’elle… et ce jeu aboutira au suicide de la seconde. Maria, qui doit interpréter le rôle d’Helena au théâtre, sombre aussi dans un jeu malsain avec son assistante Valentine car elle transpose sur leur relation réelle l’union fictionnelle déséquilibrée entre Helena et Sigrid. Par ailleurs, les deux femmes tirent des jeux ce qu’il y a de plus malsain : elles se rendent au casino pour jouer à des jeux d’argent, finissent par se séparer parce que leur jeu de lectures tourne à la séparation définitive.
e) Jeu-viol :
En réalité, le jeu dont il est question dans les œuvres homosexuelles est très souvent réductible au viol et à la guerre. D’abord le viol en tant que fantasme et peur infondée de la sexualité.
Par exemple, dans la pièce Un petit jeu sans conséquence (2012) de Jean Dell et Gérard Sibleyras, Patrick, l’unique héros homosexuel de l’histoire, très fan des jeux de plage, a provoqué un jeu qui devient sérieux et dramatique : il sépare le couple pourtant très solide Bruno/Claire en faisant circuler un ragot infondé à leur sujet. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Zook fait mine de suggérer un tournage de fist-fucking en proposant à son pote Jenko de jouer aux jeux-vidéo. Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus met en scène un jeu télévisé fictif, Qui nique qui ?, où le principe est de générer et d’illustrer le racisme entre les peuples. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, les amants entre eux soit trichent (« Là, vous ne respectez pas les règles du jeu. » dit Jacques en s’adressant à Arthur) soit se font mal quand ils « jouent » : (« J’aime bien ce jeu. » dit Jean-Marie en frappant Jacques à la poitrine, au visage, puis le brûlant au visage avec son briquet). Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas et François, les deux amants, reviennent de la « Soirée Mousse » organisée par leur ami Paul complètement bourrés : ils portent encore chacun sur le front le post-it du jeu auquel ils ont participé, et essaient de deviner quel personnage célèbre ils incarnent. À un moment, le jeu tourne mal puisque François porte le post-it « Adolf Hitler ». Thomas a tout le mal du monde à lui faire deviner qui il est : « Je suis une personne d’origine allemande. Et je porte des bottes en cuir. » François, sans le vouloir, confond le Führer et le couturier allemand homo Karl Lagerfeld : « Oh nan, pas lui ! Pas Karl Lagerfeld ! »
Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola trompe sa copine Vera d’un commun accord avec Nina. Leur trio diabolique s’organise autour des manigances de Lola et Vera. « Ce petit jeu a l’air de vous amuser. Alors moi aussi je m’amuse. Comme ça, tout le monde s’amuse ! » (Nina s’adressant à Vera et Lola) ; « Nous allons lui jouer un feu d’artifices, le bouquet final. » (Vera s’adressant ironiquement à Lola par rapport à Nina) ; etc. Nina finit par craquer au bout de deux ans d’aventure « extraconjugale » avec Lola : « À quoi vous jouez ? » (Nina s’adressant à Lola et Vera) ; « J’en ai assez de votre petit jeu. C’est malsain. En réalité, je suis qu’un jouet pour vous. » ; « C’est votre jeu. C’est pas le mien. C’est un jeu dont je ne connais pas les règles. » Le goût du jeu méchant semble être né dans le cœur de la méchante Vera à cause de sa grand-mère : « Quand j’étais petite, ma grand-mère avait inventé une enfant virtuelle, Olivia [qu’elle pouvait gâter et féliciter à l’envie quand moi je n’étais pas sage, pour me servir de leçon] Qu’est-ce que je détestais Olivia… J’ai fini par détester ma grand-mère aussi. Quand elle est morte, je n’ai eu aucun chagrin. »
Le jeu amoureux humain perçu comme un viol peut être simplement le fruit de l’imaginaire du héros homosexuel, ou bien le signe chez lui d’élans incestueux et jaloux mal digérés : « Anna et lui [Sir Philip, son mari] se mettaient à causer et à s’amuser, ignorant Stephen [leur fille lesbienne], inventant, comme deux enfants, d’absurdes petits jeux auxquels ne prenait pas toujours part celle qui était l’enfant véritable. Stephen s’asseyait et observait en silence, mais son cœur était la proie des plus étranges émotions, émotions qu’un petit être de sept ans n’est pas fait pour affronter et auxquelles il ne peut donner de noms précis. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 49)
Dès le début du film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, joue à la Gameboy dans la voiture de son père, et parle à sa console : « Putain, me lâche pas ! ». La relation amoureuse qu’il entame avec Nathan est fondée console. C’est en lui expliquant comment y jouer que Nathan initie implicitement Jonas à l’homosexualité : « Maintenant que t’as pigé le truc, le but, c’est de ne jamais s’arrêter. Jamais. » En guise de déclaration d’amour, Nathan offre sa Gameboy à son amant Jonas, au moment où ils sont au cinéma. Jonas est très touché mais gêné aussi : « On va pas jouer maintenant. » La passion de Jonas pour son jeu-vidéo – et finalement pour l’homosexualité – vire tellement à l’obsession que c’est à cause de sa Gameboy qu’il ne vient pas en aide à son amant lui suppliant de lui ouvrir la porte de la voiture où il s’est enfermé, alors que Nathan va se faire tuer. Dix-huit ans tard, à l’âge adulte, Jonas est carrément identifié à sa console, et se fait appeler « Gameboy » par Léonard, le frère de Nathan. Pour le provoquer, et alors même qu’il sent un regard de désir de la part de Jonas posé sur lui, Nathan, sur sa bouée dans la piscine, balance exprès la Gameboy à l’eau. Jonas plonge pour la récupérer. À la fin du film, comme un ultime hommage funèbre, Jonas dépose sur le lit de Nathan la console, symbole de leur amour impossible.
Mais le « jeu » figuré dans les fictions homo-érotiques se réfère surtout au fantasme actualisé de possession de l’autre, au fantasme actualisé de possession de soi (= masturbation), au viol, à l’inceste, à la prostitution. Le héros homosexuel veut conquérir l’amant au point de faire de lui un jouet/devenir son jouet, de rentrer avec lui dans des jeux amoureux destructeurs, des liaisons dangereuses : « Quentin n’a fait que jouer avec vous. » (Lucie parlant à Jules de son ex-copain à lui, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Je m’y connais quand même pas mal en jeu. Je touche ma bite… euh… je touche ma bille. » (Bernard, le héros homosexuel de la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Ça nous laisse quelques minutes pour jouer. » (le client Monsieur Chateigner à son garçon d’hôtel Anthony, qu’il maltraite avec des jeux sadomasochistes, dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann) ; « Et elle voyait Paul couché sur un billard. Dans son rêve, le billard s’appelait ‘Le morne’. » (Elisabeth face à son frère avec qui elle a vécu l’inceste, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Frapper à cette porte pour ressusciter la voix de la mère. Imaginer qu’elle allait enfin se réveiller. Enfin répondre. Parler au petit frère […] qui, chaque soir, voulait qu’on recommençât le jeu : ‘Adi, tu me serres très fort dans tes bras ?’ » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 41) ; « Je t’amène là où je veux. J’ai toutes les cartes du jeu. » (cf. la chanson « Chatte » du groupe travesti M to F Mauvais Genre) ; « Cette fille, Virginie, violée sur la place, et bien c’est moi. […] J’ai toujours été un peu joueuse avec les touristes… » (Léa dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « À quoi tu joues ? » (Hennis s’adressant à son amant Jack qui va le sodomiser par surprise sous la tente, dans le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee) ; « I want a bad girl, to come and playwith me… » (cf. la chanson « Bad Girl » de Mylène Farmer, en référence à la prostitution) ; « Gardons l’innocence et l’insouciance de nos jeux d’antan, troublants. » (cf. la chanson « Regrets » de Mylène Farmer) ; « Ai-je jamais été innocent ? Si je l’ai jamais été, c’est parti très vite. Très vite, je crois avoir compris les jeux des grands, leurs enjeux, leurs discussions murmurées, leurs sous-entendus, leurs lâchetés, leurs espérances. Très vite, je n’ai plus été dupe. J’ai perdu ça : la naïveté, la fraicheur, l’inconscience. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 24) ; « Je veux vous dire que, lorsque je déclare que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes, je signale simplement que, dans une relation amoureuse, souvent, il en est un qui donne et l’autre qui prend, un qui s’offre et l’autre qui choisit, un qui s’expose et l’autre qui se protège, un qui souffrira et l’autre qui s’en sortira. C’est un jeu cruel parce qu’il est pipé. C’est un jeu dangereux parce que quelqu’un perd obligatoirement. » (la figure de Marcel Proust à son jeune amant Vincent, op. cit., pp. 164-165) ; « Moi, je ne suis que ton pion. » (Jack à son amant Paul, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Il est terrible, ce jeu, Khalid. Tu es impitoyable. » (Omar, le héros homosexuel qui tuera son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 111) ; « Un autre jeu, entre nous, allait commencer. Mais ce n’était pas vraiment un jeu. Nous avons vite compris que dans la forêt les jeux n’avaient pas le même sens ni le même goût qu’ailleurs. » (idem, p. 137) ; « Et si on changeait de noms ? Je veux dire échanger nos prénoms, juste nos prénoms… […] On ferme les yeux dix secondes. Après, chacun de nous deux sera l’autre. JE deviendrai toi, TU deviendras moi. » (idem, p. 138) ; « Le combat, pour de faux, pour de vrai, a repris. La transformation aussi. L’échange de prénoms. Un film de science-fiction marocain. » (idem, p. 140) ; « C’est un jeu. Pourquoi vous ne jouez pas avec moi ? » (Dr Apsey parlant à son patient homosexuel Frank à qui il essaie de faire avaler des pilules pour le transformer en hétéro, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Elle me répète qu’elle m’aime et je joue avec elle comme un petit animal effrayé. Ses baisers me donnent la nausée. La manière dont elle s’est jetée dans mon lit, dont elle s’est couchée contre moi, sans que je lui demande rien, me dégoûte. […] Son insouciance, sa beauté me répugnent. » (Heinrich parlant de Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 65) ; « J’ai toujours pensé que comme j’étais une pédé passif, alors je pouvais être un femme belle et désirette, c’est dans moi, comme jouer à la poupée quand j’étais enfant, essayer les robes de ma mother quand j’étais teen et sucer des bites maintenant, quoi ! » (Cody, le héros homosexuel nord-américain hyper efféminé, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 92) ; etc.
Documentaire « Greek Pete » d’Andrew Haigh
Par exemple, dans la chanson « Une Fée, c’est… » de Mylène Farmer, l’allusion à la masturbation ne laisse aucun doute quand la chanteuse dit « Jeux de mains, jeux de M… Émoi. » Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier, l’un des héros homos, dit qu’il s’est déjà prostitué : « Ça m’excitait d’être un jouet sexuel. » Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Léopold, avant de sauter sur le jeune Franz et de coucher avec lui, lui propose de jouer à un jeu de pions : « On joue à quelque chose ? Aux petits chevaux peut-être ? C’est dans le jeu qu’on apprend le mieux à connaître les gens. » Peu à peu, le spectateur découvre que, derrière ses apparences séductrices et aimantes, ce jeu est diabolique : Léopold compose trois fois de suite un « 6 » au dé.
Chez Jean Cocteau, le mot « jeu » remplace presque toujours celui de « sexe » ou de « viol » : par exemple, lorsque Paul déclare dans le roman Les Enfants terribles (1929) qu’« il s’est trop habitué à jouer seul » au moment où sa sœur lui propose de « jouer au jeu » avec elle, l’allusion à la masturbation et à l’inceste est explicite ! Dans le roman Querelle de Brest (1947) de Jean Genet, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, ou encore dans la chanson « Porno graphique » de Mylène Farmer, le passage au viol est anticipé par le jeu de dés pour savoir « qui va enculer qui ». Dans le film « Dans la ville blanche » (1983) d’Alain Tanner, le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, ou encore dans le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari, le billard est filmé comme le préambule de la sodomie et du viol homosexuels. Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), l’humoriste Raphaël Beaumont propose aux gens de son public un jeu pour découvrir s’ils sont des violeurs idéaux, façon QCM de plage : « Quel genre de psychopathe êtes-vous ? » Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, la Tonka joue la prostituée… et est prise à son propre jeu : elle se fait violer pour de vrai par Volker. Dans le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le jeu annonce le viol pédophile : Neil, le jeune héros homosexuel, a été couvert de cadeaux et de jeux vidéo par son entraîneur de sport, avant de se déclarer homosexuel à l’âge adulte. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la relation amoureuse fusionnelle entre Kévin et Bryan s’annonce comme un jeu de cartes, celui de la bataille. Au moment où ils vont faire l’amour ensemble, Kévin « dit sur un ton catégorique [à Bryan] : ‘On va jouer à un jeu : la bataille. T’as un jeu de cartes ?’ » (p. 120) ; « ‘J’aime bien jouer avec toi’, dit-il, avec ce sourire qui en disait long sur ce qu’il pensait. » (p. 123) Et lorsque Bryan le remercie de lui avoir changer sa vision du monde et de lui avoir appris l’amour, celui-ci ironise en lui répondant : « Je t’ai appris à jouer aux cartes ! » (p. 390) Leur jeu aura une issue fatale pour chacun des deux… « Jouer » n’est pas nécessairement « aimer ».
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) L’homosexualité ludique :
Cf. je vous renvoie au code « Humour-poignard », à la partie « Travestissement » du code « Substitut d’identité », à la partie « Carte » du code « Inversion », et à la partie « Bilboquet » du code « Parodies de Mômes », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
On peut difficilement dire que dans la vie, les personnes homosexuelles ne sont pas joueuses (Après, la différence se fait dans la catégorie de jeux qu’elles aiment, qui sont souvent des divertissements qui éloignent du Réel : travestissement, jeux solitaires, jeux virtuels ou en réseau, jeux de rôles, jeux d’argent, rituels de cour, etc.) Par exemple, Vanessa Selbst, lesbienne, est joueuse de poker aux États-Unis. Le célèbre Youtubeur Julien Dachaud alias Newtiteuf a fait son coming out en janvier 2017. Dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, Luca, l’un des deux membres du couple homo portraituré, lave ses innombrables figurines de jouets dans une bassine. Je me suis rendu à l’exposition Des jouets et des hommes (2011-2012) au Grand Palais de Paris, et j’y ai trouvé (notamment dans les mises en scène vidéo qui étaient projetées sur des écrans) une ambiance très homo-érotique. Il existe même des Gay Games (Jeux Olympiques spécifiquement réservés aux personnes homosexuelles) !
Certaines personnes homosexuelles se définissent elles-mêmes par le jeu, ou comme des jouets : « Tel un jeu de Yo-Yo, je désespérais et reprenais courage en face de ce mal de vivre. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 57) Par exemple, dans son premier film « Pêche mon Petit Poney » (2012), le réalisateur Thomas Riera se penche sur la genèse de la découverte de l’homosexualité et sur la question du genre dans le monde du jouet d’enfant.
Beaucoup d’entre elles, depuis leur plus tendre enfance, vouent un culte à la légèreté et à la fantaisie du jeu : « Notre maison regorgeait de livres, des jeux de société, ainsi que des décorations militaires qui peuplaient le salon. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 18) ; « J’avais six ans à peine et j’étais autant fasciné par les jeux de la fête foraine auxquels je pouvais participer que par la présence autour de moi de ces adultes habillés à la mode. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 23-24) ; « Sur ma lancée d’organisateur de jeux pour le quartier, je pris en charge les fêtes de la Saint-Jean. J’avais tout juste treize ans. Je montai une comédie musicale avec mes camarades, abusant du play-back. C’était le début du disco et je me trémoussais avec enthousiasme durant le spectacle, incarnant… des chanteuses. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 29-30)
Par exemple, le dramaturge argentin homosexuel Copi était très attaché à sa grand-mère maternelle, Salvadora Medina Onrubia, et dans sa jeunesse, il passait ses dimanches à jouer à la canasta avec elle et ses amies de 80 ans.
Je connais dans mon entourage des amis homosexuels qui adorent se rendre dans les grands salons de jeux, qui aiment beaucoup les jeux en ligne sur Internet et les jeux d’argent. J’ai notamment parmi eux un pote (pourtant le plus âgé de ma bande d’amis d’Angers) dont le salon ressemble à une vraie salle de jeux, avec des figurines de Schtroumpfs partout, des petits casse-tête, des revues de mots-croisés, des peluches de héros de dessins animés, des gadgets en tout genre. Et c’est toujours un plaisir de se retrouver chez lui, car on rigole bien. L’ennui et le vide y sont vraiment bannis !
Étant petit, j’étais moi-même très joueur. Sur la cour de récré, les jeux du loup-chaîne, de la balle au prisonnier, de 1, 2, 3 Soleil, de l’Épervier, me fascinaient ; et à la maison, tous les jeux de société où il y avait des cartes et un plateau – ça allait de la Bonne Paye et du Cluedo, en passant par le Trivial Poursuit et les Jeux de 7 familles – occupaient tellement mon imaginaire qu’il m’arrivait d’en fabriquer « maison ». J’aimais réaliser des jeux de société. Ma conception du « jeu » était néanmoins très particulière. Ce n’était pas les jeux où intervenaient le corps ou le collectif (les sports en groupe ou demandant un effort physique, très peu pour moi…). Il s’agissait plutôt de jeux m’entraînant dans le dessin, l’illustration, la rêverie, l’imaginaire asexué, la fantaisie solitaire, la misanthropie cachée (car personne sauf moi, en réalité, ne pouvait jouer à mes jeux…).
Au fond, les personnes homosexuelles, malgré les apparences, ne sont pas si joueuses que cela. C’est le vrai jeu, celui qui nous aide à nous confronter aux autres, au Réel, et à aimer notre société, que la plupart d’entre elles connaissent mal et fuient (cf. je vous renvoie au code « Différences culturelles » et à la partie « Foot » du code « Solitude » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.) : « Une véritable peur de la vie résulta de sa façon de nous élever, mon frère et moi. […] Au début de ma tendre enfance, je n’ai été privé que d’une chose : jouer avec d’autres enfants. Ma mère prétendait que j’avais une santé fragile et me gardait constamment auprès d’elle. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 76) ; « Je me souviens que je restais toujours près d’elle [ma mère] surl’herbe. J’étais rassuré. J’étais spectateur, je regardais les autres jouer au loin. J’étais hors jeu. » (Brahim Naït-Balk, entraîneur homosexuel du Paris Foot Gay, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), p. 17)
b) Jeu en tant que fuite du Réel :
Film « Homme au bain » de Christophe Honoré
Le jeu que se choisissent les individus homosexuels s’oriente surtout vers l’irréalité. Jadis le Minitel, actuellement Internet, occupent une place prépondérante dans leur vie : cf. le documentaire « Baby You’re Frozen » (2012) de Sadie Lune et Kay Garnellen. Et quoi qu’on en dise, cette lubie virtuelle est plus encouragée par le désir homosexuel que par des désirs non-homosexuels : « Les femmes et les hommes homo-bisexuel-le-s rencontrent plus fréquemment des partenaires par Internet que les femmes et les hommes hétérosexuel-le-s : 24,5% des femmes homo-bisexuelles et 41,6% des hommes déclarent ainsi avoir déjà eu un partenaire rencontré par Internet contre 2,7% et 4,3% chez les femmes et hommes hétérosexuels. » (Nathalie Bajos et Michel Bozon, Enquête sur la sexualité en France (2008), p. 253)
Internet est devenu en quelques années l’interface de rencontres privilégié par les personnes homosexuelles pour rentrer en contact, « s’aimer » entre elles, jouer avec leurs bons sentiments et leurs projections sentimentales… souvent à leurs risques et périls : « Les paroles de ces hommes qui exprimaient la même sensibilité que la mienne m’aidaient à mieux rêver du grand amour, alors que la réalité sexuelle m’avait tellement déçu. » (Brahim Naït-Balk parlant de son expérience des sites de rencontres, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), pp. 45-46)
Beaucoup d’individus homosexuels passent le plus clair de leur temps devant les ordinateurs ou les I-phone (j’ai eu ma période « site de rencontres Internet », où je n’arrivais pas à me déscotcher de mon écran pendant des jours et des jours… donc je sais de quoi je parle !). Il existe un lien étroit entre homosexualité et mondes « ludiques » virtuels. Pour la petite histoire, c’est amusant de voir que l’acteur Jim Parsons, l’inoubliable geek de la série The Big Bang Theory (2007) de Chuck Lorre et Bill Prady, a fait récemment son comingout.
Certaines œuvres artistiques homosexuelles actuelles sont fortement influencées par les jeux vidéo : on peut penser aux tableaux de Thierry Brunello, aux films d’Arnault Labaronne ou de Pascal-Alex Vincent, aux vidéo-clips de Peter Kitsch ou George Michael, etc. Maintenant, il existe même des jeux vidéo (par exemple le jeu Mass Effect 3) mettant en scène des personnages homos virtuels.
Les personnes homosexuelles confondent tellement la fiction avec le Réel que beaucoup d’entre elles entretiennent avec le monde ludique ou Internet un rapport idolâtre d’attraction-répulsion : à la fois elles les célèbrent comme le summum de l’orgasme humoristico-politique-artistique (« Jouer avec Copi c’était militer pour le pur plaisir. Ça tenait des jeux d’enfants. » affirme Myriam Mezières dans la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 71), et elles les diabolisent comme le pire des mirages étant donné qu’ils n’arrivent pas à concrétiser tous les fantasmes. Combien, en effet, conspuent par exemple Facebook et les mondes virtuels (… parce qu’en réalité ils y sont trop dépendants et qu’ils en font un mauvais usage)!
c) Jeu-schizophrénie :
Certaines personnes homosexuelles, en ne distinguant plus la fiction de la Réalité, personnage et personne, rôle (de théâtre) et action (dans la vie), ou bien en confondant sincérité et Vérité, se comportent en acteurs schizophrènes qui ne s’éprouvent pas jouer, en menteurs qui ne comprennent pas pourquoi leur jeu devient parfois soudainement si sérieux et si violent : « J’aime tricher, jouer, tout avoir sans faire de choix. Et alors ? » (Catherine, femme lesbienne, dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 175) ; « Paradoxal et rare, il pouvait ‘faire l’acteur’ sans se sentir Acteur. » (Jorge Lavelli à propos du dramaturge Copi, dans la biographie Copi (1990) de Jorge Damonte, p. 32) ; « J’étais en adoration devant un animateur d’Europe 1, Jean-Louis Lafont, dont la voix et l’allure d’éternel adolescent me ravissaient. Je collectionnais les autocollants avec sa photo et passais tout mon argent de poche en achat de 45 tours. Europe 1 réalisait certaines de ses émissions en direct dans différentes villes de France, le fameux ‘Podium’. En prévision de son passage dans notre région, je me préparais donc à cet événement en endossant le rôle de sa femme imaginaire dans mes jeux. J’avais choisi un prénom de fée : je m’appelais Viviane Lafont. Je n’avais aucune envie de me transformer en femme. Mais, si je veux jouer avec le prénom d’enchanteresse que j’avais choisi, j’espérais qu’un petit miracle allait se produire et me rétablir dans la normalité environnante. Car j’avais très vite saisi que seule une femme avait le droit d’être attirée par les garçons. Si, par magie, je me réveillais un beau matin en fille, tout serait rentré dans l’ordre. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 29) ; « Je rejoignais Amélie. L’un de mes jeux préférés consistait à la maquiller, l’affubler de rouge à lèvres et de tout un tas de poudres différentes. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 105) ; etc.
Par exemple, suite au scandale de son irrévérencieuse pièce LesMariés de la Tour Eiffel (1921), Jean Cocteau raconte qu’il n’a pas maîtrisé son jeu de provocation : « J’attaquais tout. C’était un jeu. Nous nous amusions. Ce n’était pas une œuvre d’attaque. Peut-être que dans ce jeu mettions-nous encore plus de nous-mêmes que dans les œuvres de gravité fausse. Un poète se doit d’être un homme très grave et, par politesse, d’avoir un air léger. Souvent hélas, le poète est un homme léger qui prend l’air grave. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky)
Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », s’amuse avec Ebba, sa dame de compagnie. Elles s’embrassent sur la bouche tout en simulant un cache-cache déguisé et masqué : « Vos jeux sont dénués de calcul et de jalousie. » (la voix-off s’adressant à la Reine Christine) Mais très vite, l’entourage royal va voir d’un très mauvais œil ces galipettes qu’il qualifie de « jeux malsains ». À la fin, même la voix-off finit par mettre en garde son héroïne : « Tu participes à un jeu dangereux en te dissimulant derrière un nouveau masque. » (idem)
Tout porte à croire que le « jeu » mis en place par certaines personnes homosexuelles – une machinerie dénuée de conscience – soit l’expression refoulée d’un narcissisme d’auto-destruction qui s’ignore, d’une schizophrénie : cf. l’autoportrait de Claude Cahun et Moore (= Suzanne Malherbe) déguisées en Valet de Cœur et en Roi de Pique pour l’essai Aveux non avenus, planche VII (1929-1930) de Claude Cahun, l’essai Jeux uraniens (1915) de Claude Cahun (qui sont des méditations sur le narcissisme et les « amours-amitiés » homosexuelles), etc. « Tu penseras au poète grec d’Alexandrie. À celui qui a su raconter comment un miroir est tombé amoureux du coursier qui s’est regardé par hasard en lui. Un jour, un soldat grec se regardera dans ton miroir qui, comme celui du poète, tombera amoureux de lui. Qui pourra te reprocher de jouer aux miroirs ? » (la grand-mère à son petit-fils Alfredo Arias, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-fantômes (1997), p. 160) ; « C’était cela, la vérité. Mon corps réel. Il fallait changer. Le changer. Revenir au jour du départ et de l’arrivée. Maigrir. Absolument maigrir. Arrêter de manger. Jouer de nouveau, sans le savoir, avec la mort. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 63)
Le jeu que certains individus homosexuels défendent cache un désir de devenir quelqu’un d’autre que soi, ou bien un objet : « Pour les grandes occasions, Noël, ma fête et mon anniversaire, on m’achetait des jouets de fille, des poupées notamment, dont j’ai eu un véritable harem. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 63) ; « Lorsque j’avais de cinq à sept ans environ, j’échangeais souvent mes jouets de garçon contre des poupées et je jouais beaucoup avec elles. » (un patient homosexuel cité dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » (1930) de Félix Boehm) ; etc.
Par exemple, lors de sa conférence La Société de l’anticipation à l’INHA, le 31 octobre 2011, Éric Sadin parlait d’un de ses amis gay lui montrant l’application I-Phone Grindr : « Il y a un rapport corporel à la technique : Corps et technique entretiennent des rapports de plus en plus intimes, d’assistanat. »
D’ailleurs, le « Je est un autre » de Rimbaud (cf. extrait d’une lettre d’Arthur Rimbaud à son ami Paul Demeny, datée du 15 mai 1871), ressemblant phoniquement à un « jeu est un autre », renvoie aussi à la corrélation entre jeu et schizophrénie homosexuelle. « Je me faisais toujours gronder pour les jeux turbulents voire dangereux que j’inventais : bataille de feuilles, courses sur les pierres, combat de boxe… […] S’il fallait grandir, je voulais garder le goût de l’aventure, le plaisir du jeu. Un peu comme un homme, me disais-je. » (cf. l’article « Tom Boy à l’affiche » d’Isabelle, qui souhaitait dès son plus jeune âge devenir un garçon) Quand on demande à la photographe lesbienne Claude Cahun quels ont été les moments les plus heureux de sa vie, elle répond : « Le rêve. Imaginer que je suis autre. Me jouer mon rôle préféré. »
Beaucoup de critiques gay friendly actuels trouvent à la schizophrénie de certains créateurs homosexuels (objectivement de mauvaise qualité artistiquement et littérairement parlant) la dimension ludique et drolatique qui lui servira de paravent : « Bizarre ? Vous avez dit bizarre ? Le jeu, toujours désarçonnant, relève ici de la provocation surréaliste. Une sorte de facétie pirandellienne (l’acteur à la recherche d’une identité) en forme de clownerie onirique. Telle est la nature de Copi, et son humour : bariolé et dérangeant. Avec, au cœur, une angoisse d’enfant perdu. Une gentillesse portée sur la mort et l’érotisme, Eros et Thanatos, étroitement liés. » (cf. l’article « La Nuit de Madame Lucienne : Exercices de style » de Pierre Marcabru, dans le journal Le Figaro, le 23 mars 1986)
Mais une fois transposé dans le Réel, dans l’Humanité vivante et dans des enjeux concrets de société, le désir ludique homosexuel, pourtant intellectuellement et sentimentalement séduisant, fait beaucoup moins rire, puisque la vie n’est pas qu’un jeu, et les êtres humains, notamment les enfants, ne sont pas des pions sur un échiquier.
C’est exactement ce que décrit Jean-Paul Sartre quand il parle des Bonnes (1947) de Jean Genet : « À leurs propres yeux, ce n’est qu’un jeu. Mais qu’une tache souille la robe, qu’une cendre la brûle, l’usage imaginaire s’achève en consommation réelle : elles emporteront la robe roulée en boule, elles la détruiront : les voilà voleuses. Genet passe avec la même fatalité du jeu au vol. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr (1952), p. 21)
Le motif de l’accident, très courant dans la fantasmagorie homosexuelle, illustre parfaitement ce possible glissement inconsciemment désiré du mythe « humoristique » à la réalité fantasmée. Le passage brutal du rire à l’incident dramatique, de l’humour pris au sérieux par des personnages qui ne savent plus arrêter leur blague à rallonge, du revirement inattendu entre le « jeu » et le viol, nous est fréquemment présenté. À ce propos, Jean Cocteau, en évoquant l’inceste dans LesEnfants terribles (1929), parle du « jeu » pour ne pas parler du viol : « Pour moi, c’était si loin du sexe, ce que j’appelle le ‘jeu’ desEnfants terribles… D’ailleurs, j’évite d’expliquer ce jeu. On ne touche pas à ces choses-là avec des mains d’homme. » (cf. le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « J’ai décidé d’organiser mon quotidien avec les cartes. Ce qui a commencé comme un jeu est devenu un cauchemar. » (Bertrand Bonello dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc. Il n’est pas anodin que les viols cinématographiques aient quelquefois lieu pendant des soirs de carnaval, après des parties de dés ou de cartes.
Aussi surprenant que cela puisse paraître (… et pourtant, cela prouve bien qu’on nous fait rentrer dans le monde de l’expérimentalisme de l’apprenti sorcier !), le motif du jeu apparaît dans le discours de certains promoteurs de la loi sur le « mariage pour tous ceux qui le désirent » et de l’homoparentalité, par exemple (et de tout ce qui s’en suit : présomption de paternité, PMA, agrément d’adoption, GPA, etc.) : « Il y a un potentiel de jeux de rôles qui se développe dans les familles homoparentales. » (Darren Rosenblum, professeur de droit ayant obtenu avec son copain une enfant par GPA, et s’exprimant lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris, le 7 décembre 2011) ; « Je sais qu’il y a des problèmes [par rapport à la loi sur le « mariage pour tous »]… Mais c’est au droit de régler le problème. Faisons preuve d’imagination juridique, culturelle, législative… » (Didier Éribon lors du « débat » au Sénat sur le mariage, le 11 septembre 2012) Dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy (diffusé dans l’émission Tel Quel, sur la chaîne France 4, le 14 mai 2012) sont filmées quatre petites filles (dont l’une d’elle est élevée dans un couple de femmes lesbiennes) qui jouent au jeu de cartes du UNO. Un peu plus tard, dans ce même reportage, l’enfant (Zohia) obtenue via PMA par le couple de lesbiennes Florence et Olga est également présentée comme un enfant-joujou : « Nos mamans sont comme deux petites filles qui jouent à la poupée. » (la voix-off enjouée et émue, décrivant les deux « mères » pénétrant dans la chambre de la gamine).
À force de trop tirer sur la corde du jeu désincarné, elle finit par casser. Souvent, le jeu homosexuel qui s’éternise annonce comme une soumission ou un esclavage, porte en germe une violence et un élan de mort : « J’ai pris le vice de jouer. Quand j’ai écrit ‘Le Frigo’, je ne pensais pas à moi. Quand on écrit, on imagine le temps de telle action, comme on prend le couteau. » (le dramaturge argentin Copi, parlant de sa pièce lors de l’entretien « Copi : Le Théâtre exaltant » (1983) de Michel Cressole) ; « Si on ‘joue’, alors on est capable de tout jouer, l’homme, la femme, la vie, la mort. » (cf. l’article « L’Acteur, médian sexuel » (1973) de Jean Gillibert) ; « Jusqu’à quand je vais me mettre en jeu comme ça ? » (Jup, homme travesti obèse, avouant qu’il souffre de ne pas être pris au sérieux et du rôle d’« amuseur » public et de « monstre », et du « manque d’affection », dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.
Par exemple, le danseur Vaslav Nijinski jouait compulsivement à la Bourse. Francis Bacon, fasciné par les jeux d’argent et les casinos, ne semble pas prendre conscience de la part de gravité et de Réel que peut engendrer l’addiction au jeu : « Pour moi, il n’y a pas de vrais risques dans le jeu. » (Francis Bacon dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton)
Tout l’essai Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005) de Philippe Muray traite de l’envahissement de la vie quotidienne par le « jeu à tout prix » pour tuer l’ennui, de la violence surgissant après la festivisation (bisexuelle) du monde : « La fête est la force motrice du monde post-historique. » (p. 26) ; « Le réel refoulé a fait retour, brièvement, dans le processus de festivisation générale. Là aussi, il s’agit d’un coup de réel éclatant dans le ciel bleu des jeux qui sont faits. » (idem, p. 161) Le coup de tonnerre du viol n’est pas loin…
e) Jeu-viol :
Film « Les Enfants terribles » de Jean-Pierre Melville
En réalité, dès que le désir homosexuel est pratiqué sous forme de couple, le « jeu » vanté par les personnes homosexuelles s’actualise sous des formes diverses qui ont toutes un lien avec le viol : chantage, manipulation, infidélité, consommation sexuelle, mensonge, bras de fer, rapport de forces conjugaux où les amants jouent au chat et à la souris, volonté de posséder l’autre (= prostitution) ou de se posséder soi (= masturbation), inceste, etc. : « J’aime tricher, jouer, tout avoir sans faire de choix. Et alors ? » (Catherine, l’amant lesbienne de Paula Dumont, dans l’autobiographie de la seconde, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 175) ; « Les amants [homosexuels] sont des équilibristes qui se tiennent par la main, s’assistent mutuellement. C’est un jeu entre la vie et la mort du couple qui tient sur un fil. » (Christophe Aveline, L’Infidélité : La relation homosexuelle en question (2009), p. 55) ; « Deux boxeurs brésiliens pour moi tout seul. Des garçons de très bonne humeur, disposés à tous les jeux. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 155) ; « C’est pas forcément glauque, les baisodromes. Il peut y avoir un côté sympa. C’est facile. C’est un jeu, avec des rituels. Tu consommes, sur place, un mec différent tous les soirs. C’est la quantité qui choque. Mais ça ne laisse pas de trace. Quand j’ai rencontré Stéphane, il y a un an, je ne me sentais pas sale de tout ça. » (Emmanuel, un homme homosexuel de 33 ans, dans la revue Actualité des Religions, n°5, mai 1999, p. 38) ; « Mes premiers souvenirs d’excitation sexuelle remontent à ma cinquième année, bien que je n’en aie eu conscience qu’au cours des dix dernières : je vis un jour des garçons jouer avec les organes génitaux d’un chien et, une autre fois, ces mêmes garçons s’amuser avec leurs propres sexes. Lorsque mon tour arriva, j’éprouvai un vif sentiment de culpabilité à l’égard de ma mère qui arriva bientôt, sans, d’ailleurs, avoir eu connaissance de ce qui venait de se passer. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 76) ; « Dans son office où le père Basile me recevait les après-midi, il y avait non seulement de quoi manger et boire, mais également un piano où je m’amusais à jouer n’importe quoi et n’importe comment. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 35) ; « J’avais trouvé cette pratique agréable au même degré que lorsque tout petit ma nourrice s’amusait à faire de mes fesses et de mon sexe, son jouet favori. » (idem, p. 35) ; « Il fallait, à tout prix, que je me persuade, que j’étais l’homme au même titre que le père Basile ou mon initiateur et que, partant de ce principe, je pouvais jouer le rôle du preneur. » (idem, p. 119) ; « Mon cousin Bruno a demandé ‘On pourrait faire comme dans le film, les mêmes trucs.’ […] ‘Ah ouais ça serait fendard, on se poilerait bien la gueule.’Bruno a demandé où nous pourrions jouer à ce jeu, ‘le faire’, avant de proposer de rester dans le hangar. […] Mon cousin se rassurait et nous rassurait : ce n’était qu’un jeu auquel nous allions jouer, le temps d’un après-midi ‘On pourrait le faire juste comme ça, pour s’amuser.’ Il m’avait suggéré d’aller voler des bijoux à ma sœur aînée ‘Eddy, toi tu pourrais, ça serait encore mieux parce que ça le ferait plus, toi tu pourrais voler des bagues à ta sœur, et comme ça, celui qui ferait le rôle de la femme, celui qui se ferait baiser, juste pour déconner, sinon on se tromperait sans les bagues, ça fera plus vrai. Avec les bagues on pourra bien reconnaître.’ […] Je me rendais compte, moi, que c’était toute ma personne, tout mon désir refoulé depuis toujours, qui m’entraînait dans cette situation. Je brûlais d’excitation. […] J’ai senti son sexe chaud contre mes fesses, puis en moi. Il me donnait des indications ‘Écarte, Lève un peu ton cul.’ J’obéissais à toutes ses exigences avec cette impression de réaliser et de devenir enfin ce que j’étais. […] C’était le début d’une longue série d’après-midi où nous nous réunissions pour reproduire les scènes de nouveaux films vus entretemps. Il fallait prendre garde à ne pas être surpris par nos mères, qui sortaient dans la cour plusieurs fois par jour pour arracher les mauvaises herbes du jardin, déterrer quelques légumes ou chercher des bûches dans le hangar. Quand l’une d’elles arrivait nous trouvions toujours le temps de nous rhabiller et de faire semblant de jouer à autre chose. » (Eddy Bellegueule racontant les jeux du hangar quand lui avait 10 ans et ses cousins 15 ans, dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 150-154) ; etc.
Il n’est pas anodin que l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa s’achève par la citation de la lettre d’adieux que Slimane, l’ex-amant, adresse à l’auteur : c’est le poème « Jeux cruels » de Bachar Ibn Bourd (pp. 125-126).
Oui : il existe des jeux cruels. Dès qu’on s’éloigne du Réel, on ôte au jeu toute sa douceur.
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« On est tous des anges appelés à baiser chastement ensemble ! »
À mon avis, beaucoup de couples homosexuels sont, du point de vue du comportement, les répliques humaines presque vivantes du Vicomte de Valmont et de la Marquise de Merteuil, le fameux tandem libertin bisexuel des Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. C’est ce qui explique l’attrait naturel de nombreuses personnes homosexuelles pour ce roman. La guerre des sexes, en apparence égalitaire, que se mènent ces deux anciens amants, consiste à asservir l’autre par la voie de la séduction, d’abord par personnes interposées, puis frontalement. Ce duo, tout fictionnel qu’il soit, est à prendre au sérieux dans la mesure où il est l’illustration symbolique de la nature duelle d’un désir homosexuel qui peut avoir des implications concrètes souvent violentes sur les comportements amoureux s’il n’est pas conscientisé. Comme l’écrit Jean-Paul Sartre, les personnes homosexuelles sont connues pour leur « méchanceté [en amour] en partie de ce qu’elles disposent simultanément de deux systèmes de références : l’enchantement sexuel les transporte dans un climat platonicien. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 146) Elles peuvent alors gérer leurs relations conjugales comme on joue aux jeux de société : avec la cruauté des Précieuses de Salon du XVIIIe siècle.
La réalité amoureuse de certains couples homosexuels a souvent la froideur et la méchanceté du couple littéraire libertin Valmont/Merteuil, même si cette violence est contrebalancée par l’intention romantique, un souhait de bien paraître, et un désir d’amour sincère. Beaucoup de personnes homosexuelles considèrent la relation amoureuse comme une communion idyllique… mais aussi comme un bras de fer mi-ludique mi-sérieux, une bataille à gagner par tous les moyens. Parmi elles, je distinguerais deux types de joueurs amoureux, qui finalement n’en sont qu’un : les sincères, qui se piquent au jeu de leurs stratégies d’amour – élaborées ou peu élaborées –, et les marquises, c’est-à-dire les cyniques pures, qui vont amener les acteurs de leur comédie amoureuse à se détruire sans qu’elles-mêmes se sentent concernées, et qui se font également piéger par leur sincérité et leur intellect.
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
Les Fils de Valmont et Merteuil
Film « Les Liaisons dangereuses » de Stephen Frears (réalisateur homosexuel)
Toute la fantasmagorie homo-érotique porte à croire que les personnes homosexuelles pratiquantes sont les fils de Valmont et de Merteuil. Les répliques partiellement et imparfaitement incarnées des Marquis de Sade et des Précieuses de Salon. Des amoureux et non des aimants, des sincères et non des acteurs de la Vérité, des libertins et non des gens libres.
Dans ce petit « condensé », je vais justement essayer de décrire les différentes stratégies amoureuses des libertins homosexuels (sachant que nous les retrouvons presque à l’identique dans les cercles d’amour hétérosexuel). Il existe une gradation entre elles. Je distinguerai les stratégies élaborées, les stratégies peu élaborées, et enfin les stratégies sincèrement et intellectuellement bien élaborées mais inconsciemment mal élaborées.
A – Les stratégies d’amour élaborées
Les individus homosexuels qui se croient plus futés que les autres, ceux que j’appellerais « les sincères », les Hommes qui possèdent parfois une expérience de conjugalité homosexuelle forçant le respect, les vieux beaux ou les jeunes premiers en recherche d’« une relation sérieuse et profonde », etc., ont une connaissance accrue de ces stratégies libertines élaborées qu’ils jugent bien plus nobles que les stratégies mondaines qu’ils attribuent à bon nombre de coureurs de pantalons du « milieu homosexuel »… sauf à eux-mêmes ! Leur technique de drague se veut moins grossière que celle du débauché à la recherche d’un simple « plan cul », car ils désirent, parce que leur code moral d’esthètes surdoués l’exige, faire l’amour… mais pas aussi naïvement que tout le monde. Ils ne sont pas « tout le monde » ! Eux, ils ne baisent pas que pour le sexe, ni pour des idéaux d’amour mièvres… même si dans les faits, c’est quand même le cas. L’amour est un art dont eux seuls détiendraient les clés. À l’occasion, ils s’offrent le luxe de revenir dans les moments de misère affective aux stratégies d’amour peu élaborées. Mais en général, ils s’orientent vers les stratégies libertines compliquées, ascétiques, comme la majorité des personnes homosexuelles d’ailleurs. Selon eux, amour égale complication jouissive, même s’ils aspirent profondément à la simplicité. C’est bien là leur drame.
a) La stratégie de la folle perdue :
La première technique d’amour du libertin homosexuel est l’usage de la pitié. En jouant le rôle de la folle perdue, il se présente d’office comme fragile pour apitoyer sa proie, et surtout pour lui/se donner l’illusion que l’affichage de l’échec équivaut à la conjuration de celui-ci. La mélancolie est chez lui une technique de drague. Il voit en elle un engagement de vie : souffrir est son destin, et sera son amour. C’est pourquoi, avec son air de chien battu, il demande à sa victime de lui faire le plaisir de lui prouver qu’il vaut encore quelque chose en acceptant de coucher avec lui dans la soirée. Implicitement, en la flattant sur sa beauté et sur sa soi-disant « exceptionnalité » surhumaine, il opère un chantage aux sentiments, et même parfois au suicide (« Si tu ne m’aimes pas, je me tue. »). En amour, le libertin homosexuel est prêt à l’humiliation. Il pense qu’il doit se soumettre ou soumettre pour aimer vraiment. Il n’est pas rare d’ailleurs que les jeunes adultes homosexuels exploitent ce besoin de soumission chez certains papys gays soucieux de jouer les Mère Teresa pour les sortir de l’impasse. Une telle situation ne peut pas être appelée de l’amour, ni même de la solidarité, tant elle nourrit deux narcissismes, celui du bon samaritain, et celui du malade mi-réel mi-imaginaire.
Nous trouvons conjointement à la stratégie de la pitié une technique qui lui est proche : celle de la mélancolie. Dans beaucoup de cas, l’amour dans le couple homosexuel s’avance par la voie du chagrin, de la défaillance. Ce que le libertin homosexuel aime chez son partenaire, c’est en grande partie son mal-être, ses propres fantasmes de mort. Il vénère les yeux qui répriment leurs larmes, qui ont la dignité d’échapper à la théâtralité grandiloquente, qui expriment la force dernière des situations d’extrême faiblesse, qui pleurent la condition humaine avec la petite retenue qui les rend poignants, qui disent la douleur d’exister étouffée, qui donnent vraiment envie de sangloter à leur place (on retrouve tout à fait cela dans un film comme « Huit femmes » (2002) de François Ozon).
L’union homosexuelle obéit souvent à la conscience mutuelle d’un opprobre, d’une essence divine de loser. Nous pouvons lire dans la confrontation des fragilités des amants homosexuels une non-rencontre, la volonté d’être compris par l’autre dans sa souffrance au point de le blesser, un appel au secours qui n’en est pas un puisque beaucoup d’entre eux souhaitent moins être aidés que d’entraîner leur partenaire dans leur précipice. C’est curieux, ces « je t’aime » qui ressemblent davantage à des « Nous ne croyons plus en l’Amour à deux » qu’à des « Nous croyons en l’Amour ensemble », même si paradoxalement le libertin homosexuel et sa proie se jurent mutuellement de se faire changer miraculeusement d’avis sur l’Amour dans un élan combatif.
Le libertin homosexuel recherche ce partage dans la souffrance, tout en le trouvant insupportable. Il déplore que son bonheur doive passer par le malheur. Il ne peut voir l’attendrissement de son partenaire sur ses larmes de défaillance que comme un amusement sadique, un arrivisme déplacé, une incompréhension totale, une douceur étouffante. Il sait bien au fond que les Hommes ne peuvent pas aimer uniquement sous prétexte qu’ils détestent ou pleurent ensemble.
Voyant que son couple devient de plus en plus complexe, l’amoureux homosexuel sombre dans la théâtralité et tente de mettre en scène son propre éloignement de l’amant. C’est en même temps une stratégie pour tester son entourage amoureux (ce dernier va-t-il le retenir ?), et une croyance sincère (il pense vraiment qu’il est un être maudit, oublié par l’amour). Il lui arrive alors de jouer les vieilles Maréchales de Strauss qui n’aiment que dans l’abandon et la distance déchirante. L’une des sources d’inspiration homosexuelle est évidemment le mélodrame et la tragédie classique. Le libertin homosexuel connaît par cœur la mise en scène mélancolique de l’amour homosexuel, mais la blâme/parodie surtout chez les autres. En revanche, quand lui-même devient théâtral en amour, il ne s’en aperçoit généralement pas. Au contraire, il mord à l’hameçon de sa propre comédie. Il tombe mal amoureux en croyant être fou d’amour, parce qu’il se persuade que dans ses différentes liaisons sentimentales, il est le seul à aimer véritablement comme il faut.
Il s’abandonne ainsi à l’esthétisme narcissique déprimé. Au cœur des pires tempêtes du dépit amoureux, au plus noir de ses nuits de désespoir, il se prend homo sans le savoir. Cheveux au vent, ou emmitouflé dans son petit pull marine au bord de sa piscine dorée, il ne se voit pas méditer théâtralement sur une feuille morte tombant d’un arbre, exécuter sa propre promenade chorégraphique au ralenti dans sa ville, pleurnicher sur lui-même à la vue des petits bonheurs simples de la vie (un enfant qui joue dans un parc, les familles heureuses, les passants insouciants, etc.), s’émouvoir sur son courage surhumain d’aimer la vie malgré tout ce qu’elle lui ferait soi-disant « subir », se laisser déborder par des extases panthéistes face à la Nature cruelle. Il cache sa (fausse ?) souffrance par la célébration esthético-sentimentale de celle-ci. Au lieu de prendre réellement de la distance par rapport à l’objet du deuil, il s’y identifie dans l’émotionnel et se soustrait au travail de détachement par la mise en scène parodiée du départ. Il adore les créations de la solitude, des adieux larmoyants, de l’amour impossible.
Le libertin homosexuel refuse l’amour et fait passer cette attitude lâche et orgueilleuse pour un sacrifice héroïque, ou une essence de dieu damné. Dans la distance, il enjolive et pleure une relation avec un regretté amant qu’en réalité il n’aurait jamais aimé si celui-ci avait été accessible et vivant. Il est prêt à se priver d’aimer et même à considérer ses futures conquêtes amoureuses comme des objets de vengeance et d’expiation de ce cruel coup du sort qu’il ne veut surtout jamais digérer, plutôt que de regarder la réalité en face. Il tient à son malheur et à son amour désincarné plus qu’à l’amour qu’il chante pourtant à tue-tête.
Nous pouvons nous interroger sur la raison d’une telle comédie. Elle peut s’expliquer en partie par le fait que le libertin homosexuel se convainc que l’amour vrai ne peut pas se dissocier de la souffrance et de la mort. Il s’agit d’une croyance absurde, puisque l’amour vrai, même s’il se manifeste parfois dans des situations d’épreuves, n’a jamais eu besoin de la souffrance ni de la mort pour exister. Mais beaucoup de personnes homosexuelles s’obstinent à la rendre effective par l’intermédiaire de l’esthétique.
Pour le libertin homosexuel, la véritable passion se trouve dans la tyrannie doucereuse. « La première forme de l’amour est respect, timidité, terreur. » (Marcel Jouhandeau, « Chronique d’une passion », cité dans l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 22 décembre 1978) Il définit l’Amour comme une force incontrôlable qui soumet et assigne un destin de despote ou de martyr. Il rêve d’être possédé par l’Amour, ou de faire de ce Dernier un instrument de pouvoir.
b) La stratégie de la peste :
Pour se venger de lui-même parce qu’il s’est laissé croire à sa faiblesse de folle perdue, le libertin homosexuel va, pour attirer les prétendants, prendre le total contre-pied de sa première tactique de séduction qui consistait à se montrer fragile. Il se décide à masquer sa dépression par la prétention. Il éprouve par exemple une sorte de fierté à s’isoler dans les recoins des bars gays, à ne pas aller draguer directement les autres (d’ailleurs, il déteste le mot « drague »), simplement pour ne pas prendre le risque d’être congédié, et pour avoir le plaisir de se faire éternellement désirer. Il a honte de prétendre à l’Amour, d’être fougueux ou passionné, car pour lui, aimer, c’est davantage une faiblesse qu’une force. L’une des règles d’or de ses manœuvres amoureuses est l’interdiction d’aimer ou de se laisser aimer. L’amour réciproque, c’est une abomination à ses yeux : « Mon amour à moi n’aime pas qu’on l’aime » laissera-t-il souvent entendre. Le but du jeu n’est pas d’aimer réellement mais de feindre l’Amour, d’écraser l’autre par l’art de la séduction courtisane, de promettre le ciel étoilé sans y voler. Paradoxalement, c’est pour cacher qu’il considère l’Amour comme une affreuse maladie, qu’il cherchera à tout prix à tomber maladivement amoureux.
Menée à terme, la chaîne de la sincérité conduit bien souvent le libertin homosexuel à la destruction de l’amant et à son auto-destruction. Il se dit tellement que sa bonne foi le sauvera du mal qu’il croit pouvoir tout se permettre pour aimer, même les pires manigances (le mensonge, la jalousie, la tromperie, l’humiliation de son copain en public, les menaces de mort, la soumission, la vengeance, etc.). Les seuls hommes qui l’intéresseraient amoureusement sont objectivement impitoyables avec lui. Et ceux qui s’intéressent à lui alors que lui ne s’intéresse pas vraiment à eux, il les trouve mièvres, pathétiques, et donc dignes d’être détruits. La méchanceté qu’il exerce sur son amant n’est pas seulement à mettre du côté de la volonté mauvaise. Elle lui apparaît comme une forme de charité : il souhaite protéger celui qu’il prétend aimer/qui prétend l’aimer de lui-même, en suscitant chez ce dernier la pitié – quand il a la force de la faiblesse – ou bien la haine – quand il ne veut pas paraître faible. L’élan d’amour du libertin peut alors tourner au drame. Dans l’iconographie homosexuelle, l’amour homosexuel est souvent montré comme un combat violent ou mortel. Et la fiction se fait parfois réalité.
Si et seulement si cette stratégie libertine est transposée dans la réalité concrète, la relation conjugale homosexuelle devient un enfer à vivre. Entre les amants homosexuels, on constate que c’est souvent l’« amour vache ». Il faut se méfier des couples mythiques montrés en exemple par la communauté gay actuelle (Gilbert et George, Marais et Cocteau, Hudson et Christian, Jacob et Sachs, Wilde et Douglas, Chapman et Sherlock, Mead et Benedict, Radiguet et Cocteau, Britten et Spears, Brémond d’Ars et Solidor, Stéphane et Rinieri, Bacon et Dyer, etc.). Quand nous commençons à nous pencher sur leur biographie, nous découvrons qu’en réalité leur relation, même très passionnelle, a été la plupart du temps synonyme de vagabondage sexuel, de pénible cohabitation, de liaison très orageuse, de lourde complexité, de trahisons successives, voire de meurtre (Pelosi et Pasolini, Halliwell et Orton, Verlaine et Rimbaud, etc.).
Quand les unions homosexuelles sont plus pacifiées et que les amants ont tout de même suffisamment de conscience pour se retenir de s’égorger l’un l’autre, la violence est contenue différemment. Leur soif de meurtre ne dépassera généralement pas le seuil du fantasme, mais la violence restera tout de même présente. Souvent, on remarque que dans de nombreux couples homosexuels (mais c’est sensiblement la même chose parmi les couples hétérosexuels) la soumission de l’un et la domination de l’autre ont atteint un degré de synchronisation dans le consentement presque militaire. Ce qui fait violence dans la majorité des unions homosexuelles que nous pouvons être amenés à rencontrer, ce sont les simulacres d’amour – l’infantilisation souriante, la complicité singée, l’exaspération contenue (les défauts de l’autre agacent plus qu’ils n’attendrissent…), l’humour cynique dénué d’émerveillement, les paroles sardoniques, les caresses automatiques, la promotion de la « bonne entente sexuelle » au sein du couple, la répétition suspecte des « réconciliations sur l’oreiller », le mutisme obéissant de l’un des deux concubins, l’excès totalitaire de l’autre, l’ambiance feutrée et rangée de l’appartement, la constante compétition, le manque de confiance et d’écoute, les rapports de force ludiques, etc. –, bref, tout ce qui fait que le conflit ne peut pas être ouvert alors qu’il est manifestement larvé. En règle générale, si le couple homosexuel ne doit pas susciter l’inquiétude, il n’invite pas vraiment à l’enthousiasme ni à la joie, c’est le moins qu’on puisse dire…
B – Les stratégies d’amour peu élaborées
Peu à peu, le libertin homosexuel se lasse de ses stratégies compliquées qui finissent par surcharger ses amours d’artifice et de calcul. La complexité en amour, ça va bien un moment, mais il aspire à la légèreté, à la simplicité, et au naturel. Il va donc chercher à mettre en place des stratégies peu élaborées, censées rééquilibrer la balance. En réalité, celles-ci traduisent la même fuite de soi que les stratégies élaborées.
a) La stratégie de la consommation sexuelle :
Commençons par la stratégie qui se sait peu élaborée ou qui se veut inexistante : celle de la consommation sexuelle pure et dure. Elle est adoptée par le libertin homosexuel qui ne prétend pas aimer quand il s’unit génitalement avec quelqu’un. Elle n’exigerait de lui qu’une seule vertu : l’indifférence. Il va un moment dans les lieux de consommation sexuelle classiques (saunas, bars, boîtes, backrooms, sex-shops, jardins publics, etc.), et en ressort soulagé, apparemment sans regrets. Le contrat de son aliénation a été écrit préalablement à sa place par le supermarché gay, et lui n’avait plus qu’à signer en bas. En réalité, cette stratégie n’est simple qu’en intentions, car le sexe dit « sans loi » établit au contraire des commandements tacites – anonymat, clandestinité, mensonge, banalisation, prohibition de l’engagement, détachement sentimental absolu, enchaînement aux pulsions, etc. – faisant partie de la rigide « algèbre du besoin » décrite par Burroughs dans Le Festin nu (1959), et ne compliquant les existences qu’après-coup.
Parfois, le libertin a quand même la petite dose de savoir-vivre pour maquiller ses bas instincts par un semblant de patience tolérant les préliminaires un peu longuets de la rencontre sexuelle avec l’ami internaute à peine connu. La promenade bâclée en ville, le chocolat dans le salon de thé, la discussion de fin de soirée…, ne sont qu’un gentil petit apéritif pour satisfaire le vernis éthique que l’union fiévreuse des corps est censée faire voler en éclats le soir même. Avant de finir par dire ou faire comprendre à sa proie qu’il veut « baiser », le libertin monte tout un beau discours fondé sur le mépris du « milieu homosexuel » (qu’il connaît pourtant très bien…), saupoudre le tout d’analyses sociologiques à deux balles (« C’est fou, le culte du corps chez les homos… »), et lui montre l’orgueil qu’ils peuvent en tirer ensemble (« Nous deux, c’est différent des ‘relations milieu’ »). Souvent, sa méthode de séduction dissimule un plan de revanche : il consomme et jette ses amants pour se venger de toutes les fois où d’autres l’ont/l’auraient utilisé.
Il arrive que le libertin homosexuel s’attache à un « pote de baise » (selon sa propre dénomination) un peu plus longtemps que prévu et pour un moment volontairement indéfini. Pour se consoler mutuellement de leur parcours sentimental complexe et vide, tous deux décident alors de se laisser une période d’essai, de « test » amoureux, mais sans grande conviction ni désir sérieux de s’engager. Leur union ne tient qu’à un fil. C’est au premier qui craquera parce qu’il n’aura pas eu le courage d’attendre que la rupture vienne de son compagnon de fortune.
La stratégie de la consommation sexuelle ne concerne pas uniquement les adeptes du défoulement physique. Même le libertin homosexuel fidèle et ascétique laisse souvent entendre qu’entre son compagnon et lui, c’est le génital qui l’emporte sur l’amour, que leur union tient majoritairement à la « bonne entente sexuelle » et au besoin réciproque de tendresse. Dans certains couples, le sexe empêche les mots de répudiation, qui pourraient être libérateurs, d’être prononcés, prolongeant ainsi un peu plus le calvaire d’être aussi mal accompagné. Comme éthiquement, beaucoup de personnes homosexuelles sont gênées de reconnaître qu’elles sont plus attachées au sexe qu’à l’Amour, elles font souvent passer leurs instincts sexuels pour des sentiments authentiques (je bande donc j’aime). C’est pourquoi elles n’ont pas l’impression d’être infidèles, y compris lorsqu’elles vont « voir ailleurs ».
Le phénomène de l’infidélité est particulièrement accru au sein de la communauté homosexuelle. Les personnes homosexuelles ont en général plus de partenaires sexuels que les personnes dites « hétéros ». D’après l’enquête ACSF, le nombre moyen de partenaires s’élevait en 1991-1992 à 11 pour les personnes « hétéros » et à 13,7 pour les personnes homos. Parmi les moins de 30 ans, les personnes homos ont souvent collectionné une cinquantaine d’amants, les personnes « hétéros » moins d’une vingtaine (Janine Mossuz-Lavau, La Vie sexuelle en France (2002), p. 372). Il apparaît effectivement que les premières se caractérisent en moyenne par une moindre propension à développer des liens durables avec un partenaire privilégié.
Mais il n’y a même pas besoin des statistiques pour le démontrer. Il suffit de constater les faits sur le terrain. En temps normal, on peut voir que beaucoup de personnes homosexuelles de notre entourage se consomment entre elles, multiplient les aventures sexuelles ponctuelles, passent insensiblement de l’amitié à l’amour avec leurs « ex ». Rien qu’en faisant un tour sur les chat de rencontres Internet, on est frappé du nombre d’hommes mariés qui recherchent des « plans cul », de garçons déjà en couple avec un autre homme (… mais qui parfois l’avouent bien tard) partis draguer ailleurs. La pratique de l’échangisme dans les « milieux » gays ou lesbiens n’est pas rare. Certains pensent que le « sexe à plusieurs » sauvera leur couple sans le remettre totalement en cause. Se créent lexicalement de nouvelles unions et des combinaisons inédites (les couples à trois sont baptisés « trouples » ; il est question de « plurisexualités »…).
La difficulté à inscrire le couple homosexuel sur la durée et la qualité s’explique par la nature même du désir homosexuel. Celui-ci tend davantage vers la désunion et la déréalisation de l’amour que vers l’union. J’abonde dans le sens de Reinaldo Arenas quand il affirme que « le monde homosexuel n’est pas monogame ; presque par nature, par instinct, il tend à la dispersion, aux amours multiples, à la promiscuité parfois. » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1990), p. 90) Comprendre que l’infidélité fait partie de l’élan naturel du désir homosexuel pourrait être salutaire si ceux qui font ce constat lucide ne s’en servaient pas ensuite pour se décharger de toute responsabilité. Malheureusement, trop parmi eux se disent que, puisque l’infidélité est comprise dans leur désir homo-érotique et qu’ils sont indiscutablement homosexuels, ils n’y peuvent rien s’ils butinent d’une fleur à l’autre… : ils seraient donc naturellement justifiés ! « Notre mémoire et notre cœur ne sont pas assez grands pour pouvoir être fidèles » écrivait Marcel Proust (Marcel Proust cité sur le site suivant, consulté en juin 2005). Or, bien sûr, l’infidélité n’est pas une caractéristique profonde des personnes homosexuelles mais une caractéristique du désir homosexuel seulement.
L’infidélité parmi les personnes homosexuelles, dans un sens, n’est pas méprisable, parce qu’elle met en lumière un désir paradoxal qui mérite d’être écouté et analysé. Elle peut être dans certains cas un appel au secours déguisé, une recherche désespérée de sens, une volonté de clarté maladroitement demandée. Il n’est pas rare que certaines personnes homosexuelles trompent leur copain pour lui prouver et se prouver à elles-mêmes les lacunes ou les lourdeurs de la structure conjugale homosexuelle. Le multi-partenariat, le vagabondage sexuel, l’habitude de la consommation sexuelle, etc., ne sont pas à diaboliser. Généralement, ceux qui condamnent les pratiques infidèles sont les mêmes qui les exécutent en douce et qui ne les reconnaissent pas. Ce n’est pas par principe que l’infidélité doit nous gêner, pas plus qu’au nom de l’image sociale, ou d’un attachement à un discours moral ou religieux. Ce qui doit attirer notre attention, ce sont uniquement les personnes et leur bonheur. Ce qui est gênant dans l’infidélité, c’est le mal-être palpable chez ceux qui trompent et qui sont trompés. La fuite du couple traduit chez certaines personnes homosexuelles une profonde insatisfaction qui s’exprime mal puisqu’elle ne demande pas à se résoudre mais au contraire à être réparée en acte par un autre mensonge, l’infidélité, et en intention, par une pensée mièvre. Nous ne verrons le véritable visage du libertin homosexuel qu’à partir du moment où nous comprendrons que dans son esprit, l’infidélité se veut acte d’amour.
b) Le fascinant paradoxe du libertin homosexuel :
Nous touchons là au paradoxe du libertin homosexuel. Entre libertinage et ascèse, Valmont condamne le plaisir sexuel à l’obsession ou à la frustration. Sa course au sexe et à la reconnaissance par l’image dévoile son insatisfaction et son perfectionnisme caché. Son refus catégorique de l’hyper-sexualité dit aussi sa focalisation sur le génital. Il incarne tour à tour la célébration excessive de la sexualité et sa négation dans l’intellectualisme ou le volontarisme. Ne perdons pas de vue que derrière le Vicomte de Valmont se cache la Marquise de Merteuil, « la lesbienne » amoureuse de Cécile de Volanges, dissimulant son mépris du corps et sa frustration d’amour par une maîtrise quasi-parfaite d’elle-même, celle qui privilégie le devoir conjugal sur l’amour, l’esprit sur le plaisir génital, même si elle réitère sans cesse dans son discours l’idée de jouissance. C’est pourquoi on rencontre bien plus d’individus frustrés sexuellement parlant chez les personnes homosexuelles et hétérosexuelles, pourtant forts consommateurs de sexe, que chez les femmes et les hommes qui s’aiment d’un amour vrai sans se priver (ni abuser) des bonnes choses génitales.
Les personnes homosexuelles ne sont pas des obsédés sexuels : au contraire, leur désir érotique est très ascétique, et leur quête sexuelle ne relève pas seulement, comme le croient beaucoup de gens, d’un défoulement instinctif incontrôlé. Le sexe pour le sexe, cela n’a jamais intéressé personne, même et surtout ceux qui le laissent croire par leur mode de vie et leurs paroles. Derrière le consommateur assidu des backrooms et des saunas, la star du porno, ou l’internaute avide de « plans sexe » farfelus, se cache en général un homme frigide et romantique qui cherche inlassablement l’amour vrai, et qui doit porter un désir lui imposant davantage l’obstination, l’inventivité et le volontarisme que le lâcher-prise. À mon avis, les mots « libertinage » et « ascèse » mériteraient d’être marqués comme synonymes dans la prochaine édition du Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon. Un jour, un homme homosexuel m’a fait à juste titre cette remarque (sans s’excepter lui-même dans le tableau) : « J’en ai vu évoluer des gays, de manière fulgurante, des grands principes à un certain libertinage… Ceux qui avaient les plus grands ‘principes’ romantiques étant en général d’ailleurs ceux dont la ‘séance de rattrapage’ est souvent la plus impressionnante !!! » Je reste convaincu que la majorité des personnes homosexuelles n’ont pas renoncé au purisme en cultivant dans l’expérimentalisme sexuel leurs vieux rêves fleur bleue de virginité. Elles pourraient dire, comme Olivier Py : « J’étais au bordel comme au cloître. » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 41)
C – Les stratégies sincèrement et intellectuellement bien élaborées, pratiquement et inconsciemment mal élaborées
Nous en venons à parler de la troisième catégorie des stratégies du libertin homosexuel, celles qui ont trait au paradoxe de la sincérité. En dissociant la fidélité sentimentale et la fidélité génitale/corporelle, et en plaçant la première bien au-dessus de la seconde, le libertin homosexuel pense très sincèrement aimer et être chaste, même quand il va voir ailleurs et qu’il n’aime pas vraiment. À force de self control, il ne se voit plus agir et ne maîtrise plus la course à l’amour qu’il avait méthodiquement organisée.
Ne voyant ses actions qu’à travers le prisme de ses bonnes intentions, il lui est difficile de mesurer que ce n’est pas les valeurs en elles-mêmes qu’il désire mettre sincèrement en pratique dans ses amours qu’il doit remettre en cause (« s’accepter soi-même », « défendre la diversité », « accueillir la différence », « aimer l’autre de tout son cœur et tel qu’il est », etc.), mais le détournement qu’il en fait. Par exemple, la générosité n’a jamais impliqué de se laisser vider son compte en banque par son amant ; l’amour de la beauté n’a jamais imposé la soumission au sexe ; l’acceptation de soi n’a jamais demandé la caricature du coming out ; etc. Le libertin homosexuel a du mal à saisir que l’amour n’est pas que l’intention d’aimer, et que, comme le dit le fameux adage, « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».
a) Les caprices du désir homosexuel :
La discordance entre sincérité et acte, imposée par le désir homosexuel, fait que, bien souvent, les personnes homosexuelles deviennent compliquées en amour, alors qu’en temps normal, elles sont pourtant souvent connues pour être mesurées, drôles, de bon conseil, et maîtresses d’elles-mêmes.
À chaque fois que nous tombons homosexuellement (ou hétérosexuellement) amoureux, nous sommes d’humeur plus triste et plus euphorique qu’à l’habitude. Être homosexuellement amoureux, je crois vraiment que cela ne va à personne. Globalement, le désir homosexuel ne nous simplifie ni ne nous apaise. Il existe souvent un réel décalage entre la profonde sympathie que l’on peut ressentir pour les sujets homosexuels de notre entourage et l’impression détestable qu’ils nous laissent quand on les voit en couple homosexuel avec quelqu’un. C’est comme si, une fois qu’ils obéissaient à leur désir homosexuel, ils n’étaient plus vraiment eux-mêmes, devenaient possessifs, obsessionnels, pathétiques, théâtraux, superstitieux, excessifs, autoritaires, calculateurs, maniaco-dépressifs, impatients, mélancoliques, fragiles, frénétiques, superficiels. Plus le libertin homosexuel est intelligent et sincère, plus il vit mal sa métamorphose en folle perdue ou en homme psychorigide, car il s’attribue à lui-même le dédoublement paradoxal de sa personnalité quand il devrait l’assigner majoritairement à son désir de surface. Il mesure combien il peut devenir psychopathe en « amour », et cherche à prouver à ses amants qu’« en vrai, il est plus cool et plus drôle » que lorsqu’il s’identifie à « l’homosexuel » et qu’il cherche à aimer homosexuellement. Mais ce n’est que peine perdue : chercher à expliquer à l’excès la vanité de la complexité homosexuelle (en écrivant « le mail de trop », en se confondant en excuses ou en explications intellectualisantes sur l’homosexualité), pour en acte la démentir, c’est finalement la justifier et se couvrir encore plus de ridicule dans la contradiction.
b) Le désir amoureux sincèrement théâtral :
Le principal problème du désir homosexuel est qu’il rend les personnes qu’il habite « sincèrement théâtrales ». Les deux termes qui composent cette drôle d’expression valent, je crois, leur pesant d’or, et je n’en ai pas trouvé jusqu’à présent de meilleurs pour décrire le paradoxe du libertin homosexuel. Il est capital de comprendre que le désir homosexuel est avant tout un amour sincérisé, et que beaucoup de personnes homosexuelles désirent réellement être aimées et aimer, même par le biais de l’artifice, du mensonge, de la mort et de la souffrance. Si la sincérité et la bonne intention n’existaient pas dans le couple homosexuel, celui-ci n’aurait plus sa raison d’être ni sa beauté. Or il mérite parfois que nous tenions compte de sa nature d’amour excessivement intentionnalisé. Quand je dis que les personnes homosexuelles sont sincèrement théâtrales ou théâtralement sincères, c’est dans la mesure où à la fois leur sincérité n’est pas à prendre au sérieux puisqu’elle est théâtrale, mais où il faut aussi en tenir compte car elle n’est pas que théâtrale : elle peut amener les individus à agir concrètement, et pas toujours constructivement quand leurs intentions aveuglent leur conscience de mal faire.
Comme d’une part personne n’incarne complètement le personnage mythique du libertin homosexuel, et que d’autre part le désir homosexuel traduit aussi une volonté de bien faire (même si les moyens concrets qu’il met en place ne s’accordent pas toujours avec les buts exposés), je pense que nous devons prendre les personnes homosexuelles un peu au sérieux et reconnaître une part de l’authenticité de leur amour. Il ne s’agit pas de croire en elles comme elles « s’y croient », mais simplement d’y croire comme il faut. Quand Michel Foucault souligne l’existence de la « profonde comédie de l’homosexualité » (la biographie Michel Foucault (1989) de Didier Éribon, citée dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 128), il a raison de ne pas lésiner sur l’importance de l’adjectif « profonde ». Il n’est pas rare d’être témoin de l’acharnement de certains individus homosexuels à aimer leur copain jusqu’au bout (même si par ailleurs ils lui en font voir de toutes les couleurs pour qu’il les quitte…). Leur choix de la solution par défaut, autrement dit de la vie de couple homosexuel (ou hétérosexuel), est loin d’être uniquement une décision prise à la légère, un signe de lâcheté de leur part, un refus clairement volontaire de l’éthique. Il est partiellement éthique en sincérité, mais non en acte. Comment ne pas en tenir compte et ne pas être touché par cette persévérance à construire un amour artificiel ? Entre courage et justification de la couardise, entre lucidité et refus de voir, beaucoup de personnes homosexuelles illustrent toute l’ambiguïté du désir homosexuel qui incite à renoncer à la perfection au nom de la perfection. C’est la raison pour laquelle nous devons malgré tout nous laisser toucher par cette théâtralité de quatre sous homosexuelle, passer par-dessus sa sophistication orgueilleuse. La mise en scène de souffrances ou de sincérité amoureuse n’est pas qu’un spectacle idiot et prétentieux. Dans les cas où la tristesse et l’amour passionné sont excessivement scénarisés, une souffrance réelle se nie et se dit. Derrière la théâtralité homosexuelle, il y a parfois l’expression d’un vécu relationnel complexe, le récit d’amours tourmentées ou d’un torturant fantasme de viol. Beaucoup de personnes homosexuelles trouvent la succession des échecs amoureux dans leur vie affective absolument désolante parce qu’elles sont dans le fond très sensibles et romantiques, et qu’elles aspirent à trouver le « Grand Amour » avec beaucoup de sincérité. Même si leur détresse est quelquefois risible étant donné qu’elle reprend mot pour mot le script de la femme-objet télévisuelle, elle n’en est pas moins un peu réelle. Les sujets homosexuels les plus « théâtralement sincères » sont ceux que nous devrions préférer parce qu’ils se rendent objectivement détestables pour que nous ne découvrions pas leur plaie béante d’exister. Leur comédie n’enlève rien à leur sincérité et à leur dignité humaine. Voilà le drame – ou plutôt le miracle ! – de l’homosexualité.
Cependant, même si la sincérité explique beaucoup de choses, elle n’excuse pas tout. Nous pouvons vouloir le bien des autres sans le faire. Et c’est très souvent parce que le libertin homosexuel ne contrôle plus sa théâtralité, ou qu’il accorde tout pouvoir à ses bonnes intentions et à sa tristesse, qu’il opère parfois des actes violents contraires à sa conscience.
Sa technique d’approche amoureuse est sensiblement toujours la même : sur le terrain des sentiments, il fait passer l’artifice pour du naturel, le programmé pour du spontané. Ainsi, pour gagner le cœur de sa proie, il prêche discrètement le faux pour savoir le vrai, ou bien joue la chanson de la fausse humilité et de la simplicité de l’amour. Il tient exactement l’honnête discours du sénateur du film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, qui loue les services des prostitués tout en prétextant la gratuité : « Je ne veux pas de sexe avec toi. Je veux juste discuter. » Il fait tout pour dissimuler ses manigances. Et pourtant, il aura tout orchestré, fera passer sa stratégie séductrice pour un destin incontrôlable et un miracle d’amour. L’apparente simplicité des sentiments qu’il propose, les privilèges flatteurs qu’il se donne l’impression de distribuer, ses fausses confidences déversées sous forme d’écriture automatique dans les mails ou les messageries de portable, sa patience et son impatience artificielles, ses simulations de troubles exprimés en silences dramaturgiques, ne sont que poudre aux yeux et impliqueront parfois une dette d’amour ou une redoutable demande de sacrifice. Le libertin homosexuel cherche à produire ce qu’il croit être du « naturel » mais qui n’en est pas exactement, pour ensuite se persuader lui-même qu’il aime d’un amour fou et authentique. Il aura programmé ce qui ne se programme qu’en partie : l’amour. Il « sincérisera » le théâtral pour dire ensuite que son théâtre amoureux fantasmé est réalité. Pour lui, la Vérité se fait, et son créateur, ce n’est autre que lui, même si ensuite, il s’effacera hypocritement devant son ouvrage raté par honte de sa prétention à se prendre pour Dieu. Il pense pourtant échapper aux malversations opérées sur l’amour en les intellectualisant à outrance et en mettant en garde les autres contre celles-ci. Le drame du libertin homosexuel, c’est qu’il finit par croire en son rôle d’amoureux éperdu, et que la contrefaçon qu’il opère sur les sentiments humains lui apparaît très souvent comme authentique. Il fait passer la sincérité avant l’honnêteté, si bien qu’il mord à l’hameçon de sa comédie de crooner bourgeois-bohème, de Don Juan torturé par l’amour.
Si la proie du libertin homosexuel a le malheur de lui révéler que sa stratégie d’amour n’est pas aussi naturelle et probe qu’il l’aurait souhaitée, si elle refuse de rentrer dans son jeu faussement gratuit, la réaction de ce dernier peut se révéler d’une violence extrême, surtout quand il est déjà « casé » avec un compagnon avec qui il prétend vivre l’amour fou, même si ce n’est pas le cas étant donné qu’il cherche à flirter ailleurs. À ses yeux, il ne drague pas quand il drague : il aime, tout simplement ! Quand il passe d’un corps à l’autre, c’est, selon lui, uniquement par besoin (limite « sacrifice charitable » !), et non par gaieté de cœur. « Je dois te préciser, chère amie, que ce genre de recherche hasardeuse et de fougue ne me plaisait guère. La ‘drague’ n’était pas une drogue pour moi, mais une nécessité. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 81)
C’est bien parce que l’usage amoureux de la sincérité peut maquiller les plus bas instincts humains qu’André Gide s’exclame : « Que cette question de la sincérité est irritante ! Sincérité ! » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), p. 84) Beaucoup de personnes homosexuelles basculent sans s’en rendre compte dans la bassesse du libertin homosexuel qui justifie son choix de la solution par défaut par le simple fait de se montrer à lui-même qu’il a été capable de reconnaître avec humilité et lucidité qu’il ne choisissait pas la meilleure solution possible. « Je ne fais pas l’erreur comme les autres parce que je l’ai comprise, donc mon intellect et ma sincérité me donnent le droit de la faire » pense-t-il. Cela fait un bon bout de temps qu’il s’est torturé à peser le pour et le contre concernant son couple homosexuel. Il croit connaître mieux que sa société et que ses semblables d’orientation sexuelle les limites des relations homosexuelles. Il n’est pas sans ignorer qu’il ne s’y prend pas au mieux pour aimer dès qu’il emprunte le chemin de son désir homosexuel. Il connaît la honte suprême de se servir sciemment de ses médiocrités et de la justification excessive de celles-ci par l’intellect ou la sincérité pour ensuite conquérir ses amants. Mais non ! Il se pardonne à lui-même ! Il se persuade qu’on ne lui en voudra pas d’avoir essayé d’aimer ! Le résultat compte… mais il serait secondaire par rapport à l’intention, croit-il.
Pour se punir de tomber homosexuellement amoureux, le libertin homosexuel est même capable de projeter sur la personne qu’il convoite ses propres attentes malhonnêtes, mais de manière agressive : inconsciemment, il se rue sur les premiers défauts observés à la hâte chez elle afin de l’écarter de sa vie et de s’illustrer héroïquement par sa capacité d’analyse et son volontarisme ascétique. Une manière comme une autre de se prouver à lui-même qu’il a la force d’âme pour rejeter les sollicitations, qu’il n’est pas aimable (amoureusement et homosexuellement parlant), et que sa proie n’a pas à tenter quoi que ce soit avec lui. Dès le départ, il souhaite freiner ses pulsions homosexuelles, s’empêche d’être impatient pour connaître son amant, condamne la fougue des premiers instants de la rencontre, nie à tout prix le glissement de l’amitié à l’amour, considère l’envie pressante de le séduire – même s’il ne l’a vu qu’une soirée – comme une psychopathie. Il mesure ses élans. Il ne sera pas, à ses yeux, celui qui se risquera à dire « je t’aime » à tout va ! Tomber amoureux dans la seconde, cela lui paraît trop excessif, adolescent, irréaliste, … homosexuel !
Prodigieux mélange d’intentions : il essaiera en même temps de repousser la personne aimée, et par l’argumentation justifiée de sa démarche de rejet, de l’attirer à lui. Il est même capable d’écrire un livre décrivant le désir homosexuel et ses travers pour se donner le droit de ne pas appliquer ce qu’il a vu à juste titre, pour acheter son amant homosexuel, et troquer la part de Vérité qu’il a entrevue contre le mensonge. Il a le pouvoir de disserter de manière juste sur l’homosexualité, mais de se servir de sa réflexion et de ses bonnes intentions pour faire et justifier les erreurs qu’il décrit, en pensant ne pas les commettre « comme les autres ». Il place en quelque sorte la sincérité ou l’intellect avant les actes et l’amour des Hommes. C’est d’ailleurs ce déchirement intérieur qui le rend malheureux toutes les fois où il décide de croire en l’amour homosexuel, et minable aux yeux des prétendants qu’il essaie de convaincre qu’il ne fait pas ce qu’il fait sous prétexte qu’il ne veut pas le faire. Il n’ignore pas que le désir homosexuel n’est pas son désir profond et qu’il ne l’unifie pas. Il s’en rend compte rien qu’à ses propres réactions : dès qu’il cherche à tomber homosexuellement en amour, il se transforme en comédien déprimé et pathétique, alors qu’en temps normal, il est connu au regard des autres pour être quelqu’un de lucide. Mais il ne fait pas ce qu’il dit de juste… parce que sa seule erreur est d’avoir cru en la toute-puissance de sa propre volonté. Il est sincère sans être vrai ; il n’est qu’amoureux en s’imaginant aimer profondément ; il est bien intentionné sans faire de ses bonnes intentions des actes justes.
L’Homme habité par un désir homosexuel sait qu’en disséquant finement l’homosexualité et ses limites, il s’expose à s’éloigner radicalement ou à se rapprocher au plus près de l’impossible incarnation humaine de « l’homosexuel », à se mentir totalement à lui-même (si, en actes, il choisit de s’écarter de ce qu’il a découvert, sous prétexte qu’il a vu juste), ou au contraire à être en accord avec ce qu’il est profondément (s’il suit jusqu’au bout ses idéaux, et fait ce qu’il dit). La réflexion lucide sur le désir homosexuel n’est donc pas sans conséquences dramatiques ou extraordinaires. Elle pose l’ultimatum du « que ton oui soit Oui » biblique. Elle oblige à un choix entier incertain, à l’acceptation que la frontière entre suprême lâcheté et folie du courage de s’accrocher à l’insondable Réalité soit temporairement indécidable. On appellera ce fossé comme on voudra : « orgueil suprême et détestable » ou « merveilleuse expérience de sa liberté ». Mon cœur opte pour la seconde définition.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
a) Le roman de Choderlos de Laclos inspire le personnage homosexuel :
Vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer
Il est fait régulièrement mention des Liaisons dangereuses dans les fictions traitant d’homosexualité : cf. le roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos, le roman Les Enfants terribles (1929) de Jean Cocteau, la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer, le tableau Confrontation harmonique (1996) de Christopher Cheung, le film « L’Escalier » (1969) de Stanley Donen, la pièce Jouer avec le feu (1892) d’August Strindberg, le film « Le Petit César » (1930) de Mervyn LeRoy, le film « Invitations dangereuses » (1972) d’Herbert Ross, la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (avec les deux personnages des Liaisons dangereuses), le film « They Only Kill Their Masters » (1972) de James Goldstone, le film « Oh ! My Three Guys » (1994) de Derek Chiu, la pièce Qui aime bien trahit bien! (2008) de Vincent Delboy, la chanson « Un Bonheur dangereux » d’Étienne Daho, la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio (avec le quatuor machiavélique Vera/Pierre-André/Nina/Lola), etc.
Il arrive que le personnage homosexuel se compare directement à la Marquise de Merteuil ou au Vicomte de Valmont : « Dans sa fouille sur les rayonnages, Gabrielle a retrouvé un roman de Jean Giono, Angelo, qu’elle avait lu dans sa jeunesse. […] Étrange comme la vie vous joue des tours… En vieillissant, c’est fou, elle s’est mise à ressembler au personnage de la marquise de Théus ! » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 58) ; « Tu étais dans la lune, Vicomte ? » (Antonin lisant les Liaisons dangereuses à son amant Hubert, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Elle me paraissait bien jeune pour jouer les Valmont. » (Suzanne en parlant de son amante Héloïse, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 309) ; « Paul et François ne se turent pas une minute. Chacun abandonnait une partie de sa personnalité, s’efforçait de ressembler à l’autre. C’était à qui cacherait son cœur. Ils prenaient le masque des personnages des mauvais romans du XVIIIe siècle dont les Liaisons dangereuses sont le chef-d’œuvre. » (Raymond Radiguet, Le Bal du Comte d’Orgel (1924), p. 68) ; « Je sais que certaines rencontres peuvent mal tourner, comme je sais aussi que la frontière est très fine entre le jeu de la séduction et pourquoi pas quelque chose de dangereux. » (Mélodie, l’héroïne bisexuelle justifiant le viol en plaidoirie à la cour, dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; etc. Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Pédé est surnommé « Vicomte » par Martin. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Thomas, le copain furtif de Adèle, l’héroïne lesbienne, avoue que le seul roman qu’il a lu et aimé de sa vie, ce sont Les Liaisons dangereuses de Laclos. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel, l’écrivain homosexuel cite à loisir Choderlos de Laclos.
On retrouve le duo androgynique caressant et manipulateur des libertins dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, avec les figures de Mérovinge, le chef d’entreprise pernicieux, et sa (compagne ? complice ?) Nathalie Stevenson, « la balafrée de luxe » (p. 244), blonde, grande et mince, portant un smoking noir Saint-Laurent (comme les garçonnes lesbiennes) : « Nathalie pense comme moi. Tu sais qu’elle ne se trompe jamais, il lui suffit de voir une personne quelques minutes… Même si elle juge un peu à la cravache. » (Mérovinge, p. 214) ; « Leur obscure et défunte relation le hantait toujours. Il désirait lui plaire encore, non pour la conquérir, mais par désir enfantin de ne pas décevoir cette ancienne et violente maîtresse. » (p. 215) ; « Antoine s’attarda sur la fraîche balafre qui barrait la joue de Nathalie Stevenson. » (p. 240)
Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, dépeignant une ambiance digne d’un salon de Précieuses, le personnage de la belle Amande est mis à l’honneur et représente tout à fait la Marquise de Merteuil, parce qu’elle aussi persifle sans arrêt avec sa meilleure amie Karen (qu’elle ne tardera pas à trahir, d’ailleurs), joue l’entremetteuse malsaine entre Irène (sa naïve camarade de classe) et Trudel (leur professeur à la fac), commence à perdre son œil comme dans le célèbre roman de Laclos : « [Amande était] D’exécrable humeur parce que, disait-elle, elle n’avait pas eu ses dix heures de sommeil, elle était convaincue que sa première ride, aperçue quinze jours plus tôt dans la glace de son poudrier, était en train de s’installer pour de bon, sous son œil gauche. » (p. 30) Quand vient son tour de relater son histoire, elle avoue elle-même qu’elle calque ses manœuvres relationnelles sur le roman de Laclos (« Il fallait rester dans le ton Liaisons dangereuses. », idem, p. 100), au point que Jason, le héros homosexuel, s’exclame à son propos : « Tu es digne de la Merteuil ! » (idem, p. 103) Dans L’Hystéricon, on retrouve le meurtre de Valmont par Merteuil dans la relation entre Yvon, l’archétype du séducteur hétérosexuel, et la dangereuse Groucha, qui finit par le châtrer : « Mais je garde le meilleur pour la fin, mon petit Yvon. Le produit de la dernière salve du pendu marque aussi la fin de ta propre carrière de don Juan. Grâce à ce cocktail à base de mandragore pilée, tu ne pourras plus nuire à la gent féminine. Je t’ai coupé le sifflet. C’est fini, les prouesses libertines. Tu resteras impuissant jusqu’à la fin de ta vie. Ça t’apprendra à préférer les fillettes remplies de vin aux vraies femmes de chair et de sang. » (Groucha à Yvon, idem, p. 267) Tout le roman est construit comme Les Liaisons dangereuses, avec la mort sociale de Merteuil – ici, d’Amande – à la fin de l’intrigue (p. 422).
Il semble que l’homosexuel fictionnel est le fils de Valmont et de Merteuil, les parents-objets séducteurs : « Sa mère était très jolie et son père était ‘très bien’. » (Tanguy, le héros homosexuel du roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 19) ; « Je sentais dans la nuit le regard enveloppant de mon maître, doux comme sa main tendue, et aussi l’autre regard incisif, menaçant et effrayé, celui de sa femme. Qu’avais-je à faire dans leur secret ? Pourquoi tous deux me plaçaient-ils, les yeux bandés, au milieu de leur passion ? Pourquoi me mêlaient-ils à leur conflit insaisissable, et pourquoi chacun d’eux déposait-il dans mon cerveau son ardent faisceau de colère et de haine ? » (Stefan Zweig, La Confusion des sentiments (1928), p. 84) ; « Noces absurdes et truquées par des femelles-mâles et des mâles-femelles ! » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 130) ; « Dans le royaume des hommes je suis LA souillure, sur l’échiquier des dames, le pion en attente caché derrière une reine hautaine qui choisira seule le bon moment pour se déplacer. Là, aveugle et naïve j’irais buter contre un des cavaliers noirs… Pour l’instant, j’arrive à me dédoubler : je suis pion et joueuse à la fois. » (idem, p. 61) ; « Tout mon lundi je le passe avec Fabrice pour pas rester avec Irène et Franck. Ces deux-là s’entendent trop bien dans le malheur qui les rassemble. Méchants l’un pour l’autre, ils sont devenus, chaque jour un peu plus, inséparables. » (la voix narrative dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, pp. 72-73) ; « Je n’avais pas l’intention de me faire passer pour un homme, mais tu connais Tielo, il adore plaisanter. Il trouvait hilarant que je puisse piéger une fille hétéro, sans parler du fait, bien sûr, que lui aussi cherchait à lever des filles hétéros. Alors au bout d’un moment, on s’est mis à aller dans des clubs hétéros et je faisais semblant d’être son frère Peter. » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 82) ; etc.
Dans la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, par exemple, Damien est le fils écartelé de Valmont et Merteuil (en l’occurrence Amélie et Samuel) : « Tranché entre vous deux, mon cœur s’est retranché. » dira-t-il. Dans le téléfilm « La Confusion des genres » (2000) d’Ilan Duran Cohen, Alain symbolise tout à fait l’homosexuel puisqu’au moment où Marc tente de violer Babette, il s’interpose et se retrouve pris en sandwich entre les deux hétéros, en devenant pour le coup le témoin privilégié du viol entre la femme-objet et l’homme-objet. Dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, John, la femme lesbienne, se retrouve également coincée entre l’homme-objet (Elvis Presley) et la femme-objet (Marilyn Monroe).
Il ne faut pas oublier qu’avant de se déclarer une guerre sans merci (entre eux et contre le sexe que représente l’autre), Valmont et Merteuil étaient anciens amants. « Au fil des années, entre Marc et elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne], la passion s’était lentement transformée en une charmante amitié amoureuse. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 54) Ils ne font que reporter leur propre haine d’eux-mêmes sur la sexualité en général.
Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Mathilde et son meilleur ami homo Guillaume ont une relation épistolaire mi-amicale mi-amoureuse extrêmement toxique : à la fois ils sont incapables de vivre en couple, à la fois ils rejettent toutes les opportunités humaines (hétérosexuelles ou homosexuelles ou bisexuelles) extérieures à leur binôme. Ils sont toujours sur le registre de la conquête : « Toutes ces relations se sont passées sous mon règne. Toutes ces relations ont été commentées par moi. » (Mathilde en parlant des relations amoureuse de Guillaume) ; « Je me voyais régner sur ta vie. […] J’ai essayé de te trouver un nouveau mari. » ; etc. Mathilde décrit la famille comme « l’enfer du quotidien ordinaire » : « Tout vaut mieux que cet inexorable modèle. »
Les intrigues choisies par certains écrivains et réalisateurs homosexuels ressemblent étrangement aux Liaisons dangereuses. On retrouve en effet beaucoup de triangles ou de quatuors amoureux dans les fictions homosexuelles : cf. le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Sans moi » (2007) d’Olivier Panchot, le film « La Tourneuse de pages » (2006) de Denis Dercourt, le film « Toy Boy » (2009) de David MacKenzie, le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet (avec le repas d’Antoine passé en compagnie des trois « rois de la casse gratuite » : Ondine, Ivan, Eva), le film « Grande École » (2003) de Robert Salis, le vidéo-clip de la chanson « Power Of Goodbye » de Madonna (avec la partie d’échecs), la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, les pièces Jules César (1599) et Othello (1604) de William Shakespeare, l’opéra Eugène Onéguine (1879) de Piotr Ilitch Tchaïkovski, le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan (avec Élisabeth la veuve calculatrice et son séduisant bras-droit homo Brahim), etc. « Et si on construisait une maison à deux niveaux avec Aysla et Dom ? » (Marie s’adressant à son mari Bernd, concernant le couple hétéro Dom/Aysla, alors que Marie a une liaison lesbienne secrète avec Aysla, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann)
Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment oublier ? », 2010) de Malu de Martino, un trio amoureux étrange s’instaure entre Julia (prof d’anglais à la faculté), son élève Carmen (qui la drague ouvertement et qui s’introduit carrément dans sa vie privée), et Helena la future amante de Julia (qui couchera avec Carmen un soir). Finalement, aucune des trois relations amoureuses ne se concrétisera durablement. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, le trio libertin Véra/Léopold/Ana entraîne Franz jusqu’au suicide. Dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon, un chassé croisé amoureux s’établit également entre les quatre protagonistes : Harriet, l’héroïne lesbienne, a été la maîtresse d’Auguste (tous les deux se demandent « pourquoi ils ont été si destructeurs ») et ne veut surtout pas d’enfant ; Auguste manipule le jeune Théo et se fait prendre à son propre jeu ; quant à Fanny, elle est présentée par Harriet comme sa « fille spirituelle » (Fanny finit par l’embrasser sur la bouche). Harriet décrit la complexité de ces expériences sentimentales et sensuelles comme une construction artistique « intéressante », une performance théâtrale : « Ces quatuors, on va les jouer avec une intensité, une émotion… »
Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola fait croire à son amante Nina qu’elle « n’est pas faite pour le couple » pour mieux l’utiliser comme encas extraconjugal. « Tu ne sais jamais rien. » (Lola) Nina se plie un certain temps à l’amour asexué et libertin que lui propose Lola, déjà en couple avec la machiavélique Vera : « Dans le fond, t’as raison. Ça ne m’a jamais réussi de mélanger amour et sexualité. » lui avoue Nina. Mais l’exploitation ne durera pas si longtemps : « Rien n’est simple avec vous. » (Nina s’adressant à Lola et Vera) ; « Je crois que vous êtes malades toutes les deux. » conclut Nina au couple lesbien Vera/Lola qui a essayé de la manipuler. Elle finit par partir : « Allez-y ! Vous n’arriverez pas à me détruire. »
Le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion reprend exactement la structure de l’intrigue des Liaisons dangereuses. Serena, la femme lesbienne, fut l’ancienne amante du perfide Osmond (pendant 7 ans), et ensemble, ils se définissent comme « les mauvais » (« Tu m’as rendu aussi mauvaise que toi. » dit Serena à Osmond) qui conduisent secrètement les couples de leur entourage au malheur et à la rupture. Par exemple, Serena jette la belle et intelligente Isabelle (secrètement amoureuse d’elle) dans les bras d’Osmond, et empêche la faisabilité du jeune couple Rosier/Pansy, pourtant éperdument amoureux. Osmond enferme sa fille Pansy au couvent, et maltraite Isabelle. Toute l’orchestration machiavélique de ces deux courtisans homosexuels (Serena est fascinée par Isabelle ; Osmond a tout du collectionneur homo impuissant et misogyne) fait qu’ils s’entendent dire au début du film : « Vous êtes capables de tout, Osmond et vous. Vous êtes dangereux. »
b) Le couple homosexuel est explosif, compliqué, et s’organise sous forme de rapport de forces destructeur : le personnage homosexuel applique les stratégies de l’accès à l’amour par le mal
La transposition de la structure conjugale homosexuelle sur les Liaisons dangereuses traduit bien l’animosité qui existe dans beaucoup de couples homosexuels des fictions. En général, l’amour homosexuel n’est pas représenté comme un amour évident, serein, plein, apaisant. C’est même le début des ennuis : « J’avais déjà compris que ce couple-là aussi, c’était un drôle d’assortiment. » (François, un des personnages homosexuels du roman, Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 122) ; « Se prendre la tête : les lesbiennes adorent ça ! » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Mes sentiments m’effrayent ! Je suis obnubilé par ce garçon. Je ne le connais pas, je ne sais rien de lui mais je crois que je l’aime. Comment est-ce possible ? » (Bryan parlant de son « flash » amoureux pour Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 32) ; « Un garçon qui aime un garçon, ce n’est jamais simple. » (idem, p. 33) ; « J’ai toujours envie de te voir et d’être à tes côtés mais dès que tu t’approches de moi, je n’ai qu’une envie : celle de fuir, de t’ignorer, de passer près de toi sans te voir. Comment peut-on être aussi compliqué ? Pourquoi mon esprit me commande-t-il le contraire de ce que mon corps réclame ? Pourquoi ai-je peur de toi ? » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, idem, p. 210) ; « Petra marqua une pause, entrant indiscutablement dans le rythme familier de leurs querelles. » (Jane, l’héroïne lesbienne en couple avec Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 68) ; « Hier soir, nous nous sommes disputés une fois de plus avec Jimmy. » (Arthur parlant de son amant Jimmy dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « La porte s’ouvrit soudain et Jane sursauta, même si elle savait que c’était Petra. » (idem, p. 79) ; « C’est compliqué. » (Marco par rapport à sa rupture amoureuse avec Franck, dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault) ; « Mais si t’arrêtais de te mettre dans des histoires impossibles, on n’en serait pas là. » (Naïma, la « fille à pédé(s) » s’adressant à son ami homo Valentin, dans le film « Saint Valentin » (2012) de Philippe Landoulsi) ; « Tu sais très bien que la vie que tu m’offres n’est faite que de pleurs, de déchirures et de tracas. » (Fanchette s’adressant à son amante Agathe, dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago) ; « Tu sais bien qu’il ne faut pas qu’on se voie. Ce serait peut-être pire. » (Gabriele s’adressant à son ami homosexuel Marco, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « Des fois, avant l’entraînement, elles faisaient des bras de fer. ‘Je t’aime/Je t’aime/Je t’aime/Je t’aime’. » (Océane Rose Marie, La Lesbienne invisible, 2009) ; « Carole, tu me fais peur. » (Thérèse, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Carol, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Pourquoi en veux-tu toujours plus ? » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West l’invasive, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « Tu as l’air d’une conquérante. » (idem) ; etc.
D’ailleurs, on voit que certains couples homosexuels, avant de se former, se soumettent un test, apparemment ludique, mais qui prend des airs de défi : cf. le film « Plutôt d’accord » (2004) de Christophe et Stéphane Botti, le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, le film « L’Homme que j’aime » (2001) de Stéphane Giusti, etc. Qui est le chat de la souris ? Mystère…
Tout ce qu’on sait, c’est que l’amant se montre abusif, bizarre, dangereux, « too much » comme on dit : « If excessif, accro, compulsif ; if, adhésif, over réactif ; if exclusif et trop émotif ; if impulsif qui est le fautif ? […] If négatif, maladif, inexpressif et plus vraiment vif, cherche le motif. If évasif, approximatif ; if c’est plus l’kif de jouer le calife ; if trop nocif et trop addictif ; if fugitif, maniaco dépressif. » (cf. la chanson « If » d’Étienne Daho et Charlotte Gainsbourg) ; « Dès lors, Stephen pénétra dans un monde complètement nouveau, qui tournait sur l’axe de Collins. C’était un monde plein de continuelles et émouvantes aventures : des ivresses, des joies, d’incroyables tristesses, mais aussi un bel endroit pour s’y précipiter, comme un papillon qui courtise une chandelle. Les jours allaient de haut en bas ; ils ressemblaient à une balançoire qui s’élève au-dessus du faîte des arbres, puis retombe dans les profondeurs, mais rarement, sinon jamais, tient le milieu. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 27) ; « Mais quand on tombe amoureux on devient tous un peu fous. » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, p. 134) ; « L’Amour, ça me fait tourner la tête. » (le Méchant du film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen) ; « Quand un flirt innocent se transforme en dangereuse liaison… » (cf. le résumé du film « My Name Is Love » (2008) de David Färdmar dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 65) ; « Il y a quelque chose en toi qui cloche. Tu demandes une dévotion totale. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West l’invasive, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.
Très souvent, l’amour est envisagé comme un bras de fer par les amants homosexuels : « Je crois qu’il était meilleur que moi. » (Elio parlant de son amant Oliver, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; « Je veux vous dire que, lorsque je déclare que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes, je signale simplement que, dans une relation amoureuse, souvent, il en est un qui donne et l’autre qui prend, un qui s’offre et l’autre qui choisit, un qui s’expose et l’autre qui se protège, un qui souffrira et l’autre qui s’en sortira. C’est un jeu cruel parce qu’il est pipé. C’est un jeu dangereux parce que quelqu’un perd obligatoirement. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 164-165) ; « Je vous aime tant que je me prends à haïr… » (Mary s’adressant à son amante Stephen, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 495) ; « Kanojo doit vraiment être très intime avec Juna. Pourtant, quand elles sont en groupe, on a l’impression qu’elles ne se supportent pas. » (Suki dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « C’est nous les œufs brouillés. » (Océane Rose-Marie parlant à sa compagne avec qui il y a de l’eau dans le gaz, dans son one-woman-show Chaton violents, 2015) ; « Je confesse que je vous déteste ! Je confesse que je déteste Tom ! » (Bryan, le héros homosexuel s’adressant au père Raymond, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc.
Dans son roman La Chasse à l’amour (1973), Violette Leduc définit ses amantes comme des êtres tristes et « frénétiques ». Dans le film « Je te mangerais » (2009) de Sophie Laloy, on voit « l’amour dévorant » d’Emma, étudiante en médecine, pour Marie, une jeune pianiste du Conservatoire de Lyon. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William engueule son amant Georges à cause de ses absences : il lui dit qu’il est fou d’amour pour lui, mais avec une agressivité qui laisse entendre le contraire : « Tu te fous de moi ! Ça fait cinq ans que tu m’abreuves de mensonges ! Marre ! Marre ! Marre ! Marre d’être englouti dans ta double vie ! » Il le maltraite verbalement et physiquement. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Benjamin et Arnaud, en couple, n’arrêtent pas de se prendre le chou et de s’insulter : « Connard, va ! Trou de balle ! » (Arnaud) ; « L’enfant de catin ! » (Benjamin) ; « On s’est encore engueuler. On va encore se foutre sur la gueule. » (Arnaud).
Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, le « comportement chaotique » et « l’agitation sentimentale » (p. 231) caractérisent le personnage lesbien d’Erika : « C’est vrai qu’elle était dangereuse, Erika, à cette époque. On aurait pu croire qu’elle avait tué la petite fille au regard tragique qui demandait si on l’aimait. Elle s’emballait, avait des coups de foudre, faisait des serments éternels auxquels elle croyait. Puis elle s’apercevait que cette femme, finalement, n’était pas celle qu’elle attendait et elle la quittait. » (idem, p. 203) ; « Erika n’avait pas changé, finalement. Comme au temps de Belfort, elle en faisait trop. Et elle était éprise de la seule personne capable de sentir cette pression et de ne pas la supporter facilement. Et cela créait une sorte de cercle vicieux, classique au demeurant. Héloïse, effrayée, reculait. Erika avançait d’autant. Mais comment lui faire modifier son comportement ? […] J’avais eu tort de penser qu’Erika avait évolué. Le fond de son caractère était resté le même : passionné, possessif. » (idem, p. 270) ; « C’était vraiment une tourmentée. » (idem, p. 282) La relation amoureuse qu’Erika entretient avec son amante Suzanne se nourrit d’un drôle de combustible : « Il y avait ce désir violent, qui ne nous quittait pas, et que nous satisfaisions très souvent. » (idem, p. 203)
Quelquefois, le héros homosexuel vit mal sa métamorphose en homme paradoxal. « Pourquoi mon cœur, qui n’a pas d’yeux, s’agite-t-il autant quand je te croise […] ! Quelle réaction chimique déclenche cette agitation ? » (Bryan s’adressant à son amant Kévin par rapport à l’amour, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 306) ; « Je n’avais jamais été jaloux, avec toi, je suis devenu exclusif ! Cet amour-là est trop violent, il fait trop mal. Je croyais que l’amour était quelque chose d’agréable, qui nous grandissait. Mais celui que je ressens pour toi, me fait parfois l’effet inverse, il me détruit ! Pourquoi ? Puisque ça fait si mal, faut-il avoir peur d’aimer ? » (idem, p. 417) ; « Lorsque je pense à vous, mon cœur bat plus fort, mon corps s’étonne et s’émerveille. Quelle est donc cette folie ? » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 19) ; « Le problème, c’est que les mecs me faisaient tourner la tête. » (Stéphane, le héros homosexuel de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’ai pas l’habitude de coucher comme ça avec un inconnu… » (Matthieu, après avoir trompé son copain Jonathan alors qu’il l’idéalisait, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Depuis trois mois, c’est l’enfer. Herbert est violent, armé, totalement imprévisible. » (Fabien à propos de son attitude avec son amant Herbert, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; etc.
Le héros homosexuel adopte une conception totalitaire et superstitieuse de l’Amour, selon laquelle Il ne se choisirait pas, s’imposerait comme une évidence, et tomberait sur n’importe qui comme un « fabuleux destin » : « À vrai dire, je n’ai jamais cherché l’amour, mais j’ai toujours pensé qu’il me tomberait un jour du ciel. » (Ednar, le héros homosexuel, dans l’autobiographie romanesque Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 132)
L’amour homosexuel fictionnel ressemble parfois à une dictature, à une bataille, à une stratégie conquérante, où l’art de séduire empiète sur la personne aimée (je vous renvoie au chapitre sur la conception scientifique de l’amour dans le code « Médecines parallèles » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « En réalité, je suis plus excité par la conquête que par le terrain conquis. » (Dominique, le héros homosexuel du roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 25) ; « C’est triste à dire mais il faut être un peu stratège en amour. » (Laurent Spielvogel imitant André un type qui le drague dans un hammam, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Je décidai de devenir le polytechnicien de l’amour. » (Eugène, le héros homosexuel du one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « Dans le car qui me ramenait chez moi, je décidai que trois était le chiffre parfait. Avec deux liaisons, on était écartelé entre deux choix simples. Il y avait là quelque chose de linéaire. J’étais en train de lire un livre en vogue sur la théorie du chaos, d’après lequel le chiffre trois impliquait le chaos. Je désirais le chaos parce que grâce à lui je pourrais créer mon modèle personnel. Je regardais les beaux objets fractals illustrant le volume et voyais Sheela, Linde et Rani dans l’un d’eux, s’amenuisant au fur et à mesure, le motif se répétant à l’infini. Je refermai le livre, convaincue d’avoir choisi la façon de mener ma vie. Le chaos était la physique moderne, c’était la science d’aujourd’hui. » (Anamika, l’héroïne lesbienne pensant à ses trois amantes – Sheela, Linde, et Rani – dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 64-65) ; « Moi, ce que je veux, c’est de la conquête. » (Lionel dans le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier) ; « L’amour est un champ de bataille. » (Nico dans le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens) ; « La guerre est là. Elle a ton visage, Arthur. » (Vincent s’adressant à son amoureux, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 35) ; « Entre nous deux c’est la guerre. Notre histoire qui se traîne par terre, c’est la haine et c’est la bataille. Enfin bref, tous deux on déraille. Pourtant je sais qu’tu m’aimes encore. Nous sommes à couteaux tirés. Ça va finir par éclater. Regards en coin et méfiance. Mal à l’aise et désespérance. Pourtant tu sais qu’j’t’aime encore. Il y a de l’eau dans le gaz. Ça me fait craquer, ça te déphase. On s’fait du mal, on s’fait la gueule. Je te quitte et tu me laisses seul. Il y a de l’huile sur le feu, et l’on joue à ce petit jeu. » (cf. la chanson « On s’fait la gueule » d’Étienne Daho) ; « C’est bien le curieux de la nature humaine qui porte souvent plus d’intérêt à la conquête qu’à ce qui pourtant déjà existe, si beau, dans sa maison. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 70) ; « J’aime séduire et dominer. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « Avec Jacques, j’allais tricher un peu, beaucoup, passionnément. » (le jeune Mathan dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « L’Amour vient de faire perdre la guerre à l’Allemagne. » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; etc.
Par exemple, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Sigrid profite de son amante Helena, plus âgée qu’elle, pour devenir son assistante et monter en grade dans son entreprise et l’humilier : « Je renforcerai mon emprise. Je continuerai à t’isoler des autres. » Elle la conduira au suicide. Maria, qui doit jouer au théâtre le rôle d’Helena, est mal à l’aise dans sa propre vie à cause de leur histoire : « La relation entre ces deux femmes, c’est dérangeant. » Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah humilie son amante Charlène devant les autres camarades, la traite comme une moins-que-rien. Elle est manipulatrice, diabolique, menteuse. Charlène, à bout, finira par l’étouffer avec un coussin.
Souvent, la tension est palpable dans le couple homosexuel fictionnel, même si elle n’est pas toujours criante. La guerre que se mènent les deux amants est juste larvée dans le cynisme : « Ah ! je le savais, il était maître dans l’art des paroles sardoniques ! » (le narrateur du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 50) ; « J’ai mal de toi. J’ai mal près de toi. » (cf. la chanson « J’roule » d’Hervé Nahel) ; « On s’aime beaucoup mais on s’empêche de vivre. » (Nathalie à son amante Louise, dans le film « La Répétition » (2001) de Catherine Corsini) ; « Il était si dur avec moi… » (Paul par rapport à son amant Jean-Louis dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset) ; « Je venais encore de m’engueuler avec Will. » (Matthieu racontant sa vie commune avec Will, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Malgré toutes nos petites engueulades… » (Matthieu par rapport à son amant actuel Jonathan, idem) ; « Simon raconte avec pudeur que le matin-même, il est allé dans l’appartement de Gilberto détruire chacune de ses affaires. Il a déchiré les chemises de Gilberto, consciencieusement, les unes après les autres, il a brisé le joli cendrier chiné ensemble contre la table du salon (Gilberto ne fume pas). IL a aussi déchiqueté les billets d’avion des vacances qu’ils avaient passés ensemble en Hollande, et tout un tas de papiers officiels. Simon dit ‘J’ai déchiqueté ces billets parce que c’est une manière de lui dire qu’il ne peut rien garder, même pas le souvenir heureux de ce voyage.’ Il a jeté par terre dans la salle de bain toutes les affaires de toilettes de Gilberto qui se sont cassées, parfum, rasoir, eau de toilette, etc., et sur le bureau, il a shooté son Mac, allant jusqu’à enfoncer complètement son pied dans l’écran. Il a écrasé des clopes sur le tapis en prenant soin de bien le cramer. Il a fermé les rideaux, parce que le soleil qui éclaboussait l’appartement le minait. Il est allé chercher un rasoir, et il a lacéré les rideaux. Il a fait le tour de l’appartement, et a trouvé à tout ce bazar quelque chose de touchant. Comme si sa rupture était enfin matérialisée par tous les morceaux éclatés de la vie de Gilberto, la leur depuis quelques mois. Il est allé chercher sa caméra chez lui. De retour dans l’appartement de Gilberto, il a filmé en laissant la caméra caresser ce champ de bataille de sa colère, en racontant (voix off) tout ce qu’il avait brisé. Il a terminé en filmant la boîte aux lettres dans laquelle il a laissé sa clef et y a donné un énorme coup de poing qui l’a complètement déformé. ‘Voilà. J’ai monté le film toute la journée, je l’ai appelé a-mor(t). Et c’est tout.’ » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), pp. 109-110) ; « Elle est dure avec moi, je vous jure. Je lui lave les pieds comme si elle était Jésus et elle m’engueule, elle me parle mal. » (Polly parlant de son amante Claude, idem, p. 115) ; « Mes mères vont peut-être divorcer. Elles n’arrêtent pas de se disputer. Et moi je suis genre le ciment qui les aide à rester ensemble. » (Jackson par rapport à ses deux « mères » lesbiennes, dans l’épisode 5 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc.
Par exemple, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton et Vlad, pourtant en couple, ont une drôle de façon de se déclarer leur « amour »… Vlad fait un doigt d’honneur à Anton, en lui disant : « Ça, ça veut dire ‘Je t’aime’. Et mes deux doigts, ça veut dire ‘Je t’aime beaucoup’. ». Dans le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq, Manu et Philippe se parlent de manière très acerbe. Dans la B.D. Rocky & Hudson, les cowboys gays (2013) d’Adao Iturrusgarai, le duo Rocky/Hudson est un couple sans cesse en crise. Dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès, l’échange entre les deux inconnus sur le lieu de drague est semi-violent, semi-séducteur. Dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, la relation entre Paul et Sébastien est tendue, d’où la remarque de Sébastien à Marie : « Tu verras, la vie à deux, c’est pas simple… ». Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Léopold et Franz n’arrêtent pas de s’engueuler : Léopold est imbuvable, capricieux et méprisant, alors que Franz se montre faible, possessif et paranoïaque. Dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur la chaîne France 2 le 15 octobre 2013, le couple homo Luc/Yoann (joué par Dany Boon) se disputer sans arrêt et perturbent leurs voisins par leur concert. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel et Philippe n’arrêtent pas de s’engueuler, et à chaque fois qu’ils sont au bord de la rupture, Gabriel propose fiévreusement le PaCS ou le mariage pour colmater inefficacement les brèches. Dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Stella/Dotty vivent depuis 30 ans ensemble et pourtant elles se chamaillent continuellement. Dans la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Monsieur Alvarez (huissier) et Damien (le héros transgenre M to F, chef d’entreprise) se gueulent dessus et se mènent une guerre sans merci, avant de former un beau couple de travestis. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, les scènes de ménage entre Paul et Erik sont monnaie courante, et Paul dit à Erik qu’« il lui gâche la vie ». Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François et Thomas, les deux amants, n’arrêtent pas de se prendre le chou pour des « détails ».
Dans le film « I Love You Baby », Daniel et Marcos font un petit dîner en amoureux, mais se parlent pourtant super mal : l’un d’eux a oublié la pizza au four et se le voit reprocher ; l’autre finit par être agacé des inattentions et du manque de savoir-vivre de son compagnon. C’est sur ces petits détails de la vie quotidienne que le couple homosexuel se focalise pour ne pas à avoir à se reprocher l’essentiel : le manque d’amour dans leur relation amoureuse. Leur binôme ne fera pas long feu…
Dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Lucie et Léonore, les deux héroïnes lesbiennes, se déchirent, se giflent, puis s’embrassent sur la bouche, le tout dans un même mouvement… comme si la violence était pour elles la preuve de l’intensité de leur amour, alors qu’en réalité, cette fougue ne vient que confirmer un amour basé prioritairement sur la pulsion.
Assez rapidement, pour faire écran à cette violence, le mensonge s’immisce souvent comme un fonctionnement conjugal normalisé dans les couples homosexuels fictionnels. Il semble être inclus dans le pack homosexuel : « Quiconque aime vraiment renonce à la sincérité. » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, p. 83) ; « Pour rester à deux, il faut savoir mentir, et je ne sais pas. » (Cédric à son amant Laurent, dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure) ; « Je mens toujours à celui que j’aime. » (le transsexuel M to F du film « Tableau de famille » (2002) de Fernan Ozpetek) ; « Je tombe que sur des connards qui ne me racontent que des bobards. » (Stéphane en parlant de ses amants, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’aime la Vérité, mais la Vérité ne m’aime pas. […] Pourtant, je suis simple. Je déteste le mensonge. […] S’il m’arrive de mentir, c’est pour rendre service. » (Jean Cocteau cité dans le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala) Par exemple, dans le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le héros désire « mentir effrontément ». Dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, Dominique vénère « l’art du mensonge » (p. 86). Pensons également au film « L.I.E. » (2001) de Michael Cuesta.
Comme le mensonge crée évidemment un climat de paranoïa croissant, il arrive que l’agacement au sein du duo homosexuel fasse place aux menaces, ou bien que la passion homosexuelle transforme le héros homosexuel (ou son partenaire) en amant excessif, un brin psychopathe et violent : « Crois-moi, Erika est dangereuse. Il vaut mieux n’être que son amie. » (Melitta à Suzanne, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 202) ; « Je vais te tuer. Je te hais. » (Petra à son amante Karin, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder)
Dans le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, Willie est décrit par son copain Doumé comme « un manipulateur » qui peut « faire des coups de pute » (p. 79) ; d’ailleurs, la guerre que se lancent les deux anciens amants après leur rupture sera sans pitié. Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, quand Esti et Ronit se retrouvent toutes les deux pour la première fois dans un bosquet et qu’elles sont prêtes à se dire leur amour, Ronit dit à Esti qu’elle « a l’air d’un tueur en série » (p. 139).
L’amour homosexuel fictionnel s’annonce souvent par la voie de la terreur et de la peur : « Pour nous, les histoires d’amour finissent toujours mal. » (Piya, un transgenre M to F, dans le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun) ; « Tu es vraiment fou. » (Ed s’adressant à Arnold dans le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Il l’attirait puissamment, il l’attira dès le premier instant, quand il avait entendu ses sanglots et deviné plus que perçu sa voix rauque, violente, et surtout quand il avait palpé sa peur. Il n’imaginait pas encore que cette peur était le signe qu’il se trouvait assurément en présence d’un homme nerveux, de ceux qui ne peuvent se contenir, d’un despote. En le consolant et en le veillant il ne savait pas avec qui il était, et quand il en prit conscience, il se dit que ça n’avait pas d’importance, que le jeune homme l’attirait précisément pour cela, pour ce qu’il était. » (cf. la nouvelle « Las Dos Prisiones De Víctor » (1986) d’Oscar Hermes Villordo, p. 251) ; « À pas de loup, j’aime quand vous me faîtes peur. » (cf. la chanson « Consentement » de Mylène Farmer) ; « Quand on aime, on est en danger. Moi, c’est ça qui me plaît. » (Yves Saint-Laurent séduisant Jacques, le copain de Karl Lagerfeld, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « La honte de dépendre à ce point d’un homme que je voudrais haïr me pétrifie. » (le narrateur homosexuel du roman La Peau des zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 16) ; « À ta place, j’aurais peur. » (Henry s’adressant à Franck par rapport à Michel, l’amant de ce dernier, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; etc. Dans le film « Ma mère préfère les femmes » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman, Sofía traite son amante Eliska de « tyran ». Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Steve en fait tellement trop pour se faire aimer de Phillip que ce dernier en est effrayé.
Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, la peur s’installe entre les deux amantes Stephen et Angela, et pas uniquement du côté de la victime « logique » (p. 189) :
Stephen – « J’ai peur maintenant… j’ai peur de vous.
Angela – Mais vous êtes plus forte que moi…
Stephen – Oui, c’est pourquoi j’ai si peur… vous me faites sentir ma force… »
Dans certaines fictions homosexuelles, le désir homosexuel est décrit comme un amour démoniaque, bestial, ou sorcier, une sauvagerie : cf. le roman Bestezuela De Amor (1909) d’Antonio de Hoyos, le roman policier Un Amour radioactif (2030) d’Antoine Chainas, le ballet L’Amour sorcier (1915) de Manuel de Falla (d’ailleurs, en 1933, le danseur Miguel de Molina, lui-même homosexuel, aura le rôle principal de ce spectacle), le film « La Beauté du diable » (1949) de Claude Autant-Lara, le titre du film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, le recueil de poésies Sonnets de l’Amour obscur (1931) de Federico García Lorca, le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le roman Les Garçons sauvages (1971) de William S. Burroughs, la chanson « Cet air étrange » d’Étienne Daho, le film « The Wild Dogs » (2002) de Thom Fitzgerald, le film « Le Messie sauvage » (1972) de Ken Russell et Derek Jarman, le film « Wild Side » (2004) de Sébastien Lifshitz, le film « Alex Strangelove » (2018) de Craig Johnson, etc. « C’est l’amour sorcier. » (cf. la chanson « Kalinda de Luna » de Dalida) ; « Nous progressions au pas dans une forêt sauvage, silencieuse, menaçante, d’obscurs voyous dont nous ne voyions luire au feu des phares et des rares réverbères que les étranges diadèmes de rangées de dents d’ivoire et d’or en couronnes. » (cf. la nouvelle « Les Garçons danaïdes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 101) ; « Succédant à la troupe humaine, une meute de chiens galopait à notre rencontre. Il était trop tard pour arrêter. » (idem) ; « Ce qui allait suivre était justifié. Logique. C’est la loi, il y a toujours qu’un seul gagnant. Ce qui allait venir, c’était de l’amour. L’amour aveugle, sans dieu ni mère pour le protéger. C’était de la guerre. Sans paroles. En dehors du monde. Au tout début. Au-delà de moi. Au-delà de Khalid. À travers nous deux, le combat primitif, innocent, sauvage, libre, recommençait. » (Omar parlant de son amant Khalid dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 163-164) ; « Mon amour, mon ange noir, pardonne-moi. […] Je l’aimais Suki. Je l’aimais. » (Kanojo parlant à Juna, son amante qu’elle a tuée par un combat de magie, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Tu es envoûtée. » (Richard, le copain de Thérèse, l’héroïne lesbienne, lui reprochant de partir avec une femme, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Le charme est rompu. » (Lola, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera à propos de leurs infidélités « extraconjugales », dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Luther, l’amant de Denis, a pour parfum Eau sauvage de Christian Dior. Par rapport au film « The Long Day Closes » (« Une longue journée qui s’achève », 1991) de Terence Davies, le critique Pierre Philippe dit que le personnage de Bud, le héros homo, est un « garçon bâillonné par l’amour obscur qu’il porte en lui. » (cf. le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 85) Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, pour se prouver qu’il est toujours homosexuel et qu’il a encore du désir pour son futur « mari », fait un play-back strip-tease sur « I Put A Spell On You ».
Le héros homosexuel est comme ensorcelé par un amant maléfique qui le maintient en soumission : « Depuis que je t’ai rencontré, je ne sais plus quel est mon nom, je ne sais plus où vont mes pas. Que m’as-tu fait ensorceleur ? » (Raulito s’adressant à son amant Cachafaz, dans la pièce Cachafaz (1993), pp. 20-21) ; « Derrière la porte, souriait de toutes sa nacre un garçon enjôleur que n’importe qui d’un peu novice aurait immanquablement trouvé joli. Laurent resta pétrifié sur le seuil de la porte. » (cf. la nouvelle « Cœur de Pierre », (2010) d’Essobal Lenoir, p. 47) ; « Je souffre de ne pas savoir quelle blessure vous me faites. » (le héros homosexuel à l’homme qui vient le draguer, dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « C’était étrange, ta dépendance. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, très possessif, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc. Par exemple, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, George continue d’aimer son ex, Joley, qui l’a trompé : « Pourtant, je sais que c’est un vrai connard. » Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), quand Pierre Fatus passe son stétoscope sur un des hémisphères de son cerveau, il entend une voix lui dire : « Il y a ici crime de sorcellerie ! »
On retrouve cette idée de dangerosité de la relation amoureuse homosexuelle dans le film « Más Que Amor, Frenesí » (1996) d’Alfonso Albacete et David Menkes, le film « Assassins » (1987) de Todd Haynes, le film « Je t’aime, je te tue » (1971) d’Uwe Brandner, la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, le film « Tristesse et beauté » (1984) de Joy Fleury, le film « Reptile » (1970) de Joseph Mankiewicz, le film « Immacolata et Concetta » (1979) de Salvatore Piscicelli, le roman El Juego Del Mentiroso (1993) de Lluís Maria Todó, le film « Regarde la mer » (1996) de François Ozon, le film « Violence et passion » (1974) de Luchino Visconti, le film « Danse macabre » (1963) d’Antonio Margheriti, le film « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » (1999) de François Ozon, le film « Tiresia » (2002) de Bertrand Bonello, le film « A Cold Coming » (1992) de David Gadberry, la chanson « La Débâcle aux sentiments » de Stanislas Renoult, le film « Disons, un soir à dîner… » (1969) de Giuseppe Patroni Griffi, le film « Mulholland Drive » (2000) de David Lynch, le film « Hitcher » (1985) de Robert Harmon, le film « Caravaggio » (1986) de Derek Jarman, le film « Le Rempart des béguines » (1972) de Guy Casaril, le film « Duel au soleil » (1946) de King Vidor, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho, le film « Scacco Alla Regina » (1969) de Pasquale Festa Campanile, le film « Glissements progressifs du plaisir » (1974) d’Alain Robbe-Grillet, le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, le film « Ricochet » (1991) de Russell Mulcahy, le film « Soplo De Vida » (1999) de Luis Ospina (avec un travesti martyrisé par un flic corrompu qui n’est autre que son amant), le film « Angelos » (1982) de Yorgos Kataguzinos, le film « Love Is The Devil » (1997) de John Maybury, le film « Prick Up » (1987) de Stephen Frears, le film « Le Crime d’amour » (1981) de Guy Gilles, le film « Cours privé » (1986) de Pierre Granier-Deferre, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher (avec le couple cynique composé par David et Philibert), le film « Les Poupées russes » (2002) de Cédric Klapisch (avec les querelles interminables du couple lesbien), le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar (avec Pablo et Antonio vivant une relation passionnelle auto-destructrice), le recueil de poèmes La Destrucción O El Amor (1935) de Vicente Aleixandre, le film « La Fille aux yeux d’or » (1961) de Jean-Gabriel Albicocco (avec la lesbienne manipulatrice et jalouse qui tue la gentille Marie Laforêt), le film « Furyo » (1983) de Nagisa Oshima, la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia (racontant la liaison dangereuse entre deux voisins de pallier), le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, etc.
Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, Chloé s’insère de manière intrusive dans la vie de Catherine, une femme mariée avec qui elle a eu une liaison amoureuse de passage. Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, on retrouve la figure de la vénéneuse amante lesbienne dont on ne peut pas se défaire, à travers la relation de Stella et de la vampirisante Lorelei. Dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, Émilie devient « envahissante » (p. 29) avec son amante Gabrielle. Dans le film « Libertango » (2009) de Sara Hribar, il est question de la dangereuse interprétation entre amitié et amour : Tamara est épuisée par la possessivité de sa colocataire Julija. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette voue à sa prof de français Madame Solenska un amour-passion, idolâtre, jaloux, déconnecté du Réel, démesuré.
Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin et Bryan, les deux amants qui disent pourtant s’aimer passionnément et continuellement, se traitent en réalité très mal. Ils se font des coups bas quand l’un d’eux chute, cherchent sans arrête à faire payer à leur partenaire leur propre insatisfaction de l’amour homosexuel. Il n’y a aucune place au pardon. Ils vivent un amour sans merci, sans compromis, qui mourra de sa « belle » mort : « Mon copain m’a fait un sale coup. Je voudrais me venger en te demandant de sortir avec moi pendant quelque temps. Je t’appelle parce que tu es le seul que je connaisse. On est bien d’accord, il ne s’agit que de faire semblant, juste pour le faire souffrir. […] Je veux qu’il comprenne le mal qu’il vient de me faire. » (Kévin s’adressant à Yohann, dans le roman pp. 257-258) ; « Moi aussi je t’aime, mais mon amour est destructeur, il est toujours négatif. » (Kévin à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 325) ; « À la seconde où je t’ai vu, j’ai compris que j’étais perdu d’avance et toi aussi ! » (Kévin à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 418)
Parfois, la peur se trouve expliquée par des actes. En effet, souvent, la violence et la maltraitance s’installent dans le couple homosexuel fictionnel : « Agathe et Lou s’aiment mais sont rongées par la violence de Lou au sein du couple. » (cf. le résumé du film « Agathe et Lou » (2013) de Noémie Fy, dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 68) ; « Ça me fait du mal de vous voir vous déchirer comme ça. » (Laurent Spielvogel imitant un vieux pote gay du sud s’adressant à lui par rapport à son couple raté avec son amant Marco qui lui est infidèle, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.
Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le protagoniste homo, frappe son client-amant dans une chambre d’hôtel alors qu’il lui avait fait croire au départ qu’il était un prostitué consentant. Dans le film « Ylan » (2008) de Bruno Rodriguez-Haney, Ylan a été jeté dehors par son copain. Dans la pièce La dernière danse (2011) d’Olivier Schmidt, Jack pointe le révolver sur son amant et l’embrasse une dernière fois, avant de retourne le révolver contre lui et de tirer.
Dans les créations homosexuelles, l’amour homosexuel est très souvent mis sous le signe de la trahison, de la vengeance, et parfois du meurtre : cf. le film « Honey Killer » (2013) d’Antony Hickling, le film « Love Kills » (2007) de Tor Iben, etc. Par exemple, dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Raúl maltraite Roberto, son jeune amant. Le roman Ann Vickers (1933) de Dorothy Thompson relate l’histoire d’une femme qui est conduite au suicide à cause de sa liaison avec une lesbienne cruelle et possessive. Dans le film « Ostia » (1970) de Sergio Citti, Rabbino tue son amant Bandiera. Dans le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, Mathias tire sur son copain Jean et le blesse. Dans la pièce El Vals De Los Buitres (1996) d’Hugo Argüelles, alors que Lionel a une attaque cardiaque, son amant le pousse par la fenêtre. Dans le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, Fritz Haarman tue ses amants. Même scénario dans le film « M le Maudit » (1931) de Fritz Lang. Dans la pièce Sud (1953) de Julien Green, le jeune lieutenant Ian Wiczewski se fait volontairement tuer en duel par l’homme qu’il aime, le jeune Marc Clure, qui le transperce de son sabre. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri tue son amant après lui avoir fait « l’amour ». Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Erika, par jalousie, tire un coup de revolver sur sa copine Héloïse. Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le héros homo fracasse à mort le crâne du mec qu’il vient d’embrasser sur la bouche dans un vestiaire de douches. Dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory, Scuder est l’homosexuel homophobe qui fait « chanter » son amant Maurice. Dans le roman Un Garçon près de la rivière (1948) de Gore Vidal, les amants vivent un amour orageux : Jim Willard tue son ami Bob. Dans le film « Él Y Él » (1980) d’Eduardo Manzanos, un jeune homme se réveille nu à côté d’un homme un lendemain de fêtes et décide de le tuer. Dans le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, Eugène est emprisonné pour tentative de meurtre sur son petit copain « Gégé », et Stéphane tue son amant Jean-Jacques avec un marteau. Dans le roman Parloir (2002) de Christian Giudicelli, David est poignardé par Kamel, le héros homosexuel. Dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, Pascal tire au fusil de chasse sur son amant Pierre. Dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le héros tue son amant Stan au revolver. Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, la lesbienne Valérie Seymour a noyé sa compagne Polinska dans une grotte bleue de Capri. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Gatal et son fiancé s’engueulent fort, et Gatal finit par le tuer en l’étouffant.
Non, vous ne rêvez pas ! Beaucoup d’amants homosexuels fictionnels s’entretuent sur nos écrans (y compris dans des films intentionnellement pro-gays et récents ! Un comble…) : « On vivait sur un bateau ivre. Puis la violence est arrivée. On se frappait. » (Florence en parlant de son couple avec Hélène, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Dieu, c’est trop terrible d’aimer ainsi… c’est l’enfer… il y a des moments où je ne puis plus le supporter ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 484) ; « Quand je suis avec une femme, je deviens une bête, un monstre. » (Florence la lesbienne dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Chacun tue l’objet de son amour. » (Oscar Wilde, Ballade de la geôle de Reading (1898), cité dans le Magazine littéraire, n°343, mai 1996, p. 17) ; « Chacun tue ce qu’il aime. » (Texor Textel dans le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb) ; « Je t’aime je t’admire je t’adore, je te tue. » (Alice à Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Je te tuerai si tu me le permets. […] Plus j’aime quelqu’un, plus j’ai envie de le tuer. » (Ada à son amante Cherry, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Moi, c’est parce que je t’aime que je veux te tuer. » (Cherry à Ada, idem) ; « ‘Moi chais même pas si je vais pleurer pour [ma rupture avec] Claude, minaude Polly [l’héroïne lesbienne parlant de son amante], elle a un égo qui me bouffe tellement la vie que parfois j’ai envie de la buter !’ Cody [le pote gay nord-américain] me demande ce que ‘buter’ veut dire, je réponds ‘faire l’amour avec tellement de force que les gens en meurent’. Il répond qu’il veut que Nourdine [l’objet de fantasme de Cody] le bute, ça me fait rire. » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 113) ; etc.
Souvent, le héros a des envies de meurtre par rapport à son amant… : « Je te pousserai de la falaise. » (Hervé Nahel) Dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, François rêve que son compagnon s’étouffe au hot-dog. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Stéphane conseille à son pote Vivien de mettre son « mari » Norbert au congélateur pour s’en débarrasser. Dans le film « Nettoyage à sec » (1997) d’Anne Fontaine, Jean-Marie se fait sodomiser par le beau et provoquant Loïc dans le sous-sol de son pressing, avant de lui coller le fer à repasser brûlant sur la figure et de le tuer en le jetant violemment par terre. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, est presque étranglé à mort par Dick, l’homme qu’il aime, sur un bateau. Cela s’achève en crime passionnel remporté par Tom.
Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, l’amour entre Omar et Khalid est à couteaux tirés. C’est la passion et la stratégie conquérante qui régissent leur relation. « Il est terrible, ce jeu, Khalid. Tu es impitoyable. » (Omar à Khalid, p. 111) ; « Je vais me venger de tout le mal que tu me fais. » (idem, p. 119) Les amants s’adulent et se méprisent dans un même mouvement de recherche de vie par procuration : « Le combat, pour de faux, pour de vrai, a repris. La transformation aussi. L’échange de prénoms. Un film de science-fiction marocain. » (idem, p. 140) Pour survivre, Omar finit par pousser mortellement Khalid, avec le consentement de ce dernier, dans un fleuve. « Ce qui allait suivre était justifié. Logique. C’est la loi, il y a toujours qu’un seul gagnant. Ce qui allait venir, c’était de l’amour. L’amour aveugle, sans dieu ni mère pour le protéger. C’était de la guerre. Sans paroles. En dehors du monde. Au tout début. Au-delà de moi. Au-delà de Khalid. À travers nous deux, le combat primitif, innocent, sauvage, libre, recommençait. » (Omar, idem, pp. 163-164)
Illustration d’Owen Freeman
Dans bien des créations homo-érotiques, les amants homosexuels se donnent la mort par strangulation (je vous renvoie au code « Coït homosexuel = viol » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas, le film « La Clé de verre » (1942) de Stuart Heisler, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le film « Voodoo Island » (1957) de Reginald Le Borg, le film « El Mar » (2000) d’Agusti Villaronga, le roman Querellede Brest (1947) de Jean Genet, le film « L’Étrangleur » (1970) de Paul Vecchiali (avec Marcel Gassouk), le film « L’Étrangleur de Boston » (1968) de Richard Fleischer, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec Madame Lucienne étranglée d’une seule main), le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, le film « L’Étrangleur » (1970) de Paul Vecchiali, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron ; etc. « Tu m’as étranglée. » (Joséphine à Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Adam introduisant son membre urino-reproducteur dans le derrière d’un canard tandis qu’il l’étranglait. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 88) ; « Cinq autres [hommes] s’emparèrent de l’albatros pour lui enfoncer une bouteille de bière dans l’anus tout en l’étranglant. » (idem, p. 139) ; « Je pourrais t’étrangler. » (Cherry à son amante Ada, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Aïe ! Aïe ! Aïe ! Vous m’étranglez ! » (Pédé se faisant enculer par le travesti M to F Fifi, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; etc. Dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, Wilma, le flic travelo M to F, aurait tué son amant par strangulation. Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, Luc essaie de noyer son amant Jean sous la douche, après l’amour. Dans le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, Rémi finit par étrangler son amant Steve. Dans la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell, Tania, l’héroïne lesbienne, est soupçonnée d’avoir étranglé Léa au judo.
Les liaisons dangereuses homosexuelles fictionnelles se choisissent souvent pour cadres le milieu de la drague homo classique ou bien le milieu de la prostitution. Par exemple, dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed, un homosexuel se paie les service d’un jeune homme marié qui se prostitue et se retourne contre lui. Dans le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia Cardoso, le héros transsexuel M to F, tue son amant en lui tirant dessus.
La violence dans le couple homosexuel ne vient pas tant des partenaires pris individuellement, que du couple et de l’acte homosexuels. Le héros, en même temps qu’il trouve en l’amant le sexe et la tendresse qui apaisent pour un temps ses besoins « naturels », se voit aussi fatalement inculpé par la sexuation gémellaire de son compagnon en tant qu’homosexuel (et oui : pour former un couple homosexuel, il faut être deux hommes, ou deux femmes, et agir homosexuellement !), et cela lui est parfois insupportable. Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Miguel est attiré autant que rebuté par Santiago, qui lui révèle son homosexualité (il ne supporte pas d’entendre de son compagnon qu’il a joui d’avoir été dominé par un homme pendant leur coït) : Santiago finira par se suicider. Dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, le copain de Michael ne veut pas que leur relation sexuelle soit rendue visible socialement, car il n’assume pas son copain ni sa propre homosexualité. Beaucoup de héros homosexuels s’auto-détruisent ou bien détruisent leur copain du fait de mal gérer les paradoxes du désir idolâtre (pour et contre lui-même) qu’est le désir homosexuel : cf. le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet.
c) Le paradoxe du libertin, à la fois ascétique et obsédé par le sexe, tout cela à cause de sa sincérité :
c) 1) Pseudo-ascèse :
Aussi bizarre que cela puisse paraître, les Valmont et Merteuil homosexuels des fictions, même s’ils agissent pour détruire et multiplient les conquêtes sexuelles, sont tellement obsédés par leur image (et donc leurs intentions), qu’ils veulent se persuader qu’ils sont encore purs et ascétiques après la débauche. Ils ont une réputation à parfaire ! « J’aime plusieurs personnes. Je ne parle pas de mon homosexualité mais de mon appétit sexuel… et je ne suis pas un libertin ! » (Larry, le héro homosexuel prônant l’infidélité alors qu’il est en couple avec Hank, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je ne coucherai jamais plus avec quelqu’un ! » (le jeune Danny après sa nuit de sexe homo ratée, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Le sexe est une véritable source d’emmerdements. » (Lola, l’héroïne lesbienne dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Je vous renvoie au film « Vices privés, vertus publiques » (1976) de Miklos Jancso, au film « Ascetic : Woman And Woman » (1976) de Kim Shu-hyeong, à la chanson « Sextonik » de Mylène Farmer, au roman Le Bal des Folles (1977) de Copi (ou Marilyn-Garbo est décrite comme « impénétrable », p. 52), etc.
Par exemple, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Luce, l’héroïne lesbienne, utilise l’amitié pour fuir sa vie, et s’appuie sur celle-ci pour justifier que l’amour serait platonique et asexué. « Tu ne baises jamais. » remarque sa pote lesbienne Eddie. Luce lui répond vertement : « J’ai des amis. Ça me suffit amplement. » Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, est présenté comme la sublime allégorie de « la frustration sexuelle sublimée ». Et en effet, son ascétisme, portée aux nues, n’est que le reflet de sa peur de lui-même : « Je dois peut-être m’initier au sexe où que ce soit. »
Ils sont en réalité des caricatures de continents. Des frustrés enchaînés à la luxure parce qu’ils diabolisent la frustration et ne la tolèrent pas de temps en temps, parce qu’ils sont terrorisés par la génitalité (même s’ils s’en goinfrent) : « Dans le fond, elle sent bien qu’elle est complètement inhibée avec le cul. » (Mike, le héros homo parlant de Polly son amie lesbienne, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 74) ; « Sur les marches qui mènent aux chiottes de la gare du Nord, je rencontre H. Il a un air triste, sa tête retenue sur ses deux mains emballées dans deux gros gants de ski, assis sur les marches. Je passe deux fois devant lui. Une première fois en allant aux pissotières. De l’ouverture à la fermeture de la gare, y a des hommes, de tous âges, de toutes origines qui se branlent lamentablement, debout, dans l’odeur de pisse et de foutre, en matant en coin les bites des autres. On dirait des puceaux, aussi fébriles que surexcités. Venir ici me désespère autant que ça me réjouit. » (Mike, le narrateur homo du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 59)
L’ascétisme est un fantasme fort chez le libertin homosexuel. « Je crois que je ne suis pas faite pour le mariage. » (Isabelle, l’héroïne bisexuelle du film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion) ; « C’est bien fini, tout ça. Les aventures. Les garçons. Je me demande si je suis fait pour la vie de couple. » (Vincent, le héros homosexuel, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc. Par exemple, dans le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian, Greta Garbo – la fameuse icône lesbienne – se prend pour la vierge et héroïque Marquise de Merteuil, qui n’aurait besoin de personne dans sa vie pour se suffire à elle-même : « Je mourrai célibataire ! » dit-elle dans un éclat de rire.
Surtout depuis les années 1970, le héros homosexuel a tendance ne pas se définir comme un homosexuel mais plutôt comme un homosensuel, un amoureux, un pur esprit artistique. Il n’aime pas dans le mot « homosexualité » le terme « sexualité » : il le trouve réducteur, trop génital, trop sale. Pour lui, dans l’amour homosexuel, seuls comptent les sentiments, la force de la passion, la tendresse, la sensation, la « douceur ». « Nous appartenons à la race d’Eros. » (le Coryphée dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) En revanche, il ne fait presque jamais allusion à ses actes. Il préfère montrer le visage du self control. « Je refuse d’être à la merci de mes émotions. » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) Le substantif « dragueur » ou le verbe « draguer » sont pour cette vierge effarouchée des gros mots ! « Je ne me souviens pas de t’avoir dragué. » (Denis s’adressant à son amant Luther, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Pourtant, j’ai pas du tout envie de coucher avec toi. […] Je me demande s’il faut baiser avec quelqu’un pour dormir avec. » (Michel s’adressant à son amant Franck dont il est pourtant amoureux, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; « Moi, je drague pas. » (Henry s’adressant à Franck qu’il aime en secret, idem) ; « Je suis désolé… Vous ne me connaissez pas… » (le beau Ian s’excusant d’adresser la parole au « déjà maqué » George, en lui proposant de sortir de la fête où ils se sont rencontrés, pour faire plus ample connaissance, dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs ; en plus, George lui dit qu’il est « un bourreau des cœurs » et donc se montre célibataire) ; etc.
Le libertin homosexuel ne supporte pas la vulgarité et la trivialité (qui sont bien souvent réductibles dans son esprit aux mots « coït », « couple » ou « mariage »). Même si, en actes, il est aussi enchaîné à ses pulsions que le « beauf », il s’évertue à faire de l’esthétisme sa caution morale, en se présentant comme un homme plus raffiné/cool que lesdits « raffinés » : « J’ai la faiblesse de penser que nos dialogues valent mieux que les conversations de salon. » (la figure de Proust à Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 165). Il joue la comédie de la surprise : « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 69) ; etc. Il feint de se surprendre lui-même, comme s’il n’avait rien maîtrisé de ses sentiments, comme s’il se retrouvait à poil devant son amant « par accident » ou « par la force de l’amour vainqueur » (genre « Je ne suis pas une fille facile ») : « J’ai pas l’habitude de coucher comme ça avec un inconnu… » (Matthieu, après avoir trompé son copain Jonathan alors qu’il l’idéalisait, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Il faut que tu saches que d’habitude, les choses vont moins vite. » (Romeo au lit avec Johnny, avec qui il a passé juste trois soirées, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc. Par exemple, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, le jeune Franz (20 ans) a suivi un inconnu de 15 ans de plus que lui, Léopold, qui l’a amené chez lui ; et là, il fait sa grande folle perdue pour ne pas assumer sa drague : « Je ne sais pas pourquoi je suis ici… Vous m’avez pris de court… » Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Larry est un vrai coureur, mais il trouve quand même le moyen de dire qu’« il n’est pas un libertin » et qu’il trompe son amant Hank de manière propre. Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, on nous montre que Antoine et Alexis, les deux personnages en couple homo chacun de leur côté, ont dormi ensemble mais séparément (Alexis dort sur le canapé)… comme pour nous prouver que leur histoire d’infidélité est chaste et ne serait pas que sexuelle (alors qu’à un autre moment du film, Antoine avoue quand même que leur relation, « c’est que pour le sexe. »). Le héros homosexuel (et spécialement celui dont la chair est faible) a la préciosité de dire que l’important, par-delà les corps, c’est quand même la beauté intérieure : « L’attirance, ce n’est pas seulement celle des corps. » (Stéphane, le romancier bobo enchaînant les aventures sexuelles avec les jeunes et jolis garçons, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson)
En général, cet hypocrite de compétition flatte sa proie amoureuse dont il veut s’attirer les faveurs, et qu’il rêve de « sauter » en lui faisant croire en son/leur exceptionnalité. « Putain mais tu crois pas qu’on vaut mieux que ça, franchement, se renifler le cul et baiser comme des chiens dans la rue et se barrer comme si on ne s’était jamais connu, avec l’odeur de l’autre sur la queue, sur le cul, sur la gueule, sur les mains. » (Mike s’adressant à « H. » qu’il rencontre sur un lieu de drague à la gare du Nord, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 60)
Dans le refus intellectuel du libertinage et le discours pro-ascèse du héros homosexuel, on voit apparaître un diabolisation de la sexualité dans son sens large, un dégoût pour la différence des sexes et la réalité de la sexuation, un déni de ses relations amoureuses et génitales, une homophobie latente : « Je n’ai pas cette nature qu’ont certains homosexuels, parmi ceux que j’ai rencontrés, de n’écouter que leurs instincts, quitte à briser l’union, parfois ancienne, de couples amis. » (le narrateur homosexuel – « queutard raffiné » – du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 94) ; « Et Adrien était là aussi [sur la Place Dauphine, lieu de prostitution]. Adrien faisait comme eux. Il était l’un d’eux. Il en éprouvait de la honte. Comment lui, le prêtre, pouvait-il être impliqué dans ce vil commerce des corps, côtoyer ces êtres en manque de chair, se mettre en chasse comme eux ? » (le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 27) ; « J’pratique le non-sexe. » (Alice dans le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré) ; « On s’en fout du sexe. » (Brad dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper) ; « Je suis surtout un petit être contrôlé qui se laisse rarement emporter par ses coups de cœur ou ses coups de tête. » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 32) ; « J’veux pas jouir. Je veux toujours me retenir. » (Anne Cadilhac, Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Mais n’allez pas penser que je m’enflamme toujours de la sorte pour le premier venu. » (la figure de Proust s’adressant à son amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 130) ; etc.
Il y a chez le libertin homosexuel un mépris des sentiments (Valmont et Merteuil, dans les Liaisons dangereuses, se rient justement de ceux qu’ils appellent « les sentimentaires », ceux qui ont la naïveté de croire en l’amour et de se laisser aller à leurs sentiments), parce qu’il en est justement trop dépendant, et qu’il est au fond un cœur d’artichaut déçu. C’est bien parce qu’il est romantique qu’il devient un vrai serial baiseur désinvolte : « Je dus lui dire au revoir, sans pouvoir la serrer dans mes bras ni lui confier les sentiments, assez ridicules d’ailleurs, que j’avais pour elle. » (Alexandra par rapport à sa cousine-amante avec qui elle a couchée, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 69) ; « Je sens en moi une poussée d’un romantisme assez pitoyable qui inspire tous les mots que j’écris et qui ferait fuir n’importe qui… » (idem, p. 76) ; « Je ne suis ni possessive ni jalouse en rien, c’est ma nature. » (idem, p. 97) ; « En rentrant, je retrouvai Marie à la cuisine. Elle me donna tout ce qu’elle pouvait de passion, mais j’ai bien senti, depuis l’autre nuit, qu’elle ne sait aimer qu’avec son cœur. Pour les émois du corps cela ne me suffira pas longtemps. » (idem, p. 206) ; « Il a très peu de gestes d’affection avec moi. Tous ces gestes qui font un peu pitié. » (Benjamin s’adressant à son psy par rapport à son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.
Pour le libertin homosexuel, aimer est une maladie, une attitude hystérique de fan : « Je veux sortir du lot, que Mathilde remarque mon amour d’elle, sobre, à l’opposé d’un comportement de fan exubérante. […] J’avais l’air ridicule de la guetter comme un vulgaire paparazzi. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 129) ; « Je me demandais si je n’étais pas folle d’éprouver de telles sensations, si les élans irrépressibles qui me poussaient n’étaient pas les manifestations d’une maladie. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 65) ; « C’est effrayant d’être attiré par le bonheur. » (Anthony, l’un des héros homosexuels du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc. Il surveille scrupuleusement ses accès de fanatisme : « Il fallait que je me prenne en main si je ne voulais pas devenir un de ces fanatiques névrosés qui poursuivent leur idole avec un acharnement maniaque et parfois dangereux. » (idem, p. 255) ; « J’danse pour me guérir d’aimer. » (cf. la chanson « Dans ma bulle antisismique » de Mélissa Mars) Il considère l’amour comme un terrible virus qu’il va pouvoir refiler à son compagnon pour tomber avec lui dans le précipice : « Je ne cesse de vous écrire dans ma tête. C’est comme une maladie, une douce maladie. Il y a des douleurs qu’on dit exquises. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 18) ; « J’aimerais tellement que vous soyez atteinte du même mal que moi ! » (idem, p. 72) ; « Ah, si seulement vous étiez malade de la même maladie que moi ! » (idem, p. 152) Être malade d’amour peut être pourtant chez lui un souhait caché : « Je me rendis compte que je n’avais pas pensé à Mathieu depuis presque 24h et, au lieu d’en être soulagé, j’eus peur. Guérir, oui, absolument, mais pas trop vite, quand même ! » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 178) ; « On se refile l’amour comme une épidémie. » (Mathan dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Me mange pas. Tu vas être malade. » (Shirley Souagnon se décrivant comme un « yaourt périmé » face aux hommes, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc.
Malgré l’enchaînement pathétique de ses conquêtes et de ses échecs amoureux, le personnage homosexuel libertin arrive encore à se trouver héroïque d’être de temps en temps patient, sobre et dans la retenue… le temps d’une soirée ou d’une première rencontre, quoi (« On n’a pas couché le premier soir [… juste le troisième] ») : « On était si bien finalement à se caresser tendrement la nuit durant, sans éprouver le besoin de pénétrer à tout prix. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 50) ; « Il [Simon] bande. J’embrasse son front, il s’endort. » (Mike, le narrateur homosexuel dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 33) ; etc. En théorie, il ne veut pas « du cul », lui : il veut juste des câlins. Il ne veut pas brusquer : il dit qu’il prendra son temps. Il ne veut pas dire « je t’aime » trop vite ni s’engager : ça, c’est bon pour les adolescents, les jaloux et les possessifs. Lui, il est dans la gratuité qui ressemble à une molle contemplation du vide.
Le libertin homosexuel s’oblige à ne pas faire étalage de sa fragilité quand il tombe amoureux. La défaillance est, pour lui, une terrible trahison à lui-même… et la monstration de la fausse retenue de sa défaillance une preuve de la vérité/victoire de ses pulsions ! : « Bien sûr, au début, elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] a tout essayé pour ne pas se laisser dominer par ses émotions. Elle, la dame de Bois-Rouge, l’héritière en titre d’un siècle d’industrie sucrière et d’humanisme chrétien, elle, dont la poigne de fer a su redresser l’exploitation en péril tout en prodiguant justice et bonté, jamais elle n’a toléré jouer les midinettes, les fleurs bleues. De la tenue, que diable ! De la pudeur et de la discrétion avant tout ! […] Et pourtant, voilà qu’aujourd’hui, arrivée à la fin de sa vie, ses beaux principes viennent de voler en éclats. […] Assaillie de pensées contradictoires, elle va comme à son habitude se verser un demi-verre de whisky. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), pp. 14-15) ; « Non, ellene se laissera pas ligoter au piège passionné de cette inconnue [Émilie, son amante] ! » (idem, p. 24) ; « C’est plus fort qu’elle, cette façon de couper court aux effusions pleurnichardes, de mentir à son cœur morfondu, de s’interdire tout amour. » (idem, pp. 42-43) ; « Cette impérieuse envie de fuguer qui la reprend à quatre-vingts ans. Grotesque ! » (idem, p. 77) ; « Faire court. Moins lyrique. Moins grandiloquent. Moins ridicule. Elle ne se pardonne pas les fadaises qu’elle lit sous sa plume. » (idem) ; « Elleen rougit encore. Comme du mot ‘amour’, qu’elle s’est si longtemps interdit de prononcer. » (idem, p. 126) ; « Devrais-je assumer le mot ‘amour’ et aujourd’hui, à plus de cinquante ans, me risquer à l’impudeur d’un exercice de sincérité dangereux ? » (Émilie à Gabrielle, idem, p. 147) ; etc.
Et je crois en effet que le désir homosexuel est un amour qui a honte de lui-même, de sa prétention à l’Amour et à la Vérité : « J’ai besoin d’avoir cette femme pour me sauver du ridicule d’en être amoureux. » (Valmont au sujet de Madame de Tourvel, dans la Lettre IV des Liaisons dangereuses (1782) de Pierre de Choderlos de Laclos)
c) 2) Le libertinage au nom des bonnes intentions :
La comédie de l’ascétisme et du raffinement ne dure généralement pas longtemps chez le libertin homosexuel fictionnel. Elle n’est qu’un vernis qu’il applique sur ses actions pour s’auto-persuader qu’il « agit mal mais quand même pas aussi mal que les autres ». « Fi de l’ascèse ! Ma vie s’enténèbre. Moi sans la langue, sans sexe je m’exsangue. » (cf. la chanson « L’amour n’est rien » de Mylène Farmer) ; « On n’est pas raisonnables, ni toi ni moi. […] On s’entend bien toi et moi dans un lit. On s’entend même mieux dans un lit qu’en dehors. » (Vincent ayant recouché avec son « ex » Stéphane pour une nuit, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Il faut bien connaître le sexe pour devenir ensuite anti-sexe. » (une réplique de la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche) ; « À cet instant, je compris que manature ‘romantique’ me porterait naturellement à toutes les cruautés et que, de toutes celles qui existaient, contrairement à ce que l’on pensait, elle était parmi les plus redoutables, puisqu’en exagérant tout de sentiments elle rendait l’être humain capable de passer du plus grand des attachements à la plus grande indifférence. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 50) ; « Évidemment, il prétend qu’il y va rarement, mais il passe sa vie dans des boîtes à cul. J’ai jamais rencontré de pédé aussi pudique sur sa pratique sexuelle. » (Polly, l’héroïne lesbienne par rapport à son meilleur ami homo Simon, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 28) ; etc. Je vous renvoie au film « Je suis une nymphomane » (1970) de Max Pécas, à la chanson « Nympho-man » de Catherine Lara, le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont (avec le châtelain précieux organisant des parties SM dans son manoir), etc.
Derrière l’ascétique Merteuil se cache la « bite sur pattes » de Valmont. Et inversement : derrière le gogo dancer se cache un grand idéaliste, un esthète qui se croit sobre et sincèrement aimant, un être sensible qui recherche la pureté dans la débauche. Le désir homosexuel fonctionne en dents de scie parce qu’il est écartelé entre intentions et Réalité. C’est pourquoi on retrouve dans les fictions certains personnages homosexuels qui oscillent schizophréniquement d’une vie monacale à une forte activité sexuelle, parfois même prostitutive. Par exemple, dans le film « Une chose très naturelle » (1973) de Christopher Larkin, David, le séminariste défroqué, finit par « se lâcher » sexuellement après une soi-disant « longue et coûteuse » ascèse. Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, le couple homosexuel composé de l’intellectuel (Jean-Marc) et du « queutard » (Luc) symbolise à lui seul le paradoxe du libertin. Dans le film « Little Lies » (2012) de Keith Adam Johnson, Phillip tombe amoureux d’un escort boy. Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, on nous fait croire que l’amour peut naître dans une backroom, à travers la monstration de la tristesse et la compassion du client (Rubén) face au prostitué (Eloy) qui se gâche. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, idem : les deux amants Paul et Erik s’auto-persuadent pendant 9 années de vie commune (souffrants et chaotiques) que le « plan cul » internet qui les a réunis initialement était « bien plus qu’un plan cul ». Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide sauve son amant qu’il trouve dans le monde de la prostitution dans lequel tous deux évoluent.
Le libertin homosexuel insiste beaucoup trop sur son « désir d’aimer » pour aimer véritablement en acte : « Je ne sais pas, fit Jason, en acceptant de croiser le regard de Mourad et de le soutenir. Je crois que je ne crois plus en rien. Et en même temps, je crois que j’ai envie de croire. […] J’ai envie de croire à l’amour, fit-il enfin, en essuyant ses joues d’un revers de main. » (Jason, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 357) ; « J’ai dans mon autre moi un désir d’aimer, comme un bouclier. » (cf. la chanson « Tous ces combats » de Mylène Farmer) ; etc.
Dans la démarche nostalgique du libertin homosexuel, on ne lit pas que de la mélancolie laconique, ou une contemplation morbide de soi, mais aussi un contentement narcissique et « optimiste », une sorte de « Malgré tout, j’ai aimé… » qui maintient despotiquement l’amant dans la carte postale : « J’ai rêvé qu’on pouvait s’aimer. » (cf. la chanson « Rêver » de Mylène Farmer) ; « On n’a pas couché ensemble. On a fait l’amour. […] J’ai pas couché avec Quentin. Je l’ai aimé. » (Jules en parlant de son histoire avec Quentin, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau)
Il y a dans l’amour homosexuel un paradoxe entre fond et forme, entre désir et acte, entre sincérité et Vérité, qu’on peut observer dans la société toute entière avec les « injonctions paradoxales », énoncées par exemple dans les publicités ou les slogans politiques (« Il est interdit d’interdire ! » ; « Silence !!! » ; « Sois tolérant ! », etc.). Par exemple, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Álvaro dit « Je t’aime » à Octavia tout en la passant à tabac.
La stratégie du libertin se veut anti-stratégique, d’un naturel pur et irréprochable. Le Valmont homosexuel vante les mérites de la sincérité (et tous ses dérivés : la franchise, le naturel, l’honnêteté, la spiritualité, l’art, le sentiment, la mélancolie…) : « Il n’y a pas de règles du jeu. Ce que nous vivons, c’est une aventure. » (Billy dans le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver) ; « Je m’apprête à passer des formidables vacances à Rome, j’accepte même de jouer le romantisme indispensable dans cette vieille ville entre deux coïts rapides dans un coin sombre […]» (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 22) ; « Je suis entrée en amour comme d’autres rentrent en religion. » (la voix narrative dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Il y a au fond de lui, comme au fond de tout mystique manqué, une nostalgie de la débauche. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 169) ; « Nicolas allait en boîte comme on va à la messe. […] À 20 ans, infatigable, il traversa dans la débauche un moment de grâce. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 34) ; « Cette nuit, je suis allé dans un lieu dont je n’ose même pas vous parler… eh bien bizarrement, j’ai l’impression qu’Il [Dieu] était là aussi. Comme si aucun lieu ne Lui échappait ! » (Malcolm dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, pp. 120-121) ; « Chui quelqu’un de romantique, de sentimental. » (Fabien Tucci, homosexuel, juste au moment d’avoir un « plan cul » avec son meilleur ami Momo, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « J’ai rencontré le Grand Amour. Comme dans les contes de fée. On s’est trouvés dans un plan à trois. Le coup de foudre. Il m’a fait un vrai festival de Cannes » (idem) ; etc. Par exemple, dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel, le « queutard », se la joue de temps en temps esthète mélomane, nous offrant à l’écran ses rares moments de gratuité et de désert comme des preuves qu’il est quand même, au fond, quelqu’un de profond. En réalité, cette comédie n’a rien d’un repentir ; elle tient davantage du langage du remord orgueilleux qui n’a pas conscience de lui-même et qui s’esthétise narcissiquement que du changement effectif de comportement.
Le libertin homosexuel fictionnel ne supporte pas une chose : c’est qu’on doute de sa SINCÉRITÉ. « Mais nous nous aimons, tout ce que nous avons fait est par amour ! » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977), p. 147) ; « La sincérité est inévitable. » (Madame Garbo dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1998) de Copi) ; « Il me faudra toute une vie pour te prouver ma sincérité. » (Ben à son amant George dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs) ; « Il y a le risque que cette fougue te paraisse insincère, que tu me prennes pour quelqu’un qui se précipite. » (Chris s’adressant à son amant Ernest, dans le roman La Synthèse du Camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 85) ; « C’est la première fois que je mens pas à un mec, en plus. » (Mike, le narrateur homosexuel parlant de sa liaison avec Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « De toute façon avec toi, on ne sait jamais quand tu es sincère et quand tu ne l’es pas, non mais c’est vrai, tu mens tout le temps, à la fin on sait même pas quand tu dis la vérité. Même Léo, qu’est-ce que tu crois, j’ai dû lui expliquer que tu étais Foucaldien, que tu te réinventais sans cesse pour qu’il ne soit pas choqué le jour où il te connaîtrait mieux et où, en deux minutes, il te verrait changer de discours en deux secondes. » (Polly, l’héroïne lesbienne s’adressant à son pote gay Mike, op. cit., p. 119) ; etc. Il rêverait qu’elle maquille parfaitement ses pulsions les plus animales et désordonnées. Cela le met dans une colère noire que sa sincérité puisse le trahir.
Inconsciemment, il se rend compte que la sincérité, si elle n’est pas suivie des actes, est l’instrument d’un enfer humain pavé de bonnes intentions. « Au fait, qu’aimait-elle en moi ? Je perçois bien la sincérité, sinon de sa tendresse, au moins de son désir, et je crains – oui, déjà, je crains – que ce désir seul l’anime. » (Colette, Claudine en ménage (1946), pp. 147-149)
Il y a chez le libertin homosexuel un mépris des sentiments, parce qu’il en est justement trop dépendant, et qu’il est au fond un cœur d’artichaut déçu. « Nicolas songeait que les histoires d’amour n’étaient que mythologie pour midinettes. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 124) Par exemple, dans le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, Lionel vit à travers ses livres, alors que paradoxalement, il dit que la croyance au « Grand Amour » est absurde parce qu’elle ne serait que « de la littérature ». C’est bien parce qu’il est romantique que le héros homosexuel devient un vrai serial baiseur : « Même si on ne voyait pas tellement plus loin que le bout de notre queue, on était au fond très romantiques. » (Michael, le héros homosexuel du roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 41) ; « J’suis un grand romantique… J’attends le prince charmant… » (le protagoniste s’adressant à son partenaire sexuel attaché sur le sling et à qui il fait un fist dans une backroom, dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte) ; « William demandait dans son testament qu’on diffuse la chanson ‘Ah si j’étais un homme, je serais romantique’. » (Liz à propos de Willie « le queutard », dans le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 294) ; etc.
Le libertin homosexuel connaît intellectuellement les pièges dans lesquels il tombe : « Il n’y a que dans les films que l’on rencontre la femme de sa vie dans un train. » (la voix narrative lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 26) Il se protège de son côté fleur bleue pour y retomber inconsciemment : « Je suis d’un romantisme à faire peur. Je me donne des airs de brute épaisse alors que je n’aspire qu’à une rencontre digne d’un Harlequin. » (idem, p. 81) Bercé par son désir d’aimer et sa sincérité, il décide de se rendre imbuvable avec ses amants successifs (instruments expiatoires impuissants de son auto-vengeance !), ou bien de faire n’importe quoi sexuellement, en croyant que sa sincérité « exceptionnelle » va le sauver in extremis : « Alors je deviens odieuse. Je chipote, j’ergote, je pinaille, sans motif valable. Je plaide d’emblée coupable et sollicite la sanction. » (idem, p. 6) En somme, il veut se briser en sa révolte.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Le roman de Choderlos de Laclos inspire beaucoup la communauté homosexuelle :
Cela peut surprendre. Mais dans les faits, le roman Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos est un classique de la littérature homosexuelle, même s’il ne parle pas explicitement d’homosexualité. Par exemple, en 1988, le réalisateur britannique homosexuel Stephen Frears a adapté au cinéma le roman LesLiaisons dangereuses (la fameuse version avec Glenn Close et John Malkovich). Ce n’est pas un hasard si une des plus grandes scènes de travestissement que l’on trouve dans le trio comique des Inconnus soit le sketch des Liaisons vachement dangereuses à la sauce Jean-Claude Vandamme…). Par ailleurs, le chanteur gay Michal (de la Star Academy 3) confesse que l’œuvre de Laclos est son livre de chevet. Autrement, « Liaisons dangereuses » est le titre d’un des chapitres de l’essai L’Homosexualité au cinéma (2007) de Didier Roth-Bettoni (p. 421). Le roman Les Amies d’Héloïse (1990) d’Hélène de Monferrand se veut volontairement une réécriture des Liaisons dangereuses de Laclos. Sinon, dans le générique du film « Bulldog In The Whitehouse » (« Bulldog à la Maison Blanche », 2008), il est signalé en générique d’entrée par le réalisateur Todd Verow que l’intrigue est un remake exact des Liaisons dangereuses, mais à la sauce gay.
Rudolph Valentino
J’ai pu constater que beaucoup de personnes homosexuelles (en général celles qui sont dandys ou au contraire bobos) aiment reconstituer des ambiances libertines dix-huitièmistes : cf. le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » de Cassandre, le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Walking On Broken Glass » d’Annie Lennox, le vidéo-clip de la chanson « What A Girl Wants » de Christina Aguilera, la chorégraphie de la chanson « Vogue » de Madonna au MTV Music Awards en 1990, Annie Lennox en grande Marquise de Merteuil sur son navire fantôme pendant la cérémonie de clôture des J.O. de Londres le 12 août 2012, etc. Par exemple, lors de l’avant-première du film argentin « Plan B » (2010) de Marco Berger au cinéma des Halles de Paris, le 27 juillet 2010, les programmateurs nous annoncent avant la projection que ce film se situe « entre les Liaisons dangereuses et un film de Rohmer ». Dans mon cas personnel, quand je me trouvais encore dans la ville de Rennes, en 2005, j’ai assisté à un raffiné « Dîner Grand Siècle » organisé par le groupe rennais David et Jonathan (avec chandeliers, belles chemises blanches, petits plats dans les grands, et tout le tintouin).
Et par ailleurs, si on regarde les comportements relationnels dans les lieux d’homosociabilité, dans les cercles relationnels homosexuels (si rarement amicaux !), où il ne fait pas bon vivre tellement la drague biaise énormément les rapports, on trouve régulièrement cette ambiance de médisance – on dira « langues de pute » ou « briseuses de couple » – qui rappelle les rituels cruels de courtisans poudrés (cf. la caricature Les artistes pédérastes (1880) d’Heidbrinck).
Dans la pièce-biopic Pour l’amour de Simone (2017) d’Anne-Marie Philipe, il est montré le partage malsain (épistolaire) entre Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui commentent leurs histoires d’« amour » extra-conjugales (y compris homosexuelles) et qui mettent en place leur « théorie des amours contingentes ». Sartre et Beauvoir ont tout des anciens amants Valmont/Merteuil qui jouent, par le libertinage et la pleurnicherie bovaryste, à s’aimer encore. On retrouve chez Simone de Beauvoir ce goût pour la conquête séductrice et ce mépris ascétique et sentimentaliste pour les sentiments : « Pourquoi m’interdirais-je cette sotte sentimentalité ? ». À un moment, elle se moque des attitudes de vierges effarouchées de ses amantes.
Ce n’est pas un hasard que les Liaisons dangereuses et le monde homosexuel se rapprochent étant donné que le donjuanisme mondain appelle de soi au narcissisme à deux (… voire à quatre). D’ailleurs, certains penseurs attribuent parfois une homosexualité latente à la Marquise de Merteuil (vis à vis de Cécile de Volanges) et à Vicomte de Valmont (avec son rival, le chevalier Danceny), ou bien comparent leurs personnages de fiction à ces derniers.
Beaucoup trouvent cette présomption d’homosexualité abusive et « homosexuellement centrée ». Par exemple, dans son essai Queer Critics (2002), François Cusset récuse chez les universitaires de la Queer Theory leur lecture récupératrice et homosexualisante de l’œuvre de Laclos, « leur triangle favori, qu’organiseraient en fait Les Liaisons dangereuses, d’une part le désir de Valmont pour le ferme fessier de son concurrent Danceny, et d’autre part celui de la Merteuil pour la rosée intime de sa petite Volanges » (p. 94). Pourtant, en dehors de toutes considérations essentialistes ou justificatrices d’un amour homosexuel, du point de vue seulement symbolique, cette interprétation n’est pas insensée. La Marquise de Merteuil est décrite non sans raison par Dominique Grisoni comme la « femme macho » (cf. l’article « Le XXe siècle, les preuves des corps » de Dominique Grisoni, dans l’essai La première fois… ou le roman de la virginité perdue à travers les siècles et les continents (1981) de Gilbert Tordjman, p. 70) ; et Valmont a tout de l’homme-mauviette, du Don Juan misogyne et fou de la femme-objet en même temps, du courtisan qui mourra d’avoir voulu plaire à tout le monde et de ne pas avoir su s’engager avec la femme qu’il aime.
À mon avis, il ne faudrait pas juger aussi sévèrement l’empressement de certaines personnes homosexuelles à « homosexualiser » les héros des Liaisons dangereuses, car il ne me paraît pas si abusif ni insensé que cela. Cette identification dit inconsciemment la complexité et la violence du désir homosexuel. Elle est à entendre dans son sens désirant. En effet, je crois que toute personne homosexuelle a un Valmont et une Merteuil dans sa famille (je vous renvoie aux codes « Quatuor » et « Femme et homme en statues de cire » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), est le fruit d’un désamour – voire d’un viol – entre les sexes : « ‘Qui sont tes parents ?’ À 10 ans, j’aurais répondu avec le plus grand sérieux, sans malice, j’aurais répondu mon père est un poète et ma mère est folle. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 151)
b) Le couple homosexuel est explosif, compliqué, et s’organise sous forme de rapport de forces destructeur : beaucoup de personnes homosexuelles appliquent les stratégies de l’accès à l’amour par le mal
La transposition de la structure conjugale homosexuelle sur les Liaisons dangereuses traduit bien l’animosité qui existe dans beaucoup de couples homosexuels réels. Et même dans le « milieu homo ». Par exemple, lors de l’émission On n’est pas couchés de Laurent Ruquier diffusée le 20 octobre 2018 sur la chaîne France 2, le quatuor homosexuel Muriel Robin, Marc-Olivier Fogiel (les deux premiers, lesbien et gay, font une coalition « pro-GPA pour les homos »), Laurent Ruquier et Charles Consigny, s’est écharpé autour de la GPA (Gestation Pour Autrui). La scène est d’une violence homophobe gay friendly difficilement soutenable.
Mais revenons aux couples homosexuels. En général, l’amour homosexuel n’est pas un amour évident, serein, plein, apaisant. C’est même le début des ennuis. Beaucoup de personnes homosexuelles l’avouent d’un air pincé, même si ce n’est pas publicitaire : « Les histoires d’amour gays ne sont pas souvent simples. » (Franck Cnuddle dans l’émission Plus vite que la musique spécial Gay Pride, sur la chaîne M6, 2001) ; « Pour le meilleur et pour le pire. » (Voix-off parlant du « couple » Pierre et Bertrand, dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; etc.
Que ce soit lors de la découverte du désir homosexuel, ou bien dans les premiers instants qui suivent l’émoi amoureux, ou même encore pendant les premiers mois de vie de couple, les complications et les vicissitudes de l’homosexualité apparaissent de manière manifeste : « Depuis que je sors avec des garçons, je parviens de plus en plus mal à contrôler mes émotions. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 161) ; « Depuis bientôt deux semaines, je passe mes journées à envoyer des textos à un garçon qui ne peut pas y répondre. Je suis ridicule. Je suis malvenu. Je suis fou d’amour. Ça fait une éternité que je n’étais pas tombé amoureux. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 96) ; « Celui qui est amoureux à la manière romantique connaît l’expérience de la folie. Or, à ce fou-là, aucun mot moderne n’est aujourd’hui donné, et c’est finalement en cela qu’il se sent fou : aucun langage à voler. » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 87) ; « Des emballements sentimentaux, oui. Une manière très adolescente, et sans doute passablement encombrante, de poursuivre les femmes pour lesquelles elle s’enflammait, assurément. Au point de les faire fuir. […] Certainement très peu de désir. Sauf celui d’aimer. » (Josyane Savigneau parlant de l’écrivaine lesbienne Carson McCullers, dans sa biographie Carson McCullers (1995), p. 99) ; « Pas un jour, tout au long de cette époque, je n’eus de remords ni de soucis. J’étais jeune, j’avais à mes pieds des êtres tout-puissants, riches et auxquels je prodiguais plus d’espoirs que de faveurs. J’agissais instinctivement en courtisane. Chez moi, dans l’appartement que me louait mon ami, du côté de Neuilly, j’organisais de nombreuses réceptions pour me ménager de nouvelles relations : les aventures sentimentales sont, la plupart du temps, de courte durée chez les homosexuels. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 84) ; « Tu es l’homme le plus compliqué de la terre, tu le sais bien. » (Laurent s’adressant à son amant André, avec qui il a vécu pendant 10 ans, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.
Confondant la passion ou la pulsion (« Éros ») avec l’Amour vrai (à savoir la conjonction de l’amour physique « Éros » + de l’amour familial « Storgê » + de l’amour amical « Philia » + de l’amour spirituel et inconditionnel « Agapè »), beaucoup de personnes homosexuelles adoptent fatalement une conception totalitaire et chimique de l’amour. Selon elles, l’Amour s’impose à l’individu de manière naturelle et violente (cf. la croyance au coup de foudre), sans qu’on ne puisse rien maîtriser : « À soixante ans révolus, je ne sais toujours pas grand-chose de l’amour. Je sais seulement qu’il peut fondre sur moi au moment où je m’y attends le moins. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 112)
J’ai remarqué (sans m’exclure en aucune façon du tableau) que le désir homosexuel a tendance à fragiliser les personnes et à les métamorphoser en individus compliqués dès qu’elles pratiquent les actes homosexuels (je vous renvoie au code « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Parfois, la personne homosexuelle ne sait que faire de son compagnon (ou de sa compagne) quand celui-ci/celle-ci adopte un état affectif instable/bipolaire à son contact. Par exemple Vita Sackville-West sentait que Virginia Woolf devenait une « boule de sensibilité » hystérique qui s’attachait à elle de manière malsaine et excessive (cf. l’article « Vivre à travers une femme » de Diane de Margerie, dans le Magazine littéraire, n°275, mars 1990, p. 36). Dans son autobiographie Parce que c’était lui (2005), Roger Stéphane définit sa vie de couple avec Jean-Jacques Rinieri comme « brillante, mondaine, amoureusement agitée » (p. 31). La relation de couple de Benjamin Britten et de son compagnon Peter Pears passait « du désespoir le plus noir aux hystéries de joie » (cf. l’article « Apuntes biográficos » de Benjamin Britten sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Sur le plateau-télé de l’émission « Vie privée, Vie publique » (2007) de Mireille Dumas, le chanteur Dave et son compagnon Patrick Loiseau, en couple depuis des années, n’arrêtent pas de se disputer pour un rien : « Ce qui n’est pas normal, c’est qu’on soit encore ensemble… » ironise Patrick ; il rajoute à propos de son drôle de couple : « On est souvent dans le conflit. » Dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy diffusé dans l’émission Tel Quel sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012, Charlotte et Marion s’engueulent souvent devant les caméras, même si elles veulent donner une image positive de leur couple ; Charlotte dit qu’elle ne supporte pas que Marion dirige sa vie : « Mais laisse-moi ! T’es chiante !! » Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Bernard et Jacques, vivant en couple depuis quelques années, passent leur temps à se chamailler dans la cuisine et à se comparer. Ils se donnent des ordres l’un à l’autre, et Bernard manipule Jacques comme il veut. Toujours dans le même reportage, Thérèse, une femme lesbienne de 70 ans, raconte qu’elle a vécu une « passion » avec Emmanuelle, de 27 ans sa benjamine, passion destructrice dans laquelle Thérèse avoue avoir été excessive.
Ce qui est bizarre dans l’amour homosexuel, c’est qu’il ressemble à un mélange de sentiments antinomiques. « Je l’aimais par haine. » (Jean Genet cité la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 147) Dans son essai L’Amour qui ose dire son nom (2001), Dominique Fernandez parle d’un « amour-haine », d’un « amour maudit » (p. 135). Dans son fameux Tristes Tropiques (1956), Claude Lévi-Strauss nous rappelle que les Indiens Nambikwara surnomment poétiquement l’amour homosexuel « l’amour-mensonge ».
On dirait que les deux partenaires du couple homosexuel ne semblent pas assez mal pour se séparer, et pas assez bien pour rester ensemble. Mais comme chacun d’eux n’a pas la force de briser sa croyance en la supposée « beauté de l’amour homosexuel », il fait alors intervenir le mensonge et la terreur (on l’appelle aussi jalousie) pour que sa tour d’amour tienne coûte que coûte, pour colmater les brèches. La rigidité et l’inconstance deviennent les ciments fragiles d’un désir homosexuel qui n’est fondé ni sur le Réel ni sur l’Amour simple et pacifié. Bien souvent, le couple homosexuel ressemble à un bras de fer (je vous renvoie à cet article sur la violence dans les unions homos, au code « Adeptes des pratiques SM » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), une danse où les partenaires ne se laissent pas bien guider et conduire. « On se disputait tout le temps la dernière année. » (André s’adressant à son amant Laurent, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Son attitude était tellement bizarre qu’elle m’attirait mais, en même temps, elle commençait à me faire peur, et je ne tenais pas à rester seule avec elle. » (Laura, 34 ans, en parlant de sa compagne Laurence, 40 ans, dans le recueil de témoignages Le Livre des rencontres (2002) réunis par Michel Field et Julie Cléau, p. 227) ; « Dans le rapport homosexuel, il va y avoir un rapport de forces qui va s’établir… un rapport de forces qu’il faut essayer d’éviter. Mais entre deux hommes ou entre deux femmes, à cause du conditionnement qui nous entoure, il y a un rapport d’autorité, de domination, de possession qui essaie de s’exercer. Et c’est là qu’il faut suffisamment d’amour pour éviter ce rapport de possesseur à possédé. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « Mes amours étaient ce rayon de soleil. Elles étaient idéalisées à l’extrême. Elles ressemblaient à ses passions soudaines que l’on éprouve dans l’enfance, violentes et sans lendemain. Carpe Diem. […] Mais trop souvent, mes désirs se sont heurtés au mur apparemment inaltérable de la volonté d’autrui. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 72) ; « Chaque nuit d’amour était une revanche qui se suffisait à elle-même. La jouissance de mon amante me vengeait de celles et ceux qui n’avaient joui de moi qu’à mon insu. » (idem, p. 73) ; « J’étais effrayée par le plaisir des femmes que j’aimais. Je craignais toujours de ne pas les voir revenir de ces contrées sauvages où je ne les accompagnais pas. Et quand elles en revenaient, mystérieuses, je n’étais jamais certaine qu’elles n’allaient pas fondre sur moi comme des rapaces sur leur proie à la première minute d’inattention. Je me disais que trop d’amour pouvait les rendre folles et pas assez, inaccessibles. Alors je louvoyais entre mon désir d’elles et mon envie de fuir. J’avais l’amour possessif, tyrannique, même. Puis je disparaissais au moindre reproche. Le plus petit malentendu me rejetait dans ma solitude sans fond. » (idem, p.73) ; « Je n’ai plus de temps à consacrer à mes amours. Ce que je veux, c’est du sexe. Non, je ne dis pas cela, elle n’aimerait pas, je lui dis : – Se rencontrer de temps en temps et passer d’agréables moments. – Il n’y a pas de passion entre nous, constate-t-elle, déçue. Je lui réponds que ce n’est pas ce que je recherche. » (idem, p. 174) ; « Je ne suis pas loin de croire que je n’ai aimé G. que ‘pour ça’. » (idem, p. 184) ; « Il y a, trop profondément ancré en moi, le plaisir de la soumission. » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 118) ; « Ce génie pour la découverte de formes absurdes, tragi-comiques de l’art théâtral fonctionnait comme une sorte de baume qui cicatrisait les blessures causées par ces rencontres violentes. » (Alfredo Arias parlant de l’homme transsexuel M to F Coco, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 16) ; « Quand je suis avec ma copine, je suis à la fois heureuse et inquiète. » (Amina, jeune femme de 20 ans, lesbienne, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; « C’est dans un contexte de rivalité aiguë qu’apparaît l’homosexualité. » (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), p. 469) ; etc. « Pour le psychanalyste Alfred Adler, la tendance à la dépréciation du partenaire, généralement normal, ne manque jamais. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 197)
Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), le romancier Abdellah Taïa associe directement l’amour homosexuel à la possession et à la jalousie : « Je sais que l’amour est une chose qui nous dépasse. Je sais que l’amour est jalousie. Maladie. Je l’ai lu dans les livres. » (p. 116) ; « Slimane est la jalousie même. » (Taïa parlant de son compagnon, idem, p. 106)
Quand on regarde par exemple le « couple » d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé, on est vite frappé de constater sa violence, et le rapport de domination/soumission est minutieusement réglé : « Entre Yves et moi, les rôles ont toujours été bien définis, dans tous les domaines, y compris sexuel. Personne n’est rentré dans le domaine de l’autre. » (Pierre Bergé dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton). D’ailleurs, Betty Catroux, une amie proche des deux hommes, déclare que c’était un couple « avec beaucoup de drames, d’histoires, énormément théâtrale ». Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on voit d’ailleurs de grandes engueulades, avec Yves qui balance des statues à la gueule de Pierre (« Espèce de raté ! T’es un parasite ! ») parce qu’il en a assez de la main mise de Pierre sur lui. Et c’est sûr que Pierre a l’air de le mener à la baguette, de l’humilier (pendant certaines interviews, il lui coupe la parole : « Si c’est pour dire des conneries pareilles… »), d’agir comme un « nerveux » (« T’aboies tout le temps. » lui reproche notamment Victoire).
L’amour homosexuel est une liaison dangereuse car il peut aller jusqu’au meurtre et au viol : « On aime pour détruire et on détruit pour aimer. Alors ce n’est qu’en détruisant ce qu’on aime que l’amour renaît plus pur. » (Luis Cernuda cité dans la biographie Luis Cernuda En Su Sombra (2003) d’Armando López Castro, p. 44) ; « Lorsqu’un homosexuel passif éprouve le besoin de tuer celui auquel il s’est précédemment offert, c’est là une manifestation double de ses sentiments invertis. […] Chez certains invertis, dont les aventures sont purement sexuelles, se produit très souvent ce renversement de sentiments : la soumission fait place à la haine ; une apparence de jeu cache une rivalité : c’est à qui dominera l’autre – le châtrera. Le fameux crime du cabaret Le Poisson d’Or, survenu à Montmartre avant la guerre, en est un exemple classique : un pédéraste, jusqu’alors passif, tua son partenaire et lui tranchera le verge. Quoique ces rôles d’activité et de sa passivité se renversent fréquemment chez les invertis de sexe mâle, il n’en reste pas moins dans chaque acte la naissance de la haine qui se résout souvent par le crime. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 260) ; « Ils se sont rapprochés de moi en se masturbant. J’étais allongé sur le dos au milieu du lit bleu. J’ai fermé les yeux et j’ai essayé de m’imaginer encore une fois à la piscine, l’eau, le chlore, le plongeoir, la paix, le luxe. Un rêve impossible à l’époque. Je nageais mais dans la peur. Je tremblais, à l’intérieur. Je ne voyais plus les garçons sauvages mais je les sentais venir, se rapprocher de mon corps, le renifler et le lécher. Dans un instant le violenter, l’un après l’autre le saigner. Le marquer. Lui retirer une de ses dernières fiertés. Le briser. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 25) ; « Très vite ses crises reprirent et empirèrent, alimentées sans cesse par mes multiples activités donnant prise à sa jalousie maladive. Il en arrivait à menacer mes parents. […] La nuit, dans l’intimité, il laissait toujours son revolver bien en évidence. Je le priais de le ranger, mais il me répondait : ‘C’est pour que tu te rappelles qui je suis.’ Notre relation devenait invivable. » (Denis Daniel à propos d’un de ses amants, dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 98) ; « Le couple commençait à se chamailler : des regards, des non-dits qui en disaient long ! Pierre était de plus en plus nerveux. Quant à Saïd, il était de plus en plus triste. » (idem, p. 110) ; « Autre effacement : l’histoire officielle, en vigueur encore aujourd’hui dans la plupart des livres d’histoire, nous dit que l’attentat du 7 novembre 1938 qui a coûté la vie au secrétaire de l’ambassade allemande à Paris, vom Rath, a été commis par un jeune Juif, Herschel Grynszpan, qui voulait venger le sort cruel qui était fait à sa famille en Allemagne sous la férule nazie. Cet attentat d’un juif contre un fonctionnaire allemand allait servir de prétexte aux persécutions de la ‘Nuit de cristal’. Or, on sait maintenant, au moins depuis quarante ans, par les confidences d’André Gide à Maria Van Rysselberghe, qu’il s’agissait en fait d’un crime homosexuel, Rath et Grynszpan étant amants, après s’être rencontrés dans les cruising bars de Pigalle que fréquentait le même Gide. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 20) ; etc.
La dangereuse Lorelei dans le film « Kaboom » de Gregg Araki
Le cortège des couples homosexuels qui s’entretuent et se maltraitent est ahurissant (et la liste n’est pas exhaustive ! Je ne peux citer que les cas connus et que quelques statistiques : selon l’association AGIR, 11% des hommes gays et des femmes lesbiennes et 20% des personnes bisexuels, ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale au cours de l’année 2013). Par exemple, Alfred Douglas a exercé l’outing et le chantage sur son amant Oscar Wilde. Kenneth Halliwell tue son amant Joe Orton après 14 ans de vie commune, puis se suicide. Alain Pacadis, qui avait tenté de se suicider en 1982, meurt étranglé, le 11 décembre 1986, par son compagnon, âgé de 20 ans, qui voulait, dira-t-il à la police, le « délivrer de son désespoir ». Jean-Claude Poulet-Dachary, homosexuel et chef de cabinet du nouveau maire Front-National de Toulon, est assassiné le 29 août 1995 ; le FN local y voit un crime politique ; on découvre en 1999 que l’assassin n’était autre qu’un ancien amant. L’assassinat de Jean Sénac est autant un crime politique qu’un crime passionnel : Sénac a laissé entrer son assassin chez lui car il le connaissait (cf. le documentaire « Jean Sénac, le forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika) : c’était l’un de ses amants. En 1949, à Madrid, un homme homosexuel nommé « La Eva » tue son jeune amant qui refuse ses avances (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 73). La nuit du 29 mai 1998, toujours en Espagne, une femme, Carmen, demande à sa compagne Isabel de la tuer (idem, p. 291). En juillet 1873, à Bruxelles, Paul Verlaine tire au revolver sur Arthur Rimbaud et le blesse. Dans le documentaire « The Execution Of Wanda Jean » (2002) de Liz Garbus, la femme lesbienne Wanda Jean est condamnée à mort et exécutée en 2001 pour avoir tué son amie. Dans les années 1960, Pierre Meyer est retrouvé mort entièrement nu dans une chambre d’hôtel à Rouen : lui et un camarade se livraient à des ébats sexuels lorsqu’il succomba à une overdose. Le roman L’Increvable Monsieur Schneck (2007) de Colombe Schneck (racontant qu’un homme a découpé en plusieurs morceaux son amant et l’a trimballé dans différentes valises à travers la France) est basée sur des faits réels. Je vous renvoie bien sûr aux codes « Coït homosexuel = viol », « Violeur homosexuel », et « Homosexuel homophobe », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
Dans son essai Le Deuxième Sexe (1949), Simone de Beauvoir rappelle les « violences inouïes » qu’exercent les amantes lesbiennes entre elles : « Les femmes entre elles sont impitoyables. […] Entre deux amies, il y a surenchère de larmes et de convulsions. » Je voudrais également faire mention du phénomène accru de la violence conjugale entre filles dans les couples lesbiens, car elle est bien plus courante qu’on ne l’imagine.
Certains défenseurs invétérés de l’amour homosexuel me diront certainement que je généralise trop, que je noircis le tableau, que le type de relations que je dépeins correspond aux couples typiques du Marais ou aux « exceptions d’homosexuels », et non aux couples homosexuels « durables et heureux » classiques. Alors je persiste et signe en affirmant que le fonctionnement dangereux du désir homosexuel touche universellement tous les couples homosexuels que j’ai rencontrés jusqu’à maintenant, y compris les unions « clean et durables ». Et jusqu’à ce jour, je n’ai jamais vu de couple d’amis qui m’a fait positivement changé d’avis, même s’il y a assurément des unions homos qui se débrouillent mieux que d’autres (et parfois même mieux que des couples femme-homme).
c) Le paradoxe du libertin, à la fois ascétique et obsédé par le sexe, tout cela à cause de sa sincérité :
c) 1) Pseudo-ascèse :
Aussi bizarre que cela puisse paraître, les personnes homosexuelles qui s’identifient (inconsciemment ?) au Vicomte de Valmont et à la Marquise de Merteuil, même si elles agissent pour détruire et multiplient les conquêtes sexuelles, sont tellement obsédées par leur image (et donc leurs intentions), qu’elles ont tendance à se persuader qu’elles sont encore pures et ascétiques après la débauche. Elles ont une réputation à parfaire ! des illusions d’amour à sauver, ne serait-ce que par optimisme et survie ! une mission angéliste interplanétaire à défendre ! (je vous renvoie au code « Amoureux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels)
C’est pourquoi, certaines personnes homosexuelles se présentent comme des anges asexués, des êtres ascétiques (même si, en acte, elles ne vivent pas du tout l’abstinence), comme de « simples amoureuses » : « Je ne suis pas sexuelle. » (l’actrice bisexuelle Maïk Darah, lors de la conférence « Est-ce que j’ai une tête de quota ? » au Théâtre du Temps à Paris, le 11 octobre 2011) ; « Je ne suis pas fait pour la fête. Je ne bois pas. Je ne fume pas. Je suis calviniste sans être protestant. Je ne couchais pas avec Jacques de Bascher. C’était un amour absolu. » (Karl Lagerfeld dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; « Avec ma première petite amie, je n’ai pas eu de relation sexuelle. C’était un amour platonique. Elle disait qu’on faisait quelque chose de très laid. » (Mària Takàcs, la réalisatrice hongroise lesbienne, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; « Les gens pensent que c’est de l’érotisme mais c’est stupide. C’est profondément religieux. » (Edwarda face au tableau de la jeune fille à la salle de bain de Balthus, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; « Je ne vous dis pas qu’on va vivre quelque chose ensemble. On s’en fout. L’important, c’est d’imaginer. » (Celia, la conservatrice de musées séduisant Bertrand, idem) ; etc.
Dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2, le couple Pierre/Bertrand a mis le génital avant l’amour : « Avec les pédés c’est comme ça. C’est d’abord le cul et après les sentiments. » se justifie Bertrand. « On est passés du désirable au aimable. » (Bertrand) Et même quand ils vont voir ailleurs, ils estiment qu’ils ne se trompent pas. « Pour moi les histoires de sexe n’ont jamais été des histoires de sexe. » (Pierre) ; « Leur fidélité n’est pas sexuelle. Leur infidélité n’est pas synonyme de trahison. » (Voix-off) ; « Nous pratiquons le no-sex. C’est pour ça que j’autorise mon mari à aller voir ailleurs. » (Pierre)
Par exemple, dans son film « La Vie d’Adèle » (2013), le réalisateur Abdellatif Kechiche veut faire croire aux spectateurs qu’Emma et Adèle sont patientes, ont la sagesse de ne pas s’embrasser sur la bouche dès leur deuxième rencontre, et que cette mesure prouverait l’authenticité de leur « amour ». Dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh est diffusée la croyance qu’un « plan cul » peut inaugurer une solide histoire d’amour : « Un vendredi soir après une fête chez ses amis hétéros, Russell finit dans un club gay. Juste avant la fermeture, il drague Glen, et ce qu’il croit être juste l’aventure d’un soir devient autre chose, quelque chose de spécial. » (cf. la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, au Forum des Images de Paris, le 7-16 octobre 2011) Même tentative avec le film « Spring » (2011) de Hong Khaou : « Un jeune homme rencontre un étranger pour un plan sexe, une expérience qui va le changer à jamais… » (cf. le résumé sur la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris, le 7-16 octobre 2011, au Forum des Images de Paris)
Mais ne nous fions pas aux apparences. Ce discours queerisant actuel cache dans les faits un mépris des corps, de la sexualité, et de l’Amour, ce Dernier étant considéré comme une maladie. « L’amour, cette lumière dont on ne peut guérir » (Jean Sénac dans le documentaire « Jean Sénac, le forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika) Par rapport au roman La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, Kurt Hiller lui a seulement reproché que « l’amour pour un garçon soit diagnostiqué comme un symptôme de décadence et décrit presque comme le choléra » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 122). Je vous renvoie aux nombreuses publicités de lutte contre le Sida, qui sacralisent à leur insu la correspondance entre Amour et virus dangereux.
Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, Lea Delaria, femme lesbienne, dit qu’elle est fan de l’actrice Sigourney Weaver jouant Ellen Ripley dans le film « Alien », parce qu’elle s’y identifie. Mais lorsque dans le scénario de la série de film, l’héroïne finit par coucher avec des mecs, la déception arrive : « J’étais dégoûtée qu’elle couche avec des hommes. J’étais dégoûtée qu’elle couche tout court ! »
En 1908, Weindel et Fischer distinguent deux catégories d’individus homosexuels : les sensuels « qui vont au commerce de la chair », d’une part, et d’autre part, les intellectuels qui se limitent, en l’accompagnant de caresses sans doute, « au contact de l’esprit ». « Ceux-là par haine ou fatigue du sexe peuvent devenir des abstinents, mais des abstinents aux gestes déréglés, aux passions désaxées, aux sentiments dévoyés. » D’où « un lyrisme exaspéré par l’abstinence sexuelle » (pp. 9-10).
Au bout du compte, le libertin homosexuel est un désabusé de l’Amour (ou de ce qu’il croit être de l’Amour) : « Elle en fait des dégâts dans nos vies, cette rage de l’amour-toujours qu’on nous a fourrée dans le crâne quand nous étions petites ! » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 112) ; « Pour la plupart d’entre nous, être aimé est insupportable. » (Carson McCullers citée dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 100)
c) 2) Le libertinage au nom des bonnes intentions :
La comédie de l’ascétisme et du raffinement ne dure généralement pas longtemps chez le libertin homosexuel. Elle n’est qu’un vernis qu’il applique sur ses actions pour s’auto-persuader qu’il « agit mal mais quand même pas aussi mal que les autres ».
Les pratiques libertines des « sages et pieux » individus homosexuels ne sont pas qu’un mythe. Par exemple, au cours de sa vie, l’écrivain espagnol Antonio de Hoyos passait insensiblement des clubs chics aux lieux sordides de prostitution de Madrid. Quant à Antonio Toig, après avoir été carmélite, il traîna dans les parcs de Londres (Hyde Park). Au départ, Alberto Cardín allait rentrer dans un ordre religieux ; il finit par fréquenter des salles obscures. Ernesto Jiménez, après avoir été un prêtre très prude, est un client régulier des saunas. On décèle la même dichotomie quand on découvre que des grands intellectuels tels que Roland Barthes, Yukio Mishima, Marcel Proust, ou Michel Foucault, allaient dans les backrooms, pratiquaient le sado-masochisme, ou tenaient des maisons closes.
D’ailleurs, beaucoup de sujets homosexuels ont tendance à se caricaturer eux-mêmes en libertin, en « grande salope » qui ne fait que des blagues en dessous de la ceinture, à se définir uniquement par leurs vils instincts et leurs actes génitaux peu glorieux, pour s’abriter dans l’auto-parodie, et pour surtout ne jamais changer de comportement : « Je ne pense décidément qu’au cul. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 40) ; « Je je suis libertine. Je suis une catin ! » (cf. la chanson-phare de Mylène Farmer, « Libertine »)
Loin de moi de penser cependant que toute personne homosexuelle est une libertine en puissance (cette tendance soulignée ne s’applique qu’aux sujets homosexuels pratiquants), ni de tout acte génital homosexuel une partie de jambes en l’air, un vulgaire défouloir pulsionnel, une victoire affligeante des instincts. Je vais plus loin ! Je dis que le passage à l’acte homosexuel est une victoire ET des pulsions ET des intentions ascétiques. Une religiosité puante et hypocrite. « J’étais au bordel comme au cloître. » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 41)
Une intuition ne m’a jamais quitté depuis que je fréquente les établissements homosexuels et mes jumeaux d’orientation sexuelle. Derrière l’imparfaite actualisation humaine de l’ascétique Merteuil se cache la « bite sur pattes » de Valmont. Et inversement : derrière le gogo dancer ou le geek se cache un grand idéaliste, un esthète qui se croit sobre et sincèrement aimant, un être sensible qui recherche la pureté dans la débauche. Le désir homosexuel, parce qu’il fonctionne en dents de scie, qu’il est pour et contre lui-même, et qu’il naît de l’écartèlement entre intentions et Réalité, permet ce genre de consanguinités bizarres.
Le libertin homosexuel insiste beaucoup trop sur son « désir d’aimer » pour aimer véritablement en acte, pour se reconnaître tel qu’il est : « Il y a une grande sincérité dans le parcours transsexuel. » (Jihan Ferjan juste avant la projection du film « Trannymals Go To Court » (2007) de Dylan Vade) ; « J’avais envie d’aimer. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 38) ; etc.
Il y a dans l’amour homosexuel un paradoxe entre fond et forme, entre désir et acte, entre sincérité et Vérité, qu’on peut observer dans la société toute entière avec les « injonctions paradoxales », énoncées par exemple dans les publicités ou les slogans politiques (« Il est interdit d’interdire ! » ; « Silence !!! » ; « Sois tolérant ! », etc.) : « Au fond, depuis l’adolescence, je suis déchiré entre mon rêve romantique et mes fantasmes parfois avilissants. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 46)
La stratégie du libertin homosexuel se veut anti-stratégique, d’un naturel pur et irréprochable. Le Valmont homosexuel vante les mérites de la sincérité (et tous ses dérivés : la franchise, le naturel, l’honnêteté, la spiritualité, l’art, le sentiment, la mélancolie…). Pour moi, il n’y a absolument pas lieu de dissocier de manière binaire et manichéenne les individus homosexuels pratiquants soi-disant « sages », « mesurés », « romantiques », « sincères », des « victimes d’amour », des individus homosexuels pratiquants soi-disant « sans cœur », « queutards », « menteurs », « bourreaux des cœurs ». Pour moi, ils sont une seule et même personne. « Rassurez-vous : mes nombreux partenaires, loin d’être les proies innocentes d’un jeu cruel que je serais seul à maîtriser, selon mon bon vouloir, font exactement la même chose de leur côté, avec la même grille d’analyse, tout aussi sectaire, déshumanisée et implacable. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 227) ; « Il a toujours cru à ce rythme grec, la succession de l’Ascèse et de la Fête. » (Roland Barthes en parlant de lui-même à la troisième personne, dans son autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 138) ; « J’ai comme deux personnalités : le bon petit gars d’un côté, l’obsédé de l’autre. » (Bruno, un garçon bisexuel de 25 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 206) ; « Je suis sentimental et vicieux. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 93) ; « Carson McCullers a horreur du sexe, et pourtant il est constamment présent dans ses livres. » (Jean-Pierre Joecker parlant de l’écrivaine McCullers dans la revue Masques, printemps 1984) ; « Je suis toujours surpris par le nombre de filles qui croient encore au grand amour, tendance fleur bleue et prince charmant. Il est fréquent que je console des filles effondrées, folles amoureuses d’un garçon qui les a larguées. » (Père Jean-Philippe, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 249) ; etc.
Dans la démarche nostalgique du libertin homosexuel, on ne lit pas que de la mélancolie laconique, ou une contemplation morbide de soi, mais aussi un contentement narcissique et « optimiste », une sorte de « Malgré tout, j’ai aimé… » qui maintient despotiquement l’amant dans la carte postale : « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales ?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprèsd’elle ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 164)
Le libertin homosexuel ne supporte pas une chose : c’est qu’on doute de sa SINCÉRITÉ. Il rêverait qu’elle maquille parfaitement ses pulsions les plus animales et désordonnées. Cela le met dans une colère noire que sa sincérité puisse le trahir. C’est bien parce que l’usage amoureux de la sincérité peut cautionner les plus bas instincts humains que beaucoup d’auteurs homosexuels récriminent contre elle : « Que cette question de la sincérité est irritante ! Sincérité ! » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), p. 84) ; « Un peu de sincérité est dangereux, beaucoup de sincérité est fatal. » (Oscar Wilde) ; « Quand Lulu m’écrivait des lettres brûlantes, que je viens de classer comme on classe une affaire, il était d’une sincérité absolue. Son silence aujourd’hui les rend caduques. À quoi servent des mots tendres empilés dans une boîte en carton ? Tous les Lulu se ressemblent. Je reste stoïque face à la fatalité. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), pp. 161-162)
Inconsciemment, le libertin homosexuel se rend compte que la sincérité, si elle n’est pas suivie des actes, est l’instrument d’un enfer humain pavé de bonnes intentions. « Les Liaisons dangereuses désigneraient le bien par le détour du mal. » (cf. l’article « Laclos moraliste » de Marguerite Buffard, dans l’ouvrage collectif Analyses et réflexions sur Les Liaisons dangereuses de Laclos (1991) dirigé par Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos, p. 65) ; « J’aime bien détester. Ça réveille. » (Catherine dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc.
Il y a chez le libertin homosexuel un mépris des sentiments (Valmont et Merteuil, dans les Liaisons dangereuses, se rient justement de ceux qu’ils appellent « les sentimentaires », ceux qui ont la naïveté de croire en l’amour et de se laisser aller à leurs sentiments), parce qu’il en est justement trop dépendant, et qu’il est au fond un cœur d’artichaut déçu. « Bon, évitons de la jouer mélodramatique. » (André à Laurent au moment du départ, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) C’est bien parce qu’il est romantique qu’il devient un vrai serial baiseur désinvolte.
Le libertin homosexuel connaît intellectuellement les pièges dans lesquels il tombe (la mièvrerie, la facilité du « plan cul », l’épanchement face à la tendresse et aux mots d’amour, le bien-être des massages, etc.) Il se protège de son côté fleur bleue pour y retomber inconsciemment. Bercé par son désir d’aimer et sa sincérité, il décide de se rendre imbuvable avec ses amants successifs (instruments expiatoires impuissants de son auto-vengeance !), ou bien de faire n’importe quoi sexuellement, en croyant que sa sincérité « exceptionnelle » va le sauver in extremis. En somme, il veut se briser en sa révolte. Mourir de frustration.
Les frustrés sexuels, contrairement à l’idée communément admise dans notre société actuelle, ne sont pas uniquement du côté des faux ascètes qui diabolisent les plaisirs sexuels. Comme l’expliquent à juste titre Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner dans leur essai Le Nouveau désordre amoureux (1977), ils font aussi partie des libertins qui enchaînent les « plans cul » parce que justement ils n’arrivent pas à combler leur soif d’amour. « À qui décerner la palme du meilleur censeur – aux puritains qui répriment les plaisirs du corps ou aux hédonistes qui ne libèrent jamais que le corps masculin ? » (p. 85) ; « L’idéal de l’épanouissement succède à celui de l’ascétisme. » (idem, p. 361)
3 – ARRÊT SUR IMAGE :
PAULA MERTEUIL
Paula Dumont (Valmont?)
Suite à ma critique (« Merteuil chez Sappho ») de son autobiographie Mauvais Genre sur le site Nonfiction en 2010, l’écrivaine Paula Dumont en personne m’a félicité pour mon article par un court mail personnel, daté du 23 août 2010 (qu’elle désavouerait certainement aujourd’hui depuis qu’elle a découvert que je suis catho… Tristesse de l’anti-catholicisme primaire) : « Cher Philippe, Je viens de prendre connaissance, tout à fait par hasard, de votre article. J’ai l’impression que vous me connaissez mieux que je ne me connais moi-même ! Merci de faire preuve de tant d’intérêt pour mes écrits. Amicalement, Paula. » Je vais retranscrire ce portrait ici pour vous montrer combien le commun des personnes homosexuelles pratiquantes sont des répliques comportementales de Valmont et Merteuil, quand bien même la plupart se croie sans le sous, ne vive plus dans des salons du XVIIIe, fréquente parfois assidûment le monde associatif militant LGBT, soit engagée sincèrement dans une relation d’amour.
La simulation de self control chez Merteuil
L’autobiographie La Vie dure (2010) de Paula Dumont constitue à mon sens une mine d’or pour comprendre comment nous fonctionnons tous quand nous nous jetons à corps perdu dans l’amour homosexuel sans lui reconnaître toutes ses limites : nous devenons complexes, paradoxaux, fragiles. Paula Dumont, comme beaucoup de femmes lesbiennes, me fait penser au personnage admirable et souffrant de la Marquise de Merteuil, du roman épistolaireLesLiaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos, présentée non sans raison par certains critiques comme l’archétype de « la » lesbienne, celle qui se fait piéger en amour par sa sincérité, son intellect, et son self-control. La célèbre courtisane semble apparemment un modèle d’ascèse, de savoir-vivre, de maîtrise de soi, de sérieux et d’intelligence, dans sa gestion des histoires amoureuses. Elle est loin d’être bête et rustre, cette « consciencieuse prof de Lettres qui a passé sa vie à compulser des dictionnaires » (p. 136). Elle écrit de belles missives, tantôt pour elle, tantôt pour les autres. Elle calcule tout. Elle croit qu’elle va créer l’amour par elle-même, à bout de bras et à coup de volonté (« Je n’arrivais pas à prendre au sérieux cette peur de l’amour et du désir sur laquelle elle [Catherine] revenait sans cesse et il me semblait, tant l’amour peut rendre présomptueux, que j’en viendrais facilement à bout. » idem, p. 53). Elle trouve son plaisir dans l’introspection, l’analyse littéraire, l’écriture analytique (même si elle se méfie chez les autres des analyses « psychololos »). Elle fuit la niaiserie et la naïveté comme une peste. Pour elle, la naïveté est une hérésie, une faute de goût terrible : être prise en flagrant délit de naïveté, c’est le summum de la honte, surtout quand on se revendique, comme elle, Sainte Gardienne de la Franchise et de la Maîtrise, et que l’on adopte une « vision de l’existence où la fidélité à soi-même et la recherche de l’épanouissement personnel sont primordiaux » (idem, p. 40). Et si cet excès de maîtrise, ce refus du lâcher-prise, pour aimer pourtant, l’empêchaient/nous empêchait d’aimer, finalement ? On peut se poser la question…
Sa technique de drague se veut moins grossière que celle du débauché à la recherche d’un simple « plan cul », car elle désire, parce que son code moral d’esthète surdouée l’exige, faire l’amour… mais pas aussi naïvement que tout le monde. Elle n’est pas « tout le monde » ! Elle ne ressemble pas au commun des « pauvres femmes » qui sont assez aveugles pour rester« stupidement hétérosexuelles toute leur vie » (idem, p. 178). Elle ne joue pas dans la même cour que la majorité des femmes lesbiennes. Non ! Elle, elle ne baise pas que pour le sexe, ni pour des idéaux d’amour mièvres (… même si dans les faits, ça finit quand même par être parfois le cas). Le fin’ amor est un art dont elle serait une des rares personnes à détenir les clés. « Ah la littérature ! Quelle invention géniale pour séduire les femmes ! […] Quels ravages je vais faire auprès des jeunes goudous, à cent ans, quand mon talent sera enfin reconnu ! » (idem, p. 176) La libertine homosexuelle ne rate pas une occasion pour « éblouir par sa culture » (idem, p. 225) et par ses lettres la prétendante qu’elle se sera choisie.
Merteuil est aussi une conquérante, en lutte contre son propre sexe (« Qu’en était-il des autres, asservies à leur mari et à leurs enfants, sans ressources personnelles, sans voiture, sans autre nourriture spirituelle que Marie-Claire, Elle ou Femme d’Aujourd’hui ? Bonne Déesse, quel obscurantisme ! », idem, p. 242), en lutte contre les êtres du sexe « opposé », et contre la sexualité en général : par exemple, elle ne se reconnaît pas dans la tiédeur de ses consœurs lesbiennes qui, à son goût, ne s’engagent pas assez pour la « Cause lesbienne » (« Pauvres femmes, pauvres goudous, chacune dans votre loin, au mieux avec votre chère et tendre, au pire seule et désespérée, ce n’est pas demain la veille que vous comprendrez que la sororité est vitale pour les goudous encore plus que pour les hétérottes. », idem, p. 221) ; et son but est de renverser la « millénariste » domination masculine patriarcale, bien que ce soit une bataille annoncée comme perdue d’avance : « Même quand elles ont fait de longues études et qu’elles ont bénéficié d’une formation sérieuse, les femmes n’ont rien de plus pressé que de se coller à mi-temps dès qu’elles ont un boulot ! Les institutrices que je forme font comme ça dès qu’elles sont titulaires de leur poste… Avec une mentalité pareille, ce n’est pas demain qu’on va prendre en main les commandes de la planète ! » (idem, p. 235)
La technique de drague de l’ascétique Marquise passe généralement par la victimisation, la pitié, et la stratégie de la folle perdue. Paula Merteuil se présente d’office comme fragile ou comme une oubliée de l’amour, pour apitoyer sa proie : « À 18 ans, je me suis repliée sur moi-même, et j’ai abandonné jusqu’à la simple idée qu’on puisse m’aimer d’amour. » (idem, p. 19) Avec son air de chien battu, elle demande à sa compagne du moment de lui faire le plaisir de lui prouver qu’elle vaut encore quelque chose en acceptant de sortir avec une « maudite d’amour » comme elle. On observe une forme de victimisation, de chantage aux sentiments stratégique de la libertine homosexuelle qui se croit la seule à aimer bien, à fond, en vérité, à 100%, contrairement à ses amantes de passage qui n’ont/auraient pas « joué le jeu » de l’amour jusqu’au bout, qui n’ont/n’auraient pas su l’aimer comme elle les a/aurait aimées d’un cœur entier, sacrificiel, pur, gratuit, limite ascétique et platonique. Dans La Vie dure, on assiste à ce genre de plaintes, pas du tout ridicules puisque sincères : « Lui dirais-je combien j’avais pu, adolescente, me sentir infirme, monstrueuse, vouée à jamais à la solitude quand je m’éprenais d’une fille de mon âge ? » (Paula à son amante Catherine, idem, p. 42)
La libertine homosexuelle recherche ce partage amoureux dans la souffrance, tout en le trouvant intellectuellement insupportable. Il déplore que son bonheur doive passer par le malheur. Elle sait bien au fond que les êtres humains ne peuvent pas aimer uniquement sous prétexte qu’ils détestent ensemble, qu’ils pleurent ensemble, ou pour combler une solitude mutuelle. Elle connaît par cœur la mise en scène mélancolique de l’amour homosexuel, mais la blâme/parodie surtout chez les autres. En revanche, quand elle-même devient théâtrale en amour, elle ne s’en aperçoit généralement pas. Au contraire, elle mord à l’hameçon de sa propre sincérité. Elle tombe mal amoureuse en croyant être folle d’amour, parce qu’elle se persuade que dans ses différentes liaisons sentimentales, elle est la seule à aimer véritablement comme il faut. Dans la distance, elle enjolive et pleure une relation avec une regrettée amante qu’en réalité elle n’aurait jamais aimée si celle-ci avait été accessible et vivante (c’est le cas avec Catherine dans La Vie dure). Elle est prête à se priver d’aimer, et même à considérer ses futures conquêtes amoureuses comme des objets de vengeance et d’expiation de ce cruel coup du sort qu’elle ne veut surtout jamais digérer, plutôt que de regarder la réalité en face : elle tient à son malheur et à son amour désincarné plus qu’à l’amour concret qu’elle chante pourtant à tue-tête. La libertine homosexuelle se convainc que l’amour vrai ne peut pas se dissocier de la souffrance et de la mort. Pour elle, la véritable passion se trouve dans la tyrannie doucereuse. Elle définit l’amour comme une force incontrôlable qui soumet et assigne un destin de despote ou de martyr. Elle rêve d’être possédée par l’amour, ou de faire de ce dernier un instrument de pouvoir.
Le paradoxe de la libertine
Pour se venger d’elle-même parce qu’elle s’est laissée croire à sa faiblesse de folle perdue, la libertine homosexuelle va, pour attirer les prétendantes, prendre le total contre-pied de sa première tactique de séduction qui consistait à se montrer fragile. Elle se décide à masquer sa dépression par la prétention. Elle éprouve par exemple une sorte de fierté à ne pas aller draguer (d’ailleurs, elle déteste le mot « drague »), simplement pour ne pas prendre le risque d’être congédiée, et pour avoir le plaisir de se faire éternellement désirer. Elle a honte de prétendre à l’amour, d’être fougueuse ou passionnée (« J’ai essayé de ne pas me gargariser de romantisme à deux sous. », idem, p. 53), car pour elle, aimer, c’est davantage une faiblesse qu’une force, davantage une maladie qu’une énergie curative et positive : « Je me savais incurablement sentimentale. » (idem, p. 190) ; « La sagesse populaire a raison de comparer l’amour à une rage de dents. » (idem, p. 183) L’une des règles d’or de ses manœuvres amoureuses est l’interdiction d’aimer ou de se laisser aimer. Paradoxalement, c’est pour cacher qu’elle considère l’amour comme une affreuse maladie, qu’elle cherchera à tout prix à tomber maladivement amoureuse.
Peu à peu, la libertine homosexuelle se lasse de ses stratégies compliquées qui finissent par surcharger ses amours d’artifice et de calcul. La complexité en amour, ça va bien un moment !…mais elle aspire à la légèreté de « Monsieur Toutlemonde », à la simplicité « triviale », à la spontanéité, au cliché « bobo-Nature ». « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales ?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprès d’elle ? », idem, p. 164) Elle rêve d’être l’Exception qui confirme la règle de la complexité des amours homosexuelles (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle La Vie dure s’achève par une happy-end non-étayée…). Elle reproduit dans sa vie des clichés romantiques cartes postales : « Une fois rentrées à la maison, nous avons écouté Jessye Norman en nous serrant tendrement l’une contre l’autre sur le vieux canapé du salon où nous avions pris place. » (idem, p. 46) On mesure toute la part de narcissisme (même inconscient, même pétri d’intentions altruistes) de la personne qui s’imagine aimer parce qu’elle s’aime elle-même « en amoureuse », que l’amante en face soit là ou pas, que ce soit celle-ci ou une autre : « C’est une véritable histoire de dingue, j’aime une femme dont je ne sais rien… C’est peut-être pour ça que je l’aime, ai-je ironisé. » (idem, p. 134)
Nous touchons là au paradoxe de la courtisane homosexuelle. Entre libertinage et ascèse, Paula Merteuil condamne le plaisir sexuel à l’obsession et à la frustration. Chez la Marquise, la course au sexe et à la reconnaissance par l’image dévoile son insatisfaction et son perfectionnisme caché. Son refus catégorique de l’hyper-sexualité dit aussi sa focalisation sur le génital. Elle incarne tour à tour la célébration excessive de la sexualité et sa négation dans l’intellectualisme ou le volontarisme. Ne perdons pas de vue que derrière la Marquise de Merteuil, « la lesbienne » amoureuse de Cécile de Volanges, dissimulant son mépris du corps et sa frustration d’amour par une maîtrise quasi-parfaite d’elle-même, derrière celle qui privilégie le devoir conjugal sur l’amour, l’esprit sur le plaisir génital (même si elle réitère sans cesse dans son discours l’idée de jouissance), se cache le Vicomte de Valmont (rôle qui pourrait très bien convenir à Marc, le meilleur ami gay de Paula, et qui est décrit dans La Vie dure comme le pendant volage et dévergondé de l’auteure : Paula dit d’ailleurs que c’est leur immense solitude qui est le dénominateur commun de leur amitié). Chez la libertine lesbienne, ce n’est pas la bêtise ni la soif de sexe, qui la poussent à l’illusion amoureuse, mais bien l’excès de raison pour maîtriser l’amour : « Nous avions fait, sans le savoir, un mariage de raison. » (Paula en parlant de son couple bancal avec Martine, idem, p. 73)
À force de self control, la Marquise de Merteuil ne se voit plus agir et ne maîtrise plus la course à l’amour qu’elle avait méthodiquement organisée pour ne pas se donner totalement (l’attente des lettres ou des coups de téléphone deviennent un calvaire ; il lui arrive d’écrire la « lettre de trop » ; etc.). Derrière l’excès de maîtrise, il y a ce que le fin stratège homosexuel veut intellectuellement fuir à tout prix, mais qu’il rejoint parfois en actes : la bestialité, la vile pulsion. C’est bien là son drame ! D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Paula Dumont insiste beaucoup dans ses écrits sur la comparaison entre l’amour lesbien et l’amour des chiens, en sachant qu’elle met le second bien au-dessus du premier : « Ce qu’il y avait entre nous [Martine et elle], c’était quelque chose de bien plus fort, à savoir la peur de la solitude. […]. On prend bien un chien, pour ne pas être seul ! » (idem, p. 78) ; « Quiconque n’a pas été aimé d’un cocker ne sait rien de l’amour. » (idem, p. 115). « Je suis allée brosser la chienne qui en avait grand besoin et qui m’aimait, elle, d’un amour exclusif. » (idem, p. 127) Déjà, dans La Mauvaise Vie, l’auteure vantait les mérites de l’amour des chiens, en citant Marguerite Yourcenar comme exemple, et en parlant de la place considérable que le « meilleur ami de l’homme » avait pris dans sa vie. Fuyons le naturel et il revient au galop…
La fausse dureté
On sent chez Paula Dumont que, sous ses airs surjoués de « gros dur » qui maîtrise sa propre situation amoureuse, qui sait s’imposer et taper du poing sur la table quand il le faut, la recherche de soumission gagne bien souvent le tableau. Sa dureté à elle est plus télévisuelle qu’effective, plus un mime de force (de magazines) qu’une force réelle. Elle l’avoue humblement : « Ne nous cherchons pas d’excuses et soyons honnête, mon propre idéal d’élégance, c’est celui du cow-boy Marlboro. À défaut d’être capable de ses prouesses au rodéo, je suis fascinée par les vrais jeans américains et les chemisiers à carreaux. » (idem, p. 173) Face à l’amour lesbien, c’est comme si elle perdait tous ses moyens, alors que dans sa vie professionnelle, amicale, associative, elle semble pourtant être un modèle de solidité, de lucidité, et de mesure. Alors on comprend encore plus combien déchirante doit être pour elle ce décalage, cette schizophrénie, cette contradiction qui est à la fois ce qui lui permet de montrer à la face de son lectorat une inquiétante fragilité, et ce qui lui donne matière à écrire un essai si touchant, si poignant, si humain. Le lecteur assiste à la méticuleuse description d’une blessure qui suinte, qui mène continuellement la vie dure à celle qui la décrit sans la dénoncer. Comme un schéma amoureux qui se reproduit à l’infini, sans que la concernée s’en rende compte puisqu’elle se donne l’illusion par l’écriture, par sa réflexion brillante, par sa posture physique même, qu’elle ne tombera jamais. Non, rien de rien, non, je ne regrette rien… Au final, à son grand dam, elle est la femme faible, trop gentille, trop bonne poire, capable de se laisser marcher sur les pieds par amour… alors que l’amour véritable n’a jamais demandé une telle abnégation : par exemple, elle logera et entretiendra pendant une douzaine d’années – quand même… – l’envahissante Martine, son « ex » ; elle se voilera la face sur les indécisions de Catherine et justifiera pendant très longtemps l’immaturité et le mutisme de celle-ci ; elle idéalisera un « je t’aime » furtif, ou s’emportera dès qu’on remettra en cause la force de l’amour lesbien ; elle sera même capable de se rabaisser au statut de cinquième roue du carrosse en acceptant de jouer la maîtresse d’une femme déjà en couple avec une autre…). C’est étonnant – et pourtant logique, si l’on perçoit les paradoxes de la sincérité chez la libertine homosexuelle –, cette capacité à l’avilissement et à la soumission en amour par excès de self-control. Fascinant. Paula Dumont passe sont temps à dire « La coupe est pleine » (idem, p. 52), précisément pour mieux se laisser dominer, pour mieux se laisser déborder. Comme un disque qui tourne intérieurement, pour rien : « Catherine pensait-elle que j’étais une marionnette dont elle pouvait tirer les ficelles à son gré pour la faire gesticuler selon ses humeurs ? » (idem, p. 124) Quand Paula nous offre dans son écrit un extrait d’une des lettres de Catherine, son plus grand amour de jeunesse, on a envie d’abonder dans le sens de cette dernière quand elle s’adresse à Paula en ces termes : « Tu ne sais pas te protéger. » (idem, p. 53) C’est en effet le constat final qu’on a envie de faire : c’est en cultivant une fausse dureté que Paula s’est fragilisée. « Quel gâchis que mes amours ! » (idem, p. 134) finit-elle par conclure. Elle en a connues, des misères affectives… (qui, il faut bien le dire, sont légion dans les amours homos classiques, si alambiquées parce que leur complexité est justifiée/camouflée par la sincérité) : entre Catherine l’amante bisexuelle qui ne sait pas ce qu’elle veut, Martine l’amante immature et assistée qui se laisse entretenir, les lesbiennes hommasses de « Goudouland » comme elle le dit elle-même, Chantal l’amante cultivée et distante jouant au chat et à la souris, on a l’impression que la recherche d’amour va lui donner du fil à retordre toute sa vie… d’où « la vie dure »…
Ce qui rend la vie dure, que l’on soit homosexuel ou non, c’est bien cela, finalement : l’absence, en nous, de désir (…du Désir) ; ou bien le « désir en négatif », le « désir par défaut » : on sait plus ce que l’on ne veut pas que ce que l’on veut (idem, p. 190)… et on confond cela avec du désir.
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La Bible ne se trompe pas en associant les actes et le désir homo à l’idolâtrie…
Un regard humain pétillant et scintillant d’amour, c’est ce qu’il y a de plus beau sur cette Terre, non ? Mais quand on cherche à figer cette beauté pour la posséder éternellement pour soi et l’immortaliser de force, on se crée un veau d’or, au regard certes magnifique, étincelant, mais complètement mort, à la gloire de notre isolement narcissique. Le désir homosexuel dit cette idolâtrie fétichiste pour l’Amour et la Beauté, une fascination dirigée vers la femme-objet ou l’homme-objet cinématographiques qui ont capturé notre regard avec leurs lunettes d’or, celles qui semblaient réenchanter le monde.
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FICTION
a) Le motif de l’œil d’or est récurrent dans les œuvres homosexuelles :
Film « Reflets dans un oeil d’or » de John Huston
On le retrouve dans le film « Reflets dans un œil d’or » (1967) de John Huston (Léonora, avec son regard doré, subjugue le héros homosexuel qui vient la veiller chaque nuit), le roman La Fille aux yeux d’or (1898) d’Honoré de Balzac, le film « La Fille aux yeux d’or » (1961) de Jean-Gabriel Albicocco, le roman Lunettes d’or (1958) de Giorgio Bassani, le film « Les Lunettes d’or » (1987) de Giuliano Montaldo, la chanson « Les Yeux d’or (Assassins sans couteaux) » de Juliette, la chanson « L’Œil sec » des Valentins, les fleuves-miroirs dorés du film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar et du poème « Antoñito El Camborio » de Federico García Lorca, le poème « Polvo » de Néstor Perlongher, le roman Le Roi au masque d’or (1892) de Marcel Schwob, le roman Des Aveugles (1985) d’Hervé Guibert, le roman El Ojo Sagrado (1922) d’Álvaro Retana, le roman Amami, Alfredo ! Polvo De Estrellas (1984) de Terenci Moix, le film « L’Or se barre » (1969) de Peter Collinson, le film « Short Eyes » (1977) de Robert M. Young, le film « The Boy With The Sun In His Eyes » (« Le Garçon avec le soleil dans les yeux », 2009) de Todd Verow, le roman Pompes funèbres (1947) de Jean Genet (avec l’œil de bronze), le film « Un peu de soleil dans les yeux » (2010) de Stéphane Botti, le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli (avec Kyril, le dandy avec son monocle), etc.
Roman « Lunettes d’or » de Giorgio Bassani
Par exemple, dans le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, les lunettes du poète homosexuel nord-américain Allen Ginsberg s’éclairent quand il écrit sur sa machine à écrire son poème « Howl ».
Film « Howl » de Rob Epstein et Jeffrey Friedman
Dans la pièce Antigone (1922) de Jean Cocteau, l’héroïne parle de « l’œil d’or ». Dans la pièce Loretta Strong (1974) de Copi, les yeux sont en or ou incrustés de rubis : « Il y a des bouts d’or qui se baladent dans tous les sens. […] C’est que de la poussière d’or. » ; « J’ai de la porcelaine qui s’incruste dans les yeux. » ; « Oh zut, j’accouche ! Un… deux… trois… quatre ! C’est des chauves-souris en or ! Oh mais les yeux c’est des petits rubis ! » Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Stéphane dit qu’il s’habille toujours en jaune parce que cela va avec la couleur de ses yeux. Dans sa « Chanson du Bijoutier » (2009), Nicolas Bacchus déclare qu’il « s’est fait faire des bisous / des bijoux pour les yeux » par les bijoutiers. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, possède une montre, des bijoux, des pierres, des lunettes, tout ce qui est clinquant. Dans le film « Totò Che Visse Due volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresco, Pietrino fait l’éloge des yeux de son amant Fefe, de « ses pupilles d’or ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, parodie les passagères nord-américaines « aux ongles tellement longs que tu pourrais te crever un œil avec », et qui en grandes bourgeoises s’extasient devant un verre d’eau offert grâcement par la compagnie aérienne. Il éteint leur enthousiasme, en faisant comme par hasard mention de l’or : « Ça va… C’était un verre d’eau, pas un lingot non plus ! » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Meri, le prostitué transsexuel M to F, dit qu’il « aime regarder ses clients dans les yeux pendant qu’il les excite » : « Je suis fille de bijoutiers, moi ! » Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric, le héros homo gay, a l’habitude de se maquiller : il se met notamment des paillettes d’or autour des yeux (c.f. épisode 7 de la saison 1). Dans le film « Bridget Jones : l’Âge de raison » (2004) de Beeban Kidron, Tom, le personnage gay, doit conseiller sa meilleure amie Bridget pour le choix d’une robe : « Moi, je te préfère dans la dorée… » Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Adrien, le héros homo, parle du « fil d’or » que les médecins lui ont glissé dans les pommettes, en référence à la chirurgie esthétique.
Roman La Fille aux yeux d’or d’Honoré de Balzac
Dans le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, Lionel semble obsédé par une chose : l’or. « Moi, ce que je veux, c’est de l’or. » Et ce n’est pas le goût du lucre qui lui fait dire cela. C’est bien plus innocent et hypnotique, cette résurgence du motif du regard illuminé d’or dans les œuvres homosexuelles. Il s’agit plutôt d’une captation adoratrice quasi aveugle pour le métal précieux, puisque, par exemple, ce même héros du film de Baier est fan du roman L’Or (1925) de Blaise Cendrars, et se balade toujours avec un exemplaire de cet ouvrage sur lui.
Le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare est mis sous le signe de l’alchimie et de la quête d’or (c.f. mon article). Le personnage le plus emblématique de cela, c’est Fred, le trans M to F : il propose à son équipe de water-polo des chorés avec des paillettes (« Et là, poussière d’étoile ! »), porte des bottes hautes en or, confectionne des combinaisons pailletées et des porte-clés dorés.
L’or peut être le matériau par excellence de l’irréel. On le voit par exemple quand le chanteur David Bowie, dans les années 1970, rentre dans la peau de Ziggy Stardust (« poussière d’étoiles »), un cosmonaute-extraterrestre tout de lamé brillant vêtu, avec un cercle doré au milieu du front. Dans la pièce Les Quatre jumelles (1973) de Copi, l’or est clairement mis en lien avec la cécité : au moment où Fougère découvre un butin (« Oh ma Sainte Vierge ! Des lingots d’or ! »), sa sœur Joséphine regrette justement de ne pas voir (« Où ? Où ? Ah quelle merde d’être aveugle ! Où ? »).
Film « Presque rien » de Sébastien Lifshitz
Il peut s’agir de la cécité amoureuse. Les regards d’or – pour dire une banalité – sont souvent les indicateurs d’un coup de foudre, d’une sublimation éthérée de l’être aimé : « Son regard a croisé mon regard comme un rayon laser. » (cf. la chanson « Besoin d’amour » de la comédie musicale Starmania de Michel Berger) ; « Elle s’arrêta. Sur les tentures de soie rouge, les icônes scintillaient comme autant de fenêtres ouvertes sur un monde immuable et doré. » (Laura en parlant de son amante Sylvia à l’exposition d’icônes, dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 109) ; « Dans les fentes noires de ses yeux brillaient deux gouttes de soleil. » (Pascal décrivant Pierre dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 106) ; « C’est bien Maguy : des yeux d’enfant fluorescents comme la magie. » (cf. le poème « L’Énergie du désespoir » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, p. 27) ; « Je te filme avec les lunettes. » (Anton s’adressant à son amant Vlad dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.
Film « L’Homme qui venait d’ailleurs » de Nicolas Roeg
Dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Malik met ses lunettes de soleil dès qu’il veut regarder Bilal comme un objet de convoitise, sans se faire voir de lui. Le personnage qui porte ces réverbérantes Ray-Ban, même s’il est charmant avec, est souvent présenté comme un Homme invisible glaçant et prédateur, ou bien un être désincarné lié au fantasme (= au désir homosexuel ici) et à la fantaisie littéraire : « Ses yeux jaunes ressemblaient à ceux de sa louve. » (Renée Vivien, La Dame à la louve (2007), p. 20) ; « Victor a réfléchi, il a posé ses jumelles sur le banc de bois du Zodiac, il a remis ses lunettes de soleil et il s’est tourné vers moi avec cet air interrogateur que certains prennent pour de la distraction et qui n’est qu’une manière subtile de voyager entre la réalité et la fiction. » (Ashe dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 235) ; « Monsieur Roublev se tenait devant le livre d’or, il ôta ses lunettes. » (Harry Muslisch, Deux femmes (1975), p. 197) Par exemple, dans le roman Dix petits phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, les boys band – et les homos qui les imitent – sont jugés « trop lisses, semblables à ces verres de lunettes de soleil qui réfléchissent le soleil pour mieux dissimuler le vide du regard » (p. 136) ; « Sans lunettes, à la place des visages, Jolie de Parma ne voyait que des taches lumineuses. D’où sa crise de nerfs quand elle tomba à terre. Elle croyait à un coup monté par une actrice rivale pour la ridiculiser en public. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 15)
Film « L’Homme qui venait d’ailleurs » de Nicolas Roeg
Dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le héros n’a que mépris pour ces « frimeurs à lunettes réfléchissantes. » (p. 58) Les lunettes d’or sont clairement associées au phénomène de l’Homme-objet et à sa superficialité supposée (froideur, goût du paraître, effet de mode, frime, séduction égocentrique, espionnage, narcissisme, société de consommation, etc.). Elles instaurent parfois un rapport marchand entre les deux amants homosexuels (quand bien même celui-ci sera, par euphémisme, appelé « drague » ou « séduction » plutôt que « corruption » ou « prostitution ») étant donné que le flux monétaire circulant entre les deux regards est invisible, désirant : « Gardez l’or de la monnaie de mon regard ! » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 61)
Film « Totally F***ed Up » de Gregg Araki
Par ailleurs, quand les yeux de l’amant/de l’aimant s’éclairent d’une tout autre couleur que le jaune, généralement, c’est mauvais signe : cela signifie que le personnage homosexuel ou l’icône gay est possédé(e) par un esprit maléfique, l’ange de lumière Lucifer (cf. les vidéo-clips des chansons « Sans logique » de Mylène Farmer, « I Wanna Go » de Britney Spears, « Thriller » de Michael Jackson, et le regard de la lesbienne Lorelei dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki).
Film « L’Homme qui venait d’ailleurs » de Nicolas Roeg
Film « L’Homme qui venait d’ailleurs » de Nicolas Roeg
Film « L’Homme qui venait d’ailleurs » de Nicolas Roeg
Film « L’Homme qui venait d’ailleurs » de Nicolas Roeg
Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, l’or symbolise l’éblouissement éphémère des sentiments amoureux éprouvés par l’héroïne lesbienne. Une sorte de feu de paille, d’inflation dangereuse de la passion car celle-ci se fonde très peu sur la Réalité, est trop matérialiste/réifiante (l’Amour vrai a beau partager avec le lingot d’or la beauté, la richesse, et la solidité, il est le seul des deux à être réellement vivant !). Au départ, le regard de Stephen brille de mille feux pour l’amante (« Elle ne voyait rien d’étrange ou de sacrilège dans l’amour qu’elle ressentait pour Angela Crossby. […] Les yeux de la jeunesse sont attirés vers les étoiles. », p. 192) Et puis l’amour doré pourrit entre les mains de celle qui ne le donne pas au mieux, ni aux bonnes personnes : « Il y a d’étranges rayons obliques sur les collines, comme une gloire d’or, et cela vous attriste… Pourquoi cette gloire d’or vous rend-elle triste lorsqu’elle brille ainsi sur les collines ? » (idem, p. 47) On retrouve la même métaphore de l’amour-fusion destructeur dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, quand Émilie écrit à son amante Gabrielle : « Vous êtes mon astre et mon désastre : trop brève apparition, puis éclipse. » (p. 32)
Film « Swimming-pool » de François Ozon
La métaphore entre amour et or, toute éclatante et épatante soit-elle de prime abord, teinte le désir homosexuel d’un matérialisme, d’une surdose de concupiscence et de paraître, qui transforme ce qui ressemble à de l’amour vrai en adoration malsaine, aveuglante. Par exemple, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar prétend aimer Khalid, mais on comprend aussi qu’il l’aime pour son argent, pour l’occasion qu’il lui fournit de posséder fièrement comme un trophée : « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (p. 81)
b) Les personnages homosexuels observent des feux d’artifice et aiment ce qui brille :
C’est l’éclat scintillant des feux d’artifice qui attire magiquement un certain nombre de personnages homosexuels : on l’observe dans le dessin animé « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « L’Homme qui venait d’ailleurs » (1976) de Nicolas Roeg (avec les feux d’artifice reflétés dans les yeux de David Bowie), le film « La Vierge des tueurs » (2000) de Barbet Schroeder, le film « Grande École » (2003) de Robert Salis (avec un début festif célébrant la puissance de l’orgasme génital), l’album The Rise And Fall of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars (1972) de David Bowie, le film « Jeu de miroir » (2002) d’Harry Richard, le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee, le film « Flocons d’or » (1976) de Werner Schroeter, le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, le film « To Bring To Light » (« Chandelier », 2002) de Steven Cohen, le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, le film « Dolor y Gloria » (2019) de Pedro Almodóvar, le film « La Cage dorée » (2020) de Ruben Alvès, etc.
Par exemple, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, les images de feux d’artifice figurent la fin de l’orgasme. Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, les feux d’artifice apparaissent précisément au moment du débordement passionnel bisexuel de l’héroïne lesbienne Mélodie, qui se voit vivre un « couple à trois » avec Charlotte et Charles. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Phil, le héros homo, reçoit sur lui une pluie de confettis dorés. Et à la fin, il a droit à un feu d’artifice dans sa maison familiale, pour fêter la Bonne Année, et son départ pour les États-Unis. Dans l’épisode 363 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 25 décembre 2018, André Delcourt, le père de Chloé l’héroïne, fait son coming out à toute sa famille. Et ensuite, ils regardent tous ensemble les feux d’artifice de Sète.
Le personnage homosexuel célèbre l’or, le dieu Électricité, la magie carnavalesque lumineuse (en général juste avant l’arrivée de la catastrophe) : « Regardez, il y a les feux d’artifice ! » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, p. 85) ; « C’était magique. La ville une féerie futuriste, un feu d’artifice géant où le bleu sidéral de la voûte céleste serait étoilé par les pétillements d’un champagne de fête. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 4) ; « Avec Florence, on adorait les lumières. » (Stéphane, le héros homo parlant de sa meilleure amie lesbienne, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) Il arrive que la brillance de l’or soit associée à la sensualité d’un veau d’or auquel le héros s’identifie : « L’or étincelle de partout sur son visage, se brise en paillettes d’étoiles aux rais tristes de l’ampoule, se pulvérise jusqu’aux pointes de ses cheveux mordorés, s’incruste dans ses yeux en éclats de soleil. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 2) ; « Du tambour, et ses yeux brillent comme du diamant ! » (Emory par rapport à Bernard, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je suis une étoile. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Rien de plus chaste que cette nudité d’or triomphant dans un ciel bleu sombre. » (Roger dans le roman L’Autre (1971) de Julien Green, p. 20) ; « C’était les années 2000. Tout était brillant à l’époque. » (Maurice, le styliste homosexuel, s’exprimant face à un modèle de vêtement qu’il a créé et qu’il n’assume, dans le film « Les Douze Coups de Minuit », « After The Ball » (2015) de Sean Garrity) ; « Vous avez déjà vu un feu d’artifices sans bouquet final ? » (Dallas, l’assistant-couturier homosexuel, dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien) ; « La neige pailletée ? Tu n’aurais pas pu faire plus plaisir à ton frère gay ! » (Hugo, le héros gay, s’adressant à son frère hétéro Aiden lors de la séance de bricolage d’objets de Noël, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; etc. Dans la pièce Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, la figure de Valjean « aime tout ce qui brille » (d’ailleurs, il vole un chandelier). Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Kate fait tout pour créer les occasions amoureuses de rencontre entre son fils gay Hugo et le beau Patrick. « Je vous laisse vous dépatouiller avec les guirlandes… » leur dit-elle, toute excitée. Ses manigances d’entremetteuse amusent les deux tourtereaux, qui finissent par se laisser faire : « Elle est tellement douce et maternelle qu’elle met tout le monde à l’aise. »
Dans les fictions homos, ce dieu doré, de manière générale, impose une captation qui emprisonne l’esprit qu’il hypnotise : « J’ai essayé de dormir. Mais y avait rien à faire. Dès que je fermais les yeux, j’avais des paillettes d’or qui me pleuvaient devant les rétines. Et derrière ce rideau, Groucha, dansant une sorte de danse du ventre, avec son piercing au milieu qui faisait comme un œil éblouissante. Groucha, ça virait à l’obsession. Il me la fallait. Et à froid, loin d’elle et de son regard moqueur, ça me paraissait pas si hors de portée que ça. » (Yvon à propos de Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 261) ; « J’avais des paillettes, du chauve-business. J’avais envie de ça. » (Zize, le travesti M to F parlant de sa vie, après avoir eu son premier enfant, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « On pénètre ce pavillon par une pluie d’or. » (la Bête dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; etc. Certains héros homosexuels se prennent pour ce « divin » veau d’or qu’ils convoitent : « Nous sommes faits d’ivoire et d’or. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « C’est notre nuit du veau d’or ! » (Fifi et Mimi, les deux travestis M to F, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; etc.
Film « L’Inconnu du Nord-Express » d’Alfred Hitchcock
Les feux d’artifices sont généralement montrés comme des paravents kitsch d’une guerre larvée ou d’une dictature cachée : ceci est manifeste dans le film « Bulldog In The White House » (« Bulldog à la Maison Blanche », 2006) de Todd Verow (avec la chanson militante du travesti, pendant laquelle sont intercalées des paroles relatant des faits politiques graves à des images d’explosions lumineuses), ou bien encore à la fin du concert Météor Tour (septembre 2010) du groupe Indochine à Bercy (un paysage désolé, dévasté par la guerre, encore fumant, s’étale sur trois écrans géants, et pourtant, on voit au second plan un foisonnement de feux d’artifice). Un peu comme le rainbow flag, les feux d’artifice visibles dans certaines œuvres traitant d’homosexualité n’annoncent rien de gai. Plutôt le contraire ! Ils disent un éclatement schizoïde dû à l’hédonisme ambiant d’une société où l’oisiveté règne en maître, où la fête, à force de s’éterniser, vire au cauchemar. « Nous allons lui jouer un feu d’artifices, le bouquet final. » (Vera l’héroïne lesbienne machiavélique s’adressant à son amante Lola par rapport à Nina, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio)
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION :
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Je vous renvoie aux documentaires « Bright Eyes » (1986) de Stuart Marshall, « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti, ainsi qu’aux concerts de la chanteuse Mylène Farmer (où il y a souvent le rituel de la pluie d’or, présenté généralement comme « magique » et féérique). Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, les « bixa-travesty » portent des yeux d’or.
Dalida, surnommée « Quatre yeux » étant petite
Certaines personnes homosexuelles (Félix González-Torres, Jean-Paul Gaultier, Yves Saint-Laurent, Manuel Puig, etc.) disent aimer les paillettes, la chaleur des spots lumineux, les pluies de confettis pailletés lancées par la Franc-Maçonnerie : « Mario a flashé sur un pantalon en cuir argenté. » (Arnaud dans la pièce-documentaire Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « La plupart des lieux de prédilection fréquentés par les homosexuels étaient urbains, civils, sophistiqués. Le scénariste américain Ben Hecht, à l’époque correspondant à Berlin pour une multitude de journaux des États-Unis, se souviendra longtemps d’y avoir croisé un groupe d’aviateurs, élégants, parfumés, monocle à l’œil, bourrés à l’héroïne ou à la cocaïne. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 30) ; « L’artifice me fascine, ce qui est brillant et scintillant » déclare par exemple Andy Warhol (cf. l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, dansle Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 495) ; « Kimy voulait se déguiser en sirène. Il aimait les paillettes. » (Mathilde Dutour, directrice d’une école d’Annecy-le-Vieux, parlant du cas de Kimy, un de ses élèves transgenres M to F de 8 ans, qu’elle a décidé d’accompagner dans sa transition, lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; « Marc parlait d’or. » (Marc, le meilleur ami homo de Paula Dumont, après sa visite de la Fondation Maeght, dans l’autobiographie de Paula, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 92) ; etc. Lorsque que je me baladais dans l’exposition « Le Grand Monde d’Andy Warhol » au Grand Palais de Paris, en 2009, j’ai découvert que l’artiste était fasciné par la brillance des paillettes et du strass, par les éclats artificiels. D’ailleurs, pour certaines de ses œuvres, il a employé de la poussière de diamant. Le poète espagnol Luis Cernuda, quant à lui, dit être attiré par « la splendeur de la fugacité et la beauté éphémère » (cf. le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003). Lors de l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle diffusée le 7 mars 2011, Cécile Vargaftig dit qu’elle a lu La Fille aux yeux d’or de Balzac.
Un certain nombre d’individus homosexuels avouent qu’ils « aiment la brillance de la nuit » (le couturier Xavier Delcour, cité dans la revue Têtu de novembre 2001, p. 111) : « Les seuls gens vrais pour moi sont ceux qui brûlent comme des feux d’artifice extraordinaires qui explosent comme des araignées dans les étoiles » écrit le romancier nord-américain Jack Kerouac. Leur attrait pour l’or exprime en toile de fond un désir de pacotille, une superficialité, un élan de mort ou de futilité, puisque le fétiche qu’ils cherchent à devenir, tout brillant qu’il soit, est figé et inanimé : « Le mort et le plus beau des humains m’apparaissaient confondus dans la même poussière d’or, au milieu d’une foule de marins, de soldats, de voyous, de voleurs de tous les pays. […] Je faisais connaissance au même instant avec la mort et avec l’amour. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 43)
Film « Hellbent » de Paul Etheredge-Ouzts
À mon sens, hormis le fait d’illustrer l’attrait naïf, enfantin, et souvent inavoué, d’une grande part du public homosexuel pour le kitsch disco, la place prédominante des lunettes d’or et de la brillance dans les œuvres homosexuelles s’explique par la nature idolâtre du désir homosexuel. Ce désir particulier, pas si relationnel que cela (Nicolás Rosa, dans Artefacto (1992), explique justement que chez les artistes néo-baroques homosexuels, il est souvent question de « l’impénétrabilité de l’or qui est miroir de lui-même », p. 19), est le signe d’une fixation à un modèle cinématographique. Le désir du Tout-Autre ou de l’autre sexe s’est cristallisé sur une idole au regard vide mais argenté, qui a fait barrage à la progression vitale de l’Amour, et qui n’est pas Relation. Avec ce code des « Lunettes d’or », on touche directement à la problématique du fétichisme, de l’idolâtrie (…et de la solitude qu’elle engendre) : « Je suis myope. Ça rassure. Ça endort. J’enlève mes lunettes, c’est réglé, aussitôt les gens parlent. Autrefois, quand je les enlevais, c’était pour dresser une barrière entre les autres et moi. Je croyais m’enfermer derrière un mur de brume. J’étais jeune. Aujourd’hui, je porte ma myopie comme un masque. Ou plutôt (puisque les masques dissimulent tous les traits en laissant les yeux à découvert, par deux fentes imprudentes, et que mon masque à moi procède de la façon contraire) je me sers de ma myopie comme de verres fumés. Rendu inoffensif par le flou de l’œil, au fond duquel on ne songe pas à deviner mon attention prête à bondir au moindre signal, je ne suis jamais plus ‘voyant’ que le regard nu. Les contours de l’objet s’évanouissent, les gestes s’enfoncent dans du coton : plus rien ne m’échappe des inflexions de la voix, des mouvements de l’âme. » (la voix narrative du roman La Peau deszèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 27 ; c’est moi qui souligne) ; « Mon Dieu ! Mes lunettes solaires ! » (Loïs dans film « Girl » (2018) de Lukas Dhont) ; etc. Encore faut-il se rendre compte qu’on parle au regard miroitant inanimé d’une statue…
Film « L’Homme au lac » d’Alain Guiraudie (Face au violeur luciférien…)
Inconsciemment, c’est la vanité de l’orgasme homosexuel et plus généralement de l’acte homosexuel – qui a la durée d’un feu d’artifice – qui est dénoncé avec des étoiles dans les yeux : « Cadinot nous offre un feu d’artifice. » (cf. le commentaire « critique » concernant le film porno « Le Voyage à Venise » (1986) de Jean-Daniel Cadinot, dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 92) ; « Ce fut un épisode sans importance. Ça n’a pas été… il n’y a pas eu de feux d’artifice. » (Dan, homme homosexuel parlant de sa première coucherie homosexuelle, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Cette transition, c’est… pfiou… 14 juillet ! » (Laura, homme M to F, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc.
Linn Da Quebrada, homme travesti, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2010) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla
Les liens entre transidentité et Franc-Maçonnerie sont nombreux. D’ailleurs, Olivia Chaumont est un homme trans M to F français ouvertement franc-maçon. Il y a aussi beaucoup de ponts entre transidentité et alchimie (transformation en or). Et, c’est drôle, il existe un certain nombre d’ex-médaillés d’or olympiques qui entament une transition transsexuelle = George Jenner (médaille d’or du décathlon) qui devient Caitlyn Jenner ; Rachel McKinnon (médaille d’or en cyclisme) ; Wilfrid Forgues qui devient Sandra Forgues (médaillé à Atlanta en canoë pour la France) ; Balian Buschbaum (médaille d’or pour l’Allemagne); etc. Et concernant les travesties transgenres, c’est la pluie de gouttes d’or à l’Eurovision pour Conchita Wurst ou encore Bilal Hassani. Dans le film « Les Crevettes pailletées », le personnage de Fred est le trans toujours habillé d’or.
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Jean-Luc Revol et Denis d’Arcangelo dans leur spectacle Les-2-G (2014)
La figure du magicien exerce souvent chez les personnes homosexuelles une vraie fascination. Alors que cela n’a parfois aucune raison d’être, il n’est pas rare de voir surgir, au détour d’une intrigue filmique homo-érotique, un prestidigitateur ou un héros gay se découvrant des pouvoirs magiques. Cela renvoie en général au fantasme de toute-puissance et au désir de devenir Dieu, inhérents au désir homosexuel (cf. je vous renvoie aux codes « Se prendre pour Dieu » et « Frankenstein» de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Il ne faudrait pas limiter ce code à son innocente dimension ludique. Le magicien, pour celui qui y croit, donne l’impression réaliste qu’il disparaît, qu’il plane dans les airs, qu’il anime les objets comme Dieu le ferait, qu’il coupe en deux les corps déjà sexués (et donc leur redonne une sexualité : double ration !), qu’il ressuscite ce qui était mort. En gros, qu’il est en mesure de modifier/ré-inventer les lois de la Nature à travers le paraître, l’astuce audiovisuelle et l’artifice.
Vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer
C’est exactement la prétention qu’affiche le désir homosexuel. Beaucoup de personnes homosexuelles, dans leurs fantasmes secrets, considèrent le regard humain comme unique créateur de ce qui est vu, et non comme récepteur de ce qui le dépasse ; l’expérience extatique du dédoublement de soi ou de la mythomanie, comme une manière juste d’appréhender la Réalité. Déplacer des objets par un simple coup d’œil, jeter des sorts, lutter contre des démons, déployer ses pouvoirs magiques pour contrôler les éléments naturels, ou figer ses ennemis en statues, sont souvent des fantasmes esthétiques exprimés par les personnes homosexuelles (cf. le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer). Celles-ci ont tendance à se prendre pour des magiciens omnipotents régnant sur la vie et la mythique faucheuse. Elles s’imaginent qu’elles peuvent défier et même faire disparaître la mort par l’image et la contrefaçon. Autrement dit, elles se fient au pouvoir de « mythifier le mythe » dont parle Roland Barthes dans son essai Mythologies (1957), quand bien même elles sachent parfaitement que « le mythe ne cache rien et que sa fonction est de déformer, non de faire disparaître » (idem, p. 207). Le problème est que nous ne pouvons pas battre le mythe par le mythe mais uniquement par l’amour vrai et humain, et par notre attachement à l’être plus qu’au paraître. C’est prétention que de croire en la toute-puissance de ce qui est bien plus souvent mort que vie : les images, ces supports privilégiés du mythe. Ainsi, en accordant tout pouvoir aux images déréalisées et en se plaçant en observateurs d’eux-mêmes pour se regarder à travers les supposés yeux des autres, les illusionnistes homosexuels se convertissent très souvent en prestidigitateurs bluffés par leur propre tour. Le magicien, à force d’avoir intentionnalisé, intellectualisé et esthétisé ses tours de passe-passe, finit par mordre à l’hameçon de sa théâtralité, et par sortir de sa sphère de conscience. Comme l’énonce Hervé Guibert, « l’ennui, c’est que les photographes croient à la réalité des photographies » (cité dans l’essai Dits et écrits II (2001) de Michel Foucault, p. 982). Étant donné qu’il se montre excessivement à lui-même qu’il simule, le comédien homosexuel n’éprouve plus sa mise en scène de magicien comme magique. « Qu’est-ce qui est simulé ? La simulation » (p. 11) écrira Severo Sarduy dans son essai La Simulación (1982). C’est sûrement ce qui fait dire au personnage d’Heurtebise dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau que « rien n’est plus tenace que la déformation professionnelle »…
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FICTION
a) Le magicien rose :
Souvent dans les fictions traitant d’homosexualité, un magicien ou une magicienne apparaît à l’improviste ; ou bien le personnage homosexuel parle de prestidigitation : cf. la chanson « A Kind Of Magic » du groupe Queen, la pièce La Magicienne (2010) de Christophe Botti, la chanson « The Forgotten Circus » du groupe Coop, le film « David Copperfield » (1935) de George Cukor, le film « La Fin de la nuit » (1998) d’Étienne Faure (avec le discret magicien interprété par Rudy Rosenberg à la soirée mondaine), le film « Grande École » (2003) de Robert Salis (avec Bernard le magicien, au tout début et à la fin du film), le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre, le film « The Wonderful Wizard Of Oz » (« Le Magicien d’Oz » (1939) de George Cukor), le film « Baisers volés » (1968) de François Truffaut, la pièce The Magician (Le Magicien, 1908) de William Somerset Maugham, le film « The Magic Christian » (1969) de Joseph McGrath, la chanson « La Foire d’empoigne » d’Arnold Turboust, les chansons « Optimistique-moi » et « L’Histoire d’une fée, c’est… » de Mylène Farmer, les chansons « Le Premier Jour » et « Il ne dira pas » d’Étienne Daho, les romans Magia E Invenciones (1984) et Poemas invisibles (1990) de Gastón Baquero, le film « Saved By The Belles » (2003) de Ziad Touma, le film « La Tête de Normande St-Onge » (1975) de Gilles Carle, le film « Pensionat Oskar » (1995) de Susanne Bier, le one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015) de Pierre Fatus (avec des tours de magie), etc.
« Il y a cette émission à la télé américaine – ‘La vérité sur les plus grands tours de magie du monde’. Ou quelque chose du genre. Ça pourrait être ‘Comment scier une femme en deux ?’ ou ‘Quand les rois de la magie se déchaînent’. Je ne sais plus trop. […] Ce qui me sidère le plus, à propos de ‘La vérité sur les plus grands tours de magie du monde’, c’est la simplicité des solutions. Vous avez beau y avoir réfléchi, jamais vous n’auriez imaginé que quelqu’un se donne autant de peine. Ou, pour le dire autrement, lorsqu’on vous affirme qu’il est impossible qu’une femme tienne dans un espace aussi petit que celui où les deux boîtes se chevauchent, eh bien vous le croyez au lieu de vous demander si une femme vraiment petite, prête à souffrir pendant un quart d’heure, ne pourrait pas tenir là-dedans. C’est ainsi. Dès qu’on vous dit qu’une chose est impossible, vous le croyez, le plus souvent. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 282-283)
Par exemple, dans le roman, Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar, le héros homosexuel, se montre adorateur d’un marabout qui pratique « la magie originelle » (p. 40). Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Abbey, la « fille à pédés », se voyant aux bras de son meilleur ami homosexuel Danny, se prend pour Dorothy dans le « Magicien d’Oz ». Dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau, la Bête se présente comme un magicien qui obtient tout par magie : il énumère les cinq instruments (« mon miroir, mon gant, mon cheval, ma rose et ma clé d’or ») sur lesquels repose son pouvoir.
Il n’est pas rare que dans les œuvres artistiques, la pratique de la magie soit signe d’homosexualité, ou bien que le magicien représenté soit ouvertement gay :cf.la B.D. d’illustrations érotiques lesbiennes La Magicienne (2005) de Camille MM, le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo (l’une des héroïnes lesbiennes est magicienne de rue), le roman Tuer le père (2011) d’Amélie Nothomb (avec la relation ambiguë des deux magiciens Joe et Norman), le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi (avec Fabio, le personnage homosexuel faisant des tours de magie), le film « Ossessione » (« Les Amants diaboliques », 1943) de Luchino Visconti (avec Giuseppe le forain, amant secret de Gino), le film « Lord Of Illusions » (1995) de Clive Baker, le roman Esthètes et Magiciens (1969) de Philippe Jullian, le spectacle La Vie privée d’un magicien ordinaire (1985) de Jérôme Savary, le roman Juegos De Manos (1954) de Juan Goytisolo, la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le roman Magic’s Pawn (La Proie de la magie, 1991) de Mercedes Lackey (avec Vanyel, le mage voulant venger la mort de son amant Tylendel qui lui a fait découvrir à la fois ses propres pouvoirs magiques et son homosexualité), le roman L’Esprit de la magie (2009) de Poppy Dennison, le jeu vidéo Dragon Age : Inquisition (2014) de David Gaider (avec le magicien homosexuel Dorian), le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras (avec Dany, le héros homo, et son lapin blanc Dido), etc. Par exemple, dans le film « Céline et Julie vont en bateau » (1974) de Jacques Rivette, Céline, l’une des héroïnes lesbiennes, incarne une magicienne un peu mytho. Dans l’épisode 365 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 27 décembre 2018, André, le héros homosexuel, décrit l’un de ses amants éphémères : « À l’époque, je sortais avec un magicien du César Palace. Un gars très bien. Un Allemand. Beau comme un dieu grec. Il s’appelait Otto. » Et dans l’épisode 367, il fait des tours de magie dans sa chambre d’hôpital.
« Je suis une magicienne ! » (cf. une réplique de l’héroïne d’une nouvelle écrite en 2003 par un ami homosexuel angevin, p. 63) ; « Dire qu’il m’est venu des dons de sorcier juste au moment où ça ne peut me servir de rien. » (le narrateur homosexuel du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 42) ; « Je lui fais parfois des miracles bien que ces derniers temps j’ai perdu pas mal de mes pouvoirs. Mais j’ai encore quelques trucs dans mon sac. Je peux encore faire bouger quelques grains de sable ou faire pousser les tomates. » (idem, p. 53) ; « Deviens prestidigitateur ! Illusionniste ! » (Chloé s’adressant à Malik l’hétéro, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Très tôt dans ma tête, j’ai secrètement décidé de suivre le chemin maternel à ma façon : je deviendra le plus grand magicien du monde. Je voulais posséder une force inconnue, ne pas être un simple illusionniste, mais un véritable magicien aux pouvoirs surnaturels, un sorcier ! » (Audric dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « C’est un magicien, ce type. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.
Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se fout de la gueule des passagers qui déposent leur grosse valise à ses pieds en attendant que ce soit lui qui la mette dans les soutes : « Des fois que tu seras magicien. » (il parodie le dessin animé Les Maîtres de l’Univers : « Par le pouvoir du Crâne Ancestral ! »). Dans le sketch « Le Pays de la Magie » de l’humoriste Bruno Salomone, Disneyland est décrit comme le monde de la bisexualité. On peut penser également à la préciosité de certains joueurs de poker de la B.D. Lucky Luke, qui ressemblent à de vrais dandys.
Dumbledore dans Harry Potter dans une revue fake
D’ailleurs, si on regarde bien, on n’imagine pas, dans la fantasmagorie populaire, le magicien figuré en homme marié (meilleur exemple : Merlin l’Enchanteur). Il est quasiment toujours célibataire. S’il est accompagné, c’est de son animal de chevet (le hibou Archimède) ou de son assistante la potiche (qu’il fera disparaître dans une boîte, crucifiera comme une pin-up, coupera en mille morceaux…).
b) Le prestidigitateur de l’« amour » :
La magie dont il est question est parfois synonyme de fantasme amoureux ; et le fantasme amoureux homosexuel semble se caractériser par une fascination pour l’être objet : cf. la chanson « Nuit magique » de Catherine Lara, le film « Écran magique » (1982) de Gianfranco Mingozzi, le film « Magic Mike » (2005) de Steven Soderbergh, le medley de la « Lampe magique » au concert des Enfoirés à la tournée 2009 (avec la relation lesbienne envisagée), etc. « Jamais les femmes ordinaires ne donnent l’essor de notre imagination. Elles ne sortent pas de leur siècle. Aucune magie ne les transfigure. Rien en elles qui ne puisse pénétrer. Pas une qui soit mystérieuse. Toutes, elles ont le même sourire stéréotypé et les belles manières du jour. Elles sont claires et banales. Mais les actrices ! Oh ! Combien les actrices sont différentes ! » (Dorian Gray dans le roman The Picture Of Dorian Gray, Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, pp. 72-73) ; « Tout au fond de ma mémoire, je le sens se réveiller, l’ancestral désir de toi : c’est le désir de monter sur un beau tapis magique pour survoler toute l’Afrique dans un dessin animé. » (Lou s’adressant à Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « C’est bien Maguy : des yeux d’enfant fluorescents comme la magie. » (cf. le poème « L’Énergie du désespoir » (2008) d’Aude Legrand-Berriot) ; etc.
Le magicien est l’amant homosexuel qui, à travers la passion amoureuse flattant et rassurant dans un premier temps celui qui se laisse faire par elle, conte fleurette, donne des ailes, regarde avec des yeux de braise (attitude digne du « vieux beau » bobo), montre le reflet embellissant de la magie pour cacher ses manigances de séduction. « J’ai toujours été fasciné par la magie des mots. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 304)
c) Le magicien violeur (pratiquant un magie bien noire…) :
Mais le charme s’évanouit vite à la lumière du jour. Le magicien homosexuel démasqué, c’est aussi le violeur, le voleur, le ravisseur, l’oiseau de mauvais augure : celui qui arrive à manipuler son amant comme une marionnette parce qu’il le ravit (au sens propre du terme) et l’éloigne du Réel : cf. le film « Les Voleurs » (1996) d’André Téchiné (avec Jimmy fait un tour de cartes à Justin, en lui montrant le Roi de Cœur), le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman (avec le jeune Matthieu, s’improvisant magicien des ténèbres avec son tee-shirt de squelette, et montrant par un tour de carte à Hugo, le héros homosexuel, que le Roi de Cœur et le Roi de Pique sont une seule et même carte), le film « A Un Dios Desconocido » (1977) de Jaime Chavarri, le film d’animation « La Princesse et la Grenouille » (2009) de Ron Clements et John Musker (avec le Dr Facilier, le cruel « Maître des Ombres » marabout particulièrement efféminé), la chanson « Magie noire » de Philippe Russo, la chanson « Ensorcelée » de Lorie, etc. « J’ai un don. » (Marina, le personnage transsexuel M to F qui pratique des tours de passe-passe qui sont en réalité des petits vols, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « Il se demanda par quelle aberration il avait pu agiter dans sa cervelle la question de savoir si cet homme était ou n’était pas un magicien. Pourquoi pas le diable en personne ? » (Fabien au sujet de Brittomart, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 54) ; « Le père Walter leva la main droite et il redevint l’illusionniste qui avait hypnotisé les fidèles pour leur faire croire que leur dieu était parmi eux. » (Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 209) ; « Elle souvenait de la façon dont il était passé de l’assurance à la défiance, du magicien au petit garçon. » (idem, p. 229) ; etc.
Le personnage homosexuel joue à l’illusionniste pour défier la mort et devenir immortel, mais il en devient pour le coup diabolique. Il bascule de temps en temps dans la sorcellerie et la magie noire (cf. je vous renvoie à la partie « Sorcières » du code « Carmen » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on assiste au spectacle d’hypnotiseur et de magicien de Karl Lagerfeld qui manipule son amant Jacques à distance et le transforme en tigre soumis, devant un public de dandys décadents. Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Bernard rentre dans la peau de « Bernardo » (le héros muet de la série Zorro) jouant à la corrida avec Didier, son amant, en le faisant apparaître puis disparaître sous sa muleta rouge, comme un magicien. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Emily, celle qui devait être la femme d’Howard mais qui, à cause du coming out de ce dernier, ne le sera jamais, accuse son presque-mari de « magie », lui attribue un pouvoir et une influence néfastes. Plus tard, il sera également question de « magie noire » dans la bouche de Cameron Drake, celui qui a lancé la rumeur d’homosexualité sur Howard. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Suki, Juna, Rinn et Kadojo, compose le club des quatre Gothic Lolitas lesbiennes qui s’autodétruisent par la magie, autour de la grande sœur invisible (morte) de Juna : « On pourrait créer un club de magie. » (Juna) Juna possède un livre de secrets diaboliques : « Tu sais ce que c’est la magie ? » dit-elle à Kanojo qui lui répond : « Ça sert à faire faire aux gens tout ce qu’on a envie. » À la fin, les deux amantes font un combat de sorcellerie qui va se révéler fatal pour Juna.
FRONTIÈRES À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) Le magicien rose :
Très souvent, les personnes homosexuelles ont des accointances avec le monde de l’illusion et de la magie : c.f. la photo Le Magicien d’eau d’Orion Delain, l’article suivant, l’essai Le Livre de la Magie (2018) de Noël Daniel, etc.
Par exemple, le romancier japonais homosexuel Yukio Mishima admire la magicienne Tenkatsu et s’y identifie : « Je suis Tenkatsu ! Je suis Tenkatsu ! » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), cité dans sa Correspondance 1945-1970 (1997), p. 15)
Film « Le Magicien d’Oz » de Victor Fleming
D’ailleurs, ce n’est pas un pur hasard si le film « The Wonderful Wizard Of Oz » (« Le Magicien d’Oz », 1939) de Victor Fleming est devenu un monument de la culture LGBT, qui a consolidé le mythe de la jeune Judy Garland (Dorothy), et qu’il a été réalisé par George Cukor (homosexuel).
« Hommes aux mille mains, je vous salue. Hommes aux mille mains, ce que vous faîtes croire est plus réel que le réel qui est un rêve. » (cf. l’inscription que j’ai lue en 2004 sur l’écriteau du Musée des Enchanteurs à l’entrée du Château d’Antrain retranscrivant un message que Jean Cocteau a réellement marqué sur une nappe de restaurant en hommage au magicien le Dr Marteret) ; « Un soir, il s’est produit un fait exceptionnel. Ils ont retransmis [à la radio] un spectacle de magie. C’est-à-dire qu’il n’y avait rien à entendre, sauf une vague musique où se mêlaient des airs de comédies musicales américaines et des mélodies orientales. Le magicien s’appelait Fou Man chou. Pour combler le vide, le présentateur s’était vu contraint de résumer la totalité du spectacle. Il racontait comment lévitait la belle assistante du magicien. Ou comment il la coupait en deux avec une scie électrique. La parole avait la fonction d’une loupe : tout devenait énorme dans mon imagination. Je voyais les éclaboussures de sang au moment où la scie tranchait la chair de la femme. […] Je ne pouvais plus fermer l’œil de la nuit. Je voyais s’élever la victime au milieu des nuages roses. […] J’ai tellement insisté [pour aller voir le spectacle de magie de Fou Man Chou] que ma grand-mère a dû enfiler sa robe à volants, ses mitaines de dentelle, son petit chapeau et ses chaussures à talons. Nous avons pris le train. Pour moi, c’était comme si nous étions partis pour toujours. Légers, sans valise, à la gare centrale. Elle m’a acheté des bonbons. Comme ça, la panoplie nécessaire aux rêves était complète. […] Ce spectacle de Fou Man Chou est resté inscrit dans ma mémoire, m’accompagnant toute ma vie, comme l’expression de l’esprit et de la bonté de ma grand-mère. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 149-151)
Certaines personnes homosexuelles, même si elles ne sont pas officiellement magiciennes, jouent au moins à l’être (parfois en se maquillant, en faisant des parodies de tours de magie, ou mentalement, dans le secret de leur cœur). Par exemple, dans sa pièce Le Frigo (1983), le dramaturge homosexuel présente justement son frigidaire comme « la boîte de prestidigitateur la plus élémentaire, quand on n’a pas de moyens » (cf. l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » de Michel Cressole, dans le journal Libération du 15 décembre 1987). Thomas Mann, le romancier homosexuel allemand, était surnommé « le Magicien » par son fils Klaus, lui-même homosexuel : il écrira d’ailleurs en 1930 une nouvelle intitulée Mario et le Magicien.
Dessin animé Emi Magique
Pour ma part, durant mon enfance, j’étais fan des magical girls des mangas japonais (et notamment d’Emi Magique, Lalabel, Gigi, She-Ra, etc.), de la rousse Sheila à la cape d’invisibilité (dans le dessin animé Le Sourire du Dragon), de Samantha (de la série Ma Sorcière bien-aimée) ainsi que de toutes les femmes bioniques (Super Jaimie en première ligne, mais aussi les Drôles de Dames, avec Chris Monroe en magicienne). J’étais aussi fasciné par l’illusionniste des Sept boules de cristal de Tintin (Hergé).
Judy Garland
D’ailleurs, concernant précisément le costume de magicienne (le chapeau haut de forme, la baguette, le lapin… et toutes ses mimiques : le claquement de doigts, le nez qui bouge, le clignement d’œil, etc.) a quelque chose de l’attirail kitsch séduisant de la majorette pin-up (future pétasse), de l’homme-objet androgyne (sur-féminisé).
Certaines célébrités du monde de la magie sont connues pour être homosexuelles : Jean Cocteau, David Copperfield (le « copain » de Claudia Schiffer, fortement suspecté d’être bisexuel), Richard Simmons, Gérard Majax, Derren Brown, le romancier Arthur Dreyfus, Jérôme Savary et Copi (formant partie du GrandMagic Circus dans les années 1960), Charles Nebster Leadbeater, Jean Weber, Jean Boullet, etc. Peut-on pousser le trait en envisageant que la voix haut perchée et le rire aigu du magicien Garcimore est un indice d’homosexualité… ? Je m’arrêterais là… mais pourquoi pas, après tout ? 😉
Richard Simmons
Enfin, quasiment toutes les pubs pour Wizard (mot anglais signifiant « magicien »), le désodorisant d’intérieur, ont été jouées soit par des icônes gay (Alice Sapritch, Dalida), soit par des acteurs homosexuels (Charles Trénet, Thierry Le Luron).
b) Le prestidigitateur de l’« amour » :
La magie a à voir indirectement avec l’homosexualité dans la mesure où le désir homosexuel, par essence éloigné du Réel (par son rejet de la différence des sexes), fait prendre des vessies pour des lanternes, laisse croire à l’inversion des sexes, des apparences (appelées « genres »), des rôles, des êtres humains et des éléments naturels qui les entourent.
La magie dont parlent certaines personnes homosexuelles est souvent synonyme de fantasme érotique ; et le fantasme érotique homosexuel semble se caractériser par une fascination pour l’être objet : « Ce qui me plaisait plutôt, c’était de lui [Philomène] ressembler dans sa féminité. En effet, sa façon de marcher, de s’habiller ou de se tenir, dégageait un moment de magie qui me séduisait. Je la comparais de surcroît à une fleur sauvage, poussée au milieu d’une plate-forme cultivée. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 48)
David Copperfield
Le magicien peut-être tout simplement l’amant homosexuel qui, à travers la passion amoureuse flattant et rassurant dans un premier temps celui qui se laisse faire par elle, conte fleurette, donne des ailes, regarde avec des yeux de braise (attitude digne du « vieux beau » bobo), montre le reflet embellissant de la magie pour cacher ses manigances de séduction : « Portrait de l’un ou de l’autre, nos deux narcissismes s’y noyant, c’est l’impossible réalisé en un miroir magique. » (la photographe lesbienne Claude Cahun parlant d’elle et de sa compagne Suzanne Malherbe, dans son essai Aveux non avenus, 1930)
Dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, on nous raconte la rencontre entre Nicolaus Sombart et son amant beaucoup plus âgé que lui Carl Schmitt. Nicolaus a l’air comme ensorcelé : « Carl me paraissait sans âge. J’étais tellement captivé par ses grands yeux et leur admirable expressivité. […]Aucun auteur allemand de premier plan – savant, écrivain ou poète – n’a sans doute laissé un souvenir de fascination aussi unanime. Quel que soit le verdict qu’on porte sur lui, qu’on l’admire ou qu’on le condamne, on dira toujours que cet homme était fascinant. Et nul n’a plus succombé à cette fascination que moi. La première à m’avoir parlé de ce pouvoir fut ma mère. Sa magie provenait d’une espèce particulière de spiritualité rayonnante, d’une ambivalence profondément enracinée. » (p. 273)
c) Le magicien violeur (pratiquant un magie bien noire…) :
Mais le charme s’évanouit vite à la lumière du jour. Le magicien homosexuel démasqué, c’est parfois le violeur, le voleur, le ravisseur, l’oiseau de mauvais augure : celui qui arrive à nous manipuler comme une marionnette parce qu’il nous ravit (au sens propre du terme) et nous éloigne du Réel : « Je ressentais parfois du dépit d’être ainsi désacralisé, parce qu’il [le père Basile, le violeur pédophile] aidait des barrières à s’affranchir de leur idée de la réalité. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 36) ; « Comme un magicien, il nous donnait l’illusion de flotter au-dessus d’une foule de cadavres. » (Romala Nijinski, la femme maltraitée du célèbre danseur bisexuel, dans sa biographie Nijinski, 1934) ; etc.
Pour aller dans ce sens, il me semble signifiant que la pratique de l’homosexualité, dans certaines civilisations ou pays, soit condamnée avec la même échelle de gravité que la sorcellerie (en Afrique ou ailleurs) : « Chez les Scandinaves – Il y a un siècle, les Suédois considéraient les rapports hors-nature et les amitiés particulières comme sorcellerie – donc, crime suprême – et les pédérastes étaient lapidés. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 154) Pendant mon voyage en Côte d’Ivoire en juin 2014, j’ai pu constater combien les pratiques homosexuelles et de sorcellerie étaient parfois fortement imbriquées. Et il y a chez les personnes homosexuelles une tendance accrue à se prendre pour Dieu (cf. je vous renvoie aux codes « Se prendre pour Dieu », « Blasphème » et « Attraction pour la foi » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) qui les engage à rejoindre le monde artistico-spirituel de la magie).
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La Chose dans le film « The Addams Family » de Barry Sonnenfeld
À trop s’extérioriser psychiquement, certaines personnes homosexuelles ne se voient plus agir. Les actions litigieuses qu’elles opèrent en fantasme ou en acte deviennent des événements extérieurs qu’elles subissent avec impuissance quand leur conscience ne veut pas les reconnaître. La connexion entre ce qu’elles désirent et ce qu’accomplit leur main ne se fait plus. C’est la raison pour laquelle la main coupéeest un motif récurrent des œuvres homo-érotiques. L’insistance des individus homosexuels sur la main tranchée illustre l’existence en eux d’un désir égocentrique – elle renvoie notamment aux rituels de la masturbation ou du suicide, très pratiqués dans la communauté homosexuelle – et le contexte d’horreur invisible ou folklorique – pensez à la main baladeuse nommée « la Chose » dans le film « La Famille Addams ». Grâce à la main, les personnages homosexuels rentrent dans le cocon narcissique de la mort. Par exemple, l’Orphée de Jean Cocteau ne peut pénétrer dans le monde infernal du miroir qu’« en présentant d’abord les mains ».
Le symbole de la main coupée vient rappeler l’existence d’un désir de viol (et parfois d’un viol réel) camouflé. On peut remarquer qu’un certain nombre d’auteurs homosexuels font apparaître des mains gantées dans leurs créations. Les gants habillent d’habitude ceux qui commettent les meurtres symboliques et qui ne veulent pas les assumer, c’est-à-dire l’actrice hollywoodienne et Don Juan. Dans l’iconographie homo-érotique, nous voyons très fréquemment les protagonistes homosexuels regarder leurs mains ensanglantées en étant incapables d’y voir le sang qu’ils ont pourtant fait cinématographiquement couler. Tel Philippe dans le film « La Meilleure façon de marcher » (1975) de Claude Miller, ils plantent leur couteau dans la jambe de leur amant, puis n’en finissent pas de se confondre en excuses comme s’ils n’avaient rien maîtrisé de leur acte, en regardant leurs mains pleines de sang avec impuissance. Les mains éternellement tachées illustrent la déconnexion totale et douloureuse entre le faire et l’être, l’extérieur et l’intérieur, observable en tout désir humain dispersant (et pas uniquement homosexuel).
L’angoisse muette de la Lady Macbeth shakespearienne de ne pas parvenir à gommer le crime de son mari témoigne, au-delà du symbole, que l’excès d’extériorisation psychique de soi fait vivre l’enfer. Quand je parle d’enfer ici, cela n’a rien à voir avec une quelconque vision satanisante ou manichéenne de la géhenne. Je me réfère au véritable enfer, celui de l’absence à soi. C’est le fait de ne plus reconnaître ses actes comme les siens propres. Comme l’écrit Maurice Zundel en partant justement de l’exemple de Lady Macbeth, l’expérience de l’enfer, c’est de se frotter les mains sans se frotter la conscience, c’est la victoire du paraître sur la Réalité, c’est le refus de s’intérioriser.« C’est ça, son enfer : ses crimes lui retombent sur le crâne, comme s’ils venaient du dehors car justement elle a jeté toute sa vie au dehors. » (Maurice Zundel, Silence, Parole de Vie (1990), p. 71) Quand nous vivons l’enfer, nous nous sentons étrangers à nous-mêmes, nous ne nous reconnaissons plus, et nous trouvons que les autres nous violent en occupant la place de notre corps que nous n’avons pas voulu habiter. Nous vivons alors la pénible expérience de la « mort avant l’heure » décrite par Bernard Mercier concernant son expérience de la guerre d’Algérie : « La perte de sens était l’effet le moins visible en moi, mais certainement le plus assuré. Je pourrais la qualifier de vide existentiel ou de descente aux enfers de l’inhumain. Un profond dégoût de toutes choses. Le sentiment de l’inutilité de l’existence, de son incompréhensibilité, de sa vanité. Où était désormais le mal, où était le bien ? Comment traduire avec des mots le fait de se quitter ainsi soi-même quand plus rien ne vaut ? Rien, même pas soi-même. Ou soi-même comme une absence à soi. » (Bernard Mercier, Plongé dans les ténèbres (2002), p. 82)
L’absence à soi n’est pas proprement homosexuelle, bien sûr : comme le commun des mortels, les personnes homosexuelles la vivent à chaque fois qu’elles se font complices, dans le déni, de l’inadéquation entre leurs désirs profonds et leurs actes. Mais le problème, c’est qu’au lieu de la reconnaître, beaucoup d’entre elles la subliment. En effet, elles ont tendance à figer le questionnement sur la nature schizophrénique de leur désir homosexuel que leurs mises en scène du viol révèlent, en icône esthétique victimisante et désirable : songez par exemple à la posture catastrophée d’Isabelle Adjani dans sa robe blanche tachée de sang sur l’affiche du film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau. Cette cristallisation de l’horreur ne fait que conforter chez certaines un sentiment de culpabilité injustifié – car les crimes visibles à l’écran, s’ils sont parfois les reproductions de viols réels antérieurement vécus, sont prioritairement fictifs et uniquement révélateurs de l’existence d’un fantasme de viol –, susciter l’indifférence face à ce qui ne semble ni vivant ni réel tant la violence est figée, extériorisée et exagérée, ou même alimenter un attrait secret pour la mort et la souffrance via une esthétique de la brutalité spectaculaire.
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FICTION
Le personnage homosexuel se coupe la main, et est incapable de reconnaître les actes qu’il commet, ainsi que le sang qui le souille :
a) La main coupée :
Film « Orphée » de Jean Cocteau
Le motif de la main coupée revient extrêmement souvent dans les fictions artistiques traitant d’homosexualité, aussi bien sur le registre comique, sexuel (masturbation ou attouchements), dramatique (suicide), que celui de l’épouvante : cf. le film « Le Sang d’un poète » (1930) de Jean Cocteau, le film « La Main à couper » (1973) d’Étienne Périer, la comédie musicale Big Manoir (2007) d’Ida Gordon et d’Aurélien Berda, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec l’importance des mains de Bruno), le film « Poltergay » (2006) d’Éric Lavaine (avec la main baladeuse dans le tiroir), le film « Les Valeurs de la Famille Addams » (1993) de Barry Sonnenfeld (avec la main baladeuse surnommée « la Chose »), le film « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera (le héros dit s’être coupé la main en ponçant une pièce… En réalité, il se masturbe beaucoup, et a tenté de se suicider), le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat (avec l’héroïne se taillant les veines dans la boîte gay au tout début), le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard (où le clone du héros se fait soudainement trancher la main sans que le spectateur comprenne pourquoi), le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le vidéo-clip de la chanson « Sans logique » de Mylène Farmer (avec la main entaillée par les cornes-lames du taureau), le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig, les chansons « L’Histoire d’une fée, c’est… », « Tristana » (« Pourquoi faut-il payer de ses veines ? »), et « Pas le temps de vivre » de Mylène Farmer, le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand, le roman La Main gauche de la nuit (1969) d’Ursula K. Le Guin, l’affiche du film « Tire encore si tu peux » (1967) de Giulio Questi, le roman La Main de métal (1956) d’Endre Rozsda, le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet, la photo Autoportrait Main (1983) d’Andy Warhol, le film « La Main au feu » (1989) de Jean-Daniel Cadinot, la sculpture Pénétration de Tony Riga, le tableau Les Griffes du dormeur (1995) de Michel Giliberti, la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé (avec le bras mort de Didier), la chanson « Chacun fait c’qui lui plaît » de Chagrin d’amour, le dessin Elles s’aiment (1929) de Claude Cahun, le film « Devotee » (2008) de Rémi Lange (avec Devotee, l’homo privé de bras et de jambes), la pièce Démocratie(s) (2010) d’Harold Pinter (avec la main arrachée), le film « Sexual Tension : Volatile » (2012) de Marcelo Mónaco et Marco Berger (avec un homme au bras dans le plâtre), la pièce Une Heure à tuer ! (2011) d’Adeline Blais et Anne-Lise Prat (où Claire a peur que Joséphine lui ait cassé le bras), la pièce Cachafaz (1993) de Copi (avec le doigt coupé de l’agent), la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le film « Prête-moi ta main » (2006) d’Éric Lartigau, le film « Change pas de main » (1975) de Paul Vecchiali, le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye, le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » du groupe Cassandre, le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman, le film « Satyricon » (1969) de Federico Fellini (avec le poète à qui on coupe la main), le film d’animation « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima (avec Akino, le pianiste ayant perdu son bras gauche dans un accident), la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi (avec le doigt cassé d’Irina), la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi (avec le petit doigt de Jeanne qui la brûle), le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec le doigt coupé), la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec le petit doigt sectionné de l’Auteur), le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (Freddie s’est fait greffer des mains par le Professeur), le film « Le Cœur sur la main » (1949) de André Berthomieu, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, le vidéo-clip de la chanson « Foolin’ » de Devendra Banhart, le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, etc.
Film « La Belle et la Bête » (1946) de Jean Cocteau
Par exemple, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Franck, le héros homosexuel, s’est tailladé la main avec la chute d’un melon. Dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault, Marco, le héros homosexuel, chute dans une benne à ordures en déchargeant un chauffe-eau, et se foule la main : « J’ai un peu mal au poignet, mais ça va. » dit-il à son père. Dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Thierry, le protagoniste homo, s’est coupé le doigt au bar. Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Arnold s’est coincé les doigts dans le frigo. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, un bras coupé flotte dans l’eau. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, lorsque Malik dit qu’il y « mettra sa main à couper », Martin lui demande « Elle est où ta main ? ». Dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, le kozak Karltschusski se coupe les deux mains. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam, le héros homosexuel, s’est blessé à la main. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le fiancé de Gatal parle de « se faire couper des doigts, des mains ». Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M joue au foot avec Ali, le petit garçon qui tombe et se blesse à la main. Pour le consoler, Adineh lui dit : « C’est une blessure très profonde. On va devoir amputer le poignet. »
Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Oliver serre la vraie main humaine de son amant Elio avec la main et le bras d’une statue en cuivre trouvés dans des fouilles archéologiques sous-marines. Un peu plus tard, Elio regarde avec horreur sa main juste après que son amant Oliver l’ait discrètement caressée.
La présence de la main tranchée semble a priori incongrue et incompréhensible. « Je croyais avoir perdu la main… mais alors vous, vous êtes balaise ! » (Irène s’adressant au père Raymond, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Et ma main que j’ai tranchée devint objet de risée. » (le héros de la pièce Titus Andronicus (1594) de William Shakespeare, p. 631) ; « Putain, je me suis blessé au poignet. » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Ne riez pas, on trouve des antécédents célèbres dans l’histoire de la magie ! Une mauvaise manipulation et vous pourriez tout aussi bien perdre un doigt, une main ! » (Audric dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 51) ; « Linda, j’explose ! Oh merde, il faut que je me ramasse toute seule ! Ça va être du joli pour recoller tous ces doigts ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Comme dit votre grand-père, je suis une main de fer dans un gant de crin. » (Mamita, la mère de Laurent, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « On ne peut plus toucher la viande ! Merde, on se brûle les mains ! » (Raulito à Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, pp. 74-75) ; « Il naît du pétrole un petit diamant fragile d’où coule le sang d’une rencontre trop bousculée, trop prétentieuse, trop généreuse avec les doigts gantés d’un orfèvre. Un cristal saigne : son pétrole est rouge. » (la voix narrative de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Doucement, mon p’tit gars, ou je te fais manger ton bras. » (la religieuse à Elliot, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Ma main à couper ! » (Mme Follenska, idem) ; « On va me couper les deux mains. » (l’homo noir torturé dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Et si demain cette voix me commande de me couper une main, par exemple ? » (Michel parlant de sa voix intérieure, dans le film « Les Yeux fermés » (1999) d’Olivier Py) ; « Puis j’lui ai demandé sa main. Le bras est venu avec. » (le héros homo à propos de sa fictive femme Sofia, défigurée dans un accident de voiture, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Jane avait allumé les lampes pour repousser l’obscurité et le salon renvoyait un éclat blanc sous l’éclairage soigneusement réglé, si stérile qu’il n’aurait pu appartenir à la clinique de quelconque chirurgien esthétique. Il était facile d’imaginer un chariot entrant dans cet espace presque vide, poussé par des chirurgiens masqués, prêts à sculpter une beauté. Elle se les représenta un instant, leurs mains gantées s’activant profondément dans le sang. L’image évoquait trop la naissance venir et elle la chassa. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 135) ; « Quand je m’en irai, je dirai à Karl de demander au croque-mort de m’entailler les poignets. » (Frau Becker s’adressant à Jane, idem, p. 214) ; « Ils ont trouvé le père Walter dans le cimetière avec les poignets tailladés. » (Jane, l’héroïne lesbienne, idem, p. 224) ; « Oui, j’ai un problème. J’ai un peu mal au poignet. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Retirez votre main, elle sent le pourri. » (Valmont dans la peau de Merteuil, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc.
La main telle qu’elle est décrite dans les œuvres homosexuelles n’est pas un moyen d’atteindre le concret ni un signe de Réalité. Bien au contraire. Elle déforme le Réel. Elle vise les univers narcissiques : elle en est même la clé, comme par exemple dans le film « Orphée » (1949) de Jean Cocteau, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton (avec la main du patineur sur glace homosexuel), etc. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Gwendoline, la lycéenne transgenre, pense créer une sulfureuse sitcom intitulée Les Doigts de l’Amour. Dans la comédie musicale Se Dice De MíEn Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, quand Elsa s’étonne de la grosseur de la main de Pedro, celui-ci lui demande de la prendre vite « avant qu’elle ne rétrécisse. » La main est bien une métaphore du désir, ici. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler, l’un des héros homosexuels, porte une insigne politique irlandaise socialiste représentant une main rouge. Il l’offre à son amant Jim en guise de symbole d’amour. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien et Rémi, les héros bisexuels, se donnent la réplique pour répéter un rôle dans Cyrano de Bergerac. Les deux hommes finissent par se prendre à leur jeu dramatique (Damien joue Roxane, Rémi Cyrano) et à tomber amoureux l’un de l’autre. La main sert d’interface d’homosexualité : « J’aime quelqu’un qui ne le sait pas encore. Laissez-moi votre main. Maintenant, elle a la fièvre. » (Damien dans la peau de Roxane, sentant les sentiments de Rémi à son égard)
« À travers le miroir, on voyait bien la chambre et le lit. Au bout d’un moment, on vit la bonne entrer. Elle se mit à se déshabiller, puis, s’allongeant sur le lit langoureusement, bien en face de nous, se caressa tour à tour le bout des seins et le plus sensible. Je sentais que Marie était tétanisée par la peur que cela ne me déplaise. Dans un effort d’audace, pourtant, elle me prit par la taille. De l’autre côté du miroir, la bonne, se sachant observée, les cuisses bien écartées, faisait avec ses doigts des mouvements qui laissaient voir toute la profondeur de son intimité. Malgré l’état de peu de réceptivité dans lequel j’étais, j’en fus vite troublée. Ses poses étaient terriblement provocantes, et bientôt je sentis monter en moi une envie féroce de me satisfaire. Marie, dans le noir où nous étions, avait beaucoup plus d’assurance et me caressait presque. De son côté, comme elle l’aimait, la bonne s’était introduit tous les doigtsd’une main à l’intérieur du ventre et de l’autre se frottait en cadence sa partie la plus sensible. Marie releva assez ma robe pour passer sa main entre mes cuisses et, sans pour autant me dévêtir, trouva, étant femme, très facilement le bon chemin. Elle se mit à toucher ma fente. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 152)
Le poignet cassé est un esthétisme recherché ou subi par le personnage homosexuel : « Tu ressembles à une théière cassée. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « J’ai les poignets fragiles. » (Tex, l’un des héros homos du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « En jouant au squash : poignet cassé. » (Bonnard dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « Ce qu’il nous faut pour mener une chaîne de télé, c’est une bonne poigne. Pas un poignet cassé. » (Sonia par rapport au futur président, Nelligan Bougandrapeau, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « Les garçons me balançaient des pommes de pin ou m’arrachaient mon sac pour le vider par terre, quand je traversais la cour. Même certaines filles, celles qui jouaient aux gros bras pour pas se faire traiter de putes, elles rigolaient sur mon passage, me traitaient de sale théière, en mettant une main sur la taille et l’autre à côté du visage, en forme de bec verseur. » (Mourad, l’un des deux héros homos du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 336) Bien plus qu’un esthétisme repris pour les caricatures de grande folle, la posture de la « théière » ou du « poignet cassé » est une manière de surjouer le viol, de sublimer/singer la faiblesse : « J’ai besoin qu’on me tienne la main. Je suis fatiguée.J’me sens tellement seule, fragile, et provisoire. » (Charlène Duval, le travesti M to F dans son spectacle Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Je suis trop fragile et beaucoup trop désirable. » (Ottavia la Blanca, le transsexuel M to F de la comédie musicale Amor, Amor, en Buenos Aires (2011) de Stéphan Druet) ; « Je je suis si fragile qu’on me tienne la main. » (cf. la chanson « Libertine » de Mylène Farmer). Par exemple, dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo s’est cassé le poignet en hockey sur glace, métaphoriquement parce qu’il n’a pas assumé son homosexualité.
La main coupée peut dire l’égocentrisme du protagoniste homo, soit parce que ce dernier veut se masturber, soit parce qu’il cherche à se suicider en se taillant les veines : « Je comprends pas mon corps. Le plaisir qu’il trouve, et qu’il prend, à savoir les yeux d’Irène dans un coin du miroir. Sa volonté de se soumettre aussi vite à la nécessité qui l’oblige. Ce que sa main droite est en train de faire sous le drap bleu, qui me donne la honte rouge. » (la voix narrative du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 86) La main dissociée du reste du corps est celle du plaisir vicieux. « Jeux de main, jeux de M… émoi. » (cf. la chanson « L’Histoire d’une fée, c’est… » de Mylène Farmer) ; « Les baisers d’un été où la main s’achemine. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Attends qu’une de tes compagnes de cellule te mette une bonne main au derrière. » (Louise s’adressant à Sophie, dans la pièce Nationale 666 (2009) de Lilian Lloyd) ; « À la piscine, nous chahutions souvent. Mes mains s’attardaient sur sa peau et les siennes sur la mienne. J’aimais toucher son corps. Les mêmes gestes, autorisés en milieu aquatique, eurent été déplacés dans un autre contexte. Ces contacts avec sa peau me consumaient. » (Bryan à propos de Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2001), pp. 95-98) ; « Et bien moi, je vais parler à ma main… » (Lennon, le héros homo pendant que ses quatre amis s’embrassent à pleine bouche, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Par exemple, dans le film « Matador » (1986) de Pedro Almodóvar, Diego se masturbe devant des films d’horreur où des mains sont sectionnées à la lame de rasoir.
La main homosexuelle fictionnelle, en général, ne demeure pas : elle est furtive, volatile. « Angela tendit sa main intacte que Stephen saisit, mais avec une grande agitation. À peine avait-elle reposé un instant dans la sienne qu’elle la rendit gauchement à sa propriétaire. Alors Angela regarda sa main. Stephen pensa : ‘Ai-je eu un geste rude ou ai-je commis quelque maladresse ?’ Et son cœur battit violemment. Elle eût voulu reprendre la main perdue et la caresser. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 183)
La main coupée annonce la découverte d’un désir homosexuel déchirant ou salissant. « Regarde ma main ! » (Howard s’adressant à son futur amant Peter, juste après son terrifiant coming out le jour de son mariage, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Esti, perturbée par l’émoi qu’elle ressent pour Ronit, se salit maladroitement la main et file à la cuisine pour se la laver : « Elle mit sa main droite sous le robinet. L’eau était beaucoup trop chaude. Elle l’y laissa un moment. » (p. 88) Dans le roman The Well Of Loneliness (LePuits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, se blesse la main juste au moment de rencontrer Angela. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, c’est pile au moment où le jeune Ayrton, hétérosexuel, ressent une attirance inavouée pour Konrad, l’amant de son grand-frère Donato, qu’il s’enferme dans la salle de bain, et qu’il cherche à détruire son plâtre à la main jusqu’à empirer sa blessure initiale. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en psychothérapie Benjamin/Arnaud et essaie de les aider à s’assumer en tant que couple homo. Il s’y prend de manière progressive, par des petits exercices pratiques. Et notamment, il tente de leur faire la main de l’autre : « Finalement, c’est pas très dur. C’est comme prendre un enfant par la main. » Arnaud demande à son amant : « Tu t’es lavé la main, j’espère ? »
Il semblerait que ce soient les actes homosensuels du héros homosexuel qui lui ôtent les mains, qui le rendent manchot : « Pas question de faire l’amour avec une main en moins. » (Julie dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 209) ; « De part et d’autre de la vitre, nous nous regardons en silence. […] Puis je pose la main, doigts écartés, sur le froid du verre. […] Comme invinciblement attirée, sa main vient se superposer très exactement à la mienne, de l’autre côté de la vitre. Je crois en percevoir la chaleur, l’imperceptible battement du sang. J’appuie un peu plus fort, à peine. Et immédiatement il n’y a plus sous mes doigts, sous ma paume, que cette surface infiniment lisse et glacée et dure comme du métal. Je prends froid au poignet comme si on venait de me le couper. Je pars vite, avec dans ma poche cette main disparue – tranchée net – qui n’a plus ni poids ni contours. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) ; « Ce sont des mains invisibles qui me servent. » (Belle racontant son séjour au château de la Bête, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; etc. Par exemple, dans la série Ainsi soient-ils (épisode 6 saison 1), lorsque Emmanuel repousse brusquement son futur amant Guillaume par une mise en garde (« Me touche pas ! »), ce dernier tombe à la renverse et se blesse la main.
Cela peut être le fist-fucking (= insertion du poing dans l’anus) ou la pénétration de la main à défaut du pénis, qui font disparaître la main du héros homosexuel. « Ainsi font font font les petites marionnettes. » (le héros en tournant sa main dans le cul de son « beau papa », dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, l’héroïne lesbienne, « rentre sa main entière en sa bonne » (p. 147).
L’expérience homogénitale/homosexuelle, symboliquement, supprime les bras et les mains : « Où sont mes bras ? » (Elliot au moment d’être drogué et d’avoir couché avec le couple hétéro dans la caravane, dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) ; « J’ai perdu la main depuis que je te connais. » (Léopold s’adressant à son amant Franz, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; etc.
Le héros homosexuel nous parle d’une main invisible, comme s’il ne se voyait plus agir/être manipulé. « Il demeura dans l’obscurité, puis sa main se posa sur une table et déplaça plusieurs objets, comme une sorte d’animal fureteur ; enfin, elle trouva la lampe dont les rayons tombèrent presque aussitôt sur la page d’un livre ouvert. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 16) ; « Il fixa des yeux une tache sur son bouvard. […] C’était une tache d’une forme bizarre qui fait songer à l’ombre d’une main sans pouce. […] Cela ressemblait à une main de voleur, mais de voleur qui eût volé autre chose que de l’or. » (idem, p. 29) ; etc.
Cette main translucide invite à l’expérience immatérielle ou mortelle : « Sa main a trouvé la mienne et l’a levée en l’air, comme pour l’inspecter, même s’il faisait trop noir pour la voir. » (Ronit, l’héroïne lesbienne en parlant de sa compagne Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 144) ; « Seul demeurait face à moi le jeune homme aux doigts de cristal. […] Pour tout témoin étranger à ce manège, c’eût été un spectacle risible que ces deux jeunes personnes isolées désormais dans ce wagon de chemin de fer, épiant réciproquement les tressaillements de leurs mains. […] Les mains, dis-je, sont les muqueuses du désir. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 64-66) ; « Stephen adorait aussi les poches, mais elles étaient défendues. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 29) ; « Une invisible main la poussa vers le lit, l’abattit sur cette couche où Mathilde avait souffert, était morte. » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 62) ; « Je dis vraiment désolée. Une main s’est envolée. Je ne peux pas la rattraper. Trop tard pour le passé. » (cf. le poème « Le Désir du piano » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, p. 29) ; « Ses mains semblaient d’ivoire blanc. » (Dorian Gray en parlant de la comédienne Sibylle, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Il semblait à Aschenbach que le psychagogue pâle et charmant lui souriait là-bas, lui faisait signe ; que, détachant la main de sa hanche, il la tendait vers le lointain, et prenant les devants s’élançait comme une ombre dans l’immensité pleine de promesses. Comme tant de fois déjà il voulut se lever pour le suivre. Quelques minutes s’écoulèrent avant que l’on accourût au secours du poète dont le corps s’était affaissé sur le bord de la chaise. On le monta dans sa chambre. Et le jour même la nouvelle de sa mort se répandit par le monde où elle fut accueillie avec une déférente émotion. » (Thomas Mann, Der Tod In Venedig, La Mort à Venise (1912), p. 107) ; etc.
Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, on voit, dès le début du film, en gros plan, la main de Laure, l’héroïne lesbienne, fendant l’air. Dans le film « La Mujer Sin Cabeza » (« Une Femme sans tête », 2007) de Lucrecia Martel, c’est précisément au moment où la voiture de Véro heurte et tue un chien (ou un homme ? : sur le coup, on ne sait pas trop…) qu’on nous montre deux empreintes blanches de mains clairement imprimées sur l’un des vitres du véhicule à l’arrêt. Dans le film « Ba Wang Bie Ji » (« Adieu ma concubine », 1992) de Chen Kaige, le jeune Douzi se fait couper les mains au hachoir par sa mère parce qu’elles deviennent invisibles/insensibles : « Maman, mes mains sont froides : l’eau s’est changée en glace. »
Souvent, le personnage homosexuel n’éprouve pas le mal que sa main commet, ou la souffrance dont il pâtit à cause de celle-ci : « La douleur me rend insensible et je ne me reconnais pas. » (cf. la chanson « L’Orage » d’Étienne Daho) ; « Quelque chose, comme une main cruelle, le broyait à l’intérieur de son corps et le torturait. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 46 et p. 152) ; « Mon Dieu que dois-je faire ? Oublier cette main qui cogne dans mon cœur ? » (un ami homosexuel qui a écrit une nouvelle en 2003, p. 36) ; « Une ou deux minutes passèrent, puis, levant les yeux, il se vit soudain dans un miroir incliné au-dessus du lit et remarqua que sa cravate était de travers ; il répara aussitôt ce désordre de ses grosses mains qui tremblaient un peu. ‘Ça, par exemple !’ murmura-t-il. Plusieurs fois il répéta cette phrase sur le ton d’une grande surprise, et, sans regarder le lit, tourna les talons et gagna la porte. » (Paul Esménard après le meurtre de Berthe qu’il a étranglée, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 117) ; « ‘Quelles mains !’ murmura-t-il. » (idem, p. 126) ; « J’ai froid. Je ne sens plus mes mains. » (Marilyn en enfer dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco) ; « Est-ce qu’on peut durablement s’en sortir sans se salir les mains ? » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; « J’ai l’intuition que l’acte criminel n’est rien. » (idem) ; etc.
Il est fréquent que le héros gay ne connecte pas ses gestes à son cœur, ni même à son cerveau : « M’ma, pensa-t-il. M’ma, que nous est-il arrivé ? » (Pascal après son meurtre, dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 269) ; « Il avait accompli tous ces gestes, en quelques fractions de seconde. Sans y réfléchir. Il avait abattu Pierre Gravepierre à qui il aurait tout donné une minute plus tôt. Il avait supprimé un homme, une vie. Sans vraiment se rendre compte. Sans comprendre clairement pourquoi. » (idem, p. 298) ; « Pourquoi j’ai fait ça ? Comme tout le reste… Sans raison, et histoire de voir. » (Willie dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 177) ; « Je suis toujours frappée par le décalage pouvant exister entre l’intention et l’action. » (la voix narrative lesbienne, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 18) ; « Pourquoi je me sens si coupable ? » (Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, suite à sa première expérience homosexuelle avec un homme anonyme de Carthage, dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm, dans l’épisode 3 de la saison 1) ; etc. Par exemple, lors de la fusillade finale du film « Abre Los Ojos » (« Ouvre les yeux », 2002) d’Alejandro Amenábar, César n’éprouve plus les crimes qu’il opère. Dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory, Maurice mord Clive aux lèvres puis se confond en excuses. Dans le vidéo-clip de sa chanson « Plus grandir », Mylène Farmer commence par noyer sa poupée, avant de la pleurer. Dans le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, Jérôme ne prend conscience de son crime que bien plus tard : « Je ne sens rien. » Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, Burger tape sur sa main qui s’anime comme une bête déconnectée de lui. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent, le jeune héros, violente régulièrement son amant quinquagénaire Stéphane qui à la fois se laisse faire, et s’étonne pourtant de « cette démence » qui s’empare de Vincent : « Comment peut-on porter la main sur la personne qu’on aime ? » Vincent ne s’en excuse même pas : « Sur le moment, je perdais le contrôle. Et après, je me rendais compte de ce que j’avais fait. » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, le père de Davide, qui a entraîné son fils homo au suicide, a son costard blanc maculé de sang. Face aux patients qui attendent avec lui aux urgences de l’hôpital, il se met à faire une crise de paranoïa, ne supportant pas les regards qui l’accusent : « Ce n’est pas moi !! » Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom se coupe la main avec un rasoir dans sa salle d’eau. À la fin du film, il étouffe son amant Peter avec un coussin, en se confondant en excuse pendant son forfait : « Pardon… pardon… »
La main coupée représente la conscience projetée, éloignée, tellement transférée qu’elle peut être vidée d’importance, de responsabilité, voire, à l’extrême inverse, suresponsabilisée comme un déesse diabolique. « Mais comment l’embrasser, la baiser, cette main royale, propre, tellement propre ? Comment ? Qui est-ce qui peut me le dire ? […] Je prends la main du Roi dans les miennes. Je suis courbé. Complètement. Parfaitement. Je sens la main de Hassan II. Je la respire. » (Khaled dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 17) Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, par exemple, le personnage du Rat est d’abord présenté comme un objet anodin : « Ce Rat n’est qu’une marionnette, il est animé par une main, vous le savez mieux que personne, puisque vous l’avez fabriqué. Il serait incapable de tuer tout seul. » (Auteur à Vicky) ; « Je sais faire beaucoup de choses d’une seule main. Ce rat, par exemple, c’est moi qui l’ai coupé, collé, cousu. » (Vicky, idem)… puis ensuite dématérialisé par Vicky : pour elle, le Rat en mousse « a un esprit. C’est le Diable. »
La main est quelquefois celle de l’androgyne satanique, cet être caché qui, face à ses écrans de télévision, appuie sur des manettes pour diriger le monde à distance, caresse son chat blanc de temps en temps (comme le Docteur Mad ou les méchants des James Bond), et s’apprête à lancer une bombe atomique en pressant le fatidique bouton rouge. On ne lui voit que la main ou le gant. C’est par exemple la main de la bourgeoise sans visage, tenant le combiné téléphonique à Steven annonçant qu’il meurt du Sida sur son lit d’hôpital, dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa. Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Dallas, l’assistant-couturier homo de la créatrice Cecilia, veut mettre hors d’état de nuire Hélène, la première d’atelier concurrençant Cecilia, et décrit sa stratégie arachnéenne pour s’en débarrasser proprement : « Je sais ! Je l’intimide avec mes ciseaux crantés, je la saucissonne à la dentelle de Calais, et je la planque dans un rouleau de taffetas noir. Tout ça avec des gants : pour ne pas laisser d’empreintes. »
Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan découvre (bien avant tout le reste du corps) la main de Kévin, son futur amant, qui le conduira inéluctablement vers la mort : « Soudain, je vis une main tendue. Et sur le poignet de cette main, un bracelet en cuir noir avec des clous, que je connaissais bien. Mon rythme cardiaque s’accéléra et je sentis une pulsion sanguine envahir mon visage. Était-ce possible ? Les yeux fixés en direction de cette main qui venait de disparaître, je n’osai plus faire un pas. […] Je fis quelques pas. J’étais mal à l’aise. Mon cœur cognait si fort dans ma poitrine que tout le monde devait l’entendre. Le poignet réapparut avec son propriétaire. C’était lui ! L’inconnu du lycée ! Un instant d’hésitation, le garçon au bracelet ouvrit de grands yeux, aussi grands que les miens, puis me fit un large sourire. J’étais surpris et déconcerté. » (pp. 8-9)
Dans les fictions homo-érotiques, rarement la main agit bien. Elle est souvent associée à la mort : « Une femme m’a soudain attrapé par la main gauche. […] Une jeune fille à la fin de l’adolescence. Et déjà veuve. Déjà dans la mort. Sa main dans la mort touchait ma main. Cette pensée m’a fait peur. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 44-45) Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Madame Lucienne est étranglée d’une seule main.
La main tranchée est même parfois l’actrice d’une violence inouïe : « Une main invisible attrapa l’infirmière par les cheveux et la souleva en l’air de cinquante centimètres. Elle poussa un hurlement à réveiller la clinique avant de tomber sur le parquet, se foulant une cheville. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 34) ; « Ils [les penetrators violeurs] avaient des gants. Ils peuvent te faire disparaître. Comme dans un trou noir. » (Dick, l’homo violé, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; « J’ai l’impression qu’une main a attrapé mes intestins, qu’elle les a noués. J’ai pas demandé à être tripotée comme ça. C’est pas de ma faute ! Laissez-moi ! Je ne veux pas qu’on me touche ! » (Rinn, l’héroïne lesbienne mise à l’épreuve par ses sentiments amoureux lesbiens, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc.
C’est pour cela qu’elle est souvent sale ou ensanglantée : « Stephen désira la toucher et, étendant une main plutôt hésitante, se mit à la passer doucement sur sa manche. Collins prit la main et la regarda avec étonnement : ‘Oh, bonté divine ! s’exclama-t-elle, quels ongles sales !’ » (Stephen amoureuse de sa nourrice Collins, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 24)
Les mains apparaissent comme les instruments du viol. Par exemple, en parlant des backroom, Copi, dans sa nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983), évoque « la masse humaine aux multiples mains rapaces » (p. 81) Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, les actes sexuels qu’opère la main d’Anamika, l’héroïne lesbienne, sur ses différentes amantes, sont présentés comme une schizophrénie, un viol inconscient, un interdit bravé dans un hallucinant sentiment d’irréalité : « Je pressai plus fort encore la chair qui emplissait mes mains. Il me vint à l’idée que je pourrais aller plus loin. J’avais peur de toucher l’espace entre ses fesses, mais finalement je laissai mes doigts s’attarder dans la fente qui les séparait jusqu’à ce que je sente ses poils. Sa respiration devint plus laborieuse. Je me scandalisais moi-même. J’étais pétrifiée. » (Anamika à propos de son amante Rani, p. 36) ; « Je laregardai droit dans les yeux, comme si mon doigts n’était pas relié à ma personne. » (Anamika parlant de son amante Sheela, idem, p. 97) Avec le motif de la main coupée, on touche d’emblée à la nature schizophrénique du désir homosexuel, un élan qui éloigne du Réel et de la conscience des actes : « Mon cerveau commande un truc. Ma main fait autre chose. » (Francis, le héros homo, dans la pièce Hors-piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt)
La violence des mains est parfois plus assumée. Par exemple, dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, le personnage de Paola (joué par le comédien) menace de couper les doigts aux filles de la salle.
b) Les gants :
On retrouve les gants en lien avec l’homosexualité dans la chanson « Les Gants noirs » de Charles Trénet, la pièce La Dame aux longs gants gris (1971) de Tennessee Williams, le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (avec Pierrette, la femme fatale retirant ses gants « à la Rita Hayworth »), le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (avec les gants en caoutchouc enlevés comme on s’ôte rapidement un crime de la conscience), le roman El Beso Del La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd (avec les gants rouges), la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, le film d’animation « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima (avec les mains gantées de Shûhei), le one-woman-show Betty Speaks (2009) de Louise de Ville (avec le gant blanc), la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi (avec les gants en dentelle de Jeanne), la pièce Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy (avec le gant d’Éponyme, qui s’anime tout seul), le film « Warum, Madame, Warum » (« Pourquoi, Madame, pourquoi », 2011) de John Heys et Michael Bidner, etc.
Par exemple, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau, la Bête dit que son pouvoir repose uniquement sur cinq objets : son miroir, son gant, son cheval, sa rose et sa clé d’or. Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Patrick, l’un des héros gays, a oublié ses gants de jardinage dans le salon de la maison d’Hugo, son futur amant, en venant livrer un sapin de Noël : « Il a oublié ses gants tout sales dans mon salon ! » Cela sent l’acte manqué… d’autant plus que la scène d’insertion du sapin dans la maison était une claire métaphore de la pénétration anale entre Patrick et Hugo.
Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman
En général, la main gantée vient maquiller et esthétiser un crime perpétré par la bourgeoise – ou le héros homosexuel qui s’identifie à elle : « La main gauche est gantée par une broderie de sang, et finit par blanchir ses crimes dans l’onde placide. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 9)
c) Le personnage regarde ses mains tachées d’un sang invisible en se demandant, paniqué, ce que ses mains viennent de commettre :
Le motif des mains ensanglantées dont le héros homosexuel ne voit même pas le sang est omniprésent dans les fictions homo-érotiques : cf. le film « West-Side Story » (1961) de Robert Wise, le vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer, le roman La Brasa En La Mano (1983) d’Oscar Hermes Villordo, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, les films « ¿Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) et « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, le film « Bodas de Sangre » (« Noces de sang », 1981) de Carlos Saura, la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, le roman L’Apprenti Sorcier (1976) de François Augiéras, la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (avec le poster d’une chanteuse femme fatale avec des empreintes de mains ensanglantées sur elle, dans la chambre d’Hugo), le roman Leurs mains sont bleues (1963) de Paul Bowles, le film « Le Rideau déchiré » (« Tom Curtain », 1966) d’Alfred Hitchcock, la pièce Missing (2008) de Nick Hamm (avec le personnage de Gilda), la sculpture La Chambre rouge d’enfant (1994) de Louise Bourgeois (avec les gants rouges), le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec les mains ensanglantées), la pièce Amour, gore et beauté (2009) de Marc Saez (avec la reprise de la scène du lavement de mains de Lady Macbeth par Cassandra et Lena), la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan (avec la main égratignée de Cyrano), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec les gants rouges tricotés), le vidéo-clip de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer (avec une Mylène aux gants rouges, se baladant au cimetière), le film « Atomes » (2012) d’Arnaud Dufeys, etc.
Vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer
À la fin du film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1999) de Pedro Almodóvar, Huma Rojo (Marisa Paredes) joue dans une pièce où elle interprète une femme qui a les mains ensanglantées à cause d’un crime qu’elle a commis ; et dans l’intrigue réelle, c’est en effet elle qui est responsable de la mort d’Esteban, car elle a refusé de lui signer un autographe. Dans le film « Action ou Vérité » (1994) de François Ozon, le jeu et les rires cessent immédiatement dès que Rose sort sa main ensanglantée du sexe de sa copine Hélène qui a ses règles. Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le protagoniste regarde ses mains ensanglantées après avoir tué son camarade de douche dans des vestiaires publiques. Dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, il est énormément question de mains coupées ou abîmées. Celles-ci suivent les différents stades psychiques par lesquels passe l’héroïne lesbienne Nina : au moment de se blottir contre Veronika, elle dit avoir « les mains moites » ; quand elle se coupe les ongles, elle se fait saigner les doigts, et c’est l’angoisse ; après avoir poignardé Beth à l’hôpital, elle se lave nerveusement les mains et nettoie le couteau ensanglanté. À chaque fois que sa conscience la ronge, en somme, ce sont ses mains qui le payent. Dans le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, Tal lave ses mains ensanglantées dans l’eau. Le protagoniste de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan se frotte en vain les mains pour en enlever la merde invisible. Dans le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, Gong-Gil observe avec horreur ses mains ensanglantées après son crime de légitime défense. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a commis un crime sans effusion de sang : elle a tué l’amour entre Agathe et Paul, et s’est ainsi condamnée à tenter de nettoyer sans succès le sang invisible sur ses mains : « Tous les parfums de l’Arabie ne pouvaient pas purifier cette petite main. Élisabeth baissa les yeux et lava ses mains effrayantes. » (la voix-off de Jean Cocteau)
Film « Berlin Alexanderplatz » de Rainer Werner Fassbinder
Le protagoniste, impuissant, fixe des yeux ses mains meurtrières rougeâtres, et se les frottent pour en effacer le sang incriminant : « Quoi ?!? Ces mains ne seront-elles jamais propres ?!? » (Lady Macbeth, Acte V, scène 1, dans la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare) ; « Je n’comprends plus pourquoi j’ai du sang sur les doigts. » (cf. la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer) ; « Rien n’effacera les traces lâches du sang qui court des corps qui se cassent. » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Il me semble qu’une main m’a effleuré. […] La main revient sur mon visage. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, pp. 98-99) ; « Je regardai ma main. Je saignais. Je ne ressentais toutefois aucune douleur, et je me mis à rire. Les éclats semblaient venir de l’extérieur, et pourtant je ressentais leur naissance en ma poitrine. » (idem, p. 210) ; « Et vous discernez les taches qui vous recouvriront les doigts. L’encre ne s’efface pas si facilement. » (idem, p. 171 ; voir également le passage de l’encre comparée au sang rouge, idem, pp. 218-220) ; « Quand on retrouve un individu très énervé, près d’un cadavre et les mains pleines de sang, il y a forcément quelque chose de louche. » (Bryan, déjà mort, en parlant de son copain Kévin agenouillé près de son cadavre, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 450) ; « Ce sont mes mains et mes pieds qui me trahissent. » (Prior se comparant au Christ, dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « Si tu me touches, ta main risque de tomber. » (Louis à son amant Prior, idem) ; « Je ne connais pas d’autre moyen de me réconcilier… avec mes propres mains. » (Töre suite au viol de Karin, dans le film « La Source ou la fontaine de la jeune fille » (1960) d’Ingmar Bergman) ; « Les hommes sont incapables de comprendre qu’on ait du sang sur les mains sans avoir commis de crime. » (Amira Casar à Rocco Siffredi en parlant des menstruations féminines, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat) : « La jeune prostituée s’effondra sur la chaise en formica et se mit à sangloter, se maculant les joues de ses mains inondées du sang de la boulangère. » (Copi, « Madame Pignou » (1978), p. 55) ; « Stephen essuya le sang de sa bouche et vit que ses doigts étaient tachés ; elle les regarda sans comprendre… ce ne pouvait être les siens… comme ses pensées, ils devaient sûrement appartenir à quelqu’un d’autre. » (l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 154) ; « J’ai couru longtemps. Je me suis lavé les mains dans la rivière. C’était juste une dispute. » (Abram, le héros homo, avouant avoir assassiné la Tonka au poignard, dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; « J’avais une petite éraflure au creux de la main, de la taille d’une pièce d’un demi-penny. J’ai gratté la croûte brune et vu avec satisfaction une goutte rouge se former à la surface de ma paume. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 214) ; « Il n’y a pas eu de points de suture. J’ai lavée la plaie, l’ai refermée avec du sparadrap et j’ai dissimulé le pansement sous ma manche. » (idem, p. 219) ; « Puis Polly se glisse à côté de moi, se recroqueville et se remet à pleurer en regardant ses mains l’une dans l’autre posées sur ses genoux et en chuintant ‘Mais tu te rends compte, je lui ai planté un couteau dans le dos à peine remise de son opération[elle parle de sa rupture avec son amante Claude hospitalisée].Comme je lui ai fait mal, putain, tu te rends compte que je lui ai planté un couteau dans le dos ?’ » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), pp. 121-122) ; « La flaque de sang s’étendait vers elle sur le carrelage, tachant le bout de ses pantoufles. Jane recula, cherchant à tout prix à l’éviter, et elle s’aperçut tout à coup que sa robe de chambre et sa chemise de nuit étaient déjà trempées. Elle se mit à frotter son corps avec frénésie pour tenter d’ôter les taches rouges, mais ses mains étaient elles aussi couvertes de sang. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 235) ; « ‘Qu’est-ce que vous avez fait ? ’ Anna se tenait sur le seuil de l’appartement des Mann. » (Anna face à Jane, op. cit., p. 236) ; etc.
Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, la vue du sang n’est pas connectée à la sensation de douleur ni à la conscience : quand la Comédienne est horrifiée par la blessure à la main de l’Auteur (« Fais voir ? Mon Dieu ! Tu t’es presque sectionné le petit doigt ! Ça te fait mal ? »), ce dernier ne peut que la constater visuellement : « Ça ne me fait pas mal mais ça pisse le sang ! » Dans le vidéo-clip de la chanson « Pour toi j’ai tort » de Jeanne Mas, la chanteuse sanglote après avoir poignardé son amant. Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain, le coiffeur homosexuel, hurle à trois reprises comme une grande folle par rapport au sang qu’il a sur les mains.
FRONTIÈRE À NE PAS FRANCHIR
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) La main coupée :
Photo La Dame masquée de Claude Cahun
Je vous renvoie au documentaire « Les si douces mains de Konstantin G. » (2003) de Kanerva Cederström, au film « Enfances » (2007) de Yann Le Gal (sur Alfred Hitchcock), au dossier entièrement consacré à la main dans l’art homosexuel sur la revue Triangul’Ère 2 (2000) de Christophe Gendron (pp. 454-502), au Masque-empreinte de Jean Cocteau avec une main lui enserrant le cou (1930) exposé à la Cinémathèque de Bercy à Paris, etc. Jean Genet fait référence à la main coupée dans son Journal du voleur (1949) (pages 24 et 33). En Chine, la littérature désigne les amitiés particulières homophiles comme « l’amour de la manche coupée » (Michel Larivière, Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997), p. 36). Il est, à ce titre, très étonnant qu’un article intitulé « Un Couple manchots gays adopte un petit avec succès », publié dans le journal le Monde (le 3 juin 2009), et défendant le droit à l’adoption des « familles » homoparentales, fasse le rapprochement entre les manchots et les sujets homosexuels… Pas banal ! Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, une femme géante nocturne vient annoncer à Bertrand Bonello dans son sommeil, en murmurant à son oreille, qu’il va mourir : « Répète après moi : ‘Je vais mourir d’un sectionnement des mains.’ »
Il existe un lien entre homosexualité et main cassée. L’exemple le plus clair est la position de la « théière » ou du « poignet cassé » habituellement attribuée aux hommes homos efféminés (cf. le documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós et Violeta Salvatierra). « Quand j’ai commencé à m’exprimer, à apprendre le langage, ma voix a spontanément pris des intonations féminines. Elle était plus aiguë que celle des autres garçons. Chaque fois que je prenais la parole mes mains s’agitaient frénétiquement, dans tous les sens, se tordaient, brassaient l’air. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 27)
Jacques d’Adelswärd-Fersen
J’analyse le code de la main coupée comme un désir de s’éloigner du Réel et de rejoindre la pulsion : « Je voudrais me débarrasser de mes mains. Abolir le toucher. » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970, p. 46) ; « Je ne me lavais plus les mains quand elles étaient imprégnées de l’odeur de leurs sexes, je passais des heures à les renifler comme un animal. Elles avaient l’odeur de ce que j’étais. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 154-155) ; etc. D’ailleurs, on peut retrouver dans le discours de certains sujets homos la main invisible en tant que métaphore de l’assujettissement à son propre désir homosexuel, métaphore du vol sexuel : « En 2004, j’ai entrepris un voyage inouï : j’ai décidé de passer du monde des hommes à celui des femmes. […] Une main invisible semblait abattre les uns après les autres les obstacles qui se trouvaient devant moi ; je n’étais pas sûre que cette main ne soit pas celle du démon. » (Patricia, femme lesbienne, citée dans l’autobiographie Libre (2011) de Jean-Michel Dunand, p. 150) ; « Comment une vie bascule à travers une main qui s’aventure… Je suis devenue une vraie femme. » (Thérèse parlant de sa toute première fois lesbienne, où une ancienne camarade de classe dévergondée l’a dépucelée, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « La présidente a la main leste. » (la Mère supérieure des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; etc.
J’ai constaté, parmi mes amis et connaissances homosexuels, qu’il y a un certain nombre (d’incorrigibles ?) tripoteurs, aux mains très baladeuses, qui, sans demander l’avis à la personne qu’ils touchent, tâtent (c’est le cas de le dire !) le terrain – toujours sous le couvert du jeu, de la camaraderie, du massage, ou du bien-être (« Je t’ai mis une main au cul ou sur l’épaule… mais c’est pas ce que tu crois… c’est parce que je suis très tactile ! » assurent-ils). Ces soi-disant « amis du plaisir et des corps » sont en général des hommes qui, bien avant de « se lâcher » et d’ouvrir leurs vannes corporelles à Monsieur-Tout-le-Monde, ont été et restent paradoxalement très mal dans leur peau : trop excités et impudiques pour être véritablement en paix avec eux-mêmes, ces mendiants d’amour, en mettant leur main sur vous, sont finalement prêts à donner la leur à n’importe qui pour se laisser abuser. Ils prêchent corporellement le faux pour savoir le vrai, abolissent un universel (celui des gestes amoureux) pour imposer le leur, testent jusqu’où ils peuvent aller dans la violation de votre intimité, vous forcent à obéir à leur propre code gestuel sans respecter votre liberté… parce qu’eux-mêmes ont jadis été certainement forcés et violentés. Ce qui me fait dire que l’attitude de leur main trahit chez eux l’existence d’un viol, c’est que malgré tout, il suffit qu’on ne leur permette pas le moindre attouchement ambigu, même présenté comme amical, pour qu’ils réagissent à fleur de peau, souvent avec cynisme (« Dis donc… T’es sensible, toi ? »), mais qu’après, ils comprennent très vite la leçon et se montrent d’une délicatesse, d’une méfiance, et d’un respect exemplaires, qui font de vous des princes (si vous vous étiez laissés faire, ils vous/se transformaient illico presto en prostituée(s)… mais en résistant à leurs mains coupées, on leur a prouvé qu’on n’était pas des filles faciles ! et ils y sont très sensibles !)
Photo de Laurent Askienazi
Je pousserai plus loin mon raisonnement sur les liens entre la main tranchée et les abus sexuels en affirmant que la main peut aussi faire office de sexe postiche lors de certaines pratiques génitales anales (très minoritaires : du moins, j’espère !), et donc d’instrument du viol : je pense par exemple à l’insertion du poing fermé dans l’anus lors des fist-fucking.
b) Les gants :
Après les mains coupées, les mains coupantes ! Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, est très attaché à son gant aux doigts métalliques qui lui font ressembler à une dangereuse féline comme Edward aux mains d’argent. Il le recherche partout chez son ami Liniker et n’arrive pas à remettre la main sur ce gant futuriste ayant appartenu à Ney Matogrosso. Cela le désespère : « C’est mon porte-bonheur depuis longtemps. » Finalement, on apprend que c’est son pote Jup (lui aussi travesti) qui le lui a dérobé pour lui jouer un mauvais tour.
Les gants sont source de fantasme érotique chez certaines personnes homosexuelles : « Ce sont les mains masquées qui comptent. » (Julien Green en parlant de son goût pour les gants, dans l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 20 mai 1983) ; « C’est le retour de la main gantée. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 15) ; « Vous savez ce que je nomme ‘gants du ciel’. Le ciel pour nous toucher sans se salir met parfois des gants. Raymond Radiguet était un gant du ciel. Sa forme allait au ciel comme un gant. Lorsque le ciel ôte sa main, c’est la mort. Prendre cette mort pour une mort véritable serait confondre un gant vide avec une main coupée. » (Jean Cocteau dans une lettre à Jacques Maritain en 1923) ; « Au niveau du fétichisme, j’avais des gants et des bottes en caoutchouc qui ajoutaient à mon excitation. » (un ami homosexuel de 52 ans, dépendant de la masturbation, me racontant sa fascination pour le cuir, dans un mail datant du 19 octobre 2013) ; etc.
Il arrive même qu’ils soient considérés comme des personnes humaines : « Tu as oublié tes gants. Je les ai montés dans la chambre et je les ai embrassés. » (Jean Cocteau s’adressant à Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain)
Il suffit de voir, de la part de beaucoup de personnes travesties, leurs nombreuses imitations de la lascivité d’une actrice hollywoodienne telle que Rita Hayworth, retirant lentement ses gants comme si elle faisait un strip-tease complet (cf. le film « Gilda » (1946) de Doris Fisher et Allan Roberts ; on pourrait aussi faire référence à Marilyn Monroe), pour comprendre que la communauté homosexuelle a vu dans les gants les premiers préservatifs !
Film « The Cost Of Love » de Carl Medland
La main (tout comme le pieds) est l’un des seuls membres du corps humain qui nous renvoie au Réel, qui nous rappelle ce qu’est le Réel. C’est peut-être pour cela que beaucoup de personnes homosexuelles, ayant un rapport conflictuel au Réel et au corps, s’en prennent à elle. « Seuls les trahissent leurs mains, d’ailleurs presque toujours gantées, et leurs pieds, anormalement grands pour une femme. » (Jean-Louis Chardans décrivant les travestis M to F, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 38)
c) Certaines personnes homosexuelles regardent leurs mains tachées d’un sang invisible en se demandant, paniquées, ce que leurs mains viennent de commettre : elles ont du mal à connecter leurs mains à leur tête
Le sang invisible sur les mains, ou le sentiment de ne plus avoir de main, est décrit par certaines personnes homosexuelles réelles. Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » (diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013), Jacques Viallatte, le romancier de 61 ans, a découvert son homosexualité à 34 ans (alors qu’il était marié avec 4 enfants) avec le coiffeur (marié et homo) de sa femme. Et ça semble être venu des mains : « Je rentre dans ce salon de coiffure… et bingo ! Je vois cet homme. Ce coiffeur. J’ai plus mes jambes. Je commence à transpirer des mains, alors que même sur ce plateau, je ne transpire pas des mains. Un coup de foudre. »
Le sang manuel non-perceptible ou l’impression de coupure de la main renvoie en général à des actes mauvais dont elles ne veulent/peuvent pas porter la responsabilité, ou à des désirs sombres qui ne les rendent pas libres : « J’ai frotté les taches de sang sur la moquette. Mission impossible, le sang ne s’efface pas. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), pp. 97-98) ; « Le coupable, c’est votre main. » (Jean Cocteau cité dans l’essai L’Enfant voleur (1966) de Jean-Pierre Lausel, p. 42) ; « Mon père puait la mort. Ses mains, surtout. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 34) ; « Quand j’essaie de me remémorer les années où j’étais au collège, je me rappelle seulement de ma main sur d’autres garçons, rarement et seulement s’ils me le demandaient, mais je ne me rappelle de la main d’aucun d’entre eux sur moi. » (J. R. Ackerley dans son autobiographie Mon Père et moi (1968), cité sur le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003). Par exemple, dans son Journal (2008), Jean-Luc Lagarce raconte un de ses plus terribles cauchemars, dans lequel une main (« celle de la mort » écrit-il) brisait une vitre pour venir l’empoigner. Dans le docu-fiction Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman, il est raconté qu’un jeune comédien gay du Wyoming a joué au théâtre le rôle de l’assassin dans une représentation théâtrale de MacBeth.
Ce déni de la gravité de leurs agissements – illustré par le motif de la main coupée – engouffre la plupart des personnes homosexuelles dans le mensonge et l’angoisse de la schizophrénie : « Si un jour tu découvres pourquoi je me suis conduit de la sorte, dis-le-moi. » (James Dean suite à une attitude incorrecte qu’il a eue envers son ami Stern, cité dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, p. 177) ; « De quel droit écrivais-je tout cela ? De quel droit faisais-je de telles entailles à l’amitié ? Et vis-à-vis de quelqu’un que j’adorais de tout mon cœur ? » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), p. 106) ; « Pourquoi tant d’agressivité, oui pourquoi ? […] Moi, je n’ai rien fait de mal. » (Christine Angot, Quitter la ville (2000), p. 30 et p. 79) ; « Les actes de Genet sont à la fois des poèmes et des crimes, parce qu’ils sont longtemps rêvés avant d’être commis et qu’il les rêve encore en les commettant. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 183) ; « Nous avons été des déclencheurs, mais nous n’avons jamais voulu ça. Nous avons eu tort et nous avons créé des ghettos et Guy m’a dit, la dernière fois où nous nous sommes vus, au milieu des années 80 : ‘Nous sommes allés trop loin.’ » (Philippe Guy, cofondateur du FHAR avec Guy Hocquenghem, cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 294) Dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), Brahim Naït-Balk, juste après avoir traîné dans les saunas, a peur que ses actions se voient physiquement sur lui : « Je craignais de rentrer à la maison. Je me demandais comment mes frères et sœurs allaient réagir, comme si la faute que je venais de commettre avait laissé une tache sur mon visage. » (p. 45)
Au bout du compte, c’est une vraie souffrance – faussement indolore – que celle de l’éloignement du Réel et de ses actes, aussi graves et lourds à porter soient-ils. Reconnaître le sang sur ses mains (sans « s’en laver les mains » comme l’a fait Ponce Pilate), c’est finalement être libre, comme le déclare le chanteur du groupe Blankass dans la chanson « La Couleur des blés » : « Un peu plus de sang sur les doigts, mais c’est ça le paradis ! » La responsabilité n’est que la conséquence de notre formidable liberté. Puissions-nous avoir la chance de le comprendre !
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Voici venue l’heure du procès de l’« amour » homosexuel… ou l’heure de répondre au « Pourquoi ça marche moyen et ça use le cœur ? ».
Sans ironie aucune, je suis très admiratif des couples homosexuels de mon entourage qui s’efforcent de durer. Non pas parce qu’ils m’emballeraient et que je les jalouserais en secret, mais au contraire parce que je les plains sincèrement, et que je trouve que cela relève du miracle (ou plutôt de l’entêtement volontariste, jusque-boutiste !) que de parier sur la force du désir homosexuel, par essence fragile et lâche, pour se lancer dans la périlleuse aventure de l’Amour ! Cela relève de l’inconscience que d’essayer de concrétiser un genre d’amour que le Réel a en partie quitté. Rendre aimant et puissant un désir homosexuel qui ne l’est pas totalement oblige à faire plus d’efforts que dans un couple qui intègre la différence des sexes, à élaborer à la force de l’intellect (et du déni !) une structure conjugale qui restera défaillante sur bien des domaines (je ne me centre absolument pas sur la procréation quand je dis cela ; bien avant celle-ci, je parle de la faiblesse des raisons premières qui ont motivé la formation des couples homos) ; cela oblige aussi à mettre encore plus le paquet sur la sincérité et le maquillage des limites objectives de l’union homosexuelle. Et même avec la conscience de ces limites-là, je crois que l’amour homosexuel, qui repose essentiellement sur deux immaturités, sur la rencontre de deux blessures narcissiques, sur la notion de devoir conjugal plus que de nature et de simplicité, qui abuse des béquilles telles que les sentiments, la génitalité, et le sens de l’engagement (si peu développé dans les rangs homosexuels, il faut le reconnaître), reste au final peu viable, voire épuisant. Alors OUI, je plains l’opiniâtreté des couples homosexuels.
Il y a diverses manières de montrer qu’on tire la langue et qu’on est insatisfait de ce qu’on vit quand on rentre dans le pétrin/le désert du couple homo : l’infidélité, la dépression, la mélancolie, l’agacement, la sur-activité, l’indifférence, la possessivité, le surinvestissement sur les goûts et le matériel, la désinvolture, la rupture entre corps et sentiments, etc. C’est de tous ces symptômes de faiblesse du désir homosexuel – qui mérite à peine la dénomination de « désir » d’ailleurs, tellement il indique plutôt chez l’individu qui le ressent un manque de désir – que je vais me pencher maintenant avec vous.
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
Essoufflés
Jean Cocteau et Jean Marais
Contre toute attente, le sentiment d’étrangeté exprimé par la société concernant l’amour homosexuel est aussi ressenti par les personnes homosexuelles elles-mêmes. Dès qu’elles s’adonnent à leur désir homosexuel, dès qu’elles rentrent dans le cercle vicieux de la justification (en actes) d’une identité homosexuelle essentielle et d’un projet de couple, la gêne se mêle au volontarisme, la tristesse à l’optimisme forcé, la fatigue et l’énervement à l’épanchement attendri.
Je reste intimement persuadé qu’y compris le plus homosexuel des individus n’arrive pas à se projeter complètement dans une vie conjugale homosexuelle, quand bien même il cohabite depuis très longtemps avec son compagnon, et qu’il assure qu’il s’est très bien fait à l’idée que le couple homosexuel était quelque chose de tout à fait naturel. Au fond, il se juge presque toujours moins ridicule au côté d’un membre du sexe « opposé » que dans les bras de son jumeau du même sexe. Il éprouve une sorte de tendresse mêlée à de la mélancolie en regardant les photos de son couple si particulier… mais il n’en est pas intimement fier. Il a peine à appeler son copain « chéri » sans s’en excuser ou tourner la formule en dérision. Je crois que tout Homme a au fond de lui le pressentiment que l’amour véritable ne choisit pas comme cadre privilégié le couple homosexuel ou hétérosexuel, mais qu’il a besoin d’être appuyé concrètement et symboliquement par la durée et le désir, d’être surtout signe de paix et de joie pour tout le monde – et pas seulement pour son couple ou pour une communauté culturelle réduite –, et que s’il n’est pas pleinement ce signe-là, c’est qu’il est en partie dénaturé. Cette connaissance partielle de l’identité de l’amour profond est ce qui nous remplit de bonheur quand nous vivons de lui, et d’amertume quand nous n’en vivons pas exactement.
Les personnes homosexuelles connaissent en général la vérité de leurs couples. Mais trop préfèrent rester avec leur partenaire par peur de l’abandon, par charité, ou crainte de le faire souffrir. « Il m’épuisait, je t’assure, mais je le supportais à cause de ma solitude et de sa grande gentillesse. » (Denis Daniel, Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 117) Si l’amour les déchire ou les assomme, elles se doutent que c’est probablement parce qu’elles l’attendent là où il n’est pas exactement, car l’amour, le vrai, nous dynamise, nous simplifie et nous pacifie toujours. En amour homosexuel, on dirait que nous pleurons davantage l’absence d’amour que l’amour lui-même, l’illusion que la Réalité. Quand une histoire d’amour se termine pour les personnes homosexuelles, on les entend souvent affirmer qu’elles ne croient plus en l’Amour, que celui-ci ne doit sûrement pas être fait pour elles. Mais en vérité, ce n’est pas en l’Amour qu’elles ne croient pas. C’est uniquement en l’amour homosexuel, même si beaucoup n’en ont pas encore conscience car elles amalgament les deux amours sous le même vocable. Les personnes homosexuelles ont toujours cru en l’Amour vrai, … et elles ont bien raison, puisqu’Il existe ! … pas forcément comme elles L’imaginent, mais oui, il existe bel et bien, et pour chacune d’elles spécialement ! L’amour ne délaisse aucun être humain.
Le bilan sur le couple homosexuel qu’on a l’occasion d’entendre de la part des personnes homosexuelles de notre entourage, est sensiblement le même : en amour, très peu ont trouvé/trouvent ce qu’elles cherchaient/cherchent. C’est comme si l’insatisfaction concernant le couple homosexuel (mais c’est sensiblement pareil pour le couple hétérosexuel) était généralisée. Quand bien même elles s’estiment parfois très bien servies, elles exposent à un moment ou un autre la vanité de leur désir et souffrent sur la durée des affres du désenchantement amoureux. Quelquefois, le retour en arrière sur leur parcours sentimental, même s’il n’est pas désespéré, leur donne le vertige. Certaines se fourrent dans de beaux draps en s’engageant dans une relation avec une personne qui semble les aimer davantage qu’elles ne l’aiment. Elles la trouvent « bien », l’apprécient « beaucoup », ont « énormément d’affection pour elle », c’est sûr… mais ne sont pas vraiment emballées ni spontanément attirées par elle. Elles expérimentent souvent un décalage culpabilisant, paniquant. Elles voudraient en théorie combler le vide horrible de leur célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans leur vie, elles étouffent, et se demandent pourquoi on ne leur fiche pas la paix !
Les couples homosexuels qui tirent la langue après plusieurs mois de vie commune – voire des années quand ils sont volontaristes – ne manquent pas autour de nous, au point que certains finissent par croire que pour eux, les histoires d’amour finissent toujours mal, et qu’elles ne sont pas faites pour aimer. Presque toutes les personnes homosexuelles qui sont « casées » laissent la même impression : l’un des deux partenaires du binôme tente de draguer ailleurs (c’est quasi systématique chez les couples d’hommes), et l’autre s’accroche comme il peut. De temps en temps, l’amour homosexuel paraît aussi fort que l’amour femme-homme, mais à la longue, il semble être plus compliqué et plus lourd à porter. Comme l’exprime Jean-Louis Bory dans La Peau des zèbres (1969) par une élégante tournure euphémisante, l’union homosexuelle « est surtout une histoire d’amour, aussi simple et terrible que n’importe quelle autre histoire d’amour. Un peu plus difficile, c’est tout. » Ce qui marque dans la majorité des couples homosexuels que l’on côtoie, ce sont la fatigue et l’ennui. Le même scénario étrange semble se reproduire à l’infini d’une union à l’autre : l’un des partenaires est malheureux, l’autre s’ennuie ; l’un en fait trop, l’autre pas assez. Et au bout d’un moment, la cocotte-minute implose… En mélangeant l’amour et l’amitié, certaines personnes homosexuelles s’imposent le statut instable et harassant du passionné qui croit vivre dix coups de foudre à la seconde. Elles tombent passionnément amoureuses de « l’homme (ou de la femme, pour les personnes lesbiennes) de leur vie », et quelques mois plus tard, les limites de chacun des partenaires ne manquant pas d’apparaître, naissent la déception, la dépression, la séparation, … puis après un temps de deuil « éthiquement correct » mais non réparateur, elles s’en retournent à une autre case « départ », et se lancent frénétiquement vers une similaire et épuisante recherche de « l’âme sœur » qui les dégoûte chaque fois davantage de l’amour (qu’elles croient) « véritable ».
Peu de personnes homosexuelles s’expliquent leur insatisfaction en amour. Leur amant semble pourtant de l’extérieur parfait, prévenant, disposé à faire des efforts sans doute encourageants, … mais au fond, disent-elles, « c’est toujours pas ça » : il est « bien » sans être « le meilleur », convenable sans être irremplaçable (or l’Amour, Lui, nous donne toujours une personne géniale et irremplaçable à aimer !). Étant donné qu’elles se placent très souvent en victimes d’amour, elles ne tirent généralement pas les conclusions qui s’imposent sur le désir homosexuel, si bien que le mystère finit par s’épaissir. Malgré toute la sincérité du monde et l’apparente concordance de deux désirs, il y a un grain de sable dans l’engrenage de l’union homosexuelle, comme si l’amour, le vrai, ne se construisait pas uniquement à coup d’intentions et d’impressions d’amour partagées à deux : « Je me promets que cette fois, allons, puisque je l’aime et qu’elle m’aime, du moins nous le disons-nous, il devrait être possible de le faire. La lutte est interminable, mais il y a quelqu’un en moi qui ne veut pas, ne peut pas, n’ose pas, meurt de peur et frémit de plaisir. […] Je sais bien que si nous le voulions vraiment l’une et l’autre, la question ne se poserait plus. Qu’est-ce qui nous retient ? Impossible de le comprendre. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003) p. 45)
Si beaucoup de personnes homosexuelles se sentent aussi mal en amour, c’est à mon avis parce qu’elles ne se sont pas interrogées sur leur désir profond. Elles souhaitent ardemment un amour, non pas tant parce qu’elles le désirent véritablement que parce qu’il appartient/appartiendrait à un autre (« l’hétérosexuel », « l’homosexuel », Dieu, etc.) et qu’il leur est/serait inaccessible. Une fois qu’elles obtiennent ce que leur désir de surface commandait, elles ne le veulent plus. « Ne le répétez pas, je trouve que les lesbiennes ne sont pas désirables. » (Cathy Berheim, idem, p. 132) Il ressort que celles qui ne sont pas « casées » ne rêvent en général que d’une chose – être casées –, et que celles qui sont déjà « casées » n’attendent que l’occasion de se débarrasser de leur amant(e) pour s’émanciper enfin. Elles aiment ce qu’elles n’ont pas et n’aiment pas ce qu’elles ont. Les seules personnes dont elles tombent véritablement amoureuses ne peuvent pas les aimer d’amour en retour puisqu’elles sont soit déjà prises, soit « hétérosexuelles ». Ce qui les attire, ce n’est pas d’abord l’Amour : c’est son impossibilité.
Pour moi, le désir homosexuel n’aide pas les individus qu’il habite à se poser la question de leurs désirs profonds. Il faut toute une vie à un Homme pour apprendre à aimer. Mais bien souvent, les personnes homosexuelles, en croyant aimer mieux que les autres qui les auraient si mal reconnues, se pensent exemptées du travail d’apprentissage collectif et patient de l’amour, si bien qu’elles arrivent souvent précipitamment sur le terrain des relations amoureuses en ayant grillé certaines étapes et sans connaître les règles de base du jeu aimant respectueux. Dans le film « Tableau de famille » (2002) de Ferzan Ozpetek, par exemple, Antonia répète à trois reprises à Michele, l’amant de son mari, une phrase à laquelle celui-ci ne sait pas quoi répondre tellement elle est juste : « Tu ne sais pas aimer ! » On retrouve cette idée dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow (« Ça ne durera pas, votre histoire à Paul et à toi, parce que toi, tu ne sais pas aimer. » dit Marie à Sébastien), dans la chanson « La Vie continuera » d’Étienne Daho (« Aimer tu ne sais pas. »), ou bien encore dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner (« Tu ne sais pas aimer ! » dit Prior à son amant Louis). Il suffit de regarder la majorité des individus homosexuels (ou hétérosexuels) gérer leurs aventures sentimentales pour se rendre compte que, quoi qu’ils en disent, il n’y a pas de place pour un conjoint dans leur vie, et qu’ils ne se sont pas encore assez préparés à l’accueil de l’amour. Ils sont d’ailleurs les premiers étonnés de constater, une fois « casés », que non seulement rien n’a changé à leur insatisfaction d’être et d’aimer, mais qu’ils se sentaient mieux célibataires qu’aussi mal accompagnés. Quand nous voyons la plupart d’entre eux s’amouracher de n’importe qui à n’importe quel moment, pour finir déçus ou détruits les trois-quarts du temps, on a de quoi de penser qu’ils n’ont pas suffisamment compris comment il fallait s’y prendre en amour. Je suis certain qu’ils sauraient aimer de manière plus mûre dans d’autres circonstances et structures conjugales que les couples hétérosexuel et homosexuel : ils aiment mal (ou « moyen ») seulement quand ils s’obstinent à vouloir aimer à travers le modèle du couple fusionnel androgynique.
Ce qui me rend le plus sceptique quant au couple homosexuel, c’est le manque de foi en l’amour exprimé par la majorité des personnes homosexuelles, qui plus est par celles qui sont le moins bien placées pour s’y abandonner puisqu’elles vivent/vivraient depuis très longtemps avec « l’homme (ou la femme) de leur vie ». Ces dernières nous rabâchent souvent avec la vacuité de l’amour, parce qu’au fond, elles ne le connaissent pas vraiment. Elles appellent « amour » ce qui n’en est pas exactement, pour ensuite salir le nom du véritable amour en maugréant qu’elles auraient « aimé ne jamais le rencontrer » une fois qu’il serait parti et les aurait lâchement abandonnées. Selon elles, l’amour n’est que mensonge, regret, plaisir fugace à consommer au plus vite avant la date de péremption, illusion temporaire vécue à deux. Elles le mettent presque à chaque fois sous le signe de la trahison, du désenchantement, de la rêverie, de la consommation, et de la mort. Elles justifient en général leur perte de croyance en l’amour par le cynisme agressif : en s’appuyant sur l’autorité de leur sacro-sainte « expérience sentimentale et sexuelle », elles descendent en flèche les stéréotypes romantiques de l’amour idéal. Aimer, ce serait « cucul », typiquement adolescent (ou uniquement pour les « vieux » soumis à la tradition), toujours sujet à nuance, impossible : elles n’auraient plus l’âge pour ces niaiseries. Les cyniques de l’amour sont bien tous les mêmes : ils n’ont jamais renoncé au rêve du prince charmant en le condamnant chez les autres – qu’ils surnomment « idéalistes » ou « sentimentaires ».
Au lieu de remettre en cause le sens social de la structure du couple homosexuel ou hétérosexuel, beaucoup de personnes homosexuelles s’empêtrent dans la recherche des causes périphériques des problèmes internes à leur union. Généralement, toutes les fois où elles expérimentent les déficiences de l’amour homosexuel, elles ont tendance à se déresponsabiliser complètement, et à charger excessivement la barque de leur amant, en vidant justement de relationnel ce qui n’est prioritairement que relation : l’amour. Elles (s’)expliquent la baisse d’intensité des sentiments ou la rupture à travers tout un tas de raisons plus ou moins plausibles (« Si ça n’a pas marché entre nous, c’est à cause de mon/son foutu caractère, c’est parce que je n’avais pas fait le deuil de mon ex, c’est parce qu’on ne s’est pas rencontrés au bon Moment, c’est à cause de mon/son manque de maturité, de l’éloignement géographique, de la divergence de nos goûts, de la différence d’âges, de la routine, de ma/sa fougue amoureuse, de la baisse de mes sentiments, de ma/sa possessivité maladive, de mon/son indifférence, de mon/son incapacité à aimer quelqu’un, etc. »), raisons qui ne poseraient plus du tout problème si l’amour était effectivement là, et qui en revanche deviennent des excuses de poids pour la répudiation quand l’amour n’est pas là, et que son manque n’est ni reconnu ni dé-moralisé. La personnalisation des limites observées dans le couple homosexuel, insensée puisque celles-ci sont d’abord le résultat de la nature du désir homosexuel avant d’être une question de mérite et de valeur de personnes en particulier, n’aboutit qu’à une culpabilisation ou une déculpabilisation excessive qui ne fait que reporter les problèmes conjugaux à la prochaine aventure amoureuse. Seuls les acteurs changent. Pas la comédie.
Quand la séparation se profile dans le couple homosexuel, ce qui arrive relativement souvent, elle se traduit généralement par l’infidélité ou le contournement de la monogamie, à travers ce que certains appellent pompeusement les « polysexualités » (le triolisme, l’échangisme, les « plans cul » à plusieurs, etc.). Peu de personnes homosexuelles abordent concrètement les dégâts considérables de la pratique de l’infidélité au sein de leurs unions (la suspicion et la perte de la confiance entre amants, la souffrance de vivre partagé, le cercle vicieux de la vengeance, la schizophrénie qu’impose la double vie clandestine, l’angoisse de l’abandon, la déception de ne pas combler l’autre, la déréalisation de la relation d’amour, la séparation traumatisante du corporel et du sentimental, la carence du modèle culturel de la fidélité et ses conséquences désastreuses sur le moral des troupes, etc.). Ces désagréments sont presque toujours noyés dans un discours dédramatisant (cf. le dossier « Tous infidèles ? » dans la revue Têtu, n°65, mars 2002). Certes, il est intellectuellement envisageable que l’infidélité sexuelle soulage dans un premier temps certains couples homosexuels. Elle a les avantages de ses inconvénients : parce qu’elle ne responsabilise pas, elle ne met à première vue aucune pression sociale ou conjugale ; parce qu’elle n’est pas qualitative, elle fournit l’ivresse de la quantité ; parce qu’elle est anonyme, elle permet l’impunité et la discrétion ; parce qu’elle n’unit pas les deux partenaires, elle offre une perspective de rupture de contrat simple et immédiate. En réalité, elle reconduit les problèmes conjugaux, et fonctionne comme un coup de poignard ressenti après coup par les deux partenaires qui s’étaient pourtant mis d’accord pour banaliser la force du choc. À mon avis, il n’est pas de plus profonde blessure humaine que d’être trahi en amour et utilisé comme un objet ou un « à-côté », d’autant plus quand nous acquiesçons au contrat de consommation mutuelle.
L’extériorisation des problèmes conjugaux
Peu de personnes homosexuelles osent émettre des doutes sur la valeur de leur union, parce que la plupart cherchent à défendre coûte que coûte leurs utopies d’amour. Nous les voyons parfois essayer de blanchir le portrait de leur couple, de retirer fiévreusement les taches. Dans un processus inconscient d’autocensure de l’insatisfaction, elles se disent intérieurement qu’elles n’ont pas le droit de cracher dans une soupe peu savoureuse qu’elles ont jadis réclamée à cor et à cri. S’enclenche en elles la mécanique perverse de la dette pour un cadeau dont elles ne voulaient pas entièrement mais « juste un peu », celle qu’elles se doivent de défendre si elles sont logiques avec elles-mêmes (et surtout avec leur orgueil !). Elles s’évadent alors dans le désenchantement amoureux, rejetant leurs fautes sur le monde extérieur pour éluder les bonnes questions. Elles se disent que leurs problèmes conjugaux viennent intégralement des autres.
La comparaison au mauvais exemple « hétérosexuel » fait souvent diversion. Quand leur est formulé un reproche avéré sur leurs comportements amoureux, beaucoup de personnes homosexuelles ont systématiquement coutume de se rassurer en disant « … Oui mais ce n’est pas propre aux homos : chez les hétéros, c’est pas mieux… ! » ou bien « Tout ça, c’est à cause de la société ! », ce qui n’est sûrement pas totalement absurde, puisque le couple hétérosexuel est une copie intentionnellement inverséedu couple homosexuel, et un produit improbable d’une certaine société totalitaire. Mais au lieu de permettre l’analyse, cette attitude déplace le nécessaire débat sur le désir homosexuel et sur la reconnaissance de leur possible contribution à l’actualisation de celui-ci, vers le « pourquoi » et la distribution démobilisatrice des culpabilités. En plus, elles ne s’appuient en général que sur les mauvaises références de couples femme-homme (c’est-à-dire les couples hétérosexuels) en occultant les bonnes. Cela leur permet d’une part de justifier qu’il y a toujours pire qu’au pas de leur porte, et d’autre part de ne porter aucun regard critique et respectueux sur elles-mêmes, ni sur les couples femme-homme solides.
Pour neutraliser les critiques sur l’amour homosexuel, beaucoup de personnes homosexuelles extériorisent systématiquement les problèmes de leur couple, et font passer la mésentente amoureuse pour un processus purement circonstanciel : si les couples homosexuels n’arrivent pas à perdurer, ce serait uniquement parce que la société ne les encouragerait pas, et qu’ils seraient empêchés par la cruauté gratuite des Hommes.
Cette extériorisation dramatisante est particulièrement illustrée par le cinéma actuel, à travers la focalisation quasi automatique sur les catastrophes humaines et les crimes dits « homophobes » dans le traitement de l’homosexualité. Beaucoup de réalisateurs justifient la force de l’union homosexuelle par l’oppression ultra-violente qu’elle subirait. C’est justement ce besoin de prouver l’amour par ce qui n’en est pas un qui, à nos yeux, devrait devenir suspect, même si à présent, cette propagande de l’homosexualité par la récupération des grands drames humains conquiert de plus en plus de cœurs.
Quand nous voyons des films traitant de l’homosexualité et choisissant pour toile de fond des événements terribles venant détruire une romance homosexuelle présentée comme idyllique, nous avons tous envie de dire à la fin de la projection que la spectaculaire catastrophe ou l’agression extérieure rendent les unions homosexuelles, sinon idéales, du moins justifiables, même si dans les faits, ces films sont bien éloignés de la réalité quotidienne des couples homosexuels de chair et d’os. Qui peut essayer de comprendre avec un certain détachement les mécanismes de l’homophobie, après avoir vu un tel carnage d’amour construit sur pellicule ? Qui peut paraître humain de remettre en cause une image d’Épinal de l’amour homosexuel contrebalancée par une violence visuelle assurément percutante, mais ô combien exagérée ? Difficile, par exemple, de ne pas avoir le cœur brisé en voyant sur les écrans le désarroi du mari de Cathy Whitaker dans le film « Loin du paradis » (2002) de Todd Haynes, homme qui n’arrive résolument pas à réprimer ses penchants homosexuels malgré toute la bonne volonté du monde, ou de ressortir du visionnage du « Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee en affirmant la bouche en cœur que l’amour homosexuel n’est pas réel et merveilleux, même si nous l’avons vu entravé. Mais, je vous le demande, est-ce que l’amour ne se manifeste que dans les cas extrêmes où la liberté humaine se rapproche de la nullité ? À travers de tels films, les réalisateurs homosexuels sont plutôt en train d’enfermer l’amour dans un cadre déterministe et fataliste. Ils valident par un regard orienté vers des situations particulièrement dramatiques une vision de l’existence humaine et de l’Amour très négative. Ils énoncent que l’Homme n’est que rarement libre et heureux, et que c’est cela sa Vérité d’Amour. Comment peuvent-ils espérer ensuite que leur défense du désir homosexuel apparaisse aux yeux de la société comme aimante ?
Il semble paradoxal de prouver l’Amour par son contraire. Face à ce nouveau type de « films choc » (qui, soit dit en passant, dans leur formule, ne s’opposent pas aux comédies sentimentales et enjouées de l’homosexualité), nous sommes pris entre l’extrême compassion et la méfiance de l’émotionnel, si bien travaillé par le cinéma. Au fond, la révolte et l’empathie ne sont que des effets recherchés par ceux qui créent le mythe du couple télégénique homosexuel heureux pour masquer la réalité d’une union beaucoup moins rose dans les faits. Ils universalisent, en quelque sorte, un méfait opéré sur un personnage télévisuel homosexuel vivant un scénario-catastrophe, pour ensuite justifier leurs utopies personnelles et des revendications concernant la communauté gay très discutables dans la réalité concrète. L’injustice filmée ne laisse pas de marbre, c’est sûr. Mais il y a une sorte de malhonnêteté intellectuelle à traiter de l’homosexualité avec d’autres thèmes qui lui sont liés mais non de manière causale (par exemple la folie meurtrière des camps de concentration, le déferlement incontrôlé de l’homophobie dans certains milieux sociaux culturellement pauvres, une agressivité familiale exacerbée, l’émergence inopinée du Sida, etc.).
Ne nous laissons donc pas déborder par nos émotions : écoutons la Réalité, qui est bien meilleure conseillère. En effet, humainement et éthiquement, nous ne pouvons pas cautionner la haine et le mépris, nous sommes encouragés à signer sans réfléchir à des versions idylliques et victimisantes de l’amour homosexuel. Réveillons-nous. Le couple homosexuel n’est pas le couple homosexuel cinématographique.
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
a) Le personnage homosexuel affectionne les manèges, ou bien en parle :
Film « Strangers On A Train » d’Alfred Hitchcock
Il est étonnant de voir dans les fictions homosexuelles quelques références au manège : cf. le film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa, la chanson « Presque oui » de Georges et Louis, le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, le film « Two Strangers On A train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le film « Merry-Go-Round » (1977) de Jacques Rivette, le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, l’album « Au tourniquet des grands cafés »(1990) de Jean Guidoni, la chanson « Mon manège à moi » d’Étienne Daho, la chanson « Et tournoie… » de Mylène Farmer, le film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa, le film « Cercle vicieux » (2001) de Gary Wicks, la chanson « Lui ou toi » d’Alizée (« Mais mes chevaux de bois sont froids »), le poème « La Murga, Los Caballos » de Néstor Perlongher (« Et si j’arrêtais de croire en leur existence ? » se demande la voix poétique au sujet des chevaux de bois), le film « Manège » (1986) de Jacques Nolot, la chanson « Spinning The Wheel » de George Michael, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, la chanson « Wheel Of Fortune » d’Ace of Base, la chanson « Le Manège » de Stanislas Renoult, le vidéo-clip de la chanson « Sa Raison d’être » du collectif Ensemble contre le Sida (avec la chanteuse Zazie sur son manège), la chanson « Merry-Go-Roud » d’Emma Bunton, la série télévisée Manège (2010) de Françoise Charpiat (visant à sensibiliser sur le Sida), « Der Kreis » (« Le Cercle », 2014) de Stefan Haupt, le film « Vent chaud » (2020) de Daniel Nolasco, la chanson « Le Privilège » de Michel Sardou, etc. Par exemple, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Malik le héros homo, pendant tout le film, tourne souvent sur lui-même. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, fait un manège infernal avec un caddie. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Fred, le trans M to F, a inventé un pas de danse pour son équipe de nageurs gays de water-polo qui s’appelle « le Tourniquet ».
Le manège n’est pas qu’un motif esthétique gratuit. « Je l’observe du coin de l’œil pour voir si elle s’intéresse à moi et si mon manège éveille en elle quelque chose. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 95) ; « Tandis que je continue mon petit manège de courtisane, mon mari se fait de plus en plus présent. » (idem, p. 195) ; « Bon, les gars, j’ai compris votre petit manège. » (le père d’Arthur s’adressant à son fils et à son amant Julien, dans le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann) ; etc. En plus d’être synonyme de stratégie courtisane séductrice, il a une valeur symbolique inconsciente. Le personnage homosexuel a l’impression, en amour, de tourner en rond (d’ailleurs, il se demande quel manège il joue avec son copain…) : « L’Amour, ça me fait tourner la tête. » (le Méchant du film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen) ; « Seul demeurait face à moi le jeune homme aux doigts de cristal. […] Pour tout témoin étranger à ce manège, c’eût été un spectacle risible que ces deux jeunes personnes isolées désormais dans ce wagon de chemin de fer, épiant réciproquement les tressaillements de leurs mains. » (la voix narrative de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 64) ; « Derrière les murs de ce collège, ceux qui font tourner les manèges se sont-ils posé la question ? » (cf. la chanson « Le Privilège » de Michel Sardou) ; « Baise-moi encore et fais-moi tournoyer, dans ses eaux sombres fais-moi plonger. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Mon surnom, c’est Toupie, tu sais très bien. Avec tes potes, vous me faites tourner… » (Benjamin s’adressant à son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Si je ne les retrouve pas, je serai au manège. » (le jeune Moustique, dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; « Moi j’vais partie en toupie. » (Guen, le héros homosexuel, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc.
Par exemple, dans le film « Les Yeux fermés » (2000) d’Olivier Py, les deux amants Vincent et Olivier restent figés à contempler hypnotiquement un manège de fête foraine qui tourne très rapidement devant eux ; alors que ce spectacle remplit étrangement Olivier de tristesse (« Cette contemplation de la mort, ça me dégoûte. »), son partenaire le force à trouver le désir de mort banal (« Non, ça ne te dégoûte pas. »).
Le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann est une ode à la circularité : « Si. Tout tourne autour de soi. Sans ça, la vie n’a aucun sens. » (Aysla, l’héroïne lesbienne) Quand Aysla et Marie sont allongées dans la forêt après avoir retrouvé l’alliance d’Aysla, elles portent sur la main un escargot. Ensuite, la maison que Marie, architecte, a construite, est en forme d’escargot. Lors du mariage hétéro d’Aysla, les deux femmes dansent sur la chanson « Chains Reaction » de Diana Ross. Et l’image finale du téléfilm, c’est l’escalier en colimaçon conçu par Marie, alors que les deux héroïnes s’embrassent dans l’aéroport circulaire. Dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, Ash (homo) dit que son pote gay Roscoe a niqué son propriétaire « en le faisant tourner comme une toupie ».
Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, la roue occupe une place importante dans la symbolique amoureuse homosexuelle. Déjà parce que Bram s’en sert pour décrire la difficulté de la condition existentielle homosexuelle (« Parfois, j’ai l’impression d’être resté coincé sur une grande roue. À un moment, je suis le roi du monde, et l’instant d’après, je suis au bout du rouleau. Personne ne sait que je suis gay. ») ; et d’autre part parce que la roue de fêtes foraines deviendra le lieu de rendez-vous final et de concrétisation de l’« amour » entre les deux amants homos de l’intrigue, Simon et Bram. Ils s’y embrasseront une fois suspendus au sommet.
b) Le manège peut être une métaphore de la complexité (et de la fatigue que celle-ci engendre!) au sein du couple homosexuel :
Paradoxalement, même si on l’appelle « désir » (mais n’est-on pas allé historiquement un peu vite en besogne dans la définition), l’amour homosexuel dit une absence de désir, ou un désir à l’état embryonnaire : cf. la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe Botti, le film « I Am Not What You Want » (2001) de Kit Hung, le roman L’Indésirable (2010) de Sarah Waters, le film « Ausente » (« Absent », 2011) de Marco Berger, le roman Les Absents (1995) d’Hugo Marsan, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec le héros narcoleptique), etc. Par exemple, dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, la première image qu’on voit de Todd, c’est qu’il simule en soirée chiante, face à son futur amant Frankie, de se tirer une balle dans la tête. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, c’est avec peu de conviction que Pascale, en couple avec Tereza, répond à Phil, le jeune héros homo, par rapport à sa question « Vous êtes heureuses, toi et Teresa ? » : « Parfois beaucoup, parfois moins. Mais oui… je crois qu’on est heureuses. »
Le désir homosexuel ne s’appuie pas vraiment sur le Réel, sur une profonde connaissance de la personne aimée, ni sur la liberté des deux amants : « Je ne sais pas si le fait qu’on soit amoureux n’est pas une espèce d’illusion. » (Tom s’adressant à son amant Bryan, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Mes sentiments m’effrayent ! Je suis obnubilé par ce garçon. Je ne le connais pas, je ne sais rien de lui mais je crois que je l’aime. Comment est-ce possible ? » (Bryan en parlant de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 32) ; « Au fond, je ne te connais pas aussi bien que je le crois. » (Stéphane s’adressant à son ex-amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Mais je l’aime et je ne l’ai pas choisi. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto) ; « Je m’étais profondément attaché à lui et ne cherchais pas à savoir jusqu’où irait notre relation. » (Ednar par rapport à Grégoire, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 143) ; « Je ne sais même plus si je l’ai vraiment aimé. » (Malcolm en parlant de son amant Adrien, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 119) ; « Tu ne me comprends jamais. » (Ada s’adressant à son amante Cherry, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « On aime quelqu’un… mais cet amour ne nous aide pas. » (Rudolf, l’un des héros homos s’adressant à ses deux autres potes homos, Gabriel et Nicolas, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « C’est quand même vachement déstabilisant. J’ai tout de suite compris que c’était pas mon truc. Y’avait quelque chose en moins.» (Damien évoquant ses expériences homosexuelles, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « J’crois qu’on devrait arrêter de faire semblant. On n’est plus un couple. Tu sais très bien que j’ai raison. Tu restes avec moi par fidélité à une histoire qui en fait est finie. » (Serge s’adressant à Victor, son compagnon depuis 18 ans mais qui le trompe fréquemment et avec qui il ne fait plus l’amour, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « J’crois que je recherche un truc qui n’existe pas, en fait. » (Jonas, héros homosexuel malheureux en amour, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc.
Le désir homosexuel est souvent représenté comme un élan complexe et mystérieusement épuisant. Il est en effet question de l’ennui dans pas mal de fictions homosexuelles : cf. la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, le film « Grosse Fatigue » (1994) de Michel Blanc, la chanson « Mourir d’ennui » de Jeanne Mas, la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le film « Il faut que je l’aime » (1994) de Sébastien Lifshitz, la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon, la chanson « Cet Air étrange » d’Étienne Daho, le tableau Bleu d’ennui (1999) de Michel Giliberti, la chanson « Je m’ennuie » de Mylène Farmer, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal en général (2009) de Jérôme Loïc, la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, le film « Les Mauvais Romans » (2011) de François Chang, le film « Fruits amers » (1967) de Jacqueline Audry, le film « Bouddhi Bouddha » (2012) de Sophie Galibert, etc. « Si on créait un club ? J’m’ennuie. » (Kanojo, une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Quand tu t’y mets, t’es une sang-sue. Et c’est d’un ennui mortel. Je te jure que t’es d’un ennui mortel. » (Dick s’adressant à Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; etc.
Certains personnages homosexuels découvrent que la croisière amoureuse qui les faisait rêver sur le prospectus devient coûteuse. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros homosexuel, trouve que sa relation avec Kévin est d’une lourdeur incroyable, même si, par ailleurs, il s’auto-persuade qu’il n’a jamais été aussi heureux de sa vie : « Un garçon qui aime un garçon, ce n’est jamais simple. » (p. 33) ; « Je ne pensais pas que ça allait être aussi compliqué ! » (idem, p. 329) ; « Comme la vie était simple avant que je te connaisse… » (p. 134) Comme Kévin finit par le prendre mal, Bryan atténue la violence de ses plaintes par un enthousiasme forcé : « Non, tu me la compliques un peu, c’est tout… Mais j’adore ça ! » (idem, p. 134) ; « Nous deux, ce ne sera jamais simple, mais j’aime bien comme ça, c’est génial ! » (idem, p. 407) ; « J’ai l’impression qu’on pédale un peu. » (le Dr Katzelblum, homosexuel, s’adressant au couple homo Arnaud/Benjamin qu’il suit en thérapie, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.
Beaucoup de héros homosexuels disent le poids de la complexité de l’amour homosexuel dans leur vie : « J’aimerais vivre quelque chose de simple, de limpide. J’ai besoin d’air pur ! » (Nina l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Lola et à Vera la compagne régulière de celle-ci, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Dans la nuit, j’ai rencontré des fantômes bizarres, des amours passées. Au début, j’y croyais, à ce monde inversé. Mais j’ai cessé d’y croire, à ces histoires compliquées. » (cf. la chanson « Je veux tout changer » d’Hervé Nahel) ; « Les relations ne marchent pas, alors j’essaye autre chose. » (Paul se justifiant d’aller sur le net, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Va raconter ta vie. Elle est tellement pathétique. Tu as de quoi en faire un spectacle. » (la figure de Dieu à Samuel, le héros homosexuel, dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque) ; « Je pense que je n’étais pas vraiment amoureux. » (le jeune Michael parlant de son émoi pour un de ses camarades, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Avec Jacques, j’allais tricher un peu, beaucoup, passionnément. » (le jeune Mathant dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Marco me dit combien c’est difficile la relation avec toi. » (Laurent Spielvogel imitant un vieux pote gay du sud s’adressant à lui par rapport à son couple raté avec son amant Marco qui lui est infidèle depuis 3 ans, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « J’ai tiré un trait sur ma vie sentimentale. » (Laurence, l’héroïne lesbienne, dans l’épisode 383 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 22 janvier 2019 sur TF1) ; « Je voulais passer tout mon temps avec lui. Et pourtant, quand j’étais avec lui, cela ne me suffisait pas non plus. » (Alexis, le héros homo, parlant de son amant David, dans le film « Été 85 » (2020) de François Ozon) ; etc.
Certains se montrent souvent fatigués, usés par la passion : « Nos p’tites sorties, nos p’tits restos, j’en ai marre ! » (Manu s’adressant à son amant Philippe dans le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq) ; « Un gay, c’est ennuyeux. Deux, c’est un appel au meurtre. » (Eytan, un des élèves gays du lycée, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; « J’étais pas épanoui totalement. Il me manquait quelque chose. » (Jeanfi, le steward homo dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « Tu sais…moi, j’me fais chier depuis que je suis née. » (Teena dans le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce) ; « Il faut que je m’emmerde. » (la psy dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Sont éternels les enfants de l’aube, fatigués plus que de raison. » (cf. la chanson « Les Enfants de l’Aube » de Bruno Bisaro) ; « Au secours, tu voudrais crier au secours, mais tu es fatigué, si fatigué, le monde est de l’autre côté. » (cf. la chanson « Au secours » de Véronique Rivière) ; « Quand j’étais petit, j’avais des rêves, des ambitions. […] Maintenant, je vivote. » (Benoît, le héros homosexuel de la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « Tu vois, c’est marrant, à l’aube de nos trente ans, on se retrouve comme quand on en avait vingt ! Toi tu cherchais la preuve que l’amour existe, tu n’en étais pas sûr, Simon la preuve que l’amour n’existe pas, et moi je suis venue ici pour le trouver. Et aujourd’hui, après tout ce temps, on est tous les trois revenus au même point, hein ? » (Polly, l’héroïne lesbienne du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 121) ; « Nous sommes les Insatisfaits. » (cf. le poème « Les Rimes masculines » de Denis Daniel) ; « Nous, nous sommes tous passés à côté de quelque chose. » (les protagonistes homosexuels parlant de l’ensemble des membres de la communauté homosexuelle, dans la pièce Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henry) ; « Je ne te suffis plus ! » (Vlad s’adressant à son amant Anton dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.
Par exemple, dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault, quand le père de Marco, par intérêt forcé, demande à son fils comment se passe la relation amoureuse de ce dernier avec son copain en date Franck, Marco se montre très laconique et ne s’étend pas en détail : « C’est compliqué. » Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, la relation amoureuse entre Stéphane et Vincent s’est essoufflée très vite. Le jeune Vincent n’a même pas eu les mots pour expliquer son départ ni le courage de mettre un point final : « T’étais du genre à ne pas donner d’explications. » lui reproche laconiquement Stéphane. Dans le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2004) de Frank Oz, Roger explique qu’entre son compagnon Jerry et lui, il y a de l’eau dans le gaz : ils voient un conseiller conjugal depuis plus d’un an. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, après 6 mois de vie commune, Léopold et Franz n’arrêtent pas de s’engueuler parce qu’ils s’ennuient terriblement : « Tu n’es plus content de rien. » (Franz) ; « Je prends tellement peu de plaisir aux choses. » (Léopold) ; « Je ne vais pas bien. » (Franz) ; « Moi non plus. » (lui répond Léopold) ; « Appelle un taxi. Nous n’avons pas besoin de faire durer plus longtemps ce cinéma. » (Léopold simulant le départ). Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, la relation entre William et Georges, pourtant présentée comme formidable et authentique, bat de l’aile : « Elle n’était pas vouée à l’échec. » (William) ; « Nous devenons deux êtres médiocres vivant une relation médiocre. Trop forte pour que tu t’en prives. Pas assez forte pour que tu te battes pour elle. » (William s’adressant à Georges) ; « C’est terrible de s’apercevoir qu’on aime si mal la personne qu’on aime. » (Georges) Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier essaie de dissuader le jeune Mathan de croire en l’amour homo, car ses onze années de couple avec Jacques ont été visiblement éprouvantes : « J’espère que ça ne te fait pas rêver. C’est l’enfer. »
Film « Happy Together » de Wong Kar-Wai
Dans son one-woman-show Chaton violents (2015), Océane Rose-Marie raconte les nombreux orages, ruptures, lassitudes et insatisfactions qu’elle vit avec « sa femme » depuis les six mois qu’elles sont installées ensemble : « Sérieusement, l’énergie qu’on perd… » Elles finissent par se quitter tellement elles se font chier : « C’est ça le couple ? Le Réel ??? Moi, je n’avais pas signé pour ça.// » Puis, faute de mieux et par volontarisme idéologique, Océane revient finalement au nid : « Dans mon couple, y’a encore du boulot. Parfois, ma femme, elle me tue ! »
L’un des terrains porteurs les plus saillants du désir homosexuel chez le héros homosexuel semble être l’ennui. On dirait qu’il vient à l’homosexualité pour tuer l’ennui, ou qu’ils passent d’amant en amant, d’état amoureux en état amoureux, parce qu’il s’embête terriblement ! « Il ne dira pas, non il ne dira pas que sur son passé il jette un regard las ; Il ne dira pas, non il ne dira pas qu’il se sent si seul qu’il passe de bras en bras. » (cf. la chanson « Il ne dira pas » d’Étienne Daho) ; « Moi, je l’ai suivi parce que je me faisais chier et lui, ce pauvre con, il croyait qu’on vivait le grand amour. » (Simon parlant de son amant Matyas, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 22) ; « Je m’ennuie… On devrait peut-être adopter ? » (un couple gay dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Il est tiède… comme le sera votre mariage. » (le père s’adressant à sa fille Claire et à la copine de celle-ci, Suzanne, qui ont pour projet de se marier, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, l’homoparentalité est envisagée par le couple homosexuel comme un remède à l’ennui et au vide amoureux. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel, le tueur en série, tue successivement ses petits copains dès qu’ils s’attachent trop à lui, parce qu’il est tétanisé par l’ennui et la fusion amoureuse homosexuelle : il demande à son amant Franck de ne pas rester « scotché » à lui et commence à le menacer (« Si on commence comme ça, dans une semaine, on en aura marre l’un de l’autre. […] Ça ne va pas m’amuser longtemps. ») Dans le film « Annalyn » (2012) de Maria Eriksson, Agnès n’est pas satisfaite de sa vie, est lassée par sa relation avec sa petite amie. Dans le film « Permanent Resident » (2008), les amants vivent dans un super cadre, mais se font chier à mourir ensemble et n’ont rien à se dire. Idem avec l’oisiveté inconsistante que vivent les deux tourtereaux Romeo et Johnny dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, l’amour ou le fait de tomber homosexuellement amoureux est considéré comme un passe-temps, un tue-l’ennui, et ce, dès les premières minutes du film : « Où situerais-tu ton degré d’ennui sur une échelle de 0 à 10 ? » demande Léo, le héros homo, à Giovanna. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, lorsque Emma trinque « à l’Amour ! » pour fêter la présentation de son amante Adèle à sa mère et à son beau-père, Vincent (le deuxième compagnon de sa mère, donc justement le beau-père d’Emma) atténue cyniquement l’euphorie : « Tout de suite les grands mots… » Et en effet, la relation de « couple » entre Emma et Adèle s’essouffle super vite. On observe qu’Emma n’est pas touchée par la personnalité plate d’Adèle, son absence de créativité et de culture, son manque d’ambition professionnelle. L’ennui, l’infidélité, le manque de communication et surtout l’impossibilité d’une communion, auront raison de leur « amour ».
Plus que de la fatigue physique – celle-ci n’étant pas négative en soi (il y a des « bonnes fatigues », qui ne plombent pas le moral) – il s’agit en général chez le protagoniste homosexuel d’une baisse de désir : « L’amour est un fardeau. Je le porte en clodo. Joyeux clodo. » (cf. la chanson « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander) ; « Qu’est-ce qu’il faut pas supporter par amour… » (Matthieu le héros homosexuel de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « À force d’être toujours ensemble, on a fini par se ressembler. La routine. » (Jonathan en parlant à Matthieu de leur 1 an de vie commune, idem) ; « Je suis trop compliquée. » (Peyton, l’héroïne lesbienne à son amante Elena, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Star des oublis (2009) de Ivane Daoudi, au moment où Cherry demande à sa copine Ada si elle est « toujours fatiguée », celle-ci lui répond : « Non, je suis lasse. »
Dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, François finit par être saoulé par son copain Claude qui lui propose une vie très matérialiste, routinière, et « plan-plan ». Dans le film « The Bridge » (2005) de George Barbakadze, l’ennui d’une vie trop bien rangée se dégage de l’appartement de Niko et Luka. Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Luc a quitté Jean-Marc par peur que ce dernier ne l’enterre vivant dans une existence morne et ennuyeuse. Dans le film « Como Esquecer » (2010) de Malu de Martino, Julia, qui semblait pourtant vivre une belle idylle avec Helena, finit inexplicablement à la fin du film par prendre son indépendance et par quitter son amante : « Tout glisse et roule sur moi. Rien ne pénètre. »
Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, la relation d’« amour » entre Charlotte et Mélodie fait yo-yo : « J’comprends pas pourquoi tu ne me quittes pas. (Mélodie à Charlotte). Charlotte n’est pas prête à tout quitter ni à renoncer à sa relation hétéro avec Michel, pour suivre Mélodie, ce qui fait que cette dernière a l’impression de compter pour du beurre. Et c’est quand Mélodie s’éloigne que Charlotte revient à la charge. Mélodie en perd son latin : « Alors c’est que ça ? Faut que je te fuis pour que tu me rattrapes ? » Finalement, les deux femmes sont incapables de s’engager pleinement ensemble : « Charlotte, ça fait cinq mois. On fait quoi ? On va où ?? J’vois tes yeux. Et j’vois mon amour qui te pèse. »
Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien, le héros homosexuel, a en amour « l’art de se mettre dans des situations impossibles » (p. 44) ; mais il retombe à chaque fois dans le même panneau avec ses conquêtes masculines successives : « Enfin Adrien, t’as quand même souffert de cette relation, non ? T’es en train de reproduire le même schéma ! » (Nathalie lui parlant de son couple « foireux » avec Malcolm, idem)
Dans le film « Saint Valentin » (2012) de Philippe Landoulsi, Naima, la collègue de caisse de Valentin, le héros homo, ne sait pas trop comment gérer les turpitudes de la vie sentimentale de ce dernier : « Mais si t’arrêtais de te mettre dans des histoires impossibles, on n’en serait pas là. »
Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, le couple Paul-Erik se délite peu à peu après quelques années de vie commune. « Tu vas pas y arriver [à rester avec moi]. » (Paul s’adressant à Erik, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs) Erik est présenté comme celui qui aime (trop) et Paul comme celui qui n’aime pas (assez) et qui remet en doute sans arrêt l’amour qu’Erik lui porte. Et en effet, leur couple se casse la figure. « En vérité, je ne l’aimais pas assez. » conclut Erik. Et quand un pote à lui, Igor, l’envie d’avoir été 9 ans avec Paul, Erik rit cyniquement : « Je ne me sens pas… chanceux. »… car il sait le prix que ça lui a coûté de tenir à bout de bras une relation aussi fragile et tortueuse ! « On va enfin arrêter de faire comme si. » (Paul s’adressant à son amant Erik)
Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., on assiste au même délitement du couple Matthieu/Jonathan. Après les premiers moments de la passion et des jolis voyages, après que le couple se soit installé dans le confort d’un appart design, l’ennui commence à s’installer rapidement : « Deux ans de couple chez les pédés, c’est comme les vies chez les chiens. Faut multiplier par 7. » (Jonathan) Pour tuer l’ennui, ils songent à avoir un chien. Ils ont de plus en plus de mal à sauvegarder l’humour entre eux : « Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il faut que je me force pour le faire rire. » (Jonathan parlant de son copain Matthieu)
Le personnage homosexuel devine inconsciemment la faiblesse de son désir homosexuel, de l’amour que son compagnon lui promet, ou de l’« amour » qu’il lui offre, bref, de l’amour homo en général : « J’entends ton cœur fatigué d’avoir aimé, Allan, Allan. » (cf. la chanson « Allan » de Mylène Farmer) ; « Nous sommes pathétiques. » (Paul à son pote homo Eddie, quand ils se racontent leurs histoires de cœur, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Qui de nous deux vide l’autre ? » (les héros du spectacle Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou) ; « Cassie, je crois qu’on devrait arrêter. » (Anna dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « Est-ce que je ne suis pas en train de m’attacher artificiellement à un lien qui finalement ne vaut rien ? » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 59) ; « Excuse-moi mais tout à coup j’ai peur de ce qui arrive […] peur de ne pas pouvoir te donner tout ce que tu veux, pas le temps, pas le désir. » (Lucas à son amant Martin, dans le film « L’Homme que j’aime » (1997) de Stéphane Giusti) ; « Des histoires d’homos, t’en as pas marre ? » (Rachel à son ami homosexuel Robbie, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; « J’me demande vraiment c’que j’fous avec un mec pareil. » (Mimil en parlant de Jeff, dans la pièce Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob) ; « Mais est-ce que je te connais ? » (Basile à son amant Dorian, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Mathilde, dis-moi ce qui cloche ? » (la voix narrative s’adressant à son amante, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 46) ; « Je ressens comme un vide. Mon désir est intact. La jouissance n’a pas su le combler. Que manque-t-il ? Il s’agit en effet d’un manque, d’une absence, d’un défaut de. » (idem, p. 161) ; « Je désespère de mon désir. Je m’efforce de l’alimenter et le con demeure indifférent. » (idem, pp. 173-174) ; « Max est plus boudeur que jamais. Au fond il boude tout le temps, il serait temps que j’en prenne conscience… » (François à propos de son « chéri », dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 111) ; « La lâcheté, la lassitude. Quelque chose en moi a cédé… » (Bjorn à propos de son couple avec Jan, idem, p. 159) ; « Nous nous aimions toujours mais nous ne savions plus comment faire pour en parler et à chaque tentative de l’un, l’autre lui tournait le dos. On n’y arriverait jamais ! » (Bryan et son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 285) ; « Avec toi, ça ne pouvait pas durer. C’était écrit avant que ça commence. » (Stéphane s’adressant à son jeune ex-amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Ce type d’amour ne dure pas. Tu peux fuir la Réalité. Elle te rattrapera. » (le père s’adressant à sa fille lesbienne Claire et à la compagne de celle-ci Suzanne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc.
Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis et Luther s’avouent vivre une « relation absurde » à travers Internet ; d’ailleurs, Denis en parle avec une voix susurrée, alanguie, endormie et anesthésiante, qui dit bien la virtualité et la pénibilité de l’amour qu’il est en train de vivre (« Avant d’être un homme, avant d’être mon amour, tu es un fond d’écran »).
Généralement, l’amour homosexuel fictionnel semble rarement à la bonne cuisson : soit l’un des deux amants aime trop pendant que l’autre ne l’aime pas assez, soit c’est l’inverse. « Je te quitte parce que tu as trop d’amour pour le gâcher contre moi. Et moi pas assez. » (« T. » à son amant Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 126) ; « Chui désolé Rodolphe. Je ne t’aime plus. Il vaut mieux qu’on arrête là. » (Pierre s’adressant à son amant Rudolf, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; etc. En tous cas, les partenaires se retrouvent involontairement à ne pas s’aimer en même temps… comme les pôles magnétiques de deux aimants positifs, qui se repoussent, ne se rencontreront jamais, et partageant un trop-plein de ressemblances : « Tout notre couple : un mensonge. » (Phillip à son amant Steven, dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa) ; « Nous n’avons rien vécu ensemble. » (le narrateur homosexuel à propos de son amant Pietro, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 150) ; « Ma vie sentimentale est un fiasco. » (Claire dans la pièce Une Heure à tuer ! (2011) d’Adeline Blais et Anne-Lise Prat) ; « Dieu, c’est trop terrible d’aimer ainsi… c’est l’enfer… il y a des moments où je ne puis plus le supporter ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne à son amante Mary dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 484) ; « Je l’aimais… mais pas assez. » (Arnold dans le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Est-ce que je l’aime assez ?… Et ça veut dire quoi, ‘assez’ ? » (idem) ; « J’étouffe. Je me sens prisonnière. Je me sens coupable, au fond, de t’avoir si mal aimée. » (une femme parlant à son « ex » Éléonore, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Tu vas craquer. Tu es déjà plein de fissures. » (Georges à son amant Zaza, dans la pièce La Cage aux Folles (1973) Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « Malgré les bonheurs que Marie me donnait tous les jours, ce bel amour simple ne me suffisait déjà plus. Cette inclination que j’ai pour la conquête est sans doute le pire. Je me sens toujours amoureuse du plus difficile, de l’impossible même, et donc condamnée à n’être jamais comblée. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 204-205) ; « Je dois avouer que son goût de la possession rendait la relation trop difficile. Sa surveillance continuelle déclenchait chez moi une sorte de violence intérieure que je m’efforçais de contenir au mieux. » (Alexandra, la narratrice lesbienne, parlant de son amante Marie, trop possessive, op. cit., pp. 225-226) ; « À chaque fois c’est pareil, ça marche et j’ai l’impression que je serais heureuse jusqu’à la fin de ma vie, et au bout de six moi, ça y est, on s’engueule pour un rien, on se parle mal, et surtout on se fait la gueule comme ça, tssss. […] J’ai perdu du temps, j’ai perdu du temps. » (Polly par rapport à son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 76-77) ; etc.
L’amour homosexuel semble être à la fois mal ajusté et trop faible. « J’ai mal de toi, j’ai mal près de toi. » (cf. la chanson « J’roule, j’déroule, j’enroule » lors du concert d’Hervé Nahel le 20 novembre 2011) ; « Quand je le vois, il a pas l’air à fond comme moi. Pfff, ça me déprime. » (Mike par rapport à sa relation amoureuse avec Léo, op. cit., p. 101) ; « On va dire qu’on est un couple gay avec l’un des deux qui fait la gueule. » (Leroy, un des flics déguisés en homos cuir, à Peyrac, son collègue flic efféminé, dans le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe) ; etc. Par exemple, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel est un chien fou, tandis que Philippe ne l’assume pas en tant qu’amant et est plus nonchalant. Dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, quand Mousse demande à Paul s’il aime vraiment son petit copain Serge, il lui répond avec peu de conviction qu’« il l’aime bien ».
Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, lorsque Bryan laisse libre court à l’effusion de ses sentiments pour Kévin (« Je t’aime, qu’est-ce que je t’aime ! je t’aime trop ! »), ce dernier lui rétorque qu’« on ne peut pas trop aimer, qu’au contraire, ce n’est jamais assez ». Mais Bryan insiste : « Si ! J’avais déjà aimé avant toi mais je n’avais jamais autant souffert. Quand on souffre comme ça, c’est qu’on aime de trop. » (p. 427) Le désir homosexuel réserve de mauvaises surprises au héros homosexuel, qui croyait pourtant évoluer en terrain connu et aimant, et qui vit un mauvais réveil. Son amant lui apparaît au fil du temps comme un illustre inconnu, et c’est souvent la panique : « Plus je te vois, plus je réalise que je ne te connaissais pas. Je pensais t’aimer à jamais et pour toujours. Je me trompais. Je t’ai trop aimé. Mais aussi mal aimé, comment est-ce possible ? » (Bryan à son amant Kévin, idem, p. 303)
Le constat de la vacuité des relations amoureuses homosexuelles est général (parce que la différence des sexes – ou son rejet – est aussi général dans la pratique homo). « Je n’étais jamais heureux ici. Je me suis trompé. » (Rudolf parlant de l’appartement dans lequel il a vécu avec son amant Pierre, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael s’amuse, en maître de cérémonie machiavélique, à faire accoucher tous ses amis homos du constat de la vanité de leurs amours homos : « Qui a dit ‘Montre-moi un homosexuel heureux, je vous montrerai son cadavre.’ ? » Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Vincent, le jeune novice gay, découvre le monde homosexuel où les amants se succèdent et ne restent pas : « Tout va plus vite chez les gays. » (Damien) « Ben j’crois que je n’ai plus très envie d’être gay… » (Vincent).
c) Le phénomène de l’infidélité dans le couple homosexuel fictionnel :
N’en pouvant plus de plier sous le poids d’une relation amoureuse trop légère, le personnage homosexuel en arrive souvent à tromper son copain, puis ensuite à le quitter. On retrouve la thématique de l’infidélité dans de nombreuses œuvres homosexuelles : cf. la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo (avec le couple Arnaud-Mario), le docu-fiction « La Dany : la diva du parc Bolivar » (2010) de Julie Giles et Jim Giles, le film « Infidèles » (2010) de Claude Pérès, le film « Les Infidèles » (2011) de Jean Dujardin, le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec le couple Ilan-Robbie), le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano (avec l’infidélité dans le couple Roberto/Raúl), la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour, la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson (avec Vincent trompant son amant plus âgé, Stéphane), le film « Como Esquecer » (2010) de Malu de Martino (où Helena trompe Julia avec l’élève de cette dernière, Carmen), le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis (où Price est infidèle à son copain), le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari (où Paul trompe son amant Jérôme, tout pendant qu’il le recherche dans tout New-York), etc. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Hubert trompe son copain Antonin au pensionnat. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules et Quentin ont vécu ensemble des « soirées d’orgie homosexuelles à plusieurs ». Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, quand Isabelle demande à son meilleur ami homo Pierre si son couple avec Benjamin se passe bien, il répond : « Ça se passe. » (ils sont depuis 8 ans ensemble, quand même). Elle poursuit en s’enquérant de savoir s’il le trompe, ce à quoi Pierre avoue cyniquement : « Oui. Je suis un mec. » Il finit par dire que la seule chose qu’il a ratée dans sa vie, c’est « sa vie privée ». Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Joley sort avec un jeune étudiant et trompe son amant George. Dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt, les amants Jack et Paul simulent une infidélité pour tester leur couple. Dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur France 2 le 15 octobre 2013, Luc et Yoann se font des infidélités. Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, vit l’infidélité avec tous ses amants. Dans le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis, Price est infidèle à son copain pendant son voyage en Irak. Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Glenn est pro-infidélité, alors que Russell, son copain, croit au grand Amour. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Fabien est infidèle à son amant Hugues. Dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Thierry le héros homosexuel est de temps en temps infidèle à Martin. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, tous les couples homos sont infidèles : le père de Gatal trompe son « mari » avec Négoce, Gatal se fait tromper par son fiancé (avec une histoire sordide de coucherie dans un hôtel). Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik trompe Paul avec qui il est en couple depuis des années : il va voir ailleurs… et par téléphone « rose », se rend compte qu’il tombe sur Paul lui-même ! Dans ce même film, l’infidélité est montrée comme une preuve d’amour : pendant que Paul se fait sodomiser par un inconnu dans un hôtel de passe, il susurre dans l’orgasme le prénom d’Erik (qui se trouve juste dans la salle d’à côté, en voyeur). Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Norbert trompe Vivien en embrassant un garçon qu’il est allé chercher sur Internet ; si bien que Stéphane, un des potes gays de Vivien, conseille à ce dernier de se débarrasser de son insupportable « mari », en soutenant que la fidélité chez les homosexuels ne dépasse jamais le stade des dix ans, et qu’elle frise l’anomalie si jamais elle s’éternise : « Après dix ans avec le même mec, la date de péremption est largement dépassée. » Toujours dans cette même pièce, on n’est peu étonné de constater que les personnages qui dénigrent la fidélité et la foi en l’amour éternel sont aussi les mêmes qui relativisent les aventures extra-conjugales : par exemple, Nono et Stéphane finissent par convaincre Vivien de revenir auprès de Norbert, en lui faisant croire qu’embrasser sur la bouche, ce n’est pas vraiment « tromper ». Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite un homme, André, qui le drague au hammam et qui est en couple durable avec un certain Raymond qui le trompe avec des gigolos, accumulant « de nombreuses infidélités ». Par ailleurs, le propre couple de Laurent et de son copain Marco, avec qui il est depuis trois ans, exclut la monogamie : « Un coup par-ci un coup par-là, c’est normal entre mecs. » (Laurent imitant un vieux pote gay du sud). Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, pourtant en couple depuis 18 ans avec Serge, malade du VIH, le trompe fréquemment, même si pour lui, ce n’est pas de la tromperie : « J’le trompe pas. J’veux dire… j’mens pas. Le moins possible. On est dans une relation ouverte. En confiance. » Selim, l’un de ses plans culs de Victor, reconnaît que ce fonctionnement est monnaie courante : « Comme beaucoup de pédés… » constate-t-il laconiquement. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Vita Sackville-West oublie Virginia Woolf dans les bras de Mary Campbell. Et Virginia, la mort dans l’âme, décrit son ex-amante comme une étoile incapable de briller pour une seule personne.
Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Il le juge ennuyeux, empoté en voiture, un peu trop plat, et finit par le tromper. Louis, le frère d’Antoine, s’étonne que leur couple prétende encore en être un : « Je ne comprendrai jamais comment un type aussi gentil peut te supporter… » Antoine et Adar souffrent de vivre une relation sans forme, sans avoir la force de rompre : « On ne peut pas quitter Adar. » Antoine trompe Adar avec un « ex », Alexis, qui lui aussi vit/vivait en couple avec un certain Romain : « D’ailleurs, je comprends pas trop ce que je foutais avec lui. » avoue Alexis à Antoine, pour le redraguer. Quant à Adar, Antoine finit par découvrir que celui-ci le trompe aussi de son côté, pendant ses absences. Pour autant, Ils s’auto-persuadent qu’ils vivent en couple fidèle : « J’espère finir comme les parents, avec quarante ans d’amour malheureux. » (Antoine)
Régulièrement dans les fictions, le choc de l’infidélité dans les couples homosexuels est totalement banalisé, voire montré comme un vrai chemin d’émancipation : « Je change souvent de partenaires. La vie de couple, ça me déprime. » (un protagoniste homosexuel dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Tout ce qui est engagement, c’est pas trop mon truc. » (Shirley Souagnon, lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux en Suisse, sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012) ; « Je peux quitter n’importe qui, n’importe où. » (Hannah, la lesbienne qui ne sait pas s’engager, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini) ; « On est pédé, Polly, c’est une chance. Ça veut dire que des histoires d’amour aussi belles, aussi importantes, on en aura plein tout au long de notre vie. Si on était hétéro, t’imagines, on serait marié avec notre premier flirt ! » (Mike le héros homosexuel parlant à sa meilleure amie lesbienne Polly, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 121) ; « Je n’ai aucune relation stable. Je suis un 7 que les 9 rejettent. » (Zach, le héros homosexuel dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « T’es le seul homo fidèle sur Paris. » (Pierre, le héros homo dont « au moins 50 homos connaissent l’adresse » apparemment, reprochant à son amant Benjamin son attachement à la fidélité, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Chez les garçons, coucher deux soirs de suite avec un type, c’est quasiment le début d’une histoire. » (Vincent, l’un des héros homosexuels de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Tout le monde sait que trois ans en ‘temps PD’, ça fait 21. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « Je croyais avoir le culte de la fidélité. Mais avec toi, tout est allé très vite. » (Pierre Bergé s’adressant à Yves Saint-Laurent allant draguer sur les quais de Seine, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « Suit l’histoire de deux amies allemandes qui vivaient ensemble. Avec le temps, pour varier et donner plus d’intensité aux plaisirs qu’elles avaient pris l’habitude d’en séduire une troisième sans pour autant, bien sûr, que leur couple en fût atteint. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 105) ; « C’est pas naturel de coucher seulement avec une seule personne. » (Frankie critiquant la monogamie, et se justifiant que lui et son amant Todd aillent voir ailleurs, dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson) ; etc.
Cependant, malgré ces essais de temporisation qui ne font pas longtemps paravent, on nous laisse entendre, à nous lecteurs ou spectateurs, que l’infidélité fait véritablement mal aux deux membres du couple homosexuels qui l’expérimentent : « Un recoin de lui gardait imperceptiblement rancune à Jean de cette archéologie de passades. » (Laurent par rapport à Jean, son amant « régulier », dans la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 49) ; « Le charme est rompu. J’ai peur de partir à la dérive. » (Lola, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera à propos de leurs infidélités « extraconjugales », dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Mon mec m’a jeté hier. Parce que je l’ai trompé. Beaucoup trop. » (Jonas, le héros homosexuel, parlant de Samuel, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc.
Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Hank et Larry sont socialement en « couple » et ont pourtant convenu que « tous ceux avec qui Larry trompe Hank s’appellent ‘Charlie’ », bref, que l’infidélité est leur secret de Polichinelle et peut faire partie de leur fonctionnement « conjugal ». Mais Hank subit plus qu’il n’accepte vraiment la situation. Il dit sa souffrance, et son compagnon ne supporte pas cette « tyrannie« . Larry se justifie d’être volage et que c’est dans sa nature d’être un Don Juan infidèle : « Oui, je les aime tous ! Et Hank refuse de comprendre qu’il me les faut tous. Je n’ai pas la mentalité d’un homme marié ! » En somme, le duo Hank/Larry est en instance et encore plus menacé par l’infidélité. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo Nathan euthanasie son amant Sean, malade du Sida, puis ensuite le tromper le soir même de sa mort, avec Arnaud… mais tout ça est présenté comme de l’« amour ». Nathan sanglote en même temps qu’il jouit.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Et c’est reparti pour un tour de manège désenchanté !
On trouve à de rares occasions (mais tout de même) des croisements dans le réel entre le manège et l’homosexualité. Par exemple, en 1792, en France, un pamphlet pro-homosexualité – même si elle ne s’appelait pas encore comme cela à l’époque – revendiquant la libre disposition de son corps, s’intitulait Les Petits Bougres au Manège (d’ailleurs, « un bougre » était l’ancêtre de ce qui allait devenir plus tard« un inverti » puis « un homosexuel »). Un peu plus tard, on peut souligner que le poète français Jean Cocteau aimait particulièrement les manèges avec des chevaux de bois. Et beaucoup plus proche de nous, le SIGL (Salon International Gay et Lesbien) du 3-4 novembre 2007 a eu lieu dans un lieu hautement symbolique : le Carrousel du Louvre. D’autre part, je vous renvoie à la photographie Manège (2011) d’Emilio Gomariz (représentant un tourbillon de bras masculins), au docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec la grande roue des Tuileries), au documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson (diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014, avec les images d’Amina et de sa copine dans un manège : une grande roue de parc d’attractions), au docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke.
C’est d’un point de vue symbolique que le motif du manège m’intéresse, car une fois transposé dans le Réel, il peut témoigner de la présence d’un jeu de séduction égocentré, d’un désir puéril, d’une circularité mythique déréalisante, d’une absence de sens, d’une angoisse existentielle. « J’observais imperceptiblement ce manège avec une étrange fascination, reprochant toutefois à mon complice son silence et la manière dont il manifestait avidement ses envies. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 66)
Par exemple, Vaslav Nijinski dessinait beaucoup. Ses dessins ont le cercle pour motif dominant. Selon le professeur de psychiatrie américain Peter Ostwald, dans son essai Vaslav Nijinski, un saut dans la folie (1993), auteur d’une importante étude sur Nijinski, nous pourrions « interpréter la persistance des formes circulaires dans l’art de Nijinski comme une tentative de maintenir équilibre et intégrité face aux dangers de désintégration qui menaçaient son existence. »
Certaines personnes homosexuelles ont en effet le sentiment, en amour homosexuel, ou, de manière plus globale, dans leur vie, de tourner bêtement en rond : « Quand je me suis retrouvé dans la rue, j’ai été saisi de vertiges, j’ai senti que tout tournait autour de moi. J’étais sur un manège. Si je voulais avancer, il fallait que je saute et que je regagne vite la sortie. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 156)
b) Le manège est une métaphore de la complexité (et de la fatigue que celle-ci engendre!) au sein du couple homosexuel :
Film « Holding Trevor » de Rosser Goodman
D’emblée, on constate que certaines personnes homosexuelles nous parlent beaucoup de l’ennui, ou bien qu’elles s’y identifient (… comme si elles l’incarnaient à elles seules : c’est très curieux, cette posture esthétique, quasi narcissique, pour se « donner un genre »…). « Enfant, je m’ennuyais souvent et beaucoup. Cela a commencé visiblement très tôt, cela s’est continué toute ma vie. » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 30) ; « Le dandy du XIXe siècle était un être suréduqué. Il prenait la pose du dédain, ou encore de l’ennui. » (cf. l’article « Le Style Camp » de Susan Sontag, dans l’essai L’Œuvre parle (1968), p. 444) Pensons par exemple au nom que s’est choisi le groupe musical homosexuel Ennui Breathe Malice.
Selon moi, l’un des terrains porteurs les plus fertiles (et les plus mal connus, pourtant) du désir homosexuel, c’est l’ennui. Je connais tellement de personnes – et je peux m’inclure dans le lot ! – qui sont venus à l’homosexualité pour tuer l’ennui, ou qui passent d’amant en amant, d’état amoureux en état amoureux, parce que précisément elles s’embêtent ! L’état passionnel (sans engagement et sans joie derrière) naît souvent d’une suractivité insensée ou d’une inaction.
L’ennui et la fatigue sont des réalités individuelles et relationnelles qui, tout en se sentant, sont difficile à prouver scientifiquement. Et pourtant, je les vois en toute personne homosexuelle pratiquante que je rencontre. « Une seule fois dans ma vie, après le gros coup de fatigue que j’ai subi en 1993, je suis allée consulter un psychiatre, pendant sept mois, à raison de deux séances par semaine. J’étais ravie de ne pas avoir affaire à une femme, car j’avais très peur de faire un transfert, c’est-à-dire de tomber amoureuse de ma psy hypothétique. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 113) ; « Aux côtés d’hommes, je m’ennuie très rapidement. Même en présence d’homosexuels, un peu de conversation mais après c’est tout, ça me saoule de causer, je m’ennuie très vite auprès d’eux. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Par rapport à la relation affective, j’arrive pas à trouver une relation stable, fidèle. J’arrive pas à trouver une relation affective. Ça ne marche pas. Je ne savais pas que le chemin était si tortueux. » (Pascal, homosexuel et séropositif, mettant en grande partie sur le compte du Sida l’échec de ses « amours » homos, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; etc.
Cela paraît totalement subjectif de le dire ; mais cette impression que le couple homosexuel ne rayonne pas assez, qu’il vit dans une semi-illusion d’amour, qu’il vit quelque chose de « bien mais pas top », s’appuie dans mon cas sur une observation concrète du vécu des individus homos ; et je ne suis pas le seul à faire ce constat. « C’est pas le grand amour. Mais c’est bien. » (Bernard parlant de sa relation avec Jacques dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) Si les personnes homosexuelles s’écoutaient davantage elles-mêmes, elles s’entendraient aussi révéler leur propre lassitude, et leur aspiration plus profonde à la simplicité en amour.
Par exemple, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, le couple homosexuel fait parler une marionnette d’un pèlerin qui dit : « Je suis très fatigué. J’ai beaucoup marché. »… Tout un symbole, surtout quand on sent, au détour de certaines phrases que d’échangent les amants une fausse compréhension mutuelle : « Gustav… Au bout de 8 ans, tu ne me connais pas ? » (Luca à Gustav)
À son époque, Plutarque (- 45 av. J.-C. ; 125) parlait déjà du couple « privé de grâce » formé par deux personnes du même sexe, et du couple femme-homme uni par la « grâce » du mariage et de l’amour (cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 76). Cela est très vrai, même si ça ne fait pas toujours plaisir à entendre quand on essaie de se convaincre du contraire, à coups de sincérité.
Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko aborde « l’amertume de l’homosexualité » (p. 68). Dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider David et Thierry, le spectateur est témoin de la lourdeur d’une relation entre Laurent et André qui n’ose pas s’avouer à elle-même sa médiocrité : ils ont été ensemble pendant 8 ans, puis se remettent ensemble, bon gré mal gré. Et les couples homos d’amis de leur entourage, qu’ils croyaient solides, rompent également. « Tu as pourtant détesté 7 ans sur les 8 ans qu’on a passés ensemble. » (Laurent à André) ; « J’ai détesté la première année et la dernière année des 10 ans qu’on est restés ensemble. » (André à Laurent) ; « Tu sais, si ça n’a pas marché entre nous, c’est qu’il y avait des raisons. » (André à Laurent) ; « C’était bien, vraiment bien… jusqu’à ce qu’on soir rattrapés par cette fichue routine. » (Laurent) ; « On se disputait tout le temps la dernière année. » (André) ; « Je pense qu’il a fini par s’ennuyer. Après quelques années, c’est difficile d’étonner son amoureux. J’étais malheureux. » (André parlant de Laurent) ; « Le sexe, c’était une jolie compensation. » (Laurent) André semble plus amoureux de Laurent que l’inverse, et André est tenté à tout instant de capituler face au manque de désir de son copain, car il en a marre de porter le couple pour deux : « Pendant des années, je pensais : ‘Je ne connais pas ce garçon’. » ; « Tu es toujours en train de prendre les choses à la légère, de te moquer tout le temps. » ; « Je m’ennuie facilement. » (Laurent) ; « Il en avait marre de moi. » (André par rapport à Laurent) Dans le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata, Charles Trénet avoue qu’il souffre, en amour, d’un « mal mauve », celui « de l’ombre et du remord ».
Je crois que les tensions et la routine qui s’installent très vite dans les couples homosexuels – même si elles guettent dans une moindre mesure les couples femme-homme aussi – viennent de la nature-même du désir homosexuel, qui, comme il s’appuie davantage sur le fantasme que sur le Réel (le Réel dont le « roc » principal est la différence des sexes), est un désir faible, lâche, discordant, encourageant à la fatigue de (mal) aimer. C’est certainement pour cette raison que beaucoup de personnes homosexuelles en parlent comme d’un amour complexe et lourd, « bien gentil » mais qui ne fait pas le poids : « De satisfaction, je n’en avais pas eue. Bien au contraire, je restais choqué et animé d’un profond dégoût. […] Je n’étais donc pas comblé, malgré tout ce que j’avais toujours pensé de la relation sexuelle entre deux hommes. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 70) ; « Cette relation que j’avais définie d’amour, n’avait été en fait qu’un peau froissée. » (idem, p. 73) ; « Nous n’existions plus ensemble. […] Bien pis, nous nous détruisions. […] Quel était le bon sens de cette forme d’amour ? Un amour-amitié ou un amour-passion. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa relation qui bat de l’aile avec Yoro, op. cit., p. 140) ; « Tu as fini par me fatiguer. M’épuiser. Je n’avais plus la force, au bout d’un an et demi d’amour intense, possédé, de répéter les mêmes histoires, de subir ton autorité, d’être moins que toi dans l’amour. » (Abdellah Taïa s’adressant à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 120) ; « Il m’épuisait, je t’assure, mais je le supportais à cause de ma solitude et de sa grande gentillesse. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 117) ; « Putin de vie de merde à courir après n’importe quoi. J’aimerais m’asseoir et dormir, mourir comme ça. » (Bruno Ulmer dans le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre) ; « Dans ces lieux calmes se nouent et se dénouent des intrigues souvent fort compliquées. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 23) ; « Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, op. cit., p. 86) ; « Les aventures sentimentales sont la plupart du temps, de courte durée chez les homosexuels. » (idem, p. 84) ; « J’ai passé des années éblouissantes avec elle. Extrêmement fatigantes ! (rires) » (Thérèse, une témoin lesbienne de 70 ans, par rapport à une jeune amante allemande « désinvolte » avec qui elle a vécu une relation passionnelle qui l’a beaucoup blessée, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Ma vie, aussi longtemps que je vous eus à mes côtés, fut entièrement stérile. » (Oscar Wilde s’adressant par lettre à son amant Lord Alfred Douglas, De Profundis, 1897) ; « Il y a souvent dans les amours dites ‘marginales’ cette impression de pulvérisation, quelque chose qui se délite, qui s’émiette, qui laisse en effet insatisfait. Parfois une impression de tristesse douloureuse. Il y a la lassitude, l’incuriosité. Alors ça ! Le nombre de couples, homos ou hétéros, qui ne font pas assez durer leur musique parce que l’un ou l’autre n’est pas assez curieux de l’autre, ou qu’il ne l’aime pas assez pour accepter de passer derrière l’autre… » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.
J’irai même jusqu’à dire que le désir homosexuel, plus qu’un désir, est une absence de désir, une frustration. Si on y réfléchit bien, il mériterait à peine le qualificatif de « désir », d’ailleurs : « Le grand point faible de l’homosexualité, c’est sa lâcheté. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, idem, p. 103). Même s’il est, en intentions, libertaire, il est beaucoup plus à associer à un refoulement du désir qu’à l’expression d’une liberté profonde : « À force de refouler tout ce qu’on ressent, amour, désir, angoisse, chagrin, douleur et larmes légitimes, on finit par devenir des infirmes du sentiment et par ne plus rien ressentir du tout. » (Paula Dumont dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 100) ; « Il est tout aussi inexact d’écrire que j’aime les femmes ou que je suis attirée par les femmes parce que rares sont celles qui m’ont réellement attirée. La plupart ne me font ni chaud ni froid et je dois même avouer que beaucoup me réfrigèrent complètement. » (idem, p. 101) ; « Ce n’est pas de l’amour toujours, c’est peut-être un amour maintenant mal alimenté. J’ai peur de souffrir, j’ai peur de la fragilité du désir. » (Catherine dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 53) ; « Je n’arrivais pas à prendre au sérieux cette peur de l’amour et du désir sur laquelle elle revenait sans cesse et il me semblait, tant l’amour peut rendre présomptueux, que j’en viendrais assez facilement à bout. » (Paula Dumont, idem, p. 53) ; « J’ai eu une jeunesse par moment inutilement malheureuse. Et puis il y a eu l’amour platonique en Virginie… » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, décembre 1982, p. 210) ; etc.
Cruel constat (pourtant si avéré !) : généralement, les personnes homosexuelles, en mettant en avant leurs « envies » et leurs pulsions dans leur recherche d’amour, en définitive ne savent pas ce qu’elles veulent, ni aimer vraiment comme elles pourraient aimer vraiment dans un autre cadre d’amour. Elles se rabattent par défaut sur le couple homosexuel parce qu’elles croient qu’il n’y a que « ça » pour elles, que cette formule contente/anesthésie pour un temps leurs appétits sexuels ou simplement leurs besoins de tendresse, mais ce choix n’est pas le fruit de leur volonté profonde : « Comme je n’aime pas les femmes, il ne me reste que les garçons qui ne savent pas ce qu’ils veulent, les égarés, les perdus. » (Ernestito dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 269) ; « Le transsexuel est généralement un individu sans volonté. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 342) ; « Sans trop savoir au juste ce que je voulais, je savais tout au moins ce que je ne voulais plus. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 190)
En général, l’amour homosexuel fictionnel semble rarement à la bonne cuisson : soit c’est trop cuit, soit pas assez (et cela ne semble pas dépendre de la qualité humaine individuelle de chacun des partenaires du binôme homo : la preuve qu’on se situe bien là face aux limites objectives du désir homosexuel lui-même, et non dans le jugement de la « capacité à aimer » des homos !) ; soit l’un des deux amants aime trop pendant que l’autre ne l’aime pas assez, soit c’est l’inverse. En tout cas, les partenaires se retrouvent involontairement à ne pas s’aimer en même temps… comme les pôles magnétiques de deux aimants positifs, qui se repoussent, ne se rencontreront jamais, et partageant un trop-plein de ressemblances, une illusion d’amour. C’est plus fort qu’elles et leurs sincérités : les personnes homosexuelles finissent par avouer qu’elles ont du mal à alimenter la flamme du désir homosexuel : « Nous avions voulu croire que le fait de ne plus être seules nous amènerait à nous aimer, mais il nous a fallu déchanter. Nous avions fait, sans le savoir, un mariage de raison. Nous nous étions trompées toutes les deux parce que nous avions trouvé pendant quelque temps notre compte dans cette illusion. » (Paula Dumont parlant de son couple avec Martine, op. cit., p. 73) ; « Chaque fois que j’ai eu une liaison avec une femme, les débuts ont été, sur le plan physique, tout feu tout flamme, pour se calmer ensuite plus ou moins vite et finir par s’éteindre. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 110) ; « Je prie pour que je puisse l’aimer suffisamment… Il faut avoir tant de force pour aimer beaucoup. Je redoute les assauts de la lassitude. » (Klaus Mann, Journal (1989-1991), p. 53) ; « J’ai perdu beaucoup de temps. Toute ma jeunesse. » (Pierre, homosexuel, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Quand Lulu m’écrivait des lettres brûlantes, que je viens de classer comme on classe une affaire, il était d’une sincérité absolue. Son silence aujourd’hui les rend caduques. À quoi servent des mots tendres empilés dans une boîte en carton ? Tous les Lulu se ressemblent. Je reste stoïque face à la fatalité. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), pp. 161-162) ; « Je voyais ce qui m’attendait : souffrir, souffrir pour quelqu’un d’indéfinissable et qui, sans me le dire, ne voulait déjà plus de moi. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 43)
Parfois, pendant les temps de pause de leur course effrénée à l’amour, elles se posent la question fatidique du SENS du désir homosexuel, et lancent un terrible « Mais à quoi bon ? » : « Si mon homosexualité consiste à chercher à combler la carence affective dont j’ai souffert quand j’étais petite, je me demande aujourd’hui s’il ne vaut pas mieux renoncer à la quête, vouée d’avance à l’échec, d’une compagne susceptible de panser les blessures de la petite fille que j’ai été il y a plus de cinquante ans. Car la gamine en souffrance sera de toute manière toujours là, à gémir sur ses plaies… » (Paula Dumont dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 114) Par exemple, dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), Denis Daniel présente son ami Pierre comme « un homo éternellement insatisfait » (p. 109).
Je vous renvoie à l’admirable description de la lourdeur inexplicable (et à mon sens généralisable) du couple homosexuel dans le blog mi-fictionnel mi-autobiographique de Jérôme sur www.trouverunmec.net : « Paris, le 19 mars 2008. Cher Y., […] je comprends ta lassitude, mais je ne comprends pas pourquoi elle s’est installée sans qu’on ne remarque quoi que ce soit. […] Nous ne savions pas, nous nous faisions confiance, sans doute un peu trop, et nous n’avons pas vu que peu à peu, les liens se distendaient. Nous faisions des choses ensemble, mais étions-nous ensemble ? La nuance est là, et je n’arrive pas trop à mettre des mots dessus mais je suis persuadé que c’est à ce stade-là que le bât blesse. Je ne vais pas t’ennuyer longtemps, il n’y a pas grand chose à dire. Nous nous séparons et il faudra que je t’oublie. Dans une histoire, on ne souffre jamais en même temps. Desproges disait qu’il y en avait toujours un qui souffrait et l’autre qui s’emmerdait, j’étais le premier, toi le second. » (cf. l’article « Correspondance interrompue 2 », datant du mardi 8 juillet 2008). Le descriptif du schéma de couple homosexuel « l’un s’ennuie/l’autre souffre » – les rôles pouvant être interchangeables – est également fait dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel. Et je trouve, pour l’avoir expérimenté moi-même dans les couples homosexuels que j’ai essayé de former à une période, et en observant les couples d’amis homosexuels qui vivotent autour de moi (même si parfois ils durent… preuve que la quantité n’est pas toujours gage de qualité…), que ce constat « l’un s’ennuie/l’autre souffre », qui pourrait résonner comme un fatalisme (parce qu’ils condamnent sans exception les actes homosexuels et le désir homosexuel à l’insatisfaction), est d’une étonnante lucidité, et ne devrait pas nous attrister, nous, personnes homosexuelles, car il ne dit rien de notre capacité individuelle d’aimer, et pourra même nous forcer à élargir notre gamme de modalités d’aimer, dans une société qui nous oblige à réduire le bonheur uniquement au « Couple ».
c) Le phénomène de l’infidélité dans le couple homosexuel : plus accru qu’ailleurs ?
À mon sens, c’est cette obéissance scolaire et aveugle des personnes homosexuelles au poncif médiatique du « Couple » qui illustre le mieux ce qu’est véritablement le désir homosexuel (un désir de disparaître et de vivre à travers un autre parce qu’on se prend pour une moitié d’Homme), et qui explique également pourquoi l’amour homosexuel s’inscrit difficilement sur la durée, la fidélité et la joie.
Cela s’explique par le fait que, dans le fonctionnement égocentrique du désir homosexuel, la « fidélité à soi-même » prévaut sur la fidélité à l’autre. « Ma propre vision de l’existence où la fidélité à soi-même et la recherche de l’épanouissement personnel sont primordiaux. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 40) Dans l’émission Radioscopie sur France Inter, le 6 mai 1976, Jean-Louis Bory, au micro de Jacques Chancel, évoque « la difficulté que l’amour dure ».
Et ne venez pas me dire que le phénomène de l’infidélité dans les couples homos, « c’est du cliché », et que cela n’a rien d’une tendance très marquée du désir homosexuel ! Ce serait archi-faux. Une fois n’est pas coutume : je vais puiser (même si je n’aime pas le faire, habituellement, car cela encourage à l’essentialisation du désir homo, et donc au jugement des personnes) dans les statistiques pour vous montrer que l’infidélité est un processus spécifique non pas aux personnes homosexuelles (en tant qu’individus) mais au couple homo, aux actes homos, et donc au désir homosexuel.
Par ailleurs, une étude BienEtreGay et le club TBM, réalisée auprès d’un panel de 1500 hommes gays en France (dont 16,4% interviewés sont en couple) en 2011, montre que 75% des sujets gays ne croient pas au couple et à la fidélité.
Par ailleurs, d’après l’essai Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, en 2008 en France, la moyenne du nombre de partenaires chez les personnes homosexuelles est de 6,6 partenaires pour les femmes lesbiennes, et de 15,4 pour les hommes gay (p. 251). L’existence de relations extraconjugales est plus fréquente dans les couples d’hommes homosexuels que dans les couples de sexe différent. Ainsi, 1 homme sur 3 qui vit en couple avec un homme depuis plus d’un an rapporte avoir eu un autre partenaire dans les 12 derniers mois (versus 3,5% des hommes vivant en couple avec une femme). Les hommes homo-bisexuels déclarent avoir eu 10,4 rapports en moyenne au cours des 4 dernières semaines contre 8,6 chez les hommes hétérosexuels (pas de différence avec les femmes), n’en déplaisent aux femmes lesbiennes qui aiment à penser que l’infidélité est une « affaire de mâles », « elles ont un nombre plus important de partenaires que les femmes qui n’ont eu que des partenaires masculins. » (idem, p. 254) « 96% des homosexuels affirment pratiquer une drague furtive dénuée d’affect et de stabilité. » (Jacques Corraze, L’Homosexualité, 2002) Contrairement à l’idée reçue (selon laquelle on s’assagirait à l’âge adulte, qu’on ne s’engagerait qu’à partir de 25 ans dans le « milieu homo »), plus on est jeune, plus on est fidèle : « Les jeunes homosexuels sont plus nombreux que les autres à s’investir dans un rapport de fidélité : 55% des moins de 25 ans engagés dans une relation de couple déclarent cette union exclusive. Par la suite ce taux décroît régulièrement et après 35 ans, ce mode de vie devient minoritaire (moins de 40%). Pendant les deux premières années de la vie sexuelle, dans 67% des cas de relations stable, celle-ci est exclusive. Ce taux chute à 35% après 15 ans de vie sexuelle. »
Nombreux sont les couples homosexuels qui quantitativement demeurent longtemps ensemble, mais qui, qualitativement, ne s’épanouissent pas car ils acceptent les infidélités ponctuelles en leur sein. La question de l’amour n’est pas seulement celle de la durée : elle est surtout de la fidélité et de la joie renouvelée dans l’engagement exclusif à une seule personne et dans le don entier de sa personne. Par exemple, le couple Margaret Mead et Ruth Benedict passe 20 ans ensemble, mais ne reste pas fidèle. Dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, Xavier, après 26 ans de vie commune avec Guillaume, le trompe avec François, un petit jeune. Dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt, on apprend que le jeune homme politique du Parti Social Démocrate allemand Michael Adam a trompé son compagnon sur son lieu de travail.
Dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2, Pierre/Bertrand se justifient de se tromper, en disant que c’est monnaie courante dans tous les couples normaux : « Si le couple est réduit à la fidélité, je pense qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de couples. » (Pierre) Et même quand ils vont voir ailleurs, ils estiment qu’ils ne se trompent pas. « Pour moi les histoires de sexe n’ont jamais été des histoires de sexe. » (Pierre) ; « Leur fidélité n’est pas sexuelle. Leur infidélité n’est pas synonyme de trahison. » (Voix-off)
Dans énormément de couples homosexuels (même présentés comme « mythiques » : Verlaine et Rimbaud, Marais et Cocteau, Saint-Laurent et Bergé, Solidor et Brémond d’Ars, etc.), l’infidélité est envisagée comme un « mode de vie » logique et parfois magnifique (une preuve d’amour et de confiance incroyables : « Tu m’aimes tellement que tu oses me faire mal ! Quelle audace ! Quelle entorse d’amour à nos propres idéaux ! ») : « Je suis allé marcher ailleurs. Tu m’y as poussé. Il fallait arrêter. Trahir. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 121) ; « Rien ni personne, malgré mon goût des aventures multiples dont certaines prirent de l’importance, ne parvint à mettre en péril une entente que la fin de l’accord charnel au bout d’une décennie ne menaça pas davantage. » (Christian Giudicelli parlant du « vieux couple » qu’il forme avec son compagnon Claude, dans son autobiographie Parloir (2002), p. 20) ; « Nous avons tout partagé, les angoisses, les espoirs, les joies mais aussi les maisons, les tableaux, les objets d’art. Parfois les amants. » (Pierre Bergé à propos de son « couple » avec Yves Saint Laurent, dans la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 18) ; « Je n’aurai jamais été fidèle, même si, quand je faisais l’amour, j’étais tout donné à la personne. Je ne me suis jamais attaché. Et je n’en ai jamais souffert. » (Pierrot, le papy fermier homosexuel dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Fatalement, Grégoire savait tout cela [= mes infidélités], mais il misait sur le temps qui, selon lui, me ferait émerger du désordre de ma vie sentimentale. […] En somme, le plus difficile dans notre histoire amoureuse était de pouvoir maîtriser mon irrésistible instabilité qui perturbait notre couple après quatre années de vie commune. » (Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 144 puis 155) ; « J’avais erré des semaines entières entre les corps des autres, sans jamais comprendre ce qu’était la véritable relation sexuelle. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 120) ; « Jean Marais était très très très cavaleur. Et je pèse mes mots ! » (un des interviewés du documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain) ; « Il faut être prêt à accepter cette Vérité qu’est l’infidélité. Et il faut en parler avec son partenaire. Quand on est amoureux, on a cette illusion d’amour. Et on s’éloigne de la réalité. » (Jonathan, séropositif et homosexuel, dans le documentaire « Prends-moi » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.
Plein d’entourloupes langagières sont employées pour euphémiser les dégâts réels de l’infidélité homosexuelle. Par exemple, la relation entre la photographe lesbienne Claude Cahun et sa compagne Suzanne Malherbe est qualifiée de « foncièrement non conformiste et libertaire » (cf. l’exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries, à Paris, en juin 2011). Pierre Bergé voit dans le rappel de ses infidélités à Yves Saint-Laurent un complot « bourgeois » : « Bien sûr, on a eu des infidélités sexuelles, beaucoup ! Mais ce sont des propos bourgeois… Ce qui nous soudait était tellement plus important ! » (cf. propos recueillis dans cet article) Mais dans les faits, leur « couple » était criant d’ennuis de souffrance, même s’ils ont camouflés ces derniers par le matériel, le carriérisme et l’infidélité.
Ce sont même maintenant les lois en faveur du « mariage homo » ou de l’adoption des « familles » homoparentales qui servent de pare-feu. Certains individus homosexuels considèrent que l’accueil des enfants dans leur couple – alors même que celui-ci intègre souvent l’infidélité comme « mode de fonctionnement interne normalisé » – va rabibocher ou occulter la violence qu’ils s’infligent à deux en se trompant : « Je suis si heureux marié, devenu un marié dévoué, bientôt un père responsable (quand on sera prêts Marcelo et moi, on adoptera un enfant, voire deux, trois…). » (Eduardo Mendicutti, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 66, où il raconte quelques lignes plus haut les nombreuses infidélités à son « mari » qu’il exerce avec le consentement de ce dernier…)
Mais revenons au Réel en dépassant les intentions. Je l’ai vu et je continue de le voir dans les sphères relationnelles homosexuelles que je côtoie (et pas uniquement dans des contextes de « drague glauque » : je parle aussi et surtout des petits couples confortablement installés, PaCsés, et en apparence « bien sous tout rapport ») : objectivement, l’infidélité est un vrai drame dans les couples homosexuels, et ce, pour les deux membres de l’union… quand bien même, avec le temps, elle soit parfois « consentie à deux » et normalisée. Je suis même persuadé qu’elle est bien plus facteur de dépressions et de suicides que toutes les agressions homophobes dont les médias et les militants homosexuels font tant cas aujourd’hui pour ne surtout pas qu’on se penche sur les nombreuses blessures d’amour que s’infligent les personnes homosexuelles entre elles, dans le « milieu homosexuel » tout comme dans l’intimité des couples. « Le cocu peut rapidement devenir schizophrène. D’un côté, votre mari rentre tout câlin et aimant à la maison, vous répète en permanence que son aventure est terminée, qu’il est mal parce qu’il vous en a fait, qu’il veut finir le reste de ses jours blotti dans vos bras, vous appelle mon bébé ou mon doudou, passe son temps à vous embrasser en roucoulant et vous associe à de nombreux projets. D’un autre, vous lisez accidentellement les messages qu’il envoie à son ami et découvrez qu’il semble vivre l’enfer en votre compagnie et vous fait passer pour un immonde empêcheur de tourner en rond. Sans compter sur les cadeaux qu’il reçoit ou qu’il fait. De façon cocasse, il peut offrir les mêmes accessoires que vous avez eu la gentillesse de lui offrir, accessoires que vous pouvez également posséder (façon « Attention, une femme peut en cacher une autre » de Lautner). […] En résumé, il est impossible de savoir à qui son mari ment le plus, à vous, à lui ou à son nouvel ami. » . (cf. l’article « Loup y es-tu ? » du blog de Chondre, 25 juillet 2011) Quand il y a infidélité, tout le monde est victime et bourreau. Tout le monde souffre. L’infidélité est un échec de relation, non d’abord d’individus pris séparément.
En conclusion, je dirais que la tendance à l’infidélité dans le couple homosexuel n’est pas tant la faute de celui qui est laissé ou de celui qui va « voir ailleurs », n’est pas tant une histoire de personne et de soi-disant « incapacité à aimer/de mérite d’être aimé », que la marque de la faiblesse de la relation homosexuelle en général, que le signe de la lâcheté, de la fragilité, de la violence, intrinsèques au désir homosexuel. Elle ne peut donc pas donner lieu à des jugements de PERSONNES, mais uniquement au jugement du couple, de l’acte, et du désir homosexuels.
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Le mensonge esthétique appelé beauté, identité et amour
Le maquillage est exactement à l’image de l’homosexualité. Il est une réalité mais rarement une Vérité, rarement un outil au service de la Vérité et de la Beauté intérieure. Il efface et est effacé mais, dans son effacement, il (s’)inculpe et se rend visible. Ou au contraire, il veut la visibilité et, dans le même mouvement, il occulte les choses. Il se veut original, naturel, identitaire et amoureux alors qu’il est prioritairement un artifice, un mensonge, une réalité forcée/violée.
Je garde en mémoire un ami homosexuel de 26 ans, qui a une véritable passion pour le maquillage. Il est noir de peau, aime se féminiser et créer le trouble sur son identité sexuée en se travestissant par le maquillage. Je suis sûr qu’il se trouve sublime, mystérieux, divin, quand il est maquillé. Ne croyez pas que sa lubie soit intentionnellement humoristique, ou vue comme uniquement fantaisiste. Il est très sérieux quand il est maquillé. Il y a fort à parier qu’il ne se considère même pas maquillé même quand il l’est objectivement. Je sais que, s’il avait pu, il aurait souhaité être maquillé à vie. Et en toile de fond, son idolâtrie du maquillage (il a absolument tenu à me maquiller lors d’une soirée entre amis, et j’ai cédé pour l’exercice tant il m’a tanné : j’ai finalement bien aimé, et ai toléré ma métamorphose en femme-objet tant qu’elle restait dans une démarche ponctuelle, amicale et délirante) indiquait un gros défaut de son caractère : sa tendance au mensonge et à la dissimulation. Ce garçon capricieux et difficile à gérer (en amour comme en amitié) continue d’ailleurs d’en faire voir de toutes les couleurs à ses petits copains… Le maquillage n’a rien de neutre ni d’innocent ni de purement esthétique. C’est moral aussi.
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FICTION
a) La maquillage-mania :
Film « Head On » d’Ana Kokkinos
Dans beaucoup de fiction homo-érotiques, on observe que le personnage homosexuel adore le maquillage, et parfois se filme en train de se maquiller : cf. le film « Und Gott Erschuf Das Make-Up » (« Et Dieu créa le maquillage », 1997) de Lothar Lambert, le film « The Dresser » (1983) de Peter Yates, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec la maquilleuse lesbienne), le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo (avec le goût d’Éric pour le musc), le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin (avec Patreese Johnson, le maquilleur homo), le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima (avec le musc), la pièce Les Précieux Ridicules (2008) de Damien Poinsard et Guido Reyna (avec l’insistance sur la pommade), le film « Sa meilleure cliente » (1932) de Pierre Colombier, le film « Rêves de femmes » (1955) d’Ingmar Bergman (avec le maquilleur efféminé), le film « Le Signore » (1960) de Turi Vasile, le film « Boulevard » (1960) de Julien Duvivier, le film « Catwoman » (2005) de Pitof, le film « Fatal Beauty » (1987) de Tom Holland (avec le salon de beauté), le film « Le Mystère Silkwood » (1983) de Mike Nichols (avec Angela, la maquilleuse), le film « Ding Dong » (1995) de Todd Hughes, le film « Adieu Forain » (1998) de Daoud Aoulad-Syad, le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco (avec Marilyn Lenorman l’esthéticienne), le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le film « Bodas De Sangre » (1981) de Carlos Saura, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées » (2009) de Pedro Almodóvar (avec le maquilleur homo), le roman Mehdi met du rouge à lèvres (2005) de David Dumortier, le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo, le spectacle-cabaret transformiste Écran Total (2014) au Saint Sabastien, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, le vidéo-clip de la chanson « Todos Me Miran » de Gloria Trevi, le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, etc.
Film « Ma vie en rose » d’Alain Berliner
Par exemple, dans le film « Ma vie en rose » (1996) d’Alain Berliner, le jeune Ludovic se prend pour une fille et se maquille secrètement dans sa chambre, et avec les ustensiles de sa mère. Dans le film « Light Sleeper » (1991) de Paul Schrader, David Clennon est amateur de crèmes de beauté. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Florence, l’héroïne lesbienne, travaille au siège de LORÉAL à New York. Dans le film « Le Cas d’O » (2003) d’Olivier Ciappa, Michael fait du maquillage d’effets spéciaux son métier. Dans le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, Chloé, la fille à pédé, est maquilleuse pour des photos de mode. Dans le film « Drool » (2009) de Nancy Kissam, Imogene, la vendeuse en cosmétique est lesbienne. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Donatienne, la « fille à pédés », veut maquiller des stars et parvient à en faire son métier. Dans le film « Miss Congeniality » (« Miss Détective », 2001) de Donald Petrie, Vic, homosexuel, est le relookeur officiel du concours de Miss États-Unis, le maquilleur et le conseiller des filles ; tacitement homo, il est surnommé « la Follasse bavaroise ». Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, on voit la troupe homosexuelle de ballet se maquiller soigneusement dans les loges. Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, crée des parfums. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Carol maquille son amante Thérèse pour la féminiser et la draguer : « Il faut du rouge à lèvres. ». Dans ce film, il est fait plusieurs fois mention du pouvoir invisible du parfum de Carol. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric, le héros homo gay, a l’habitude de se maquiller.
« Tante Lill m’a élevé ici, dans ce salon de beauté. » (Sabu, le héros homo du film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick) ; « Son odeur disparut au fil de jours, je ne pus la retenir. Mais je me souviens maintenant d’un mélange d’ambre, de musc et de réglisse. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 59) ; « Chaque mois, j’ai ma semaine ravalement. C’est une espèce de réminiscence de mes journées maquillage avec ma Barbie. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Chantons ensemble : Jeunesse, jeunesse, jeunesse… ton teint est dû au yaourt… ! » (la Voix dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Sombra aquí y sombra alla, maquillate, maquillate. » (cf. la chanson « Maquillaje » de Mecano) ; « En quinze jours, j’ai au moins dévalisé deux boutiques de Séphora. » (Thomas, l’un des héros homosexuels, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; etc.
Sont souvent conférés au maquillage des pouvoirs magiques d’éternité : « La perruque est comme un casque, qui se greffe à mon cerveau, y’a des cheveux en vinyles qui poussent de l’intérieur. Et si ça transforme mon visage, ça transforme tout… L’artifice prend racine, j’ai plus peur. » (l’Actrice dans la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier)
Cyrille – « Est-ce que le maquillage tient ?
Hubert – Impeccable ! »
(Copi, Une Visite inopportune (1988), p. 67)
Il arrive que le héros homosexuel se prenne lui-même pour le maquillage (genre « Loulou, c’est moi. ») : « Le Hairspray, c’est moi ! » (Corny Collins, le présentateur efféminé ventant les mérites du brumisateur Hairspray et de la laque pour les cheveux, dans la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters)
Par exemple, dans son one-man-show Gérard comme le prénom (2011), Laurent Gérard présente tacitement sa métamorphose physique et sa conversion au maquillage comme une preuve visible et implicite de son homosexualité refoulée : avant de faire vraiment son coming out, il se fait blondir les cheveux, met sa crème de nuit, se fait faire un bleaching des dents, fait des UV pour s’assurer un « bronzage naturel », fait de la muscu, etc. « À 18 ans, j’allais me faire des soins en institut de beauté. » Le maquillage est à la fois signe homo-érotique et écran de sa tendance.
Dans la fantasmagorie homosexuelle sont souvent tournées de longues scènes de teinture de cheveux : cf. le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, le film « Meilleur Espoir Féminin » (1999) de Gérard Jugnot, la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, la chanson « DJay » de Diam’s, etc. « Le matin je passerai chez mon coiffeur me faire teindre en blond platine. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Je faisais les teintures chez les coiffeurs. » (Otho, le héros homosexuel du film « Bettlejuice » (1988) de Tim Burton) ; « Saïd jalouse secrètement les cheveux longs et noir foncé de son compagnon, qui passe au moins une demi-heure tous les matins à placer soigneusement avec des pommades et des gels. » (Saïd par rapport à son amant Ahmed, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 43) ; etc. Par exemple, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, toutes les comédiennes interprétant un rôle de lesbiennes portent une perruque colorée. La teinture est même parfois vue comme un acte d’amour. Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie teint en jaune les cheveux de son amante Floriane son amante pour qu’elle soit une merveilleuse reine de la natation synchronisée. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, Lisa maquille Laure (qu’elle pense être Michaël) en fille, en lui disant que ça lui va bien.
La teinture est une manière – surtout les protagonistes lesbiennes – de s’habiller d’étrangeté et d’ambiguïté bisexuelle. Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2014) d’Abdellatif Kechiche, Emma, l’une des héroïnes lesbiennes, a les cheveux complètement bleus. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, s’est teint en blond pour ressembler à ses actrices… tout comme son petit copain Stefanos, rencontré dans les toilettes, et qui lui s’est fait des cheveux rouges. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, c’est au moment où Charlène est maquillée par Sarah (qui lui dit : « T’es belle. ») qu’elle commence à tomber amoureuse d’elle.
Le maquillage entre amants homosexuels est parfois la marque d’une infantilisation, d’une débauche de bons sentiments, d’un trouble (incestueux) de l’attachement : « Aujourd’hui, après, quelques jours d’interruption ayant expédié au mieux mes obligations, j’ai enfin eu le temps de me faire cajoler par la bonne. J’ai acheté toutes sortes de produits sans regarder à la dépense, notamment une poudre parfumée que l’on indique en cas d’irritation de la peau chez les bébés. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 98) Par exemple, dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, la grand-mère de Rodolphe a toujours espéré que son petit-fils soit homo, et voit le maquillage comme le support de son homosexualité : « On a repris espoir au moment où tu as commencé à te maquiller ! » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, maquille sa propre mère dans la salle de bain et lui redonne soi-disant sa féminité. Dans le film « Madame Doubtfire » (1994) de Christ Columbus, Frank, le frère homo de Daniel, secondé par son copain Jack, habitent en couple et sont coiffeurs, maquilleurs et plasticiens. Ils font des masques et maquillent Daniel en vieille gouvernante. « Par contre, j’ai du plâtre. » Le masque est tellement réussie qu’il suscite chez Jack une remarque incestuelle : « Tu ressembles à maman. En mieux. »
Le personnage homosexuel pratique l’art du camouflage et de la contrefaçon (y compris sur lui-même par le travestissement) : cf. la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le film « Le Secret du Chevalier d’Éon » (1959) de Jacqueline Audry, le film « Un beau Jour, un coiffeur… » (2004) de Gilles Bindi, la chanson « Make Believe » d’Étienne Daho et Vanessa Daou, le roman Off-Side (1968) de Gonzalo Torrente Ballester (avec la contrefaçon de tableaux de Goya), le film « Elle ou Lui ? » (1994) d’Alessandro Benvenuti (avec Leo, le restaurateur de tableaux), la chanson « La Grande Zoa » de Régine ; etc. « Je suis la reine du camouflage. » (Martial dans la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon) ; « Le jeune pirate maîtrise l’art du camouflage. » (cf. la description de Cyrille dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 37) ; etc. Par exemple, dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Antoine, le futur « mari » de Jérémie, est titulaire de chirurgie dans un grand hôpital parisien.
Il arrive que le héros homo (ou l’un de ses amis) soit aussi décorateur : le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin (avec le personnage de Nate), le film « Syncopation » (1929) de Bert Glennon, le film « Only Yesterday » (1933) de John M. Stahl, le film « The Wedding Of Lili Marlene » (1953) d’Arthur Crabtree, le film « The Side Of Heaven » (1934) de William K. Howard, le film « La Maison de campagne » (1969) de Jean Girault, le film « La Fuga » (1964) de Paolo Spinola, le film « Chaque mercredi » (1966) de Robert Ellis Miller, le film « Footing » (2012) de Damien Gault (Marco, le héros homo, est décorateur), le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic (avec Djordje, le décorateur homosexuel), etc. « Je suis un peu décorateur, un peu styliste. » (cf. la chanson « Comme ils disent… » de Charles Aznavour) ; « Hugo a toujours été très doué pour la décoration. » (Selma dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ?, 2010) de Malu de Martino) ; « C’était surtout la déco de Kai. » (Richard parlant de sa maison partagée avec son amant Kai, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Cet appartement semble sortir d’un magazine de décoration. » (Jane parlant de l’appart qu’elle prend avec sa compagne Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh) ; « Tu aimes la déco. » (Graziella s’adressant à son ami homo Tom d’un ton injonctif, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; « Je m’attendais à trouver quelque chose de plus élaboré au niveau de la décoration. » (le Dr Katzelblum visitant l’appartement de ses deux patients en couple homosexuel Benjamin et Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « On peut la retrouver rue des saint pères. Décorateur et antiquaire. » (cf. la chanson « La Grande Zoa » de Régine) ; etc. Par exemple, dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Vivien, l’un des héros homos, est décorateur. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, aime imiter la relookeuse de M6, Cristina Cordula, « la grosse gouine qui fait la déco à la télé ». Dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Martin, le héros homo, « a toujours été doué en déco » selon Christine, son ex-femme. Dans le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, Marie, l’une des héroïnes lesbiennes, travaille dans la déco : elle a une boutique.
b) Le Maquillage : paravent du kitsch, paravent du viol
Vidéo-clip de la chanson « Je suis moi » de Shy’m
Malheureusement, le vernis du maquillage n’est pas éternel et commence à se craqueler, à révéler de tristes intentions chez le héros homosexuel qui a voulu croire en la « Profondeur du paraître ». Le maquillage est à la fois le signe de fierté du personnage homosexuel, mais paradoxalement aussi le signe de sa honte d’être ce qu’il est, d’une homophobie intériorisée : « Elle maquille trop sa pauvre face ! » (c.f. la chanson « Le Garçonne » de Georgel) ; « J’ai mis de l’ordre à mes cheveux, un peu plus de noir sur les yeux. » (cf. la chanson « Il venait d’avoir 18 ans » de Dalida) ; « Viens Sylvie, on va se remaquiller toutes les deux ! » (Benjamin, l’un des héros homos entraînant Sylvie à la salle de bain, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « J’en ai trop mis ! » (Juliette, sur la cour d’école, parlant de son maquillage, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « À l’heure où naît un jour nouveau, je rentre retrouver mon lot de solitude. J’ôte mes cils et mes cheveux, comme un pauvre clown malheureux de lassitude. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « Voir un ami travesti pleurer. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Les yeux fardés jusqu’au mépris. » (Luca, le héros homosexuel du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Tout seul dans mon placard les yeux fardés de noir, à l’abri des regards, je défie le hasard. Dans ce monde qui n’a ni queue ni tête je n’en fais qu’à ma tête. » (cf. la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer) ; « Je me fais des yeux au beurre noir. » (c.f. la chanson « Le Petit Rouquin du Faubourg Saint-Martin » de Fortugé) ; « C’était une bonne époque pour être homo. Le style androgyne était à la mode ; même les garçons hétéros portaient du maquillage et des bijoux, et se teignaient les cheveux. Je crois qu’une partie de Tielo aurait bien voulu être gay. Jusque-là, on avait tout fait ensemble, mais il avait toujours été le plus dévergondé de nous deux. […] Il s’est laissé draguer par des mecs une ou deux fois. » (Petra parlant des années 1980, de son frère hétéro Tielo, et s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 81) ; « Les filles comme moi ont appris très tôt à masquer un coquard. » (Fred, le trans M to F, soignant la plaie de Cédric à l’arcade en le maquillant car il s’est fait agresser par une bande homophobe, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; etc.
Planche « Le Miroir » de la B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi
Par exemple, dans le film « La meilleure façon de marcher » (1976) de Claude Miller, Philippe, le héros bisexuel, se maquille en femme dans le secret de sa chambre, pendant la colo, mais prend comme un drame le fait d’avoir été surpris par Marc en flagrant délit de travestissement. Dans la chanson « Comme ils disent… » de Charles Aznavour, le démaquillage est le moment où le masque tombe, où le travesti contemple sa face de triste-sire-qui-ne-s’aime-pas dans la glace. Dans le film « Je vois déjà le titre » (1998) de Martial Fougeron, Paulo, le héros homo travesti, avec ses faux cils et son fard à paupières dégoulinant, affiche l’amertume amoureuse homosexuelle et sa désespérance existentielle. Dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, le Coryphée est un homme travesti M to F avec une perruque tombée, au maquillage coulant. Dans la nouvelle « Kleptophile » (2010) d’Essobal Lenoir, la description des produits cosmétiques exposés dans le grand magasin, aux stands de parfumerie, est associée à la sueur, à la bestialité, est montrée comme délétère. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, présente l’inconvénient de son métier : « Y’a le revers de la médaille : tu vieillis plus vite que d’habitude. » Il se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique pour rajeunir. Le résultat n’est d’ailleurs pas toujours à la hauteur de ses espérances. Jeanfi parle « des effets mordants du peeling » et des ratés de son médecin qui le bronze de trop : « J’étais pas épanoui totalement. Il me manquait quelque chose. »
Le maquillage semble réveiller et exacerber les pulsions sexuelles (= je suis maquillé donc plus facilement baisable et consentant)… en milieu homo qui joue les hétéros : « Petra […] marqua une nouvelle pause, comme pour se souvenir des boîtes de nuit bourrées de garçons maquillés et de filles attendant de se faire draguer. » (Louise Welsh, The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012), p. 82) Le maquillage symbolise souvent le fantasme d’être une prostituée, d’être violé : « Anna s’habille comme une pute. […] Je crois qu’elle aimerait bien. Son maquillage, ses talons hauts qu’elle adore ; ce sont des choses que porterait une prostituée. » (Maria, la prostituée, décrivant la jeune Anna, idem, p. 165)
Comme le héros homosexuel finit par se rendre compte que le maquillage ne peut pas régler tous ses problèmes ni gommer toutes ses limites humaines (et pire, que ce dernier les met en valeurs et les fait ressortir !), il finit par se venger de ses masques, de ses bijoux, de ses crèmes, de ses boucles d’oreilles, en les détruisant. La passion pour la contrefaçon et le maquillage va de pair avec celle de sa dénonciation (ou sa destruction, surtout chez les personnages lesbiens) : cf. les romans Les Caves du Vatican (1914) et Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide, la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd, le film « Dead Ringers » (« Faux semblants », 1988) de David Cronenberg, le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, le film « Sancharram » (2004) de Ligy J. Pullappally (avec l’une des héroïnes lesbiennes qui s’enlève tous les attributs matériels de sa féminité), etc.
« Je pourchasse impitoyablement le maquillage, les talons hauts, les fioritures en tout genre, et cela avec de moins en moins de tolérance. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 223) ; « J’ai mis une perruque et du faux rouge sur mes joues. » (l’Actrice dans la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Copi, p. 32) ; « Et cette obsession de l’âge ! À 25 ans, s’acheter des patchs anti-poches sous les yeux, des pots de 12 litres de crèmes antirides et de le voir s’emballer pour le moindre gel douche à la papaye, ça finit par me terrifier dans les rayons Sephora ! » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc converti en homo, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Jolie, crinière au vent, ses dessous dépassant de l’ouverture du fourreau pailleté, boitant sur une seule chaussure, traînant d’une main le renard, de l’autre son sac, suivit Silvano sans rien dire. […] Son maquillage dégoulinait. Jolie de Parma, celle qui l’avait tant ému au cinéma ! réalisa-t-il tout d’un coup. Hier encore, vous étiez mon idole, mon idéal de femme. » (Copi, La Vie est un tango (1979), pp. 22-23) ; « Le vernis se craquèle sous l’idole. » (cf. la chanson « Idéaliser » d’Alizée) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès, le personnage du Rouquin prend un malin plaisir à souligner chez chaque membre de son entourage les moindres défauts, vient apporter une « vérité » destructrice qui vise à montrer que tout n’est qu’illusion, faux-semblants), etc. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, avoue qu’il a « un talent pour contrefaire les signatures, raconter des mensonges ». Dans le film « Devil Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel, la vengeance est esthétique, « l’action » est dans le maquillage. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, le maquillage est ominprésen dans le quotidien des personnages, et surtout ceux qui sont intersexes et transsexuels. Par exemple, le film démarre avec Rana qui se maquille les yeux de mascara devant sa glace de rétroviseur de voiture. À la fin, alors qu’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M est forcée par son père d’endosser le costume et la robe de mariée, le père de celle-ci demande à la maquilleuse le matin du mariage de ne pas trop forcer sur le maquillage : « Ne maquillez pas autant. » Emad, le frère d’Adineh, finit par libérer sa sœur in extremis et par la conduire à l’aéroport pour qu’elle échappe au mariage et aille en Allemagne se faire changer de sexe : « Enlève ce maquillage. Ça te va pas vraiment. » lui dit-il alors que le mascara noir coule sur les joues de sa sœur.
Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman
Dans les fictions traitant d’homosexualité, en général, le maquillage est source de conflits, de disputes homériques. Par exemple, dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia, le héros transsexuel M to F, se pique de jalousie pour Jenny, son camarade noir qui porte « sa » perruque blonde, et s’embrouille avec sa copine trans Irène. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, le héros gay, se moque de son colocataire homo Harold qui passe son temps à se scruter devant sa glace et à se mettre des crèmes parce qu’il ne s’aime pas : « Tu passes des heures devant ton miroir, passées à mettre des crèmes et des masques. Et on ne voit même pas la différence. » Harold riposte mollement : « Ma peau n’est pas belle. Que veux-tu que je te dise ? » Michael continue de le narguer : « Pas étonnant puisque tu passes des heures à triturer tes pores. Pas étonnant qu’ils soient dilatés, vu ce que tu en fais. Tu n’arrêtes jamais. […] Oui, tu as des cicatrices mais ce n’est pas grave. Ta vie serait plus simple si tu arrêtais de te torturer. »
Le maquillage est aussi l’arsenal des dictatures. Par exemple, dans la B.D. La Foire aux Immortels (1980) d’Enki Bilal, Jean-Ferdinand Choublanc, « Gouverneur de la cité autonome de Paris » (dixit Théodule 1er, sorte de Pape catholique sans l’être) est manifestement homosexuel : il s’adresse à ses maquilleurs en les appelant « les filles » et à son intendant en l’appelant « chéri » (intendant avec lequel il partage son bain) ; les adhérents à son parti sont tous sans exception très fortement maquillés.
Souvent, dans les fictions homosexuelles, le maquillage sert à masquer un viol ou une réalité jugée désagréable. En cela, il correspond tout à fait à la définition du kitsch qu’a donnée Milan Kundera dans son roman L’Insoutenable légèreté de l’être (1982) : « Le kitsch est un paravent qui dissimule la merde. » Il est le vernis utilisé par tout système totalitaire pour occulter sa violence dans le strass et les paillettes rose-bonbon. « Excusez-moi, il faut que j’aille chier. Pardon… que je me repoudre le nez. » (la mère transgenre dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit)
Film « To Live And Die In L.A. » (1986) de William Friedkin
Par exemple, dès les premières images du film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, le spectateur a droit à une scène de maquillage. En plus, le maquillage du travesti M to F Zé María et le maquillage de guerre pour le camouflage sont directement associés. Dans le one-man-show Yvette Leglaire « Je reviendrai ! »(2007) de Dada et Olivier Denizet, Yvette Leglaire est un travesti M to F ultra-maquillé qui se conduit de manière ironico-odieuse. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, « relooke » sa nièce Claire comme une pute et la laisse sur un parking pour qu’elle fasse son apprentissage de la sexualité (ou plutôt de la prostitution). Dans le film « Tom à la ferme » (2014) de Xavier Dolan, Tom, le héros homosexuel aux cheveux blonds peroxydés, va vivre un véritable cauchemar hitchcokien. Le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier commence par une séance de teinture de cheveux inachevée : la teinture de César est trop rouge parce qu’il part précipitamment de chez le coiffeur (ça fait trop roux). Cette erreur est à l’image du vol d’enfant pour satisfaire l’adoption « homoparentale » du couple lesbien.
La mention des paravents – comme maquillage et signe du viol – revient régulièrement dans les œuvres homo-érotiques : « Oh mon Dieu, je suis perdu ! Elvire, je suis devenu comment dire ! Un homme de nuit qui frotte les murs de Paris, pour autant dire un vampire. » (Pédé, le héros homosexuel de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « La porte, c’est moi. » (Marilyn, la videuse lesbienne du Gouine, dans le one-woman-show Charlotte, Paris j’adore ! (2010) de Charlotte des Georges) ; « Moi, je suis la carpette idéale… » (Emmanuel Montier dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 156) ; « C’est là où vous me direz : laisser tomber les chiens, asseyez-vous sur une dune, allumez une cigarette en faisant paravent contre le vent avec vos mains en cornet et pensez à quelque chose d’autre. Je vous soupçonne d’avoir eu un chien dans votre jeunesse, ça c’est une idée typique d’un maître de chien, Maître. Connard. » (le narrateur homosexuel du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 13) ; « Je l’[l’éventail, la pièce à conviction pour camoufler le meurtre] ai caché non pas dans l’armoire, mais derrière le paravent. » (le Machiniste dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Tu étais caché derrière le paravent quand je me suis disputée avec Madame Lucienne ? Si tu étais cachée derrière le paravent, tu sais que je ne l’ai pas tuée ! C’est toi ! » (la Comédienne à l’Auteur, idem) ; « Portrait-robot du Gronz : tête de hibou, buste de bœuf, arrière-train de dragon. Méfiez-vous, ils sont très excitables à la vue de la couleur verte. Ne portez pas de vert et camouflez votre végétation derrière des paravents. » (idem) ; « Je suis le nouveau Mur de Berlin. » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; « Elvire, je suis devenu un homme de nuit qui frotte les murs de Paris, pour autant dire un vampire. » (Pédé dans le pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Mon projet ? Changer de papier peint. » (Jeanfi, le steward homo présentant son visage au médecin-chirurgien esthétique, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; etc.
Le héros homosexuel s’identifie souvent à un mur ou à une surface plane qui fait écran à la Réalité : cf. la pièce L’Ombre de Venceslao (1992) de Copi, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi, le roman LesEnfantsterribles (1929) de Jean Cocteau, le concert de Jean Guidoni à La Boule Noire (avril 2007), le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, le film « Behind The Red Door » (2002) de Matia Karrell, le film « Écran magique » (1982) de Gianfranco Mingozzi, le tableau L’Homme à l’oiseau (2000) de Luan Xiaojie, le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, la chanson « Je fais la planche » de K.D. Lang, la chanson « Derrière la porte » d’Anggun, le film « The Boy Next Door » (2008) d’un réalisateur inconnu, etc. Par exemple, dans la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon, Roger est assimilé à une planche. Dans son one-(wo)man-show Je reviendrai ! (2007), Yvette Leglaire, le travesti M to F ultra-maquillé, se prend pour le Mur de Berlin. Dans le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, Jonas, le fils de Marie, surprend sa propre mère embrasser Aysla derrière un paravent, le soir du mariage de celle-ci.
Il arrive que l’amant homosexuel soit comparé à un mur plat ou un paravent derrière lequel le héros homo peut se cacher et à travers lequel il peut vivre une vie par procuration, incognito : c’est le cas dans le roman Les Paravents (1961) de Jean Genet, le film « Children Of God » (2010) de Kareem Mortimer, le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec Robbie, homme qui se fait pénétrer et plaquer contre le mur), le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet (dans lequel les murs de la prison ont des yeux et sont « vivants »), etc. « Je ne vis plus que pour toi et qu’à travers toi. Plus je te vois et plus je devrais être rassasié de toi mais c’est le contraire, plus tu me manques et plus je t’aime. » (Bryan s’adressant à son amant Kevin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 322) ; « Quinze minutes plus tôt, alors qu’il longeait une rue absolument déserte, […] quelqu’un s’était approché de lui. Un homme. Il était venu vers Fabien d’un pas oblique, comme s’il était sorti d’un mur. » (le héros du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 18) ; « Un homme, c’est comme une pierre à laquelle tu te tiens. C’est robuste. […] Un homme, c’est comme un tremplin. » (Franck dans la pièce Mon amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Derrière la porte, souriait de toutes sa nacre un garçon enjôleur que n’importe qui d’un peu novice aurait immanquablement trouvé joli. Laurent resta pétrifié sur le seuil de la porte. » (cf. la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 47) Par exemple, dans la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre, le corps dénudé du héros travesti sert d’écran de cinéma. Dans le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman, le dos de l’amant (Hugo) fait office d’écran de cinéma sur lequel est projeté l’ombre du mot « Univers ». Dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, la métaphore de l’amant mural est également employée : « José s’était approché du gros mur pour trouver de la compagnie.[…] Sa marche devenait semblable au mur, pas additionnés aux pas, telles les briques empilées donnant la hauteur du mur. […] Enfin, il appuya la craie comme pour une conversation. » (p. 31) ; « Jane rêvait d’Anna. Elles étaient seules dans le noir, les doux cheveux de la fille retombaient sur le visage de Jane. Elle eut l’impression d’être au lit avec elle et se mit à paniquer ; ce n’était pas ce qu’elle voulait, tout allait de travers. Les lèvres de la fille se posèrent sur les siennes et elles s’embrassèrent, la langue d’Anna frémissante et insistante. Jane comprit à nouveau ce qu’elle était en train de faire et tenta de la repousser mais quelque force supérieure les collait l’une à l’autre. Elle sentait le poids du corps de la fille, la douceur de ses seins, et elle se tortilla pour se dégager, tentant désespérément de s’échapper, mais elle avait beau se tourner dans toutes les directions, elle était piégée. Elle repoussa Anna de toutes ses forces, mais sans résultat, elles étaient verrouillées l’une à l’autre, et brusquement Jane comprit ce qui les retenait là. Elles étaient scellées, l’une au-dessus de l’autre, sous le plancher de l’immeuble de derrière. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 222) ; etc.
Devenir mur ou devenir paravent, cela revient à être violé. « Il a trouvé le mur sur lequel il va pouvoir lancer sa baballe. » (le Père 2 parlant de son futur « gendre » avec son fils homo Gatal, gendre qu’il tuera, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie se fait violemment pénétrer et plaquer contre le mur. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, le mathématicien homosexuel Alan Turing s’est fait maltraiter au collège par ses camarades de pensionnat. Ils l’ont même séquestré sous un plancher de bois clouté. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, à la fin, la grand-mère de Tommaso (le héros homosexuel) se maquille pour retrouver la jeunesse de ses vingts ans, face à plusieurs miroirs. Cela, juste avant de se suicider.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique:
a) La maquillage-mania :
Le maquillage occupe une place importante dans la vie des personnes homosexuelles. « Être pédé a quelques avantages : on peut tailler des pipes, et échanger ses fringues avec son chéri. Et surtout se poudrer les jours de fête. » (Luca filmé pendant qu’il se maquille, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi)Certaines en ont fait leur métier. Par exemple, les maquilleurs Stathis et Hervé sont homosexuels. Dans la huitième édition de l’émission de « télé-réalité » Secret Story (2014) sur la chaîne TF1, Sacha, le candidat homosexuel de 23 ans, est maquilleur de profession. D’autres en restant au loisir et à la sphère semi-privée. Déjà tout petit, certains individus homos sont rentrés dans la chambre de leur mère et se sont maquillés pour savoir ce que ça donnait. Par exemple, à l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle diffusée le 3 mai 2006, Brahim Naït-Balk, l’animateur en chef, raconte qu’à l’âge de 7-8 ans, il se mettait du rouge à lèvres. Dans l’autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule relate qu’il s’habillait avec les vêtements de sa sœur et son maquillage en cachette de sa famille : « Je rejoignais Amélie. L’un de mes jeux préférés consistait à la maquiller, l’affubler de rouge à lèvres et de tout un tas de poudres différentes. » (p. 105) Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Barbara, la femme de Bertrand, fait tout un topo sur le maquillage, en décrivant ses sensations quand elle s’enduit le visage, les yeux, le corps, de crèmes et de peinture. En février 2019, un lycéen d’Albi, Alexis, défraye la chronique en venant maquillé en classe, et reçoit le soutien de nombreuses associations LGBT.
Certaines personnes homosexuelles aiment se maquiller. « Aujourd’hui, si les bijoux et les accessoires manuels ont disparu, le parfum, le fond de teint, la coupe spéciale des vêtements subsistent. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 32)Et il faut reconnaître que c’est agréable – surtout de se faire maquiller – : c’est un peu comme un massage. On vous chouchoute comme une poupée. J’ai des souvenirs d’enfance où, en A.C.E. (Action Catholique des Enfants) ou en Centre Aéré, l’odeur du maquillage qu’on m’appliquait sur le visage me ravissait.
Un certain nombre de personnalités homosexuelles, après leur coming out médiatique, se sont senties l’obligation (allez savoir pourquoi) de se teindre les cheveux : Andy Warhol, Xavier Dolan, Clément Borioli, Steevy Boulay, Xavier Bongibault, etc.
Andy Warhol
Le maquillage est le matériau de la bisexualité, très en vogue dans le milieu du show business dans les années 1970-1980. « Au début des années 1980, beaucoup de garçons se baladent avec du khôl dans les yeux et du spray sur les cheveux. Qu’ils soient homos ou hétéros n’a aucune importance. » (la voix-off dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) Pensez au chanteur Boy George, Elvis Presley (le modèle des dragkings) ou, dans un tout autre style, Michael Jackson. David Bowie, également, a incarné Ziggy Stardust, un personnage maquillé de façon outrancière. « Je me rappelle. J’adorais Elvis Presley. Mais c’était surtout parce que je le trouvais sexy. Elvis était un personnage artificiel, très maquillé. Et je le trouvais super sexy. Aujourd’hui encore, je suis convaincu qu’il avait une sensibilité gay. Mais comme il était tenu par son manager, il n’a jamais pu l’exprimer, surtout à cette époque. » (Rosa von Prauheim interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte)Les dandys homosexuels ont coutume de se parfumer au musc. Par exemple, dans son interview « 69 Preguntas A Néstor Perlongher » (dans l’essai Prosa Plebeya, 1989), le poète homosexuel argentin Néstor Perlongher déclare que son odeur préférée est celle du musc (p. 18). Ils sont parfois parfumeurs, coiffeurs, et aiment ce qui est parfums car ils ont grandi là-dedans : « J’adorais aller à Brioude. Cela sentait le fer à friser un peu brûlé, les teintures, les parfums sucrés qui se mélangeaient. C’était à la fois étrange et enivrant. » (Jean-Claude Brialy concernant le salon de coiffure de sa tante, dans son autobiographie Le Ruisseau des singes (2000), p. 19) ; « Mes parents ne s’intéressaient qu’à leur salon de coiffure. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 19) ; etc.
Photographies de Herb Schulz
Le maquillage est une technique très prisée dans le monde artistique homosexuel. Par exemple, Pierre et Gilles, ou bien Andy Warhol, font des photos-peintures souvent caricaturales, dans lesquelles ils subliment et sur-maquillent leurs stars favorites. Dans un élan iconoclaste similaire, Herb Ritts trouble l’image des icônes sexuelles qu’il a photographiées. Les artistes s’amusent à manier l’art de la contrefaçon vraisemblable. La fascination pour celle-ci va de pair avec celle de sa dénonciation : par exemple, Bruce Chatwin, spécialiste en peinture, prend un malin plaisir à annoncer aux gens que les tableaux d’art qu’ils possèdent chez eux sont des faux. Beaucoup de personnes homosexuelles croient en la supposée « profondeur des apparences et des maquillages », et aiment cultiver l’ambiguïté sexuelle de leurs modèles ou d’elles-mêmes. Par exemple, le 3 février 2018, comme par hasard, c’est au moment où Ernesto Sevilla et Joaquin Reyes ont présenté la remise du Prix du Goya du meilleur maquillage, qu’ils se sont échangés un baiser.
Conchita Wurst, gagnant de l’Eurovision 2014
Le maquillage donne l’illusion d’une identité originale, transcendant les sexes (les membres de l’idéologie queer diraient « transcender les genres ») et la Vérité. Un homme qui se maquille, ça fait tout de suite métrosexuel ou homosexuel. Le maquillage se pare des meilleures intentions (la performance artistique, l’engagement militant, le détournement carnavalesque humoristique) pour se faire oublier/remarquer, et occulter sa violence. On peut penser au maquillage très étudié des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence qui est utilisé en réalité comme une arme de censure et d’autocensure particulièrement homophobe. Par exemple, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, on nous montre en parallèle sur un écran un homme efféminé se maquiller en femme, et la narratrice transgenre F to M sur scène se travestissant en homme, en se posant un faux bouc. Et j’ai remarqué que c’est la nouvelle mode gay de se faire tatouer une marque de bouche rouge féminine de maquillage sur le cou (Matthieu ou encore Pascal hier dans L’Amour est dans le pré)…
Au fond, dès qu’il fuit ou force la différence des sexes et qu’il rejoint l’homosexualité, le maquillage devient le signe d’une immaturité (pensons aux lolitas pré-pubères qui se vieillissent et se maquillent comme des prostituées), d’une schizophrénie (qui s’affiche en fierté, comme par exemple aux Gay Pride ou dans les spectacles de travestis), d’une non-acceptation de soi-même. « Les femmes me demandent souvent pourquoi je me maquille. Pour les mêmes raisons qu’elles. Je ne suis pas une femme… mais j’ai l’âme d’une femme ! » (le chanteur Boy George interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) Par exemple, on voit Pierre Loti fréquemment poudré, avec du rouge aux joues. Kuno von Moltke (1847-1923) se maquillait beaucoup. Michel Journiac sortait dans la rue toujours maquillé : les gens ont découvert son vrai visage à sa mort. Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte la tendance de son ami homo Copi à ne pas savoir faire la coupure entre la fiction et la Réalité : « Son seul problème était de parvenir à se démaquiller. » (p. 12) Je vous renvoie également au documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós et Violeta Salvatierra dans lequel le maquillage est pris très au sérieux.
Modèle Yves Saint-Laurent
Le maquillage est également ce qui unit hétérosexualité et homosexualité, dans la violence des actes sexuels qu’elles font poser (je pense par exemple, et dans l’extrême, à la sodomie facilité par la vaseline, toutes sortes de crèmes). Mais c’est tout un mode de vie et de pensée qu’il remet en cause. Je vais prendre une anecdote toute bête qui m’est arrivée en décembre 2011. En tant que prof d’espagnol, j’ai été inspecté par une inspectrice de l’Éducation Nazie-onale, Madame Beatriz Beloqui, je pense particulièrement hétérosexuelle, gay friendly, en total désaccord avec mes engagements politiques et religieux, et qui me l’a bien fait comprendre. Et comme par hasard, elle m’a taclé sur une heure de cours où j’avais organisé un faux débat sur le thème du maquillage (elle avait dû se sentir visée par le thème et ne pas identifier son propre statut de poupée maquillée, pour avoir autant dé-théâtralisé cette heure de cours et avoir cru que les élèves exprimaient vraiment leur avis et qu’ils n’interprétaient pas de rôles). L’hétérosexualité pratiquée, tout comme l’homosexualité, ne s’envisagent même pas comme des maquillages sociaux (alors qu’elles le sont !), et n’accèdent absolument pas au second degré. Il n’y a donc rien d’étonnant que ces femmes ou hommes qui vivent dans l’apparence ne supportent pas ma manière d’aborder l’homosexualité !
Le maquillage, je le crois, stimule la pulsion. Un jour, un ami homosexuel (qui se maquillait « discrètement ») m’avait dit que lorsqu’un garçon se maquillait en soirée, il couchait plus facilement… C.CUL.F.D.
b) Le Maquillage : paravent du kitsch, paravent du viol
Derrière le joli vernis du maquillage se cache souvent la misère d’une identité ou d’un amour mal porté(e). Par exemple, le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne débute précisément par une scène d’auto-maquillage de celui qui va se raconter – et raconter ses drames (inceste, viol, dépression, tentative de suicide…) – pendant toute l’intrigue. Le maquillage peut être symptôme d’attachement incestueux maternel : « J’adorais observer ma mère quand elle se maquillait. » (Iris, homme M to F, qui s’appelle initialement Gabriel, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6)
Le maquillage sert à masquer un viol ou une réalité jugée désagréable. En cela, il correspond tout à fait à la définition du kitsch qu’a donnée Milan Kundera dans son roman L’Insoutenable légèreté de l’être (1982) : « Le kitsch est un paravent qui dissimule la merde. » Il est le vernis utilisé par tout système totalitaire pour occulter sa violence dans le strass et les paillettes rose-bonbon.
Le maquillage peut quelquefois prendre la forme du paravent. Ce paravent sert d’écran et de révélateur d’une action mauvaise, en général. « Il [Don José, le travesti M to F] se faufila derrière un paravent et nous entendîmes une profonde inspiration. Quelques secondes plus tard, il sortit de sa cachette, les narines toutes barbouillées de blanc. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 293)
La mention des paravents – comme maquillage et signe du viol – revient parfois dans le discours des personnes homosexuelles : cf. le Journal (1992) de Jean-Luc Lagarce. Le paravent est même parfois l’amant homosexuel lui-même derrière qui il serait possible de cacher son homosexualité et surtout son homophobie ( = sa haine de soi). « Cette union mal assortie, et c’était très malsain, que Martine éprouvait pour moi une admiration sans bornes. D’après ses critères, j’étais celle qui avait réussi, alors qu’elle avait tout raté. Dans cette logique, il était souhaitable pour elle de rester dans mon ombre et de continuer à vivre ainsi, par procuration. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 72) ; « Et lui, mon gossi, il va avec les femmes, il a besoin d’avoir une famille dans l’avenir, et moi je peux être caché derrière lui pour vivre sa vie. » (Laurent en parlant de son amant bisexuel Jean-Jacques, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut) ; etc.
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« La féminité outrancière d’une catégorie d’homosexuels – ceux qui se désignent eux-mêmes comme folles – met en scène la figure enviée mais détestée de la mère. » (Michel Schneider, Big Mother (2002), p. 247)
B.D. « Kang » de Copi
Qui pourrait imaginer qu’une grande partie des personnes homosexuelles, réputées pour être les meilleurs amies des mamans, nourrissent avec leurs mères réelles ou symboliques une admiration jalouse telle qu’elles les traitent fréquemment de « putes » ? Loin de casser le cliché de la mère possessive, ce code du « Matricide » vient au contraire confirmer que le rapport entre les personnes homosexuelles et leurs mamans est trop fusionnel pour être véritablement aimant.
Il n’est pas rare que la passion homosexuelle pour la sollicitude maternelle s’accompagne de la haine. Soit « la mère d’homosexuel » est présentée comme la matrone autoritaire, soit comme une femme faiblement envahissante qui paie iconographiquement (et même parfois concrètement – comme l’ont montré les mères de Paul Verlaine, de Charles Double, de Colette, etc.) les conséquences de sa fragilité. Nous retrouvons souvent le thème du matricide ou de la mère profanée dans les œuvres homo-érotiques. Comme pour faire contre-poids au cliché de la mère possessive, beaucoup de personnes homosexuelles marquent clairement la distance avec leur génitrice (« Désirant est celui qui se détache de sa mère. » dit le poème « Llamado Del Deseoso » (1942) de Lezama Lima). Mais c’est dans le détachement excessivement brutal et passionnel qu’elles construisent bien souvent leur soumission au modèle maternel. Elles disent ne plus aimer leur mère – réelle ou symbolique – de l’avoir trop aimée, de s’imaginer encore être son unique passion : elle est jugée « toxique », « trop distante, froide et absente » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), p. 98) d’être trop présente. Cette mère mythique androgynique, bien souvent confondue avec la maman réelle, est à la fois détestée et adorée. « Il y a eu la méchante et la gentille. […] J’aimais la méchante, beaucoup moins que ma mère idéale, mais je l’aimais quand même. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), pp. 87-89)
L’homosexualité semble être une des réponses « logiques » à un rejet (ou une impression de rejet) maternel, rejet qui, s’il a été réel, est objectivement injuste : « Être maudit par sa mère, c’est la chose la plus absurde qui puisse exister, le plus contraire à l’ordre naturel de la sagesse de Dieu. » (cf. l’article « Baal, ennemi de l’Église » du Père Pascal, dans Les Attaques du démon contre l’Église (2009), p. 155)
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FICTION
a) Le personnage homosexuel hait sa mère (qu’il adore pourtant !), et se décide à la tuer :
On voit le meurtre de la mère dans beaucoup de fictions homo-érotiques : cf. le film « Sling Blade » (1996) de Billy Bob Thornton, le film « Psycho » (« Psychose », 1960) d’Alfred Hitchcock (Norman Bates – dont les flics se demandent s’il est « inverti » ou non – a tué sa propre mère et l’a empaillée pour s’y identifier et tuer d’autres femmes qui lui font concurrence), le film « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure, la pièce La Reine morte (2007) d’Henry de Montherlant (avec la mère de Pedro), la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le roman Bonne nuit doux prince (2006) de Pierre Charras, la chanson « La Gigue s’est arrêtée » de Cindy dans le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon, tous les romans de Marguerite Radclyffe Hall, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron (avec la mère poignardée par son fils), le film « Créatures célestes » (1994) de Peter Jackson, le film « A Question Of Silence » (1983) de Marleen Gorris, le film « L’Arrière-Pays » (1997) de Jacques Nolot, le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol (où Cyril a tué sa mère), le film « Ich Seh, Ich Seh » (« Goodnight Mommy », 2014) de Veronika Franz et Severin Fiala, etc.
Film « J’ai tué ma mère » de Xavier Dolan (Sous-titre : « Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. »)
C’est d’abord la sollicitude maternelle qui est pointée du doigt : « Sa voix me donne la nausée, sa voix mielleuse et sèche me ratatine. » (Cécile en parlant de sa mère, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 14) ; « Maman ne comprendra certainement pas mon départ. » (cf. la chanson « Small-town Boy » de Bronski Beat) ; « Je n’éprouve que dégoût pour la mienne. Je méprise tout ce qu’elle est ! » (Clive par rapport à sa mère, dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory) ; « Cette sourde inimitié de Fernand contre sa mère fait horreur ; et pourtant ! C’était d’elle qu’il avait reçu l’héritage de flamme, mais en même temps la tendresse jalouse de la mère avait rendu le fils impuissant à nourrir en lui ce feu inconnu. Pour ne pas le perdre, elle l’avait voulu infirme ; elle ne l’avait tenu que parce qu’elle l’avait démuni. Elle l’avait élevé dans une méfiance, dans un mépris imbécile touchant les femmes. » (François Mauriac, Génitrix (1928), pp. 72-73) ; « Ma détestable mère en mettait [de l’herbe] dans les salades, sans le savoir, et je crois qu’elle aimait ça. Parce qu’à chaque repas, même au petit déjeuner, elle disait : ‘Une salade ?’. » (Harold, l’un des héros homos du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Non maman ! Je sais que tu veux que je rentre. Non ! Je ne rentrerai plus jamais ! » (Rinn, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa mère par téléphone, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je n’ai pas de mère. » (Tomas, le héros homo allemand, dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer) ; etc.
Par exemple, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, le couple Yoann-Julien essaie de se débarrasser de l’intrusive belle-mère de Julien : « Vous savez ce que vous êtes pour moi ? Un monstre ! Une manipulatrice ! » (Julien, le héros homosexuel, s’adressant à sa belle-mère). Dans le film « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael, la mère de Willy, le gamin transgenre M to F qui se prend pour une fille, est présentée par son fils comme une méchante infirmière : « Je savais que quelque chose clochait avec ses piqûres. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca critique sa mère en la présentant comme une « catho Manif Pour Tous » qui serait la « championne de la mauvaise foi ». Il lui reproche de « l’avoir forcé à regarder la série Santa Barbara ».
Dans la série Demain Nous Appartient, la relation entre Anne-Marie, la mère homophobe, et sa fille lesbienne Sandrine est électrique, et l’a toujours été, d’après ce que dit la première : « Avec moi, elle était agressive : à croire qu’elle me haïssait. » (Anne-Marie, dans l’épisode 506, diffusé le 12 juillet 2019 sur la chaîne TF1) ; « Ma mère est carrément réac’. Et alors le pire, c’est qu’elle l’assume totalement. Elle est conne et fermée d’esprit. Elle n’a jamais supporté que je ne soit pas comme elle. » (Sandrine Lazzari parlant de sa maman Anne-Marie, dans l’épisode 505, diffusé le 11 juillet 2019).
Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, le cohabitation au quotidien avec sa mère est carrément comparé par les héros homosexuels Kai et Richard à un « suicide ». Richard finit par reprocher à la mère de son amant Kai (décédé à cause d’un accident), Junn, de l’avoir rendu honteux de son homosexualité, de l’avoir empêché de s’assumer homo, et même de l’avoir conduit à la mort : « Si vous aviez été moins accrochée à Kai, jamais il ne vous aurait enfermée ici [la maison de retraite] . Vous l’avez étouffé, culpabilisé ! » Junn nie toute influence : « C’est votre culpabilité. Je ne vais pas jouer au psy. » Mais elle passe ensuite aux aveux : « J’étais si jalouse de vous. »
Le crime invisible de la mère, c’est d’avoir cédé au caprice et à la simulation de viol de son fils, comme le montrent ce passage de Marcel Proust dans laquelle le protagoniste obtient de sa mère qu’elle dorme avec lui : « Maman resta cette nuit-là dans ma chambre et, comme pour ne gâter d’aucun remords ces heures si différentes de ce que j’avais eu le droit d’espérer, quand Françoise, comprenant qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire en voyant maman assise près de moi, qui me tenait la main et me laissait pleurer sans me gronder, lui demanda : ‘Mais Madame, qu’a donc monsieur à pleurer ainsi ?’ maman lui répondit ‘Mais il ne sait pas lui-même, Françoise, il est énervé ; préparez-moi vite le grand lit et montez vous coucher.’ Ainsi, pour la première fois, ma tristesse n’était plus considérée comme une faute punissable mais comme un mal involontaire qu’on venait de reconnaître officiellement, comme un état nerveux dont je n’étais pas responsable ; j’avais le soulagement de n’avoir plus mêler de scrupules à l’amertume de mes larmes, je pouvais pleurer sans péché. Je n’étais pas non plus médiocrement fier vis-à-vis de Françoise de ce retour des choses humaines, qui, une heure après que maman avait refusé de monter dans ma chambre et m’avait fait dédaigneusement répondre que je devrais dormir, m’élevait à la dignité de grande personne. […] J’aurais dû être heureux : je ne l’étais pas. Il me semblait que ma mère venait de me faire une première concession qui devait lui être douloureuse, que c’était une première abdication de sa part devant l’idéal qu’elle avait conçu pour moi, et que pour la première fois elle, si courageuse, s’avouait vaincue. Il me semblait que je venais de remporter une victoire contre elle […] et que cette soirée commençait une ère, resterait comme une triste date. Si j’avais osé maintenant, j’aurais dit à maman : ‘Non, je ne veux pas, ne couche pas ici.’ […] Mais le mal était fait. […] Certes, le beau visage de ma mère brillait encore de jeunesse ce soir-là où elle me tenait si doucement les mains et cherchaient à arrêter mes larmes ; mais justement il me semblait que cela n’aurait pas dû être, sa colère eût été moins triste pour moi que cette douceur nouvelle que n’avait pas connue mon enfance. […] Cette pensée redoubla mes sanglots et alors je vis maman, qui jamais ne se laissait aller à aucun attendrissement avec moi, être tout d’un coup gagné par le mien et essayer de retenir une envie de pleurer. Comme elle sentit que je m’en étais aperçu, elle me dit en riant : ‘Voilà mon petit jaunet, mon petit serin, qui va rendre sa maman aussi bêtasse que lui.’ » (Marcel Proust, Du côté de chez Swann (1921), pp. 44-45)
Le personnage homosexuel exprime sa haine et ridiculise sa mère : « Tu m’as élevée en fille seulement pour me dégrader ! Ma mère, je t’en supplie, retire-toi de ma vie ! Laisse-moi vivre la mienne ! » (Lou à sa mère Solitaire, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Ma mère est imbécile. » (le fils en parlant de sa mère Jeanne, dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Je te hais ! » (Hubert à sa mère, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Ma mère m’a ruinée, elle a tout gaspillé dans sa galerie d’art ! Ma mère est une femme excentrique et insupportable ! » (« L. » à Hugh, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Mais qu’elle est conne ! » (Karine Dubernet, à 6 ans, en parlant de sa mère, dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « Je n’aime pas ma mère. Elle m’enfermait dans un placard. » (Jean-Hugues le journaliste, dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Qu’est-ce qu’elle est conne ! » (Bill en parlant de sa mère, dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut) ; « Ce qui la gênait, c’est davantage la vulgarité de sa mère que la pauvreté proprement dite. Les fautes de langage la faisaient souffrir, et aussi la certitude maternelle que seules les tâches ménagères, la cuisine, la couture, étaient ‘le travail’.» (Suzanne décrivant la haine de Madeleine pour sa mère, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 54) ; « Je devrais porter plainte contre ma mère de m’avoir fait aussi cucul. » (Matthieu dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « J’pourrais me raser le crâne pour ne pas lui ressembler. » (Chloé parlant de sa mère, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Tu m’dégoûtes. » (Sarah parlant à sa mère alcoolique qui finira par porter la main sur elle, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « C’est déjà d’une tristesse, la maternité… » (Françoise, la mère bobo gay friendly de Jérémie le héros homo, dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare) ; « Vous la connaissez, ma mère ? Elle a un petit côté Marine Le Pen à faire débander tout le socialisme. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Y’a un proverbe antillais qui dit : ‘Avant d’épouser la bergère, regarde sa mère !’ J’ai regardé… et je me suis barré ! » (Rémi, le héros bisexuel, jadis en couple avec Marie, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Ma mère m’a toujours dévalorisée. Elle est incapable de me faire un compliment. Elle ne m’a jamais aimée. La preuve : elle ne voulait pas me garder. aut pas s’étonner que je suis anorexique. » (Nina, l’héroïne lesbienne dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « em>Ça va me changer les idées de voir ta mère à l’hôpital. » (Isabelle s’adressant à son amante Mathilde, dans la pièce Elles s’aiment depuis 20 ans de Pierre Palmade et Michèle Laroque) ; etc.
Par exemple, dans le one-man-show Nana vend la mèche (2009) de Nana, Laure traite sa mère de « grosse vache ». Dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, Éric a tellement honte de sa mère qu’il lui demande de marcher bien loin devant lui. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire se sent trahi par le désamour de sa mère qu’il adorait pourtant, mais qui lui préférait son frère. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, décrit sa mère de 130 kg comme une orque et une baleine. Et à la fin de la pièce, il la qualifie de « Première Baleine » dans un Concours de Beauté : « Ma mère, tu prends une robe, tu mets sur une table, ça fait une nappe. » (Jeanfi, le steward homo décrivant sa mère de 130 kg, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « Elle a ronflé comme une vache. » (idem, dans l’avion) Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M reproche à sa mère de la cantonner au travail de couture et de dentelles. Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon présente sa mère comme une femme irresponsable (« Ma mère n’a aucun sens des responsabilités. »), une femme inexistante (elle fait semblant, à un moment, de ne pas en avoir une), une femme morte (son coming out aurait plongé celle-ci une semaine dans le coma ; ou bien l’aurait figée comme le jeu 1, 2, 3, soleil !). Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud dit à son amant Benjamin qu’il est tellement homosexuel qu’il prend même ses distances avec sa propre mère : « Même à ta mère, tu sers la main ! » Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, Bryan refuse de parler à sa mère bigote qui met des cierges à l’église pour qu’il cesse d’être homo. Et il traite sa « belle-mère » (la mère de son amant Tom) de « fumasse ». Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, a une mère qui le maltraite et qui se drogue. Il la voit comme une méchante. Elle lui vole son argent. Il finit par cracher le morceau : « Je la déteste. » Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, comme dans tous les films de Dolan quasiment, le thème de l’idolâtrie incestuelle (« Je t’adore maman et je te déteste ») revient. Rupert, jeune adolescent de 10 ans, homosexuel, à la fois est odieux avec Sam sa maman (qui s’ingère dans sa vie, lit son courrier, le coupe de son père…) et la considère comme l’amour de sa vie : « La personne que j’admire le plus, c’est ma mère. Je m’occupais d’elle et je l’appelais même ‘mon Amour’. On était même meilleurs amis. ». Idem pour John, l’acteur homo, et Grace sa mère pourtant folle alcoolique et abusive, qui le vampirise : « Je te connais. J’ai été la première. »
Dans certaines œuvres homo-érotiques, le personnage homosexuel tient tête à sa maman : cf. la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer, la chanson « Maman s’est barrée » de Mélissa Mars, le film « Peeling » (2002) d’Heidi Anne Bollock, le vidéo-clip de la chanson « Moi… Lolita » d’Alizée, le roman L’Agneau carnivore (1975) d’Agustín Gómez-Arcos (avec la mère d’Ignacio, une sorte de Falcoche cruelle et distante), la chanson « Histoire de haine » du rappeur Monis, etc. Dans le concert de Mylène Farmer en 1989, en guise d’introduction de la chanson « Maman a tort », Carole Fredericks (jouant le rôle de la m(ég)ère) et Mylène Farmer se disputent violemment comme dans un théâtre de Guignol (« Je suis ta mère, alors tu es ma fille !!! » dit la mère ; « Je ne suis pas ta fille, et tu n’es pas ma mère !!! » lui répond plusieurs fois sa fille).
La mère est parfois associée à la merde : cf. la pièce Eva Perón (1969) de Copi (c’est le premier mot du drame), la pièce Ubu Roi (1896) d’Alfred Jarry (avec le fameux incipit « Merdre ! », interjection qui condense « mère » et « merde »), etc. Elle est aussi comparée à un monstre : « On dirait la naissance d’un dinosaure. » (Max en parlant de la mère de son copain Fred, dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « Qu’est-ce qu’elle pond ! Elle pond, elle pond, elle pond ! Elle est vulgaire ! » (Rodolphe Sand imitant sa grand-mère qui parle d’une des tantes de Rodolphe, dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; etc. Dans son roman Three Tall Womens (1990-1991), Edward Albee règle ses comptes avec sa génitrice qu’il qualifie de monstre.
Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, méprise les femmes enceintes, et donc toutes les mères : il les présente comme des vaches qui « mettent bas » ou des « cachalots » dont il faut extraire les bébés avec un harpon.
De l’insulte verbale à l’agression physique, il n’y a qu’un pas, quelquefois franchi. Le personnage homo passe à la vitesse supérieure, désire tuer sa génitrice, et se montre violent à son égard. « Ce qu’elle m’énerve, elle ! […] Envie de la gifler. Vraiment. » (Vincent Garbo par rapport à la mère d’Emmanuel, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 210) ; « Ma mère n’était pas une femme. Je la haïssais. Le mariage n’était qu’un papier pour elle. […] Je la hais, ma mère. Je ne veux pas qu’elle revienne. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 33) ; « Je ne veux pas comprendre ma mère. Elle est partie. Il faut maintenant la tuer. Mon père ne veut pas le faire. Mon petit frère ne peut pas le faire. Moi, je peux. Et je vais le faire. » (idem, p. 35) ; « Quand j’étais petit, j’avais peur de massacrer ma mère à coup d’ustensiles de cuisine. » (Vielkenstein dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Vous voyez, quand j’étais à l’Orphelinat, je disais souvent que ma mère était morte ; j’inventais même des détails. J’expliquais sa mort tantôt comme cela, tantôt comme ceci. Je ne prenais même pas la peine de bien mentir. C’est un besoin… Il fallait que je la tue… » (Tanguy s’adressant au Padre Pardo, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 206) ; « Zoé, c’est pas ta maman dans le cercueil ? » (le prof s’adressant à une élève, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont)
Par exemple, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi, Evita gifle sa propre mère. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Ziki, l’héroïne lesbienne, a carrément enfermé à clé sa propre mère (Rose) dans leur appartement, pour que celle-ci de dévoile pas son homosexualité. Dans la comédie musicale Se Dice De Mí (2010) de Stéphan Druet, Alba maltraite sa mère Zulma. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le héros homosexuel, menace sa propre mère au couteau pour qu’elle lui file 200 francs. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Noémie assomme la mère de Kévin, le héros homosexuel ; Angelo n’est pas plus tendre avec celle qu’il présente comme « sa » mère : « Lâche-moi la vieille ! […] Il faut qu’on s’occupe de la vieille folle ! » Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, se déchaîne contre sa mère, et manque de l’asphyxier par strangulation : « Je te tue, putain de ta race ! » Il ne mène pas son plan de vengeance jusqu’au bout : « C’est toujours toi ma préférée, même si tu me bats. » Quand une tierce personne s’immisce dans leur duo, le fils et la mère se disputent sans arrêt la parole : « Arrête, c’est moi qui explique ! » Et comme Steve finit par sentir le désamour de sa mère, il se taille les veines dans un supermarché : « Toi et moi, on s’aime encore, hein ? » Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui n’assume pas son homosexualité au moment où il se découvre amoureux d’une femme, Ana, fait passer son futur « mari » Antoine pour son demi-frère, pour un suicidaire parce que sa mère serait morte et qu’il se ferait suivre par un psychiatre.
Il arrive que le héros gay se donne les moyens de sa haine, et tue vraiment sa maman : « C’est de ta faute si nous mourrons de faim. […] Tu es une mauvaise reine. Je vais te manger ! » (la jeune Princesse à sa mère la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « J’espère bien faire mourir ma mère d’une syncope ! » (Micheline, le travesti, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « La jeune prostituée sortit son couteau à cran d’arrêt de son décolleté et poignarda sauvagement à la gorge la boulangère, qui se mit à râler. » (cf. la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, p. 54 ; on découvre dans l’intrigue que la prostituée est la fille de la boulangère) Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, Emilio Draconi a « étranglé sa mère pour lui voler sa pension de divorcée » (p. 71). Lors du spectacle de scène ouverte Côté Filles au troisième Festigay (2009) du Théâtre Côté Cour, Nathalie Lovighi met sa maman dans le four.
Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Mona, femme lesbienne mariée stérile, discute en terrasse avec son mari Mourad avec qui elle n’arrive pas à avoir d’enfant. « J’aimerais que ma mère disparaisse. » dit Mourad ; « C’est horrible de dire ça. C’est ta mère. C’est moi qui devrais disparaître. » lui répond sérieusement Mona. Plus tard, Mona se rend compte qu’elle a tué sa belle-mère de 83 ans en se trompant de médicamentation. Elle prend la fuite (avec son amante Marilyn) pour éviter les représailles de son mari, et l’inculpation de meurtre.
Dans les œuvres homosexuelles, on assiste souvent aux funérailles maternelles : cf. le conte Lisa-Loup et le Conteur (2003) de Mylène Farmer (avec l’enterrement de la grand-mère), le film « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré (avec la mère dans son cercueil de verre), la nouvelle Adiós Mamá (1981) de Reinaldo Arenas (avec la profanation de la mère), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec les femmes enterrées vivantes), etc. « La jolie maman est morte, enterrée depuis trois jours et le papa affolé n’a toujours pas trouvé le moyen de joindre l’adoré fiston qu’elle a réclamé jusqu’au bout. » (Vincent Garbo dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 102) ; « Je pouvais m’attendre à ce que ce jaloux me la démolisse pour m’en laisser l’image d’une gâteuse tarée folle. » (idem, p. 102) ; « J’avais cinq ans quand ma mère est morte. Il n’y avait pas de femmes dans mon entourage. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc. Dans le film « Donne-moi la main » (2008) de Pascal-Alex Vincent, Quentin et Antoine, les deux jumeaux, entreprennent un voyage vers l’Espagne pour assister à l’enterrement de leur mère. Dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011), Karine Dubernet parle au cercueil de sa maman. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Jenny, la mère de Dany (le héros homo) et d’Ody, est morte depuis dix jours. C’est Dany qui l’annonce à son grand frère : « Je l’ai trouvée sur le canapé. Elle avait bu. » Il n’en est pas du tout affecté. Ody s’en indigne : « Ta mère est morte. T’as pas de cœur ! » Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, c’est Donato, le héros homosexuel, qui a quitté son Brésil natal et abandonné sa famille sans laisser de nouvelles (il apprend même un an trop tard que sa maman, qui avait économisé pour aller le visiter en Allemagne, est morte avant d’avoir pu réaliser son rêve). Il n’est que capable de lâcher un laconique « Maman est morte » à son petit frère venu le retrouver et l’informer.
Certains membres de l’entourage du héros homosexuel lui imputent aussi la mort de sa mère alors qu’il n’a rien fait ; et ce dernier finit par intérioriser le matricide et par s’en sentir coupable (cf. je vous renvoie au code « Parricide » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « Finalement, la mort de ta mère a fait beaucoup plus de dégâts que ce qu’on peut imaginer. » (le père de Édouard à son fils homo, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, la mère de Danny, le héros homosexuel, est morte d’un cancer ; et Danny impute à son père la responsabilité de la maladie : « Tu ne comptes plus, depuis que tu as fait souffrir maman jusqu’à la tuer. » Dans le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan, Cal (interprété par James Dean) ne connaît pas sa mère biologique (« Comment était-elle ? Était-elle mauvaise ? ») et découvre qu’elle n’est pas morte, comme le lui a fait croire son père, mais qu’elle l’a abandonné à la naissance. Il cherche alors à devenir cruel comme elle et dit qu’il a hérité de « sa méchanceté ». Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, la maman de Nicolas (le héros homosexuel), s’est suicidée. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel, dit que sa première fois homosexuelle (quand il est sorti avec un homme) a impulsé la mort de sa maman : « Ça a commencé juste avant la mort de ma mère. »
b) La fausse résistance :
Comme pour détruire le cliché de la mère possessive associé à l’homosexualité, le héros homosexuel se met à prendre ses distances avec sa maman, au point de détruire tous les indices d’une probable passion entre eux : « Désirant est celui qui se détache de sa mère. » (cf. le poème « Llamado Del Deseoso » de Lezama Lima, 1942) ; « Bientôt tu oublieras ta mère ! » (Ahmed à son bébé Ali, qu’il emmène loin de sa mère, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je sais pas ce qui s’est passé. Quand j’étais petit, je l’aimais. » (Hubert dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Pierre, jusqu’à quel âge on se traîne sa mère ? » (la psy dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « J’arrive pas à couper le cordon. J’la déteste. » (idem)
C’est souvent le fait que le héros homosexuel se mette en couple homo qui enclenche fictionnellement le matricide : nous le voyons par exemple dans le film « Storm » (2009) de Joan Beveridge, le film « Benzina » (« Gasoline », 2001) de Monica Strambini, etc. Les deux événements coïncident, comme pour indiquer que le couple homosexuel est un substitut, un équivalent, et une réactualisation d’une relation fusionnelle destructrice avec la mère. Le protagoniste pense échapper au cercle vicieux de l’inceste, mais il sort d’un placard pour mieux rentrer dans un autre. Il croit en vain que le coming out tue, et que le matricide est lié à son homosexualité : « Oui, c’est moi [qui ai tué Madame Lucienne]. […] Je ne pouvais pas supporter qu’elle soit ta mère. Tout était odieux chez elle, ses mains arthritiques, son crâne à cheveux rares, son haleine pestilentielle, son chantage. Peut-être aussi parce que je suis homosexuel, c’est vrai. » (l’Auteur à la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, p. 281) Mais c’est une illusion.
Le matricide est d’abord un fantasme non-actualisé. Par exemple, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Hubert n’assassine pas vraiment sa maman. L’intitulé du film renvoie juste au titre que le héros homo donne à l’une de ses rédactions de lycéen. Mais on découvre aussi que le matricide est la métaphore de la relation incestueuse qu’Hubert entretient avec sa mère : le jeune homme souffre de ne pas avoir été le mari de sa mère, et semble avoir du mal à faire son deuil (la scène de course dans la forêt, pendant laquelle Hubert, revêtu d’un costume du marié, coure après sa maman en robe de mariée, et n’arrive pas à l’atteindre – les mains se frôlent – achèvera de nous convaincre…)
Il faut bien comprendre – même si le personnage homosexuel (et souvent son auteur !) ne font pas toujours la différence… – que la mère assassinée dont il s’agit n’est pas tellement la mère biologique que la mère symbolique, autrement dit la mère fantasmée, fictionnelle, que l’on déchire et brûle comme une image de magazine : « Il déchira l’unique photo qu’il avait de sa mère. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 157) ; « On peut, et avec mon assentiment, tenir ma Vieille pour un fruit de mon imagination, une invention de mon esprit. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme(2010) de Quentin Lamotta, p. 116) Le matricide homosexuel n’a ni la gravité du vrai meurtre (c’est d’ailleurs pour cela qu’il bénéficie souvent du traitement parodique et camp dans les arts gay) ni la banalité d’une autre type de désir ou d’orientation sexuelle.
Tout acte iconoclaste comprend la destruction ET la vénération : « Ma mère est morte quand j’avais 5 ans. Peut-être que je l’ai carrément rêvée. » (Rémi, le personnage bisexuel, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Dans ma haine pour elle, il y avait de l’amour. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 35) La mère est présentée comme une reine du Carnaval conduite au bûcher (c’est le cas par exemple dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) non seulement pour prouver qu’on la détruit, mais surtout pour démontrer, par ce mime de destruction par l’image, qu’on la vénère encore plus et qu’elle est indestructible, immortelle. Dans le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes, José, le personnage homo, avoue tous les « dégâts » que sa mère possessive a opérés sur lui… mais juste après, en la tuant lors d’une « performance artistique », il l’immortalise en œuvre d’art. Dans sa pièce Eva Perón (1970), Copi fait d’Evita une femme grossière et insolente avec sa mère, alors que paradoxalement celle-ci la domine et l’envoie faire le trottoir. Dans son poème « Abuela Oriental », Witold Gombrowicz décrit sa grand-mère à la fois comme un « monstre mythologique » et une muse merveilleuse (cf. le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry pousse un cri contre sa mère juste après lui avoir fait le salut nazi. Dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier semble s’opposer avec force à sa mère : « Tu as tort ! » Mais en réalité, il se montre faible puisque sa résistance reste uniquement verbale.
Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Kate fait tout pour créer les occasions amoureuses de rencontre entre son fils gay Hugo et le beau Patrick. « Je vous laisse vous dépatouiller avec les guirlandes… » leur dit-elle, toute excitée. Ses manigances d’entremetteuse amusent les deux tourtereaux, qui finissent par se laisser faire : « Elle est tellement douce et maternelle qu’elle met tout le monde à l’aise. » Même si parfois, l’intrusion et le voyeurisme révolte mollement Hugo, comme par exemple le moment où Kate se permet de lire les textos que ce dernier reçoit sur son téléphone, avant de s’en excuser en rigolant (« Oh pardon… ») parce que son fils s’en plaint.
c) La « froideur » de maman et sa politique du non-dit :
N.B. : Je vous renvoie également à la partie « Indifférence » du code « Parricide la bonne soupe » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
B.D. « Femme assise » de Copi
Pourquoi tant de haine anti-maternelle de la part du personnage homosexuel ?
La raison directe, c’est celle d’une frustration de tendresse, voire carrément d’une maltraitance vécue dans l’enfance. Elle ressemble à de la mauvaise foi ou à une jalousie. En effet, le héros gay reproche à sa mère sa froideur, son absence de douceur. Non pas tant qu’elle soit vraiment distante. Mais le héros homosexuel, dans ses fantasmes de fusion/rupture excessifs avec elle, voudrait tellement abolir la différence des générations, qu’il finit par reprocher à sa mère de mettre un frein à sa propre gourmandise, ou bien d’être dissociée de son corps. « Elle m’avait élevé sans me regarder. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 55) ; « À quel sein se vouer ? Qui peut prétendre nous bercer dans son ventre ? » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; « Il continuait d’aimer sa mère par-dessus tout. Elle demeurait pour lui la plus intelligente et la plus belle de toutes les femmes. Mais quelque chose lui manquait. Il aurait voulu qu’elle songeât davantage à lui. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 30) ; « Mme de Séryeuse adorait son fils, mais, veuve à 20 ans, dans sa crainte de donner à François une éducation féminine, elle avait refoulé ses élans. Une ménagère ne peut voir du pain émietté ; les caresses semblaient à Mme de Séryeuse gaspillage du cœur et capables d’appauvrir les grands sentiments. […] sa fausse chaleur […] Aussi, cette mère et ce fils, qui ne savaient rien l’un de l’autre, se lamentaient séparément. Face à face ils étaient glacés. » (Raymond Radiguet, Le Bal du Comte d’Orgel (1924), pp. 53-54) ; « Le visage de ma mère ? Je l’ai oublié. Parce que je n’avais pas le droit de me plaindre. Ce droit, aujourd’hui, je le prends. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 93) ; « À Saint Louis, on m’a battu. On m’a enfermé dans les toilettes. Je rentrais couvert de bleus. Elle ne m’a pas protégé. Elle ne m’a pas protégé ! » (Yves parlant de l’indifférence de sa mère quand il subissait des quolibets à l’école, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc. Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, par exemple, Stephen, l’héroïne lesbienne, vit les désagréments d’une gémellité trop incestueuse avec sa mère : « Ces deux êtres étaient étrangement réservés l’un vis-à-vis de l’autre. Cette réserve entre mère et enfant était presque bizarre. […] Elles tenaient quelque peu leurs distances, alors qu’elles auraient pu s’accorder parfaitement. » (p. 22)
La mère est souvent présentée comme une femme cruelle, despotique, impatiente, qui n’écoute pas : cf. le film « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera, la pièce La Casa De Bernarda Alba (La Maison de Bernarda Alba, 1936) et de Federico García Lorca, le film « Lust » (2000) de Dag Johan Haugerud, la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut (où la mère de Bill est dite « folle et autoritaire »), le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker (avec Tessa, la mère « homophobe » de Rachel l’héroïne lesbienne), etc. Dans la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti, Djalil reproche à sa mère « la dureté de son regard » : « Ma mère avait tout d’une marâtre. » Dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, Joyce, la mère lesbienne, donne des croquettes à ses enfants, les fait coucher dans des litières, et dit d’un air très pince-sans-rire qu’« elle adore les enfants » et qu’elle « en a déjà mangés 4 ». Dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, la mère d’Éric, le héros homosexuel, l’étouffe avec un coussin puis l’embrasse sur la bouche.
Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, les mères sont quasiment toutes montrées comme vénéneuses et castratrices. Par exemple, la mère de Geth, a renié son fils à cause de son homosexualité, avant de se rattraper sur la fin : « Ma mère, elle m’a rejeté. Elle est croyante. » (Geth) Maureen, la mère homophobe, est la femme qui frustre ses deux fils, et en homosexualise même un, car elle ne tient pas sa place de mère : « Tu as été mère et père pour tes garçons. » lui dit Cliff. Stephany, la lesbienne, a une mère qui fait « des insultes homophobes ». Et en ce qui concerne la mère de Joe, depuis le coming out de ce dernier, elle coupe son fils gay de toutes ses fréquentations homosexuelles, ne relaye pas les commissions qui lui sont données par celles qui viennent le voir, le cloître à la maison. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel imite sa mère s’adressant à lui en le pathologisant sur son homosexualité : « Ça doit venir de ton enfance. Ça doit être un problème psychologique. Tu ne veux pas te faire suivre ? » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Lady Sackville, la maman de l’écrivaine lesbienne Vita Sackville-West, veut empêcher la publication de l’autobiographie Challenge écrite par sa fille, et où celle-ci évoque son homosexualité et sa relation avec Violet Trefusis.
L’autre raison plus profonde expliquant l’inimitié du héros homo à l’encontre de sa mère, c’est la présence d’un secret bien gardé : cf. le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard (avec une mère qui pratique la rétention de preuves auprès de son fils anesthésié/cloné), le film « Marnie » (« Pas de printemps pour Marnie », 1964) d’Alfred Hitchcock (avec la scène finale où la mère de Marnie raconte la cause des névroses de sa fille), le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar (c’est d’ailleurs juste après qu’Esteban demande à sa mère Manuela de lui révéler le secret de sa conception et d’arrêter de jouer l’autruche, qu’il va mourir), le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le film « Mamá No Me Lo Dijo » (2003) de Maria Galindo, la chanson « Petits Secrets » de Christophe Moulin, la chanson « Nos Mères » des Valentins, etc. Le héros homosexuel reproche à sa mère de ne pas lui avoir assez parlé, et surtout de lui cacher quelque chose : « Frapper à cette porte pour ressusciter la voix de la mère. Imaginer qu’elle allait enfin se réveiller. Enfin répondre. Parler au petit frère […] qui, chaque soir, voulait qu’on recommençât le jeu : ‘Adi, tu me serres très fort dans tes bras ?’ […] La perte de la mère était absolue. » (Adrien dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, pp. 41-42) ; « Mais mon secret, pendant toutes ces années de mon adolescence où j’avais été incapable d’en parler, l’avait-elle deviné ? Je ne lui avais jamais parlé de ces choses-là […].Si elle avait encore vécu, est-ce que j’aurais pu prendre le téléphone, là, tout de suite, l’appeler, lui dire je meurs de douleur, maman, je voudrais pleurer mais rien ne sort, rien ne sort, viens m’aider ? » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 19) ; « Tu vois, tu possèdes nos souvenirs et tu ne nous les rends qu’au compte-gouttes. » (Jasmine à sa mère, dans la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti) ; « C’est si difficile pour toi de dire ?… de dire ? […] Le silence… toujours le silence ! » (Djalil à sa mère, idem) ; « C’est un secret qui paraîtra peut-être dérisoire et qui, pour moi, est énorme. Cette énormité m’a réduite au silence. Mais aujourd’hui, j’ai besoin de hurler ce secret. Comprenez-vous que je suis écrasée par le regret de n’avoir rien avoué à mon fils qui m’implorait de parler et que, si je ne veux pas que ce regret me rende folle, il me faut au moins dire une fois ce que j’ai caché pendant toutes ces années ? » (la mère d’Arthur dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 193) ; « J’ai moi-même un secret… qui devrait pas être un secret. » (Marina, la mère de Fred, dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « Le silence de sa mère fut le malheur qui laissait supposer que ce grand frère avait sur lui tous les droits. […] Ednar souffrait en silence ; personne ne décelait son mal-être, même pas Adesse, la mère aimante proche de son petit poète. » (Ednar, le héros homosexuel, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 15-16) ; « Ta mère, elle sait aussi que tu fumes ? Ce sera notre petit secret, alors… » (la maman de Nathan, s’adressant à Jonas l’amant de son fils, et parlant de cigarettes comme elle parle d’homosexualité, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc. Par exemple, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, dans le bus, dit un secret à l’oreille de sa mère qui la fait pleurer et la rend incapable de retenir son fils.
On découvre que ce secret de Polichinelle de la maman est en fait l’existence d’un viol : soit le viol qu’elle a subi ou que son fils homo a subi, soit un viol que la mère a perpétré sur son fils. Dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, la maman avoue à son fils homo (avec une voix parodique à la « Star Wars ») qu’en réalité, il a subi une opération pour devenir une femme (« Fred, je suis ton père. »), qu’il a été émasculé.
Le héros homosexuel veut parfois se venger d’une maltraitance maternelle, d’une mère démissionnaire et mal-aimante qui l’a véritablement violé puis abandonné : « T’es toujours là derrière moi ! […] Pourquoi t’es toujours là, dans mes jambes ? […] J’aurais mieux fait de t’étrangler. » (Barbara à son fils Abram, dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; « Je n’aime pas ma mère. Elle m’enfermait dans un placard. » (Jean-Hugues le journaliste, dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Ta maman t’a trop fessé. » (cf. la chanson « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer)
Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Glass, la maman de Phil le héros homosexuel, ne supporte pas de se faire appeler « Mum » par ses propres enfants. C’est l’archétype de la maman démissionnaire, qui enchaîne les amants sans trop se soucier de ses enfants. D’ailleurs, à la fin, Phil la rebaptise ironiquement « mère indigne ». Dianne, la soeur jumelle de Phil, a fini par empoisonner Glass et la faire avorter pour se venger du fait que celle-ci enchaînait et congédiait les amants les uns après les autres, même les sympas comme Kyle. Glass cache à ses deux enfants, fruits d’un viol (elle a été mise enceinte à 16 ans aux États-Unis et est revenue vivre en Allemagne avec eux), l’identité de leur vrai père. Phil raconte le vide existentiel qu’il expérimente du fait de ne pas connaître son père biologique : « Une femme avec deux enfants et pas de mari, ça faisait tache ici. Mais on gérait, même sans homme à la maison. Les copains nous interrogeaient sur notre père. Alors on demandait à Glass, qui disait un truc du genre ‘Un marin en voyage’. Ou bien ‘Un cow-boy dans un ranch’. Et plus tard, quand on ne gobait plus tout ça, ‘Je vous le dirai quand vous serez prêts’. Un jour, on a arrêté de demander, vu que ça ne servait à rien. Et aujourd’hui ? C’est normal de ne rien savoir sur notre père, le mystérieux numéro 3 de la liste. Pour moi, ça restait un vide étrange. Un trou noir. Comme si le vide en moi prenait des couleurs. » À l’âge de 17 ans, Phil continue son enquête, mais sa mère résiste encore et toujours à lâcher le morceau : « Phil, c’est pas le moment. » Il se révolte : « Pourquoi tu ne nous en as jamais parlé ? » Sa mère répond : « Parce que c’était plus facile. S’il y avait toujours une réponse simple pour tout… » À la fin du film, elle finit par susurrer à l’oreille de Phil le nom de son père, au moment où il prend le train pour les États-Unis.
La mère, selon le héros homosexuel, mérite le matricide pour la simple raison qu’elle est coupable de non-assistance à personne en danger : elle connaît le viol (ou le fantasme de viol qu’est le désir homosexuel), et pourtant, elle fait semblant que tout va bien, elle fait passer son indifférence pour du « respect » et de la « tolérance », elle se comporte en homophobe. « J’me fiche de ce que vous pouvez être. » (Amalia par rapport à l’homosexualité de Saint-Loup, dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; « Tu m’as menti toute ma vie. » (Alicia à sa mère dans le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio) ; « Ne me dis pas que tu as attrapé le cancer gay ! » (la Mère s’adressant à « L. » sa fille transgenre M to F dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Au final, ce qui me fait le plus mal, c’est pas les coups. C’est toi. » (Barthélémy Vallorta, le héros homo, à sa mère Flore, dans l’épisode 441 de la série Demain Nous Appartient diffusé sur TF1 le 12 avril 2019) ; etc. Dans le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg, par exemple, la maman de Christian sait que son mari a violé leurs enfants, et elle n’en a rien dit. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, la mère de Franz, le héros homosexuel, se fout de la mort de son fils quand elle apprend par téléphone qu’il est mortellement empoisonné. Le héros homosexuel ne supporte pas sa politique du non-dit. Dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le héros gay reproche à sa mère son relativisme concernant son coming out (« Claque-moi ! » lui ordonne-t-il), son calme ou amusement politiquement correct, son indifférence, son silence. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, la méchante mère de Romeo, le héros gay, veut le caser absolument avec une femme et contrôler sa vie en reniant son homosexualité. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, suite au coming out de son fils Antonio, Stefania regarde passivement son fils dans l’encoignure de la porte de sa chambre : son visage est coupée en deux par l’ombre, et son œil scrute passivement Antonio faire ses affaires parce qu’il a été viré de la maison familiale par le père.
d) Le maman (biologique ou symbolique) de l’homosexuel se prostitue, ou est présentée comme une putain :
Parce qu’elle est trop idéalisée/jalousée, et aussi parce qu’elle a bien dû tromper génitalement son fils (au moins pour l’avoir !), le héros gay traite sa mère de putain : « La vierge devient pute. » (le personnage de « X » dans le film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka) Elle est vue comme une « collabo » du père : « Meurtrière maman ! » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 25) ; « Notre fautive de mère, c’est elle la traîtresse […] » (idem, p. 27) ; « Maman sera toujours une mauvaise fée… Quand j’étais une enfant elle me traînait implorer dans la cafardeuse chapelle de notre manoir le pardon pour avoir osé naître d’un papa si laid… Un gros ivrogne au nez de clown avec des rêves plein le ventre, tel devint mon papa loin de tous ses amis sous le toit de ma mère… » (la voix narrative d’une nouvelle d’un ami angevin écrite en 2003, p. 59) ; « Maman, elle était pas plus religieuse que moi ! » (Carmen dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Ta mère est une alcoolique. » (la mère d’Howard, le héros homo, s’adressant à une petite demoiselle d’honneur, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; etc.
La figure maternelle est associée à la prostitution. On retrouve la mère-prostituée dans énormément de productions artistiques traitant d’homosexualité : cf. le film « Mutti (Maman se la pète) » (2003) de Biggy Van Blond, le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, la chanson « Manchester » de Ricky (qui s’offre aux camionneurs) dans le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon, le film « Le bon fils » (2001) d’Irène Jouannet, le one-man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set, le film « Burlesk King » (1999) de Mel Chionglo, le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, le film « Salò ou les 120 journées de Sodome » (1975) de Pier Paolo Pasolini (avec les quatre divas maquerelles), le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz (avec Loretta), le film « Aprimi Il Cuore » (2002) de Giada Colagrande, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, le film « Jeune et Jolie » (2013) de François Ozon, etc. Par exemple, dans le film « Little Gay Boy, Christ Is Dead » (2012) d’Antony Hickling, Jean-Christophe vit avec sa mère, une prostituée anglaise, à Paris, et ils prennent leur bain ensemble. Dans le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, la mère de Nicolas (le héros homosexuel), est une séduisante femme-objet fatale surnommée « Désirée », portant un manteau de fourrure, un peu pute et aguicheuse. Dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, la maman d’Arthur, le héros homo, s’est prostituée et l’a eu ainsi. Dans le roman Hawa (2011) de Mohamed Leftah, Zapata et Hawa, jumeaux à la passion incestueuse, sont les fruits de la rencontre d’un soldat américain et d’une prostituée. Dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan entraîne sa maman dans le milieu homo, et la fait rentrer dans une backroom où visiblement elle est possédée par le diable : « Elle nous rejoue la scène de l’Exorcisme dans la backroom. » Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, la mère de Nathan, le héros homosexuel, est une femme-enfant instable, qui se réjouit de l’homosexualité précoce de son fils adolescent, qui fume comme un pompier, et qui finalement divorce d’avec son mari.
La mère est carrément traitée de « pute » par le héros homosexuel (une pute de luxe, certes, mais une pute quand même !) : « Maman, je te hais ! Tu es vulgaire ! […] Maman, je te tue ! Je te tue et je te mets dans le frigidaire ! » (« L. » à sa mère, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Toutes des salopes… même ma mère. » (l’homme dans la pièce Tu m’aimes comment ? (2009) de Sophie Cadalen) ; « La salope… la salope… » (Malik en parlant de sa mère Sara, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « Toutes des putes ! Même maman ! » (Gwendoline, le travesti M to F du one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) de David Forgit) ; « Ta mère suce des bites en enfer. » (Jarry dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Ma mère était une pute. Elle était née pute. Une pute royale. Une pute qui symbolisait la femme de ce pays, le Maroc. Un sexe-symbole. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 56) ; « Quatre ans plus tard, je ne comprenais toujours rien à cette femme. Mais je voyais ses actes. J’assistais à ses trahisons. Je l’aidais, même. Je voyais les hommes qui passaient à la maison en plein jour quand mon père était au travail. Ils venaient de loin pour elle. Je les entendais faire du sexe. Elle n’avait pas honte. Elle m’avait depuis longtemps bien domestiqué. » (idem, p. 35) ; « Elle faisait vraiment vieille pute, dans son peignoir à fleurs. Peut-être était-elle réellement une pute, d’ailleurs. » (Corinne dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 226) ; « Qu’est-ce que tu es salope ! » (Evita à sa mère dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Ta mère est une pute ! » (Venceslao à Rogelio dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Une pute… comme ta mère. » (Pancho à son amant Clark, dans la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès) ; « Fille de pute ! » (la mère d’Evita insultant sa propre fille, et donc s’insultant elle-même pour le coup, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Tu sais ce que tu es pour moi ?!? Une sale petite putain ! » (Petra, l’héroïne lesbienne, à sa mère, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972), de Rainer Werner Fassbinder) ; « Le drame féminin : pute ou mère, fallait choisir. » (Florence, la lesbienne, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Peter était fiancé à cette conne de Loraine, dont la mère était une vraie salope. » (Emory, l’amoureux homosexuel jaloux, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « L’enfant de catin ! » (Benjamin s’adressant à son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.
Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, la maman de Jeanne exerce le « métier » de prostituée. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa), Glass, la mère de Phil le héros homo, conduit une voiture où elle a tagué en gros « BITCH » (« pute » en anglais). Dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011), Karine Dubernet, en s’adressant à sa mère, la décrit comme une putain : elle ne supporte pas « ce bleu-pute qu’elle se met sur les yeux ». Dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Suzanne, la maman du héros homo, est la femme adultère : elle n’arrête pas de tromper son mari (avec des ouvriers, avec des camionneurs). Dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, la mère de Dzav est prostituée dans le Bois de Boulogne. Dans le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen, la mère de Patrick est décrite comme une « vieille pute défoncée ». Dans la pièce La Cage aux folles (1973) de Jean Poiret (version 2009, avec Christian Clavier et Didier Bourdon), Simone, la maman de Laurent est danseuse au Crazy Horse. Dans le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, la mère de Camille est assaillie et violée par une armée de samouraïs. Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Léo, le croque-mort homosexuel, fait un jeu de mots : il dit que la mère de Riton est en phase de « pute-réfaction ». Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane, la mère de Steve (le héros homosexuel), est une junky, vulgaire, alcoolique. Son fils l’insulte régulièrement : « Putain de ta race ! » ; « Sale pute de truie ! » ; « Tu m’as coupé, sale pute ! ». Dans son one-woman-show Chaton violents (2015), Océane Rose-Marie dit qu’avec sa compagne, elles auraient été capables de tout pour avoir leurs chatons Froustinette et Craquinette : « On aurait vendu nos mères dans un réseau de prostitution pour s’offrir Craquinette. ». Dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux, Géraldine idéalise la grande tante Lucie : « Sa tante Lucie est restée vierge. » avant de découvrir la vérité : « Cette salope… Elle a couché avec son fils. Moi qui la croyais vierge ! »
B.D. « Femme assise » de Copi
Souvent dans les fictions homo-érotiques, la relation mère-fille est de type prostitutif, c’est-à-dire que l’une est la maquerelle de l’autre ; elles s’échangent les rôles, comme des reflets spéculaires : « J’ai besoin d’argent pour payer mon gigolo ! […] Je t’en prie, mon chéri, juste un petit chèque pour finir de payer les traites de mon gigolo ! »(la mère à « L. », dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « C’est fini, je ne te file plus de sous ! » (« L. » à sa mère, idem) Dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi, c’est la maman qui envoie sa fille Irina faire le tapin. Dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1999) de Pedro Almodóvar, Esteban demande à sa mère si elle serait capable de se prostituer pour lui afin de le sustenter : celle-ci lui répond positivement.
Le motif du viol de la mère traduit également le désir incestueux de rejoindre le ventre de la mère par tous les moyens, pour forcer le passage du vagin dans le sens inverse du jour de la naissance (cf. je vous renvoie aux codes « Lune » et « Inceste » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Parce que je n’ai pas pu remonter tout seul à la matrice. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg)
Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, la figure maternelle est vulgarisée, violée et assassinée, comme si les personnages lesbiens étaient frustrés de ne pas pouvoir anatomiquement la pénétrer et la faire totalement jouir : en effet, Greta, la femme du Docteur Mann et la mère d’Anna (13 ans), est une ancienne prostituée qui a finit par se ranger dans une vie de femme mariée, et qui a été tuée par son mari, puis cachée dans un plancher d’un immeuble fantomatique. « C’était une prostituée, comme moi, elle a épousé un médecin, comme Julia Roberts dans Pretty Woman. » (Maria, la prostituée, p. 163) ; « Jane [la narratrice lesbienne] pensait avoir rêvé de Greta, la mère d’Anna, qui reposait sous le plancher du deuxième étage, mais dans son rêve Greta se mélangait avec des putes d’Alban et la fille assassinée du film ; la façon dont ses yeux s’étaient écarquillés quand le couteau s’était enfoncé. » (p. 79) ; etc. Ce sont tous les personnages qui expriment leurs pulsions matricides, même si elles sont saturées d’adoration, de mimétisme (Anna se comporte en prostituée aussi), et de pseudo pardon-oubli : « Je la trouvais méchante, ma mère était une femme méchante, mais je ne lui en ai jamais voulu. » (Frau Becker, p. 213)
C’est à travers une relation amoureuse homosexuelle que le personnage homosexuel reporte, en général, son désir incestueux de fusion matricide. Par exemple, dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Micke, le héros gay, se voit coucher avec sa propre mère au moment de devoir satisfaire sa cliente Alena, la femme bourgeoise qui loue les services d’un cercle de prostitués. C’est la même chose avec Rachel, l’héroïne lesbienne du film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, qui se surprend à coucher avec sa propre mère alors qu’elle faisait initialement l’amour à sa copine. On est même surpris d’entendre les amants homos fictionnels se traiter parfois de « mère-pute » entre eux : « Maman, baise ta putain ! » (Yali à son copain qui est en train de le sodomiser, dans le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox) Voilà une belle illustration du lien de coïncidence entre matricide et amour homosexuel !
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Certaines personnes homosexuelles haïssent leur mère (qu’elles adorent pourtant !), et se décident à la détruire :
Certaines personnes homosexuelles – et notamment beaucoup de femmes lesbiennes – ont une relation conflictuelle avec leur mère biologique : c’est le cas de Marguerite Radclyffe Hall, Annemarie Schwarzenbach, Colette, Violette Leduc, Cathy Bernheim, Federico García Lorca, Paul Verlaine, etc. « J’avais souffert d’abus dans mon enfance, de harcèlement scolaire, je n’avais pas une très bonne relation avec ma mère. » (Christine Bakke, ex-ex-lesbienne, interviewée à Denver, dans le Colorado, fin 2018, dans l’essai Dieu est amour (2019) de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, Éd. Flammarion, Paris, p. 79). En général, elles la trouvent trop faible, et se mettent parfois à la battre comme leur père la batt(r)ait. Charles Double, par exemple, a tué sa mère. Avec le poète français Paul Verlaine, on a frôlé le matricide ! : « Rentré à cinq heures du matin, armé d’une sabre et d’un poignard, Verlaine menace de tuer sa mère ! Désarmé, il essaie alors d’étrangler la malheureuse. » (Michael Pakenham, « Scènes familiales », dans Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 28) Nous avons d’autres exemples moins spectaculaires, mais tout de même violents : Stephen Sondheim déteste sa mère et l’accuse dans sa biographie (écrite par Merlyle Secrest) de l’avoir torturé émotionnellement ; Hart Crane, quant à lui, dit que sa mère l’a utilisé contre son père ; les rapports entre Renée Vivien et sa mère sont particulièrement tendus (la seconde a d’ailleurs essayé d’enfermer sa fille lesbienne dans un institut psychiatrique) ; les romans et essais Le Côté de Guermantes (1921) et les Carnets de Marcel Proust évoquent la profanation de la mère.
Autobiographie Personne n’est parfait, maman! de Thomas Sayofet
La relation mère/fils entre le chanteur homo Charles Trénet et sa maman a toujours été un « Je t’aime / moi non plus » incessant : « Inséparables ; irréconciliables : les batailles entre eux étaient terribles. » (Serge Hureau dans le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata). D’ailleurs, dans sa chanson « La Folle complainte » (1969), Trénet chante : « J’n’ai pas aimé ma mère. »
Par ailleurs, certaines personnes homosexuelles, envoyant leur mère malade, dépressive ou décédée, croient l’avoir tuée : par exemple la mère d’Allen Ginsberg s’est suicidée (cf. je vous renvoie au code « Parricide » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).
Il suffit d’entendre un certain nombre de personnes homosexuelles parler de leur maman pour comprendre qu’il y a entre eux un rapport passionnel peu pacifié : « La mère d’un fils ne sera jamais son amie. » (Jean Cocteau, cité par la prof de français de Hubert, Mme Cloutier, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) Certains sujets homosexuels tirent un portrait plutôt monstrueux et grotesque à leur « vieille » : « Ma mère pleurait de désespoir, dans son grand manteau de fourrure qui faisait d’elle une espèce d’ours sinistre : une grosse boule de poil en larmes qui me rendait encore plus cafardeux. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 193) ; « J’ai eu une enfance heureuse avec une mère qui me surprotégeait en dévalorisant à mes yeux mon père, un père présent/absent qui n’a jamais été un pilier exemplaire. La mère a joué le rôle du père, je me rappelle que j’ai dit à ma mère que je voulais lui faire l’amour vers les 4 ans et elle a rigolé et ça m’a blessé comme si elle m’avait rejeté dans ma sexualité, castré. » (cf. le mail d’un ami, Pierre-Adrien, 30 ans, en juin 2014) ; « L’année de mes 15 ans a été la pire année de ma vie : j’étais en rébellion avec ma mère, et savais déjà que j’étais homo. » (Philip Bockman, vétéran gay, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; « J’étais un garçon manqué. Et cette absence de conformité contrariait beaucoup ma mère. » (Karla Jay, vétérane lesbienne, idem) ; etc.
Le matricide reste en général une destruction iconographique, une lettre morte, un simple cauchemar, ou une fantaisie non-actualisée. Par exemple, dans le film biographique « Enfances » (2007) de Yann Le Gal, on nous dévoile qu’Alfred Hitchcock, étant petit, a vu en rêve sa mère morte et assassinée.
Cela dit, aussi exagéré que cela puisse paraître, le ressentiment méprisant que le sujet homosexuel accumule au fil des ans à l’égard de sa mère peut lui donner des envies de meurtre : « Je me sens sadique, comme elle l’était autrefois à mon égard. Elle me hait encore. » (Annie Ernaux, Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), p. 54) ; « Elle me pousse aussi vers la mort. » (idem, p. 77) ; « Effrayant de constater combien ma mère a toujours été figure de la mort pour moi. » (idem, p. 80) ; « Cette violence me renvoie à celle qu’elle avait à l’égard de tout, de moi. Elle me fait horreur, à nouveau, l’image de la ‘mauvaise mère’, brutale, inflexible. » (idem, p. 88) ; « Comment ai-je pu oublier qu’elle m’a appelée jusqu’à 16 ans sa ‘poupée blanche’ ? » (idem, p. 93)
La mère est jugée trop insupportablement gentille : « Les plus lamentables victimes sont celles de l’adulation. Pour détester ce qui vous flatte, quelle force de caractère ne faut-il pas ? Que de parents j’ai vus (la mère surtout), se plaire à reconnaître chez leurs enfants, encourager chez eux, les répugnances les plus niaises, leurs partis pris les plus injustes, leurs incompréhensions, leurs phobies… À table : ‘Laisse donc ça ; tu vois bien que c’est du gras. Enlève la peau. Ça n’est pas assez cuit…’ ‘Couvre-toi vite’. » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), p. 132) ; « Elle avait une façon de m’aimer qui parfois me faisait la haïr et me mettait les nerfs à vif. » (André Gide concernant sa mère, dans le documentaire « Avec André Gide » (1952) de Marc Allégret) Dans son roman autobiographique Parloir (2002), Christian Giudicelli évoque « les mères et leur affection délirante » (p. 81), sans écarter la sienne du tableau : « Souvent j’ai refusé de telles propositions, de crainte d’étouffer par son dévouement. Ma mère rêvait de l’époque où elle me berçait dans ses bras. Elle devait même rêver d’une période plus ancienne, celle où elle me gardait dans son ventre, au chaud, loin du monde, loin des autres qui me raviraient à elle. […] Pourtant, de temps en temps, j’avais besoin qu’elle me murmure à l’oreille ce ‘mon chéri’ dont personne ne trouvera l’intonation désespérément tendre. »
« J’accuse aujourd’hui ma mère d’avoir fait de moi le monstre que je suis et de n’avoir pas su me retenir au bord de mon premier péché. Tout enfant, elle me considère comme une petite fille et me préfère à ma sœur, morte aujourd’hui. De mon père, j’ai le souvenir lointain d’un officier pâle, doux, presque timide, perpétuellement en butte aux sarcasmes de son épouse. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 75) ; « Au départ de presque toutes ces lamentables existences, il y a les mères. Les petites vies étriquées de ces êtres qui vivent à deux ou se contentent des sordides aventures d’urinoirs sont les résultats de la bonne éducation, les fruits de leçons trop bien suivies sur la crainte du péché, les dangers de la femme, tout ce qui fait la honte d’une religion mal comprise. Cette haine de la femme et cet excessif attachement à la mère, je les ai connus et je sais qu’ils peuvent, par instants, atteindre à la véritable névrose. Encore aujourd’hui, je ne suis pas tout à fait habitué à l’absence de ma mère et, lorsque je suis loin d’elle, je cherche à la joindre par téléphone et lui écrits tous les jours. C’est elle, cependant, qui est en grande partie responsable de mon état misérable, par la façon dont elle m’a obligé à vivre constamment dans son sillage. » (idem, p. 104) ; « L’opinion que je me suis formée sur les femmes, je la dois selon moi, à ma mère : elle avait un caractère si malheureux que j’en suis arrivé maintes fois à me dire que mon angoisse vient de la crainte de tomber sur une femme semblable à elle. » (idem, p. 104) ; « Durant ce temps, ma mère ne cesse de tisser autour de ma vie d’enfant un véritable cocon de tendresse mais se garde bien de m’élever en garçon. […] Je n’avais aucune pensée sexuelle à l’égard de l’autre sexe car, pour moi, un être féminin était neutre et je n’aurais su que faire avec lui ; toute femme, pour moi, à cette époque, était une mère. Je surpris néanmoins, un soir, à la campagne, une jeune fille qui se baignait dans un ruisseau, n’ayant pour tout vêtement que sa chemise. Je n’eus pas le courage de regarder bien longtemps et je m’enfuis chez moi pour conter, en toute sincérité mon aventure… à ma mère. C’était la première fois, au cours de mes douze années d’existence, qu’il m’avait été donné d’approcher une femme inconnue… surtout dans une tenue aussi sommaire. Ma mère me fit la morale et brossa pour moi un tel tableau physique et moral des femmes que je n’en dormis pas de la nuit : la femme, la jeune fille… êtres abjects, lâches, sans hygiène ; la nudité… quelle horreur !… surtout chez la femme, cet être perpétuellement maudit… C’est ainsi que, par suite des extraordinaires révélations de ma mère, le sexe féminin me fut à jamais interdit alors que cette même occasion aurait pu doucement me le révéler… […] Tout en me chérissant, ma mère me présentait les relations avec l’autre sexe comme un mal immoral. […] Hormis ma mère, la bonne et la cuisinière, je ne voyais jamais de femmes… et encore moins de petites filles. […] Si, dans une famille, la mère est la plus forte, les enfants se disent alors : ‘Je voudrais être une femme, pour dominer et conquérir avec ces mêmes armes.’ » (idem, pp. 76-78) ; « Depuis des années, la vie en commun avec ma mère ne me laissait ni temps ni repos et je me sentais comme enchaîné. J’avais en effet pris peu à peu conscience de l’influence que ma mère exerçait sur moi. » (idem, p. 111)
Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, on découvre que la Reine Christine, pseudo « lesbienne », a été méprisée par sa mère dès sa naissance : « Tu nais, coiffée de la tête jusqu’aux genoux, toute velue. Ta mère te trouve repoussante. » (Christine se parlant à elle-même à la deuxième personne) Sa génitrice n’a pas hésité à la battre physiquement. Plus tard, à l’âge adulte, Christine fera une croix sur sa maternité et refusera de se marier et d’avoir des enfants. Elle se comporte avec sa mère comme une despote : « Ce n’est pas une lettre d’une fille à sa mère, mai plutôt celle d’une souveraine à sa sujette. » (la biographe Marie-Louise Rodén parlant de Christine, idem)
Après s’être laissé flatter/maltraiter dans l’infantilisation et l’instrumentalisation, l’adulte homosexuel a bien l’intention de ne plus laisser sa mère régenter sa vie à sa place. Bien sûr, il n’aura pas la folie de prendre un couteau ni un révolver, ni de couper radicalement les ponts avec maman. Mais la méthode douce du matricide, c’est de se choisir une vie de couple homosexuel et de se réfugier dans l’identité homosexuelle.
Dans l’article « El Teorema Del Agujero » de l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, Arturo Arnalte raconte qu’il s’est emporté avec rage au moment où son psychologue lui a fait remarquer que son homosexualité pouvait venir de la haine qu’il voue à sa mère (p. 137). Et pourtant, la thèse de la jalousie envers la mère comme source d’homosexualité, au vu de ce que je vous ai montré plus haut, n’est pas si farfelue. Encore faut-il avoir l’humilité de reconnaître en soi ses propres fantasmes matricides inavoués… « L’homme-bébé est malade d’une symbiose infernale. Il se sent un néant, une loque sans identité, dévoré par une mère toute-puissante et des femmes bourreaux. […] Faute de pouvoir la tuer, il la fétichise, prend une partie d’elle et rejette la femme tout entière. » (Élisabeth Badinter, X Y de l’Identité masculine (1992), pp. 95-96) ; « Mes expériences m’ont appris, de façon toujours renouvelée, que lors de l’attitude œdipienne négative les garçons ne font pas que haïr leur mère, mais qu’ils sont envieux et jaloux de son rôle auprès du père. […] Les hommes sont jaloux d’une rivale dans tous les cas où des motions homosexuelles latentes ou manifestes apparaissent en eux. » (Félix Boehm, « Le Complexe de féminité chez l’homme », Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 435) ; « La féminité outrancière d’une catégorie d’homosexuels – ceux qui se désignent eux-mêmes comme folles – met en scène la figure enviée mais détestée de la mère. » (Michel Schneider, Big Mother (2002), p. 247)
b) La fausse résistance :
Beaucoup de personnes homosexuelles ne se sentent pas matricides ni haineuses de leur génitrice – alors que pourtant c’est le cas – puisqu’elles s’identifient quand même à la mère (réelle ou cinématographique) qu’elles ont tuée (symboliquement ou concrètement). Par exemple, lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris le 7 décembre 2011), de Darren Rosenblum et son copain ont obtenu une fille par GPA (Gestation Pour Autrui) en payant une mère porteuse 5000 dollars pour l’exploiter ; on entend Darren dire que pendant la gestation, « il se sentait enceinte ». Il fait de l’identité de mère un « rôle » qui peut être porté par un homme : « Je trouve que ces rôles de père ou de mère ne sont pas essentiels. Si dans une famille un homme veut être la mère, il doit pouvoir le faire. »
Lezama Lima
Entre le fils homosexuel et sa mère, c’est « Je t’aime/Moi non plus » ; autrement dit un rapport idolâtre orageux, et peut-être même meurtrier, fantasmatiquement parlant. « J’adore ma mère et je suis peut-être injuste avec elle, mais j’avais envie de lui dire : et toi, maman, ne m’as-tu pas empêché de trouver mon propre bonheur ? » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 97) ; « S’il a adoré sa mère, peut-être l’a-t-il aussi parfois haïe, car Proust, comme l’écrit Péchenard, s’est toujours servi de l’image de la mère profanée plutôt que vénérée pour colorer ses grands chagrins et ses petites misères. » (Christian Péchenard, Proust et Céleste, cité par Diane de Margerie, « Sainte Céleste », dans Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 44)
Jean Sénac avait une mère très possessive qu’il vénérait autant qu’il fuyait : « Je ne peux pas vivre avec elle. Elle me dévore. » (Jean Sénac dans le documentaire « Jean Sénac, le Forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika) Dans les peintures d’Andy Warhol, la mère de l’artiste est portraiturée comme une personne horrible… et pourtant, son fils l’adorait ! Michel Bellin aime tout autant qu’il méprise sa « mère toxique » (terme qu’il a utilisé lors de sa séance de dédicace pour la sortie de son livre Impotens Deus à la Librairie Bluebook, le 19 janvier 2007). Le rappeur gay Monis oscille entre fusion et rupture avec sa mère, à la vie comme à la scène : « Je t’aime maman. Je te hais. » Dans sa biographie sur Jean Genet, Jean-Paul Sartre évoque le jeu de yoyo mortifère qui se joue perpétuellement entre la mère biologique (absente) et le fils homo : « Cette mère inconnue, il l’adore et la hait. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 16) La romancière bisexuelle Lucía Etxebarría parle d’un « amour-haine » à l’égard de sa mère.
Le fils homosexuel et sa mère forment parfois un duo androgynique violent : « Cette sensation effarante de l’avoir toujours sur mon dos. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 88) ; « Elle occupait toute la place, elle faisait écran entre moi et le reste du monde, et elle m’avait brisé depuis le début. […] Je ne comptais pas pour elle ou peut-être que je comptais beaucoup. » (idem, p. 89) ; « La méchante et moi nous étions liés comme des drogués, nous n’avions rien à raconter à personne ; notre stupéfiant, la violence, nous avait enfoncés trop tôt, trop loin, il était impossible d’en sortir. On connaît désormais par cœur ces récits où l’enfant se tait parce qu’il en est arrivé au point où il pense qu’il mérite ce que le bourreau lui inflige et où le bourreau y trouve une excellente raison pour continuer. Une vie stable en somme. » (idem, p. 92) ; « Apparemment j’étais une sorte de merveille de petit garçon. » (idem, p. 92) ; « On ne casse pas si facilement une telle complicité. » (idem, p. 93) ; « Nous n’étions plus à un mensonge près dans notre expérience clandestine. » (idem, p. 93)
Une manière de détruire la femme tout en l’immortalisant par cette même destruction, c’est de créer une caricature de femme-androgyne, à la fois hyper-féminine et hyper-masculine, un personnage de prostituée extrêmement vulgaire et machiste, appartenant aux trois générations de femmes : l’adolescente (ou la fillette), sa mère et sa grand-mère. On observe cette déclinaison générationnelle du concentré machiste de féminité violente dans beaucoup de spectacles d’hommes travestis (et parfois de femmes) : Charlène Duval, David Forgit (avec son one Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) : trois schizophrénies en une prostituée = la grand-mère Mémé Huguette + la fille Gwendoline + la mère qui occupe le centre du trio), Copi, Jean-Philippe Set, Yvette Leglaire, Karine Dubernet, Denis d’Arcangelo, David Sauvage, etc. Je pense aux pièces de Copi. Chez lui, la relation mère/fille est prostitutive : ni l’une ni l’autre ne sont réellement des femmes ou des mères, mais le dramaturge s’amuse à materniser et à filialiser la prostitution masculine. Tantôt la mère envoie sa fille se prostituer avec des hommes, tantôt c’est la fille qui joue la mère-maquerelle avec sa maman. Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983), mère et fille sont deux putains discutant dans leur salon de thé : « Veux-tu une tasse de thé ? » demande « L. » ; « Avec un nuage de sperme, comme d’habitude. » lui répond sa mère, le plus naturellement du monde. Cette dernière supplie sa fille de l’entretenir : « J’ai besoin d’argent pour payer mon gigolo ! […]Je t’en prie, mon chéri, juste un petit chèque pour finir de payer les traites de mon gigolo ! » et sa fille de couper court au caprice maternel : « C’est fini, je ne te file plus de sous ! »
De tous les one-man-shows que j’ai pu voir, les comédiens travestis associant la maternité à la prostitution sont en général les plus drôles, les plus lucides sur la violence de la pratique homosexuelle et des mirages de l’amour du semblable. Ce sont aussi ceux qui ont le plus de comptes à régler avec leur propre mère, avec leurs déboires amoureux et leur vie intime amoureuse compliquée, voire avec un viol réel.
c) La « froideur » de maman et sa politique du non-dit :
N.B. : Je vous renvoie également à la partie « Indifférence » du code « Parricide la bonne soupe » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
Le premier grand reproche que font les personnes homosexuelles à leur mère biologique/cinématographique, c’est d’être trop proche d’elles ET trop lointaine. En somme, elles se plaignent d’une idolâtrie, ce phénomène d’attraction-répulsion ou de fusion-rupture, avec l’objet de désir (en termes psychanalytiques, elles souffrent inconsciemment de « cette régression conduisant à la fusion avec une mère primitive. », Robert J. Stoller, « Faits et hypothèses », Bisexualité et Différence des sexes (1973), p. 219) : « Je ne suis pas, ou très peu, la fille de ma mère et c’est elle qui a voulu qu’il en soit ainsi. J’ai grandi en m’opposant à elle. […] C’est elle qui m’a rejetée avec une vigueur que j’ai vécue en son temps comme une violence. Elle a eu peur de ce qu’elle pouvait me transmettre de cela, je l’ai très mal vécu. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 23) ; « Il ne faut pas oublier que non seulement j’ai assassiné mon frère, mais que j’ai failli tuer ma mère et que j’ai ôté tout espoir à mes parents d’avoir un enfant selon leur cœur. » (Paula, qui à sa naissance, a failli faire mourir sa mère pendant l’accouchement, idem, p. 30) ; « Je me suis résignée à l’absence d’amour maternel vers sept ou huit ans, j’ai tourné définitivement la page et je suis allée chercher ailleurs ce que je ne trouvais pas à la maison, ce qui a sans doute contribué à faire de moi une homosexuelle exclusive. » (idem, p. 33) ; « Cette dernière ne m’aimait pas. Tout au long de mon enfance, je n’ai jamais senti qu’elle m’aimait. […] Je ne me rappelle pas avoir reçu d’elle la moindre caresse, le moindre geste tendre […] » (idem, p. 34) ; « J’ai le net souvenir d’avoir, vers huit ou neuf ans, souhaité que ma mère disparaisse de mon existence et, au risque de passer pour un monstre, je ne me souviens pas avoir éprouvé de ce fait un quelconque sentiment de culpabilité. » (idem, p. 37)
« Ma mère ne m’a jamais donné la main. » (cf. l’incipit de l’autobiographie L’Asphyxie (1946) de Violette Leduc) ; « Quelquefois, rarement, elle se montrait affectueuse. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 90) Par exemple, Edmund White se plaint d’une mère qui ne se serait pas du tout occupée de lui (cf. Élisabeth Badinter, X Y de l’identité masculine (1992), p. 168). Dans son autobiographie Impotens Deus (2006), l’écrivain Michel Bellin reproche en même temps à sa mère son omniprésence et sa « froideur » (p. 98).
Le second reproche majeur que les individus homosexuels font à leur maman – et qui pourrait expliquer un fantasme matricide inconscient –, c’est le secret qu’elle garde au sujet du viol : une violence qu’elle a enfouie en elle sans la régler (un abus d’adolescence, le choc d’un divorce, une pathologie personnelle, une soumission et un manque de liberté dans son identité de mère, etc.), ou bien un viol qu’elle leur a fait subir (l’inceste, le meurtre symbolique du père, le divorce, etc.). « C’est sa politique du non-dit qui est insupportable. » (Pascal Pellerin à propos de la mère du protagoniste homosexuel de son roman Tout m’énerve (2000), dans l’émission Zone interdite, M6, mai 2000) ; « D’autres fois, c’est vrai, l’indifférence de ma mère me rassurait. Quand je rentrais du collège, elle aurait pu facilement voir mes traits tirés, comme des rides. Mon visage semblait ridé à cause des coups qui me vieillissaient. J’avais onze ans mais j’étais déjà plus vieux que ma mère. Je sais, au fond, qu’elle savait. Pas une compréhension claire, plutôt quelque chose sur quoi elle peinait à mettre des mots, qu’elle ressentait sans être capable de l’exprimer. Je craignais qu’un jour elle ne se mette à formuler toutes ces questions qu’elle accumulait – malgré son silence – depuis des années. De devoir lui répondre, lui parler des coups, lui dire que d’autres pensaient la même chose qu’elle. J’espérais qu’elle n’y pensait pas trop et qu’elle finirait par oublier. » (Eddy Bellegueule à propos de la maltraitance qu’il vivait au collège, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 108) ; etc. Le fils et la mère se regardent en chiens de faïence, et l’un comme l’autre devinent le lourd tabou qui alimente leur mutisme : « Elle et moi, nous sommes restés face à face. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 88) En général, le secret de la mère a un rapport avec le viol et le manque d’amour. « Je pense que ça la fait chier en fait que je sois lesbienne. Elle le lit comme un truc où elle se sent responsable et du coup ça la fait chier, ça la culpabilise, ce rôle de mère qu’elle n’a pas bien assumé. » (Louise, femme lesbienne de 31 ans, dans l’essai Se dire lesbienne (2010) de Natacha Chetcuti, p. 105) ; « La puberté quand même été terrible. Je ne voulais surtout pas devenir comme ces femmes que je connaissais. Surtout comme ma mère. J’avais l’impression qu’elle vivait sa maternité comme une source de frustration, à l’époque. S’il fallait grandir, je voulais garder le goût de l’aventure, le plaisir du jeu. Un peu comme un homme, me disais-je. » (cf. l’article « Tom Boy à l’affiche » de Bab El)
Par exemple, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend que la mère de Jean Marais, à la naissance de ce dernier, l’a rejeté parce qu’elle voulait une fille à la suite du décès de sa petite Madeleine. Dans la salle d’accouchement, à la vue de son fils, elle a hurlé : « Enlevez-le, je ne veux pas le voir ! » Avec le temps, le non-dit sur cette substitution de personnes s’est dilué, ou plutôt renforcé dans une relation d’adoration/mépris mutuels (« Après, ma mère m’a adoré et j’ai adoré ma mère. Comme ma mère aurait voulu une fille, elle me traite en fille. ») qui n’a pas empêché la mère et le fils de violer/voler chacun de leur côté : « Oui, mon pauvre petit, ta mère est cleptomane. » dira la tante de Jean Marais à son neveu par rapport à sa mère Rosalie.
Dans la biographie Ramon (2008), Dominique Fernandez fait la prouesse de retracer la vie de son père qui « a été un collabo, des plus notoires ». Il découvre que c’est finalement sa mère, par son indifférence à son mari, qui l’a écarté de son père et qui lui a imposé une omerta : « Une sorte de censure intérieure m’empêchait de prendre part à la vie de mon père – de le reconnaître pour père. » (p. 34) ; « Pour nous, les enfants, il y avait entre nos parents comme une cloison étanche. Pour moi, de onze à quinze ans, il y eut deux mondes sans communication possible. Le monde de la mère et le monde du père. Incompatibilité renforcée par la division politique : le monde de la mère gaulliste et le monde du père collabo. Mais la division politique restait secondaire par rapport à la coupure morale décidée par notre mère, veto originel et d’autant plus fort, d’autant plus paralysant qu’il n’était pas exprimé. Affreuse oppression du non-dit. » (idem, p. 36) ; « J’avais intériorisé l’interdit maternel. […] Amoureux de mon père, je l’ai toujours été, je le reste. Ma mère, je l’ai admirée, je l’ai crainte, je ne l’ai pas aimée. Lui, c’était l’absent et c’était le failli, l’homme perdu, sans honneur. C’était le paria. » (idem, p. 45)
Pour éviter de regarder leurs souffrances en face, beaucoup de personnes homosexuelles se mettent à rentrer dans le jeu de cette politique de l’autruche de leur mère. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013), Guillaume Gallienne, le héros bisexuel, est maltraité verbalement par sa mère. Elle ne l’écoute pas vraiment, banalise tous les drames qu’il vit, noie constamment le poisson, le caricature même en homosexuel pour le garder tout à elle. Et Guillaume n’a même pas le réflexe de lui en vouloir. Il porte sur lui la culpabilité de l’agressivité de sa maman adorée : « Pourquoi ma mère n’est-elle pas heureuse ? Pourtant, je suis une fille, comme elle. » Il est même touché, à la fin, par sa jalousie maternelle : « C’est elle qui a eu peur que j’aime une autre femme qu’elle. »
d) La maman considérée comme une putain :
Comme beaucoup d’individus homosexuels ont voulu d’une relation exclusive avec leur mère, mais que celle-ci n’a pas été capable de la leur donner puisqu’elle a dû se partager avec le père (= « le Traître » par excellence de la communauté homosexuelle), des frères, et même une foule de spectateurs, ils décident de se venger d’elle, la plupart du temps iconographiquement et verbalement. C’est ainsi qu’ils la magnifient parfois comme une prostituée : « Tu disais que ta vraie mère, c’était elle [une cantatrice italienne], la Madame du bordel. C’est à elle que tu devais ta vie, finalement. » (Alfredo Arias à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 164) ; « Immédiatement réveillé par le docteur qui me demandait : ‘Et votre mère ?’ quel que soit le sujet abordé, j’eus à maintes reprises l’envie de lui répondre qu’elle faisait la pute sur les quais de Seine’, mais à 250 balles les 20 minutes […] » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 68) Par exemple, Álvaro Retana, dans son roman Flor del Mal (1924), décrit une sulfureuse femme du nom de Gloria Fortuny, qui n’est autre qu’une résurgence de la figure maternelle puisque le nom de famille de sa mère était « Fortuny ». Le dramaturge argentin Copi fait la même chose avec le personnage de China – qui est aussi le prénom de sa mère – dans sa pièce L’Ombre de Venceslao (1978).
La mère est également transformée en prostituée parce qu’elle a pu être présentée ainsi par le père, l’homme-objet cinématographique, ou l’entourage du sujet homosexuel : « Ta mère elle se fait sauter par tout le monde, elle trompe ton père, tout le monde l’a vue coucher avec les ouvriers du chantier de la mairie. C’est une pute. » (Anaïs s’adressant à Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 68)
B.D. « Kang » de Copi
Le problème de l’homosexualité, c’est bien qu’elle est une assimilation et une validation passive du machisme.
Je crois que les personnes homosexuelles, en s’attachant à une mère souillée, assassinée, ou criminelle, recherchent en réalité la femme violée fantasmatique qui leur fournit une identité, qui donne corps à leur angoisse existentielle ou au drame de leur enfance (l’inceste, le viol, le divorce des parents, ou autre) : « Pauvres hommes coupés en deux. Là où ils aiment ils ne désirent pas, là où ils désirent ils ne peuvent aimer. […] Pour être vraiment libre et heureux dans la vie amoureuse, il faut avoir surmonté le respect pour la femme et s’être familiarisé avec la représentation de l’inceste. Comment entendre cette ‘familiarité’, sinon comme une façon de pouvoir psychiquement côtoyer le fantasme de la scène primitive, sa violence et ses outrances. […] L’inconscient incestueux ne fait pas le détail, il divise et conserve l’objet premier sous deux visages opposés : Madone, d’un côté ; putain, de l’autre. […] La ‘putain’ est celle qui se prête – ne serait-ce qu’une fois ! –, à une relation sexuelle avec un autre que soi, ce qui n’est épargné à aucune mère. Tout enfant naît de la trahison de l’amour maternel ! » (Jacques André, « Le Lit de Jocaste », dans Incestes (2001), p. 19)
Beaucoup de personnes homosexuelles s’appuient sur la femme hétérosexuelle (mauvaise mère qu’elles détruisent sans se gêner, en la décrivant comme une traîtresse, une poule pondeuse) pour justifier l’existence d’une soi-disant « mère homosexuelle » merveilleuse. Par exemple, dans l’émission Mots croisés d’Yves Calvi, sur le thème « Homos, mariés et parents ? », diffusée sur la chaîne France 2 le 17 septembre 2012, Caroline Fourest s’appuie sur le fait qu’il existerait bien « des mères parfaitement hétérosexuelles qui congèlent leurs embryons » pour qu’on ne trouve rien à s’opposer au mariage gay et aux « familles homoparentales ».
Dans le documentaire « La Grève des ventres » (2012) de Lucie Borleteau, les ventres arrondis sont hués lors d’un strip-tease ; Clara et sa compagne Lise considèrent les mères comme des traîtresses, des « victimes consentantes » de la fin du monde, du capitalisme, d’un univers où les hommes « reproducteurs » domineraient.
Les rares fois où les personnes homosexuelles en couple valorisent les mères et la maternité, c’est à contre cœur, ou bien comme une abstraction, un enjeu politico-symbolique, une auto-persuasion : « Ma compagne, Sandrine, a 34 ans et elle ne veut plus attendre pour avoir un enfant. Moi, je n’envisageais pas vraiment d’être mère. Je décide alors de prendre ma caméra pour suivre ce parcours, notre parcours vers un enfant désiré mais aussi, pour moi, un chemin vers une maternité particulière qui ne m’a jamais semblé ‘naturelle’. Comment allons-nous faire ? Nos proches s’interrogent et nous aussi. Nous avons choisi l’insémination artificielle à l’étranger. Nous allons donc voyager, espérer et je vais profiter de ce temps pour trouver ma place de mère, car je vais devenir mère… sans porter notre enfant. » (Florence Mary à propos de son documentaire « Les Carpes remontent les fleuves avec courage et persévérance », 2012)
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