Au secours, y a-t-il quelqu’un de sensé dans la salle ?
Les bobos s’extasient en ce moment sur « Marguerite » de Xavier Giannoli qui vient de sortir en salles en France. Quand à la fin de la projection j’ai entendu la salve d’applaudissements quasi unanimes en l’honneur de ce film pourtant médiocre et choquant, non pas esthétiquement mais dans ses messages, je n’ai pas pu réprimer ma révolte : « Mais ils sont tous devenus cons ou quoi ?? Si vous trouvez ce film beau et profond, c’est que vraiment la France est en pleine dégringolade, en pleine régression morale, intellectuelle et spirituelle ! » À la sortie, j’ai heureusement pu me défouler sur les deux amis avec qui je me trouvais, et qui, pour au moins l’un d’entre eux, se seraient volontiers fait avoir. Quelle époque, mes frères, quelle époque passionnante et effrayante à la fois !
L’onirique équivaudrait au Vrai, voire même Le dépasserait
Le message principal du film, tenez-vous bien, c’est celui-ci : Il ne faut pas briser des rêves, même irréalistes. Tant pis si les gens passent pour des idiots ou des fous : ils sont quand même « touchants » dans leur fidélité à leurs croyances insensées. Il faut les laisser. Valorisons leurs intentions à défaut de pouvoir valoriser leurs talents réels. C’est un peu la bienveillance condescendante qu’on retrouve dans la chanson hyper bobo d’Anne Sylvestre « Les Gens qui doutent » : « J’aime leur petite chanson même s’ils passent pour des cons. » L’important, c’est de participer. L’important, c’est d’y croire. Logique hédoniste s’il en est. Chacun doit réaliser son rêve : ce qui prime, c’est de se faire plaisir (… même si c’est au détriment des autres et de soi). La passion amoureuse ou idolâtre excuserait tout. Peu importe le résultat. Peu importe le Réel, l’excellence, le Meilleur, le Vrai. Cette pensée qui érige le doute et le fantasme sur un piédestal se veut un hommage vibrant à la sincérité, qui serait finalement plus belle que la Vérité même. La star ratée est belle, au moins d’être sincère, d’avoir cru être star. Ce serait « pas bien » de briser des rêves, surtout les rêves d’amour de la femme amoureuse : ça peut la tuer physiquement, en plus de la rendre malheureuse. Au diable la connaissance, et vive l’ignorance ! Au diable les tristes réalistes ! Nazis, va !!
Margue-rite
« Dans le boboïsme, tout est rituel, rien n’est sacré. » comme me l’avait expliqué à très juste titre une amie spécialiste des bobos. Et en effet, le film « Margue-rite » prétend créer un nouveau rite : la consécration (et le sacrifice rédempteur) de la médiocrité. Le mythe de la Vérité par le mensonge ou par la merde (autrement appelé le kitsch). « Marguerite » est un film moralisant sur la grande mascarade sociale qui excuserait la petite mascarade individuelle de la sincérité. À en croire son réalisateur Xavier Giannoli (tiens, encore un bobo barbu…), les chimères, les illusions, l’imaginaire fallacieux contiendraient leur part de vérité, de beauté, d’amour, que n’égalerait pas leur dénonciation. Si le mensonge sert à vivre et soulage, ma foi, tolérons-le. Voire même, qu’il remplace la Vérité ! qu’il remplace l’Amour ! Par exemple, Georges, le mari infidèle de Marguerite, à la fin, « aimerait » vraiment celle-ci quand même, rien qu’en protégeant Marguerite de la « terrible » vérité, rien qu’en tentant de sauvegarder les apparences du « monde intérieur » fantasmé que sa femme cocue s’est construit. C’est « ça » l’amour… Le cinéma intérieur permettrait cette substitution « miraculeuse » entre Vérité et sincérité, entre Vérité et mensonge, la rendrait possible et magnifique. La voix (objectivement fausse) de l’héroïne serait plus belle que les mensonges bienveillants mais lâches qui la couvrent et la portent cyniquement aux nues. L’auto-mensonge serait mille fois plus excusable que le mensonge des autres, car on ne se l’imposerait qu’à soi-même. On excuse tout à la femme amoureuse et naïve ! Xavier Giannoli et tous ses suiveurs bobos nous proposent en réalité par ce film une moralité par défaut. Le médiocre deviendrait le bien ou le meilleur du fait qu’il trouve pire ailleurs ou qu’il est entouré d’un simulacre de meilleur que lui, d’un faux bien. Du fait aussi qu’il serait sincère et individuel (pardon… « intime »). Syllogisme aberrant, hallucinant d’immoralité moralisante ! En fait, c’est le culte du relativisme, un relativisme jugeant le jugement (autrement dit, jugeant l’intelligence et le goût des belles choses vraies) : « Qui a le cœur assez pur pour juger Marguerite ? » argue le Maître Dong de l’histoire, le Noir Madelbos. Sublime renversement des valeurs : le fou qui s’illusionne serait plus sage et plus doué que les sages et que ceux qui chantent bien ; la vraie Charité serait de mentir ; les apparences seraient toujours trompeuses. Le bobo applaudit la nullité comme du génie caché. Seul lui serait capable de déceler « le bon goût du mauvais goût ». Oui, je crois qu’on peut le dire : on nous fait vraiment passer des vessies pour des lanternes !
« La tentation (bobo) de l’innocence » si bien décrite par Pascal Bruckner
Sainte Marguerite Dumont, prophète de la grandeur de la nullité, priez pour nous
Marguerite est l’archétype de la diva bobo (Yolande Moreau, en un peu moins pire). On nous la vend comme le prophète qui s’ignore, comme la divine ingénue, comme la sainte ratée (mais tellement plus sainte et visionnaire que les saintes assermentées !), comme la rigolote drôlissime (c’est « jubilatoooire ») qui serait un symbole (« révolutionnaire » à son insu) de la dénonciation des faux-semblants et à elle toute seule un pied de nez au star system qui fabrique des vedettes formatées par les diktats de la société bourgeoise), comme la nouvelle Colette, comme la bourgeoise anti-bourgeoise (bobo, quoi). On croit rêver. Les bobos n’ont jamais compris que la naïveté et l’irréalité n’étaient pas l’innocence, et encore moins l’Amour et la Vérité. Dans les faits, le personnage de Marguerite n’a rien d’une grande dame. Elle ne vit que pour elle et pour son image. C’est la femme stérile dans tous les sens du terme (elle finit d’ailleurs par cracher du sang, comme Emma Bovary). Elle fait semblant d’aider les autres en organisant des galas de Charité, mais on ne la voit jamais concrètement à l’œuvre auprès des pauvres. Elle dépense des sommes astronomiques pour ses caprices de star (c’est un vrai panier percé). Elle corrompt tout le monde (d’où la vague de mensonges et de non-dits qui l’engloutit). Elle fait du chantage. Elle délaisse son mari. Elle se ment à elle-même et vit dans son petit monde matérialiste et individualiste. Elle dilapide tous ses biens pour se construire une carrière ratée et s’entourer de faux amis et de mécènes cyniques et androgynes. Elle s’auto-détruit (« J’ai adoré la souffrance. » conclut-elle à la fin du film). Et ceux qui se rendent compte de la supercherie de cette fausse sainteté cinématographique n’auraient évidemment « rien compris » et ne « sauraient pas s’émerveiller » #foutagedegueule. (« Mais vous ne comprenez pas. » dira Françoise, la maîtresse de Georges, face à son amant qui se lamente des excentricités et des velléités de célébrité chez sa femme. #solidaritéféminine). Mais qui n’a rien compris dans cette histoire, en réalité ?
Les bobos commencent à peine à nous faire chier (et c’est parti pour durer, visiblement !)
Derrière ce film, on retrouve toutes les rengaines bobos du moment : les thèses féministes misandres (les femmes sont toutes trompées par leur mari, les hommes sont tous des manipulateurs volages et sans couilles : « Encore une fois l’histoire d’une femme trompée. Une de plus… » lamente Atos Pezzini), la haine du mariage (ce film, c’est la rêverie féminine contre le réalisme macho ; il n’y a ni famille ni enfants ; et selon le médecin de l’asile à la fin, « jamais Marguerite n’a été une femme heureuse en amour. »), l’appel à l’anarchie anticonformiste et au blasphème iconoclaste (Kyril, le dandy anarchiste efféminé, scande qu’il ne veut « plus de religion ! » et déclare la mort de l’art : « Merde à la beauté ! » ; par ailleurs, dans le film, la Croix du Christ est toujours l’endroit du mensonge et de la panne de voiture… #nocomment), le paganisme et l’ésotérisme (avec le Noir Madelbos jouant le rôle de sorcier entraînant Marguerite vers une mort magnifiée, Félicité la « femme à barbe » médium et cartomancienne), l’encouragement à la débauche (Lucien et Kyril se rendant dans une fumerie d’opium, Madelbos tronchant Félicité, Georges couchant avec Françoise, Atos le pédéraste sortant avec des éphèbes largement plus jeunes que lui et collectionnant les photos pédophiles, etc.), l’éloge de la féminité sanctifiée-parce-que-déchue (Hazel, avec sa voie éraillée, est le prototype de la « jeune première » bobo actuelle ; et Catherine Frot, le prototype de l’égérie bobo, c’est-à-dire de la vieille Yolande Moreau lunaire), l’éloge de la folie (qui serait plus sage que la sagesse officielle des hommes…), etc.
Lucien et son « poussin » Kyrile
Ce film soi-disant « beau » sombre dans la nostalgie dépressive éthérée du boboïsme. Je n’aurai pas le temps de le passer au tamis des 59 codes de mon prochain livre sur les bobos. Mais je peux déjà vous dire qu’on trouve dans « Marguerite » quelques perles typiquement bobos : par exemple la folie bobo pour le blanc (code n°32), avec l’héroïne qui « ne mange que des aliments blancs » ; la promotion de la transidentité et de l’homosexualité (code n°59), avec Félicité la « Barbue » (so Gender…) ; la passion pour les ampoules et les bougies (code n°36), avec la salle de spectacle et ses ampoules suspendues (rêverie typiquement bobo) ; la fanfare jazzy (code n°16), avec Madelbos le Noir (sosie de Louis Armstrong) et la photolâtrie (code n°42) ; la voix-off insupportable (code n°35), avec les interviews ratées de Marguerite enregistrées sur gramophone et conservées comme des reliques sacrées de la star incomprise. Etc. etc. Le cortège de clichés bobos dans ce film est infini ! Quand je pense que les éditions Artège ont refusé de publier mon bouquin sur les bobos, en me disant qu’ils ne voyaient pas à quel public il se dirigeait… on voit bien que la plupart des cathos ne savent pas regarder leur époque !
Vive le blanc !
Un film sur la Vérité et pourtant ennemi de la Vérité
Le film de Xavier Giannoli, malgré les apparences et ses intentions, n’est pas ami de la Vérité. Il nous parle de « Vérité » à tout bout de champ : il se présente comme une biopic historique, basée sur « une histoire vraie » (générique du début) ; même le chapitrage insiste sur le pouvoir de la « Vérité » (« Chapitre 5 : la Vérité »). Et pourtant, tout du long, « Marguerite » ne nous montre que des personnages qui mentent aux autres et se mentent à eux-mêmes. Giannoli n’aime pas la Vérité et n’y croit plus (c’est finalement bien ça, la définition du boboïsme : un manque de foi qui se fait passer pour une profession de foi désabusée). Il fait même dire à son héroïne : « Croyez-vous que toutes les vérités soient bonnes à entendre ? » Selon ce réalisateur, tout dans la vie serait une question de « points de vue », de « croyances et de perceptions personnelles », d’« intentions » : la fausseté vocale de Marguerite n’égalera jamais la lâcheté des autres à ne pas la juger (on observe ce subjectivisme absolu dans des films comme « Le Goût des autres » ; d’ailleurs, Agnès Jaoui, dans le style bobo hédoniste subjectiviste, aurait pu tout à fait jouer le rôle de Catherine Frot !). « Marguerite » est un film sur la Vérité. Or il enchaîne les incohérences et les invraisemblances (vous m’expliquez comment une voix aussi exagérément laide n’est dénoncée par personne ? vous m’expliquez comment une chanteuse ne s’entend pas chanter et n’a aucune idée de sa voix ? vous m’expliquez comme Marguerite parvient à remplir sa salle de théâtre à la fin ? vous m’expliquez comment une voix a le pouvoir de tuer quelqu’un ?). Et le pire, c’est qu’en mentant, ce film prétend faire la morale aux gens qui mentiraient plus que lui ! Bienvenue sur la cour d’école des adulescents bobos ! De plus, dans « Marguerite », la « Vérité » n’est annoncée que par les objets, la technique, l’artifice, le matériel ; jamais par des personnes humaines. On voit bien toute l’idolâtrie matérialiste qui se cache derrière le boboïsme « anti-Système ». Le film de Giannoli est, malgré les étoiles dans les yeux, profondément désespéré : selon lui, la « Vérité » soit n’existe pas, soit serait forcément laide, cruelle, rabat-joie, sans cœur, ricanante (comme les rires du public lors de la scène finale), mortelle (Marguerite, à la fin, telle une héroïne tragique, s’effondre dans les bras de son mari, foudroyée d’avoir entendu l’enregistrement de sa vraie voix : le bobo est intimement persuadé que la beauté est mortelle et dangereuse). Le credo du boboïsme, c’est que la Vérité – belle, éternelle, unique, aimante – n’existe pas : seuls le doute, le flou, la perception instantanée, les vérités partielles et individuelles, les amours éphémères, composeraient ce « vrai » relatif et temporaire. Lucien, par exemple, est l’allégorie du libertin bobo à la sauce Vicomte de Valmont, du prince charmant qui ne s’assume pas et qui voit l’amour comme une terrible maladie/hypocrisie/soumission, pour au fond ne pas s’engager et se donner pleinement : il n’avouera jamais son penchant pour la belle Hazel, sous prétexte qu’il ne serait pas « digne d’elle ». Puanteur de l’hypocrite pudeur/humilité du bobo ! Ce que nous annonce à son insu le film « Marguerite », que certains sacrent déjà comme un « chef-d’œuvre » de drôlerie, de sensibilité, de vérité et d’amour (pauvres d’eux !), c’est que notre époque ne croit plus en la Vérité ni en l’Amour. Nos contemporains nous vendent le mensonge, l’intention, l’imaginaire ou l’illusion comme de l’amour vrai. J’ose espérer qu’il existe encore quelques âmes qui ne se laisseront pas bercer par cette comédie de la fausse « pudeur » et de la « merde prophétique » orchestrée par les bobos. Par pitié !
Valmont et Merteuil bobos (Lucien et Hazel)