NÉGRITUDE ET HOMOSEXUALITÉ
OREO’S
L’homosexualité est à la différence des sexes ce que le racisme ou le déni de la réalité des races est à la différence des espaces : une honte de soi et des autres, un refus de nos limites et des différences à force de sublimer celles-ci. Tout ça sublimé par un semblant de militantisme LGBT anti-homophobie et anti-racisme.
Bien des personnages homosexuels de fictions traitant d’homosexualité expriment le souhait d’être à eux seuls la synthèse raciale de l’Homme blanc et de l’Homme noir, l’allégorie séduisante et humaniste du Métissage. Ils traduisent généralement une fuite du Réel, un désir de toute-puissance, et un élan de fusion mi-aimant mi-violent, présents chez certaines personnes homosexuelles réelles qui, à force de sacraliser les individus de la race supposée « totalement opposée » à la leur, finissent par les mépriser et par chercher à leur dérober leur place de puissants/victimes.
À l’heure actuelle, on assiste effectivement à un revival néo-colonialiste via l’homosexualité, revival dont Noirs comme Blancs sont complices.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Noir », « Orphelins », « Homosexualité noire et glorieuse », « Méchant pauvre », « Doubles schizophréniques » et « Amour ambigu de l’étranger » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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Certaines personnes homosexuelles ont un rapport mi-passionnel mi-méprisant à la négritude. Non seulement elles adorent les Noirs, et surtout leurs images, mais en plus, elles prétendent les avoir absorbés. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre elles se revendiquent colored men alors qu’elles sont pourtant nées blanches. « Dieu est une lesbienne noire » pouvons-nous lire encore aujourd’hui sur les pancartes de certaines Gay Pride. Dans les années 1970 aux États-Unis, prétendre qu’on aime les Noirs ou qu’on est homosexuel, cela revient souvent au même : le slogan « Gay Power ! » se marie très bien avec la défense du Girl Power et du Black Power. Plus qu’une histoire de race précise, le désir homosexuel fait vouloir changer radicalement de peau : par exemple, James Baldwin, Bill T. Jones, ou Michael Jackson, qui sont Noirs, rêvent de devenir Blancs. Ce qui au départ se présente comme un métissage plutôt rigolo vire souvent au racisme primaire et à la haine de sa propre race. Beaucoup de personnes homosexuelles s’approprient des combats pour l’égalité des races et de sexes qui ne sont pas exactement les leurs, tout cela pour légitimer leurs propres intérêts particuliers. Elles ne supportent pas leur propre couleur de peau et prétendent très sérieusement qu’elles sont de la race de ceux qu’elles considèrent faire partie de la « race maudite » ou de la « race bénie ». « Je ne suis pas des vôtres, je suis éternellement de la race inférieure, je suis une bête, un nègre. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1972), p. 125 et p. 329)
La demande d’inversion entre le masque du Noir et celui du Blanc n’a rien de révolutionnaire, d’émouvant, ou de comique, puisque les différences de couleurs de peau sont des réalités. Au contraire, elle est réactionnaire et eugéniste. Au Noir réel, certaines personnes homosexuelles lui préfèrent ce qu’il représente pour elles. À leurs yeux, il ne suffit pas qu’il ait la peau noire pour être Noir. Il faut qu’il traîne avec lui l’image stéréotypée et misérabiliste qu’elles s’en font : « Pour moi, l’Afrique, c’est une découverte essentielle ! Parce que c’est un continent perdu. Absolument condamné. Je n’écrirais pas s’il n’y avait pas ça. » (Bernard-Marie Koltès cité sur l’article « Bernard-Marie Koltès » de Jean-Philippe Renouard, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 277) Elles demandent au Noir de coller en acte, en identité et en mode de vie, à son étiquette médiatico-romantique. « Cultive (l’image de) ta différence ! » serait l’ordre qui lui est implicitement donné. C’est pour cette raison que Jean Genet dit qu’« il faut que les Nègres se nègrent », tout comme Michel Foucault soutient que les personnes homosexuelles doivent « s’acharner à être gay » (Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie » (1981), dans Dits et Écrits II, p. 982). La communauté homosexuelle n’est pas vraiment attachée aux Noirs mais à un « certain Noir », c’est-à-dire à une allégorie exotique de négritude qui lui barre l’accès au vrai Noir. « Ce que nous aimons, c’est toujours un certain mulâtre, une certaine mulâtresse. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, op. cit., p. 377) C’est parce que le Noir ne correspond pas parfaitement à son image d’Épinal que certaines personnes homosexuelles finissent, comme Duane Michals, par le traiter intérieurement de « vilain ».
La majorité d’entre elles aiment le Noir dans la mesure où il peut les transformer en Hommes maudits. Elles adoptent une curieuse philosophie du métissage puisqu’elles l’associent souvent à l’union sadomasochiste ou bien à la féminité diabolique. C’est la raison pour laquelle, dans leurs films, et parfois dans la réalité concrète, la race noire et la race blanche ne s’unissent que dans la prostitution, l’adversité, ou la mort. Le fantasme homosexuel par excellence semble être de vivre une sorte d’apartheid à distance. Un monstrueux « black or white » digne de Michael Jackson.
Ce qui me semble éthiquement malhonnête dans cette histoire, c’est de faire croire que la différence de couleurs de peau est de la même importance, et de même nature que la différence des sexes, qui elle, concerne la Vie. On peut être de race noire ou de race blanche, cela ne change rien à notre dignité humaine commune, et cela n’a pas d’incidence sur la vie d’un être humain. En revanche, la différence des sexes, quant à elle, est LE facteur déterminant de notre présence sur Terre (… en plus de l’existence de Dieu). Dans le cadre des revendications des « droits des homos » dans lesquelles le respect des Noirs est placé au diapason des revendications d’ordre sexuel, on se sert d’une différence physique qui n’a pas d’enjeu sur la Vie, qui n’est qu’une valeur ajoutée à la Vie, pour la mettre sur le même plan anthropologique que la différence des sexes, et ainsi mieux nier cette dernière… voire même la différence des espaces du coup, car je ne suis pas sûr qu’à trop vouloir se servir de la race noire comme faire-valoir d’un métissage bisexuel universel, on la respecte vraiment.
Le mixage fusionnel des couleurs de peau noire et blanche est traité dans beaucoup d’œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité : c’est le cas de la chanson « Black Or White » de Michael Jackson, la chanson « Soy De La Raza Calé » de Miguel Frías Molina, le film « Black Mama, White Mama » (1972) d’Eddie Romero, le film « Black And White » (2000) de James Toback, le film « Madagascar Skin » (1995) de Chris Newby, le film « Frantz Fanon, peau noire masque blanc » (1996) d’Isaac Julien, le film « Noir et Blanc » (1986) de Claire Devers, la chanson « Je voudrais être blanche » de Joséphine Baker, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters (on y voit une pancarte « Black and White Unite »), l’affiche du spectacle Calamity Jane : Lettres à sa fille (2009) de Dominique Birien (avec le cheval blanc et le cheval noir), le tableau La Blanche et la Noire (1913) de Félix Valotton, le vidéo-clip de la chanson « Lo Mejor De Mi Vida Eres Tú » de Ricky Martin, la série Orange Is The New Black (2013) de Jenji Kohan, le vidéo-clip de la chanson « How Well I Know » de Whitney Houston, la chanson « Clairvoyant » de Nakhane, la chanson « Oh Lord » d’Aude Henneville, etc.
Certaines créations artistiques racontent la rencontre amoureuse entre un Blanc et un amant Noir, dessinent en quelque sorte les « Couleurs de l’Amour » : cf. le film « Children Of God » (2010) de Kareem Mortimer (avec Roméo, un beau jeune homme noir, et son copain le blondinet Johnny), le vidéo-clip de la chanson « Les Mots » de Mylène Farmer et Seal, la B.D. Pressions & Impressions (2007) de Didier Eberlé (avec Clotilde et sa compagne noire), le film « Loin du Paradis » (2002) de Todd Haynes, le film « The Watermelon Woman » (1996) de Cheryl Dunye, la série nord-américaine Six Feet Under (David, le cadet de la famille est en couple avec un Noir), le film « The Family Stone » (« Esprit de famille », 2005) de Thomas Bezucha (dans lequel Ben a un copain noir), le film « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier (avec le couple homo Claude Rich/Dieudonné), le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie MacDonald (notamment avec la danse saphique finale entre la mère blanche de Jamie et la voisine noire Leah), le roman Un Amor Fora Ciutat (1959) de Manuel de Pedrolo (avec Miquel, l’amant noir), etc.
Certains personnages changent magiquement de couleur : « Il n’est plus un serviteur blanc. Il est devenu un serviteur noir. » (Khalid en parlant d’un domestique noir du Roi Hassan II, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 14) ; « Ainsi, d’individu de couleur, je devins blanc. » (Pretorius dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Sa vue se brouillait. Il tenta de fixer son regard sur Lacour-Farotte. Ce n’était plus le Président qui s’exprimait mais un masque africain, primitif et impressionnant, qui grimaçait, posé sur le corps de Lacour-Farotte. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 241) ; « Il éteignit la lumière, puis tenta de faire une mise au point sur la fenêtre d’en face. […] Il lâcha les jumelles. Il les ramassa et regarda de nouveau. Dans une pièce aux murs couverts de masques africains, Martine Van Decker, immobile, murmurait d’interminables borborygmes en l’observant. » (idem, p. 248) ; « Je m’appelle Jamie Mitchell. J’étais un enfant acteur. Je jouais dans une séré télé, One of the Family. Vous avez déjà vu l’épisode où un riche couple de Noirs adopte un petit prolo blanc à qui ils cachent qu’il est blanc ? [Il se lève pour interpréter à nouveau son rôle de faux Noir] ‘Je suis albinos !!!’. » (Jamie avec son amant Jamie pendant la consultation devant la psy, dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell) ; « La vie est bien étrange. J’ai connu cette fille rue du docteur blanche, une peau noire qui brille. » (cf. le poème « Noire et Blanche » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, p. 35) ; « Je t’adore, ma beauté nègre. » (Prior à son amant blanc, dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « George Washington était une lesbienne noire. » (le professeur d’histoire souhaitant une grande liberté de ton dans ses cours, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; etc.
Le personnage homosexuel blanc exprime le désir d’être Noir : « Un lien entre nous deux, nos origines, existait quelque part dans ce monde, sur cette terre. Un lien où son sang rejoignait le mien, où ma peau et la sienne n’en faisaient qu’une. Une peau noire, forcément. Contrairement à tant d’autres au Maroc, les Noirs ne me dérangeaient pas. » (Omar, le héros homo parlant d’Hadda sa bonne/mère noire, le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 79-80) ; « Je suis l’Afrique où seule la chair déborde. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je ne suis pas blanc ! » (Johnny, le héros homosexuel blanc s’adressant à son copain noir-ébène Romeo qui le traite de « Blanc maigre », dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; « Avant, sur Terre, on était tous des Re-nois. » (Steeve, l’un des héros homos – le Blanc – dans la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays) ; « Le Jésus noir est beaucoup plus sexy que le Jésus blanc. » (Lily s’adressant à Éric le héros homo noir possédant un cadre du Christ noir au-dessus de son lit, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc. Il est fréquent de voir des personnages homosexuels blancs s’arranger physiquement pour ressembler à des Noirs : par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense de Copi (mise en scène en 2010 de Florian Pautasso et Maya Peillon), les comédiens s’enduisent de maquillage noir. Dans le film « L’Orpheline » (2011) de Jacques Richard, Eléonore, manchote, va se faire greffer un bras de Noire. Dans le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache, la chanson « Tout doucement » de Bibi est play-backée par un travesti blanc. Dans la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas, Billy est décrit comme un Blanc « noir », un « fils du blues », un « Noir américain passé au Décap’Four ». Dans l’adaptation théâtrale d’Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud, par Nâzim Boudjenah en 2008, le protagoniste se peint en noir, et proclame fièrement : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » Il se considère même comme plus Noir que les vrais Noirs : « Je suis une bête, un Nègre. […] Vous, vous êtes de faux Nègres ! » Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas, l’un des deux héros homos (blancs), porte un tablier de cuisine représentant un corps nu et musclé d’un homme noir. Quand il s’absente, son copain François l’enfile également. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’entend dire : « Vous êtes comme un Nègre. » ; et affirme ensuite : « Je pense que je suis Noir, en plus de Juif. » Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John, le héros homo, interprète dans la série Hellsome High le personnage d’Adam White qui, pour disparaître de la série, est envoyé par les scénaristes en voyage spirituel en Afrique.
Dans son one-woman-show Chatons violents (2015) d’Océane Rose-Marie, Océane, l’héroïne lesbienne bobo blanche, va visiter l’exposition Exhibit B à Paris, expo réalisée en 2014 par un artiste blanc sud-africain mettant des noirs en cages pour symboliser et soi-disant « dénoncer » le racisme… mais sans comprendre que son mimétisme du racisme est en réalité un nouveau racisme puisqu’il a simulé un « zoo humain » avec des vraies personnes noires dedans. Plus tard, quand Océane raconte les années scolaires dures où elle se sentait étrangère aux autres parce que lesbienne, il déclare : « Mon adolescence : un Grand Moment de Solitude. J’étais la Renoi du lycée. »
À l’inverse, du Noir vers le Blanc, ça marche aussi ! Le personnage homosexuel noir se grime en Blanc, se blanchit la peau. « C’était mon rôle! » (une femme noire jalousant le chanteur gay blanc présent sur scène, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Quelle chance, mon amour ! Il est blanc ? » (China s’adressant à Rogelio au moment de la naissance de leur fils, dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1992) de Copi ; « Archiblanc ! » lui répond Rogelio) ; « Me mange pas. Tu vas être malade. » (Shirley Souagnon se décrivant comme un « yaourt périmé » face aux hommes, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « J’vais t’en faire bouffer, du produit blanchissant, tu vas voir ! » (Laurent Spielvogel imitant Marie-Louise la femme de ménage noire lesbienne en parlant de lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.
Par exemple, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, l’homosexuel noir s’applique un « maquillage pour peau exotique ». Leah, la Noire du film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald, porte des masques de beauté blancs pour ressembler à une actrice blanche. Dans le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, Omar, le Pakistanais noir, monte une blanchisserie. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Ruzy, le footballeur d’origine africaine noire, nie qu’il soit Noir : il soutient qu’il est Brésilien. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, l’hétérosexualité est associée à la race blanche, et l’homosexualité à (la marginalité de) la race noire. En effet, Bernard, le héros homo, raconte son seul et premier vrai émoi homosexuel pour Peter, un jeune homme blanc bourgeois chez qui il servait : « Il ne m’a jamais remarqué. Et il est hétéro… » Dans le vidéo-clip de la chanson « Symphony » (2017) de Clean Bandit, le couple homo formé par deux Noirs fait de la peinture blanche et s’en badigeonne un peu le visage. Se peindre en blanc semble ici signifier « s’homosexualiser » et revêtir sur sa peau noir le sentimentalisme occidental, les bons sentiments des Blancs transposés sur les Noirs.
Le personnage homosexuel noir exprime parfois le désir d’être Blanc : cf. le film « J’aimerais, j’aimerais… ou la triste histoire d’Antoine Blanchard » (2006) de Jann Halexander.
« Je suis un Blanc-Noir » est exactement le discours du prostitué (celui qui joue au Blanc tout en souhaitant garder son charme exotique de Noir, son identité vengeresse d’autochtone anti-Occidentaux) : « Mon amour pour votre nation / se fait par ma prostitution / Je prends des Blancs de classe moyenne / Question d’amour et d’argent, Maman / Et le luxe est mon meilleur amant / C’est une question harassante, que l’or. » (cf. la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) L’homme noir se prend pour un caméléon, un Homme invisible sans couleur attitrée : « Ça va du noir jusqu’au très blanc. » (cf. la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… » de Jann Halexander) ; « Invisibles, c’est mieux de goûter au luxe de l’indifférence. » (idem) ; « Je suis une photographie en noir et blanc. » (cf. la chanson « Mélancolie toujours » de Jann Halexander) ; etc.
La croyance raciste qu’une race peut en contaminer une autre par fusion au point de dénaturer les deux couleurs de peau en même temps, dans l’amour comme dans la maladie, est parfois véhiculée. « C’est horrible d’avoir faim. Il y a des gens qui en deviennent tout blancs et qui meurent dans d’atroces souffrances. » (Kanojo, l’héroïne lesbienne noire, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Il aimait ce corps d’homme métis. […] Adrien eut le sentiment étrange de n’être pas le seul à aimer un pareil corps. Il éprouva même une certaine gêne à l’idée que son regard s’inscrivît dans une longue chaîne de regards portés sur l’homme ébène. Désirs de Blancs fascinés par la puissance du corps du Noir, au point de vouloir la lui dérober, la posséder pour eux. N’était-il pas dans son regard comme un fils de colon, fier de tenir pour lui ce corps endormi ? » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), pp. 50) ; etc.
Le mélange racial proposé à plus à voir avec la peinture qu’avec le sang (= le Réel), autrement dit avec l’ART d’inversion d’un apprenti sorcier plutôt qu’avec les réalités de la procréation, de la rencontre d’Amour effective, du métissage concret entre deux êtres humains différents et complémentaires : « Et si je mettais une cape en singe noir ? Le singe noir et le cygne blanc c’est très intéressant ensemble. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986), p. 260) ; « Tu t’es toujours demandé si les zèbres étaient blancs à rayures noires, ou noirs à rayures blanches. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 124) ; « Je suis un Nègre-Blanc qui se fait chier à bouffer du cirage. » (un personnage blanc de la pièce Le Cabaret des utopies (2008) du Groupe Incognito) ; etc.
La fusion entre le Blanc et le Noir exprime très souvent chez les héros homosexuels l’impression de ne pas exister, d’être invisible. « Moi, maintenant, dans l’obscurité, on me voit. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Je suis en noir et blanc toute la journée. » (le père Raymond gay friendly, avouant son « inhumanité », dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc. Par exemple, dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa, de race noire, dit qu’elle se fond dans le fond noir de la scène.
Quand le personnage homosexuel change de visage, cela indique en général un mensonge, une imposture anthropologique. Dans le film « Sexe, gombo et beurre » (2007) de Mahamat-Saleh Haroun, par exemple, Dany, l’homosexuel noir, doit se faire passer pour le papa blanc d’un « enfant café au lait ». Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, ce mélange dit la virtualité internétique entre les deux amants Simon (héros blanc) et Bram (héros noir juif). Bram arrive à se signaler amoureusement à son futur amant Simon grâce aux biscuits de la marque Oréo (face blanche, face noire). Et par ailleurs, Madame Albright, la prof de théâtre du lycée noire au nom de famille brillant, est lesbienne et « n’aime pas les hommes ». Dans la série Bref, mon frère est gay d’Anal +, le frère du héros lui roule sur le pied avec sa voiture, et met cela sur le dos de sa négritude alors qu’il est Blanc : « Désolé. Parfois, je conduis vraiment comme un Noir. »
Ce désir d’être Blanc-Noir renvoie également à une envie (typiquement bisexuelle/transsexuelle) d’incarner égocentriquement la différence des sexes, d’être Dieu tout seul. « Vincent McDoom, il est métisse : moitié homme, moitié femme. » (Anthony Kavanagh dans son one-man-show Anthony Kavanagh fait son coming out, 2010) ; « Moi, j’suis Africain. J’suis un Rasta-Blanc. » (le fumeur de bédault blanc et bisexuel dans la pièce Bang, Bang, (2009) des Lascars Gays) ; « Sera-t-il fille ou garçon ? Albinos ou maricón ? » (Ahmed en parlant de son fils arrivant au monde dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, p. 359) Dans la pièce La Pyramide (1975) de Copi (mise en scène par Adrien Utchanah en 2010), par exemple, le vendeur d’eau est déguisé en moitié-homme, moitié-femme, chacune des parties étant attribuée soit au maquillage noir, soit au maquillage noir.
Souvent, le personnage homosexuel prend la position de l’inter-racé, du marginal sans couleur de peau, situé dans un intermédiaire presque angélique. « Les Noirs, s’ils devenaient blonds, ça deviendrait plus correct. » (Arnold, l’un des héros homos de la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Depuis tu cueille les fleurs du mâle, heureux de vivre en diagonale comme un fou sur son jeu d’échecs. Allez savoir à quoi ça tient de naître noir, ou blond, ou brun, ou d’être gay. » (c.f. la chanson « À quoi ça tient » de Romain Didier). Il se comporte exactement comme la bourgeoise raciste ET anti-raciste de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier. Il est la figure par excellence de la haine de soi, celle qui nous fait désirer disparaître, être invisible. En effet, le transfert identitaire de races ne se fait pas sans violence. Par exemple, dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia, le travesti, se pique de jalousie pour Jenny, le trans noir, qui porte « sa » perruque blonde. Dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, David Bowie est retrouvé cramé dans sa machine à UV. Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel dit qu’il s’est lié d’amitié à l’école avec un certain Julien : « Un Africain blond aux yeux bleus, c’est bizarre, je vous l’accorde. »
Le souhait d’être un Blanc-Noir, de condenser en sa propre personne deux races physiquement très différentes, d’incarner solitairement le métissage (alors que celui-ci n’est beau que s’il est le fruit d’un partage d’amour entre deux personnes distinctes), traduit souvent une schizophrénie : je pense par exemple à Nina, l’héroïne lesbienne du film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, qui est mi-ange mi-démon, mi-cygne blanc, mi-cygne noir, et qui résout cette dualité dans la mort. « Si le noir et blanc me fait frissonner, c’est la couleur qui me fait peur. C’est grave Docteur ? » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012)
Avoir la peau blanche, ou bien la peau noire, on le voit bien, n’est pas en soi le vrai problème. Ce qui est réellement violent, c’est le désir de changer de peau, de se désincarner, de se déshumaniser, c’est la haine de soi donnant envie au personnage homosexuel de devenir quelqu’un d’autre. Dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, Hadda, la servante noire, souhaite changer de race en couchant avec Sidi, son maître blanc : « Laisse-moi faire revenir mon corps au centre de mon monde. Au contact de la peau blanche de Sidi Hamid. […] Mon corps, il m’a trahie. » (p. 197) On comprend que cette démarche, même si elle est présentée comme de l’Amour, traduit en toile de fond une honte existentielle. Le désir de devenir Blanc/Noir est la marque du viol, ou bien d’un désir de viol, qu’il soit exprimé par la victime ou par le bourreau : « Petit Maître m’a violenté. Nègre Blanc, il m’appelle Nègre Blanc. » (l’homo noir de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel)
Par exemple, dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander, le métissage de la race blanche et de la race noire est vu comme une monstruosité : « Les métisses, c’est des bâtards. » ; « Chapitre III : Vaguement noir, vaguement blanc » On y entend à la fois un racisme anti-Noirs voilé, et surtout un racisme anti-Blancs qui sera amorti par la promotion d’une bisexualité matinée de lutte contre l’homophobie.
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Je vous renvoie à la biographie Un Rajah blanc à Bornéo (2002) de Nigel Barley, au documentaire « Out In Africa » (1994) de Johnny Symons, etc. Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand s’extasie devant la « monstruosité » d’une toile de Sarriaco représentant un jeune homme noir albinos au « regard furibard ». Celia, la critique d’art qui l’accompagne, voit dans ces Noirs albinos qu’on exhibait dans les cours royales toutes les qualités.
Il est assez fréquent de voir des personnes homosexuelles, nées métisses ou se sentant ainsi, vivent en général assez mal le métissage (cf. je vous renvoie à la partie sur les « enfants adoptés » dans le code « Orphelins » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « J’appartenais à ma mère, selon la logique matriarcale. À mon père, d’après ses préceptes, qui d’ailleurs, commentait non sans ironie, que la filiation matrilinéaire n’avait pas de sens pour un garçon, et que le raisonnement de ma mère [blanche et française] était un désastre pour la société africaine. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 14) ; « J’étais, ainsi dit, le ‘moundélé’ du collège, pour ne pas dire ‘blanc’. » (idem, p. 27) ; « Toi, t’es comme un blanc. C’est honteux pour un noir, me répondait-on. L’homme est fait pour la femme, et les enfants pour la continuité du monde… » (idem, p. 62) ; « Ne crois pas que tu fais partie de la race blanche, même si ta mère l’est ! » (Yoro s’adressant à Bertrand Nguyen Matoko dans l’autobiographie de ce dernier, Le Flamant noir (2004), p. 139)
Le désir d’être Blanc (quand on est né Noir), ou Noirs (quand on est né Blanc) est plus répandu qu’on ne le croit parmi les membres de la communauté homosexuelle. Parmi mes amis homos blancs, certains m’ont avoué que dans leur enfance, ils avaient souhaité être noirs. Après, du côté des célébrités homosexuelles/bisexuelles, le cas se présente aussi. Par exemple, l’écrivain nord-américain James Baldwin se met dans la peau d’un Blanc pour écrire son roman Giovanni’s Room (1961). Fabrice Emaer, le créateur du Palace, se décrit comme « une blondasse qui travaille comme une négresse » (cf. la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 73). Le rappeur noir gay Mykki Blanco s’est choisi un pseudonyme scénique éloquent ! Le désir d’être une Noire est exprimée par Beatriz Preciado dans le documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós et Violeta Salvatierra. Dans les années 1930, l’écrivaine Colette tient une rubrique qu’elle baptise « La Jumelle noire » dans une revue appelée Le Journal. Des femmes féministes noires (Gloria Hull, Patricia Bell Scott, Barbara Smith, etc.) ont rédigé en 1982 un essai don’t le titre parle de lui-même : All The Women Are White, All The Blacks Are Men, But Some Of Us Are Brave. Le militant gay Pierre Vallières écrit Les Nègres blancs d’Amérique en 1968. La philosophe Simone de Beauvoir (qui ne dément pas éprouver une attraction charnelle pour les femmes) déclare que « Dieu est noir ». Dans son article « Donner aux morts » (dans la revue Magazine littéraire, n°313, septembre 1993), Paule Thévenin fait allusion chez l’écrivain français Jean Genet à « cet entêtement, à partir d’une certaine époque, à se déclarer non Blanc, à se vouloir à tout prix Colored Man » (p. 36). Le chanteur bisexuel Michael Jackson se fait réellement blanchir la peau. Dans le documentaire « Metamorphosis : The Remarkable Journey Of Granny Lee » (2001) de Luiz Debarros, Granny Lee est un Noir homosexuel qui veut devenir Blanc. Dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar, Nicco, un homme M to F transsexuel né blanc déclare qu’elle ne veut plus être un « homme blanc ». Dans La Beauté du Métis. Réflexions d’un Franco-phobe (1979), Guy Hocquenghem dit sa haine de « l’homosexualité blanche » embourgeoisée, et se demande s’il n’est pas « né homosexuel […] comme une manière d’être à l’étranger, de lui appartenir et d’être chez lui ».
Les noms de scène et les pseudonymes que se choisissent certaines personnes homosexuelles évoquent l’inversion raciale Blanc/Noir, voire la fusion des deux couleurs de peau : par exemple l’écrivain blanc Essobal Lenoir, ou bien le photographe montpelliérain Chocolat Poire, etc.
Beaucoup de personnes homosexuelles blanches expriment le désir d’être noires, ou inversement, des personnes homos noires veulent être blanches : « Déjà, petit, je me disais : ‘Je veux être comme mes copains français, j’aimerais être blond.’ » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 119) ; « James Baldwin est homosexuel parce qu’il a toujours désiré être blanc. » (le Roi Jones concernant son ami noir James Baldwin, cité dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997) de Michel Larivière, p. 55) ; « Être trans, c’est un truc de Blanc. » (Norie, un homme M to F transsexuel noir souhaitant devenir un Blanc, dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar) ; « Cette fascination du Blanc pour le Noir, c’est chez moi de l’ordre du désir, comme l’écriture, profond, mystérieux, fascinant. Souvent je m’interroge sur cette attirance pour l’homme noir. Et mes amis blacks ne m’ont jamais vraiment éclairé là-dessus, pas plus que les Blancs d’ailleurs ! » (le romancier français Hugues Pouyé dans le site Les Toiles roses en 2009) ; « Je me dis – romanesque ! – que je suis un peu métis. Mes ancêtres auraient-ils jeté quelque semence de blanc dans le ventre d’une femme noire, ou l’inverse peut-être. » (idem) ; « Je suis originaire d’un pays qui n’existe plus : le Sud. » (Julien Green à propos de la Guerre de Sécession nord-américaine, cité dans l’article « Julien Green, l’Histoire d’un Sudiste » de Philippe Vannini, Magazine littéraire, n°266, juin 1989, p. 96) ; « Les lesbiennes sont des femmes marron, des échappées de leur classe. » (Monique Wittig, La Pensée Straight, 1979-1992) ; « Ce qui est remarquable, c’est que l’égalité entre Noirs et Blancs, hommes et femmes, semble avoir été générée par l’homosexualité. » (Colin Spencer, « La Politique à l’Âge du Jazz », dans Histoire de l’homosexualité de l’Antiquité à nos jours (1998), pp. 394-397) ; « Dans 30 000 ans, quand ils verront ça, ils ne sauront pas si c’est des mains de Blancs ou des mains de Noirs. C’est un joli symbole. » (Frédéric Lopez face à la pierre où il a imprimé sa main, dans l’émission Rendez-vous en terre inconnue, invitée Cristiana Reali en Australie, diffusée sur France 2 le 18 avril 2017); etc. À la question « Qu’est-ce que vous aimeriez être ? », le poète argentin Néstor Perlongher répond : « J’aimerais être Noir. Être un traître à la race blanche. Être, c’est devenir : devenir Noir, devenir femme, devenir enfant. » (cf. l’article « 69 Preguntas A Néstor Perlongher », 1997, p. 21) Interviewé dans un radio martiniquaise en 2004, l’écrivain congolais Bertrand N’Guyen Matoko, mi-martiniquais mi-vietnamien, dit qu’il est attiré par les Blancs, et regrette que les Blancs le voient comme un Noir, alors que les Noirs le voient comme un Blanc.
Le brouillage de la frontière entre Noirs et Blancs est une manœuvre pour se victimiser, pour promouvoir l’homosexualité discrètement et en donnant à cette dernière une apparence de diversité, de solidarité et de lutte contre les discriminations. « Je trouve le nom de ma psy sur internet associé à la Manif Pour Tous, je suis choquée, ces gens sont mon pire cauchemar. Je lui écris. Et elle finit par m’avouer à la séance suivante que oui… Nonnnnnn!!!!!! Je suis choquée, comme chaos sur le ring de boxe. J’y retourne, je veux savoir. Comment est-ce possible? ‘Si elle fait partie de la Manif Pour Tous, ce qui serait invraisemblable, j’arrête !’, avais-je dit à ma sœur. C’est comme être juif et être en face d’un nazi, ou être noir et être en face du Ku Klux Klan. » (une femme lesbienne témoignant dans l’article « Ma psy est ‘Manif Pour Tous’ ») Par exemple, dans le docu-fiction « Elena » (2010) de Nicole Conn, la banalité ET la beauté de l’homosexualité pratiquée est prônée à travers les interview de couples mixtes Noir/Blanc (hétéros ou homos, peu importe).
Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus se prend carrément pour un Noir (l’affiche du spectacle illustre d’ailleurs parfaitement cette schizophrénie spaciale), sous prétexte que les races n’existent pas et qu’il rêve d’un monde sans frontières, sans communautarismes, sans étiquettes, qu’il se prend pour un jazzman : « Avec les lunettes Megachrome, vous pouvez voir les gens de couleur en blanc ! » ; « Moi, mon fantasme, ce serait d’être Noir. Ils ont trop la classe, les Noirs. Ils ont bercé toute mon enfance : Billie, Ella, Charlie. Et à la trompette [se désignant lui-même] : le Nègre blanc ! » ; « Mesdames et Messieurs, ce soir, je suis fier d’être Noir ! ». Ce qui ressemble à un hommage transracial, à une belle déclaration d’amour universel se mute très vite en racisme : « Les races n’existent pas. Y’a l’espèce humaine. C’est tout. » ; « Je connais un clown noir qui déteste les Juifs. Il s’est maqué avec un groupe de clowns blancs qui détestent la Shoah. » Fatus joue d’ailleurs le raciste xénophobe avec son assistant Zoran : « Je te rendrai tes papiers à la fin de la tournée. On avait dit ‘Pas de Noirs’ sur la tournée ! De toute façon, comment veux-tu qu’on s’entende ? on est trop différents ! » Il met également en scène un concept de jeu télévisé raciste, intitulé Qui nique qui ?. Mais il noie ensuite le poisson dans la désinvolture et le déni relativiste : « Le racisme, la xénophobie, c’est tellement gluant comme sujets. Si je devait en parler devant 500 personnes, je serais bien emmerdé. » ; « Un clown, noir, pédé, d’extrême gauche… J’en ai marre des étiquettes. » ; etc. Au bout du compte, il n’aime du « Noir » que le fantasme cinématographique qu’il s’en est fait. Il dit d’ailleurs qu’il est suivi par une ombre. Son goût pour la négritude, et son déni des différentes couleurs de peau par son mépris du mot « race », cachent chez ce comédien bisexuel, en plus d’un délire identificatoire sincère, une véritable francophobie, un violent anti-patriotisme, un meurtre programmé de la différence des espaces. C’est effrayant de voir des gens qui détestent comme ça la France, ces désirs de guerre civile explicitement et inconsciemment exprimés. (N.B. : Je ne justifie pas pour autant Morano ^^)
Lors du débat intitulé « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s » organisé par l’association David et Jonathan à la Mairie du XIe arrondissement de Paris le 10 octobre 2009, Patrick Bloch, un intervenant blanc venu témoigner de sa « joie » d’être, avec son compagnon (blanc aussi), les « parents » de plusieurs enfants noirs adoptés avec qui ils formeraient une « famille heureuse et unie » (désolé pour les nombreuses guillemets, c’est plus fort que moi…) a employé des mots qui, mine de rien, derrière le ton rigolard et bien intentionné du propos, distribuaient des rôles et des couleurs à tout le monde sans prendre en compte la réalité concrète des personnes concernées : « Je suis Noir aussi, faute de le sentir sur ma peau, parce que mes deux enfants le sont. » ; « Je suis né dans une famille black, blanc et rainbow. »
On entend certaines personnes homosexuelles ré-écrire leur vie et leur identité raciale avec des « si », se mettre à la place des Noirs pour les animer comme des marionnettes (ou se faire parler eux-mêmes), avec les meilleures intentions du monde, en plus : « Si j’avais été Noire, j’aurais peut-être fait un film sur les Noirs. » (Jeanne Broyon dans le documentaire « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) ; « Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment je réagirais à ces difficultés si ma peau était noire et si je vivais aux Antilles. » (Lionel Vallet cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 54) ; « Avec la neige, j’ai toujours les idées noires. » (André, l’un des deux hommes homosexuels du docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.
La démarche de vouloir « transcender/déconstruire » les races paraît séduisante et poétique, intellectuellement parlant : le rouleau compresseur de la déesse Égalité voudrait effacer les frontières, les différences, les conflits entre les Hommes, pour que la communion universelle soit complète… mais à trop chercher le bien des personnes sans reconnaître leur unicité, on finit par porter atteinte au Réel, par ne plus reconnaître l’Autre dans sa BELLE et SOLITAIRE différence. Les termes employés par ces prosélytes de l’Égalité sont paradoxalement d’une violence inouïe. Par exemple, sur son article « Pourquoi et comment notre vision du monde se ‘racialise’ ? » publié dans le journal Le Monde du 4-5 mai 2007, le sociologue émérite Éric Fassin défend « un devenir-noir qui fait exploser le concept de race » (p. 15). Les races sont-elles si diaboliques et mauvaises pour qu’on souhaite à ce point les faire « exploser », les neutraliser, sous couvert de défense des différences ?
Ce n’est pas un hasard si, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko constate que la pratique de l’homosexualité ou de l’homophobie est identique en Occident et en Afrique. Les deux hémisphères fusionnent et s’imitent dans la violence dès qu’il s’agit d’actualiser et de justifier/banaliser/diaboliser le désir homosexuel : « Évidemment, de même que mes copains de Brazzaville, je retrouvais l’identique raisonnement. D’un continent à un autre, les vues d’esprit étaient donc les mêmes. » (p. 102)
La recherche trop fiévreuse du Noir ressemble chez certaines personnes homosexuelles à une démarche narcissique, quand bien même ce reflet soit obscurcissant : « À côté des maisons anglaises construites par la compagnie des chemins de fer anglais, il y a longtemps, s’étendait une mare de pétrole noir ou d’huile noire, déchet de locomotives. Nous aimions nous en approcher ensemble, et nous contempler dans ce miroir noir. » (Alfredo Arias, Folies-fantômes (1997), pp. 156-157) Comme l’explique par exemple Stuart concernant Frantz Fanon, le rapport au peuple noir de l’auteur du bien nommé roman Peaux noires, masques blancs (1952) est de type incestueux : « On est très près du complexe d’Œdipe. »… ou, dit autrement, du paternalisme/de l’infantilisme. Pareil du côté des Noirs réels qui désirent être des Blancs. Ce désir de fusionner avec l’Homme blanc n’est pas à entendre uniquement comme un amour fou, mais d’abord comme un narcissisme mortifère, un rêve d’invisibilité.
À mon avis, l’identification au Blanc-Noir montre que l’homosexualité est un désir de devenir objet. On le voit très bien par exemple à travers les personnes transgenres de couleur, à travers l’obsession chez certains Noirs de se convertir en Blancs, sous l’influence des diktats de la mode et de la télévision. Actuellement, l’éclaircissement ou la dépigmentation de la peau connaît un essor important sur le continent africain. Pour entrer dans les canons de beauté des Occidentaux, certaines personnes ont recours à des produits dangereux (L’eau de javel est mélangée à des laits de corps pour accélérer le processus ; l’hydroquinone et ses dérivés sous forme de lait, crème, savon sont aussi très prisés).
Par exemple, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, Sœur Belphégor – sœur de la Perpétuelle Indulgence – est peinturlurée de blanc sur sa peau noire. Dans le docu-fiction « Miwa : à la recherche du Lézard noir » (2010) de Pascal-Alex Vincent, l’acteur Akihiro Miwa se convainc de n’être ni homme ni femme, ni hétéro ni homo, ni blanc ni noir. Le documentaire « Jenny Bel’Air » (2008) de Régine Abadia, retrace la vie de Jenny Bel’Air, le travesti M to F est connu pour avoir été dans les années 1980 le physionomiste excentrique et redouté du sulfureux Palace. Il est décrit comme une synthèse raciale : « Transgenre, ni Blanche ni noire, une violence à faire peur et une douceur attendrissante, Jenny a le port d’une reine et l’âme d’une clocharde à moins que ce ne soit l’inverse. » (cf. le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 80)
Je voudrais terminer ce code par un témoignage personnel. Le 16 août 2016 dernier, j’ai eu une longue conversation téléphonique avec une femme de 30 ans, lesbienne mais qui n’est jamais passée à l’acte homo (son attraction pour les femmes reste de l’ordre purement pulsionnel et fantasmé), et qui a été heureuse de lire mon livre L’homosexualité en Vérité parce que pour une fois, m’a-t-elle dit, elle a pu entendre que l’homosexualité était un mal et une tendance à ne pas pratiquer, et que c’est ce que sa foi catholique et son intuition lui ont toujours inspiré. Son discours était très posé, très serein, et j’ai senti qu’elle était allée très loin dans sa réflexion sur l’homosexualité. Ça fait plaisir de tomber sur des filles (et des sœurs homosexuelles) comme ça ! Elle m’a recontacté le lendemain car elle a farfouillé dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Et en lisant le présent code « Je suis un Blanc-Noir », voilà ce qu’elle m’a révélé, et que je peux publier, avec son autorisation. Ça me réconforte. J’ai un peu moins l’impression d’être un OVNI ou un fou ou un méchant. « Salut Philippe, Je suis tombée sur ton article ‘Je suis un Blanc-Noir’. J’ai des origines africaines et françaises, donc forcément ça m’a intriguée. Je l’ai trouvé très intéressant. J’ai déjà fait le parallèle entre l’homosexualité et la différence noirs/blancs avec tous les problèmes identitaires qui peuvent en découler. Tes analyses pour mieux comprendre le désir homosexuel sont très justes ;-). En tant que femme noire (ou métisse peu importe) je suis choquée de toutes les représentations qu’on peut mettre sur ma couleur de peau. Et oui souvent j’ai voulu être blanche pour être « neutre » ou invisible. Que l’on considère qui je suis, ma personnalité, ma beauté sans faire de moi un objet. Il y a une vraie représentation négative des femmes noires, qui serait moins féminines ou séduisantes que les femmes blanches (c’est le même problème avec la femme lesbienne d’ailleurs). Certains blancs ne voient les noirs que comme des corps comme si toute leur identité était dans leur apparence (peut-être en lien avec l’esclavage, la marchandisation des corps). J’ai un ami (blanc) qui n’est attiré que par les femmes noires et qui ne ressent absolument rien pour les femmes blanches, il m’a dit : ‘Quand tu te l’avoues, c’est comme un gay qui fait sont coming out…’ Enfin voilà je pourrais en parler pendant des heures…Juste pour te dire que c’est un très bon article qui dit beaucoup de choses. »
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D’après vous, pourquoi le « mariage homo » est porté par Mme Taubira en France ?
L’identification-substitution aux pauvres est particulièrement visible à travers l’attrait des personnes homosexuelles pour les Noirs. Il n’est pas rare de voir apparaître au détour d’une scène de film à thématique homo-érotique des acteurs à la peau noire. Il ne s’agit pas toujours d’un Noir réel ; il est parfois figuré par un simple pantin sombre. On peut également souligner au passage l’influence surprenante que joue pour certains sujets homosexuels le roman Les Dix Petits Nègres (1939) d’Agatha Christie ainsi que leur dévotion pour celle qui est un déguisement de travesti à elle toute seule : Joséphine Baker (bientôt au Panthéon parisien ?…). Quel est le sens de cette passion homosexuelle pour la négritude ? C’est ce que nous allons tenter de voir dans cette étude qui va nous montrer l’étrange rapport qu’entretiennent les personnes homosexuelles avec la différence des sexes d’une part et la différence des espaces d’autre part. Un rapport idolâtre d’attraction-répulsion, à la fois homosexuel en intentions et homophobe en actes, à la fois humaniste en intentions et raciste en actes.
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « « Je suis un Blanc noir » », « Amour ambigu de l’étranger », « Ombre », « Prostitution », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », et « Homosexualité noire et glorieuse », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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Homosexualité et Négritude : Au bras d’un Noir, ça passe mieux !
Il existe un lien de coïncidence entre désir homosexuel et négritude, même si, bien entendu, il ne s’agit pas de le causaliser en soutenant par exemple que « la majorité des homos sont attirés par les Noirs », ou que « tous les homos sont racistes », ou encore que « les couples mixtes homos sont forcément superficiels ».
Ce lien est peu reconnu, ni même analysé, car à mon avis, il s’appelle « viol » (ou massacres dus à une certaine colonisation ; je ne dis pas « la » colonisation dans son ensemble) ; et il renvoie inconsciemment au désir de viol qu’est le désir homosexuel. C’est pour cette raison qu’il apparaît encore flou à notre société, y compris aux yeux des personnes homosexuelles qui s’y intéressent et qui voudraient le comprendre :
« Mon prochain roman, je voudrais qu’il se passe en terre de négritude, une nouvelle histoire d’amour métissée avec pour fond une réflexion sur ce que fut la colonisation. J’ai l’intuition qu’on n’est pas allés jusqu’au bout, sur le plan anthropologique, de ce que fut la rencontre du Blanc et du Noir. Il s’est joué dans la colonisation autre chose qu’un rapport de domination-soumission. […] Cette fascination du Blanc pour le Noir, c’est chez moi de l’ordre du désir, comme l’écriture, profond, mystérieux, fascinant. Souvent je m’interroge sur cette attirance pour l’homme noir. Et mes amis blacks ne m’ont jamais vraiment éclairé là-dessus, pas plus que les Blancs d’ailleurs ! » (l’écrivain homosexuel Hugues Pouyé, sur le site Les Toiles roses, en 2009)
Il n’est pas anodin qu’au début du XXe siècle, Harlem ait été le quartier où gravitait l’intelligentsia homosexuelle new-yorkaise et d’où a émergé le mouvement mondial de « Libération homosexuelle ». Les militants homosexuels nord-américains se sont largement appuyés sur les groupes de défense des droits des noirs tels que les Black Panthers pour ensuite montrer patte blanche. La collaboration « negro-gay » est notamment visible à travers la musique : dans les années 1950-60 existent des liens très forts entre la Beat Generation et le jazz ; le disco des années 1970-80, musique gay par excellence – normal : c’est une des premières musiques qui ne se danse pas en couple… – (je vous renvoie à l’étude de Walter Hughes sur les liens entre musique disco et homosexualité), est portée par les Noirs ; nous pouvons également parler de la passion homosexuelle pour les grosses mamies black de la soul (Ella Fitzgerald, Donna Summer), les divas de la house music des années 1990, et les bimbos noires du R’n’B actuel (Beyoncé, Whitney Youston, Toni Braxton, Brandy, etc.). « On dit toujours que les gays aiment les chanteuses noires. Je pense aux chanteuses venues des Negros Spirituals. Elles sont à la fois tristes et pleines d’espoir. » (Lady Bunny, homme transformiste M to F, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel).
Parfois dans les créations homosexuelles, il est fait mention de l’Afrique comme une métaphore géographique du désir homosexuel. « Je constate que je ne parle de vous qu’en relation avec l’Afrique ; car je sais bien que c’est la part qui est peut-être la plus proche de votre vérité, et à laquelle je me sens le plus fortement attaché. » (cf. une lettre privée de Foucault à Rolf Italiaander pour Noël 1960) Dans le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, par exemple, ce n’est qu’au moment où Maximilien et Bryan trinquent « à l’Afrique » que nous comprenons qu’ils vont être amants (ce ne sera pas dit à un autre moment du synopsis). Il est significatif ici que la déclaration d’amour homosexuel ne passe pas par un « je t’aime » explicite mais par une adhésion orale à l’Afrique.
Beaucoup de personnes homosexuelles ont intégré et désiré incarner ce fantasme du Noir. La prostituée noire (parfois lesbienne) est une icône homosexuelle récurrente. « J’ai connu des putains… de ténèbres. » (c.f. la chanson « Désobéissance » de Mylène Farmer) ; « Et toi quand tu parles de cette cubaine, appuyée contre la fenêtre en face de la jetée…, je me dis que cette femme, c’est moi » (Benigno au parloir du film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar). Le rappel de l’Afrique, c’est une manière de pointer du doigt la blessure homosexuelle : le désir d’esclavage – ou l’esclavage réel –, et plus largement le désir de violation de la/sa dignité humaine.
Pourtant, un certain nombre de personnes homosexuelles sont prêtes à qualifier le lien de coïncidence entre race noire et homosexualité de « raciste » simplement parce qu’elles le transforment en lien de causalité (les récents d’amalgames entre l’opposition à la loi Taubira et le soi-disant racisme de ces mêmes opposants – cf. l’épisode de la banane angevine en 2013 – sont assez éloquents) Du coup, c’est l’établissement du lien de causalité qui devient raciste ! Par exemple, concernant l’amant noir de l’ami d’enfance homosexuel de Billy dans le film « Billy Elliot » (1999) de Stephen Daldry, nous pouvons lire quelques critiques affirmer que « l’homme noir homosexuel est un cliché, voire même une incitation au racisme » (BohwaZ, « Billy Elliot », article écrit le 19 janvier 2001 sur le site suivant, consulté en juin 2005). On se demande dans ce cas précis qui est en train de juger qui… Si lier la négritude à tout sujet qui aborde la souffrance revient à être raciste, c’est que nous considérons le Noir comme un Superman qui ne souffre jamais ou, ce qui revient au même, comme un être inhumain (personnellement, je préfère le prendre pour un Homme singulier mais foncièrement comme les autres). Il est même curieux de découvrir que la très grande majorité des hommes gays racistes qu’on est amené à rencontrer ne se trouvent pas chez les Blancs mais parmi les sujets gays noirs : il n’est absolument pas rare de voir un certain nombre d’entre eux se protéger du soleil pour ne pas, selon leurs propres termes, « noircir davantage », jouer de leur double étiquetage de monstres – en tant que personnes homosexuelles et en tant que Noirs – (rappelons-nous leur regard fou et leur gestuelle exagérément démoniaque pendant les Gay Pride ; j’aborde dans le code « Vampirisme » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels l’identification d’un certain nombre de Noirs homos à Dracula), poser sur Internet la question saugrenue de savoir si cela ne nous dérange pas qu’ils soient Noirs (on a envie de leur dire que leur soi-disant « différence de race » n’a d’importance que pour eux…). Fondamentalement, le racisme n’a pas de race. La meilleure arme contre celui-ci réside déjà dans le fait de ne pas s’estimer à l’abri du racisme, qui plus est quand on est né Noir ET homosexuel !
N.B. : Message perso aux amis lecteurs qui seraient tentés de me taxer de « raciste » simplement parce que je parle du lien de coïncidence entre désir homosexuel et Noir, ou parce que j’emploie les mots « Noirs » et « race » (qui ne sont pas des gros mots, je préfère préciser, on ne sait jamais : ils renvoient à des réalités visibles et concrètes) :
Je me souviens (c’était en 2010) de l’étonnante réaction qu’avaient eue mes deux classes de futures secrétaires, étudiant au lycée professionnel de Juvisy, que j’avais emmenées voir l’excellent one-woman-show de l’humoriste Bérengère Krief, Ma Mère, mon chat, et Docteur House, à Paris. Elles avaient unanimement adoré le spectacle. Il faut dire qu’il était très « girly » et particulièrement adapté à elles. Mais j’avais été surpris de voir qu’un seul des sketchs de la série n’avait pas réellement fonctionné… alors qu’il n’était pourtant pas si différent des autres, et qu’en plus, il pouvait être considéré comme un plaidoyer en faveur de la France Blacks-Blancs-Beurs que représentaient tout à fait mes élèves : ce fut le sketch sur la dénonciation du racisme (Bérengère y imitait parodiquement une raciste de base). J’ai senti à ce moment précis du spectacle que les poils de mes secrétaires, pour la plupart d’origine maghrébine et africaine noire, se hérissaient. J’ai eu, du coup, une petite sueur froide moi aussi… Ce fut de leur part une méfiance instinctive, presque animale (j’en ai reparlé à la fin du spectacle avec Bérengère, et on s’est dits que leur coup de sang – heureusement vite estompé par la bonne humeur de la fin du spectacle – était « sociologiquement très intéressant à analyser », lourd d’interprétations !). Beaucoup de mes élèves, baignées dans un racisme ordinaire mâtiné de « tolérance multiraciale de principe » (exemple : Il n’y a ni races, ni religions, ni frontières, ni Blancs, ni Noirs, ni Jaunes, on est tous des frères égaux), élevées inconsciemment dans un climat de xénophobie-qui-s’ignore (car, en effet, comment puis-je être moi-même raciste, se dit le raciste, étant donné que je suis Noir et qu’on peut à tout moment m’attaquer pour ça ?), ont sorti, l’espace de 5 minutes, leurs griffes manucurées, uniquement parce qu’elles avaient entendu les mots-qui-font-peur (« Noir », « raciste », « sale Arabe »), les mots interdits d’une société qui cultive tous les tabous alors qu’elle prétend justement les pulvériser magiquement par un sourire publicitaire. La souffrance s’amuse toujours, pour se faire oublier, à brouiller les cartes entre les mots et les choses qu’ils désignent, à réduire les personnes à leurs actes et à leurs dires, afin de continuer à s’étendre. C’est inattendu, les chemins que prend la peur.
Pour les esprits faibles, ignorants, paranoïaques ou schizophrènes, c’est-à-dire ceux qui se laissent tellement bercés par leurs bonnes intentions qu’ils ne se voient plus (mal) agir, la différence entre l’explication et la justification, entre le dire et le faire, entre les mots et la réalité parfois violente qu’ils recouvrent, est abolie. Selon leur curieux schéma de pensée, le mot « eau » a le pouvoir de mouiller, le mot « feu » brûle, le mot « chien » mord, la télé dit la vérité et crée le Réel. Si tu parles de racisme, c’est forcément que tu le provoques et que tu es raciste toi-même ! ; si tu dénonces l’homophobie, c’est que tu es à coup sûr homophobe ! ; si tu traites des Juifs – en bien ou en mal, peu importe finalement ! il suffit d’en parler pour être dangereux, pas besoin d’aller chercher plus loin… –, tu es traîné en procès d’antisémitisme ! Il n’y a qu’à voir le sort qui m’est réservé actuellement par les brigades prétendument « anti-homophobie » qui me voient comme un ignoble homophobe uniquement parce que je m’attache à décrire les mécanismes de l’homophobie. Il n’y a qu’à voir les suspicions infondées de xénophobie et de racisme qui s’abattent sur un Éric Zemmour, simplement parce qu’il ose parler des étrangers et de l’identité nationale. Bientôt (c’est déjà le cas d’ailleurs), prononcer le mot « homosexualité » va devenir homophobe ! Pour notre société névrogène et superstitieuse, nous créons ce que nous disons… donc nous ne devons parler de rien : ni d’immigration, ni de souffrance, ni d’argent, ni de religions, ni de mort ! Nous sommes directement associés et contaminés par un mythique mal « tout-puissant » : parler du malheur, ça rendrait malheureux ! C’est être défaitiste ! « Je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur… » : voilà le paradoxal crédo du parano manichéen athée. Les raccourcis moralisants des abrutis me fascineront et m’étonneront toujours…
La négritude est un thème omniprésent dans les créations artistiques homosexuelles. C’est ce que l’on peut constater dans le poème « The Black Christ » (1929) de Countee Cullen, le film « Drool » (2009) de Nancy Kissam, le vidéo-clip de la chanson « Les Mots » de Mylène Farmer et Seal, la série Black Out (2010) de Rudee LaRue, la B.D. Pressions & Impressions (2007) de Didier Eberlé (avec Clotilde et sa compagne noire), le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « La Cage aux Folles » (1978) d’Édouard Molinaro (avec Jacob, le domestique noir), les films « Territories » (1984), « The Passion Of Remembrance » (1986), « Looking For Langston » (1988), « Young Soul Rebels » (1991), et « The Attendant » (1992) d’Isaac Julien, le film « Society » (2007) de Vincent Moloi, le film « Loin du Paradis » (2002) de Todd Haynes (dans les années 1960 aux États-Unis, en pleine période de remise en question de la ségrégation raciale), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le tableau Blacks (1997) de Philippe Barnier, le film « Embrassez qui vous voudrez » (2001) de Michel Blanc, le film « Dakan » (1997) de Mohamed Camara, le film « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander, le film « Get On The Bus » (1996) de Spike Lee, le film « Portrait Of Jason » (1967) de Shirley Clarke, le film « Edmond » (2005) de Stuart Gordon, le roman L’Œuvre au Noir (1968) de Marguerite Yourcenar, le film « Next Stop, Greenwich Village » (1976) de Paul Mazursky, le film « The Watermelon Woman » (1996) de Cheryl Dunye, le film « Peut-on être Noir et homosexuel aux États-Unis ? » (1989) de Marlon Riggs, le film « The Girl » (2000) de Sande Zeit, le film « Foxy Brown » (1974) de Jack Hill, le film « Esprit de famille » (2005) de Thomas Bezucha, le film « Swashbuckler » (1976) de James Goldstone, le film « La Chambre discrète » (1962) de Bryan Forbes, le film « Parallel Sons » (1995) de John G. Young, la série nord-américaine Six Feet Under (David, le cadet de la famille est en couple avec un policier noir), le film « Lettres d’amour en Somalie » (1981) de Frédéric Mitterrand, le film « Un Duplex pour trois » (2003) de Danny DeVito, le film « Prêteur sur gages » (1965) de Sidney Lumet, le film « Armaguedon » (1976) d’Alain Jessua, le tableau Impressions d’Afrique (1938) de Salvador Dalí, le film « Six degrés de séparation » (1993) de Fred Schepisi, la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, le film « Sous les verrous » (2003) de Jörg Andreas, le film « The World Unseen » (2007) de Shamin Sarif, la pièce Baby Doll (1956) de Tennessee Williams (avec Moïse, le Noir), le film « Brother To Brother » (2004) de Rodney Evans, la chanson « Tutti Frutti » de Little Richard, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, le film « Birth 3 » (2010) d’Anthony Hickling, le film « Tout ira bien » (1997) d’Angelica Maccarone, le tableau Afrique je t’aime (2006) d’Orion Delain, les tableaux du peintre Benoît Prévot (2007), le film « Strange Fruit » (2004) de Kyle Schidkner, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Sexe, gombo et beurre » (2007) de Mahamat-Saleh Haroun, le film « Justice pour tous » (1979) de Norman Jewison, la chanson « Billy Brown » de Mika (racontant un coming out), le film « Norman la folle » (1976) de George Schlatter, « Mon copain Rachid » (1998) de Philippe Barassat, le film « Nos Vies bouleversées » (2003) de Shahar Rozen, le roman Confidence africaine (1931) de Roger Martin du Gard, le film « Comme des voleurs » (2007) de Lionel Baier, le roman Nouvelles impressions d’Afrique (1932) de Raymond Roussel, le film « Girlboy » (1971) de Bob Kellett, le film « Next Stop Greenwich Village » (1976) de Paul Mazursky, le film « A Rainha Diaba » (1975) de Antonio Carlos Fontoura, le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano, la chanson « Bessie » de Patricia Kaas, le film « The Family Stone » (« Esprit de famille », 2005) de Thomas Bezucha (dans lequel Ben a un copain noir), le film « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier (avec le couple homo Claude Rich/Dieudonné), les films « Le Voyage au Congo » (1927) et « Le Blanc et le Noir » (1931) de Marc Allégret, le film « Proteus » (2003) de John Greyson et Jack Lewis, le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie MacDonald (notamment avec la danse finale entre la mère blanche de Jamie et la voisine noire Leah), la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays (avec la figure de Kirikou), le sketch « Le Noir » (1989) de Muriel Robin, la pièce Les Nègres (1959) de Jean Genet, le film « Keiner Liebt Mich » (« Personne ne m’aime », 1993) de Doris Dörrie, le film « Afrika » (1973) d’Alberto Cavallone, le roman Los Negros (1959) de Julio Antonio Gómez Fraile, le roman Sur les traces de l’Afrique fantôme (1991) de Michel Cressole, le film « Le Cas d’O » (2003) d’Olivier Ciappa (avec une négritude jugée comme dangereuse), le film « 8 Miles » (2002) de Curtis Hanson, le vidéo-clip de la chanson « Spinning The Wheel » de George Michael, le vidéo-clip de la chanson « Vogue » de Madonna, le roman Un Thé au Sahara (1949) de Paul Bowles, le film « Flirt » (1995) de Hal Hartley, le roman Série Black (2003) de Philippe Cassand, le roman Un Amor Fora Ciutat (1959) de Manuel de Pedrolo (avec Miquel, l’amant noir), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec Hunter, l’amant noir), le film « Identity Crisis » (1988) de Melvin Van Peebles, le film « Made In America » (1992) de Richard Benjamin, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, le film « Insatisfaites poupées érotiques du professeur Hitchcock » (1971) de Fernando Di Leo, le film « Collateral » (2004) de Michael Mann (avec le personnage de Max), la photo Man In Polyester Suit (1980) de Robert Mapplethorpe, le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy (avec Quintus Pearch, le serviteur noir), la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (où Rachid est comparé à un Noir), la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie besset (avec Charlène, l’amie noire de Paul, le héros homosexuel), la pièce Confessions d’un vampire sud-africain : l’étrange histoire de Pretorius Malan (2008) de Jann Halexander, la pièce Orage (et des espoirs) (2017) d’Alexis Matthews, le film « Berlin Harlem » (1977) de Lothar Lambert, le film « Le Trou aux Folles » (1979) de Franco Martinelli, la pièce Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob (avec Jeff possédant un livre illustré sur la Côte d’Ivoire), le film « La Salamandre » (1969) d’Alberto Cavallone, le film « Stir Crazy » (1980) de Sidney Poitier, le film « Greenbook » (2018) de Peter Farrelly, le film « Zurück Auf Los ! » (1999) de Pierre Sanoussi-Bliss, le film « Alles Wird Gut » (1997) d’Angelica Maccarone, les dessins Rugbymen (2005), Foot (2006), Gymnastes (2005), Handisport (2006) de Boris X, le film « La Princesse et la Sirène » (2017) de Charlotte Audebram, la chanson « Joe le taxi » de Vanessa Paradis, le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue (avec Zamba, le travesti M to F haut en couleurs, au carnaval antillais), le roman La nuit de Maritzburg (2014) de Gilbert Sinoué (sur fond d’apartheid), la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz (avec le couple Chris – Blanc – et Ruzy – Noir), le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer (racontant l’histoire d’amour entre Johnny le Blanc et Romeo le Noir), le vidéo-clip de la chanson « Only Gay In The World » de Tomboy, la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm (avec Emmanuel, le séminariste noir, le quota « solidaire » de la série), le concert Free : The One Woman Funky Show (2014) de Shirley Souagnon (avec le Commerce triangulaire et la traite des Noirs), le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu (se déroulant à Nairobi, au Kenya), le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan (avec Audrey la journaliste noire gay friendly), le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare (avec Alex, l’ex de Jean), la série Manifest (2018) de Jeff Rake (avec Bethany, lesbienne noire « mariée » avec Georgia), etc. Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’ Abdellatif Kechiche, Adèle, l’héroïne lesbienne, fait danser ses classes de maternelle sur des percussions de musiques « cools Africa » pour la kermesse de l’école. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), Yorkie, l’héroïne lesbienne, sort avec Kelly, noire des années 1980. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, les « mères » de Jackson sont lesbiennes : Sylvia la blonde compose un « couple » avec une femme noire. Quant à l’un des héros principaux de la série, Éric, il est noir et homosexuel.
Au détour d’un film parlant d’homosexualité, ou d’une intrigue qui ne traite absolument pas de thématiques liées au racisme ou à la culture noire, il est fréquent de voir débarquer à l’improviste un Noir. C’est apparition impromptue est étonnante. « Remontant dans son bureau, Antoine croisa un homme, visiblement Africain, vêtu d’une blouse Euroclean, aux manettes d’une grosse shampouineuse de moquette. Il le salua. L’homme baissa les yeux sans répondre. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 154) ; « Antoine éteignit la lumière, puis tenta de faire une mise au point sur la fenêtre d’en face. […] Il lâcha les jumelles. Il les ramassa et regarda de nouveau. Dans une pièce aux murs couverts de masques africains, Martine Van Decker, immobile, murmurait d’interminables borborygmes en l’observant. » (cf. la dernière phrase du roman Les Nettoyeurs, op. cit., p. 248) ; « Plus près d’elle [Esti], une jeune femme Noire coiffée d’une multitude de tresses terminées par des perles de couleur se tenait devant les crèmes hydratantes. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 206) ; « C’est nous qui lançons la mode. Nous, les blacks et les gays. » (Maria, la prostituée, s’adressant à Jane, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 165) ; etc. Par exemple, dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, une sorte de sorcier marabout noir, habillé en costume africain traditionnel, débarque en pleine débauche sexuelle dans une boîte gay, juste pour interpeller le héros homo avec cette question : « Alors les gars, vous vous éclatez bien ? », puis repartir et ne plus apparaître dans le restant du film.
Parfois, le personnage homosexuel dit ouvertement son attachement aux Noirs et à l’Afrique : « Vive les Noirs ! les Nains ! » (Camille la lesbienne dans le one-man-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet) ; « Celui que j’aime est un garçon à la peau brune. » (une réplique de la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « Tu ne veux plus de moi parce que j’ai épousé un Noir ! Raciste ! » (l’infirmière s’adressant au professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Toi aussi je t’aime, même si tu es moins claire que les autres. » (Aldebert parlant à Hud, la Noire de la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « Vous faisiez quoi en Afrique ? » (Henri interrogeant le très homosexuel Docteur Bosmans, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; « J’ai exploré l’Afrique… dans tous les sens du terme. » (François, le héros homo du one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « C’est la fête en Afrique du Nord. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « Mama Africa, je t’appelle ! » (Pierre Fatus, le Blanc qui se prend pour un Noir, dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Ils ont trop la classe, les Noirs. Ils ont bercé toute mon enfance : Billy, Ella, Charlie. » (idem) ; « L’Amérique du Sud, ça peut pas être pire que l’Afrique. » (Jean-Marie, homosexuel, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Garance, l’héroïne lesbienne, se met à fantasmer ironiquement sur « les douches avec de grands Noirs bien musclés ». Certains personnages homosexuels sont même homos et font leur coming out : « Ça a été très dur d’assumer ma négritude et mon homosexualité. » (Laurent Spielvogel imitant imitant Marie-Louise la femme de ménage noire lesbienne, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015)
Curieusement, il est fait mention de l’Afrique comme une métaphore géographique du désir homosexuel : cf. le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar (avec la fille de la Marquise, mystérieusement disparue en Afrique), la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, la pièce Dans la solitude d’un champ de coton (1987) et Combat de Nègre et de chiens (1979) de Bernard-Marie Koltès, le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe (avec Peyrac qui attiré par le flic noir), etc. Par exemple, dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Nounours, le peintre homo d’art contemporain, se marie avec le flic noir, à la toute fin.
Le couple homosexuel fictionnel se forme autour de l’Afrique : « Et si on essayait de se tirer là-bas en Afrique ? » (Billy s’adressant à Rasso dans la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas) ; « Elle me parle de l’Afrique, de poèmes pour sa mère. » (cf. le poème « Noire et Blanche » (2008) d’Aude Legrand-Berriot) ; « Vous faisiez quoi en Afrique ? » (Henri s’adressant au très homosexuel Docteur Bosmans, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; etc. Par exemple, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, Glen a prévu de partir en Afrique. Dans le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, par exemple, ce n’est qu’au moment où Maximilien et Bryan trinquent « À l’Afrique ! » que nous comprenons qu’ils vont être amants (ce ne sera pas dit à un autre moment du synopsis). Il est significatif ici que la déclaration d’amour homosexuel ne passe pas par un « je t’aime » explicite mais par une adhésion orale à l’Afrique. Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Cleavon, le gardien de cellules noir, sert de messager entre Steven et Phillip à la prison. Dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, Ambre et Helena se rencontrent en voyage humanitaire en Namibie, et tombent amoureuses. Le roman A Glance Away (1961) de John Edgar Wideman entrelace les monologues intérieurs d’un ex-drogué noir et d’un professeur de littérature blanc et homosexuel. Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Bernard, le héros homosexuel, a quelqu’un dans sa vie qui s’appelle Patou et qui est créole. Dans le film « The Comedian » (2012) de Tom Shkolnik, Ed rencontre Nathan, un jeune artiste noir. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Dodo raconte une histoire d’un ours polaire homosexuel qui visite l’Afrique. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, drague ouvertement Samuel (joué par Omar Sy) dans l’escalator du métro londonien.
Dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, Idgie et Ruth, les deux héroïnes lesbiennes, tiennent une auberge où travaillent des Noirs : c’est ce qui leur vaut de gros ennuis avec le Ku Klux Klan, qui leur reproche autant leur cohabitation homophile illicite que leur ouverture à l’étranger (« On voit comment tu traites les Nègres. Et nous, ça ne nous réjouit pas. » dit le chef des cagoulés pointus à Idgie). Homophobie et racisme s’entremêlent.
Dans les fictions homo-érotiques, l’Afrique est souvent associée au vol (dans tous les sens du terme) : « Tout au fond de ma mémoire, je le sens se réveiller, l’ancestral désir de toi : c’est le désir de monter sur un beau tapis magique pour survoler toute l’Afrique dans un dessin animé. » (Lou parlant à Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Essaie de voler, mon petit. Tu vas voir comme ce n’est pas difficile. Je te donnerai un sucre. Je te montrerai l’Afrique, tu vas voir, c’est comme un mouchoir. Je te montrerai le monde, il est comme une boule de billard bleue avec des puces dessus. » (le Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Quelques packs promotionnels de lots de quatre boîtes de douze préservatifs dégriffés plus loin, le héros d’une histoire se faisait violer par un régiment de légionnaires en rut, retour d’Afrique. » (le narrateur homo, dans la nouvelle « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 98) ; « Ma copine… c’est un grand Black d’1,90 m. » (Fabien Tucci, homosexuel, simulant l’hétérosexualité, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc.
Le visage noir, plus qu’une réalité de race, est le signe d’une culpabilité inconsciente ressentie après un acte mauvais (un vol ou un viol) commis par le héros homosexuel. « Le soleil me noircit. Il me transforme. En cendres ? En quoi exactement ? Je me demande si, juste à la toute fin, je serai complètement noir. Noir de brûlures. » (Khalid, le héros homosexuel, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 69-71) Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, après leur vol à l’étalage et de retour chez eux, Élisabeth et Paul s’entendent dire par leur gouvernante Mariette : « Quelle belle mine ! Vous êtes tout noirs ! » Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, la liaison lesbienne entre Ziki et Kena est découverte par les gens de leur quartier, à Nairobi (Kenya). L’honneur de leur famille est sali, et Mercy, la mère de Kena, voit sa fille comme une souillon : « Elle ne sera jamais propre. » Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, l’homme marié (le « plan cul » régulier de Jézabel, l’héroïne bisexuelle) parle à Jézabel de son « âme noire ». Et un peu plus tard, Stan, le sacristain jaloux, la décrit au père David comme une femme noire : « Tu vois pas que cette fille elle est noire, elle sent le soufre ? » Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Alfonsina, l’ouvreuse dans un ciné porno, parle de l’avortement d’un bébé noir. Dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017, Louison, l’héroïne lesbienne, se force à coucher avec son pote Max, un Noir, pendant la colonie de vacances, pour finalement renforcer son sentiment d’être homosexuelle.
Dans les fictions traitant d’homosexualité, la race noire et la race blanche s’unissent pour le meilleur, mais surtout pour le pire… Le métissage et la négritude sont souvent associées à la sorcellerie (cf. le film « le Cas d’O » (2003) d’Olivier Ciappa, le roman Frankie Addams (1946) de Carson McCullers – avec la cuisinière noire –, le film « Le Sang du poète » (1930) de Jean Cocteau – avec l’ange noir -, etc.), à la schizophrénie et à l’infidélité (cf. la chanson « J’ai deux amours » de Joséphine Baker, « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, etc.), à la féminité diabolique (cf. le film « Huit Femmes « (2002) de François Ozon – avec le visage de Chanel éclairé par le feu de cheminée –, le vidéo-clip de la chanson « Les Mots » de Mylène Farmer et Seal, la diabolique mère jouée par Carole Fredericks dans la version « live » de la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer en 1989, la pièce Lady Dracula (2014) de Nabil Massad, etc.), à l’union d’esclavage sadomasochiste (cf. le film « Shoot Me Angel » (1995) d’Amal Bedjaoui, le film « Salò ou les 120 journées de Sodome » (1975) de Pier Paolo Pasolini, le film « La Passion » (2004) de Mel Gibson – avec le parallélisme entre l’empereur efféminé Hérode et le gros plan d’un esclave noir –, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku – avec le Noir poignardé –, le vidéo-clip de la chanson « Foolin’ » de Devendra Banhart, le film « See How They Run » – « Coup de théâtre » – (2022) de Tom George, etc.). Par exemple, dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel danse sur des tubes des chanteuses qu’il adore. Quand le démon de la danse s’empare de lui, il s’adresse à la chorégraphe noire « Mia Frye, sors de ce corps ! ». Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Samuel, noir, dit à son amant blanc Jonas qu’il « ne vaut rien », et le vire de chez lui parce qu’il l’a trop trompé avec d’autres hommes. Dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, Roscoe, le héros homo noir, se met en couple avec un riche diplomate blanc londonien, qui a l’âge d’être son grand-père, et qui lui demande de jouer le rôle de « sa nounou ».
Il arrive que les rôles s’inversent, et que le Noir fictionnel prenne sa vengeance sur son maître blanc. Il devient bourreau à son tour (cf. le film « Blacula » (1972) de William Crain, le film « Foot For Love » (2014) d’Élise Lobry et Veronica Noseda,etc.). « J’aurais préféré me faire violer par trois grands Blacks. » (l’humoriste Kallagan dans son one-man-show Virtuose, 2017) Par exemple, dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed, le héros homo est violé par son domestique nubien noir. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, le Black frappe Skip au commissariat. Dans la pièce Cachafaz (1991) de Copi, Cachafaz est un souteneur noir qui fait travailler son amant Raulito comme travesti. Dans le film « Noir et Blanc » (1986) de Claire Devers, ou bien encore dans la pièce Désir et masseur noir (1948) de Tennessee Williams, on nous raconte la liaison SM d’un client qui se fait maltraiter par son masseur noir. Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, le Dr Labrosse fantasme de se faire violer par un jeune Sénégalais de 16-17 ans nommé « Babacar ». Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel doit faire son service militaire, et essaie, lors de la visite médicale, de se faire réformer. Il explique qu’il a fait une tentative de suicide suite à l’acte fratricide de son frère qui aurait essayé de le noyer « parce qu’il a appris qu’il avait eu une relation avec un… un… un… un… un Noir ».
Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel noir, découvre son attirance pour les hommes au sein d’un milieu noir très hostile et homophobe. Le film se veut un plaidoyer contre l’homophobie (sous couvert d’identité noire) et contre l’auto-racisme (donc l’homophobie au sens strict) : le surnom « Black » affublé au protagoniste principal résonne comme « Pédé », d’ailleurs.
Dans le (très autobiographique) roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien, le héros homosexuel, s’interroge sur son attrait sexuel presque monomaniaque pour les Noirs, et notamment pour son amant Malcolm, un prostitué noir avec qui il a entamé une relation compliquée : « Souvent, dans les bras de ces amants d’un soir, Adrien pensait à lui. Malcolm avait pénétré la mémoire de son corps et il ne s’étonnait plus que son désir le portât vers des hommes à la peau noire. Ils lui ressemblaient. Les mêmes cheveux où agripper ses doigts pour incliner amoureusement la tête, la même peau à la fois douce et tendue, aux reflets mordorés, la même odeur âcre et puissante, les mêmes yeux dont la lumière vient d’autres latitudes, les mêmes muscles saillants et fins, la même allure féline et noble. Tout cela rappelait Malcolm et portait Adrien à chercher l’amour des Noirs. Il s’interrogeait souvent sur les raisons secrètes du désir de cette beauté-là. Un désir de puissance, de virilité ? D’inverser l’ordre de l’Histoire ? D’aimer l’absolument autre ? Peut-être tout cela à la fois. » (pp. 34-35) On a l’impression que le héros gay aime en l’amant noir une texture corporelle plus qu’une personne vivante, unique, avec son âme, sa personnalité, et sa liberté. Nathalie, une amie d’Adrien, lui donne justement un élément de réponse à propos de son obsession des Noirs, quand elle énonce qu’« il cherche un miroir exotique » (idem, p. 46) de lui-même, une forme d’amour abstrait qui ressemble à la mort et à l’absence. Adrien en a bien conscience, intellectuellement parlant : « Ça m’interroge cette attirance pour les Blacks. […] Toujours le lointain, l’impossible, l’inatteignable. […] J’dois pas aimer l’amour proche ! » (idem, p. 46) Le héros homosexuel semble perpétuer un certain mépris colonialiste ancestral, qui à la fois vénère le Noir ET le traite pourtant comme une chose : « Il aimait ce corps d’homme métis. […] Adrien eut le sentiment étrange de n’être pas le seul à aimer un pareil corps. Il éprouva même une certaine gêne à l’idée que son regard s’inscrivît dans une longue chaîne de regards portés sur l’homme ébène. Désirs de Blancs fascinés par la puissance du corps du Noir, au point de vouloir la lui dérober, la posséder pour eux. N’était-il pas dans son regard comme un fils de colon, fier de tenir pour lui ce corps endormi ? » (idem, p. 50) En toile de fond, derrière l’« amour » homosexuel du Noir, le protagoniste négrophile et son amant noir sentent intérieurement qu’il y a un mépris larvé, une consommation mutuelle, une guerre cachée entre eux, un viol tacitement désiré/enfoui : « Moi, dans ton livre, je dois être le mauvais Black ! » (Malcolm s’adressant à son amant Adrien, idem, p. 62) ; « Malcolm n’est peut-être qu’un profiteur. Un esclave affranchi qui désormais possède le maître et se joue de lui. » (Adrien se rendant compte de l’opportunisme de Malcolm, idem, p. 59)
Parfois, le personnage homosexuel noir est apprécié en tant qu’amuseur complètement déjanté et grande folle. Dans le film « Rush Hour 3 » (2007) de Brett Ratner, par exemple, Carter joue le rôle de Bibiche, un costumier noir particulièrement maniéré, dans un cabaret parisien. Il y a aussi le flamboyant Ruby Rhod, le Noir très efféminé du film « Le Cinquième Élément » (1997) de Luc Besson. Mais en aucun cas ces personnages sont valorisés comme des êtres profonds et réels.
On décèle parfois dans cette vision misérabiliste ou au contraire diabolisante et frivole du Noir un racisme très ambigu, qui mélange attraction et répulsion : « On devrait peut-être adopter un p’tit Noir. Ce serait plus généreux. » (un couple gay dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Un groupe de musiciens berbères est soudain apparu devant nous. Ils avaient l’air dangereux, très dangereux même, mais ils jouaient merveilleusement bien tout un répertoire du folklore du Sud marocain. […] Ils étaient tous noirs, ces musiciens. Absolument noirs. Et leur musique, fascinante, nous a obligés, Khalid et moi, à suspendre notre dialogue et à les écouter un bon moment. » (Omar et Khalid dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 115) Dans le film « Occident (Statross le Magnifique 2) » (2008) de Jann Halexander, Statross Reichmann, un bourgeois métisse bisexuel, vit une relation tourmentée avec un jeune homme blanc d’extrême droite, Hans.
Dès que le désir homosexuel s’insère entre le Blanc et le Noir, le métissage tourne au vinaigre, s’annonce déséquilibré/déséquilibrant pour les deux membres fictionnels du couple. On voit déjà se profiler un rapport de forces violent. Très souvent dans les créations parlant d’homosexualité, le racisme pointe le bout de son nez, aussi bien dans le cadre amoureux que dans le cadre uniquement amical ou professionnel. Le racisme anti-Noirs est fréquemment exprimé par le héros homosexuel : « Retournes-y dans ton pays si t’es pas contente ! » (Georges parlant à Jacob, son domestique noir, dans la pièce La Cage aux folles – version 2009, avec Clavier et Bourdon – de Jean Poiret) ; « Tu vas pas me dire qu’ils vont purger les Noirs. » (Claude, l’homosexuel, s’adressant à son copain François, dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Pense aux p’tits Africains qui n’ont pas ta chance ni ton intelligence. […] Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel ! Ils sont trop gâtés et puis c’est tout ! » (Mamita, la grand-mère acariâtre et bourgeoise s’adressant à son petit-fils Corentin, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Enfin, on dit il ne faut pas faire de généralités… Je suis sûr que si on cherche bien un jour on trouvera bien un Noir dans une bibliothèque. » (la bourgeoise « raciste anti-racistes » dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Bien que l’armistice ait déjà été demandé par Pétain, on murmure que des centaines de tirailleurs sénégalais ont été massacrés de sang-froid par les nazis. De cette ‘chasse aux nègres’, je ne veux rien savoir. Juste profiter de l’instant présent. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 63) ; « Ayez davantage de fils incapables et nommez-les à toujours plus de postes bidons, mariez vos filles à des Arabes, faites-les engrosser par des nègres. » (le roi Rigane dans la nouvelle « L’Apocalypse des gérontes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 135); « Entre traînées, on s’entraide ! » (le pote noir homosexuel de Paul, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso); etc. Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia le transsexuel M to F blesse « sa » collègue travesti noire Jenny en lui remontant la fermeture éclair de sa robe, et la traite de « sorcière ». Dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent, Moussa est le personnage noir traité de « Kirikou » par Jessica à la fin. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Franck abandonne un gamin noir dans un immeuble. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand se met dans la peau d’une odieuse bourgeoise, responsable d’un orphelinat au Burkina-Faso, exploitant les Noirs et leur parlant très mal : « Fatoumata, tu pues ! »
Dans le sketch « Le Couple homo » de Pierre Palmade et Michèle Laroque, les humoristes parodient un couple de bourgeois apparemment gay friendly, qui reçoit à dîner un couple gay (Alain, 48 ans, et son jeune amant brésilien Roberto, 19 ans). Une fois les invités partis, ils se lâchent et balancent des horreurs racistes. Par exemple, ils abordent la question du tourisme sexuel, en disant que Roberto est le « gigolo » d’Alain. Et ils font du milieu de la nuit cubain un repère d’homosexuels : « C’est comme dans les boîtes africaines… y’a que ça ! »
Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, un des membres du cercle d’« amis » homosexuels, Bernard, est noir, ce qui n’empêche pas Michael, le maître de la bande, de faire des blagues racistes qui déclenchent presque une baston : « Vous savez pourquoi les Nègres ont de grosses lèvres ? » (à propos de la soi-disant manie des Noirs de se plaindre du travail en soupirant bruyamment).
Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, ne fait que des blagues racistes et homophobes sur les Noirs (il parle du « cul d’un Noir »). Tout comme sa mère, Diane, qui parle très mal au chauffeur de taxi noir, qu’elle enjoint à jouer du tam-tam. À propos de ce conducteur, Steve finit par l’insulter très violemment : « Va chier, Kirikou ! » ; « Sale race ! » ; « Putain de Nègre ! » ; « Retourne dans ton île ! Comme ça, t’envahiras pas mon pays ! »
Le racisme anti-Noirs affiché par certains artistes homosexuels, dans la mesure où il n’est généralement qu’un mime soi-disant parodique (« drolatique » diraient les snobs) de l’anti-racisme bourgeois ordinaire, n’en est pas moins violent : caricature ou pas, second degré ou pas, quand on mime, on reproduit l’agression, mais on ne la dénonce pas. C’est pourquoi je trouve par exemple que les imitations de bourgeoise anti-Noirs que l’Argentin Copi met constamment en scène dans ses œuvres sont très racistes. Une ou deux fois, passe encore ; mais tout le temps, bonjour les dégâts… : « Ce qui m’inquiète […], c’est que le jour de la fête elle mette bas un négrillon ! » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Tu vas t’arrêter de remuer dans ta poussette, espèce de petite peste ? » (une mère à Vidvn, son bébé noir, dans le roman La Cité des rats (1979), p. 33) ; « Deux d’entre eux lui donnaient des coups de pied dans les reins et le bas-ventre pendant qu’un autre lui tapait à coup de matraque sur la tête. » (les CRS embarquant de force Vidvn, idem, p. 69) ; « Le cercueil est introduit debout dans une poubelle appuyé contre le mur en espérant que les éboueurs noirs du petit matin l’enlèveront même si c’est pour en voler les poignées, et qu’ils jetteront le cadavre dans une desserte avec les ordures et les gerbes. » (idem, p. 17) ; « Et tu couches avec des Noirs ? Avec de vrais Noirs ? Tu es une vraie vicieuse, maman ! » (« L. » à sa mère dans la pièce Le Frigo, 1983) ; « Dis bonjour de ma part à tes négrillons. » (idem) ; « Sa meilleure copine, une Arabe, s’est fait malmener parce qu’elle refusait de sucer la bitte d’un Nègre et après tout c’est elle qui a été condamnée parce que les Noirs avaient dit qu’elle les avait mordus aux couilles et on l’a fouettée en place publique. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972), pp. 64-65) ; « J’essaie de la faire parler des enfants : elle sait qu’on en a adopté trois, elle ne savait pas qu’ils étaient morts. […] Ces enfants étaient maudits de par leur race. […] C’est à cause de ça qu’ils sont morts de façon accidentelle, ils devaient expier le péché de leur père noir qui était par ailleurs trafiquant de drogue. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977), p. 88) ; « Le Noir est un démon. » (Silvano dans le roman La Vie est un tango, 1979) ; « Qu’est-ce que j’en ai marre de toi, saloperie de nègre ! » (Le Gros au Noir Angelino Pagano, idem) Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986), Martin, l’agent de ville, se fait traiter de « sale Noir » par Sapho. Dans la nouvelle « Les Vieux Travelos » (1978) de Copi, le viol du prince noir Koulotô par les deux travestis est le symbole d’une Afrique dépouillée par les néo-colonisateurs homosexuels : « Gigi lui arrachait sa montre-bracelet en or ; Mimi fouillait ses poches, où elle trouva une carte postale de Koulataï : un lac où miroitait le grand palace à 363 tours du prince Koulotô, en plein centre d’Afrique. Les vieux travelos se regardèrent. Après 60 ans d’humiliations (ou presque), elles étaient tombées sur l’homme de leur vie. » (p. 90)
Dans la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, la petite fille Nadia hébergée par la boulangère Madame Pignou se trouve d’abord « dans un état de saleté indescriptible » et couverte de chocolat « salissant ». Finalement, plus le lecteur avance dans l’intrigue et plus il découvre que le chocolat et la saleté sont naturalisées : « C’est dans la glace que Mme Pignou s’aperçut que la petite fille n’était pas couverte de chocolat, elle était de race noire. » (pp. 49-51) Plus loin encore, la boulangère apprend avec effroi que Nadia est en réalité sa petite-fille, et le fruit peccamineux de l’union illégitime de sa fille (prostituée de métier) avec un Noir ; « C’est avec un Noir qu’elle a fauté. » (idem, p. 51) Elle décide donc de se débarrasser de la gamine noire, et de cacher le cadavre dans son sac : « Mme Pignou traîna de quelques mètres le sac contenant Nadia, s’assit sur le trottoir, l’ouvrit. Du sac sortit une fumée épaisse, la petite Nadia était morte asphyxiée. Mme Pignou la déposa dans l’eau du caniveau qui coulait, abondante. » (idem, p. 56)
Dans la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978), l’héroïne, une femme nommée Truddy, se trouve dans une gare parisienne qui, selon elle, semble sentir un peu trop le Nègre… : « La gare de Lyon la faisait chier, c’était vachement pollué, et puis il y avait des Noirs qui circulaient dans des espèces de machines à couper le gazon très vite, faisant semblant de nous écraser. » (p. 25) C’est dans ce lieu malfamé qu’il lui arrive toute une série de mésaventures macabres, dont une avec un agent d’entretien noir, qui l’agresse sans raison avec son véhicule nettoyant roulant : « Une de ces machines ressemblant à un train de Walt Disney faillit l’écraser. L’homme noir qui la conduisait riait, il fit demi-tour et refonça sur elle. » (idem, p. 31) Truddy se fait défendre par un autre homme, tout aussi psychopathe que le technicien de surface, puisqu’il règle son compte au Noir, justement : « Le monsieur ressemblant à Charles Boyer sortit un pistolet de sa poche et tira sur le Noir, qui tomba sur le carrelage. » (idem, p. 32) Mais le massacre raciste ne s’arrête pas là. L’histoire se termine en méchoui collectif : « Le boucher jeta le Noir sur une table en bois, le déshabilla prestement et commença à le dépecer à l’aide de différents couteaux […]. La foule criait ‘Bravo !’ à chaque fois que le boucher décollait un membre du cadavre du Noir que l’apprenti allait jeter dans le bûcher. » (idem, p. 38) Voilà. Je crois que la boucle du racisme copien est bouclée !
Dans les fictions homosexuelles, le Noir n’est pas tellement considéré comme un être humain. Il est plutôt sacralisé en statuette d’ébène sacrée, en pantin noir : cf. le film « L’Ange bleu » (1930) de Josef von Sternberg, le film « Le Narcisse noir » (1947) de Powell et Pressburger, le film « Firework » (1947) de Kenneth Anger (avec la statue africaine), le roman À ta place (2006) de Karine Reysset (avec les deux statuettes africaines), la chanson « Ma Vénus d’Ébène » de David Jean, le roman Lettres à un homme noir qui dort (2007) de David Dumortier, etc. Par exemple, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Marilyn compare le footballeur noir et homo Ruzy à du chocolat.
L’idolâtrie pour le Noir confine au racisme positif : « En plus, les Blacks, ils sont bien montés ! » (Nono, le héros homo de la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Je regardais Le Prince de Bel-Air, le Cosby Show. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc. Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo, le héros homosexuel noir-ébène, s’amuse à se montrer à poil face à son amant blanc Chris, et vante l’impressionnant volume et capacités insoupçonnées de son sexe génital.
En général, le Noir est réifié, transformé en objet ou en image. Par exemple, l’un des personnages lesbiens de la pièce Monologues du vagin (2007) d’Eve Ensler possède un grand poster de femme noire dans sa chambre. Dans le roman La Cité des rats (1979) de Copi, Gouri décrit « la peau d’ébène » de Vidvn (p. 113). Dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, une affiche d’un boxeur noir est accrochée au mur de la chambre de Bruno, le héros gay. Dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, la bourgeoise fait tomber des photos d’hommes noirs sur le trottoir. On retrouve les épouvantails noirs dans le vidéo-clip de la chanson « Fuck Them All » de Mylène Farmer. Le lien entre négritude et fétichisme est clair dans « Le Cas d’O » (2003) d’Olivier Ciappa. Précisément, dans ce film, le Noir-fétiche porte malheur : Orient, depuis qu’il a acheté une statuette africaine chez un marchand noir un peu vaudou, n’a que des ennuis dans sa vie, ne connaît que des phénomènes paranormaux ; il jette même sa petite amie noire, pour finir homosexuel…
L’Afrique est tellement objetisée, mise à distance, qu’elle finit parfois par avoir la taille d’un mouchoir de poche, d’un écran de télé : « Essaie de voler, mon petit. Tu vas voir comme ce n’est pas difficile. Je te donnerai un sucre. Je te montrerai l’Afrique, tu vas voir, c’est comme un mouchoir. » (le Vrai Facteur dans le pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi)
Plus que le Noir réel, c’est l’improbable et mythique « Condensé de victimes » (que représente la Femme-Noire-Lesbienne divine) qui est célébré par le héros homosexuel : « Bon, Comment ça a commencé déjà ? Donc, quand j’étais petite, je voulais être noire… gay… et dieu ! » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Vous saviez qu’il était Noir, Résus ? Oui, 1) Il appelait tout le monde ‘mon frère’ 2) Il aimait chanter la gloire de Dieu 3) Et il n’a pas eu un procès équitable, c’est plutôt évident non ? » (idem) ; « Est-ce que les lesbiennes noires seront un jour des dieux… pas des déesses, mais des dieux ? » (idem) ; « Y’a jamais eu d’Afrique. » (Sarah s’adressant à son amante Charlène une fois que celle-ci découvre que la mère de Sarah n’est pas partie avec une ONG en Afrique, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; etc.
Dans les fictions sur l’homosexualité, le Noir apparaît souvent comme la « transfiguration d’un état de misère » (cf. expression inventée sous la plume d’un ami romancier angevin en 2003), comme un fantasme sexuel qui instrumentalise/diabolise en même temps qu’il flatte les Noirs réels : « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille à Hubert dans la pièce Une Visite inopportune, 1988) ; « Petit monstre, petite teigne, démon à apparence humaine, mon ballon d’oxygène, tu me plais car tu me touches beaucoup. J’aime tes fruits défendus, ton cul haut perché comme ces statues africaines. » (cf. la chanson « Quand tu m’appelles Éden » d’Étienne Daho) ; « Oui, le pied est vraiment le nègre du corps humain […] : mal traité, sentant mauvais même chez la dame la plus élégante, déformé par les souliers, martyrisé par les fardeaux que vous lui faites supporter depuis vos premiers pas, et c’est la première partie du corps à mourir. » (James Purdy, Je suis vivant dans ma tombe (1975), pp. 21-22) ; « À nos yeux, il incarnait ce que Quentin Crisps, l’icône gay, appelée – sans référence raciale, naturellement – le ‘Great Dark Man’, le grand Noir, objet de désir mythique. » (Michael offrant à son amant Ben un « plan cul à trois » avec Patreese Johnson, un Noir-objet, dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 145) ; « Je pensais à Linde [l’amante régulière], et à la peau sombre et au sindhoor rouge sang de l’autre femme [Rani, qu’elle a rencontrée dans un bidonville]. » (Anamika, l’héroïne lesbienne évoquant ses deux amantes, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 18) ; « Les pitoyables pitreries d’Eddie Murphy, son rire niais qu’il trimballe depuis une longue décennie et qui finit par nous faire croire que l’acteur joue toujours le même personnage – le sien –, son sourire aux dents trop courtes comme s’il se les était fait limer pour dissimuler son évidente rapacité n’arrivèrent pas à détourner mon attention du malheur que je vivais. » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 50)
Le Noir n’est pas tellement considéré comme un être humain : c’est plutôt un déguisement : cf. le film « Vivir De Negro » (« Vivre dans le noir », 2010) d’Alejo Flah. Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, l’écrivain homosexuel pédant, se décrit pompeusement comme « L’Homme en noir ». « J’aime le noir. Aussi, je m’habille toujours en noir. Si j’avais un appartement, je peindrais au moins deux murs en noir. » (Franz, l’un des héros gays de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder)
Dans la nouvelle « Les Vieux Travelos » (1978) de Copi, le mythe du Noir-objet est complet, autant pour l’homme noir (il est question de son incroyable « carrure : un géant de presque deux mètres, beau comme un dieu. […]. Descendant de la reine de Saba par sa mère, il avait la réputation d’avoir le visage le plus parfait de la race noire. », p. 92) que pour la femme noire (« Une jeune impubère noire comme l’ébène descendit toute nue les escaliers de l’avion », idem, p. 94). Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Mathieu couche avec son amant noir qui se révèle être un escort : « C’est une pute. ». Au départ, Jacques, l’ex de Mathieu, se réjouissait pour lui : « Il avait l’air tout en muscles. »
Dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, c’est la puissance génitale du Noir qui est célébrée ; et cette ode se veut « solidaire », alors qu’elle n’est en réalité qu’une attitude de consommateur occidentalisé. « Elle [la bite africaine] traîne un peu les pieds, mais elle arrive toujours triomphante… Le continent qui se présente compense sa pauvreté par sa puissance créatrice ! »
Cela pourra paraître totalement anecdotique, ou tiré par les cheveux, de parler d’un tel roman dans ce chapitre sur la négritude (il aurait d’ailleurs pu figurer aussi dans le code « Bourgeoise » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), mais en même temps, c’est CE chef d’œuvre de la littérature anglo-saxonne mondiale qui est repris dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques, et à mon avis pas par hasard. « Notre demeure est fortement isolée. Oui, cela vous rappelle sans doute quelque chose. Agatha Christie. Chateaubriand. Daphné Du Maurier ou Scooby-Doo. Peu importe qui ou quoi. Si vous frissonnez agréablement et éprouvez le désir de mettre un gros pull ou de faire un feu de cheminée, c’est que vous êtes dans la bonne direction. » (cf. les premières lignes du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 13) ; « Gabrielle n’a pas fermé l’œil de la nuit. La compagnie de la bonne Agatha Christie n’y a pas suffi. Gabrielle a toujours été fascinée par l’œuvre de cette romancière, autant que par le personnage. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 97)
On retrouve des allusions plus ou moins claires au Dix Petits Nègres d’Agatha Christie dans le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (qui reprend exactement la structure du livre de Christie), le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, l’adaptation cinématographique des Dix Petits Nègres d’Olivier Ciappa, le film « Cinq filles dans une nuit chaude d’été » (1972) de Mario Bava, le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec une savoureuse ambiance Cluedo), la pièce Devinez qui (2003) de Sébastien Azzopardi, le film « Ten Violent Women » (1979) de Ted V. Mikels, la pièce Le Cabinet de Curiosité (2008) de Cédrick Spinassou, la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, etc.
L’oeuvre d’Agatha Christie caresse le thème de l’homosexualité selon les adaptations. Dans le téléfilm « Les Dix Petits Nègres » (2015) de Sarah Phelps, l’homosexualité est sous-jacente. Par exemple, Miss Émily Brent pousse sa jeune domestique Béatrice Taylor au suicide après l’avoir convoitée. Quant à William Blore, l’inspecteur, il est homophobe et a violé dans une cellule de la prison de Dartmoor un prostitué homosexuel, James Stephen Landor, qui faisait le tapin dans les pissotières, et qu’il a fait condamner aux travaux forcés à perpétuité où il a fini ses jours : « Edward Landor était un pédéraste. Plutôt mourir que de m’approcher d’un de ces pervers ! »
Je vous renvoie à la comédie musicale À la recherche de Joséphine (2007) de Jérôme Savary, au film « Frida » (2002) de Julie Taymor (avec la supposée relation lesbienne entre Frida Kahlo et Joséphine Baker), au film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz (le héros homosexuel João, qui se travestit, a pour idole Joséphine Baker), au film « Zouzou » (1934) de Marc Allégret (avec Joséphine Baker dans le rôle principal, justement), etc.
Dans le sketch « Le Couple homo » de Pierre Palmade et Michèle Laroque, Roberto (19 ans), le petit copain noir d’Alain (48 ans), est décrit comme un prostitué arriviste, notamment grâce à la comparaison avec Joséphine Baker (« Il suffit qu’Alain arrive au procès avec sa jolie Joséphine Baker derrière… »). Dans la pièce La Cage aux folles (version 2009, avec Clavier et Bourdon) de Jean Poiret, Jacob, le domestique gay, se compare à Joséphine Baker.
Parfois, le héros homosexuel incarne Joséphine Baker en personne. Par exemple, dans l’épisode 85 « La Femme aux gardénias » (2017) de la série Joséphine Ange-gardien, Lena Collins est une chanteuse de jazz, un peu la Joséphine Barker, qui est l’amante secrète d’Albertine. Elle chante dans La Revue nègre, à Paris. Leur « amour » est mis sous le signe de la lutte anti-racisme : « Et moi, tu crois que ça m’a pas demandé du courage pour en arriver là ? Est-ce que tu as vu la couleur de ma peau ? Tu penses que c’est facile pour moi ? » (Lena)
On retrouve la prostituée noire dans le roman Lady Black (1971) d’Yves Navarre, le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon (avec le personnage de Candela), la chanson « Ma Vénus d’ébène » de David Jean, le film « Cowboy Jesus » (1996) de Jamie Yerkes, la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, le film « La Femme flambée » (1982) de Robert Van Ackeren, le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ?, 2010) de Malu de Martino (avec la chanteuse noire dans le cabaret), le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier (avec la voisine noire, matée pendant qu’elle prend son bain), etc.
Le personnage homosexuel considère cette putain fictive comme sa mère désirante : « Chez Adrien, chose étrange, la figure de la mère perdue aurait pris les traits de l’être métissé, les traits de l’homme à la peau noire : ceux de Malcolm. » (Adrien dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 40) ; « En rentrant j’ai trouvé un cadavre, celui de la dame négresse du tabac, nue avec des talons aiguilles et la gorge tranchée. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 26) ; « la dame négresse du tabac (mon ancienne maîtresse morte, bien qu’elle ne l’a jamais su). » (idem, p. 47) ; « J’irai ainsi sans rien comprendre, jusqu’à la mort, avec cette haine pour cette femme mystère, noire. Complètement noire. » (Omar dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 36) ; « Je me suis assis à côté d’une vieille femme noire. La seule noire. Sans la saluer. Et j’ai levé les yeux au ciel pour regarder le soleil grand et plein qui arrivait lentement vers nous. […] Le soleil de notre monde était mort. » (idem, p. 58) ; « J’aime Hadda. Elle est noire, Hadda. Elle est très grande. Je n’arrive pas à lui donner un âge. Vingt ans ? Elle ressemble à une femme que j’ai connue de loin, juste avant l’adolescence. Qui ? Où ? Une parente ? Une parente noire ? Hadda ne parle pas. On lui a coupé la langue ? Elle n’a plus rien à dire ? Elle a déjà tout dit ? Tout ? Tout ? On m’a dit qu’elle était devenue muette. […] Je l’ai suivie, Hadda. Un corps généreux, tellement noir. Un corps vaste, inédit. Beau ? Un corps pour les hommes, les saints, les dieux. Les enfants. Un appel. […] Où commencent les origines de Hadda ? De quelle forêt arrive-t-elle ? » (idem, pp. 78-79) ; « Une saveur qui me venait de ma mère allait désormais être liée à cette femme noire et sans voix. » (idem, p. 103) ; « En la regardant maintes fois, j’ai compris un peu de la beauté mystérieuse des femmes noires. » (Hadda, parlant du tableau exposé au Louvre Portrait d’une Négresse de Marie-Guillemine Benoist, idem, p. 193) ; « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda, idem, p. 196)
Omar – « Hadda était une pute, elle aussi ?
Khalid – Probablement.
Omar – Qu’est-ce que cela veut dire, Khalid ?
Khalid – Je n’aime pas les putes.
Omar – Moi, oui. »
(cf. un extrait de dialogue entre les deux amants homos du roman Le Jour du roi, idem, p. 117)
La femme noire célébrée par le personnage homosexuel est une figure de déchéance suprême : « Comme j’ai deux esprits, j’ai aussi deux amours. L’un est mon réconfort, l’autre mon désespoir. Mon bon ange est un homme d’une grande beauté, et mon mauvais ange est une femme bronzée. » (William Shakespeare, Les Sonnets, 1609) ; « Ourdhia était une femme et en plus, ô désolation, elle était noire ! » (la voix narrative du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 57) ; « Ce soir, je serai noire comme on a voulu que je le sois. » (Hadda la servante noire violée, dans le roman Le Jour du roi, idem, p. 207) ; « Je suis mauvaise. Une dévergondée. Une putain. » (Hadda, idem, p. 195) ; « La folle Noire de la favela, quand elle passe, tout le monde se moque. […] Ma peau noire est mon armure de courage. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, par exemple, Bram, l’amant caché de Simon, est noir. Et Simon dit son adoration des femmes noires, même s’il ne les touchera pas : « J’adore les femmes noires. Enfin… pas comme si j’avais un truc spécial pour les femmes noires… J’adore toutes les femmes. » La négritude est envisagée comme un destin, une soumission, une invisibilité : « Je suis Hadda. Je suis noire. On ne me voyait pas. On ne me voit toujours pas. » (idem, p. 209) ; « Je suis partie en Afrique parce que j’ai cru que l’Afrique pourrait défaire mon histoire. » (Julia, la femme violée par son père, et qui finit par devenir mannequin avant de partir vivre en Côte d’Ivoire, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018)
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Je vous renvoie au documentaire « Greta’s Girls » (1977) de Greta Schiller, au documentaire « A Darker Side Of Black » (1994) d’Isaac Julien, au documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti (avec Salvo, homosexuel, et son amant noir), aux photos Abandon et Ying et Yang de Jean-Daniel Cadinot, au tableau Ladies And Gentlemen (1975) et à la série polaroïds « Drag Queen Wilhelmina Ross » (1974) d’Andy Warhol, à l’exposition photos Garçons de Cotonou (2015) de Michel Guillaume, etc.
Le 23 novembre 2011, j’ai eu la chance, pour l’association Tjenbé Rèd (réunissant les personnes bisexuelles et homosexuelles d’origine africaine), d’animer au Théâtre du Temps à Paris, une soirée « Négritude et Homosexualité ». Pour la première fois, le temps d’une soirée, on me demandait de développer mes compétences de chercheur de l’homosexualité, et de parler d’un code précis et inattendu de mon Dictionnaire (merci au chanteur Jann Halexander, au passage). Expérience que je pourrais vivre avec les 185 autres codes de mon répertoire, et qui serait tellement riche !
Bien sûr, il existe un lien fort entre homosexualité et négritude. Déjà parce qu’il y a beaucoup de personnes à la peau noire qui se sentent homosexuelles ou bisexuelles (Malcolm X, la chanteuse Billie Holliday, l’écrivain James Baldwin, l’activiste et philosophe Angela Davis, la chanteuse Tracy Chapman, le chanteur soul Luther Vandross, la chanteuse de blues Bessie Smith, l’écrivain Langston Hughes, le chanteur Johnny Mathis, la romancière Alice Walker, l’activiste Bayard Rustin, la chanteuse de blues Ma Rainey, le danseur Alvin Ailey, la chanteuse Joséphine Baker, le plongeur Greg Louganis, le chanteur Little Richard, la performeuse RuPaul, le chanteur Jann Halexander, l’acteur Will Smith et Duane Martin, etc.) ; et d’autre part, parce qu’un certain nombre d’intellectuels (Michel Foucault, Jean Genet, Marguerite Yourcenar, Leonard Zoe, Allen Ginsberg, Jean Cocteau, Alwin Nikolais, Marlon Brando, etc.) ont défendu/défendent les droits des Noirs, et notamment les Black Panthers dans les années 1960-1970, au moment où émergeaient les premières revendications identitaires LGBT. Par ailleurs, beaucoup d’artistes homosexuels ont contribué à l’essor du mouvement culturel noir « The Harlem Renaissance » : Bola de Nieves, Gastón Baquero, James Baldwin, Little Richard, Cole Porter, Franck O’Hara, Tennessee Williams, Claude McKay, Langston Hughes, Wallace Thurman, Gladys Bentley, Alain Locke, Carl Van Vechten, Bruce Nugent, etc. « Les Antilles françaises qu’on le veuille ou non comptent une importante communauté homosexuelle. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, Un Fils différent (2011), p. 142)
Aux États-Unis, l’un des synonymes d’« homosexuel » dans la langue vernaculaire, c’est « boogie » qui signifie « Noir ».
Mon voyage d’une semaine en Côte d’Ivoire en juin 2014 m’a fait comprendre l’étendue de la pratique homosexuelle en Afrique, pratique qui ne sera pas remise en cause tant qu’elle ne se voit pas et qu’elle ne se cristallise pas en identité publique. La pratique homo reste un grand déshonneur dans les familles africaines… mais paradoxalement, il y a de plus en plus d’autochtones qui se sentent homosexuels, en lien avec l’expérience de l’inceste (très marqué et présent sur le continent) et avec les images circulant par la télé, le cinéma, Internet. J’ai l’impression que là-bas, la pratique homosexuelle prend des formes plus ou moins similaires à celles d’Occident : bisexualité due à l’alcool et au monde de la nuit, prostitution, ascension sociale, impact croissant des médias dans les mentalités assoiffées de modernité (à Abidjan, j’ai vu des pubs pour la 4G partout, et la chaîne gay friendly Canal + partout !), infidélité et double vie des hommes mariés, pression étatique pour faire passer l’homosexualité pour « banale » et sous la forme d' »aides au développement », de « lutte contre les discriminations », de campagnes sanitaires en faveur de « l’égalité des sexes » et de la « prévention sexuelle ».
Certaines personnes homosexuelles ont dit ouvertement leur attachement à la négritude ou à l’Afrique : « L’Afrique, ma seule alternative. » (Pier Paolo Pasolini dans le reportage « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada) Par ailleurs, le travesti noir est souvent très valorisé par certains membres de la communauté homosexuelle : « Et comment ne pas reconnaître l’homosexualité poétique de Declan Donnellan dans l’inoubliable Rosalinde incarnée avec génie par Adrian Lester, acteur noir qui joue du vocabulaire féminin avec un art consommé. » (Georges Banu, « Jeux théâtraux et enjeux de société », dans l’ouvrage collectif Le Corps travesti (2007) de Georges Banu, p. 3)
Parfois, la négritude est interprétée comme un symptôme d’homosexualité ou de lesbianisme : « Avec ton premier livre [Le Cœur est un chasseur solitaire], on a su que tu aimais les nègres, et avec celui-ci [Reflets dans un œil d’or] on comprend que tu es une gouine. » (les parents de Carson McCullers à leur fille lesbienne, cités dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 115) ; « Dans un élan fraternel nous trinquons à la santé… des nègres et des pédés. » (Lionel Vallet cité la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 50) ; « Ce qui est remarquable, c’est que l’égalité entre Noirs et Blancs, hommes et femmes, semble avoir été générée par l’homosexualité. » (Colin Spencer, « La Politique à l’âge du jazz », dans Histoire de l’homosexualité de l’Antiquité à nos jours (1998), pp. 394-397) Dans la publicité pour les matelas Léo (2017), même le très viril judoka noir Teddy Riner joue les homos en faisant croire qu’il va passer une nuit torride avec un homme qui se révèlera finalement être son lit.
Dans les années 1970 aux États-Unis, pour certains artistes, dire qu’ils étaient en faveur des droits des Noirs, cela revenait à faire un coming out officiel, comme l’explique avec humour Eric Burdon, le chanteur gay du groupe The Animals (il raconte dans le documentaire « Sex’n’pop – Part I » (2004) de Christian Bettges comment il a été accueilli une fois dans un hôtel où il passait la nuit par une pancarte qu’il pouvait lire depuis la fenêtre de sa chambre, et où était inscrit en gros « Eric Burdon loves niggers »… ce à quoi il répond : « J’ai eu envie de descendre pour écrire en dessous : ‘Ouf course I am !’ ». Traduction : « Bien sûr que j’en suis ! »).
Il y a parmi les couples homosexuels réels un certain nombre d’union mixte. Parmi les plus connues, Monty Woolley a vécu les dernières années de sa vie en couple avec un de ses serviteurs noirs. Quant aux biographies écrites par Sir Roger Casement (Les Carnets noirs et Rapport sur le Congo, 1908), elles traduisent toute l’ambiguïté du colon qui veut sincèrement aimer les Noirs à partir du moment où ces derniers lui restent soumis.
L’écrivain homo Hugues Pouyé, dans un article qu’il consacre au site Les Toiles roses, en 2009, sent bien que le non-dit du viol – et du viol colonial entre autres (esclavage, traite des Noirs, ségrégation raciale, apartheid, tourisme sexuel, prostitution masculine, exploitation par le porno, etc.) – n’est toujours pas levé concernant l’attrait homosexuel pour les Noirs… et lui-même ne le dévoile qu’à demi mot, comme on avoue un péché mignon dont on ne souhaite surtout pas se débarrasser : « Mon prochain roman, je voudrais qu’il se passe en terre de négritude, une nouvelle histoire d’amour métissée avec pour fond une réflexion sur ce que fut la colonisation. J’ai l’intuition qu’on n’est pas allés jusqu’au bout, sur le plan anthropologique, de ce que fut la rencontre du Blanc et du Noir. Il s’est joué dans la colonisation autre chose qu’un rapport de domination-soumission. […] Cette fascination du Blanc pour le Noir, c’est chez moi de l’ordre du désir, comme l’écriture, profond, mystérieux, fascinant. Souvent je m’interroge sur cette attirance pour l’homme noir. Et mes amis blacks ne m’ont jamais vraiment éclairé là-dessus, pas plus que les Blancs d’ailleurs ! » Il y a chez cet auteur, mais aussi chez certaines personnes homosexuelles, une forme de fantasme embellissant mais misérabiliste du Noir, qui fait que celui-ci est aimé à terre plutôt que debout : « C’est vrai d’ailleurs, on peut être un mendiant handicapé et homosexuel, noir qui plus est, mais ça tout de même ce n’est pas si commun, ce serait la figure sublime… enfin, je plaisante, quoique… » (Hugues Pouyé, idem) Si le Noir est à l’égalité, il n’intéresse plus : il n’est plus « à sauver », « à aimer »… ou bien il est craint.
L’Homme noir est très souvent utilisé comme un objet d’art par les artistes homosexuels, ou bien davantage apprécié pour ses charmes physiques d’Apollon en ébène « dominateur et bien monté », que pour sa personne et ses qualités d’âme. « Sur la terrasse où Serge T. s’est installé avec son fourbi, je le vois découper des photos de grands nègres avantageux en vue d’un collage sur Jean Genet. Cet homme-là ne s’ennuie pas, il découpe des grands nègres. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 160) ; « Le quatrième jour, il m’est arrivé une chose extra-ordinaire, à mes yeux extraordinaire. J’ai rencontré Karabiino. Il travaillait à notre hôtel comme garçon de chambre. Noir. Très noir. […] Un corps surprenant, tout entier dans l’allongement. Maigre, mais puissant. Solide. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 72) ; « Je n’avais pas beaucoup voyagé dans ma vie. Face à Karabiino, je me rendais compte que l’Humanité est une espèce qui m’était en grande partie inconnue. Ce garçon n’était pas comme moi. Ne pouvait pas avoir les mêmes origines que moi. Les mêmes racines. Impossible. Évidemment, je le savais, mais je ne pouvais pas m’empêcher de le remarquer, de me le répéter. Après tout, j’étais africain moi aussi, comme lui. Il avait l’air encore pur, encore frais, encore précieux, loin de la banalité des autres hommes. Ce garçon de 17 ans réinventait l’homme pour moi et révolutionnait du même coup l’idée que je me faisais de la grâce. » (idem, p. 73) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Christian, le dandy quinquagénaire, est parti en Afrique en tant que coopérant, dans ses jeunes années : il raconte comment il fantasmait sur les hommes noirs qui se baignaient dans la mer, et qu’il regardait depuis sa fenêtre.
Le Noir auquel se réfèrent certains auteurs ressemble plus à une marionnette, à un pantin, à un être symbolique imaginaire, qu’à un être humain de chair et de sang. Par exemple, le photographe Robert Mapplethorpe expose les pénis en érection de ses amis noirs. L’automate noir qui garde la Villa Sospir de Jean Cocteau est surnommé « Le Seigneur ». Dans son autobiographie Mon Père et moi (1968), J. R. Ackerley évoque l’existence de son pantin noir : « On a beau le rejeter, il s’arrange toujours pour revenir à la surface. » (J. R. Ackerley cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) Didier Roth-Bettoni parle des films de « blaxplotation » traitant des Noirs en lien avec l’homosexualité.
De l’adulation fétichisante au mépris iconoclaste raciste, il n’y a qu’un pas… qui est souvent franchi par les membres de la communauté homosexuelle. « Pendant le dîner, nous avons appris que l’esthéticienne avait été hétérosexuelle avant d’être touchée par la grâce [= l’homosexualité]. Elle avait passé des années en Afrique avec son seigneur et maître qui s’engraissait à faire suer le burnous et elle tenait sur les Africains des propos qui m’ont stupéfiée. J’ai découvert avec surprise ce soir-là qu’on peut être encore de nos jours d’un racisme effarant. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 156) Par exemple, le dessinateur argentin Copi se fait en partie évincer de la Rédaction du journal Libération le 8 août 1979 après avoir publié un dessin jugé raciste : « 1960 : l’Oncle Sam montre ses seins. En l’an 2000, je me suis fais enculer par un Noir. » Michaël Kühnen (1955-1991), condamné en 1984 à trois ans de prison pour incitation à la violence et à la haine raciale, fait son coming out en 1986 alors qu’il est encore en prison.
Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno semble pétri de bonnes intentions pour le Darfour : « Je kiffe les Blacks ! […] Ça me botterait d’agir pour l’Afrique. » Mais on découvre bien vite le pot aux roses de son charity business : « Les œuvres caritatives, c’était super pour devenir célèbres ! » D’ailleurs, il se filme en train d’adopter un petit bébé noir qu’il transporte comme un colis, dans un carton, sous les yeux ahuris et choqués de la communauté noire nord-américaine.
Aux États-Unis, Jeffrey Dahmer (« le monstre de Milvaukee ») est un vrai cannibale et nécrophile, homosexuel de surcroît : entre 1978 et 1991, il a tué dix-sept jeunes hommes. Jeffrey couchait avec des mannequins, et en particulier des Noirs car il disait apprécier la texture particulière et fine de leur peau.
J’aborde plus amplement le phénomène du fantasme de fusion violente entre l’Homme blanc et l’Homme noir dans le code « Je suis un Blanc-Noir » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels ; mais déjà, ce qu’on peut dire, c’est qu’il faut aussi se méfier de l’élan en apparence « amoureux » ou « solidaire » du Blanc vers le Noir (et inversement), car l’un comme l’autre peuvent se servir l’un de l’autre, homosexuellement parlant, pour au fond se centrer sur leurs propres intérêts respectifs, leurs appétits de gloire, de pouvoir, et de vengeance. Il est même possible, comme l’a vu Patrick Bougon dans le cas de Jean Genet, qu’ils s’instrumentalisent entre eux en vue de s’opposer à leurs semblables sociaux, raciaux : « La position politique de Genet est moins propalestinienne qu’anarchiste. […] Ce qui intéresse Genet chez les Black Panthers et les Feddayin, c’est qu’ils sont des vecteurs de déstabilisation du pouvoir et de l’État. » (Patrick Bougon, « Politique et Autobiographie », dans Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 69) Attention, donc, à bien regarder si l’amour inter-racial – qui peut exister, et dans ces cas-là, c’est une grande joie – soit vraiment effectif, appuyé sur des actes, et pas uniquement un tissu de bonnes intentions.
Concernant les romans de Frantz Fanon, qui abordent souvent les rapports de cœur entre Blancs et Noirs, Stuart Hall explique que le post-colonialisme de Fanon prend la forme de l’amour incestueux : « Je crois que pour Fanon, ce qui est important, c’est le conflit avec le père. C’est ce qui est au centre du texte : le conflit entre le fils noir et le père colonisateur. C’est cette relation Noir-Blanc / père-fils qui donne cette profonde masculinité à sa vision d’ensemble, qui génère le rôle ambigu des femmes dans le texte, et explique pourquoi ses sentiments sur les relations homosexuelles sont porteurs comme souvent aux Caraïbes, du même genre d’ambiguïtés. On est donc très près du complexe d’Œdipe. »
Comme nous venons de le voir, l’adulation homosexuelle pour le Noir flirte presque systématiquement avec le racisme, le viol, la prostitution, ou l’inceste. « Les Arabes et les Noirs sodomisent et châtrent leurs ennemis vaincus. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 260) ; « Avec l’apparition du Sida, à New York, y’avait tous ces Black qui, comme ils avaient peur et étaient désœuvrés, ont créé la house music. » (Didier Lestrade dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel)
Par exemple, dans l’affaire du préservatif en Afrique, la communauté homosexuelle occidentale a tendance à prendre vraiment les Africains (d’Afrique noire) pour des imbéciles – qui prendraient les mots du Pape au pied de la lettre (c’est bien mal les connaître et bien mal connaître la réalité religieuse complexe de leur pays !) – et pour des victimes sur qui pleurer sans jamais leur venir concrètement en aide. Tout ça pour justifier son propre libertinage effréné.
Le pire, c’est qu’actuellement, beaucoup de personnes homosexuelles noires semblent trouver leur compte dans cette exploitation. Elles rentrent de plus en plus dans le jeu du racisme positif que certains de leurs adorateurs leur imposent, puisqu’elles découvrent dans la défense de leur statut d’« Homosexuel » et de « Noir » une double raison (voire une triple raison, quand elles sont nées femmes !) de se définir comme les plus grandes victimes interplanétaires de tous les temps, des intérêts financiers mais surtout symboliques. « Après tout, étant le bizarre du village, l’efféminé, je suscitais une forme de fascination amusée qui me mettrait à l’abri, comme Jordan, mon voisin martiniquais, seul Noir à des kilomètres. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 33) Le lien entre homosexualité et négritude, qu’elles causalisent en l’essentialisant autour de leur personne, leur permet de se forger une nouvelle identité de survivants de « l’ignominie occidentale », et de revendiquer un droit de vengeance sur les prétendus ennemis de leurs « libertés fondamentales ». C’est pour cela que ces semi fausses victimes, embarquées dans des conflits d’intérêts qui les dépassent mais qui les grisent aussi, pour le coup, puisqu’on leur déroule le tapis rouge et on les applaudit avec la larme à l’œil, sont de plus en plus utilisées par les associations LGBT en faveur de la propagande actuelle des « droits des homos ». Cela fait toujours son petit effet de mettre au micro « Super Victime » (comprendre = une femme lesbienne noire : ça, c’est le must !) pour défendre le mariage gay… même si, au fond, la couleur de peau n’a rien à voir avec le mariage des personnes de même sexe. On s’en fout ! On mélange tout. La victimisation fait table rase des différences ! Du moment qu’on se partage le butin (= argent, sexe, honneurs) en coulisses… Et on s’en va en vainqueur en posant la question insoluble : « Mais pourquoi diable, Dieu ne serait-il pas une lesbienne noire ? » (Albert Le Dorze, La Politisation de l’ordre sexuel (2008), p. 108)
Je me souviens, à ce propos, d’un débat intitulé « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s » (rien que les tirets prouvaient toute l’hypocrisie de l’événement…), organisé par l’association David et Jonathan à la Mairie du XIe arrondissement de Paris le 10 octobre 2009, débat pendant lequel bizarrement on ne débattait pas du tout et on ne réfléchissait pas : l’analyse avait été supplantée par une série de témoignages émotionnels censés donner du contenu pour l’avancée des « droits LGBT ». Assis tranquillement dans mon coin, j’étais juste atterré par le niveau intellectuel des interventions, mais il y avait tellement de monde qui écoutait béatement les discours que j’ai préféré me taire ; de toute façon, l’assistance n’avait pas tellement la parole ni le cœur à parler, et il eût semblé totalement déplacé d’aller à contre-courant d’une telle effusion émotionnelle collective. Je ne vais pas vous rapporter l’intégralité des propos qui ont été tenus par les 5 invités qui se sont succédés au micro. Simplement, je ferai mention de la petite boutade qu’a sortie la toute dernière intervenante, Gisèle, une femme noire de 40 ans, car sa blagounette m’a légèrement passionné. En effet, quand elle s’est présentée, elle a d’emblée commencé par nous montrer tous ses diplômes de Victime, comme pour se prémunir de toute éventuelle attaque, et surtout pour s’offrir à elle-même la légitimité d’être le bouquet final du somptueux Feu d’artifice de la Victimisation auquel nous avions été conviés pendant près d’une heure et demie. Elle a dit ceci : « Je suis une femme noire homosexuelle… Je ne suis pas encore juive ! » La majorité du public a à peine souri, puis s’est inclinée devant de si beaux atouts, de si manifestes bleus au corps devinés, de si jolies couronnes d’épines en papier. Moi, personnellement, j’ai juste trouvé ça puant, déloyal, et finalement raciste et homophobe, un tel arrivisme. Ceux (et je sais qu’ils sont nombreux) qui ont pleuré devant la méritante athlète LESBIENNE+NOIRE+FEMME qui visiblement parcoure le marathon des droits LGBT (sponsorisé par Têtu, le SNEG, Yagg, David et Jonathan, et la Mairie de Paris) depuis des siècles et des siècles pour accumuler des droits qui ne lui reviennent pas (non du fait qu’elle soit lesbienne, ou noire, ou trisomique, ou cul-de-jatte, que sais-je encore… mais simplement du fait qu’elle est humaine !), m’auraient certainement jugé comme un sans-cœur du simple fait que cette femme – qui certainement a vécu de vraies épreuves – n’ait pas réussi à me toucher. Mais comment faire comprendre à ces gens que dans cette grande Foire à la Victime, les sans-cœurs racistes et égoïstes sont justement ceux qui ont les yeux humectés de larmes ?
Il y a un tel retard sur la compréhension de la connexion entre homosexualité et négritude ! Ce lien a été si rarement analysé ! On peut presque dire qu’on est actuellement au point mort, tout simplement par phobie de l’accusation de racisme ou de communautarisme négro-sexuel. Alors pour pallier à ce manque, en général, que fait-on ? On se met à créer de faux débats sur les fossés « culturels » et religieux entre les continents, ou bien on s’invente des différences bidon entre communauté noire et communauté homo, qui ne font pas du tout avancer les choses. On en reste au paraître, à la question creuse de la visibilité : « La différence entre être homosexuel et être Noir, c’est qu’être Noir, ça n’a pas à s’annoncer : ça se voit. L’homosexualité, ça ne se voit pas forcément. » (Lionel dans l’émission-radio Je t’aime pareil d’Harry Eliezer (thème : « Papa, maman, les copains, chéri(e)… je suis homo »), le 10 juillet 2010, sur France Inter)
Il serait tellement pertinent et plus éclairant de se limiter à lier la négritude et le désir homosexuel pour les deux seuls dénominateurs qui soient existants : le fantasme de viol d’une part, et la haine de soi d’autre part ! Car il ne suffit pas de se revendiquer fièrement Noir, ou fièrement gay, ou fièrement « Homo noir », pour s’aimer soi-même. Il ne suffit pas d’avoir la peau noire pour ne pas jamais être raciste. Par exemple l’écrivain nord-américain John Edgar Wideman, issu d’un quartier noir pauvre de Pittsburgh, écrit dans sa biographie Brothers And Keepers (1984) que « sa négritude l’accuse », qu’il vit dans « la peur qu’on découvre le diable en lui et qu’on le rejette comme un lépreux. » (pp. 56-57) N’entendons-nous pas cette haine de soi exprimée ? Et si nous l’entendons, pourquoi nous n’en parlons jamais et nous ne la réglons pas ?
Les exemples d’amis noirs homosexuels complexés pullulent autour de moi ! Et bien sûr, je ne justifie pas du tout leur auto-détestation : je suis le premier à la déplorer ; à les encourager à s’aimer un peu plus eux-mêmes ; et je suis aussi le premier à constater la manigance de certains Noirs qui, pour camoufler la honte existentielle secrète qu’ils portent depuis l’enfance au sujet de leur propre couleur de peau, vont se mettre à chanter excessivement leur coming out, comme si celui-ci allait tout réparer, comme si l’homosexualité avait le pouvoir de les réconcilier totalement avec eux-mêmes. Mais n’ont-ils pas compris que le couple homosexuel n’était qu’un cache-misère du racisme et d’une homophobie sociale galopants ?
Sans transition, je finis ce long chapitre de la négritude homosexuelle par une touche plus légère, d’une part en vous parlant à nouveau du roman Les Dix Petits Nègres (1939) d’Agatha Christie, mais du point de vue de l’actualisation, et d’autre part des liens concrets qui ont existé entre Joséphine Baker et la communauté homo.
À propos des Dix Petits Nègres, beaucoup de personnes homosexuelles aiment particulièrement ce roman d’Agatha Christie. Le Noir réel y est d’ailleurs totalement absent : aucun des personnages de l’histoire n’est de race noire. En fait, l’Homme noir est juste lointain, fétichisé, inerte comme une statue. Chacun des dix protagonistes est symbolisé par une statuette de Nègre exposée dans le salon de la villa. Et c’est avec stupeur que les invités de l’île voient tour à tour disparaître les statuettes à leur effigie à chaque fois que l’un d’eux est assassiné. Ainsi s’actualise une forme de rite vaudou créant une atmosphère inquiétante et paranormale très haletante.
Je me suis longtemps demandé pourquoi, étant adolescent, cette histoire m’avait tellement marquée ; pourquoi, de tous les romans d’Agatha Christie que j’avais lus, celui-ci avait largement ma préférence. L’intrigue des Dix Petits Nègres m’a habité très longtemps. Vers l’âge de 8 ans, j’en faisais des cauchemars (il faut dire que j’étais influencé par les réadaptations que je voyais à la télévision, dans des séries B telles qu’Amicalement vôtre, Matt Houston, Chapeau-melon et Botte de cuir, etc.), mais en même temps, ce roman me fascinait. À l’École des Beaux-Arts de Cholet, vers l’âge de 12 ans, j’ai même repris les personnages de Dix Petits Nègres pour les intégrer à une de mes sculptures éphémères (mon personnage préféré du roman étant comme par hasard la seule belle et jeune femme de l’histoire, la secrétaire Vera Claythorne).
Et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir quelques années plus tard, au cours de mes rencontres, que les Dix Petits Nègres d’Agatha Christie n’était pas une lubie uniquement personnelle, une vérité isolée de mon désir homosexuel, mais bien un point commun que je partageais avec bon nombre de mes frères homos ! Plus j’avançais dans mes recherches sur l’homosexualité, plus je découvrais – sans jamais en faire une règle ou une généralité sur « les » homos – que ce roman était très « gay », même s’il ne parlait à aucun moment explicitement de désir homo.
À mon avis, ce qui fait son succès dans la communauté homo, c’est qu’il renvoie directement à la beauté du viol. Les assassinats perpétrés dans cette œuvre sont faits avec une telle élégance, une telle finesse, une telle précision d’orfèvre, qu’ils finiraient par être désirés par le lecteur. Le machiavélique meurtrier interne, dissimulé parmi les 10 héros, a signé LE crime parfait. L’émergence soudaine du meurtre dans le rose-bonbon bourgeois est source de fantasme chez beaucoup de personnes homosexuelles, je le crois vraiment.
De temps à autre, il m’arrive de sonder discrètement les personnes homosexuelles que je rencontre (même si maintenant, je suis un peu grillé, parce que ce code commence à être connu de mon entourage amical proche, donc l’effet de surprise s’amenuise avec le temps…). Et certaines m’ont révélé spontanément leur passion pour Les Dix Petits Nègres : c’est le cas d’un jeune ami romancier nommé Yannick B. (et que j’ai rencontré à Paris en 2006) par exemple, du réalisateur Alejandro Amenábar (il avoue d’ailleurs qu’il « dévorait » littéralement les romans d’Agatha Christie quand il était adolescent), du metteur en scène Ladislas Chollat. Le 22 avril 2010, j’ai demandé pendant une conversation Facebook au réalisateur français Olivier Ciappa de m’expliquer pourquoi il avait eu le projet de faire un film sur le modèle des Dix Petits Nègres : il ne s’est pas étendu en détails. Il s’est contenté de m’écrire cette phrase laconique, mais qui a suffi à faire mon bonheur : « J’adore le concept. »
Ce n’est pas par hasard si la chanteuse noire Joséphine Baker est une icône gay. Elle est la première Noire-objet de l’ère contemporaine, la première femme de peau noire à devenir une grande star mondiale. Cette sulfureuse figure du music hall, née aux États-Unis et devenue française à partir de 1937, a osé revendiquer une identité minoritaire méprisée, une fierté d’être noire. Pétrie de paradoxes, elle a tout de la prostituée glorieuse et « assumée », de la figure du viol consenti (l’autre nom du désir homosexuel), de la femme phallique (avec son pagne-gode-ceinture aux multiples bananes-verges) qui exhibe fièrement sa réification. « Vous êtes le contraire de Barbette. Il cache tout, vous montrez tout ! » (Jean Cocteau à Joséphine Baker, dans la biographie La Véritable Joséphine Baker (2000) d’Emmanuel Bonini, p. 52) Pas étonnant, par conséquent, qu’elle « parle » à autant de personnes homosexuelles d’hier et d’aujourd’hui !
Joséphine Baker était la « fille à pédés » par excellence. Par exemple, Violette Morris (lesbienne) raconte qu’elle allait en boîte avec elle. Joséphine Baker est d’ailleurs classée parmi les « bisexuels célèbres » dans beaucoup de répertoires dédiés à l’homosexualité. Figure majuscule des Années folles en France, elle est en lien avec beaucoup d’artistes homos planqués (par exemple, elle prendra la pose avec l’acteur Rudolf Valentino). Elle est aussi une des pionnières de la militance pour l’« égalité des droits », un concept politique très récent (elle a notamment participé à la Marche de la Liberté organisée par Martin-Luther-King) Elle a côtoyé de près le monde de la nuit homosexuel, des Folies Bergère en passant par le Palace. Par exemple, elle a remis en personne la « Coupe de la Beauté travestie » à une fausse Marlene Dietrich, à l’issue d’un concours de costumes au dancing de Magic-City en 1937.
On retrouve parmi les personnes homosexuelles beaucoup de fans de la chanteuse, toutes générations confondues : Jean-Claude Brialy, Michel Gyarmathy, Denis Daniel, Jérôme Savary, Jean-Luc Lagarce, Jean Cocteau, Jean Marais, Pierre Meyer, Marc Allégret, etc. « Fascinée comme moi par le spectacle, ma tante Germaine m’offrait régulièrement le cinéma l’après-midi. Un soir, elle eut la bonne idée de m’emmener voir Joséphine Baker aux Folies-Bergère. Ce fut un total émerveillement ! » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 50) Panama Al Brown, l’amant du poète Jean Cocteau, jouait un temps les danseurs de claquettes dans La Revue Nègre de Joséphine Baker (Cocteau lui a même baisé les pieds). Michel Simon assistera à l’enterrement de la diva.
Joséphine Baker est même parfois considérée comme une mère adoptive par certaines personnes homosexuelles : « En cette époque magique, toute notre intelligentsia se trémoussait la nuit au rythme endiablée de sa ceinture en bananes, la toute nouvelle star du music-hall : Joséphine Baker ! C’est au milieu de ce vacarme que je me décidai à venir au monde […]. » (Denis Daniel, Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 13) Le chanteur-compositeur britannique Bill Pritchard, par exemple, prend la défense de son idole : il distingue la « Mamma Baker » qui se ruina en adoptant une ribambelle d’orphelins, et l’artiste qui, en avance sur son temps, combattit les préjugés en assumant courageusement sa vie de femme libérée : « Nous rions tous pendant que Joséphine Baker fait le guet / À cause du Klan dans le Sud, / Nous sommes tous les formes informes / De l’état invisible. » (cf. la chanson « Mamma Baker » de Bill Pritchard)
La légende de Joséphine Baker nourrit actuellement l’univers imaginaire de beaucoup d’hommes travestis M to F. Cette femme noire est l’un des personnages typiques des cabarets transformistes (cf. le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, avec l’homme transsexuel Nancy). Dans les années 1960-70, Michel Catty (alias Michou) faisait des imitations burlesques de Joséphine Baker. À la Gay Pride berlinoise de 2008, un des derniers « triangles roses » encore vivants à l’époque, Rudolf Brazda, a imité la Baker au music hall. Par ailleurs, il est à noter que la chanson « La Petite Tonkinoise » de Joséphine Baker existe dans une double version, féminine et masculine ! Enfin, on retrouve aussi Joséphine Baker sur le logo du célèbre bar gay le Banana Café, qui existe encore à Paris, et qui ne désemplit pas.
Bref, je me risquerai à dire que celle que l’on surnommait parfois « Joe » ou « la Putain » quand elle était encore en vie, est symboliquement le premier modèle transgenre du XXe siècle (elle succède à la Joconde) : « Le spectateur à peine éveillé voit débouler sur la scène un morceau de caoutchouc recouvert de guenilles, salopette noire et chemise blanche en lambeaux… […] Est-ce un homme ?, est-ce une femme ? Quand le phénomène se met à se déhancher de façon diabolique au son fantastique charleston, l’assistance a le souffle coupé. ‘La Baker’ vient de naître. » (Emmanuel Bonini, La Véritable Joséphine Baker (2000), p. 40)
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