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Code n°8 – Amour ambigu du pauvre

Amour ambigu de l'étranger

Amour ambigu du pauvre

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La solidarité, comme tout don humain, n’est pas positive en soi. Cela dépend de comment elle s’exerce, et surtout si l’identité et la liberté de la personne assistée ont été honorées suite à l’échange, justement. Dans le cas des personnages homosexuels des fictions (et parfois des personnes homosexuelles réelles), on peut constater que la juste distance entre le bienfaiteur et l’étranger/le pauvre n’a pas été clairement observée, et que l’un comme l’autre ont cherché à empiéter sur le terrain de l’autre sans se respecter. Le plus riche s’est laissé attendrir par un élan de solidarité fusionnelle, un sincère désir de communion amoureuse avec son petit protégé, tandis que le nécessiteux profite de la situation, vit dans l’assistanat, et considère le sexe, le vol et le meurtre, comme des moyens de venger sa propre classe sociale ou race. C’est précisément cet amour excessif, passionnel, sacrificiel, peu distant, que l’on observe dans les œuvres homos, et chez les personnes homos réelles en mal d’exotisme, d’âmes à sauver. Il est fréquent en effet de voir que l’élan solidaire du héros gay, apparemment pétri de bonnes intentions et d’amour du prochain, rime le plus souvent avec usurpation d’identité, prostitution, tourisme sexuel, narcissisme bobo, indifférence aux vraies personnes dans le besoin, opportunisme petit-bourgeois. L’étranger n’est pas tant aimé pour lui-même que pour son image d’Épinal fantasmée, et l’occasion en or qu’il fournit de s’acheter un diadème de victime innocente, de preux défenseur des Droits de l’Homme, tout en déchaînant en toute légitimité sa jalousie sur les Puissants dont on rêve de ravir discrètement la place.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également les codes « Putain béatifiée », « Mère Teresa », « Témoin silencieux d’un crime », « Méchant Pauvre », « Bobo », « Prostitution », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Voyage », « Homosexuel homophobe », « Liaisons dangereuses », « Amant modèle photographique », « Poupées », et à la partie « Je suis une (plus grande) victime (que les autres) » du code « Homosexualité noire et glorieuse », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

Le personnage homosexuel aime le pauvre d’un amour ambigu, à la fois condescendant et fou :

a) Le pauvre-objet, exotique et lointain :

Salim Kechiouche

Salim Kechiouche


 

Beaucoup d’œuvres homo-érotiques chantent la charme discret et « involontaire » de l’étranger ou de l’indigent, le fameux Beatus Ille. « La transfiguration d’un état de misère » comme l’a écrit un jour un ami romancier angevin en 2003 : cf. le roman Aziyadé (1879) de Pierre Loti (avec le jeune Samuel), le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon (Victor et Selim l’ouvrier arabe), la toile Noa-Noa (1901) de Paul Gauguin, le roman Les Civilisés (1905) de Claude Farrère, le roman Malaisie (1930) d’Henri Fauconnier, le roman Prostitution (1975) de Pierre Guyotat, les romans L’Immoraliste (1902) et Si le grain ne meurt (1925) d’André Gide, le roman Incidents (1987) de Roland Barthes, le film « Caravaggio » (1986) de Derek Jarman, les romans La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) et Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto d’Halmar, le tableau Robinson et Vendredi (2007) d’Éric Raspaut, le roman Cet Arabe qui t’excite (2000) de Djallil Djellad, le film « Grande École » (2004) de Robert Salis (avec Salim Kechiouche), le court-métrage « Alger la blanche » (1986) de Cyril Collard, les films « Les Corps ouverts » (1997) et « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz (avec Yasmine Belmadi), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec les beaux Turcs à Istanbul), les films « Underground » (2007) et « Love Kills » (2007) de Tor Iben, le film « Fronteras » (« A Escondidas », 2016) de Mikel Rueda (avec Rafa et Ibrahim l’immigré), etc. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves regarde avec envie par la fenêtre le beau et jeune travailleur d’Oran au service de sa famille de colons. Dans le roman L’Autre Dracula (1997) de Tony Mark, le narrateur homosexuel dit être attiré par un « superbe et ténébreux gitan » (p. 35). Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la clocharde Berthe est surnommée « la Reine des Hommes » (p. 61). Dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien, Romane est lesbienne, et se prend de passion pour Yindee, une jeune femme thaï qui travaille avec elle en tant que vétérinaire. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, les deux amants Tomas (Allemand) et Oren (Israëlien, marié à une femme et avec un enfant) incarnent tour à tour la figure de l’étranger fascinant.

 

Au départ, le personnage homosexuel nous offre son hommage larmoyant au Tiers-monde. « J’me sens très proche de ces gens-là. Les gens qui n’ont rien. » (Benigno à Marcos, dans le film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar) ; « Et tous ces enfants qui meurent de faim chaque jour… et nous qui allons passer un repas somptueux… » (Jules, le héros homosexuel dandy, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Y’a plein de p’tits nouveaux. Ils sont mignons tout plein. Y’a pas beaucoup de Français… mais ça ne me dérange pas. Au contraire. » (Fabien Tucci, homosexuel, parlant de son boulot à Pôle Emploi depuis deux ans, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc. Mais peu à peu, on constate que ce ne sont chez lui bien souvent que des mots. Dans les fictions, par exemple, un certain nombre de personnages homosexuels se désintéressent totalement du sort du monde : Aschenbach dans le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, ou Sébastien dans « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, constituent de bons exemples de cette compassion homosexuelle qui pleure sur la victime sans lui venir en aide. Dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, le cadre humanitaire en Namibie sert de prétexte à la romance lesbienne entre Ambre/Helena. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, Finlandais, tombe amoureux de Tareq, un bel ouvrier syrien qui ne peut pas vivre son homosexualité dans son pays et qui a fui la guerre.

 

Le pauvre est considéré comme une poupée sacrée ; non comme un être vivant et libre. Par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le miséreux est un objet qu’on se dispute et qu’on s’arrache : « Ah, mes chéries […] Je vous ai invité un Arabe sublime comme cadeau du nouvel an. Ahmed rentre ! » (Micheline, le trans M to F) ; « Il est à moi, cet Arabe. Voleuse ! » (Daphnée s’adressant à Micheline) ; etc. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, sort avec son guide mexicain, Palomino : « Je me conduis en seigneur colonial. » Le pauvre est réduit à un double spéculaire narcissique, comme le jeune Franck dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta : « Quand on entre dans la cour, le garçon de la DDASS sort le premier. Il s’approche de la voiture, colle son nez à la vitre, me regarde, une main en visière de casquette. » (p. 49)

 

B.D. "Rocky & Hudson, les cow-boys gays" d'Adão Iturrusgarai

B.D. « Rocky & Hudson, les cow-boys gays » d’Adão Iturrusgarai


 

Dans les films homosexuels, le mélange inter-classes sociales n’est quasiment placé que sous le signe de la mort, de l’absence, du sexe, et de l’argent : cf. le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Mein Süsser, Kleiner Arsch » (« Mon beau petit cul », 1998) de Simon Bischoff, le film « L’Amant bulgare » (2003) d’Eloy de la Iglesia, etc. C’est le corps de l’ouvrier, et non le travail, qui est glorifié : cf. le film « Acla » (1992) d’Aurelio Grimaldi (avec les ouvriers musclés travaillant dans les mines), le vidéo-clip de la chanson « Cargo de nuit » d’Axel Bauer (réalisé par Jean-Baptiste Mondino), le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent (avec l’assistant agricole musclé du grand-père), etc. « Ô mon bel étranger, on ne se reverra plus. » (cf. la chanson « Étrange » de Nicolas Bacchus)

 

Film "Avant que j'oublie" de Jacques Nolot

Film « Avant que j’oublie » de Jacques Nolot


 

Dans les nouvelles d’Essobal Lenoir, on voit bien que le goût pour le monde ouvrier et la population issue de l’immigration n’a rien à voir avec un réel militantisme, mais qu’il est plutôt focalisé sur un fantasme égoïste de spectateur de films pornos obnubilé par son bas-ventre : « Je ne sais quoi m’attirait irrésistiblement vers la rivière. » (le narrateur homosexuel fasciné par les ouvriers de la fabrique de tuiles qui se baignent et pissent, dans la nouvelle « La Carapace » (2010), p. 15) ; « Tous ces Slaves trouvaient ma petite chambre tellement grande, et ils avaient tant besoin de tendresse… » (cf. la dernière phrase de la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010), p. 61) ; « Majid rapplique et s’enferme avec moi. Il ouvre au maximum la fermeture éclair de son bleu sous lequel il ne porte aucun sous-vêtement. Il sort son tuyau, active sa pompe et me lèche consciencieusement toutes les coulures encore tièdes, en compressant sa queue brûlante contre le marbre froid de mes cloisons. » (cf. la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010), p. 83) ; « On engagea donc un carreleur, un peintre et un plombier. […] Quelle jouissance que de voir les muscles sous la peau tendre des fesses du carreleur accroupi, d’autant plus que le plombier, en triturant mon système de chasse d’eau, me masturbait involontairement sans rien comprendre à mes dérèglements. » (idem, p. 92) ; « Le satyre qui ne sommeille jamais en moi cherchait des yeux un joli prolétaire contre la chaleur duquel je pusse plaquer ma libido, afin d’emporter à la maison une image pour mes travaux pratiques vespéraux. Hélas ! le prolo se fait denrée rare à Paname… » (cf. la nouvelle « La Queue du diable » (2010), p. 113) ; « Ce jardinier, on le dirait sorti d’un calendrier des Dieux du Stade. » (Tom, le héros homosexuel en parlant de son futur amant qui le fait fantasmer, Louis, le jardinier sexy de la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; « Si tu veux faire le potager tout nu, tu le fais. » (Graziella s’adressant à Louis, idem) ; etc.

 

L’attrait pour le pauvre est parfois purement sexuel et autodestructeur. « J’aime les p’tits délinquants ! » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Cody cherche des Arabes. Il est obnubilé, il dit ‘Je sens que je pourrais être une femme avec eux parce qu’ils se servent de ton corps comme celui d’une femelle, tu vois, comme si t’étais une objet de plaisir et que tu n’existais pas comme personne. » (Cody, le héros gay efféminé dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 91) ; « Le chauffeur de taxi râle. Il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? Je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Le Rebelle » (1980) de Gérard Blain, Beaufils explique son attirance pour la « racaille », la marginalité et la violence : « Il n’y a que cela qui me fait bander. » Ici, on est bien loin de la pensée humanitaire et humaniste en action ! Dans énormément d’œuvres homosexuelles, l’amitié de l’étranger est salie par le sexe et la prostitution, même si le personnage homosexuel continue de nous faire croire (et de se faire croire à lui-même) que c’est de l’amour vrai : « Noeli, un jeune Métis. C’est pour moi le début d’un amour, même s’il repose sur l’argent. » (le héros du roman Les Dollars des sables (2006) de Jean-Noël Pancrazi) Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, par exemple, « le banlieusard, beauté exotique » est invité comme gigolo par la Jet Set homosexuelle. Cela ressemble à de l’ouverture (… mais le souci, c’est qu’on ne dit pas de quelle ouverture il s’agit…). Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony baise des « chauffeurs mécaniciens » et des jeunes prostitués. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Grégory sort avec Gérard, un fils d’immigré italien. Et il se dit attiré par Michael, l’homme marié : « Son côté bière, son côté working-class. »

 
 

b) Le pauvre est aimé pour son malheur et comme substitut d’identité :

On constate souvent que l’amour homosexuel du miséreux implique de conserver le pauvre à terre plutôt que debout : il est question, comme le chante Catherine Lara dans la chanson « Les Secrets du Monde » du spectacle musical Graal, d’« aimer les faibles à genoux ». Il ne faudrait surtout pas que le nécessiteux se relève ou qu’il soit l’égal du héros homo ! : « C’est pourquoi il [Tanguy] aimait Misha : parce qu’il était le plus malheureux. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 95) ; « Zohr incarnait à mes yeux toute la misère de la nature humaine, je voyais en elle mon sombre destin. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 29) ; « Monsieur Goudron était un bienfaiteur. Il m’a pris chez lui quand je n’avais aucun moyen de subsistance. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, se défendant d’avoir eu une quelconque liaison avec l’écrivain âgé Goudron, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 290) ; etc. Par exemple, dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le héros désire « cette humanité pouilleuse » du haut de la terrasse de son père (une sorte de mélange Blacks/Blancs/Beurs)… mais « finalement, il n’en est jamais descendu, de sa terrasse ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, raconte comment il est sorti avec un certain Fabrice, un « escroc qui l’a ruiné après lui avoir fait vivre une vie de « princesse » : « Il s’est tiré avec la caisse. Plus rien. Une princesse déchue. » (idem). Puis il se retrouve entouré par des Roumains que sa situation de précarité l’a amené à connaître, et se prend pour la quintessence de la pauvreté roumaine : « J’étais comme une mendiante, une Roumaine… »

 

Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, une association LGBT d’une dizaine de membres prennent d’assaut un village de mineurs gallois pour les défendre contre les pressions gouvernementales à l’encontre des syndicats ouvriers… Ça part d’un bon sentiment. « On a subi les mêmes épreuves que vous. » leur soutiennent les militants homosexuels, dirigé par le jeune Mark. « Solidarité pour toujours ! » En réalité, ces bons samaritains s’imposent à une population qui ne leur a rien demandé (« Pourquoi viennent-ils ? On leur a écrit pour les remercier. » s’indigne Maureen, l’une des syndicalistes) Ça sent la course à la victime, l’instrumentalisation de la misère des autres pour qu’ils servent d’alibi à l’imposition des droits LGBT sous la forme de droits universels et de lutte des classes. Finalement, on lit derrière la démarche de ces héros homosexuels une forme de jalousie : « Les forces de l’ordre s’en prennent à ces pauvres gars plutôt qu’à nous ! » (Mark)

 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Vera, la sournoise héroïne lesbienne, joue d’abord les saint Bernard :« Tu connais mon penchant naturel à venir au secours des désespérés. » Mais son amante Lola, qui connaît ses calculs, la remet à sa place : « Tu es incapable d’une vraie générosité. Tu reprends d’une main ce que tu donnes de l’autre. »
 

Cela arrive très fréquemment que le protagoniste homosexuel ravisse l’identité de son amant étranger : « Je me suis mis à la place de mon prochain. » (Emmanuel Fruges, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 147) ; « Moi je me sens papou bizarrement certains matins… » (le héros de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’ignorais tout des ‘clochards célestes’ alors que j’en étais un moi-même, dans toute l’acception du terme, et me considérais comme un pèlerin errant. » (Ray Smith, dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, p. 14) ; « Maintenant clochardisé, installé assis dans la marge, non seulement Vincent Garbo n’effraie plus ni ne dérange, mais chacun et chacune semble lui reconnaître comme un droit à l’existence. Comme si sur ce mètre carré de bitume, j’avais enfin trouvé ma juste place. » (Vincent Garbo, le narrateur homosexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 93) ; « Tu partages le sang de Pablo, Doris, Roger, Hilaire, Esteban et les autres. Tu ne t’appelles plus Félix Perlman mais Vincent Braconnier. » (Félix, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 59) ; « Tu ne sais pas résister aux étrangers » (Teja, l’amant allemand et danseur, de Rudolf Noureev, dans le film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes) ; etc.

 

Dans son one-woman-show Free, The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon, pourtant née en France, s’identifie aux esclaves noirs chantant le blues, aux enfants faméliques des pubs d’Action Contre la Faim : « Moi, si je me mets à nue, je peux faire une pub pour Action Contre la Faim. Avec des mouches autour des yeux. » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian demande à George, le héros homosexuel pas du tout clochard, s’il est SDF et celui-ci confirme. Dans son one-woman-show Chaton violents (2015) d’Océane Rose-Marie, Océane, l’héroïne lesbienne, fait référence à sa soi-disant « sœur adoptive cambodgienne ».
 

Certains personnages homos se définissent volontiers comme les vrais pauvres (cf. je vous renvoie à la partie « Je suis la plus grande victime » du code « Homosexualité noire et glorieuse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : c’est le cas des Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, de l’association Les Gouines sans domicile fixe dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie, des faux SDF homosexuels dans la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, des « 2 travestis clochards » Mimi et Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, des clochards homos du bâti Lars Norén (2011) d’Antonia Malinova, etc. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk se qualifie lui-même d’« immigré ». Dans ses élans identificatoires, le personnage homosexuel réagit comme la bourgeoise qui a peur de toujours manquer, qui semble inconsolable, qui parle sans arrêt des effets de la crise économique dont elle pâtirait plus que les autres (comme la Marquise du film « Dans les ténèbres » (1983) de Pedro Almodóvar), ou en tout cas autant que les vrais pauvres : « Nous sommes pauvres, nous n’arrivons plus à soutenir notre train de vie. […] Je me vois obligé de monter une affaire de tricot, Michael et moi nous tricotons des ponchos toute la journée, les enfants nous aident parfois. Mais enfin, je ne me plains pas, c’était une vie plutôt agréable. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 96) Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, on voit parfaitement la violence condescendante de l’attrait sexuel de l’héroïne lesbienne Anamika pour sa future servante et amante Rani qu’elle a repérée dans un bidonville : « J’aurais voulu que la femme du bidonville [Rani] soit à mon entière disposition. Des images de films hindis dans lesquels le brahmin de la caste supérieure s’éprend de la domestique de la caste inférieure et lui fait passionnément l’amour ne cessaient de tournoyer dans ma tête. » (p. 20.) Parfois, les chiasmes employés indiquent à la fois la substitution aux pauvres et leur instrumentalisation via la prostitution : « Salam Aleikoum ! Aleikoum Salam ! Attendez-moi au fond, dans la chambre de droite. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) Dans la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob, le couple gay Jeff et Mimil aiment le monde entier… du fin fond de leur Cantal ! La substitution avec les pauvres tant adorés de loin est vite opérée : « On est vachement solidaires avec le Tiers-Monde. C’est nous, le Tiers-Monde ! » L’aide proposée aux vrais pauvres prend l’allure de la fuite : « Les mal-aimés, qui les venge ? […] Sauf qui peut. Sauve c’est mieux ! Sauf qu’ici, loin sont les cieux. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) L’aide « humanitaire » que l’homosexuel veut mettre en œuvre est finalement narcissique : à force de s’identifier aux victimes, il s’imagine qu’il est sa première victime à sauver, comme le personnage de Sébastien dans la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, qui veut créer S.O.S. Homosexuels pour secourir les internautes gays en détresse. Et le vrai pauvre voit clair dans la comédie de son faux ami homosexuel, puisqu’il lui reproche de s’être servi de lui sans l’avoir véritablement aidé à s’en sortir : « Enfant de la rue, tu m’as cueillie comme un fruit défendu. Enfant de misère, moi qui voulais te donner mon amour, toi qui venais aller-retour, tu n’m’as jamais dit : ‘Viens je t’emmène et je t’offre une autre vie.’ » (cf. la chanson « La Fille du soleil » de Candela dans le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon). Cependant, comme il est lui-même rentré dans le jeu de sa propre exploitation, au pire il jouera de cynisme dénégateur face au snobisme puant de son mac protecteur (comme le personnage d’Omar avec son riche amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa : « Il aimait ça, Khalid, ma force, mon côté mauvais garçon. Il aimait que je vienne d’un autre monde. Les pauvres. Ça le changeait, disait-il souvent. Il trouvait ça exotique. », p. 25), au mieux il sera plus direct dans la dénonciation de l’exploitation mutuelle : « Je vais te dire un grand secret : finalement, tu détestes le monde. » (cf. une femme s’adressant au personnage homosexuel d’Emmanuel dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré)

 

Le pauvre dont le héros homosexuel se réclame peut également être l’enfant approprié en cas de « mariage pour tous » (et tout ce qui va avec : adoption, PMA, GPA). « C’est le dossier de Tchang. Il a trois ans. Et on va le chercher dans 2 semaines. » (François annonçant par surprise à son compagnon Thomas la nouvelle de leur voyage en Thaïlande pour l’adoption d’un enfant, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener, quand le père de Claire la met en garde, elle et sa copine Suzanne, à propos de leur projet de mariage et d’enfant (« Vous jouez à la poupée avec un petit être vivant. »), elle s’entête dans une solidarité agressive : « Je veux un enfant et je l’aurai ! »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Les personnes homosexuelles qui pratiquent leur homosexualité ont tendance à aimer le pauvre d’un amour ambigu, à la fois condescendant et fou

 

AMOUR AMBIGU BD

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se désirent Hommes du Peuple engagés contre la misère. Et pourtant, concrètement, elles restent souvent éloignées des réalités humaines désagréables : dans les faits, les cadres de la rencontre entre les personnes homosexuelles et les pauvres qu’elles défendent ont presque toujours un rapport à la prostitution masculine, à la domesticité, à l’anarchisme, au militantisme politique, au populisme, bref, à une solidarité intéressée. « J’aime utiliser ma judaïté. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; « Le roi est généreux. Il veut que ses sujets gardent un bon souvenir de lui, car il ne connaît que trop bien le côté obscur de son âme. Louis II voudrait être un roi bienveillant, mais il sait que ce n’est pas le cas. » (cf. le documentaire « Louis II de Bavière, la mort du Roi » (2004) de Ray Müller et Matthias Unterburg) ; « J’eus affaire à un monsieur habitant une belle villa dans le Val de Marne, qui me désirait fortement vêtu comme l’homme de ménage du film ‘La Cage aux folles’. J’avais halluciné, concluant que ce fantasme me rabaissait complètement. Et puis, non sans gêne, il s’était plu à me dire que son sexe était un petit biscuit qui devenait grand comme une baguette. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 113) ; etc.

 

Il arrive à certaines personnes homosexuelles de s’émouvoir pour la condition précaire d’un misérable garçon qu’elles tentent de sauver de la galère, et celui-ci se laisse entretenir par elles, mais le contrat unit quand même deux égoïsmes cherchant à se substituer l’un à l’autre. « J’aime les petits Arabes. En effet. Pour une fois qu’on aime les p’tits Arabes pour autre chose que pour leur pétrole. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) Beaucoup de personnes homosexuelles ne désirent plus simplement compatir au sort du pauvre : après lui avoir écrit son holocauste, elles veulent se substituer à lui pour dire qu’elles sont les plus grandes victimes de tous les temps. Faire mémoire devient très souvent dans leur cas un prétexte pour pleurer sur soi. Elles aiment davantage le pauvre pour l’esthétique révolutionnaire qu’il incarne que pour lui-même, et dans la mesure où il justifie « en gros » leurs combats personnels. C’est le glissement de la révolution à l’anarchisme/rébellion dont parle Patrick Bougon concernant l’engagement politique de Jean Genet : « La position politique de Genet est moins propalestinienne qu’anarchiste. […] Ce qui intéresse Genet chez les Black Panthers et les Feddayin, c’est qu’ils sont des vecteurs de déstabilisation du pouvoir et de l’État. » (Patrick Bougon, « Politique et Autobiographie », dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 69) Leur soutien au pauvre est une adhésion de principe, non prioritairement de personne. Elles ne s’intéressent pas tant à la victime en elle-même qu’à l’occasion qu’elle leur fournit de s’attaquer aux mécanismes de pouvoir qui la rendent/rendraient victime. Concernant par exemple l’univers carcéral, les paroles de Michel Foucault sont assez claires : « En fait, je ne m’intéresse pas au détenu comme personne. Je m’intéresse aux tactiques et aux stratégies de pouvoir qui sous-tendent cette institution paradoxale qu’est la prison. » (Michel Foucault, « Michel Foucault, l’illégalisme et l’art de punir », entretien avec G. Tarrab en 1976, p. 87) En choisissant de défendre « la différence qui gêne(rait) », elles ont l’impression d’être ultra-révolutionnaires et dangereuses, mais elles se cachent ainsi à elles-mêmes le jugement dépréciatif qu’elles ont porté sur les porte-drapeaux de leur révolution : en simulant la fausse camaraderie, elles s’entourent d’individus que la société juge/jugerait peu fréquentables, parce que ce sont souvent elles-mêmes qui ont projeté sur elle leurs propres jugements sur les pauvres, alors que ce qui devrait présider à l’ordre de la solidarité, c’est la lutte pour les exclus contre l’exclusion, il semble que pour elles, c’est la lutte grâce aux exclus contre ladite « majorité » (… il serait plus juste de dire ceux de leur propre classe) qui l’emporte. Elles veulent sauver le Peuple sans Lui, en lui arrachant le haut-parleur des mains. « Nous devons dire que nous sommes plus frappés pour que les Arabes le soient moins. Nous devons crier pour les Arabes qui, eux, ne peuvent pas se faire entendre. » (Michel Foucault, Le Temps immobile, t. III, p. 430, cité dans Dits et écrits I (2001), p. 57) En quelque sorte, elles s’identifient aux victimes à défendre pour prendre leur place et reprocher ensuite à ceux qui ne les suivraient pas dans leur élan de solidarité universelle de ne pas agir comme elles. Elles sont les prophètes d’« une nouvelle orthodoxie dont le contenu importe finalement moins que le partage manichéen qu’elle établit entre amis et ennemis du genre humain, l’obligation qu’elle fait aux premiers de se ranger, sous prétexte de défendre les opprimés, du côté des puissants. » (Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs (2002), p. 13)

 

En règle générale, la solidarité homosexuelle est à entendre dans son sens passionnel, à savoir d’altruisme agressif, de « générosité dingue » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 221). Touche pas à pote ! Mon pauvre est à moâ ! Bien souvent paniquées par les nouvelles du journal, meurtries par le sort des populations télévisuelles, beaucoup de personnes homosexuelles, en mal de combat ou en panne d’identité, ont un besoin cannibale de se rendre utiles et d’aller vers les autres. Il leur arrive de crier dans leur salon de thé : « Je dois et j’ai besoin de faire ma vie avec les masses et les travailleurs manuels ! » (Edward Carpenter sur le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003) Elles s’inscrivent parfois dans les associations caritatives, parlent de voyages « humanitaires » et de « solidarité » à tout bout de champ, se persuadent qu’elles sont indispensables au bonheur de celui qui se trouve dans la détresse… alors que par ailleurs, elles ont tendance à voir la vie en noir, à peu s’occuper d’elles, de leur voisinage, de l’entraide à échelle humaine. Elles veulent pour les vraies victimes ce qu’elles refusent pour elles-mêmes. « Comme vous savez, je suis du côté de ceux qui cherchent à avoir un territoire, mais je refuse d’en avoir un » avoue Jean Genet (Jean Genet dans l’article « Une Crépusculaire odeur l’isole » de Tahar Ben Jelloun, dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 30). Le paradoxe de leur passion du pauvre se situe dans le fait que nous pourrions définir la plupart des personnes homosexuelles à la fois comme des amis de la Terre entière et des ennemis du genre humain. C’est par exemple ce qui peut expliquer que Michel Larivière décrive dans une même phrase Michel Simon comme un individu « misanthrope, anarchiste, toujours proche des exclus, des marginaux, mais vivant en solitaire, entourés de ses animaux familiers » (Michel Larivière, Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 311).

 

À force d’avoir le cœur sur la main, elles ont tendance à ne plus le laisser à sa juste place ! Peu de personnes homosexuelles ont la notion de la vraie générosité : pour elles, elle se limite à tout donner matériellement sans donner de sa personne, à s’émouvoir dans la mélancolie démissionnaire. Or, comme l’explique Mère Teresa, on aura beau donner tout son argent aux pauvres sans nous donner NOUS, notre don aura la froideur d’un chèque ou d’une pièce de monnaie.

 
 

a) Le pauvre-objet, exotique et lointain :

Beaucoup de personnes homosexuelles sont séduites par le jeune amant étranger : dans les cas les plus connus, il y a André Gide, Jean Genet, François Augiéras, Jean Sénac, Arthur Rimbaud, Pierre Herbart, Rachid O., Robert Lalonde, Claude Farrère, Daniel Guérin, Pierre Guyotat, Paul Bowles, Alberto Cardín, etc. Par exemple, pour leurs créations artistiques, Gilbert et George utilisent beaucoup de jeunes marginaux (cf. Patriots en 1980). Andy Warhol a fait de même. Juan Goytisolo dit être attiré par le « méridional sans cravate » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 391). En Espagne, le Marquis de Campo est connu pour sa passion pour les jeunes hommes prolétaires. Eloy de la Iglesia a toujours été attiré par les jeunes ouvriers pauvres. Le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini a trempé dans une affaire de détournement de mineurs à l’âge de 27 ans, et a fini par être assassiné par les voyous banlieusards qui l’attiraient tant : « Pasolini développait de vraies amitiés avec ses garçons : il jouait au foot avec eux, fait des virées nocturnes avec eux, danse et va à la plage avec eux. » (Kammerer dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » d’Andreas Pichler) Je vous renvoie également à la vie du colonisateur anglais Sir James Brook (racontée par Nigel Barley dans Un Rajah blanc à Bornéo, 2002). Certains auteurs homosexuels, issus de la bourgeoisie et dits « engagés », aiment à décrire par un « ultra-réalisme de pissotières » l’émergence inespérée de l’amour homo dans les bas-fonds des milieux défavorisés qu’on leur a/aurait cachés pendant leur jeunesse dorée : cf. les films « Orestie africaine » (1969) et « Le Père sauvage » (1980) de Pier Paolo Pasolini, le roman Le Garçon qui pleurait des larmes d’amour (2007) d’Alexandre Delmar, le roman The Servant (1948) de Robin Maugham, la pièce Quai Ouest (1985) de Patrice Chéreau, les films « The Last Days » (2005) et « Mala Noche » (1985) de Gus Van Sant, le documentaire « Les Mille et un soleils de Pigalle » (2006) de Marcel Mazé (avec le portrait de deux jeunes Maghrébins témoignant de leur quotidien dans des sex-shops parisiens), etc. Daniel Guérin, notamment, parle de sa « conversion » au monde des garçons prolétaires. En 1962, il publie Eux et Lui, livre autobiographique dans lequel il se met en scène à la troisième personne aux côtés des exclus, comme sur une jolie carte postale de la rencontre pacifique des peuples que tout (selon lui) opposerait.

 

Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment il tombe amoureux de Karabiino, un domestique inaccessible, qu’il n’arrivera pas à acheter, ni par l’argent, nu par la séduction, ni par l’émotionnel : « J’ai allumé la télévision. Sur Melody Hits, il y avait le clip de la chanson de Sabah. Karabiino connaissait le tube mais ignorait tout de la chanteuse. Il s’est arrêté de travailler. Je l’ai invité à venir s’asseoir sur le lit à côté de moi. Et on a regardé le clip ensemble. C’était joyeux. Triste. Bouleversant. Loin de tout. […] J’avais soudain envie de pleurer, mais je ne savais pas pourquoi. Karabiino, lui, avait les yeux fixés sur l’écran. Était-il heureux ? Avait-il oublié pour un moment son malheur ? À quoi pensait-il ? Qui, au fond, était-il ? Je n’avais pas de réponses. Je n’en avais pas besoin. Karabiino était un garçon offert à mes yeux, à ma mémoire, parfaitement lisible et complètement mystérieux. Je savais un bout de son histoire, de son rêve. Mais là, à côté de moi, il était comme un petit prince, un petit roi. Un petit Sphinx. Insaisissable. Ailleurs. Ailleurs en permanence. » (pp. 76-77)

 

AMOUR AMBIGU Ouvrier

 

L’ouvrier ou l’étranger pauvre-jeune-et-musclé à qui la communauté homo fait les yeux doux correspond davantage à un cliché publicitaire digne des Dieux du Stade qu’à une rencontre réelle avec le monde du prolétariat : « Il est par exemple frappant de noter qu’une image qui a longtemps été (et qui est toujours) une icône gay représente un (très beau) mécanicien portant deux pneus alors que la population gay vit dans des milieux sociaux autrement plus raffinés ou intellectuels. » (Hugo sur le site suivant consulté en octobre 2003) ; « Pendant que mon cousin prenait possession de mon corps, Bruno faisait de même avec Fabien, à quelques centimètres de nous. Je sentais l’odeur des corps nus et j’aurais voulu rendre palpable cette odeur, pouvoir la manger pour la rendre plus réelle. J’aurais voulu qu’elle soit un poison qui m’aurait enivré et fait disparaître, avec comme ultime souvenir celui de l’odeur de ces corps, déjà marqués par leur classe sociale, laissant déjà apparaître sous une peau fine et laiteuse d’enfants leur musculature d’adultes en devenir, aussi développée à force d’aider les pères à couper et stocker le bois, à force d’activité physique, des parties de football interminables et recommencées chaque jour. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 153) ; etc. Chez le photographe Orion Delain, par exemple, on constate de manière palpable que l’élan vers l’étranger tend plus vers l’esthétisme que vers l’amour réel. La séduction, l’obsession pour la beauté des corps, et la drague, court-circuitent les échanges relationnels qui promettaient d’être beaux, gâchent la gratuité de la rencontre (pourtant concrète) avec les habitants du monde de la pauvreté matérielle.

 

Il ne suffit pas, par exemple, qu’un individu devienne objet de désir sexuel applaudi pour sa plastique et ses charmes physiques/culturels par toute une communauté, pour qu’il soit véritablement aimé et respecté. Je pense par exemple au fantasme homosexuel de plus en plus répandu du Maghrébin dans l’industrie cinématographique du porno, fantasme interprété à juste raison par Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts dans Homo Exoticus (2010) comme un racisme positif ou une forme nouvelle de néocolonialisme contemporain. Ilmann Bell, dans Un Mauvais Fils (2010), analyse très bien le phénomène : « L’Arabe est aux homos ce que la Blonde est aux hétéros. » Et ce n’est pas parce que, de surcroît, l’étranger prend le rôle du dominateur (sexuel) dans un scénario où il serait montré à son avantage, et qu’il laisse apparemment au placard son ancestrale activité d’esclave passif pour endosser la casquette du violeur qui va « régler son compte » à l’Occidental dans l’obscurité d’une cave de « té-ci » miteuse, que la revanche des pauvres sur les riches est effective sur le terrain, que la communauté gay lutte efficacement en faveur de l’émancipation des étrangers, et que le film porno en devient pour le coup justicier, révolutionnaire, humanitaire. Le pauvre, même magnifié corporellement par la caméra et dans sa performance génitale, n’en est pas moins utilisé comme objet sexuel, et vu uniquement sous le prisme d’un regard machiste (que le caméraman soit une femme ou un homme, un Blanc ou un Beur, ne change rien à la violence de l’acte enregistré).

 

AMOUR AMBIGU Homo Exoticus

 

Enfin, il ne suffit pas non plus de s’annoncer sous les hospices de la fraternité et de la solidarité pour être concrètement aimant. L’amour du pauvre peut être agressif, exclusif et excluant, s’il est un prétexte pour haïr les soi-disant « opposants » à notre entreprise humaniste. On retrouve ce partage manichéen et paradoxal dans le discours « solidaire » et « républicain » d’un Federico García Lorca, prononcé le 6 juin 1936 : « Je suis frère de tous et j’exècre l’homme qui se sacrifie pour une idée nationaliste abstraite. » (Lorca cité dans l’essai La Littérature espagnole au XXe Siècle (1998) de Nicole Réda-Euvremer, p. 37)

 
 

b) Le pauvre est aimé pour son malheur et comme substitut d’identité :

Le regard porté par beaucoup de personnes homosexuelles sur la pauvreté est beaucoup trop compassionnel et inondé de larmes pour être authentique. « J’ai un amour malheureux pour le monde » déclare Pier Paolo Pasolini (cf. le reportage « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada). Jean Genet dit bien que ce qui l’a attiré chez le jeune Abdallah, son amant arabe, ce sont les « images d’une enfance misérable, inoubliable, où il se savait abandonné » (cf. l’article « L’Éthique de l’Art », de Thierry Dufrêne dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 64) plus que sa personne. On observe également cet éloignement du pauvre réel chez l’écrivain anglais Forster : « On se retrouve soudain sur les terres de E. M. Forster, où les classes inférieures (mâles) sont à la fois vénérées et totalement incomprises. » (Gore Vidal dans Palimpseste – Mémoires (1995), p. 231) Paul Julian Smith, dans son essai Laws Of Desire (1992), souligne que le regard soi-disant aimant et humaniste de Juan Goytisolo sur les jeunes hommes arabes est en fait lié à la réification et à la domination : dans les écrits du romancier espagnol, « les Arabes sont toujours observés, et l’homme occidental est celui qui écrit et pense à leur place. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 392)

 

Film "Le Fil" de Mehdi Ben Attia

Film « Le Fil » de Mehdi Ben Attia


 

L’homme pauvre est très souvent réifié par les individus homosexuels. Par exemple, l’acteur Brüno transforme les Mexicains en fauteuils de luxe (en l’honneur de la chanteuse Paula Abdul) dans le film « Brüno » (2009) de Larry Charles. Le plasticien homosexuel Michel Journiac a réalisé en 1973 un moulage d’après son propre visage : Journiac Travesti en voyou. Le pauvre de Jean Genet n’est pas un être humain de chair et de sang mais une marionnette de bois : « C’était le plus triste des mendiants. Son visage avait la qualité de la sciure de bois et presque sa matière. » (Jean Genet, Le Journal du voleur (1949), p. 35) Frédéric Mitterrand, dans La Mauvaise Vie (2005), ne fait guère mieux quand il décrit ses amants du bout du monde : « Il était le vrai petit chérubin des cartes postales. » (idem, p. 13) ; Mitterrand présente à juste titre sa frénésie de solidarité comme une folie incontrôlée, une pathologie personnelle proche de la fièvre acheteuse du panier percé : « C’était une de ces idées folles qui m’assaillent à chaque fois que je rencontre un enfant perdu au cours de mes voyages. » (idem, p. 15) Cet amour du jeune éphèbe avec un « air de gosse des rues » (idem, p. 31) est souvent lié à l’argent, à une tentative de possession : « Je le bombardais de cadeaux : l’entreprise de corruption était à l’œuvre sans même que j’en ai pleinement conscience. » (idem, p. 17) Dans son récit autobiographique Parloir (2002), Christian Giudicelli, prof de 50 ans, considère le pauvre étranger comme un fétiche dont on peut faire collection : « Au lieu d’étudiants ou d’artistes en herbe, j’ai collectionné un nombre impressionnant de paumés en crise de croissance auprès desquels je me sentais embarqué dans un voyage salutaire loin du monde des lettres. » (p. 21) Sa générosité s’annonce très égocentrée : « Amour bien ordonné commence par soi-même. Je prends avant d’offrir. Une fois rassasié, plein d’une nouvelle énergie, je me découvre généreux. » (idem, p. 100) Il s’amourache d’un jeune délinquant maghrébin (qui se sert de lui, de son narcissisme de donateur, et de son compte en banque) qu’il aime d’un amour fusionnel très distancé et immatériel (narcissique, donc) : « Cette fois, je suis de l’autre côté et lui se retrouve du côté d’où je viens, le bon côté. […] Je suis allongé sur mon lit et je tente de m’allonger sur le lit de Kamel, là-bas, à Fleury-Mérogis, de m’oublier, de n’être plus moi mais lui, afin de souffrir à sa place. » (idem, p. 120)

 

Film "My Beautiful Laundrette" de Stephen Frears

Film « My Beautiful Laundrette » de Stephen Frears


 

Il y a deux visages contradictoires en la personne homosexuelle (et en beaucoup de personnes non-homosexuelles d’ailleurs) : celui de la Mère Teresa et celui du profiteur concupiscent. Et le trait d’union entre ces deux masques, c’est la sincérité. Par exemple, Michael Jackson défend la forêt amazonienne, les peuples meurtris et les enfants abandonnés (cf. les chansons « They Don’t Care About Us », « Earth’s Song », et « Heal The World »)… mais par ailleurs pratique des actes pédophiles. Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon marque bien ses distances avec un monde prolétaire dont il est issu, qu’il est censé défendre, mais dont il se sert à des fins vengeresses personnelles : « Mon marxisme de jeunesse constitua pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la ‘classe ouvrière’ pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. En lisant Marx et Trotski, je me croyais à l’avant-garde du peuple. Je détestais la classe ouvrière dans laquelle j’étais immergé, l’environnement ouvrier qui limitait mon horizon. » (pp. 88-89) ; « Ainsi, quand je manifestais contre les succès électoraux de l’extrême droite, ou quand je soutenais les immigrés et les sans-papiers, c’est contre ma famille que je protestais ! » (p. 117) ; « J’étais politiquement du côté des ouvriers, mais je détestais mon ancrage dans leur monde. » (p. 73) Ces propos me font penser à ce que décrit Bruce Benderson dans Pour un nouvel art dégéréné (1998) : les Hommes bobos sont attirés (intellectuellement) par la misère, mais seulement pour la côtoyer de très très loin.

 

Vidéo-clip "Le Premier Jour" d'Étienne Daho

Vidéo-clip « Le Premier Jour » d’Étienne Daho


 

Certaines personnalités homosexuelles semblent être les maîtresses du Charity Business le plus odieux et le plus intéressé : « Les œuvres caritatives, c’était super pour devenir célèbres ! » déclare fièrement l’acteur Brüno, dans le film éponyme de Larry Charles (et malheureusement, ce n’est pas du second degré…). L’approche du pauvre par Federico García Lorca est également ambiguë : à la fois attendrie et moqueuse, comme l’explique son frère Francisco. « Il aimait déguiser les servantes, à qui il faisait jouer parfois de petits pantomimes. […] La servante jouait avec un accent très marqué de la Vega, et imitait dans ses mimiques la grande actrice Maria Guerrero. Federico l’avait déguisée avec un ornement ‘oriental’. Elle avait la peau très bronzée et il avait peinturlurée son visage de poudre de riz.  La pauvre femme ne se rendait pas compte, dans son ineffable simplicité, du comique de son jeu de scène, qui nous apprécions énormément, avec parfois la cruauté puérile des adolescents. » (Francisco García Lorca, Federico Y Su Mundo (1980), p. 74) On entend de la part d’un certain nombre de personnes homosexuelles la défense du tourisme sexuel au nom de la « solidarité envers le Tiers-Monde » : entretenir les jeunes gigolos, « n’est-ce pas un juste rééquilibrage entre le riche Nord et le Sud pauvre ? » (p. 138) écrit sans honte Denis Daniel dans son autobiographie Mon Théâtre à corps perdu (2006). Dans le cas de Marcel Proust, on observe la même dualité : à la fois l’écrivain sait mieux que personne que l’amour vrai ne se monnaie pas… mais cela ne l’empêche pas d’« aimer particulièrement le milieu des domestiques : il avait besoin de ce monde que l’on pouvait acheter ». (cf. l’article « La Douleur pour destin » de Pietro Citati, dans le Magazine littéraire, n°350, 1997, p. 25)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles aiment les pauvres non pour eux-mêmes mais pour l’occasion qu’ils leur fournissent de se mettre à leur place : « Les homosexuels sont souvent des immigrés d’un nouveau genre. » (p. 78) déclare Jean Le Bitoux dans son essai Citoyen de seconde zone (2003) ; « Nous sommes tous des Arabes gays. » (Éric, le chroniqueur « littéraire » de l’émission radiophonique Homo Micro sur Paris Plurielle, 106.3 FM, à Paris, le 22 juin 2006) ; « C’était mieux d’être un lépreux que de se sentir attiré par les hommes. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; etc. Sur le terrain associatif LGBT, l’éloignement du pauvre réel et l’arrivisme gagnent également une grande part du tableau idyllique du militantisme homosexuel : « Act Up est l’association de lutte contre le Sida dont la composition fait la plus grande part aux malades, alors même qu’elle ne s’investit alors aucunement dans l’aide directe. » (cf. l’article « Mobilisation gay en temps de Sida » d’Olivier Fillieule, cité dans l’essai Les Études gay et lesbiennes (1998) de Didier Éribon, p. 91) Certains groupes militants homosexuels agressifs, tels que le FHAR (visible dans les années 1970), Act Up, Les Panthères roses (association dont la première « action » a été lancée le 14 décembre 2002 à Paris, lors d’une manifestation contre la guerre en Irak), ou Les Sœurs de la Perpétuelles Indulgence, naissent précisément dans les moments où le gâteau des pauvres est partagés, où la lutte en faveur des réelles injustices sociales (pandémie du Sida, conflit armé, crise économique…) est à son zénith, où il y a de la souffrance et de la pauvreté à récupérer, des couvertures de victimes à tirer à soi, plus ou moins légitimement d’ailleurs.

 

Angela Davis et Jean Genet

Angela Davis et Jean Genet


 

L’identification injurieuse à l’étranger/au pauvre est pourtant faite avec le sourire, et passerait presque pour belle tellement elle « swingue » à l’unisson de la pensée politiquement correcte actuelle déroulant le tapis rouge à la « Tolérance », ce concept idéologique fumeux qui ne signifie rien (tout dépend de ce qu’on tolère). Je pense par exemple au final très World et United-Colour-of-Bande-de-Cons du concert d’Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « Lesbienne invisible »), le 6 juin 2011 à l’Européen de Paris, avec la brochette de femmes étrangères débarquant sur scène comme un cheveu sur la soupe, pour pousser la chansonnette en l’honneur de la « diversité [des ‘genres’] et des différences », au rythme des tambourins orientaux. Certains militants homosexuels se servent du visage pluri-ethnique d’une communauté homo internationale fantôme, ou de la « femme lesbienne du bout du monde » (de préférence afghane, incarcérée, et violée), pour obtenir des droits LGBT nationaux, et envoyer ses commissionnaires prêcher la Bonne Nouvelle de l’Amour homo à leur place jusqu’aux extrémités de la Terre (comme on peut le voir ci-dessous pour le cas de l’Espagne) : « Dans d’autres villes apparaîtront des groupes d’immigrés LGBT. Conjointement à leurs problèmes d’insertion, ces activistes peuvent jouer un rôle primordial en ouvrant la question homosexuelle et transsexuelle à leurs communautés d’origine en Espagne. Qui mieux qu’un gay maghrébin ou qu’une lesbienne péruvienne pour parler à ses semblables ? » (Jordi Petit, cité dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 58) Cette identification excessive à « l’homosexuel persécuté aux 4 coins de la Planète » donne parfois lieu à de grotesques méprises, limite insultantes pour les nations ainsi récupérées et diabolisées une fois que le pot aux roses est découvert. Ce fut le cas tout récemment avec la blogueuse syrienne qui tenait le site « A Gay Girl In Damascus » (= Une Fille Gay à Damas)… mais qui n’était en fait ni syrienne, ni lesbienne, ni une femme ! Un post annonçait début juin 2011 qu’elle avait été kidnappée par les forces de sécurité syriennes : on a découvert que cette « Amina Arraf », qu’on s’apprêtait à couronner mondialement de la Palme du Martyr de l’Homophobie, se trouvait être un personnage inventé par Tom MacMaster, un étudiant américain en Écosse… Well well well… On passe. Concernant la récupération des pauvres à des fins politiques égoïstes, le problème se pose de manière beaucoup plus locale et nationale dans le cadre par exemple des banlieues. L’« enfer » qu’endurent/qu’endureraient les quelques rares personnes homosexuelles qui habitent dans les tours – et que la grande majorité des membres de la communauté LGBT méconnaît, même si elle se plaît à les imaginer très nombreuses ET invisibles – constitue un prétexte en or pour prouver à l’ensemble de la population française que la sainte et affreuse déesse Homophobia existe, et pour convaincre nos politiques de l’urgence de la législation sur les « droits des homos ». Vanda Gautier, la metteur en scène, s’oppose justement à l’entreprise stigmatisante d’instrumentalisation de la souffrance du « pauvre homosexuel des cités », menée par certains militants homosexuels, spécifiquement au sujet des banlieues. « L’homophobie, ce n’est un ‘problème de banlieue’. Il n’y a pas plus de violence homophobe en banlieue qu’ailleurs. Elle s’exprime d’une manière particulière en banlieue, mais elle n’est pas des banlieues. » (Vanda Gautier lors de la remise du Prix Toleranz à la comédie musicale Place des Mythos de Catherine Regula, SIGL, Carrousel du Louvre, Paris, le samedi 3 novembre 2007)

 

Arthur Rimbaud à Aden

Arthur Rimbaud à Aden


 

La recherche parfois fiévreuse du pauvre homosexuel martyrisé peut dans certaines situations traduire tout simplement un désir de mort (« De nombreuses fois je me suis demandé s’il n’y avait pas une pointe de morbidité dans la fascination que le fait juif exerce sur moi » déclare par exemple Juan A. Herrero Brasas dans l’essai Primera Plana (2007), p. 25), ou bien une haine de soi très profonde (comme l’écrit Gilles William Goldnadel : « Les martyrocrates, ce sont tous ceux qui, par passion ou par intérêt, exploitent, magnifient ou fabriquent la souffrance de celui qui, a priori, présente le profil idéal de l’innocente victime à protéger » pour combler leur propre mal-être : cf. l’essai Les Martyrocrates (2004), p. 7). Inutile de dire que ces deux sentiments sont des moteurs puissants d’homophobie…

 
 

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Code n°116 – Méchant Pauvre

méchant pauvre

Méchant Pauvre

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Tu vas payer notre misère sexuelle commune !

 

Quand on ne s’accepte pas un minimum soi-même et qu’on rejette (de par son désir et parfois sa pratique amoureuse) la différence des sexes – ce qui est le cas de toutes les personnes homosexuelles –, il est logique que l’acceptation de l’autre (l’étranger, le pauvre, le fragile) et de la différence des espaces se fasse difficilement, voire violemment. C’est étonnant pour nos mentalités d’aujourd’hui, qui avons tendance à penser que ceux qui souffrent de leur marginalité et de leur différence s’identifieront davantage aux marginaux et à les aider. Et pourtant, la souffrance et la différence ne sont pas toujours fédératrices. Elles peuvent même être sources de conflits quand elles ne sont pas identifiées.

 

Le pauvre de l’homosexuel fictionnel ou de l’individu homosexuel devient vite une preuve vivante de l’hypocrisie ou de la complicité avec la misère sexuelle, un miroir inacceptable de la prostitution, du tourisme sexuel, du fossé grandissant entre riches et pauvres, de la violence de la pratique homosexuelle (pratique faussement égalitaire et souvent injuste puisqu’elle repose sur l’exploitation mutuelle, sur un colonialisme et un racisme « nouvelle génération » se parant de bonnes intentions et de bonnes sensations pour cacher des rapports de domination/soumission pourtant concrets).

 

En dépit des apparences, nos bonnes intentions – même amoureuses, même solidaires, même alter-mondialistes –, si elles ne sont pas connectées au Réel, peuvent être d’une extrême violence et aboutir à l’inverse de leur prétention. On veut le bien du pauvre sans le faire concrètement, et tout en nourrissant une exploitation mutuelle nouvelle : celle qui remplace l’effacement de la différence des espaces par l’effacement de la différence des sexes.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles ont un désir contradictoire vis à vis du pauvre : à la fois elles veulent le sortir de sa misère et veulent l’y enfermer (sinon, il ne se donnerait plus à elles). C’est une réaction malheureusement bien humaine, qui n’est pas propre à l’homosexualité, au départ. En général, dans nos relations interpersonnelles, quelle injure que de découvrir que nous ne sommes pas aimés du même amour qu’on aime (ou qu’on croit aimer) une personne ! Surtout si celle-ci fait preuve d’ingratitude à notre égard, ne nous rend pas la monnaie de notre pièce, se trouve être un individu fragile, isolé, démuni, « objectivement » dans le besoin, concrètement dans la position de mendier notre amour… L’âme secourable a parfois ses exigences sur le miséreux à aider. Elle peut, parce qu’elle s’identifie trop à lui, lui imposer sa solidarité comme une dette d’amour. Aucun être humain, même dans ses bons jours de générosité, n’est à l’abri de la convoitise. C’est ce rapport destructeur que l’on peut observer à différentes reprises entre le personnage homosexuel des fictions et le pauvre qui l’attire, et qui, parce qu’il est libre, unique, bourré de travers, parfois homosexuel par intérêt (tourisme sexuel, prostitution masculine, etc.), rebelle à rentrer dans le démagogique Tableau de la Rencontre idyllique des classes que le riche a savamment orchestré, finit par trahir ou se venger du bourgeois qui a tenté de l’utiliser comme un objet pour flatter son propre narcissisme d’Occidental dépressif.

 

On le voit bien dans le cas du pauvre vu par les personnes homosexuelles. Elles le détestent de l’avoir aimé avec excès. Comme fatalement il ne correspond pas à son estampe idyllique de Beatus Ille, puisqu’il n’est ni figé ni sage comme une image, qu’il ne se laisse pas dérober, et qu’il refuse de rentrer docilement dans le tableau démagogique de la rencontre pacifique des Peuples que beaucoup de personnes homosexuelles ont brodée, celles-ci finissent parfois par se venger de leur propre naïveté narcissique sur les pauvres réels. « J’ai été séduit par ton air gavroche […]. Mais à qui donc j’avais affaire, sourire gentil et cœur de fer » chante par exemple Étienne Daho dans « Va t’en ». Nous trouvons une formidable illustration de ce mépris à travers le personnage homosexuel de Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, qui voue une haine profonde pour les pauvres de sa pègre imaginaire (qui n’est en réalité que la foule de ses amants homosexuels) : « Ne regarde pas ces petits monstres. Les mendiants sont la malédiction de ce pays. Si on les regarde, on se lasse de tout le reste. » En se substituant fantasmatiquement au pauvre par une discrète inversion, d’un côté certaines personnes homosexuelles désirent violer une liberté, et de l’autre, veulent se faire plaindre en imputant à leur victime le regard condescendant qu’elles lui ont porté et qu’elle leur portera peut-être en retour pour se venger de leur doucereuse prétention à les manipuler.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Noir », « Liaisons dangereuses », « Mère Teresa », « Inversion », « Prostitution », « Voleurs », « Amour ambigu de l’étranger », « Homosexualité noire et glorieuse », « Se prendre pour le diable », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Tout », « Homosexuels psychorigides », « Milieu homosexuel infernal », « Bourgeoise », « Promotion ‘canapédé’ », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois », « Violeur homosexuel », « Faux Révolutionnaires », à la partie sur les gigolos tueurs du code « Homosexuel homophobe » et à la partie « Désir de viol » du code « Viol », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le pauvre, méchant et profiteur :

Film "Suddenly Last Summer" de Joseph Mankiewicz

Film « Suddenly Last Summer » de Joseph Mankiewicz


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, le pauvre est souvent présenté (par le personnage homosexuel) comme un monstre vengeur ou une pègre cruelle ricanant à gorge déployée (cf. je vous renvoie à la partie sur l’euphorie collective de la pègre homosexuelle dans le code « Cour des miracles » du Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresco, le vidéo-clip de la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer, le film « Décameron » (1970) de Pier Paolo Pasolini, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le vidéo-clip de la chanson « No More I Love You’s » d’Annie Lennox, la chanson « Ramon et Pedro » d’Éric Morena, la version « live » de la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer à Paris-Bercy en 1989 (avec Carole Fredericks), la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650, adaptée en 2008) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le film « Coffy, la Panthère noire de Harlem » (1974) de Jack Hill, la photo du Noir déguisé en diable à la Gay Pride parisienne de 1996 dans la revue Triangul’Ère 7 (2007) de Christophe Gendron (p. 135), etc. « Vous n’avez jamais rencontré de vrais homosexuels. Ce sont des bossus qui riraient de votre mariage. » (le père de Claire, la protagoniste lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Les rires redoublèrent, des rires grossiers. » (Tanguy, le héros homosexuel décrivant la pègre de garnements de l’asile Dumos, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 27) ; « Dans la ronde des fous, elle pleure tout doux. » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Toute l’assistance pouffa de rire […] et souriait avec ses dents affreuses ! […] Cela me perça d’une atteinte mortelle. » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane (1924), p. 209) ; « Et leurs rires nous fusillaient, nos mères désemparées. » (cf. la chanson « Nos Mères » des Valentins) ; « Les grands ont des rires qui vous giflent en passant. » (cf. la chanson « Parler tout bas » d’Alizée) ; « Une de ces machines ressemblant à un train de Walt Disney faillit l’[Truddy] écraser. L’homme noir qui la conduisait riait, il fit demi-tour et refonça sur elle. » (Copi dans sa nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 31) ; « La foule riait aux éclats, ils lançaient sur Truddy des pavés. » (idem, p. 40) ; « Tout le monde a ri. Tout le monde. Tous ces gens avec qui j’ai grandi. […] Le pire, c’est que je ne les ai même pas détestés. » (Pauline, l’héroïne lesbienne parlant des gens de son village, dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau) ; etc. Par exemple, dans sa nouvelle L’Encre (2003), un ami homosexuel angevin décrit « les rires avariés des putains de la cour » (p. 37). Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Pretorius, le vampire homosexuel, se dit entouré de « bandes de gamins qui ne l’aiment pas ».

 

Film "Tarnation" de Jonathan Caouette

Film « Tarnation » de Jonathan Caouette


 

Les amants-mendiants cruels, délateurs, violeurs et vengeurs apparaissent dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques : cf. les chansons de Jean Guidoni, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, le film « Faustrecht Der Freiheit » (« Le Droit du plus fort », 1974) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « They Don’t Care About Us » de Michael Jackson, le film « Jacquou le Croquant » (2007) de Laurent Boutonnat, le film « The Halloween Parade » de Lou Reed, le film « Les Lunettes d’or » (1987) de Giuliano Montaldo (avec le prostitué profiteur), la photo Le Démon noir – modèle Theddy (1998) de Pierre et Gilles, le vidéo-clip de la chanson « Foolin’ » de Devendra Banhart (avec le Noir bourreau), etc. « Si Khalid se souvient de moi et qu’il se retourne vers moi, pour moi, je le sauverai, je redeviendrai un ange, juste un petit diable, le petit pauvre. » (Omar, le héros homosexuel pauvre, après avoir tué son amant Khalid, issu d’une classe aisée, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 169) ; « Il n’avait pas 6 ans qu’il se faisait déjà attraper par les Arabes du côté de la Huchette. » (Madame Simpson parlant de son fils transgenre M to F Irina, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Être homo dans le milieu ouvrier, c’est du rail. » (Pierre, l’ouvrier hétéro, très vite jugé « gaffeur homophobe » par la doxa Adèle/William/Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Place aux informations : la planète Gronz […] est envahie par ses voisins, les Grounz, qui ont fait main basse sur leur stock d’épinards surgelés. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Le rire de ce skinhead éméché résonna contre les murs, aigu et efféminé » (Jane, l’héroïne lesbienne dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 95) ; « Fais gaffe : les clodos pourraient te bouffer. » (Rettore, homosexuel, prévenant ironiquement son nouvel ami homo David, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Faites pas vos pédés ! » (un clochard s’adressant au couple Vlad/Anton, qui par provocation s’embrasse alors à pleine bouche dans la rue, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Faut-il tuer Sister George ? » (1968) de Robert Aldrich, Childie se laisse entretenir par George. Dans le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, un bourgeois séduit de jeunes prolétaires par le biais du mensonge : ces mêmes amants pauvres se retourneront contre lui. Dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, Jeff, le banlieusard, exploite financièrement Nicolas. Dans le film « Les Terres froides » (1999) de Sébastien Lifshitz, le Maghrébin dominant « baise » le Blanc. Dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann, Anthony, le garçon d’hôtel, se venge du client qui a voulu le torturer sexuellement : il le vole, lui prend son code de carte, le ligote et le sodomise sauvagement : « J’pense que pour le prix, tu mérites au moins de te faire enculer. » Dans le film « L’Homme de désir » (1971) de Dominique Delouche, un délinquant, Rudy, se retourne contre Étienne, son salvateur qui tentait de le sortir de la misère. Dans le film « Lolita : Vibrator Torture » (1987) d’Hisayasu Sato, un violeur SDF tue des femmes. Dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed, le héros homosexuel a été violé par le domestique nubien noir. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, lorsque le groupe LGBT de Mark propose à ses militants homosexuels de s’associer au mouvement des mineurs gallois, l’un d’eux refusent car il voit en ces ouvriers les homophobes de son adolescence : « Ces types-là me tabassaient sur le chemin du retour de l’école… » Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Fabien décrit la « gueule en sang » du nouvel homme de ménage, Norbert. » Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, méprise le clochard nommé « Dagobert » en bas de sa rue, qui possède d’effrayants rats et qui le harcèlerait : « Ça fait des semaines qu’il me bassine en me racontant sa vie. »

 

Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus pointe du doigt toutes les confessions religieuses comme autant de fondamentalistes du capitalisme spirituel mondialisé, et autant de facteurs étrangers de Guerre Mondiale. L’ennemi, c’est clairement les religions, qui créeraient des guerres et qui agressent le narrateur par leur diversité. Pendant tout son spectacle, le comédien jalouse autant qu’il agresse les Noirs : il met en scène une émission Qui nique qui ?, soi-disant pour anti-raciste, qui met précisément en scène la maltraitance moderne des Noirs et des pauvres, présentés comme des méchants. Il vire son assistant Noir, Zoran : « Je te rendrai tes papiers à la fin de la tournée. On avait dit ‘Pas de Noirs !’ sur la tournée. De toute façon, comment veux-tu qu’on s’entende ? On est trop différents. » Il fait même une pub d’un désherbant fictif, Toxiron, pour se débarrasser des Roms campant dans les jardins.
 

Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, se fait sodomiser par son guide mexicain, Palomino : « Ça fait mal. Ça pique ! Je vais vomir. Je saigne ! ». Avec une jouissance malsaine, il lui parle de la syphilis, maladie transmise aux Russes, et qui se serait appelée « le mal mexicain ». Palomino semble se venger de la domination coloniale des Occidentaux sur les Orientaux en inversant, par la sodomie, la domination, comme s’il rééquilibrait le sens de l’Histoire : « Tu es l’Ancien Monde. Je suis le Nouveau Monde. Je veux jouir de ton cul russe et virginal. »
 

Paradoxalement, le méchant pauvre correspond aussi à un fantasme sexuel et amoureux du héros homosexuel : « Les mecs du 7.5., c’est tous des pédés ! » (Ryan dans la pièce Bang, Bang ! (2009) des Lascars Gays) ; « Il s’était battu […] pour convaincre ses amants qu’il était autre chose qu’un bad boy, une racaille excitante par qui se faire séquestrer dans une cave des cités. » (Mourad, l’un des héros homosexuels dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 327) ; « Nous progressions au pas dans une forêt sauvage, silencieuse, menaçante, d’obscurs voyous dont nous ne voyions luire au feu des phares et des rares réverbères que les étranges diadèmes de rangées de dents d’ivoire et d’or en couronnes. » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « Les Garçons Danaïdes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 101) ; « Cody cherche des Arabes. Il est obnubilé, il dit ‘Je sens que je pourrais être une femme avec eux parce qu’ils se servent de ton corps comme celui d’une femelle, tu vois, comme si t’étais une objet de plaisir et que tu n’existais pas comme personne. » (Cody, le héros homosexuel nord-américain efféminé du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 91) ; « Cody dit ‘Je m’a suis fait voler. Nourdine il a tout volé, l’argent et la caméra de New York University que j’avais empruntée. Oh my god, on habitait ensemble, et cette matin, je m’est levé et tout avait disparu dans l’appartement.’ Je l’accompagne pour porter plainte. Je lui dis ‘Ça te plaît, hein, que ce mec t’ait volé ? C’est la preuve que tu avais raison d’avoir peur. Maintenant ça te fait jouir d’avoir été une femme violée et volée, c’est comme si ton rêve magique d’être une femme avait été poussé au maximum.’ Cody, pris en faute, me regarde de travers. » (Mike, le narrateur homosexuel s’adressant à Cody, idem, p. 111) « Il a venu pour s’excuser […] Il a été obligé de ma voler, mais il a dit désolé, quoi et on a fait l’amour ensemble. » (Cody, idem, p. 112) ; etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) de David Forgit, Gwendoline (la lycéenne travesti M to F) rêve de se faire violer par Mounir et ses potes maghrébins lors d’une tournante dans une cave. C’est d’ailleurs ce qui lui est arrivé, apparemment. Dans le film « Le Rebelle » (1980) de Gérard Blain, Beaufils explique son attirance pour la marginalité et la violence : « Il n’y a que cela qui me fait bander. » Dans la pièce Chroniques des Temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le narrateur homosexuel désire « cette humanité pouilleuse » qu’il observe du haut de la terrasse de son père… mais il finit par se dire à lui-même : « Finalement, tu n’en es jamais descendu, de ta terrasse. »

 
 

b) Le pauvre va payer (… le fait que je le paye, l’exploite, l’aide, l’aime et qu’il m’exploite) !:

Le héros homosexuel décide donc de se défendre face à cette méchanceté désirée/réelle/provoquée. Au départ, sa vengeance commence par un mépris verbal (qui se fait passer au départ pour une imitation parodique de grande bourgeoise) : cf. la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec Marie, la mère bourgeoise raciste), etc. « Les pauvres… Ils savent qu’ils dérangent… et ils en profitent. » (la femme parlant de la mendiante lesbienne dans la pièce Musique brisée (2010) de Daniel Véronèse) ; « Les SDF, la misère, on n’en a rien à péter. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Il est grand temps que Jean-Marie [Lepen] arrive enfin au pouvoir ! Parce que ça ne peut plus durer ! » (la mère travesti M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) de David Forgit) ; « Pense aux p’tits Africains qui n’ont pas ta chance ni ton intelligence. […] Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel. Ils sont trop gâtés et puis c’est tout ! » (la grand-mère Mamita, la mère de Laurent – le héros homo – jouée par lui-même, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Vous, mon égal ? » (Maurice à son amant pauvre Scuder, dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory) ; « Plus ça va et plus je méprise le Peuple d’une force ! » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « On n’a pas à se soucier des serviteurs ! » (Petra, l’héroïne lesbienne du film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Ça me ferait mal de voir mes supers pompes sur des pieds de pauvre ! » (Damien, le héros homosexuel qui ne veut pas se débarrasser de ses 75 paires de chaussures pour en donner une à des œuvres de charité, dans la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Et tous ces enfants qui meurent de faim chaque jour… et nous qui allons passer un repas somptueux… » (Jules, le héros homosexuel dandy, au moment de passer à table, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Les opprimés vous démangent. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) ; « C’est fou de militer contre l’exclusion et de se faire traiter de dégénérés par des immigrés ! » (Nathalie dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 155) ; « Vous savez pourquoi les Nègres ont de grosses lèvres ? » (Michael, le héros homosexuel parlant de la soi-disant tendance à la plainte paresseuse chez les Noirs, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Sur les murs blancs, une seule photo, prise en Inde, un mendiant qui tend la main sur le bord d’une route, très photo-reportage. Dégueulasse. » (Mike, le héros homosexuel visitant l’appartement de Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 96) ; « Bien que l’armistice ait déjà été demandé par Pétain, on murmure que des centaines de tirailleurs sénégalais ont été massacrés de sang-froid par les nazis. De cette ‘chasse aux nègres’, je ne veux rien savoir. Juste profiter de l’instant présent. » (Madeleine, la narratrice du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 63) ; « Tu n’es pas le premier rat dans ma vie, tu sais […]. Je ne suis jamais restée longtemps avec un rat. Ce n’est pas parce que je suis raciste, loin de là ! Mais je n’ai jamais trouvé un rat qui m’aime vraiment, je veux dire, pour moi-même. » (« L. », le héros transgenre M to F s’adressant au Rat, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Vous êtes 350 rats à habiter dans mon armoire ? Vous êtes des rats réfugiés ? Vous vous êtes évadés de l’Institut Pasteur ? Mais il fallait le dire avant ! Je vous aurais installé des cages en bambou dans le jardin d’hiver ! » (idem) ; « Goliatha ! Où est passée cette idiote ? » (idem) ; « Un instant, Madame Freud, je réprimande mon habilleuse indigène ! Goliatha ! » (idem) ; « Dis bonjour de ma part à tes négrillons. » (« L. » s’adressant à sa mère, idem) ; « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille, le héros homosexuel s’adressant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Donne-moi les clé de chez elle, espèce de sale Arabe ! » (cf. une réplique de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Les étrangers : tous des lavettes. » (Dave dans le film « Good Morning England » (2009) de Richard Curtis) ; « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda à propos du tableau du Louvre, Portrait d’une négresse de Marie-Guillemine Benoist, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 196) ; « Les fiottes : plouquicides, pecnoquicides. » (un des personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; etc.

 

Par exemple, dans le one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007) de Madame H., les enfants (et surtout ceux du Tiers-Monde) sont qualifiés de « capricieux ». Dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (cf. l’épisode 2 « Intuition féminine »), Ben, l’amant SDF saltimbanque, est présenté comme un arriviste. Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry compare son amant arabe à un insecte. Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Sapho traite Ahmed de « tiers-mondiste hors-la-loi ». Dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent, Moussa, le héros noir, est surnommé « Kirikou » par Jessica, une de ses camarades de lycée. Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, le crime n’est associé par Dorian Gray (le héros homosexuel) qu’aux pauvres. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Kévin, le héros gay, s’énerve sans arrêt contre les Japonais et traite à chaque fois très mal leurs restaurateurs : « C’est quoi cette merde ? » Dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti, François fait du racisme anti-Arabes. Dans le one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand rentre dans la peau d’une bourgeoise responsable d’un orphelinat au Burkina-Faso, odieuse avec les petits Africains. Avec son copain Claudio, ils se sont adressés à elle pour adopter un enfant. Cette directrice exploite les pauvres comme un businessPour deux enfants adoptés, le troisième est offert ! »), les méprise (« Fatoumata, tu pues ! ») mais tient quand même un double discours pour masquer son comportement (« La mode aujourd’hui, c’est les pauvres. J’adore les pauvres ! »). Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, passe au crible tous les étrangers qui ont défilé dans son avion… et ça balance grave : les « mamas orientales », les Américaines « avec des ongles tellement longs que tu pourrais te crever un œil avec », les Chinois (« Les Chinois, ils sont en train d’envahir le Monde. On dirait des clowns qui sortent des boîtes. Ils sont moches, en plus ! »), les « Africains courtois » (« T’as ça, mais aussi les Africains. »). Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, ne fait que des blagues racistes et homophobes sur les Noirs (il parle du « cul d’un Noir »). Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François et son amant Thomas se lancent dans un voyage en pleine forêt tropicale thaïlandaise pour aller chercher Tchang, un bébé de trois ans qu’ils veulent adopter. Ils tombent sur une tribu d’indigènes qui ne parlent pas leur langue, et ils les attaquent et insultent sans raison : « Venez donc là, bande de petites bites ! ». Voyant qu’il y a eu quiproquo à propos de l’adoption, ils rebroussent chemin : « C’est pas grave. On adoptera un chien… » (Thomas) Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le jeune héros homosexuel, ne donne pas la pièce à une mendiante venue l’accoster.

 

MÉCHANT pauvre indian

 

Quelquefois, le héros homosexuel s’estime même encore plus victime que le pauvre (car lui, c’est un pauvre invisible ! croit-il) : « Nègres, juifs ou infirmes, tous les damnés car possédant un havre, une famille où on les aime, où on les élève au moins dans la fierté » (la narrateur homosexuel dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 24)

 

Finalement, le pauvre est jugé « méchant » de ne pas se laisser posséder, ou bien d’être complice d’une mauvaise action sexuelle commune avec le héros homosexuel riche. « Je trouve une jeune personne sortie des Mille et Une Nuits à qui j’offre ma fortune : aussitôt elle m’abandonne ! » (Pédé parlant d’Ahmed, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Malcolm n’est peut-être qu’un profiteur. Un esclave affranchi qui désormais possède le maître et se joue de lui. » (Adrien, le narrateur homosexuel ayant rencontré son jeune et bel amant étranger noir Malcolm sur un lieu de prostitution, et se rendant compte de la supercherie de ses propres pulsions sexuelles, dans le roman Par d’autres chemins, (2009) d’ Hugues Pouyé, p. 59) ; « Vous êtes pauvre, et vous êtes ici par nécessité. » (le héros homosexuel s’adressant à son tapin-amant, dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès) ; « Ne regarde pas ces petits monstres. Les mendiants sont la malédiction de ce pays. Si on les regarde, on se lasse de tout le reste. » (Sébastien, le héros homosexuel du film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « J’ai été séduit par ton air gavroche […]. Mais à qui donc j’avais affaire, sourire gentil et cœur de fer » (cf. la chanson « Va t’en » d’Étienne Daho) ; etc.

 

Puis la menace ou l’insulte prennent parfois une tournure plus concrète et violente : cf. le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le meurtre de la clocharde Berthe appelée « La Reine des Hommes »). « Enfant des rues, il est habitué au tourisme. Plus amoureux de moi qu’il ne le croit, il a besoin de mon regard pour vivre, je suis déjà son assassin. Enfin, assassin c’est un grand mot, je ne sais pas encore que je vais le tuer, il ne sait pas que je peux l’oublier. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 23) ; « Louis du Corbeau songea déjà à se débarrasser de ce jeune esclave transformé en moins de trois ans en épouse tyrannique. » (Copi dans sa nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983), p. 32) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, Frizt Haarman, un indicateur de la police, attire chez lui des jeunes chômeurs ou SDF, les fait boire, puis les viole avant de les tuer en les mordant au cou. Il revend ensuite leur chair pour confectionner un « jambon désossé ». Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2013) de Carlos Montero, le prostitué Jaime, un bel étudiant sans le sous, se retrouve maltraité et menacé de mort par ses clients. Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont utilise un pauvre surnommé « Mendiantissimo » dans un pastiche d’émission Télé-Boutique AchatTélé-Bling-Bling Shopping. Ce déshérité, il le caricature comme quelqu’un de plaintif, qui pue du bec, venant de l’Est de l’Europe (il s’appelle Piotr ou Maria). Et notre présentateur homosexuel lui scie les jambes, lui met un collier, lui envoie des décharges électriques : « Le Mendiantissimo : l’exploiter, c’est l’adopter. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca, homosexuel, raconte son arrivée à Paris, dans un foyer de jeunes travailleurs où il a quelques difficultés à s’afficher gay. Il les traite de « jeunes délinquants » sales, et les vire avec ses chansons d’Alizée : « Nous les gays, on a une arme fatale : c’est Alizée. Alizée, elle te vide un immeuble entier. »

 

Cette haine du pauvre semble être l’expression de l’homophobie intériorisée. Le héros homosexuel s’en veut (et en veut à ses frères d’orientation sexuelle, à ses frères de misère sexuelle) de pratiquer l’homosexualité et de croire en la réalité de leur désir homosexuel. « Le chauffeur de taxi […] râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Lou, l’héroïne lesbienne, a coupé l’oreille de Fifi, un travesti clochard M to F (selon Mimi, l’ami de ce dernier, elle a agit ainsi « parce qu’elle déteste les pauvres ! ») : « Nous, les gouines, on en a marre de votre sacré bordel à vous, travestis, voyous, clodos, Zoulous et Arabes qui pourrissent l’escalier ! » Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia, le héros transsexuel M to F, blesse Jenny, son homologue noir, en fermant sa robe avec sa fermeture-éclair, en se piquant de jalousie pour lui, et le traite de « sorcière ». Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des protagonistes homosexuels avoue avoir été violé dans une tournante, par des racailles, ses « jumeaux ». Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adrian, le délinquant, « oute » le père Adam parce qu’ils se sont inconsciemment identifiés comme homosexuels tous les deux.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le pauvre, méchant et profiteur :

Il n’est pas rare que le monde amoureux homosexuel louvoie avec la violence du monde de la pauvreté. Les rapports homosexuels inégalitaires, où la domination et la soumission sont plus présentes qu’ailleurs (en l’absence d’une différence des sexes qui pacifie et canalise davantage les pulsions humaines), ont trouvé dans les rapports inégalitaires de classes sociales leurs meilleurs canaux. « Je n’aimais pas Diaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Mais je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. Il s’était imposé à moi en profitant de ma pauvreté et de ce que soixante-cinq roubles par mois ne pussent me suffire à nous empêcher, ma mère et moi, de crever de faim… » (Nijinski dans son Journal, 1918) Souvent, les exploités sexuels (des prostitués ou escort boys) se vengent d’ailleurs de leur homosexualité refoulée sur leurs gigolos (souvent occidentaux). Les cas concrets ne manquent pas. « Le violoniste virtuose Paul Körner est victime de chantage de la part du prostitué Franz Bollek. Körner refusant de continuer à payer toujours plus d’argent au maître-chanteur, Bollek le dénonce pour infraction à l’article 175. Au cours du procès qui s’ensuit, le docteur Magnus Hirschfeld, qui joue son propre rôle, prononce un ardent plaidoyer contre l’intolérance et la discrimination dont sont victimes les homosexuels. Bollek est condamné pour extorsion de fonds. Körner, qui est pourtant victime de chantage, est lui aussi condamné, mais pour avoir enfreint l’article 175. Sa réputation est ruinée, il ne supporte pas l’opprobre public et finit par se suicider. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 112) Par exemple Costas Taktsis, l’écrivain grec, est assassiné (étranglé) le 30 août 1988 par un amant de passage, alors qu’il se prostituait dans les rues d’Athènes. L’agresseur du chanteur espagnol Miguel de Molina n’est autre qu’un homme homosexuel lui aussi (cf. l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 56). Carlos Travers, à l’automne 1979 à Madrid, est tué par un prostitué, étranglé par un câble. Álvaro Retana, le romancier espagnol, est assassiné par un prostitué homosexuel en 1970. Joan Joachim Winckelmann est assassiné dans sa chambre d’hôtel de Trieste par un jeune voyou, Francesco Arcangeli. Ramón Novarro, amateur de jeunes prostitués, est retrouvé mort dans sa piscine, assassiné par deux gigolos. Pier Paolo Pasolini a été tué par Pino Pelosi, un jeune homme homosexuel de 17 ans, le 1er novembre 1975. L’homme politique Harvey Milk est assassiné par Dan White en 1978 à San Francisco : l’orientation sexuelle du tueur, si l’on s’en tient à l’adaptation cinématographique de Gus Van Sant, semble plus que trouble. Le directeur de Sciences Po Paris, Richard Descoings, est retrouvé nu et décédé à 53 ans sur son lit de chambre d’hôtel à New York en 2012 : il y avait fait de drôles d’expériences avec deux jeunes prostitués. Le 4 avril 2012, Jean-Nérée Ronfort, un expert en antiquités de 69 ans, a été découvert par son compagnon gisant au sol de son bureau, le crâne fracassé : il a été tué par trois prostitués roumains de 20, 21 et 25 ans.

 

Je l’ai constaté dans mon travail de professeur en collège et en lycée en « zones sensibles » : la réaction instinctive de la personne blessée ou fragile face à un autre semblable blessé se joue concrètement dans les extrêmes : soit cette gémellité dans la souffrance provoque de la compassion extrême, soit le plus souvent de l’attaque. Car le pauvre ou le « blessé sexuellement » n’a pas les ressources nécessaires pour comprendre qu’il est blessé, et donc pour accueillir sereinement ensuite la personne blessée lui renvoyant indirectement le reflet de sa propre blessure. Il s’engouffre instinctivement dans la brèche qu’il devine, et là, c’est le choc des presque-semblables. C’est la même violence de l’effet-miroir humain que je décris dans les cas d’homophobie (cf. je vous renvoie au code « Homosexuel homophobe » du Dictionnaire des Codes homosexuels) ou dans les cas de « couples » homos « durables », violence que beaucoup d’auteurs homosexuels (tels que Frédéric Mitterrand, Patrice Chéreau, néstor Perlongher ou Pier Paolo Pasolini) ont soulignée, d’ailleurs. L’homosexualité est perçue par le pauvre comme une atteinte à sa virilité, un élément de misère identitaire et psychique qui vient se rajouter à sa misère matérielle, et ça, pour lui, c’est inacceptable ! Quand il se prostitue, il est rare qu’il assume y trouver du plaisir sexuel ou la source d’une identité homosexuelle : il fait ça « pour l’argent » ou dans une démarche quasi « politique »… pour renverser l’espace d’un instant le rapport de classes. « C’est moi qui fixe les prix : j’attaque à 150 F. Je descends jamais au-dessous de 100 F. Après, on part en voiture, dans la mienne toujours, parce qu’on sait jamais sur qui on peut tomber… Des voyous… » (Pierre Benichou, Le Nouvel Observateur, 1970)

 

Par exemple, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler, nous est montrée l’attraction étrange du réalisateur italien Pier Paolo Pasolini (pourtant originaire d’un milieu aisé) pour la violence et la promiscuité des jeunes hommes banlieusards vivant autour de Rome. Ce dernier expliquait – avant de mourir assassiné par l’un d’eux – que ces gens sans ressources devenaient violents parce que « faibles » : « Ils tuent pour ne pas être tués. »

 

Film "Decamerone" de Pier Paolo Pasolini

Film « Decamerone » de Pier Paolo Pasolini


 

La misère et la fragilité sexuelles induites par la pratique homosexuelle expliquent la forte propension à l’homophobie entre personnes homosexuelles : « Les pratiques homosexuelles sont plutôt le résultat de la misère sexuelle existant dans le Maghreb que de vrais désirs homosexuels : une sexualité de substitution. » (cf. l’article « Maghreb » de Robert Aldrich, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 306) ; « Outre la mauvaise réputation qu’avait la Savane la nuit, je lui rapportais en détail certaines agressions dont j’avais été témoin. Sur la place, je rencontrais toutes sortes d’individus ; les ‘branchés’ étaient une population très hétéroclite. On était du même bord, mais on ne se fréquentait pas. Sans doute par manque de confiance, beaucoup se méfiaient de leur propre clan et jouaient à cache-cache en permanence, se dénigrant et se méprisant mutuellement. Impensable pour un groupe déjà victime du malheur de sa propre différence ! C’est quand même surprenant et regrettable d’en arriver là. […] Cette histoire de clans est une fatalité pour la communauté et l’on ressentait une rivalité oppressante entre les groupes différents. En fait, chaque groupe entrait dans une catégorie bien distincte : les extravagants, les cancaniers, les très discrets et enfin les ‘leaders’, ceux qui incitaient à la prise de conscience contre les discriminations et l’homophobie dans la région d’outre-mer. Je trouvais bien dommage cette diversification au sein de la communauté. » (Ednar parlant des lieux de drague antillais, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 188-189) ; « À Saint Louis, on m’a battu. On m’a enfermé dans les toilettes. Je rentrais couvert de bleus. Ma mère ne m’a pas protégé. Elle ne m’a pas protégé ! […] Tu sais, à Oran, être pédé, c’est comme être criminel. » (Yves Saint-Laurent parlant du viol scolaire qu’il a vécu en Algérie, dans la biopic éponyme (2014) de Jalil Lespert) ; « Les Arabes et les Noirs sodomisent et châtrent leurs ennemis vaincus. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 260) ; « Je fis la connaissance d’une sorte de gitan (c’est d’ailleurs moi qui l’abordai et l’enlevai, littéralement). Il était grand et je le trouvais beau, mais dans un triste état vestimentaire que venait encore renforcer une réticence marquée à l’égard de tous les principes d’hygiène élémentaire. Tandis que, comme l’aurait fait une ‘fille’, je l’invitais à monter dans ma voiture et à s’y installer avec son baluchon, je ne cessais de me répéter : ‘Tu es fou… Tout cela finira mal…’. […] Le lendemain, après m’avoir tapé de quatre mille francs et ‘emprunté’ ma montre, il disparut de lui-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108) ; etc.

 

Les pauvres sont souvent présentés par les personnes homosexuelles comme des gens dangereux dont il faut se méfier… et paradoxalement, le pauvre violeur correspond à un fantasme homosexuel bien répandu dans la communauté homosexuelle (le bel Arabe, le Turc ou le « rebeu » musclé, le lascar ou le bad boy étranger, etc.) : « 1960 : l’oncle Sam montre ses seins. En l’an 2000 : je me fais enculer par un Noir. » (cf. dessin de Copi ayant fait la Une du journal Libération le 8 août 1979) ; « Trente ans après, le jeune Arabe est le non-dit le plus lourd de la société française. Il est à la fois rejeté et désiré, haï et fantasmé. Il est l’inacceptable et le vague regret. Les féministes le vomissent mais elles n’osent pas le dire par héritage anticolonialiste. Elles sont furieuses de voir les cités revenir à l’âge de pierre antéféministe et, en même temps, sont ravies de trouver un repoussoir mâle aussi parfait. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 99) ; etc. Je vous renvoie à l’essai Homo Exoticus – Race, classe et critique queer (2010) de Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts. Le mépris homosexuel du pauvre s’origine parfois dans une imitation des parents : « Ma mère n’avait que mépris pour les gens plus pauvres que nous, coupables de ne pas avoir su se débrouiller. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 38)

 
 

b) Le pauvre va payer (… le fait que je le paye, l’exploite, l’aide, l’aime et qu’il m’exploite) !:

MÉCHANT Citébeur

 

La violence ou l’indocilité du bad boy, même si elle ravissait au départ, est bien souvent dénoncée par les personnes homosexuelles qui se sont laissées pour un temps amadouer par lui, mais qui décident de reprendre un peu la main. En fait, elles se vengent d’elles-mêmes, de leur défaillance et de leur propre naïveté, en exprimant un dégoût du pauvre, un racisme inattendu, une xénophobie et un orgueil mal placés : « Pendant le dîner, nous avons appris que l’esthéticienne avait été hétérosexuelle avant d’être touchée par la grâce. Elle avait passé des années en Afrique avec son seigneur et maître qui s’engraissait à faire suer le burnous et elle tenait sur les Africains des propos qui m’ont stupéfiée. J’ai découvert avec surprise ce soir-là qu’on peut être encore de nos jours d’un racisme effarant. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 156) ; « Je n’aimais pas Diaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Mais je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. Il s’était imposé à moi en profitant de ma pauvreté et de ce que soixante-cinq roubles par mois ne pussent me suffire à nous empêcher, ma mère et moi, de crever de faim… » (Vaslav Nijinski dans son Journal, en 1919) ; « Ali me disait qu’il faisait des démarches pour que nous nous pacsions et que nous vivions ensemble, mais je ne pouvais me départir du soupçon qu’il m’utilisait en attendant d’obtenir un titre de séjour. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 105) ; « Mais toi, le Nègre, qu’est-ce que tu t’imagines…! » (Miguel de Molina s’adressant au Noir Alberto Olmedo, cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « Parfois, il m’arrive de penser que les homosexuels sont tous une bande de gangsters… Parfois. » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 193) ; « Nom de code : Kamel. Il n’est pas en mon pouvoir d’évaluer l’importance de la merveille, son éclat, ni ses effets nocifs, car il existe de redoutables merveilles, des merveilles mantes religieuses capables de vous dévorer tout cru. J’entends par merveille un être qui chute sur mon chemin comme un aérolithe dans un désert. » (Christian Giudicelli à propos de son jeune et bel amant Kamel, dans son autobiographie Parloir (2002), pp. 132-133) ; « Beaucoup d’homosexuels non juifs sont violemment antisémites. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 150-151) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles reprochent aux pauvres leur manque de fidélité, leur jeunesse, leur inculture, leur manque de savoir-vivre, leur inconstance, leur fourberie, le fait qu’ils ne se laissent pas posséder ou qu’ils soient complices d’une pratique homosexuelle commune avec elles : « … Oui, ils sont faciles, et c’est là que réside leur insigne faiblesse. Ils se prêtent et ne se donnent pas. » (Armand Guibert à propos de ses amants marocains, dans son « Journal de Marrakech », cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 202)

 

Certaines ont même peur du retour de bâton du colonialisme occidental et du tourisme sexuel. Par exemple, dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), Alberto Mira présente l’immigration étrangère et les « cultures immigrantes traditionnelles » comme une nouvelle facette de la menace homophobe à venir (p. 624). Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, les pauvres sont méprisés et montrés comme des envahisseurs.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

L’affirmation d’une homosexualité, en même temps qu’elle montre un changement de rang social (cf. je vous renvoie au code « Promotion ‘canapédé’ » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), illustre ce mépris des gens pauvres dont certaines personnes homosexuelles font parfois partie. On peut penser par exemple au cas de Brahim Naït-Balk, d’Hervé Guibert, de Didier Éribon, de Jean Genet, qui s’autorisent d’autant plus à être racistes, homosexuels ou anti-pauvres du fait qu’ils connaîtraient le monde ouvrier de près ou qu’ils ont décrit leur bagarre pour sortir de la misère dont ils sont nés. « J’étais politiquement du côté des ouvriers, mais je détestais mon ancrage dans leur monde. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 73) ; « Mon marxisme de jeunesse constitua donc pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la ‘classe ouvrière’ pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. En lisant Marx et Trotski, je me croyais à l’avant-garde du peuple. Je détestais la classe ouvrière dans laquelle j’étais immergé, l’environnement ouvrier qui limitait mon horizon. […] Ainsi, quand je manifestais contre les succès électoraux de l’extrême droite, ou quand je soutenais les immigrés et les sans-papiers, c’est contre ma famille que je protestais ! » (Idem, pp. 88-89 puis p. 117) Par exemple, dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule a diabolisé sa famille et son enfance pauvre : il déclare vouloir « rompre avec ce qu’on avait fait de lui pour se réinventer » et affiche son mépris pour ses camarades scolaires : « Leurs visages se dessinaient dans mes pensées : je ne retenais d’eux que la peur. » (p. 63) Il se sert du fait d’être issu d’un milieu ouvrier qu’il présente comme cruel et homophobe pour encore plus justifier son homosexualité. Le coming out apparaît alors comme une réponse caricaturale à sa haine des pauvres, et une vengeance-rupture avec son milieu d’origine. Son éducation « beauf », puis son retournement en snobisme (via l’homosexualité), sont pourtant les deux faces extrêmes d’une même pièce, celle de la haine de soi. Elle semble avoir laissé en lui des traces durables dans sa vie d’adulte, d’autant plus invisibles qu’elles ont pris la forme de l’étiquette identitaire et amoureuse homosexuelle : « Chaque fois qu’un Noir ou un Arabe marchait sur le même trottoir que moi – ils n’étaient pourtant pas si nombreux – je sentais la peur s’emparer de moi. » (p. 208) Finalement, la misère de la pratique homosexuelle n’est non seulement pas une sortie de la misère matérielle et affective du Tiers-Monde, mais une réplique déguisée.

 

Parfois, la menace verbale contre le pauvre devient physique. On peut penser par exemple à Jeffrey Dahmer, qui couchait avec des pauvres (et surtout des Noirs) avant de les assassiner.

 
 

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