On se réveille !
Tout film – si ce n’est pas en lui-même ça le devient au moins par l’interprétation qui peut en être faite – est un trésor !
Avec mon grand frère dominicain et mon papa, je suis allé voir avant-hier soir (jeudi 30 juillet 2015) au cinéma à Cholet le film d’animation « Le Petit Prince » de Mark Osborne. J’ai hésité entre « Les Minions » (la seule expression artistique par onomatopées que notre monde de plus en plus inculte, tolère, comprend et utilise pour développer une pensée et rire de lui-même… : misère) et l’adaptation de Saint-Exupéry, car pour la seconde j’avais peur de réentendre un texte que je connais par cœur, et donc de ne rien apprendre de nouveau sur notre époque. Finalement, sur l’avis d’un ami journaliste (bobo) qui a aimé l’adaptation du Petit Prince, j’ai quand même risqué la redite. Mon frère et mon père étaient d’accord. Et je n’ai absolument pas regretté le déplacement ! Non seulement je n’ai pas perdu mon temps en allant voir « Le Petit Prince » (ce qui ne m’a pas empêché de trouver le film mauvais), mais j’ai retrouvé d’une manière troublante quasiment tous les codes de mon prochain livre sur les bobos (livre qu’une certaine maison d’édition catho a refusé… alors qu’il y a quasiment toutes les clés de lecture de notre monde actuel) !
Pendant la projection, je prenais continuellement des notes sur mon téléphone portable tout en essayant de suivre l’intrigue, ce qui agaçait suprêmement mon grand frère, et interrogeait mon père qui se demandait ce que je pouvais bien fabriquer au lieu de savourer innocemment les images, « comme tout le monde ». À un moment donné, entendant trop de clins d’œil inconscients à mon futur livre, je me disais en moi-même, avant la fin du film, que le pompon serait la promotion, par l’un des personnages, de l’ESPOIR (en effet, dans l’idéologie bourgeoise-bohème, la positivité passe par l’éloge de l’espoir et de l’optimisme… à défaut de l’Espérance…). Et ça n’a pas loupé ! Le Petit Prince adulte du « Petit Prince » d’Osborne nous déclare en conclusion de l’intrigue que ce qui compte le plus pour lui, c’est l’« Espoir ». Je suis ressorti du cinéma excité intérieurement comme une puce, comme après une grande confirmation, avec une immense envie de coucher sur le papier tout ce qu’à l’évidence je ne pouvais pas partager avec mon père et mon grand frère qui disaient (alors que ce ne sont pourtant pas les derniers des cons) qu’ils ont trouvé ce film super voire magnifique. Comme ils ont assez vite joué de méfiance face à mon silence suspect (moi, quand je ne parle pas après un film, c’est mauvais signe !), j’ai bien été obligé assez vite de cracher le morceau, de refroidir leur enthousiasme en leur avouant pourquoi je n’avais pas aimé, en veillant malgré tout à ne pas les vexer, ni les traîner à mon insu en péché de naïveté, d’aveuglement ou de bêtise, et à ne pas passer pour le visionnaire qui se la pète d’avoir identifié des évidences que personne n’aurait été capable de déceler sauf lui. L’entreprise d’explicitation s’avérait de prime abord si périlleuse que, pour amuser mon grand frère et pour parodier ma solitude extrême, je simulais d’être le fuyard fou, en camisole, excité, intimidé d’avoir à parler, courant comme un dératé dans les rues choletaises des Arcades Rougé en hurlant « De toute façon, personne ne me comprend ! C’est horriiiible! Je suis un OVNI !!! », et fatigué d’avance d’avoir à rentrer dans des explications et des illustrations vaines pour justifier ses intuitions confirmées ! Il aura pourtant suffi que je donne l’exemple de l’espoir pour que mes proches parents se dévexent et me prennent un peu au sérieux, en se disant, mi-froissés mi-émerveillés : « Celui-là, il est spécial quand même… Il voit des trucs que personne de normalement constitué n’identifie. Et le pire, c’est qu’il n’a pas tort. Et il fait à son insu injure à notre intelligence à déceler les pièges médiatiques que notre époque nous tend. Allons-nous lui pardonner ? Allez… Oui. »
Hier matin, suite à l’expression rapide de mon avis sur « Le Petit Prince », un gars de La Manif Pour Tous – un hystéro de la dénonciation de la GPA et de l’Enfant-Roi – m’a conseillé sur Twitter de « positiver » et de « ne pas tout voir en noir », tout simplement parce que je décryptais la violence et la vacuité de l’optimisme, très bien illustrées par le film d’Osborne : peu, très peu, verront le mal, le mensonge et le simplisme des messages dans cette adaptation ; et celui qui les voit passera aisément pour un rabat-joie « qui a perdu son âme d’enfant ». Ferme ta gueule et ne pense pas ! nous disent les censeurs Bisounours bobos, en citant le Petit Prince en prime : « On ne voit bien qu’avec le cœur : l’essentiel est invisible pour les yeux. » = connards, oui !
À l’inverse, une jeune mère de famille, consciente des problématiques que je soulevais (notamment sur le transhumanisme, la propagande LGBT hétérosexuelle, l’homosexualité, le boboïsme, etc.), m’a exprimé un avis auquel je souscris complètement : « Je suis toujours sidérée de voir à quel point les gens, même ‘conscientisés’, sont aveugles sur le sens des films et des dessins animés en général. Et on commence souvent par me prendre pour un OVNI quand j’en parle. Ils sont persuadés que ceux qui réalisent ces films ont pour seul but de les émerveiller… et n’ont aucune autre intention, ni n’ont subi aucune influence idéologique ! Personne ne comprend pourquoi je montre les anciens Star Wars à mes enfants alors que je refuse de leur montrer le Petit Prince ou la Reine des Neiges… Et ensuite, ce sont les mêmes qui sont persuadés que Dora a des vertus éducatives… Parfois, je m’imagine en train de les secouer physiquement et de crier : ‘Hoho ! On se réveille !’. Toute œuvre est EN PREMIER LIEU, le véhicule d’idées ! Punaise, on le sait quand même depuis Voltaire ! » Oui, les films de propagande ont toujours eu pour génie de passer pour innocents, de se draper de leurs intentions (ou de leur soi-disant absence d’intentions), et de faire oublier qu’ils sont précisément des films de propagande.
L’écho parfait du « Petit Prince » avec mon futur livre sur les bobos
Concernant les échos aux 59 codes bobos de mon livre présents dans le film « Le Petit Prince », voici mon relevé rapide :
– L’hybridité bobo du film est déjà visible rien que dans forme, c’est-à-dire dans le mélange des techniques d’animation : une qui fait très moderne, l’autre qui fait artisanale, désuète, minimaliste, avec l’emploi du stop-motion, en papier mâché, comme dans les années 1970. À certains moments, la rêverie éthérée du « Petit Prince » d’Osborne cède la place à la noirceur des dessins animés bobos sans Espérance, à la façon de « L’Étrange Noël de Mister Jack » de Tim Burton, dépeignant un monde déshumanisé, monstrueux, dit « réaliste » et over-subversif parce qu’il s’autorise à dénoncer le nihilisme du libéralisme économique contemporain (Cf. Code n°46 – Monde enfantin désenchanté).
– L’inversion et l’effacement des générations sont récurrents dans l’idéologie bobo (Cf. Code n°58 – L’enfant : mon projet et mon pote). En général, dans les productions bobos, cette inversion va dans les deux sens : de l’adulte vers l’enfant (par démagogie, et surtout par projection incestuelle et pédophile, ce sont les vieux qui jouent et imitent les jeunes générations tel qu’ils imaginent qu’elles seraient) ; et de l’enfant vers l’adulte (c’est la parodie d’enfance des bobos qui transforme les ados en êtres sans sexe et sans âge, qui sortent des phrases qui ne sont pas de leur âge, qui font des « blagues » d’adultes). Le temps est aboli en même temps qu’idéalisé à l’extrême. D’ailleurs, dans « Le Petit Prince », quand on demande à l’héroïne son âge, elle refuse de le donner. Elle s’exprime comme une adulte. Par exemple, elle avance qu’elle « a une intolérance à la mortadelle » pour dire qu’elle n’aime pas un plat : une gamine ne s’exprimerait jamais de cette manière. Elle se voit même proposer le volant de la deux-chevaux par son ami aviateur : « T’as un permis de conduire ? » Et elle est déjà traitée comme une adulte et une working-woman par sa propre mère. Quant au personnage du Petit Prince adulte trentenaire, il est dépeint comme un enfant qui n’a pas grandi. C’est le déni de la différence des générations qui se fait passer pour de la beauté et universalité.
– On retrouve souvent dans les productions bobos la figure de l’adolescente pré-pubère effrontée (une Hérodiade en herbe), couplée à celle de sa mère despotique et incestueuse (Cf. Code n°32 – La folie pour le blanc ; d’ailleurs, dans le film « Le Petit Prince », tout l’univers du bobo est gris et blanc). Comme je le signalais déjà dans d’autres films d’animation (« Raiponce », « Rebelle », « Vice-Versa », etc.), on voit apparaître en ce moment de plus en plus ce que je qualifierais de « films des enfants du divorce qui se vengent – en se mettant de préférence dans la peau d’une gamine rebelle – de la relation fusionnelle et incestuelle avec leur mère célibataire qui les élève seule et qui est présentée comme tyrannique ». Et les bobos prônent, pour contrebalancer ce déséquilibre affectif et éducatif matriarcal, nostalgiquement les désordres exotiques de leurs pères lointains de substitution, en général des amis ou des référents masculins avec qui il n’y aura jamais d’ambiguïté sexuelle (« Là-Haut », « Les Nouveaux Héros », etc.). Se dégage de ces films gynocentrés une misogynie matricide très marquée et un mépris malsain des enfants. Car le mariage n’est toujours pas défendu. La relation d’amour entre les deux parents biologiques reste non-traitée. On sent l’exposition de conflits, des reflux inconscients de manques familiaux. Mais pas de conscientisation ni de résolution des problèmes. La haine des adultes (à quelques exceptions près) est véhiculée. La haine des jeunes aussi. Et plus largement celle des parents, de la famille et du mariage.
– La technique de la mise en abyme, illustrant la croyance bobovaryste que la vie ne serait qu’apparence, que la fiction serait plus vraie que la réalité, que l’onirique serait plus concret que l’Humain, est particulièrement présente dans le film « Le Petit Prince » (cf. Code n°44 – Promenade chorégraphique). Ça pue le narcissisme : le réalisateur se filme en train de s’émouvoir (par personnage interposé) d’une œuvre littéraire qu’il a idéalisée et dont il se sert pour pleurer sur lui-même.
– Le vieux sage fantasque et incorrect, qui passe pour un fou mais qui dans sa « folie » aurait tout compris (Cf. Code n°17 – Le vieux marin breton), est un leitmotiv des créations bobos. Le vieil aviateur du « Petit Prince », ami de la fillette, rentre tout à fait dans ce cadre.
– L’idéologie bobo remplace souvent l’amour ou la famille par l’amitié. Pour le bobo, l’amitié et le lien sentimental se substituent ou équivaut au lien du sang : l’amitié occupe une place démesurée (Cf. Code n°57 – Famille, tu me saoules ! ; et Code n°55 – Trio bisexuel… en plein déménagement ). Et dans le film « Le Petit Prince », toute la paternité du texte original du Petit Prince est affadie par la relation intergénérationnelle – certes touchante, mais pas de sang – entre l’héroïne et son papy aviateur.
– Dans la pensée bobo, la Nature est personnifiée, et ravit son humanité à l’Homme, confondu avec les machines qu’il a créées (Cf. Code n°23 – « La Nature me domine et prouve ma méchanceté d’être humain. »). On observe ce phénomène dans le film « Le Petit Prince », surtout sur la chanson du générique final : « Parle au ciel et aux étoiles. »
– On retrouve dans le boboïsme le mépris de la raison, caricaturée en rationnalisme desséchant, un intellectualisme mortifère (Cf. Code n°7 – Jargon vulgos-pédant ). Dans le film « Le Petit Prince », le monde universitaire est montré comme corrompu et déshumanisé.
– Avec l’idéologie bobo, nous sommes face à un matérialisme conservateur masqué, c’est-à-dire à la fois faussement distant des objets (le bobo se la joue détaché du matériel, brocanteur roots), et obsédé par eux (Cf. Code n°3 – Haine de la matière et des richesses ; et Code n°4 – Le consommateur masqué ). On le voit à travers le personnage du vieil aviateur dans « Le Petit Prince », qui avoue à la jeune héroïne : « Je suis comme ça : j’amasse. » Mais également dans la superstition entourant les objets : dans le film, les objets sont considérés vivants (ex : le renard en peluche vit) et collectionnés en tant que témoins réels d’un passé « éternel », à l’instar de la boîte à souvenirs du cycliste d’« Amélie Poulain » : l’avion, la rose, le renard, etc. Les objets s’animent tellement dans l’esprit du bobo qu’une fois confrontés au Réel, ils en deviennent décevants, méchants, monstrueux. Dans « Le Petit Prince », les machines sont des ogres métalliques, avec une gueule mécanique qui engloutit l’Homme qui les manipule.
– Le bobo a une relation ambivalente avec l’urbanité : à la fois il ne veut pas se détacher de la ville – en particulier du charme désuet et exotique de la ville européenne mythique – et en même temps il prétend vouloir s’en extraire pour fuir son artificialité (Cf. Code n°21 – Ville… européenne ). On retrouve ce double mouvement idolâtre d’attraction-répulsion par rapport à la ville dans le film « Le Petit Prince », avec l’image d’Épinal du Paris de la Belle Époque, mais également la diabolisation de l’urbanité, montrée comme un enfer carcéral impersonnel.
– Les roof-tops (buildings surplombant la ville) sont des incontournables de l’iconographie bobo (Cf. Code n°31 – Super-Zéro haut perché). Dans le film « Le Petit Prince », la conclusion « Regarde le Ciel » et le monde vu de haut, surtout par avion, ne dérogent pas à la règle.
– Dans le boboïsme, c’est souvent l’éloge de la Nature… y compris de la nature insulaire en ville (cf. Code n°22 – La Passion pour la Nature, le vent et la mer). Dans « Le Petit Prince », la maison de l’aviateur joue ce rôle du havre de paix printanier au milieu de la forêt de béton.
– Le bobo se met souvent aux médecines douces et aux séances de sport/yoga (cf. Code n°27 – New Age et psychologie). C’est ce que fait la fillette du « Petit Prince ».
– Dans l’idéologique bobo, la souffrance, le péché et la mort n’ont pas leur place (cf. Code n°11 – Je ne souffre pas !). C’est ce qui se passe dans l’adaptation cinématographique du Petit Prince. La mort et la souffrance, même si elles sont esquissées (l’héroïne se coupant le doigt, le vieil aviateur séjournant à l’hôpital et au seuil de la mort), ne sont jamais expliquées ni justifiées autrement que par un stoïcisme résigné (« C’est comme ça. Il faut consentir. »). Et la mort du Petit Prince par le serpent est interprétée comme la mort symbolique de l’enfance en lui… alors que dans la version originale du Petit Prince, sa mort n’est pas que symbolique : elle est aussi physique.
– L’éloge de la petitesse est un cliché récurrent du boboïsme (cf. Code n°10 – Petit ). On le retrouve dans « Le Petit Prince », avec le titre bien sûr, mais aussi la passion pour les petits objets miniatures, pour les choses vues d’avion, mais aussi le goût du microcosmique… allongé dans le jardin de papy.
– Dans l’iconographie bobo, le canapé (en général usé et qui a vécu) tient lieu d’autel sacré que l’on retrouve partout (Cf. Code n°13 – Canapé). On retrouve les vieux canapés et vieux fauteuils chez l’aviateur du film « Le Petit Prince. »
– Comme je le signalais en début d’article, toute l’idéologie bobo se fonde sur la croyance en l’espoir… au détriment de l’Espérance (Cf. Code n°9 – Optimisme et Espoir). Celle-ci est exprimée à la fin du film « Le Petit Prince », d’une manière déterminée (et avec les violons !), par le personnage du Petit Prince devenu adulte : « Je ne suis pas désespéré. Je suis plein d’espoir. Ça, oui ! Plein d’espoir. »
– L’esthétique bobo idéalise la figure littéraire de l’électron libre, de l’éternel voyageur, du fugueur errant (Cf. Code n°12 – Globe-trotter), en l’occurrence dans le film « Le Petit Prince » de l’aviateur sans attache. « L’aviateur a besoin de toi. » répète-t-on à l’héroïne.
– L’idéologie bourgeoise-bohème voit l’Humanité sous forme de grand patchwork compartimenté en personnages-clichés, en token comme on dit aux States (Cf. Code n°15 – Mosaïque multiculturelle). Tous les personnages du conte de Saint-Exupéry, repris dans le film « Le Petit Prince », font l’objet de ce saucissonnage et de cette redistribution mondialisée, apparaissent comme autant de « facettes d’humanité ». Ils perdent toute la tendresse et la drôlerie du texte original.
– Dans la fantasmagorie bobo, les vieilles chansons jazzy et les violons tsiganes occupent une grande place (Cf. Code n°16 – Fanfare jazzy ). On les retrouve dans « Le Petit Prince ».
– L’idéologie bobo porte aux nues les goûts et les sensations individuelles (cf. Code n°49 – « Je suis vivant » ou « J’ai aimé » ; et le Code n°43 – « J’aime / J’aime pas »). C’est ce qui se passe dans le film « Le Petit Prince », notamment lorsque le Petit Prince adulte recouvre la mémoire, ou que la petite fille (double du réalisateur) s’émeut devant tous les petits détails, petits objets, petits gestes, petits personnages en plastique qui ont habité son enfance et qui sont reliés à l’œuvre du Petit Prince.
– Dans la pensée bobo, c’est l’éloge du style « vieux » : brocante, culture rétro, vieux vinyles, vieil avion, vieille baraque, esthétique du souvenir, vieille deux-chevaux, etc. (Cf. Code n°18 – Vive le vieux !) Et on le constate dans le film « Le Petit Prince » : la mémoire émotionnelle, sensitive et onirique (les rêves, l’imaginaire, les souvenirs) est mise sur un piédestal. « Grandir, c’est pas tellement ça le problème. Le problème, c’est d’oublier » déclare le sage-aviateur, sorte de Maître Dong de l’hédonisme nostalgique. Et à la fin du film, la promesse de la gamine au Petit Prince adulte se veut un vibrant serment d’amour : « Je n’oublierai jamais rien. »… Promesse humainement fausse et intenable. C’est comme assurer « J’aurai toujours des sentiments pour toi ». On oubliera toujours quelque chose. Et nos sentiments ne seront jamais les mêmes à l’égard de la personne aimée. À l’instar du film d’animation « Vice-Versa » des studios Pixar, le thème de l’usine à neurones ou du réservoir à rêves (rêves matérialisés par les étoiles ou les boules de bowling) est très présent dans « Le Petit Prince », et plus généralement dans les dessins animés actuels gangrénés par l’idéologie transhumaniste. La Mémoire est prise pour une énergie qui va remplir le cortex cérébral (individuel ou mondial), le faire « travailler », faire que l’Humain-objet se sente « vivant » et puisse « jouir de vivre », « jouir de lui-même ». La mémoire et les souvenirs, en d’autres termes, sont envisagés comme des biens de consommation, comme un archivage et une accumulation quantitative. Ils sont d’ailleurs souvent entreposés dans une chambre énergétique. Ils se réduisent à une batterie d’intensités transportant l’être humain vers le passé. Finalement, le boboïsme met en place une autre forme de capitalisme, cette fois affectif et émotionnel… même si, en intentions, le bobo le veut anti-matérialiste et anti-capitaliste. Bienvenue dans le transhumanisme peint en vert et rose !
– Dans la fantasmagorie bobo, on a souvent droit à la ballade chorégraphique urbaine au ralenti (Cf. Code n°44 – Promenade chorégraphique). Dans le film « Le Petit Prince », elle est aussi présente – avec la ballade en dodoche, avec le ralenti et le papillon – même si elle est encore suffisamment parodiée pour échapper à l’habituel pathos mélancolique du bobo.
– Le barbu est un leitmotiv de l’iconographie bobo (Cf. Code n°33 – Barbu). Et dans « Le Petit Prince », il est représenté par le vieil aviateur, bien sûr.
– Dans le œuvres bobos, la photographie vintage occupe une place prédominante. Le photographe est le dieu des bobos (Cf. Code n°42 – Photolâtrie ). On le retrouve dans le film.
– L’idéologie bobo a coutume d’éjecter la différence des sexes, donc le mariage (Cf. Code n°56 – Le mariage (ou pas) ; et Code n°48 – « L’Amour n’existe pas. Les amours (éphémères) oui. »). C’est ce qui arrive dans le film « Le Petit Prince » (et pas du tout dans la version originale du Petit Prince !) : la rose est morte ; l’héroïne n’est pas entourée de ses deux parents biologiques, divorcés (le père est absent) ; le Petit Prince est un vieux gars célibataire, tout comme le vieil aviateur. La différence des sexes n’est pas honorée. Son absence est certes pleurée, mais non réparée. La différence des sexes est ici hors-sujet.
– Dans le boboïsme, ça psychologise à mort, mais pour éloigner du Réel (Cf. Code n°47 – Le divertissement jeunesse confié au bobo ; et Code n°27 – New Age et psychologie). Dans le film « Le Petit Prince », j’ai été frappé par l’irréalité des situations, les caricatures à prétention pourtant réaliste, l’accumulation de poncifs idéologiques creux se servant de l’esthétique de l’enfance pour maquiller leur vanité. Finalement, le bobo donne à bouffer aux enfants de la merde ou de la pensée sucrée. Ce film essaie de faire entrer les enfants dans la nostalgie mais non dans le passé, dans la sentimentalité mais non dans l’Amour incarné, dans l’immortalité mais non dans l’éternité, dans la déprime mais non dans la joie, dans l’hédonisme Carpe Diem et non dans le mystère de la Croix.
– Dans la propagande bobo, l’intertextualité (= la citation) d’une œuvre dite « simple et profonde » est omniprésente (Cf. Code n°35 – La voix-off insupportable). Cette récupération des grands classiques de la poésie philosophique mondiale est malhonnête car elle les vide de toute leur essence, de leurs belles contradictions et aspérités. Dans le film « Le Petit Prince », le fil conducteur est bien sûr le conte philosophique de Saint-Exupéry, conte instrumentalisé sous forme de berceuse, avec la voix-off enfantine du Petit Prince, avec des phrases poétiques anesthésiantes entrecoupant l’intrigue principale et bien connues de tous… tout ça pour tenir un discours moraliste appris et insipide. L’adaptation cinématographique prend la forme du pamphlet anti-modernité et pro-naïveté-enfantine, de la leçon de vie par les sens : être soi-même, savoir savourer la vie, Carpe Diem, cultiver les rires d’enfants intergénérationnels, fermer les yeux et se souvenir, etc. Endormir la pensée, surtout !
– Dans l’idéologie bobo, s’il y a souvent la promotion d’une spiritualité voire d’une transcendance, elle s’identifie uniquement à la conscience et à la perception de l’individu, et n’est surtout pas ramenée à Jésus et encore moins à l’Église-Institution (Cf. Code n° 24 – Je ne crois pas en Dieu mais je fais comme si ). C’est ce qui se passe dans le film « Le Petit Prince ». On y entend plein de mentions à l’éternité, mais celle-ci n’est pas nommée ni reliée à Jésus et à sa Résurrection. C’est juste un gentil doigt pointant le Ciel, mais n’indiquant que les Étoiles, pas du tout le Christ. C’est le conte philosophique, pas catho et qui se substitue à la Bible. Par exemple, on n’entend dans l’intrigue aucune démarche de pardon après la fugue de la gamine. Exactement comme la résolution de la fugue de la fillette du film « Vice-Versa », où aucun pardon entre parents et enfant n’est formulé.
– L’emphase sur le vent et sur les silences est un classique des œuvres artistiques bobos (Cf. Code n°34 – Silence et Pudeur sacrés ; et Code n°22 – La Passion pour la Nature, le vent et la mer ). Et dans « Le Petit Prince », on voit des fleurs (en papier crépon) partout, le soleil, le ciel étoilé, le vent, les petits oiseaux, etc. Et comme par hasard, notre jeune héroïne bobo aspire, pour son travail, à intégrer au début du film l’« Academy Verte » super écolo…
– Dans la musique bobo, c’est toujours la même recette : sifflotements, chansons pas assumées comme telles et chantonnées comme si elles étaient spontanées et improvisées, xylophones infantilisants à la « Amélie Poulain », banjo et piano sautillants, musique conceptuelle avec une originalité artisanale (la machine à sous marquant le rythme, par exemple), voix androgynes et fluettes, etc. (Cf. Code n° 45 – Sifflotements, xylophones, banjo et piano ). C’est exactement le cas des chansonnettes du « Petit Prince », qui ne veulent rien dire (à part la décontraction), qui sont chantonnées l’air de rien, par la chanteuse la plus bobo que la France ait connue (Camille… Ne manque plus que Pauline Croze ou Jeanne Cherhal ou Rose ou Lorène Devienne), qui appellent à l’abandon au bien-être… et surtout à l’abandon de la Vérité : « Suis-moi », « E = MC2 », etc.
– Dans l’idéologie bobo, ce qui prime, c’est l’individualisme collectif, c’est le déni de l’individualité à travers paradoxalement la promotion des modèles relationnels fusionnels et l’idolâtrie pour l’originalité (Cf. Code n°2 – Je suis original !). « Et si moi c’était toi ? » fredonne la chanson du générique final. Et le film « Le Petit Prince » se veut un hommage à l’originalité et à l’excentricité EN SOI. Encore une absurdité et un poncif idéologiques.
– Le propre de l’idéologie bobo, c’est la fuite du désir, de la volonté. Il faudrait que tout arrive sans qu’on le cherche, sans qu’on s’y attende, sans programme et sans liberté. Cool Attitude. C’est la soi-disant « liberté » de ne pas être libre. C’est la soumission au désir non-orienté et instantané. Il ne faudrait pas rechercher de Sens à l’existence. Le Sens, c’est l’absence de Sens. Le sens, c’est l’instinct, l’émotion, l’envie, l’inconscient, l’imaginaire, les sens, et basta ! (Cf. Code n°51 – « J’aime là où je ne désire pas/ne m’engage pas »). « C’est si bon, sans savoir où on va. » ; « C’est si beau quand on s’perd. » entend-on toujours dans le générique final.
– Le boboïsme prône la désobéissance (Cf. Code n°1 – Petit-fils de 1968). Et dans le film « Le Petit Prince », c’est tout à fait ça : l’héroïne en culotte courte brise les interdits, s’échappe chez son voisin atypique, circule en voiture avec lui sans permis, répond à sa mère, fugue, vole un vélo, pilote un avion sans permis, rentre dans les immeubles et les hôpitaux sans autorisation, contourne les agents de l’ordre, etc. Ça, c’est vraiment une « liberté » tout à fait étrangère à l’esprit du véritable Petit Prince. Jamais, dans l’histoire de Saint-Exupéry, le Petit Prince ne désobéit. Pas même à sa rose capricieuse ! Le vrai Petit Prince est un modèle d’obéissance et de service. Quasiment l’inverse de l’héroïne du « Petit Prince » ! Le film d’Osborne, au contraire, encourage à la désobéissance en faisant passer celle-ci pour du respect, du génie et de la liberté ; il oppose de manière manichéenne le désordre à l’ordre (aussi irréels l’un que l’autre !). Contrairement au Petit Prince qui est une ode à la paternité (à toutes les paternités), là, dans le film, la paternité de sang est complètement zappée : l’héroïne ne verra jamais son vrai père. C’est vraiment un film qui ne défend ni le mariage ni les pères, garants du Réel. C’est l’auto-construction – par soi-même, par ses souvenirs et son ressenti – qui prévaudrait !
– Dans l’idéologie bobo est promu le goût de l’incorrect (Cf. Code n°6 – Plus bourgeois que bourgeois : l’élite du bon « mauvais goût » ; Code n°7 – Jargon vulgos-pédant ; Code n°28 – Ni remords ni péché ). Et dans le film « Le Petit Prince », idem : manger de la mal-bouffe (la gamine et le grand-père s’en vont acheter des pancakes en cachette en ville), fuguer, rouler sans permis, mépriser la morale, les règles, l’ordre, contourner l’institutionnel et l’organisationnel, c’est montré comme le summum du bon goût et de la liberté.
– La marotte du boboïsme, c’est la lutte contre les images, les préjugés, les « clichés », c’est le discours iconoclaste de la haine des apparences (comme si elles étaient toutes trompeuses, ce qui est faux) (Cf. Code n°30 – Croisade iconoclaste contre les « clichés »). Dans le film « Le Petit Prince », on tombe sur la même censure et le même mépris (superstitieux et fétichiste) du corps et des images. La belle phrase du Petit Prince « On ne voit bien qu’avec le cœur : l’essentiel est invisible pour le yeux. » est spectaculairement transformée en « Le plus important, c’est ce qui est invisible. ». Et le détournement interprétatif de la maxime exupérienne est encore plus spectaculaire : implicitement, celle-ci est comprise par les bobos comme le mépris de toute image et matérialité et la haine des apparences. Ils n’ont rien capté.
– Dans le quotidien du bobo, le thé occupe une grande place (Cf. Code n°20 – Clope ). Le Papy Mougeot du film a bien entendu sa théière !
– Le vélo et le scooter sont les moyens de locomotion de prédilection du bobo (Cf. Code n°14 – Scooter ). Ils ont une large place dans le « Petit Prince ».
– Dans le boboïsme, la bougie et les guirlandes lumineuses sont considérées comme le paroxysme de la beauté sobre et spirituelle (Cf. Code n°36 – Bougies ). Dans les films bobos tels que « Shortbus » de John Cameron Mitchell, ou encore « Raiponce », on s’en rend particulièrement compte : les étoiles deviennent des luminaires réifiés, des lampions de fêtes foraines. Et dans « Le Petit Prince », la guirlande étoilée symbolise les rêves humanistes et les idéaux humains à portée de main. La Voie Royale du décollage bobo vers le « Rêve », c’est le chemin de guirlandes colorées, bien entendu !
Conclusion : L’Enfant-Roi Jésus remplacé par le mythe capricieux, planant et individualiste de l’Enfant-Roi angélique
Conclusion : Dans l’adaptation cinématographique du Petit Prince, la royauté n’est pas assignée à Dieu, ni à un héritage paternel, ni au mariage… mais au dieu « Enfance » ou au dieu « Souvenir ». Et on voit ce que ça donne : un défilé narcissique de jolies pensées nostalgiques. Un monde sans foi au mariage ni en la Résurrection : quelle guimauve plate ! Pauvre Saint-Exupéry. Je crois qu’il doit être dépité de la récupération esthético-senti-menthe-à-l’eau qui est faite du message délivré par son petit blondinet ! Surtout que l’écrivain, lui, croyait en la Transcendance divine. C’est très clair dans Citadelle. Il doit se retourner dans sa tombe d’entendre son chef-d’œuvre littéraire traduit en insipide « Carpe Diem » ou en rouleau-compresseur d’infantilisation planétaire « Adultes et jeunes, redevenons l’enfant que nous avons tous été ». Je pense que Saint-Exupéry n’aurait jamais cautionné le moralisme anti-fasciste bien-pensant de ces faux naïfs qui veulent se racheter une innocence par l’esthétique. Il n’aurait pas eu le snobisme des bobos qui se gargarisent de dépeindre le non-sens « kafkaïen » (adjectif qu’ils adorent) d’un monde moderne courant à sa perte. Le message de Saint-Exupéry, ce n’est absolument pas ça. Il n’a jamais, dans Le Petit Prince, sombré dans la désespérance. Jamais il n’a infantilisé, même quand il a parlé de l’enfance et fait parler l’enfance. Pour lui, notre royauté ne repose pas sur le mythe capricieux de « l’Enfant-Roi » mais uniquement sur notre fraternité avec l’enfant Jésus et sur notre filiation avec Dieu le Père.
Le pire, c’est que la trahison cinématographique de Mark Osborne, qui se veut un hommage vibrant et fidèle à l’œuvre originale, ne sera identifiée de quasiment aucun spectateur. Je suis étonné que l’instrumentalisation bobo de l’œuvre de Saint-Exupéry n’ait pas encore été dénoncée, alors qu’elle est pourtant criante. Actuellement, la construction (sincère) de mausolées et de mémoriaux en l’honneur d’auteurs qu’on croit aimer et dont on dénature la pensée ne fait que commencer. L’entreprise bobo de déconstruction de la Vérité et de dénaturation du Réel a de beaux jours devant elle ! Déjà, on érige des temples aux résistants, aux artistes torturés ou soi-disant « naïfs » et « optimistes » (de préférence homosexuels, athées et juifs : Yves Saint-Laurent, Egon Schiele, Gustav Klimt, Allen Ginsberg, Harvey Milk, etc.). J’attends avec impatience l’adaptation musicale du Journal d’Anne Franck par les Fréros Delavega en duo avec Yaël Naïm…
Saint-Exupéry (oui, je sais, ce n’est pas officiellement un saint), priez pour nous et ayez pitié de nous. Et les pleurnicheurs bobos, s’il vous plaît, arrêter de rendre hommage. Car vous ne servez pas ceux que vous chérissez.