Mère Teresa
NOTICE EXPLICATIVE :
Le dolorisme et le misérabilisme sont-ils la Charité ?
Dans les fictions homosexuelles, il n’est pas rare de voir surgir, au détour d’une scène de film ou d’une intrigue urbaine, un héros homosexuel bon samaritain, parfois accoutré en super-héros ou en vieux baroudeur d’une ONG, venant tendre la main aux pauvres et aux opprimés comme une vraie Mère Teresa, sur un air d’orchestre de violons. D’ailleurs, cette religieuse emblématique apparaît parfois dans les films à thématique homosexuelle. Elle exerce une sorte de fascination identificatoire chez beaucoup de personnes homosexuelles, qui rêveraient de vivre un don d’amour entier, et qui, à travers la mise en scène d’un personnage homosexuel soucieux de la solidarité et de l’entraide envers les nécessiteux, souhaitent redorer le blason de l’homosexualité et justifier leur(s) amour(s) homosexuel(s). Autant dire que leur démarche n’est pas si gratuite et si désintéressée que cela. Cet amour porté aux pauvres est plus émotionnel et lointain que véritablement concret… comme si, à force d’avoir le cœur sur la main, elles ne l’avaient plus à sa place !
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Amour ambigu de l’étranger », « Prostitution », « Méchant Pauvre », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Faux révolutionnaires », « Mère gay friendly », « Se prendre pour Dieu », « Pygmalion », « Homosexualité noire et glorieuse », « Promotion ‘canapédé’ », « Innocence » et « Bobo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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1 – PETIT « CONDENSÉ »
La passion intéressée pour le pauvre
Témoins réels d’un terrible conflit fratricide vécu de près mais auquel elles ne peuvent s’identifier tellement il est brutal, ou bien enfants surprotégés qui demandent à connaître un combat de vie dont on les a/aurait privés, beaucoup de personnes homosexuelles entretiennent avec la guerre et la pauvreté un rapport désirant d’attraction-répulsion. Elles s’approprient souvent les grands drames humains qu’elles ne voient que de très loin (mais pour elles, c’est de très près, puisqu’elles pensent à la distance dérisoire qui les sépare de leur écran de télévision !), et en font excessivement mémoire pour cacher leurs drames personnels ou leur manque de personnalité.
Comme moyen de dénégation du viol planétaire iconographique ou réel, et par réflexe de survie, elles choisissent de s’identifier à la catastrophe et aux victimes de celle-ci. Les personnages homosexuels bons samaritains fleurissent dans les films homo-érotiques. Cela renvoie généralement à un fantasme réel. Beaucoup de personnes homosexuelles élèvent le va-nu-pieds sur un piédestal et se rêvent Consciences de l’Humanité. L’actrice jouant les Mère Teresa devant les caméras est connue pour être l’un des principaux idéaux esthétiques de la communauté homosexuelle, sans doute parce qu’elle illustre parfaitement l’ambiguïté du désir homosexuel : entre le goût du paraître à la sauce charity business, et l’amour concret des déshérités, le doute est permis…
Car, en effet, nous aurions tort de ne nous fier qu’aux apparences. Au vrai pauvre, bien des personnes homosexuelles lui préfèrent son icône – souffrante ou euphorique – et son absence. Elles le transforment en image folklorique (cf. je vous renvoie au code « Amour ambigu de l’étranger » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Le nécessiteux qu’elles bercent sur leur sein n’est autre que la romanichelle de luxe, le vagabond sublimé des poètes maudits, le « bon sauvage » étranger, « la transfiguration d’un état de misère » pour reprendre les termes d’un de mes amis homos. Elles dépeignent une pègre qui, au lieu d’être constituée de vrais pauvres, se compose plutôt de cercles d’intellectuels libertins – donc un peu d’elles-mêmes ! – s’amusant à imiter, par moquerie ou/et générosité, les images d’Épinal de pauvres qu’ils se fabriquent dans leur imaginaire pour se donner bonne conscience. Cette pègre mi-fictive mi-réelle sert de prétexte à l’exhibition carnavalesque et au déni de la pauvreté. Vêtus de haillons, les faux mendiants homosexuels se donnent en spectacle, en entonnant la litanie de la honte de l’Occidental narrant son malheur face au soi-disant malheur planétaire apocalyptique. Ils se glissent subtilement dans la foule colorée et masquée qu’ils ont eux-mêmes créée pour s’élever en chefs. « En attendant d’être des rois, mes amis et moi sommes les acteurs d’une version de la folie des grandeurs, … sous une pluie de confettis » chante Arnold Turboust dans sa chanson « Mes amis et moi ». Intellectuellement, l’esthétique de la folie du SDF-bouffon donquichottesque séduit beaucoup les auteurs homosexuels : pour eux, le délire « transgressif » est davantage vecteur de Vérité que la Vérité même (cf. je vous renvoie aux codes « Folie » et « Cour des miracles » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).
De l’idéalisation du pauvre à l’identification-substitution
Au départ, c’est l’hommage larmoyant au Tiers-monde. « J’me sens très proche de ces gens-là. Les gens qui n’ont rien. » (Benigno, le héros homo s’adressant à Marcos, dans le film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar) Beaucoup de personnes homosexuelles se désirent Hommes du Peuple engagés contre la misère. Et pourtant, concrètement et symboliquement, elles restent souvent éloignées des réalités humaines désagréables : dans les fictions, par exemple, un certain nombre de personnages homosexuels se désintéressent du sort du monde (Aschenbach dans le film « Morte A Venezia », « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, ou Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (1960) de Joseph Mankiewicz, constituent de bons exemples de cette compassion homosexuelle qui pleure sur la victime sans lui venir en aide) ; et dans les faits, les cadres de la rencontre entre les personnes homosexuelles et les pauvres qu’elles défendent ont presque toujours un rapport à la prostitution masculine, à la domesticité, à l’anarchisme, au militantisme politique, au populisme, bref, à une solidarité intéressée. « Le roi est généreux. Il veut que ses sujets gardent un bon souvenir de lui, car il ne connaît que trop bien le côté obscur de son âme. Louis II voudrait être un roi bienveillant, mais il sait que ce n’est pas le cas. » (cf. le documentaire « Louis II de Bavière, la mort du Roi » (2004) de Ray Müller et Matthias Unterburg) Il arrive à certaines personnes homosexuelles de s’émouvoir pour la condition précaire d’un misérable garçon qu’elles tentent de sauver de la galère, et celui-ci se laisse entretenir par elles, mais le contrat unit quand même deux égoïsmes cherchant à se substituer l’un à l’autre.
Puis petite à petit, ça dérape… On passe de la solidarité au narcissisme. Dans certains sites Internet sur l’homophobie, une dédicace attentionnée annonce déjà la fusion identificatoire prochaine entre l’adjuvant homosexuel et son pauvre : « Cette page est dédiée à toutes les victimes du nazisme. » (Hugo sur le site suivant, consulté en octobre 2003) À l’heure actuelle, les rapprochements anachroniques se font magiquement par le terme an-historique d’« homophobie ». Lors de la Journée Mondiale de la Déportation du 24 avril notamment, une certaine confrérie homosexuelle exige que soit déposée une gerbe de fleurs à la mémoire de leurs frères morts dans les camps nazis, et surveille d’une oreille tatillonne si le nom des « homosexuels » est bien cité au micro dans la liste des victimes. Puis elle s’attribue le sort des martyrs du passé en accusant de révisionnisme tous ceux qui trouvent cette identification déplacée. À l’entendre, les personnes homosexuelles ont été sous le nazisme celles qui ont subi les pires traitements de tous les prisonniers (cf. je vous renvoie au film « Bent » (1997) de Sean Mathias, au docu-fiction « Paragraphe 175 » (2000) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, ainsi qu’à l’essai Les Oubliés de la mémoire (2000) de Jean Le Bitoux). Qu’en sait-elle au juste ? Absolument rien, car d’une part, sur le terrain des souffrances, surtout dans le contexte de la barbarie généralisée des Nazis, la hiérarchie des douleurs n’est pas de mise, et d’autre part, les personnes homosexuelles de l’époque n’ont absolument pas fait l’objet d’une « solution finale » ni d’un « génocide » planifié comme ce fut le cas pour les Juifs. Certes, cela ne minimise en rien l’atrocité des crimes perpétrés à l’encontre de la communauté homosexuelle pendant la Seconde Guerre mondiale, mais il convient quand même d’être précis et humble.
Beaucoup de personnes homosexuelles ne désirent plus simplement compatir au sort du pauvre : après lui avoir écrit son holocauste, elles veulent se substituer à lui pour dire qu’elles sont les plus grandes victimes de tous les temps (cf. je vous renvoie également la partie « Je suis une (plus grande) victime (que les autres) » du code « Homosexualité noire et glorieuse » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Faire mémoire devient très souvent dans leur cas un prétexte pour pleurer sur soi. Elles aiment davantage le pauvre pour l’esthétique révolutionnaire qu’il incarne que pour lui-même, et dans la mesure où il justifie « en gros » leurs combats personnels. C’est le glissement de la révolution à l’anarchisme/rébellion dont parle Patrick Bougon concernant l’engagement politique de Jean Genet : « La position politique de Genet est moins propalestinienne qu’anarchiste. […] Ce qui intéresse Genet chez les Black Panthers et les Feddayin, c’est qu’ils sont des vecteurs de déstabilisation du pouvoir et de l’État. » (cf. l’article « Politique et autobiographie » de Patrick Bougon, le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 69) Leur soutien au pauvre est une adhésion de principe, non prioritairement de personne. Elles ne s’intéressent pas tant à la victime en elle-même qu’à l’occasion qu’elle leur fournit de s’attaquer aux mécanismes de pouvoir qui la rendent/rendraient victime. Concernant par exemple l’univers carcéral, les paroles de Michel Foucault sont assez claires : « En fait, je ne m’intéresse pas au détenu comme personne. Je m’intéresse aux tactiques et aux stratégies de pouvoir qui sous-tendent cette institution paradoxale qu’est la prison. » (Michel Foucault lors de l’entretien « Michel Foucault, l’Illégalisme et l’Art de punir » avec G. Tarrab en 1976) En choisissant de défendre « la différence qui gêne(rait) », elles ont l’impression d’être ultra-révolutionnaires et dangereuses, mais elles se cachent ainsi à elles-mêmes le jugement dépréciatif qu’elles ont porté sur les porte-drapeaux de leur révolution : en simulant la fausse camaraderie, elles s’entourent d’individus que la société juge/jugerait peu fréquentables, parce que ce sont souvent elles-mêmes qui ont projeté sur elle leurs propres jugements sur les pauvres, alors que ce qui devrait présider à l’ordre de la solidarité, c’est la lutte pour les exclus contre l’exclusion, il semble que pour elles, c’est la lutte grâce aux exclus contre ladite « majorité » (… il serait plus juste de dire ceux de leur propre classe) qui l’emporte. Elles veulent sauver le Peuple sans lui, en lui arrachant le haut-parleur des mains. « Nous devons dire que nous sommes plus frappés pour que les Arabes le soient moins. Nous devons crier pour les Arabes qui, eux, ne peuvent pas se faire entendre. » (Michel Foucault, Le Temps immobile, t. III, p. 430) En quelque sorte, elles s’identifient aux victimes à défendre pour prendre leur place et reprocher ensuite à ceux qui ne les suivraient pas dans leur élan de solidarité universelle de ne pas agir comme elles. Elles sont les prophètes d’« une nouvelle orthodoxie dont le contenu importe finalement moins que le partage manichéen qu’elle établit entre amis et ennemis du genre humain, l’obligation qu’elle fait aux premiers de se ranger, sous prétexte de défendre les opprimés, du côté des puissants ». (Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs (2002), p. 13)
En règle générale, la solidarité homosexuelle est à entendre dans son sens passionnel, à savoir d’altruisme agressif, de « générosité dingue » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 221). Touche pas à pote ! Mon pauvre est à moâ ! Bien souvent paniquées par les nouvelles du journal, meurtries par le sort des populations télévisuelles, beaucoup de personnes homosexuelles, en mal de combat ou en panne d’identité, ont un besoin cannibale de se rendre utiles et d’aller vers les autres. Il leur arrive de crier dans leur salon de thé : « Je dois et j’ai besoin de faire ma vie avec les masses et les travailleurs manuels ! » (Edward Carpenter sur le site suivant, consulté en janvier 2003) Elles s’inscrivent parfois dans les associations caritatives, parlent de voyages « humanitaires » et de « solidarité » à tout bout de champ, se persuadent qu’elles sont indispensables au bonheur de celui qui se trouve dans la détresse… alors que par ailleurs, elles ont tendance à voir la vie en noir, à peu s’occuper d’elles, de leur voisinage, de l’entraide à échelle humaine. Elles veulent pour les vraies victimes ce qu’elles refusent pour elles-mêmes. « Comme vous savez, je suis du côté de ceux qui cherchent à avoir un territoire, mais je refuse d’en avoir un » avoue Jean Genet (cité dans l’article « Une crépusculaire odeur l’isole » de Tahar Ben Jelloun, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 30). Le paradoxe de leur passion du pauvre se situe dans le fait que nous pourrions définir la plupart des personnes homosexuelles à la fois comme des amis de la Terre entière et des ennemis du genre humain (cf. je vous renvoie à la partie « Misanthropie » du code « Solitude » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). C’est par exemple ce qui peut expliquer que Michel Larivière décrive dans une même phrase Michel Simon comme un individu « misanthrope, anarchiste, toujours proche des exclus, des marginaux, mais vivant en solitaire, entourés de ses animaux familiers » (Michel Larivière, Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 311).
À force d’avoir le cœur sur la main, elles ont tendance à ne plus le laisser à sa juste place ! Peu de personnes homosexuelles ont la notion de la vraie générosité : pour elles, elle se limite à tout donner matériellement sans donner de sa personne, à s’émouvoir dans la mélancolie démissionnaire. « Au cinéma, j’avais envie de pleurer. Sensibilité effrayante pour tout ce qui est douloureux dans la vie des hommes. » (Klaus Mann, Journal. Les Années d’exil (1937-1949), p. 205) Au final, elles font souvent une parodie du don. Dans les films, elles ont coutume de se représenter à travers des personnages homosexuels versant la larmichette devant le prisonnier politique qui fait son témoignage poignant. En prenant en pitié l’image médiatique du pauvre pour délaisser le pauvre réel, elles ne se rendent pas toujours compte qu’elles peuvent collaborer avec l’ennemi de l’humanisme. Dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, par exemple, il aura suffi au soldat nazi de montrer à Léni des images de misère et d’enfants faméliques du Tiers-monde sur un écran de cinéma pour la convaincre du bien fondé de l’acte de justice des Nazis pour « sauver le monde ». C’est bien souvent cela, l’amour homosexuel du crève-la-faim : un désir démesuré d’identification dans la compassion, mais peu aimant parce qu’il vénère essentiellement en lui la mort et son statut de « faible à genoux » (cf. la chanson « Tous les secrets du monde » de Catherine Lara).
2 – GRAND DÉTAILLÉ
FICTION
a) Le cœur sur la main :
Pris dans ses élans de passionaria, le héros homosexuel des fictions traitant d’homosexualité s’engage dans le monde de la solidarité, se rêve régulièrement révolutionnaire et missionnaire des pauvres/de « son » pauvre : « Je sais comment ça se passe. J’ai bossé dans une ONG. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « J’éprouvai un élan de tendresse protectrice envers Rani. […] Cette nuit-là, je rêvai que dans un doux murmure je l’appelais Rani et lui demandais de partir avec moi dans un endroit où elle ne serait plus bonne à tout faire. » (Anamika parlant de sa domestique, avec qui elle va coucher, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 25) ; « Je ne sais quoi m’attirait irrésistiblement vers la rivière. » (le narrateur homosexuel fasciné par les ouvriers de la fabrique de tuiles qui bordait la rivière et qu’il regarde se baigner ou pisser, dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 15) ; « J’aimerais connaître un ouvrier. J’aimerais que tout le monde soit cultivé, même les rappeurs d’Aubervilliers. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Les mots ‘transmission’, ‘solidarité’, ça te rappelle quelque chose ? » (Jacques, le héros homosexuel quinquagénaire s’adressant à Olivier parce que ce dernier s’oppose à ce qu’il héberge son jeune amant Mathan, très profiteur et assisté, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.
Il joue fréquemment au bon samaritain. Par exemple, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, travaille dans une maison d’accueil de personnes handicapées. Dans le film « I Love You Baby » (2001) de Alfonso Albacetes et David Menkes, Carmen, la « fille à pédés » célibataire, s’offre un enfant dans le cadre d’une adoption monoparentale, et est persuadée de faire une formidable œuvre de charité : elle partage son projet avec son « meilleur ami homo » Daniel. Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc donne la pièce à un guide-charlatan, Lotus le Barbu. Dans le vidéo-clip de sa chanson « Désenchantée », Mylène Farmer se prend pour un Moïse ou un Spartacus, version Germinal, qui va libérer tous les détenus d’un pénitencier. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabe, l’héroïne bisexuelle, va visiter les SDF et les prostitués dans la rue. Dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Romuald, le héros homosexuel, est clown pour enfants malades. Dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch, Jean-Luc, le héros homosexuel, veut construire une école en mission humanitaire au Népal. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le jeune homosexuel, prend la défense de Mustafa, le Maghrébin pourchassé par la police grecque ; un peu plus tard, il rend visite à son parrain Tassos, une vieille « tante » qui vit avec Achmad, un bel Arabe plus jeune que lui. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, un groupe de militants LGBT, pour assouvir leur soif de solidarité et aussi pour se créer une légitimité, vient au secours des mineurs d’un village gallois qui ne leur a rien demandé : « Les forces de l’ordre s’en prennent à ces pauvres gars plutôt qu’à nous ! » (Mark, le chef de l’association LGBT) Il leur apporte des couvertures, des gants, du chauffage, des moyens de locomotion. Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, est bénévole aux Restos du Cœur.
Il arrive que le personnage homosexuel se prenne carrément pour la figure emblématique de la solidarité : Mère Teresa de Calcutta. Par exemple, dans le film « Jeffrey » (1995) de Christopher Ashley, la bienheureuse femme apparaît à diverses reprises, comme par magie, et sauve même la vie du héros homosexuel au moment où il manque de se faire écraser par une voiture : « Mère Teresa m’a relevée. Elle est plutôt bien conservée. » (Jeffrey) Le roman La Nuit de Maritzburg : l’éternel amour de Gandhi (2014) de Gilbert Sinoué raconte la rencontre soi-disant amoureuse entre Gandhi et son ami allemand Herman Kallenbach.
Si ce n’est pas lui qui se prend pour Mère Teresa, ce sont les autres qui l’y enjoignent ! Dans les films et les séries gay friendly, le héros homosexuel est maintes fois représenté comme celui qui écoute les autres, les conseille, les aide à se réconcilier entre eux. Il est même le marginal avec un « M » majuscule, celui qui comprendrait forcément mieux les différents marginaux comme lui, du fait de sa douloureuse expérience de l’homophobie : cf. l’album Kang (1984) de Copi, la série française Les Filles d’à côté (1993-1995) de Jean-Luc Azoulay (avec Gérard, le gérant efféminé de la salle de muscu, qui console et soutient tous ses clients), le film « Le Cœur sur la main » (1949) d’André Berthomieu, le roman La Dette (2006) de Gilles Sebhan, le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar (avec Tina/Carmen Maura gâtant de cadeaux les personnes en fauteuil dans tout l’hôpital), la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (cf. l’épisode 5 « Oublier Paris », avec le parapluie donné à la prostituée), le vidéo-clip de la chanson « They Don’t Care About Us » de Michael Jackson, le roman Le Livre du Pauvre (1944) d’Antonio Botto, le roman Les Clochards célestes (1958) de Jack Kerouac, le film « David Copperfield » (1935) de George Cukor, le film « Le Clochard » (1965) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Extravagances » (1995) de Beeban Kidron, le film « Holiday Heart » (2000) de Robert Townsend (avec le héros homo protégeant la veuve et l’orphelin), le film « Fucking City » (1982) de Lothar Lambert (avec la passion pour les travailleurs immigrés), le film « Gracias Por La Propina » (« Merci pour le pourboire », 1997) de Francesc Bellmunt, le film « Un Mauvais Fils » (1980) de Claude Sautet, la série Joséphine Ange Gardien (1999) de Nicolas Cuche (cf. l’épisode 8 « Une Famille pour Noël »), etc.
La charité homosexuelle prend parfois figure et support sur l’identité homo, le couple homo ou la « famille » homo-parentale (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » et « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc (avec la venue impromptue du facteur), le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Unveiled » (2007) d’Angelina Maccarone, le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, etc. « On n’a qu’à adopter un p’tit Coréen ! » (Benji parlant à Hugo dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) Par exemple, dans le film « Ander » (2008) de Roberto Caston, Ander tombe amoureux d’un jeune immigré péruvien (José) qu’il entretient et embauche dans son exploitation agricole. Dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch, Jean-Luc, chef de chantier, sort avec son ouvrier arabe Rachid. Dans le film « Indian Palace » (2012) de John Madden, Graham, le héros homosexuel sexagénaire, joue au baseball avec les gamins indiens des rues : il est d’ailleurs tombé amoureux, dans sa jeunesse, de son domestique indien, Manadj, et transpose cette histoire sur son propre présent.
Dans fictions actuelles, le personnage homosexuel est souvent valorisé par les actions solidaires qu’il vit parallèlement à son histoire d’amour… comme si ces deux terrains (l’un ponctuel et fraternel, l’autre plus entier et idéalement aimant) pouvaient être mis sur le même plan… Par exemple, dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, Ambre et Helena se rencontrent en Namibie lors d’un voyage humanitaire et vivent leur secrète idylle. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk aide un jeune homosexuel en fauteuil à « s’assumer en tant qu’homo ». Dans la série Ainsi soient-ils (épisode 5 saison 1), c’est en aidant les sans-papiers que les deux séminaristes Guillaume et Emmanuel se rapprochent.
b) Le cœur plus totalement à sa place : la solidarité désincarnée
Quelquefois, pris de remords face à son propre désœuvrement de bourgeois et à sa solidarité majoritairement intellectuelle/esthétique, le héros homosexuel se met théâtralement à « désirer aider », à « désirer être utile » : « Moi je veux c’est aimer. Moi je veux c’est aider. » (cf. la chanson « Moi je veux » de Mylène Farmer)
Sa générosité est tellement bien-intentionnée qu’elle finit par déborder, par sortir de son lit. À force d’avoir le cœur sur la main, le protagoniste homosexuel n’a plus son cœur à sa place ! « J’ai un cœur gros comme ça. Mais attention ! Trop bonne mais pas trop conne. » (Philippe Mistral dans son one-man-show Changez d’air, 2011) ; « Je lui ai passé ma carte pour le dépanner et il a vidé mon compte ! […] Ben oui. Moi, c’est comme ça, Jeze, tu le sais… Je crois à l’amour, à la fidélité et à la sincérité ! » (Greg, le héros homosexuel qui s’est fait arnaquer par son compagnon Igor, dans le film « La Mante Religieuse » (2012) de Natalie Saracco) ; etc.
La solidarité prônée par certains réalisateurs et écrivains homosexuels n’est pas très incarnée. Par exemple, dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japhet Chiari, Loba, dit « la marcheuse », est présentée comme une Européenne proche des pauvres en Inde : en réalité, on ne la voit jamais en actes et en proximité avec eux ; elle apparaît comme une figure bouddhiste lumineuse et aérienne, un spectre irréel. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, est le bourgeois qui prend la cause des pauvres, parce que ça fait bien.
C’est aussi par le biais de la louange de l’esthétisme que se cristallise la relation idyllique entre le bienfaiteur homosexuel et le va-nu-pieds (cf. je vous renvoie au code « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, les héros homosexuels séjournant à Istanbul se montrent soucieux des beaux Turcs… et on se demande si leur démarche est si humanitaire qu’ils le disent… Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Julien, un ouvrier peintre en bâtiment tombe amoureux de la prostituée Rosa. Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Marilyn tombe amoureuse de Mona, une femme maghrébine avec qui elle va faire de la danse orientale dans un club.
Le pauvre prend la forme de l’image d’Épinal du Beatus Ille magnifique et innocent : cf. le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré (avec le beau métisse sortant de l’eau), le film « Grande École » (2004) de Robert Salis (avec la sacralisation esthétique du jeune Maghrébin), le court-métrage « Alger la blanche » (1986) de Cyril Collard, les films (« Les Corps ouverts » (1998) et « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz (avec la place de choix laissée à l’acteur Yasmine Belmadi), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le facteur fou), le film « Jagdszenen Aus Niederbayern » (« Scène de chasse en Bavière », 1969) de Peter Fleischmann (avec Rovo, le simplet avec qui Abram va avoir une relation), etc. Il devient un objet plus qu’une personne. « Vous êtes dans le vrai. Épaulez-vous les uns les autres. […] Tous les désaxés et les paumés, vous savez que vous êtes des rock’n’rollers tournoyant au son de votre propre rock’n’roll. » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell)
Souvent, les héros homosexuels sombrent dans le misérabilisme et le dolorisme identificatoires : ils croient compatir et soulager des souffrances rien que par le regard, les sentiments : « Il faut voir comme ses yeux brillent quand elle [Madeleine] parle de l’Alsace. C’est comme si je portais personnellement la responsabilité de ce qu’on a fait subir à son peuple. » (Théo dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 100) ; « Rencontre/Maladie/Mort/Deuil. Les larmes m’envahissent, les couleurs se brouillent devant mes yeux, je gémis et me tords de douleur, je pleure comme un enfant de cinq ans. Je ne peux plus m’arrêter, je pleure toutes les larmes que j’ai gardées en moi depuis plusieurs semaines ou mois ou années, et entre deux respirations, je geins lamentablement. » (Mike, le narrateur homosexuel face aux photos de l’Expo Nan Goldin, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 90) ; etc.
L’amour compassionnel du pauvre se fait en général par la voie des larmes et de la télévision. Par exemple, dans le film « Grande École » (2003) de Robert Salis, Paul est en pleurs sur les bancs de l’amphi de l’École Normale Supérieure en entendant le témoignage poignant d’un Indien qui parle de son expérience inhumaine de l’incarcération. On retrouve la même mise en scène du témoignage humanitaire larmoyant, « sauce catho JMJ » cette fois, dans le film « Nos vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Florence pleure devant les portraits de Nan Golding dans une expo. Dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Boris le personnage homosexuel sanglote devant les images d’expulsion des sans-papiers de l’église Saint-Bernard à Paris. Dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, Bob est débordé d’émotion et de sensualité face à Félix, le déporté des camps de concentration : en parallèle et en toile de fond de cette intrigue, on retrouve une relation virtuelle d’Internet. Dans le film « Prom Queen » (« La Reine du bal » 2004) de John L’Écuyer, Edward, le héros homo, par la notoriété que lui a apportée son coming out, conseille par téléphone un jeune homo comme lui pour l’aider à faire face à l’homophobie dont il souffre ; il est tellement ému par son propre témoignage qu’il finit, en raccrochant, par se prendre pour le Christ (une croix christique illumine son lit).
Il y a en général entre le personnage homosexuel et « son » pauvre un écran, un média, une distance spéculaire, une projection fantasmatique narcissique. « Quand je l’ai vu dans sa cage à l’animalerie, j’ai eu envie de le rendre heureux. Ce qui m’a le plus retourné, c’était son regard de mendiant. Il avait l’air tellement triste… Il était immobile. Il n’aboyait pas mais il me suppliait. Enfin, c’est ce que j’ai cru. » (Bryan, le héros homo parlant de son chien Nicky, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 68) ; « La frayeur des Éthiopiens devient ma propre frayeur. » (cf. une réplique de la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd) ; etc.
c) La solidarité intéressée :
L’élan vers le pauvre n’est pas si gratuit et poétique qu’il y paraît en intentions. Il se révèle en réalité jugeant, politisé, égoïste ou arriviste. Il se fait en général dans une optique de militance intéressée, en vue d’une opposition ou d’une diabolisation excessive d’un camp socio-politique, ou bien dans une démarche de séduction et de drague : cf. le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec Carlos, le prostitué espagnol), le film « Bulldog In The White House » (« Bulldog à la Maison Blanche » (2006) de Todd Verrows (avec Bulldog qui feint de donner la pièce à un clochard dans la rue pour amadouer son amant et l’attirer dans son lit), le roman Montecristi (2011) de Jean-Noël Pancrazi, le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens (Jeanfi, le steward homo, sort avec un Maghrébin, Moustafa), etc.
« Je les aime pour m’opposer. » dit le héros homosexuel en parlant de ses mendiants. L’idéalisation des uns conforte le mépris des autres : « Moi, j’m’entends bien qu’avec les étrangers. » (Malik parlant à Bilal dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia)
Certaines protagonistes homosexuels ont tout des bons samaritains « fiévreux », soucieux de se trouver au plus vite un pauvre à aider pour faire écran à leur propre sentiment de vide existentiel ou de vacuité amoureuse, limite complexés de se retrouver si visiblement isolés et riches. Leur solidarité ressemble plus à un attachement narcissique digne d’une mère possessive qu’à une aide efficace et distancée.
Le héros homosexuel aime tellement le pauvre qu’il finit par imaginer qu’il a pris sa place : « Maintenant clochardisé, installé assis dans la marge, non seulement Vincent Garbo n’effraie plus ni ne dérange, mais chacun et chacune semble lui reconnaître comme un droit à l’existence. Comme si sur ce mètre carré de bitume, j’avais enfin trouvé ma juste place. » (Quentin Lamotta, Vincent Garbo (2010), p. 93) Par exemple, dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose-Marie, il y a une association « Les Gouines Sans Domicile Fixe » qui existe.
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
a) Le cœur sur la main :
Pris dans leurs élans de passionarias, beaucoup de personnes homosexuelles et gay friendly se rêvent régulièrement révolutionnaires et missionnaires des pauvres/de « leur » pauvre : cf. l’autobiographie De Profundis (1897) d’Oscar Wilde, l’essai En Los Reinos De Taifa (1986) de Juan Goytisolo, le documentaire sur les mineurs « Cold Face » (1935) d’Alberto Cavalcanti, l’exposition photos Garçons de Cotonou (2015) de Michel Guillaume, etc.
Elles jouent fréquemment aux bons samaritains : « Le pédé reste pour moi un compagnon des exclus, des déshérités, aux côtés des prisonniers, des prostituées… » (le réalisateur Lionel Soukaz cité dans l’article « Lionel Soukaz » de Jean-Philippe Renouard, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 444) ; « Je suis concernée, car moi je suis du côté de la douleur. » (l’écrivaine lesbienne Nina Bouraoui parlant du « mariage homo » dans l’émission Culture et Dépendances, diffusée sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004) ; « Marlon s’identifie à ceux qui souffrent, qui sont mutilés, qui sont dépossédés. » (Peter Manson dans le documentaire « Marlon Brando » (2000) de Toby Beach et Peter Yost) ; « Nous formons partie du tissu social, nous étions là pour la manifestation 1er mai, aux manifestations contre la guerre [en Irak], à l’occasion du naufrage du Prestige, en assumant toujours le risque d’être considérés comme trop politisés, mais convaincus qu’on ne peut pas être trop politisé. » (Beatriz Gimeno citée dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 39) ; « J’ai toujours aimé les bonnes. Dans la lutte des classes qui ravageait autrefois les appartements bourgeois je prenais instinctivement le parti de la cuisine. L’attitude rogue de la méchante [surnom donné à la mère] qui se comportait en contre-maître m’avait rangé du côté des victimes et révélé des solidarités inespérées. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), pp. 102-103) ; etc.
Par exemple, Jean Genet se porte défenseur des Black Panthers, des Palestiniens ou des détenus. Rainer Werner Fassbinder accueille Noirs et Maghrébins. Michel Foucault se bat pour le droit des minorités ethniques, et notamment des travailleurs immigrés. Pier Paolo Pasolini est attiré par le Tiers-monde. Allen Ginsberg est l’homme de tous les combats alter-mondialistes. Horation Jr Alger héberge des jeunes garçons abandonnés dans son hôtel new-yorkais. Federico García Lorca reste marqué à vie par la ville de New York pendant la crise de 1929. Leonard Bernstein s’engage pour la paix dans le monde et contre la torture. Muriel Robin s’investit pour les Restos du Cœur en tant que marraine. Pendant l’Affaire Dreyfus, Marcel Proust, juif, soutient la victime et devient dreyfusard. José Pascual entretient économiquement des jeunes Maghrébins sans papiers. Horation Jr Alger écrit des romans d’apprentissages (Dick le Déguenillé (1868), Tom le Loqueteux (1871), etc.) retraçant le parcours de jeunes marginaux qui se trouvent en bas de l’échelle sociale mais qui finissent par vivre un conte de fée. Truman Capote, à la fin de sa vie, prit la défense de jeunes hommes plus ou moins prolétaires, dont il vantait la simplicité. En 1971, Graham Chapman et son compagnon David Sherlock prennent sous leur aile le jeune John Tomiczek de Liverpool. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le réalisateur et son équipe se prennent pour les nouveaux sauveurs des immigrés, apportant de la poésie saupoudrée de mythologie aux habitants des Cités : quelques grammes de finesse dans un monde de brutes…
Selon Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895), « l’Uraniste a droit à une satisfaction de ses désirs sexuels naturels et comme cela ne peut se faire qu’avec l’autorisation d’un jeune homme, cette autorisation, dans de telles conditions, non seulement est un acte moralement permissible, mais il peut être aussi un acte de charité chrétienne, et même, sous certaines circonstances, un devoir. Ulrichs va jusqu’à comparer la situation du garçon sollicité par l’Uraniste à celle d’une femme esseulée qui donne naissance à un enfant avec l’aide de deux soldats rencontrés en chemin qui, fortuitement, lui servent de sages-femmes. La pauvre a été contrainte d’exposer sa nudité la plus intime à leurs yeux. De la même façon, Ulrichs en est sûr, même si le jeune partenaire de l’Uraniste éprouve une aversion instinctuelle à l’encontre de la relation homosexuelle, il reconnaît par la raison que la pulsion amoureuse de l’Uraniste est innée, et qu’elle doit aboutir. En cette circonstance, on plaidera l’absence de péché et la pureté. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 86-87)
Pour ma part, j’ai connu, pendant mon voyage humanitaire au Honduras en 1999, une femme lesbienne qui, avec une amie à elle, était partie aider les enfants pauvres dans les bidonvilles. Par ailleurs, une amie lesbienne m’a parlé d’un couple lesbien que sa sœur a connu, et qui apparemment emmenait des enfants gravement malades faire de la montagne pour planter leur drapeau sur les Éverest, en signe de leur exploit.
Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit pas, à travers ce code, d’ironiser cyniquement les bons sentiments et les œuvres e bienfaisance, du fait de l’homosexualité (nous sommes tous, sans exception, impuissants à supprimer toute la misère du monde). Il ne s’agit pas non plus de dire qu’individuellement les personnes homosexuelles n’ont pas des qualités humaines, une ouverture aux autres, une grande générosité, une capacité à être solidaires (certaines sont des crèmes de garçons et de filles, très serviables !) : je parle ici de l’étouffement de solidarité qu’engendre l’acte du couple homosexuel, indépendamment de la valeur et du cœur des deux individus séparés qui le posent ensemble. Il faut bien distinguer acte et personnes, bonnes intentions et Réel, émotionnel et amour concret. Avec la personne homosexuelle qui croit en l’amour homosexuel ou en couple, le geste solidaire a tendance à se figer en vidéo-clip, en paraître.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si certains membres de la communauté gay s’identifient aux grandes actrices aux joues badigeonnées de suie et soutenant les miséreux dans un dispensaire de Calcutta, genre Scarlett O’Hara au mouroir du film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming, ou encore Eva Perón, Lady Di, Julie Andrews, France Gall, Audrey Hepburn, Emmanuelle Béart, Adriana Karembeu, Zazie, etc.
La « charité » homosexuelle prend parfois figure et support sur l’identité homo (le coming out), l’amour homo (le couple homo et le « mariage ») ou la « famille » homo-parentale (l’adoption, la PMA – Procréation Médicalement Assistée – et la GPA – Gestation Pour Autrui) (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » et « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno parodie l’actrice qui va aider les « p’tits Africains » (en réalité, il va les exploiter et les acheter à travers l’adoption…). Autre exemple : quelques militants homosexuels français ont présenté en France (2012-2013) la loi du « mariage pour tous » comme une noble cause, humaniste, solidaire et sociale, alors qu’en réalité, elle n’englobe que des intérêts particularistes particulièrement égoïstes et narcissiques.
Médiatiquement, l’individu homosexuel se valorise/est souvent valorisé par les actions solidaires qu’il vit parallèlement à son histoire d’amour homo… comme si ces deux terrains (l’un ponctuel, l’autre plus entier et sentimental) pouvaient être mis sur le même plan… « Peut-être que si je n’étais jamais allé au lit avec des Algériens, je n’aurais pas pu approuver le F.L.N. J’aurais probablement été de leur bord, de toute manière, mais c’est l’homosexualité qui m’a fait réaliser que les Algériens n’étaient pas différents des autres hommes… » (Jean Genet dans la revue Playboy)
Si ce ne sont pas les personnes homosexuelles qui se prennent pour des Mère Teresa, ce sont les autres qui les y enjoignent ! (cf. je vous renvoie aux codes « Mère gay friendly » et « Faux révolutionnaires » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) En ce moment, il est à la mode de montrer, au détour de films et de documentaires abordant les thèmes de la solidarité et du dépassement de la souffrance, un couple homosexuel descendre de nulle part : cf. le film « Intouchable » (2011) d’Éric Toledano (avec le couple de lesbiennes). C’est la petite touche « politico-sentimentalo-engagée » rajoutée par la romance amoureuse. Dans les reportages, les sujets homosexuels sont maintes fois représentés comme ceux qui écoutent les autres, les conseillent, les aident à se réconcilier entre eux. Ils seraient même les marginaux avec un « M » majuscule, qui comprendraient forcément mieux les différents marginaux comme eux, du fait de leur douloureuse expérience de l’homophobie. Ils sont souvent valorisés par les actions solidaires qu’ils vivent/vivraient parallèlement à leur histoire d’amour… comme si ces deux terrains (l’un ponctuel et fraternel, l’autre plus entier et idéalement aimant) pouvaient être mis sur le même plan… Par exemple, dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence sont filmées comme les nouveaux messies, faisant un travail de prévention Sida avant-gardiste absolument admirable, aidant « tous les homos de la terre à s’assumer » et le monde à « s’aimer dans la diversité/sécurité » : elles ont suscité une standing ovation lors du Festival Chéries-Chéris du Forum des Images à Paris en octobre 2011 ! C’était comique et affligeant à voir, une euphorie émotionnelle déplacée pareille…
b) Le cœur plus totalement à sa place : la solidarité désincarnée
Quelquefois, prises de remords face à leur propre désœuvrement de bourgeois et à leur solidarité majoritairement intellectuelle/esthétique, les personnes homosexuelles se mettent théâtralement à « désirer aider », à « désirer être utiles ». Leur générosité est tellement bien-intentionnée qu’elle finit par déborder, par sortir de son lit. À force d’avoir le cœur sur la main, certaines finissent par ne plus l’avoir à sa place ! « J’ai enseigné pendant quatre ans à des adolescents et aucun ne m’a appelé au secours. Ensuite, j’ai été nommée en École Normale où tous mes élèves étaient majeurs. Mais je me suis souvent demandé ce que j’aurais fait si j’avais été sollicitée par des collégiens ou des lycéens à la dérive, voire désespérés. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 97)
C’est souvent par le biais de la louange de l’esthétisme que se cristallise la relation idyllique entre le bienfaiteur homosexuel et le va-nu-pieds (cf. je vous renvoie au code « Amour ambigu de l’étranger » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Le pauvre prend la forme de l’image d’Épinal du Beatus Ille magnifique et innocent. Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment il est tombé amoureux du domestique noir (Karabiino) qui le servait dans son hôtel, avec qui il a pourtant si peu communiqué, et à qui ses fantasmes intérieurs ont prêté des mots excessifs et des intentions ambiguës : « J’avais honte de moi devant lui. Je me sentais vieux, blasé. Mais j’étais avec lui, je comprenais tout ce qu’il désirait, tout ce qu’il ne désirait pas. Il était dans le malheur avec une fraicheur miraculeuse. […] Je l’ai aimé. » (pp. 74-75) On lit tout à fait dans son discours le narcissisme fusionnel : « Il portait des chaussures différentes, des espadrilles vertes simples et très jolies. Je les ai tout de suite adorées. Je voulais les mêmes. […] Je voulais de toute façon avoir exactement les mêmes espadrilles que lui. » (idem, p. 76)
Dans l’extrême-inverse, la pauvreté est confondue avec la médiocrité bobo ou artistico-camp. Par exemple, dans le journal Libération du 15 décembre 1987, Mathieu Lindon et Marion Scali se mettent à justifier le « théâtre du pauvre » de Copi, qui était en réalité très petit-bourgeois.
Souvent, les personnes homosexuelles sombrent dans le misérabilisme et le dolorisme identificatoires. Elles croient compatir et soulager des souffrances rien que par le regard, les sentiments : « Les spectacles de théâtre me ravissaient : ils étaient pleins des images de mes misères et de substances où j’alimentais le feu qui me dévorait. Pourquoi l’homme veut-il s’affliger en contemplant des aventures tragiques et lamentables, qu’il ne voudrait pas lui-même souffrir ? Qu’est-ce là, sinon une pitoyable folie ? Car nous sommes d’autant plus émus que nous sommes moins guéris de ces passions. Quand on souffre soi-même, on nomme ordinairement cela misère, et quand on partage les souffrances d’autrui, pitié. […] Au spectacle du malheur d’autrui, malheur imaginaire et de tréteaux, le jeu de l’acteur me plaisait et me charmait d’autant plus qu’il me tirait plus de larmes. […] De là venait mon goût pour la douleur, non pas une douleur profonde, car je n’aimais pas souffrir ce que j’aimais voir, mais pour cette douleur qui, en écoutant des fictions, me chatouillent, en quelque sorte, l’épiderme. » (Saint Augustin, Les Confessions (IVe siècle), pp. 50-51. C’est moi qui souligne) ; « La compassion est mon pire défaut. » (Stefan Sweig) ; etc. L’amour compassionnel du pauvre se fait par la voie des larmes, du théâtre, de l’Opéra et de la télévision.
Il y a en général entre la personne homosexuelle et « son » pauvre un écran, un média, une distance spéculaire, une projection fantasmatique narcissique : « Quand quelquefois, je vois à la télévision de belles âmes pleurer sur la misère sexuelle des malfaiteurs enfermés en prison, je ne peux me retenir d’évoquer ma jeunesse, tout aussi misérable, où je subissais une punition inhumaine pour des crimes que je n’avais pas commis. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 109) ; « Je me rappelle – je suis un cinéphage – que je sortais indigné et avec un grand mal au corps après avoir vu un film où on discriminait, réprimait et pourchassait les Noirs ou les Juifs ou les femmes pour le simple fait de l’être. » (Armand de Fluvià cité dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 81) ; « J’ai vécu avec une petite cuillère en or dans la bouche. Mais dans ma vie privée, je vis avec des prolos, des vrais. Ils savent bien que je suis un intellectuel bourgeois parisien. Mais ils m’aiment comme l’un des leurs. Ceci ne va pas sans mauvaise conscience de ma part, c’est bien évident. Mais les liens qui nous unissent nous entraînent au-delà de la mauvaise conscience. Ce qui compte, c’est le rapport qu’il y a entre nous, et ce que je peux leur apporter. Par mes écrits, mes livres. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Par exemple, dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, José Pascual explique que durant son adolescence, il s’est décidé à devenir missionnaire après avoir vu des images télévisuelles de pauvreté en Afrique.
c) La solidarité intéressée :
L’élan vers le pauvre n’est pas si gratuit et poétique qu’il y paraît en intentions. Il se révèle en réalité très souvent jugeant, politisé, égoïste ou arriviste. Il se fait en général dans une optique de militance intéressée, en vue d’une opposition ou d’une diabolisation excessive d’un camp socio-politique, ou bien dans une démarche de séduction et de drague : Par exemple, lors de son concert à la salle de L’Européen à Paris le 6 juin 2011, la chanteuse Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « Lesbienne invisible ») a fait venir sur scène un panel de « femmes du monde » façon United Color Of Benetton (des femmes de toutes les races, de toutes les nationalités), en hommage à la « lutte contre les préjugés »… et surtout pour prouver l’existence de l’« Hydre de la Domination masculine » !
Je pense aussi à tout l’opportunisme politisé et à la fausse humilité affichée d’un Louis-Georges Tin accueillant et prenant sous son aile Auf, l’Ougandais homosexuel du documentaire Ouganda : au nom de Dieu (2010) de Dominique Mesmin, au Forum des Images de Paris, le 16 novembre 2010 : il le présentait comme une preuve intéressante d’homophobie, un objet venant alimenter l’indignation et justifier le bien-fondé de la lutte pour les « droits LGBT ». Et le pire, c’est que cette instrumentalisation de son petit protégé exilé était sincère !
« Je les aime pour m’opposer. » disent bon nombre de personnes homosexuelles en parlant de leurs mendiants… ou même de leurs partenaires amoureux (les kissing ne sont pas autre chose qu’un geste d’amour et de solidarité détourné en matraque faussement désintéressée). L’idéalisation des uns conforte le mépris des autres : « Je n’en vins jamais à communier dans les valeurs de la classe dominante. Je ressentais toujours de la gêne, voire de la haine, lorsque j’entendais autour de moi parler avec mépris ou désinvolture des gens du peuple, de leur mode de vie, de leurs manières d’être. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), pp. 25-26) ; « La figure de la looseuse de la féminité m’est plus sympathique, elle m’est essentielle. Exactement comme la figure du looser social, économique ou politique. Je préfère ceux qui n’y arrivent pas. […] Et dans l’ensemble l’humour et l’inventivité se situent plutôt de notre côté. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), pp. 10-11) ; etc.
Certains sujets homosexuels ont tout des bons samaritains « fiévreux », soucieux de se trouver au plus vite un pauvre à aider pour faire écran à leur propre sentiment de vide existentiel ou de vacuité amoureuse, limite complexés de se retrouver si visiblement isolés et riches : « J’ai enseigné pendant quatre ans à des adolescents et aucun ne m’a appelé au secours. Ensuite, j’ai été nommée en École Normale où tous mes élèves étaient majeurs. Mais je me suis souvent demandé ce que j’aurais fait si j’avais été sollicitée par des collégiens ou des lycéens à la dérive, voire désespérés. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 97) Leur solidarité ressemble plus à un attachement narcissique digne d’une mère possessive qu’à une aide efficace et distancée : « La générosité de Coco était légendaire. Il avait fondé des foyers pour personnes en détresse : à Rome, à Paris, et maintenant ici. Son âme de mamma juive n’avait pas de frontière et le malheur des autres était une source inépuisable d’affection. » (Alfredo Arias, Folies-fantômes (1997), p. 95)
Certaines personnes homosexuelles ou gay friendly finissent par utiliser tellement le pauvre qu’elles se prennent pour lui : « La communauté homosexuelle est une minorité et les minorités ont à mon sens un rôle primordial. Elles nous rappellent qui nous sommes. La minorité est le joyau, le petit cœur en chacun de nous. Dans le film, elle est comme un révélateur en chimie. […] Elle révèle ce qu’est l’amour. » (la réalisatrice Zabou Breitman dans le dossier de presse de son film « L’Homme de sa vie » (2006), citée dans l’essai L’Homosexualité au cinéma (2007) de Didier Roth-Bettoni, p. 585)
Or, il ne suffit pas de vouloir aimer. C’est la solidarité en actes et par le don entier de sa personne qui compte.
Actuellement (et ça devient très inquiétant), l’agenda politique des pays occidentaux en matière de sexualité et de promotion de l’homosexualité prend la forme d’« aides au développement », de la « solidarité », de la « lutte contre la pauvreté/les discriminations/l’inégalité hommes-femmes ». Ces pays riches dépressifs exercent sur les pays pauvres une pression financière qui se pare des meilleures intentions, et qui est idéologiquement orientée vers l’indifférenciation sexuelle et la bisexualité. Il n’y a qu’à voir comment le Sénégal a dû tenir tête à l’« aide » nord-américaine (avec un président Obama qui voulait forcer ce pays à signer en faveur des causes LGBT). Le chantage à la solidarité est énorme dans des continents comme l’Afrique ou l’Amérique latine, qui ont besoin de cet argent, mais pas des conditions idéologiques de ces aides.
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