Amant triste
NOTICE EXPLICATIVE
C’est une véritable maladie que la croyance en l’« Amour » triste ! La « Mélancholia » comme dirait Mylène Farmer… Une maladie de notre époque narcissique et dépressive. Et la confusion entre la gravité de l’Amour avec la mélancolie/la mort : une perversion ! (… mais rassurez-vous, ça se soigne très bien ^^) Qu’on le dise haut et fort, sans honte, quitte à passer pour des individus angélistes, naïfs et idéalistes : il n’y a pas d’Amour vrai sans joie durable ! Que savent-ils de l’Amour, ceux qui entonnent en chœur « Je t’aime mélancolie » ? Pas grand-chose finalement.
Il n’est pas rare que l’« amour » homosexuel, dans les fictions tout comme dans le réel, s’avance par la voie des larmes et de la mélancolie, plus qu’il ne soit le reflet d’une force de vie positive, d’un amour qui relève, qui vainc la mort, qui forge les Hommes forts et doux. Ce n’est pas l’amant debout, mais bien la victime aux genoux fléchis, qui fait craquer le héros homo… car au fond, ce dernier envisage l’amour comme une mort, comme un film mélodramatique vécu à deux le temps d’une chanson triste, comme une maladie, comme une pente inexorablement descendante. Le jour où son amant ira bien, c’est, pense-t-il, qu’il n’aura plus besoin de lui ni de sa compagnie. Ce n’est pas non plus la force que le personnage homo préfère chez son partenaire : il attend de lui le désarroi, la défaillance, le spleen, les envies de suicide, le désir de chuter à deux (tellement « tragédie classique »… tellement « beau »…). Le goût pour l’éphémère, la sensiblerie rétro, et la pleurnicherie, est une technique de drague qui fait fureur dans les sphères amoureuses homosexuelles concrètes. Surtout sur les sites de rencontres internet gay. Quoi de plus séduisant, en effet, que de prendre sous son aile un « maudit de l’Amour », qui joue l’abandonné ? Pour mieux maquiller la pulsion égoïste, qui n’a jamais été tenté, dans les moments de passion sentimentale, de pleurer au lieu d’aimer, de confondre apitoiement et sentiment, de sauver l’autre, de se sacrifier pour lui ?
N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mort = Épouse », « Milieu psychiatrique », « Humour-poignard », « Haine de la beauté », « Manège », « Appel déguisé », « Homosexualité noire et glorieuse », « Douceur-poignard », « Première fois », à la partie « Rouge et noir » du code « Corrida amoureuse », à la partie « Adieux » du code « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », à la partie « Mélodrame » du code « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », à la partie « Suicide » du code « Mort », à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », à la partie « Regards » du code « Amant diabolique », à la partie « Promenade chorégraphique » du code « Bobo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
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FICTION
Cet amour surgissant de la supposée victoire de la mort sur la Vie est visible dans beaucoup de créations artistiques racontant des romances « amoureuses » homosexuelles : c’est le cas par exemple pour le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « The Saddest Boy In The World » (2006) de Jamie Travis, le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin, le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman (avec la tristesse d’Aaron), les chansons « Je t’aime Mélancolie » et « Tous ces combats » de Mylène Farmer, le roman Bohemia triste (1909) d’Antonio de Hoyos, le roman Tes Blessures sont plus douces que leurs caresses (1986) de Jean-Paul Goujon, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le roman Una Mujer En La Guerra De España (2003) de Carlota O’Neill, le film « L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste » (1968) de Jean-Daniel Pollet, le film « Tristesse et Beauté » (1984) de Joy Fleury, le roman Le Garçon qui pleurait des larmes d’amour (2007) d’Alexandre Delmar, le roman L’Amant malheureux (1943) d’Alberto Moravia, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, la photo Le Marin (1985) de Pierre et Gilles (avec un mousse en larmes), la chanson « Mélancolie toujours » de Jann Halexander ainsi que son film « J’aimerais, j’aimerais… ou la triste histoire d’Antoine Blanchard » (2006), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (avec Jules, l’écrivain homo dépressif), le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma (avec Marie, l’amante qui ne sourit jamais), le film « Seul le feu » (2013) de Christophe Pellet (avec le personnage mélancolique de Thomas), le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs (avec George, le héros homosexuel pleurant lorsque son élève joue au piano), la chanson « Small-town Boy » de Bronski Beat, etc.
En général, le personnage homosexuel est séduit par la tristesse de son amant : « Je t’aime, toi et ton chagrin. » (Nietzsche dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « J’aime les garçons un peu fragiles. » (un des protagonistes homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « On sent dans son regard qu’il est triste. C’est ça aussi qui m’a attiré chez lui, et m’a donné tellement envie de lui parler. » (Molina, le héros homo parlant de sa première rencontre avec Gabriel, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 66) ; « J’suis hétéro. J’ai dérapé. J’allais pas bien. Il était là. » (Didier parlant de l’aventure d’un soir qu’il a vécue avec son voisin de pallier homosexuel Bernard, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Il flottait, en cet endroit, un air terriblement romantique et je me sentis très vite envahi par la nostalgie. » (Éric, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 140) ; « C’est souvent comme ça quand je te regarde. J’ai envie de pleurer. » (Thierry le héros homosexuel par rapport à son amour pour Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « Ces confidences engendrent aujourd’hui dans son regard la même tristesse qu’hier. Et dans mon cœur le même attendrissement. » (Dominique à propos de Romain, dans le roman Les Julottes, (2001) de Françoise Dorin, p. 27) ; « Il y avait un garçon. Un garçon très étrange et enchanté. Ils disent qu’il errait au loin, très loin. Au-delà des terres et des océans. Un garçon timide. Et à l’œil triste. Mais très sage. Il était… » (Nature Boy, Eden Ahbez, cité en épitaphe d’un chapitre du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 21) ; « Une chose était certaine ; quand Gunther était là, il se sentait bien, au chaud, et il avait envie de pleurer tout doucement, jusqu’à en mourir. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 72) ; « Nicolas pense à la nuit passée ; il revoit le visage de Julien, dont la beauté vide éveille des larmes délicieuses. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 91) ; « J’ai su que tu en étais dès que je t’ai vu. Nous nous reconnaissons entre nous. Quelque chose dans le regard. » (William Windom dans le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas) ; « Mathilde somnole au creux de mes bras. Mes yeux s’emplissent de larmes. » (Cy Jung, Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005), p. 25) ; « Des fois, je pleure tellement que j’ai l’impression de devenir de l’eau. » (Chiron, le jeune héros homosexuel s’adressant à son amant Kevin, dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins) ; « Cette douceur mêlée de tristesse, c’est bien le goût de notre amour. » (Inès de Castro à Don Diego, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant) ; « Comme je chéris ces larmes, bien plus douces, sachez-le, que celles de l’extase ! » (Émilie parlant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 178) ; « Si tu as les idées noires, sois pédé ! » (cf. la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Khalid s’est avancé vers moi et il m’a embrassé. Sur la bouche. Avec la langue. Longtemps. Les yeux fermés, j’ai pris sa bouche, ses lèvres en moi. Et, triste, amer, j’ai joué violemment avec sa langue. Il n’a pas protesté. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 168) ; « Avec tes larmes, t’imagines pas comment tu m’excites. » (Don Roberto s’adressant à Jaime, dans le film « Dinero Fácil » (2010) de Carlos Montero) ; « Sur les marches qui mènent aux chiottes de la gare du Nord, je rencontre H. Il a un air triste, sa tête retenue sur ses deux mains emballées dans deux gros gants de ski, assis sur les marches. Je passe deux fois devant lui. Une première fois en allant aux pissotières. De l’ouverture à la fermeture de la gare, y a des hommes, de tous âges, de toutes origines qui se branlent lamentablement, debout, dans l’odeur de pisse et de foutre, en matant en coin les bites des autres. On dirait des puceaux, aussi fébriles que surexcités. Venir ici me désespère autant que ça me réjouit. » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 59) ; « Je trouve R. très beau, d’une beauté troublante. Toujours à quatre pattes dans la lumière tamisée de la chambre, sur la couette blanche, avec cette odeur de merde qui flotte dans l’air et dans le fond de nos bouches ce goût amer d’amour triste, comme s’il n’y avait plus que nous au monde. » (Mike parlant de son « amant d’un soir », Romain, qui lui avoue bien tard qu’il a le Sida, op. cit., pp. 71-72) ; « Vous, les travestis troupières, vous venez nous faire la guerre à nous, pédés pacifistes, nous traitant de jeunes filles tristes quand tout ce que nous cherchons, c’est simplement un garçon (si c’est possible un artiste) idéaliste, simple et bon qui reste garder la maison quand nous faisons secrétaires ! » (Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’ai ressenti un flux. Comme un coup de poing. Avec un peu de tristesse. » (Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Tu vois, Clara, tu ne m’aimes que quand je vais mal. » (Zoé s’adressant à Clara sa meilleure amie lesbienne, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « J’espère finir comme les parents, avec quarante ans d’amour malheureux. » (Antoine, le héros homo en couple avec Adar, un gars insipide, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; « Tu sais, l’amour et la pitié, ça fait pas bon ménage. » (Louis, le frère hétéro volage d’Antoine, relevant l’hypocrisie immature du fonctionnement de couple Antoine/Adar, idem) ; « J’veux pas qu’tu sois heureux. » (Antoine s’adressant à Adar, idem) ; « C’est normal que tu sois triste : deux oignons [allégorie de deux ex de Jérémy] qui se frottent, ça fait pleurer. » (le père de Jérémy Lorca consolant son fils gay, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « T’inquiète, il est comme ça, Julien : il est jamais heureux. » (Hugo par rapport à son amant, dans l’épisode 434 de la série Demain Nous Appartient diffusée le 3 avril 2019) ; « Tu aimerais me savoir malheureuse, n’est-ce pas ? » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West l’invasive, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « Oh ma chérie… tu ne vas pas devenir aussi morose qu’eux ? » (Dorothy s’adressant à Vita Sackville-West, idem) ; « Ce n’est pas grave si tu ne te réveilles pas tout seul, si à côté de toi c’est un gars et que t’as la larme à l’œil. » (c.f. la chanson « Grave » d’Eddy de Pretto) ; « Je n’arrive pas à vous faire sourire. C’est comme si j’avais l’impression de le faire et qu’il disparaissait. » (Marianne peignant son amante Héloïse, dans le film « Portrait de la jeune fille en feu » (2019) de Céline Sciamma) ; etc.
Par exemple, dans la pièce La Star des oublis (2009), les amantes Cherry et Ada s’entraînent dans la lamentation sanglotante : « Allez, ma mélancolique : viens donc ! » Dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, c’est Santa Barbara à toutes les pages (il suffit de voir les multiples références émues à la chanson « Voir un ami pleurer » de Jacques Brel…) : tout le monde chiale, là-dedans, c’est le festival de l’émotionnel et de la catastrophe… surmontée (car le pessimisme complet n’est pas vendeur…). Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle et Emma sourient très rarement, et pendant toute l’intrigue, elles sont filmées comme des pleureuses parce qu’elles se font énormément souffrir… après s’être bien consommées et après avoir esthétisée leur « idylle ». Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre sont filmées comme une magnifique romance la tristesse et la compassion d’un client de maison close homo (Rubén) face au prostitué (Eloy) qui se gâche et qui pleure sa situation miséreuse. Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le chanteur verse dans le romantisme chaviré de l’amoureux au « regard d’amour désespéré », guidé par la « fatalité ». Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Juna et Rinn tombent amoureuses l’une de l’autre parce qu’elles perçoivent en chacun d’elle le dégoût de vivre et l’isolement : Juna décrypte le dessin que Rinn a fait (« On dirait une fille très seule et très triste. »), et celle-ci, démasquée, croit avoir trouvé l’amour (« Je suis sûre que tu as une âme d’artiste. »). Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, vole dans la salle de bain de son amant de passage Walt une assiette en porcelaine accrochée au mur, assiette qui le fascine car elle représente un homme triste. Il finit par dénoncer son larcin : « Merci pour l’assiette avec le garçon triste. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca raconte ses nombreux chagrins d’amour. Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Marilyn, l’héroïne lesbienne, s’oriente vers le lesbianisme, parce que rien ne va dans sa vie : elle s’est fait virer de son travail, son mari Harvey la trompe. Idem pour sa future amante, Mona, qui se laisse piétiner par son envahissante belle-mère. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques pleure seul dans son lit juste après s’être fait sodomiser par son ami Jean-Marie. Et plus tard, il s’adresse à son jeune amant Arthur en ces termes : « Toi, t’as pas les yeux qui pleurnichent quand tu baises. Les pédés, c’est que des pleurnicheurs de la baise. » Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Adam et Éric vivent un amour de misère : « Toi et moi on est différents mais au fond on est pareils. On est deux pauvres losers que tout le monde rejette. » (Éric, dans l’épisode 2 de la saison 1).
Dans la formation des couples homosexuels fictionnels, la recette de la (simulation de) tristesse semble marcher à tous les coups, comme le démontre le roman lesbien The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, dans lequel les protagonistes trouvent « la tristesse de toute beauté » (p. 251) : « Et parce qu’il semblait étrange et assez pathétique que cette créature [Stephen] pût pleurer, Angela fut un instant remuée par quelque chose qui ressemblait beaucoup à de l’amour. » (p. 206) ; « Je vous aime terriblement, Collins. Je vous aime tant que cela me donne envie de pleurer. » (Stephen, p. 34)
Tout le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys est construit autour de l’idée que l’Amour est beau et éternel parce qu’il serait triste : « Il [Kévin] vient d’arriver. Il est seul, triste et solitaire. J’aimerais bien être son ami, mais je ne sais comment faire. » (Bryan, p. 31) ; « J’avais les larmes aux yeux et je vis qu’il était comme moi. Avions-nous la même sensibilité ? » (idem, p. 51) ; « Nous avions échangé quelques mots et pleuré ensemble. […] Rien n’était calculé, je m’étais retrouvé là par hasard, du bout des yeux, du bout des larmes, car pas de doute, nous avions partagé cet instant de tristesse. » (idem, p. 57) ; « Le côté rassurant c’est que tu étais souvent seul et triste. » (Bryan parlant à Kévin de leur période avant-rencontre, p. 112) ; « La chanteuse de ta mère [Édith Piaf] a raison, l’amour ça peut être triste… » (Bryan à Kévin, p. 123) ; « Un dimanche après-midi, alors que nous étions chez lui, Kévin me fit écouter une chanson : L’Hymne à l’amour. J’eus les larmes aux yeux, la gorge serrée et les poils hérissés. Content de lui, il observa ma réaction et pleura avec moi. » (idem, p. 140) ; « J’aime bien quand tu n’as pas le moral, je sens que tu vas me dire plein de choses gentilles. » (Bryan à Kévin, p. 209) ; « Je suis désolé de te faire pleurer mais en même temps, ces larmes qui coulent sur ton visage, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis longtemps. Alors… trop content de te faire pleurer encore une fois ! » (idem, p. 314) ; « C’est ça l’amour. C’est triste… et merveilleux ! » (Kévin, p. 350) ; « Tu avais le visage dévasté par le chagrin. Que tu étais beau ! » (Bryan, déjà mort, face à son amant Kévin le pleurant, p. 462) ; etc.
Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien mesure qu’il n’a pas tant aimé Malcolm que le prétexte qu’il lui a fourni de s’épancher narcissiquement sur son propre mal de vivre à lui : « Je ne sais même plus si je l’ai vraiment aimé. Quand je l’ai rencontré, il était comme perdu. Moi, je n’étais pas mieux que lui. […] Son histoire m’a touché, sa souffrance, ses larmes, ses questions. […] Je le sentais désespéré et c’était la première fois que je rencontrais quelqu’un d’aussi vrai. […] Je me suis attaché à ce qu’il représentait, peut-être plus qu’à lui d’ailleurs. » (pp. 119-120) Avec ou sans Malcolm, le héros homo aurait eu de tout façon à régler son vrai problème existentiel : la souffrance/haine de soi. Et personne ne peut nous aimer à notre place. Ce n’est le boulot d’aucun amant !
L’attrait homosexuel pour la sensiblerie dégoulinante et chagrine est très marqué dans les chansons des icônes gays telles que Barbara, Dalida, … et bien sûr Mylène Farmer : « Besoin d’un regard, de peau et de larmes » (cf. la chanson « XXL ») ; « 3, l’infirmière pleure. 4, je l’aime. » (cf. la chanson « Maman a tort ») ; « Aimer, c’est pleurer quand on s’incline. » (cf. la chanson « Libertine ») ; « Partager mon ennui le plus abyssal, au premier venu qui trouvera ça banal. […] En moi, en moi, toi que j’aime, dis-moi, dis quand ça n’va pas. » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram ») ; « Tu veux le sauver de lui-même, irrésistiblement. » (l’actrice interprétant Dalida, à propos de Richard Chanfray, dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; etc.
On retrouve le « On s’aime parce qu’on (se) déteste ou qu’on chute ensemble » dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol : « Il se déteste en secret. Vous êtes si proche de lui. […] Que vous auriez besoin de Quentin dans ces secondes de descente ! » (le héros parlant de son amant qui s’est suicidé, p. 131) ; « Ce sont sans doute ses yeux empreints d’une tristesse élevée qui, par moments, vous fixent avec sympathie. Oui, c’est ce regard fascinant qui fait de lui un être à part. » (idem, p. 38) ; « Ses yeux trahissent toujours une tristesse. » (idem, p. 47) ; « Rien de plus troublant que les larmes d’un jeune homme. » (idem, p. 52) « Ses yeux conservent toujours leur charmante tristesse. » (idem, p. 104) ; « Vous n’avez rien perçu dans ce regard, pas même cette tendresse qui vous mettait au bord des larmes. » (idem, p. 138)
Il arrive cependant que le héros homosexuel déplore pourtant sa morbidité amoureuse : « Je suis pas triste. Je suis désespéré. » (William, le héros homosexuel vivant une dépression à cause des absences de son amant Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Mais quel ami triste je me suis choisi ! » regrette Gabriele en évoquant son amant Marco, dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola). Par exemple, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan se console de la mort de son amant Sean dans les bras de Thibault le soir même : pendant qu’ils baisent, il sanglote en même temps qu’il jouit.
Si ce n’est pas lui qui le remarque, ce sont ses proches amis homos : « Elle doit être triste, ta vie. » (Greg, le héros homo s’adressant à son amie bisexuelle Jézabel, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Ce qui vous fera plaisir me fera de la peine. » (le Docteur Bosmans, homosexuel, s’adressant à Henri, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; « Qui a dit ‘Montre-moi un homosexuel heureux, je vous montrerai son cadavre.’ ? » (Michael, héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Tu es un homme triste et pathétique. Tu es homosexuel et tu ne veux pas l’être. Mais tu ne peux rien y faire. Toutes les prières du monde, toutes les analyses n’y changeront rien. Tu sauras peut-être un jour ce qu’est une vie d’hétérosexuel, si tu le veux vraiment, si tu y mets la même volonté que celle de détruire. Mais tu resteras toujours un homo. Toujours Michael. Toujours. Jusqu’à ta mort. » (Harold, homosexuel, s’adressant à son coloc Michael, idem) ; etc. Par exemple, dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le héros homosexuel suicidaire, vient se réfugier dans l’appartement de sa voisine de pallier, Antonietta, qui décèle son mal-être : « Vous, vous n’avez pas l’air si gai que ça… »
Le discours de la soi-disant « beauté de la détresse de l’amant » est finalement celui du violeur : « Elle était d’une grande beauté, les larmes qu’elle versait donnaient à son visage une expression et un charme extraordinaires. J’avais l’envie presque irrépressible d’abuser d’elle. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 116) ; « J’attends que vienne en elle un désir assez fort pour l’avoir dans mon lit. Un peu triste comme elle est, je pense que sa tendresse n’en sera que plus intense quand le moment sera venu. Est-ce cruauté que ce calcul ? Sans doute, mais mon désir, qui est tout, me fait raisonner ainsi. » (idem, p. 193) ; « Aussi furtif que fût ce baiser, je compris qu’elle n’avait jamais embrassé personne avant moi. J’en ressentis instantanément comme une sorte de tristesse et j’eus le sentiment qu’il émanait d’elle une pureté à jamais inaccessible. » (idem, pp. 223-224) Beaucoup de héros homosexuels, pour arriver à leurs fins (= niquer) et exprimer leur bestialité, font souvent parler la « tristesse des muets » : « Quand je l’ai vu dans sa cage à l’animalerie, j’ai eu envie de le rendre heureux. Ce qui m’a le plus retourné, c’était son regard de mendiant. Il avait l’air tellement triste… Il était immobile. Il n’aboyait pas mais il me suppliait. Enfin, c’est ce que j’ai cru. » (Bryan, le héros homo, en parlant de son chien Nicky, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 68)
FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION
PARFOIS RÉALITÉ
La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :
Les personnes gays sont-elles aussi « gaies » qu’elles le prétendent ? À force de fuir le cliché du « malheur homosexuel » ou de l’« homo maudit d’amour », elles le reproduisent plus souvent qu’elles ne le croient. « La seule chose qui me fait danser comme un fou, c’est la tristesse. » (le chanteur homosexuel Mika, dans l’émission The Voice 4 sur la chaîne TF1 le 17 janvier 2015) Dans beaucoup de cas, force est de constater que l’amour dans le couple homosexuel s’avance par la voie du chagrin, de la défaillance, des larmes. « J’aime beaucoup les gens mélancoliques. Ça me donne l’occasion d’avoir une utilité. » (Pierre Bergé dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) Par exemple, Jean Genet, en parlant de son amant Abdallah, dit avoir été touché par « son regard triste » qui renvoyait « aux images d’une enfance misérable, inoubliable, où il se savait abandonné » (Thierry Dufrêne, « L’Éthique de l’Art », dans la revue Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 64). Xavier Delcour avoue qu’il « craque pour les garçons un peu tristes » (« Gamin, j’aimais beaucoup Patrick Dewaere » affirme-t-il dans la revue Têtu, n°60, novembre 2001, p. 111). « J’aime surtout les enfants tristes » (p. 66) écrit Frédéric Mitterrand dans La Mauvaise Vie (2005). Dans son récit autobiographique Le Mausolée des amants (2001), Hervé Guibert suit la même pente compassionnelle : « Ce que j’aime chez ce jeune homme : son air maussade et doux. » (p. 445) Klaus Mann, quant à lui, vit également un amour impossible (et suicidaire, pour le coup !) pour son amant Tomski, avec complaisance et dégoût à la fois : « J’ai beaucoup pensé à Tomski. Je pense toujours à lui – plein de tristesse, plein de tendresse… » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 209) ; « C’est toujours Tomski que j’aime – d’un amour triste et résigné ; sans élan, sans joie, sans avenir. » (idem, p. 296)
Cette douleur amoureuse, loin de s’appuyer sur l’amour concret que vivrait le couple homo, ressemble plutôt à une manifestation inconsciente et capricieuse de l’ennui conjugal : « On s’est rencontré un soir de déception. […] Il s’emmerdait devant les escaliers qui menaient au Queen et je m’emmerdais au bar, le coude sur le comptoir, à fantasmer sans succès sur une certaine jeunesse qui semblait sur le point de me quitter, l’air de rien. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 73) ; « Il était incroyablement sexy avec son petit air fragile, un peu perdu. » (idem, p. 119) ; etc. Les amants épistolaires ou réels de Pascal Sevran empruntent également les sentiers de la larmichette-qui-chatouille-l’épiderme : « Je tente de me laisser envahir par la nonchalance. Je pense à toi. Je t’embrasse. » (Philippe, dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 91) ; « J’écris ces lignes en écoutant des musiques déprimantes, j’aime bien… écouter des musiques tristes ou chanter mes tourments, c’est peut-être ce qui me correspond le mieux, après tout. Tout sauf la joie. Je me sens transporté par ces notes de piano, ces cordes de violon frottées, ces hautbois, ces guitares pincées… Un océan de tristesse. » (Julien, idem, p. 168) ; « Il me rendait triste. Jamais j’ai été aussi triste de ma vie. Et paradoxalement, j’ai jamais été aussi heureux de ma vie. » (André par rapport à son amant Laurent, avec qui il a vécu pendant 10 ans, et qu’il n’arrive pas à quitter, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.
Je vous renvoie aussi aux « accès nocturnes de tristesse » (p. 79) de Jean-Jacques Rinieri raconté par son compagnon Roger Stéphane dans l’autobiographie Parce que c’était lui (1953). Dans sa biographie Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), Paul Veyne décrit son ami homosexuel Michel Foucault comme un « mélancolique serein » (p. 67).
Le plus incroyable, c’est que la mort, qui est le contraire de l’Amour, soit confondue avec Lui dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles : dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), par exemple, Alfredo Arias décrit l’attendrissement de Jacques pour la tristesse des soldats (« Je les aime, parce qu’ils sont purs avec leur regard triste, mélancolique… leurs pas incertains, timides, perdus dans cette grande ville… », p. 220) ; dans les romans top bobos de Philippe Besson, l’idée que la vraie pureté se trouverait dans la mort et la mélancolie est particulièrement marquée (c’est surtout le cas dans Son Frère (2001), Un Garçon d’Italie (2003), mais aussi dans ces lignes de En l’absence des hommes (2001) où sont chantées « la pureté intacte du chagrin, l’épaisseur inentamée de la tristesse », pp. 189-192). La tristesse, ce serait accidentel, spontané, forcément naturel : « J’ignore pourquoi j’éprouve ce besoin de vous jeter de la sorte cette mélancolie au visage, vous qui ne m’avez précisément rien demandé. » (la figure de Marcel Proust, p. 133) Chez d’autres auteurs que Besson, la tristesse, ça serait aussi virginal ! Rien que ça ! « J’ai tourné la tête et j’ai vu qu’elle pleurait. Les larmes coulaient en silence, luisaient sur son visage pareil à un portrait médiéval de la Vierge Marie. » (Ronit parlant de son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 146)
Côté crooner de l’amour-douleur nostalgico-bobo, promoteur de la mélancolie comme « Vérité d’Amour et d’Existence », Stefan Corbin est assez bien placé aussi. Le chanteur se dépeint souvent dans ses chansons comme l’Amélie Poulain masculin se racontant RESSENTIR sa tristesse existentielle et amoureuse sous un joli parapluie (dans son répertoire musical, il y a justement beaucoup de titres où on le voit marcher sous la pluie ou dans le froid… genre « Il pleut sur Nantes, donne-moi la main… ») : « J’ai mes larmes pour remplacer la pluie. » C’est censé être « touchant », un modèle de simplicité (en réalité, c’est juste une prétention sans prétention). La théâtralité mélancolique minimaliste est perçue par l’artiste comme le comble de la beauté, de la pudeur, et de la déclaration d’amour : « Je chante par nostalgie, par goût des larmes, et que j’aime les causes perdues. » (cf. la chanson « Les Causes perdues ») C’est pour cela qu’il ne supporte pas que les journalistes puissent ne serait-ce que laisser entendre que ses chansons sont déprimées/déprimantes… vu qu’à ses yeux, la déprime est belle, créatrice, positive, l’Amour même ! Pendant ses concerts, il aime raconter l’éternité mortelle des souvenirs, des moments solitaires de cafard (« Je me souviens d’un soir assez noir… »), il se plaît à rendre hommage aux artistes disparus et aux absents. Il dit aussi que son album Les Murmures du temps (2011) a été « créé pour la nuit, dans l’esprit amoureux, à écouter des chansons nostalgiques », pour « faire revivre chacune des personnes, chacun des instants ». Son œuvre entière semble dédiée à un amour triste et impossible, à l’homme invisible narcissique… le « triste sire » par excellence de la communauté homo !
On a l’impression que la tristesse, c’est le vinaigre bon marché pour attraper aisément le cœur d’artichaut des personnes homosexuelles : la majorité d’entre elles tombe dans le piège du pathos et du mélo les deux pieds dedans ! « Entre la tristesse et moi-même, j’ai noué de longues relations, qui ne cesseront plus jamais, à moins que ne cesse un jour l’éternité. » (cf. un extrait de la toute fin du poème « Jeux cruels » de Bachar Ibn Bourd, envoyé en guise de déclaration d’adieu par Slimane à son ex-amant Abdellah Taïa, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 126) ; « Je le sentais soucieux et une immense tristesse figeait son visage. Un jour où nous étions dans la bananeraie, il avait exprimé ses regrets et son chagrin. Nous étions étendus sur le sol ; il pleurait en silence ; ses larmes mouillaient mon cou ; son corps frissonnait. Jamais il ne s’était montré aussi affectueux, aussi amoureux ! » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), p. 36) ; « Je m’écoute quand je suis triste. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.
Par exemple, dans le journal Libération du 10-11 juin 1978, Copi, en parlant des artistes argentins à Alberto Cardin, les décrit tous comme « des tapettes, des tapettes mélancoliques » Mais les personnes homoSENSIBLES mesurent-elles qu’elles ne sont pas obligées d’être systématiquement les proies aussi faciles de leur compassion ? Le philosophe Fabrice Hadjadj explique à juste titre que le vrai péché originel d’Adam repose précisément sur la compassion : c’est parce qu’il a voulu accompagner Ève dans la tristesse de sa faute, « par amour », qu’il a chuté. Faut-il donc que la communauté homo confonde éternellement service et soumission, pitié/empathie et compassion larmoyante ? Il n’en tient qu’à elles ne plus se laisser bercer par leur sensiblerie !
Mais revenons-en aux stratégies d’amour du Don Juan homosexuel tristounet que l’on croise à longueur de temps dans le « milieu homo » (qu’il qualifiera d’« hors milieu » par souci de discrétion et surtout par déni de ses actes). En dépit de ses bonnes intentions poétiques, ce que le libertin homosexuel aime chez son partenaire, c’est en grande partie son mal-être, ses propres fantasmes de mort (cf. je vous renvoie à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Il vénère les yeux qui répriment leurs larmes, qui ont la dignité d’échapper à la théâtralité grandiloquente, qui expriment la force dernière des situations d’extrême faiblesse, qui pleurent la condition humaine avec la petite retenue qui les rend poignants, qui disent la douleur d’exister étouffée, qui donnent vraiment envie de sangloter à leur place (on retrouve tout à fait cela dans un film comme « Huit femmes » (2002) de François Ozon).
L’union homosexuelle obéit souvent à la conscience mutuelle d’un opprobre, d’une essence divine de loser. « Nous sommes l’un et l’autre si blessés, si comblés cette nuit. » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), p. 25) Océane Rose-Marie, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2009), n’est pas si loin de la réalité quand elle explique les roueries de la drague lesbienne classique : « Ce qu’il faut, c’est faire la gueule. » Cette idée qu’il est nécessaire d’être à la fois antipathique et pathétique pour plaire, je l’avais déjà lue dans un numéro de Têtu (« Les lesbiennes font la gueule pour draguer », n°127, novembre 2007, p. 108)… et cela m’avait bien fait rire sur le coup. Mais ce qui ressemble à une blague se vérifie pourtant très souvent dans les faits. Dans son étude Les Femmes et les Homosexuels (1996), Virginie Mouseler explique, en prenant le cas de l’écrivain André Gide, que la fragilité sert d’« aimant à homos » : « À 8 ans, Gide entre à l’École Alsacienne. Il a peur de la plupart des autres enfants mais s’attache passionnément à deux garçons en particuliers. Ils ont en commun d’être pâles, fragiles et délicats, comme Gide lui-même. » (p. 28)
Nous pouvons lire dans la confrontation des fragilités des amants homosexuels une non-rencontre, la volonté d’être compris par l’autre dans sa souffrance au point de le blesser, un appel au secours qui n’en est pas un puisque beaucoup d’entre eux souhaitent moins être aidés que d’entraîner leur partenaire dans leur précipice. C’est curieux, ces « je t’aime » qui ressemblent davantage à des « Nous ne croyons plus en l’amour à deux » qu’à des « Nous croyons en l’amour ensemble », même si paradoxalement le libertin homosexuel et sa proie se jurent mutuellement de se faire changer miraculeusement d’avis sur l’amour dans un élan combatif.
Le sujet homosexuel recherche souvent ce partage dans la souffrance, tout en le trouvant insupportable. « Seul en leur présence, je trouve de la tristesse du vide, un sentiment de malaise – c’est inexplicable – mélangé à un système de pensée de perversité et d’égoïsme (moi-je). Je me sens mal à l’aise à leur côté. Une fois qu’on se retrouve avec eux, c’est comme si c’était la mort, l’extinction. Je me rends compte en les observant qu’ils sont malheureux intérieurement. Mêmes s’ils sont passés du côté homosexuel, ils sont restés toujours tristes en eux-mêmes. J’ai connu un type qui est passé de hétéro à homo, et il est toujours aussi dépressif. Ça ne l’a pas aidé a faire évoluer sa situation dans le bon sens. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) Il déplore que son bonheur doive passer par le malheur. Il ne peut voir l’attendrissement de son partenaire sur ses larmes de défaillance que comme un amusement sadique, un arrivisme déplacé, une incompréhension totale, une douceur étouffante. Il sait bien au fond que les Hommes ne peuvent pas aimer uniquement sous prétexte qu’ils détestent ou pleurent ensemble.
Voyant que son couple devient de plus en plus complexe, l’amoureux homosexuel sombre dans la théâtralité et tente de mettre en scène son propre éloignement de l’amant. C’est en même temps une stratégie pour tester son entourage amoureux (ce dernier va-t-il le retenir ?), et une croyance sincère (il pense vraiment qu’il est un être maudit, oublié par l’amour). Il lui arrive alors de jouer les vieilles Maréchales de Strauss qui n’aiment que dans l’abandon et la distance déchirante. L’une des sources d’inspiration homosexuelle est évidemment le mélodrame et la tragédie classique. L’Homme homosexuel connaît par cœur la mise en scène mélancolique de l’amour homosexuel, mais la blâme/parodie surtout chez les autres. En revanche, quand lui-même devient théâtral en amour, il ne s’en aperçoit généralement pas. Au contraire, il mord à l’hameçon de sa propre comédie. Il tombe mal amoureux en croyant être fou d’amour, parce qu’il se persuade que dans ses différentes liaisons sentimentales, il est le seul à aimer véritablement comme il faut.
Il s’abandonne ainsi à l’esthétisme narcissique déprimé et faussement « pudique ». « Je ne voulais pas me donner en spectacle. J’avais envie d’errer, de respirer la nuit seul, de traverser cette ville où, depuis que j’avais quitté le Maroc poursuivant des rêves cinématographiques, je me redécouvrais heureux et triste, debout et à terre. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 45) Et là, en général, on a droit au vidéo-clip minimaliste à deux balles, façon « Nouvelle Vague ». Jour de Neige, dans un doudoune qui me protège… ou bien en mode « Like a Stranger in Moscow »… Et dans le rôle principal : l’intellectuel homosexuel (= l’Écorché vif de l’« Amour ») : « Le 8 décembre 1990, la neige, à gros flocons, blanchissait la ville. […] Je déambulais au milieu des passants qui se délectaient de vins chauds et achetaient des lampions pour les enfants. […] Le contraste entre le souvenir de ma précédente visite à Fourvière et ce que j’expérimentais ce soir-là, seul et désabusé, augmenta mon sentiment d’inutilité et de gâchis de mon existence. » (Jean-Michel Dunand, Libre (2011), p. 99) Au cœur des pires tempêtes du dépit amoureux, au plus noir de ses nuits de désespoir, il se prend homo sans le savoir. Cheveux au vent, ou emmitouflé dans son petit pull marine au bord de sa piscine dorée, il ne se voit pas méditer théâtralement sur une feuille morte tombant d’un arbre, exécuter sa propre promenade chorégraphique au ralenti dans sa ville, pleurnicher sur lui-même à la vue des petits bonheurs simples de la vie (un enfant qui joue dans un parc, les familles heureuses, les passants insouciants, etc.), s’émouvoir sur son courage surhumain d’aimer la vie malgré tout ce qu’elle lui ferait soi-disant « subir », se laisser déborder par des extases panthéistes face à la Nature cruelle. Il cache sa (fausse ?) souffrance par la célébration esthético-sentimentale de celle-ci. Au lieu de prendre réellement de la distance par rapport à l’objet du deuil, il s’y identifie dans l’émotionnel et se soustrait au travail de détachement par la mise en scène parodiée du départ. Il adore les créations de la solitude, des adieux larmoyants, de l’amour impossible.
Le « poète » romantique homosexuel refuse l’amour et fait passer cette attitude lâche et orgueilleuse pour un sacrifice héroïque, ou une essence de dieu damné. Dans la distance, il enjolive et pleure une relation avec un regretté amant qu’en réalité il n’aurait jamais aimé si celui-ci avait été accessible et vivant. Il est prêt à se priver d’aimer et même à considérer ses futures conquêtes amoureuses comme des objets de vengeance et d’expiation de ce cruel coup du sort qu’il ne veut surtout jamais digérer, plutôt que de regarder la réalité en face : il tient à son malheur et à son amour désincarné plus qu’à l’amour qu’il chante pourtant à tue-tête.
Nous pouvons nous interroger sur la raison d’une telle comédie. Elle peut s’expliquer en partie par le fait que le libertin homosexuel se convainc que l’amour vrai ne peut pas se dissocier de la souffrance et de la mort. En ce qui concerne les probables origines de l’amour homosexuel, les mots de Paula Dumont dans La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) sont d’une lucidité glaçante : « Il y avait entre Martine et moi une sorte de camaraderie dans la détresse amoureuse. C’était parce que nous désespérions de nos chances auprès du sexe féminin que nous avions choisi de vivre ensemble. » (p. 124) Avec le temps, je suis de plus en plus persuadé que les personnes homosexuelles, dans leurs relations amoureuses en général, ne pleurent pas tant l’amant disparu que les limites du désir homosexuel auxquelles elles n’ont pas encore consenties, leur orgueil à vouloir à tout prix rendre idéale l’illusion amoureuse homosexuelle : « Je me perds entre les buissons, je croise des garçons auxquels je n’ai pas envie d’agripper ma solitude. Regards fermés, gestes lents, comme des funambules suicidaires. Ils font l’amour debout, le jeans baissé sur les chevilles. Sur leur visage un air triste d’avoir abandonné le combat. » (Simon, l’un des héros homos du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 14-15)
Mais comme elles ne veulent en général pas voir en face qu’elles ne sont pas réellement tristes quand elles perdent l’être aimé ou qu’elles vivent loin de lui, ni que ce sont elles qui cultivent la légende du « malheur homosexuel » en l’attribuant aux « méchants homophobes extérieurs » qu’elles ne seraient pas, beaucoup d’entre elles vont décréter en deux temps trois mouvements que telle œuvre littéraire homosexuelle prouvant leur fascination inconsciente pour la tristesse ne mérite pas l’attention parce qu’elle serait « trop déprimante » (comprendre « homophobe »), que tel discours sent la réminiscence d’une Honte homosexuelle coupable à bannir, ou que tel film donne une vision trop doloriste et misérabiliste de l’homosexualité pour être révélateur d’une quelconque vérité les concernant (cf. les commentaires du film « The Children’s Hour » (1961) de William Wyler, entendus dans le documentaire « The Celluloïd Closet » (1996) de Rob Epstein). Elles referment précipitamment le dossier gênant de la tristesse homosexuelle pour ne pas analyser celle-ci, ni lui donner du sens… alors qu’elle est bien souvent un cri ( = « Tu as fait de moi l’Homme le plus malheureux de la terre ! ») que la majorité des personnes homosexuelles pourraient lancé à leur compagnon de vie ou à leur compagne… reproche qu’on entend dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel : « Tu m’as fait le gay le plus triste de la Terre. »
Alors je suis ravi d’ouvrir cet Album de la Tristesse homosexuelle devant vous maintenant, grâce à ce Dictionnaire des Codes homosexuels, pour que lumière soit un peu faite sur les noirceurs du désir homosexuel, en dehors de toute tentative de ma part d’essentialisation (personnifiée en « les » personnes homosexuelles) des malheurs humains ! Je suis un des premiers convaincus qu’individuellement, et hors du couple homo, les personnes homosexuelles peuvent vivre le Bonheur et la Joie, la vraie !
Enfin, pour terminer ce code kleenex, je tiens à souligner que ce refrain homosexuel de la beauté de la défaillance et de la mélancolie amoureuse, n’est pas seulement risible : il est en fait celui du violeur qui attend que la victime qu’il convoite fléchisse : « J’ai allumé la télévision. Sur Melody Hits, il y avait le clip de la chanson de Sabah. Karabiino connaissait le tube mais ignorait tout de la chanteuse. Il s’est arrêté de travailler. Je l’ai invité à venir s’asseoir sur le lit à côté de moi. Et on a regardé le clip ensemble. C’était joyeux. Triste. Bouleversant. Loin de tout. Sabah défiait encore et toujours le temps, la mort, c’était son dernier combat. J’avais soudain envie de pleurer, mais je ne savais pas pourquoi. Karabiino, lui, avait les yeux fixés sur l’écran. Était-il heureux ? Avait-il oublié pour un moment son malheur ? À quoi pensait-il ? Qui, au fond, était-il ? Je n’avais pas de réponses. Je n’en avais pas besoin. Karabiino était un garçon offert à mes yeux, à ma mémoire, parfaitement lisible et complètement mystérieux. Je savais un bout de son histoire, de son rêve. Mais là, à côté de moi, il était comme un petit prince, un petit roi. Un petit Sphinx. Insaisissable. Ailleurs. Ailleurs en permanence. » (Abdellah Taïa tombant amoureux de son groom noir, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), pp. 76-77) Et là, il n’y a pas trop de quoi rigoler, car faire parler la soi-disant « tristesse des muets », c’est finalement chercher à donner une apparence charitable et corporelle à ses pulsions… qui, elles, ne sont pas toujours charitables (c’est le moins qu’on puisse dire !) (cf. je vous renvoie au code « Violeur homosexuel » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).
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