Un mouvement qui ne sait plus pourquoi il se forme, qui change sans arrêt d’objectifs, qui n’a pas revendication, qui n’a pas de message unifié, qui n’appelle pas à poser des actes concrets, qui décident de ne pas avoir des chefs identifiés pour lancer ces mêmes appels, qui refuse la visibilité médiatique, est un mouvement en danger. Et je ne parle même pas ici de couleur politique ou religieuse.
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Amis Veilleurs debout, il va falloir arrêter de nous planquer derrière Nicolas
Une petite mise au point s’impose ! À un moment donné, il va falloir arrêter de se servir de Nicolas pour apitoyer le passant et pour ne pas assumer la véritable raison de notre veille : notre opposition au « mariage homo ». Quelle est cette manie que nous avons eue, depuis le début de notre lutte contre la Loi Taubira, de nous planquer derrière les enfants, puis ensuite les prisonniers politiques, pour éviter d’avoir à comprendre ce que nous combattions avec tout notre coeur. Vraiment, encore aujourd’hui, nous n’avons pas plus compris cette loi que ceux qui la signent les yeux fermés.
Cette nuit (du 6 au 7 juillet 2013), j’ai assuré avec une douzaine de Veilleurs debout la Veillée devant le Palais de Justice de Paris. Tout s’est objectivement bien passé. Et l’un des avantages de la formule Veilleurs debout, c’est que les gens s’arrêtent beaucoup plus facilement pour discuter, et on se rend compte qu’une majorité d’entre eux sont sensibles à notre cause.
Mais de quelle « cause » parle-t-on, au juste ? Depuis la dizaine de jours qu’ont débuté les Veillées debout, il est peut-être temps d’accorder un peu nos violons à ce sujet. Car certes, les Veilleurs debout, contrairement aux Veilleurs assis, sont silencieux, ne sont pas prioritairement là pour argumenter leur présence, mais plutôt pour marquer les esprits pacifiquement par une posture physique statique, pour faire « acte de présence dans l’Espérance ». Cependant, quand on nous interroge – et nombreux sont les badauds qui viennent nous demander quelle mouche nous a piqués de rester plantés là comme des cons devant un bâtiment administratif –, il est important de savoir répondre. Car il en va de la survie des Veilleurs debout ; et en plus, notre mouvement a un sens global profond. Donc si celui-ci nous échappe et si nous ne l’assumons pas, nos veillées vont vite devenir des sketchs vivants, des bouffonneries, des feux de paille.
Ce soir, pour vous donner un petit exemple de la division qui guette nos troupes, un groupe de cinq personnes (2 Italiens et 3 Belges) est venu me parler longuement. Ils avaient préalablement interrogé une de mes voisines veilleuses, qui leur avait rétorqué qu’elle protestait pour la libération de Nicolas et les incarcérations abusives dictées par un Gouvernement français qui ne nous écoutait pas. L’échange avec elle a donc été bref. Ensuite, ils sont venus entendre mon son de cloche. J’ai commencé par dire que nous incarnions un mouvement de protestation contre la Loi Taubira qui ouvre le mariage aux personnes de même sexe. Une de mes auditrices s’est spontanément exclamée : « Ah d’accord ! Donc chacun d’entre vous manifeste pour un combat différent alors ? ». Il a fallu que j’explique que mes camarades et moi étions bien là pour la même cause – la demande de retrait du « mariage pour tous » –, mais que certains, par facilité et par peur d’avoir à dire explicitement qu’ils sont contre le « mariage homo », préfèrent se réfugier derrière la description des violences policières ou d’une censure politique plutôt que d’aller droit au but. Mon groupe de touristes trouvait ça dommage que nous cachions ainsi nos réelles motivations, comme si nous en avions honte, car du coup, les échanges ne se déploient pas comme ils pourraient se déployer, et notre auditoire n’est plus tellement convaincu par nos arguments. Certains passants admirent juste poliment le courage de notre performance physique ; mais pas le contenu de la performance. Et ceux qui finissent par découvrir le pot aux roses se sentent piégés par le fait que nous nous soyons posés en victimes et que nous leur ayons dissimulé notre véritable combat.
Amis Veilleurs debout, écoutez-moi bien. Si nous ne savons pas exactement pourquoi nous sommes là, si nous ne comprenons pas pourquoi la Loi Taubira est déjà suffisamment choquante en soi pour que nous continuions à ne parler que d’elle, si nous lui cherchons des causes ou des conséquences extérieures trop lointaines, nous pouvons déjà rentrer chez nous. Nous perdons notre temps à veiller !
Je me permets donc d’insister sur ce point. Nous ne devons pas veiller pour la libération de Nicolas (ni jusqu’à ce qu’il soit toujours enfermé), mais bien pour le retrait de la Loi Taubira. Je crois qu’il y a une dérive à remplacer une demande par une autre. C’est se planter de priorité, et même désavouer ce pour quoi Nicolas est incarcéré. Ne confondons pas l’exemple et la thèse. Ne mettons pas sur le même plan le signe de l’injustice et la cause de l’injustice ou de ce signe d’injustice. L’incarcération de Nicolas ne doit pas devenir l’alibi facile, le paravent de notre trouille de dire notre opposition au « mariage homo ». Ou alors nous nous servons de Nicolas. Et le jour où il sortira de Fleury, nous serons à nouveau nus comme des vers ! Pas génial pour les températures d’automne qui seront moins clémentes que maintenant. Bref, il nous faut préparer l’hiver, ou plutôt les hivers, que nous allons traverser. Il nous faut voir à plus long terme, et un peu plus loin que le bout de notre nez. Continuons à nous indigner pour l’emprisonnement de Nicolas, car il le mérite. Mais gardons en tête qu’il n’est pas notre horizon de bataille. Il n’en est que l’une des raisons.